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BIZANTIUM

Louis Brehier. Le monde byzantin :Vie et mort de Byzance

 

LIVRE DEUXIÈME. L’EMPIRE ROMAIN HELLÉNIQUE

Chapitre premier 

La période d’organisation  (717-944)

 

Réduit par les démembrements territoriaux qui accompagnèrent la chute de la dynastie des Héraclides au domaine géographique de Constantinople, l’Empire d’Orient n’en conserva pas moins ses traditions et demeura en droit l’Empire romain universel, destiné à régir tous les peuples, mais cette conception magnifique, qui est encore celle de Constantin Porphyrogénète, est démentie par les faits. A l’avènement de Léon l’Isaurien, le seul lien qui rattache encore Constantinople à l’Occident, l’Italie, est à la veille de se dénouer et surtout l’Orient lui a échappé pour toujours. A la place de l’État féodal des Perses, se dresse devant Byzance un empire jeune et vigoureux qui, avec plus de succès qu’elle, tire ses moyens d’action de la propagande religieuse. L’Empire arabe concentre en lui toutes les forces de l’antique Orient, hostile à l’hellénisme, au christianisme, à la culture européenne. La civilisation musulmane ne fut que l’épanouissement de cette renaissance de l’orientalisme, dont on saisit les premières traces au iiie siècle et qui finit par détruire l’œuvre d’Alexandre, continuée par ses successeurs et par les Césars romains.

Mais, si le domaine territorial de l’Empire d’Orient est désormais restreint, il est devenu plus compact et il a acquis ce qui manquait à l’Empire romain, l’unité de territoire, de langue, de religion. Constantinople en est le centre organique, le véritable foyer. Au point de vue militaire, sa position rend la défense plus facile en permettant les manœuvres dans les lignes intérieures. Dans le domaine économique, elle demeure longtemps la ville la plus importante de la chrétienté. Enfin elle fait figure de capitale intellectuelle, artistique, religieuse et sa civilisation, éveillant à la vie spirituelle des peuples nouveaux, rayonne sur l’Europe entière. L’Empire tend à se transformer en une nation, la Romania, et c’est pendant cette période que le terme d’empire byzantin est le plus justifié, mais, dans les cinq siècles sur lesquels elle s’étend, on aperçoit trois stades : du début du viiie au milieu du xe siècle, résistance aux agents de dissolution et crise iconoclaste, période d’organisation ; expansion de la puissance byzantine sous la dynastie macédonienne jusqu’au milieu du xie siècle ; déclin de cette puissance, dû à l’essor de peuples nouveaux, mais longtemps retardée par les Comnènes, dont les successeurs (dynastie des Anges) sont impuissants à empêcher un nouvel effondrement de l’Empire.

1.  L’Œuvre des Isauriens.  Léon III  (717-741)

L’œuvre des empereurs isauriens et, après eux, des dynasties arménienne et amorienne, a consisté à arrêter le démembrement de l’Empire et à le défendre contre les invasions, mais cette œuvre a été rendue difficile et incomplète par l’agitation intérieure due au mouvement iconoclaste qui entraîna le détachement de l’Italie et de l’Occident.

Les initiateurs de la politique nouvelle furent les deux premiers isauriens, Léon III et Constantin V, dont les règnes ont une importance capitale, mais qu’il y a intérêt à étudier séparément à cause de la différence de leurs tempéraments, qui se reflète dans leur politique.

Léon III, d’origine isaurienne d’après Théophane, syrienne d’après les autres sources , mais certainement d’une famille orientale émigrée en Thrace, avait commencé sa carrière militaire sous Justinien II  et, après s’être bien acquitté d’une mission importante dans le Caucase, avait reçu d’Anastase II la charge de stratège des Anatoliques . Ce fut à son alliance avec le stratège des Arméniaques, Artavasde, auquel il donna sa fille en mariage, qu’il dut la couronne. Son pouvoir a donc une origine purement militaire et sa politique, comme celle de ses successeurs, s’en ressent : l’armée sera leur principal point d’appui.

A son avènement, Léon III a deux préoccupations essentielles : sauver Constantinople de l’étreinte des Arabes, rétablir l’ordre dans l’État.

Cinq mois après le couronnement de Léon, l’armée de Moslemah, partant de Galatie, rejoignait la flotte arabe de 1 800 navires concentrés à Abydos et faisait passer ses troupes sur la rive d’Europe. Le siège dura un an (15 août 717 - 15 août 718). Malgré leur nombre et l’arrivée de flottes de renfort, les Arabes ne purent ni forcer la chaîne qui barrait le port, ni entamer la Grande Muraille. A plusieurs reprises leurs flottes subirent les effets du feu grégeois ; de plus Léon III parvint à leur couper leurs moyens de ravitaillement. La famine et la peste se mirent dans leur camp. Leur retraite fut désastreuse ; une partie de leur flotte fut détruite par la tempête et l’armée de Moslemah, repassée en Asie, fut attaquée près de Tyane et décimée . A la suite de cet échec une trêve fut vraisemblablement conclue entre Léon III et le calife Omar . En fait, il n’y eut pas d’attaque arabe contre l’Asie Mineure entre 718 et 726. La défense victorieuse de Constantinople marquait, comme la bataille de Poitiers qui eut lieu quatorze ans plus tard, la limite infranchissable atteinte par l’invasion arabe.

Les attaques contre l’Asie Mineure qui reprirent en 726 ne furent plus que des incursions et des razzias, pénibles pour les populations , mais simples raids sans établissements permanents. Contre les Arabes Léon III fit alliance avec les Khazars et en 733 son fils Constantin, associé à la couronne, épousa la fille de leur Khagan . Ce fut probablement grâce à sa diplomatie que les Khazars envahirent l’Azerbaïdjan en 731 et forcèrent le calife à leur abandonner la principale route du Caucase, la passe de Derbend . Enfin en 740 Soliman ayant pris l’offensive en Asie Mineure, Léon III et Constantin infligèrent une grande défaite à ses troupes sur le plateau d’Akroinon en Phrygie (Afium-Kara-Hissar) qui obligea les Arabes à évacuer la partie occidentale de l’Asie Mineure .

Non seulement Léon III a arrêté la conquête arabe, mais il a fait cesser l’anarchie qui régnait dans l’Empire, en réprimant les tentatives de révolte qui suivirent son avènement, celle d’un stratège de Sicile et celle de l’ex-empereur Anastase II , et en cherchant à fonder une dynastie par l’association de son fils à la couronne dès sa naissance . Il s’efforça de rétablir la prospérité dans les provinces dépeuplées par les invasions et les épidémies, ainsi qu’à Constantinople dont la population avait été décimée par la peste de 718 et qu’il repeupla en y transportant de gré ou de force des Orientaux . Il constitua une bonne armée et augmenta le nombre des thèmes , mais, pour accomplir cette œuvre de relèvement, il du créer de nouveaux impôts et fit ainsi beaucoup de mécontents .Enfin, si, comme on l’a déjà dit, il n’est pas l’auteur de la Loi Agricole, il n’en n’a pas moins publié une œuvre législative importante, le « Choix des lois » tirées du Corpus juris de Justinien, rendues plus claires adaptées à l’état social du temps et mises à la portée de tous par l’emploi exclusif du grec .

Léon III est surtout célèbre par sa politique religieuse. On sait peu de chose de l’édit par lequel il obligeait le Juifs et les Montanistes à se faire baptiser (722) , mais, par contre, son nom est inséparable du mouvement iconoclaste, dont il fut l’initiateur, et qui, les querelles dogmatiques étant terminées et la paix religieuse semblant assurée, devait cependant troubler l’Église et l’Empire pendant plus d’un siècle.

Par suite de la rareté des témoignages contemporains et de la destruction de la plupart des écrits iconoclastes, les origines du mouvement sont obscures et encombrées de faits apocryphes et contradictoires. Les partis pris des historiens qui ont vu en Léon III une sorte de despote éclairé à la manière d’un Joseph II n’ont fait qu’obscurcir la question .

Il faut d’abord distinguer les représentations sacrées, peintures murales, mosaïques qui avaient une valeur d’enseignement et les icônes proprement dites du Christ, de la Vierge et des saints, tableaux et objets portatifs, auxquels on attribuait un caractère miraculeux, dont plusieurs passaient pour acheiropoiètes (non faits de la main d’un homme) et qui étaient l’objet d’un culte fervent . A plusieurs reprises, depuis le ve siècle, les formes idolâtriques que revêtait ce culte avaient choqué certains esprits et incité plusieurs évêques à le proscrire, mais il s’agissait de faits isolés  et les sectes hérétiques elles-mêmes, Manichéens, Ariens, Jacobites, admettaient l’iconographie sacrée.

La première mesure iconoclaste est venue des Arabes, bien que le Coran ne défende pas les représentations figurées, mais seulement les idoles : ce fut l’édit du calife Yézid ordonnant en 723 la destruction des images dans les églises chrétiennes et dans les maisons . Au même moment plusieurs évêques d’Asie Mineure proscrivirent les images dans leurs diocèses et deux d’entre eux, Constantin de Nacolia et Thomas de Ciaudiopolis, vinrent à Constantinople pour essayer de gagner à leurs doctrines le patriarche Germain qui les repoussa avec indignation . Léon III partageait-il déjà ces doctrines ou y fut-il gagné à cette époque ? La question demeure obscure . Toujours est-il qu’on lui a attribué à tort la publication d’un édit proscrivant le culte des images en 726 . Loin de heurter ainsi de front les sentiments intimes de ses sujets, il commença à faire lui-même dans des assemblées populaires une propagande insidieuse contre les images  et, d’après la chronique de Nicéphore, cette campagne commença après la terrible éruption sous-marine qui fit surgir une île nouvelle entre Théra (Santorin) et Thérasia, dans l’été de 726, et dans laquelle il vit un effet de la colère divine contre le culte idolâtrique .

Ce fut seulement l’année suivante que les mesures iconoclastes commencèrent et qu’il en résulta les premiers troubles : destruction violente de l’icône du Christ qui surmontait les portes de bronze du Grand Palais au milieu des protestations du peuple  ; propagande dans les armées qui excita la révolte du thème des Helladiques et la proclamation d’un empereur, dont la flotte fut détruite devant Constantinople (18 avril 727)  ; tentatives pour forcer le patriarche Germain et le pape Grégoire II à condamner le culte des images . L’ultimatum adressé au pape provoqua la révolte des milices italiennes . Léon III accomplit alors un acte décisif : dans un silention tenu au Tribunal des 19 lits le 17 janvier 730, il déposa le patriarche Germain et le remplaça par son syncelle, Anastase, qui s’empressa de rédiger un édit synodal conforme aux désirs du basileus . Désormais la doctrine iconoclaste s’appuyait sur un acte canonique et la proscription des images commença, provoquant l’émigration de beaucoup d’habitants de Constantinople et une émotion qui franchit les frontières de l’Empire et incita Mansour (Jean Damascène), fonctionnaire arabe, mais chrétien, à écrire ses traités apologétiques en faveur du culte des images .

La principale protestation vint du pape Grégoire III (consacré en mars 731), dont les lettres à l’empereur furent interceptées et qui tint à Rome un concile où les doctrines iconoclastes étaient condamnées . Par représailles Léon III doubla les impôts en Calabre et en Sicile et confisqua les propriétés (patrimoines de Saint Pierre) qui se trouvaient dans ces régions . Il aurait en même temps, bien que les sources contemporaines n’en parlent pas, démembré la juridiction du pape en rattachant les églises de l’Illyricum, de la Sicile et de la Crète au patriarcat de Constantinople .

2.  Constantin V  (741-775)  et  Léon IV  (775-780)

Constantin V  continua avec succès à l’extérieur l’œuvre défensive de Léon III et à l’intérieur il accentua sa politique iconoclaste en y apportant une passion violente qui contraste avec la sagesse diplomatique de son père. Cependant son règne de 34 ans est loin de présenter un aspect uniforme et les circonstances l’obligèrent d’abord à une certaine modération. Pour ses débuts, il dut conquérir son trône et réprimer la révolte redoutable de son beau-frère Artavasde, qui semble avoir été l’espoir des partisans des images. Pendant que Constantin organisait en Asie une expédition contre les Arabes, Artavasde, proclamé empereur par les troupes de l’Opsikion, dont il était comte, dispersa l’armée impériale commandée par Beser et marcha sur Constantinople où il avait des intelligences et, après y être entré sans résistance, reçut la couronne des mains du patriarche Anastase (juillet 743) . Son premier soin fut d’autoriser le culte des images et d’associer son fils aîné au trône.

Artavasde exerça le pouvoir un an, mais sa tentative pour venir à bout de Constantin, appuyé par les thèmes orientaux, échoua complètement. Battu près de Sardes, il se réfugia à Constantinople, que Constantin prit d’assaut (2 novembre 742) . Artavasde et ses fils aveuglés parurent au triomphe que le vainqueur célébra à l’Hippodrome, tandis que le patriarche Anastase, battu de verges, conservait ses fonctions .

Le résultat de cette victoire fut une nouvelle proscription du culte des images et la destruction de toutes les peintures d’histoire sacrée qui ornaient les églises et de tous les objets du culte ornés de sujets iconographiques . Il semble cependant que Constantin V, sentant le terrain peu solide, ait montré une certaine modération. Les régions éloignées de Constantinople n’étaient pas encore touchées par le mouvement iconoclaste et les moines, devenus les principaux défenseurs des images, s’y réfugiaient en grand nombre . Bien plus, à la différence de Léon III, Constantin avait d’excellents rapports avec le pape Zacharie, qui servait toujours d’intermédiaire entre l’Empire et les Lombards .

Ce fut seulement douze ans après la chute d’Artavasde que Constantin crut le moment venu de se faire donner par l’Église l’arme qui lui permettrait de traiter les iconodules comme des hérétiques et des rebelles. Appuyé sur un véritable parti iconoclaste dont l’armée des thèmes d’Asie, originaire de régions où le culte des images était inconnu , et le haut clergé formaient la force principale, après avoir mené, comme jadis Léon III, une propagande active contre le culte des images dans des assemblées populaires ou des silentia , Constantin convoqua un concile auquel participèrent 338 évêques assemblés au palais impérial de Hieria (10 février 754) . Prenant lui-même parti dans le débat théologique, l’empereur avait composé un livre dans lequel, afin de montrer le caractère hérétique des images du Christ, il employait des termes condamnés par les conciles, allant même jusqu’à rejeter le dogme de l’intercession de la Vierge et des saints, aussi bien que le culte des reliques . On ne connaît du concile, qui se déclara œcuménique et dont les délibérations durèrent sept mois, que sa conclusion (ρος), qui condamnait sous les peines les plus sévères la fabrication, la possession et la vénération des icônes, mais le soin avec lequel le concile affirma le pouvoir d’intercession de la Vierge et des saints montre qu’il repoussa les doctrines hérétiques de l’empereur .

Celui-ci possédait ainsi les armes redoutables qui lui permettraient de supprimer complètement les images et de châtier leurs défenseurs. Cependant la terreur iconoclaste ne commença pas immédiatement après le concile. Constantin essaya d’abord de gagner les champions les plus éminents du culte proscrit, comme le montrent ses démarches auprès d’Étienne le Nouveau, moine au mont Saint-Auxence près de Chalcédoine, dont il connaissait l’influence sur le monde monastique . Il attachait tant d’importance à l’adhésion d’Étienne au concile iconoclaste qu’il fit traîner l’affaire pendant dix ans, essayant tour à tour la violence et la douceur sans ébranler la fermeté d’Étienne, qui, après avoir été jugé par une commission d’évêques, fut exilé à Proconnèse et subit le martyre le 20 novembre 764 . Cependant les décrets du concile concernant la destruction des icônes et de la décoration religieuse avaient reçu un commencement d’application, des épisodes de chasses remplaçaient dans les églises les thèmes sacrés  et Constantin poursuivait d’une haine particulière les moines, dont un grand nombre fut exilé, emprisonné, mutilé .

Mais ce fut après le supplice de saint Étienne que s’ouvrit réellement l’ère des martyrs. Exaspéré par les résistances, l’empereur força tous ses sujets à prêter serment qu’ils ne vénéraient pas les images et le patriarche Constantin dut jurer le premier à l’ambon de Sainte-Sophie (765) . Puis ce furent des expositions ignominieuses de dignitaires iconodules, des défilés de moines à l’Hippodrome sous les insultes de la foule  (766). Accusé de complot, le patriarche Constantin fut déposé, exposé à l’Hippodrome, torturé et enfin décapité le 15 août 768 . Dans les provinces, des gouverneurs renchérissaient encore sur les rigueurs du maître. Michel Lacanodracon, stratège des Thracésiens, faisait piller les monastères par ses soldats, et rassemblant un jour des moines et des religieuses sur une place d’Éphèse, leur donnait le choix entre le mariage ou la perte des yeux .

La conséquence de cette politique fut la ruine de l’autorité impériale en Italie, dont les liens avec l’Empire étaient de plus en plus lâches et qui, depuis le début du mouvement iconoclaste, était devenue le refuge de tous les proscrits . Cependant, malgré leur animosité réciproque sur le terrain religieux, les papes et les empereurs s’en tenaient à un régime de compromis résultant de leur solidarité devant le danger lombard. Constantin V, ne pouvant envoyer d’armée en Italie, utilisait, comme on l’a vu, le prestige du pape sur les Lombards et les négociations entre Zacharie et Luitprand en 741-742 avaient obtenu un plein succès (742-743) .

Il en fut autrement lorsqu’en 751 le roi lombard Astolphe, ayant pris Ravenne et annoncé l’intention de marcher sur Rome, se montra rebelle à toute tentative de négociation . Soit de sa propre initiative, soit, ce qui est plus probable, par ordre de Constantin V, qui lui avait envoyé le silentiaire Jean, le pape Étienne II alla solliciter en Gaule le secours du roi franc Pépin, tout dévoué au Saint-Siège, qui avait favorisé son avènement à la couronne . Le 6 janvier 754 au palais de Ponthion, Pépin promet au pape de prendre en main « la cause du bienheureux Pierre et de la république des Romains » et de restituer au pape « par tous les moyens l’exarchat de Ravenne, les droits et les possessions de la république » . Sans doute le terme de république est dans la langue de l’époque l’équivalent d’empire romain. Mais Pépin se lie envers saint Pierre et non envers l’empereur, qui n’est pas nommé, et les événements qui suivent, l’octroi à Pépin par le pape du titre insolite de « patrice des Romains » , le refus opposé par Pépin, engagé dans sa première expédition, de promettre aux ambassadeurs de Constantin V la restitution de l’Exarchat à l’Empire , enfin, après la victoire finale, la tradition à saint Pierre de toutes les cités reconquises (756)  montrent avec évidence qu’un nouveau droit est né à l’entrevue de Ponthion, celui de la souveraineté du Saint-Siège, indépendante en droit et en fait de celle de l’empereur.

On ne voit pas que Constantin ait fait une tentative militaire pour recouvrer l’Exarchat ou même élevé une protestation, mais, loin de se résigner à ce nouveau démembrement territorial, il chercha à agir par sa diplomatie

De 756 à 769 eut lieu une lutte très serrée entre les diplomaties impériale et pontificale qui cherchèrent à agir à la fois sur les Francs et sur les Lombards. Pépin reçut trois ambassades successives et l’empereur entreprit de lui faire condamner le culte des images : un concile à tendances iconoclastes fut tenu à Gentilly en 767 . Tous ces efforts échouèrent et l’avènement d’Étienne III, qui tint en 769 un concile où la légitimité du culte des images fut proclamée, marqua la fin de la subordination dans laquelle le pape se trouvait placé vis-à-vis de l’empereur . Désormais l’empereur ne ratifie plus les élections pontificales et c’est au roi des Francs que le nouvel élu fait part de son avènement . L’Empire conserve encore en Italie quelques territoires la Calabre, la terre d’Otrante, le littoral napolitain , mais son prestige a été atteint gravement.

Continuant du moins l’œuvre militaire de Léon III, Constantin V assura la sécurité des frontières de l’Empire et c’est le souci de consacrer toutes les forces disponibles à la défense de Constantinople qui explique sa politique d’expectative en Occident.

Il a mis à profit les guerres civiles du califat, qui ont abouti à la chute de la dynastie des Ommiades et à l’avènement des Abbassides en 750 , pour prendre l’offensive, donner à l’Empire des frontières solides et rétablir son prestige chez les Arméniens, révoltés contre les Arabes (749-750).

Ce résultat fut atteint par la prise de Germanicia (Marasch) en 745, de Théodosiopolis et Mélitène en 751 , par la destruction de leurs murailles et le transport de leurs habitants dans l’Empire. Cette politique de colonisation à l’intérieur, qui fit suite à celle de Léon III, se rattachait à son plan défensif en facilitant le recrutement de l’armée et à sa lutte contre les images, dont un grand nombre de ces Orientaux condamnait la vénération . Le rétablissement du prestige impérial en Asie se manifeste par le fait qu’il suffit de la seule approche de Constantin pour faire reculer les Arabes entrés en Cappadoce en 756  et que désormais les armées des thèmes suffisent à contenir leurs incursions.

Ces résultats permirent à Constantin de consacrer la majeure partie de ses forces au front bulgare contre lequel il eut à lutter pendant tout son règne, mais qu’il parvint à contenir. Le Khan Tervel avait aidé Léon III à repousser les Arabes de Constantinople et était resté fidèle au traité qu’il avait conclu en 716 avec Théodose III , mais en 755 le peuplement des forteresses de Thrace par des Orientaux servit de prétexte au nouveau Khan pour réclamer un tribut. Constantin ayant repoussé cette prétention, les Bulgares franchirent les Balkans et ravagèrent le pays jusqu’au Long Mur  et, après 39 ans de tranquillité, commença la série des incursions périodiques qui mettaient chaque fois le sort de Constantinople en danger sans aucun égard pour les trêves conclues dans l’intervalle des expéditions .

Constantin V ne se borna pas à repousser les invasions , mais, à plusieurs reprises, il mena des offensives vigoureuses et infligea aux Bulgares de sévères leçons. Il avait d’ailleurs sur ses ennemis deux avantages : d’une part, la possibilité de faire pénétrer la flotte impériale dans le Danube pour prendre à revers les Bulgares, qu’une armée attaquait de front; d’autre part, les guerres civiles entre les boliades qui se disputaient le pouvoir permirent à l’empereur de se porter arbitre entre les prétendants et d’entretenir en Bulgarie des espions qui le renseignaient sur les projets de ses adversaires . Ce fut ce qui lui permit d’infliger au Khan Teletzes, qui avait envahi la Thrace, l’une des défaites les plus graves que les Bulgares aient jamais subies, dans la plaine d’Anchialos (Sizebolou actuelle) sur le golfe de Bourgas. Des troupeaux de prisonniers figurèrent au triomphe de Constantin à l’Hippodrome et furent cruellement mis à mort (10 juin 762) . Dix ans plus tard, informé par ses espions de la rupture prochaine de la paix signée en 765, Constantin réussit à tromper les envoyés du Khan, venus pour négocier, en feignant des préparatifs contre les Arabes et, gagnant les Balkans à marches forcées avec des troupes d’élite, tomba sur l’armée bulgare à Lithosoria et, après l’avoir détruite presque entièrement, revint triompher à Constantinople avec un imposant convoi de prisonniers et un immense butin, si satisfait de cette expédition qu’il l’appela « la noble guerre »  Une nouvelle chevauchée en 773 força les Bulgares à demander la paix, garantie par les garnisons réparties dans les forts de la frontière  ; Constantin V n’avait pu songer à conquérir la Bulgarie, mais il l’avait suffisamment affaiblie pour assurer à sa ville impériale une sécurité qui dura vingt ans .

Léon IV, que Constantin V avait eu de sa première femme, fille du Khan Khazar, a continué en tout pendant son règne très court (775-780) la politique de son père, dont il était loin d’avoir l’énergie farouche, mais il en a maintenu tous les résultats. Au point de vue dynastique, marié à une obscure provinciale attachée au culte des images, l’Athénienne Irène , il a écarté du trône les deux fils aînés de la troisième femme de Constantin V, qui avaient reçu le titre de César et, avant de couronner Auguste son fils Constantin âgé de cinq ans, il lui fit prêter un serment solennel à l’Hippodrome par toutes les classes de la population .

A l’extérieur la paix avec la Bulgarie ne fut pas troublée et les Arabes, ayant repris l’offensive contre l’Asie Mineure, subirent deux grandes défaites, l’une en Cilicie près de Germanicia en 778 , l’autre dans le thème des Arméniaques en 780 . De son expédition contre Germanicia, le trop fameux Michel Lacanodracon ramena des Syriens jacobites qui allèrent grossir les colonies établies en Thrace sous le règne précédent.

En matière de religion, Léon professait des opinions assez différentes de celles de son père. Théophane vante sa piété, son culte pour la Panaghia, son amitié pour les moines qu’il nomma à des évêchés , mais, s’il y eut quelque détente dans les persécutions, Léon ne songea nullement à abolir les lois iconoclastes. Le patriarche Nicétas étant mort en 780, son successeur Paul dut, bien qu’à contrecœur, prêter le serment de détestation des images  et, peu après, l’empereur condamna au fouet cinq dignitaires du palais, accusés d’avoir introduit secrètement des icônes dans la chambre de l’impératrice . La situation était donc de nouveau tendue lorsque Léon IV mourut subitement de la maladie du charbon, à l’âge de trente ans . Cet accident imprévisible allait provoquer un revirement complet de la politique impériale.

3.  L’Orthodoxie restaurée  (784-813)

L’héritier du trône, Constantin VI, était âgé de 10 ans, mais sa mère, avec un esprit de décision inattendu, s’empara du pouvoir , déjoua une conspiration militaire destinée à faire couronner empereur l’un des deux Césars, fils de Constantin V, Nicéphore, qui dut, ainsi que ses frères, recevoir les ordres ecclésiastiques et distribuer la communion au peuple à Sainte-Sophie le jour de Noël 780 .

Ainsi s’évanouissait l’espoir du parti iconoclaste qui comptait, grâce à Nicéphore, conserver le gouvernement de l’Empire, mais la situation d’Irène, que tous savaient favorable aux iconophiles, n’en était pas moins périlleuse : tous les emplois de la cour, tous les gouvernements des thèmes étaient tenus par des iconoclastes notoires et tous les évêques avaient prêté le serment contre les images. Après le complot de ses beaux-frères, Irène eut à réprimer la révolte d’Helpidius, stratège de Sicile, contre lequel il fallut envoyer une expédition . Tout en encourageant les iconophiles et en laissant rentrer les exilés, elle dut montrer beaucoup de prudence, d’autant plus nécessaire qu’elle se trouva subitement en face d’une nouvelle agression arabe au moment où la plus grande partie de l’année était en Sicile. En 782 les coureurs arabes, commandés par le futur calife Haroun, atteignirent Chrysopolis : Irène signa avec lui une trêve de trois ans moyennant le paiement d’un lourd tribut, abandonnant ainsi tous les avantages dus aux victoires des règnes précédents .

Ce ne fut qu’en 784, après avoir négocié avec tous les évêques, qu’Irène écrivit au pape Hadrien pour lui demander la convocation d’un concile œcuménique qui rétablirait le culte des images . La lettre ne devait parvenir au pape qu’en octobre 785 et dans l’intervalle le patriarche Paul, pris de remords à cause du serment iconoclaste qu’il avait prêté, abdiqua et fut remplacé par un laïcs, l’asecretis Tarasius . Le pape, auquel il envoya sa synodique , fit de fortes réserves sur la légitimité de son élection. Il y eut donc un malentendu initial entre Rome et Constantinople.

Cependant lorsque le concile œcuménique s’ouvrit à l’église des Saints-Apôtres le ler août 786, deux corps de la garde, les scholaires et les excubiteurs, envahirent l’église et dispersèrent les évêques . C’était là le résultat d’un complot entre les chefs de l’armée et certains évêques. Irène fit passer des mutins en Asie et occuper Constantinople par des troupes de Thrace, qui désarmèrent les corps de la garde , Un nouveau concile fut convoqué à Nicée (mai 787), mais ne s’ouvrit que le 24 septembre. Il comprit de 330 à 367 évêques, deux légats du pape, un grand nombre d’higoumènes et de moines. Ses travaux, terminés le 23 octobre suivant, eurent pour objet la condamnation des décrets du concile iconoclaste et la constitution d’une apologétique des images et de leur culte, fondée sur les autorités bibliques et patristiques, ainsi que sur la réforme de l’Église, dont l’ordre avait été troublé par la querelle iconoclaste . L’influence des moines, qui avaient blâmé la réception par le concile des évêques iconoclastes repentis, apparaît dans les canons disciplinaires qui interdisent l’intervention des princes temporels dans les élections épiscopales , C’est au concile de Nicée qu’il faut chercher le point de départ de la réforme de l’Église et de la société, qui fut tentée par les Studites . Par contre, les décrets du concile furent reçus avec peu d’empressement hors de l’Empire et rencontrèrent même dans l’Église franque une vive opposition qui se manifeste dans le Capitulare de imaginibus et dans les canons du concile de Francfort (794) .

Le concile de Nicée, qui aboutit à la suppression des lois iconoclastes, n’en fut pas moins un triomphe pour Irène, mais la tranquillité intérieure ne tarda pas à être troublée par l’intransigeance des moines qui déniaient au patriarche Tarasius le droit d’admettre à la pénitence et de réconcilier les évêques iconoclastes ou simoniaques , et surtout par les dissentiments qui s’élevèrent entre Irène et son fils et provoquèrent une série de révolutions de palais et d’intrigues qui compromirent le prestige de l’Empire.

La véritable cause du conflit entre le jeune empereur et sa mère fut la tutelle étroite dans laquelle, avec l’appui de son principal ministre, l’eunuque Staurakios, elle le maintint quand il fut parvenu à l’âge d’homme . Sans le consulter et pour des raisons politiques, elle rompit ses fiançailles, qui dataient du début de son règne, avec une fille de Charlemagne  et lui fit épouser malgré lui une obscure provinciale, Marie l’Arménienne, choisie par Staurakios à la suite d’un de ces étranges concours de beauté qui servaient à recruter les impératrices . Exaspéré, Constantin entreprit de renverser Staurakios et d’exiler Irène, mais le ministre eut vent du complot, fit arrêter et fouetter les conjurés et l’empereur lui-même reçut les verges (septembre 790). Irène exigea des troupes le serment de ne pas reconnaître son fils comme empereur tant qu’elle vivrait. Aussitôt le thème des Arméniaques se révolta et entraîna les autres thèmes qui proclamèrent Constantin seul empereur. Staurakios fut fouetté et emprisonné, Irène reléguée au palais d’Éleutheria .

Devenu ainsi maître du pouvoir, Constantin VI ne sut pas le conserver et commit faute sur faute. La première fut de rappeler Irène au palais, sans avoir désarmé sa vengeance, de lui rendre le titre d’Augusta (15janvier 792) et de consentir au retour de Staurakios ; les Arméniaques manifestèrent leur mécontentement : ils furent envoyés dans le Pont et leur stratège Alexis Mosèle fut emprisonné . La sanglante déroute infligée par les Bulgares à Constantin, qui les avait attaqués sur la foi d’un astrologue (juillet), le déconsidéra aux yeux de son armée, et un complot organisé pour proclamer empereur son oncle, l’ex-César Nicéphore, ayant été découvert, Constantin fit couper la langue à quatre de ses frères utérins et aveugler l’aîné, Nicéphore, ainsi qu’Alexis Mosèle . Aussitôt les Arméniaques se soulevèrent et une guerre civile de six mois (novembre 792- mai 793) ravagea l’Asie Mineure. Le basileus dut conduire lui-même une expédition contre les rebelles, qui furent vaincus par trahison et cruellement châtiés .

Mais ce qui mit le comble à son impopularité, ce fut son divorce avec Marie l’Arménienne, accusée sans preuve de complot, et son second mariage, qu’il trouva un prêtre de Sainte-Sophie pour célébrer, avec une suivante de sa mère, laquelle aurait, pour le mieux perdre, favorisé leurs rapports . Cette union souleva d’unanimes protestations et les chefs de la réforme, Platon, higoumène de Saccoudion, et son neveu Théodore se séparèrent de la communion du patriarche, accusé d’être complice de l’adultère. Platon fut emprisonné et les autres moines exilés , mais presque tous les monastères de l’Empire manifestèrent la même indignation . Irène tenait sa vengeance, mais elle mit deux ans à en assurer le succès, profitant d’un voyage aux eaux de Brousse pour gagner la garde impériale (octobre 796) et allant jusqu’à faire trahir son fils par ses troupes pendant une expédition contre les Arabes (mars 797) . Une première tentative pour s’emparer de sa personne (juin) échoua et il put gagner les thèmes d’Orient mais, trahi par son entourage et capturé, il fut ramené à Constantinople et aveuglé dans la Porphyra où il avait vu le jour . Irène devenait l’unique basileus des Romains et occupait seule le trône pendant cinq ans.

Cette situation était sans précédent. Plusieurs princesses héritières du trône, comme Pulchérie ou Ariadne, avaient apporté le pouvoir à leur époux : aucune ne l’avait encore exercé seule, aucune ne s’était intitulée dans les protocoles πιςτος βασιλεύσ, empereur fidèle . Irène se fit représenter sur les diptyques consulaires en costume de basileus  et, afin de rendre sensible aux yeux de tous la nature de son pouvoir, parut dans une procession triomphale sur un char traîné par quatre chevaux blancs, dont quatre patrices du rang le plus élevé tenaient les brides .

En même temps Irène cherchait à se rendre populaire, comme si elle voulait faire oublier son abominable crime. Elle rappela les moines exilés par Constantin et ce fut à ce moment que Théodore et ses compagnons s’installèrent au monastère de Stoudios . Le prêtre Joseph, qui avait béni le second mariage de Constantin, fut excommunié et déposé par le synode patriarcal . Avec une véritable insouciance elle appauvrit le trésor en supprimant les impôts urbains et en diminuant les droits perçus à la douane d’Abydos , ce qui lui valut une lettre de félicitation de Théodore le Studite . Elle montra la même légèreté dans ses rapports avec les Arabes dont les incursions en Asie Mineure étaient périodiques; elle laissa le calife Haroun-al-Raschid constituer autour de Tarse, entre la Syrie et la Cilicie, une Marche militaire, peuplée avec des habitants du Khorassan, qui devint une menace perpétuelle pour l’Empire, dont les frontières n’étaient plus défendues , et pour acheter sa tranquillité, elle signa avec le calife un traité par lequel elle s’engageait à payer de nouveau le lourd tribut consenti en 781 .

Ces actes inconsidérés soulevèrent contre elle une forte opposition. Au début de son gouvernement elle dut exiler à Athènes les fils de Constantin V, que les iconoclastes voulaient proclamer empereurs et ayant appris que les chefs slaves de l’Hellade s’agitaient en leur faveur, elle les fit aveugler, eux et leurs complices . Sa cour était devenue le théâtre d’une lutte acharnée entre ses deux principaux ministres, Aétius et Staurakios, tous deux eunuques, qui cherchaient à assurer sa succession à l’un de leurs parents. Accusé par son rival de vouloir usurper l’Empire, Staurakios parvint à se justifier, puis, quelque temps après, il essaya de gagner les corps de la garde et fomenta pour détrôner Irène un véritable complot qui fut découvert et facilement déjoué. Staurakios en serait mort de colère (801) .

Maître de la situation, Aétius travailla à assurer l’Empire à son frère , mais, au même moment, arrivait à Constantinople une ambassade de Charlemagne, désireux de faire reconnaître par Byzance son titre impérial et, d’après un bruit enregistré par le seul Théophane, proposant à Irène de l’épouser afin d’unir en un seul État l’Orient et l’Occident . Mais si ce projet chimérique a jamais eu un fondement réel, il était trop tard pour l’accomplir. Excédés par l’arbitraire du gouvernement d’Aétius, humiliés de voir l’Empire tombé aux mains d’une femme, dont le crime faisait horreur et dont la politique insensée conduisait l’État à sa perte, un certain nombre de hauts dignitaires se concertèrent et le 31 octobre 802 mirent fin à la fois au pouvoir d’Aétius et à celui d’Irène . Proclamé empereur, le Iogothète du trésor, Nicéphore, exila Irène aux îles des Princes, puis à Lesbos .

Irène laissait l’Empire troublé et appauvri à l’intérieur, diminué et sans prestige à l’extérieur. Sacrifiant tout au rétablissement des images, elle a désorganisé les thèmes d’Asie et, pour se venger des Arméniaques, elle a détruit l’une des principales forces qui défendaient les frontières contre les Arabes. Les résultats de cette politique ne se sont pas fait attendre : l’Asie Mineure a été ouverte aux entreprises de l’ennemi dont les incursions ont atteint le Bosphore en 781, Éphèse en 795, Amorium en 796, de nouveau le Bosphore en 798, raid qui permit aux Arabes d’enlever les chevaux des écuries impériales de Malagina . Les initiatives personnelles de Constantin VI ne furent pas plus heureuses. L’expédition qu’il entreprit en 791 à travers l’Asie Mineure et qui le mena jusqu’à Tarse, sans qu’il ait rencontré l’ennemi, ne produisit aucun résultat .

Le seul succès militaire de ce règne fut l’expédition de Staurakios contre les Slaves de Grèce en 783 . Les Bulgares, assagis par les leçons que leur avait infligées Constantin V, se tenaient tranquilles : Constantin II, désireux d’acquérir un prestige militaire, les attaqua mal à propos en 791 et se fit battre honteusement, et la nouvelle tentative qu’il fit en 796 pour envahir la Bulgarie ne fut pas plus heureuse .

En Occident la politique d’Irène fut inconsistante et ne fit que compromettre le prestige de l’Empire. Désireuse de recouvrer l’Italie, elle ne pouvait s’entendre avec le pape Hadrien et elle oscilla entre l’alliance franque (fiançailles de Rothrude avec Constantin VI en 781) et l’alliance avec le duc lombard de Bénévent, Arichis (787), puis de son fils Grimoald, mais celui-ci dut se soumettre aux Francs et l’expédition envoyée en 788 pour replacer sur le trône lombard Adalgise, fils de Didier, échoua complètement . Mais le plus gros échec que Byzance subit en Occident fut le couronnement de Charlemagne comme « empereur Auguste » le 25 décembre 800, véritable usurpation au regard du droit impérial, regardé plus tard à bon droit comme l’origine du schisme, mais qui donnait au souverain de l’Occident un prestige égal à celui du basileus byzantin et dont les relations de Charlemagne avec le calife Haroun-al-Raschid montrent toute la portée .

Mais des maux dont souffrait l’Empire, les plus menaçants étaient l’indiscipline des armées et les divisions religieuses irréductibles. Trois partis, également forts, se disputaient le pouvoir : les iconoclastes, encore très nombreux, appuyés par les thèmes d’Orient, par certains évêques et répandus même dans quelques monastères  ; à l’opposé, le parti de la réforme morale de l’Église et de l’État, dont les principaux champions étaient les Studites, défenseurs intransigeants du culte des icônes et de l’observation rigoureuse des canons ecclésiastiques par tous, clercs ou laïcs, et surtout par le basileus ; enfin un tiers parti, le parti de l’ordre dans l’Église et dans l’État, attaché à l’orthodoxie et aux images, mais soucieux avant tout de la paix religieuse et de la répression des troubles et de tous les écarts, même des moines, recruté surtout dans le haut clergé et les hauts fonctionnaires : les patriarches Tarasius et Nicéphore, l’empereur Nicéphore lui-même en sont les représentants les plus qualifiés.

De 802 à 842, chacun de ces partis exerça successivement le pouvoir, et tout d’abord le tiers parti avec Nicéphore (802-811), l’un des nombreux Orientaux hellénisés immigrés à Constantinople , fonctionnaire zélé, parvenu au rang de logothète « του γενικου », comme tel, chef de la trésorerie impériale et décidé certainement, en acceptant le pouvoir, à rétablir les ressources de l’État dissipées par les prodigalités d’Irène, à faire régner la paix à l’intérieur et à restaurer le prestige de l’Empire à l’extérieur.

Mais les compressions indispensables qu’il fallut substituer au régime de facilités qui perdait l’État expliquent les rancunes qu’il amassa contre lui et dont le chroniqueur Théophane, à peu près son seul témoin, s’est fait l’écho en énumérant ses onze prétendues « vexations »  qui ne sont autre chose que des mesures rendues nécessaires par l’appauvrissement du trésor, pour supprimer les exemptions d’impôts consenties par Irène à des collectivités et à des possesseurs de biens de mainmorte, pour augmenter les revenus de l’État par la révision du cadastre et le recensement des fortunes, pour assurer le recrutement indigène de l’armée en mettant au compte des riches l’équipement et les impôts des pauvres (allelengyon) .

De plus le fonctionnaire civil qu’avait été Nicéphore ne parvint jamais à acquérir un prestige suffisant auprès des stratèges des thèmes et il eut à combattre des révoltes militaires, parfois en pleine guerre ou en face de l’ennemi, comme celle de Bardanios Tourkos, auquel il avait confié le commandement des cinq thèmes d’Asie pour prendre l’offensive contre les Arabes et qui, après s’être avancé jusqu’à Chrysopolis, fut livré à Nicéphore par ses lieutenants (juillet 803) . Et lorsqu’il lui fallut défendre Constantinople contre les Bulgares, des complots et des émeutes continuelles paralysèrent ses opérations et contribuèrent à sa fin tragique .

Une autre opposition redoutable fut celle des Studites, qui éclata après la mort du patriarche Tarasius (25 février 806) et son remplacement par Nicéphore, promu directement, comme son prédécesseur, des fonctions d’asecretis à l’épiscopat . Nicéphore, qui avait composé des livres d’apologétique contre les iconoclastes, manifesté ses goûts pour l’ascétisme par la fondation d’un monastère et pris l’habit monastique avant sa consécration, présentait donc des garanties suffisantes pour gouverner l’Église, mais, aux yeux des réformistes, en cela d’accord avec les papes, il n’était qu’un néophyte, un intrus, élu contrairement aux canons . Ce fut en vain que le nouveau patriarche fit des avances aux Studites : ils demeurèrent dans leur opposition , qu’un nouvel incident vint exaspérer. Avec le dessein de pacifier l’Église, l’empereur obligea le patriarche à relever de son excommunication le prêtre Joseph . Aussitôt Théodore et les Studites se séparèrent de la communion patriarcale et un conflit irréductible divisa le parti iconophile. L’empereur réunit un synode qui condamna à l’exil Théodore, son frère Joseph, archevêque de Thessalonique, et l’higoumène Platon, tandis que plusieurs moines étaient emprisonnés . En vain ils en appelèrent au pape Léon III, avec lequel l’empereur, à cause de son conflit avec Charlemagne, n’avait plus aucun rapport.

A l’extérieur en effet, comme dans sa politique intérieure, Nicéphore était bien décidé à rompre avec les errements du règne précédent et à dénoncer les pactes humiliants et onéreux au prix desquels Irène avait acheté sa tranquillité. Son tort fut de sous-estimer les forces de ses adversaires et d’agir vis-à-vis d’eux avec la même désinvolture orgueilleuse que s’il avait eu à leur opposer des armées fortes et disciplinées. De là les échecs qui le conduisirent à sa perte.

Ce fut ainsi qu’il refusa de traiter avec les ambassadeurs francs qui se trouvaient à Byzance au moment de son avènement et qu’il les renvoya en France avec trois de ses envoyés. Charlemagne, qu’ils rencontrèrent en Saxe, leur fit des propositions auxquelles Nicéphore ne daigna même pas répondre . Le conflit portait sur le titre impérial que Nicéphore refusa absolument de reconnaître et sur la possession de Venise, qui fait son apparition dans l’histoire et où un parti franc et un parti byzantin se disputent l’élection du doge, l’ancien duc byzantin, devenu maître des îles du Rialto. En 807 Nicéphore envoie dans l’Adriatique une expédition qui replace Venise et la Dalmatie sous la dépendance de Constantinople , mais en 809-810, Pépin, fils de Charlemagne, créé par son père roi des Lombards , conquiert toute la Vénétie . Nicéphore finit par s’émouvoir et envoie une ambassade qui, Pépin étant mort, se transporte à Aix-la-Chapelle. Il semble que, pour obtenir la reconnaissance de son titre d’empereur, Charlemagne ait abandonné Venise, car au printemps de 811 a lieu l’élection du doge Angelus Partecipatus, favorable à Byzance , mais quand l’ambassade byzantine, accompagnée d’envoyés francs, revient à Constantinople, elle trouve Michel Ier sur le trône .

La politique de résistance aux Arabes n’aboutit qu’à de nouveaux revers. Après avoir refusé le tribut consenti sous Irène par une lettre injurieuse qui, si elle est authentique, est une pure rodomontade , Nicéphore ne put éviter les représailles du calife Haroun-al-Raschid, qui organisa, sans rencontrer de résistance, de fréquentes et fructueuses incursions en Asie Mineure. Son établissement à Tyane (806) située sur la route de Césarée, et où il bâtit une mosquée, constitua une nouvelle base d’invasion . Deux fois Nicéphore dut se soumettre au tribut (803 et 806)  ; deux fois il viola ses promesses et attira sur l’Asie Mineure de nouveaux ravages .

Enfin l’offensive qu’il prit contre les Bulgares, après le traité désastreux signé avec le calife en 806, et sans qu’on puisse en discerner les motifs, eut des résultats encore plus funestes. Alors que la paix régnait de ce côté depuis 797, Nicéphore choisit, pour l’attaquer, le moment où l’État bulgare double sa puissance par l’union, sous un chef ambitieux et entreprenant, Kroumn , des Bulgares de Pannonie, qui avaient aidé Charlemagne en 796 à détruire le Ring des Avars, et des Bulgares de Mésic chez lesquels prédominait une aristocratie slave. Une première tentative d’expédition en 807 fut arrêtée par un complot qui éclata à Andrinople  ; en 809 Kroumn attaqua l’Empire à son tour, s’empara d’une caisse militaire et atteignit Sofia que Nicéphore ne put délivrer par suite d’une révolte des chefs de son armée . Enfin en 811 l’empereur fit d’immenses préparatifs, augmenta les impôts pour avoir des ressources et envahit la Bulgarie à la tête d’une armée composée des thèmes d’Europe et d’Asie. Kroumn, effrayé, demanda à traiter et n’obtint qu’un refus. Traversant la Mésie, Nicéphore atteignit la résidence du Khan bulgare, incendia son palais, pilla ses richesses, mais, s’étant engagé avec son armée dans une plaine marécageuse, se laissa encercler par les Bulgares qui interceptèrent toutes les issues en y entassant des abattis d’arbres surplombant un fossé profond. Cernée ainsi, l’armée impériale offrit une proie facile à l’ennemi qui en massacra la plus grande partie : Nicéphore fut tué dans la mêlée et son fils Staurakios, blessé, s’enfuit à Constantinople .

C’était à lui que revenait de droit la succession de Nicéphore qui, désireux de fonder une dynastie, l’avait associé à la couronne (décembre 803)  et marié à une parente d’Irène l’Athénienne, Théophano . Mais Staurakios était regardé comme un incapable : de plus, grièvement blessé, il se sentait près de sa fin et il cherchait à assurer le pouvoir à son épouse, au détriment de son beau-frère, Michel Rhangabé, marié à Procopia, fille de Nicéphore; mais les sénateurs le mirent devant le fait accompli en proclamant Michel, et Staurakios abdiqua sans résistance (2 octobre 811) .

Avec Michel Rhangabé, issu d’une famille de hauts dignitaires , c’était le parti réformiste qui arrivait au pouvoir. Non seulement il rappela les Studites exilés, mais il les réconcilia avec le patriarche Nicéphore, ce qui valut au prêtre Joseph une nouvelle excommunication , et il les appela à siéger dans ses conseils en même temps que des évêques. Pendant son règne éphémère de 22 mois (2 octobre 811 - 10 juillet 813) il bouleversa entièrement la politique de son prédécesseur et commença par gaspiller en largesses de toutes sortes le trésor qu’il avait amassé . Conformément aux doctrines des réformistes, il renoua des rapports avec l’Occident, fit le meilleur accueil aux ambassadeurs que Charlemagne avait envoyés à Nicéphore, dépêcha lui-même une ambassade à Aix-la-Chapelle afin de demander la main d’une princesse franque pour son fils aîné Théophylacte, associé au trône , en accordant au roi franc le titre envié de basileus, ce qui équivalait à légitimer l’existence d’un Empire d’Occident et à rétablir l’unité politique du monde chrétien . En revanche Charlemagne laissait à Byzance Venise et les villes de la côte dalmate, mais moyennant le paiement d’un fort tribut (812) . En même temps le patriarche se mettait en rapport avec Léon III et lui faisait parvenir la synodique dont le précédent empereur avait interdit l’envoi . Le rêve des Studites d’établir l’autorité universelle de la morale chrétienne semblait près d’être réalisé.

Cependant les iconoclastes n’avaient pas désarmé. Ils en étaient encore à comploter pour mettre sur le trône les fils infortunés de Constantin V, qu’il fallut changer de résidence , ou cherchaient à ameuter la foule par des manifestations accompagnées de prétendus miracles au tombeau de leur souverain favori . Les immigrés orientaux de Thrace et de Macédoine, sectateurs d’hérésies anciennes, Pauliciens, Athingans, Manichéens, qui n’avaient pas été inquiétés jusque-là dans leurs croyances, furent l’objet de mesures draconiennes demandées par le patriarche Nicéphore, alors que les Studites avaient conseillé l’emploi de la douceur pour les convertir . La paix religieuse était donc loin d’être complète lorsque Michel Rhangabé dut faire face à la menace bulgare.

Au lieu de marcher sur Constantinople après sa victoire sur Nicéphore, Kroumn attaqua les ports de la mer Noire, s’empara de Develt au fond du golfe de Bourgas, ruina la ville et en transporta ailleurs les habitants. Lorsque Michel voulut marcher contre les Bulgares, l’indiscipline se mit parmi ses troupes, et l’ennemi en profita pour envahir la Thrace. Pris de panique, les habitants des villes désertaient leurs demeures et les immigrés orientaux cherchaient à retourner dans leur patrie (juin-août 812) . Ne pouvant combattre, Michel accepta les propositions de paix du Khan, mais celui-ci exigeait la livraison réciproque des transfuges qui se trouvaient dans les deux armées. Bien que ce fût là une pratique courante, un véritable conseil de conscience assemblé par le basileus rejeta les propositions de Kroumn sous l’influence des Studites et contre l’avis du patriarche et des métropolites, étendant pour la première fois l’observation de la morale chrétienne aux relations internationales . Kroumn se vengea en s’emparant de Mesembria, grâce à la science d’un ingénieur transfuge . Un nouveau conseil de conscience (novembre) s’en tint aux conclusions précédentes et Michel passa l’hiver à constituer une grande armée, composée des thèmes d’Asie et d’Europe, avec laquelle il partit en campagne (mai 813), ayant fort à faire pour lutter contre l’indiscipline de ses troupes. La bataille qui se livra près d’Andrinople (22 juin) fut pour l’armée impériale une déroute encore plus honteuse que celle de 811. Trahi par les stratèges des thèmes d’Asie, Michel Rhangabé s’enfuit éperdument vers Constantinople pendant que son armée proclamait empereur le stratège d’Anatolie, Léon l’Arménien, qui entra sans résistance dans la ville (10 juillet), où il fut reçu par le Sénat . Michel, après avoir abdiqué, se laissa interner dans l’île de Plati où il se fit moine .

 

 

4.  La seconde période iconoclaste  (813-842)

Avec Léon l’Arménien ce furent les armées des thèmes d’Asie, attachées aux doctrines iconoclastes, qui arrivèrent au pouvoir. Le nouvel empereur était un soldat de fortune : appartenant à une famille d’origine mésopotamienne réfugiée en Asie Mineure, simple doryphore de la garde de Bardanios Tourkos, qu’il trahit pendant sa révolte contre Nicéphore, créé en récompense stratège des Arméniaques, puis disgracié en 811 pour avoir laissé prendre sa caisse militaire par les Arabes, rappelé d’exil par Michel Rhangabé qui le nomma stratège d’Anatolie, il aurait été responsable du désastre d’Andrinople en se retirant du champ de bataille au moment où les Bulgares commençaient à fuir .

Le règne de Léon V (813-820) marque le début d’une période pendant laquelle l’ordre fut rétabli dans l’Empire, non sans difficulté, par la répression des dernières révoltes militaires ; et, au prix de gros sacrifices, comme l’abandon de l’Occident, les dangers qui menaçaient Constantinople furent écartés.

La première tache de Léon fut de mettre en état de défense les remparts de Constantinople contre lesquels l’élan des Bulgares victorieux vint se briser. Kroumn essaya en vain de terrifier la population en faisant des sacrifices humains sous les murs de la ville ; il finit par se retirer en ravageant la riche banlieue de Constantinople et en emmenant un troupeau de captifs . Il préparait une nouvelle attaque quand il mourut subitement (14 avril 814)  et les difficultés que rencontra son fils, Omortag, pour lui succéder le portèrent à conclure avec Léon une trêve de trente ans . Constantinople ne devait plus subir d’attaque bulgare avant 894.

Ce succès donna à l’empereur assez de prestige pour lui permettre de prohiber de nouveau le culte des images. Dès son avènement il avait fait couronner son fils en lui donnant le nom significatif de Constantin  et répandait l’opinion que les malheurs de l’Empire étaient dus au retour à la vénération des images , mais il n’osa heurter l’opinion populaire en brusquant les choses. Ce fut seulement en octobre 814 qu’après avoir fait réunir les actes du concile iconoclaste de 754  il mit le patriarche Nicéphore en demeure d’interdire le culte qui scandalisait le peuple ou de prouver sa légitimité  (560). Après des simulacres de discussions pendant lesquelles des soldats détruisirent le crucifix qu’Irène avait fait replacer sur la porte de Chalcé , le patriarche fut jeté dans une barque, emmené à Chrysopolis et remplacé par le laïc Théodote . Un concile tenu à Sainte-Sophie en avril 815 confirma le synode iconoclaste de 754, réprouva celui de Nicée et interdit le culte des images, mais avec plus de modération que le concile de Constantin V .

Ce mouvement iconoclaste fut d’ailleurs moins violent que celui du viiie siècle et la résistance fut plus efficace parce qu’elle trouva son point d’appui chez les Studites, qui bravèrent ouvertement la volonté impériale . Théodore le Studite fut exilé en Bithynie et mis au secret dans une forteresse . Loin de proscrire les moines, Léon parvint à en gagner quelques-uns à ses idées, mais, de sa prison (il avait été transporté à Smyrne en 819), Théodore encourageait les résistances et écrivait au pape et aux trois patriarches d’Orient . Un grand nombre d’opposants, évêques et moines, — dont le chroniqueur Théophane et Michel, syncelle de Jérusalem, envoyé à Léon l’Arménien par le patriarche Thomas, — furent emprisonnés et maltraités .

En faisant couronner son fils basileus, Léon songeait bien à fonder une dynastie, mais les compagnons d’armes qui l’avaient aidé à saisir le pouvoir, Michelle Bègue, Thomas le Slavonien, étaient travaillés d’ambitions secrètes et, dans leur conduite comme dans leur langage, ne témoignaient aucun égard à l’ancien camarade parvenu au trône. Une nouvelle révolte militaire était toujours menaçante. Michel, convaincu d’avoir fomenté un complot pour renverser Léon l’Arménien, fut condamné à mort, mais, son supplice ayant été différé à cause de la fête de Noël, ses amis envahirent le grand Palais et assassinèrent le basileus, en train de chanter matines avec les clercs de sa chapelle .

Michel, encore chargé de chaînes, fut porté sur le trône et acclamé empereur, puis couronné par le patriarche sans aucune opposition . Originaire d’Amorium en Phrygie, il avait fait toute sa carrière dans l’armée. Dénué d’instruction, rude d’abord, il avait les manières d’un soudard. Sa famille professait les doctrines d’une secte hérétique qui avait conservé des pratiques juives . Il était prudent, retors, superstitieux et avait foi dans son étoile . Son règne assez court (820-829) n’en eut pas moins une extrême importance. Il mit fin à l’ère des révoltes et fonda une dynastie qui releva la situation de l’Empire. A peine sur le trône, il fit couronner empereur son fils Théophile, qui épousa le même jour la jeune fille choisie à la suite d’un concours de beauté  et publia un décret interdisant toute discussion sur le culte des images  ; mais, avant que son pouvoir fût assuré, il eut à surmonter une terrible révolte, qui dura deux ans et dépassa par son ampleur la portée d’un simple mouvement militaire.

Thomas le Slavonien, dont l’origine et les aventures sont assez obscures , avait été comme Léon l’Arménien et Michel le Bègue au service de Bardanios Tourkos . Réfugié chez les Arabes pour éviter le châtiment que lui avait valu son inconduite, il prétendit arriver lui aussi au trône en supplantant ses anciens compagnons d’armes . Soutenu par le calife Al’Mamoun, il leva une armée hétérogène composée d’Arabes, d’Arméniens, d’Iraniens, d’Ibères, de Slaves établis en Asie Mineure, se déclara le défenseur du culte des images, se donna même comme étant le malheureux Constantin VI, fils d’Irène, parvint à gagner à sa cause tous les thèmes d’Asie, sauf ceux des Arméniaques et de l’Opsikion, et souleva les populations d’Anatolie accablées d’impôts : il eut pour lui tous les mécontents .

La révolte éclata aussitôt après l’avènement de Michel. La défection des thèmes maritimes donna à Thomas une flotte qui parvint à pénétrer dans la Corne d’Or, tandis que lui-même passait l’Hellespont, soulevait les villes de Thrace et assiégeait Constantinople à deux reprises (décembre 821, printemps de 822). Mais l’intervention des Bulgares le força à battre en retraite jusqu’à Arcadiopolis, où il fut assiégé, livré à Michel par les habitants et exécuté (printemps de 823) . Les plus riches provinces de l’Empire avaient été ruinées et les Arabes d’Occident avaient profité de cette guerre civile pour s’installer en Crète et en Sicile et intercepter les routes de la Méditerranée.

La défaite de Thomas, qui s’était donné comme le défenseur des images, eût pu provoquer une nouvelle guerre religieuse, mais dans ces matières la politique de Michel le Bègue fut très circonspecte. Au début de la révolte, il avait rappelé à Constantinople Théodore le Studite et les iconodules exilés en Anatolie  et, loin de les inquiéter, il chercha un terrain de conciliation entre les deux doctrines . Mais Théodore le Studite refusa d’avoir une conférence avec le patriarche Antoine et déclara en appeler au pape . Michel finit par entrer dans ses vues, pensant qu’une décision du pape ferait cesser l’opposition des iconodules. De là ses lettres à Louis le Débonnaire et à Pascal Ier, dans lesquelles il montrait les abus auxquels donnait lieu le culte des images et invoquait à la fois l’arbitrage de l’Église franque et celui du pape . Un concile tenu à Paris en 825 lui donna satisfaction, mais se heurta à l’opposition de Rome  ; Michel mourut avant que la question fût tranchée, premier basileus mort dans son lit depuis Léon IV (1er octobre 829).

Cette particularité et la facilité avec laquelle Théophile, déjà couronné, recueillit la succession de son père montrent le changement qui s’était opéré dans les esprits depuis la défaite de Thomas. La personne du souverain est redevenue inviolable et l’un des premiers actes de Théophile, illogique sans, doute, mais qui devait avoir une grande porté; fut de faire mettre à mort les meurtriers de Léon l’Arménien pour avoir porté la main sur l’oint du Seigneur, χριστον Κυρίου . Le châtiment du régicide fortifiait la doctrine de la légitimité du pouvoir impérial.

Très différent de son père, Théophile avait reçu une éducation raffinée et avait eu pour maître Jean le Grammairien (Hylilas), dont il fit un patriarche en 832  et qui lui avait donné le goût de la théologie et un attachement très grand aux dogmes iconoclastes. Les chroniqueurs qui écrivaient au temps de la dynastie macédonienne l’ont sans doute calomnié en le représentant comme un caractère fantasque et en lui prêtant les outrances d’un maniaque . Il a laissé le souvenir d’un justicier impitoyable, voulant connaître les affaires par lui-même, permettant à toutes les victimes d’une injustice de s’adresser directement à lui, lorsque chaque semaine il se rendait à cheval aux Blachernes, et les punitions sommaires qu’il infligeait aux délinquants atteignaient les plus haut placés . Sa réputation de justicier était encore vivante à l’époque où le roman de Timarion l’adjoignait aux Juges des Enfers .

Le règne de Théophile fut en réalité très brillant et peut être regardé comme le début de la renaissance de l’Empire. Homme de guerre, commandant lui-même ses armées, excellent financier (il laissa à sa mort une somme de 970 Kentenaria dans son trésor) , et, ce qu’on n’avait pas vu depuis longtemps, grand bâtisseur, doué de goûts artistiques et intellectuels, il embellit le Grand Palais de constructions luxueuses qui constituèrent une nouvelle résidence, digne de rivaliser par la profusion des marbres précieux, des mosaïques, des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie avec le palais des califes de Bagdad, que son architecte, Patrikios, avait pris pour modèle . Autre nouveauté, ce fut Théophile qui releva les écoles publiques et confia l’enseignement destiné à former des administrateurs et des évêques à Léon le Mathématicien, regardé comme le plus illustre savant de son époque ; il l’installa au palais de la Magnaure et sut le disputer au calife qui cherchait à l’attirer à Bagdad .

Malheureusement le même homme, si libéral pour tout ce qui concernait les lettres et les arts, se montra d’une grande étroitesse dans le domaine religieux et, poussé, dit-on, par le patriarche Jean , entreprit de faire revivre le régime iconoclaste que son père avait rendu moins rigoureux.

Il semble qu’il ait cherché d’abord à gagner les partisans des images à sa doctrine par les conversations fréquentes qu’il aimait à avoir avec les moines. Le chef de la résistance, Théodore le Studite, était mort en 826  et le moment paraissait favorable. Un concile tenu aux Blachernes en 832 renouvela les décrets iconoclastes , mais, loin de céder, les iconophiles essayèrent au contraire de démontrer à l’empereur la légitimité du culte des images, comme l’atteste la lettre, véritable traité apologétique, adressée par les patriarches d’Orient à Théophile . Cette résistance finit par l’irriter. Comme autrefois Constantin V, il fit substituer aux peintures religieuses des églises des tableaux profanes et fit détruire ou brûler un grand nombre d’icônes, tandis qu’il remplissait les prisons d’évêques, de moines récalcitrants, de peintres d’icônes . L’impératrice Théodora elle-même, qui vénérait secrètement les images, ne fut pas à l’abri de cette persécution , dont les victimes les plus célèbres furent les deux moines de Jérusalem Théodore et Théophane, venus à Constantinople sous Léon l’Arménien avec Michel le Syncelle, surnommés les Grapti, parce qu’après une discussion dans laquelle Théophane convainquit l’empereur de se servir d’un texte adultéré des Écritures, Théophile eut la barbarie de leur faire graver au fer rouge des vers injurieux sur le front . En fait la persécution fut limitée à Constantinople et à ses environs et se montra tout à fait inefficace. Seule la volonté de l’empereur soutenait l’iconoclasme expirant.

Situation extérieure. — Au point de vue extérieur, cette période fut marquée par la résistance de l’Empire à un dernier assaut du califat, résistance facilitée par le maintien de la paix conclue avec les Bulgares en 825, mais achetée au prix de l’abandon de la plupart des possessions qui restaient à l’Empire en Occident . La première moitié du ixe siècle fut en effet désastreuse pour la chrétienté, assaillie par les pirateries des Scandinaves au nord, des Sarrasins dans la Méditerranée, des Narentans de l’archipel illyrien dans l’Adriatique. Non seulement la navigation et le commerce maritime furent interrompus, mais les pirates fondèrent des établissements permanents sur tous les rivages .

Les troubles incessants du califat ommiade de Cordoue , l’anarchie qui régna dans le Maghreb à la suite de la diffusion de l’hérésie des Kharedjites expliquent l’essor de la piraterie, due à l’expulsion ou à l’émigration volontaire des mécontents, Arabes d’Espagne ou Berbères confondus sous le nom de Sarrasins. En quelques années ils parvinrent à se rendre maîtres de la Méditerranée et les possessions byzantines mal défendues furent victimes de leurs déprédations.

En 816 des Arabes d’Andalousie, révoltés contre le calife Al Hakam, ayant été vaincus, s’embarquèrent avec leurs familles et, en écumant les côtes sur leur passage, parvinrent en Égypte, où, à la faveur de troubles, ils s’emparèrent d’Alexandrie par surprise, mais ne purent s’y maintenir. Chassés d’Égypte à la suite d’une expédition envoyée de Bagdad (827), ils abordèrent en Crète et firent la conquête de l’île sans rencontrer de résistance . On était au lendemain de la guerre civile fomentée par Thomas le Slavonien et les tentatives que fit Michel le Bègue pour reconquérir la Crète échouèrent, faute de forces suffisantes . Pendant 133 ans (828-961) cette île allait être un repaire inaccessible de pirates dont les expéditions périodiques désolèrent les côtes de la Méditerranée orientale .

Dans cette même année 827 les Arabes d’Afrique commençaient la conquête de la Sicile, où le commandant de la flotte impériale, Euphemios, se révolta et demanda secours à l’émir Aglabite d’Afrique devenu indépendant du calife abbasside . Les Arabes saisirent cette occasion pour attaquer la Sicile, mais échouèrent devant Syracuse qu’ils assiégèrent longuement (828) . Puis en 830 l’île fut envahie à la fois par deux armées venues, l’une d’Espagne et l’autre d’Afrique. L’événement important de cette campagne fut la prise de Palerme par les Africains (septembre 831). Les Arabes eurent ainsi en Sicile un établissement permanent qui fut le noyau de leur colonisation . Théophile ne réagit qu’en 835, mais la flotte qu’il envoya contre Syracuse fut détruite  et les Arabes commencèrent la conquête de l’intérieur. En 841 ils possédaient presque entièrement la partie occidentale de l’île .

La Sicile était déjà devenue comme la Crète un centre important de corsaires, qui commencèrent à ravager les côtes d’Italie en s’alliant parfois avec les princes lombards en discorde et en prenant pied définitivement sur les rives de la mer Ionienne et de l’Adriatique, en 838 à Brindisi, en 839-840 à Tarente, en 841 à Bari . La même année ils allaient couler des navires vénitiens au fond de l’Adriatique en représailles des secours prêtés par Venise à Théophile  pour essayer de reprendre Tarente, débarquaient à l’embouchure du Pô, incendiaient une ville dalmate et pillaient Ancône .

A la même époque la domination byzantine disparut en Dalmatie et en Illyrie . Par le traité d’Aix-la-Chapelle (812) ces régions avaient été partagées entre l’Empire franc et Byzance, qui avait reçu pour sa part Venise, les cités et les îles de la côte dalmate . Les Francs ne purent conserver la Croatie qui se révolta (810-823) et passa sous l’influence bulgare. Byzance, privée de ses forces navales, fut tout aussi impuissante à régir les tribus slaves de l’Adriatique constituées en États indépendants, comme la république de corsaires des Narentans qui occupèrent l’archipel dalmate . La conversion des Croates au christianisme par des missionnaires francs envoyés par le patriarche d’Aquilée (805-811)  fut aussi un grave échec pour le prestige byzantin. Enfin c’est le moment où la Vénétie, regardée jusque-là comme partie intégrante de l’Empire d’Orient, commence à affirmer son indépendance. Non seulement Venise soutient avec ses seules forces la guerre contre les pirates slaves et sarrasins de l’Adriatique, mais en 840 elle signe un traité d’alliance avec l’empereur franc Lothaire Ier qui lui garantit toutes ses possessions . C’était là un premier relâchement dans les liens qui rattachaient la République de Saint-Marc à Byzance, dont toutes les possessions occidentales s’étaient détachées successivement en moins d’un demi-siècle.

Dans l’impossibilité où il se trouvait de disposer de forces suffisantes pour mettre un terme à l’expansion de plus en plus audacieuse de la piraterie, Théophile eut recours au moyen, classique dans les traditions byzantines, de la diplomatie. Par deux fois il envoya des ambassadeurs aux empereurs francs, en 839 à Louis le Débonnaire à Ingelheim , en 842 à Lothaire qui reçut ses envoyés à Trêves , pour leur demander de chasser les Arabes de Sicile et d’Italie; il reçut de bonnes paroles, mais, s’il avait été mieux renseigné sur la situation intérieure de l’Empire carolingien, il se fût sans doute abstenu de ces démarches. L’ambassade envoyée à Cordoue (839-840), au moment le plus critique de la guerre avec le califat de Bagdad, eut un caractère encore plus chimérique. Théophile engageait Abd-er-Rahman II à revendiquer les pays d’Orient dont les Abbassides avaient dépouillé ses ancêtres et à chasser de Crète les Sarrasins d’Espagne. Le calife répondit par un refus catégorique. Cet échange fastueux d’ambassades eut des résultats intéressants, mais dans le seul domaine intellectuel .

Cependant, trop affaibli pour défendre ses possessions d’Occident, l’Empire a pu faire face au dernier grand effort militaire que le califat abbasside ait dirigé contre Constantinople. Le calife Al-Mamoun, qui avait soutenu la révolte de Thomas, entendait bien profiter des embarras de l’Empire pour entreprendre une offensive décisive ; aussi refusat-il toute proposition de paix, aussi bien celle que lui fit Michel II en 825 , que les avances de Théophile, qui, sous prétexte de lui notifier son avènement, envoya à Bagdad une brillante ambassade dirigée par son précepteur Jean le Grammairien .

Loin de répondre à ces intentions pacifiques, Al-Mamoun organisa des incursions périodiques dans les thèmes d’Asie Mineure, mal remis encore de la situation troublée qu’avait laissée la révolte de Thomas  ; il dirigea lui-même les plus importantes, auxquelles répondaient les contre-attaques de Théophile, qui, après avoir traversé le Taurus en 831, ramena du territoire de Tarse du butin et des prisonniers, et célébra un éclatant triomphe à son retour . La guerre ne fut qu’une série de coups de main, jusqu’à la mort d’Al-Mamoun en 833 . Il y eut ensuite une période de paix (833-837), pendant laquelle Théophile donna asile aux réfugiés perses de la secte communiste des Khourranites, dont la révolte avait été écrasée par le nouveau calife Moutassim, et en forma une légion perse, sous les ordres d’un certain Théophobe, regardé comme le descendant des anciens rois .

La guerre recommença en 837 sur un théâtre plus vaste. Théophile pénétra en Haute Mésopotamie, qui n’avait pas vu d’armée impériale depuis longtemps, et s’empara des forteresses de Zapetra et Mélitène, mais n’exploita pas son succès et revint célébrer un nouveau triomphe à Constantinople . En revanche en 838 Moutassim mit sur pied deux armées dont l’une envahit au nord le thème des Arméniaques, tandis que la seconde, commandée par lui-même, partait de Tarse et marchait sur Amorium, d’où la dynastie était originaire. En essayant de s’opposer à l’invasion du thème arméniaque, Théophile subit une grosse défaite au-delà de l’Halys et battit en retraite vers Constantinople. Après avoir fait leur jonction à Ancyre, les deux armées arabes allèrent assiéger Amorium qui fut prise par trahison au bout de 12 jours (12 août 838) . Le calife vainqueur repoussa les demandes de paix de Théophile et il songeait même à marcher sur Constantinople quand il fut rappelé en Syrie par une révolte . De fait, peu après la mort de Théophile, une flotte arabe cinglait vers la Ville impériale, lorsqu’elle fut détruite par une tempête au cap Chélidonia du thème des Cibyrrhéotes .

Ces guerres continuelles ne produisirent au point de vue territorial que des résultats insignifiants et n’aboutirent qu’à affaiblir les belligérants, mais en dépit de victoires plus retentissantes que fructueuses, les véritables vaincus de la lutte étaient les Arabes qui avaient refusé les propositions d’accord réitérées de Théophile  et n’avaient pu entamer le territoire impérial .

D’autre part, Théophile avait relevé le prestige de l’Empire en pénétrant en Mésopotamie, bien qu’il s’y fût heurté à l’hostilité des Arméniens , et surtout dans la région du Caucase et de la mer Noire , en renouvelant l’alliance de l’Empire avec les Khazars, qui avaient les mêmes ennemis que Byzance : le califat arabe, les peuples touraniens des steppes et les Russes, dont Théophile avait reçu une ambassade et qui commençaient à pousser leurs entreprises vers le sud . En 833, la demande du Khagan, Théophile envoya en Khazarie le spatharokandidat Petronas, avec des ingénieurs et des ouvriers, pour bâtir la forteresse de Sarkel à l’embouchure du Don, défense avancée contre les peuples du Nord et qui protégeait aussi Kherson, dont Théophile fit la capitale d’un thème, sur le rapport de Petronas, qui en fut nommé stratège .

 

 

5.  Le raffermissement de l’Empire  (842-886)

L’œuvre de restauration due à Théophile se poursuivit sous ses deux premiers successeurs, l’un, dernier représentant de la famille amorienne, Michel III, l’autre, Basile, fondateur de la dynastie macédonienne. En dépit d’une agitation intérieure et d’événements tragiques qui eurent surtout pour théâtre Constantinople et le palais impérial, la période correspondant à ces deux règnes doit son unité au raffermissement de la puissance impériale, qui lui permit de reprendre quelques-unes des positions perdues et de préparer l’avenir en redevenant la principale puissance militaire de la chrétienté, le centre le plus brillant de la civilisation chrétienne.

A sa mort, le 20 janvier 842 , Théophile laissait cinq filles, dont une mariée à Alexis Mousel , et un fils, Michel, âgé de six ans , qu’il désigna pour son successeur en confiant sa garde à l’impératrice Théodora, chargée du gouvernement de l’Empire avec l’assistance d’un conseil, dont le membre le plus influent était le logothète du drome Théoctistos .

Le premier acte du nouveau gouvernement devait être logiquement le rétablissement de l’Orthodoxie, Théodora et ses conseillers étant profondément attachés au culte des icônes ; mais ce fut seulement au bout d’un an que l’impératrice, soucieuse de ménager la mémoire de Théophile et d’obtenir son absolution des évêques orthodoxes, convoqua un concile à cet effet . Le patriarche Jean refusa d’y assister, fut déposé et remplacé par le moine Méthodius, dont Théophile, qui goûtait fort sa conversation, avait toléré l’iconophilie (4 mars 843) . Après l’absolution formelle de Théophile et la tenue du concile qui remit en vigueur les canons de Nicée , le premier dimanche du Carême (11 mars 843), la restauration de l’Orthodoxie fut solennellement proclamée à Sainte-Sophie par la lecture de l’édit synodal (synodikon) qui condamnait non seulement les iconoclastes mais tous les hérétiques qui les avaient précédés  ; puis un banquet, auquel prirent part ceux qui avaient souffert pour la cause des images, fut célébré au palais impérial . L’année suivante il fut décidé qu’on relirait le synodikon tous les ans, à l’anniversaire de la restitution de l’Orthodoxie .

Le pouvoir de Théodora et de Théoktistos dura 14 ans (842-856). Celui-ci, qui devait sa prépondérance au rôle important qu’il avait joué lors de l’avènement de Michel II , fut bientôt en butte à l’hostilité des parents de l’impératrice qui étaient entrés au Conseil de régence et en particulier de son frère, l’ambitieux Bardas . Le jeune empereur, dont les instincts pervers inquiétaient sa mère et qui avait été marié en 855, à la suite d’un concours de beauté, à une femme insignifiante , entra dans les vues de Bardas et fut à la tête du complot qui renversa Théoktistos, arrêté traîtreusement au palais et tué dans sa prison (début de 856) . Théodora abandonna volontairement le pouvoir et, au bout de deux ans, fut reléguée dans un monastère avec ses filles .

Libre ainsi de toute contrainte, Michel III s’adonna tout entier à ses plaisirs et à ses turpitudes : il se peut que les chroniqueurs de la dynastie macédonienne aient pris plaisir à noircir sa figure, afin de justifier le meurtre qui donna le pouvoir à Basile , mais les hontes de la conduite de Michel et ses gaspillages insensés du trésor public n’en furent pas moins réels  : ce qui est certain, c’est que, s’il prit part à des expéditions, il abandonna complètement le gouvernement de l’Empire à Bardas qui, après s’être élevé graduellement dans la hiérarchie, fut créé César le 26 avril 862, ce qui faisait de lui l’héritier de son neveu .

Maître du pouvoir, Bardas se consacra au gouvernement de l’Empire . De mœurs assez légères et dénué de scrupules, il se montra un véritable homme d’État et ses ennemis eux-mêmes, tel Nicétas David, ont rendu justice à ses qualités . Nous verrons comment il a relevé le prestige de l’Empire à l’extérieur. Continuateur de la politique de Théophile, il acheva la restauration des murs maritimes de Constantinople  et donna tous ses soins à l’administration de la justice , mais son œuvre la plus importante fut la réorganisation de l’Université impériale commencée par Théophile : en 863 il l’installa au palais de la Magnaure sous la direction de Léon le Mathématicien, devenu archevêque de Thessalonique, avec des maîtres de grammaire, de géométrie, d’astronomie . Il était d’ailleurs lié d’amitié avec l’asecretis Photius, véritable encyclopédie vivante, qui connaissait à fond l’antiquité classique , mais ce fut justement cette amitié qui lui suscita la principale difficulté de son gouvernement.

Nouvelle agitation religieuse. — Le rétablissement des icônes ne procura pas la paix à l’Église. Sans doute l’orthodoxie ne fut plus remise en question : les iconoclastes se rallièrent ou se cachèrent , mais des dissentiments profonds divisaient les orthodoxes ; vers 842 comme en 787 on retrouvait les deux partis opposés : d’un côté les réformistes, les rigoristes dont les Studites étaient les champions, de l’autre les modérés, les moines de l’Olympe, le haut clergé respectueux des droits de l’État. La lutte acharnée de ces partis troubla l’Église byzantine pendant 70 ans (842-912) et on les retrouve avec toute leur ardeur dans le conflit entre Méthodius et les Studites, dans le schisme entre Ignace et Photius, dans l’affaire de la tétragamie. Il n’existait pas entre eux de divergence dogmatique, mais une manière différente de concevoir les rapports entre l’Église et l’État .

Ancien moine de l’Olympe , le patriarche Méthodius avait montré son désir de conciliation en faisant transférer les reliques de saint Théodore au monastère de Stoudios , mais les moines, déjà mortifiés d’avoir vu leur candidat écarté du patriarcat , se mirent à critiquer les promotions à l’épiscopat faites par Méthodius, qui choisissait de préférence les victimes des persécutions iconoclastes sans avoir égard à leur instruction et à leur expérience . A ces reproches Méthodius répondit par une contre-attaque déplorable, il voulut obliger les moines à désavouer les écrits de Théodore contre Tarasius et Nicéphore . Ceux-ci n’en firent rien et furent frappés d’anathème , mais dans son testament il recommanda de les réadmettre à la communion .

Les troubles qui éclatèrent pendant le patriarcat d’Ignace eurent des conséquences autrement graves. Second fils de Michel Rhangabé, tonsuré à l’âge de 14 ans (813), il avait passé sa vie dans un monastère sans recevoir l’instruction profane, dont il avait horreur. Par la ridigité de ses principes il se rapprochait des Studites, mais il n’avait jamais manifesté d’opposition à Méthodius, et ce fut peut-être pour cette raison qu’il fut choisi pour lui succéder en 847 par la volonté de Théodora, comme pouvant réconcilier les deux partis ecclésiastiques . Mais une fois patriarche, Ignace accumula les maladresses , condamnant et déposant des évêques qui avaient désapprouvé son élection, en particulier Grégoire Asvestas, archevêque de Syracuse, réfugié à Constantinople, qui en appela au pape . Après le meurtre de Théoktistos et la retraite de Théodora, Ignace, sans la moindre enquête, refusa la communion à Bardas, accusé par l’opinion de relations incestueuses avec sa bru, le jour de l’Épiphanie 858 . Quelques mois après il refusait, d’ailleurs avec courage, de tonsurer Théodora, et Bardas l’exilait dans l’île de Térébinthe (23 novembre 858) .

Bien décidé à remplacer Ignace au patriarcat, Bardas finit par obtenir de lui un acte d’abdication volontaire, mais avec la réserve que son successeur ne serait pas un évêque excommunié, allusion claire à Grégoire Asvestas . Or, si celui-ci ne fut pas élu patriarche, ce fut du moins l’un de ses amis, le protoasecretis Photius (25 décembre 858), simple laïc, qui s’engagea vis-à-vis du synode à respecter Ignace comme un père, mais se fit sacrer par Grégoire Asvestas . Ce fut le signal du schisme qui devait désoler si longtemps l’Église grecque. D’un côté, les évêques du parti d’Ignace, réunis à Sainte-Irène, déclarèrent nulle l’élection de Photius  ; de l’autre, dans un synode de 170 évêques, tenu par Photius aux Saints-Apôtres (mars 859), la déposition d’Ignace fut prononcée  et suivie de celle de deux évêques ignatiens .

Il restait à Photius à faire reconnaître ses pouvoirs par l’Église universelle. Il envoya donc sa synodique aux patriarches d’Orient  et elle fut portée à Rome par une ambassade chargée de remettre au pape Nicolas Ier des lettres de l’empereur et du patriarche . Contrairement à ce qu’on attendait à Constantinople, le pape blâma la déposition d’Ignace faite sans sa participation, se réserva le jugement en dernier ressort, protesta contre la nomination d’un laïc à l’épiscopat et envoya des légats, chargés en outre de réclamer la restitution au Saint-Siège de la juridiction sur l’Illyricum .

Ces instructions, apportées à Constantinople par les évêques d’Anagni et de Porto, consternèrent et irritèrent Photius et ses partisans, mais, soit par intimidation, soit par d’autres moyens, on décida ces légats à accepter toutes les conclusions du second concile qui se tint aux Saints-Apôtres en avril 861 : comparution d’Ignace forcé de reconnaître qu’il est devenu patriarche sans élection, ψηφίστως, sa déposition, sa dégradation injurieuse et, pour calmer le pape, la défense d’élever à l’avenir des laïcs à l’épiscopat .

L’affaire, qui n’était jusque-là qu’une crise intérieure de l’Église grecque, prit alors l’allure d’un conflit entre Rome et Constantinople. Non seulement Nicolas Ier désavoua entièrement à leur retour les deux légats coupables de n’avoir pas tenu compte de leurs instructions , mais il accueillit un appel rédigé au nom d’Ignace  et tint au Latran un concile qui déposa Photius et rétablit Ignace et les évêques déposés dans leurs fonctions (avril 863) .

C’était le signal de la guerre, qui eut d’abord l’aspect d’un échange de lettres acrimonieuses entre Michel III, Nicolas Ier et Photius , avec des tentatives de rapprochement, toujours repoussées , et qui se compliqua d’une lutte d’influence entre les deux sièges chez les Bulgares nouvellement convertis au christianisme par des missionnaires byzantins  ; mais Boris, qui avait reçu le baptême en 864 et dont Michel III avait été le parrain, entendait avoir un archevêque muni des pouvoirs nécessaires pour le couronner . Ayant essuyé un refus de la part de Photius , il s’adressa au pape qui, sans lui donner satisfaction sur ce point, lui envoya deux évêques, chargés d’organiser l’Église bulgare, ainsi qu’un mémoire sur la discipline ecclésiastique en réponse à ses questions  (866-867), ce qui entraîna l’expulsion de tous les prêtres byzantins.

Mais Photius était décidé à la rupture et, par des négociations avec l’empereur Louis II, entreprenait de faire déposer Nicolas Ier  et, dans un concile présidé par Michel III, il l’excommunia, puis dans une Encyclique adressée aux patriarches d’Orient, il accusa avec amertume les prêtres latins « d’avoir déchiré cette vigne tendre » qu’était la jeune Église bulgare en lui communiquant leurs usages, réprouvés par les orthodoxes, comme le jeûne du samedi, le célibat des prêtres et surtout leur dogme impie de la double procession de l’Esprit-Saint. Il demandait aux patriarches d’envoyer des représentants pour réprimer ces écarts .

Le schisme était désormais complet, mais au moment où des courriers envoyés dans toutes les directions allaient répandre partout le texte de l’Encyclique, un coup de théâtre se produisit : le 24 septembre 867 Michel III était assassiné, Basile lui succédait sur le trône et commençait son règne en exilant Photius et en rétablissant Ignace au patriarcat .

Basile le Macédonien. — L’histoire de l’ascension et de l’avènement de Basile ressemble à un véritable roman d’aventures, même lorsqu’elle est dépouillée des traits légendaires, des prédictions, des prétentions généalogiques insérées dans sa biographie officielle . Né vers 827  de pauvres artisans des environs d’Andrinople, peut-être d’origine arménienne , il est successivement au service d’un stratège de Macédoine, puis d’un cousin de Michel III, Théophilytzès, qui en fit son écuyer et l’emmena dans le Péloponnèse où, étant tombé malade, il fut recueilli par une riche veuve, Danielis, qui l’enrichit . Doué d’une force herculéenne, il attire l’attention sur lui en terrassant un géant bulgare dans un festin donné par le fils de Bardas  et en domptant un cheval rétif appartenant à Michel III, qui l’enlève à Théophylitzès, lui donne une charge d’écuyer, se lie d’amitié avec lui et l’élève au rang de protostrator . Sa faveur croît de jour en jour et en 865 Michel lui confie un des postes les plus importants du palais, celui de parakimomène , contre le gré de Bardas qui voit dans cette promotion une menace pour l’avenir. Une guerre implacable commence alors entre eux et se termine le 21 avril 866 par le meurtre de Bardas au cours d’une expédition et à la suite d’un complot favorisé par l’empereur .

Avec Bardas s’écroulait un régime qui n’avait pas été sans gloire : l’autorité était entre les mains d’un fou et d’un aventurier qui n’avait pas eu honte de répudier sa femme légitime, pour épouser une maîtresse de l’empereur, Eudokia Ingerina, dont il dut reconnaître deux fils comme les siens . En récompense Michel adopta Basile comme son héritier et le fit couronner empereur le 26 mai 866  Cette élévation causa des jalousies et Basile dut réprimer un complot dirigé par le gendre de Bardas, Symbatios, qui avait participé à l’assassinat de son beau-père et réclamait le prix de sa trahison . Puis il arriva que Michel III, qui ne jurait que par son favori, se mit à le détester et essaya de le faire périr. Basile sentit le danger et le prévint en faisant lui-même tuer l’empereur à la suite d’une scène d’ivresse au palais de Saint-Mamas, le 23 septembre 867 .

Par ce meurtre, le fils de paysans macédoniens, qui avait passé la plus grande partie de sa carrière dans les écuries, se trouva seul maître du pouvoir suprême, sans qu’aucun vengeur de Michel III ait essayé de lui disputer la couronne  et, ce qui semble encore plus étonnant, fut de prime abord à la hauteur de la tâche écrasante qui allait lui incomber. Il s’agissait pour lui de reconstituer les ressources de l’État follement gaspillées par son prédécesseur , de rétablir l’ordre à l’intérieur, d’assurer la défense de l’Empire et de donner à son autorité un prestige suffisant qui lui permît de transmettre son pouvoir à son fils et de fonder une dynastie.

Pendant les 19 ans qu’il exerça le pouvoir (867-886), Basile s’acquitta à merveille de ces diverses tâches et fut l’un des meilleurs hommes d’État qui aient gouverné Byzance. L’étude des institutions montrera la place importante qu’il a tenue comme organisateur et réformateur dans les domaines financier, judiciaire, législatif. Préoccupé d’abolir la législation des empereurs iconoclastes, il travailla à la révision des anciennes lois en les adaptant aux nécessités de son temps et jeta ainsi les bases de la réforme législative qui fut achevée par son fils. Bon soldat, il commanda lui-même ses armées, à l’exemple de ses prédécesseurs, et l’on verra avec quel succès il a sauvegardé les frontières de l’Empire et préparé la reprise des territoires perdus. Les principales difficultés qu’il rencontra furent celles que lui suscitèrent ses affaires de famille et la question religieuse soulevée sous son prédécesseur.

A son avènement, Basile avait deux fils dont l’aîné, Constantin, auquel allaient toutes ses préférences, qu’il associa à l’Empire en 870, qu’il emmenait dans ses expéditions, était vraisemblablement né de sa première femme . Lorsqu’il mourut en 879, Basile fut inconsolable. Le cadet au contraire, Léon, était le fils d’Eudokia Ingerina et de Michel III, comme l’affirment toutes les chroniques à l’exception de la Vie de Basile . Celui-ci, obligé de le reconnaître comme son fils, semble avoir cherché à le priver de sa succession en associant à la couronne son troisième fils, Alexandre, né après son avènement . Pour sauver les apparences, il conféra le même honneur à Léon, mais ne lui témoigna jamais la moindre tendresse et le maria sans le consulter et contre son gré à une jeune fille de la noblesse sénatoriale, Théophano . Il se forma d’ailleurs à la cour une faction qui essaya d’écarter Léon du trône et que Photius passait pour inspirer. Une sorte de nécromant qui jouissait de la faveur de Basile , Théodore Santabaren, accusa Léon de vouloir tuer l’empereur, qui, sans la moindre enquête, l’emprisonna avec sa femme et voulut lui faire crever les yeux : il en fut empêché par Photius et son confident Stylianos, qui obtinrent sa libération , mais après la mort de Basile, le premier acte de Léon VI fut de retirer le corps de Michel III de Chrysopolis et de le faire ensevelir aux Saints-Apôtres , aveu éclatant du drame secret.

Dans l’héritage que Basile avait reçu de son prédécesseur se trouvait le double schisme qui scindait l’Église byzantine en deux partis irréconciliables et, d’autre part, la séparait de Rome. Basile, nous l’avons vu, régla la question en exilant Photius et en rétablissant Ignace au patriarcat . Celui-ci, s’empressa d’interdire la célébration du culte à Photius, à tous les clercs qu’il avait ordonnés ou qui avaient communié avec lui, ce qui était le plus sûr moyen de prolonger les divisions de l’Église byzantine . Basile cherchait au contraire la conciliation, mais ne voyait que l’autorité de Rome et d’un concile comme capables de l’imposer. Dès le 11 décembre 867 il envoya une ambassade au pape, en lui demandant son arbitrage, tandis qu’Ignace adjoignait deux évêques à l’ambassade pour défendre sa cause . Nicolas Ier était mort le 13 novembre 867 ; Hadrien II, qui lui succéda, s’engagea à suivre sa ligne de conduite , réunit un synode qui condamna Photius sans l’avoir entendu et envoya trois légats à Constantinople .

Dès l’ouverture du concile œcuménique, le 27 septembre 869, il se produisit un véritable malentendu entre l’empereur et le Saint-Siège. Les légats avaient pour instructions de faire entériner les décrets du concile romain et de n’admettre à la réconciliation que les évêques ordonnés avant 858, qui se rétracteraient en signant un libellus satisfactionis . Basile au contraire, choqué que le pape eût condamné Photius sans l’entendre, voulait recommencer toute la procédure contre lui, afin d’obtenir un jugement régulier qui mît fin à toute polémique. Les deux opinions s’affrontèrent dès les premières sessions, où le point de vue impérial fut défendu par le Patrice Baanès . Basile finit pas obtenir la comparution de Photius devant le concile, mais il ne répondit à aucune question et les légats protestèrent que, son cas étant jugé, il n’avait qu’à se soumettre ; comme il n’en fit rien, l’anathème fut prononcé contre lui dans la huitième session (5 octobre 869) . Quand le concile se sépara le 26 février 870 en proclamant l’union des deux Églises, il n’y en avait pas moins entre l’empereur et les trois légats un désaccord irréductible : Basile ne prit même aucune mesure pour faciliter leur voyage de retour qui dura neuf mois .

Particulièrement grave était le nouveau conflit entre les deux Églises au sujet de la Bulgarie. Mécontent de n’avoir pu obtenir des papes Nicolas et Hadrien II l’archevêque dont la création lui avait été promise, Boris avait envoyé une ambassade au concile pour obtenir satisfaction et savoir de quelle juridiction relèverait l’Église bulgare. Dans une réunion extra-conciliaire la lutte fut chaude entre Ignace et les légats, mais les délégués des patriarches orientaux pris comme arbitres se prononcèrent pour la juridiction de Constantinople . Après le départ des légats, Ignace sacra un archevêque et dix évêques qui allèrent prendre possession de l’Église bulgare , Jean VIII, successeur d’Hadrien II (décembre 872), essaya en vain de décider Boris à se rallier à la juridiction romaine , il somma inutilement Ignace de venir à Rome , Enfin en 878 il envoya deux légats à Constantinople avec mission de réduire Ignace à l’obéissance en le menaçant de déposition, mais ils apprirent à leur arrivée qu’Ignace était mort (23 octobre 877) et que Photius occupait de nouveau le trône patriarcal .

D’après la Vie d’Ignace, Photius aurait regagné les bonnes grâces de Basile en lui forgeant une généalogie qui le faisait descendre des rois d’Arménie . Que cette histoire soit authentique ou non, il est plus vraisemblable qu’en rappelant Photius, Basile espérait mettre un terme aux dissensions de l’Église byzantine. Ce qui le prouverait, c’est qu’une fois rétabli, Photius s’abstint d’exercer des représailles contre ses ennemis de la veille  et qu’il écrivit à Jean VIII une lettre conciliante après l’arrivée des deux légats envoyés à Ignace . Jean VIII, qui à ce moment avait besoin du secours de la flotte impériale contre les Sarrasins, accueillit les ouvertures de Photius en mettant à sa réconciliation certaines conditions . Dans l’hiver de 879-880, devant le diacre Pierre, porteur de la lettre pontificale, et les deux autres légats, un concile de 383 évêques, regardé par les Grecs comme œcuménique, réhabilita solennellement Photius .

On avait admis jusqu’à ces derniers temps que, Photius n’ayant pas rempli les conditions exigées par Jean VIII, celui-ci l’avait de nouveau excommunié ainsi que ses légats et qu’il s’en était suivi un second schisme . Grâce aux travaux de F. Dvornik et du R. P. Grumel , on sait aujourd’hui que ces affirmations reposent sur de faux documents, forgés par des clercs du parti d’Ignace sous le pape Formose (891-896) , démentis par tout ce qu’on sait des rapports entre Jean VIII et Photius, qui ne cessèrent d’être cordiaux . On ne voit pas davantage que les successeurs de Jean VIII aient rompu avec Photius avant sa deuxième déposition par Léon VI , mais les Ignatiens n’avaient pas désarmé et Basile mourut sans avoir pu rétablir la paix à l’intérieur de l’Église byzantine.

Affaires extérieures. — Au point de vue extérieur, Byzance a continué à organiser la défensive sur ses frontières, mais elle a commencé à recouvrer quelques-unes des positions qu’elle avait perdues et à étendre son influence en Europe, grâce aux missions chrétiennes de l’Église grecque et à la conversion au christianisme des peuples slaves : tels sont les résultats importants de cette période.

Sauf une expédition du stratège du Péloponnèse, Théoktistos Bryenne, qui alla réprimer vers 847-848 une révolte des tribus slaves d’Achaïe et d’Élide , et une menace du jeune Khan bulgare Boris, encore païen, que la diplomatie de Théodora sut apaiser , les principaux fronts de guerre se trouvaient dans la Méditerranée, où sévissaient les Sarrasins de Crète, d’Afrique et d’Espagne, et sur les frontières d’Asie Mineure, menacées par les Pauliciens et les Arabes, où la défense avait été fortement organisée sous Théophile .

Devant l’impuissance du gouvernement impérial, les Sarrasins continuèrent la conquête de la Sicile, s’emparèrent de Messine (fin 842)  et prirent pied en Italie, où ils allèrent piller la basilique Saint-Pierre de Rome (846) , Pour prévenir un nouvel assaut, le pape Léon IV fit entourer la rive droite du Tibre de fortifications  et la défense de l’Italie fut dirigée, médiocrement d’ailleurs, par Louis II, fils de Lothaire, couronné empereur à Rome en 850  : les Sarrasins occupaient l’Apulie, où un émir indépendant avait fait de Bari une forteresse inexpugnable, d’où il allait piller la Campanie , En Sicile les Sarrasins soumettaient l’intérieur de l’île et capturaient la puissante forteresse centrale de Castrogiovanni , et les flottes que le gouvernement byzantin envoyait de temps à autre étaient presque régulièrement détruites .

Sur le front d’Orient les frontières de l’Empire étaient menacées par un nouvel ennemi, les Pauliciens, secte manichéenne  répandue au viiie siècle dans toute l’Asie Mineure , puis, à cause des persécutions dont elle fut l’objet depuis le règne de Michel Ier jusqu’à celui de Théophile, réfugiée en territoire arabe, où l’émir de Mélitène la prit sous sa protection . Sous leur chef, Karbeas, les Pauliciens devinrent un petit État et fondèrent des villes, dont la principale, Tephrik, était située sur la frontière du thème de Koloneia . Alliés aux Arabes, ils les aidaient dans leurs incursions en territoire impérial, et se trouvaient probablement dans les troupes de l’émir de Mélitène, qui attaqua l’Empire en 844 et infligea une défaite sanglante au ministre de Théodora, Théoktistos .

Jusqu’en 859 les hostilités entre l’Empire et le califat consistèrent en expéditions de la flotte byzantine contre Damiette, qui fut pillée et incendiée en 853-854  (756), afin de couper l’Égypte de la Crête, dont elle était l’arsenal, et en incursions périodiques des Arabes en Asie Mineure  suivies de représailles byzantines  et entrecoupées de courtes trêves pendant lesquelles les deux partis procédaient à l’échange de leurs prisonniers de guerre dans la région de Tarse . En 859 au contraire Michel III et Bardas prirent l’offensive et dirigèrent une expédition contre Samosate, qui fut victorieuse d’après les historiens arabes, alors que les sources grecques de l’époque macédonienne transforment leur succès en échec : les inscriptions de la citadelle d’Ancyre au nom de Michel III et datées de cette même année, montrent que les fortifications de cette ville avaient été renforcées, en vue d’assurer une base solide à l’expédition . Après la signature d’une trêve et un échange de prisonniers, Michel III repartit pour l’Asie Mineure au printemps de 860, mais il fut soudain rappelé à Constantinople, qu’une flotte russe de 200 navires était sur le point d’attaquer .

Les Russes, dont il est question pour la première fois dans les chroniques byzantines sous Théophile, avaient fondé leur plus ancien État à Novgorod et cherchaient à se rapprocher de la mer Noire où les attiraient en même temps des buts commerciaux et l’amour du pillage .

Deux compagnons de Rural, Askold et Dir, s’étaient emparés de Kiev vers 842. Ce fut de là qu’ils partirent en 860 et, descendant le Dniéper sur leurs monoxyles, ils pénétrèrent dans le Bosphore en pillant les maisons de plaisance et les monastères et le 18 juin donnèrent l’assaut à Constantinople, pendant que l’empereur, revenu en toute hâte, et le patriarche Photius déployaient sur les remparts le maphorion de la Vierge conservé à l’Église des Blachernes . Ayant échoué dans leur tentative, les Russes battirent en retraite et Photius prononça un sermon d’actions de grâces . Quelques années plus tard, les Russes, instruits par l’exemple des Bulgares, demandaient à se convertir au christianisme et Photius leur envoyait un évêque .

Ce fut en effet à ce moment que Boris, qui songeait aussi à se convertir, fit alliance avec Louis le Germanique, tout prêt à envoyer en Bulgarie des missionnaires latins. Ce danger ayant été dénoncé à Constantinople par le prince de Moravie Rastislav, Michel III envahit la Bulgarie et cette démonstration suffit à obtenir la soumission de Boris, qui renonça à son alliance et accepta l’envoi en Bulgarie de missionnaires byzantins (863) .

Peu après, Omar, émir de Mélitène, ayant envahi le thème des Arméniaques et pris le port d’Amisos (Samsoun), une armée commandée par Petronas, frère de Bardas, infligea une grande défaite aux Arabes à Poson, sur la frontière des thèmes de Paphlagonie et des Arméniaques (3 septembre 863). L’émir fut tué dans cette bataille décisive dont le souvenir s’est conservé dans la légende populaire et dans l’épopée .

Au printemps de 866 une armée commandée par Bardas et Michel III était dirigée contre les Sarrasins de Crète, dont les déprédations venaient de désoler l’Archipel, mais la flotte fit escale à l’embouchure du Méandre et ce fut là que Bardas fut assassiné au moment où il allait relever l’Empire : l’expédition revint à Constantinople .

Basile, devenu le seul maître du trône, sut au moins développer les avantages acquis sous son prédécesseur et ce fut pendant son règne que l’Empire commença à reprendre l’offensive contre ses adversaires.

Malheureusement Basile ne disposait pas de forces suffisantes pour soutenir la lutte à la fois contre le califat, contre les Arabes de Crète, contre ceux du bassin occidental de la Méditerranée. Or c’était à l’époque de son avènement que l’offensive sarrasine contre l’Italie atteignait son point culminant, se portait même dans l’Adriatique et menaçait les villes de la côte dalmate. Incapable d’intervenir efficacement, Basile ne laissa pourtant pas périmer les droits de Byzance.

Ce fut ainsi que vers 868 il accueillit la demande de secours des habitants de Raguse assiégés par les Sarrasins depuis 15 mois et leur envoya une flotte qui força l’ennemi à lever le siège , qu’il affirma la subordination de Venise à l’Empire en conférant au doge Ursus Partecipatus le titre aulique de protospathaire  et que, ne pouvant se charger de la défense de l’Italie, il fit alliance avec Louis II et lui envoya une flotte qui l’aida à reprendre Bari en 871 . Mais cet accord entre les deux moitiés de la chrétienté ne devait être qu’éphémère : les deux alliés se firent réciproquement des reproches et des blessures d’amour-propre. Basile dénia à Louis le droit de porter le titre impérial et celui-ci se plaignit du peu de secours que lui avait apporté la flotte byzantine . L’alliance fut rompue et les efforts de Louis II pour délivrer l’Italie furent contrariés par le duc lombard de Bénévent, qui tint quelque temps le roi prisonnier  et répudia sa suzeraineté pour se placer sous celle de Byzance (873) . Louis II, obligé de battre en retraite, mourut à Brescia en 875 . L’année suivante les habitants de Bari, menacés d’un nouveau siège par les Sarrasins, firent appel au gouverneur byzantin d’Otrante, qui prit possession de la ville le jour de Noël au nom du basileus et y fixa sa résidence .

C’était là un événement d’une portée considérable : Byzance reprenait pied en Italie et apparaissait comme la puissance protectrice. Le pape Jean VIII, qui avait organisé la défense de l’État de Saint-Pierre, désespérant de recevoir des secours efficaces de Charles le Chauve, successeur de Louis II à l’Empire, conclut une alliance politique ave Basile .

Mais ces succès étaient amoindris par la perte des quelques positions que l’Empire possédait encore en Sicile. Vers 869-870 les Sarrasins d’Afrique s’étaient emparés de l’île d Malte , et la perte la plus cruelle fut celle de Syracuse prise d’assaut après 10 mois de siège le 21 mai 878 par une action combinée des Arabes de Sicile et d’Afrique , L’Empire ne possédait plus en Sicile que Taormina et quelques places secondaires.

Du moins, pendant les huit dernières années de son règne, Basile parvint à consolider et à élargir considérablement la domination byzantine dans l’Italie méridionale. Après la prise de Syracuse, une flotte de 140 navires, sous le commandement du Syrien Nasr, chassa les Sarrasins d’Afrique des îles Ioniennes, vint attaquer la côte nord de la Sicile où elle s’empara de Termini et Cefalù, détruisit une flotte sarrasine à la hauteur des îles Lipari et revint à Constantinople avec un immense butin (879-880) . Dans la campagne suivante (880) pour la première fois une forte armée byzantine, composée des thèmes d’Europe, débarqua en Italie et combina ses opérations avec celles de la flotte de Naples pour s’emparer de Tarente . Mais l’action décisive fut celle d’un des hommes de guerre les plus éminents de cette époque, Nicéphore Phocas, chargé de réparer l’échec subi en 883 en Calabre par le stratège Étienne Maxentios . A la tête de troupes que Basile avait pu tirer des thèmes d’Orient, Nicéphore Phocas s’empara de toutes les places de Calabre occupées par les Sarrasins et, grâce à une diplomatie savante et aux ménagements avec lesquels il traita la population indigène, il obtint la soumission des gastalds ou gouverneurs lombards, et sa popularité fut telle que plus tard une église fut érigée en son honneur : il parvint à relier les villes de Calabre aux possessions byzantines d’Apulie et fit œuvre de colonisateur autant que de stratège . Le résultat de cette politique fut l’extension de l’influence byzantine sur les dynastes de l’Italie méridionale et centrale dont plusieurs, comme le prince de Salerne, l’évêque de Naples, le duc de Bénévent, devinrent les vassaux de l’Empire .

De même qu’en Italie la disparition des empereurs carolingiens laissait le champ libre à Byzance, de même en Orient la politique de Basile bénéficia de la décomposition du califat abbasside, dominé par la garde turque et impuissant à maintenir son autorité sur les émirs provinciaux . A la défensive victorieuse des Amoriens il substitua une offensive méthodique, destinée à occuper les routes d’invasion qui traversaient le Taurus et l’Antitaurus et à refouler les Arabes vers l’Orient . En même temps ses escadres croisaient dans l’Archipel et, sans pouvoir s’engager à fond, tenaient en respect les Arabes de Crète, qui infestaient les côtes de la Grèce et de l’Adriatique , en leur infligeant parfois de sévères leçons, notamment en 872, lorsque Nicétas Oryphas, ayant fait traîner ses navires à travers l’isthme de Corinthe, tomba subitement au milieu de la flotte sarrasine en train de piller les villes de la côte et la détruisit entièrement . Pendant quelques années Basile parvint même à occuper l’île de Chypre (vers 874-881), et il l’avait déjà érigée en thème, quand il se heurta à la résistance de la population qui favorisa le retour des Arabes .

Mais le principal effort de Basile porta sur le dégagement des frontières terrestres d’Asie Mineure, où s’était réfugié un ramassis d’aventuriers, Slaves de Cilicie, Arméniens du Taurus et surtout Pauliciens de Tephrik, ennemis irréconciliables de Byzance et excellents auxiliaires des Arabes , mais souvent en révolte contre eux.

Basile essaya d’abord de gagner les Pauliciens et de s’en faire des alliés, mais son ambassadeur, Pierre le Sicilien, se heurta aux prétentions exorbitantes de leur chef, Chrysocheir, qui réclamait toute l’Asie Mineure (869-870) . Alors en deux campagnes, dont la première échoua (871), Basile, profitant des troubles du califat, confia une armée à son gendre, Christophore, domestique des scholes, qui s’empara de Tephrik, détruisit l’État Paulicien et envoya à l’empereur la tête de Chrysocheir : Basile célébra ce succès par un triomphe solennel (872) .

Les débris de l’armée paulicienne s’étaient réfugiés à Mélitène, place très forte située dans la boucle de l’Euphrate, menace perpétuelle pour la frontière byzantine. S’emparer de cette position, tel fut désormais l’objectif de Basile, mais, avant de l’attaquer de front, il voulut d’abord l’isoler en occupant les petites places arabes situées le long de la frontière, de Sébaste à l’Euphrate septentrional, à Tephrik et à Mélitène , mais il ne put assiéger Mélitène et, à la suite d’une défaite, revint à Constantinople (873) .

Après une période d’accalmie de trois ans, pendant laquelle il occupa l’île de Chypre (874-877) , sans s’obstiner à attaquer Mélitène, Basile continua à occuper les passages montagneux qui commandaient les routes d’invasion. Un succès important fut la reprise de la forteresse de Loulouas sur la route de Tarse à Constantinople, avec la connivence des Slaves qui l’occupaient (877) . Les émirs arabes essayèrent bien de réagir, mais une fois entrés sur le territoire impérial, il leur était difficile d’en sortir, comme le montra le désastre subi en 878 par Abdallah-ibn-Rachid, qui, après avoir ravagé le sud de la Cappadoce, fut surpris près des Portes Ciliciennes par l’armée des thèmes de la région : son armée fut détruite et lui-même fait prisonnier . Enhardis par ce succès, cinq stratèges attaquèrent le territoire d’Adana et Basile vint les rejoindre avec son fils Constantin : la frontière de Syrie fut franchie et quelques places furent prises ou détruites (879) .

Nous savons qu’à la suite de la mort de son fils préféré Constantin en cette même année, Basile subit une dépression qui influa sur son activité politique. Ce fut seulement en 882 qu’il reprit ses projets contre Mélitène, qu’il alla assiéger inutilement grâce aux secours que la ville reçut de Marasch et de Khada. Une seconde campagne, partie la même année de Césarée pour prendre ces deux villes, n’eut pas plus de succès . L’année suivante une attaque contre Tarse, dirigée par Kesta Stypiotès, aboutit à un gros désastre de l’armée byzantine qui fut entièrement détruite le 14 septembre 883 .

Dès lors Basile ne fit plus aucune tentative sur la frontière d’Orient, que, malgré ces dernières défaites, il laissa fortement organisée, après avoir retourné contre les Arabes les forteresses placées aux points stratégiques qui favorisaient leurs offensives . La victoire de Basile eût été plus complète si son action militaire eût été appuyée par une révolte des Arméniens contre les Arabes. Le roi de la Grande Arménie, Aschod le Pagratide, garda du moins la neutralité, mais Basile, ayant appris qu’il avait reçu du calife une couronne et le titre royal, s’empressa de lui faire porter une couronne d’or et de signer avec lui un traité d’alliance en le qualifiant de fils bien-aimé , rappelant ainsi la fiction qui faisait de l’empereur romain le suzerain de l’Arménie et ménageant l’avenir.

Les missions chrétiennes. — Nous avons vu par l’exemple de Justinien que la protection accordée aux missionnaires était l’un des moyens les plus efficaces de la politique extérieure de Byzance. Or le prosélytisme de l’Église grecque, qui avait subi une éclipse depuis l’époque iconoclaste, reprit avec éclat après la restauration de l’Orthodoxie dans la seconde moitié du ixe siècle et ne contribua pas peu à faire pénétrer dans des pays restés barbares le prestige de Byzance et de la civilisation chrétienne. Toute mission religieuse était accompagnée d’une action diplomatique qui tendait à faire des peuples convertis des alliés ou même des vassaux de l’Empire, tandis que le patriarcat de Constantinople agrandissait son domaine en s’efforçant de placer les chrétientés nouvelles sous sa juridiction . Les moyens de propagande variaient suivant qu’on avait affaire à des Musulmans, à des Juifs, à des Pauliciens ou à des païens , mais la propagande commençait toujours par des controverses qui supposaient chez les missionnaires la connaissance de la langue du pays .

Avec une véritable souplesse les missionnaires s’adaptaient à toutes les habitudes des pays qu’il s’agissait de convertir, traduisaient les Évangiles et les livres liturgiques dans leur langue nationale et formaient un clergé indigène. Dès la fin du ive siècle Ulfilas avait créé une liturgie en langue gothique qui s’était conservée chez les Goths de Crimée et cet exemple avait été suivi par la plupart des missionnaires . Au ixe siècle, malgré quelques préventions, comme le montre la curieuse aventure de saint Hilarion le Géorgien dans un couvent de l’Olympe , l’Église grecque admettait la diversité des langues liturgiques . C’est ainsi que les descendants de la tribu turque établie par Théophile sur le Vardar célébraient encore la liturgie en dialecte turc au début du xixe siècle .

Ce fut grâce à ces méthodes que se produisit au ixe siècle l’un des plus grands événements de l’histoire de l’Europe : la conversion des peuples slaves par des missionnaires byzantins, dont les deux principaux, Cyrille et Méthode, ont reçu justement le titre d’apôtres des Slaves .

Constantin (il ne prit que plus tard le nom de Cyrille) et Méthode étaient fils d’un drongaire du thème de Thessalonique. Méthode fut gouverneur d’une colonie slave de Macédoine . Constantin alla achever ses études à Constantinople, où il fut l’élève de Léon le Mathématicien et le protégé du ministre Théoktistos , puis il devint lui-même professeur , reçut les ordres ecclésiastiques, fut chargé d’une mission diplomatique chez les Arabes , mais, épris de la vie monastique, il se retira à l’Olympe de Bithynie où il retrouva Méthode . Puis, après l’assaut russe de 860, le gouvernement impérial lui confia une mission à la fois politique et religieuse chez les Khazars, où, accompagné de Méthode, il eut des discussions avec les rabbins juifs, apprit l’hébreu et pendant un séjour à Kherson découvrit les reliques du pape saint Clément .

Ce fut après le retour des deux frères à Constantinople que Rastislav, prince de la Grande Moravie, désireux d’échapper aux entreprises de Louis le Germanique, envoya une ambassade à Byzance, avec laquelle la Moravie avait déjà des rapports commerciaux, pour demander au basileus d’envoyer des missionnaires, « capables, disait son message, de nous enseigner la vraie foi en notre langue » , La Grande Moravie, qui s’étendait au sud dans une partie de la Slovaquie actuelle jusqu’au Hron, affluent du Danube, était considérée comme un État vassal par les margraves de l’Est, et les évêques de Passau la regardaient comme soumise à leur juridiction. Les Moraves étaient restés païens en grande partie et les clercs germaniques qui parcouraient leur pays faisaient peu de prosélytes. L’expédition que Louis le Germanique avait dirigée contre la Moravie en 855 avait échoué piteusement et Rastislav, allié de Carloman, révolté contre son père, avait étendu sa domination jusqu’à la Tisza, c’est-à-dire jusqu’à la frontière bulgare. Avec un véritable sens politique il avait compris que le seul moyen d’échapper à la poussée germanique était de se placer sous la protection de Byzance, et d’avoir recours à ses missionnaires .

La mission confiée à Constantin et Méthode, probablement d’après l’avis de Photius, avait donc, malgré son caractère religieux, un intérêt politique et en fait, comme on l’a vu déjà, une intervention de Michel III contre les Bulgares, alliés de Louis le Germanique, les empêcha d’attaquer la Moravie .

Ce fut au printemps de 863 que les deux frères, porteurs d’une lettre impériale, arrivèrent en Moravie . Comblés d’honneurs par Rastislav, ils se mirent tout de suite à l’œuvre. Le prince morave avait demandé que son peuple fût instruit dans sa langue. D’après leurs biographes, les apôtres apportaient avec eux un alphabet nouveau adapté aux consonances slaves, qu’ils enseignèrent à leurs premiers disciples, ainsi qu’une traduction en slave d’un choix de lectures évangéliques .

La création de cet alphabet était le seul moyen pour les missionnaires de gagner le monde slave au christianisme et, bien que sa légende en attribue naïvement l’invention à Constantin aussitôt après l’ambassade de Rastislav, on peut croire qu’il avait été créé depuis longtemps . Ce fut grâce à cet instrument parfait que les deux frères purent doter la nouvelle Église de traductions en slavon des livres liturgiques de l’Église grecque et de l’Écriture sainte. Ils élevèrent ainsi les dialectes slaves à la dignité d’une langue littéraire qui leur doit ses premiers monuments . Ce ne fut pas d’ailleurs sans essuyer les critiques des clercs germaniques qu’ils célébrèrent les offices religieux dans la langue nationale des Moraves .

Puis, après être restés 40 mois en Moravie, afin de constituer un clergé indigène, ils se rendirent à Venise en 807, peut-être avec l’intention de s’y embarquer pour Constantinople avec les disciples qu’ils avaient amenés pour les faire ordonner prêtres par un évêque . A Venise ils eurent des discussions avec le clergé latin an sujet de la liturgie en langue slave  et ils reçurent une lettre du pape Nicolas Ier qui les mandait à Rome . Quand ils y arrivèrent au début de 868, Nicolas Ier était mort (23 novembre 867). Son successeur, Hadrien II, les accueillit avec les plus grands honneurs , reçut d’eux les reliques de saint Clément et fit ordonner prêtres leurs disciples. Au sujet de la liturgie slave, le pape se montra très conciliant malgré l’opposition du clergé romain et désigna trois basiliques dans lesquelles Constantin pourrait la célébrer . Ce fut alors qu’épuisé par ses travaux Constantin mourut le 14 février 869, âgé de 42 ans, et fut enseveli dans la basilique Saint-Clément : avant sa mort il avait pris le nom de Cyrille, symbole d’orthodoxie et d’unité religieuse .

Peu après, à la demande du chef morave Kocel, converti au christianisme par des missionnaires allemands, mais qui s’était rallié à l’Église morave an passage des deux frères dans ses États , Hadrien II créa Méthode archevêque de Sirmium et légat du Saint-Siège auprès des nations slaves . Mais au moment où Méthode revenait en Moravie, Svastislav, trahi par son neveu Svatopulk, avait été livré à Carloman, qui lui avait fait crever les yeux, et la Moravie était retombée au pouvoir des Germains . A son arrivée, Méthode, accusé devant un tribunal d’évêques d’avoir usurpé les fonctions épiscopales, fut emprisonné en Bavière (870) ; mais, malgré la révolte des Moraves qui chassèrent les Germains de leur pays, il ne fut délivré qu’en 873, grâce à l’intervention de Jean VIII qui venait de succéder à Hadrien II ; le nouveau pape avait d’ailleurs ordonné à son légat d’interdire à Méthode la célébration de la liturgie en langue slave, qu’il admettait seulement pour la prédication .

Méthode reprit donc son œuvre apostolique dans des conditions difficiles : Svatopulk, devenu prince de Moravie, favorisait le clergé allemand, et, en 879, Méthode, accusé devant le pape de chanter le Credo sans l’addition du Filioque et de continuer à célébrer la liturgie en slave, dut retourner à Rome, où il n’eut pas de peine à prouver son orthodoxie . Bien plus, Méthode obtint enfin de Jean VIII l’autorisation de célébrer la liturgie en slave et l’approbation de sa traduction des Écritures. Le pape écrivit à Svatopulk une lettre dans laquelle il proclamait l’orthodoxie de Méthode, qu’il nommait archevêque de Moravie, avec Wiching, évêque de Nitra, comme suffragant . Mais les ennemis de l’apôtre veillaient. Devançant Méthode, Wiching, agent secret d’Arnulf, fils de Carloman, alla présenter à Svatopulk une fausse bulle qui condamnait Méthode comme hérétique . Celui-ci en appela au pape, qui protesta qu’il n’avait rien écrit à Wiching et confirma les pouvoirs de l’apôtre . Enfin, dernier triomphe, l’empereur Basile invita Méthode à venir à Constantinople, où il fut reçu avec honneur par le souverain et le patriarche Photius qui, comme on le sait aujourd’hui , avait fait la paix avec le Saint-Siège.

On s’est demandé pour quels motifs Basile avait appelé Méthode auprès de lui. On peut voir d’abord dans cette démarche une preuve de l’intérêt politique que le gouvernement impérial attachait aux missions, en pays slave en particulier. La biographie de Méthode, seule source qui mentionne ce voyage , donne ce renseignement important, que l’empereur « fit l’éloge de sa doctrine et garda auprès de lui un prêtre et un diacre, disciples de Méthode, munis de leurs livres ». Il est clair que, mis au courant des succès de la mission en Moravie, Basile songeait à organiser sur le même modèle d’autres missions chez les Slaves, soit en Russie, où nous avons vu que Photius avait envoyé un évêque , soit surtout en Bulgarie dont l’Église était en voie d’organisation et où les disciples de Méthode pouvaient rendre d’immenses services, soit en Croatie où l’on venait d’envoyer des missionnaires .

Ce n’est pas d’ailleurs une simple conjecture. Après la mort de Méthode (6 avril 885), il se produisit une violente réaction germanique en Moravie. Le pape Étienne V, circonvenu par Wiching, le nomma archevêque de Moravie et condamna l’œuvre de Méthode . Gorazd, que Méthode avait désigné comme son successeur, et ses disciples se réfugièrent en Bulgarie, où ils reçurent le meilleur accueil de Boris qui envoya l’un d’eux, Clément, en Macédoine où il fonda un monastère à Ochrida. A son avènement, Siméon le nomma évêque de Velika et il aurait été le premier évêque slave en Bulgarie .

Ainsi ce fut la Bulgarie qui recueillit l’héritage de Méthode et sauva son œuvre apostolique.

Grâce à ses disciples, la Bulgarie devint un pays complètement slave au point de vue religieux, tout en recevant de Byzance sous la forme de traductions les éléments de sa plus ancienne littérature . Bien que rattachée définitivement à Rome, la Croatie adopta la liturgie slave, que lui avaient transmise des disciples de Méthode  et qui se maintint aussi en Moravie et en Bohême où les papes finirent par la tolérer . Ces résultats montrent ce que les nations slaves doivent à Byzance, dont les missionnaires les ont fait entrer dans le cercle des pays de civilisation chrétienne.

 

 

6.  La résistance de l’Empire  (886-919)

La période qui succède à celle du raffermissement de l’Empire est marquée par de nouvelles difficultés à l’intérieur, par de nouvelles offensives de ses ennemis et par une crise redoutable de succession. Non seulement l’État byzantin a résisté à ces agents de dissolution et à ces causes de destruction, mais sur bien des points il a continué la politique d’expansion de la période précédente.

La succession de Basile. — Blessé grièvement au cours d’une grande chasse, Basile le Macédonien mourut le 29 août 886, après avoir désigné pour lui succéder ses deux fils Léon et Alexandre, le troisième, Étienne, étant patriarche . Il avait ainsi assuré l’avenir de sa dynastie. Léon et Alexandre, qui devaient régner conjointement, avaient été déjà associés au trône du vivant de leur père , mais Léon, à qui Basile, par un reste d’éloignement, avait imposé son frère comme corégent, l’annihila complètement et arriva même à ne plus le nommer dans ses constitutions.

Alexandre, qui, d’après les chroniques, avait un caractère frivole, ne chercha nullement à réclamer sa part du pouvoir .

L’empereur Léon VI. — La personne du nouveau basileus formait un contraste saisissant avec celle de Basile. D’une santé médiocre, d’humeur sédentaire, il n’avait aucun goût pour la vie des camps, qu’il se contentait d’envisager en théoricien , et vivait au palais, préoccupé des questions d’étiquette et de cérémonial. Très lettré, élève de Photius, il avait reçu une éducation encyclopédique et se piquait d’être logicien, moraliste, métaphysicien, théologien, juriste, tacticien, poète , et avait même une prédilection pour les sciences occultes et les prophéties . Son savoir universel lui valut le titre de philosophe, qui était le grade le plus élevé de l’Université impériale . Très religieux, il prononçait des homélies aux grandes fêtes , admettait les moines dans son intimité, notamment son directeur de conscience, Euthyme , et affectait dans ses novelles une rigidité de mœurs qui ne correspondait pas toujours à sa conduite privée .

Pendant le règne de Léon VI le palais fut le théâtre d’intrigues et de conspirations continuelles, dues à des favoris auxquels le basileus abandonnait la direction des affaires. Le premier fut Stylianos Tzaoutzès , d’origine arménienne, déjà bien en cour sous Basile, et qui devait la faveur de Léon à ce qu’il avait pris son parti dans sa querelle avec son père et parce qu’il avait pour fille Zoé dont le basileus était épris avant son mariage forcé avec Théophano . Créé logothète du drome , Stylianos eut le pouvoir d’un premier ministre et son autorité ressort du grand nombre de novelles qui lui sont adressées . Son influence était contrebalancée par celle du moine Euthyme, qui chercha en vain à détacher Léon VI de lui, mais en habile courtisan, après avoir manifesté son hostilité au moine, Stylianos fit mine de se réconcilier avec lui .

Mais Stylianos mourut en 896 après avoir été disgracié, et sa faveur passa à un jeune eunuque, Arabe converti, Samonas, qui gagna les bonnes grâces de Léon en lui révélant un complot auquel il avait feint de participer . Comblé de titres et de richesses, patrice, parakimomène, Samonas fut pendant quinze ans (896-911) le maître absolu de l’Empire et Léon VI lui était tellement attaché que le favori ayant tenté de s’enfuir en pays arabe avec ses richesses et ayant été arrêté, n’eut à subir que quelques mois de disgrâce (904) et redevint plus puissant que jamais . Vindicatif, il calomnia l’un des meilleurs généraux de l’Empire, Andronic Doukas, qu’il réduisit à s’enfuir chez les Arabes . Mais il finit par connaître lui aussi l’infortune : convaincu d’avoir écrit un libelle diffamatoire contre Léon VI, il fut enfermé dans un monastère et privé de ses biens. Pour comble d’humiliation, il se vit remplacé dans la faveur du maître par un eunuque paphlagonien de sa maison, Constantin .

Il ne faut pas d’ailleurs juger exclusivement Léon VI sur ces misères. Juriste de premier ordre, possédant le sens des réalités et s’efforçant d’y adapter les lois, il fut le plus grand législateur que Byzance ait connu depuis Justinien, dont il a réédité toute l’œuvre traduite en grec dans les 60 livres des Basiliques, mais dont ses 113 novelles ont transformé la législation en supprimant les constitutions périmées et en corrigeant les autres suivant les besoins de son temps .

Affaires religieuses. — A la mort de Basile, Photius était toujours patriarche et la paix régnait entre Rome et Constantinople, mais le nouveau basileus, emporté par sa passion de vengeance contre Photius et Santabarem, fit déposer le patriarche ignominieusement et crever les yeux à l’évêque de Néocésarée. Photius, relégué dans un monastère, où il mourut en 891, fut remplacé au patriarcat par le plus jeune frère de Léon, Étienne, destiné au clergé dès sa naissance . Ce coup de force accentua les divisions de l’Église grecque, toujours partagée entre photianistes et ignatiens. Photius fut regardé comme un saint par ses partisans  et Euthyme protesta vivement contre les représailles exercées sur sa famille par Stylianos .

Mais il y eut bientôt entre ces deux personnages une cause de conflit autrement grave. Marié malgré lui à Théophano qui menait au palais la vie d’une religieuse  et ne lui avait donne qu’une fille morte en bas âge, Léon VI voulait la répudier pour épouser la fille de Stylianos, en mettant en avant l’avenir de la dynastie. Or l’impératrice, dont la vie était une souffrance continuelle, était disposée à se retirer dans un monastère quand Euthyme l’en empêcha et alla faire de sévères remontrances au basileus . Mais Léon VI n’en tint aucun compte, et peu après, Théophano se retirait au monastère de la Vierge des Blachernes où elle mourut le 10 novembre 893, considérée comme une sainte au lendemain même de sa mort . Quelques semaines plus tard le mari de Zoé mourait aussi : le basileus ne voyait plus aucun obstacle à ses desseins mais lorsqu’il voulut obtenir l’approbation d’Euthyme, il se heurta à un refus formel et, poussé par Stylianos, il alla jusqu’à exiler son père spirituel . Le patriarche Étienne était mort depuis le 17 mai 893  et par ses manœuvres Stylianos avait empêché Euthyme d’être choisi pour lui succéder . Sans oser s’adresser au nouveau patriarche, Léon VI fit bénir son mariage avec Zoé par un prêtre du palais, qui fut plus tard déposé par le Synode pour cette raison , et Léon créa pour Stylianos la dignité de basileopator qui le plaçait au sommet de la hiérarchie . Mais Zoé ne fut pas impératrice plus d’un an et huit mois  et sa mort suivit de près celle de Stylianos en disgrâce.

Au patriarche Étienne avait succédé en 893 un moine de l’Olympe, Antoine Cauléas, qui avait le vif désir de faire cesser le schisme entre les deux partis ecclésiastiques . Après la déposition de Photius les Ignatiens rappelés d’exil essayèrent de faire revenir le Saint-Siège sur la réhabilitation de ce patriarche. Un mémoire de Stylianos, évêque de Néocésarée, écrit dans ce sens, fut reçu par le pape Formose (891), dont une ambassade envoyée à Constantinople ne put décider les Ignatiens à communier avec le patriarche et avec les clercs ordonnés par Photius . Pour venir à bout de cette intransigeance, il fallut une seconde ambassade romaine envoyée vers 898 par le pape Jean IX . Une amnistie générale fut proclamée. Les Ignatiens se réconcilièrent d’une part avec le patriarche Antoine, d’autre part avec Rome, dont ils étaient séparés depuis la réhabilitation de Photius .

Antoine Cauléas mourut peu après la proclamation de l’Union en 903  et eut pour successeur un parent de Photius, Nicolas, qui avait été élevé en même temps que Léon VI, dont il était devenu le secrétaire intime (mystikos) . Cependant, au moment où la paix semblait rétablie dans l’Église, la conduite du basileus allait engendrer de nouveaux troubles. Zoé ne lui avait donné qu’une fille, fiancée à un prince carolingien. Or Léon désirait un héritier et les cérémonies de la cour exigeaient la présence d’une impératrice . En dépit de sa novelle 90 , le basileus contracta un troisième mariage avec Eudokia, originaire de Bithynie, qui mourut au bout d’un an, le dimanche de Pâques, 20 avril 900, en donnant le jour à un fils, qui ne vécut pas .

Cette union avait fait scandale dans l’Église qui condamnait les troisièmes noces, comme le montrent l’attitude sévère d’Euthyme vis-à-vis de son impérial pénitent et le refus d’un higoumène de recevoir le corps de la défunte dans son monastère , A plus forte raison un quatrième mariage paraissait impossible, mais Léon désirait toujours avoir un fils et il prit le parti d’installer au palais une favorite, Zoé Carbonopsina (aux yeux noirs), avec l’intention secrète de l’épouser si elle lui donnait un fils , Si le basileus avait compté sur la complaisance de son ancien condisciple le patriarche Nicolas pour favoriser son dessein, il fut détrompé aux premières ouvertures qu’il lui fit à ce sujet et il s’ensuivit dans leurs rapports une tension qui se manifesta lors de l’attentat contre l’empereur à l’église Saint-Mocius le 11 mai 903 : Léon accusa Nicolas et son clergé de n’avoir rien fait pour le défendre .

Mais une circonstance inattendue fit cesser la résistance du patriarche. Très ambitieux, à la fois autoritaire et souple à l’occasion, entré dans l’Église malgré lui, impatient de jouer un rôle dans l’État et se sentant à la veille d’une disgrâce , Nicolas encouragea la révolte d’Andronic Doukas qui, trompé par une lettre calomnieuse du favori Samonas, avait fait défection, au moment d’une expédition contre les Arabes et avait fini par se réfugier chez eux, avec l’intention d’obtenir d’eux des secours pour renverser Léon VI. Or une lettre compromettante du patriarche au rebelle, apportée par un déserteur de l’armée d’Andronic, tomba entre les mains de l’empereur (avant décembre 905) .

Sans rien dire à Nicolas, Léon montra cette lettre à ses familiers, mais, par des indiscrétions, le patriarche en fut instruit et son attitude vis-à-vis de l’empereur changea entièrement , Non seulement il vint au palais plus souvent et bénit le ventre de Zoé qui allait être mère, mais il négocia avec les métropolites du synode pour obtenir d’eux que le fils qu’elle mit au monde fût légitimé et baptisé comme un prince porphyrogénète . Ceux-ci finirent par y consentir à condition que Léon n’épouserait pas Zoé, mais trois jours après le baptême de Constantin, qui eut lieu le 6 janvier 906, le basileus, violant sa promesse, fit célébrer son mariage avec Zoé par un prêtre du palais , Aussitôt le synode prononça l’interdit contre lui, mais Léon, pour sortir de cette situation, fit demander une consultation au pape et aux patriarches d’Orient sur la légitimité de son mariage .

Le patriarche n’avait consenti qu’à contrecœur à cette solution qui blessait son amour-propre et, pour montrer sa bonne volonté, il reçut Léon VI à l’église malgré l’interdit . Mais le basileus, dont la rancune contre Nicolas n’avait pas désarmé, annonça à ses familiers son intention de se présenter à l’église le jour de Noël et d’en chasser le patriarche, après lui avoir reproché sa trahison. « Ce fut, dit le biographe d’Euthyme, le commencement de l’incendie qui dévasta l’Église . » Le patriarche, averti, réunit le synode qui lui donna son approbation et quand le basileus escorté du Sénat, se présenta aux portes de Sainte-Sophie, il lui en refusa l’entrée . Alors les événements se précipitèrent. Une seconde tentative de Léon pour entrer à l’église le jour de l’Épiphanie eut le même insuccès . Dès lors commença entre les deux adversaires une guerre de tous les instants et qui dura un mois. Apostrophe violente de Léon à Nicolas en présence de tous les évêques au festin impérial de l’Épiphanie, pacte signé entre le patriarche et les métropolites de résister au basileus jusqu’à la mort  annoncèrent le dénouement. Léon VI, ayant reçu de ses ambassadeurs la nouvelle que sa requête avait obtenu un accueil favorable tant à Rome qu’en Orient, somma le patriarche et les métropolites de l’admettre à l’église au moins comme pénitent et, sur leur refus, les envoya en exil , puis le 6 février, ayant convoqué les métropolites qui avaient manifesté le désir d’une transaction, il leur donna les preuves formelles devant témoins de la collusion de Nicolas avec Andronic et conclut à son expulsion du patriarcat .

Il restait à obtenir l’abdication du patriarche et à le remplacer. Après quelques atermoiements et sur la menace d’un procès de haute trahison, Nicolas finit par envoyer sa renonciation au patriarcat, mais en conservant sa dignité d’évêque , Puis, sur l’invitation du basileus, le synode désigna Euthyme, retiré au monastère de Psamathia, comme successeur de Nicolas, mais le sévère ascète opposa d’abord la plus vive résistance à toutes les sollicitations . Il fallut, pour le décider à accepter, l’arrivée à Constantinople des légats romains et des apocrisiaires des patriarches orientaux apportant des lettres de dispense pour les quatrièmes noces, en admettant le basileus à la pénitence , Ces mesures furent loin de ramener la paix religieuse : le clergé et les fidèles se partagèrent entre Euthyme, qui fut pris à partie dans de violents pamphlets , et Nicolas, qui fut regardé comme un martyr. Un nouveau schisme commençait.

Cependant, loin d’avoir des complaisances pour Léon, Euthyme agissait à son endroit avec la plus grande rigueur. Il déposa le prêtre Thomas qui avait béni les quatrièmes noces du basileus , Il s’opposa de toutes ses forces, soutenu par le synode, à un projet de loi de Léon VI rendant les quatrièmes noces légitimes , Il se montra particulièrement sévère pour Zoé, qu’il refusa de recevoir à l’église, en menaçant d’abandonner le patriarcat devant son insistance , Sa seule concession fut de couronner le jeune Constantin basileus le 9 juin 911 , Léon VI à son lit de mort aurait rappelé Nicolas le Mystique, et son rétablissement au patriarcat fut en tout cas le premier acte de son successeur , mais le schisme entre les partisans des deux patriarches n’en continua pas moins.

La défense de l’Empire. — A l’extérieur, le règne de Léon VI fut assombri par des événements désastreux, dont le plus grave pour l’avenir fut la reprise de l’offensive bulgare. Le basileus parvint cependant à maintenir et même à améliorer les résultats obtenus sous Michel III et Basile. La défensive byzantine devint même plus active et un fait important fut la part plus grande faite aux opérations maritimes. Léon disposa d’ailleurs d’hommes de guerre éminent comme Himérios, Nicéphore Phocas, et d’un excellent diplomate, Léon Choirosphaktès . Les résultats eussent été plus remarquables sans les méfaits de la politique intérieure et la toute-puissance des favoris, comme Samonas, qui provoqua la disgrâce des meilleurs serviteurs de l’Empire.

Depuis le traité signé par Léon l’Arménien en 815, la paix entre l’Empire et les Bulgares n’avait guère été troublée et Byzance pouvait disposer de toutes ses forces contre les Arabes. Mais pendant cette longue période de paix, des événements considérables avaient transformé la situation de la région danubienne. La conversion des Bulgares au christianisme avait accru la puissance royale et la cohésion de l’État bulgare. Boris avait annexé à la Bulgarie de vastes territoires dans la région occidentale des grands lacs . Après le règne éphémère de Vladimir, Boris, devenu moine, avait placé sur le trône bulgare son plus jeune fils Syméon, qui avait été élevé à Constantinople et manifestait une telle prédilection pour la civilisation byzantine et l’hellénisme qu’on l’avait surnommé le demi-Grec . Mais, d’une ambition sans bornes, ébloui par les splendeurs du Palais Sacré, il ne rêvait rien moins que de placer la couronne des basileis sur sa tête.

La provocation vint pourtant de Byzance et fut le résultat du pouvoir exorbitant abandonné à Stylianos Tzaoutzès. La Bulgarie était devenue un véritable entrepôt commercial entre Byzance et le continent européen : les navires partis des ports bulgares de la mer Noire venaient débarquer les produits de l’Europe centrale et de la plaine russe sur les quais de Constantinople . Or deux marchands grecs liés avec un esclave de Stylianos se firent attribuer le monopole du commerce avec les Bulgares et, pour éviter la concurrence, firent transporter les entrepôts bulgares à Thessalonique, où leurs représentants furent en butte à toute sorte de tracasseries et d’avanies douanières . Léon VI n’ayant tenu aucun compte des réclamations de Syméon, celui-ci envahit la Thrace et la Macédoine, battit l’armée impériale envoyée contre lui et menaça Constantinople (894) . A ce moment les forces de l’Empire étaient engagées contre les Arabes , mais un événement qui devait avoir une portée considérable avait modifié l’échiquier stratégique des régions danubiennes. Un peuple finno-ougrien, les Magyars (Hongrois), désigné cependant sous le nom de Turcs par les chroniqueurs grecs et arabes, chassé des steppes russes par d’autres touraniens, les Petchenègues, et tombé dans la vassalité des Khazars, apparut aux bouches du Danube vers 880 sous le commandement d’Arpad .

Léon VI n’hésita pas à faire alliance contre les Bulgares avec ces nouveaux venus, qui passèrent le Danube sur les navires de la flotte impériale commandée par Eustathe et ravagèrent la Bulgarie, pendant que Nicéphore Phocas ramenait les troupes d’Asie. Syméon regagna rapidement le Danube, mais son armée ne put tenir devant les masses hongroises et fut mise en déroute. Il ne tarda pas à prendre sa revanche. Apprenant que Léon VI avait rappelé son armée et sa flotte et disgracié Nicéphore Phocas, calomnié par Stylianos, il feignit de demander la paix, enferma dans une forteresse Léon Choirosphaktès venu pour négocier, attaqua les Hongrois et, après un combat acharné, les força à repasser le Danube, puis se fit rendre par le gouvernement impérial tous les prisonniers bulgares que les Hongrois avaient vendus aux Grecs et, après avoir obtenu satisfaction, marcha subitement sur Constantinople et infligea une défaite complète à l’armée impériale envoyée contre lui, à Bulgarophygon (Eski-Baba) (895-896) .

Syméon était maître de la situation, mais, inquiet de l’avance des Magyars, il entendait imposer la paix à l’Empire. Léon Choirosphaktès et l’asecretis Syméon réussirent cependant à obtenir des conditions assez modérées , mais, si la paix avec le prince bulgare ne fut pas troublée du vivant de Léon VI, Syméon lui garda une profonde rancune de la dévastation du territoire bulgare par les Hongrois et ne perdit aucune occasion de lui nuire .

Malgré ses conséquences importantes, la guerre bulgare ne fut qu’un épisode du long règne de Léon VI, qui, au contraire, de son avènement jusqu’à sa mort, dut faire face à l’offensive musulmane : attaques du califat en Asie Mineure, des corsaires de Crète dans l’Archipel, des Sarrasins d’Afrique en Italie et en Sicile.

Du côté du califat, de 886 à 900, la guerre se poursuit sans aucun plan d’ensemble et ne consiste qu’en incursions et razzias dans les régions frontières, les attaques venant toujours des gouverneurs arabes , suspendues en 896 par un échange de prisonniers , mais reprenant l’année suivante . Le fait nouveau est la liaison entre ces expéditions terrestres et les attaques de la marine musulmane contre les côtes d’Asie Mineure, par exemple en 891 (attaque du port de Salinda, ancienne Sélinonte) et en 898 (défaite de la flotte byzantine qui défendait les bases navales d’Asie) . Ce fut seulement en 900 que les opérations devinrent plus importantes. Une armée arabe de Cilicie ayant envahi le thème d’Anatolie, Nicéphore Phocas, franchissant le Taurus, alla attaquer Adana et revint avec des prisonniers et un butin considérable qu’il put ramener à Constantinople après une retraite savante, citée en exemple dans la Tactique de Léon . Les discordes du califat  permirent aux armées byzantines quelques attaques fructueuses dans les années qui suivirent (901-904) , mais ces essais d’offensive furent arrêtés par les coups terribles que les corsaires portèrent aux forces byzantines.

Depuis l’avènement de Léon VI, les îles de l’Archipel et les côtes de la Grèce subissaient les attaques continuelles des corsaires de Crète et des ports de Syrie, sans que la flotte impériale pût défendre les malheureuses populations, qui n’étaient même pas en sécurité dans les villes fortifiées . En juillet 904 une offensive importante fut organisée contre les villes maritimes de l’Empire par un renégat grec, Léon de Tripoli , qui s’empara par surprise de la place importante d’Attalie (Adalia), dont il était originaire . Enhardi par ce succès, il annonça l’intention de prendre Constantinople  et parvint à passer l’Hellespont et à pénétrer dans la Propontide jusqu’à Parion, mais battit en retraite devant l’escadre impériale commandée par Himerios, qui le poursuivit, sans pouvoir l’atteindre, et ne put l’empêcher de se diriger sur Thessalonique qu’il savait mal défendue .

La deuxième ville de l’Empire n’était protégée du côté de la mer que par des murs trop bas et son port où s’entassaient des navires de tous les pays était trop largement ouvert . En dépit d’une défense improvisée à la hâte par les envoyés de Léon VI, Thessalonique fut prise d’assaut après un siège de deux jours (29-31 juillet 904) et, après l’avoir pillée pendant dix jours, les Arabes s’éloignèrent en emmenant un immense butin et des troupeaux de prisonniers, qui furent rachetés à grands frais .

Cet événement tragique fit une impression profonde sur les contemporains, comme le montre le discours prononcé par le patriarche Nicolas le Mystique à Sainte-Sophie , et ne contribua pas peu à diminuer le prestige de l’Empire, en particulier dans la péninsule des Balkans, où Syméon, qui avait profité de la paix avec l’Empire pour organiser son État, songea un moment à repeupler Thessalonique dévastée avec des Bulgares et n’y renonça qu’après avoir obtenu en Macédoine un territoire qui mettait la frontière bulgare à 21 kilomètres de cette ville .

Et trois ans seulement après le désastre de Thessalonique, au moment où Léon VI préparait sa revanche contre les Arabes, une nouvelle attaque des Russes dirigée par Oleg, frère et successeur de Rourik, vint menacer Constantinople. Après avoir dévasté les environs de la ville, Oleg força Léon VI à lui accorder une entrevue et à conclure un traité qui fut renouvelé en 911 et contenait des clauses commerciales avantageuses pour la colonie de marchands russes établis au faubourgs Saint-Mamas . En signe de paix, Oleg avait fixé son bouclier sur la Porte d’Or .

La réalité de cette expédition, que les chroniqueurs byzantins passent sous silence et qui n’est connue que par la chronique russe dite de Nestor, a été mise en doute et Grégoire la considère comme un mythe, dû à une confusion entre Oleg et un vizir bulgare, Olgoutra Kanou, dont le nom figure sur une borne frontière  ; mais, comme on l’a fait remarquer, les dates des traités données par la chronique russe sont d’une précision qui dénote une connaissance des sources grecques, et le fait qu’un corps de 700 Russes participa à l’expédition d’Himerios en 910 indique bien qu’un accord avait été conclu récemment entre les Russes et l’Empire .

Cependant Léon VI, instruit par ses récents désastres, prit les mesures nécessaires à l’organisation d’une défensive efficace contre les Arabes, mais tout son effort se porta sur l’accroissement de la flotte , si bien que la lutte à la frontière terrestre conserva le caractère d’opérations décousues, de coups de main, d’échanges de prisonniers sans résultats appréciables . La réfection de la flotte étant achevée en 905, une expédition dirigée par Himerios dans l’Archipel remporta une grande victoire sur les Arabes , mais, comme on l’a vu, ce fut à ce moment que le commandant de la frontière d’Asie Mineure, Andronic Doukas, qui avait reçu l’ordre de rejoindre la flotte, trompé par une lettre mensongère du favori Samonas, fit défection et passa chez les Arabes . A la fin de 906 une tentative de paix, dont l’initiative fut prise par le calife, nécessita l’envoi à Bagdad de Léon Choirosphaktès et aboutit à un échange de prisonniers .

Ce fut Léon VI qui rompit cette trêve, vraisemblablement à la fin de son règne et certainement après l’expédition d’Oleg , en organisant une véritable armada placée sous le commandement d’Himerios et destinée à débarquer des troupes dans les ports de Syrie, principaux repaires de la piraterie après la Crète . L’expédition fut précédée de négociations destinées à détacher les émirs d’Afrique et de Crète de leur alliance avec Bagdad : une ambassade impériale envoyée à Kairouan obtint la neutralité du gouverneur de l’Afrique , tandis que l’émir de Crète se montra irréductible et resta hostile à l’Empire . Dans l’été de 910 Himenios débarqua dans l’île de Chypre après un dur combat et y établit les bases navales qui lui permirent d’attaquer la côte de Syrie et d’y occuper quelques forteresses, dont Laodicée (Latakieh) . Mais pendant ce temps les Arabes, sous le commandement du renégat Damien, reprenaient possession de Chypre et châtiaient les villages chrétiens qui s’étaient soumis à Himenios . Celui-ci battit en retraite vers le nord, poursuivi par une escadre musulmane qui l’atteignit à la hauteur de Samos et lui infligea un immense désastre (octobre 911) . Quand Himenios, qui avait échappé à peine à la captivité, revint à Constantinople, Léon VI était mort et Alexandre le fit interner dans un monastère où il mourut de chagrin . Malgré son insuccès, l’expédition d’Himerios avait détourné l’attention des Arabes de l’Asie Mineure, dont la frontière, où l’occupation byzantine avait été renforcée, se trouvait intacte et mieux défendue que jamais .

Les difficultés rencontrées par Léon VI dans sa lutte contre les Bulgares et les Arabes d’Orient furent dues sans doute en grande partie aux fautes qu’il commit dans sa politique intérieure, mais aussi à la dispersion des forces de l’Empire sur un théâtre trop étendu pour les ressources dont il disposait. Obligé d’assurer la défense de Constantinople contre les Bulgares et les Arabes, Léon VI continuait en même temps la politique de pénétration en Arménie et en Italie que lui avait léguée Basile.

Du côté de l’Arménie et des dynastes du Caucase son action fut surtout diplomatique. Aschod le Pagratide, roi de Grande Arménie, qui, comme on l’a dit, avait vu son titre royal reconnu à la fois par Basile et par le calife, vint à Constantinople en 888 et conclut un traité commercial et politique avec Léon VI . Ce traité fut renouvelé par son fils et successeur, Sempad, reconnu roi par le basileus et le calife (893) . Léon VI, dont la politique arménienne fut très active, reçut l’hommage de plusieurs feudataires arméniens, notamment de Grégoire, prince de Taron , et ayant appris que les Arabes transformaient les églises de la région du Phase en forteresses, il n’hésita pas à intervenir militairement et à faire détruire les forteresses arabes et même à faire occuper Théodosiopolis . Malheureusement les gouverneurs arabes de l’Azerbaïdjan, Afschin (896-898) et après lui son frère, Yousouf, s’inquiétèrent des bons rapports de Sempad avec Byzance et ravagèrent son État à plusieurs reprises. En 909, trahi par son neveu Kakigh que les Arabes reconnurent comme roi, Sempad, battu par Youssouf à l’est du lac Sévan, s’enfuit dans une forteresse, où il fut assiégé et fait prisonnier. Sommé d’abjurer le christianisme, il subit le martyre avec courage (914) .

A la veille de sa mort, Léon VI avait rassemblé des troupes pour le secourir, mais son successeur abandonna cette entreprise . C’était là un gros échec pour le prestige impérial. Par contre l’influence byzantine se développa dans la région du Caucase, où le baptême du chef des Alains vers 902, grâce au zèle de Bagrat, prince d’Abasgie, fut un véritable succès pour la politique de Léon VI et provoqua une correspondance suivie entre le patriarche Nicolas, le prince Bagrat et le nouvel archevêque d’Alanie .

En Italie la domination byzantine organisée par Nicéphore Phocas fut remise en question par la révolte des vassaux lombards et par les menaces des Sarrasins. En 887 le prince de Bénévent, Aïon, chassait la garnison byzantine de Bari, mais assiégé l’année suivante par une armée formée des thèmes d’Occident, il dut restituer la ville . Par représailles et pour soumettre plus étroitement les Lombards, le stratège Symbatikios s’empara de Bénévent après la mort d’Aïon en 891 et y fixa sa résidence. Les princes de Capoue et de Salerne furent menacés du même sort, mais les Lombards supportaient mal la domination byzantine et en 895, Guy, duc de Spolète, étant venu à leur secours, entra à Bénévent grâce à la complicité de l’évêque et des habitants . Ainsi que le pape Formose, Léon VI combattit la tentative de la maison de Spolète pour reconstituer le royaume d’Italie, en recherchant l’alliance du roi germanique Arnulf (894-896) , puis celle de Louis de Provence couronné empereur à Rome en 901, à qui il songea à marier sa fille Anne .

Mais le principal danger pour les possessions byzantines venait des Sarrasins établis en Sicile, en Calabre, en Campanie. Les escadres byzantines parvinrent à enlever aux Arabes de Sicile la maîtrise du détroit de Messine et à les chasser de la Calabre (898-899) , mais l’émir de Kairouan, Ibrahim-ibn-Ahmed, voulant réprimer la révolte de ses vassaux de Sicile, envoya une expédition dirigée par son fils Abdallah. Après avoir soumis les rebelles (août 900), Abdallah attaqua le territoire byzantin, pilla Reggio et détruisit une escadre impériale (901) . L’année suivante Ibrahim vint lui-même diriger la guerre sainte, s’empara de Taormina, dernière place tenue par Byzance en Sicile (3 septembre 902), envahit la Calabre, semant la terreur sur son passage, mais sa mort (octobre 902) entraîna la retraite de son armée .

Délivrées du péril africain, les possessions byzantines étaient encore exposées aux attaques de la colonie sarrasine de Campanie, établie dans une position formidable sur les hauteurs qui dominent le Garigliano . De ce repaire les Sarrasins rayonnaient dans les régions voisines, poussant leurs attaques jusqu’à la Campagne romaine, s’établissant sur les ruines de l’abbaye de Farfa, abandonnée en 898 . Élu pape en mars 914, Jean X réussit à organiser une alliance de toutes les puissances chrétiennes, princes lombards, comme le marquis Albéric de Spolète, milices de Naples et de Gaète détachées de l’alliance sarrasine, contingents de Toscane. Le pape lui-même commandait en personne une petite armée et la stratège byzantin de Bari adhéra à la ligue. En 915, pendant qu’une flotte byzantine remontait le Garigliano, les alliés établissaient le blocus du camp ennemi. Après trois mois de siège les Sarrasins tentèrent une sortie, incendièrent leur camp et se dispersèrent dans les montagnes où ils furent massacrés . Cette victoire, qui mettait fin à l’insécurité dans laquelle se trouvait l’Italie byzantine, eut son retentissement à Constantinople, comme le montre la lettre de félicitations du patriarche Nicolas, qui exerçait alors le pouvoir, au stratège Nicolas Picingli .

C’est à cette époque que l’établissement de l’Empire en Italie méridionale est définitivement consolidé et organisé. Jusqu’en 892 l’autorité y était exercée par des chefs de guerre chargés de missions temporaires et pris parmi les stratèges des thèmes d’Occident. A partir de cette date les territoires byzantins forment le thème de Longobardie, mais il n’est encore qu’une dépendance du thème de Céphalonie, avec un seul stratège pour les deux thèmes, qui ne furent séparés définitivement que sous Léon VI .

La succession de Léon VI. — Léon VI mourut le 11 mai 912. Depuis le 9 juin 911 Byzance avait trois empereurs : Léon, son frère Alexandre et Constantin Porphyrogénète, âgé de 6 ans . Alexandre, qui n’avait pas d’enfant, se trouva seul maître du pouvoir, son neveu devant lui succéder. Agé de 42 ans, Alexandre n’avait guère fait parler de lui pendant le règne de son frère. D’après les chroniqueurs, malintentionnés à son égard, il aurait été libertin, ivrogne, ignorant et surtout superstitieux . Toujours est-il que son avènement fut le signal d’une réaction violente contre les actes de Léon VI. Il commença par chasser Zoé du palais  et par rappeler Nicolas le Mystique au patriarcat. Euthyme fut déposé solennellement, accablé de coups et d’injures, puis exilé dans un monastère où il subit les plus mauvais traitements  ; les métropolites qui avaient abandonné Nicolas dans l’affaire de la tétragamie furent déposés  et, par ordre d’Alexandre, le patriarche envoya au pape un plaidoyer pour justifier sa conduite, mais ne reçut aucune réponse . Les divisions du clergé grec furent plus profondes que jamais et Nicolas dut compter avec une sérieuse opposition de la part de certains métropolites qui, comme Aréthas, archevêque de Césarée, refusèrent de le reconnaître comme patriarche légitime .

Si bref que fut le règne d’Alexandre, il trouva moyen de brouiller l’Empire avec les Bulgares en refusant de renouveler le traité par lequel Léon VI s’était engagé à payer un léger tribut à Syméon . Ce refus devait avoir des conséquences funestes pour Byzance. L’incapable basileus mourut le 6 juin 933 en laissant le trône à son neveu, après avoir institué un conseil de régence présidé par le patriarche Nicolas .

La crise terrible qui suivit la mort d’Alexandre et dura six ans (913-919) se déroula en trois actes comme une tragédie classique. Maître du pouvoir, Nicolas le Mystique chassa de nouveau Zoé qui était rentrée au palais . Inquiet de la situation intérieure et de la menace bulgare, il avait écrit, avant qu’Alexandre fût mort, à Constantin Doukas, fils d’Andronic, commandant des troupes réunies pour faire face aux Bulgares, de venir défendre le trône de l’enfant impérial, auquel il serait associé  ; mais lorsque le pouvoir lui eut été confié, il changea d’avis et l’entreprise de Doukas, tué au cours de l’émeute qui accompagna son entrée à Constantinople, échoua complètement (juin 913) . Au mois d’août suivant, Syméon paraissait devant la ville, mais à la vue de ses fortes murailles, il accepta un accommodement  (990). Il fut convenu que le patriarche lui enverrait les arrérages en retard du tribut et il exigea en outre une promesse de mariage d’une de ses filles avec le jeune basileus , clause significative qui dévoilait son ambition d’intervenir dans les affaires de la dynastie macédonienne. Bien plus, dans l’entrevue que Nicolas eut avec lui, Syméon se fit couronner par le patriarche qui, en guise de diadème, lui mit sa propre coiffure, son épirriptarion sur la tête, ce qui revenait à faire de lui un basileus .

Cependant le patriarche et les régents manquaient d’autorité et Nicolas reprochait aux chefs de l’armée de prendre des initiatives sans même le tenir au courant de leurs projets . Sur ces entrefaites, l’impérial enfant se mit à réclamer sa mère et il fallut lui donner satisfaction. Zoé rentra au palais et, avec une décision remarquable, s’empara du pouvoir en rappelant les anciens conseillers de Léon VI et en chassant ceux d’Alexandre, à commencer par les régents . Elle voulait déposer Nicolas et rappeler Euthyme, mais celui-ci, avec qui son adversaire s’était hâté de se réconcilier, lui opposa un refus formel  et elle se contenta d’exiger du patriarche la promesse de s’occuper exclusivement des affaires de l’Église (février 914) .

Mais dans l’ardeur de sa réaction Zoé attira un nouvel orage sur l’Empire en déchirant le traité conclu entre Syméon et Nicolas, tandis que le prince bulgare se considérait comme dégagé de ses promesses . Il en résulta une guerre de trois ans qui débuta par le ravage de la Thrace (septembre 914) . Pour tenir les Bulgares en respect, Zoé avait fait alliance avec un peuple touranien nouvellement arrivé sur le Dniéper, les Petchenègues . Ce fut seulement en 917 qu’une expédition commandée par Léon Phocas envahit la Bulgarie, tandis que Romain Lécapène remontait le Danube avec la flotte et que Jean Bogas amenait les Petchenègues sur le fleuve. Mais il y eut une contestation entre ces deux chefs et les barbares retournèrent dans leur pays. De plus, le 20 août 917 Syméon surprit l’armée impériale en retraite sur Mesembria et la détruisit entièrement devant Anchiale . La route de Constantinople était libre et les débris de l’armée vaincue subirent d’une nouvelle défaite à Katasyrtae, dans la banlieue de la ville  : cette fois encore Syméon n’osa l’assiéger et battit en retraite, mais ce fut pour aller ravager la Grèce qu’il parcourut impunément jusqu’au golfe de Corinthe .

Le dernier acte de la tragédie approchait ; Zoé, sentant le trône en péril, et Nicolas, désireux de reconquérir la régence, n’attendaient plus le salut que d’un chef de guerre, soit de Léon Phocas, domestique des scholes, fort de ses alliances aristocratiques, soit de Romain Lécapène, grand-drongaire de la flotte , revenus tous deux à Constantinople et impatients de saisir le pouvoir. La situation fut dénouée par l’initiative d’un comparse, le précepteur du jeune basileus, Théodore ; il fit des ouvertures à Romain Lécapène, qui ne consentit à s’engager qu’après avoir reçu un ordre autographe du Porphyrogénète. Nicolas le Mystique, rappelé au palais, destitua Léon Phocas de sa charge et le 25 mars 919 toute la flotte vint jeter l’ancre sous les murs du palais, où Romain pénétra après avoir juré de ne rien entreprendre contre l’empereur. Il commença par destituer tous ceux qui lui étaient suspects, les remplaça par ses affidés, fiança sa fille Hélène au jeune Constantin et prit le titre, créé par Léon VI pour Stylianos, de basileopator . A cette nouvelle Léon Phocas, retourné en Asie, souleva les thèmes d’Orient et arriva jusqu’à Chrysopolis, mais Romain le fit déclarer apostat et un chrysobulle, qu’un secrétaire eut la hardiesse de porter à ses troupes, leur défendit de lui obéir. Abandonné de ses soldats et fait prisonnier, il eut les yeux crevés et fut promené ignominieusement dans les rues de Constantinople . Romain Lécapène était désormais le maître. Zoé, qu’il négligeait, ayant essayé de l’empoisonner, fut reléguée dans un monastère et le précepteur Théodore lui-même invité à retourner dans ses terres. Le 24 septembre 919, Romain prenait le titre de César et le 17 décembre suivant il était couronné basileus par le patriarche Nicolas en présence de Constantin Porphyrogénète .

 

7.  L’Œuvre de Romain Lécapène  (919-944)

Bien qu’en fait le pouvoir du nouveau basileus fût le résultat d’une usurpation, son association à l’Empire n’en manifeste pas moins un progrès des idées légitimistes et de la doctrine dynastique. Non seulement il s’était engagé par les serments les plus solennels à respecter la personne et le pouvoir de Constantin VII, mais en droit c’était de cet enfant qu’il tenait la couronne : un siècle plus tôt, l’héritier du trône eût été pour le moins relégué dans un monastère, sinon mutilé ou aveuglé . Romain Lécapène inaugurait ainsi la série des chefs de guerre proclamés empereurs pour préserver les droits des héritiers légitimes et ce fut grâce à cette fiction que la dynastie macédonienne se perpétua encore un siècle et demi. En réalité d’ailleurs il régna toujours une opposition sourde entre le Porphyrogénète et son protecteur, qui chercha par tous les moyens à faire de sa famille une dynastie impériale.

D’origine obscure, fils d’un soldat du thème des Arméniaques qui avait sauvé la vie à Basile dans une bataille, Romain Lécapène fut d’abord simple soldat de marine. Comme Basile naguère il aurait dû son avancement à un exploit accompli sous les yeux de l’empereur, en tuant un lion qui allait dévorer un soldat. Léon VI lui donna de l’avancement. En 911 il était stratège du thème de Samos  et avant la mort du même prince il devint drongaire de la flotte, mais, rendu responsable du désastre d’Anchiale, il échappa de justesse à la destitution . Constantin Porphyrogénète le représente comme dénué de toute instruction, mais son témoignage est loin d’être impartial .

Parvenu au pouvoir suprême, Romain le voulut sans aucun partage et ne laissa pas la moindre autorité au jeune Constantin, allant jusqu’à punir les familiers qui lui montraient trop d’attachement  ; il ne lui suffit pas d’en avoir fait son gendre sans violer ouvertement son serment, il entreprit de l’annihiler progressivement en élevant au-dessus de lui les membres de sa famille. A son avènement il confia le poste important de grand-hétériarque (chef de la garde étrangère du palais) à son fils aîné Christophe déjà marié, et le 20 mai 920 il le fit couronner basileus par le patriarche et par l’infortuné Constantin VII . Ses deux autres fils, Constantin et Étienne, reçurent la même dignité le 20 décembre 924 et le même jour leur plus jeune frère Théophylacte, destiné au patriarcat, fut ordonné clerc et créé syncelle par le patriarche Nicolas . Enfin avec une grande habileté Romain sut faire de ce redoutable prélat un allié : la haine commune de Zoé les rapprocha. Euthyme mourut en 917  et Nicolas consentit à mettre sa grande autorité au service du gouvernement de Romain .

La guerre bulgare. — La première tâche qui s’imposa au nouveau basileus fut de se préparer à défendre Constantinople contre Syméon, désireux de profiter des discordes civiles de Byzance pour s’emparer du trône impérial. Mais avec l’avènement de Romain Lécapène s’évanouissait l’espoir du mariage de sa fille avec le Porphyrogénète. Syméon en fut profondément ulcéré. Aussi lorsque Romain, s’efforçant d’éviter la rupture, lui fit des offres de conciliation par l’intermédiaire du patriarche, proposant de lui payer tribut et même de faire épouser sa fille par l’un de ses fils , Syméon repoussa tout avec hauteur. C’était en vain que Nicolas le Mystique multipliait ses lettres dans lesquelles les exhortations se mêlaient aux considérations politiques . Syméon, avant toute négociation, exigeait que Romain Lécapène lui cédât le trône .

Ces pourparlers se prolongeaient encore, la guerre une fois commencée. Elle devait continuer pendant cinq ans (été de 919 à septembre 924) . Syméon, qui ne pouvait plus compter sur un effet de surprise, avait affaire cette fois au chef de guerre expérimenté qui occupait le trône byzantin et au diplomate averti qu’était le patriarche Nicolas. Un raid bulgare sur lès Dardanelles (été de 919), qui ouvrit les opérations, semble avoir eu pour objet d’intimider l’adversaire . Une révolte de la Serbie contre les Bulgares, suscitée par Romain Lécapène, occupa l’attention de Syméon pendant l’année 920, mais Zacharie, le chef de la révolte, fut fait prisonnier et le pays fut dépeuplé .

Ce fut seulement en 921 que Syméon, après avoir envoyé son ultimatum à Nicolas , put marcher sur Constantinople, mais sa première tentative échoua par suite de la défaite que lui infligea l’armée impériale à Katasyrtae . Laissant ses troupes à Héraclée et à Selymbria, il alla passer l’hiver en Bulgarie et les lettres de Nicolas se firent inutilement plus pressantes . Une seconde attaque (été de 922) aboutit au pillage du palais de la Source, mais vers l’automne, les Bulgares s’étant de nouveau approchés de la Grande Muraille, Romain organisa une sortie, au cours de laquelle le camp bulgare fut détruit : Syméon dut battre en retraite . Ces échecs le rendirent plus accommodant et il demanda qu’un envoyé fût accrédité auprès de lui . Tout en négociant il envahissait la Thrace en 923 et s’emparait d’Andrinople, mais sans aller plus loin, il regagna la Bulgarie, et la garnison qu’il laissa dans la ville se retira à la première approche d’une armée byzantine .

Ainsi la constance de Lécapène lassait l’ambitieux Bulgare : son recul était dû sans doute à la révolte du prince Paul de Serbie, soudoyé par l’empereur, dont elle rétablissait les affaires, au moment où le bourreau de Thessalonique, Léon de Tripoli, subissait une défaite navale, et qui négociait de nouvelles alliances contre les Bulgares avec les Hongrois et les peuples de la steppe . Rendu plus accommodant par ses déboires, Syméon esquissa une tentative de négociation , mais après avoir vaincu les Serbes (début de 924) il recommença ses menaces  et comprenant qu’il ne prendrait jamais Constantinople sans le concours d’une flotte, il s’allia aux Fatimites d’Afrique et signa avec eux un traité qui prévoyait une double attaque de la ville impériale par terre et par mer ; mais la capture des deux ambassades bulgare et arabe par un drongaire byzantin fit échouer le projet : les Arabes, comblés d’égards par Romain, abandonnèrent leur allié .

Mais Syméon avait un tel désir de trôner au Palais Sacré que cet échec ne l’arrêta pas et qu’après avoir ravagé la Thrace et la Macédoine (été de 924), il parut sous les murs de Constantinople, puis, au moment où les habitants s’attendaient à être attaqués, il ouvrit des négociations. Se flattait-il d’être reçu pacifiquement dans la ville ? On l’ignore. Toujours est-il qu’avec un véritable courage Romain Lécapène se rendit à l’entrevue que Syméon avait exigée et qu’il le détermina à signer une trêve par laquelle il restituait à l’Empire plusieurs places de la mer Noire en échange d’un léger tribut et de quelques présents (9 septembre 924) .

Le maigre résultat d’un si grand effort libérait Constantinople, mais, vaincu sans avoir combattu, de retour dans son pays, Syméon recouvra son insolence et refusa de livrer, les forteresses promises sous prétexte que l’Empire était incapable de les défendre contre les Arabes  et il s’intitula de sa propre autorité basileus et autocrator des Bulgares et des Grecs , Romain ayant protesté, il obtint du pape en 926 la confirmation de son titre impérial et l’élévation de l’archevêque de Bulgarie à la dignité de patriarche .

Gouvernement intérieur. — Si Romain Lécapène avait pu écarter ainsi un des plus grands dangers que l’Empire ait courus, il le devait en grande partie à la fermeté et à la sagesse de sa politique intérieure. Avec lui prit fin le gouvernement des favoris qui était la honte des règnes précédents. Il s’entoura d’hommes probes et compétents. Jusqu’à sa mort en 925 le patriarche Nicolas fut réellement son premier ministre. On vient de voir la place importante qu’il tenait dans les relations extérieures, mais sa correspondance montre l’autorité qu’il exerçait aussi dans l’administration intérieure . Après lui ce fut aussi un secrétaire intime du basileus, Jean le Mystique, qui reçut la direction des affaires, mais il excita la jalousie, fut accusé faussement de complot et dut entrer dans un monastère . Théophane le protovestiaire, qui lui succéda dans ses attributions, très compétent en matière diplomatique et navale, fut pendant 39 ans le premier personnage de l’État après l’empereur . Parmi les chefs de guerre que Romain sut choisir avec discernement le plus remarquable fut l’Arménien Jean Courcouas (Gourguen), qui avait aidé le basileus à arriver au pouvoir et qui lui resta fidèle .

Aidé par ses conseillers, Romain Lécapène s’efforça d’agir toujours en vue du bien commun. Il est le premier empereur qui ait pris des mesures législatives pour enrayer l’extension inquiétante des grands domaines aux dépens de la petite propriété et pour préserver l’intégrité des biens militaires, fondement du régime des thèmes et du recrutement d’une armée indigène .

En 928, à la suite d’une famine due à une mauvaise récolte, conséquence d’un hiver rigoureux, beaucoup de paysans durent mettre leurs terres en gage aux mains des puissants et il leur fallait au moins dix ans pour les dégager, d’où la novelle de 934 qui flétrit l’égoïsme des puissants et qui, sans ordonner une éviction générale de tous les propriétaires qui détiennent les biens des pauvres, annule toutes les transactions, dons, héritages, postérieurs à 922, et décide que tout domaine acheté à un prix inférieur à la moitié du prix raisonnable sera restitué sans indemnité ; par contre, si l’achat a été régulier, le domaine pourra être restitué dans les trois ans moyennant le remboursement de la somme versée . « La petite propriété, écrivait Romain, a une grande utilité pour le paiement des impôts et l’accomplissement du service militaire. Tout sera en péril si elle disparaît . » Fils lui-même d’un possesseur d’un bien militaire, Romain voyait le danger que courait la démocratie rurale, qui était le meilleur appui de l’État.

Cette politique courageuse, mais impitoyable, lui faisait des ennemis dans l’aristocratie et même parmi ses propres fonctionnaires, mais surtout on ne pardonnait pas à ce parvenu ses empiètements continuels sur l’autorité de l’héritier légitime et ses efforts pour implanter sa famille sur le trône de Byzance. Aussi pendant tout son règne Romain eut à réprimer les complots des fidèles de Constantin VII, qui furent punis surtout de châtiments corporels et d’exil .

Politique religieuse. — L’un des bienfaits du gouvernement de Romain Lécapène fut le rétablissement de la paix dans l’Église. La mort d’Euthyme le 5 août 917 n’avait pas fait cesser le schisme entre ses partisans et ceux de Nicolas . Bien qu’il n’eût plus à craindre de compétiteur et possédât toute la confiance de Lécapène, le patriarche ne s’était pas départi de son intransigeance et ne voulait réconcilier les Euthymiens que s’ils signaient une rétractation écrite de leur conduite, avec serment solennel de ne pas retomber dans la même faute en excusant les quatrièmes noces . Vraisemblablement sur le désir du basileus, qui voulait avant tout la paix, Nicolas accepta un compromis dont la mémoire de Léon VI fit les frais. Après la tenue d’un concile, le patriarche promulgua le Τόμος  νώσεως (tomus unionis), souscrit sans difficulté par les deux partis (9 juillet 920) . Le quatrième mariage de Léon était flétri et Constantin Porphyrogénète reconnu légitime par simple tolérance. Le fils de Léon le Philosophe dut assister à la lecture solennelle de l’acte qui condamnait son père et il en fut de même à chaque anniversaire de cette journée .

Il restait à renouer les relations avec Rome, rompues depuis la dispense accordée à Léon VI par le pape Sergius III en 906. Nicolas n’avait reçu aucune réponse à la lettre qu’il avait écrite à Rome au moment de son rétablissement en 912 . Sur l’ordre de Romain Lécapène, il se mit en relation avec le pape Jean X. Dans une première lettre il semblait rendre les prédécesseurs de ce pape responsables des troubles qui avaient agité l’Église grecque . Ses lettres suivantes, beaucoup plus conciliantes, accompagnées d’une missive écrite au nom de Constantin Porphyrogénète, demandaient au pape d’envoyer des légats qui rétabliraient les relations entre Rome et Constantinople : le nom du pape serait établi dans les diptyques, mais, en tenant compte de la dispense accordée à Léon VI, le pape s’associerait à la condamnation des quatrièmes noces . En 923 Jean X envoya en effet deux évêques à Constantinople, mais on n’est renseigné sur leurs actes que par une lettre de Nicolas le Mystique à Syméon d’après laquelle les légats jetèrent l’anathème sur les quatrièmes noces et rétablirent la concorde des Églises. Ils devaient aussi intervenir auprès de Syméon, mais le patriarche, craignant sans doute l’influence qu’ils pourraient prendre sur le prince bulgare, ne les envoya pas à Preslav sous prétexte que les routes n’étaient pas sûres .

Après ce dernier triomphe Nicolas le Mystique mourut le 15 mai 925  et la question du patriarcat devint l’un des soucis de Romain Lécapène qui entendait bien le réserver à son fils Théophylacte, encore trop jeune pour y accéder. Ce fut seulement au mois d’août suivant qu’il se décida à y installer un homme d’âge, Étienne, métropolite d’Amasée, qui mourut au bout de deux ans et onze mois (décembre 928). II fut remplacé par un moine austère, Tryphon, qui se montra sans doute peu docile, car il fut déposé en août 930 : on lui aurait fait signer par surprise son abdication , Théophylacte n’avait encore que 13 ans et le patriarcat resta vacant plus d’un an, mais il fallut une véritable campagne diplomatique pour venir à bout de l’opposition du synode lorsque le jeune prince eut ses quinze ans révolus. Romain Lécapène fit pression sur les évêques en leur rappelant qu’ils avaient déjà élu Théophylacte, dont l’ordination avait été seulement différée, et il alla jusqu’à demander l’adhésion du pape Jean XI, dont les légats vinrent introniser le nouveau patriarche et lui conférer le pallium (2 février 993) .

Détail intéressant : probablement sur le désir de son père, Théophylacte envoya sa synodique aux trois patriarches d’Orient en leur demandant de rappeler son nom dans la liturgie, usage suspendu depuis les Ommiades et dont la portée politique est certaine .

L’œuvre extérieure. — Les résultats de la politique extérieure de Romain Lécapène tiennent une place importante dans l’histoire de Byzance et marquent un tournant décisif. Non seulement il a résisté victorieusement à toutes les attaques, mais il a préparé l’Empire à reprendre l’offensive contre ses ennemis et, depuis Justinien, il est l’un des premiers empereurs qui aient laissé la Romania plus grande qu’il ne l’avait trouvée.

Il a dû ces succès a une diplomatie aussi habile que développée et une armée bien commandée. Ancien drongaire de la flotte, il a donné tous ses soins à la marine et son règne est une des périodes les plus prospères de l’histoire navale de Byzance. Sa tâche fut facilitée par la situation des pays voisins de l’Empire. Il trouva en face de lui un État bulgare maîtrisé, un califat troublé par les guerres civiles et démembré, un Occident en pleine anarchie.

On peut dire que le pivot de sa politique fut son alliance avec la Bulgarie.

Syméon était mort le 27 mai 927  après avoir réprimé un soulèvement des Serbes  et subi un gros désastre en voulant attaquer la Croatie . Déshéritant son fils aîné, Michel, devenu moine, Syméon avait choisi pour successeur le plus jeune de ses fils, Pierre, encore mineur, sous la régence de son oncle, Soursouboul. Celui-ci, devant les dangers de toutes sortes qui menaçaient la Bulgarie, n’hésita pas à se rapprocher de Byzance, mais appuya les négociations par une action militaire en menaçant d’investir Thessalonique si la main d’une princesse porphyrogénète n’était pas accordée au tsar Pierre . Romain Lécapène, qui avait besoin de toutes ses forces contre les Arabes, accepta la proposition. En octobre 927, Pierre vint à Constantinople épouser Marie, fille de Christophe Lécapène, qui prit le nom symbolique d’Irène (La Paix)  et Soursouboul signa avec Romain un traité d’alliance qui restituait à l’Empire les villes du golfe de Bourgas en échange d’une rectification de frontière du côté de Thessalonique. En véritable réaliste, Romain concédait à Pierre ce titre de basileus que Syméon n’avait pu obtenir et s’engageait à donner le pas dans les cérémonies aux ambassadeurs bulgares sur toutes les autres légations .

Cette alliance était profitable aux deux États, également menacés par les peuples des steppes, en particulier par les Hongrois, qui, comme autrefois les Avars, étaient des éléments de trouble pour toute l’Europe, dirigeant leurs courses indifféremment vers l’Occident ou l’Orient, redoutables surtout au monde slave qu’ils séparèrent en deux tronçons, expulsant les Bulgares de la rive gauche du Danube, détruisant la Grande Moravie et battant les Russes d’Oleg devant Kiev. Contre eux la Bulgarie couvrait Constantinople, mais d’une manière insuffisante, comme le montra l’invasion hongroise qui ravagea la Thrace en 934, et, d’après Maçoudi, aurait poussé jusqu’à la Ville Impériale et se termina par un traité de paix dû à l’habileté du protovestiaire Théophane .

L’offensive de l’islam arrêtée. — La lutte contre les Arabes domine toujours la politique extérieure de Byzance. Mais l’alliance bulgare permet à Romain Lécapène d’employer à cette guerre perpétuelle ses principales forces. D’autre part c’est le moment où le califat abbasside perd son autorité sur le monde musulman, tandis que le chef de sa garde turque, avec le titre d’émir-al-oumarâ (émir en chef), l’avait réduit au rôle de roi fainéant , que les sectes hérétiques des Kharedjites et des Alides chiites suscitent des troubles qui dégénèrent en guerres civiles , et que les schismes religieux provoquent le séparatisme politique et le démembrement territorial du califat. Depuis le fin du ixe siècle les provinces éloignées échappent à l’autorité du calife l’une après l’autre : c’est l’Asie centrale, la Transoxiane, pénétrée de civilisation iranienne, où se succèdent trois dynasties, dont la dernière, les Sâmnides, lutte de magnificence avec les califes  ; ce sont l’Égypte et la Syrie, où le fils d’un esclave turc fonde la dynastie des Toulounides (879)  ; retombées au pouvoir du calife en 905, ces deux provinces ne tardent pas à se séparer encore sous le gouvernement des Ikhchides (935) . Mais l’événement qui devait briser l’unité politique et religieuse de l’islam fut la création de l’État des Fatimites par le Mahdi Obeid-Allah, fils de l’imam caché descendant d’Ali et de Fâtima, la fille du Prophète. En 910 Obeid-Allah renversa la dynastie des Aglabites, s’établit à Kairouan, prit le titre de calife, en proclamant la guerre sainte contre les Abbassides . En 929 l’émir ommiade de Cordoue se fit aussi proclamer calife , de sorte qu’il y eut désormais trois commandeurs des croyants.

Ainsi Romain Lécapène ne trouvait plus devant lui un front arabe unique, mais des dominations indépendantes, ennemies les unes des autres et prêtes à s’allier aux chrétiens, ce qui ouvrait un vaste champ aux manœuvres de la diplomatie byzantine. Les émirs mêmes, soumis encore nominalement au califat, celui d’Azerbaïdjan, de qui dépendait l’Arménie, les Hamdanides de Mossoul et d’Alep, les émirs de Tarse, de Mélitène et d’Édesse avaient chacun leur politique indépendante.

Depuis la mort de Léon VI jusqu’à la conclusion de l’alliance avec les Bulgares (912-927) l’Empire dut rester sur la défensive en cherchant à protéger ses frontières et à arrêter les incursions annuelles des émirs voisins, qui y voyaient un procédé fructueux pour lever un tribut sur les populations chrétiennes, mais ne songeaient plus à une guerre de conquête . Les gouverneurs des thèmes byzantins s’étaient adaptés à ce régime et rendaient coup pour coup, grâce à un excellent service de renseignements et à une tactique appropriée. Ce fut ainsi qu’en 915, pendant que les Arabes de Tarse attaquaient la frontière, les Grecs faisaient une expédition fructueuse en Mésopotamie et s’emparaient de Marasch . Au moment de l’attaque bulgare en 916, Zoé ouvrit des négociations qui furent dirigées par le patriarche Nicolas : après une ambassade de deux patrices à Bagdad, il y eut un échange de prisonniers en 917 .

Cette trêve, bien qu’interrompue par des coups de main en Asie Mineure , dura jusqu’à l’avènement de Romain Lécapène qui, même avant la conclusion de l’alliance bulgare, donna une nouvelle impulsion à la défensive de l’Empire en cherchant des diversions contre les Arabes. Ce fut ainsi qu’il rendit plus étroite l’alliance avec le roi de Grande Arménie, Aschod II, qui était venu à Constantinople (914-915) . L’émir d’Azerbaïdjan ayant envahi le royaume d’Aschod, Romain n’hésita pas à envoyer une armée qui repoussa l’émir dans sa province (923) . L’année précédente les Byzantins avaient remporté un grand succès naval : le trop célèbre Léon de Tripoli fut surpris par le drongaire Jean Radinos au moment où il ravageait l’île de Lemnos. Sa flotte fut coulée et lui-même échappa à peine à la captivité . Mais on était au moment de l’attaque de Syméon contre Constantinople et comme Romain ne pouvait envoyer aucune force en Asie, les coups de main à la frontière recommencèrent . Le basileus chercha alors à conclure une trêve avec le calife, et après avoir été d’abord repoussé, y parvint en 925 et obtint un échange des prisonniers .

En 926 Romain, tranquille du côté de Syméon, engagé dans ses guerres yougoslaves, réorganise la défense des frontières d’Orient et oblige les petits chefs arabes, qui avaient profité des circonstances pour éluder leurs obligations, à acquitter le tribut en retard, sous peine de voir leur territoire dévasté. Comme ils refusaient d’obéir, il envoya contre eux une armée commandée par son meilleur stratège, Jean Courcouas, qui ravagea les environs de Mélitène sans pouvoir s’emparer de la ville .

La paix définitive avec la Bulgarie rendit à Romain Lécapène sa liberté d’action et il prit franchement l’offensive contre le califat . Son principal objectif était la pénétration en Cilicie et en Haute Mésopotamie avec l’appui de l’Arménie. La première guerre dura onze ans (927-938) et fut conduite presque exclusivement par Jean Courcouas, « cet autre Trajan, cet autre Bélisaire » . Pénétrant jusqu’à la vallée de l’Euphrate, il occupe temporairement Samosate  en 927 et envahit l’Arménie arabe où il échoue devant Towin (928) , mais, malgré cet insuccès, il se maintient dans la région et s’empare de plusieurs villes musulmanes dont il transforme les mosquées en églises . Les villes de Mésopotamie assiégées réclamaient en vain des secours de Bagdad et devaient se soumettre à l’empereur . La réaction arabe ne se manifestait que par des razzias en Asie Mineure, suivies d’ailleurs de représailles . En 931 l’émir de Tarse, Souml, allait piller Amorium et Ancyre sans rencontrer de résistance . Ces diversions n’atteignaient pas leur but et Jean Courcouas continuait son expédition victorieuse en Orient. Ce fut probablement en 931 qu’il s’empara de Théodosiopolis (Erzeroum) après un siège de 7 mois  et, à la fin de la même année, fit capituler Mélitène  et assiégeait de nouveau Samosate.

Ce fut alors qu’intervint pour la première fois un membre de cette famille des Hamdanides, qui allait opposer une si longue résistance à la conquête byzantine ; Saïd-ibn-Hamdan força Courcouas à lever le siège de Samosate et reprit Mélitène (fin de 931) , mais en 934 Jean Courcouas, dont l’armée était renforcée par un corps d’Arméniens, obligeait cette ville d’une importance considérable à capituler de nouveau : l’empereur en fit un état vassal . Les opérations se ralentirent plusieurs mois, puis en 938 les armées impériales se heurtèrent à l’homme qui devait être le plus farouche adversaire de l’Empire : l’émir hamdanide Seïf-ad-Daouleh attaqua les postes grecs sur le haut Euphrate, battit en retraite devant Jean Courcouas, puis s’arrêta subitement sur une position bien choisie et lui infligea une grosse défaite . Romain Lécapène, comprenant à quel ennemi il avait affaire, hâta les négociations déjà commencées avec Bagdad et signa une trêve accompagnée d’un échange de prisonniers .

La durée de cette trêve, conclue avant juillet 938, ne fut pas longue. Dès la fin de l’automne 939 Seïf-ad-Daouleh la rompait de son propre chef et envahissait l’Arménie . Dès lors commença une seconde guerre qui se poursuivit jusqu’à la chute des Lécapènes (939-945) et eut le caractère d’un duel entre l’Empire et les Hamdanides.

Cette famille des Hamdanides appartenait à une tribu arabe, les Taglib, émigrés en Mésopotamie, qui avaient gardé de leur origine l’amour de l’indépendance et le goût des entreprises audacieuses. Établis sur le territoire de Mossoul, les Hamdanides comptèrent parmi les personnages influents du califat. L’un d’eux, Aboul-Khaidj, gouverneur de Mossoul au début du xe siècle, eut deux fils : l’aîné, Chosan, reçut du calife le gouvernement de Mossoul avec le titre de Nazir-ad-Daouleh (défenseur de la dynastie), le second, Ah, né en 916, le gouvernement d’Alep et le titre de Seïf-ad-Daouleh (épée de la dynastie) . D’une bravoure sans égale, aventureux et chevaleresque, Seïf-ad-Daouleh était en même temps un lettré, entouré de poètes qui célébraient ses exploits et poète lui-même . Ennemi implacable des Grecs, complètement indépendant du calife, il se souciait peu des traités conclus avec l’Empire et poursuivait sa politique personnelle, dont le but était la création d’un État autonome.

C’est ce qui explique son attaque subite contre l’Arménie, marquée par des succès éclatants, la destruction de la ville que les Grecs avaient bâtie en face d’Erzeroum, qui produisit un tel effet que plusieurs chefs arméniens et géorgiens vinrent lui faire leur soumission, et le ravage du thème des Arméniaques, à la suite d’une lettre où Romain Lécapène le défiait d’entrer sur le territoire de l’Empire . Le cours de ses exploits fut arrêté par son conflit avec des chefs turcs qui battirent ses troupes et l’obligèrent à s’enfuir à Bagdad. Là les Hamdanides prirent une grande part aux guerres civiles qui suivirent la mort du calife Ar-Râdi et furent un moment les maîtres de la capitale (940-942) . Il en résulta pour l’Empire une période de répit qui fut employée à préparer une nouvelle offensive.

Elle commença en novembre 942. A la tête d’une forte armée, Jean Courcouas envahit l’Arménie, où il s’empara d’Arzen au nord du lac de Van, puis pénétrant dans la Mésopotamie septentrionale, il en occupa les villes, Maïafaryqin (Martyropolis), Diarbékir, Dara,, Nisibe, sans les annexer, en se contentant de faire des prisonniers. Puis, évacuant la vallée du Tigre, il alla attaquer Édesse qu’il obligea à capituler et à livrer la relique insigne, le portrait miraculeux du Christ envoyé par lui au roi Abgar, dont la possession fait l’orgueil de la cité . Ce fut avec l’autorisation du calife, après une consultation demandée aux ulémas, qu’en échange de la libération des prisonniers musulmans, l’émir d’Édesse céda l’icône qui fut transportée triomphalement à Constantinople . Rien ne pouvait mieux contribuer à rehausser le prestige de l’Empire en Orient que la capture de cette relique, regardée comme une grande victoire.

Jean Courcouas termina sa campagne par la prise de la place importante de Germanicia (Marasch), mais à son retour à Constantinople, en butte à la jalousie des fils de Lécapène, il fut envoyé en disgrâce et remplace par un incapable, Panthérios, qui se fit battre par Seïf-ad-Daouleh . Un événement néfaste pour l’Empire fut l’installation de Seïf-ad-Daouleh à Alep, qu’il enleva au gouverneur d’Égypte et de Syrie, 1’Ikhchide, et dont il fit sa résidence . Après avoir pu la réoccuper quelque temps, l’Ikhchide céda cette ville au Hamdanide ainsi qu’Antioche et Émèse (novembre 945) .

L’attaque des Russes. — Pendant que Romain Lécapène profitait des guerres civiles du califat pour reconstituer ses forces en vue d’une future offensive, Constantinople fut de nouveau attaquée par une immense flotte russe de monoxyles qui avait descendu le Dniéper  sous la conduite du prince Igor, le plus jeune des fils de Rurik et successeur d’Oleg, son oncle. L’expédition préparée dans le secret fut un effet de surprise et paraît avoir eu pour but le pillage, peut-être aussi, comme on l’a supposé, le désir de contraindre Byzance à accorder aux marchands russes, répandus déjà dans toute la Méditerranée, des clauses commerciales avantageuses . Pris au dépourvu, la flotte impériale croisant dans l’Archipel, Romain rassembla toutes les forces dont il disposait et rappela d’Asie l’armée de Jean Courcouas . Lorsque les innombrables barques russes arrivèrent devant Constantinople le 11 juin 941, elles furent inondées de feu grégeois, dont les appareils (siphones) avaient été disposés sur 15 navires lourds (chelandia) qu’on avait découverts dans le port et dont le protovestiaire Théophane avait pris le commandement . L’effet fut immédiat ; la flotte russe désemparée aborda sur la côte de Bithynie et des bandes de guerriers se dispersèrent entre Héraclée et Nicomédie en ravageant toute la région et en infligeant les plus cruelles tortures aux habitants et en particulier aux clercs. Bardas Phocas avec une petite troupe détruisit un grand nombre de ces bandes de partisans et l’arrivée de l’armée de Jean Courcouas acheva leur défaite. Lorsqu’en automne ils voulurent retourner dans leur pays, Théophanes leur barra le chemin et, comme ils essayaient de passer en Thrace, il les attaqua et les inonda encore une fois de feu grégeois. Très peu d’entre eux parvinrent à regagner la Russie .

Cependant Igor ne se tint pas pour battu et en 944 prépara une expédition encore plus formidable en enrôlant de nombreuses tribus slaves et en s’alliant aux Petchenègues : il s’agissait d’une expédition par terre. Averti de ces préparatifs par les Bulgares, Romain envoya à Igor une ambassade qui le rejoignit sur le Danube et parvint à force de présents à le déterminer, lui et ses alliés, à conclure une trêve et à envoyer des plénipotentiaires à Constantinople, où fut signé un traité qui reproduisait les accords précédents, donnait un statut avantageux aux commerçants russes dans l’Empire et portait la promesse que les princes russes n’attaqueraient jamais Kherson et les autres villes de la Crimée . Igor mourut peu après dans une expédition .

La politique italienne. — En Italie, après la brillante victoire du Garigliano, la puissance byzantine subit une véritable éclipse jusqu’au dénouement des guerres bulgares (915-927). Environnés d’ennemis, les stratèges de Longobardie avaient peine à défendre les possessions byzantines contre le nouvel État des Fatimites d’Afrique qui, devenus maîtres de la Sicile, s’emparèrent de Reggio et auxquels Zoé dut payer un tribut , et contre les princes lombards, qui avaient répudié la suzeraineté impériale et attaquaient les territoires byzantins  ou fomentaient les révoltes des indigènes .

C’est entre 922 et 926 que l’anarchie atteint son plus haut degré. En 922 des bandes de Hongrois ravagent la Campanie, les Sarrasins attaquent la Calabre, les corsaires slaves de l’Adriatique opèrent pour le compte du Mahdi Africain . En 925 les Sarrasins d’Afrique pillent Tarente et forcent son gouverneur à payer une forte rançon . L’année suivante cette ville est prise par l’émir de Sicile, appuyé par la flotte du chef slave Saïan, qui force les villes maritimes de Campanie et de Calabre à lui payer tribut . Byzance ne réagit pas et n’envoie plus aucune flotte de guerre.

Ce fut seulement à partir de 934 que Romain Lécapène, dont les armes étaient victorieuses en Orient, put intervenir en Italie, mais renonçant aux grandes expéditions, il agit surtout par la diplomatie en empêchant les princes lombards de recevoir des secours de leurs voisins du nord. De là ses rapports cordiaux avec les maîtres de Rome, la trop célèbre Marozie qui songeait à faire épouser une de ses filles par un fils du basileus , puis avec Albéric II, prince des Romains, ainsi qu’avec son beau-père et rival Hugue de Provence . En 934 le patrice Cosmas, envoyé en Italie avec une petite escadre, détermine le prince de Capoue, Landolf, à évacuer l’Apulie . En 935 c’est une autre ambassade qui apporte des présents au roi Hugue, afin de gagner son alliance contre les princes lombards . La révolte des Arabes de Sicile contre les Fatimites de Kairouan (937-941), favorisée par les stratèges byzantins, qui envoient du blé aux rebelles, fait cesser les incursions sarrasines sur les côtes d’Italie . Voyant encore plus loin, Lécapène accorde des secours à son allié Hugue pour déloger les Sarrasins de leur repaire de Fraxinet , d’où ils écumaient les côtes de Provence et envoyaient des expéditions à travers les Alpes jusqu’en Haute Italie. Afin de rendre cet accord encore plus étroit, Romain demanda en échange la main d’une fille du roi pour le jeune fils de Constantin Porphyrogénète, dont il était lui-même l’aïeul . Grâce à cette habile politique, Romain put écarter les dangers qui menaçaient l’Italie byzantine et la transmettre à son successeur dans son intégrité.

La chute de Romain Lécapène. — En 944, Romain Lécapène, qui régnait depuis 25 ans, s’était montré l’un des meilleurs souverains que Byzance ait jamais eus. Il avait sauvé l’Empire, en voie de dissolution à son avènement, apaisé les querelles religieuses qui se perpétuaient depuis Photius, supprimé le péril bulgare, repris l’offensive contre l’islam et, grâce à son habileté diplomatique, donné à l’Empire un immense prestige en Orient comme en Occident. Son gouvernement intérieur était essentiellement humain et il s’était inquiété du sort des petits, menacés d’être réduits à l’état de serfs.

Malheureusement on ne lui savait aucun gré de ces services et il ne fut jamais populaire. Dans l’opinion publique il était resté l’usurpateur. On lui reprochait de vouloir supplanter l’héritier légitime du trône et substituer sa famille à la dynastie macédonienne. De là des complots et même des révoltes, dont le prétexte était de soutenir les droits de Constantin Porphyrogénète, comme celle du stratège de Chaldia, Bardas Boeslas, en 923, fait prisonnier par Jean Courcouas et simplement enfermé dans un monastère , ou celle d’un aventurier qui se faisait passer pour Constantin Doukas, l’ancien rival de Lécapène en 932  ; mais, comme on l’a fait remarquer , ce fut moins à ce sentiment légitimiste qu’aux ambitions de ses fils que fut due la chute de Romain Lécapène. Déjà en 928 le beau-père de Christophe Lécapène, Nicétas, avait entrepris de détrôner Romain pour donner le pouvoir suprême à son gendre. Christophe ne fut pas inquiété, mais sa femme, Sophia, fut chassée du palais et Nicétas enfermé dans un monastère . Christophe, le favori de son père et le plus apte à l’exercice du pouvoir, mourut en août 938 , ne laissant que des enfants en bas âge. Avec lui disparut la principale chance qu’avait Romain de fonder une dynastie.

Les deux autres fils de Romain en effet, Constantin et Étienne, avaient la réputation de débauchés et d’incapables. On ne voit pas d’ailleurs que pendant son règne leur père leur ait confié une affaire quelconque, mais ils entendaient bien lui succéder au pouvoir. Aussi commencèrent-ils à être inquiets lorsqu’ils apprirent que leur père voulait faire épouser une fille de Jean Courcouas à son petit-fils Romain, fils du Porphyrogénète et d’Hélène Lécapène : ils s’en prirent au glorieux stratège, qu’ils trouvèrent moyen de faire casser du commandement qu’il exerçait si brillamment depuis plus de 22 ans . Le danger leur parut encore plus grand lorsqu’ils virent Romain fréquenter la société des moines qui l’incitaient à accomplir de bonnes œuvres, comme pour racheter son usurpation . Dans le testament qu’il rédigea en 944 il manifesta ses remords en plaçant le nom de Constantin Porphyrogénète avant ceux de ses propres fils .

Ce fut certainement cet acte qui détermina Constantin et Étienne Lécapène à agir contre leur père, dans la crainte qu’il ne les exclue du pouvoir, mais un dernier événement vint hâter leur décision. Ce fut l’arrivée à Constantinople de Berthe de Provence, dont le mariage avec le jeune Romain, fils du Porphyrogénète, fut célébré en grande pompe (septembre 944) . Cette union, qui semblait assurer l’avenir de la dynastie macédonienne, ne pouvait qu’être odieuse aux Lécapènes et c’est à ce moment que Luitprand, bien informé, place la révolte des fils Lécapène contre leur père . Le 20 décembre 944 Étienne Lécapène enleva Romain du Grand Palais, le fit jeter dans une barque et conduire à l’île de Proti où on lui coupa les cheveux et où on le revêtit de la mandya monastique. Le bruit ayant couru que Constantin Porphyrogénète avait aussi été enlevé, la foule furieuse s’assembla autour du palais et il fallut pour faire cesser l’émeute que l’héritier légitime, la chevelure encore en désordre, se montrât à une fenêtre du palais .

Cependant un semblant d’accord entre les deux complices et Constantin VII, reconnu empereur en premier, dura quelques semaines , puis le Porphyrogénète échappa à un complot des fils Lécapène pour l’enlever et les envoya rejoindre leur père à Proti (27 janvier 945) . Cette révolution s’accomplit sans que la cause des Lécapène trouvât un défenseur et du jour au lendemain Constantin Porphyrogénète devint seul maître des affaires. Romain Lécapène mourut à Proti le 15 juin 948 dans des sentiments de pénitence, après avoir renié l’œuvre de toute sa vie, qui avait été pourtant bienfaisante pour l’Empire . L’histoire est moins sévère pour lui qu’il ne le fut lui-même.

 

 

LIVRE DEUXIÈME. L’EMPIRE ROMAIN HELLÉNIQUE

CHAPITRE II. — L’expansion (945-1057)

1. Les débuts de l’expansion byzantine (944-963)  2. La grande offensive (963-976)  3. L’œuvre administrative et militaire de Basile II (976-1025)  4. L’arrêt de l’expansion byzantine et la fin de la dynastie macédonienne (1025-1057)