|  | BIZANTIUM |  | 
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             Louis Brehier. Le monde byzantin :Vie et mort de ByzanceLIVRE TROISIÈME. Agonie et mort de ByzanceChapitre premierLa dernière renaissance et son échec  (1204-1389)
            
             Après la prise de Constantinople, l’Empire
            byzantin semblait à jamais détruit. Sur ses ruines s’élevait la puissance des
            Francs qui s’étaient partagé son territoire et en commençaient la colonisation,
            que de nouveaux apports de l’Occident pouvaient rendre définitive. Bien placé
            pour diriger la croisade et lutter contre l’islam, le nouvel État semblait
            devoir résoudre la question d’Orient au profit des Occidentaux et celle de
            l’union des Églises à la satisfaction du Saint-Siège. Des possibilités infinies
            s’ouvraient pour les vainqueurs et Innocent III lui-même, dont la volonté
            n’avait pas été respectée, voyait dans la chute de Constantinople un dessein de
            la Providence qui dépassait les prévisions humaines, et s’associait à
            l’enthousiasme général.
             Mais la tradition impériale de Byzance
            était si puissante que l’État byzantin ne périt pas et se reforma en Asie
            Mineure, où pendant un demi-siècle des souverains de premier ordre
            travaillèrent à le reconstituer. Véritables rassembleurs des terres
            helléniques, les empereurs de Nicée parvinrent, grâce à une politique
            audacieuse et habile, à diviser leurs ennemis et à restaurer la puissance de
            l’Empire, incomplètement sans doute, mais de manière à lui assurer encore plus
            de trois siècles d’existence et à sauver de l’anéantissement la nationalité
            hellénique. Leur tâche fut d’ailleurs facilitée par la décadence rapide de
            l’Empire latin, qui s’avéra vite incapable de remplir la mission que tous
            avaient rêvée pour lui au lendemain de la victoire .
             1.  L’Empire à Nicée et le rassemblement des terres helléniques  (1204-1261)
            
             Après la fuite de Murzuphle le 13 avril
            1204, un gendre d’Alexis III, Théodore Lascaris, qui avait déjà le titre de
            despote , fut élu basileus à
            Sainte-Sophie mais, s’enfuyant de Constantinople à l’approche des Francs, il
            s’établit d’abord à Brousse, puis à Nicée avec l’appui du sultan
            d’Iconium . Excellent chef de
            guerre, il avait donné des preuves de ses capacités dans l’expédition contre
            Ivanko en 1200 et pendant les deux sièges de Constantinople. Nicée devint ainsi
            un centre de ralliement pour tous les dignitaires civils et ecclésiastiques qui
            avaient fui Constantinople : bâtie au débouché de routes importantes, à
            l’extrémité d’un grand lac, protégée par des défenses naturelles et des
            fortifications puissantes, en façade sur la mer et sur la plaine fertile de
            Bithynie, riche des souvenirs des deux conciles œcuméniques, aucune cité ne
            pouvait être mieux choisie pour abriter ce qui restait encore de l’État
            byzantin . Théodore Lascaris
            parvint à s’y maintenir malgré deux tentatives des Francs pour l’en déloger
            (fin 1204, fin 1206) . En 1208 un nouveau
            patriarche, élu, après l’abdication volontaire de son prédécesseur, par tous
            les évêques que Lascaris avait pu rassembler, le couronna basileus dans la
            cathédrale de Nicée et, dans un manifeste adressé à tous les Grecs, il se posa
            en continuateur de la tradition impériale .
             Cependant le pouvoir de Théodore conservait
            un caractère précaire. Il n’avait pu vivre que grâce à la faiblesse de l’Empire
            latin, mais, de plus, son autorité était loin de s’imposer aux Grecs. Les
            immenses territoires encore unifiés à la mort de Manuel sous la domination byzantine,
            étaient partagés en une multitude de pouvoirs autonomes, royaumes,
            principautés, fiefs, villes libres formant un enchevêtrement inextricable
            d’États, les uns conquis par les Francs, les autres obéissant à des Grecs qui
            s’étaient déclarés indépendants. Réduire à l’unité des éléments si disparates
            était une tâche impossible.
             L’Empire démembré. — Le
            démembrement de l’Empire, que nous avons vu déjà très avancé sous Alexis III,
            fut achevé après la conquête de Constantinople, mais les Francs furent bien
            incapables d’appliquer à la lettre le traité de partage qu’ils avaient conclu
            avec Venise en mars 1204, soit par suite de leurs désaccords , soit à cause des résistances
            qu’ils éprouvèrent de la part des Grecs et de la grande défaite que leur infligea
            le tsar bulgare Kaloïan, devant Andrinople (24 avril 1205) . Cette organisation de
            l’Empire latin eut le caractère d’un condominium entre les Francs, dont tous
            les possesseurs de fiefs devaient l’hommage à l’empereur, et la république de
            Venise dispensée de cet hommage.
             L’empereur eut son domaine, composé d’une
            partie de Constantinople , de la Thrace jusqu’à
            la Maritza, des îles voisines et des territoires de Bithynie disputés à
            Théodore Lascaris. Toutes ces terres étaient inféodées à des barons ou à des
            chevaliers suivant l’importance de leur troupe . Le principal
            feudataire était Boniface de Montferrat, mis en possession de Thessalonique (automne
            1204) où il se fit couronner roi . Son domaine comprenait
            en principe la Macédoine et la Grèce, mais il était à conquérir. A la suite de
            sa campagne victorieuse en Grèce (automne 1205), il donna en fief la Béotie et
            l’Attique au Bourguignon Otton de la Roche avec le titre de seigneur
            d’Athènes , distribua d’autres
            fiefs à ses compatriotes lombards  et investit Guillaume
            de Champlitte, parent du comte de Champagne, du Péloponnèse dont la conquête
            avait été commencée par Geoffroi de Villehardouin, neveu du maréchal de Champagne,
            avec l’aide d’un archonte byzantin, Jean Cantacuzène, maître de la Messénie . Il y avait longtemps
            que toutes ces régions n’obéissaient plus à Constantinople, mais étaient au
            pouvoir des nobles : le plus puissant d’entre eux, Léon Sgouros, faisait
            peser sa tyrannie sur le Péloponnèse et la Grèce et c’était à lui que s’était
            heurté Boniface de Montferrat dans sa campagne récente . En deux ans
            (1205-1207), Guillaume de Champlitte et Geoffroi de Villehardouin avec quelques
            centaines de chevaliers achevèrent presque entièrement la conquête du Péloponnèse,
            dont Geoffroi fut élu seigneur après le départ de Champlitte, rappelé en France
            pour recueillir l’héritage de son frère (1210) . La nouvelle conquête
            divisée en douze grands fiefs avait reçu une organisation régulière et devint
            comme une nouvelle France établie au milieu des populations helléniques .
             En face des possessions franques, dans
            lesquelles l’autorité était comme éparpillée entre un trop grand nombre de
            chefs pour agir efficacement, Venise était devenue la puissance prépondérante
            et tenait l’Empire latin dans sa dépendance. Maîtresse d’une partie de Constantinople,
            elle y avait installé un véritable vice-roi, le podestat, « despote et
            seigneur du quart et demi de l’Empire », étroitement placé sous l’autorité
            de la métropole , et de plus, avec la
            possession de Sainte-Sophie, elle s’était arrogé le monopole de l’élection au
            patriarcat en dépit de la résistance d’Innocent III, qui, tout en refusant de
            ratifier cet abus, confirma de fait l’élection des deux premiers patriarches
            vénitiens .
             Mais surtout les territoires que Venise
            s’était réservés dans le partage de l’Empire ou qu’elle avait acquis dans la
            suite, l’occupation d’une série d’îles, de ports, d’escales, qui formaient une
            chaîne ininterrompue de l’Adriatique à Constantinople, avaient fait d’elle la
            plus grande puissance maritime et commerciale de l’Orient et elle avait délogé
            ses rivaux, les Génois, de toutes les possessions qu’ils occupaient sous les
            empereurs byzantins . Maîtresse de la
            Dalmatie, elle avait obtenu pour sa part les îles Ioniennes, l’Épire qu’elle ne
            put occuper, la Morée dont Geoffroi de Villehardouin lui fit hommage et où elle
            occupa les ports de Coron et de Modon, les Cyclades, Gallipoli, Rodosto,
            Arcadiopolis, Héraclée, toutes les positions importantes permettant de
            contrôler la navigation . En outre Boniface de
            Montferrat lui céda la Crète, dont Alexis IV l’avait investi à Corfou, en
            échange de son appui pour obtenir Thessalonique , et la possession de
            cette grande île, qui ne fut d’ailleurs complète qu’après de longues luttes
            avec les Génois qui s’y étaient établis, achevait d’assurer à Venise la
            maîtrise de la Méditerranée orientale . Une autre acquisition
            importante fut celle de la suzeraineté de Nègrepont (Eubée), dont l’un des
            trois feudataires lombards (terciers) que le marquis de Montferrat y avait
            installés fit hommage de ses domaines à la république .
             Ne pouvant, sauf la Crète, coloniser tous
            ces territoires directement, Venise prit le parti de concéder les îles en fiefs
            à ses patriciens. Ce fut ainsi que Céphalonie et Zante, qui appartenaient au
            royaume de Sicile, tombèrent entre les mains d’un Orsini qui en fit hommage à
            la république en 1209 , qu’un Marco Dandolo,
            cousin du doge Henri, fit la conquête de Gallipoli . Mais l’établissement
            le plus remarquable fut celui de l’Archipel, conquis en 1207 par Marco Sanudo,
            neveu par sa mère d’Henri Dandolo : après s’être emparé de Naxos, repaire
            des pirates génois (1205-1207), dont il fit sa capitale, il donna en fiefs les
            autres Cyclades aux aventuriers qui l’avaient aidé dans sa conquête .
             La dispersion des forces helléniques. — Enfin, non
            seulement l’Empire avait été démembré par les vainqueurs de Constantinople,
            mais les régions helléniques qui échappèrent à la conquête se constituèrent en
            principautés autonomes éloignées les unes des autres et ne se soucièrent
            nullement de reconnaître l’autorité de l’empereur de Nicée.
             Un bâtard du sébastocrator Jean l’Ange,
            oncle d’Isaac II et d’Alexis III, Michel l’Ange, qui s’était attaché à la
            fortune du marquis de Montferrat, s’échappa pendant la marche de Boniface sur
            Thessalonique, gagna Durazzo, épousa la fille du gouverneur, enrôla une troupe
            de Skipétars (Albanais), de Vlaques et de Bulgares, transforma ces rudes
            montagnards à moitié brigands en soldats réguliers (armatoles, estradiots), parvint
            à empêcher les Vénitiens de s’établir en Épire, qu’il occupa lui-même. Il y
            annexa 1’Acarnanie et 1’Étolie, ainsi qu’une partie de la Thessalie. Son État
            s’étendit de Durazzo au golfe de Lépante, mais il se contenta du titre de
            despote, et avant sa mort en 1214, il avait désigné comme successeur son frère
            utérin Théodore, fils légitime de Jean l’Ange, réfugié à Nicée . Entouré d’États latins
            et slaves, menacé par Venise, Michel avait eu une politique équivoque, portant
            son hommage suivant les circonstances à l’empereur latin Henri (1209) et lui
            faisant la guerre l’année suivante, pour se retourner du côté de Venise .
             Avant de quitter Nicée, Théodore avait
            prêté serment de fidélité à Lascaris  et, dès son arrivée en
            Épire, il attaqua les territoires francs  ; comme son frère,
            il fit d’Arta, sa capitale, le refuge des Grecs qui fuyaient la domination latine,
            mais il ne garda pas longtemps les promesses qu’il avait faites à Nicée et
            prétendit à son tour représenter la légitimité impériale.
             A l’extrémité opposée du monde byzantin,
            dans l’ancien thème de Chaldia, sur la côte du Pont, deux petits-fils du
            basileus Andronic Comnène, Alexis et David, sauvés du massacre de la famille du
            tyran, furent établis par leur tante maternelle, la reine de Géorgie Thamar,
            après la prise de Constantinople par les croisés, l’un Alexis à Trébizonde,
            l’autre David à Héraclée en Paphlagonie . Depuis longtemps cette
            région n’avait plus que des liens très faibles avec Constantinople. Trébizonde
            avait été occupée par les Turcs de 1074 à la fin de 1075 . Le stratège Théodore
            Gabras, qui les chassa du thème de Chaldia, gouverna Trébizonde « comme
            son bien propre »  en prince indépendant
            jusqu’en 1098 . A plus forte raison
            Alexis et David Comnène ne songèrent pas un instant à se soumettre à Théodore
            Lascaris, qui les attaqua (hiver de 1213-1214), s’empara d’Héraclée et
            d’Amastris et ne leur laissa sur la côte paphlagonienne que Sinope .
             Le nouvel État comprenait donc le massif
            montagneux du Pont, percé de vallées longitudinales parallèles, aux
            communications transversales difficiles , et la côte de la mer
            Noire, depuis Dioscurias, à la frontière des Abasges, jusqu’à l’embouchure de
            l’Halys . Trébizonde, vieille
            colonie grecque, dont les maisons s’étageaient sur une colline dominant la mer,
            avec son acropole puissamment fortifiée et ses ports dont l’aménagement datait
            de l’empereur Hadrien , était comme la
            sentinelle avancée de l’hellénisme en face des peuples caucasiques ; en
            même temps métropole religieuse, attachée au culte de son patron, saint Eugène,
            martyr sous Dioclétien, qui avait pris la même importance que saint Démétrius à
            Thessalonique  ; enfin la plus
            grande place commerciale de la côte asiatique de la mer Noire, au débouché des
            routes de caravanes d’Asie centrale et en communications régulières avec
            Kherson et les ports de Crimée . Il y avait donc là le
            cadre d’un puissant État, comme l’avait montré dans l’Antiquité le royaume de
            Mithridate et comme le comprirent les Comnènes, qui, se considérant comme les
            représentants de la dynastie légitime, prirent le titre pompeux de
            « basileus et autocrator des Romains Grand Comnène » . L’existence d’un État
            indépendant à Trébizonde, malgré les bons rapports qu’il eut dans la suite avec
            Constantinople, n’en fut pas moins le principal obstacle au rétablissement de
            l’unité byzantine.
             Constitution territoriale de l’État de
            Nicée.
              — Entouré d’ennemis, Lascaris se défendit avec énergie, en prenant même parfois
              l’offensive et agissant autant par la diplomatie que par les armes.
               Une alliance avec le tsar bulgare Kaloïan
            (février 1207)  lui permit de s’emparer
            de Cyzique, grâce aux navires du pirate calabrais Jean Stirion, et d’empêcher
            l’empereur Henri de Flandre d’aller défendre Andrinople contre les Bulgares.
            Bien que Lascaris eût été obligé d’évacuer ses conquêtes, Henri, désireux de
            séparer ses adversaires, les lui rétrocéda en lui accordant une trêve de deux
            ans (mai-juin 1207) .
             L’empereur latin prit sa revanche en 1210
            en poussant contre Nicée le sultan d’Iconium Kaï-Khosrou , exhorté d’autre part à
            attaquer Théodore par le basileus détrôné, Alexis III, qui, après avoir couru
            mainte aventure, s’était réfugié à Iconium  et croyait pouvoir avec
            cet appui se substituer à son gendre. A la suite d’un combat sanglant devant Antioche
            du Méandre, le sultan fut tué au cours d’un duel avec Lascaris et son armée se
            débanda. Alexis III, capturé, alla finir ses jours dans un monastère de Nicée
            et les fils de Kaï-Khosrou, qui se disputaient sa succession, signèrent une
            trêve avec Lascaris . Celui-ci annonça cette
            victoire à toutes les provinces de l’Empire en exprimant l’espoir qu’on serait
            débarrassé bientôt « de ces chiens de Latins » . En outre il profita
            des troubles du sultanat d’Iconium pour élargir ses frontières aux dépens des
            Turcs en Carie, en Cappadoce, jusqu’à la Galatie et à la mer Noire .
             Délivré des Turcs, l’empereur de Nicée
            attaqua l’Empire latin en renouvelant son alliance avec les Vlacho-Bulgares,
            mais l’empereur Henri, avec des troupes inférieures en nombre, lui infligea une
            défaite décisive à Lopadion en Mysie (15 octobre 1211) . Les Francs envahirent
            son territoire jusqu’à Pergame, mais, faute de troupes suffisantes, Henri
            accorda la paix à son adversaire. D’après le traité de janvier 1212, l’Empire
            latin conservait le nord-ouest de la Bithynie, avec le port d’Adramyttion au
            sud, et reconnaissait à Lascaris la possession de Nicée, Brousse et la région
            entre Adramyttion et Smyrne .
             L’empereur Henri, mort le 11 juin 1216, eut
            pour successeur son beau-frère Pierre de Courtenai, comte d’Auxerre, qui, sacré
            à Rome par Honorius III, ne put même pas arriver jusqu’à Constantinople, mais
            fut fait prisonnier par les troupes du despote d’Épire Théodore, après avoir
            assiégé inutilement Durazzo, et mourut peu après sa sortie de prison
            (1217) . Avec une véritable
            souplesse Théodore Lascaris essaya de profiter de ce désarroi de l’Empire latin
            pour préparer sa rentrée pacifique à Constantinople et après des négociations
            avec Yolande, veuve de Pierre de Courtenai, il épousa en troisième noces une de
            ses filles .
             Il s’était d’ailleurs ménagé des chances de
            rapprochement avec les Occidentaux en faisant dès 1207 des avances à Innocent
            III et en se plaignant de l’hostilité des Latins. La réponse du pape ne fut
            guère encourageante , mais les rapports
            entre Rome et Nicée ne furent pas interrompus et en 1213-14 Théodore avait envoyé
            à Constantinople Nicolas Mesarites, métropolite d’Éphèse, discuter de l’union
            religieuse avec le légat d’Innocent III, le cardinal Pélage, sans d’ailleurs
            obtenir le moindre résultat . Une autre occasion
            s’offrit bientôt à Théodore de s’insinuer dans les affaires de l’Empire latin.
            La régente Yolande étant morte en 1220, Constantinople se trouva un moment sans
            empereur et sans patriarche . Théodore fit valoir
            les droits de sa femme en exigeant pour elle une part de l’héritage de Pierre
            de Courtenai et appuya sa revendication d’une menace d’attaque au moment où un
            frère de Pierre, Robert de Courtenai, élu empereur, arrivait à Constantinople.
            Menacé à la fois par le despote d’Épire et l’empereur de Nicée, Robert préféra
            traiter avec son beau-frère et signa avec lui un pacte d’amitié : des
            échanges de prisonniers eurent lieu, une fille de Théodore fut fiancée au
            nouvel empereur latin  et de nouvelles
            discussions sur l’union religieuse furent engagées .
             Théodore Lascaris allait envoyer sa fille à
            Constantinople quand il mourut au début de 1222 . Il avait transformé le
            précaire établissement de Nicée en un État viable, il s’était fait reconnaître
            comme le successeur légitime des empereurs byzantins, il avait fait de son État
            la principale puissance territoriale d’Asie Mineure et pris une hypothèque sur
            l’Empire latin.
             L’État byzantin en Europe. — Mort à l’âge
            de 45 ans, Théodore Lascaris ne laissait que des filles, dont l’une était
            mariée à Jean Vatatzès, d’une famille noble originaire de Didymotika et
            apparentée aux Doukas. Écartant du trône ses quatre frères, ce fut à son gendre
            que Théodore laissa l’Empire . Aucun choix ne pouvait
            être meilleur.
             Théodore avait reconstitué l’État byzantin
            en Asie Mineure : Jean Vatatzès étendit sa domination en Europe et
            commença à encercler Constantinople. De 1222 à 1254 il acheva de faire de
            l’État de Nicée une puissance politique et militaire, mais, son action s’étendant
            sur un théâtre plus vaste, il eut à lutter contre des difficultés nouvelles.
             Il se heurta d’abord à la rivalité du
            despote d’Épire Théodore qui, après avoir traité avec Venise, attaqua le
            royaume de Thessalonique, tombé dans un état précaire depuis la mort de
            Boniface de Montferrat (1207) et le gouvernement de son jeune fils
            Démétrius . Celui-ci alla en vain
            en Italie demander secours à Honorius III, dont les objurgations n’arrêtèrent
            pas Théodore, qui s’empara de Thessalonique en 1223  et s’y fit couronner
            basileus par l’archevêque d’Ochrida, après s’être fait proclamer à Arta, par
            les évêques du despotat, « sauveur après Dieu et libérateur des Grecs du
            joug latin et bulgare », malgré les protestations de Jean Vatatzès et des
            évêques de l’État de Nicée .
             Cette scission du monde byzantin était une bonne fortune pour l’Empire latin. Robert de Courtenai chercha d’abord à arrêter les progrès du despotat d’Épire, mais ses troupes furent battues devant Serrès, dont Théodore s’empara (1224) . Une offensive de Robert contre Nicée n’eut pas de meilleurs résultats. Jean Vatatzès arrêta l’invasion franque par sa victoire de Poimanon : parmi ses prisonniers se trouvaient deux frères de Lascaris, réfugiés à Constantinople, qui eurent les yeux crevés. Jean Vatatzès profita de sa victoire pour s’emparer de la péninsule de Troade et, avec la flotte qu’il avait construite, des îles de la côte d’Asie : Chio, Samos et Lesbos . Enfin pour la première fois il fit débarquer en Europe un corps de troupes destiné à couper la route de Constantinople à Théodore d’Épire. Les habitants d’Andrinople chassèrent la garnison franque et accueillirent les soldats de Nicée, mais Théodore d’Épire, déjà maître de la Thrace, réussit par ses intrigues à se faire ouvrir les portes de la ville, et l’armée de Vatatzès battit en retraite. L’attaque de Constantinople par les
            Épirotes semblait prochaine : les coureurs de Théodore arrivaient
            jusqu’aux portes de la ville. Pris entre deux ennemis, l’empereur Robert fit la
            paix avec Vatatzès en lui abandonnant ses conquêtes (1225) . Mais ce fut une
            diversion bulgare qui sauva momentanément Constantinople. Théodore d’Épire
            avait conclu une alliance avec le tsar Jean Asên II, puis, avec sa mauvaise foi
            ordinaire, avait envahi des territoires bulgares. Jean Asên attaqua les
            Épirotes entre Andrinople et Philippopoli et leur infligea une déroute
            complète. Après cette victoire de Klokonitza (1230), où Théodore d’Épire était
            fait prisonnier, le tsar bulgare s’empara d’Andrinople, de presque toute la Macédoine
            et de l’Albanie jusqu’à Durazzo. Théodore était réduit à l’Épire, à Thessalonique
            et à la Thessalie .
             Jean Asên avait travaillé encore plus pour
            Nicée que pour Constantinople dont l’empereur Robert, parti pour l’Occident en
            1228 afin de susciter le départ d’une croisade, était mort à son retour,
            laissant le trône à son jeune frère Baudouin II, âgé de 11 ans . Par le traité de Rieti
            (avril 1229) l’ex-roi de Jérusalem Jean de Bryenne, qui passait pour l’un des
            plus braves chevaliers d’Occident, fut élu par les barons de Romania baile de l’Empire avec le titre
            d’empereur . Arrivé à
            Constantinople (1231), il était résolu à relever l’Empire latin, et Jean
            Vatatzès, redoutant une nouvelle croisade, s’était mis en rapport avec le pape
            Grégoire IX : des conférences en vue de l’union des Églises se tinrent à
            Nicée (1232-1234), mais sans aboutir à un résultat . Cependant, après avoir
            passé deux ans à recruter une armée, Jean de Bryenne débarqua à Lampsaque
            (1233). Vatatzès, avec des forces réduites, son armée étant en expédition
            contre Rhodes, ne put que harceler les Francs et leur couper les vivres, et
            après avoir pris un château près de Cyzique, Jean de Bryenne battit en retraite
            et se rembarqua : le grand effort qu’il avait fait n’avait servi qu’à
            montrer son impuissance .
             En revanche Jean Vatatzès développait
            chaque jour davantage son action politique et militaire. Par une législation
            excellente : encouragements à l’agriculture et à l’industrie indigène du
            tissage, création de fiefs militaires pour assurer la défense des frontières,
            relations commerciales avec les Turcs d’Iconium, il avait donné à son État une
            prospérité qui lui assurait des ressources régulières . Sa diplomatie était
            des plus actives et depuis 1229 il était en relations avec l’empereur Frédéric
            II, gendre de Jean de Bryenne, mais brouillé avec lui depuis qu’il l’avait
            forcé à lui céder la couronne de Jérusalem . Enfin Vatatzès avait
            créé une flotte de guerre qui croisait dans l’Archipel et qui, après avoir
            occupé Lesbos, Chio, Samos, Cos et Rhodes, osa attaquer la Crète vénitienne en
            1233, mais ne put conserver les territoires conquis . Il n’est donc pas
            étonnant qu’après la retraite de Jean de Bryenne l’empereur de Nicée ait
            cherché à organiser une contre-offensive pour reprendre Constantinople.
             Mais, ne trouvant pas ses forces
            suffisantes pour agir seul, Vatatzès fit alliance avec le tsar Jean Asên, qui
            conservait un ressentiment contre les barons de Romania : après lui avoir
            offert la tutelle de Baudoin II en 1228, on lui avait préféré Bryenne . L’alliance entre
            Vatatzès et Asên fut scellée par les fiançailles de la fille du tsar avec
            Théodore, fils du basileus . Le mariage fut célébré
            à Gallipoli, dont Vatatzès avait chassé la garnison vénitienne, puis les deux
            alliés, divisant leurs forces, s’emparèrent des places tenues par les Francs
            jusqu’à la Maritza, ravagèrent le nord de la Thrace et se retrouvèrent chargés
            de butin devant Constantinople . Les alliés attaquèrent
            en même temps les murs terrestres et maritimes, mais le vieux Jean de Bryenne
            avec de faibles forces dirigea lui-même la sortie et mit en déroute les
            assaillants, tandis qu’une escadre vénitienne détruisait la flotte de Vatatzès
            (été de 1235). L’opération, recommencée avec de nouveaux navires l’hiver
            suivant, ne réussit pas mieux, grâce aux renforts amenés par Geoffroi de
            Villehardouin, prince de Morée, et à la victoire navale du baile vénitien de
            Constantinople, qui coula à l’entrée du Bosphore dans la mer Noire la nouvelle
            flotte des alliés .
             Ce gros échec fut pour Jean Vatatzès le
            début d’une série de difficultés et d’épreuves qui, loin de le décourager, ne
            firent que tendre davantage ses efforts. Avant sa mort à l’âge de 89 ans (23
            mars 1237) , Jean de Bryenne avait
            envoyé Baudouin II en Occident chercher des secours ; Grégoire IX avait
            publié des bulles de croisade pour la Romanie  et tenté d’empêcher
            Vatatzès d’attaquer l’Empire latin  ; mais l’empereur
            de Nicée avait répondu à ces exhortations par une lettre dans laquelle il
            attaquait la primauté romaine et la légitimité des empereurs latins , puis il avait resserré
            son alliance avec Frédéric II en s’engageant à reconnaître sa suzeraineté, s’il
            recouvrait Constantinople . A ce moment l’empereur
            germanique, qui rêvait la domination de la chrétienté, était engagé en plein
            dans sa lutte contre le pape et contrariait autant qu’il le pouvait ses préparatifs
            de croisade . D’autre part Vatatzès
            se voyait abandonné par son allié, le tsar Jean Asên, qui, poussé par sa femme,
            nièce de Baudoin II, s’alliait avec l’Empire latin, demandait à Grégoire IX
            l’envoie d’un légat pour se réconcilier avec Rome, et assiégeait la garnison
            que Vatatzès avait laissée à Tzurulon (Tchorlou) afin d’avoir toujours un pied
            en Europe. Mais la réconciliation avec Rome n’eut pas lieu et la garnison de
            Tzurulon se défendit avec acharnement. Ayant appris la mort de sa femme, de son
            fils et de son patriarche, le tsar leva le siège de la ville et peu après se
            réconcilia avec Vatatzès, qui eut ainsi la chance d’échapper à une action
            combinée des Bulgares et des Francs (fin 1238) .
             Vatatzès n’eut à subir que l’offensive de
            Baudouin II, qui revint d’Occident à la tête d’une armée de croisés, à laquelle
            il joignit des auxiliaires Comans, poussés vers l’ouest par l’invasion
            mongole , mais la croisade se
            borna à la prise de Tzurulon et à la destruction de la flotte grecque par une
            escadre française (1240) , et vers le 24 juin
            1241 une trêve de 2 ans fut conclue entre les deux empereurs . La mort de Jean Asên
            (24 juin 1241), qui laissait pour successeur un enfant de 9 ans, eut pour
            résultat un affaiblissement de la Bulgarie , dont Vatatzès profita
            pour conduire lui-même par terre et par mer une expédition contre
            Thessalonique.
             Thessalonique appartenait toujours au
            despote d’Épire Théodore, fait prisonnier et aveuglé par Jean Asên en 1230,
            puis remis en liberté en 1238 : il avait confié le pouvoir à son fils
            Jean, qui continuait à porter le titre de basileus. Vatatzès attira Théodore à
            Nicée, le reçut fort bien, mais le mit sous bonne garde et l’emmena dans son
            expédition . Pour la première fois
            un empereur de Nicée, après avoir traversé l’Hellespont, suivit les côtes de
            Thrace avec son armée et sa flotte, mais il ne put prendre la ville, dont il
            avait organisé le blocus, rappelé par la nouvelle que les Mongols de
            Gengis-khan avaient envahi l’Asie Mineure et battu le sultan d’Iconium. Du
            moins avant son départ il détermina Théodore d’Épire à aller trouver son fils
            et à le faire renoncer au titre de basileus .
             L’attaque du sultanat de Roum par une armée
            mongole venue de Perse ne fut qu’un courant secondaire de l’immense invasion
            qui faillit submerger l’Europe et le Proche-Orient, après avoir soumis la Russie
            et l’Arménie, en poussant devant elle le peuple des Comans qui émigra en
            Hongrie et y apporta le trouble et la confusion (1237-1241) . Les Mongols écrasèrent
            l’armée turque près d’Erzindjian (26 juin 1243) . Le sultan Kaï-Khosrou
            II dut se reconnaître le vassal du grand Khan et la domination mongole atteignit
            la frontière de l’État de Nicée, mais les Mongols n’attaquèrent pas les
            Grecs : le principal résultat de leur invasion fut la décadence de l’État
            seldjoukide qui cessa d’être un danger pour Nicée et où les Mongols firent
            régner une véritable terreur . Moins heureux que
            Vatatzès, qui signa un traité d’alliance avec Kaï-Khosrou , l’empereur Trébizonde
            Manuel dut transporter aux Mongols la vassalité qu’il avait à l’égard du sultan
            d’Iconium et se rendre à Karakoroum pour assister, comme les autres vassaux, à
            l’assemblée générale (qouriltaï) qui élut le grand Khan Gouyouk en 1246 .
             Après avoir songé un moment à s’allier au
            sultan d’Iconium , Baudouin II était
            reparti chercher des secours en Occident et avait entrepris la tâche difficile
            de réconcilier Frédéric II avec le pape Innocent IV. Il avait assisté au
            concile de Lyon (juin-juillet 1245) et il ne devait revenir à Constantinople
            qu’en octobre 1248, après avoir échoué dans ses démarches . Pendant ce temps
            Vatatzès avait resserré son alliance avec Frédéric II en épousant l’une de ses
            bâtardes âgée de 12 ans, Constance, qu’il avait eue de Bianca Lancia . Les circonstances favorisaient
            l’empereur de Nicée et il comprit qu’il n’en trouverait jamais de plus favorables
            pour accomplir le dessein de toute sa vie, la reconstruction de l’Empire :
            l’heure des réalisations était arrivée et il passa les dix dernières années de
            son règne (1244-1254) à achever cette œuvre de restauration.
             Il trouva bientôt l’occasion d’agir. Le
            tsar bulgare Koloman étant mort en 1246, laissant le trône à son jeune frère encore
            mineur, Vatatzès occupa les places macédoniennes de Serres, Melnic, Skoplje, la
            Pélagonie jusqu’à Prilep et obtint de la régente Irène un traité qui lui
            confirmait ces acquisitions . Peu après (décembre
            1246) un complot des habitants lui livrait la capitale de la Macédoine, Thessalonique,
            dont il confirmait les privilèges, tandis que le despote Démétrios, qui avait
            succédé à son frère Jean, était interné en Asie . Puis, la trêve signée
            avec Constantinople étant expirée, Vatatzès profita de l’absence de Baudouin
            pour reprendre Tzurulon, véritable clef de la péninsule de Constantinople
            (1247) , Baudouin II, revenu
            d’Occident sans troupes et sans argent (octobre 1248), ne put que se résigner à
            la perte de cette importante position.
             Serrant de près Constantinople, Vatatzès en
            préparait l’attaque lorsqu’il dut envoyer une expédition pour reprendre l’île
            de Rhodes aux Génois qui l’avaient occupée (1249). Vers 1204 un magnat grec,
            Léon Gabalas, s’était installé dans l’île en se déclarant indépendant, mais en
            1233 Vatatzès l’avait obligé à reconnaître sa suzeraineté et son frère, Jean
            Gabalas, était resté fidèle à l’Empire grec . Malgré un renfort de
            chevaliers français que Guillaume de Villehardouin, revenant de Chypre où il
            avait vu saint Louis, amena aux Génois, ceux-ci durent capituler .
             La dernière campagne de Jean Vatatzès fut
            dirigée en 1252 contre les despotes d’Épire, le vieux Théodore l’Aveugle, resté
            en possession d’un apanage qui comprenait Vodéna et Ostrovo, et son neveu,
            Michel II, toujours maître de l’Épire, de la Thessalie, de l’Étolie et de
            quelques villes de la Macédoine occidentale . Bien qu’il eût signé
            un traité d’amitié avec Vatatzès et fiancé son fils à une fille du prince
            héritier de Nicée , Michel II, poussé par
            son oncle, attaqua les villes frontières de l’État de Vatatzès. Celui-ci
            concentra des troupes à Thessalonique, s’empara de Vodena, résidence du vieux
            Théodore, et attaqua en plein hiver Michel II, qui s’enfuit dans les montagnes,
            poursuivi par les cavaliers d’Alexis Stratégopoulos, mais fut trahi par le
            gouverneur de Castoria, qui le livra à Vatatzès . Par le traité signé à
            Larissa Michel dut céder à l’État de Nicée Prilep, Veles, Kroai en Albanie et
            toutes les villes occupées par l’armée de Vatatzès : le vieux despote Théodore
            fut emprisonné et le fils de Michel, livré en otage, fut de nouveau fiancé à la
            petite-fille de Vatatzès .
             La plus grande partie de la Macédoine avait été ainsi recouvrée ; Vatatzès mit les territoires conquis en état de défense et plaça à la tête des villes des gouverneurs d’élite . Il restait à reprendre l’attaque de Constantinople, mais il semble que Vatatzès ait trouvé ses seules forces insuffisantes pour une pareille entreprise et qu’il ait cherché à y rentrer par des voies pacifiques. Tel est le sens de ses négociations avec
            Innocent IV. Les premières ouvertures vinrent du pape qui chercha inutilement à
            rompre l’alliance avec Frédéric II, mais le trouva disposé à reprendre les
            conversations relatives à l’union . Des ambassades furent
            échangées, au grand mécontentement de Frédéric II qui tança son gendre , fit arrêter ses ambassadeurs
            et les emprisonna . Après la mort de
            Frédéric II (13 décembre 1250) , les pourparlers
            reprirent entre Rome et Nicée dans des conditions d’autant plus favorables que
            Vatatzès n’eut que des rapports hostiles avec l’héritier de l’empereur
            germanique  et que, pour recouvrer
            Constantinople, il avait décidé le patriarche et le clergé à faire au pape le
            maximum de concessions ; en échange de la remise de la ville impériale,
            l’autorité du pape serait reconnue, le clergé grec lui prêterait le serment
            d’obédience, sa juridiction d’appel serait admise. Telles sont quelques-unes
            des conditions que les archevêques de Sardes et de Cyzique portèrent au pape au
            début de 1254. Innocent IV accueillit favorablement cette ambassade et prit des
            mesures qui donnaient satisfaction à certains desiderata des Grecs, offrant de
            se porter arbitre entre Vatatzès et Baudouin II et d’aller tenir un concile à
            Constantinople . Le plus grand désir de
            conciliation se manifestait des deux côtés, mais Jean Vatatzès mourut le 3
            novembre 1254  et Innocent IV, le 7
            décembre suivant. Le nouveau pape, Alexandre IV, envoya bien une ambassade à
            Théodore II en 1256, mais l’entente ne put se faire et les négociations furent
            rompues .
             L’empereur de Nicée sur la défensive. — La mort de
            Jean Vatatzès retarda de sept ans la reprise de Constantinople. Son fils
            Théodore II Lascaris, qui prit le nom de son aïeul maternel, passa son règne
            très court (novembre 1254 - août 1258) à défendre les conquêtes paternelles,
            plus étendues que solides. Age de 32 ans à son avènement, il n’avait pris
            jusque-là aucune part à l’exercice du pouvoir, mais il était zélé, instruit,
            travailleur, bon chef de guerre, regardé par les érudits de son entourage,
            Georges Acropolites et Nicéphore Blemmydès, comme le souverain rêvé , mais il ne tarda pas à
            les décevoir par son caractère fantasque, violent et autoritaire . Hostile à la noblesse,
            il avait pour principal ministre un de ses compagnons d’enfance d’humble
            origine, Georges Muzalon, dont il fit son favori et qu’il créa grand-domestique
            en comblant de titres sa famille et ses amis et en destituant de vieux
            serviteurs pour attribuer leurs places au favori ou à son clan, ce qui exaspéra
            les nobles .
             Tranquille du côté du sultan de Roum, avec
            lequel il renouvela l’alliance conclue par Vatatzès , Théodore put laisser
            Georges Muzalon à Nicée et aller repousser la tentative du tsar bulgare Michel
            pour reprendre les villes qu’il avait dû céder à l’État de Nicée en 1246. Il
            fallut pour cela deux campagnes (1255-1256) dans lesquelles se manifesta
            l’indiscipline des chefs byzantins, qui aurait abouti à un désastre si le jeune
            basileus n’avait pas rétabli lui-même la situation : au printemps de 1256
            deux de ces chefs, qui avaient attaqué l’ennemi contrairement aux ordres reçus,
            ne purent supporter le choc des Comans enrôlés par Michel ; l’un s’enfuit,
            l’autre fut pris. A cette nouvelle, Théodore accourut à marches forcées à
            Bulgarophygon , mit l’ennemi en
            déroute et lui infligea un nouveau désastre au passage de la Maritza . Le tsar Michel demanda
            la paix par l’entremise de son beau-père, le prince russe de Galicie
            Rostislav : toutes les villes prises par les Bulgares furent restituées à
            Théodore qui obtint en plus la forteresse de Tzepaina, défendant l’accès de la
            Thrace . Peu après,
            l’assassinat successif de Michel et de son cousin Koloman II par des boyards
            mit fin à la dynastie des Asên : le Serbe Constantin Tach, petit-fils
            d’Étienne Nemanja, proclamé tsar, répudia sa femme et épousa une fille de
            Théodore II  (1257).
             La guerre d’Épire qui suivit la défaite
            bulgare fit moins d’honneur au basileus, qui la provoqua. En septembre 1256
            Théodora, femme du despote Michel II, lui ayant amené son fils afin d’accomplir
            son mariage avec la fille de Théodore II, suivant l’accord de 1250, le basileus
            la força avant la cérémonie à signer un traité qui lui abandonnait les villes
            de Durazzo et de Servia  Michel II, qui avait dû
            ratifier le traité, se vengea en soutenant la révolte du gouverneur d’El-Bassan
            en Albanie et en attaquant les garnisons des villes impériales. Théodore II,
            sujet à ce moment à des attaques d’épilepsie, se contenta d’envoyer en
            Macédoine Michel Paléologue, mais, comme il se défiait de lui, il lui donna une
            armée trop faible (1257). Paléologue ne put empêcher le despote d’occuper les
            places de Macédoine, de capturer le gouverneur de Prilep, Georges Acropolites
            et de l’emprisonner à Arta . Théodore, impuissant,
            voulut faire excommunier tous les Grecs d’Occident par le patriarche Arsène et
            ne renonça à cette malencontreuse solution que sur les remontrances de
            Nicéphore Blemmydès . Par contre la situation
            de Michel II fut renforcée par son alliance avec Manfred, maître des
            Deux-Siciles et d’une partie de l’Italie . Manfred épousa une
            fille du despote qui lui apporta probablement en dot les villes de Durazzo,
            Avlona, Belgrade . Ce retour de la
            puissance sicilienne dans la péninsule balkanique devait avoir les suites les
            plus néfastes pour l’Empire byzantin et mettre obstacle à sa restauration
            intégrale.
             Théodore II par ses fautes avait perdu une
            partie des conquêtes de Vatatzès : par les maladresses de son gouvernement
            intérieur il s’aliéna la noblesse sans avoir la force de la réduire à
            l’obéissance et compromit irrémédiablement l’avenir de l’enfant qui devait lui
            succéder. Une des familles les plus importantes de la noblesse était celle des
            Paléologues qui, depuis la fin du xie siècle, avait fourni à l’Empire de nombreux chefs de guerre et hommes d’État,
            souvent alliés à la dynastie régnante . Son chef, Andronic
            Paléologue, avait épousé une petite-fille d’Andronic Ier et avait
            reçu de Vatatzès la dignité de grand domestique et le gouvernement de
            Thessalonique ; son fils Michel était à la même époque gouverneur de
            Serrès et de Melnic . La situation
            importante de cette famille et sa parenté avec la dynastie déchue excitaient la
            jalousie et la méfiance. Sous Vatatzès, Michel Paléologue fut accusé d’aspirer
            à l’Empire et le tribunal voulait le soumettre à l’épreuve du fer rouge . Vatatzès se contenta
            d’un serment de fidélité , mais Théodore II, qui
            le reconnaissait comme l’un de ses meilleurs généraux et le nomma grand
            connétable et gouverneur de Bithynie, avait contre lui des préventions qui se
            manifestaient par une attitude hostile et des menaces fréquentes .
             Les choses en vinrent à un tel point qu’en
            1256 Paléologue, craignant pour ses jours, se réfugia auprès du sultan
            d’Iconium, alors aux prises avec les Mongols et qu’il aida à les repousser  ; mais les troupes
            du sultan ayant été battues dans une autre rencontre, le territoire du sultanat
            de Roum fut ravagé et Kaï-Khosrou fit appel au secours du basileus conformément
            à leur traité d’alliance, en lui cédant les places de Laodicée et de
            Chonae : Théodore, qui l’accueillit à Sardes, lui donna quelques
            troupes  ; puis, se voyant
            lui-même aux prises avec le despote d’Épire, avec des généraux incapables, il
            prit le parti de rappeler Michel Paléologue, lui envoya des lettres de sûreté,
            le rétablit dans ses fonctions et dignités  et, comme on l’a vu,
            lui confia le commandement de l’expédition d’Épire, mais avec des troupes insuffisantes.
             Il semble, d’après Pachymère, que la
            rancune du basileus contre les Paléologues ne tarda pas à se manifester de
            nouveau. Une nièce de Michel, accusée d’incantations magiques, aurait été mise
            à la torture et Michel lui-même arrêté, mais le silence d’Acropolites et de
            Grégoras sur ces faits rend ce témoignage suspect . Il n’en est pas moins
            certain que la conduite de Michel Paléologue après la mort du basileus montre
            la mésintelligence profonde qui régnait entre eux.
             Atteint d’une maladie grave due à une
            dégénérescence physique et dont il notait lui-même les progrès dans ses lettres
            avec un véritable stoïcisme, Théodore II Lascaris mourut au mois d’août 1258 à
            l’âge de 37 ans, laissant pour lui succéder un enfant de 8 ans .
             L’usurpation de Michel Paléologue et la
            reprise de Constantinople (1278-1261). — Avant sa mort,
              Théodore II avait décidé que, pendant la minorité de Jean IV, la régence serait
              exercée par Georges Muzalon et avait fait prêter serment à son favori par tous
              les dignitaires . Sentant son
              impopularité, Muzalon avait demandé au Sénat d’élire comme régent celui qui
              paraîtrait le plus digne, mais, sur les instances des nobles, avait conservé
              ses pouvoirs. Or, neuf jours plus tard, pendant qu’on célébrait à Magnésie les
              obsèques du basileus défunt, les mercenaires francs envahirent l’église et
              égorgèrent Georges Muzalon et ses frères . C’était là le résultat
              d’un complot, dont Acropolites désigne les auteurs comme des nobles disgraciés
              ou mutilés sous le règne précédent, mais la suite des faits permet de regarder
              comme son principal organisateur Michel Paléologue, qui, avec une véritable
              duplicité, avait engagé Muzalon à conserver le pouvoir et qui avait su
              s’assurer le concours des mercenaires francs, dont il était le chef .
               Cette journée sanglante fut en effet le
            point de départ de sa fortune. Dans une assemblée des grands tenue pour
            désigner un nouveau régent, toutes les candidatures s’effacèrent devant la
            sienne et il reçut le titre de mégaduc  avec le droit de puiser
            dans le trésor, dont le patriarche Arsène lui remit les clefs . Cette ascension
            continua par l’élévation de Michel au rang de despote, premier degré de la
            hiérarchie . Il ne lui restait plus
            qu’à conquérir le trône, bien qu’à part les insignes impériaux, il eût déjà
            tous les attributs du pouvoir suprême . Le patriarche Arsène,
            tuteur de Jean IV, dont il s’efforçait de préserver les droits, était un ancien
            moine d’Apollonia qui n’avait même pas encore reçu les ordres ecclésiastiques
            lorsqu’en 1255 un caprice de Théodore II Lascaris l’avait imposé aux évêques,
            après que Nicéphore Blemmydès eut refusé d’accepter la dignité patriarcale . Michel Paléologue
            avait littéralement fait le siège de ce personnage et réussi à le convaincre
            que le seul moyen de sauver le trône de Jean IV était de donner au régent le
            titre de basileus, dont il exerçait déjà les fonctions.
             Le 1er décembre 1258, Michel
            Paléologue était élevé sur le pavois à Magnésie : le 1er janvier suivant, il était couronné basileus à Nicée par le patriarche, malgré
            quelques opposants, en même temps que Théodora, son épouse, et le jeune Jean
            IV ,
            au salut duquel il s’était engagé à veiller par un serment solennel, mais qu’il
            relégua dans un château du Bosphore. Arsène comprit alors qu’il avait été joué
            et, de désespoir, se retira dans un monastère. Michel, considérant cette retraite
            comme une démission, fit élire par le synode un nouveau patriarche, Nicéphore,
            métropolite d’Éphèse, malgré l’opposition des archevêques de Sardes et de
            Thessalonique .
             Cependant les événements extérieurs avaient
            déjà montré combien il était urgent que l’Empire fût tenu d’une main ferme. Il
            n’y avait rien à craindre du côté de Constantinople où Baudouin Il se trouvait
            dans le dénuement le plus complet. Après lui avoir fait demander la restitution
            de Thessalonique, de la Macédoine et de la Thrace il fut trop heureux de signer
            une trêve avec Michel (décembre 1258) . La menace venait de
            l’Épire, dont le despote Michel II avait annexé la Macédoine jusqu’au Vardar et
            formé une coalition contre l’État de Nicée avec Manfred et Guillaume de
            Villehardouin, prince de Morée. Michel Paléologue essaya de négocier, mais le
            despote repoussa ses propositions et Manfred emprisonna ses ambassadeurs. Avant
            même son couronnement Michel nomma son frère Jean grand-domestique et lui
            confia une armée qui pénétra en Macédoine, surprit les Épirotes à Vodéna et les
            mit en fuite, puis s’empara d’Ochrida. Le despote d’Épire regroupa ses forces
            et reçut les renforts amenés par le prince de Morée ainsi que des chevaliers
            siciliens envoyés par Manfred mais les alliés subirent une déroute complète
            devant Pelagonia (octobre 1259). Guillaume de Villehardouin y fut fait
            prisonnier et Jean Paléologue occupa Arta, la capitale du despote, envahit la
            Thessalie et pénétra en Grèce jusqu’à Thèbes . Peu après d’ailleurs,
            avec des renforts envoyés par Manfred, Nicéphore, fils du despote, put reprendre
            une partie du terrain perdu et faire prisonnier Alexis Stratégopoulos, qui fut
            délivré à la suite d’un traité conclu entre Michel Paléologue et le despote
            d’Épire (fin 1259-1260) .
             A ce moment Michel Paléologue était tout
            entier à ses préparatifs contre Constantinople. Tranquille du côté de l’Europe
            il signa un traité avec les Mongols en abandonnant son allié le sultan
            d’Iconium , et, afin d’associer
            toutes les forces helléniques à la reprise de la ville impériale, il fit
            alliance avec l’empereur de Trébizonde, Manuel Comnène . Puis au printemps de
            1260 il passa l’Hellespont et s’avança jusqu’à Selymbria qu’il occupa, mais
            Anseau de Toucy, fait prisonnier à Pelagonia et qu’il avait mis en liberté à
            condition qu’il lui ouvrirait une porte de la ville, ne tint pas sa
            promesse ; et Paléologue, après avoir conclu une trêve avec Baudouin,
            regagna Nicée . Ce fut peu après qu’il
            reçut à Nymphée  une ambassade de Génois
            qui venait lui proposer de l’aider à reprendre Constantinople moyennant
            l’octroi de privilèges importants.
             Chassés de toutes leurs positions à
            Constantinople et dans l’Empire depuis 1204, les Génois s’étaient livrés à une
            guerre de pirates contre les établissements vénitiens et n’avaient jamais voulu
            reconnaître la légitimité de l’Empire latin . A Saint-Jean-d’Acre
            les rixes étaient continuelles entre les quartiers génois et vénitiens et en
            juin 1258, après avoir perdu une bataille navale, les Génois durent se réfugier
            à Tyr . Cependant après de
            laborieuses négociations le pape Alexandre IV avait fini par imposer son
            arbitrage aux belligérants (avril 1259), mais son légat, envoyé à
            Saint-Jean-d’Acre, ne put obtenir des Vénitiens l’accomplissement des
            conditions prévues . Ce fut alors que les
            Génois, désireux de prendre leur revanche sur Venise et lui porter un coup
            mortel en la chassant de Constantinople, proposèrent leur alliance à Michel
            Paléologue.
             Le basileus, n’ayant pas une flotte
            suffisante pour attaquer Constantinople par mer, accepta toutes les conditions
            des Génois. Par le traité signé à Nymphée le 13 mars 1261, Michel VIII et Gênes
            contractaient une alliance offensive et défensive contre Venise et Baudouin
            II ; Gênes mettait sa flotte à la disposition de l’empereur, qui lui
            accordait tous les avantages, privilèges, quartiers dont les Vénitiens
            jouissaient à Constantinople, dans l’Archipel et la mer Noire, ainsi que la
            liberté de commerce dans tout l’Empire . Les conséquences de ce
            traité, qui remplaçait le monopole économique de Venise par celui de Gênes,
            devaient peser d’un poids très lourd dans les destinées de Byzance.
             Par une véritable ironie du sort, ni ce
            traité désastreux, ni les autres dispositions de Michel VIII ne servirent à la
            reprise de Constantinople et ce fut l’un des chefs de guerre les plus
            médiocres, le César Alexis Stratégopoulos, qui, chargé de faire une
            démonstration avec 800 hommes à la frontière bulgare, se détourna de sa route
            pour observer la Ville Impériale et, à la suite d’une entente entre une de ses
            patrouilles et des habitants, eut la gloire d’y pénétrer le 25 juillet 1261,
            tandis que Baudouin II s’enfuyait dans une barque et que la flotte vénitienne,
            qui se trouvait à l’entrée de la mer Noire, en revenait une fois l’événement
            accompli . Le 15 août suivant,
            Michel Paléologue faisait son entrée dans la ville reconquise et était couronné
            de nouveau à Sainte-Sophie par Arsène, qu’il avait rappelé au patriarcat après
            la mort de Nicéphore II . Après une interruption
            de 57 ans, Constantinople redevenait la Nouvelle Rome, le siège de
            l’Empire ; la tradition était renouée.
             2.  L’Œuvre de relèvement de Michel
            Paléologue  (1261-1282)
            Michel Paléologue, maître de
            Constantinople, ne pouvait songer à reconstituer l’Empire non seulement dans
            son intégrité, mais même dans son étendue territoriale d’avant 1204. Il a du
            moins réussi à consolider son pouvoir, à fonder une dynastie et à conserver
            Constantinople en dépit des menaces des puissances ennemies, désireuses de
            restaurer l’Empire latin à leur profit.
             Son premier
            soin fut de rétablir la ville impériale dans sa splendeur , d’en faire nettoyer
            les rues laissées à l’abandon, d’en rebâtir les quartiers incendiés, de
            l’enrichir de fondations nouvelles , d’y ramener la population
            émigrée dans la banlieue, de distribuer à ses partisans les propriétés
            abandonnées par les Vénitiens, d’installer les Génois dans leur nouveau
            quartier et de mettre la ville en état de défense en faisant réparer les
            murailles et construire une flotte de guerre .
             Mais dans son désir de fortifier son
            autorité, sentant très bien qu’il était encore considéré comme un usurpateur,
            il n’hésita pas à commettre froidement un crime politique qui faillit
            d’ailleurs lui coûter le trône : il fit aveugler et emprisonner le pauvre
            enfant impérial, Jean Lascaris, héritier légitime du trône, et il eut la
            cruauté de faire mutiler son secrétaire, Manuel Holobolos, pour le punir
            d’avoir témoigné de la compassion à cette innocente victime . La sanction ne se fit
            pas attendre : à cette nouvelle, le patriarche Arsène, saisi d’horreur et
            de remords, prononça l’excommunication du basileus  et il s’ensuivit un
            conflit religieux des plus néfastes qui aboutit à la déposition d’Arsène, à son
            exil à Proconnèse et à l’élection de Germain, archevêque d’Andrinople, au
            patriarcat  : un nouveau
            schisme allait déchirer l’Église de Constantinople. Toute l’affaire avait été
            conduite par le confesseur de Michel VIII, le moine Joseph, ignorant et entreprenant :
            par ses intrigues il força Germain à abdiquer le patriarcat (14 septembre
            1266), se fit élire à son tour et releva solennellement Michel de
            l’anathème . Arsène n’en conserva
            pas moins des partisans qui le considéraient comme le seul patriarche légitime .
             La politique intérieure de Michel VIII fut
            toute en faveur de la noblesse, par réaction contre les tendances démocratiques
            de Vatatzès et de Théodore II et il s’attacha les grandes familles par des
            unions matrimoniales avec les siens.
             Comme autrefois les Comnènes et les Anges,
            il eut soin de confier les postes importants à ses proches, et son frère Jean,
            qu’il mit à la tête de ses armées, contribua par ses victoires à accroître son
            prestige . En 1272 il associa au
            trône son fils aîné, Andronic, âgé de 16 ans, et le maria à la fille d’Étienne
            V, roi de Hongrie .
             Parmi les difficultés que rencontra son
            gouvernement, il faut noter les embarras d’argent dus aux dépenses énormes
            qu’exigeait l’entretien de son armée et de sa diplomatie : il devait
            laisser l’Empire complètement ruiné . Les Génois, d’autre
            part, grâce aux privilèges qu’ils tenaient du traité de Nymphée, privaient
            l’Empire des sources de richesse qui auraient pu rétablir sa prospérité. Ce fut
            ainsi que Manuel Zaccaria obtint le monopole fructueux de l’exploitation de l’alun
            à Phocée . Les Génois ne se montrèrent
            même pas des alliés fidèles et furent convaincus d’avoir comploté en 1264 avec
            Manfred pour livrer Constantinople aux Francs : après avoir essayé de se
            rapprocher de Venise , qui hésitait à traiter
            avec lui, Michel VIII finit par se réconcilier avec les Génois, mais leur enleva
            le quartier qu’il leur avait attribué à l’intérieur de la ville, pour les
            établir au-delà de la Corne d’Or au faubourg de Galata, préalablement
            démantelé , événement qui devait
            avoir une portée considérable : une ville étrangère s’installait ainsi aux
            portes de Byzance.
             Politique extérieure. — Pendant les 21
            années de son règne à Constantinople, Michel VIII eut vraiment ce qu’on peut
            appeler sans anachronisme une politique extérieure, répondant à deux idées directrices :
            compléter la restauration de l’Empire en prenant pied dans toutes les régions
            de la péninsule balkanique et en maintenant la paix avec les Mongols en Asie
            Mineure ; mettre Constantinople à l’abri d’une croisade destinée à restaurer
            l’Empire latin et, pour empêcher les papes de la proclamer, pratiquer une
            politique d’union religieuse en obligeant le clergé grec à se départir de son
            intransigeance vis-à-vis de Rome.
             En fait toutes ces questions étaient
            solidaires. Les rois de Sicile, Manfred, puis Charles d’Anjou, qui avaient des
            visées sur Constantinople, cherchèrent à gagner l’appui des États balkaniques,
            Épire, Serbie, Bulgarie et de la Morée, hostiles à Michel. De son côté, Michel
            ne manqua pas d’exploiter les dissentiments entre les papes et la Sicile pour
            faire triompher sa cause.
             L’un de ses premiers succès fut le traité
            qu’il força Guillaume de Villehardouin, son prisonnier depuis la bataille de
            Pelagonia (1259), à signer avant sa libération (1262). Le prince de Morée
            devenait vassal de l’Empire et lui cédait les trois forteresses importantes de
            Mistra, Géraki et Monemvasia . L’Empire reprenait
            pied en Grèce et le frère de Michel, le sébastocrator Constantin, chargé
            d’administrer cette nouvelle colonie, établit sa résidence à Mistra . La conquête de ces
            positions allait permettre d’éliminer la domination franque du Péloponnèse.
            Pour Michel VIII, c’était un gage qui lui permettait de poursuivre des négociations
            avec autorité.
             Au moment de la reprise de Constantinople,
            le Saint-Siège était vacant , mais l’un des premiers
            actes du nouveau pape, Jacques Pantaléon, de Troyes, élu le 28 août sous le nom
            d’Urbain IV, fut de préparer une nouvelle croisade de Romania  et de déclarer nul le
            traité conclu par Guillaume de Villehardouin avec le basileus . Devant ces menaces
            Michel VIII essaya de se rapprocher de Manfred, mais, ses offres d’alliance
            ayant été repoussées , il prit le parti de
            s’adresser au pape et de lui demander d’établir la paix entre les Grecs et les
            Latins . Or Urbain IV venait de
            repousser une tentative de Baudouin II pour le réconcilier avec Manfred, dont
            la participation à la croisade future semblait indispensable , et il venait d’offrir
            le royaume de Sicile à Charles d’Anjou . Abandonnant provisoirement
            le projet de croisade en Romania, il accueillit favorablement les ouvertures de
            Michel VIII  et une correspondance
            active en vue de l’union des Églises s’établit entre Rome et Constantinople.
             Ce ne fut pas sans quelques heurts. Tout en
            protestant de son amour de la paix, Paléologue continuait à attaquer les États
            latins, envoyait la flotte génoise dans l’Archipel et faisait assiéger par son
            frère Constantin les places fortes du prince de Morée qui, oublieux de ses
            serments, violait le traité de Constantinople . De là entre les deux
            interlocuteurs des alternatives de ruptures et de rapprochements. Tantôt
            l’accord semble fait, Urbain IV abandonne la cause de Baudouin II qui se
            compromet avec Manfred, et il est prêt à garantir le trône de Michel s’il se soumet
            à Rome  (juillet 1263) ;
            tantôt, s’il apprend une nouvelle agression des Grecs en Morée, il fait prêcher
            la croisade contre Constantinople (mai 1264) . Enfin les troupes de
            Michel ayant subi un gros désastre en Morée, il y eut une trêve de fait entre
            les belligérants (printemps 1264)  ; les pourparlers
            reprirent avec Rome et l’union semblait probable  quand Urbain IV mourut
            le 2 octobre 1264.
             Son successeur, Clément IV, ancien évêque
            du Puy, élu seulement le 5 février 1265, était tout dévoué à Charles d’Anjou et
            commença par l’investir du royaume de Sicile , Un an après, le 26
            février 1266, devant Bénévent, Charles était vainqueur de Manfred qui périssait
            dans la bataille . Ce fut vraisemblablement
            alors que Michel VIII fit sa première démarche auprès de Clément IV, ainsi
            qu’il ressort d’une lettre du pape au basileus , La disparition de
            Manfred n’avait nullement amélioré la situation de Michel Paléologue. Le
            nouveau roi de Sicile reprenait tous les plans du Hohenstaufen contre
            Constantinople, avec des moyens beaucoup plus puissants et fort de l’appui du
            pape. Il commençait par prendre à sa solde les chefs des troupes de Manfred
            stationnées en Épire, s’alliait avec le prince de Morée  et, par le traité de
            Viterbe (27 mai 1267), il s’engageait à restaurer Baudouin II à Constantinople,
            moyennant le tiers des conquêtes qu’il ferait en Romania .
             Clément IV, qui semblait approuver les
            projets de Charles d’Anjou (il ratifia le traité de Viterbe), en redoutait au
            fond l’exécution et continua à correspondre avec Michel, mais, plus
            intransigeant que son prédécesseur, et peut-être pour gagner du temps, il
            refusait d’accorder la moindre garantie au basileus si celui-ci et tout le
            clergé grec ne se soumettaient pas à l’Église romaine sans conditions , La situation était
            d’autant plus menaçante que la défaite de Conradin à Tagliacozzo (23 août 1268)
            avait achevé de renforcer la situation de Charles d’Anjou en Italie et que,
            tout en équipant une grande flotte,il envoyait des troupes et de l’argent au
            prince d’Achaïe .
             Ce fut sur ces entrefaites que mourut
            Clément IV (29 novembre 1268) et, par suite des divisions des cardinaux, la
            vacance du Saint-Siège se prolongea pendant deux ans et neuf mois, jusqu’au 1er septembre 1271 . C’était pour Michel
            Paléologue le début d’une période critique. Charles d’Anjou, n’étant plus
            retenu par l’autorité d’un pape, pouvait donner libre cours à ses desseins et
            pousser ses préparatifs. Cependant Venise, qui venait de conclure un traité
            avec Michel VIII , refusait de participer
            à l’expédition. Malgré cet échec, Charles voulait entrer en campagne au
            printemps de 1270 . Dans ces conjonctures,
            Michel Paléologue ne trouva rien de mieux que de s’adresser à saint Louis,
            comme au véritable chef de la chrétienté en l’absence d’un pape et d’un
            empereur : il échangea avec le roi de France deux ambassades (printemps
            1269, début 1270) en lui demandant d’arrêter les entreprises de son frère
            contre l’Empire byzantin au moment où le basileus, son clergé et son peuple
            étaient prêts à rentrer dans la communion de Rome . Saint Louis renvoya la
            question religieuse au collège des cardinaux, qui reproduisirent dans leur
            réponse à Michel la plupart des conditions exigées par Clément IV, mais il arrêta
            l’expédition de Charles d’Anjou contre Constantinople en l’entraînant à la
            croisade de Tunisie  : ce fut au camp
            de Carthage que, quelques heures avant sa mort, saint Louis reçut la deuxième
            ambassade de Paléologue, dirigée par le futur patriarche Jean Veccos .
             Accomplissement de l’Union (1271-1276). — Après la mort
            de saint Louis et son retour de Tunisie, Charles d’Anjou reprit ses plans de
            conquête de l’Orient, scella son alliance avec le prince d’Achaïe en mariant un
            de ses fils à Isabelle de Villehardouin et en lui envoyant de nouvelles troupes
            qui infligèrent des défaites aux Grecs , mais il allait encore
            être arrêté sur la route de Byzance, et cette fois ce fut par le pape. Élu à ta
            papauté le 1er septembre 1271, alors qu’il se trouvait à
            Saint-Jean-d’Acre, Theodebaldo Visconti, qui prit le nom de Grégoire X, était
            résolument opposé aux projets de Charles d’Anjou et à la croisade de Romania
            qu’il regardait comme des obstacles à la véritable croisade en Terre Sainte,
            dont la réussite d’autre part ne pouvait être assurée que par la réconciliation
            des Églises .
             Cependant Charles d’Anjou accentuait ses
            menaces contre Constantinople en étendant son influence dans la péninsule
            balkanique, chez les Albanais, qui le proclamaient roi ainsi que son fils, en
            Morée où il envoyait Philippe de Toucy avec un corps de chevaliers et de
            Sarrasins de Lucera, en Thessalie où il s’alliait avec le prince Jean l’Ange,
            bâtard de Michel II d’Épire, qui s’était rendu indépendant, et jusqu’en Serbie
            et en Bulgarie (1272-1273) . De son côté Michel
            VIII faisait alliance avec Alphonse X, roi de Castille, candidat à l’Empire
            d’Occident et ennemi de Charles d’Anjou, contre lequel il soutenait les
            Gibelins de Lombardie  avec le roi Étienne de
            Hongrie, dont la fille épousait l’héritier du trône byzantin , et il se réconciliait avec
            les Génois, qui promettaient de s’opposer à toute hostilité contre
            l’Empire .
             Mais plus efficace que ces alliances fut
            l’action du pape Grégoire X. Avant même d’avoir quitté la Palestine, il avait
            écrit à Michel VIII pour lui faire part de son désir d’union  et, après son retour en
            Italie, il envoya à Constantinople quatre franciscains chargés de promettre au
            basileus la protection du pape s’il réalisait l’union . Dès lors des rapports
            empreints de cordialité s’établirent entre le basileus et le pape . Tous deux avaient la
            volonté ferme d’atteindre le but. Au lieu du programme radical de Clément IV,
            Grégoire X n’exigeait du clergé grec que la reconnaissance de la primauté du
            pape en droit et en fait, la promesse d’union et la commémoration du pape dans
            la liturgie. Michel VIII se livra à une propagande active pour démontrer au
            clergé que ces concessions étaient peu de chose au prix du salut de Constantinople,
            mais dès le début de sa campagne il se heurta à une opposition irréductible,
            bien que modérée dans la forme . Cependant il n’hésita
            pas à passer outre et fit savoir au pape, par deux des frères mineurs qu’il lui
            avait envoyés, que, malgré les difficultés qu’il avait rencontrées, le clergé
            était près d’accepter l’union : il lui demandait aussi de garantir la
            sécurité des ambassadeurs qu’il enverrait au concile .
             C’était du bon vouloir de Charles d’Anjou
            et de ses alliés que dépendaient les garanties demandées. Le pape se chargea de
            cette délicate négociation et, sur ses objurgations, Charles accorda les
            sauf-conduits demandés (7 janvier et 1er mai 1274) .
             Rien ne s’opposait plus à l’union. A
            Constantinople le basileus continuait sa propagande et remportait une véritable
            victoire en gagnant à sa cause le théologien Jean Veccos, jusque-là hostile à
            tout rapprochement avec Rome , tandis que le
            patriarche Joseph, malgré son attachement au basileus, restait
            irréductible . Les Grecs ne devaient
            participer au concile œcuménique convoqué à Lyon que par une ambassade qui
            avait à sa tête l’ex-patriarche Germain, le grand logothète Georges Acropolites
            et Théophane, métropolite de Nicée. Ces envoyés apportaient au pape une lettre
            de l’empereur reconnaissant en tout la doctrine romaine et un acte du clergé,
            qui se bornait aux concessions exigées par Grégoire X. Après la lecture de ces
            lettres, l’union des Églises fut proclamée par le pape à la 4e session du concile, le 6 juillet 1274 .
             Le rêve des papes depuis deux
            siècles : la fin du schisme et la réunion pacifique de l’Église grecque à
            l’Église romaine, était ainsi réalisé, mais cet accord était peu solide, dû aux
            préoccupations purement politiques de Michel VIII, qui avait extorqué de force
            les adhésions du clergé grec et avait contre lui jusqu’à ses proches parents.
            Comme le fait remarquer le père Jugie, il n’y eut au concile que deux évêques
            grecs et l’union fut conclue « sans préparation psychologique, sans
            discussion théologique sur les points en litige » . On ne devait pas
            tarder à s’apercevoir que la force ne sert à rien dans ces matières, mais qu’il
            y faut d’abord l’adhésion des âmes.
             Les résultats immédiats du concile furent,
            d’une part, la signature d’une trêve entre Charles d’Anjou et Michel VIII , d’autre part
            l’abdication du patriarche Joseph (11 janvier 1275), cinq jours plus tard la
            reconnaissance solennelle de l’union, mais à la chapelle du palais
            impérial , enfin l’élection de
            Jean Veccos au patriarcat (26 mai)  Très influent à la
            cour, Veccos se fit le défenseur de l’union, mais se heurta à une opposition
            farouche dirigée par des érudits comme Grégoire de Chypre, par la propre sœur
            du basileus, Eulogia, et par des princes du sang, que Michel n’hésita pas à
            emprisonner . Un concile
            anti-unioniste dirigé contre Paléologue et Veccos fut tenu en Thessalie .
             Jusqu’à la fin de sa vie Grégoire X
            continua à avoir des relations fréquentes avec Michel VIII qu’il entretenait
            d’un projet de croisade, aussi avantageux pour l’Empire que pour la Terre
            Sainte, puisqu’il prévoyait d’abord l’expulsion des Turcs de l’Asie
            Mineure . Le pape avait décidé
            de prendre lui-même le commandement de l’expédition lorsqu’il mourut le 6
            janvier 1276.
             Cette mort porta à la cause de l’Union un
            coup sensible, car les premiers successeurs de Grégoire X, dont le règne dura
            peu (trois papes en deux ans, janvier 1276 - mai 1277), élus sous l’influence
            de Charles d’Anjou, témoignèrent leur hostilité aux Grecs et, mal renseignés
            sur leurs aspirations, rendirent impossible par leurs exigences la tâche de
            Michel VIII et de Veccos , qui continuèrent cependant
            à montrer leur respect pour le Saint-Siège et saisirent toutes les occasions de
            manifester leur accord avec lui, tout en cherchant à obtenir de lui le maintien
            des rites propres à l’Église grecque, auxquels le clergé et les fidèles
            tenaient surtout . Le pape exigeant que
            l’empereur, son fils, le patriarche et tous les clercs jurent personnellement
            l’union, une nouvelle cérémonie venait d’avoir lieu à cet effet à
            Sainte-Sophie , mais le mécontentement
            était général et c’était en vain que jean Veccos tenait un synode qui excommuniait
            ses adversaires .
             Bien qu’opposé aux projets ambitieux de
            Charles d’Anjou, à qui il défendit d’attaquer Constantinople, Nicolas III, élu
            à la papauté le 25 novembre 1277, était décidé à obtenir la soumission complète
            de l’Église grecque et déclara insuffisantes et incomplètes les professions de
            foi envoyées à son prédécesseur . Au moment de l’arrivée
            de ses envoyés à Constantinople, Veccos, à la suite d’accusations calomnieuses
            et brouillé avec l’empereur, avait abdiqué le patriarcat  : Michel
            embarrassé organisa une vraie comédie pour empêcher les envoyés du pape de
            s’apercevoir de cette disgrâce du principal défenseur de l’union  et, pour montrer son
            bon vouloir, leur fit visiter les prisons où étaient détenus des princes qui
            avaient manifesté leur opposition , Dans sa réponse à
            Nicolas III le basileus montra que, s’il succombait dans la lutte contre ses
            adversaires, c’en était fait de l’union  et le pape, touché par
            ces arguments, se porta comme médiateur entre Charles d’Anjou, son gendre
            Philippe de Tarente, fils de Baudouin II, et Michel VIII . Au même moment le
            basileus se mettait en rapport, par l’intermédiaire de Jean de Procida, avec le
            roi d’Aragon Pierre III, époux de Constance, fille de Manfred , dont il revendiquait
            l’héritage sicilien, et le pape autorisait l’Aragonais à détrôner Charles
            d’Anjou .
             Mais après la mort de Nicolas III (22 août
            1280), Charles d’Anjou lui fit donner comme successeur un de ses plus dévoués
            partisans, le cardinal français Simon de Brie (Martin IV, 21 février 1281).
            Tous les efforts de Michel VIII pour maintenir l’union devenaient
            stériles : pour obéir à Nicolas III, il s’était mis ses sujets à dos et
            s’était érigé en tyran cruel, allant jusqu’à faire crever les yeux à de hauts
            dignitaires récalcitrants et remplissant la ville d’espions qui épiaient les
            conversations . Tous ses plans
            s’effondraient en même temps. Les ambassadeurs qu’il avait envoyés à Nicolas
            III peu avant sa mort étaient capturés par un capitaine de Charles d’Anjou et
            paraissaient en prisonniers devant Martin IV, qui leur reprochait la duplicité
            de leurs compatriotes et excommuniait Michel Paléologue .
             Fort heureusement pour le basileus, les
            récentes entreprises de Charles d’Anjou dans la péninsule balkanique avaient
            échoué. En octobre 1278 il avait occupé l’Achaïe, comme baile de sa bru
            Isabelle, veuve de son fils Philippe et héritière de son père Guillaume de
            Villehardouin, mort le 1er mai précédent. Il y envoya des troupes,
            mais cette occupation lui donna plus de soucis que d’avantages par suite des
            attaques continuelles de la garnison grecque de Mistra . Plus menaçante avait
            été l’expédition confiée par Charles à son capitaine-général en Illyrie, Hugue
            de Sully, qui, parti de Durazzo, pénétra en Albanie, assiégea Bérat, mais fut
            fait prisonnier le 3 avril 1281 et amené en triomphe à Constantinople .
             L’élection de Martin IV semblait permettre
            au roi de Sicile de prendre sa revanche et d’exécuter enfin son grand dessein.
            Par l’entremise du pape une coalition fut formée contre Michel Paléologue par
            Charles d’Anjou, Philippe de Tarente et la république de Venise (traités
            d’Orvieto, 3 juillet 1281). L’expédition, dont le départ fut fixe en avril
            1283, serait une croisade destinée à restaurer l’Empire latin et à conquérir la
            Terre Sainte . Mais Michel Paléologue
            et son allié le roi d’Aragon mirent à profit le délai qui leur était laissé par
            les coalisés et après la tragédie des Vêpres Siciliennes (21 mars 1282) tous
            les espoirs de Charles d’Anjou et de Martin IV s’effondraient : Pierre III
            débarquait en Sicile et était proclamé roi à Palerme (août 1282). Loin de
            pouvoir attaquer Constantinople, Charles d’Anjou n’aurait pas trop de toutes
            ses forces pour défendre l’existence de son royaume .
             Lorsque Michel Paléologue mourut quelques mois
            plus tard , malgré les obstacles
            semés sur sa route il avait atteint son but il laissait à son successeur
            Constantinople à l’abri d’une croisade occidentale.
             L’action politique dans la péninsule des
            Balkans.
              — Obligé à une défensive perpétuelle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur,
              Michel VIII n’a pu avoir dans les Balkans une politique territoriale vraiment
              cohérente. Après avoir cherché à faire le plus d’annexions possible, il a perdu
              l’initiative des opérations pour se livrer uniquement à des contre-attaques et,
              pour empêcher les chefs des États balkaniques de se mettre au service de ses
              adversaires d’Occident, il eut souvent recours à la politique matrimoniale.
               Sans pouvoir recouvrer de vastes
            territoires, il s’empara de positions importantes, amorces d’agrandissements
            futurs, comme les forteresses de Mistra, Géraki, Monemvasia, arrachées en 1262
            à Guillaume de Villehardouin qui ne put jamais les reprendre. De même il
            s’établit dans l’île d’Eubée, conquise, sauf Nègrepont, la capitale, par
            Licario de Vérone qu’il avait pris à son service , mais ce fut surtout
            aux dépens du despotat d’Épire et de l’État vlacho-bulgare qu’il chercha à
            agrandir ses domaines.
             
             Le tsar bulgare Constantin Asên, marié à
            une fille de Théodore II Lascaris, ne pouvait être favorable à Michel Paléologue
            et ce fut justement le corps d’armée chargé de s’opposer à son agression
            possible qui entra à Constantinople par surprise en 1261 . Après cette victoire
            le basileus n’eut aucun scrupule à élargir ses frontières au nord du Rhodope en
            territoire bulgare jusqu’à la plaine de Sofia (1263), mais il se heurta à
            l’armée hongroise d’Étienne V, dont l’ambition était d’établir sa suzeraineté
            sur les États slaves des Balkans  et il dut battre en
            retraite. Abandonnant la sphère d’influence hongroise, Michel VIII, après avoir
            repris Philippopoli, tourna ses efforts vers l’est et s’empara des ports
            d’Anchiale et de Mesembria. Le tsar n’hésita pas à faire appel à son allié,
            Nogaï, Khan du Kiptchak . Une horde de Tartares
            envahit la Thrace et infligea à Michel Paléologue le plus gros désastre qu’il
            ait jamais subi, mais se contenta de piller la région sans attaquer
            Constantinople (1265) .
             L’empereur sauva la situation par sa
            diplomatie cauteleuse. Il offrit la main de sa fille Marie au tsar devenu veuf
            d’Irène Lascaris, avec les villes de la mer Noire qu’il avait prises, en dot,
            puis, le mariage accompli, refusa de s’en dessaisir en invoquant le désir de
            leurs habitants de rester Grecs . Constantin Asên
            furieux appela encore les Mongols, mais dans l’intervalle Michel VIII avait
            fait alliance avec Nogaï en lui donnant une de ses bâtardes en mariage et cette
            fois ce furent les Tartares qui défendirent la Thrace contre les Bulgares .
             A la suite d’un accident, Constantin Asên
            dut confier la régence à Marie Paléologue, au grand mécontentement des boyards
            et des paysans, qui se soulevèrent et proclamèrent tsar le porcher Ivailo
            (1277) . Ce fut là le point de
            départ d’une série de tragédies et de guerres civiles que Michel VIII essaya
            d’exploiter pour placer la Bulgarie sous son influence en opposant à Ivailo un
            prétendant au trône bulgare dont il avait fait son gendre et qui se rattachait
            par sa mère à la dynastie asênide. Ce Jean Asên III fut reconnu comme tsar à
            Tirnovo en 1279, mais ne put s’y maintenir. Ivailo, qui l’en avait chassé avec
            l’appui des Mongols, fut lui-même renversé par un Coman, Georges Terter (fin de
            1280), dont le premier acte fut de s’allier à Charles d’Anjou contre
            Paléologue .
             Vis-à-vis de l’État serbe, en train de
            prendre dans les Balkans la place prépondérante que perdait la Bulgarie, la
            politique de Michel VIII fut encore plus malheureuse. Le roi Étienne Ourosch Ier avait épousé une princesse latine, Hélène d’Anjou  : pour
            contrebalancer son influence, le basileus chercha à marier une de ses filles au
            prince Miloutine, mais les ambassadeurs envoyés en Serbie pour conclure l’union
            furent tellement choqués de la simplicité toute patriarcale de la cour serbe
            que, sur leur rapport, le projet fut abandonné . Ce fut une faute
            grave : Étienne Miloutine, l’un des plus grands rois de Serbie, épousa la
            fille du grand ennemi de Paléologue qu’était Jean l’Ange et, du vivant même de
            Michel VIII, préluda aux conquêtes qu’il devait faire aux dépens de l’Empire en
            s’emparant de Skoplje et en pénétrant jusqu’à Serres (1282) .
             La politique orientale. — Tous ses
            efforts tendus vers l’Occident empêchèrent Michel Paléologue d’avoir une
            politique active dans le monde oriental en voie de transformation profonde. Ses
            deux puissances prédominantes étaient celle des Mamlouks d’Égypte, qui avaient
            renversé le dernier sultan ayoubide en 1250 , et celle des Mongols
            de Perse gouvernés par le frère du grand Khan Mongka, Houlagou, qui s’était
            emparé de Bagdad en 1258 et avait supprimé le califat abbasside  ; en Asie Mineure
            son domaine comprenait la plus grande partie du sultanat de Roum et le roi de
            Petite Arménie Héthoum Ier était son vassal. Dès son avènement,
            Michel Paléologue s’était empressé de conclure un traité de paix avec ce
            puissant souverain en le laissant attaquer librement les Turcs d’Asie
            Mineure .
             Mais tandis que Houlagou, ennemi de
            l’islam, dont il avait détruit la plus vénérable institution, favorisait les
            chrétiens , le sultan des
            Mamlouks, Bibars l’Arbalétrier (1260-1277) était au contraire le champion du
            monde musulman . Or, par leur foi et
            par leur origine même (ils se recrutaient en partie chez les peuplades turques
            de la Russie méridionale), les Mamlouks étaient en relations constantes avec
            l’État mongol du Kiptchak, dont les Khans et leurs sujets s’étaient convertis à
            l’islam . Séparés par les États
            de Houlagou, l’Égypte et le Kiptchak cherchèrent à obtenir de Michel Paléologue
            le libre passage des détroits qui leur permettait de communiquer par mer.
            Sollicité à cet effet par Bibars, Michel semble s’être d’abord dérobé , mais, obligé de
            ménager le Khan de Kiptchak, qui, ainsi qu’on l’a vu, avait envoyé ses troupes
            au secours de Constantin Asên, attachant d’autre part une grande importance à
            conserver de bonnes relations avec l’Égypte, menacée comme Constantinople d’une
            croisade occidentale, il n’hésita pas à abandonner l’alliance de Houlagou. Ce
            fut pour cette raison qu’il se lia avec le Khan Nogaï en lui donnant en mariage
            une de ses bâtardes et c’est ce qui explique les échanges de lettres et d’ambassades
            entre Bibars et lui .
             En 10 ans en effet (1262-1272) on ne compte
            pas moins de huit ambassades byzantines en Égypte. Celle de 1262 répondant à
            une demande du sultan lui accorde le libre passage des esclaves achetés en
            Russie, destinés au recrutement des Mamlouks, et lui demande l’installation
            d’un patriarche melchite à Alexandrie . Dès 1263 les envoyés
            de Bibars et du Kiptchak traversent Constantinople  et Michel VIII fait
            intervenir le sultan auprès de son allié tartare pour faire cesser les attaques
            du Kiptchak contre l’Empire . En 1268 Bibars venait
            de s’emparer d’Antioche et il ne restait plus aux Francs que Tripoli, Acre et
            Sidon. Des traités reliaient Constantinople au Kiptchak et à l’Égypte, triple
            alliance dirigée contre l’Occident, grossie probablement vers 1275 du concours
            de l’Aragon .
             Ces relations cessèrent à peu près pendant
            le pontificat de Grégoire X, au moment où l’union des Églises était négociée et
            où Michel VIII songeait à une croisade byzantine, mais elles reprirent dès l’été
            de 1275 , et Kelaoun successeur
            de Bibars (1277) renouvela le traité d’alliance avec Constantinople en y
            ajoutant une clause d’assistance navale contre les entreprises de Charles
            d’Anjou .
             Ainsi, jusque dans ses rapports avec les
            puissances orientales, c’est le souci de parer à une attaque de l’Occident qui
            commande toute la politique de Michel Paléologue.
             Et c’est la raison pour laquelle il a
            négligé la question d’Asie Mineure, le sultanat de Roum n’étant plus un danger
            pour l’Empire et Michel ne disposant pas de forces suffisantes pour le
            conquérir. D’ailleurs, depuis près de deux siècles que les Turcs étaient venus
            dans la péninsule d’Anatolie, ils en avaient non seulement fait la conquête
            politique, mais ils avaient pris possession de son sol : le pâtre turcoman
            en avait chassé le paysan grec . Dans les villes les
            Seldjoukides avaient abandonné leur grossièreté primitive et créé un art et une
            littérature : le persan était la langue officielle des sultans  et, dans l’art, la
            tradition sassanide se mélangeait d’éléments hellénistiques et arméniens . C’est dire que même si
            les empereurs byzantins avaient pu réoccuper l’Anatolie, ils se seraient
            trouvés devant une population inassimilable, l’hellénisme ne s’étant maintenu
            que dans l’État de Trébizonde, en Bithynie et sur les côtes de l’Archipel
            tandis que la Cilicie était devenue une colonie arménienne. Bien plus,
            l’invasion mongole, par le déplacement des peuples qui fuyaient éperdument à
            son approche, eut pour résultat de renforcer l’élément turc en Asie Mineure.
            C’est de cette époque que date la formation d’émirats indépendants comme celui
            de Karaman qui s’empara d’Iconium en 1278 . Au même moment une
            tribu obscure, les Keï-Kan-Kli, originaire du Khorassan, dont elle avait été
            chassée par l’invasion mongole, atteignait le sultanat de Roum et se mettait au
            service du sultan Alaeddin, qui l’établit entre Kutayeh et Brousse, à Sougyout,
            sous le commandement de leur chef Ertoghroul  et ce fut ainsi que les
            Ottomans entrèrent dans l’histoire.
             Devant ces bouleversements ethniques qui
            mettaient en péril non seulement l’État byzantin, mais l’avenir de l’hellénisme
            et du christianisme dans ces régions, la politique de Michel Paléologue fut mesquine
            et incohérente. Il ne sut même pas préserver du démembrement les territoires
            recouvrés par les empereurs de Nicée. Il crut avoir fait un coup de maître en
            accueillant à bras ouvert l’un des héritiers du sultanat de Roum, Azz-ed-dîn,
            dépossédé de son apanage par les Mongols  et en traitant à son
            insu avec Houlagou, à qui il promit de le retenir sa vie durant à
            Constantinople. Mis au courant de cette trahison, Azz-ed-dîn s’allia au tsar
            bulgare Constantin et aux Mongols du Kiptchak en guerre contre Michel, leur
            communiqua des renseignements militaires et s’échappa après la défaite de
            l’empereur (1265) .
             Ne pouvant intervenir efficacement en Asie
            Mineure, Michel VIII pouvait au moins organiser la défense des frontières . Il fit tout le
            contraire : par mesure fiscale il supprima les privilèges des akritai, colons établis par les
            empereurs de Nicée à charge de la défense du territoire , Les conséquences de
            cette mesure ne se firent pas attendre. N’étant plus défendues, les provinces
            impériales furent envahies périodiquement par des hordes d’irréguliers Turcs et
            Mongols qui massacraient les habitants des villages et ravageaient leurs cultures.
            La riche vallée du Méandre fut changée en désert et, de Constantinople, on ne
            pouvait plus communiquer que par mer avec les ports de la mer Noire .
             Entre-temps Michel VIII envoya des
            expéditions : en 1264-1265 Jean Paléologue réussit à chasser les
            envahisseurs, mais dut acheter leur tranquillité en leur cédant des
            territoires . La vallée du Méandre
            et la Carie furent encore saccagées en 1281 : Michel VIII envoya en Asie
            avec une armée son fils Andronic, qui, après avoir dégagé la frontière, rebâtit
            somptueusement la ville de Tralles entièrement ruinée et lui donna son nom,
            Andronicopolis , mais il la laissa mal
            fortifiée et sans eau potable. Les Turcs vinrent l’assiéger et la prirent
            d’assaut, sans que le prince, qui était à Nymphée, soit venu à son secours et
            la campagne se termina par un traité désastreux qui reculait de nouveau la
            frontière . Tralles, connue
            désormais sous le vocable d’Aïdin, devint le siège d’un émir turc indépendant
            qui devait être l’un des plus dangereux ennemis de Byzance .
             Le seul succès remporté par Michel VIII en
            Asie Mineure. fut son alliance avec Jean II Comnène, empereur de Trébizonde,
            qui, après des négociations compliquées, entourées de difficultés protocolaires
            (1281-1282), vint en personne à Constantinople épouser une fille de
            Paléologue . Cette alliance des
            deux États byzantins avait son prix, mais était peu de chose à côté de la perte
            irrémissible de la plus grande partie de l’Asie Mineure. La péninsule
            anatolique, traversée par les voies terrestres qui mènent en Orient et dont les
            côtes commandent les voies maritimes, était nécessaire à la grandeur de Byzance :
            l’Empire restauré par Michel Paléologue devait toujours souffrir de n’avoir pu
            la recouvrer.
             3.  La crise de l’Empire restauré  (1282-1321)
            Michel Paléologue avait réussi à maintenir
            le siège de l’Empire à Constantinople, mais les difficultés auxquelles il avait
            dû faire face l’avaient obligé à pratiquer une politique de grand style, qu’on
            a pu comparer à celle d’un Manuel Comnène, embrassant le monde chrétien tout
            entier , appuyant les
            négociations d’actions militaires, exigeant des armées importantes, des flottes
            de guerre et un nombreux personnel de diplomates.
             Cette obligation de rester toujours sur la
            défensive empêcha Michel VIII de poursuivre l’œuvre de restauration
            territoriale commencée au début de son règne. D’autre part sa grande politique
            épuisa les ressources des territoires mal reliés entre eux qui composaient
            l’Empire. Il légua à son successeur un État complètement ruiné et troublé par
            les discussions religieuses.
             C’est cette situation qui explique la crise
            redoutable que subit l’Empire au lendemain de sa restauration, sous le long
            règne d’Andronic II (1282-1328). La tâche de relèvement qu’il entreprit était
            trop lourde pour ses épaules et il ne put même pas conserver les résultats
            acquis. Au moment où la croisade contre Constantinople semblait écartée, de nouveaux
            périls menaçaient l’Empire : des États jeunes et remplis d’ambitions se
            constituaient sur ses frontières, en Europe l’État serbe qui cherchait à
            atteindre la mer Égée et visait Thessalonique, en Asie de puissants émirats
            turcs et bientôt, hors de pair, l’État ottoman.
             Alors que des ressources considérables
            étaient nécessaires pour conjurer ces dangers, l’Empire se trouva diminué par
            la détresse financière, incapable de lever des armées suffisantes ou d’équiper
            des flottes, réduit au rang d’État secondaire, d’État passif, que Venise et
            Gênes considéraient comme un territoire de colonisation commerciale qu’elles se
            disputaient âprement. Comme l’a fait remarquer Ostrogorsky, ce fut à cette
            situation et non au caractère personnel des empereurs que fut due la décadence
            de l’Empire . Andronic II, dont on a
            exagéré l’incapacité, a commis sans doute de grosses fautes, mais a lutté pour
            améliorer le régime intérieur et montré souvent de la fermeté. Très cultivé, il
            encouragea les lettres et les sciences et fonda une académie qui fait déjà
            songer à celles de la Renaissance italienne . Ses réformes
            judiciaires et financières furent parfois heureuses et lui survécurent, mais
            les maux qu’il fallait guérir dépassaient les moyens dont il disposait :
            son père lui avait légué une terre trop petite pour l’œuvre grandiose qu’il eût
            fallu accomplir.
             Pendant la première partie de son règne
            Andronic eut une politique personnelle et systématique qui prit en tout le
            contrepied de celle de Michel Paléologue (1282-1302) : répudiation de
            l’Union, effort dirigé vers l’Orient, alliance avec les villes italiennes.
            Cette politique eût pu réussir avec des ressources plus grandes : en fait
            elle aboutit à des troubles religieux et à des revers à l’extérieur ; elle
            laissa l’Empire aux abois.
             A partir de 1302 au contraire, Andronic n’a
            plus une politique définie. Il est réduit aux expédients ; l’Empire est à
            la merci des Catalans et des Italiens. C’est à ce moment que du trouble et du
            désordre intérieur naît la guerre civile.
             L’union religieuse répudiée. — La croisade
            occidentale étant écartée, Andronic, poussé d’ailleurs par ses proches, par son
            entourage et par la majorité du clergé , sans qu’il soit
            nécessaire d’admettre qu’il eût fait aux moines avant son avènement les
            promesses précises que lui prête Guillaume d’Adam , inaugura son règne par
            des mesures nettement anti-unionistes : l’inhumation nocturne et sans
            cérémonie du corps de son père dans un monastère voisin de la petite ville de
            Thrace où il était mort (Il décembre 1282) , l’éloignement du patriarche
            Veccos (25 décembre) , la restauration
            triomphale de Joseph, suivie de représailles contre les unionistes (30
            décembre) , se succédèrent en quelques
            jours, mais ne suffirent pas à assouvir la haine de leurs ennemis. Contre le
            gré du basileus qui estimait Veccos, le patriarche de l’union dut comparaître devant
            un concile et signer son abdication, puis fut exilé à Brousse (début de
            1283) . Après avoir été cité
            devant un nouveau synode où il confondit ses adversaires , il partit pour un nouvel
            exil et y mourut en 1293 .
             Ces mesures ne ramenèrent même pas le calme
            dans l’Église, toujours troublée par le schisme arsénite qui durait depuis la
            déposition d’Arsène en 1266. Arsène était mort en 1273, mais ses partisans
            continuaient à former une petite Église qui refusait de communier avec ses
            successeurs au patriarcat . Joseph étant mort
            (mars 1283) et remplacé par un laïc érudit, fougueux adversaire de l’union, Grégoire
            de Chypre , il s’ensuivit une
            nouvelle agitation des Arsénites qui prétendirent faire condamner la mémoire de
            Joseph et que les concessions de l’empereur, qui les ménageait, ne purent faire
            renoncer à leur intransigeance . La translation en
            grande pompe et en présence d’Andronic du corps d’Arsène à Constantinople ne
            contribua pas peu à surexciter les esprits . Lorsqu’après
            l’abdication de Grégoire (1289), Andronic fit une nouvelle tentative pour faire
            cesser leur schisme, ils émirent des prétentions si extravagantes qu’ils
            finirent par lasser la longanimité du basileus .
             Ce fut en vain que le moine Athanase,
            successeur de Grégoire de Chypre , essaya de rétablir la
            discipline dans l’Église : sa sévérité pour les clercs de tout ordre
            souleva des tempêtes et malgré son caractère énergique, mal soutenu par le basileus,
            il dut abdiquer une première fois en 1293, fut rappelé au patriarcat en 1304 et
            se retira définitivement en 1310 . Le désordre qui
            continua à régner dans l’Église devait contribuer à affaiblir l’autorité
            impériale et à troubler l’ordre dans l’État.
             Contre cette
            politique antiromaine il n’y eut aucune réaction des papes, préoccupés surtout
            de la perte de la Terre Sainte  et de leur lutte contre
            les puissances temporelles. Cependant les projets de croisade contre Constantinople
            n’étaient pas abandonnés. Baudouin II était mort en 1273 ; mais ses droits
            étaient reportés sur la tête de sa petite-fille Catherine de Courtenai, qui
            résidait à Naples. Andronic demanda sa main pour son fils aîné Michel, pensant
            ainsi écarter toute tentative de croisade par cette réconciliation des deux dynasties
            rivales sans avoir recours à l’union religieuse, mais les négociations qui
            durèrent de 1288 à 1296 échouèrent  et ce fut Philippe le
            Bel qui obtint la main de Catherine de Courtenai pour son frère Charles de
            Valois (1301) . Ce n’était pas de ce
            côté qu’était le danger, car la plupart des projets de croisade élaborés à
            cette époque déconseillaient le passage par Constantinople . Seul Guillaume d’Adam
            préconisait la conquête préalable de l’Empire byzantin avant toute expédition
            en Palestine .
             Gouvernement intérieur. — Agé de 24 ans
            à son avènement, Andronic II avait eu deux fils, Michel et Constantin, de sa
            première femme, Anne de Hongrie, et il venait d’épouser en secondes noces
            Yolande de Montferrat, descendante des rois latins de Thessalonique, qui prit
            le nom d’Irène. Elle devait lui donner trois fils et une fille et, très
            ambitieuse, détestant les enfants du premier lit, elle chercha à faire
            constituer pour ses fils de vastes apanages. Lassé de ses récriminations
            continuelles, le basileus finit pas la délaisser et elle se réfugia à
            Thessalonique où elle ne cessa d’intriguer . Andronic ne fut pas
            plus heureux avec son frère Constantin dont le train magnifique et l’orgueil
            lui déplaisaient et, l’ayant convaincu de complot en 1291, il le condamna à la
            confiscation des biens .
             Préoccupé de l’avenir de sa dynastie, il
            fit reconnaître la légitimité de son pouvoir par le malheureux Jean Lascaris,
            fils de Théodore II, toujours enfermé dans une forteresse de Bithynie , et il associa au trône
            Michel, son fils aîné, de son premier mariage, couronné à Sainte-Sophie le 21
            mai 1295 ; le lendemain il créait despote Jean, l’aîné des fils que lui
            avait donnés Irène .
             De tempérament robuste, très religieux,
            esprit subtil, mais caractère mesquin, rempli d’incertitude, tel nous apparaît
            Andronic, incapable de réagir contre les influences qu’il subissait, celle de
            son ministre favori, le grand-logothète Théodore Muzalon, qui l’engagea dans
            les querelles religieuses , celle de son père
            spirituel Andronic, évêque de Sardes, qu’il laissa accabler de mauvais
            traitements les évêques unionistes , et, plus tard, celle
            de Théodore Métochitès qui le brouilla avec son petit-fils. On s’explique que,
            dans un État aussi troublé que celui de Byzance à cette époque, Andronic n’ait
            pas eu une autorité suffisante pour ramener l’ordre et la prospérité. Il fut
            surtout un velléitaire, n’ignorait pas les maux de l’Empire et s’efforçait d’y
            remédier par des réformes parfois bien conçues, comme sa réforme
            judiciaire , mais il ne tenait pas
            suffisamment la main à leur application et elles n’apportaient aucune
            amélioration. Il fut surtout incapable de lutter contre la détresse financière
            qui ne fit que s’accroître par suite de dépenses inconsidérées, comme celles de
            l’impératrice Irène . Les moyens qu’il
            employa pour trouver des ressources furent désastreux : emprunts ruineux,
            lourds impôts sur les céréales, altération des monnaies, diminution des gages
            des officiers du Palais, droit du dixième sur les pensions, il eut recours à
            tous les expédients, qui amassèrent des mécontentements, suscitèrent des
            révoltes et ne firent qu’aggraver la pénurie du trésor. Mais de toutes les
            mesures qu’il prit, la plus néfaste fut la suppression de la marine de guerre,
            le licenciement des équipages et la mise au rebut des galères  : l’Empire ne
            serait plus défendu que par des corsaires et par la flotte génoise ; ses
            destinées étaient désormais à la merci des républiques italiennes.
             Or les deux
            principales puissances maritimes, Gênes et Venise, éternelles ennemies l’une de
            l’autre, se disputaient âprement la prépondérance économique à Constantinople
            et dans tout l’Orient . Michel Paléologue
            avait su tenir la balance égale entre elles : Andronic favorisa
            exclusivement les Génois et, lorsque la guerre éclata entre les deux
            républiques, Constantinople se trouva exposée aux représailles des Vénitiens et
            fut mal défendue par ses alliés génois .
             Cette guerre qui dura près de 6 ans
            (1293-1299) eut pour origine les rixes continuelles entre capitaines génois et
            vénitiens, mais, comme l’a montré Bratianu, sa véritable cause est la rivalité
            des deux puissances dans la mer Noire, où Gênes avait hérité des anciennes
            positions de Byzance et fondé la colonie prospère de Caffa et où Venise
            cherchait à s’introduire, grâce à son alliance avec le Khan tartare Nogaï . Ce fut pour cette
            raison que, par suite des efforts vénitiens pour pénétrer dans la mer Noire,
            Constantinople se trouva au centre des hostilités. En juillet 1296 une escadre
            vénitienne débarqua des troupes qui brûlèrent Péra et Galata et la flotte
            chercha à forcer l’entrée de la Corne d’Or. En représailles les Génois réfugiés
            dans la ville massacrèrent tous les Vénitiens qui s’y trouvaient , mais des corsaires
            vénitiens purent aller dévaster les établissements génois de la mer Noire .
             La grande bataille navale qui se livra le 7
            septembre 1298 entre la côte dalmate et l’île de Curzola fut pour Venise un
            désastre sans précédent . Les deux adversaires
            également affaiblis signèrent la paix à Milan (25 mai 1299)  sans se demander de
            réparations, mais ce fut l’empereur Andronic qui paya les frais de la guerre.
            Sur son refus d’accorder des indemnités aux Vénitiens lésés en 1296, une flotte
            vénitienne vint bloquer Constantinople et lancer des flèches à l’intérieur du
            Grand Palais. Le basileus dut négocier et signer une paix onéreuse avec Venise
            (1302-1303) , tout en concédant un
            quartier plus étendu à Gênes, qui l’avait abandonné dans sa détresse , et en laissant Benoît
            Zaccaria, concessionnaire de l’exploitation des mines d’alun de Phocée, occuper
            l’île de Chio sous prétexte de la défendre contre les Turcs (1304) .
             L’expansion serbe. — Conscient de
            l’insuffisance de ses forces, Andronic recherchait avant tout la paix avec les
            voisins de l’Empire au moment où ceux-ci, profitant de sa faiblesse, ne
            songeaient qu’à agrandir leurs territoires à ses dépens. Le plus dangereux
            était le Kral serbe Ourosch II Miloutine qui, après avoir pris Skoplje, où il
            établit sa résidence, s’était emparé de Serrès et de Kavala, portant ainsi ses
            frontières jusqu’à la mer Égée (1282-1283)  et, par la vallée du Vardar,
            menaçant Thessalonique. Poursuivant ses succès, il occupa l’Albanie septentrionale
            (1296). Ce fut seulement alors qu’Andronic II se décida à réagir, mais l’armée
            qu’il confia à son meilleur stratège, Michel Glabas, fut battue et, dans son
            impuissance, il essaya de traiter avec le Kral en lui faisant épouser une
            princesse impériale. Sur le refus de sa nièce Eudokia, veuve de l’empereur de
            Trébizonde, il lui donna sa fille, Simonide, une enfant, malgré le blâme du
            patriarche et lui reconnut une partie de ses conquêtes . Miloutine, qui fut
            l’un des plus grands souverains de la Serbie du Moyen Age, célèbre par ses
            nombreuses fondations d’églises et d’hospices, dans ses États, à
            Constantinople, à Thessalonique, à Jérusalem , semble avoir eu
            l’ambition d’unir la Serbie à l’Empire byzantin sous la même domination et
            était encouragé dans ce dessein par sa belle-mère, l’impératrice Irène . Ce fut d’ailleurs sous
            son règne que, grâce à Simonide, les modes et les influences byzantines
            s’introduisirent en Serbie .
             L’Asie Mineure et la naissance du danger
            turc.
              — Nous avons vu que, sous le règne de son père, Andronic avait déjà manifesté
              tout l’intérêt qu’il portait à l’Asie Mineure . Dans son second éloge
              de cet empereur, Théodore Métochitès le loue de l’activité qu’il a manifestée
              en Asie dès son avènement : il le montre franchissant le Bosphore en plein
              hiver, refoulant les Turcs et leur reprenant la Bithynie, la Mysie, la Phrygie,
              rebâtissant des villes et mettant la frontière en état de défense . Après avoir parcouru
              la Bithynie avec le grand-logothète Muzalon, il fit un long séjour à Nymphée en
              1290 .
              En même temps il recherchait l’alliance du roi de Petite Arménie, Héthoum II,
              dont une sœur épousa l’héritier du trône byzantin, Michel IX (16 janvier
              1296) .
               La situation dans laquelle se trouvait
            l’Anatolie ne justifiait que trop cette activité. C’est à cette époque que la
            petite tribu des Osmanlis sous son chef Osman, successeur d’Ertoghroul, paraît
            s’être convertie à l’islam et commence à élargir les limites de son domaine aux
            dépens de l’Empire byzantin et des Mongols . La révolte militaire de
            Philanthropenos, envoyé en Asie sans argent, d’ailleurs vite réprimée (décembre
            1296), arrêta les opérations . A partir de 1300 les
            incursions d’Osman, jusque-là guerre obscure de village à village, lui valent
            des résultats fructueux et pour la première fois en 1301 ses cavaliers bardés
            de fer rompent la ligne d’un corps de troupes impériales devant Nicomédie . Les Osmanlis n’étaient
            d’ailleurs qu’une puissance minuscule à côté de celle des émirs de Saroukan, de
            Kermian, de Karaman, d’Aïdin, qui occupaient une partie des provinces
            maritimes  et commençaient à
            exercer une pression sur les côtes et les villes de l’intérieur .
             Grâce à l’enrôlement d’un corps d’Alains du
            Caucase, Andronic II put envoyer en Asie Mineure une armée commandée par son
            fils Michel IX (1302), mais cette campagne fut désastreuse. Dès le premier
            contact avec l’ennemi, le jeune basileus mal conseillé alla s’enfermer dans
            Magnésie, mais ne pouvant arriver à calmer une émeute des Alains qui
            réclamaient leur congé, il prit le parti de s’enfuir, suivi bientôt de la
            garnison et de toute la population. Ce fut une véritable panique : les
            Turcs tombèrent sur les fuyards et les massacrèrent et Michel IX alla se mettre
            en sûreté à Cyzique .
             Tel fut le dernier effort des empereurs
            pour sauver l’Asie Mineure par leurs propres forces. Andronic cherchait
            désormais des secours extérieurs, d’abord celui du Khan mongol de Perse,
            Ghazan, à qui il offrit une de ses bâtardes en mariage, mais Ghazan mourut (31
            mai 1302) . En désespoir de cause,
            Andronic eut recours à l’une de ces compagnies de routiers, spécialistes de la
            guerre, qui louaient leurs services aux princes d’Occident.
             L’Empire au pouvoir des Almugavares
            (1303-1311). — La paix de Caltabellota, signée par Frédéric III d’Aragon
              et Charles II d’Anjou (1302) , laissait sans emploi
              la magnifique armée recrutée en Catalogne, en Aragon, en Navarre, que le roi
              d’Aragon avait prise à son service et qu’il ne se souciait pas de ramener en
              Espagne. Après leur licenciement, les Almugavares  se donnèrent comme chef
              un aventurier, Roger de Flor , ancien Templier,
              chassé de l’ordre pour vol, corsaire redoutable et propriétaire d’une compagnie
              de chevaliers. Au courant des affaires de la chrétienté, il fit offrir ses
              services à Andronic II et signa avec lui un traité qui lui attribuait le titre
              de mégaduc, la main d’une princesse impériale et pour ses troupes une solde
              double de celle des mercenaires habituels, payable 4 mois à l’avance .
               En septembre 1303 la flotte qui portait les
            routiers, leurs femmes et leurs enfants arriva à Constantinople  et dès les premiers
            jours ces nouveaux alliés se montrèrent sous leur véritable jour en massacrant
            les Génois qui réclamaient à Roger de Flor le paiement des sommes qu’il leur
            avait empruntées . Andronic II se hâta de
            les faire passer en Asie, où les émirs turcs, ne trouvant plus de résistance,
            poussaient leurs courses jusqu’au Bosphore en réduisant les populations en esclavage .
             Débarqués à Cyzique (janvier 1304), les
            Catalans commencèrent par dégager cette ville assiégée par les Turcs, qu’ils
            massacrèrent ou capturèrent , et y passèrent
            l’hiver, non sans molester les habitants, auxquels Roger de Flor distribua
            100 000 onces d’or d’indemnité avant son départ . Leur véritable
            campagne commença en avril 1304 : en quelques mois ils délivrèrent l’Asie
            Mineure des Turcs que leurs chevaliers et leurs piétons attaquaient à l’arme
            blanche et chargeaient avec une telle furie qu’ils n’avaient pas le temps de se
            servir de leurs arcs et de leurs flèches. Ils parvinrent ainsi
            jusqu’au pied du Taurus cilicien, où ils livrèrent aux Portes de Fer une
            bataille sanglante qui acheva de désorganiser les forces des Turcs, réduits à
            s’enfuir dans les montagnes en abandonnant de nombreux morts et un immense
            butin (août 1305) .
             La contrepartie de ces victoires était la
            mésintelligence croissante entre les indigènes et les Catalans dont les excès
            étaient souvent pires que ceux des Turcs, mais les Grecs n’étaient pas moins
            répréhensibles : les habitants de Magnésie pillèrent pendant l’absence des
            routiers les magasins où Roger de Flor avait entassé son butin. A leur retour,
            les Catalans trouvèrent les portes fermées et ils allaient assiéger la ville
            avec des machines de guerre quand le basileus les rappela en Europe pour
            marcher contre les Bulgares .
             Andronic II était en effet en mauvais
            termes avec le tsar Théodore Sviétoslav, fils de Terter, qui avait délivré la
            Bulgarie tombée sous le joug des Mongols (1285-1293) , et lui avait opposé
            plusieurs prétendants . En cette année 1305 Sviétoslav
            avait envahi le territoire impérial et menaçait les ports de la mer Noire.
            Michel IX, qui lui fut opposé, se fit d’abord battre près d’Andrinople, puis
            ayant levé de nouvelles troupes en faisant fondre sa vaisselle, il infligea une
            défaite aux Bulgares . Cependant sa victoire
            était loin d’être décisive et ce fut ce qui porta Andronic à appeler les
            Catalans à la rescousse, mais, à cette nouvelle, les troupes de Michel IX
            éclatèrent en murmures et le jeune basileus écrivit à son père que l’arrivée des
            routiers dans son camp serait le signal de la révolte de son armée .
             Cependant les Catalans, après avoir passé
            l’Hellespont, s’étaient arrêtés dans la péninsule de Gallipoli. Andronic,
            renonçant à les faire marcher contre les Bulgares, avait résolu de les renvoyer
            en Asie , mais ils étaient
            hostiles à ce projet et réclamaient le paiement de la solde promise. Roger de
            Flor, qui avait été porter leurs doléances à Constantinople, n’en rapporta que
            de faibles sommes et en monnaie de mauvais aloi . Au même moment
            débarquait à Madyte un nouveau chef qui amenait des renforts, Bérenger
            d’Entença, d’une des premières familles de la noblesse d’Aragon. En réalité il
            était l’agent de Jayme II, roi d’Aragon, et de Frédéric III de Sicile, qui,
            après avoir reçu des renseignements sur les exploits des Almugavares, voulaient
            se servir d’eux pour conquérir des positions en Orient . Roger de Flor paraît
            avoir redouté ce personnage et, pour se faire bien voir de lui, il lui céda
            avec l’autorisation d’Andronic sa dignité de mégaduc (25 décembre 1306) . Le conflit qui s’était
            élevé entre le basileus et les routiers semblait en voie d’apaisement, quand,
            Andronic s’étant plaint des immenses sacrifices qu’il avait faits pour les
            Catalans, Bérenger le prit de très haut et quitta Constantinople en jetant à la
            mer le bonnet de mégaduc, insigne de sa dignité .
             Cette rupture avec éclat et probablement
            voulue mettait Andronic dans la situation la plus critique : en janvier
            1307 il apprenait que Roger fortifiait la péninsule, que les Turcs bloquaient
            de nouveau Philadelphie, que le roi de Sicile Frédéric III préparait une
            expédition contre Constantinople et avait envoyé des navires à Gallipoli . Dans son désarroi
            Andronic ne vit d’autre moyen de salut que de s’appuyer sur Roger de Flor,
            auquel il conféra la dignité de César après avoir signé avec lui un nouveau
            traité : Roger recevrait en fief les provinces d’Asie avec une forte
            rente ; de son armée il ne garderait que 3 000 hommes, avec lesquels
            il marcherait de nouveau contre les Turcs .
             Tout semblait réglé et Roger faisait déjà
            passer ses troupes en Asie, mais avant son départ il voulut par une véritable
            bravade aller saluer Michel IX, campé près d’Andrinople, dont il n’ignorait pas
            l’hostilité à son égard. Très bien reçu par le jeune basileus qui dissimulait
            sa colère, il fut assassiné avec toute sa suite dans un festin (7 avril
            1307) . En même temps des
            Turcoples et des Alains envoyés à Gallipoli surprenaient les routiers
            dispersés, en massacraient un grand nombre et enlevaient leurs chevaux au
            pâturage .
             Aucun événement ne pouvait être plus
            néfaste pour l’Empire. Ce crime déchaîna les fureurs des Catalans dont les
            représailles terribles achevèrent la désorganisation de l’État byzantin et
            bouleversèrent toute la péninsule des Balkans pendant plusieurs années :
            ils frayèrent ainsi la voie aux Osmanlis.
             Ils commencèrent par massacrer tous les
            habitants de la presqu’île de Gallipoli tombés entre leurs mains, élurent comme
            chef Bérenger d’Entença et organisèrent un rudiment d’État avec un sceau à
            l’effigie de saint Georges, patron des croisés . Avec une flottille
            Bérenger ravagea les côtes de la Propontide en massacrant les habitants, mais à
            son retour il fut fait prisonnier par des Génois . D’autre part Michel IX
            essayait d’attaquer les Catalans, mais se fit battre à Apros, au sud-ouest de
            Rodosto, et perdit la plus grande partie de son année . L’empereur n’ayant
            plus de troupes à leur opposer, les Catalans se répandirent librement en
            Thrace, pillant, brûlant, ravageant, massacrant avec une cruauté inouïe,
            réduisant les survivants en esclavage, plaçant leur quartier général à Rodosto
            et allant incendier les chantiers de construction de la marine impériale
            au-delà de Constantinople . Leur armée se
            renforçait sans cesse d’aventuriers de tous pays, de déserteurs grecs,
            d’Italiens et même de Turcs venus d’Asie Mineure sur l’invitation des Catalans,
            qui furent ainsi les premiers à les introduire en Europe . En outre de nouveaux
            Almugavares furent amenés par Fernand Ximénès de Arenos, qui s’établit à
            Madyte, tandis que Bérenger de Rocafort occupait Rodosto et que l’historien de
            l’expédition, Ramon Muntaner, était gouverneur de Gallipoli .
             Ils vécurent ainsi pendant deux ans et
            demi, passant l’hiver en orgies grossières et repartant au printemps pour des
            expéditions qui réussissaient toujours, grâce à la rapidité foudroyante de leur
            marche et à l’effet de surprise . Une tentative du
            Génois Spinola pour attaquer Gallipoli (juillet 1308) échoua complètement . En revanche Bérenger
            d’Entença, dont la rançon avait été payée par le roi don Jayme, revint se
            mettre à la tête de la Compagnie et fit une démonstration insolente devant
            Constantinople épouvantée .
             Cependant les ressources de la péninsule de
            Gallipoli étaient épuisées et, au dire de Muntaner, le pays étant dévasté à dix
            lieues à la ronde, les Almugavares ne pouvaient plus y subsister. Tous les
            chefs étaient d’accord pour quitter le pays lorsque dans l’été de 1308 l’infant
            Fernand d’Aragon, neveu de Frédéric III de Sicile, débarqua à Gallipoli en
            excipant des pouvoirs qu’il avait reçus de son oncle, qui lui conférait le
            commandement de la Compagnie et lui interdisait de conclure aucun traité sans
            son assentiment. Bérenger d’Entença, Ximénès et Muntaner reconnurent ses
            pouvoirs, mais Rocafort lui opposa un refus inébranlable , et lorsque l’exode des
            Almugavares commença, l’armée était profondément divisée : après le
            passage de la Maritza, malgré les précautions ordonnées par l’infant, les
            troupes d’Entença se trouvèrent en contact avec celles de Rocafort : il
            s’ensuivit une bataille au cours de laquelle Entença fut tué . Ximénès, menacé à son
            tour, abandonna l’armée et se réfugia à Constantinople, où Andronic le maria à
            l’une de ses nièces et le créa mégaduc .
             Constantinople était libérée de ses
            terribles hôtes, séparés désormais en deux armées distinctes à la recherche de
            nouvelles aventures. Après avoir menacé inutilement Thessalonique , Rocafort avec la plus
            grande partie de l’armée s’établit dans la péninsule de Kassandreia, dont il
            pilla les alentours sans épargner même les couvents de l’Athos . L’infant don Fernand
            et Muntaner, partis de Thasos sur la flotte, firent escale à Nègrepont où se
            trouvait une escadre vénitienne ainsi qu’un agent de Charles de Valois,
            prétendant au trône latin de Constantinople, Thibaud de Chépoy. L’infant,
            arrêté et enchaîné, fut envoyé au duc d’Athènes, Guy de la Roche, qui, en
            représailles du pillage du port thessalien d’Amyros, le fit jeter dans un
            cachot . Attaquées par les
            Vénitiens, les galères catalanes furent délestées de leur butin, et Thibaud de
            Chépoy livra les prisonniers, dont Muntaner, à Rocafort avec lequel il fit
            alliance  au nom de Charles de
            Valois. Il ne tarda pas d’ailleurs à se brouiller avec ce chef autoritaire et
            ambitieux ; les capitaines catalans, auxquels Rocafort était devenu
            odieux, le livrèrent à Thibaud de Chépoy qui l’expédia à Naples, dont le roi,
            Robert d’Anjou, l’emprisonna à Aversa jusqu’à la fin de ses jours .
             L’odyssée des Almugavares approchait de son
            terme. Les ressources de la presqu’île de Kassandreia étant épuisées et
            Thessalonique imprenable , ils gagnent la
            Thessalie sous la conduite de Thibaud de Chépoy. Là ils sont l’objet d’enchères
            de la part du souverain du pays, le sébastocrator Jean l’Ange, allié d’Andronic
            II et du despote d’Épire contre les États français de Grèce , et de la part de
            Gautier de Bryenne, duc d’Athènes, désireux justement de recouvrer les places
            de Thessalie méridionale enlevées à son État par les Grecs et de placer Jean
            l’Ange sous sa suzeraineté . Ils traitent d’abord
            avec le sébastocrator et usent de son hospitalité avec si peu de discrétion que
            Thibaud de Chépoy, dégoûté de leur indiscipline, les abandonne , puis Gautier de
            Bryenne leur fait des propositions si avantageuses qu’ils lui donnent la
            préférence . En six mois ils
            reprennent 30 places enlevées au duché d’Athènes , mais quand vient
            l’heure du règlement des comptes, Bryenne en attache 500 à sa maison et renvoie
            les autres . Il ne tarda pas à s’en
            repentir. Sentant la vengeance prochaine, il fit appel à toute la chevalerie
            franque de l’Achaïe et des îles, mais ces brillants escadrons, attirés dans les
            marécages du lac Copals, y furent massacrés presque entièrement par les piétons
            catalans et Gautier lui-même y trouva la mort (13 mars 1311) . La poursuite des
            fuyards permit aux vainqueurs d’occuper Thèbes et Athènes où ils s’établirent.
            A leur demande, le roi Frédéric III leur envoya son fils Manfred qui prit le
            titre de duc d’Athènes et fonda en Grèce un État catalan qui devait durer 80
            ans .
             Le désarroi de l’Empire (1308-1321). — Le passage des
            Almugavares à travers l’Empire, plus désastreux que celui de plusieurs croisades,
            acheva de lui enlever toute possibilité de redressement. Le chroniqueur catalan
            Ramon Muntaner résume ainsi l’œuvre destructive de ses compatriotes :
            « Nous épuisâmes toute la Romania, car, sauf les villes de Constantinople,
            Andrinople, Christopolis-Cavalla et Salonique, il n’y eut cité qui ne fût mise
            par nous à feu et à sang... » . La révolte des
            Almugavares, qui nous reporte à celle des milices gothiques du ve siècle, eut pour
            conséquences de nouveaux démembrements de l’Empire. Andronic II, comme le
            remarque Muntaner , n’eut pas le bénéfice
            de la libération de l’Asie Mineure. Les Catalans partis, les Turcs reparurent,
            reprirent leurs positions et firent de nouvelles annexions.
             Ce fut ainsi que les Osmanlis pénétrèrent
            en 1308 dans la péninsule de Nicomédie, investirent Brousse, repoussèrent une
            invasion de Mongols suscitée par le basileus et annexèrent à leur milice ceux
            qui avaient été faits prisonniers . Une perte encore plus
            désastreuse fut celle d’Éphèse, prise par un allié d’Osman, l’émir Saïsan, qui
            viola la capitulation et pilla le célèbre trésor de Saint-Jean . Enfin l’île de Rhodes,
            devenue un véritable repaire de pirates et qui n’était rattachée à Constantinople
            que nominalement, fut conquise par les Hospitaliers, qui avaient dû quitter
            l’île de Chypre à la suite de conflits avec le roi Henri II. Ils avaient offert
            à Andronic de tenir Rhodes sous sa suzeraineté, mais avaient essuyé un refus et
            le basileus envoya même des secours à la cité de Rhodes, qui fut prise après un
            long siège le 15 août 1310 .
             Une puissance nouvelle allait donc prendre
            part à la lutte contre la marine turque, mais, loin d’en rechercher l’alliance,
            le gouvernement impérial ne lui manifestait que de l’hostilité.
             Les provinces d’Europe n’étaient pas moins
            troublées que l’Asie Mineure. Les Almugavares avaient laissé derrière eux des
            bandes de Turcs qui continuaient à ravager la Thrace et interceptaient les communications
            entre Constantinople et Salonique. Andronic traita avec leur chef, Halil, mais
            au passage de l’Hellespont un officier impérial, violant les conventions,
            voulut lui reprendre son butin, d’où une bataille dans laquelle Michel IX
            perdit ses bagages et fut mis en déroute. Les Turcs continuèrent à occuper la
            région, qui resta trois ans sans être cultivée (1311-1314). Il fallut tout ce
            temps à Andronic pour équiper et exercer une nouvelle armée qui, commandée par
            un excellent chef , et grâce au secours
            des Serbes, parvint à encercler les Turcs dans la péninsule de Gallipoli et à
            détruire leur troupe qui ne comprenait pas plus de 1 800 guerriers .
             Cet épisode en dit long sur la détresse de
            l’État byzantin et l’impuissance à laquelle il était réduit. C’est ce qui
            explique qu’Andronic ait été incapable de secourir son gendre Miloutine qui,
            après avoir enlevé Durazzo aux Angevins, était menacé par une coalition du roi
            de Hongrie Charles-Robert  et de son oncle
            Philippe de Tarente, à qui Charles de Valois, son beau-père, avait cédé ses
            droits sur l’Empire latin . Le pape fit prêcher la
            croisade en Albanie contre les Serbes schismatiques. Miloutine perdit Belgrade
            et un territoire en Bosnie . Après sa mort (1321)
            son successeur Étienne Detchanski, ne pouvant plus compter sur Byzance, chercha
            des alliances en Occident et négocia avec le pape.
             La situation intérieure n’était pas moins
            troublée et les querelles religieuses y tenaient toujours une grande place. En
            1307, à l’instigation du patriarche Athanase, Andronic II expulsait les Frères
            Mineurs établis à Constantinople depuis 1220 . Le schisme arsénite se
            perpétuait et ses tenants étaient irréductibles en dépit des tentatives du
            basileus et des patriarches pour les réintégrer dans l’Église . A la suite d’un véritable
            mouvement de folie mystique, le peuple exigea le rétablissement d’Athanase au
            patriarcat et força Jean Cosmas à démissionner (23 août 1304) , mais Athanase ne put
            se maintenir au pouvoir et dut se retirer en 1312 . L’Église tomba alors
            dans l’anarchie : en onze ans (1312-1323) le patriarcat changea cinq fois
            de titulaire et resta vacant deux fois (1315-1316) (1323-1324) .
             Plus désastreuses encore allaient être les
            conséquences des discordes de la famille impériale.Le jeune Andronic, fils de
            Michel IX et de la sœur du roi Héthoum, né vers 1296, avait été longtemps le
            favori de son aïeul, puis la vie désordonnée qu’il mena dans sa vingtième année,
            sa passion pour la chasse et le jeu, ses emprunts aux Génois et même une
            tentative de complot pour se constituer un apanage le firent tomber en
            disgrâce. Après de violentes altercations il y eut cependant une réconciliation
            entre Andronic II et son petit-fils (1318) , mais elle ne devait
            pas durer longtemps. Deux ans plus tard, par une fatale méprise, des bravi,
            apostés par le jeune prince pour tuer un rival qui cherchait à lui enlever sa
            maîtresse, égorgèrent son propre frère, le despote Manuel. A cette nouvelle,
            Michel IX, malade à Thessalonique, mourut de chagrin (1er octobre
            1320) .
             Andronic II, exaspéré, voulut exclure son
            petit-fils du trône et lui substituer un bâtard de son second fils Constantin.
            Averti par celui-là même chargé de l’espionner, le jeune Andronic s’entendit
            avec le grand-domestique Jean Cantacuzène et d’autres amis : il se forma
            bientôt un parti pour soutenir ses droits et il eut l’appui du Kral serbe
            Miloutine (1320) . Le basileus prit peur
            et résolut de condamner son petit-fils à la prison perpétuelle il le fit
            comparaître devant un tribunal de hauts dignitaires (5 avril 1321) ; mais
            effrayé par la présence des conjurés, après lui avoir fait de violents
            reproches, il lui fit grâce. Le jeune Andronic demanda un sauf-conduit pour ses
            amis, mais se vit opposer un refus formel . Alors, ne se sentant
            plus en sûreté, il s’enfuit à Andrinople où ses partisans vinrent le
            rejoindre . Ce fut le signal de la
            guerre civile.
             4.  La période des guerres civiles  (1321-1355)
            La guerre civile fut le résultat naturel de
            l’anarchie et du désordre dus à la politique somptuaire de Michel Paléologue, à
            la faiblesse et aux maladresses d’Andronic II. En 34 ans on compte 21 ans de
            guerres civiles, séparées en deux périodes par le règne réparateur, mais trop
            court, d’Andronic III : la guerre des deux Andronic (1321-1328) et la
            révolte de Jean Cantacuzène (1341-1355). Ces troubles continuels achevèrent la
            désorganisation de l’Empire et paralysèrent sa défense, mais leur résultat le
            plus néfaste fut l’intervention des étrangers dans ces querelles intestines,
            ainsi que les démembrements territoriaux qui en résultèrent. Jamais l’Empire ne
            put se relever de cette crise.
             La guerre des deux Andronic (1321-1328). — Réfugié à
            Andrinople, le jeune Andronic vit bientôt se grouper autour de lui une armée de
            mécontents, alors que le vieil empereur, surpris comme toujours par les
            événements, ne savait quel parti prendre, exigeait un nouveau serment de
            fidélité des dignitaires, faisait excommunier les rebelles , puis se décidait à
            transiger, offrant même d’abdiquer et de se faire moine : un traité fut
            signé, qui partageait le territoire de l’Empire entre les deux princes  (juin 1321). Mais
            Andronic II n’était pas sincère et entretenait un espion qui le renseignait sur
            tous les faits et gestes de son petit-fils. La découverte de cette intrigue
            entraîna la rupture et la guerre commença (août 1321) .
             En fait cette lutte se poursuivit en deux
            campagnes, séparées par un nouvel accommodement qui dura cinq ans (1322-1327).
            L’attaque vint du vieil empereur qui commença à reprendre les villes
            abandonnées à son petit-fils. Celui-ci, qui avait assiégé en vain Héraclée et
            que ses troupes ne voulaient plus suivre, se trouva dans une position critique,
            démuni d’argent et tombé malade à Didymotika . Il fut sauvé par son
            fidèle Cantacuzène qui l’aida de ses deniers, et au printemps de 1322 il put
            marcher sur Constantinople et s’emparer facilement des villes qui en
            défendaient l’accès . Partout il était bien
            accueilli en promettant aux villes et aux paysans des remises d’impôts. A
            Thessalonique les habitants se déclarèrent pour lui et lui livrèrent son oncle,
            Constantin, qu’Andronic Il voulait déclarer héritier du trône . Son petit-fils mit en
            fuite un corps de Turcs envoyé à sa rencontre et poursuivit sa marche. Menacé
            d’être assiégé dans Constantinople, le vieil empereur demanda la paix,
            qu’Andronic le Jeune accepta en montrant une grande modération  (juillet 1322).
             Cette fois la paix parut sincère :
            laissant Constantinople et sa région à son aïeul, Andronic le Jeune se retira à
            Didymotika et s’y occupa loyalement de la défense de l’Empire. Profitant de la
            guerre civile, le tsar bulgare Georges Terter II, bien que neveu par sa mère du
            jeune Andronic, avait envahi la Thrace, occupé Philippopoli et poussé jusqu’à
            Andrinople. Le jeune Andronic le força à battre en retraite, fit une incursion
            en Bulgarie . Terter II étant mort
            sans héritier (1323), le pouvoir fut disputé entre les boyards . Andronic le Jeune
            essaya de recouvrer Philippopoli et dut en lever le siège, mais la ville fut
            prise peu après par un de ses lieutenants, Georges Bryenne . Un des prétendants au
            trône bulgare, Boeslav, battu par son rival Michel Šišman, d’origine
              comane, se réfugia à Constantinople. La guerre continua avec Šišman et, les deux empereurs n’ayant pas d’armée à lui opposer, elle menaçait d’être
                désastreuse pour eux, lorsque le nouveau tsar, pour légitimer son pouvoir,
                épousa la veuve de Sviétoslav, Théodora, fille d’Andronic II, et fit la paix
                avec l’Empire .
                 Jamais une pareille cordialité n’avait
            régné entre les deux Andronic. Le vieil empereur faisait couronner
            solennellement son petit-fils, l’associait à l’Empire  et, sa femme, Irène de
            Brunswick, étant morte en 1324, le remariait à la sœur du comte de Savoie,
            Jeanne (1326) , mais, malgré la fin de
            la guerre civile, la situation de l’Empire ne s’améliorait pas. Les provinces
            d’Europe étaient toujours infestées de bandes turques et Andronic III était
            obligé de leur livrer bataille pour ramener sa nouvelle épouse de
            Constantinople à Didymotika . En Asie Mineure le
            petit État osmanli continuait à élargir son territoire et, au moment de la mort
            d’Osman, s’emparait de Brousse (6 avril 1326) , qui fut sa première acquisition
            importante et dont le successeur d’Osman, Ourkhan, fit la capitale de son État,
            encore l’un des plus faibles de l’Anatolie.
             La paix entre les deux empereurs semblait
            du moins définitive, lorsque Andronic III apprit que son aïeul, excité par le
            grand-logothète Théodore Métochitès et le protovestiaire Andronic Paléologue,
            préparait une nouvelle guerre contre lui . A la liste de griefs
            qui lui fut adressée il répondit en demandant à venir se justifier. Mais
            l’accès de Constantinople lui fut interdit et le patriarche qui le soutenait
            fut enfermé dans un monastère . Cette fois l’étranger
            intervint dans la querelle : Andronic III eut pour lui le tsar Michel Šišman,
              tandis que son aïeul avait signé un traité d’alliance avec le nouveau Kral
              serbe Étienne Detchansky .
               Après avoir épuisé tous les moyens de
            conciliation , Andronic III entra en
            campagne et attaqua l’armée de son aïeul, qui se trouvait en Macédoine. Il débuta
            par un magnifique succès, la prise de Thessalonique, où il fut appelé par les
            habitants, et qui entraîna la reddition de la plupart des places macédoniennes
            (janvier 1328) . Il marcha alors sur
            Constantinople où il pénétra avec la complicité d’un gardien des murailles dans
            la nuit du 24 mai . Il témoigna le plus
            grand respect à son aïeul, qui conserva tous les dehors de la souveraineté et
            vécut dans la retraite jusqu’en 1332 .
             Le règne d’Andronic III (1328-1341). — Le règne
            d’Andronic III ne fut qu’une période d’accalmie entre deux guerres civiles.
            Conscient des fautes de son aïeul, Andronic III travailla avec une véritable ardeur
            à relever l’Empire et réussit dans une certaine mesure à l’arrêter sur la pente
            du précipice, mais ses ressources étaient insuffisantes et son règne fut trop
            court. Il eut pour principal collaborateur Jean Cantacuzène, qui fut pour lui
            un ami fidèle et lui inspira ses mesures les plus utiles. Andronic voulait
            l’associer à la couronne , mais il refusa, pour
            son malheur et celui de l’Empire . D’une famille noble,
            alliée aux Paléologues, il mit au service d’Andronic III son expérience de la
            guerre, ses talents d’homme d’État et de diplomate. Il était en même temps
            grand-domestique, chef de l’armée et grand-logothète, directeur de
            l’administration intérieure, mais il se démit de cette charge en faveur
            d’Alexis Apocauque, Bithynien d’origine obscure, qui s’était enrichi rapidement
            dans l’administration des salines impériales. Sur le point d’être poursuivi
            pour malversations, Apocauque s’attacha à la fortune d’Andronic III qui le créa
            parakimomène en 1321, mais qui le considérait comme un aventurier. Regardé
            comme un habile financier, il dut beaucoup à la protection de Cantacuzène,
            qu’il devait trahir dans la suite . Très ambitieux, il
            réussit par ses intrigues à se faire créer mégaduc et gouverneur de
            Constantinople contre le gré de l’empereur .
             Maître du pouvoir, Andronic III rétablit
            Isaïe au patriarcat  et n’exerça guère de
            représailles sur ceux qui l’avaient desservi. Il libéra même le traître
            Syrgiannis, condamné par Andronic II à la prison perpétuelle , mais il trouva excessif
            que Cantacuzène le mît à la tête des armées d’Occident pendant sa maladie . Il n’exerça pas longtemps
            cette charge : accusé d’un complot, Syrgiannis fut jugé par le basileus en
            personne, mais parvint à s’enfuir à Nègrepont et fut tué en faisant la guerre à
            l’Empire dans les troupes du Kral serbe .
             La mesure la plus importante du règne
            d’Andronic III fut sa réforme judiciaire, qui devait lui survivre . Il s’efforça aussi de
            relever de leurs ruines les nombreuses villes dévastées par la guerre et en fonda
            même de nouvelles, mais il mourut avant d’avoir pu assurer la défense de la
            Thrace en transformant Arcadiopolis (Lulle Bourgas) en une puissante
            forteresse .
             Excellent soldat, entraîné à tous les
            exercices du corps, commandant lui-même ses troupes, Andronic III passa une
            bonne partie de son règne à faire la guerre et parvint à améliorer les
            positions de l’Empire dans la péninsule des Balkans.
             Cependant sa première tentative ne fut pas
            heureuse : cherchant à exploiter le différend serbo-bulgare , il entra dans une
            coalition formée par Šišman contre le Kral Étienne et
              fut entraîné dans la défaite des Bulgares à Velbùzd (Kustendjil) (juillet
              1330) : Michel Šišman fut tué au cours de
                l’action . Le Kral vainqueur
                s’empara de Nisch et d’une partie de la Macédoine occidentale, renvoya la sœur
                d’Andronic III à Constantinople, tira la sienne de la prison où Šišman l’avait reléguée et l’installa à Tirnovo comme régente au nom de son fils
                  mineur. Les Bulgares, ne voulant pas obéir au petit-fils d’un Serbe, la chassèrent
                  et élurent tsar un neveu de Michel Šišman, Jean Alexandre  (printemps de 1331).
                     Le nouveau tsar fournit à Andronic
            l’occasion de réparer son échec en reprenant des villes frontières cédées à
            l’Empire. Andronic attaqua aussitôt la Bulgarie et s’empara du port de
            Mesembria, ainsi que de quelques places à la frontière des Balkans, mais ne put
            prendre Anchiale. Alexandre offrit de céder cette ville en échange de Diampolis
            (Pliska), puis, le traité signé, attaqua les Grecs et les força à battre en retraite ;
            il fit savoir en outre qu’il observerait le pacte si le basileus donnait sa
            fille en mariage à son héritier. Andronic y consentit, bien qu’à contrecœur  (juillet 1332), mais le
            mariage ne fut célébré qu’en 1338 .
             Andronic III fit en outre des acquisitions
            fructueuses dans les régions occidentales de la péninsule des Balkans. En 1336,
            il va réprimer les brigandages des Albanais avec un corps de Turcs habitués à
            la guerre de montagne et fait une immense razzia de leurs troupeaux . En même temps il
            négocie avec les habitants de l’Acarnanie, sujets du despotat d’Épire, et
            annexe cette province à l’Empire , mais il doit la
            défendre trois ans plus tard contre un soulèvement d’une partie des habitants
            en faveur de l’héritier légitime du despotat, le jeune Nicéphore l’Ange, et
            arrive à soumettre les villes rebelles . Le danger était
            d’autant plus grand que Nicéphore était réfugié auprès de Catherine de Valois,
            veuve de Philippe de Tarente et impératrice titulaire de Constantinople, qui débarqua
            en Achaïe avec une armée en 1338, mais, mal secondée par ses vassaux, ne put entamer
            le territoire grec .
             Malheureusement, obligé de s’occuper
            exclusivement de la défense des provinces d’Europe, Andronic III ne put
            s’opposer aux progrès des Turcs en Asie Mineure et ce fut sous son règne que
            l’Empire fut chassé de ses dernières positions à l’intérieur de la péninsule.
            Au moment de son avènement, l’émir le plus puissant était celui de Phrygie
            (Kermian) qui résidait à Kutayeh et dont l’armée était la plus nombreuse . Il était assez
            puissant pour que le gouverneur mongol de Roum, Timour-schah, qui faisait des
            incursions jusqu’à la Méditerranée, se fût abstenu de l’attaquer (1327) . Andronic III se rendit
            à Cyzique pour signer avec lui un véritable traité de sauvegarde des
            territoires byzantins .
             Malgré la prise de Brousse, l’État osmanli
            était encore l’un des plus petits, mais au moment où Andronic triomphait de son
            aïeul, Ourkhan assiégeait Nicée. Arrivé en hâte avec une armée improvisée, le
            basileus perdit la bataille de Pelekanon  et Nicée fut prise le 2
            mars 1331 . Ourkhan attaqua
            ensuite Nicomédie : à plusieurs reprises Andronic le força à en lever le
            siège, mais la place finit par tomber entre ses mains, en 1337 au plus
            tard .
            L’étendue des conquêtes d’Ourkhan fut exagérée dans la suite par les
            historiens. Cependant vers 1340 il était déjà maître de 100 forteresses et
            avait porté sa frontière jusqu’aux environs de Scutari, non loin du
            Bosphore . Il commençait même à
            s’agrandir aux dépens des autres émirs, et vers 1337 son intervention dans les
            affaires de l’émirat de Mysie lui valut la possession de Pergame  et de plusieurs autres
            villes. Toutes ces annexions s’effectuaient sans qu’il y eût la moindre
            intervention de l’État byzantin.
             Andronic III faisait en effet porter ses
            principaux efforts sur les questions maritimes qui étaient d’un intérêt vital
            pour Constantinople. Parmi les maux dont souffrait l’Empire, le plus douloureux
            était la piraterie organisée par les émirs turcs des provinces maritimes, celui
            de Saroukhan, maître de Magnésie, Omour-beg, émir d’Aïdin établi à Smyrne,
            Khidr-beg d’Éphèse . Depuis 1330 leurs
            agressions se multipliaient dans l’Archipel aussi bien contre le territoire byzantin
            que contre les possessions latines, Nègrepont, Crète vénitienne, duché de
            Naxos, tandis que les émirs de Carie, Lycie, Pamphylie étaient contenus par les
            Hospitaliers établis à Rhodes, Cos, Nisyros, et par la marine de Chypre . En 1333 l’émir de
            Saroukhan dirige une flotte de 75 navires contre les côtes de Thrace ;
            après avoir pillé Samothrace, les Turcs débarquent et se trouvent en face des
            troupes d’Andronic qui n’ose les attaquer, mais dont l’arrivée les détermine à
            se rembarquer. Un peu plus tard des pirates turcs s’en vont occuper Rodosto, à
            quelques heures de Constantinople, et il faut une expédition commandée par
            l’empereur en personne pour les en déloger . L’année suivante une
            flotte turque débarque des troupes dans le golfe Thermaïque et il faut
            qu’Andronic et Cantacuzène, qui se trouvaient à Thessalonique, marchent à leur
            rencontre et les rejettent à la mer . Enfin dans l’été de
            1337 ce sont les environs immédiats de Constantinople qui sont assaillis par
            une bande de Turcs levés dans l’État osmanli et c’est Jean Cantacuzène qui les
            repousse et, après un combat acharné, les massacre presque entièrement .
             Pour mettre un terme à ces pirateries il
            eût fallu une marine de guerre, qui faisait défaut à l’Empire depuis les
            mesures néfastes d’Andronic II et que son petit-fils ne put rétablir
            qu’incomplètement. Les corsaires turcs avaient du moins affaire aux navires des
            deux frères Martin et Benoît Zaccaria, co-souverains de l’île de Chio,
            qu’Andronic Il avait cédée à bail à leur grand-oncle en 1304. Ils inspiraient
            une véritable terreur aux Turcs dont ils capturaient les navires en grand
            nombre, mais à la faveur des troubles de l’Empire, Martin Zaccaria était devenu
            à peu près indépendant, avait exclu son frère du gouvernement de Chio,
            substituait ses armoiries à celles des Paléologues et frappait monnaie à sa
            seule effigie . Effrayé des progrès de
            cette nouvelle puissance, Andronic III cita Martin à comparaître devant lui et,
            sur son refus, après avoir équipé une flotte de 105 navires, il parut devant
            Chio : après un essai de résistance, Martin fut fait prisonnier et emmené
            à Constantinople. Le basileus établit un gouverneur grec à Chio (1329) . Quelques années plus
            tard il rétablissait son autorité dans l’île de Lesbos ainsi qu’à Phocée :
            Dominique Cattaneo, seigneur de la Nouvelle Phocée sous la suzeraineté
            impériale, allié aux chevaliers de Rhodes, au duc de Naxos, aux Génois de
            Galata, s’était emparé de l’île de Lesbos et se déclarait indépendant. Poussé
            par Cantacuzène, Andronic fit alliance avec des émirs turcs qui lui fournirent
            des navires et alla assiéger en même temps Mytilène et Phocée, mais ce fut
            grâce aux négociations de Cantacuzène avec l’amiral génois Spinola que les deux
            villes se rendirent .
             On voit par cet exemple à quel point la
            seule marine impériale était insuffisante et les États chrétiens qui se
            partageaient la possession de l’Archipel étaient trop désunis pour agir
            efficacement contre les pirates. Ce fut pour cette raison que Venise, dont les
            colonies d’Orient communiquaient difficilement entre elles, proposa aux papes
            Jean XXII (1316-1334) et Benoît XII (1334-1342) la formation d’une ligue navale
            des États chrétiens qui débarrasserait la Méditerranée orientale de la
            piraterie c’était seulement à ce prix qu’une croisade était possible, mais il
            était essentiel que Byzance fît partie de la ligue, ce qui supposait un retour
            à l’union religieuse entre Constantinople et les papes .
             Or ce programme correspondait au désir
            d’Andronic III, que l’impératrice Anne de Savoie poussait à reconnaître
            l’autorité du pape. Michel Paléologue avait conclu l’Union pour éviter une
            croisade contre Constantinople désormais l’Union aura au contraire pour objet
            de provoquer la croisade qui portera secours à l’Empire. C’est à cette époque
            que ce point de vue nouveau apparaît dans la politique impériale.
             Déjà Andronic II, malgré son hostilité
            contre Rome, en était venu à la fin de son règne à exprimer au roi de France
            Charles le Bel son désir de négocier une nouvelle union (1327) . Andronic III alla
            encore plus loin. En 1332 il se fit représenter aux conférences tenues à Rhodes
            par les envoyés de Venise et conclut une alliance contre les Turcs avec Venise
            et le grand maître des Hospitaliers. En 1334 le roi de France et le pape se
            joignaient à cette ligue navale ainsi que le roi de Chypre . En même temps Andronic
            faisait part à Jean XXII de son désir d’union et le pape renvoyait à
            Constantinople les deux dominicains qui lui avaient porté les demandes du
            basileus. Mais tous ces projets échouèrent. Nicéphore Grégoras, désigné pour
            discuter avec les envoyés du pape, se déroba et les fit renvoyer sans réponse . D’autre part Andronic
            III, qui avait rassemblé 20 navires dans l’Archipel, attendit en vain la flotte
            alliée toujours à l’ancre dans le port de Marseille. Jean XXII venait de mourir
            (décembre 1334) et Benoît XII qui lui succéda se borna à adresser des appels à
            la chrétienté en faveur des Arméniens de Cilicie menacés par les Turcs. En fait
            ce furent les discordes entre Gênes et Venise, ainsi que la rupture entre
            Philippe VI et Édouard III, qui firent échouer cette première ligue navale .
             Andronic III n’en chercha pas moins à
            renouer des relations avec le pape, mais sachant combien ses sujets étaient
            hostiles à l’Union, ce furent deux étrangers, le moine calabrais Barlaam et le
            Vénitien Étienne Dandolo, qu’il envoya secrètement à Benoît XII à Avignon.
            Barlaam plaida chaleureusement la cause des Grecs. Il chercha à persuader au
            pape que le seul moyen de les gagner était de leur envoyer d’abord des secours
            et il préconisa la réunion d’un concile œcuménique pour résoudre les
            difficultés, mais Benoît XII réfuta tous ses arguments et tout se borna à un
            échange de paroles (1339) .
             Les circonstances étaient d’autant plus
            défavorables à l’Union que tout Byzance, clercs et laïcs, était agité alors par
            les controverses entre les hésychastes (quiétistes), qui prétendaient arriver par une méthode appropriée à la vision
            de la divinité, et les humanistes imbus de la philosophie aristotélicienne, qui
            ne voyaient d’autre terrain apologétique que la démonstration . Grégoire Palamas,
            moine de l’Athos, où s’était propagée la doctrine hésychaste, et Barlaam, Grec
            de Calabre émigré à Thessalonique, avaient rempli cette ville de leurs polémiques
            d’une âpreté singulière (1333-1339) . A son retour
            d’Avignon, le Calabrais eut connaissance d’un écrit où Palamas exposait sa
            doctrine de la lumière divine incréée et prenait son adversaire à partie.
            Barlaam y vit une théologie hétérodoxe, rappelant d’anciennes hérésies. Après
            avoir écrit un traité pour le réfuter , il alla à
            Constantinople accuser Palamas d’hérésie devant le patriarche Jean Calécas qui,
            médiocre théologien, l’accueillit fort mal, mais Barlaam remua si bien
            l’opinion qu’il fallut faire venir Palamas . Le 10 juin 1341 un
            concile fut tenu à Sainte-Sophie sous la présidence du basileus, mais il refusa
            de discuter le bien-fondé des doctrines en présence : il se borna à
            déclarer qu’il appartenait aux seuls évêques de statuer sur les dogmes et força
            Barlaam à faire des excuses aux moines qu’il avait attaqués .
             C’était une défaite pour Barlaam qui
            regagna l’Occident, mais loin d’apaiser les esprits, cette solution ne fit que
            rendre plus profondes les divisions qui régnaient dans le monde byzantin et qui
            allaient engendrer de nouvelles guerres civiles. Cinq jours après le concile de
            Sainte-Sophie, Andronic III mourait, âgé de 45 ans, laissant pour lui succéder
            un enfant de neuf ans sous la tutelle d’une impératrice que son origine
            occidentale et sa foi romaine avaient rendue impopulaire (15 juin 1341) .
             La révolte de Jean Cantacuzène (1341-1347). — Andronic III
            disparaissait à l’âge où un homme est en pleine vigueur, laissant inachevée la
            tâche de relèvement qu’il avait entreprise. Un seul homme, Jean Cantacuzène,
            était capable de continuer cette œuvre, mais il avait refusé d’être revêtu de
            l’autorité impériale qui lui eût été nécessaire pour réussir. Andronic III
            l’avait du moins désigné comme régent et l’impératrice Anne avait accepté cette
            décision. Maître du gouvernement, il voulait réorganiser l’armée, rétablir les
            finances, résister aux exigences des étrangers, achever la restauration de
            l’Empire . Malheureusement il
            avait compté sans les jalousies qu’il inspirait à ceux mêmes qui lui devaient
            leur fortune, à Alexis Apocauque, qui le comblait de flatteries, mais le
            détestait , au patriarche Jean
            Calecas, qui lui devait son élection à laquelle le synode était opposé . Ce furent ces deux
            personnages qui le desservirent auprès d’Anne de Savoie en lui prêtant les plus
            mauvais desseins contre la famille impériale . Se sentant suspect,
            Cantacuzène offrit sa démission, qui fut refusée , mais pendant une de
            ses absences les deux complices obtinrent de l’impératrice que Jean Cantacuzène
            fût destitué de toutes ses charges, sans pouvoir même venir se justifier à
            Constantinople . A cette nouvelle,
            Cantacuzène se fit proclamer empereur à Didymotika le 26 octobre 1341, jour de
            la fête de saint Démétrius, mais en faisant acclamer le nom de l’héritier légitime,
            Jean V, avant le sien .
             Une nouvelle guerre civile commençait, mais
            elle avait des causes plus profondes qu’une simple lutte pour le pouvoir.
            Cantacuzène représentait la grande noblesse terrienne, les archontes, contre
            lesquels il s’était formé au xive siècle dans la plupart des villes un parti démocratique et populaire composé de
            petits artisans, de marchands et même de paysans. Ce furent les rancunes de ces
            classes contre les nobles que les ambitieux comme Apocauque, type du parvenu
            sans scrupule, surexcitèrent, et c’est ce qui explique que cette deuxième
            guerre civile, à la différence de la première, eut les allures d’une guerre sociale.
            Elle eut d’ailleurs pour résultat d’achever la désorganisation intérieure et de
            livrer l’Empire à l’étranger, auquel chacun des deux partis faisait appel sans
            aucun scrupule .
             Cette guerre fut longue et décousue, les
            deux adversaires étant contraints et forcés par leurs partisans, qui faisaient
            échouer leurs tentatives d’accommodement . Dans les deux camps
            d’ailleurs les ressources manquaient. Pour s’en procurer, Anne de Savoie fit régner
            une fiscalité intolérable, envoya au creuset les pièces du trésor, confisqua
            les biens des nobles . Ce fut surtout une
            guerre d’intrigues et de combinaisons diplomatiques dans lesquelles les
            alliances matrimoniales, la corruption des gouverneurs de places fortes tenaient
            une grande place. Dès son début la guerre eut le caractère d’un duel entre
            Apocauque, qui avait pour lui les classes populaires, et Cantacuzène, soutenu
            par les archontes, les moines et aussi les hésychastes.
             Établi dans une forte position, à Didymotika , bâtie en amphithéâtre
            sur un des derniers contreforts du Rhodope, arrosée par un affluent méridional
            de la Maritza, à l’entrée de la plaine de Thrace, Jean Cantacuzène organisa son
            armée et somma les commandants des places de Thrace et de Macédoine de
            reconnaître son autorité .
             Pendant la première partie de la guerre
            (hiver de 1341 - fin 1344) il n’éprouva que des revers. Dès le début sa marche
            sur Constantinople est arrêtée par son échec devant Andrinople défendue par des
            Bulgares , ainsi que par la défection
            de trois de ses principaux partisans . A Constantinople Anne
            de Savoie fait couronner solennellement Jean V et confie le pouvoir à
            Apocauque, qui jette la mère de Cantacuzène dans une prison où elle meurt . En mars 1342
            Cantacuzène marche sur Thessalonique, mais il s’arrête à Drama en apprenant la
            nouvelle du mouvement démocratique dit des Zélotes, dirigé contre les
            nobles . Entre-temps Cantacuzène
            s’en va faire alliance avec le Kral Étienne Douschan  et attaque Thessalonique
            avec des troupes serbes, mais l’arrivée d’Apocauque avec une flotte et une
            armée le force à lever le siège et à se réfugier à Berrhoé (Verria) . L’année suivante une
            nouvelle tentative pour s’emparer de la ville avec l’appui de la flotte et de
            l’armée de l’émir de Smyrne Omour-beg échoua encore  et en novembre 1343
            Jean Cantacuzène était de retour à Didymotika .
             Sa situation fut alors des plus critiques.
            Il ne pouvait plus compter sur l’alliance d’Omour-beg après la prise de Smyrne
            par la croisade de l’Archipel (28 octobre 1344) . A l’instigation d’Anne
            de Savoie le Kral Étienne Douschan et le tsar Jean Alexandre envahissaient la
            Thrace. A la voix du patriarche, une armée de volontaires se forma à
            Constantinople et Apocauque, établi à Héraclée, tenta trois fois de faire
            assassiner Cantacuzène . Mais à la fin de cette
            année la situation était rétablie. Les troupes d’Étienne Douschan étaient repoussées
            par les Turcs d’Omour-beg, qui n’avaient pu se rembarquer faute de navires,
            Cantacuzène forçait les Bulgares à repasser la Maritza et réoccupait les places
            qu’ils avaient prises : Jean Alexandre signait la paix  et Anne de Savoie
            elle-même aurait volontiers traité si Apocauque ne s’y était opposé .
             A partir de ce moment la situation de
            Cantacuzène se raffermit, mais les opérations sont lentes, les deux parties
            étant également faibles. En janvier 1345 il parvient à occuper
            Andrinople ; mais grâce à ses intelligences avec le gouverneur  et ne pouvant plus
            compter sur l’appui d’Omour-beg, il s’adresse à Ourkhan, lui fiance sa fille
            Théodora et introduit 6 000 Osmanlis en Europe, au grand émoi des Génois
            de Galata  ; avec ces
            renforts il serre de près Constantinople. Le meurtre d’Apocauque, assassiné
            dans la prison modèle qu’il visitait par les victimes elles-mêmes qu’il y avait
            enfermées (li juin 1345)  le débarrassait de son
            principal adversaire et désorganisait le parti d’Anne de Savoie. Cependant il
            se passa encore près de deux ans avant que Cantacuzène pût entreprendre
            l’opération décisive qui allait lui livrer Constantinople et l’Empire. Le
            vendredi 3 février 1347, à la septième heure de la nuit, ses partisans lui
            ouvraient les portes de la ville, le lendemain du jour où la régente, brouillée
            avec le patriarche Jean Calecas, l’avait fait déposer par le synode .
             Le règne de Jean VI (1347-1355). — Vainqueur de
            la guerre civile, maître de Constantinople, mais non de tout l’Empire, Jean Cantacuzène
            ne s’en trouvait pas moins dans la situation la plus difficile et pendant les
            huit ans que dura son pouvoir il lutta avec une incroyable énergie pour
            rétablir l’ordre et finalement succomba à la tâche.
             Il avait d’abord à compter avec le
            sentiment légitimiste en faveur de Jean V, car pour beaucoup il n’était qu’un
            usurpateur. De là le traité qu’il conclut avec Anne de Savoie qui avait eu des
            velléités de se défendre au palais des Blachernes, mais finit par
            capituler : Cantacuzène était reconnu comme le collègue de Jean
            Paléologue, qui lui serait cependant subordonné pendant dix ans . Une amnistie générale
            était proclamée et tous les sujets de l’Empire durent prêter un serment de
            fidélité aux deux souverains . Par là Jean VI cherchait
            à effacer toutes les traces de la guerre civile et à se présenter comme un empereur
            légitime, allant jusqu’à affirmer dans ses diplômes sa parenté avec la dynastie
            des Paléologues .
             Plus difficile était le rétablissement de l’ordre et de la prospérité. Les coffres de l’État étaient vides au point qu’on ne put même pas célébrer dignement les fêtes du couronnement de Jean VI et d’Irène, qui eut lieu dans l’église du Palais le 12 mai. Une tentative du basileus pour déterminer les notables de Constantinople à contribuer de leurs deniers au rétablissement des finances publiques se heurta à une incompréhension totale . De plus, en dépit des efforts de Jean VI, les deux camps de la guerre civile ne désarmaient pas. Les partisans de Cantacuzène étaient jaloux des faveurs accordées à leurs adversaires . L’indiscipline régnait partout et jusque dans la famille impériale. Le fils aîné de Cantacuzène, Mathieu, entreprenait de se constituer un apanage en occupant Didymotika et plusieurs villes de Thrace : il fallut les remontrances de l’impératrice pour le faire renoncer à son dessein . La sécurité ne régnait plus dans les
            provinces ; des bandes de Turcs infestaient toujours la Thrace et en 1348
            les deux empereurs revenant d’une expédition sur la mer Noire durent livrer
            bataille à l’une d’entre elles et coururent un grand danger . Les résultats du règne
            d’Andronic III étaient compromis l’île de Chio, qu’il avait si heureusement
            annexée, avait été occupée ainsi que l’ancienne et la nouvelle Phocée, à la fin
            de la guerre civile, par le Génois Vignoso, au moment où les chefs de la
            croisade de l’Archipel allaient s’en emparer .
             D’autre part la deuxième ville de l’Empire,
            Thessalonique, restée au pouvoir des Zélotes, ne reconnaissait pas l’autorité
            de Jean VI et refusait d’admettre l’archevêque qu’il lui avait envoyé, Grégoire
            Palamas . Ce fut seulement à la
            fin de 1350 que Cantacuzène, après l’expulsion des Zélotes, put y exercer sa
            souveraineté, mais après combien de péripéties et de difficultés, et de la
            manière la moins glorieuse, grâce au secours d’une flotte de corsaires turcs
            qu’il avait embauchés à l’embouchure du Strymon. Il put ainsi arriver à temps pour
            empêcher Étienne Douschan de s’emparer de la ville, que les Zélotes allaient
            lui livrer .
             L’occupation de Thessalonique par les
            Serbes eût mis en question l’existence même de ce qui restait de l’Empire.
            Étienne Douschan qui, pendant la guerre civile, avait conquis la Macédoine
            orientale, pris Serres et Kavalla qui lui permettaient d’atteindre la mer Égée,
            rêvait comme autrefois le Bulgare Syméon de s’emparer de Constantinople et
            d’unir sous la même domination impériale les Serbes, les Grecs et tous les
            peuples balkaniques. Le dimanche de Pâques, 13 avril 1346, une assemblée
            d’évêques tenue à Skoplje institua comme patriarche des Serbes le métropolite
            de Peč, puis procéda au couronnement d’Étienne comme
              tsar ou basileus des Serbes et des Romains.
               Tout à fait dans son nouveau rôle, Étienne
            se fit représenter sur ses monnaies en costume impérial, organisa une cour sur
            le modèle byzantin, confirma dans ses lois les dispositions des basileis ses
            prédécesseurs, relatives notamment aux privilèges accordés aux monastères et
            publia lui-même des chrysobulles en faveur des couvents de l’Athos passés sous
            sa domination avec la péninsule de Chalcidique .
             Avec cette jeune puissance qui disposait
            d’une solide armée, Cantacuzène ne pouvait lutter à armes égales. Il parvint du
            moins à arrêter son élan, mais avec l’aide des Turcs ses alliés habituels.
            Douschan s’étant emparé de Phères en Thessalie, Jean VI essaya de négocier avec
            lui, mais ses deux ambassades restèrent sans réponse (mars-avril 1348). II
            obtint alors d’Ourkhan 10 000 Osmanlis qui repoussèrent les Serbes, mais
            mirent la région au pillage . Douschan continua
            librement ses conquêtes sur le territoire de l’ancien despotat d’Épire
            qu’Andronic III et Cantacuzène avaient réannexé en 1336 : l’Épire, la
            Thessalie, l’Acarnanie, 1’Étolie tombèrent entre ses mains et il fut bientôt le
            maître de la majeure partie des pays grecs .
             Jean Cantacuzène put du moins, comme on l’a
            vu, empêcher Douschan d’entrer à Salonique (fin 1348), mais ce fut seulement
            lorsqu’il fut maître de cette ville (octobre 1349) qu’il put prendre
            l’offensive, pendant que le tsar serbe était en train de conquérir la Bosnie et
            d’enlever Belgrade au roi de Hongrie . Jean VI gagna certains
            boyards serbes et reprit successivement plusieurs places macédoniennes, Berrhoé
            (Verria), Édesse (Vodéna), la capitale serbe elle-même, Skoplje, Gynéco-Castro
            (Avret-Hissar) ou il entra avec le jeune empereur , dégageant ainsi les
            abords de Salonique. A la nouvelle de cette campagne, Douschan abandonna la
            Bosnie et revint en Macédoine (janvier 1350), mais ce fut pour négocier la
            paix. Une entrevue eut lieu entre lui et les deux empereurs et, après s’être
            fait réciproquement des reproches, les souverains signèrent un traité d’après
            lequel l’Acarnanie, la Thessalie et le sud-est de la Macédoine jusqu’à Serrès devaient
            faire retour à l’Empire . Ces concessions du
            tsar serbe peuvent s’expliquer par les difficultés que lui suscitaient ses
            boyards. De plus il était tout à ses projets sur Constantinople et, sachant
            qu’il ne pourrait jamais s’en emparer sans l’appui d’une flotte, il recherchait
            l’alliance de Venise . D’ailleurs la rupture
            entre Cantacuzène et Jean V, que Douschan ne manqua pas de soutenir, rendit
            caduc le traité qu’il venait de signer .
             Difficultés intérieures. — Tout en
            défendant la Romania contre l’ambition de Douschan, Jean VI devait faire face à
            de graves difficultés intérieures. La misère publique fut portée au comble par
            la propagation de la peste noire, qui semble être venue d’Asie centrale par
            l’intermédiaire du Kiptchak et des ports de la mer Noire et s’être propagée
            surtout par la navigation ; car, au témoignage de Nicéphore Grégoras et de
            Cantacuzène, qui en décrivent les symptômes, elle sévit surtout sur les côtes
            et dans les îles. La maladie, que l’on identifie avec la peste bubonique, gagna
            Constantinople en 1348 et y fit de nombreuses victimes, parmi lesquelles le
            plus jeune fils de Cantacuzène, Andronic . On sait quels furent
            les ravages de la peste noire dans tout l’Orient et dans toute l’Europe, en
            France et en Angleterre .
             La question religieuse causait surtout des
            soucis à Jean VI. Le départ de Barlaam et le concile de Sainte-Sophie en 1341
            n’avaient nullement apaisé la querelle hésychaste, qui rebondit au contraire à
            la fin de la guerre civile, à la suite des attaques du moine Akindynos contre
            Palamas, dont il avait été l’ami mais dont il réprouvait certaines affirmations . Palamas fut condamné
            par un nouveau concile présidé par le patriarche Jean Calecas et, comme il
            était l’ami de Cantacuzène, Anne le fit jeter en prison (1345) . Cependant au moment où
            Jean Cantacuzène s’emparait de Constantinople, la régente, brouillée avec le
            patriarche, l’avait fait déposer : Palamas libéré recouvrait sa faveur,
            ainsi que ses partisans .
             Telle fut la situation que Cantacuzène
            trouva après son entrée à Constantinople. Très favorable à Palamas, il fit
            confirmer par le synode la déposition de Jean Calecas, qui avait été après
            Apocauque son principal ennemi, et le remplaça par un hésychaste notoire,
            Isidore, archevêque de Monemvasia , puis, pour faire
            cesser les polémiques, il convoqua un concile aux Blachernes (27 mai 3353).
            Akindynos et Isidore étaient morts ; le nouveau patriarche, Calliste,
            était un moine de l’Athos, borné et ignorant . Le principal
            adversaire de Palamas était l’érudit Nicéphore Grégoras que Cantacuzène avait
            essayé en vain de gagner à ses vues. Dans ces conditions, le concile, qui dura
            15 jours, ne pouvait aboutir qu’à la victoire de Palamas dont les
            contradicteurs furent injuriés grossièrement et maltraités . Le basileus alla
            jusqu’à interner Grégoras au monastère de Chora et à l’empêcher d’écrire . Le triomphe des
            hésychastes était complet.
             L’hostilité génoise. — A toutes ces
            difficultés s’ajouta l’hostilité de la république de Gênes qui continuait ses
            efforts pour accaparer le monopole du commerce dans l’Archipel, à
            Constantinople, dans la mer Noire surtout, dont il s’agissait d’interdire
            l’accès aussi bien aux Vénitiens qu’aux Grecs. De là l’importance prise par la
            colonie génoise de Galata que l’imprudence de Michel Paléologue avait établie
            en face de Constantinople  : elle était
            devenue une place forte, dont la vieille tour qui dominait son enceinte atteste
            encore aujourd’hui la puissance, et dans son port affluaient les navires qui désertaient
            les escales de la ville impériale . Or Cantacuzène,
            réagissant contre la politique de laisser-aller d’Andronic II, ne s’avisait-il
            pas de créer une nouvelle marine impériale et d’abaisser les droits de douane
            afin de ramener l’activité dans le port de Constantinople !  Voyant leur monopole en
            péril, les Génois de Galata n’hésitèrent pas à traiter l’Empire en ennemi. Le
            15 août 1348, profitant d’une absence de Jean VI, ils envoyèrent un ultimatum
            inacceptable à l’impératrice Irène, coulèrent tous les navires grecs en vue,
            incendièrent les maisons de la banlieue de Constantinople et en commencèrent le
            siège en établissant un blocus rigoureux à l’entrée de la Corne d’Or .
             Cette « guerre de Galata » qui se
            prolongea jusqu’en mars 1349 fut extrêmement meurtrière et fit régner la famine
            dans la ville. Rentré à Constantinople  au moment où un assaut
            général venait d’échouer, Cantacuzène improvisa une flotte, mais les navires
            mal construits furent coulés facilement par les Génois à l’entrée du Bosphore
            (5 mars 1349). Le basileus se préparait à construire de nouveaux navires quand
            le sénat de Gênes, qui était à la veille d’une rupture avec Venise, ordonna à
            la colonie de faire la paix en donnant satisfaction à l’empereur sur tous les
            points .
             La guerre entre Gênes et Venise. — Cette paix ne
            devait pas durer longtemps. Comme Andronic II autrefois, Jean VI se trouva
            englobé malgré lui dans les hostilités qui éclatèrent l’année suivante entre Gênes
            et Venise, et au moment où Jean V Paléologue, à la tête d’un parti légitimiste,
            recommençait la guerre civile. La cause du conflit entre les deux
            thalassocraties était une nouvelle tentative de Gênes pour expulser sa rivale
            de la mer Noire en barrant le Bosphore à l’endroit le plus resserré.
            Cantacuzène refusa de s’allier avec Venise, qui s’adressa au roi d’Aragon .
             Mais ce fut en vain que Jean VI chercha à
            conserver la neutralité. A la suite de l’attaque d’une flotte vénitienne contre
            Galata, les Génois bombardèrent les murs de Constantinople en y lançant
            d’énormes blocs de pierre. Le basileus fit rappeler la flotte vénitienne et
            signa un traité d’alliance onéreux pour l’Empire (août 1351) .
             Constantinople se trouva en effet exposée
            aux coups des Génois sans être soutenue par les Vénitiens. Ce fut ce qui arriva
            peu après la signature du traité, au moment d’une nouvelle attaque de Galata
            par la flotte de Nicolas Pisani qui laissa couler les navires byzantins par les
            Génois sans intervenir et battit en retraite devant la flotte de Doria :
            cet amiral génois put saccager Héraclée et Sozopolis sans défense (septembre
            1351) . Pisani reparut en
            février 1352, renforcé de l’escadre de don Pedro IV, roi d’Aragon : un
            combat acharné eut lieu entre sa flotte et celle de Doria au milieu du
            Bosphore, mais il ne put forcer le passage et se retira en laissant
            Constantinople exposée aux représailles des Génois (15 février 1352). Abandonné
            ainsi, Jean Cantacuzène dut signer un traité par lequel il cédait aux Génois
            les places de Selymbria et d’Héraclée ainsi qu’un élargissement du territoire
            de Galata. L’accès de la mer Noire était interdit aux navires de Constantinople
            (6 mai 1352) .
             La reprise de la guerre civile. — Pendant que
            ces événements tragiques se passaient à Constantinople, Jean V Paléologue,
            dénonçant le traité conclu avec Cantacuzène, tenait la campagne dans les
            provinces. De Thessalonique où l’avait laissé Jean VI, il négociait avec
            Étienne Douschan qui s’engageait à le faire reconnaître comme seul empereur
            (juin 1351) ; mais, cédant aux prières d’Anne de Savoie que lui avait
            dépêchée Cantacuzène, il s’abstint de toute hostilité moyennant la remise de
            places de sûreté en Chalcidique . Cependant, comme son beau-père
            tardait à tenir sa promesse, le jeune Paléologue occupa Andrinople au moment où
            la flotte de Doria menaçait Constantinople (septembre 1351) . Jean VI parvint à l’en
            chasser (juin 1352) , mais il continua la
            lutte avec une troupe de Bulgares et de Serbes, après avoir conclu une alliance
            avec Venise . De son côté Jean VI
            n’hésita pas à faire appel aux Osmanlis, à dépouiller les églises de Constantinople
            pour pouvoir payer la solde des 20 000 hommes fournis par Ourkhan, et à
            lui promettre de lui céder une forteresse en Thrace .
             Grâce à cette alliance, Cantacuzène
            rétablit son autorité. Soliman, fils d’Ourkhan, mit les Serbes en déroute à
            Didymotika et en septembre 1352 toutes les villes de Thrace et de Macédoine
            reconnaissaient Jean VI, tandis que Jean Paléologue, qui avait essayé
            inutilement de tourner les Osmanlis de son côté, était réduit à se réfugier
            dans l’île de Ténédos . La tentative qu’il fit
            en mars 1353 pour débarquer à Constantinople échoua grâce à l’énergie de
            l’impératrice Irène, mais il put se réfugier à Thessalonique qui tenait
            toujours pour lui . Cependant sa cause
            semblait perdue. Sollicité par la noblesse, Jean VI désigna pour son héritier
            son fils aîné Mathieu et prononça un violent réquisitoire contre Jean
            Paléologue . C’était la rupture
            définitive. Le patriarche Calliste ayant refusé de couronner Mathieu et s’étant
            enfui auprès de Jean V, au bout de quelques mois, Cantacuzène le remplaça par
            Philothée, qui se montra plus accommodant .
             Une nouvelle dynastie semblait naître et la
            fortune de Jean VI était à son comble, lorsque des événements inattendus la
            firent sombrer. Cantacuzène avait dû ses succès à son alliance avec
            Ourkhan : elle lui manqua tout à coup. Le 2 mars 1354, « la nuit de
            la fête de l’Orthodoxie » , un tremblement de
            terre renversa les murailles de Gallipoli et des villes voisines. Les Osmanlis
            qui se trouvaient déjà dans la péninsule s’en emparèrent . D’après le traité
            conclu par Cantacuzène avec Ourkhan en 1352, ils occupaient une ville de la
            Chersonèse de Thrace . La possession de
            Gallipoli leur assurait le contrôle du détroit et la tête de pont qui leur
            permettrait de passer facilement en Europe. Jean VI, effrayé de ce résultat,
            offrit à Ourkhan une rançon pour Tzympé et le somma d’évacuer Gallipoli. Le sultan
            accepta la rançon, mais déclara qu’il ne pouvait abandonner ce qu’Allah lui
            avait donné et refusa d’avoir une entrevue avec le basileus .
             C’était la rupture de l’alliance qui
            faisait la principale force de Cantacuzène. Les conséquences ne s’en firent pas
            attendre. Dès le mois de juin suivant, Soliman passait en Europe, ravageait la
            Thrace et empêchait les habitants de faire la moisson . Un peu plus tard Palamas,
            se rendant à Constantinople par mer, fut fait prisonnier par des corsaires
            turcs et conduit à Lampsaque . Cantacuzène entièrement
            découragé et que l’on rendait responsable des malheurs de l’Empire, attribués à
            son alliance avec les Turcs , essaya de traiter avec
            Jean V, mais ses avances furent repoussées (juin 1355) . Le dénouement était inévitable.
            En novembre 1355 un corsaire génois, François Gattilusio, qui possédait deux
            galères, ramena Jean V à Constantinople et put aborder à l’une des échelles de
            la Propontide . A la nouvelle de
            l’arrivée de Paléologue, le peuple se souleva en sa faveur et pilla l’Arsenal
            des Manganes. L’émeute fut cruellement réprimée par la garde catalane , mais Jean VI assiégé
            au Palais capitula et signa un traité de partage de la dignité impériale . Ce compromis fut éphémère.
            A la suite d’une nouvelle émeute, Cantacuzène se dépouilla des insignes
            impériaux et, après avoir revêtu la mandya, se retira au monastère des Manganes
            sous le nom de Joasaph . Après un séjour au
            monastère de Vatopédi au Mont Athos, il s’établit à Mistra, auprès de son fils
            Mathieu (1380), et y mourut le 15 juin 1383 sans avoir jamais essayé de recouvrer
            l’Empire .
             5.  Les Ottomans en Europe.  L’Agonie de Byzance  (1355-1389)
            La longue période des guerres civiles
            épuisa l’Empire, qui devint incapable de se relever par ses propres
            forces ; mais le fait capital de la période suivante, qui dépasse le cadre
            de Byzance, c’est la conquête par les Osmanlis de tous les États chrétiens des
            Balkans. En fait, l’Asie Mineure étant occupée par les émirs turcs indépendants
            et puissants, ce fut en Europe que se forma le premier État ottoman, qui fit
            d’abord figure de puissance européenne. Le succès des Turcs est dû à
            l’affaiblissement des États chrétiens et aux obstacles de tous genres que rencontra
            la croisade.
              Ce fut sur un État ruiné et profondément
            bouleversé que régna Jean V après sa victoire : un pays mal pacifié où
            subsistaient plusieurs centres de guerre civile, déchiré par les querelles
            religieuses, démembré par les étrangers, exposé aux avanies de la puissance
            croissante des Ottomans. Incapable de réagir, Jean V resta sur le trône le chef
            d’un parti et se résigna à toutes les capitulations. Dès son avènement il est dans
            la dépendance des Italiens : il cède Lesbos à François Gattilusio qui l’a
            aidé à ressaisir le pouvoir (17 juillet 1355) . Il est à la merci
            d’Ourkhan, son beau-frère, qui le rend responsable de la capture d’Halil, son
            fils, par des pirates phocéens : malgré une démonstration navale devant
            Phocée, Jean V ne peut se faire livrer le captif, dont il est obligé de payer
            la rançon en signant un traité désastreux par lequel il reconnaît au sultan la
            possession des villes de Thrace dont il s’est emparé . Il a enfin à lutter
            contre Mathieu Cantacuzène, qui porte toujours le titre d’empereur et conserve
            son apanage d’Andrinople et de la région voisine.
             Après un an de guerre entremêlée de
            négociations, d’intrigues, de complots, Mathieu fut livré à Jean V par un
            traître et, grâce à l’intervention de son père, abdiqua solennellement la
            dignité impériale (décembre 1357) .
             Mathieu Cantacuzène, accompagné de
            l’ex-empereur, se retira en Morée, auprès de son frère le despote Manuel que
            Jean VI y avait envoyé pour rétablir l’ordre troublé par les pirateries des
            Turcs et les discordes entre les indigènes . En face de l’Achaïe
            latine, la Morée byzantine devint alors une province autonome qui, même après
            la chute de Jean VI, resta l’apanage des Cantacuzènes. Manuel rétablit la paix
            entre les archontes et équipa une petite flotte pour lutter contre la
            piraterie . A sa mort en 1380, son
            frère Mathieu lui succéda sans opposition de la part de Jean V et Mathieu
            lui-même, qui mourut en 1383 peu de temps avant son père, transmit la Morée à
            son fils Démétrius. Celui-ci essaya de s’affranchir de l’autorité de
            Constantinople et Jean V dut envoyer contre lui son fils Théodore Paléologue
            avec une armée. Après une lutte qui dura un an, Démétrius étant mort, Théodore
            reçut le gouvernement de la Morée, et jusqu’à la chute de l’Empire ce fut
            toujours un cadet de la dynastie régnante qui y exerça l’autorité . Sous l’administration
            des despotes la Morée devint le véritable foyer de l’hellénisme et Mistra, sa
            capitale, attira les lettrés et les artistes du monde byzantin tout entier.
             Malgré la prospérité, toute relative
            d’ailleurs, de cette lointaine colonie de Constantinople, l’autorité du pouvoir
            impérial n’en était pas moins précaire. Jean V ne put même pas apaiser les
            querelles religieuses qui atteignaient leur paroxysme au moment de sa
            restauration. A son approche, le patriarche Philothée avait pris la fuite et
            Calliste fut rétabli sur son siège, tandis que Nicéphore Grégoras était délivré
            de sa captivité . Jean V était
            défavorable à Palamas, mais il ne voulait pas de persécution et l’impératrice
            Hélène, stylée par son père, réussit à empêcher le débat public que Grégoras
            voulait avoir avec Palamas . Une controverse n’en
            eut pas moins lieu entre les deux adversaires en présence du légat d’Innocent
            VI, Paul, archevêque de Smyrne. Palamas eut le dessous , mais Grégoras fut dès
            lors en butte à une série d’attaques calomnieuses dans de nombreux pamphlets
            que Jean Cantacuzène paraît avoir inspirés  et, lorsqu’il mourut
            vers 1360, les Palamites s’acharnèrent odieusement sur son cadavre, qu’ils traînèrent
            dans les rues de Constantinople .
             Telle est la triste situation de l’État
            byzantin après la restauration de Jean V. Les Vénitiens la considèrent comme
            désespérée et voient déjà en lui l’homme
              malade, dont la succession est à la veille de s’ouvrir. L’un d’eux, Marino
            Faliero, conseille au doge de s’emparer de Constantinople s’il ne veut pas voir
            tomber l’Empire aux mains des Turcs . Et c’est juste à ce
            moment que disparaît l’un de ceux qui semblaient avoir le plus de chance de
            recueillir cet héritage. Le tsar serbe Étienne Douschan, dont les projets
            grandioses de fusion entre le peuple serbe et les Grecs ont été signalés, meurt
            prématurément à l’âge de 47 ans, le 20 décembre 1355 . D’après des sources de
            date postérieure, que ne confirme aucun témoignage contemporain, il aurait été
            à la veille d’entreprendre une grande expédition contre Constantinople . Ce qui est certain,
            c’est que sa mort fut le signal de la dissolution de son État, composé de
            provinces disparates, dont les voiévodes (gouverneurs) supportaient mal son
            autorité et profitèrent de sa disparition pour se rendre indépendants .
             La mort de Douschan laissait le champ libre
            aux Ottomans, aucun autre État balkanique n’étant capable de revendiquer
            l’hégémonie dans la péninsule. La Bulgarie était affaiblie par l’agitation
            bogomile et par la crise qui suivit le divorce de Jean-Alexandre d’avec la Roumaine
            Théodora et ses secondes noces avec la juive Rébecca. Il dut partager ses États
            entre les enfants de ses deux unions, et après sa mort (1365) éclata entre eux
            une guerre civile qui permit aux Hongrois d’occuper Vidin et aux Turcs
            d’intervenir dans leurs querelles .
             Au-delà du Danube apparaît dans la première
            moitié du xive siècle un
            État nouveau, qui se rattachait par sa langue latine et ses traditions à la
            Rome impériale des Antonins, la principauté valaque. Dès la fin du xiiie siècle, des voiévodes
            valaques vassaux de la Hongrie avaient essayé sans y réussir de se rendre
            indépendants. Cette tentative fut reprise avec succès par le voiévode d’Arges,
            Basarab Ier (1310-1352), qui étendit son autorité sur les autres
            voiévodes et se rendit indépendant des Hongrois par la victoire qu’il remporta
            sur eux à Potada en 1330. Le « grand Basarab » fut donc le véritable
            fondateur de l’État valaque et son tombeau a été retrouvé dans l’église
            princière d’Arges, qu’un de ses successeurs, Radu Negru, fit orner de fresques
            par des peintres qui s’inspirèrent des remarquables mosaïques de Kahrié-Djami à
            Constantinople (vers 1375-1387) .
             Un peu auparavant, un chef roumain de la
            région du Maramures au nord de la Transylvanie avait conquis vers 1360 la
            vallée de la Moldava et, après en avoir chassé le gouverneur hongrois, fondé la
            principauté de Moldavie . Situés entre la
            Hongrie et les pays yougoslaves, les États valaque et moldave devaient
            intervenir comme un élément nouveau dans les affaires des peuples balkaniques,
            également menacés comme eux par les Hongrois et les Turcs.
             Enfin la Hongrie, sous la dynastie angevine
            de Naples, est un État féodal bien organisé qui dispose de forces militaires
            importantes. Son roi Louis le Grand (1342-1382) a une politique active dans la
            péninsule balkanique, mais il a un rôle néfaste en contrariant la formation des
            principautés roumaines, en prenant part au démembrement de la Serbie, à
            laquelle il enlève Belgrade, et surtout de la Bulgarie qu’il ampute de la
            principauté de Vidin. A Venise il ravit la Dalmatie par la paix de Turin
            (1381). Il fait servir à des fins politiques la croisade, dont il se proclame
            le chef, et ne comprend pas l’intérêt qu’il aurait à défendre les États slaves
            contre les Turcs .
             Ainsi, au milieu du xive siècle, tous les États chrétiens des Balkans
            sont affaiblis par leurs discordes intestines. La Hongrie, qui pourrait les
            défendre, poursuit des fins particulières. Ils sont mûrs pour la conquête
            ottomane.
             L’offensive ottomane. — Pendant que
            les chrétiens étaient déchirés ainsi par les guerres civiles, les Osmanlis
            passaient du régime de la tribu à celui de l’État régulier. Ourkhan paraît en
            avoir été l’organisateur : la tolérance religieuse, le service militaire
            obligatoire, mais réservé aux musulmans et remplacé pour les chrétiens par une
            lourde capitation, tels en sont les traits essentiels. En fait, les conversions
            à l’islam, encouragées, furent très nombreuses et, par suite des unions entre
            musulmans et chrétiennes, il se forma, en même temps qu’un État, un peuple
            ottoman. Il en résulta que l’armée eut un caractère national qui lui donnait une
            grande supériorité sur les troupes mercenaires de cette époque. Elle était déjà
            remarquable par la solidité de ses cadres, son dévouement absolu au sultan et
            sa rapidité .
             L’occupation de Gallipoli permit à Ourkhan
            d’envahir la Thrace par une série d’expéditions, sur la chronologie desquelles
            on est mal fixé et qui furent conduites par les fils du sultan Soliman, qui
            mourut après 1357, et son frère Mourad. Leur objectif était Andrinople :
            ils s’emparèrent successivement des places qui en défendaient les abords,
            Tchorlou, Didymotika, Kirk Kilissé qui furent prises et reprises plusieurs
            fois. Une bataille décisive eut lieu au nord-est de Lulle Bourgas et la
            victoire des Turcs entraîna la chute d’Andrinople (1361) . Ourkhan mourut après
            la prise de cette ville en mars 1362 . En quelques mois la
            Thrace avait été conquise et Constantinople coupée de ses communications
            terrestres avec l’intérieur de la péninsule balkanique.
             Ce n’était là qu’une première étape, et
            l’un des premiers actes du successeur d’Ourkhan, le sultan Mourad, fut de
            perfectionner son instrument de guerre par la création des janissaires, jeunes
            chrétiens enlevés à leurs familles, convertis à l’islam et organisés en une
            milice  qui devint l’élément
            essentiel de l’infanterie turque et forma la garde favorite du sultan. Jean V,
            dépourvu de troupes, dut se résigner à la perte de la Thrace et en reconnut la
            possession à Mourad en lui promettant son secours contre les émirs turcs
            d’Anatolie (1362-1363) . Jean V essaya trop
            tard de s’entendre avec la Serbie : une ambassade du patriarche Calliste,
            qui fut reçue par la veuve de Douschan à Serrès (1363-1364) , ne produisit aucun
            résultat. En revanche la première consécration de la puissance ottomane dans
            les Balkans fut le traité de commerce conclu par Mourad avec la république de Raguse  ; et pour bien
            montrer que sa conquête de la Thrace était définitive, il transporta de Brousse
            à Andrinople le siège de son gouvernement et sa résidence . L’État ottoman est
            déjà l’une des principales puissances de la péninsule balkanique.
             L’appel à l’Occident. La croisade. — Ne pouvant
            compter ni sur les Serbes, ni sur les Bulgares, Jean V reprit le projet d’union
            religieuse agité si souvent depuis Andronic III, condition indispensable d’une
            croisade contre les Turcs. Les pourparlers entre Anne de Savoie, puis Jean
            Cantacuzène et le pape Clément VI (1342-1352) avaient été tout à fait stériles,
            le pape subordonnant tout envoi de secours à l’abjuration du schisme  et l’alliance de
            Cantacuzène avec les Ottomans étant un obstacle insurmontable à une
            entente .
             Jean V au contraire avait pour l’Union
            toute l’ardeur que lui avait inspirée Anne de Savoie. Dans un chrysobulle du 15
            décembre 1355 il jure de rester personnellement fidèle au Saint-Siège et
            propose d’établir à Constantinople un légat permanent avec autorité sur les
            nominations aux dignités ecclésiastiques : un de ses fils sera envoyé en
            otage à Avignon, mais le pape organisera une croisade dont le basileus serait
            le chef . Telles furent les
            propositions que Jean V envoya à Innocent VI. Jamais aucun basileus n’avait
            fait de pareilles concessions à Rome et n’avait offert des garanties aussi
            sérieuses d’exécution . Mais les défiances du
            pape qui fit à ces propositions un accueil réservé, la difficulté avec laquelle
            il se procura quelques galères, l’impossibilité où était Jean V d’imposer
            l’Union à son clergé sans préparation firent encore échouer ce plan . Tout se borna à une
            petite expédition navale du légat Pierre Thomas, qui reprit temporairement
            Lampsaque .
             Ce fut après son traité désastreux avec
            Mourad que Jean V fit un nouvel appel à l’Occident, mais le pape Urbain V
            (1352-1362), qui préparait une croisade en Terre Sainte, se montra d’abord peu
            favorable aux Grecs . Son revirement fut dû
            probablement aux correspondances secrètes qu’il eut avec des Grecs partisans de
            l’union comme Démétrius Cydonès  et aussi à la déception
            causée par la croisade du légat Pierre Thomas et du roi de Chypre Pierre de
            Lusignan, qui s’emparèrent d’Alexandrie (10 octobre 1365), mais ne purent s’y
            maintenir plus de 6 jours . Le 25 janvier 1365 le
            pape proclamait la croisade destinée à délivrer la Romania des Turcs et,
            d’après le plan qu’il élaborait, le roi Louis de Hongrie devait attaquer les
            possessions ottomanes en Europe, Pierre de Lusignan et Amédée VI, comte de
            Savoie, diriger une expédition maritime contre les positions turques  Mais le roi de Chypre
            fit défaut et, pour s’entendre avec Louis d’Anjou, Jean V fit en personne le
            voyage de Bude, premier exemple d’un basileus allant quêter lui-même les
            secours des Occidentaux . Pour achever son
            humiliation, le prince bulgare de Sofia, Šišman, lui ferma la
              route de Constantinople à son retour et il dut attendre à Vidin le libre
              passage .
               Cet événement fit échouer la croisade générale.
            Le comte de Savoie, Amédée VI, cousin germain de Jean VI, partit le premier sur
            des galères vénitiennes  afin d’aller délivrer
            le basileus. Son principal exploit fut la prise d’assaut de Gallipoli (2 août
            1366), qui ne pouvait que gêner les Turcs sans menacer en rien leurs possessions
            européennes, mais dégageait la route maritime de Constantinople . Après une expédition
            contre les ports bulgares de la mer Noire, ce qui décida Šišman à laisser passer
              Jean V (fin de 1366), et l’attaque de quelques châteaux turcs de 1’Hellespont
              (mai 1367), le comte de Savoie regagna ses États . Mais cette expédition
              n’était regardée que comme la préface de la croisade générale, qui devait être
              précédée de l’abjuration de Jean V entre les mains du pape et de l’union des
              Églises . De son côté le roi de
              Hongrie, craignant une alliance gréco-bulgare, ne songea pas un instant à
              accomplir son vœu de croisade . De l’immense effort
              militaire et diplomatique tenté par le pape il restait l’espoir d’un
              rapprochement entre les deux Églises, mais à Constantinople les esprits restaient
              divisés sur les moyens de résister aux Turcs. Le basileus et sors entourage ne
              voyaient d’autre espoir de salut que la croisade le patriarche Philothée et le
              clergé envisageaient au contraire une ligue de tous les États orthodoxes contre
              les Turcs.
               Le voyage et l’abjuration de Jean V
            (1369-1371). — Suivant les engagements qu’il avait pris, mais avec un an
              et demi de retard, Jean V quitta Constantinople vers le mois d’avril 1369 et
              aborda à Castellamare le 7 août . Urbain V venait
              d’abandonner Avignon et se dirigeait vers Rome où il voulait rétablir le Siège
              apostolique . Dans le courant du
              mois d’août il reçut à Viterbe le patriarche latin Paul de Smyrne et Démétrius
              Cydonès, envoyés par Jean V pour lui annoncer son arrivée  Le 13 octobre le pape
              faisait son entrée à Rome où il trouvait le basileus qui l’attendait . Le 18 octobre Jean V
              faisait dresser et signait par-devant notaire la profession de foi dont Urbain
              V lui avait envoyé le modèle en 1366 et la remettait aux quatre cardinaux
              désignés par le pape . Le dimanche 21 octobre
              Urbain V recevait solennellement l’abjuration de Jean V sur les marches de
              Saint-Pierre .
               Cette abjuration fut totale. Elle porta sur
            toutes les questions qui divisaient les deux Églises, dogmes, rites,
            disciplines. Jean V alla jusqu’à renier les usages liturgiques de la religion
            nationale de ses sujets. Il devint un pur Latin . Mais l’acte du
            basileus était strictement personnel et n’engageait en rien l’Église grecque . Surtout il n’eut
            aucune portée pratique et ne provoqua pas la croisade qui, d’après les
            promesses du pape, devait en être la conséquence.
             Sans doute Jean V fit les plus grands
            efforts pour intéresser l’Occident à la cause de Constantinople. Urbain V
            invitait tous les fidèles à aider « le nouveau Constantin »  et autorisait le
            basileus à enrôler plusieurs bandes de routiers qui guerroyaient en
            Italie , mais le roi de Hongrie
            continuait à se désintéresser du sort de Byzance sans que le pape fît rien pour
            le décider à intervenir. Restait Venise, dont la politique vis-à-vis des Grecs
            s’était complètement modifiée depuis que Constantinople était menacée de tomber
            aux mains des Turcs : abandonnant tout projet de restauration de l’Empire
            latin, les Vénitiens étaient les partisans les plus actifs d’une croisade
            destinée à sauver la Romania byzantine .
             Ce fut donc à Venise que s’adressa Jean
            V ; mais avant toute conclusion d’une alliance, il fallait d’abord aplanir
            les difficultés qu’il avait avec la République : renouvellement des
            trêves, modalités à établir pour le paiement des dettes de l’empereur qui
            s’élevaient à 35 000 ducats. Tel fut l’objet du traité signé par Jean V à
            Rome avec les ambassadeurs de Venise et qui n’était dans sa pensée que l’amorce
            d’une alliance qu’il irait conclure en personne avant son retour à Constantinople
            (1er février 1370) .
             Arrivé à Venise dans l’hiver de 1369-1370,
            il devait y séjourner jusqu’au printemps de 1371. Pour décider les Vénitiens à
            traiter, il offrait de leur céder l’île de Ténédos, position de premier ordre à
            l’entrée des Dardanelles, que Venise convoitait depuis qu’en 1352 Jean V la lui
            avait cédée en principe . En échange il exigeait
            la restitution des joyaux de la couronne impériale mis en gage, la fourniture
            de navires de transport et une avance de 25 000 ducats. Venise accepta ces
            conditions et fit même de nouvelles avances à Jean V avant son départ sur la
            flottille fournie par la République en avril 1371 . L’annonce d’une
            nouvelle offensive de Mourad avait décidé le Sénat à en passer par là .
             D’après une légende qui ne se trouve que
            dans des chroniqueurs du xve siècle, Phrantzès, Doukas, Chalcokondyle, l’empereur, ne pouvant acquitter ses
            dépenses courantes aux termes convenus, aurait été enfermé dans la prison pour
            dettes. Son fils aîné Andronic, resté à Constantinople, aurait refusé de le
            secourir et ce serait son frère cadet, Manuel, qui aurait trouvé la somme
            nécessaire à sa mise en liberté . Cette anecdote
            ridicule a été recueillie par la plupart des historiens ; elle est en
            contradiction avec tout ce que les documents contemporains nous apprennent des
            rapports entre le Sénat vénitien et le basileus . La vérité est que
            Manuel se trouvait à Venise avec son père , qui dut l’y laisser
            comme garant de ses dépenses, « augmentées par la cupidité des
            marchands », et le récompensa en lui donnant en apanage Thessalonique et
            la Macédoine, par un chrysobulle dont les termes ont pu donner naissance à
            cette légende.
             L’échec de la croisade orthodoxe. — A la croisade
            occidentale le patriarche Philothée voulut opposer une croisade de toutes les
            puissances orthodoxes. Pendant le séjour de Jean V en Italie il ne cessa de
            contrecarrer la politique impériale en empêchant le clergé de se rallier à
            l’Union. Par ses interventions, dans les patriarcats orientaux, en Russie, où
            il exhorta tous les princes à reconnaître le pouvoir du grand prince de Moscou,
            en Serbie, où il obtint du despote Uglieša la réunion de l’Église
              serbe au patriarcat œcuménique, en Valachie enfin, où il combattit les
              tendances romaines, il chercha à réunir dans un même faisceau tous les États
              orthodoxes afin de les opposer à la fois à la conquête turque et à l’ingérence
              du Saint-Siège .
               Cependant les circonstances étaient
            défavorables et, loin de s’unir aux États orthodoxes, les princes bulgares
            successeurs de Jean-Alexandre continuaient à se quereller et à attirer ainsi
            les Turcs dans leurs États. Vers 1369 Mourad occupait Sozopolis, forteresse qui
            commandait l’entrée du port de Bourgas et forçait Šišman à se déclarer son
              vassal et à envoyer sa sœur dans son harem, puis avec des troupes ottomanes Šišman chassa les Hongrois de Vidin  et permit ainsi aux Osmanlis
                de faire leur première apparition sur le Danube (1370).
                 Ce fut seulement alors que les Serbes
            s’alarmèrent des progrès turcs. Deux frères d’origine dalmate, Jean Ugliešia et Vukasin, anciens dignitaires de la cour de Douschan, devenus indépendants
              après sa mort, dans la province située entre Serres et le Danube, qu’ils
              avaient été chargés d’administrer , réunirent une armée
              composée de Serbes, de Hongrois, de Valaques et envahirent le territoire turc.
              Surpris au moment où ils traversaient la Maritza, ils furent complètement
              écrasés le 26 septembre 1371 par une force ottomane inférieure en nombre et périrent
              dans le combat . Les Grecs n’avaient
              pas songé à soutenir les Serbes et profitèrent même de leur défaite : ils
              réoccupèrent Serrès qui fut administrée par le despote Manuel Paléologue
              (novembre 1371) . Peu après Šišman,
                cherchant à s’opposer à la marche des Turcs vers Sofia, s’allia aux Serbes et
                subit à Samakov dans la vallée de l’Isker une défaite totale, qui l’obligea à
                s’enfuir avec son allié dans les massifs les plus élevés du Rhodope . La route de Sofia
                était ouverte, mais avec un sens stratégique remarquable, Mourad ne voulut pas
                s’y engager avant d’avoir soumis les vallées du Strymon et du Vardar.
                 La conséquence de cette défaite fut
            désastreuse pour la Bulgarie, qui cessa d’exister comme État indépendant, et
            pour la Serbie, dont Mourad acheva la conquête en quelques mois (1372).
            Successivement toutes les villes de la Macédoine serbe, Kavalla, Drama, etc.,
            furent occupées et colonisées ; leurs églises furent changées en mosquées
            et des timariots (fiefs militaires)
            furent établis dans la Macédoine orientale. Les Turcs s’élancèrent ensuite dans
            la vallée du Vardar, soumirent la Vieille Serbie, une partie de l’Albanie et de
            la Bosnie jusqu’aux montagnes d’où ils aperçurent l’Adriatique. Mourad laissa
            comme vassaux les dynastes serbes qui s’étaient partagé l’empire de Douschan.
            Le fils de Vukašin, Marko Kralievič, le héros des
              légendes serbes, conserva le titre de Kral, mais dut amener ses contingents
              pour combattre aux côtés des troupes ottomanes .
               Ainsi s’étaient évanouis les espoirs
            chimériques du patriarche Philothée : loin de s’unir, les puissances
            orthodoxes s’étaient fait battre séparément.
             Faillite de la croisade occidentale. — Ces événements
            rendaient encore plus précaire la situation de Constantinople, mais Jean V
            n’avait pas perdu l’espoir de provoquer le départ d’une croisade. Le successeur
            du pape Urbain V, Grégoire XI , à la nouvelle de la bataille
            de la Maritza, chercha à déterminer le roi de Hongrie et la république de
            Venise à intervenir (mai 1372) et convoqua à Thèbes, occupée par les Catalans,
            un congrès de tous les États chrétiens d’Orient. Or ce congrès, qui devait se
            tenir en octobre 1373, ne se réunit jamais . De son côté Jean V
            envoyait en Occident un des meilleurs auxiliaires de l’Union, Jean Lascaris
            Kalopheros , qui se présentait
            successivement à Avignon et à Paris, à la cour de Charles V, en Hongrie, à
            Louis d’Anjou . Il ne rapporta que de
            vagues promesses. Le pape faisait du moins des efforts pour constituer une
            nouvelle escadre internationale, mais envoyait des nonces à Constantinople
            (octobre 1374), pour déclarer à Jean V que son action serait facilitée si
            l’Église grecque se réunissait à Rome. Il était déjà trop tard : lorsque
            les nonces pontificaux lui parvinrent, Jean V, abandonné de tous, avait traité
            avec Mourad et sa cour venait d’être le théâtre d’une tragédie domestique . Ce fut en vain que
            dans les années suivantes (1375-1376) le pape fit prêcher la croisade dans
            toute l’Europe en vue de sauver Constantinople . L’indifférence et les
            divisions des États chrétiens furent les meilleurs auxiliaires des Turcs.
             Jean V, vassal du sultan. — D’après le
            traité qu’il avait conclu avec Mourad avant juillet 1374 , Jean V devenait le
            vassal du sultan et il informait le pape de sa décision par une ambassade qui arrivait
            à Avignon en décembre 1374 . Au même moment Jean V
            écartait de sa succession son fils aîné Andronic et associait son cadet, Manuel,
            à l’Empire . Qu’il y ait eu un
            rapport entre les deux événements, que Manuel ait été préféré par Mourad à
            Andronic, c’est ce qui n’est pas invraisemblable , mais on doit constater
            que de toute manière Manuel était le fils favori de Jean V.
             La réaction ne
            se fit pas attendre. Andronic se vengea, semble-t-il, doublement en entraînant
            dans la conjuration qu’il forma pour détrôner son père le propre fils de
            Mourad, Saoudj. Le complot découvert, le sultan fit aveugler son fils et
            ordonna à Jean V de punir le sien de la même peine. Grâce à la manière dont
            l’opération fut faite, Andronic ne perdit qu’un œil et son fils, Jean, encore
            enfant, condamné au même supplice, aveuglé incomplètement .
             Andronic et sa famille furent tenus en
            prison à Lemnos jusqu’en 1376, mais une nouvelle querelle entre Gênes et Venise
            vint renverser la situation. Sous la menace d’une escadre vénitienne, Jean V
            avait dû tenir sa promesse et céder Ténédos à la République. Les Génois,
            irrités, aidèrent Andronic à s’évader de sa prison avec l’aide de Mourad. Le 12
            août 1376 Andronic entrait à Constantinople, emprisonnait Jean V et
            l’impératrice , cédait Ténédos à
            Gènes, faisait arrêter tous les Vénitiens de Constantinople et restituait
            Gallipoli aux Turcs . Les Vénitiens n’en
            occupèrent pas moins Ténédos et une expédition des Génois et d’Andronic IV ne
            put les en déloger .
             Le règne désastreux d’Andronic dura près de
            trois ans (1376-1379). Jean V et Manuel, délivrés de leur prison par les
            Vénitiens, rentrèrent à Constantinople le 1er juillet 1379. Andronic
            se retira à Galata, puis, abandonné de ses partisans, alla se jeter aux pieds
            de son père, qui lui pardonna et lui attribua en apanage Selymbria, où il
            mourut en 1385 .
             L’hégémonie ottomane dans les Balkans. — Avec une
            véritable rouerie Mourad avait attisé les discordes de la famille impériale en
            favorisant tour à tour chacun des adversaires. Il était désormais tout-puissant
            et la situation de Constantinople paraissait désespérée. « Tous ceux qui
            sont hors des murs de la ville sont asservis aux Turcs, écrivait Démétrius
            Cydonès à Kalopheros vers 1378, et ceux qui sont à l’intérieur succombent sous
            le poids des misères et des révoltes . » Les chrétiens
            découragés ne songent plus à la croisade et les républiques italiennes, en
            dépit des menaces du pape, concluent des traités avec le sultan .
             Cependant les ambitions de Mourad ne sont
            pas satisfaites. Jean V possède toujours une partie de la Macédoine, dont la
            capitale, Thessalonique, gouvernée par son fils Manuel, associé à la couronne,
            et la ville importante de Serrès. Malgré le traité qu’il a conclu avec lui,
            Mourad est décidé à les lui enlever et fait occuper Serrès par Khaireddin (19
            septembre 1383) , mais Manuel
            Paléologue, qui songe à chasser les Turcs de Macédoine, s’associe à un complot
            des nobles de Serrès pour massacrer la garnison ottomane de la ville. Mis au
            courant, Mourad fit assiéger Thessalonique, mais la ville, restée libre du côté
            de la mer, se défendit pendant quatre ans (1383-1387) . La perte de la seconde
            ville de l’Empire fut la cause d’une nouvelle discorde entre les Paléologues.
            Jean V rendit Manuel responsable de ce désastre, lui enleva tous ses honneurs
            et l’exila dans l’île de Lemnos . La réconciliation eut
            lieu à la fin de 1388, vraisemblablement par l’intervention de Mourad, dont
            Manuel avait sollicité le pardon et qui continuait son jeu de bascule entre les
            Paléologues .
             Pendant ce temps les Osmanlis continuaient
            la conquête de la partie occidentale de la péninsule balkanique, d’abord du
            bassin du Vardar, Ištip, Monastir, Prilep (1380),
              puis d’Ochrida, par Khaireddin qui fut sollicité par Charles Thopia, seigneur
              de Durazzo, de l’aider contre un chef albanais (1385) . Les Ottomans saisirent
              cette occasion de pénétrer chez les Skipétars, divisés en clans guerriers dont
              les chefs puissants, les Thopia dans l’Albanie du nord, les Ducagin dont le
              territoire touchait à l’Adriatique et qui étaient les clients de Venise, les
              Balcha qui depuis la mort de Douschan refoulaient vers le nord les voiévodes
              serbes, quittaient l’Église orthodoxe, pour se soumettre à Rome, et attaquaient
              la Bosnie avec succès (1379) . Ce fut contre les
              Balcha que Khaireddin se dirigea à l’appel de Charles Thopia. Les autres chefs
              albanais, indignés de cette trahison, avaient fait cause commune avec les
              Balcha, mais les forces albanaises ne purent tenir contre les Ottomans, qui
              remportèrent une victoire décisive à Sawra près d’El-Bassan (1385) et s’emparèrent
              l’année suivante de Croïa et de Scutari. Ce fut à partir de ce moment qu’un
              grand nombre d’Albanais convertis à l’islam formèrent un élément important de
              l’armée ottomane .
               Au même moment Mourad cherchait à s’emparer
            des passages qui permettent d’atteindre le Danube. Avec un sens stratégique
            remarquable il occupa les deux principaux nœuds des routes de la péninsule, qui
            donnent accès à volonté à l’Adriatique, à la mer Égée ou au Danube, le bassin
            et la ville de Sofia conquis sur les Bulgares (1386), et la ville de Nisch
            enlevée aux Serbes l’année suivante .
             L’État ottoman semblait au faîte de sa
            puissance et ne rencontrait plus de résistance chez les chrétiens : avec
            des méthodes simples et primitives il arrivait à régir un ensemble complexe de
            nations . Cependant le prince
            Lazare, successeur sur le trône serbe du fils de Douschan, qui avait dû
            accepter la suzeraineté ottomane, supportait impatiemment le joug turc et
            préparait un soulèvement avec l’appui du roi de Bosnie, Turkto . Mourad ayant envoyé
            une expédition contre la Bosnie (1388), une forte armée de Serbes et de Bosniaques
            barra la route aux envahisseurs à Plochnik dans la vallée de la Toplitsa. La
            plus grande partie de l’armée ottomane fut massacrée et, à la suite d’autres
            victoires remportées par les alliés à Rudnik et à Bileče (27 août) , il y eut une révolte
              générale dans la péninsule. L’Albanais Georges Castriota , tous les dynastes
              serbes, les princes bulgares Šišman et Ivanko, dénonçant
                leurs traités avec Mourad, ainsi que le prince de Valachie, se serrèrent autour
                de Lazare .
                 Mourad différa sa vengeance et chercha
            d’abord à dissocier les alliés. Une expédition d’Ali-pacha contre la Bulgarie
            vint à bout de Šišman, qui fut trop heureux d’avoir la vie sauve et de
              conserver une partie de son territoire . Ce fut seulement au
              printemps de 1389 que Mourad en personne envahit la Serbie moravienne, accompagné
              de plusieurs vassaux serbes. De Kruševac l’armée de Lazare, dans laquelle
                se trouvaient les troupes de sept nations chrétiennes, atteignit l’armée
                ottomane dans la plaine de Kossovo (Champ des Merles). La lutte fut longue et
                acharnée ; l’aile gauche des Turcs fut d’abord rompue par une charge de la
                chevalerie alliée, mais Bajazet, fils de Mourad, rallia son armée. Un noble
                Serbe, Milos Obilič, parvint jusqu’à la tente
                  du sultan et le poignarda. La bataille était indécise, quand la défection de
                  Vuk Brankovič, gendre de Lazare, qui abandonna le champ de
                    bataille avec 32 000 hommes, assura la victoire des Turcs (15 juin
                    1389) . C’en était fait de
                    l’indépendance serbe, mais, de plus, la seule force qui pût encore s’opposer à
                    la conquête ottomane de la péninsule des Balkans était anéantie. Le sort de
                    Byzance semblait fixé.
                     
 LIVRE TROISIÉME. AGONIE ET MORT DE BYZANCECHAPITRE II. — La lutte suprême
          (1389-1453)  
              
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