|  | BIZANTIUM |  | 
| Louis Brehier.Le monde byzantin :Vie et mort de Byzance
             INTRODUCTION. — Le cadre
            géographique  
     LIVRE PREMIER. L'EMPIRE ROMAIN UNIVERSEL (395-717)1.  Comment l’Empire d’Orient acquit son indépendance  
                 
 LIVRE DEUXIÈME. L’EMPIRE ROMAIN HELLÉNIQUECHAPITRE I.- La période d’organisation1. L’œuvre des Isauriens. Léon III (717-741) 2. Constantin V (741-775) et Léon IV (775-780) 3. L’orthodoxie restaurée (783-813) 4. La seconde période iconoclaste (813-842) 5. Le raffermissment de l’Empire (842-886) 6. La résistance de l’Empire (886-919) 7. L’œuvre de Romain Lécpène (919-944) CHAPITRE II. — L’expansion (945-1057)1.  Les débuts de l’expansion byzantine (944-963)  
                 CHAPITRE III. — Le déclin et la chute (1057-1204)  
                
             
             LIVRE TROISIÉME. AGONIE ET MORT DE BYZANCECHAPITRE PREMIER. — La dernière
            renaissance et son échec (1204-1389)  
            
             CHAPITRE II. — La lutte suprême
            (1389-1453)  
            
             
 Introduction. Le cadre géographique
                
             L’Empire d’Orient ou Empire
            byzantin n’est autre que l’Empire romain, détruit en Occident par les
            invasions et perpétué en Orient autour de la Nouvelle Rome (nom officiel de
            Constantinople jusqu’à la fin du Moyen Age), mais avec des traits nouveaux qui
            constituent l’originalité de son histoire. Sa civilisation est en effet comme
            la synthèse de tous les éléments politiques, religieux, intellectuels du monde
            antique à son déclin : tradition latine, hellénisme, christianisme,
            culture orientale renaissante de la Perse sassanide. Au moment où l’Occident
            subissait une régression politique, sociale, intellectuelle, artistique,
            Byzance, et c’est ce qui fait sa grandeur, sauvegardait dans la mesure du
            possible les apports de la civilisation antique qu’elle transmit aux Temps
            modernes : la littérature grecque génératrice de l’humanisme, le droit
            romain fondement du droit public européen. Elle servait en même temps de
            rempart à l’Occident en arrêtant les nouvelles invasions asiatiques et par sa
            propagande religieuse, en particulier chez les Slaves, elle étendait le domaine
            de l’Europe civilisée.
   Le succès de cette œuvre
            historique est dû sans doute à de fortes traditions et à la continuité
            merveilleuse d’une action politique séculaire, mais il fut favorisé aussi par
            le cadre géographique dans lequel se déroula l’histoire de Byzance. Sans doute
            les frontières de l’Empire varièrent sans cesse, mais le souci primordial de la
            défense de Constantinople, siège de l’Empire et son réduit suprême, conduisit
            les empereurs à s’assurer avant tout la possession des territoires
            indispensables à sa sécurité et nécessaires à son expansion. Or ce sont ces
            territoires qui constituent le cadre géographique véritable de l’Empire
            d’Orient.
             D’une part Constantinople est
            située sur un barrage naturel qui sépare deux mondes, la région pontique et la
            Méditerranée ; d’autre part elle commande la voie transversale qui relie
            l’Europe continentale à l’Océan indien, la vallée du Danube à celle de
            l’Euphrate. Cette position exceptionnelle a déterminé toute son histoire.
             Le barrage naturel formé par les
            débris du massif dévonien, qui reliait l’Europe à l’Asie, ne peut être franchi
            que par un passage étroit, dû à sa rupture par les eaux de la mer Noire, qui
            bouleversèrent un ancien système hydrographique, dont les traces sont encore
            visibles dans le caractère fluviatile de l’estuaire de la Corne d’Or et dans
            les détroits du Bosphore et des Dardanelles .
             Ce fut sur la presqu’île effilée
            située entre la Corne d’Or et la Propontide que fut édifiée la ville dont le
            sol domine le rivage par des pentes abruptes, tout en étant lui-même coupé de
            dépressions et de hauteurs qui atteignent jusqu’à 110 mètres d’altitude et
            qu’on n’a pas manqué de comparer aux sept collines romaines. Constantinople est
            donc une ville essentiellement maritime. « La mer, dit Procope, couronne
            la ville, ne laissant à la terre qu’un petit espace qui sert à fermer la
            couronne . » C’est ce qui explique qu’elle se soit développée au-delà
            de son port naturel, magnifique estuaire de 7 kilomètres de long, aux côtes
            sinueuses qui fournissent des abris naturels et dont la profondeur atteint 42
            mètres. Sur sa rive gauche était bâti, à l’époque byzantine, le faubourg des
            Sykes, aujourd’hui Galata et Péra. Sur la côte
            d’Asie, au-delà du Bosphore, son faubourg de Chrysopolis (Scutari) date de
            l’antique Byzance et, plus au sud, Chalcédoine (Kadi-Keuï)
          était englobée dans son orbite. D’ailleurs la rive asiatique, qui borde les
            détroits et la Propontide, se rattachait étroitement à Constantinople par la
            nature du sol, la population et toute son histoire. Au milieu de la Propontide
            la péninsule rocheuse de Cyzique et l’île de Proconnèse, dont les carrières de
            marbre ont servi à l’embellir, les golfes profonds et parallèles de Moudania et d’Ismid, la riche
            plaine de Brousse (ancienne Pruse), au pied de
            l’Olympe de Bithynie qui s’élève à 2 800 mètres, très peuplée et
            fréquentée pour ses eaux thermales, les villes aujourd’hui déchues de Nicomédie
            (Ismid) et de Nicée (Iznik) formaient comme la grande
            banlieue asiatique de Constantinople.
             Tel est le carrefour privilégié
            où se croisaient au Moyen Age les quatre grandes voies qui donnaient accès aux
            régions que l’on doit considérer comme le domaine géographique de l’Empire.
             Et d’abord les deux routes
            maritimes. Le Bosphore, étroit couloir d’une longueur de 30 kilomètres, dont
            les rives se rapprochent à 550 mètres en son milieu et dont le courant peut
            atteindre 3 mètres à la seconde , ouvre l’entrée de la mer Noire, bordée
            sur la côte anatolienne par la barrière montagneuse de l’arc pontique,
            interrompu par l’embouchure de l’Halys (Kizil Irmak) avec les seuls ports d’Amastris et de Sinope. Sur la côte du Pont aux nombreuses rivières et à la riche
            végétation, la métropole était Trébizonde, dont le territoire touchait à la
            région du Caucase, où se trouvait un ensemble de possessions ou d’états
            vassaux. C’était d’abord la Géorgie (Transcaucasie), plaine étroite écrasée
            entre le Caucase et le massif arménien, mais pays de riches cultures, grâce à
            la douceur de son climat, et voie à la fois commerciale et stratégique, d’une
            part vers la Mésopotamie, de l’autre vers les passes du Caucase et les steppes
            caspiennes. L’âpre côte du Caucase occidental, habitée par les Abasges ou
            Abkhazes, alliés de l’Empire, était couverte de forteresses et d’établissements
            commerciaux dont on retrouve encore les traces. Enfin la Crimée complétait,
            comme à l’époque romaine, le système de défense contre les peuples nomades et
            de pénétration commerciale dans la plaine russe. D’autres nomades, Huns,
            Khazars, Tartares occupèrent successivement les steppes du nord de la Crimée,
            tandis qu’à l’abri des montagnes, sur la côte fertile au climat enchanteur,
            habitait depuis le troisième siècle de l’ère chrétienne une tribu de Goths,
            vassale de l’Empire, établie dans de véritables réserves (climata).
            Byzance y conserva jusqu’au XIIIe siècle
            la possession de l’ancienne colonie grecque de Kherson, ville commerciale et
            place de guerre, poste avancé de Constantinople dans la mer Noire . En
            revanche son influence ne s’établit jamais sur la région des limans du Dniéper
            et du Dniester, mais elle parvint à conserver
            longtemps la possession des bouches du Danube, la province de la Petite Scythie
            (Dobroudja) et les ports thraces de la mer Noire .
             A l’ouest de la Propontide,
            l’Hellespont (détroit des Dardanelles) ouvrait la route de la Méditerranée.
            Comme le Bosphore, c’est une ancienne vallée submergée, mais plus longue (75
            kilomètres) et plus large (4 kilomètres en moyenne, 1 270 mètres à Tchanak), dont la vitesse du courant varie de 3 à 8
            kilomètres à l’heure . Le port de Gallipoli occupait à la sortie de la
            Propontide l’isthme de la Chersonèse de Thrace et sur la rive asiatique, à
            Abydos (non loin du fort actuel de Nagara, où le
            détroit n’a pas plus de 1 350 mètres de large) était installée la douane
            impériale. Le passage franchi, la navigation était facile dans l’Archipel;
            cependant, pour pénétrer dans le bassin oriental de la Méditerranée, il faut
            traverser une série de barrages déterminés par la prolongation des arcs
            dinariques, qui par les Cyclades relient la Grèce à l’Asie Mineure. Des
            mouvements du sol ont rompu ces barrages; mais, entre les îles qui représentent
            les crêtes des anciennes chaînes de montagnes, les passages sont étroits et faciles
          à intercepter. Un premier arc relie la pointe de l’Eubée au mont Mycale par
            Andros, Tinos, Icaria, Samos; plus rapprochées encore
            sont les îles qui forment comme les piles d’un pont entre le cap Sunium et la presqu’île d’Halicarnasse, Keos,
            Kythnos, Sériphos, Paros, Naxos, Amorgos, Cos; enfin
            le troisième arc est jalonné, depuis le cap Malée au
            sud du Péloponnèse, par les îles de Cythère, de Crête, de Karpathos et de
            Rhodes . L’occupation de la Crête par une puissance hostile à l’Empire
            (les Sarrasins d’Espagne de 827 à 961, Venise après 1204) suffisait à rendre
            périlleuse la navigation de ses flottes dans ces parages.
             Il était donc indispensable de
            maintenir la sécurité de cette route méditerranéenne en occupant fortement les
          îles et les rivages, si riches en abris naturels, de la Grèce et de l’Anatolie
            occidentale. Cette région était d’ailleurs le principal centre maritime de
            l’Empire. Là étaient les grands ateliers de construction navale, alimentés par
            les forêts d’Asie Mineure; là étaient échelonnés les grands ports de
            Thessalonique, Lesbos, Phocée, Smyrne, Samos, Rhodes et Candie.
             Mais Byzance n’était pas
            seulement une thalassocratie : les routes terrestres commandées par sa
            position la destinaient à être une puissance continentale et militaire.
             Au nord plusieurs voies reliaient
            Constantinople à la vallée du Danube qui ouvrait un débouché sur l’Europe
            centrale. La plus facile traversait sa banlieue européenne, un plateau relevé
            sur ses bords par une rangée de collines calcaires qu’entaillent des vallées
            profondes, ligne de défense naturelle, renforcée depuis le VIe siècle par le Long
              Mur d’Anastase qui protégeait la grande forêt de Belgrade, véritable
            réservoir hydrographique de Constantinople, et barrait la presqu’île d’une mer
          à l’autre . Plus loin, l’abaissement de la chaîne balkanique (cols de l’Eminska Planina à l’ouest de
            laquelle l’altitude n’atteint plus que 200 à 300 mètres) permet à la route de
            desservir les ports de la mer Noire, Varna (ancienne Odessos)
            et Constantza (ancienne Constantia) jusqu’aux bouches du Danube .
             Une seconde route, dirigée vers
            le nord-ouest, traversait la Thrace par Andrinople, remontait la haute vallée
            de la Maritza par Philippopoli et par les Portes de
            Trajan gagnait le bassin fermé de Sardique (Sofia
            actuelle) à 565 mètres d’altitude. Traversant ensuite les défilés de Tsaribrod et de Pirot, elle descendait la vallée de la Nischava jusqu’à Naïssus (Nisch), nœud de roules des plus importants, puis, par la
            vallée de la Morava, aboutissait à Belgrade. Ce chemin, ancienne via militaris des Romains, était regardé comme la
            route principale de la péninsule. C’est la route du tsar des documents serbes,
            suivie aujourd’hui par la voie ferrée de Belgrade à Constantinople . Ce
            fut en 1443 le Long Chemin de Jean Hunyade.
             Une troisième route se dirigeait
            vers le sud-ouest par Christopolis (Kavalla), Philippes (grande ville disparue, dont on vient
            d’explorer les ruines), Serres, et, laissant au sud la Chalcidique, débouchait
          à Thessalonique, seconde métropole de la péninsule, d’où partaient trois routes
            d’une importance vitale : au sud la route de la Grèce par la vallée de
            Tempé et les Thermopyles, au nord celle de Belgrade qui remontait la vallée du
            Vardar par Skoplje, au centre l’antique Via Egnatia qui
            passait sous l’arc de triomphe de Galère, traversait la Macédoine par Édesse (Vodena), Monastir, la région des grands lacs, franchissait
            la chaîne de la Iablanitsa par un col de 1096 mètres
            et, par la vallée du Shkumbi, atteignait l’Adriatique à Dyrrachium (Durazzo), d’où il était facile de passer en Italie. Plus au sud Avlona (Valona) était un autre
            port d’embarquement, en face d’Otrante. Cette voie était le vrai chemin
            terrestre de Constantinople en Italie et en Occident et fut suivie à toutes les
          époques par les armées, les voyageurs et les pèlerins .
           Plus importante encore peut-être
          était dans l’économie de l’Empire la route terrestre qui traversait le plateau
            d’Anatolie et, par les passages du Taurus cilicien, ouvrait les portes de
            l’Orient. Aux antiques routes des Indes qui partaient de Sardes (route royale
            des Perses) et d’Éphèse (époque romaine) se substitua après la fondation de
            Constantinople la voie militaire et commerciale qui traversait Brousse, Nicée, Dorylée (Eski-Cheir) et
            bifurquait à Iconium (Konieh).
            De là, une branche empruntait l’ancienne route des Indes et, par Héraclée
            (Eregli) et les passages du Taurus, pénétrait en Cilicie, puis en Syrie et, par
            Alep, gagnait la vallée de l’Euphrate; l’autre branche remontait vers le
            nord-est jusqu’à Césarée de Cappadoce et, par la vallée du Kyzil-Irmak,
            atteignait la branche nord de l’Euphrate et, par Théodosioupolis (Erzeroum), pénétrait en Arménie. La possession de ces routes suivies par les
            caravanes et les armées et celle des régions qu’elles traversaient étaient d’un
            intérêt vital pour Byzance, qui dut les défendre successivement contre les
            Perses, les Arabes et les Turcs et commença à décliner aussitôt qu’elles lui
            furent interdites.
             Or ces routes terrestres et
            maritimes, convergeant vers le Bosphore, définissent le véritable domaine
            géographique de l’Empire d’Orient. L’ancienne Byzance s’était contentée de
            prélever des dîmes fructueuses au passage des détroits. Le rôle historique de
            Constantinople consista à défendre ces grandes voies contre les invasions et à
            les utiliser pour son expansion : elles servirent également à ses armées,
          à ses marchands, à ses missionnaires qui faisaient rayonner au loin son
            influence. La péninsule des Balkans, les côtes de l’Adriatique, la vallée du
            Danube, les rivages de la mer Noire, l’Asie Mineure, la Transcaucasie et la
            Haute Mésopotamie, la Syrie septentrionale avec Antioche, tel est le cadre
            assigné par la nature à un État dont Constantinople est le centre. L’époque la
            plus prospère de l’histoire de Byzance est celle où elle a pu, sous la dynastie
            macédonienne, s’assurer la possession de ce domaine d’une manière incontestée.
            Menacée à la fois sur plusieurs frontières, elle avait sur ses ennemis
            l’avantage de pouvoir manœuvrer dans ses lignes intérieures et transporter
            facilement ses troupes d’un continent à l’autre
             A la différence de l’ancienne
            Rome, la position géographique de Constantinople ne la destinait nullement à
            devenir le siège d’un empire méditerranéen et, comme on l’a fait remarquer, ce
            fut lorsqu’elle eut perdu les possessions extérieures qu’elle était impuissante
          à défendre : l’Égypte, la Syrie, l’Afrique et même l’Italie, que, ses
            possessions formant un État compact, son existence fut sauvée par le magnifique
            redressement qui atteignit son apogée à la fin du Xe siècle . Elle semblait destinée alors
          à régner sur un empire à la fois continental et maritime qui réaliserait la
            liaison entre l’Europe et l’Asie, entre la culture gréco-romaine, le
            christianisme et les civilisations de l’Orient .
             Mais à ce programme compréhensif
            s’opposaient les traditions séculaires transportées par Constantin sur le
            Bosphore. Successeurs légitimes des Césars de l’ancienne Rome, les empereurs
            byzantins eurent toujours l’ambition de recouvrer et de rétablir dans son
            intégrité l’immense empire démembré par les barbares.
             Cette hantise d’un empire
            universel, qu’il était impossible de restaurer sans posséder la maîtrise
            incontestée de la Méditerranée et, d’autre part, la nécessité de défendre les
            routes terrestres et maritimes qui menaient à Constantinople expliquent les
            contradictions de l’histoire de Byzance. C’était, en effet, entreprendre une
            tâche surhumaine que de vouloir en même temps assurer la domination impériale
            en Asie, dans les Balkans, dans la mer Noire, et de poursuivre d’autre part sa
            restauration en Occident. L’exemple de Justinien et de ses successeurs le
            montrera suffisamment. C’est un fait qu’après la destruction de la marine
            vandale, Byzance recouvra la maîtrise de la mer et la conserva jusqu’à la
            création de la marine ommiade au VIIe siècle ,
            mais les provinces que Justinien avait reconquises au prix de tant d’efforts,
            l’Afrique, l’Italie, les grandes îles de la mer Tyrrhénienne, la Bétique ne
            furent jamais agrégées intimement à l’Empire et faisaient figure de territoires
            coloniaux, dont les tendances séparatistes favorisèrent leurs envahisseurs. Il
            en fut de même des possessions extérieures qu’étaient la Syrie et surtout
            l’Égypte, sans cesse en conflits politiques et religieux avec Constantinople.
             Et pourtant, jusqu’au XIIIe siècle, les
            empereurs eurent fréquemment des velléités de rétablir leur domination sur
            l’Occident et reprirent même pied en Italie pendant près de deux siècles. Ces
            tentatives — la dernière est celle de Manuel Comnène — étaient d’avance vouées
          à l’échec parce qu’en dispersant les forces de l’Empire, elles mettaient en
            péril la défense du domaine géographique dont Constantinople était le centre
            naturel et dont la possession assurait sa sécurité et sa grandeur.
             Dans la masse des événements qui
            se sont succédé pendant la durée millénaire de l’Empire, on a cherché à
            distinguer les faits d’importance capitale qui donnent une certaine unité aux
            diverses périodes de son histoire. Les historiens ne se sont guère mis d’accord
            sur ces coupures, car chacun d’eux se place à un point de vue différent,
            histoire des dynasties, des institutions ou des guerres . Or ce sont les
            péripéties qu’a subies le domaine géographique de Byzance qui marquent les
            divisions naturelles de son histoire. Trois fois ce domaine fut menacé de disparition,
            par les barbares au Ve siècle,
            par les Arabes et les Slaves au VIIe,
            par les croisés occidentaux au XIIIe :
            trois fois l’Empire trouva en lui-même les éléments de défense qui lui
            permirent de préparer des contre-offensives victorieuses, suivies de
            restaurations plus ou moins complètes et de périodes de prospérité qui se
            manifestaient par le rétablissement du prestige impérial et l’expansion toute
            pacifique de la civilisation byzantine en Europe.
             Ce sont ces trois renaissances
            dues, la première à Justinien, la deuxième aux dynasties amorienne et
            macédonienne, la troisième aux Paléologues, qui marquent les véritables
            coupures de l’histoire de Byzance, en fonction des agrandissements ou des
            amoindrissements de son domaine géographique.
             Pendant la première période, qui
            dure environ trois siècles, l’Empire d’Orient conquiert son indépendance par
            l’expulsion des milices barbares, succès qui permit à Justinien d’organiser
            l’État sur des bases inébranlables et de travailler à la restauration de
            l’Empire romain universel. Puis de nouvelles invasions (Lombards, Avars,
            Slaves, Arabes, Bulgares) arrachèrent à l’Empire ses possessions extérieures et
            même une partie de son domaine géographique. Au début du VIIIe siècle
            Constantinople était menacée par les Arabes et l’État en voie de dissolution.
            D’un empire romain universel il ne pouvait plus être question. Ce fut à cette
          époque que le grec, idiome national de Constantinople, se substitua
            définitivement au latin comme langue officielle de l’Empire.
             La seconde période, la plus
            longue, qui compte près de cinq siècles, est celle de l’Empire romain
            hellénique, dont le territoire, après le redressement dû aux dynasties
            isaurienne, amorienne, macédonienne, correspondait exactement aux frontières de
            son domaine géographique, qui débordait même sur l’Italie méridionale et
            l’Arménie. Cette période fut la plus brillante de l’histoire de Byzance, mais
            ses deux derniers siècles furent marqués par les invasions de peuples nouveaux,
            Normands d’Italie, Petchenègues, Turcs Seldjoukides et enfin par celle des
            croisés d’Occident qui parvinrent à prendre Constantinople en 1204 et à se
            partager les territoires de l’Empire.
             Et cependant Byzance survécut à
            la catastrophe. Réfugiés à Nicée, les empereurs y organisèrent la résistance et
            commencèrent par une politique habile à reconstituer lentement leur domaine en
            Asie et en Europe. Ils préparèrent ainsi l’œuvre de relèvement à laquelle
            Michel Paléologue attacha son nom en reprenant Constantinople. Mais cette
            restauration fut incomplète et l’Empire ne put recouvrer qu’une faible partie
            de son domaine géographique : en Europe, où il dut faire face aux projets
            ambitieux des jeunes nations serbe et bulgare, en Asie, où la création d’une
            nouvelle Byzance, l’État de Trébizonde, l’écarta de la mer Noire, enfin à
            Constantinople même, dans l’Archipel, en Grèce où il dut supporter les
            exigences jamais satisfaites des républiques italiennes. Dénuée des ressources
            nécessaires à sa défense, déchirée par les guerres civiles et les querelles
            religieuses, Byzance fut incapable de résister à la conquête ottomane, bien que
            son agonie se soit prolongée près d’un siècle. Sa tâche historique était
            terminée.
             
  
                 LIVRE PREMIER. L'EMPIRE ROMAIN UNIVERSEL (395-717)1.  Comment l’Empire d’Orient acquit son indépendance  
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