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BIZANTIUM

Louis Brehier. Le monde byzantin :Vie et mort de Byzance

 

LIVRE TROISIÈME. Agonie et mort de Byzance

Chapitre premier 

La dernière renaissance et son échec  (1204-1389)

 

Après la prise de Constantinople, l’Empire byzantin semblait à jamais détruit. Sur ses ruines s’élevait la puissance des Francs qui s’étaient partagé son territoire et en commençaient la colonisation, que de nouveaux apports de l’Occident pouvaient rendre définitive. Bien placé pour diriger la croisade et lutter contre l’islam, le nouvel État semblait devoir résoudre la question d’Orient au profit des Occidentaux et celle de l’union des Églises à la satisfaction du Saint-Siège. Des possibilités infinies s’ouvraient pour les vainqueurs et Innocent III lui-même, dont la volonté n’avait pas été respectée, voyait dans la chute de Constantinople un dessein de la Providence qui dépassait les prévisions humaines, et s’associait à l’enthousiasme général.

Mais la tradition impériale de Byzance était si puissante que l’État byzantin ne périt pas et se reforma en Asie Mineure, où pendant un demi-siècle des souverains de premier ordre travaillèrent à le reconstituer. Véritables rassembleurs des terres helléniques, les empereurs de Nicée parvinrent, grâce à une politique audacieuse et habile, à diviser leurs ennemis et à restaurer la puissance de l’Empire, incomplètement sans doute, mais de manière à lui assurer encore plus de trois siècles d’existence et à sauver de l’anéantissement la nationalité hellénique. Leur tâche fut d’ailleurs facilitée par la décadence rapide de l’Empire latin, qui s’avéra vite incapable de remplir la mission que tous avaient rêvée pour lui au lendemain de la victoire .

1.  L’Empire à Nicée et le rassemblement des terres helléniques  (1204-1261)

Après la fuite de Murzuphle le 13 avril 1204, un gendre d’Alexis III, Théodore Lascaris, qui avait déjà le titre de despote , fut élu basileus à Sainte-Sophie mais, s’enfuyant de Constantinople à l’approche des Francs, il s’établit d’abord à Brousse, puis à Nicée avec l’appui du sultan d’Iconium . Excellent chef de guerre, il avait donné des preuves de ses capacités dans l’expédition contre Ivanko en 1200 et pendant les deux sièges de Constantinople. Nicée devint ainsi un centre de ralliement pour tous les dignitaires civils et ecclésiastiques qui avaient fui Constantinople : bâtie au débouché de routes importantes, à l’extrémité d’un grand lac, protégée par des défenses naturelles et des fortifications puissantes, en façade sur la mer et sur la plaine fertile de Bithynie, riche des souvenirs des deux conciles œcuméniques, aucune cité ne pouvait être mieux choisie pour abriter ce qui restait encore de l’État byzantin . Théodore Lascaris parvint à s’y maintenir malgré deux tentatives des Francs pour l’en déloger (fin 1204, fin 1206) . En 1208 un nouveau patriarche, élu, après l’abdication volontaire de son prédécesseur, par tous les évêques que Lascaris avait pu rassembler, le couronna basileus dans la cathédrale de Nicée et, dans un manifeste adressé à tous les Grecs, il se posa en continuateur de la tradition impériale .

Cependant le pouvoir de Théodore conservait un caractère précaire. Il n’avait pu vivre que grâce à la faiblesse de l’Empire latin, mais, de plus, son autorité était loin de s’imposer aux Grecs. Les immenses territoires encore unifiés à la mort de Manuel sous la domination byzantine, étaient partagés en une multitude de pouvoirs autonomes, royaumes, principautés, fiefs, villes libres formant un enchevêtrement inextricable d’États, les uns conquis par les Francs, les autres obéissant à des Grecs qui s’étaient déclarés indépendants. Réduire à l’unité des éléments si disparates était une tâche impossible.

L’Empire démembré. — Le démembrement de l’Empire, que nous avons vu déjà très avancé sous Alexis III, fut achevé après la conquête de Constantinople, mais les Francs furent bien incapables d’appliquer à la lettre le traité de partage qu’ils avaient conclu avec Venise en mars 1204, soit par suite de leurs désaccords , soit à cause des résistances qu’ils éprouvèrent de la part des Grecs et de la grande défaite que leur infligea le tsar bulgare Kaloïan, devant Andrinople (24 avril 1205) . Cette organisation de l’Empire latin eut le caractère d’un condominium entre les Francs, dont tous les possesseurs de fiefs devaient l’hommage à l’empereur, et la république de Venise dispensée de cet hommage.

L’empereur eut son domaine, composé d’une partie de Constantinople , de la Thrace jusqu’à la Maritza, des îles voisines et des territoires de Bithynie disputés à Théodore Lascaris. Toutes ces terres étaient inféodées à des barons ou à des chevaliers suivant l’importance de leur troupe . Le principal feudataire était Boniface de Montferrat, mis en possession de Thessalonique (automne 1204) où il se fit couronner roi . Son domaine comprenait en principe la Macédoine et la Grèce, mais il était à conquérir. A la suite de sa campagne victorieuse en Grèce (automne 1205), il donna en fief la Béotie et l’Attique au Bourguignon Otton de la Roche avec le titre de seigneur d’Athènes , distribua d’autres fiefs à ses compatriotes lombards  et investit Guillaume de Champlitte, parent du comte de Champagne, du Péloponnèse dont la conquête avait été commencée par Geoffroi de Villehardouin, neveu du maréchal de Champagne, avec l’aide d’un archonte byzantin, Jean Cantacuzène, maître de la Messénie . Il y avait longtemps que toutes ces régions n’obéissaient plus à Constantinople, mais étaient au pouvoir des nobles : le plus puissant d’entre eux, Léon Sgouros, faisait peser sa tyrannie sur le Péloponnèse et la Grèce et c’était à lui que s’était heurté Boniface de Montferrat dans sa campagne récente . En deux ans (1205-1207), Guillaume de Champlitte et Geoffroi de Villehardouin avec quelques centaines de chevaliers achevèrent presque entièrement la conquête du Péloponnèse, dont Geoffroi fut élu seigneur après le départ de Champlitte, rappelé en France pour recueillir l’héritage de son frère (1210) . La nouvelle conquête divisée en douze grands fiefs avait reçu une organisation régulière et devint comme une nouvelle France établie au milieu des populations helléniques .

En face des possessions franques, dans lesquelles l’autorité était comme éparpillée entre un trop grand nombre de chefs pour agir efficacement, Venise était devenue la puissance prépondérante et tenait l’Empire latin dans sa dépendance. Maîtresse d’une partie de Constantinople, elle y avait installé un véritable vice-roi, le podestat, « despote et seigneur du quart et demi de l’Empire », étroitement placé sous l’autorité de la métropole , et de plus, avec la possession de Sainte-Sophie, elle s’était arrogé le monopole de l’élection au patriarcat en dépit de la résistance d’Innocent III, qui, tout en refusant de ratifier cet abus, confirma de fait l’élection des deux premiers patriarches vénitiens .

Mais surtout les territoires que Venise s’était réservés dans le partage de l’Empire ou qu’elle avait acquis dans la suite, l’occupation d’une série d’îles, de ports, d’escales, qui formaient une chaîne ininterrompue de l’Adriatique à Constantinople, avaient fait d’elle la plus grande puissance maritime et commerciale de l’Orient et elle avait délogé ses rivaux, les Génois, de toutes les possessions qu’ils occupaient sous les empereurs byzantins . Maîtresse de la Dalmatie, elle avait obtenu pour sa part les îles Ioniennes, l’Épire qu’elle ne put occuper, la Morée dont Geoffroi de Villehardouin lui fit hommage et où elle occupa les ports de Coron et de Modon, les Cyclades, Gallipoli, Rodosto, Arcadiopolis, Héraclée, toutes les positions importantes permettant de contrôler la navigation . En outre Boniface de Montferrat lui céda la Crète, dont Alexis IV l’avait investi à Corfou, en échange de son appui pour obtenir Thessalonique , et la possession de cette grande île, qui ne fut d’ailleurs complète qu’après de longues luttes avec les Génois qui s’y étaient établis, achevait d’assurer à Venise la maîtrise de la Méditerranée orientale . Une autre acquisition importante fut celle de la suzeraineté de Nègrepont (Eubée), dont l’un des trois feudataires lombards (terciers) que le marquis de Montferrat y avait installés fit hommage de ses domaines à la république .

Ne pouvant, sauf la Crète, coloniser tous ces territoires directement, Venise prit le parti de concéder les îles en fiefs à ses patriciens. Ce fut ainsi que Céphalonie et Zante, qui appartenaient au royaume de Sicile, tombèrent entre les mains d’un Orsini qui en fit hommage à la république en 1209 , qu’un Marco Dandolo, cousin du doge Henri, fit la conquête de Gallipoli . Mais l’établissement le plus remarquable fut celui de l’Archipel, conquis en 1207 par Marco Sanudo, neveu par sa mère d’Henri Dandolo : après s’être emparé de Naxos, repaire des pirates génois (1205-1207), dont il fit sa capitale, il donna en fiefs les autres Cyclades aux aventuriers qui l’avaient aidé dans sa conquête .

La dispersion des forces helléniques. — Enfin, non seulement l’Empire avait été démembré par les vainqueurs de Constantinople, mais les régions helléniques qui échappèrent à la conquête se constituèrent en principautés autonomes éloignées les unes des autres et ne se soucièrent nullement de reconnaître l’autorité de l’empereur de Nicée.

Un bâtard du sébastocrator Jean l’Ange, oncle d’Isaac II et d’Alexis III, Michel l’Ange, qui s’était attaché à la fortune du marquis de Montferrat, s’échappa pendant la marche de Boniface sur Thessalonique, gagna Durazzo, épousa la fille du gouverneur, enrôla une troupe de Skipétars (Albanais), de Vlaques et de Bulgares, transforma ces rudes montagnards à moitié brigands en soldats réguliers (armatoles, estradiots), parvint à empêcher les Vénitiens de s’établir en Épire, qu’il occupa lui-même. Il y annexa 1’Acarnanie et 1’Étolie, ainsi qu’une partie de la Thessalie. Son État s’étendit de Durazzo au golfe de Lépante, mais il se contenta du titre de despote, et avant sa mort en 1214, il avait désigné comme successeur son frère utérin Théodore, fils légitime de Jean l’Ange, réfugié à Nicée . Entouré d’États latins et slaves, menacé par Venise, Michel avait eu une politique équivoque, portant son hommage suivant les circonstances à l’empereur latin Henri (1209) et lui faisant la guerre l’année suivante, pour se retourner du côté de Venise .

Avant de quitter Nicée, Théodore avait prêté serment de fidélité à Lascaris  et, dès son arrivée en Épire, il attaqua les territoires francs  ; comme son frère, il fit d’Arta, sa capitale, le refuge des Grecs qui fuyaient la domination latine, mais il ne garda pas longtemps les promesses qu’il avait faites à Nicée et prétendit à son tour représenter la légitimité impériale.

A l’extrémité opposée du monde byzantin, dans l’ancien thème de Chaldia, sur la côte du Pont, deux petits-fils du basileus Andronic Comnène, Alexis et David, sauvés du massacre de la famille du tyran, furent établis par leur tante maternelle, la reine de Géorgie Thamar, après la prise de Constantinople par les croisés, l’un Alexis à Trébizonde, l’autre David à Héraclée en Paphlagonie . Depuis longtemps cette région n’avait plus que des liens très faibles avec Constantinople. Trébizonde avait été occupée par les Turcs de 1074 à la fin de 1075 . Le stratège Théodore Gabras, qui les chassa du thème de Chaldia, gouverna Trébizonde « comme son bien propre »  en prince indépendant jusqu’en 1098 . A plus forte raison Alexis et David Comnène ne songèrent pas un instant à se soumettre à Théodore Lascaris, qui les attaqua (hiver de 1213-1214), s’empara d’Héraclée et d’Amastris et ne leur laissa sur la côte paphlagonienne que Sinope .

Le nouvel État comprenait donc le massif montagneux du Pont, percé de vallées longitudinales parallèles, aux communications transversales difficiles , et la côte de la mer Noire, depuis Dioscurias, à la frontière des Abasges, jusqu’à l’embouchure de l’Halys . Trébizonde, vieille colonie grecque, dont les maisons s’étageaient sur une colline dominant la mer, avec son acropole puissamment fortifiée et ses ports dont l’aménagement datait de l’empereur Hadrien , était comme la sentinelle avancée de l’hellénisme en face des peuples caucasiques ; en même temps métropole religieuse, attachée au culte de son patron, saint Eugène, martyr sous Dioclétien, qui avait pris la même importance que saint Démétrius à Thessalonique  ; enfin la plus grande place commerciale de la côte asiatique de la mer Noire, au débouché des routes de caravanes d’Asie centrale et en communications régulières avec Kherson et les ports de Crimée . Il y avait donc là le cadre d’un puissant État, comme l’avait montré dans l’Antiquité le royaume de Mithridate et comme le comprirent les Comnènes, qui, se considérant comme les représentants de la dynastie légitime, prirent le titre pompeux de « basileus et autocrator des Romains Grand Comnène » . L’existence d’un État indépendant à Trébizonde, malgré les bons rapports qu’il eut dans la suite avec Constantinople, n’en fut pas moins le principal obstacle au rétablissement de l’unité byzantine.

Constitution territoriale de l’État de Nicée. — Entouré d’ennemis, Lascaris se défendit avec énergie, en prenant même parfois l’offensive et agissant autant par la diplomatie que par les armes.

Une alliance avec le tsar bulgare Kaloïan (février 1207)  lui permit de s’emparer de Cyzique, grâce aux navires du pirate calabrais Jean Stirion, et d’empêcher l’empereur Henri de Flandre d’aller défendre Andrinople contre les Bulgares. Bien que Lascaris eût été obligé d’évacuer ses conquêtes, Henri, désireux de séparer ses adversaires, les lui rétrocéda en lui accordant une trêve de deux ans (mai-juin 1207) .

L’empereur latin prit sa revanche en 1210 en poussant contre Nicée le sultan d’Iconium Kaï-Khosrou , exhorté d’autre part à attaquer Théodore par le basileus détrôné, Alexis III, qui, après avoir couru mainte aventure, s’était réfugié à Iconium  et croyait pouvoir avec cet appui se substituer à son gendre. A la suite d’un combat sanglant devant Antioche du Méandre, le sultan fut tué au cours d’un duel avec Lascaris et son armée se débanda. Alexis III, capturé, alla finir ses jours dans un monastère de Nicée et les fils de Kaï-Khosrou, qui se disputaient sa succession, signèrent une trêve avec Lascaris . Celui-ci annonça cette victoire à toutes les provinces de l’Empire en exprimant l’espoir qu’on serait débarrassé bientôt « de ces chiens de Latins » . En outre il profita des troubles du sultanat d’Iconium pour élargir ses frontières aux dépens des Turcs en Carie, en Cappadoce, jusqu’à la Galatie et à la mer Noire .

Délivré des Turcs, l’empereur de Nicée attaqua l’Empire latin en renouvelant son alliance avec les Vlacho-Bulgares, mais l’empereur Henri, avec des troupes inférieures en nombre, lui infligea une défaite décisive à Lopadion en Mysie (15 octobre 1211) . Les Francs envahirent son territoire jusqu’à Pergame, mais, faute de troupes suffisantes, Henri accorda la paix à son adversaire. D’après le traité de janvier 1212, l’Empire latin conservait le nord-ouest de la Bithynie, avec le port d’Adramyttion au sud, et reconnaissait à Lascaris la possession de Nicée, Brousse et la région entre Adramyttion et Smyrne .

L’empereur Henri, mort le 11 juin 1216, eut pour successeur son beau-frère Pierre de Courtenai, comte d’Auxerre, qui, sacré à Rome par Honorius III, ne put même pas arriver jusqu’à Constantinople, mais fut fait prisonnier par les troupes du despote d’Épire Théodore, après avoir assiégé inutilement Durazzo, et mourut peu après sa sortie de prison (1217) . Avec une véritable souplesse Théodore Lascaris essaya de profiter de ce désarroi de l’Empire latin pour préparer sa rentrée pacifique à Constantinople et après des négociations avec Yolande, veuve de Pierre de Courtenai, il épousa en troisième noces une de ses filles .

Il s’était d’ailleurs ménagé des chances de rapprochement avec les Occidentaux en faisant dès 1207 des avances à Innocent III et en se plaignant de l’hostilité des Latins. La réponse du pape ne fut guère encourageante , mais les rapports entre Rome et Nicée ne furent pas interrompus et en 1213-14 Théodore avait envoyé à Constantinople Nicolas Mesarites, métropolite d’Éphèse, discuter de l’union religieuse avec le légat d’Innocent III, le cardinal Pélage, sans d’ailleurs obtenir le moindre résultat . Une autre occasion s’offrit bientôt à Théodore de s’insinuer dans les affaires de l’Empire latin. La régente Yolande étant morte en 1220, Constantinople se trouva un moment sans empereur et sans patriarche . Théodore fit valoir les droits de sa femme en exigeant pour elle une part de l’héritage de Pierre de Courtenai et appuya sa revendication d’une menace d’attaque au moment où un frère de Pierre, Robert de Courtenai, élu empereur, arrivait à Constantinople. Menacé à la fois par le despote d’Épire et l’empereur de Nicée, Robert préféra traiter avec son beau-frère et signa avec lui un pacte d’amitié : des échanges de prisonniers eurent lieu, une fille de Théodore fut fiancée au nouvel empereur latin  et de nouvelles discussions sur l’union religieuse furent engagées .

Théodore Lascaris allait envoyer sa fille à Constantinople quand il mourut au début de 1222 . Il avait transformé le précaire établissement de Nicée en un État viable, il s’était fait reconnaître comme le successeur légitime des empereurs byzantins, il avait fait de son État la principale puissance territoriale d’Asie Mineure et pris une hypothèque sur l’Empire latin.

L’État byzantin en Europe. — Mort à l’âge de 45 ans, Théodore Lascaris ne laissait que des filles, dont l’une était mariée à Jean Vatatzès, d’une famille noble originaire de Didymotika et apparentée aux Doukas. Écartant du trône ses quatre frères, ce fut à son gendre que Théodore laissa l’Empire . Aucun choix ne pouvait être meilleur.

Théodore avait reconstitué l’État byzantin en Asie Mineure : Jean Vatatzès étendit sa domination en Europe et commença à encercler Constantinople. De 1222 à 1254 il acheva de faire de l’État de Nicée une puissance politique et militaire, mais, son action s’étendant sur un théâtre plus vaste, il eut à lutter contre des difficultés nouvelles.

Il se heurta d’abord à la rivalité du despote d’Épire Théodore qui, après avoir traité avec Venise, attaqua le royaume de Thessalonique, tombé dans un état précaire depuis la mort de Boniface de Montferrat (1207) et le gouvernement de son jeune fils Démétrius . Celui-ci alla en vain en Italie demander secours à Honorius III, dont les objurgations n’arrêtèrent pas Théodore, qui s’empara de Thessalonique en 1223  et s’y fit couronner basileus par l’archevêque d’Ochrida, après s’être fait proclamer à Arta, par les évêques du despotat, « sauveur après Dieu et libérateur des Grecs du joug latin et bulgare », malgré les protestations de Jean Vatatzès et des évêques de l’État de Nicée .

Cette scission du monde byzantin était une bonne fortune pour l’Empire latin. Robert de Courtenai chercha d’abord à arrêter les progrès du despotat d’Épire, mais ses troupes furent battues devant Serrès, dont Théodore s’empara (1224) . Une offensive de Robert contre Nicée n’eut pas de meilleurs résultats. Jean Vatatzès arrêta l’invasion franque par sa victoire de Poimanon : parmi ses prisonniers se trouvaient deux frères de Lascaris, réfugiés à Constantinople, qui eurent les yeux crevés. Jean Vatatzès profita de sa victoire pour s’emparer de la péninsule de Troade et, avec la flotte qu’il avait construite, des îles de la côte d’Asie : Chio, Samos et Lesbos . Enfin pour la première fois il fit débarquer en Europe un corps de troupes destiné à couper la route de Constantinople à Théodore d’Épire. Les habitants d’Andrinople chassèrent la garnison franque et accueillirent les soldats de Nicée, mais Théodore d’Épire, déjà maître de la Thrace, réussit par ses intrigues à se faire ouvrir les portes de la ville, et l’armée de Vatatzès battit en retraite.

L’attaque de Constantinople par les Épirotes semblait prochaine : les coureurs de Théodore arrivaient jusqu’aux portes de la ville. Pris entre deux ennemis, l’empereur Robert fit la paix avec Vatatzès en lui abandonnant ses conquêtes (1225) . Mais ce fut une diversion bulgare qui sauva momentanément Constantinople. Théodore d’Épire avait conclu une alliance avec le tsar Jean Asên II, puis, avec sa mauvaise foi ordinaire, avait envahi des territoires bulgares. Jean Asên attaqua les Épirotes entre Andrinople et Philippopoli et leur infligea une déroute complète. Après cette victoire de Klokonitza (1230), où Théodore d’Épire était fait prisonnier, le tsar bulgare s’empara d’Andrinople, de presque toute la Macédoine et de l’Albanie jusqu’à Durazzo. Théodore était réduit à l’Épire, à Thessalonique et à la Thessalie .

Jean Asên avait travaillé encore plus pour Nicée que pour Constantinople dont l’empereur Robert, parti pour l’Occident en 1228 afin de susciter le départ d’une croisade, était mort à son retour, laissant le trône à son jeune frère Baudouin II, âgé de 11 ans . Par le traité de Rieti (avril 1229) l’ex-roi de Jérusalem Jean de Bryenne, qui passait pour l’un des plus braves chevaliers d’Occident, fut élu par les barons de Romania baile de l’Empire avec le titre d’empereur . Arrivé à Constantinople (1231), il était résolu à relever l’Empire latin, et Jean Vatatzès, redoutant une nouvelle croisade, s’était mis en rapport avec le pape Grégoire IX : des conférences en vue de l’union des Églises se tinrent à Nicée (1232-1234), mais sans aboutir à un résultat . Cependant, après avoir passé deux ans à recruter une armée, Jean de Bryenne débarqua à Lampsaque (1233). Vatatzès, avec des forces réduites, son armée étant en expédition contre Rhodes, ne put que harceler les Francs et leur couper les vivres, et après avoir pris un château près de Cyzique, Jean de Bryenne battit en retraite et se rembarqua : le grand effort qu’il avait fait n’avait servi qu’à montrer son impuissance .

En revanche Jean Vatatzès développait chaque jour davantage son action politique et militaire. Par une législation excellente : encouragements à l’agriculture et à l’industrie indigène du tissage, création de fiefs militaires pour assurer la défense des frontières, relations commerciales avec les Turcs d’Iconium, il avait donné à son État une prospérité qui lui assurait des ressources régulières . Sa diplomatie était des plus actives et depuis 1229 il était en relations avec l’empereur Frédéric II, gendre de Jean de Bryenne, mais brouillé avec lui depuis qu’il l’avait forcé à lui céder la couronne de Jérusalem . Enfin Vatatzès avait créé une flotte de guerre qui croisait dans l’Archipel et qui, après avoir occupé Lesbos, Chio, Samos, Cos et Rhodes, osa attaquer la Crète vénitienne en 1233, mais ne put conserver les territoires conquis . Il n’est donc pas étonnant qu’après la retraite de Jean de Bryenne l’empereur de Nicée ait cherché à organiser une contre-offensive pour reprendre Constantinople.

Mais, ne trouvant pas ses forces suffisantes pour agir seul, Vatatzès fit alliance avec le tsar Jean Asên, qui conservait un ressentiment contre les barons de Romania : après lui avoir offert la tutelle de Baudoin II en 1228, on lui avait préféré Bryenne . L’alliance entre Vatatzès et Asên fut scellée par les fiançailles de la fille du tsar avec Théodore, fils du basileus . Le mariage fut célébré à Gallipoli, dont Vatatzès avait chassé la garnison vénitienne, puis les deux alliés, divisant leurs forces, s’emparèrent des places tenues par les Francs jusqu’à la Maritza, ravagèrent le nord de la Thrace et se retrouvèrent chargés de butin devant Constantinople . Les alliés attaquèrent en même temps les murs terrestres et maritimes, mais le vieux Jean de Bryenne avec de faibles forces dirigea lui-même la sortie et mit en déroute les assaillants, tandis qu’une escadre vénitienne détruisait la flotte de Vatatzès (été de 1235). L’opération, recommencée avec de nouveaux navires l’hiver suivant, ne réussit pas mieux, grâce aux renforts amenés par Geoffroi de Villehardouin, prince de Morée, et à la victoire navale du baile vénitien de Constantinople, qui coula à l’entrée du Bosphore dans la mer Noire la nouvelle flotte des alliés .

Ce gros échec fut pour Jean Vatatzès le début d’une série de difficultés et d’épreuves qui, loin de le décourager, ne firent que tendre davantage ses efforts. Avant sa mort à l’âge de 89 ans (23 mars 1237) , Jean de Bryenne avait envoyé Baudouin II en Occident chercher des secours ; Grégoire IX avait publié des bulles de croisade pour la Romanie  et tenté d’empêcher Vatatzès d’attaquer l’Empire latin  ; mais l’empereur de Nicée avait répondu à ces exhortations par une lettre dans laquelle il attaquait la primauté romaine et la légitimité des empereurs latins , puis il avait resserré son alliance avec Frédéric II en s’engageant à reconnaître sa suzeraineté, s’il recouvrait Constantinople . A ce moment l’empereur germanique, qui rêvait la domination de la chrétienté, était engagé en plein dans sa lutte contre le pape et contrariait autant qu’il le pouvait ses préparatifs de croisade . D’autre part Vatatzès se voyait abandonné par son allié, le tsar Jean Asên, qui, poussé par sa femme, nièce de Baudoin II, s’alliait avec l’Empire latin, demandait à Grégoire IX l’envoie d’un légat pour se réconcilier avec Rome, et assiégeait la garnison que Vatatzès avait laissée à Tzurulon (Tchorlou) afin d’avoir toujours un pied en Europe. Mais la réconciliation avec Rome n’eut pas lieu et la garnison de Tzurulon se défendit avec acharnement. Ayant appris la mort de sa femme, de son fils et de son patriarche, le tsar leva le siège de la ville et peu après se réconcilia avec Vatatzès, qui eut ainsi la chance d’échapper à une action combinée des Bulgares et des Francs (fin 1238) .

Vatatzès n’eut à subir que l’offensive de Baudouin II, qui revint d’Occident à la tête d’une armée de croisés, à laquelle il joignit des auxiliaires Comans, poussés vers l’ouest par l’invasion mongole , mais la croisade se borna à la prise de Tzurulon et à la destruction de la flotte grecque par une escadre française (1240) , et vers le 24 juin 1241 une trêve de 2 ans fut conclue entre les deux empereurs . La mort de Jean Asên (24 juin 1241), qui laissait pour successeur un enfant de 9 ans, eut pour résultat un affaiblissement de la Bulgarie , dont Vatatzès profita pour conduire lui-même par terre et par mer une expédition contre Thessalonique.

Thessalonique appartenait toujours au despote d’Épire Théodore, fait prisonnier et aveuglé par Jean Asên en 1230, puis remis en liberté en 1238 : il avait confié le pouvoir à son fils Jean, qui continuait à porter le titre de basileus. Vatatzès attira Théodore à Nicée, le reçut fort bien, mais le mit sous bonne garde et l’emmena dans son expédition . Pour la première fois un empereur de Nicée, après avoir traversé l’Hellespont, suivit les côtes de Thrace avec son armée et sa flotte, mais il ne put prendre la ville, dont il avait organisé le blocus, rappelé par la nouvelle que les Mongols de Gengis-khan avaient envahi l’Asie Mineure et battu le sultan d’Iconium. Du moins avant son départ il détermina Théodore d’Épire à aller trouver son fils et à le faire renoncer au titre de basileus .

L’attaque du sultanat de Roum par une armée mongole venue de Perse ne fut qu’un courant secondaire de l’immense invasion qui faillit submerger l’Europe et le Proche-Orient, après avoir soumis la Russie et l’Arménie, en poussant devant elle le peuple des Comans qui émigra en Hongrie et y apporta le trouble et la confusion (1237-1241) . Les Mongols écrasèrent l’armée turque près d’Erzindjian (26 juin 1243) . Le sultan Kaï-Khosrou II dut se reconnaître le vassal du grand Khan et la domination mongole atteignit la frontière de l’État de Nicée, mais les Mongols n’attaquèrent pas les Grecs : le principal résultat de leur invasion fut la décadence de l’État seldjoukide qui cessa d’être un danger pour Nicée et où les Mongols firent régner une véritable terreur . Moins heureux que Vatatzès, qui signa un traité d’alliance avec Kaï-Khosrou , l’empereur Trébizonde Manuel dut transporter aux Mongols la vassalité qu’il avait à l’égard du sultan d’Iconium et se rendre à Karakoroum pour assister, comme les autres vassaux, à l’assemblée générale (qouriltaï) qui élut le grand Khan Gouyouk en 1246 .

Après avoir songé un moment à s’allier au sultan d’Iconium , Baudouin II était reparti chercher des secours en Occident et avait entrepris la tâche difficile de réconcilier Frédéric II avec le pape Innocent IV. Il avait assisté au concile de Lyon (juin-juillet 1245) et il ne devait revenir à Constantinople qu’en octobre 1248, après avoir échoué dans ses démarches . Pendant ce temps Vatatzès avait resserré son alliance avec Frédéric II en épousant l’une de ses bâtardes âgée de 12 ans, Constance, qu’il avait eue de Bianca Lancia . Les circonstances favorisaient l’empereur de Nicée et il comprit qu’il n’en trouverait jamais de plus favorables pour accomplir le dessein de toute sa vie, la reconstruction de l’Empire : l’heure des réalisations était arrivée et il passa les dix dernières années de son règne (1244-1254) à achever cette œuvre de restauration.

Il trouva bientôt l’occasion d’agir. Le tsar bulgare Koloman étant mort en 1246, laissant le trône à son jeune frère encore mineur, Vatatzès occupa les places macédoniennes de Serres, Melnic, Skoplje, la Pélagonie jusqu’à Prilep et obtint de la régente Irène un traité qui lui confirmait ces acquisitions . Peu après (décembre 1246) un complot des habitants lui livrait la capitale de la Macédoine, Thessalonique, dont il confirmait les privilèges, tandis que le despote Démétrios, qui avait succédé à son frère Jean, était interné en Asie . Puis, la trêve signée avec Constantinople étant expirée, Vatatzès profita de l’absence de Baudouin pour reprendre Tzurulon, véritable clef de la péninsule de Constantinople (1247) , Baudouin II, revenu d’Occident sans troupes et sans argent (octobre 1248), ne put que se résigner à la perte de cette importante position.

Serrant de près Constantinople, Vatatzès en préparait l’attaque lorsqu’il dut envoyer une expédition pour reprendre l’île de Rhodes aux Génois qui l’avaient occupée (1249). Vers 1204 un magnat grec, Léon Gabalas, s’était installé dans l’île en se déclarant indépendant, mais en 1233 Vatatzès l’avait obligé à reconnaître sa suzeraineté et son frère, Jean Gabalas, était resté fidèle à l’Empire grec . Malgré un renfort de chevaliers français que Guillaume de Villehardouin, revenant de Chypre où il avait vu saint Louis, amena aux Génois, ceux-ci durent capituler .

La dernière campagne de Jean Vatatzès fut dirigée en 1252 contre les despotes d’Épire, le vieux Théodore l’Aveugle, resté en possession d’un apanage qui comprenait Vodéna et Ostrovo, et son neveu, Michel II, toujours maître de l’Épire, de la Thessalie, de l’Étolie et de quelques villes de la Macédoine occidentale . Bien qu’il eût signé un traité d’amitié avec Vatatzès et fiancé son fils à une fille du prince héritier de Nicée , Michel II, poussé par son oncle, attaqua les villes frontières de l’État de Vatatzès. Celui-ci concentra des troupes à Thessalonique, s’empara de Vodena, résidence du vieux Théodore, et attaqua en plein hiver Michel II, qui s’enfuit dans les montagnes, poursuivi par les cavaliers d’Alexis Stratégopoulos, mais fut trahi par le gouverneur de Castoria, qui le livra à Vatatzès . Par le traité signé à Larissa Michel dut céder à l’État de Nicée Prilep, Veles, Kroai en Albanie et toutes les villes occupées par l’armée de Vatatzès : le vieux despote Théodore fut emprisonné et le fils de Michel, livré en otage, fut de nouveau fiancé à la petite-fille de Vatatzès .

La plus grande partie de la Macédoine avait été ainsi recouvrée ; Vatatzès mit les territoires conquis en état de défense et plaça à la tête des villes des gouverneurs d’élite . Il restait à reprendre l’attaque de Constantinople, mais il semble que Vatatzès ait trouvé ses seules forces insuffisantes pour une pareille entreprise et qu’il ait cherché à y rentrer par des voies pacifiques.

Tel est le sens de ses négociations avec Innocent IV. Les premières ouvertures vinrent du pape qui chercha inutilement à rompre l’alliance avec Frédéric II, mais le trouva disposé à reprendre les conversations relatives à l’union . Des ambassades furent échangées, au grand mécontentement de Frédéric II qui tança son gendre , fit arrêter ses ambassadeurs et les emprisonna . Après la mort de Frédéric II (13 décembre 1250) , les pourparlers reprirent entre Rome et Nicée dans des conditions d’autant plus favorables que Vatatzès n’eut que des rapports hostiles avec l’héritier de l’empereur germanique  et que, pour recouvrer Constantinople, il avait décidé le patriarche et le clergé à faire au pape le maximum de concessions ; en échange de la remise de la ville impériale, l’autorité du pape serait reconnue, le clergé grec lui prêterait le serment d’obédience, sa juridiction d’appel serait admise. Telles sont quelques-unes des conditions que les archevêques de Sardes et de Cyzique portèrent au pape au début de 1254. Innocent IV accueillit favorablement cette ambassade et prit des mesures qui donnaient satisfaction à certains desiderata des Grecs, offrant de se porter arbitre entre Vatatzès et Baudouin II et d’aller tenir un concile à Constantinople . Le plus grand désir de conciliation se manifestait des deux côtés, mais Jean Vatatzès mourut le 3 novembre 1254  et Innocent IV, le 7 décembre suivant. Le nouveau pape, Alexandre IV, envoya bien une ambassade à Théodore II en 1256, mais l’entente ne put se faire et les négociations furent rompues .

L’empereur de Nicée sur la défensive. — La mort de Jean Vatatzès retarda de sept ans la reprise de Constantinople. Son fils Théodore II Lascaris, qui prit le nom de son aïeul maternel, passa son règne très court (novembre 1254 - août 1258) à défendre les conquêtes paternelles, plus étendues que solides. Age de 32 ans à son avènement, il n’avait pris jusque-là aucune part à l’exercice du pouvoir, mais il était zélé, instruit, travailleur, bon chef de guerre, regardé par les érudits de son entourage, Georges Acropolites et Nicéphore Blemmydès, comme le souverain rêvé , mais il ne tarda pas à les décevoir par son caractère fantasque, violent et autoritaire . Hostile à la noblesse, il avait pour principal ministre un de ses compagnons d’enfance d’humble origine, Georges Muzalon, dont il fit son favori et qu’il créa grand-domestique en comblant de titres sa famille et ses amis et en destituant de vieux serviteurs pour attribuer leurs places au favori ou à son clan, ce qui exaspéra les nobles .

Tranquille du côté du sultan de Roum, avec lequel il renouvela l’alliance conclue par Vatatzès , Théodore put laisser Georges Muzalon à Nicée et aller repousser la tentative du tsar bulgare Michel pour reprendre les villes qu’il avait dû céder à l’État de Nicée en 1246. Il fallut pour cela deux campagnes (1255-1256) dans lesquelles se manifesta l’indiscipline des chefs byzantins, qui aurait abouti à un désastre si le jeune basileus n’avait pas rétabli lui-même la situation : au printemps de 1256 deux de ces chefs, qui avaient attaqué l’ennemi contrairement aux ordres reçus, ne purent supporter le choc des Comans enrôlés par Michel ; l’un s’enfuit, l’autre fut pris. A cette nouvelle, Théodore accourut à marches forcées à Bulgarophygon , mit l’ennemi en déroute et lui infligea un nouveau désastre au passage de la Maritza . Le tsar Michel demanda la paix par l’entremise de son beau-père, le prince russe de Galicie Rostislav : toutes les villes prises par les Bulgares furent restituées à Théodore qui obtint en plus la forteresse de Tzepaina, défendant l’accès de la Thrace . Peu après, l’assassinat successif de Michel et de son cousin Koloman II par des boyards mit fin à la dynastie des Asên : le Serbe Constantin Tach, petit-fils d’Étienne Nemanja, proclamé tsar, répudia sa femme et épousa une fille de Théodore II  (1257).

La guerre d’Épire qui suivit la défaite bulgare fit moins d’honneur au basileus, qui la provoqua. En septembre 1256 Théodora, femme du despote Michel II, lui ayant amené son fils afin d’accomplir son mariage avec la fille de Théodore II, suivant l’accord de 1250, le basileus la força avant la cérémonie à signer un traité qui lui abandonnait les villes de Durazzo et de Servia  Michel II, qui avait dû ratifier le traité, se vengea en soutenant la révolte du gouverneur d’El-Bassan en Albanie et en attaquant les garnisons des villes impériales. Théodore II, sujet à ce moment à des attaques d’épilepsie, se contenta d’envoyer en Macédoine Michel Paléologue, mais, comme il se défiait de lui, il lui donna une armée trop faible (1257). Paléologue ne put empêcher le despote d’occuper les places de Macédoine, de capturer le gouverneur de Prilep, Georges Acropolites et de l’emprisonner à Arta . Théodore, impuissant, voulut faire excommunier tous les Grecs d’Occident par le patriarche Arsène et ne renonça à cette malencontreuse solution que sur les remontrances de Nicéphore Blemmydès . Par contre la situation de Michel II fut renforcée par son alliance avec Manfred, maître des Deux-Siciles et d’une partie de l’Italie . Manfred épousa une fille du despote qui lui apporta probablement en dot les villes de Durazzo, Avlona, Belgrade . Ce retour de la puissance sicilienne dans la péninsule balkanique devait avoir les suites les plus néfastes pour l’Empire byzantin et mettre obstacle à sa restauration intégrale.

Théodore II par ses fautes avait perdu une partie des conquêtes de Vatatzès : par les maladresses de son gouvernement intérieur il s’aliéna la noblesse sans avoir la force de la réduire à l’obéissance et compromit irrémédiablement l’avenir de l’enfant qui devait lui succéder. Une des familles les plus importantes de la noblesse était celle des Paléologues qui, depuis la fin du xie siècle, avait fourni à l’Empire de nombreux chefs de guerre et hommes d’État, souvent alliés à la dynastie régnante . Son chef, Andronic Paléologue, avait épousé une petite-fille d’Andronic Ier et avait reçu de Vatatzès la dignité de grand domestique et le gouvernement de Thessalonique ; son fils Michel était à la même époque gouverneur de Serrès et de Melnic . La situation importante de cette famille et sa parenté avec la dynastie déchue excitaient la jalousie et la méfiance. Sous Vatatzès, Michel Paléologue fut accusé d’aspirer à l’Empire et le tribunal voulait le soumettre à l’épreuve du fer rouge . Vatatzès se contenta d’un serment de fidélité , mais Théodore II, qui le reconnaissait comme l’un de ses meilleurs généraux et le nomma grand connétable et gouverneur de Bithynie, avait contre lui des préventions qui se manifestaient par une attitude hostile et des menaces fréquentes .

Les choses en vinrent à un tel point qu’en 1256 Paléologue, craignant pour ses jours, se réfugia auprès du sultan d’Iconium, alors aux prises avec les Mongols et qu’il aida à les repousser  ; mais les troupes du sultan ayant été battues dans une autre rencontre, le territoire du sultanat de Roum fut ravagé et Kaï-Khosrou fit appel au secours du basileus conformément à leur traité d’alliance, en lui cédant les places de Laodicée et de Chonae : Théodore, qui l’accueillit à Sardes, lui donna quelques troupes  ; puis, se voyant lui-même aux prises avec le despote d’Épire, avec des généraux incapables, il prit le parti de rappeler Michel Paléologue, lui envoya des lettres de sûreté, le rétablit dans ses fonctions et dignités  et, comme on l’a vu, lui confia le commandement de l’expédition d’Épire, mais avec des troupes insuffisantes.

Il semble, d’après Pachymère, que la rancune du basileus contre les Paléologues ne tarda pas à se manifester de nouveau. Une nièce de Michel, accusée d’incantations magiques, aurait été mise à la torture et Michel lui-même arrêté, mais le silence d’Acropolites et de Grégoras sur ces faits rend ce témoignage suspect . Il n’en est pas moins certain que la conduite de Michel Paléologue après la mort du basileus montre la mésintelligence profonde qui régnait entre eux.

Atteint d’une maladie grave due à une dégénérescence physique et dont il notait lui-même les progrès dans ses lettres avec un véritable stoïcisme, Théodore II Lascaris mourut au mois d’août 1258 à l’âge de 37 ans, laissant pour lui succéder un enfant de 8 ans .

L’usurpation de Michel Paléologue et la reprise de Constantinople (1278-1261). — Avant sa mort, Théodore II avait décidé que, pendant la minorité de Jean IV, la régence serait exercée par Georges Muzalon et avait fait prêter serment à son favori par tous les dignitaires . Sentant son impopularité, Muzalon avait demandé au Sénat d’élire comme régent celui qui paraîtrait le plus digne, mais, sur les instances des nobles, avait conservé ses pouvoirs. Or, neuf jours plus tard, pendant qu’on célébrait à Magnésie les obsèques du basileus défunt, les mercenaires francs envahirent l’église et égorgèrent Georges Muzalon et ses frères . C’était là le résultat d’un complot, dont Acropolites désigne les auteurs comme des nobles disgraciés ou mutilés sous le règne précédent, mais la suite des faits permet de regarder comme son principal organisateur Michel Paléologue, qui, avec une véritable duplicité, avait engagé Muzalon à conserver le pouvoir et qui avait su s’assurer le concours des mercenaires francs, dont il était le chef .

Cette journée sanglante fut en effet le point de départ de sa fortune. Dans une assemblée des grands tenue pour désigner un nouveau régent, toutes les candidatures s’effacèrent devant la sienne et il reçut le titre de mégaduc  avec le droit de puiser dans le trésor, dont le patriarche Arsène lui remit les clefs . Cette ascension continua par l’élévation de Michel au rang de despote, premier degré de la hiérarchie . Il ne lui restait plus qu’à conquérir le trône, bien qu’à part les insignes impériaux, il eût déjà tous les attributs du pouvoir suprême . Le patriarche Arsène, tuteur de Jean IV, dont il s’efforçait de préserver les droits, était un ancien moine d’Apollonia qui n’avait même pas encore reçu les ordres ecclésiastiques lorsqu’en 1255 un caprice de Théodore II Lascaris l’avait imposé aux évêques, après que Nicéphore Blemmydès eut refusé d’accepter la dignité patriarcale . Michel Paléologue avait littéralement fait le siège de ce personnage et réussi à le convaincre que le seul moyen de sauver le trône de Jean IV était de donner au régent le titre de basileus, dont il exerçait déjà les fonctions.

Le 1er décembre 1258, Michel Paléologue était élevé sur le pavois à Magnésie : le 1er janvier suivant, il était couronné basileus à Nicée par le patriarche, malgré quelques opposants, en même temps que Théodora, son épouse, et le jeune Jean IV , au salut duquel il s’était engagé à veiller par un serment solennel, mais qu’il relégua dans un château du Bosphore. Arsène comprit alors qu’il avait été joué et, de désespoir, se retira dans un monastère. Michel, considérant cette retraite comme une démission, fit élire par le synode un nouveau patriarche, Nicéphore, métropolite d’Éphèse, malgré l’opposition des archevêques de Sardes et de Thessalonique .

Cependant les événements extérieurs avaient déjà montré combien il était urgent que l’Empire fût tenu d’une main ferme. Il n’y avait rien à craindre du côté de Constantinople où Baudouin Il se trouvait dans le dénuement le plus complet. Après lui avoir fait demander la restitution de Thessalonique, de la Macédoine et de la Thrace il fut trop heureux de signer une trêve avec Michel (décembre 1258) . La menace venait de l’Épire, dont le despote Michel II avait annexé la Macédoine jusqu’au Vardar et formé une coalition contre l’État de Nicée avec Manfred et Guillaume de Villehardouin, prince de Morée. Michel Paléologue essaya de négocier, mais le despote repoussa ses propositions et Manfred emprisonna ses ambassadeurs. Avant même son couronnement Michel nomma son frère Jean grand-domestique et lui confia une armée qui pénétra en Macédoine, surprit les Épirotes à Vodéna et les mit en fuite, puis s’empara d’Ochrida. Le despote d’Épire regroupa ses forces et reçut les renforts amenés par le prince de Morée ainsi que des chevaliers siciliens envoyés par Manfred mais les alliés subirent une déroute complète devant Pelagonia (octobre 1259). Guillaume de Villehardouin y fut fait prisonnier et Jean Paléologue occupa Arta, la capitale du despote, envahit la Thessalie et pénétra en Grèce jusqu’à Thèbes . Peu après d’ailleurs, avec des renforts envoyés par Manfred, Nicéphore, fils du despote, put reprendre une partie du terrain perdu et faire prisonnier Alexis Stratégopoulos, qui fut délivré à la suite d’un traité conclu entre Michel Paléologue et le despote d’Épire (fin 1259-1260) .

A ce moment Michel Paléologue était tout entier à ses préparatifs contre Constantinople. Tranquille du côté de l’Europe il signa un traité avec les Mongols en abandonnant son allié le sultan d’Iconium , et, afin d’associer toutes les forces helléniques à la reprise de la ville impériale, il fit alliance avec l’empereur de Trébizonde, Manuel Comnène . Puis au printemps de 1260 il passa l’Hellespont et s’avança jusqu’à Selymbria qu’il occupa, mais Anseau de Toucy, fait prisonnier à Pelagonia et qu’il avait mis en liberté à condition qu’il lui ouvrirait une porte de la ville, ne tint pas sa promesse ; et Paléologue, après avoir conclu une trêve avec Baudouin, regagna Nicée . Ce fut peu après qu’il reçut à Nymphée  une ambassade de Génois qui venait lui proposer de l’aider à reprendre Constantinople moyennant l’octroi de privilèges importants.

Chassés de toutes leurs positions à Constantinople et dans l’Empire depuis 1204, les Génois s’étaient livrés à une guerre de pirates contre les établissements vénitiens et n’avaient jamais voulu reconnaître la légitimité de l’Empire latin . A Saint-Jean-d’Acre les rixes étaient continuelles entre les quartiers génois et vénitiens et en juin 1258, après avoir perdu une bataille navale, les Génois durent se réfugier à Tyr . Cependant après de laborieuses négociations le pape Alexandre IV avait fini par imposer son arbitrage aux belligérants (avril 1259), mais son légat, envoyé à Saint-Jean-d’Acre, ne put obtenir des Vénitiens l’accomplissement des conditions prévues . Ce fut alors que les Génois, désireux de prendre leur revanche sur Venise et lui porter un coup mortel en la chassant de Constantinople, proposèrent leur alliance à Michel Paléologue.

Le basileus, n’ayant pas une flotte suffisante pour attaquer Constantinople par mer, accepta toutes les conditions des Génois. Par le traité signé à Nymphée le 13 mars 1261, Michel VIII et Gênes contractaient une alliance offensive et défensive contre Venise et Baudouin II ; Gênes mettait sa flotte à la disposition de l’empereur, qui lui accordait tous les avantages, privilèges, quartiers dont les Vénitiens jouissaient à Constantinople, dans l’Archipel et la mer Noire, ainsi que la liberté de commerce dans tout l’Empire . Les conséquences de ce traité, qui remplaçait le monopole économique de Venise par celui de Gênes, devaient peser d’un poids très lourd dans les destinées de Byzance.

Par une véritable ironie du sort, ni ce traité désastreux, ni les autres dispositions de Michel VIII ne servirent à la reprise de Constantinople et ce fut l’un des chefs de guerre les plus médiocres, le César Alexis Stratégopoulos, qui, chargé de faire une démonstration avec 800 hommes à la frontière bulgare, se détourna de sa route pour observer la Ville Impériale et, à la suite d’une entente entre une de ses patrouilles et des habitants, eut la gloire d’y pénétrer le 25 juillet 1261, tandis que Baudouin II s’enfuyait dans une barque et que la flotte vénitienne, qui se trouvait à l’entrée de la mer Noire, en revenait une fois l’événement accompli . Le 15 août suivant, Michel Paléologue faisait son entrée dans la ville reconquise et était couronné de nouveau à Sainte-Sophie par Arsène, qu’il avait rappelé au patriarcat après la mort de Nicéphore II . Après une interruption de 57 ans, Constantinople redevenait la Nouvelle Rome, le siège de l’Empire ; la tradition était renouée.

2.  L’Œuvre de relèvement de Michel Paléologue  (1261-1282)

Michel Paléologue, maître de Constantinople, ne pouvait songer à reconstituer l’Empire non seulement dans son intégrité, mais même dans son étendue territoriale d’avant 1204. Il a du moins réussi à consolider son pouvoir, à fonder une dynastie et à conserver Constantinople en dépit des menaces des puissances ennemies, désireuses de restaurer l’Empire latin à leur profit.

Son premier soin fut de rétablir la ville impériale dans sa splendeur , d’en faire nettoyer les rues laissées à l’abandon, d’en rebâtir les quartiers incendiés, de l’enrichir de fondations nouvelles , d’y ramener la population émigrée dans la banlieue, de distribuer à ses partisans les propriétés abandonnées par les Vénitiens, d’installer les Génois dans leur nouveau quartier et de mettre la ville en état de défense en faisant réparer les murailles et construire une flotte de guerre .

Mais dans son désir de fortifier son autorité, sentant très bien qu’il était encore considéré comme un usurpateur, il n’hésita pas à commettre froidement un crime politique qui faillit d’ailleurs lui coûter le trône : il fit aveugler et emprisonner le pauvre enfant impérial, Jean Lascaris, héritier légitime du trône, et il eut la cruauté de faire mutiler son secrétaire, Manuel Holobolos, pour le punir d’avoir témoigné de la compassion à cette innocente victime . La sanction ne se fit pas attendre : à cette nouvelle, le patriarche Arsène, saisi d’horreur et de remords, prononça l’excommunication du basileus  et il s’ensuivit un conflit religieux des plus néfastes qui aboutit à la déposition d’Arsène, à son exil à Proconnèse et à l’élection de Germain, archevêque d’Andrinople, au patriarcat  : un nouveau schisme allait déchirer l’Église de Constantinople. Toute l’affaire avait été conduite par le confesseur de Michel VIII, le moine Joseph, ignorant et entreprenant : par ses intrigues il força Germain à abdiquer le patriarcat (14 septembre 1266), se fit élire à son tour et releva solennellement Michel de l’anathème . Arsène n’en conserva pas moins des partisans qui le considéraient comme le seul patriarche légitime .

La politique intérieure de Michel VIII fut toute en faveur de la noblesse, par réaction contre les tendances démocratiques de Vatatzès et de Théodore II et il s’attacha les grandes familles par des unions matrimoniales avec les siens.

Comme autrefois les Comnènes et les Anges, il eut soin de confier les postes importants à ses proches, et son frère Jean, qu’il mit à la tête de ses armées, contribua par ses victoires à accroître son prestige . En 1272 il associa au trône son fils aîné, Andronic, âgé de 16 ans, et le maria à la fille d’Étienne V, roi de Hongrie .

Parmi les difficultés que rencontra son gouvernement, il faut noter les embarras d’argent dus aux dépenses énormes qu’exigeait l’entretien de son armée et de sa diplomatie : il devait laisser l’Empire complètement ruiné . Les Génois, d’autre part, grâce aux privilèges qu’ils tenaient du traité de Nymphée, privaient l’Empire des sources de richesse qui auraient pu rétablir sa prospérité. Ce fut ainsi que Manuel Zaccaria obtint le monopole fructueux de l’exploitation de l’alun à Phocée . Les Génois ne se montrèrent même pas des alliés fidèles et furent convaincus d’avoir comploté en 1264 avec Manfred pour livrer Constantinople aux Francs : après avoir essayé de se rapprocher de Venise , qui hésitait à traiter avec lui, Michel VIII finit par se réconcilier avec les Génois, mais leur enleva le quartier qu’il leur avait attribué à l’intérieur de la ville, pour les établir au-delà de la Corne d’Or au faubourg de Galata, préalablement démantelé , événement qui devait avoir une portée considérable : une ville étrangère s’installait ainsi aux portes de Byzance.

Politique extérieure. — Pendant les 21 années de son règne à Constantinople, Michel VIII eut vraiment ce qu’on peut appeler sans anachronisme une politique extérieure, répondant à deux idées directrices : compléter la restauration de l’Empire en prenant pied dans toutes les régions de la péninsule balkanique et en maintenant la paix avec les Mongols en Asie Mineure ; mettre Constantinople à l’abri d’une croisade destinée à restaurer l’Empire latin et, pour empêcher les papes de la proclamer, pratiquer une politique d’union religieuse en obligeant le clergé grec à se départir de son intransigeance vis-à-vis de Rome.

En fait toutes ces questions étaient solidaires. Les rois de Sicile, Manfred, puis Charles d’Anjou, qui avaient des visées sur Constantinople, cherchèrent à gagner l’appui des États balkaniques, Épire, Serbie, Bulgarie et de la Morée, hostiles à Michel. De son côté, Michel ne manqua pas d’exploiter les dissentiments entre les papes et la Sicile pour faire triompher sa cause.

L’un de ses premiers succès fut le traité qu’il força Guillaume de Villehardouin, son prisonnier depuis la bataille de Pelagonia (1259), à signer avant sa libération (1262). Le prince de Morée devenait vassal de l’Empire et lui cédait les trois forteresses importantes de Mistra, Géraki et Monemvasia . L’Empire reprenait pied en Grèce et le frère de Michel, le sébastocrator Constantin, chargé d’administrer cette nouvelle colonie, établit sa résidence à Mistra . La conquête de ces positions allait permettre d’éliminer la domination franque du Péloponnèse. Pour Michel VIII, c’était un gage qui lui permettait de poursuivre des négociations avec autorité.

Au moment de la reprise de Constantinople, le Saint-Siège était vacant , mais l’un des premiers actes du nouveau pape, Jacques Pantaléon, de Troyes, élu le 28 août sous le nom d’Urbain IV, fut de préparer une nouvelle croisade de Romania  et de déclarer nul le traité conclu par Guillaume de Villehardouin avec le basileus . Devant ces menaces Michel VIII essaya de se rapprocher de Manfred, mais, ses offres d’alliance ayant été repoussées , il prit le parti de s’adresser au pape et de lui demander d’établir la paix entre les Grecs et les Latins . Or Urbain IV venait de repousser une tentative de Baudouin II pour le réconcilier avec Manfred, dont la participation à la croisade future semblait indispensable , et il venait d’offrir le royaume de Sicile à Charles d’Anjou . Abandonnant provisoirement le projet de croisade en Romania, il accueillit favorablement les ouvertures de Michel VIII  et une correspondance active en vue de l’union des Églises s’établit entre Rome et Constantinople.

Ce ne fut pas sans quelques heurts. Tout en protestant de son amour de la paix, Paléologue continuait à attaquer les États latins, envoyait la flotte génoise dans l’Archipel et faisait assiéger par son frère Constantin les places fortes du prince de Morée qui, oublieux de ses serments, violait le traité de Constantinople . De là entre les deux interlocuteurs des alternatives de ruptures et de rapprochements. Tantôt l’accord semble fait, Urbain IV abandonne la cause de Baudouin II qui se compromet avec Manfred, et il est prêt à garantir le trône de Michel s’il se soumet à Rome  (juillet 1263) ; tantôt, s’il apprend une nouvelle agression des Grecs en Morée, il fait prêcher la croisade contre Constantinople (mai 1264) . Enfin les troupes de Michel ayant subi un gros désastre en Morée, il y eut une trêve de fait entre les belligérants (printemps 1264)  ; les pourparlers reprirent avec Rome et l’union semblait probable  quand Urbain IV mourut le 2 octobre 1264.

Son successeur, Clément IV, ancien évêque du Puy, élu seulement le 5 février 1265, était tout dévoué à Charles d’Anjou et commença par l’investir du royaume de Sicile , Un an après, le 26 février 1266, devant Bénévent, Charles était vainqueur de Manfred qui périssait dans la bataille . Ce fut vraisemblablement alors que Michel VIII fit sa première démarche auprès de Clément IV, ainsi qu’il ressort d’une lettre du pape au basileus , La disparition de Manfred n’avait nullement amélioré la situation de Michel Paléologue. Le nouveau roi de Sicile reprenait tous les plans du Hohenstaufen contre Constantinople, avec des moyens beaucoup plus puissants et fort de l’appui du pape. Il commençait par prendre à sa solde les chefs des troupes de Manfred stationnées en Épire, s’alliait avec le prince de Morée  et, par le traité de Viterbe (27 mai 1267), il s’engageait à restaurer Baudouin II à Constantinople, moyennant le tiers des conquêtes qu’il ferait en Romania .

Clément IV, qui semblait approuver les projets de Charles d’Anjou (il ratifia le traité de Viterbe), en redoutait au fond l’exécution et continua à correspondre avec Michel, mais, plus intransigeant que son prédécesseur, et peut-être pour gagner du temps, il refusait d’accorder la moindre garantie au basileus si celui-ci et tout le clergé grec ne se soumettaient pas à l’Église romaine sans conditions , La situation était d’autant plus menaçante que la défaite de Conradin à Tagliacozzo (23 août 1268) avait achevé de renforcer la situation de Charles d’Anjou en Italie et que, tout en équipant une grande flotte,il envoyait des troupes et de l’argent au prince d’Achaïe .

Ce fut sur ces entrefaites que mourut Clément IV (29 novembre 1268) et, par suite des divisions des cardinaux, la vacance du Saint-Siège se prolongea pendant deux ans et neuf mois, jusqu’au 1er septembre 1271 . C’était pour Michel Paléologue le début d’une période critique. Charles d’Anjou, n’étant plus retenu par l’autorité d’un pape, pouvait donner libre cours à ses desseins et pousser ses préparatifs. Cependant Venise, qui venait de conclure un traité avec Michel VIII , refusait de participer à l’expédition. Malgré cet échec, Charles voulait entrer en campagne au printemps de 1270 . Dans ces conjonctures, Michel Paléologue ne trouva rien de mieux que de s’adresser à saint Louis, comme au véritable chef de la chrétienté en l’absence d’un pape et d’un empereur : il échangea avec le roi de France deux ambassades (printemps 1269, début 1270) en lui demandant d’arrêter les entreprises de son frère contre l’Empire byzantin au moment où le basileus, son clergé et son peuple étaient prêts à rentrer dans la communion de Rome . Saint Louis renvoya la question religieuse au collège des cardinaux, qui reproduisirent dans leur réponse à Michel la plupart des conditions exigées par Clément IV, mais il arrêta l’expédition de Charles d’Anjou contre Constantinople en l’entraînant à la croisade de Tunisie  : ce fut au camp de Carthage que, quelques heures avant sa mort, saint Louis reçut la deuxième ambassade de Paléologue, dirigée par le futur patriarche Jean Veccos .

Accomplissement de l’Union (1271-1276). — Après la mort de saint Louis et son retour de Tunisie, Charles d’Anjou reprit ses plans de conquête de l’Orient, scella son alliance avec le prince d’Achaïe en mariant un de ses fils à Isabelle de Villehardouin et en lui envoyant de nouvelles troupes qui infligèrent des défaites aux Grecs , mais il allait encore être arrêté sur la route de Byzance, et cette fois ce fut par le pape. Élu à ta papauté le 1er septembre 1271, alors qu’il se trouvait à Saint-Jean-d’Acre, Theodebaldo Visconti, qui prit le nom de Grégoire X, était résolument opposé aux projets de Charles d’Anjou et à la croisade de Romania qu’il regardait comme des obstacles à la véritable croisade en Terre Sainte, dont la réussite d’autre part ne pouvait être assurée que par la réconciliation des Églises .

Cependant Charles d’Anjou accentuait ses menaces contre Constantinople en étendant son influence dans la péninsule balkanique, chez les Albanais, qui le proclamaient roi ainsi que son fils, en Morée où il envoyait Philippe de Toucy avec un corps de chevaliers et de Sarrasins de Lucera, en Thessalie où il s’alliait avec le prince Jean l’Ange, bâtard de Michel II d’Épire, qui s’était rendu indépendant, et jusqu’en Serbie et en Bulgarie (1272-1273) . De son côté Michel VIII faisait alliance avec Alphonse X, roi de Castille, candidat à l’Empire d’Occident et ennemi de Charles d’Anjou, contre lequel il soutenait les Gibelins de Lombardie  avec le roi Étienne de Hongrie, dont la fille épousait l’héritier du trône byzantin , et il se réconciliait avec les Génois, qui promettaient de s’opposer à toute hostilité contre l’Empire .

Mais plus efficace que ces alliances fut l’action du pape Grégoire X. Avant même d’avoir quitté la Palestine, il avait écrit à Michel VIII pour lui faire part de son désir d’union  et, après son retour en Italie, il envoya à Constantinople quatre franciscains chargés de promettre au basileus la protection du pape s’il réalisait l’union . Dès lors des rapports empreints de cordialité s’établirent entre le basileus et le pape . Tous deux avaient la volonté ferme d’atteindre le but. Au lieu du programme radical de Clément IV, Grégoire X n’exigeait du clergé grec que la reconnaissance de la primauté du pape en droit et en fait, la promesse d’union et la commémoration du pape dans la liturgie. Michel VIII se livra à une propagande active pour démontrer au clergé que ces concessions étaient peu de chose au prix du salut de Constantinople, mais dès le début de sa campagne il se heurta à une opposition irréductible, bien que modérée dans la forme . Cependant il n’hésita pas à passer outre et fit savoir au pape, par deux des frères mineurs qu’il lui avait envoyés, que, malgré les difficultés qu’il avait rencontrées, le clergé était près d’accepter l’union : il lui demandait aussi de garantir la sécurité des ambassadeurs qu’il enverrait au concile .

C’était du bon vouloir de Charles d’Anjou et de ses alliés que dépendaient les garanties demandées. Le pape se chargea de cette délicate négociation et, sur ses objurgations, Charles accorda les sauf-conduits demandés (7 janvier et 1er mai 1274) .

Rien ne s’opposait plus à l’union. A Constantinople le basileus continuait sa propagande et remportait une véritable victoire en gagnant à sa cause le théologien Jean Veccos, jusque-là hostile à tout rapprochement avec Rome , tandis que le patriarche Joseph, malgré son attachement au basileus, restait irréductible . Les Grecs ne devaient participer au concile œcuménique convoqué à Lyon que par une ambassade qui avait à sa tête l’ex-patriarche Germain, le grand logothète Georges Acropolites et Théophane, métropolite de Nicée. Ces envoyés apportaient au pape une lettre de l’empereur reconnaissant en tout la doctrine romaine et un acte du clergé, qui se bornait aux concessions exigées par Grégoire X. Après la lecture de ces lettres, l’union des Églises fut proclamée par le pape à la 4e session du concile, le 6 juillet 1274 .

Le rêve des papes depuis deux siècles : la fin du schisme et la réunion pacifique de l’Église grecque à l’Église romaine, était ainsi réalisé, mais cet accord était peu solide, dû aux préoccupations purement politiques de Michel VIII, qui avait extorqué de force les adhésions du clergé grec et avait contre lui jusqu’à ses proches parents. Comme le fait remarquer le père Jugie, il n’y eut au concile que deux évêques grecs et l’union fut conclue « sans préparation psychologique, sans discussion théologique sur les points en litige » . On ne devait pas tarder à s’apercevoir que la force ne sert à rien dans ces matières, mais qu’il y faut d’abord l’adhésion des âmes.

Les résultats immédiats du concile furent, d’une part, la signature d’une trêve entre Charles d’Anjou et Michel VIII , d’autre part l’abdication du patriarche Joseph (11 janvier 1275), cinq jours plus tard la reconnaissance solennelle de l’union, mais à la chapelle du palais impérial , enfin l’élection de Jean Veccos au patriarcat (26 mai)  Très influent à la cour, Veccos se fit le défenseur de l’union, mais se heurta à une opposition farouche dirigée par des érudits comme Grégoire de Chypre, par la propre sœur du basileus, Eulogia, et par des princes du sang, que Michel n’hésita pas à emprisonner . Un concile anti-unioniste dirigé contre Paléologue et Veccos fut tenu en Thessalie .

Jusqu’à la fin de sa vie Grégoire X continua à avoir des relations fréquentes avec Michel VIII qu’il entretenait d’un projet de croisade, aussi avantageux pour l’Empire que pour la Terre Sainte, puisqu’il prévoyait d’abord l’expulsion des Turcs de l’Asie Mineure . Le pape avait décidé de prendre lui-même le commandement de l’expédition lorsqu’il mourut le 6 janvier 1276.

Cette mort porta à la cause de l’Union un coup sensible, car les premiers successeurs de Grégoire X, dont le règne dura peu (trois papes en deux ans, janvier 1276 - mai 1277), élus sous l’influence de Charles d’Anjou, témoignèrent leur hostilité aux Grecs et, mal renseignés sur leurs aspirations, rendirent impossible par leurs exigences la tâche de Michel VIII et de Veccos , qui continuèrent cependant à montrer leur respect pour le Saint-Siège et saisirent toutes les occasions de manifester leur accord avec lui, tout en cherchant à obtenir de lui le maintien des rites propres à l’Église grecque, auxquels le clergé et les fidèles tenaient surtout . Le pape exigeant que l’empereur, son fils, le patriarche et tous les clercs jurent personnellement l’union, une nouvelle cérémonie venait d’avoir lieu à cet effet à Sainte-Sophie , mais le mécontentement était général et c’était en vain que jean Veccos tenait un synode qui excommuniait ses adversaires .

Bien qu’opposé aux projets ambitieux de Charles d’Anjou, à qui il défendit d’attaquer Constantinople, Nicolas III, élu à la papauté le 25 novembre 1277, était décidé à obtenir la soumission complète de l’Église grecque et déclara insuffisantes et incomplètes les professions de foi envoyées à son prédécesseur . Au moment de l’arrivée de ses envoyés à Constantinople, Veccos, à la suite d’accusations calomnieuses et brouillé avec l’empereur, avait abdiqué le patriarcat  : Michel embarrassé organisa une vraie comédie pour empêcher les envoyés du pape de s’apercevoir de cette disgrâce du principal défenseur de l’union  et, pour montrer son bon vouloir, leur fit visiter les prisons où étaient détenus des princes qui avaient manifesté leur opposition , Dans sa réponse à Nicolas III le basileus montra que, s’il succombait dans la lutte contre ses adversaires, c’en était fait de l’union  et le pape, touché par ces arguments, se porta comme médiateur entre Charles d’Anjou, son gendre Philippe de Tarente, fils de Baudouin II, et Michel VIII . Au même moment le basileus se mettait en rapport, par l’intermédiaire de Jean de Procida, avec le roi d’Aragon Pierre III, époux de Constance, fille de Manfred , dont il revendiquait l’héritage sicilien, et le pape autorisait l’Aragonais à détrôner Charles d’Anjou .

Mais après la mort de Nicolas III (22 août 1280), Charles d’Anjou lui fit donner comme successeur un de ses plus dévoués partisans, le cardinal français Simon de Brie (Martin IV, 21 février 1281). Tous les efforts de Michel VIII pour maintenir l’union devenaient stériles : pour obéir à Nicolas III, il s’était mis ses sujets à dos et s’était érigé en tyran cruel, allant jusqu’à faire crever les yeux à de hauts dignitaires récalcitrants et remplissant la ville d’espions qui épiaient les conversations . Tous ses plans s’effondraient en même temps. Les ambassadeurs qu’il avait envoyés à Nicolas III peu avant sa mort étaient capturés par un capitaine de Charles d’Anjou et paraissaient en prisonniers devant Martin IV, qui leur reprochait la duplicité de leurs compatriotes et excommuniait Michel Paléologue .

Fort heureusement pour le basileus, les récentes entreprises de Charles d’Anjou dans la péninsule balkanique avaient échoué. En octobre 1278 il avait occupé l’Achaïe, comme baile de sa bru Isabelle, veuve de son fils Philippe et héritière de son père Guillaume de Villehardouin, mort le 1er mai précédent. Il y envoya des troupes, mais cette occupation lui donna plus de soucis que d’avantages par suite des attaques continuelles de la garnison grecque de Mistra . Plus menaçante avait été l’expédition confiée par Charles à son capitaine-général en Illyrie, Hugue de Sully, qui, parti de Durazzo, pénétra en Albanie, assiégea Bérat, mais fut fait prisonnier le 3 avril 1281 et amené en triomphe à Constantinople .

L’élection de Martin IV semblait permettre au roi de Sicile de prendre sa revanche et d’exécuter enfin son grand dessein. Par l’entremise du pape une coalition fut formée contre Michel Paléologue par Charles d’Anjou, Philippe de Tarente et la république de Venise (traités d’Orvieto, 3 juillet 1281). L’expédition, dont le départ fut fixe en avril 1283, serait une croisade destinée à restaurer l’Empire latin et à conquérir la Terre Sainte . Mais Michel Paléologue et son allié le roi d’Aragon mirent à profit le délai qui leur était laissé par les coalisés et après la tragédie des Vêpres Siciliennes (21 mars 1282) tous les espoirs de Charles d’Anjou et de Martin IV s’effondraient : Pierre III débarquait en Sicile et était proclamé roi à Palerme (août 1282). Loin de pouvoir attaquer Constantinople, Charles d’Anjou n’aurait pas trop de toutes ses forces pour défendre l’existence de son royaume .

Lorsque Michel Paléologue mourut quelques mois plus tard , malgré les obstacles semés sur sa route il avait atteint son but il laissait à son successeur Constantinople à l’abri d’une croisade occidentale.

L’action politique dans la péninsule des Balkans. — Obligé à une défensive perpétuelle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, Michel VIII n’a pu avoir dans les Balkans une politique territoriale vraiment cohérente. Après avoir cherché à faire le plus d’annexions possible, il a perdu l’initiative des opérations pour se livrer uniquement à des contre-attaques et, pour empêcher les chefs des États balkaniques de se mettre au service de ses adversaires d’Occident, il eut souvent recours à la politique matrimoniale.

Sans pouvoir recouvrer de vastes territoires, il s’empara de positions importantes, amorces d’agrandissements futurs, comme les forteresses de Mistra, Géraki, Monemvasia, arrachées en 1262 à Guillaume de Villehardouin qui ne put jamais les reprendre. De même il s’établit dans l’île d’Eubée, conquise, sauf Nègrepont, la capitale, par Licario de Vérone qu’il avait pris à son service , mais ce fut surtout aux dépens du despotat d’Épire et de l’État vlacho-bulgare qu’il chercha à agrandir ses domaines.

Avec le despotat d’Épire, principale menace pour Constantinople, poste avancé de Manfred, gendre du despote, puis de Charles d’Anjou, Michel VIII avait essayé une politique de rapprochement et de mariages  qui ne donna qu’un maigre résultat (1264). Après la mort du despote Michel II (1267) , son bâtard Jean l’Ange, qui avait reçu la Thessalie en partage, quoique bien accueilli à Constantinople et gratifié du titre de sébastocrator , se joignit à toutes les coalitions contre Paléologue, ne cessa de faire des incursions en territoire impérial et donna même asile aux ennemis de l’union religieuse. Ce fut ce qui lui valut en 1274 une sévère leçon : Michel VIII l’obligea à évacuer la Thessalie, envahit l’Albanie et s’empara de Bèrat et du port de Buthrento , qu’il sut défendre, comme on l’a vu, contre J’attaque de Hugue de Sully, capitaine de Charles d’Anjou, en 1280 . Par contre, les troupes de Michel VIII ne purent conserver Neopatrai, résidence de Jean l’Ange, occupée en 1275 .

Le tsar bulgare Constantin Asên, marié à une fille de Théodore II Lascaris, ne pouvait être favorable à Michel Paléologue et ce fut justement le corps d’armée chargé de s’opposer à son agression possible qui entra à Constantinople par surprise en 1261 . Après cette victoire le basileus n’eut aucun scrupule à élargir ses frontières au nord du Rhodope en territoire bulgare jusqu’à la plaine de Sofia (1263), mais il se heurta à l’armée hongroise d’Étienne V, dont l’ambition était d’établir sa suzeraineté sur les États slaves des Balkans  et il dut battre en retraite. Abandonnant la sphère d’influence hongroise, Michel VIII, après avoir repris Philippopoli, tourna ses efforts vers l’est et s’empara des ports d’Anchiale et de Mesembria. Le tsar n’hésita pas à faire appel à son allié, Nogaï, Khan du Kiptchak . Une horde de Tartares envahit la Thrace et infligea à Michel Paléologue le plus gros désastre qu’il ait jamais subi, mais se contenta de piller la région sans attaquer Constantinople (1265) .

L’empereur sauva la situation par sa diplomatie cauteleuse. Il offrit la main de sa fille Marie au tsar devenu veuf d’Irène Lascaris, avec les villes de la mer Noire qu’il avait prises, en dot, puis, le mariage accompli, refusa de s’en dessaisir en invoquant le désir de leurs habitants de rester Grecs . Constantin Asên furieux appela encore les Mongols, mais dans l’intervalle Michel VIII avait fait alliance avec Nogaï en lui donnant une de ses bâtardes en mariage et cette fois ce furent les Tartares qui défendirent la Thrace contre les Bulgares .

A la suite d’un accident, Constantin Asên dut confier la régence à Marie Paléologue, au grand mécontentement des boyards et des paysans, qui se soulevèrent et proclamèrent tsar le porcher Ivailo (1277) . Ce fut là le point de départ d’une série de tragédies et de guerres civiles que Michel VIII essaya d’exploiter pour placer la Bulgarie sous son influence en opposant à Ivailo un prétendant au trône bulgare dont il avait fait son gendre et qui se rattachait par sa mère à la dynastie asênide. Ce Jean Asên III fut reconnu comme tsar à Tirnovo en 1279, mais ne put s’y maintenir. Ivailo, qui l’en avait chassé avec l’appui des Mongols, fut lui-même renversé par un Coman, Georges Terter (fin de 1280), dont le premier acte fut de s’allier à Charles d’Anjou contre Paléologue .

Vis-à-vis de l’État serbe, en train de prendre dans les Balkans la place prépondérante que perdait la Bulgarie, la politique de Michel VIII fut encore plus malheureuse. Le roi Étienne Ourosch Ier avait épousé une princesse latine, Hélène d’Anjou  : pour contrebalancer son influence, le basileus chercha à marier une de ses filles au prince Miloutine, mais les ambassadeurs envoyés en Serbie pour conclure l’union furent tellement choqués de la simplicité toute patriarcale de la cour serbe que, sur leur rapport, le projet fut abandonné . Ce fut une faute grave : Étienne Miloutine, l’un des plus grands rois de Serbie, épousa la fille du grand ennemi de Paléologue qu’était Jean l’Ange et, du vivant même de Michel VIII, préluda aux conquêtes qu’il devait faire aux dépens de l’Empire en s’emparant de Skoplje et en pénétrant jusqu’à Serres (1282) .

La politique orientale. — Tous ses efforts tendus vers l’Occident empêchèrent Michel Paléologue d’avoir une politique active dans le monde oriental en voie de transformation profonde. Ses deux puissances prédominantes étaient celle des Mamlouks d’Égypte, qui avaient renversé le dernier sultan ayoubide en 1250 , et celle des Mongols de Perse gouvernés par le frère du grand Khan Mongka, Houlagou, qui s’était emparé de Bagdad en 1258 et avait supprimé le califat abbasside  ; en Asie Mineure son domaine comprenait la plus grande partie du sultanat de Roum et le roi de Petite Arménie Héthoum Ier était son vassal. Dès son avènement, Michel Paléologue s’était empressé de conclure un traité de paix avec ce puissant souverain en le laissant attaquer librement les Turcs d’Asie Mineure .

Mais tandis que Houlagou, ennemi de l’islam, dont il avait détruit la plus vénérable institution, favorisait les chrétiens , le sultan des Mamlouks, Bibars l’Arbalétrier (1260-1277) était au contraire le champion du monde musulman . Or, par leur foi et par leur origine même (ils se recrutaient en partie chez les peuplades turques de la Russie méridionale), les Mamlouks étaient en relations constantes avec l’État mongol du Kiptchak, dont les Khans et leurs sujets s’étaient convertis à l’islam . Séparés par les États de Houlagou, l’Égypte et le Kiptchak cherchèrent à obtenir de Michel Paléologue le libre passage des détroits qui leur permettait de communiquer par mer. Sollicité à cet effet par Bibars, Michel semble s’être d’abord dérobé , mais, obligé de ménager le Khan de Kiptchak, qui, ainsi qu’on l’a vu, avait envoyé ses troupes au secours de Constantin Asên, attachant d’autre part une grande importance à conserver de bonnes relations avec l’Égypte, menacée comme Constantinople d’une croisade occidentale, il n’hésita pas à abandonner l’alliance de Houlagou. Ce fut pour cette raison qu’il se lia avec le Khan Nogaï en lui donnant en mariage une de ses bâtardes et c’est ce qui explique les échanges de lettres et d’ambassades entre Bibars et lui .

En 10 ans en effet (1262-1272) on ne compte pas moins de huit ambassades byzantines en Égypte. Celle de 1262 répondant à une demande du sultan lui accorde le libre passage des esclaves achetés en Russie, destinés au recrutement des Mamlouks, et lui demande l’installation d’un patriarche melchite à Alexandrie . Dès 1263 les envoyés de Bibars et du Kiptchak traversent Constantinople  et Michel VIII fait intervenir le sultan auprès de son allié tartare pour faire cesser les attaques du Kiptchak contre l’Empire . En 1268 Bibars venait de s’emparer d’Antioche et il ne restait plus aux Francs que Tripoli, Acre et Sidon. Des traités reliaient Constantinople au Kiptchak et à l’Égypte, triple alliance dirigée contre l’Occident, grossie probablement vers 1275 du concours de l’Aragon .

Ces relations cessèrent à peu près pendant le pontificat de Grégoire X, au moment où l’union des Églises était négociée et où Michel VIII songeait à une croisade byzantine, mais elles reprirent dès l’été de 1275 , et Kelaoun successeur de Bibars (1277) renouvela le traité d’alliance avec Constantinople en y ajoutant une clause d’assistance navale contre les entreprises de Charles d’Anjou .

Ainsi, jusque dans ses rapports avec les puissances orientales, c’est le souci de parer à une attaque de l’Occident qui commande toute la politique de Michel Paléologue.

Et c’est la raison pour laquelle il a négligé la question d’Asie Mineure, le sultanat de Roum n’étant plus un danger pour l’Empire et Michel ne disposant pas de forces suffisantes pour le conquérir. D’ailleurs, depuis près de deux siècles que les Turcs étaient venus dans la péninsule d’Anatolie, ils en avaient non seulement fait la conquête politique, mais ils avaient pris possession de son sol : le pâtre turcoman en avait chassé le paysan grec . Dans les villes les Seldjoukides avaient abandonné leur grossièreté primitive et créé un art et une littérature : le persan était la langue officielle des sultans  et, dans l’art, la tradition sassanide se mélangeait d’éléments hellénistiques et arméniens . C’est dire que même si les empereurs byzantins avaient pu réoccuper l’Anatolie, ils se seraient trouvés devant une population inassimilable, l’hellénisme ne s’étant maintenu que dans l’État de Trébizonde, en Bithynie et sur les côtes de l’Archipel tandis que la Cilicie était devenue une colonie arménienne. Bien plus, l’invasion mongole, par le déplacement des peuples qui fuyaient éperdument à son approche, eut pour résultat de renforcer l’élément turc en Asie Mineure. C’est de cette époque que date la formation d’émirats indépendants comme celui de Karaman qui s’empara d’Iconium en 1278 . Au même moment une tribu obscure, les Keï-Kan-Kli, originaire du Khorassan, dont elle avait été chassée par l’invasion mongole, atteignait le sultanat de Roum et se mettait au service du sultan Alaeddin, qui l’établit entre Kutayeh et Brousse, à Sougyout, sous le commandement de leur chef Ertoghroul  et ce fut ainsi que les Ottomans entrèrent dans l’histoire.

Devant ces bouleversements ethniques qui mettaient en péril non seulement l’État byzantin, mais l’avenir de l’hellénisme et du christianisme dans ces régions, la politique de Michel Paléologue fut mesquine et incohérente. Il ne sut même pas préserver du démembrement les territoires recouvrés par les empereurs de Nicée. Il crut avoir fait un coup de maître en accueillant à bras ouvert l’un des héritiers du sultanat de Roum, Azz-ed-dîn, dépossédé de son apanage par les Mongols  et en traitant à son insu avec Houlagou, à qui il promit de le retenir sa vie durant à Constantinople. Mis au courant de cette trahison, Azz-ed-dîn s’allia au tsar bulgare Constantin et aux Mongols du Kiptchak en guerre contre Michel, leur communiqua des renseignements militaires et s’échappa après la défaite de l’empereur (1265) .

Ne pouvant intervenir efficacement en Asie Mineure, Michel VIII pouvait au moins organiser la défense des frontières . Il fit tout le contraire : par mesure fiscale il supprima les privilèges des akritai, colons établis par les empereurs de Nicée à charge de la défense du territoire , Les conséquences de cette mesure ne se firent pas attendre. N’étant plus défendues, les provinces impériales furent envahies périodiquement par des hordes d’irréguliers Turcs et Mongols qui massacraient les habitants des villages et ravageaient leurs cultures. La riche vallée du Méandre fut changée en désert et, de Constantinople, on ne pouvait plus communiquer que par mer avec les ports de la mer Noire .

Entre-temps Michel VIII envoya des expéditions : en 1264-1265 Jean Paléologue réussit à chasser les envahisseurs, mais dut acheter leur tranquillité en leur cédant des territoires . La vallée du Méandre et la Carie furent encore saccagées en 1281 : Michel VIII envoya en Asie avec une armée son fils Andronic, qui, après avoir dégagé la frontière, rebâtit somptueusement la ville de Tralles entièrement ruinée et lui donna son nom, Andronicopolis , mais il la laissa mal fortifiée et sans eau potable. Les Turcs vinrent l’assiéger et la prirent d’assaut, sans que le prince, qui était à Nymphée, soit venu à son secours et la campagne se termina par un traité désastreux qui reculait de nouveau la frontière . Tralles, connue désormais sous le vocable d’Aïdin, devint le siège d’un émir turc indépendant qui devait être l’un des plus dangereux ennemis de Byzance .

Le seul succès remporté par Michel VIII en Asie Mineure. fut son alliance avec Jean II Comnène, empereur de Trébizonde, qui, après des négociations compliquées, entourées de difficultés protocolaires (1281-1282), vint en personne à Constantinople épouser une fille de Paléologue . Cette alliance des deux États byzantins avait son prix, mais était peu de chose à côté de la perte irrémissible de la plus grande partie de l’Asie Mineure. La péninsule anatolique, traversée par les voies terrestres qui mènent en Orient et dont les côtes commandent les voies maritimes, était nécessaire à la grandeur de Byzance : l’Empire restauré par Michel Paléologue devait toujours souffrir de n’avoir pu la recouvrer.

3.  La crise de l’Empire restauré  (1282-1321)

Michel Paléologue avait réussi à maintenir le siège de l’Empire à Constantinople, mais les difficultés auxquelles il avait dû faire face l’avaient obligé à pratiquer une politique de grand style, qu’on a pu comparer à celle d’un Manuel Comnène, embrassant le monde chrétien tout entier , appuyant les négociations d’actions militaires, exigeant des armées importantes, des flottes de guerre et un nombreux personnel de diplomates.

Cette obligation de rester toujours sur la défensive empêcha Michel VIII de poursuivre l’œuvre de restauration territoriale commencée au début de son règne. D’autre part sa grande politique épuisa les ressources des territoires mal reliés entre eux qui composaient l’Empire. Il légua à son successeur un État complètement ruiné et troublé par les discussions religieuses.

C’est cette situation qui explique la crise redoutable que subit l’Empire au lendemain de sa restauration, sous le long règne d’Andronic II (1282-1328). La tâche de relèvement qu’il entreprit était trop lourde pour ses épaules et il ne put même pas conserver les résultats acquis. Au moment où la croisade contre Constantinople semblait écartée, de nouveaux périls menaçaient l’Empire : des États jeunes et remplis d’ambitions se constituaient sur ses frontières, en Europe l’État serbe qui cherchait à atteindre la mer Égée et visait Thessalonique, en Asie de puissants émirats turcs et bientôt, hors de pair, l’État ottoman.

Alors que des ressources considérables étaient nécessaires pour conjurer ces dangers, l’Empire se trouva diminué par la détresse financière, incapable de lever des armées suffisantes ou d’équiper des flottes, réduit au rang d’État secondaire, d’État passif, que Venise et Gênes considéraient comme un territoire de colonisation commerciale qu’elles se disputaient âprement. Comme l’a fait remarquer Ostrogorsky, ce fut à cette situation et non au caractère personnel des empereurs que fut due la décadence de l’Empire . Andronic II, dont on a exagéré l’incapacité, a commis sans doute de grosses fautes, mais a lutté pour améliorer le régime intérieur et montré souvent de la fermeté. Très cultivé, il encouragea les lettres et les sciences et fonda une académie qui fait déjà songer à celles de la Renaissance italienne . Ses réformes judiciaires et financières furent parfois heureuses et lui survécurent, mais les maux qu’il fallait guérir dépassaient les moyens dont il disposait : son père lui avait légué une terre trop petite pour l’œuvre grandiose qu’il eût fallu accomplir.

Pendant la première partie de son règne Andronic eut une politique personnelle et systématique qui prit en tout le contrepied de celle de Michel Paléologue (1282-1302) : répudiation de l’Union, effort dirigé vers l’Orient, alliance avec les villes italiennes. Cette politique eût pu réussir avec des ressources plus grandes : en fait elle aboutit à des troubles religieux et à des revers à l’extérieur ; elle laissa l’Empire aux abois.

A partir de 1302 au contraire, Andronic n’a plus une politique définie. Il est réduit aux expédients ; l’Empire est à la merci des Catalans et des Italiens. C’est à ce moment que du trouble et du désordre intérieur naît la guerre civile.

L’union religieuse répudiée. — La croisade occidentale étant écartée, Andronic, poussé d’ailleurs par ses proches, par son entourage et par la majorité du clergé , sans qu’il soit nécessaire d’admettre qu’il eût fait aux moines avant son avènement les promesses précises que lui prête Guillaume d’Adam , inaugura son règne par des mesures nettement anti-unionistes : l’inhumation nocturne et sans cérémonie du corps de son père dans un monastère voisin de la petite ville de Thrace où il était mort (Il décembre 1282) , l’éloignement du patriarche Veccos (25 décembre) , la restauration triomphale de Joseph, suivie de représailles contre les unionistes (30 décembre) , se succédèrent en quelques jours, mais ne suffirent pas à assouvir la haine de leurs ennemis. Contre le gré du basileus qui estimait Veccos, le patriarche de l’union dut comparaître devant un concile et signer son abdication, puis fut exilé à Brousse (début de 1283) . Après avoir été cité devant un nouveau synode où il confondit ses adversaires , il partit pour un nouvel exil et y mourut en 1293 .

Ces mesures ne ramenèrent même pas le calme dans l’Église, toujours troublée par le schisme arsénite qui durait depuis la déposition d’Arsène en 1266. Arsène était mort en 1273, mais ses partisans continuaient à former une petite Église qui refusait de communier avec ses successeurs au patriarcat . Joseph étant mort (mars 1283) et remplacé par un laïc érudit, fougueux adversaire de l’union, Grégoire de Chypre , il s’ensuivit une nouvelle agitation des Arsénites qui prétendirent faire condamner la mémoire de Joseph et que les concessions de l’empereur, qui les ménageait, ne purent faire renoncer à leur intransigeance . La translation en grande pompe et en présence d’Andronic du corps d’Arsène à Constantinople ne contribua pas peu à surexciter les esprits . Lorsqu’après l’abdication de Grégoire (1289), Andronic fit une nouvelle tentative pour faire cesser leur schisme, ils émirent des prétentions si extravagantes qu’ils finirent par lasser la longanimité du basileus .

Ce fut en vain que le moine Athanase, successeur de Grégoire de Chypre , essaya de rétablir la discipline dans l’Église : sa sévérité pour les clercs de tout ordre souleva des tempêtes et malgré son caractère énergique, mal soutenu par le basileus, il dut abdiquer une première fois en 1293, fut rappelé au patriarcat en 1304 et se retira définitivement en 1310 . Le désordre qui continua à régner dans l’Église devait contribuer à affaiblir l’autorité impériale et à troubler l’ordre dans l’État.

Contre cette politique antiromaine il n’y eut aucune réaction des papes, préoccupés surtout de la perte de la Terre Sainte  et de leur lutte contre les puissances temporelles. Cependant les projets de croisade contre Constantinople n’étaient pas abandonnés. Baudouin II était mort en 1273 ; mais ses droits étaient reportés sur la tête de sa petite-fille Catherine de Courtenai, qui résidait à Naples. Andronic demanda sa main pour son fils aîné Michel, pensant ainsi écarter toute tentative de croisade par cette réconciliation des deux dynasties rivales sans avoir recours à l’union religieuse, mais les négociations qui durèrent de 1288 à 1296 échouèrent  et ce fut Philippe le Bel qui obtint la main de Catherine de Courtenai pour son frère Charles de Valois (1301) . Ce n’était pas de ce côté qu’était le danger, car la plupart des projets de croisade élaborés à cette époque déconseillaient le passage par Constantinople . Seul Guillaume d’Adam préconisait la conquête préalable de l’Empire byzantin avant toute expédition en Palestine .

Gouvernement intérieur. — Agé de 24 ans à son avènement, Andronic II avait eu deux fils, Michel et Constantin, de sa première femme, Anne de Hongrie, et il venait d’épouser en secondes noces Yolande de Montferrat, descendante des rois latins de Thessalonique, qui prit le nom d’Irène. Elle devait lui donner trois fils et une fille et, très ambitieuse, détestant les enfants du premier lit, elle chercha à faire constituer pour ses fils de vastes apanages. Lassé de ses récriminations continuelles, le basileus finit pas la délaisser et elle se réfugia à Thessalonique où elle ne cessa d’intriguer . Andronic ne fut pas plus heureux avec son frère Constantin dont le train magnifique et l’orgueil lui déplaisaient et, l’ayant convaincu de complot en 1291, il le condamna à la confiscation des biens .

Préoccupé de l’avenir de sa dynastie, il fit reconnaître la légitimité de son pouvoir par le malheureux Jean Lascaris, fils de Théodore II, toujours enfermé dans une forteresse de Bithynie , et il associa au trône Michel, son fils aîné, de son premier mariage, couronné à Sainte-Sophie le 21 mai 1295 ; le lendemain il créait despote Jean, l’aîné des fils que lui avait donnés Irène .

De tempérament robuste, très religieux, esprit subtil, mais caractère mesquin, rempli d’incertitude, tel nous apparaît Andronic, incapable de réagir contre les influences qu’il subissait, celle de son ministre favori, le grand-logothète Théodore Muzalon, qui l’engagea dans les querelles religieuses , celle de son père spirituel Andronic, évêque de Sardes, qu’il laissa accabler de mauvais traitements les évêques unionistes , et, plus tard, celle de Théodore Métochitès qui le brouilla avec son petit-fils. On s’explique que, dans un État aussi troublé que celui de Byzance à cette époque, Andronic n’ait pas eu une autorité suffisante pour ramener l’ordre et la prospérité. Il fut surtout un velléitaire, n’ignorait pas les maux de l’Empire et s’efforçait d’y remédier par des réformes parfois bien conçues, comme sa réforme judiciaire , mais il ne tenait pas suffisamment la main à leur application et elles n’apportaient aucune amélioration. Il fut surtout incapable de lutter contre la détresse financière qui ne fit que s’accroître par suite de dépenses inconsidérées, comme celles de l’impératrice Irène . Les moyens qu’il employa pour trouver des ressources furent désastreux : emprunts ruineux, lourds impôts sur les céréales, altération des monnaies, diminution des gages des officiers du Palais, droit du dixième sur les pensions, il eut recours à tous les expédients, qui amassèrent des mécontentements, suscitèrent des révoltes et ne firent qu’aggraver la pénurie du trésor. Mais de toutes les mesures qu’il prit, la plus néfaste fut la suppression de la marine de guerre, le licenciement des équipages et la mise au rebut des galères  : l’Empire ne serait plus défendu que par des corsaires et par la flotte génoise ; ses destinées étaient désormais à la merci des républiques italiennes.

Or les deux principales puissances maritimes, Gênes et Venise, éternelles ennemies l’une de l’autre, se disputaient âprement la prépondérance économique à Constantinople et dans tout l’Orient . Michel Paléologue avait su tenir la balance égale entre elles : Andronic favorisa exclusivement les Génois et, lorsque la guerre éclata entre les deux républiques, Constantinople se trouva exposée aux représailles des Vénitiens et fut mal défendue par ses alliés génois .

Cette guerre qui dura près de 6 ans (1293-1299) eut pour origine les rixes continuelles entre capitaines génois et vénitiens, mais, comme l’a montré Bratianu, sa véritable cause est la rivalité des deux puissances dans la mer Noire, où Gênes avait hérité des anciennes positions de Byzance et fondé la colonie prospère de Caffa et où Venise cherchait à s’introduire, grâce à son alliance avec le Khan tartare Nogaï . Ce fut pour cette raison que, par suite des efforts vénitiens pour pénétrer dans la mer Noire, Constantinople se trouva au centre des hostilités. En juillet 1296 une escadre vénitienne débarqua des troupes qui brûlèrent Péra et Galata et la flotte chercha à forcer l’entrée de la Corne d’Or. En représailles les Génois réfugiés dans la ville massacrèrent tous les Vénitiens qui s’y trouvaient , mais des corsaires vénitiens purent aller dévaster les établissements génois de la mer Noire .

La grande bataille navale qui se livra le 7 septembre 1298 entre la côte dalmate et l’île de Curzola fut pour Venise un désastre sans précédent . Les deux adversaires également affaiblis signèrent la paix à Milan (25 mai 1299)  sans se demander de réparations, mais ce fut l’empereur Andronic qui paya les frais de la guerre. Sur son refus d’accorder des indemnités aux Vénitiens lésés en 1296, une flotte vénitienne vint bloquer Constantinople et lancer des flèches à l’intérieur du Grand Palais. Le basileus dut négocier et signer une paix onéreuse avec Venise (1302-1303) , tout en concédant un quartier plus étendu à Gênes, qui l’avait abandonné dans sa détresse , et en laissant Benoît Zaccaria, concessionnaire de l’exploitation des mines d’alun de Phocée, occuper l’île de Chio sous prétexte de la défendre contre les Turcs (1304) .

L’expansion serbe. — Conscient de l’insuffisance de ses forces, Andronic recherchait avant tout la paix avec les voisins de l’Empire au moment où ceux-ci, profitant de sa faiblesse, ne songeaient qu’à agrandir leurs territoires à ses dépens. Le plus dangereux était le Kral serbe Ourosch II Miloutine qui, après avoir pris Skoplje, où il établit sa résidence, s’était emparé de Serrès et de Kavala, portant ainsi ses frontières jusqu’à la mer Égée (1282-1283)  et, par la vallée du Vardar, menaçant Thessalonique. Poursuivant ses succès, il occupa l’Albanie septentrionale (1296). Ce fut seulement alors qu’Andronic II se décida à réagir, mais l’armée qu’il confia à son meilleur stratège, Michel Glabas, fut battue et, dans son impuissance, il essaya de traiter avec le Kral en lui faisant épouser une princesse impériale. Sur le refus de sa nièce Eudokia, veuve de l’empereur de Trébizonde, il lui donna sa fille, Simonide, une enfant, malgré le blâme du patriarche et lui reconnut une partie de ses conquêtes . Miloutine, qui fut l’un des plus grands souverains de la Serbie du Moyen Age, célèbre par ses nombreuses fondations d’églises et d’hospices, dans ses États, à Constantinople, à Thessalonique, à Jérusalem , semble avoir eu l’ambition d’unir la Serbie à l’Empire byzantin sous la même domination et était encouragé dans ce dessein par sa belle-mère, l’impératrice Irène . Ce fut d’ailleurs sous son règne que, grâce à Simonide, les modes et les influences byzantines s’introduisirent en Serbie .

L’Asie Mineure et la naissance du danger turc. — Nous avons vu que, sous le règne de son père, Andronic avait déjà manifesté tout l’intérêt qu’il portait à l’Asie Mineure . Dans son second éloge de cet empereur, Théodore Métochitès le loue de l’activité qu’il a manifestée en Asie dès son avènement : il le montre franchissant le Bosphore en plein hiver, refoulant les Turcs et leur reprenant la Bithynie, la Mysie, la Phrygie, rebâtissant des villes et mettant la frontière en état de défense . Après avoir parcouru la Bithynie avec le grand-logothète Muzalon, il fit un long séjour à Nymphée en 1290 . En même temps il recherchait l’alliance du roi de Petite Arménie, Héthoum II, dont une sœur épousa l’héritier du trône byzantin, Michel IX (16 janvier 1296) .

La situation dans laquelle se trouvait l’Anatolie ne justifiait que trop cette activité. C’est à cette époque que la petite tribu des Osmanlis sous son chef Osman, successeur d’Ertoghroul, paraît s’être convertie à l’islam et commence à élargir les limites de son domaine aux dépens de l’Empire byzantin et des Mongols . La révolte militaire de Philanthropenos, envoyé en Asie sans argent, d’ailleurs vite réprimée (décembre 1296), arrêta les opérations . A partir de 1300 les incursions d’Osman, jusque-là guerre obscure de village à village, lui valent des résultats fructueux et pour la première fois en 1301 ses cavaliers bardés de fer rompent la ligne d’un corps de troupes impériales devant Nicomédie . Les Osmanlis n’étaient d’ailleurs qu’une puissance minuscule à côté de celle des émirs de Saroukan, de Kermian, de Karaman, d’Aïdin, qui occupaient une partie des provinces maritimes  et commençaient à exercer une pression sur les côtes et les villes de l’intérieur .

Grâce à l’enrôlement d’un corps d’Alains du Caucase, Andronic II put envoyer en Asie Mineure une armée commandée par son fils Michel IX (1302), mais cette campagne fut désastreuse. Dès le premier contact avec l’ennemi, le jeune basileus mal conseillé alla s’enfermer dans Magnésie, mais ne pouvant arriver à calmer une émeute des Alains qui réclamaient leur congé, il prit le parti de s’enfuir, suivi bientôt de la garnison et de toute la population. Ce fut une véritable panique : les Turcs tombèrent sur les fuyards et les massacrèrent et Michel IX alla se mettre en sûreté à Cyzique .

Tel fut le dernier effort des empereurs pour sauver l’Asie Mineure par leurs propres forces. Andronic cherchait désormais des secours extérieurs, d’abord celui du Khan mongol de Perse, Ghazan, à qui il offrit une de ses bâtardes en mariage, mais Ghazan mourut (31 mai 1302) . En désespoir de cause, Andronic eut recours à l’une de ces compagnies de routiers, spécialistes de la guerre, qui louaient leurs services aux princes d’Occident.

L’Empire au pouvoir des Almugavares (1303-1311). — La paix de Caltabellota, signée par Frédéric III d’Aragon et Charles II d’Anjou (1302) , laissait sans emploi la magnifique armée recrutée en Catalogne, en Aragon, en Navarre, que le roi d’Aragon avait prise à son service et qu’il ne se souciait pas de ramener en Espagne. Après leur licenciement, les Almugavares  se donnèrent comme chef un aventurier, Roger de Flor , ancien Templier, chassé de l’ordre pour vol, corsaire redoutable et propriétaire d’une compagnie de chevaliers. Au courant des affaires de la chrétienté, il fit offrir ses services à Andronic II et signa avec lui un traité qui lui attribuait le titre de mégaduc, la main d’une princesse impériale et pour ses troupes une solde double de celle des mercenaires habituels, payable 4 mois à l’avance .

En septembre 1303 la flotte qui portait les routiers, leurs femmes et leurs enfants arriva à Constantinople  et dès les premiers jours ces nouveaux alliés se montrèrent sous leur véritable jour en massacrant les Génois qui réclamaient à Roger de Flor le paiement des sommes qu’il leur avait empruntées . Andronic II se hâta de les faire passer en Asie, où les émirs turcs, ne trouvant plus de résistance, poussaient leurs courses jusqu’au Bosphore en réduisant les populations en esclavage .

Débarqués à Cyzique (janvier 1304), les Catalans commencèrent par dégager cette ville assiégée par les Turcs, qu’ils massacrèrent ou capturèrent , et y passèrent l’hiver, non sans molester les habitants, auxquels Roger de Flor distribua 100 000 onces d’or d’indemnité avant son départ . Leur véritable campagne commença en avril 1304 : en quelques mois ils délivrèrent l’Asie Mineure des Turcs que leurs chevaliers et leurs piétons attaquaient à l’arme blanche et chargeaient avec une telle furie qu’ils n’avaient pas le temps de se servir de leurs arcs et de leurs flèches. Ils parvinrent ainsi jusqu’au pied du Taurus cilicien, où ils livrèrent aux Portes de Fer une bataille sanglante qui acheva de désorganiser les forces des Turcs, réduits à s’enfuir dans les montagnes en abandonnant de nombreux morts et un immense butin (août 1305) .

La contrepartie de ces victoires était la mésintelligence croissante entre les indigènes et les Catalans dont les excès étaient souvent pires que ceux des Turcs, mais les Grecs n’étaient pas moins répréhensibles : les habitants de Magnésie pillèrent pendant l’absence des routiers les magasins où Roger de Flor avait entassé son butin. A leur retour, les Catalans trouvèrent les portes fermées et ils allaient assiéger la ville avec des machines de guerre quand le basileus les rappela en Europe pour marcher contre les Bulgares .

Andronic II était en effet en mauvais termes avec le tsar Théodore Sviétoslav, fils de Terter, qui avait délivré la Bulgarie tombée sous le joug des Mongols (1285-1293) , et lui avait opposé plusieurs prétendants . En cette année 1305 Sviétoslav avait envahi le territoire impérial et menaçait les ports de la mer Noire. Michel IX, qui lui fut opposé, se fit d’abord battre près d’Andrinople, puis ayant levé de nouvelles troupes en faisant fondre sa vaisselle, il infligea une défaite aux Bulgares . Cependant sa victoire était loin d’être décisive et ce fut ce qui porta Andronic à appeler les Catalans à la rescousse, mais, à cette nouvelle, les troupes de Michel IX éclatèrent en murmures et le jeune basileus écrivit à son père que l’arrivée des routiers dans son camp serait le signal de la révolte de son armée .

Cependant les Catalans, après avoir passé l’Hellespont, s’étaient arrêtés dans la péninsule de Gallipoli. Andronic, renonçant à les faire marcher contre les Bulgares, avait résolu de les renvoyer en Asie , mais ils étaient hostiles à ce projet et réclamaient le paiement de la solde promise. Roger de Flor, qui avait été porter leurs doléances à Constantinople, n’en rapporta que de faibles sommes et en monnaie de mauvais aloi . Au même moment débarquait à Madyte un nouveau chef qui amenait des renforts, Bérenger d’Entença, d’une des premières familles de la noblesse d’Aragon. En réalité il était l’agent de Jayme II, roi d’Aragon, et de Frédéric III de Sicile, qui, après avoir reçu des renseignements sur les exploits des Almugavares, voulaient se servir d’eux pour conquérir des positions en Orient . Roger de Flor paraît avoir redouté ce personnage et, pour se faire bien voir de lui, il lui céda avec l’autorisation d’Andronic sa dignité de mégaduc (25 décembre 1306) . Le conflit qui s’était élevé entre le basileus et les routiers semblait en voie d’apaisement, quand, Andronic s’étant plaint des immenses sacrifices qu’il avait faits pour les Catalans, Bérenger le prit de très haut et quitta Constantinople en jetant à la mer le bonnet de mégaduc, insigne de sa dignité .

Cette rupture avec éclat et probablement voulue mettait Andronic dans la situation la plus critique : en janvier 1307 il apprenait que Roger fortifiait la péninsule, que les Turcs bloquaient de nouveau Philadelphie, que le roi de Sicile Frédéric III préparait une expédition contre Constantinople et avait envoyé des navires à Gallipoli . Dans son désarroi Andronic ne vit d’autre moyen de salut que de s’appuyer sur Roger de Flor, auquel il conféra la dignité de César après avoir signé avec lui un nouveau traité : Roger recevrait en fief les provinces d’Asie avec une forte rente ; de son armée il ne garderait que 3 000 hommes, avec lesquels il marcherait de nouveau contre les Turcs .

Tout semblait réglé et Roger faisait déjà passer ses troupes en Asie, mais avant son départ il voulut par une véritable bravade aller saluer Michel IX, campé près d’Andrinople, dont il n’ignorait pas l’hostilité à son égard. Très bien reçu par le jeune basileus qui dissimulait sa colère, il fut assassiné avec toute sa suite dans un festin (7 avril 1307) . En même temps des Turcoples et des Alains envoyés à Gallipoli surprenaient les routiers dispersés, en massacraient un grand nombre et enlevaient leurs chevaux au pâturage .

Aucun événement ne pouvait être plus néfaste pour l’Empire. Ce crime déchaîna les fureurs des Catalans dont les représailles terribles achevèrent la désorganisation de l’État byzantin et bouleversèrent toute la péninsule des Balkans pendant plusieurs années : ils frayèrent ainsi la voie aux Osmanlis.

Ils commencèrent par massacrer tous les habitants de la presqu’île de Gallipoli tombés entre leurs mains, élurent comme chef Bérenger d’Entença et organisèrent un rudiment d’État avec un sceau à l’effigie de saint Georges, patron des croisés . Avec une flottille Bérenger ravagea les côtes de la Propontide en massacrant les habitants, mais à son retour il fut fait prisonnier par des Génois . D’autre part Michel IX essayait d’attaquer les Catalans, mais se fit battre à Apros, au sud-ouest de Rodosto, et perdit la plus grande partie de son année . L’empereur n’ayant plus de troupes à leur opposer, les Catalans se répandirent librement en Thrace, pillant, brûlant, ravageant, massacrant avec une cruauté inouïe, réduisant les survivants en esclavage, plaçant leur quartier général à Rodosto et allant incendier les chantiers de construction de la marine impériale au-delà de Constantinople . Leur armée se renforçait sans cesse d’aventuriers de tous pays, de déserteurs grecs, d’Italiens et même de Turcs venus d’Asie Mineure sur l’invitation des Catalans, qui furent ainsi les premiers à les introduire en Europe . En outre de nouveaux Almugavares furent amenés par Fernand Ximénès de Arenos, qui s’établit à Madyte, tandis que Bérenger de Rocafort occupait Rodosto et que l’historien de l’expédition, Ramon Muntaner, était gouverneur de Gallipoli .

Ils vécurent ainsi pendant deux ans et demi, passant l’hiver en orgies grossières et repartant au printemps pour des expéditions qui réussissaient toujours, grâce à la rapidité foudroyante de leur marche et à l’effet de surprise . Une tentative du Génois Spinola pour attaquer Gallipoli (juillet 1308) échoua complètement . En revanche Bérenger d’Entença, dont la rançon avait été payée par le roi don Jayme, revint se mettre à la tête de la Compagnie et fit une démonstration insolente devant Constantinople épouvantée .

Cependant les ressources de la péninsule de Gallipoli étaient épuisées et, au dire de Muntaner, le pays étant dévasté à dix lieues à la ronde, les Almugavares ne pouvaient plus y subsister. Tous les chefs étaient d’accord pour quitter le pays lorsque dans l’été de 1308 l’infant Fernand d’Aragon, neveu de Frédéric III de Sicile, débarqua à Gallipoli en excipant des pouvoirs qu’il avait reçus de son oncle, qui lui conférait le commandement de la Compagnie et lui interdisait de conclure aucun traité sans son assentiment. Bérenger d’Entença, Ximénès et Muntaner reconnurent ses pouvoirs, mais Rocafort lui opposa un refus inébranlable , et lorsque l’exode des Almugavares commença, l’armée était profondément divisée : après le passage de la Maritza, malgré les précautions ordonnées par l’infant, les troupes d’Entença se trouvèrent en contact avec celles de Rocafort : il s’ensuivit une bataille au cours de laquelle Entença fut tué . Ximénès, menacé à son tour, abandonna l’armée et se réfugia à Constantinople, où Andronic le maria à l’une de ses nièces et le créa mégaduc .

Constantinople était libérée de ses terribles hôtes, séparés désormais en deux armées distinctes à la recherche de nouvelles aventures. Après avoir menacé inutilement Thessalonique , Rocafort avec la plus grande partie de l’armée s’établit dans la péninsule de Kassandreia, dont il pilla les alentours sans épargner même les couvents de l’Athos . L’infant don Fernand et Muntaner, partis de Thasos sur la flotte, firent escale à Nègrepont où se trouvait une escadre vénitienne ainsi qu’un agent de Charles de Valois, prétendant au trône latin de Constantinople, Thibaud de Chépoy. L’infant, arrêté et enchaîné, fut envoyé au duc d’Athènes, Guy de la Roche, qui, en représailles du pillage du port thessalien d’Amyros, le fit jeter dans un cachot . Attaquées par les Vénitiens, les galères catalanes furent délestées de leur butin, et Thibaud de Chépoy livra les prisonniers, dont Muntaner, à Rocafort avec lequel il fit alliance  au nom de Charles de Valois. Il ne tarda pas d’ailleurs à se brouiller avec ce chef autoritaire et ambitieux ; les capitaines catalans, auxquels Rocafort était devenu odieux, le livrèrent à Thibaud de Chépoy qui l’expédia à Naples, dont le roi, Robert d’Anjou, l’emprisonna à Aversa jusqu’à la fin de ses jours .

L’odyssée des Almugavares approchait de son terme. Les ressources de la presqu’île de Kassandreia étant épuisées et Thessalonique imprenable , ils gagnent la Thessalie sous la conduite de Thibaud de Chépoy. Là ils sont l’objet d’enchères de la part du souverain du pays, le sébastocrator Jean l’Ange, allié d’Andronic II et du despote d’Épire contre les États français de Grèce , et de la part de Gautier de Bryenne, duc d’Athènes, désireux justement de recouvrer les places de Thessalie méridionale enlevées à son État par les Grecs et de placer Jean l’Ange sous sa suzeraineté . Ils traitent d’abord avec le sébastocrator et usent de son hospitalité avec si peu de discrétion que Thibaud de Chépoy, dégoûté de leur indiscipline, les abandonne , puis Gautier de Bryenne leur fait des propositions si avantageuses qu’ils lui donnent la préférence . En six mois ils reprennent 30 places enlevées au duché d’Athènes , mais quand vient l’heure du règlement des comptes, Bryenne en attache 500 à sa maison et renvoie les autres . Il ne tarda pas à s’en repentir. Sentant la vengeance prochaine, il fit appel à toute la chevalerie franque de l’Achaïe et des îles, mais ces brillants escadrons, attirés dans les marécages du lac Copals, y furent massacrés presque entièrement par les piétons catalans et Gautier lui-même y trouva la mort (13 mars 1311) . La poursuite des fuyards permit aux vainqueurs d’occuper Thèbes et Athènes où ils s’établirent. A leur demande, le roi Frédéric III leur envoya son fils Manfred qui prit le titre de duc d’Athènes et fonda en Grèce un État catalan qui devait durer 80 ans .

Le désarroi de l’Empire (1308-1321). — Le passage des Almugavares à travers l’Empire, plus désastreux que celui de plusieurs croisades, acheva de lui enlever toute possibilité de redressement. Le chroniqueur catalan Ramon Muntaner résume ainsi l’œuvre destructive de ses compatriotes : « Nous épuisâmes toute la Romania, car, sauf les villes de Constantinople, Andrinople, Christopolis-Cavalla et Salonique, il n’y eut cité qui ne fût mise par nous à feu et à sang... » . La révolte des Almugavares, qui nous reporte à celle des milices gothiques du ve siècle, eut pour conséquences de nouveaux démembrements de l’Empire. Andronic II, comme le remarque Muntaner , n’eut pas le bénéfice de la libération de l’Asie Mineure. Les Catalans partis, les Turcs reparurent, reprirent leurs positions et firent de nouvelles annexions.

Ce fut ainsi que les Osmanlis pénétrèrent en 1308 dans la péninsule de Nicomédie, investirent Brousse, repoussèrent une invasion de Mongols suscitée par le basileus et annexèrent à leur milice ceux qui avaient été faits prisonniers . Une perte encore plus désastreuse fut celle d’Éphèse, prise par un allié d’Osman, l’émir Saïsan, qui viola la capitulation et pilla le célèbre trésor de Saint-Jean . Enfin l’île de Rhodes, devenue un véritable repaire de pirates et qui n’était rattachée à Constantinople que nominalement, fut conquise par les Hospitaliers, qui avaient dû quitter l’île de Chypre à la suite de conflits avec le roi Henri II. Ils avaient offert à Andronic de tenir Rhodes sous sa suzeraineté, mais avaient essuyé un refus et le basileus envoya même des secours à la cité de Rhodes, qui fut prise après un long siège le 15 août 1310 .

Une puissance nouvelle allait donc prendre part à la lutte contre la marine turque, mais, loin d’en rechercher l’alliance, le gouvernement impérial ne lui manifestait que de l’hostilité.

Les provinces d’Europe n’étaient pas moins troublées que l’Asie Mineure. Les Almugavares avaient laissé derrière eux des bandes de Turcs qui continuaient à ravager la Thrace et interceptaient les communications entre Constantinople et Salonique. Andronic traita avec leur chef, Halil, mais au passage de l’Hellespont un officier impérial, violant les conventions, voulut lui reprendre son butin, d’où une bataille dans laquelle Michel IX perdit ses bagages et fut mis en déroute. Les Turcs continuèrent à occuper la région, qui resta trois ans sans être cultivée (1311-1314). Il fallut tout ce temps à Andronic pour équiper et exercer une nouvelle armée qui, commandée par un excellent chef , et grâce au secours des Serbes, parvint à encercler les Turcs dans la péninsule de Gallipoli et à détruire leur troupe qui ne comprenait pas plus de 1 800 guerriers .

Cet épisode en dit long sur la détresse de l’État byzantin et l’impuissance à laquelle il était réduit. C’est ce qui explique qu’Andronic ait été incapable de secourir son gendre Miloutine qui, après avoir enlevé Durazzo aux Angevins, était menacé par une coalition du roi de Hongrie Charles-Robert  et de son oncle Philippe de Tarente, à qui Charles de Valois, son beau-père, avait cédé ses droits sur l’Empire latin . Le pape fit prêcher la croisade en Albanie contre les Serbes schismatiques. Miloutine perdit Belgrade et un territoire en Bosnie . Après sa mort (1321) son successeur Étienne Detchanski, ne pouvant plus compter sur Byzance, chercha des alliances en Occident et négocia avec le pape.

La situation intérieure n’était pas moins troublée et les querelles religieuses y tenaient toujours une grande place. En 1307, à l’instigation du patriarche Athanase, Andronic II expulsait les Frères Mineurs établis à Constantinople depuis 1220 . Le schisme arsénite se perpétuait et ses tenants étaient irréductibles en dépit des tentatives du basileus et des patriarches pour les réintégrer dans l’Église . A la suite d’un véritable mouvement de folie mystique, le peuple exigea le rétablissement d’Athanase au patriarcat et força Jean Cosmas à démissionner (23 août 1304) , mais Athanase ne put se maintenir au pouvoir et dut se retirer en 1312 . L’Église tomba alors dans l’anarchie : en onze ans (1312-1323) le patriarcat changea cinq fois de titulaire et resta vacant deux fois (1315-1316) (1323-1324) .

Plus désastreuses encore allaient être les conséquences des discordes de la famille impériale.Le jeune Andronic, fils de Michel IX et de la sœur du roi Héthoum, né vers 1296, avait été longtemps le favori de son aïeul, puis la vie désordonnée qu’il mena dans sa vingtième année, sa passion pour la chasse et le jeu, ses emprunts aux Génois et même une tentative de complot pour se constituer un apanage le firent tomber en disgrâce. Après de violentes altercations il y eut cependant une réconciliation entre Andronic II et son petit-fils (1318) , mais elle ne devait pas durer longtemps. Deux ans plus tard, par une fatale méprise, des bravi, apostés par le jeune prince pour tuer un rival qui cherchait à lui enlever sa maîtresse, égorgèrent son propre frère, le despote Manuel. A cette nouvelle, Michel IX, malade à Thessalonique, mourut de chagrin (1er octobre 1320) .

Andronic II, exaspéré, voulut exclure son petit-fils du trône et lui substituer un bâtard de son second fils Constantin. Averti par celui-là même chargé de l’espionner, le jeune Andronic s’entendit avec le grand-domestique Jean Cantacuzène et d’autres amis : il se forma bientôt un parti pour soutenir ses droits et il eut l’appui du Kral serbe Miloutine (1320) . Le basileus prit peur et résolut de condamner son petit-fils à la prison perpétuelle il le fit comparaître devant un tribunal de hauts dignitaires (5 avril 1321) ; mais effrayé par la présence des conjurés, après lui avoir fait de violents reproches, il lui fit grâce. Le jeune Andronic demanda un sauf-conduit pour ses amis, mais se vit opposer un refus formel . Alors, ne se sentant plus en sûreté, il s’enfuit à Andrinople où ses partisans vinrent le rejoindre . Ce fut le signal de la guerre civile.

4.  La période des guerres civiles  (1321-1355)

La guerre civile fut le résultat naturel de l’anarchie et du désordre dus à la politique somptuaire de Michel Paléologue, à la faiblesse et aux maladresses d’Andronic II. En 34 ans on compte 21 ans de guerres civiles, séparées en deux périodes par le règne réparateur, mais trop court, d’Andronic III : la guerre des deux Andronic (1321-1328) et la révolte de Jean Cantacuzène (1341-1355). Ces troubles continuels achevèrent la désorganisation de l’Empire et paralysèrent sa défense, mais leur résultat le plus néfaste fut l’intervention des étrangers dans ces querelles intestines, ainsi que les démembrements territoriaux qui en résultèrent. Jamais l’Empire ne put se relever de cette crise.

La guerre des deux Andronic (1321-1328). — Réfugié à Andrinople, le jeune Andronic vit bientôt se grouper autour de lui une armée de mécontents, alors que le vieil empereur, surpris comme toujours par les événements, ne savait quel parti prendre, exigeait un nouveau serment de fidélité des dignitaires, faisait excommunier les rebelles , puis se décidait à transiger, offrant même d’abdiquer et de se faire moine : un traité fut signé, qui partageait le territoire de l’Empire entre les deux princes  (juin 1321). Mais Andronic II n’était pas sincère et entretenait un espion qui le renseignait sur tous les faits et gestes de son petit-fils. La découverte de cette intrigue entraîna la rupture et la guerre commença (août 1321) .

En fait cette lutte se poursuivit en deux campagnes, séparées par un nouvel accommodement qui dura cinq ans (1322-1327). L’attaque vint du vieil empereur qui commença à reprendre les villes abandonnées à son petit-fils. Celui-ci, qui avait assiégé en vain Héraclée et que ses troupes ne voulaient plus suivre, se trouva dans une position critique, démuni d’argent et tombé malade à Didymotika . Il fut sauvé par son fidèle Cantacuzène qui l’aida de ses deniers, et au printemps de 1322 il put marcher sur Constantinople et s’emparer facilement des villes qui en défendaient l’accès . Partout il était bien accueilli en promettant aux villes et aux paysans des remises d’impôts. A Thessalonique les habitants se déclarèrent pour lui et lui livrèrent son oncle, Constantin, qu’Andronic Il voulait déclarer héritier du trône . Son petit-fils mit en fuite un corps de Turcs envoyé à sa rencontre et poursuivit sa marche. Menacé d’être assiégé dans Constantinople, le vieil empereur demanda la paix, qu’Andronic le Jeune accepta en montrant une grande modération  (juillet 1322).

Cette fois la paix parut sincère : laissant Constantinople et sa région à son aïeul, Andronic le Jeune se retira à Didymotika et s’y occupa loyalement de la défense de l’Empire. Profitant de la guerre civile, le tsar bulgare Georges Terter II, bien que neveu par sa mère du jeune Andronic, avait envahi la Thrace, occupé Philippopoli et poussé jusqu’à Andrinople. Le jeune Andronic le força à battre en retraite, fit une incursion en Bulgarie . Terter II étant mort sans héritier (1323), le pouvoir fut disputé entre les boyards . Andronic le Jeune essaya de recouvrer Philippopoli et dut en lever le siège, mais la ville fut prise peu après par un de ses lieutenants, Georges Bryenne . Un des prétendants au trône bulgare, Boeslav, battu par son rival Michel Šišman, d’origine comane, se réfugia à Constantinople. La guerre continua avec Šišman et, les deux empereurs n’ayant pas d’armée à lui opposer, elle menaçait d’être désastreuse pour eux, lorsque le nouveau tsar, pour légitimer son pouvoir, épousa la veuve de Sviétoslav, Théodora, fille d’Andronic II, et fit la paix avec l’Empire .

Jamais une pareille cordialité n’avait régné entre les deux Andronic. Le vieil empereur faisait couronner solennellement son petit-fils, l’associait à l’Empire  et, sa femme, Irène de Brunswick, étant morte en 1324, le remariait à la sœur du comte de Savoie, Jeanne (1326) , mais, malgré la fin de la guerre civile, la situation de l’Empire ne s’améliorait pas. Les provinces d’Europe étaient toujours infestées de bandes turques et Andronic III était obligé de leur livrer bataille pour ramener sa nouvelle épouse de Constantinople à Didymotika . En Asie Mineure le petit État osmanli continuait à élargir son territoire et, au moment de la mort d’Osman, s’emparait de Brousse (6 avril 1326) , qui fut sa première acquisition importante et dont le successeur d’Osman, Ourkhan, fit la capitale de son État, encore l’un des plus faibles de l’Anatolie.

La paix entre les deux empereurs semblait du moins définitive, lorsque Andronic III apprit que son aïeul, excité par le grand-logothète Théodore Métochitès et le protovestiaire Andronic Paléologue, préparait une nouvelle guerre contre lui . A la liste de griefs qui lui fut adressée il répondit en demandant à venir se justifier. Mais l’accès de Constantinople lui fut interdit et le patriarche qui le soutenait fut enfermé dans un monastère . Cette fois l’étranger intervint dans la querelle : Andronic III eut pour lui le tsar Michel Šišman, tandis que son aïeul avait signé un traité d’alliance avec le nouveau Kral serbe Étienne Detchansky .

Après avoir épuisé tous les moyens de conciliation , Andronic III entra en campagne et attaqua l’armée de son aïeul, qui se trouvait en Macédoine. Il débuta par un magnifique succès, la prise de Thessalonique, où il fut appelé par les habitants, et qui entraîna la reddition de la plupart des places macédoniennes (janvier 1328) . Il marcha alors sur Constantinople où il pénétra avec la complicité d’un gardien des murailles dans la nuit du 24 mai . Il témoigna le plus grand respect à son aïeul, qui conserva tous les dehors de la souveraineté et vécut dans la retraite jusqu’en 1332 .

Le règne d’Andronic III (1328-1341). — Le règne d’Andronic III ne fut qu’une période d’accalmie entre deux guerres civiles. Conscient des fautes de son aïeul, Andronic III travailla avec une véritable ardeur à relever l’Empire et réussit dans une certaine mesure à l’arrêter sur la pente du précipice, mais ses ressources étaient insuffisantes et son règne fut trop court. Il eut pour principal collaborateur Jean Cantacuzène, qui fut pour lui un ami fidèle et lui inspira ses mesures les plus utiles. Andronic voulait l’associer à la couronne , mais il refusa, pour son malheur et celui de l’Empire . D’une famille noble, alliée aux Paléologues, il mit au service d’Andronic III son expérience de la guerre, ses talents d’homme d’État et de diplomate. Il était en même temps grand-domestique, chef de l’armée et grand-logothète, directeur de l’administration intérieure, mais il se démit de cette charge en faveur d’Alexis Apocauque, Bithynien d’origine obscure, qui s’était enrichi rapidement dans l’administration des salines impériales. Sur le point d’être poursuivi pour malversations, Apocauque s’attacha à la fortune d’Andronic III qui le créa parakimomène en 1321, mais qui le considérait comme un aventurier. Regardé comme un habile financier, il dut beaucoup à la protection de Cantacuzène, qu’il devait trahir dans la suite . Très ambitieux, il réussit par ses intrigues à se faire créer mégaduc et gouverneur de Constantinople contre le gré de l’empereur .

Maître du pouvoir, Andronic III rétablit Isaïe au patriarcat  et n’exerça guère de représailles sur ceux qui l’avaient desservi. Il libéra même le traître Syrgiannis, condamné par Andronic II à la prison perpétuelle , mais il trouva excessif que Cantacuzène le mît à la tête des armées d’Occident pendant sa maladie . Il n’exerça pas longtemps cette charge : accusé d’un complot, Syrgiannis fut jugé par le basileus en personne, mais parvint à s’enfuir à Nègrepont et fut tué en faisant la guerre à l’Empire dans les troupes du Kral serbe .

La mesure la plus importante du règne d’Andronic III fut sa réforme judiciaire, qui devait lui survivre . Il s’efforça aussi de relever de leurs ruines les nombreuses villes dévastées par la guerre et en fonda même de nouvelles, mais il mourut avant d’avoir pu assurer la défense de la Thrace en transformant Arcadiopolis (Lulle Bourgas) en une puissante forteresse .

Excellent soldat, entraîné à tous les exercices du corps, commandant lui-même ses troupes, Andronic III passa une bonne partie de son règne à faire la guerre et parvint à améliorer les positions de l’Empire dans la péninsule des Balkans.

Cependant sa première tentative ne fut pas heureuse : cherchant à exploiter le différend serbo-bulgare , il entra dans une coalition formée par Šišman contre le Kral Étienne et fut entraîné dans la défaite des Bulgares à Velbùzd (Kustendjil) (juillet 1330) : Michel Šišman fut tué au cours de l’action . Le Kral vainqueur s’empara de Nisch et d’une partie de la Macédoine occidentale, renvoya la sœur d’Andronic III à Constantinople, tira la sienne de la prison où Šišman l’avait reléguée et l’installa à Tirnovo comme régente au nom de son fils mineur. Les Bulgares, ne voulant pas obéir au petit-fils d’un Serbe, la chassèrent et élurent tsar un neveu de Michel Šišman, Jean Alexandre  (printemps de 1331).

Le nouveau tsar fournit à Andronic l’occasion de réparer son échec en reprenant des villes frontières cédées à l’Empire. Andronic attaqua aussitôt la Bulgarie et s’empara du port de Mesembria, ainsi que de quelques places à la frontière des Balkans, mais ne put prendre Anchiale. Alexandre offrit de céder cette ville en échange de Diampolis (Pliska), puis, le traité signé, attaqua les Grecs et les força à battre en retraite ; il fit savoir en outre qu’il observerait le pacte si le basileus donnait sa fille en mariage à son héritier. Andronic y consentit, bien qu’à contrecœur  (juillet 1332), mais le mariage ne fut célébré qu’en 1338 .

Andronic III fit en outre des acquisitions fructueuses dans les régions occidentales de la péninsule des Balkans. En 1336, il va réprimer les brigandages des Albanais avec un corps de Turcs habitués à la guerre de montagne et fait une immense razzia de leurs troupeaux . En même temps il négocie avec les habitants de l’Acarnanie, sujets du despotat d’Épire, et annexe cette province à l’Empire , mais il doit la défendre trois ans plus tard contre un soulèvement d’une partie des habitants en faveur de l’héritier légitime du despotat, le jeune Nicéphore l’Ange, et arrive à soumettre les villes rebelles . Le danger était d’autant plus grand que Nicéphore était réfugié auprès de Catherine de Valois, veuve de Philippe de Tarente et impératrice titulaire de Constantinople, qui débarqua en Achaïe avec une armée en 1338, mais, mal secondée par ses vassaux, ne put entamer le territoire grec .

Malheureusement, obligé de s’occuper exclusivement de la défense des provinces d’Europe, Andronic III ne put s’opposer aux progrès des Turcs en Asie Mineure et ce fut sous son règne que l’Empire fut chassé de ses dernières positions à l’intérieur de la péninsule. Au moment de son avènement, l’émir le plus puissant était celui de Phrygie (Kermian) qui résidait à Kutayeh et dont l’armée était la plus nombreuse . Il était assez puissant pour que le gouverneur mongol de Roum, Timour-schah, qui faisait des incursions jusqu’à la Méditerranée, se fût abstenu de l’attaquer (1327) . Andronic III se rendit à Cyzique pour signer avec lui un véritable traité de sauvegarde des territoires byzantins .

Malgré la prise de Brousse, l’État osmanli était encore l’un des plus petits, mais au moment où Andronic triomphait de son aïeul, Ourkhan assiégeait Nicée. Arrivé en hâte avec une armée improvisée, le basileus perdit la bataille de Pelekanon  et Nicée fut prise le 2 mars 1331 . Ourkhan attaqua ensuite Nicomédie : à plusieurs reprises Andronic le força à en lever le siège, mais la place finit par tomber entre ses mains, en 1337 au plus tard . L’étendue des conquêtes d’Ourkhan fut exagérée dans la suite par les historiens. Cependant vers 1340 il était déjà maître de 100 forteresses et avait porté sa frontière jusqu’aux environs de Scutari, non loin du Bosphore . Il commençait même à s’agrandir aux dépens des autres émirs, et vers 1337 son intervention dans les affaires de l’émirat de Mysie lui valut la possession de Pergame  et de plusieurs autres villes. Toutes ces annexions s’effectuaient sans qu’il y eût la moindre intervention de l’État byzantin.

Andronic III faisait en effet porter ses principaux efforts sur les questions maritimes qui étaient d’un intérêt vital pour Constantinople. Parmi les maux dont souffrait l’Empire, le plus douloureux était la piraterie organisée par les émirs turcs des provinces maritimes, celui de Saroukhan, maître de Magnésie, Omour-beg, émir d’Aïdin établi à Smyrne, Khidr-beg d’Éphèse . Depuis 1330 leurs agressions se multipliaient dans l’Archipel aussi bien contre le territoire byzantin que contre les possessions latines, Nègrepont, Crète vénitienne, duché de Naxos, tandis que les émirs de Carie, Lycie, Pamphylie étaient contenus par les Hospitaliers établis à Rhodes, Cos, Nisyros, et par la marine de Chypre . En 1333 l’émir de Saroukhan dirige une flotte de 75 navires contre les côtes de Thrace ; après avoir pillé Samothrace, les Turcs débarquent et se trouvent en face des troupes d’Andronic qui n’ose les attaquer, mais dont l’arrivée les détermine à se rembarquer. Un peu plus tard des pirates turcs s’en vont occuper Rodosto, à quelques heures de Constantinople, et il faut une expédition commandée par l’empereur en personne pour les en déloger . L’année suivante une flotte turque débarque des troupes dans le golfe Thermaïque et il faut qu’Andronic et Cantacuzène, qui se trouvaient à Thessalonique, marchent à leur rencontre et les rejettent à la mer . Enfin dans l’été de 1337 ce sont les environs immédiats de Constantinople qui sont assaillis par une bande de Turcs levés dans l’État osmanli et c’est Jean Cantacuzène qui les repousse et, après un combat acharné, les massacre presque entièrement .

Pour mettre un terme à ces pirateries il eût fallu une marine de guerre, qui faisait défaut à l’Empire depuis les mesures néfastes d’Andronic II et que son petit-fils ne put rétablir qu’incomplètement. Les corsaires turcs avaient du moins affaire aux navires des deux frères Martin et Benoît Zaccaria, co-souverains de l’île de Chio, qu’Andronic Il avait cédée à bail à leur grand-oncle en 1304. Ils inspiraient une véritable terreur aux Turcs dont ils capturaient les navires en grand nombre, mais à la faveur des troubles de l’Empire, Martin Zaccaria était devenu à peu près indépendant, avait exclu son frère du gouvernement de Chio, substituait ses armoiries à celles des Paléologues et frappait monnaie à sa seule effigie . Effrayé des progrès de cette nouvelle puissance, Andronic III cita Martin à comparaître devant lui et, sur son refus, après avoir équipé une flotte de 105 navires, il parut devant Chio : après un essai de résistance, Martin fut fait prisonnier et emmené à Constantinople. Le basileus établit un gouverneur grec à Chio (1329) . Quelques années plus tard il rétablissait son autorité dans l’île de Lesbos ainsi qu’à Phocée : Dominique Cattaneo, seigneur de la Nouvelle Phocée sous la suzeraineté impériale, allié aux chevaliers de Rhodes, au duc de Naxos, aux Génois de Galata, s’était emparé de l’île de Lesbos et se déclarait indépendant. Poussé par Cantacuzène, Andronic fit alliance avec des émirs turcs qui lui fournirent des navires et alla assiéger en même temps Mytilène et Phocée, mais ce fut grâce aux négociations de Cantacuzène avec l’amiral génois Spinola que les deux villes se rendirent .

On voit par cet exemple à quel point la seule marine impériale était insuffisante et les États chrétiens qui se partageaient la possession de l’Archipel étaient trop désunis pour agir efficacement contre les pirates. Ce fut pour cette raison que Venise, dont les colonies d’Orient communiquaient difficilement entre elles, proposa aux papes Jean XXII (1316-1334) et Benoît XII (1334-1342) la formation d’une ligue navale des États chrétiens qui débarrasserait la Méditerranée orientale de la piraterie c’était seulement à ce prix qu’une croisade était possible, mais il était essentiel que Byzance fît partie de la ligue, ce qui supposait un retour à l’union religieuse entre Constantinople et les papes .

Or ce programme correspondait au désir d’Andronic III, que l’impératrice Anne de Savoie poussait à reconnaître l’autorité du pape. Michel Paléologue avait conclu l’Union pour éviter une croisade contre Constantinople désormais l’Union aura au contraire pour objet de provoquer la croisade qui portera secours à l’Empire. C’est à cette époque que ce point de vue nouveau apparaît dans la politique impériale.

Déjà Andronic II, malgré son hostilité contre Rome, en était venu à la fin de son règne à exprimer au roi de France Charles le Bel son désir de négocier une nouvelle union (1327) . Andronic III alla encore plus loin. En 1332 il se fit représenter aux conférences tenues à Rhodes par les envoyés de Venise et conclut une alliance contre les Turcs avec Venise et le grand maître des Hospitaliers. En 1334 le roi de France et le pape se joignaient à cette ligue navale ainsi que le roi de Chypre . En même temps Andronic faisait part à Jean XXII de son désir d’union et le pape renvoyait à Constantinople les deux dominicains qui lui avaient porté les demandes du basileus. Mais tous ces projets échouèrent. Nicéphore Grégoras, désigné pour discuter avec les envoyés du pape, se déroba et les fit renvoyer sans réponse . D’autre part Andronic III, qui avait rassemblé 20 navires dans l’Archipel, attendit en vain la flotte alliée toujours à l’ancre dans le port de Marseille. Jean XXII venait de mourir (décembre 1334) et Benoît XII qui lui succéda se borna à adresser des appels à la chrétienté en faveur des Arméniens de Cilicie menacés par les Turcs. En fait ce furent les discordes entre Gênes et Venise, ainsi que la rupture entre Philippe VI et Édouard III, qui firent échouer cette première ligue navale .

Andronic III n’en chercha pas moins à renouer des relations avec le pape, mais sachant combien ses sujets étaient hostiles à l’Union, ce furent deux étrangers, le moine calabrais Barlaam et le Vénitien Étienne Dandolo, qu’il envoya secrètement à Benoît XII à Avignon. Barlaam plaida chaleureusement la cause des Grecs. Il chercha à persuader au pape que le seul moyen de les gagner était de leur envoyer d’abord des secours et il préconisa la réunion d’un concile œcuménique pour résoudre les difficultés, mais Benoît XII réfuta tous ses arguments et tout se borna à un échange de paroles (1339) .

Les circonstances étaient d’autant plus défavorables à l’Union que tout Byzance, clercs et laïcs, était agité alors par les controverses entre les hésychastes (quiétistes), qui prétendaient arriver par une méthode appropriée à la vision de la divinité, et les humanistes imbus de la philosophie aristotélicienne, qui ne voyaient d’autre terrain apologétique que la démonstration . Grégoire Palamas, moine de l’Athos, où s’était propagée la doctrine hésychaste, et Barlaam, Grec de Calabre émigré à Thessalonique, avaient rempli cette ville de leurs polémiques d’une âpreté singulière (1333-1339) . A son retour d’Avignon, le Calabrais eut connaissance d’un écrit où Palamas exposait sa doctrine de la lumière divine incréée et prenait son adversaire à partie. Barlaam y vit une théologie hétérodoxe, rappelant d’anciennes hérésies. Après avoir écrit un traité pour le réfuter , il alla à Constantinople accuser Palamas d’hérésie devant le patriarche Jean Calécas qui, médiocre théologien, l’accueillit fort mal, mais Barlaam remua si bien l’opinion qu’il fallut faire venir Palamas . Le 10 juin 1341 un concile fut tenu à Sainte-Sophie sous la présidence du basileus, mais il refusa de discuter le bien-fondé des doctrines en présence : il se borna à déclarer qu’il appartenait aux seuls évêques de statuer sur les dogmes et força Barlaam à faire des excuses aux moines qu’il avait attaqués .

C’était une défaite pour Barlaam qui regagna l’Occident, mais loin d’apaiser les esprits, cette solution ne fit que rendre plus profondes les divisions qui régnaient dans le monde byzantin et qui allaient engendrer de nouvelles guerres civiles. Cinq jours après le concile de Sainte-Sophie, Andronic III mourait, âgé de 45 ans, laissant pour lui succéder un enfant de neuf ans sous la tutelle d’une impératrice que son origine occidentale et sa foi romaine avaient rendue impopulaire (15 juin 1341) .

La révolte de Jean Cantacuzène (1341-1347). — Andronic III disparaissait à l’âge où un homme est en pleine vigueur, laissant inachevée la tâche de relèvement qu’il avait entreprise. Un seul homme, Jean Cantacuzène, était capable de continuer cette œuvre, mais il avait refusé d’être revêtu de l’autorité impériale qui lui eût été nécessaire pour réussir. Andronic III l’avait du moins désigné comme régent et l’impératrice Anne avait accepté cette décision. Maître du gouvernement, il voulait réorganiser l’armée, rétablir les finances, résister aux exigences des étrangers, achever la restauration de l’Empire . Malheureusement il avait compté sans les jalousies qu’il inspirait à ceux mêmes qui lui devaient leur fortune, à Alexis Apocauque, qui le comblait de flatteries, mais le détestait , au patriarche Jean Calecas, qui lui devait son élection à laquelle le synode était opposé . Ce furent ces deux personnages qui le desservirent auprès d’Anne de Savoie en lui prêtant les plus mauvais desseins contre la famille impériale . Se sentant suspect, Cantacuzène offrit sa démission, qui fut refusée , mais pendant une de ses absences les deux complices obtinrent de l’impératrice que Jean Cantacuzène fût destitué de toutes ses charges, sans pouvoir même venir se justifier à Constantinople . A cette nouvelle, Cantacuzène se fit proclamer empereur à Didymotika le 26 octobre 1341, jour de la fête de saint Démétrius, mais en faisant acclamer le nom de l’héritier légitime, Jean V, avant le sien .

Une nouvelle guerre civile commençait, mais elle avait des causes plus profondes qu’une simple lutte pour le pouvoir. Cantacuzène représentait la grande noblesse terrienne, les archontes, contre lesquels il s’était formé au xive siècle dans la plupart des villes un parti démocratique et populaire composé de petits artisans, de marchands et même de paysans. Ce furent les rancunes de ces classes contre les nobles que les ambitieux comme Apocauque, type du parvenu sans scrupule, surexcitèrent, et c’est ce qui explique que cette deuxième guerre civile, à la différence de la première, eut les allures d’une guerre sociale. Elle eut d’ailleurs pour résultat d’achever la désorganisation intérieure et de livrer l’Empire à l’étranger, auquel chacun des deux partis faisait appel sans aucun scrupule .

Cette guerre fut longue et décousue, les deux adversaires étant contraints et forcés par leurs partisans, qui faisaient échouer leurs tentatives d’accommodement . Dans les deux camps d’ailleurs les ressources manquaient. Pour s’en procurer, Anne de Savoie fit régner une fiscalité intolérable, envoya au creuset les pièces du trésor, confisqua les biens des nobles . Ce fut surtout une guerre d’intrigues et de combinaisons diplomatiques dans lesquelles les alliances matrimoniales, la corruption des gouverneurs de places fortes tenaient une grande place. Dès son début la guerre eut le caractère d’un duel entre Apocauque, qui avait pour lui les classes populaires, et Cantacuzène, soutenu par les archontes, les moines et aussi les hésychastes.

Établi dans une forte position, à Didymotika , bâtie en amphithéâtre sur un des derniers contreforts du Rhodope, arrosée par un affluent méridional de la Maritza, à l’entrée de la plaine de Thrace, Jean Cantacuzène organisa son armée et somma les commandants des places de Thrace et de Macédoine de reconnaître son autorité .

Pendant la première partie de la guerre (hiver de 1341 - fin 1344) il n’éprouva que des revers. Dès le début sa marche sur Constantinople est arrêtée par son échec devant Andrinople défendue par des Bulgares , ainsi que par la défection de trois de ses principaux partisans . A Constantinople Anne de Savoie fait couronner solennellement Jean V et confie le pouvoir à Apocauque, qui jette la mère de Cantacuzène dans une prison où elle meurt . En mars 1342 Cantacuzène marche sur Thessalonique, mais il s’arrête à Drama en apprenant la nouvelle du mouvement démocratique dit des Zélotes, dirigé contre les nobles . Entre-temps Cantacuzène s’en va faire alliance avec le Kral Étienne Douschan  et attaque Thessalonique avec des troupes serbes, mais l’arrivée d’Apocauque avec une flotte et une armée le force à lever le siège et à se réfugier à Berrhoé (Verria) . L’année suivante une nouvelle tentative pour s’emparer de la ville avec l’appui de la flotte et de l’armée de l’émir de Smyrne Omour-beg échoua encore  et en novembre 1343 Jean Cantacuzène était de retour à Didymotika .

Sa situation fut alors des plus critiques. Il ne pouvait plus compter sur l’alliance d’Omour-beg après la prise de Smyrne par la croisade de l’Archipel (28 octobre 1344) . A l’instigation d’Anne de Savoie le Kral Étienne Douschan et le tsar Jean Alexandre envahissaient la Thrace. A la voix du patriarche, une armée de volontaires se forma à Constantinople et Apocauque, établi à Héraclée, tenta trois fois de faire assassiner Cantacuzène . Mais à la fin de cette année la situation était rétablie. Les troupes d’Étienne Douschan étaient repoussées par les Turcs d’Omour-beg, qui n’avaient pu se rembarquer faute de navires, Cantacuzène forçait les Bulgares à repasser la Maritza et réoccupait les places qu’ils avaient prises : Jean Alexandre signait la paix  et Anne de Savoie elle-même aurait volontiers traité si Apocauque ne s’y était opposé .

A partir de ce moment la situation de Cantacuzène se raffermit, mais les opérations sont lentes, les deux parties étant également faibles. En janvier 1345 il parvient à occuper Andrinople ; mais grâce à ses intelligences avec le gouverneur  et ne pouvant plus compter sur l’appui d’Omour-beg, il s’adresse à Ourkhan, lui fiance sa fille Théodora et introduit 6 000 Osmanlis en Europe, au grand émoi des Génois de Galata  ; avec ces renforts il serre de près Constantinople. Le meurtre d’Apocauque, assassiné dans la prison modèle qu’il visitait par les victimes elles-mêmes qu’il y avait enfermées (li juin 1345)  le débarrassait de son principal adversaire et désorganisait le parti d’Anne de Savoie. Cependant il se passa encore près de deux ans avant que Cantacuzène pût entreprendre l’opération décisive qui allait lui livrer Constantinople et l’Empire. Le vendredi 3 février 1347, à la septième heure de la nuit, ses partisans lui ouvraient les portes de la ville, le lendemain du jour où la régente, brouillée avec le patriarche Jean Calecas, l’avait fait déposer par le synode .

Le règne de Jean VI (1347-1355). — Vainqueur de la guerre civile, maître de Constantinople, mais non de tout l’Empire, Jean Cantacuzène ne s’en trouvait pas moins dans la situation la plus difficile et pendant les huit ans que dura son pouvoir il lutta avec une incroyable énergie pour rétablir l’ordre et finalement succomba à la tâche.

Il avait d’abord à compter avec le sentiment légitimiste en faveur de Jean V, car pour beaucoup il n’était qu’un usurpateur. De là le traité qu’il conclut avec Anne de Savoie qui avait eu des velléités de se défendre au palais des Blachernes, mais finit par capituler : Cantacuzène était reconnu comme le collègue de Jean Paléologue, qui lui serait cependant subordonné pendant dix ans . Une amnistie générale était proclamée et tous les sujets de l’Empire durent prêter un serment de fidélité aux deux souverains . Par là Jean VI cherchait à effacer toutes les traces de la guerre civile et à se présenter comme un empereur légitime, allant jusqu’à affirmer dans ses diplômes sa parenté avec la dynastie des Paléologues .

Plus difficile était le rétablissement de l’ordre et de la prospérité. Les coffres de l’État étaient vides au point qu’on ne put même pas célébrer dignement les fêtes du couronnement de Jean VI et d’Irène, qui eut lieu dans l’église du Palais le 12 mai. Une tentative du basileus pour déterminer les notables de Constantinople à contribuer de leurs deniers au rétablissement des finances publiques se heurta à une incompréhension totale . De plus, en dépit des efforts de Jean VI, les deux camps de la guerre civile ne désarmaient pas. Les partisans de Cantacuzène étaient jaloux des faveurs accordées à leurs adversaires . L’indiscipline régnait partout et jusque dans la famille impériale. Le fils aîné de Cantacuzène, Mathieu, entreprenait de se constituer un apanage en occupant Didymotika et plusieurs villes de Thrace : il fallut les remontrances de l’impératrice pour le faire renoncer à son dessein .

La sécurité ne régnait plus dans les provinces ; des bandes de Turcs infestaient toujours la Thrace et en 1348 les deux empereurs revenant d’une expédition sur la mer Noire durent livrer bataille à l’une d’entre elles et coururent un grand danger . Les résultats du règne d’Andronic III étaient compromis l’île de Chio, qu’il avait si heureusement annexée, avait été occupée ainsi que l’ancienne et la nouvelle Phocée, à la fin de la guerre civile, par le Génois Vignoso, au moment où les chefs de la croisade de l’Archipel allaient s’en emparer .

D’autre part la deuxième ville de l’Empire, Thessalonique, restée au pouvoir des Zélotes, ne reconnaissait pas l’autorité de Jean VI et refusait d’admettre l’archevêque qu’il lui avait envoyé, Grégoire Palamas . Ce fut seulement à la fin de 1350 que Cantacuzène, après l’expulsion des Zélotes, put y exercer sa souveraineté, mais après combien de péripéties et de difficultés, et de la manière la moins glorieuse, grâce au secours d’une flotte de corsaires turcs qu’il avait embauchés à l’embouchure du Strymon. Il put ainsi arriver à temps pour empêcher Étienne Douschan de s’emparer de la ville, que les Zélotes allaient lui livrer .

L’occupation de Thessalonique par les Serbes eût mis en question l’existence même de ce qui restait de l’Empire. Étienne Douschan qui, pendant la guerre civile, avait conquis la Macédoine orientale, pris Serres et Kavalla qui lui permettaient d’atteindre la mer Égée, rêvait comme autrefois le Bulgare Syméon de s’emparer de Constantinople et d’unir sous la même domination impériale les Serbes, les Grecs et tous les peuples balkaniques. Le dimanche de Pâques, 13 avril 1346, une assemblée d’évêques tenue à Skoplje institua comme patriarche des Serbes le métropolite de Peč, puis procéda au couronnement d’Étienne comme tsar ou basileus des Serbes et des Romains.

Tout à fait dans son nouveau rôle, Étienne se fit représenter sur ses monnaies en costume impérial, organisa une cour sur le modèle byzantin, confirma dans ses lois les dispositions des basileis ses prédécesseurs, relatives notamment aux privilèges accordés aux monastères et publia lui-même des chrysobulles en faveur des couvents de l’Athos passés sous sa domination avec la péninsule de Chalcidique .

Avec cette jeune puissance qui disposait d’une solide armée, Cantacuzène ne pouvait lutter à armes égales. Il parvint du moins à arrêter son élan, mais avec l’aide des Turcs ses alliés habituels. Douschan s’étant emparé de Phères en Thessalie, Jean VI essaya de négocier avec lui, mais ses deux ambassades restèrent sans réponse (mars-avril 1348). II obtint alors d’Ourkhan 10 000 Osmanlis qui repoussèrent les Serbes, mais mirent la région au pillage . Douschan continua librement ses conquêtes sur le territoire de l’ancien despotat d’Épire qu’Andronic III et Cantacuzène avaient réannexé en 1336 : l’Épire, la Thessalie, l’Acarnanie, 1’Étolie tombèrent entre ses mains et il fut bientôt le maître de la majeure partie des pays grecs .

Jean Cantacuzène put du moins, comme on l’a vu, empêcher Douschan d’entrer à Salonique (fin 1348), mais ce fut seulement lorsqu’il fut maître de cette ville (octobre 1349) qu’il put prendre l’offensive, pendant que le tsar serbe était en train de conquérir la Bosnie et d’enlever Belgrade au roi de Hongrie . Jean VI gagna certains boyards serbes et reprit successivement plusieurs places macédoniennes, Berrhoé (Verria), Édesse (Vodéna), la capitale serbe elle-même, Skoplje, Gynéco-Castro (Avret-Hissar) ou il entra avec le jeune empereur , dégageant ainsi les abords de Salonique. A la nouvelle de cette campagne, Douschan abandonna la Bosnie et revint en Macédoine (janvier 1350), mais ce fut pour négocier la paix. Une entrevue eut lieu entre lui et les deux empereurs et, après s’être fait réciproquement des reproches, les souverains signèrent un traité d’après lequel l’Acarnanie, la Thessalie et le sud-est de la Macédoine jusqu’à Serrès devaient faire retour à l’Empire . Ces concessions du tsar serbe peuvent s’expliquer par les difficultés que lui suscitaient ses boyards. De plus il était tout à ses projets sur Constantinople et, sachant qu’il ne pourrait jamais s’en emparer sans l’appui d’une flotte, il recherchait l’alliance de Venise . D’ailleurs la rupture entre Cantacuzène et Jean V, que Douschan ne manqua pas de soutenir, rendit caduc le traité qu’il venait de signer .

Difficultés intérieures. — Tout en défendant la Romania contre l’ambition de Douschan, Jean VI devait faire face à de graves difficultés intérieures. La misère publique fut portée au comble par la propagation de la peste noire, qui semble être venue d’Asie centrale par l’intermédiaire du Kiptchak et des ports de la mer Noire et s’être propagée surtout par la navigation ; car, au témoignage de Nicéphore Grégoras et de Cantacuzène, qui en décrivent les symptômes, elle sévit surtout sur les côtes et dans les îles. La maladie, que l’on identifie avec la peste bubonique, gagna Constantinople en 1348 et y fit de nombreuses victimes, parmi lesquelles le plus jeune fils de Cantacuzène, Andronic . On sait quels furent les ravages de la peste noire dans tout l’Orient et dans toute l’Europe, en France et en Angleterre .

La question religieuse causait surtout des soucis à Jean VI. Le départ de Barlaam et le concile de Sainte-Sophie en 1341 n’avaient nullement apaisé la querelle hésychaste, qui rebondit au contraire à la fin de la guerre civile, à la suite des attaques du moine Akindynos contre Palamas, dont il avait été l’ami mais dont il réprouvait certaines affirmations . Palamas fut condamné par un nouveau concile présidé par le patriarche Jean Calecas et, comme il était l’ami de Cantacuzène, Anne le fit jeter en prison (1345) . Cependant au moment où Jean Cantacuzène s’emparait de Constantinople, la régente, brouillée avec le patriarche, l’avait fait déposer : Palamas libéré recouvrait sa faveur, ainsi que ses partisans .

Telle fut la situation que Cantacuzène trouva après son entrée à Constantinople. Très favorable à Palamas, il fit confirmer par le synode la déposition de Jean Calecas, qui avait été après Apocauque son principal ennemi, et le remplaça par un hésychaste notoire, Isidore, archevêque de Monemvasia , puis, pour faire cesser les polémiques, il convoqua un concile aux Blachernes (27 mai 3353). Akindynos et Isidore étaient morts ; le nouveau patriarche, Calliste, était un moine de l’Athos, borné et ignorant . Le principal adversaire de Palamas était l’érudit Nicéphore Grégoras que Cantacuzène avait essayé en vain de gagner à ses vues. Dans ces conditions, le concile, qui dura 15 jours, ne pouvait aboutir qu’à la victoire de Palamas dont les contradicteurs furent injuriés grossièrement et maltraités . Le basileus alla jusqu’à interner Grégoras au monastère de Chora et à l’empêcher d’écrire . Le triomphe des hésychastes était complet.

L’hostilité génoise. — A toutes ces difficultés s’ajouta l’hostilité de la république de Gênes qui continuait ses efforts pour accaparer le monopole du commerce dans l’Archipel, à Constantinople, dans la mer Noire surtout, dont il s’agissait d’interdire l’accès aussi bien aux Vénitiens qu’aux Grecs. De là l’importance prise par la colonie génoise de Galata que l’imprudence de Michel Paléologue avait établie en face de Constantinople  : elle était devenue une place forte, dont la vieille tour qui dominait son enceinte atteste encore aujourd’hui la puissance, et dans son port affluaient les navires qui désertaient les escales de la ville impériale . Or Cantacuzène, réagissant contre la politique de laisser-aller d’Andronic II, ne s’avisait-il pas de créer une nouvelle marine impériale et d’abaisser les droits de douane afin de ramener l’activité dans le port de Constantinople !  Voyant leur monopole en péril, les Génois de Galata n’hésitèrent pas à traiter l’Empire en ennemi. Le 15 août 1348, profitant d’une absence de Jean VI, ils envoyèrent un ultimatum inacceptable à l’impératrice Irène, coulèrent tous les navires grecs en vue, incendièrent les maisons de la banlieue de Constantinople et en commencèrent le siège en établissant un blocus rigoureux à l’entrée de la Corne d’Or .

Cette « guerre de Galata » qui se prolongea jusqu’en mars 1349 fut extrêmement meurtrière et fit régner la famine dans la ville. Rentré à Constantinople  au moment où un assaut général venait d’échouer, Cantacuzène improvisa une flotte, mais les navires mal construits furent coulés facilement par les Génois à l’entrée du Bosphore (5 mars 1349). Le basileus se préparait à construire de nouveaux navires quand le sénat de Gênes, qui était à la veille d’une rupture avec Venise, ordonna à la colonie de faire la paix en donnant satisfaction à l’empereur sur tous les points .

La guerre entre Gênes et Venise. — Cette paix ne devait pas durer longtemps. Comme Andronic II autrefois, Jean VI se trouva englobé malgré lui dans les hostilités qui éclatèrent l’année suivante entre Gênes et Venise, et au moment où Jean V Paléologue, à la tête d’un parti légitimiste, recommençait la guerre civile. La cause du conflit entre les deux thalassocraties était une nouvelle tentative de Gênes pour expulser sa rivale de la mer Noire en barrant le Bosphore à l’endroit le plus resserré. Cantacuzène refusa de s’allier avec Venise, qui s’adressa au roi d’Aragon .

Mais ce fut en vain que Jean VI chercha à conserver la neutralité. A la suite de l’attaque d’une flotte vénitienne contre Galata, les Génois bombardèrent les murs de Constantinople en y lançant d’énormes blocs de pierre. Le basileus fit rappeler la flotte vénitienne et signa un traité d’alliance onéreux pour l’Empire (août 1351) .

Constantinople se trouva en effet exposée aux coups des Génois sans être soutenue par les Vénitiens. Ce fut ce qui arriva peu après la signature du traité, au moment d’une nouvelle attaque de Galata par la flotte de Nicolas Pisani qui laissa couler les navires byzantins par les Génois sans intervenir et battit en retraite devant la flotte de Doria : cet amiral génois put saccager Héraclée et Sozopolis sans défense (septembre 1351) . Pisani reparut en février 1352, renforcé de l’escadre de don Pedro IV, roi d’Aragon : un combat acharné eut lieu entre sa flotte et celle de Doria au milieu du Bosphore, mais il ne put forcer le passage et se retira en laissant Constantinople exposée aux représailles des Génois (15 février 1352). Abandonné ainsi, Jean Cantacuzène dut signer un traité par lequel il cédait aux Génois les places de Selymbria et d’Héraclée ainsi qu’un élargissement du territoire de Galata. L’accès de la mer Noire était interdit aux navires de Constantinople (6 mai 1352) .

La reprise de la guerre civile. — Pendant que ces événements tragiques se passaient à Constantinople, Jean V Paléologue, dénonçant le traité conclu avec Cantacuzène, tenait la campagne dans les provinces. De Thessalonique où l’avait laissé Jean VI, il négociait avec Étienne Douschan qui s’engageait à le faire reconnaître comme seul empereur (juin 1351) ; mais, cédant aux prières d’Anne de Savoie que lui avait dépêchée Cantacuzène, il s’abstint de toute hostilité moyennant la remise de places de sûreté en Chalcidique . Cependant, comme son beau-père tardait à tenir sa promesse, le jeune Paléologue occupa Andrinople au moment où la flotte de Doria menaçait Constantinople (septembre 1351) . Jean VI parvint à l’en chasser (juin 1352) , mais il continua la lutte avec une troupe de Bulgares et de Serbes, après avoir conclu une alliance avec Venise . De son côté Jean VI n’hésita pas à faire appel aux Osmanlis, à dépouiller les églises de Constantinople pour pouvoir payer la solde des 20 000 hommes fournis par Ourkhan, et à lui promettre de lui céder une forteresse en Thrace .

Grâce à cette alliance, Cantacuzène rétablit son autorité. Soliman, fils d’Ourkhan, mit les Serbes en déroute à Didymotika et en septembre 1352 toutes les villes de Thrace et de Macédoine reconnaissaient Jean VI, tandis que Jean Paléologue, qui avait essayé inutilement de tourner les Osmanlis de son côté, était réduit à se réfugier dans l’île de Ténédos . La tentative qu’il fit en mars 1353 pour débarquer à Constantinople échoua grâce à l’énergie de l’impératrice Irène, mais il put se réfugier à Thessalonique qui tenait toujours pour lui . Cependant sa cause semblait perdue. Sollicité par la noblesse, Jean VI désigna pour son héritier son fils aîné Mathieu et prononça un violent réquisitoire contre Jean Paléologue . C’était la rupture définitive. Le patriarche Calliste ayant refusé de couronner Mathieu et s’étant enfui auprès de Jean V, au bout de quelques mois, Cantacuzène le remplaça par Philothée, qui se montra plus accommodant .

Une nouvelle dynastie semblait naître et la fortune de Jean VI était à son comble, lorsque des événements inattendus la firent sombrer. Cantacuzène avait dû ses succès à son alliance avec Ourkhan : elle lui manqua tout à coup. Le 2 mars 1354, « la nuit de la fête de l’Orthodoxie » , un tremblement de terre renversa les murailles de Gallipoli et des villes voisines. Les Osmanlis qui se trouvaient déjà dans la péninsule s’en emparèrent . D’après le traité conclu par Cantacuzène avec Ourkhan en 1352, ils occupaient une ville de la Chersonèse de Thrace . La possession de Gallipoli leur assurait le contrôle du détroit et la tête de pont qui leur permettrait de passer facilement en Europe. Jean VI, effrayé de ce résultat, offrit à Ourkhan une rançon pour Tzympé et le somma d’évacuer Gallipoli. Le sultan accepta la rançon, mais déclara qu’il ne pouvait abandonner ce qu’Allah lui avait donné et refusa d’avoir une entrevue avec le basileus .

C’était la rupture de l’alliance qui faisait la principale force de Cantacuzène. Les conséquences ne s’en firent pas attendre. Dès le mois de juin suivant, Soliman passait en Europe, ravageait la Thrace et empêchait les habitants de faire la moisson . Un peu plus tard Palamas, se rendant à Constantinople par mer, fut fait prisonnier par des corsaires turcs et conduit à Lampsaque . Cantacuzène entièrement découragé et que l’on rendait responsable des malheurs de l’Empire, attribués à son alliance avec les Turcs , essaya de traiter avec Jean V, mais ses avances furent repoussées (juin 1355) . Le dénouement était inévitable. En novembre 1355 un corsaire génois, François Gattilusio, qui possédait deux galères, ramena Jean V à Constantinople et put aborder à l’une des échelles de la Propontide . A la nouvelle de l’arrivée de Paléologue, le peuple se souleva en sa faveur et pilla l’Arsenal des Manganes. L’émeute fut cruellement réprimée par la garde catalane , mais Jean VI assiégé au Palais capitula et signa un traité de partage de la dignité impériale . Ce compromis fut éphémère. A la suite d’une nouvelle émeute, Cantacuzène se dépouilla des insignes impériaux et, après avoir revêtu la mandya, se retira au monastère des Manganes sous le nom de Joasaph . Après un séjour au monastère de Vatopédi au Mont Athos, il s’établit à Mistra, auprès de son fils Mathieu (1380), et y mourut le 15 juin 1383 sans avoir jamais essayé de recouvrer l’Empire .

5.  Les Ottomans en Europe.  L’Agonie de Byzance  (1355-1389)

La longue période des guerres civiles épuisa l’Empire, qui devint incapable de se relever par ses propres forces ; mais le fait capital de la période suivante, qui dépasse le cadre de Byzance, c’est la conquête par les Osmanlis de tous les États chrétiens des Balkans. En fait, l’Asie Mineure étant occupée par les émirs turcs indépendants et puissants, ce fut en Europe que se forma le premier État ottoman, qui fit d’abord figure de puissance européenne. Le succès des Turcs est dû à l’affaiblissement des États chrétiens et aux obstacles de tous genres que rencontra la croisade.

Ce fut sur un État ruiné et profondément bouleversé que régna Jean V après sa victoire : un pays mal pacifié où subsistaient plusieurs centres de guerre civile, déchiré par les querelles religieuses, démembré par les étrangers, exposé aux avanies de la puissance croissante des Ottomans. Incapable de réagir, Jean V resta sur le trône le chef d’un parti et se résigna à toutes les capitulations. Dès son avènement il est dans la dépendance des Italiens : il cède Lesbos à François Gattilusio qui l’a aidé à ressaisir le pouvoir (17 juillet 1355) . Il est à la merci d’Ourkhan, son beau-frère, qui le rend responsable de la capture d’Halil, son fils, par des pirates phocéens : malgré une démonstration navale devant Phocée, Jean V ne peut se faire livrer le captif, dont il est obligé de payer la rançon en signant un traité désastreux par lequel il reconnaît au sultan la possession des villes de Thrace dont il s’est emparé . Il a enfin à lutter contre Mathieu Cantacuzène, qui porte toujours le titre d’empereur et conserve son apanage d’Andrinople et de la région voisine.

Après un an de guerre entremêlée de négociations, d’intrigues, de complots, Mathieu fut livré à Jean V par un traître et, grâce à l’intervention de son père, abdiqua solennellement la dignité impériale (décembre 1357) .

Mathieu Cantacuzène, accompagné de l’ex-empereur, se retira en Morée, auprès de son frère le despote Manuel que Jean VI y avait envoyé pour rétablir l’ordre troublé par les pirateries des Turcs et les discordes entre les indigènes . En face de l’Achaïe latine, la Morée byzantine devint alors une province autonome qui, même après la chute de Jean VI, resta l’apanage des Cantacuzènes. Manuel rétablit la paix entre les archontes et équipa une petite flotte pour lutter contre la piraterie . A sa mort en 1380, son frère Mathieu lui succéda sans opposition de la part de Jean V et Mathieu lui-même, qui mourut en 1383 peu de temps avant son père, transmit la Morée à son fils Démétrius. Celui-ci essaya de s’affranchir de l’autorité de Constantinople et Jean V dut envoyer contre lui son fils Théodore Paléologue avec une armée. Après une lutte qui dura un an, Démétrius étant mort, Théodore reçut le gouvernement de la Morée, et jusqu’à la chute de l’Empire ce fut toujours un cadet de la dynastie régnante qui y exerça l’autorité . Sous l’administration des despotes la Morée devint le véritable foyer de l’hellénisme et Mistra, sa capitale, attira les lettrés et les artistes du monde byzantin tout entier.

Malgré la prospérité, toute relative d’ailleurs, de cette lointaine colonie de Constantinople, l’autorité du pouvoir impérial n’en était pas moins précaire. Jean V ne put même pas apaiser les querelles religieuses qui atteignaient leur paroxysme au moment de sa restauration. A son approche, le patriarche Philothée avait pris la fuite et Calliste fut rétabli sur son siège, tandis que Nicéphore Grégoras était délivré de sa captivité . Jean V était défavorable à Palamas, mais il ne voulait pas de persécution et l’impératrice Hélène, stylée par son père, réussit à empêcher le débat public que Grégoras voulait avoir avec Palamas . Une controverse n’en eut pas moins lieu entre les deux adversaires en présence du légat d’Innocent VI, Paul, archevêque de Smyrne. Palamas eut le dessous , mais Grégoras fut dès lors en butte à une série d’attaques calomnieuses dans de nombreux pamphlets que Jean Cantacuzène paraît avoir inspirés  et, lorsqu’il mourut vers 1360, les Palamites s’acharnèrent odieusement sur son cadavre, qu’ils traînèrent dans les rues de Constantinople .

Telle est la triste situation de l’État byzantin après la restauration de Jean V. Les Vénitiens la considèrent comme désespérée et voient déjà en lui l’homme malade, dont la succession est à la veille de s’ouvrir. L’un d’eux, Marino Faliero, conseille au doge de s’emparer de Constantinople s’il ne veut pas voir tomber l’Empire aux mains des Turcs . Et c’est juste à ce moment que disparaît l’un de ceux qui semblaient avoir le plus de chance de recueillir cet héritage. Le tsar serbe Étienne Douschan, dont les projets grandioses de fusion entre le peuple serbe et les Grecs ont été signalés, meurt prématurément à l’âge de 47 ans, le 20 décembre 1355 . D’après des sources de date postérieure, que ne confirme aucun témoignage contemporain, il aurait été à la veille d’entreprendre une grande expédition contre Constantinople . Ce qui est certain, c’est que sa mort fut le signal de la dissolution de son État, composé de provinces disparates, dont les voiévodes (gouverneurs) supportaient mal son autorité et profitèrent de sa disparition pour se rendre indépendants .

La mort de Douschan laissait le champ libre aux Ottomans, aucun autre État balkanique n’étant capable de revendiquer l’hégémonie dans la péninsule. La Bulgarie était affaiblie par l’agitation bogomile et par la crise qui suivit le divorce de Jean-Alexandre d’avec la Roumaine Théodora et ses secondes noces avec la juive Rébecca. Il dut partager ses États entre les enfants de ses deux unions, et après sa mort (1365) éclata entre eux une guerre civile qui permit aux Hongrois d’occuper Vidin et aux Turcs d’intervenir dans leurs querelles .

Au-delà du Danube apparaît dans la première moitié du xive siècle un État nouveau, qui se rattachait par sa langue latine et ses traditions à la Rome impériale des Antonins, la principauté valaque. Dès la fin du xiiie siècle, des voiévodes valaques vassaux de la Hongrie avaient essayé sans y réussir de se rendre indépendants. Cette tentative fut reprise avec succès par le voiévode d’Arges, Basarab Ier (1310-1352), qui étendit son autorité sur les autres voiévodes et se rendit indépendant des Hongrois par la victoire qu’il remporta sur eux à Potada en 1330. Le « grand Basarab » fut donc le véritable fondateur de l’État valaque et son tombeau a été retrouvé dans l’église princière d’Arges, qu’un de ses successeurs, Radu Negru, fit orner de fresques par des peintres qui s’inspirèrent des remarquables mosaïques de Kahrié-Djami à Constantinople (vers 1375-1387) .

Un peu auparavant, un chef roumain de la région du Maramures au nord de la Transylvanie avait conquis vers 1360 la vallée de la Moldava et, après en avoir chassé le gouverneur hongrois, fondé la principauté de Moldavie . Situés entre la Hongrie et les pays yougoslaves, les États valaque et moldave devaient intervenir comme un élément nouveau dans les affaires des peuples balkaniques, également menacés comme eux par les Hongrois et les Turcs.

Enfin la Hongrie, sous la dynastie angevine de Naples, est un État féodal bien organisé qui dispose de forces militaires importantes. Son roi Louis le Grand (1342-1382) a une politique active dans la péninsule balkanique, mais il a un rôle néfaste en contrariant la formation des principautés roumaines, en prenant part au démembrement de la Serbie, à laquelle il enlève Belgrade, et surtout de la Bulgarie qu’il ampute de la principauté de Vidin. A Venise il ravit la Dalmatie par la paix de Turin (1381). Il fait servir à des fins politiques la croisade, dont il se proclame le chef, et ne comprend pas l’intérêt qu’il aurait à défendre les États slaves contre les Turcs .

Ainsi, au milieu du xive siècle, tous les États chrétiens des Balkans sont affaiblis par leurs discordes intestines. La Hongrie, qui pourrait les défendre, poursuit des fins particulières. Ils sont mûrs pour la conquête ottomane.

L’offensive ottomane. — Pendant que les chrétiens étaient déchirés ainsi par les guerres civiles, les Osmanlis passaient du régime de la tribu à celui de l’État régulier. Ourkhan paraît en avoir été l’organisateur : la tolérance religieuse, le service militaire obligatoire, mais réservé aux musulmans et remplacé pour les chrétiens par une lourde capitation, tels en sont les traits essentiels. En fait, les conversions à l’islam, encouragées, furent très nombreuses et, par suite des unions entre musulmans et chrétiennes, il se forma, en même temps qu’un État, un peuple ottoman. Il en résulta que l’armée eut un caractère national qui lui donnait une grande supériorité sur les troupes mercenaires de cette époque. Elle était déjà remarquable par la solidité de ses cadres, son dévouement absolu au sultan et sa rapidité .

L’occupation de Gallipoli permit à Ourkhan d’envahir la Thrace par une série d’expéditions, sur la chronologie desquelles on est mal fixé et qui furent conduites par les fils du sultan Soliman, qui mourut après 1357, et son frère Mourad. Leur objectif était Andrinople : ils s’emparèrent successivement des places qui en défendaient les abords, Tchorlou, Didymotika, Kirk Kilissé qui furent prises et reprises plusieurs fois. Une bataille décisive eut lieu au nord-est de Lulle Bourgas et la victoire des Turcs entraîna la chute d’Andrinople (1361) . Ourkhan mourut après la prise de cette ville en mars 1362 . En quelques mois la Thrace avait été conquise et Constantinople coupée de ses communications terrestres avec l’intérieur de la péninsule balkanique.

Ce n’était là qu’une première étape, et l’un des premiers actes du successeur d’Ourkhan, le sultan Mourad, fut de perfectionner son instrument de guerre par la création des janissaires, jeunes chrétiens enlevés à leurs familles, convertis à l’islam et organisés en une milice  qui devint l’élément essentiel de l’infanterie turque et forma la garde favorite du sultan. Jean V, dépourvu de troupes, dut se résigner à la perte de la Thrace et en reconnut la possession à Mourad en lui promettant son secours contre les émirs turcs d’Anatolie (1362-1363) . Jean V essaya trop tard de s’entendre avec la Serbie : une ambassade du patriarche Calliste, qui fut reçue par la veuve de Douschan à Serrès (1363-1364) , ne produisit aucun résultat. En revanche la première consécration de la puissance ottomane dans les Balkans fut le traité de commerce conclu par Mourad avec la république de Raguse  ; et pour bien montrer que sa conquête de la Thrace était définitive, il transporta de Brousse à Andrinople le siège de son gouvernement et sa résidence . L’État ottoman est déjà l’une des principales puissances de la péninsule balkanique.

L’appel à l’Occident. La croisade. — Ne pouvant compter ni sur les Serbes, ni sur les Bulgares, Jean V reprit le projet d’union religieuse agité si souvent depuis Andronic III, condition indispensable d’une croisade contre les Turcs. Les pourparlers entre Anne de Savoie, puis Jean Cantacuzène et le pape Clément VI (1342-1352) avaient été tout à fait stériles, le pape subordonnant tout envoi de secours à l’abjuration du schisme  et l’alliance de Cantacuzène avec les Ottomans étant un obstacle insurmontable à une entente .

Jean V au contraire avait pour l’Union toute l’ardeur que lui avait inspirée Anne de Savoie. Dans un chrysobulle du 15 décembre 1355 il jure de rester personnellement fidèle au Saint-Siège et propose d’établir à Constantinople un légat permanent avec autorité sur les nominations aux dignités ecclésiastiques : un de ses fils sera envoyé en otage à Avignon, mais le pape organisera une croisade dont le basileus serait le chef . Telles furent les propositions que Jean V envoya à Innocent VI. Jamais aucun basileus n’avait fait de pareilles concessions à Rome et n’avait offert des garanties aussi sérieuses d’exécution . Mais les défiances du pape qui fit à ces propositions un accueil réservé, la difficulté avec laquelle il se procura quelques galères, l’impossibilité où était Jean V d’imposer l’Union à son clergé sans préparation firent encore échouer ce plan . Tout se borna à une petite expédition navale du légat Pierre Thomas, qui reprit temporairement Lampsaque .

Ce fut après son traité désastreux avec Mourad que Jean V fit un nouvel appel à l’Occident, mais le pape Urbain V (1352-1362), qui préparait une croisade en Terre Sainte, se montra d’abord peu favorable aux Grecs . Son revirement fut dû probablement aux correspondances secrètes qu’il eut avec des Grecs partisans de l’union comme Démétrius Cydonès  et aussi à la déception causée par la croisade du légat Pierre Thomas et du roi de Chypre Pierre de Lusignan, qui s’emparèrent d’Alexandrie (10 octobre 1365), mais ne purent s’y maintenir plus de 6 jours . Le 25 janvier 1365 le pape proclamait la croisade destinée à délivrer la Romania des Turcs et, d’après le plan qu’il élaborait, le roi Louis de Hongrie devait attaquer les possessions ottomanes en Europe, Pierre de Lusignan et Amédée VI, comte de Savoie, diriger une expédition maritime contre les positions turques  Mais le roi de Chypre fit défaut et, pour s’entendre avec Louis d’Anjou, Jean V fit en personne le voyage de Bude, premier exemple d’un basileus allant quêter lui-même les secours des Occidentaux . Pour achever son humiliation, le prince bulgare de Sofia, Šišman, lui ferma la route de Constantinople à son retour et il dut attendre à Vidin le libre passage .

Cet événement fit échouer la croisade générale. Le comte de Savoie, Amédée VI, cousin germain de Jean VI, partit le premier sur des galères vénitiennes  afin d’aller délivrer le basileus. Son principal exploit fut la prise d’assaut de Gallipoli (2 août 1366), qui ne pouvait que gêner les Turcs sans menacer en rien leurs possessions européennes, mais dégageait la route maritime de Constantinople . Après une expédition contre les ports bulgares de la mer Noire, ce qui décida Šišman à laisser passer Jean V (fin de 1366), et l’attaque de quelques châteaux turcs de 1’Hellespont (mai 1367), le comte de Savoie regagna ses États . Mais cette expédition n’était regardée que comme la préface de la croisade générale, qui devait être précédée de l’abjuration de Jean V entre les mains du pape et de l’union des Églises . De son côté le roi de Hongrie, craignant une alliance gréco-bulgare, ne songea pas un instant à accomplir son vœu de croisade . De l’immense effort militaire et diplomatique tenté par le pape il restait l’espoir d’un rapprochement entre les deux Églises, mais à Constantinople les esprits restaient divisés sur les moyens de résister aux Turcs. Le basileus et sors entourage ne voyaient d’autre espoir de salut que la croisade le patriarche Philothée et le clergé envisageaient au contraire une ligue de tous les États orthodoxes contre les Turcs.

Le voyage et l’abjuration de Jean V (1369-1371). — Suivant les engagements qu’il avait pris, mais avec un an et demi de retard, Jean V quitta Constantinople vers le mois d’avril 1369 et aborda à Castellamare le 7 août . Urbain V venait d’abandonner Avignon et se dirigeait vers Rome où il voulait rétablir le Siège apostolique . Dans le courant du mois d’août il reçut à Viterbe le patriarche latin Paul de Smyrne et Démétrius Cydonès, envoyés par Jean V pour lui annoncer son arrivée  Le 13 octobre le pape faisait son entrée à Rome où il trouvait le basileus qui l’attendait . Le 18 octobre Jean V faisait dresser et signait par-devant notaire la profession de foi dont Urbain V lui avait envoyé le modèle en 1366 et la remettait aux quatre cardinaux désignés par le pape . Le dimanche 21 octobre Urbain V recevait solennellement l’abjuration de Jean V sur les marches de Saint-Pierre .

Cette abjuration fut totale. Elle porta sur toutes les questions qui divisaient les deux Églises, dogmes, rites, disciplines. Jean V alla jusqu’à renier les usages liturgiques de la religion nationale de ses sujets. Il devint un pur Latin . Mais l’acte du basileus était strictement personnel et n’engageait en rien l’Église grecque . Surtout il n’eut aucune portée pratique et ne provoqua pas la croisade qui, d’après les promesses du pape, devait en être la conséquence.

Sans doute Jean V fit les plus grands efforts pour intéresser l’Occident à la cause de Constantinople. Urbain V invitait tous les fidèles à aider « le nouveau Constantin »  et autorisait le basileus à enrôler plusieurs bandes de routiers qui guerroyaient en Italie , mais le roi de Hongrie continuait à se désintéresser du sort de Byzance sans que le pape fît rien pour le décider à intervenir. Restait Venise, dont la politique vis-à-vis des Grecs s’était complètement modifiée depuis que Constantinople était menacée de tomber aux mains des Turcs : abandonnant tout projet de restauration de l’Empire latin, les Vénitiens étaient les partisans les plus actifs d’une croisade destinée à sauver la Romania byzantine .

Ce fut donc à Venise que s’adressa Jean V ; mais avant toute conclusion d’une alliance, il fallait d’abord aplanir les difficultés qu’il avait avec la République : renouvellement des trêves, modalités à établir pour le paiement des dettes de l’empereur qui s’élevaient à 35 000 ducats. Tel fut l’objet du traité signé par Jean V à Rome avec les ambassadeurs de Venise et qui n’était dans sa pensée que l’amorce d’une alliance qu’il irait conclure en personne avant son retour à Constantinople (1er février 1370) .

Arrivé à Venise dans l’hiver de 1369-1370, il devait y séjourner jusqu’au printemps de 1371. Pour décider les Vénitiens à traiter, il offrait de leur céder l’île de Ténédos, position de premier ordre à l’entrée des Dardanelles, que Venise convoitait depuis qu’en 1352 Jean V la lui avait cédée en principe . En échange il exigeait la restitution des joyaux de la couronne impériale mis en gage, la fourniture de navires de transport et une avance de 25 000 ducats. Venise accepta ces conditions et fit même de nouvelles avances à Jean V avant son départ sur la flottille fournie par la République en avril 1371 . L’annonce d’une nouvelle offensive de Mourad avait décidé le Sénat à en passer par là .

D’après une légende qui ne se trouve que dans des chroniqueurs du xve siècle, Phrantzès, Doukas, Chalcokondyle, l’empereur, ne pouvant acquitter ses dépenses courantes aux termes convenus, aurait été enfermé dans la prison pour dettes. Son fils aîné Andronic, resté à Constantinople, aurait refusé de le secourir et ce serait son frère cadet, Manuel, qui aurait trouvé la somme nécessaire à sa mise en liberté . Cette anecdote ridicule a été recueillie par la plupart des historiens ; elle est en contradiction avec tout ce que les documents contemporains nous apprennent des rapports entre le Sénat vénitien et le basileus . La vérité est que Manuel se trouvait à Venise avec son père , qui dut l’y laisser comme garant de ses dépenses, « augmentées par la cupidité des marchands », et le récompensa en lui donnant en apanage Thessalonique et la Macédoine, par un chrysobulle dont les termes ont pu donner naissance à cette légende.

L’échec de la croisade orthodoxe. — A la croisade occidentale le patriarche Philothée voulut opposer une croisade de toutes les puissances orthodoxes. Pendant le séjour de Jean V en Italie il ne cessa de contrecarrer la politique impériale en empêchant le clergé de se rallier à l’Union. Par ses interventions, dans les patriarcats orientaux, en Russie, où il exhorta tous les princes à reconnaître le pouvoir du grand prince de Moscou, en Serbie, où il obtint du despote Uglieša la réunion de l’Église serbe au patriarcat œcuménique, en Valachie enfin, où il combattit les tendances romaines, il chercha à réunir dans un même faisceau tous les États orthodoxes afin de les opposer à la fois à la conquête turque et à l’ingérence du Saint-Siège .

Cependant les circonstances étaient défavorables et, loin de s’unir aux États orthodoxes, les princes bulgares successeurs de Jean-Alexandre continuaient à se quereller et à attirer ainsi les Turcs dans leurs États. Vers 1369 Mourad occupait Sozopolis, forteresse qui commandait l’entrée du port de Bourgas et forçait Šišman à se déclarer son vassal et à envoyer sa sœur dans son harem, puis avec des troupes ottomanes Šišman chassa les Hongrois de Vidin  et permit ainsi aux Osmanlis de faire leur première apparition sur le Danube (1370).

Ce fut seulement alors que les Serbes s’alarmèrent des progrès turcs. Deux frères d’origine dalmate, Jean Ugliešia et Vukasin, anciens dignitaires de la cour de Douschan, devenus indépendants après sa mort, dans la province située entre Serres et le Danube, qu’ils avaient été chargés d’administrer , réunirent une armée composée de Serbes, de Hongrois, de Valaques et envahirent le territoire turc. Surpris au moment où ils traversaient la Maritza, ils furent complètement écrasés le 26 septembre 1371 par une force ottomane inférieure en nombre et périrent dans le combat . Les Grecs n’avaient pas songé à soutenir les Serbes et profitèrent même de leur défaite : ils réoccupèrent Serrès qui fut administrée par le despote Manuel Paléologue (novembre 1371) . Peu après Šišman, cherchant à s’opposer à la marche des Turcs vers Sofia, s’allia aux Serbes et subit à Samakov dans la vallée de l’Isker une défaite totale, qui l’obligea à s’enfuir avec son allié dans les massifs les plus élevés du Rhodope . La route de Sofia était ouverte, mais avec un sens stratégique remarquable, Mourad ne voulut pas s’y engager avant d’avoir soumis les vallées du Strymon et du Vardar.

La conséquence de cette défaite fut désastreuse pour la Bulgarie, qui cessa d’exister comme État indépendant, et pour la Serbie, dont Mourad acheva la conquête en quelques mois (1372). Successivement toutes les villes de la Macédoine serbe, Kavalla, Drama, etc., furent occupées et colonisées ; leurs églises furent changées en mosquées et des timariots (fiefs militaires) furent établis dans la Macédoine orientale. Les Turcs s’élancèrent ensuite dans la vallée du Vardar, soumirent la Vieille Serbie, une partie de l’Albanie et de la Bosnie jusqu’aux montagnes d’où ils aperçurent l’Adriatique. Mourad laissa comme vassaux les dynastes serbes qui s’étaient partagé l’empire de Douschan. Le fils de Vukašin, Marko Kralievič, le héros des légendes serbes, conserva le titre de Kral, mais dut amener ses contingents pour combattre aux côtés des troupes ottomanes .

Ainsi s’étaient évanouis les espoirs chimériques du patriarche Philothée : loin de s’unir, les puissances orthodoxes s’étaient fait battre séparément.

Faillite de la croisade occidentale. — Ces événements rendaient encore plus précaire la situation de Constantinople, mais Jean V n’avait pas perdu l’espoir de provoquer le départ d’une croisade. Le successeur du pape Urbain V, Grégoire XI , à la nouvelle de la bataille de la Maritza, chercha à déterminer le roi de Hongrie et la république de Venise à intervenir (mai 1372) et convoqua à Thèbes, occupée par les Catalans, un congrès de tous les États chrétiens d’Orient. Or ce congrès, qui devait se tenir en octobre 1373, ne se réunit jamais . De son côté Jean V envoyait en Occident un des meilleurs auxiliaires de l’Union, Jean Lascaris Kalopheros , qui se présentait successivement à Avignon et à Paris, à la cour de Charles V, en Hongrie, à Louis d’Anjou . Il ne rapporta que de vagues promesses. Le pape faisait du moins des efforts pour constituer une nouvelle escadre internationale, mais envoyait des nonces à Constantinople (octobre 1374), pour déclarer à Jean V que son action serait facilitée si l’Église grecque se réunissait à Rome. Il était déjà trop tard : lorsque les nonces pontificaux lui parvinrent, Jean V, abandonné de tous, avait traité avec Mourad et sa cour venait d’être le théâtre d’une tragédie domestique . Ce fut en vain que dans les années suivantes (1375-1376) le pape fit prêcher la croisade dans toute l’Europe en vue de sauver Constantinople . L’indifférence et les divisions des États chrétiens furent les meilleurs auxiliaires des Turcs.

Jean V, vassal du sultan. — D’après le traité qu’il avait conclu avec Mourad avant juillet 1374 , Jean V devenait le vassal du sultan et il informait le pape de sa décision par une ambassade qui arrivait à Avignon en décembre 1374 . Au même moment Jean V écartait de sa succession son fils aîné Andronic et associait son cadet, Manuel, à l’Empire . Qu’il y ait eu un rapport entre les deux événements, que Manuel ait été préféré par Mourad à Andronic, c’est ce qui n’est pas invraisemblable , mais on doit constater que de toute manière Manuel était le fils favori de Jean V.

La réaction ne se fit pas attendre. Andronic se vengea, semble-t-il, doublement en entraînant dans la conjuration qu’il forma pour détrôner son père le propre fils de Mourad, Saoudj. Le complot découvert, le sultan fit aveugler son fils et ordonna à Jean V de punir le sien de la même peine. Grâce à la manière dont l’opération fut faite, Andronic ne perdit qu’un œil et son fils, Jean, encore enfant, condamné au même supplice, aveuglé incomplètement .

Andronic et sa famille furent tenus en prison à Lemnos jusqu’en 1376, mais une nouvelle querelle entre Gênes et Venise vint renverser la situation. Sous la menace d’une escadre vénitienne, Jean V avait dû tenir sa promesse et céder Ténédos à la République. Les Génois, irrités, aidèrent Andronic à s’évader de sa prison avec l’aide de Mourad. Le 12 août 1376 Andronic entrait à Constantinople, emprisonnait Jean V et l’impératrice , cédait Ténédos à Gènes, faisait arrêter tous les Vénitiens de Constantinople et restituait Gallipoli aux Turcs . Les Vénitiens n’en occupèrent pas moins Ténédos et une expédition des Génois et d’Andronic IV ne put les en déloger .

Le règne désastreux d’Andronic dura près de trois ans (1376-1379). Jean V et Manuel, délivrés de leur prison par les Vénitiens, rentrèrent à Constantinople le 1er juillet 1379. Andronic se retira à Galata, puis, abandonné de ses partisans, alla se jeter aux pieds de son père, qui lui pardonna et lui attribua en apanage Selymbria, où il mourut en 1385 .

L’hégémonie ottomane dans les Balkans. — Avec une véritable rouerie Mourad avait attisé les discordes de la famille impériale en favorisant tour à tour chacun des adversaires. Il était désormais tout-puissant et la situation de Constantinople paraissait désespérée. « Tous ceux qui sont hors des murs de la ville sont asservis aux Turcs, écrivait Démétrius Cydonès à Kalopheros vers 1378, et ceux qui sont à l’intérieur succombent sous le poids des misères et des révoltes . » Les chrétiens découragés ne songent plus à la croisade et les républiques italiennes, en dépit des menaces du pape, concluent des traités avec le sultan .

Cependant les ambitions de Mourad ne sont pas satisfaites. Jean V possède toujours une partie de la Macédoine, dont la capitale, Thessalonique, gouvernée par son fils Manuel, associé à la couronne, et la ville importante de Serrès. Malgré le traité qu’il a conclu avec lui, Mourad est décidé à les lui enlever et fait occuper Serrès par Khaireddin (19 septembre 1383) , mais Manuel Paléologue, qui songe à chasser les Turcs de Macédoine, s’associe à un complot des nobles de Serrès pour massacrer la garnison ottomane de la ville. Mis au courant, Mourad fit assiéger Thessalonique, mais la ville, restée libre du côté de la mer, se défendit pendant quatre ans (1383-1387) . La perte de la seconde ville de l’Empire fut la cause d’une nouvelle discorde entre les Paléologues. Jean V rendit Manuel responsable de ce désastre, lui enleva tous ses honneurs et l’exila dans l’île de Lemnos . La réconciliation eut lieu à la fin de 1388, vraisemblablement par l’intervention de Mourad, dont Manuel avait sollicité le pardon et qui continuait son jeu de bascule entre les Paléologues .

Pendant ce temps les Osmanlis continuaient la conquête de la partie occidentale de la péninsule balkanique, d’abord du bassin du Vardar, Ištip, Monastir, Prilep (1380), puis d’Ochrida, par Khaireddin qui fut sollicité par Charles Thopia, seigneur de Durazzo, de l’aider contre un chef albanais (1385) . Les Ottomans saisirent cette occasion de pénétrer chez les Skipétars, divisés en clans guerriers dont les chefs puissants, les Thopia dans l’Albanie du nord, les Ducagin dont le territoire touchait à l’Adriatique et qui étaient les clients de Venise, les Balcha qui depuis la mort de Douschan refoulaient vers le nord les voiévodes serbes, quittaient l’Église orthodoxe, pour se soumettre à Rome, et attaquaient la Bosnie avec succès (1379) . Ce fut contre les Balcha que Khaireddin se dirigea à l’appel de Charles Thopia. Les autres chefs albanais, indignés de cette trahison, avaient fait cause commune avec les Balcha, mais les forces albanaises ne purent tenir contre les Ottomans, qui remportèrent une victoire décisive à Sawra près d’El-Bassan (1385) et s’emparèrent l’année suivante de Croïa et de Scutari. Ce fut à partir de ce moment qu’un grand nombre d’Albanais convertis à l’islam formèrent un élément important de l’armée ottomane .

Au même moment Mourad cherchait à s’emparer des passages qui permettent d’atteindre le Danube. Avec un sens stratégique remarquable il occupa les deux principaux nœuds des routes de la péninsule, qui donnent accès à volonté à l’Adriatique, à la mer Égée ou au Danube, le bassin et la ville de Sofia conquis sur les Bulgares (1386), et la ville de Nisch enlevée aux Serbes l’année suivante .

L’État ottoman semblait au faîte de sa puissance et ne rencontrait plus de résistance chez les chrétiens : avec des méthodes simples et primitives il arrivait à régir un ensemble complexe de nations . Cependant le prince Lazare, successeur sur le trône serbe du fils de Douschan, qui avait dû accepter la suzeraineté ottomane, supportait impatiemment le joug turc et préparait un soulèvement avec l’appui du roi de Bosnie, Turkto . Mourad ayant envoyé une expédition contre la Bosnie (1388), une forte armée de Serbes et de Bosniaques barra la route aux envahisseurs à Plochnik dans la vallée de la Toplitsa. La plus grande partie de l’armée ottomane fut massacrée et, à la suite d’autres victoires remportées par les alliés à Rudnik et à Bileče (27 août) , il y eut une révolte générale dans la péninsule. L’Albanais Georges Castriota , tous les dynastes serbes, les princes bulgares Šišman et Ivanko, dénonçant leurs traités avec Mourad, ainsi que le prince de Valachie, se serrèrent autour de Lazare .

Mourad différa sa vengeance et chercha d’abord à dissocier les alliés. Une expédition d’Ali-pacha contre la Bulgarie vint à bout de Šišman, qui fut trop heureux d’avoir la vie sauve et de conserver une partie de son territoire . Ce fut seulement au printemps de 1389 que Mourad en personne envahit la Serbie moravienne, accompagné de plusieurs vassaux serbes. De Kruševac l’armée de Lazare, dans laquelle se trouvaient les troupes de sept nations chrétiennes, atteignit l’armée ottomane dans la plaine de Kossovo (Champ des Merles). La lutte fut longue et acharnée ; l’aile gauche des Turcs fut d’abord rompue par une charge de la chevalerie alliée, mais Bajazet, fils de Mourad, rallia son armée. Un noble Serbe, Milos Obilič, parvint jusqu’à la tente du sultan et le poignarda. La bataille était indécise, quand la défection de Vuk Brankovič, gendre de Lazare, qui abandonna le champ de bataille avec 32 000 hommes, assura la victoire des Turcs (15 juin 1389) . C’en était fait de l’indépendance serbe, mais, de plus, la seule force qui pût encore s’opposer à la conquête ottomane de la péninsule des Balkans était anéantie. Le sort de Byzance semblait fixé.

 

 

LIVRE TROISIÉME. AGONIE ET MORT DE BYZANCE

CHAPITRE II. — La lutte suprême (1389-1453) 

1. L’héritage de Byzance (1389-1402)  2. La crise ottomane et le relèvement byzantin (1402-1421)  3. La renaissance de l’Empire ottoman et la dernière résistance (1421-1448)  4. La mort de Byzance (1448-1453)