web counter

THE FRENCH DOOR

BIBLIOTHÈQUE FRANÇAISE

Amazon.com:

LE CŒUR DE NOTRE-DAME MARIE DE NAZARETH:

UNE HISTOIRE DIVINE

47

HISTOIRE DES PERSECUTIONS

 

HISTOIRE

DES PERSÉCUTIONS PENDANT LA PREMIÉRE MOITIÉ DE TROISIÉME SIÉCLE

(SEPTIME SÉVERE, MAXIMIN, DÈCE)

 

CHAPITRE PREMIER.

LES CHRÉTIENS AU COMMENCEMENT DU REGNE DU SEPTIME SÉVÈRE.

I. —L'Église et le droit d’association.—Pendant les deux premiers siècles, l’État persécute les chrétiens, mais ignore l’Église.—Accroissement du nombre des fidèles.—Nécessité de posséder des cimetières.— L'Église en prend extérieurement la forme, afin de pouvoir posséder.—Calliste, diacre du pape Zéphyrin, est chargé d'administrer le premier cimetière possédé par elle à titre corporatif.

II.—Les sentiments de Septime SÉvÈre À l'Égard des chrÉtiens. — Mouvement démocratique du commencement du troisième siècle.—Septime Sévère entièrement dégagé des préjugés aristocratiques.—Il protège des familles chrétiennes contre l'hostilité du peuple de Rome.

III. Les prÉludes de la persÉcution.—Les magistrats imitent la tolérance de l'empereur.—Quelques esprits exagérés parmi les chrétiens.—Manifestation d’un soldat, louée par Tertullien. Les chrétiens modérés la blâment comme une provocation inutile.—Passions populaires, qu'une étincelle suffit à rallumer.—La persécution reprend en Afrique, vers 198.—Tertullien écrit son Exhortation aux martyrs.—Il compose ses livres aux Nations et son Apologétique.—Nombreux martyrs en Afrique.—Martyrs en Égypte.

 

CHAPITRE DEUXIÈME.

L’EDIT DE 202

I.— L'ÉDIT DE 202.— Voyage de Sévère en Orient.—Pendant son séjour en Palestine, il interdit la propagande juive et chrétienne.—Cette défense s'étend à tout l'Empire.—Il aggrava la situation des chrétiens, en commandant de poursuivre d’office les convertis et les complices de leur conversion.

II. SÉvÈre en Égypte. PremiÉres applications de l’Édit. — Séjour de Sévère à Alexandrie.—Importance de l’école chrétienne de cette ville.—Jalousie de la cour de Sévère contre l'influence intellectuelle du christianisme.—L'impératrice et ses amis inspirent à Philostrate sa Vie d'Apollonius.—Pantène et Clément.—Le préfet Laetus commence la persécution.—Martyre de Léonide, père d'Origène.— Origène catéchiste.   Martyre de plusieurs de ses disciples.—Sainte Potamienne.

 

CHAPITRE TROISIÈME.

LA PERSÉCUTION DE SEPTIME SÉVÈRE.

I. La persÉcution À Rome.—Le confesseur Natalis.— Travaux pour mettre le cimetière de Calliste en communication avec une sablonnière

II. La persÉcution en Afrique.—Le procurateur Hilarianus.—Émeute à Carthage contre les areœ funéraires des chrétiens.— Tertullien : traité de la Fuite.—Le martyr Rutilius.—Actes de sainte Perpétue et de ses compagnons, Revocatus, Félicité, Saturninus, Secundulus et Saturas.— Dialogue entre Perpétue et son père: le symbole du vase.—Visions de Perpétue.—Vision de Saturus.— Mort de Secundulus.—Accouchement de Félicité.—Gaieté de Perpétue.—Martyre de Revocatus et Saturninus.—Martyre de Saturus, de Perpétue et de Félicité.—Recrudescence de persécution.

III. La persÉcution en Asie.—Naissance du montanisme en Phrygie.—Le montanisme condamné par tous les évêques.—Julien d’Apamée et Zotique de Comane.— Martyre de Caius et Alexandre, à Apamée de Phrygie. Persécution en Cappadoce : le légat Claudius Herminianus.

 

CHAPITRE QUATRIÈME.

LES DERNIERS TEMPS DE LA PERSÉCUTION. — CARACALLA.

I. LEs derNiÈres aNnÈes de Septime SÉvÈre.—Retour de Sévère à Rome. —Voyage d’Abgar IX, roi chrétien d’Êdesse.—Rivalité de Caracalla et de Géta.—Mort tragique de Plautien.—Sévére emmène ses fils en Bretagne.—Sévére traverse la Gaule pour s’embarquer.—Il s’arrête à Lyon: saint Irénée.—Fut-il martyrisé par ordre de Sévére?.—Martyre de saint Andéol.

II. Caracalla.—Mort de Sévére.— Caracalla empereur.—Meurtre de Géta.— Martyre de saint Alexandre de Mécano.— Destruction du royaume chrétien del'Osrboène. —La persécution sous Caracalla.—Cruautés du proconsul d'Afrique, Scapula.—Martyre de Mavitus d’Adrumèle.—Grand nombre des chrétiens d’Afrique.—Décroissance de la persécution.—Quelques disciples de saint Irénée martyrisés en Gaule.

 

CHAPITRE CINQUIÈME.

LA PAIX D’ALEXANDRE SEVERE ET LA PERSÉCUTION DE MAXIMIN.

I.—La paix d’Alexandre SÉvÈrE.—Mépris d’Élagabale pour la religion romaine.  Il veut lui substituer le culte du dieu d’Émèse.—Sa tolérance pour les chrétiens.—Avènement d’Alexandre Sévère.—Rapports de sa mère Mammée avec Origène.—Alexandre Sévère s’inspire des idées et des maximes chrétiennes.

II. La persÉcution de Maximin.—Assassinat d’Alexandre Sévère.— Persécution contre le clergé.—Exil du prêtre Hippolyte et du pape Pontien. —Martyre de Pontien.—Martyre du pape Anteros.—La persécution varie d’intensité selon les provinces. — Soulèvements populaires contre les chrétiens de Cappadoce.—Cruautés du légat Serenianus.—Ambroise, ami d’Origène et confesseur de la foi.—Exhortation aux martyrs, composée par Origène pour Ambroise et ses compagnons.—Quelques martyrs de la per­sécution de Maximin.—Avènement de Pupien et de Balbin.—Caractère des Gordiens.—Régne de Gordien III.— Humanité et tolérance : l’esclave Sabina.

 

CHAPITRE SIXIÈME.

LE PREMIER EMPEREUR CHRÉTIEN.

I. La pÉnitence de Philippe.—Origine de Philippe.— Le christianisme dans la Trachonitide et le Haourân.—Guerre de Gordien III contre la Perse.—Philippe succède à Timésithée comme préfet du prétoire.— L'armée oblige Gordien à l'associer à l'Empire. —Philippe fait tuer Gordien.—Paix avec la Perse.—Philippe Associe son fils. — Saint Babylas lui refuse l'entrée de l’église d’Antioche s’il ne fait pénitence.

II. La paix de l’Église sous Philippe.—Célébration du millénaire de Rome.—Philippe garde les dehors d'un prince païen.—Liberté laissée aux chrétiens.— Rapports de la famille impériale avec Origène.—Le pape Fabien ramène de Sardaigne les restes du martyre Pontien.—Un consul chrétien.—Anatolie, fille du consul, donne un terrain funéraire à L’Eglise.

III. L'Émeute d’Alexandrie.—Saint Grégoire le Thaumaturge.—Conquêtes du christianisme dans les hautes classes.—Relâchement des mœurs chrétiennes.— Hostilité des païens.—Émeute à Alexandrie.—Chrétiens martyrisés par les insurgés.— Agitation dans les provinces.—Dèce Proclamé empereur.—Mort de Philippe et de son fils.

 

CHAPITRE SEPTIÈME.

LA PERSÉCUTION DE DÈCE EN OCCIDENT.

I. CaractÈre de la persÉcution de DÈce.Il veut réagir contre la séparation de l’ordre civil et de l’ordre religieux inaugurée par le christianisme.— Caractère systématique de la persécution de Déce.

II. La persécution a Rome, en Italie, en Gaule et en Espagne.   Martyre du pape Fabien.—Quelle avait été son administration.—Lettre de saint Cyprien sur son martyre.—Le clergé romain pendant la persécution.—Comparution de Celerinus devant Dèce.—Martyre du prêtre Moïse.—Martyre de Calocerus et Partenius.—Martyre d’Abdon et de Sennen.  Actes des saints Secondien et Véranien.— Sainte Agathe.— Saint Saturnin de Toulouse.—Le christianisme en Espagne.— L’édit de Déce en Tarraconaise et en Lusitanie.—Basilide, évêque libellatique de Léon et d’Astorga.— Martial, évêque libellatique de Mérida.—Élection du pape Corneille en juin 351.

 

CHAPITRE HUITIÈME.

LA PERSÉCUTION DE DÈCE EN AFRIQUE.

I. La promulgation de l'Édit a Carthage.—Caractère des païens et des chrétiens d'Afrique.—Fermeté de saint Cyprien.—Effet produit à Carthage par la promulgation de l'édit.—Multitude des apostats.—Chrétiens obtenant un certificat d'apostasie sans avoir sacrifié.

II. Les martyrs, les bannis et les fUgitifs. — Chrétiens jetés en prison. —Confesseurs morts de faim en prison.—Martyre de Mappalique et de ses compagnons. —Chrétiens immolés par la populace.—.Chrétiens condamnés au bannissement et à la confiscation des biens.—Chrétiens fugitifs.

III. La question des tombÉs.—Saint Cyprien se décide à fuir.—Orgueil du confesseur Lucien.—Lettres de saint Cyprien aux confesseurs, au clergé et au peuple.— Obstination de plusieurs confesseurs.—Schisme fomenté par Félicissime et Novat.— Rentrée de saint Cyprien .—Fin du schisme.

 

CHAPITRE NEUVIÈME.

LA PERSÉCUTION DE DECE EN ORIENT.

I.—La persÉCUTION eN ÉGYpte.—Caractère de la population d'Alexandrie. — Superstition et fanatisme.—Martyre de Julien et de Cronion.—Marc, Nemesion, Alexandre brûlés vifs.—Plusieurs femmes décapitées. Martyre d'Héron, d’Ater, d'Isidore; acquittement du jeune Dioscoré. Martyre de quatre soldats: terreur des juges.—Fuite de saint Denys, évêque d'Alexandrie.—Nombreux chrétiens fugitifs.— Beaucoup périssent.—Retraite de Paul à la campagne.—Paul se retire dans le désert, et y mène jusqu'à cent treize ans la vie d'ermite.

II. Les martyrs de GrÈce et d'Asie.—L'Église d'Athènes au troisième siècle.—Martyrs de l'Attique,—du Péloponèse,—de Crête,—de Chio.—Sentiments favorables aux chrétiens en Asie Mineure.—Douceur des habitants de Smyrne.— Mollesse des chrétiens; nombreuses apostasies.—Chute de l'évêque Eudaemon.—Joie insultante des Juifs.—Arrestation de Pionius, d'Asclépiade et de Sabine par le néocore Polémon.— Sympathie des habitants.—Dialogue entre Pionius et Polémon.— Interrogatoire des trois chrétiens par Polémon. —Interrogatoire de Pionius par Julius Proculus Quintilianus, proconsul d'Asie.— Pionius est brûlé vif.

 

CHAPITRE DIXIÈME.

LA PERSÉCUTION DE DÈCE EN ORIENT (suite).

I. Le culte de Diane et les martyrs d'Asie.— Superstitions locales en Asie.—Culte d'Artémis a Éphèse,— à Lampsaque.—Optimus, proconsul d’Asie.—Les sept dormants d’Éphése.—Martyre de Maxime à Éphèse ou à Lampsaque.—Martyre de Pierre à Lampsaque.—Procès d'André, Paul et Nicomaque à Troas,—La vertu de Denise miraculeusement préservée.—André, Paul et Nicomaque abandonnés par le proconsul aux fanatiques.—Denise décapitée.—Martyre de l'évéque Carpos et du diacre Papylos à Pergame.—Agathonicé se déclare chrétienne.—Elle est brûlée vive.

II. Les martyrs de la Bithtnie, du Pont et DE la Cappadocf.Tryphon et Respicius martyrisés à Nicée.—Martyre de Lucien et Marcien à Nicomédie. — Autres martyrs de Bithynie. —Grégoire le Thaumaturge conseille de fuir.—Martyre de saint Troade.—Martyre de Mercurius, en Cappadoce,—de Polyeucte, en Arménie.

III. Quelques évêques d'Asie. —Saint Acace, évêque d’Antioche de Pisidie.—Son interrogatoire.—Effet produit sur Dèce par la lecture du procès-verbal.— L'empereur prononce son acquittement.—Saint Nestor, évêque de Magydos en Pamphylie.—L'elogium.—Martyre de Nestor.— Martyrs en Lycie.—Saint Babylas, évêque d’Antioche.—Versions différentes sur son martyre.—Glorieux épiscopat de saint Alexandre de Jérusalem.—Il meurt en prison. —

IV. OrigÈne. — La fiN de la persÉcution.  Longue captivité des évêques ou des docteurs dont on désire surtout l'abjuration.—Efforts pour triompher d’Origène.—Ses souffrances en prison. Il y reste jusqu’à la mort de Dèce.—Invasion des Goths. Déce est vaincu et tué en Thrace, en 151.— Complet avortement de son œuvre politique et religieuse.

 

Dans un précédent volume , j'ai raconté lhistoire des persécutions subies par les chrétiens sous les règnes de Néron, de Domitien`, de Trajan, d'Hadrien, de Marc Aurèle, c'est-à-dire pendant cent quarante années environ. Je consacre aujourd'hui un volume entier aux persécutions qui se succédèrent dans la première moitié du troisième siècle, sous Septime Sévère, Maximin et Dèce, coupées par de longs intervalles de paix durant les règnes d'Élagabale, d'Alexandre Sévère et de Philippe. On s'étonnera peut-être qu'il ait fallu le même nombre de pages pour raconter l'histoire d'un demi-siècle et pour résumer celle d'un siècle et demi. Cette disproportion apparente s'explique par deux raisons: les documents sont beaucoup plus nombreux et plus sûrs pour une des époques que pour l'autre, et la société chrétienne s'est trouvée, au troisième siècle, plus mêlée aux événements généraux, au mouvement social et politique, qu'elle ne l'avait été dans les deux premiers.

I.

Les documents sur les anciennes persécutions étaient loin d'être aussi riches, aussi précis que l'eût demandé notre curiosité : ils se réduisaient à d'obscures allusions éparses dans les histoires païennes, de rares écrits chrétiens antérieurs au second siècle, pour celui-ci les ouvrages des plus anciens apologistes, quelques Actes de martyrs authentiques ou possédant une valeur sérieuse. Si nous n'avions pu, par un travail de critique souvent récompensé, tirer d'Actes moins sûrs des faits ou des noms certains, et si nous n'avions eu le droit d'invoquer, comme source d'informations nouvelles ou comme moyen de contrôle, le témoignage chaque jour plus étendu et mieux compris des monuments, un petit nombre de pages eût suffi pour résumer l'histoire de cent quarante années tragiques et fécondes où l'Église grandit sous les coups de la tempête, pendant que le sang des martyrs arrosait à flots ses racines. Quand, après avoir tracé péniblement les lignes de ce tableau, suppléant sans cesse par les découvertes archéologiques à la rareté ou à l'incertitude des documents écrits, l'historien commence l'étude du troisième siècle, il est étonné et presque embarrassé de l'abondance des matériaux qui s'offrent à lui. Les seuls ouvrages de Tertullien, de Clément et de Denys d'Alexandrie, d'Origène, de saint Cyprien sont une mine inépuisable d'où il peut extraire, par blocs en quelque sorte taillés et numérotés d'avance, toute l'histoire religieuse de ce temps. A côté de ces puissantes masses, qui font penser aux énormes colonnes de marbres d'Afrique, de Grèce ou d'Asie, toutes prêtes à être mises en place, gisant depuis tant de siècles sous le sable ou la vase de l'emporium romain, que de fragments plus petits, mais non moins authentiques et non moins précieux nous ont été conservés! Il suffit, pour s'en rendre compte, d'ouvrir l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, vraie mosaïque toute formée de débris antiques, et où se rencontrent en si grand nombre les morceaux du troisième siècle.

En présence de tels documents, on ne songe pas à se plaindre du petit nombre d'Actes des martyrs qui sont restés de ses cinquante premières années : quelles relations de ce genre pourraient valoir celles qui se lisent dans les lettres de saint Cyprien et de saint Denys, et tracer des souffrances des chrétiens persécutés un tableau plus émouvant que certaines pages de Tertullien? D'ailleurs, parmi les relations martyrologiques de ce temps il en est de premier or- dre : par exemple la Passion de sainte Perpétue, de sainte Félicité et de leurs compagnons, cette perle originale et vraiment exquise, comme peu de littératures en ont dans leur écrin, les Actes de saint Pionius, très simples et très grands malgré quelque apprêt, et d'une si exacte couleur locale, la curieuse dispute de saint Acace, les Actes récemment retrouvés de Carpos, Papylos et Agathonicé, les Actes de plusieurs martyrs d'Asie.

Mais on a pour ce temps d'autres renseignements encore. C'est l'époque où la propriété ecclésiastique se fonde, où les catacombes romaines se creusent et se décorent, grâce aux ressources d'une communauté nombreuse et déjà puissante : malgré l'extrême réserve des chrétiens de cette époque, qui confiaient rarement à la pierre leurs émotions intimes ou les événements de leur histoire, plus d'une peinture, plus d'une épitaphe éveillent ou satisfont par un nom, par un titre, par une image discrète, notre désir de savoir. L'architecture et la décoration d'une catacombe, avec leurs phases diverses si clairement distinguées aujourd'hui, raconteraient à elles seules les vicissitudes traversées par l'Église. Ici, des galeries régulières, d'élégantes chapelles, construites dans un intervalle de paix : le pinceau d'artistes théologiens les a couvertes de symboles médités à loisir, dont l'enchaînement forme parfois comme une prédication muette et un cours de doctrine; on sent que le peintre et le penseur n'ont pas craint d'être troublés par une irruption de l'ennemi, et d'entendre résonner sous les voûtes prochaines le pas des soldats traquant les chrétiens. Puis tout se brouille : le plan régulier est interrompu, la belle ordonnance des travaux paraît abandonnée : aux galeries droites succèdent les labyrinthes, les issues tortueuses, les escaliers dérobés; la persécution menace ou sévit, et les fidèles se préparent les moyens de lui échapper. Le contrecoup des révolutions du dehors se fait sentir ainsi jusque dans ces souterrains, qui nous en ont gardé, après seize siècles, Tempreinte encore reconnaissable.

II.

Telle est l'abondance et la diversité des sources auxquelles peut puiser celui qui entreprend de raconter la vie des chrétiens persécutés pendant la première moitié du troisième siècle. Mais pour bien comprendre le caractère du sujet, il faut de plus se rendre compte du grand nombre de points par où l'histoire religieuse de cette époque touche à l'histoire profane.

Jusqu'aux dernières années du second siècle, ces contacts étaient rares. La société chrétienne grandissait en silence, méconnue, sans doute, mais plus encore inconnue de la société civile. Celle-ci punissait dans les fidèles des ennemis des dieux, mais seulement quand l'initiative privée ou la haine populaire les déférait aux tribunaux: elle ne s'occupait autrement ni de les étudier ni même de les détruire. Avant le troisième siècle, l'Église ne s'était guère trouvée mêlée au mouvement des choses extérieures, ou exposée au choc des affaires humaines. Le moment vient où le grand nombre des chrétiens ne permettra plus de les ignorer, leur enlevant à eux-mêmes la possibilité de vivre à l'écart. Le grain de sénevé de l'Évangile est devenu un grand arbre : hostiles ou bienveillants, les regards se fixeront désormais sur lui, et tous les vents d'orage comme toutes les brises favorables agiteront ses rameaux. Ce n'est plus seulement au pied de quelque tribunal que le monde profane entendra prononcer le nom des fidèles : il les rencontre partout, dans les légions comme au forum, dans les palais aussi bien que dans les greniers où dorment les esclaves, dans les assemblées délibérantes, que ce soit le sénat de Rome ou l'humble conseil d'un municipe. Que dis-je? au bruit de leur enseignement se forment quelques-uns des grands courants intellectuels qui réveillent la pensée antique et empêchent l'esprit humain de s'engourdir : la foule lettrée, les hommes avides de pensées ou d'émotions connaissent le chemin qui mène à la chaire de Clément d'Alexandrie, et des impératrices, des gouverneurs de province s'adressent à Origène comme au grand directeur des consciences inquiètes, au correspondant naturel des âmes méditatives. Ainsi mêlée au monde, marchant au milieu de lui, avec lui, la société chrétienne ressent désormais, en bien ou en mal, l'influence des mouvements dont il est agité.

On ne saurait donc écrire l'histoire de l'Église au troisième siècle sans écrire en même temps celle de l'empire romain. Des liens souvent inaperçus, et que nous nous efforcerons de mettre en lumière, rattachent telle amélioration dans le sort des chrétiens, tel progrès dans leur situation extérieure, à un changement d'idées, de mœurs, de politique. Qu'un souffle démocratique passe, même légèrement, sur le peuple endormi et y suscite l'esprit d'association, l'Église recueillera de larges bénéfices de ce mouvement, qui la rendra propriétaire. Voici le règne de parvenus, d'étrangers, aussi peu Romains par l'esprit que par la naissance: un empereur fils de ses œuvres, ancien marchand ou ancien maître d'école, ne sera pas animé contre elle des passions aristocratiques d'unTrajan; un souverain éclectique, rêveur, aux idées larges et flottantes, n'aura pas à l'égard des chrétiens la jalousie philosophique d'un Marc Aurèle; un prince né en Syrie ne les verra pas du même œil qu'un Romain rigide, nourri de l'âpre lait de la louve latine. En ce temps où rien n'est stable, où le pouvoir ne se transmet pas, comme au premier siècle, de César en César ou de Flavien en Fiavien, et ne se perpétue pas, comme au second, entre les membres d'une même famille formée par l'hérédité de l'adoption ou du sang, mais passe de main en main au gré d'une émeute de soldats ou d'une intrigue de palais, l'Église ressent le contrecoup de révolutions fréquentes, qui, selon le caractère ou les idées du nouvel empereur, amènent pour elle la persécution ou la paix.

III.

Aussi les persécutions de ce temps ne se comprennent-elles qu'en les replaçant dans leur milieu, en étudiant les circonstances extérieures d'où elles procèdent. Au siècle précédent, nous avons distingué les persécutions par le nom de leur auteur, mais en réalité il n'y en a qu'une, toujours la même : l'épée de la loi demeure suspendue sur la tête des chrétiens, à la merci de tout accusateur. Qu'ils s'appellent Trajan, Hadrien, Antonin ou Marc Aurèle, les empereurs de l'époque antonine suivent une même politique : la diversité des caractères introduit sans doute des nuances, et l'esprit mobile d'Hadrien prête parfois aux réclamations des apologistes une attention toute différente de la froideur dédaigneuse de Marc Aurèle : cependant le fond des choses ne varie pas, et sous l'un comme sous l'autre le rescrit de Trajan, interprétatif d'édits antérieurs, demeure la loi inflexible des rapports du pouvoir avec les chrétiens. Au contraire, dans le troisième siècle il y eut autant de persécutions que de persécuteurs : je veux dire que chacune diffère de celle qui précède ou de celle qui la suit, et que nulle continuité ne relie la politique religieuse de souverains qui se remplacent sur le trône, mais ne se succèdent pas. Le régime organisé par le rescrit de Trajan s'efface devant un régime nouveau, plus sanglant et moins meurtrier, qui fait périr un plus grand nombre de victimes à la fois, mais s'épuise par sa violence même et ne peut durer longtemps. C'est la persécution par édit, droit exceptionnel créé contre les chrétiens par chacun des souverains qui se déclarent contre eux, et destiné ordinairement à disparaître en même temps que le persécuteur.

«Que faut-il punir ou poursuivre dans les chrétiens? » demandait, en 112, Pline à Trajan. « Je ne suis pas ici pour punir, mais pour contraindre» dit, en 251, Martianus au confesseur Acace. Entre ces deux paroles il y a près d'un siècle et demi : combien, en un siècle et demi, le langage s'est modifié! combien le point de vue a changé! Dans leurs rapports avec les chrétiens les agents du pouvoir impérial, à l'époque antonine, sont des juges, embarrassés quelquefois de leur mission dé juger, mais n'en connaissant point d'autre : ils constatent la désobéissance des chrétiens, et la punissent comme un crime. Au troisième siècle les magistrats, mis en présence des fidèles, sentent que le rôle qui leur est imposé est moins judiciaire désormais que politique. Les empereurs ne se préoccupent plus de punir les chrétiens : ils cherchent à les supprimer. Un Dèce est animé contre les adorateurs du Christ de sentiments et de passions semblables aux sentiments et aux passions qui animèrent contre leurs victimes les terroristes de la fin du siècle dernier : les tribunaux révolutionnaires ne jugeaient pas, ils supprimaient. Seulement ils n'avaient qu'une manière de supprimer : la mort. Les empereurs laissent aux chrétiens le choix entre la mort et l'apostasie, et ne prononcent Tl'une qu'après avoir inutilement essayé d'obtenir l'autre.

Les juges du secîond siècle imposaient sans doute aux fidèles la même alternative, et ne faisaient mourir que sur le refus d'abjurer ; mais la mise en demeure de renoncer au Christ était surtout pour eux un moyen de constater le délit qu'ils avaient à punir. Au troisième siècle il en est autrement : la lutte est engagée, et toute abjuration d'un chrétien paraît aux païens une victoire. De là, dans la procédure des deux époques, une différence notable : au second siècle, le chrétien qui a refusé de revenir au culte des dieux est immédiatement envoyé à la mort; au troisième siècle, on le garde longtemps en prison, on le fait comparaître plusieurs fois devant les magistrats, on le torture, puis on panse ses plaies, puis on le torture de nouveau, s'efforçant par tous les moyens de triompher de sa volonté. C'est qu'on le considère moins comme un délinquant désormais que comme un adversaire ; ce n'est plus un procès, mais une bataille : et, s'il n'est tout à faire barbare, le pouvoir belligérant préfère toujours la soumission de ses ennemis à leur extermination.

VI.

Les persécutions que nous aurons à raconter dans ce livre, et dans ceux qui suivront, sont donc toutes politiques. Mais de quelle politique s'agit-il?

Même partant d'une idée fausse, même mauvaise dans le choix des moyens, une politique peut avoir sa grandeur. On comprendrait, tout en les blâmant, les empereurs se déclarant contre les chrétiens en vertu d'une sorte de tradition religieuse ou nationale transmise de règne en règne, et poursuivant ces innocents parce qu'un fanatisme sincère croit venger sur eux les dieux offensés, ou parce qu'un patriotisme mal renseigné les dénonce comme des ennemis de l'empire. Ceux qui regardent de loin, sans s'arrêter aux détails, l'histoire des persécutions du troisième siècle, peuvent croire qu'il en fut ainsi; mais en étudiant chacune d'elles dans le milieu où elle prit naissance, en scrutant ses causes secrètes et en remontant vers sa source, on voit clairement qu'une grande idée politique, qui pourrait être noble jusque dans ses erreurs, ses illusions ou ses cruautés, n'y présida presque jamais, et que leurs mobiles furent ordinairement d'un ordre inférieur.

Quand un empereur de ce temps déclare la guerre aux chrétiens, ce n'est point en vertu d'une tradition ininterrompue, sorte d'axiome nécessaire et d'arcanum imperii; loin de là, c'est le plus souvent par réaction contre un règne précédent, pendant lequel l'Église avait joui de la faveur personnelle du prince, odieux à son successeur qui est ordinairement son meurtrier. Septime Sévère est peut-être le seul souverain du troisième siècle qui ait persécuté par suite d'une idée fausse, d'une crainte chimérique, mais sans mélange de passions basses et de sentiments inavouables. Les autres ont revêtu d'une couleur politique de mesquines rancunes personnelles, des peurs absurdes ou de grossières superstitions. Dire, comme il est de mode aujourd'hui, que l'empire romain au troisième siècle se défendit contre les chrétiens, c'est commettre une erreur à peu près semblable à celle de certains apologistes de la Révolution, qui croient servir sa cause en prêtant aux crimes des terroristes l'excuse d'une sorte de fureur patriotique. Non, dans l'un et dans l'autre cas le patriotisme ne fut pas la cause, mais le prétexte, et ce voile magnifique, au troisième siècle comme à la lin du dix-huitième, couvrit bien des sentiments abjects. Le patriotisme, il y a cent ans, était dans les armées qui défendaient contre l'étranger le sol national, non dans les bourreaux qui faisaient couler pour des crimes imaginaires le plus pur sang de la France. De même, au troisième siècle, le patriotisme était aux frontières, avec ces légions, déjà pleines de chrétiens, qui disputaient pied à pied aux Barbares les provinces envahies du monde romain; il n'était point dans les prétoires où, pour obéir à d'injustes édits, les fonctionnaires impériaux donnaient aux plus fidèles, aux plus paisibles et aux plus obéissants sujets de l'empire le choix entre l'apostasie et la mort.

Tel est le caractère général des persécutions de ce temps : courtes, ne se rattachant pas les unes aux autres, et ne se reliant à une grande idée que par un prétexte hypocrite. En étudiant dans ce livre celles de Septime Sévère, de Maximin et de Dèce, on reconnaîtra que nulle vue d'ensemble ne les réunit, que les causes ou les prétextes en sont différents, et que les moyens employés varient selon le tempérament ou le caprice du souverain qui les dicte. Si nous pouvons un jour raconter les persécutions de la fin du troisième siècle, et la lutte suprême par laquelle s'ouvre le siècle suivant, la même impression se dégagera, plus nette encore, du spectacle de princes tour à tour favorables et hostiles aux chrétiens, s'entourant d'eux au début de leur règne, les proscrivant à la fin, ou au contraire commençant de régner par un édit de persécution et terminant par un édit de tolérance; jugeant contre les hérétiques et en faveur des orthodoxes une question de propriété ecclésiastique, puis se tournant contre l'Église; confisquant les biens de la communauté chrétienne, et les restituant avec éclat; faisant mettre à mort des chrétiens qui répugnaient au service militaire, et chassant de l'armée des chrétiens qui voulaient y servir; traitant les adorateurs du Christ tour à tour comme les meilleurs amis et les pires ennemis de l'empire. En contraste avec cette conduite pleine d'incohérence et de contradictions, l'Église a sa politique propre, qui ne se dément jamais. Elle réclame et se fait donner peu à peu sa place dans la société romaine non comme une force étrangère et conquérante, mais comme l'auxiliaire, la sauvegarde et déjà l'un des éléments essentiels de la civilisation menacée. On a vu, dans le volume précédent, la question ainsi posée par les apologistes du second siècle; on va voir, pendant la première moitié du troisième, cette grande politique se continuer sans hésitation el sans défaillance; la fin du même siècle en préparera le succès définitif, et, quelques années plus tard, Constantin n'aura qu'à le reconnaître et à le consacrer.

 

 

CHAPITRE PREMIER.

LES CHRÉTIENS AU COMMENCEMENT DU RÉGNE DE SEPTIME SÉVÉRE.

 

HISTOIRE DES PERSECUTIONS