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         Louis Brehier. Le monde byzantin :Vie et mort de Byzance.LIVRE DEUXIÈME. L’EMPIRE ROMAIN HELLÉNIQUEChapitre IIL’expansion (945-1057)
          
 En raffermissant la situation extérieure de l’Empire, en
          conjurant le péril bulgare, en opposant une barrière infranchissable à
          l’offensive musulmane, Romain Lécapène avait non seulement sauvé l’œuvre de la
          dynastie amorienne et des deux premiers empereurs Macédoniens, mais, par les
          victoires de ses armées, servies par une diplomatie habile, jeté les bases de
          l’expansion territoriale qui se développa sous ses successeurs. La
          contre-attaque gigantesque qui restitua à l’Empire des provinces perdues depuis
          le viie siècle et
          étendit ses frontières du Danube à la Mésopotamie, a mérité à juste titre le
          nom d’épopée byzantine. Elle est l’œuvre d’une série d’empereurs, de chefs de
          guerre et d’hommes d’État remarquables. En face des États musulmans divisés et
          des peuples d’Occident encore en pleine crise de croissance, l’Empire byzantin
          est devenu la première puissance militaire de l’Europe chrétienne et du
          Proche-Orient. Un magnifique développement commercial alimenté par des
          industries de luxe, un mouvement artistique, véritable renaissance dite avec
          raison le second âge d’or de l’art byzantin, un développement intellectuel
          incomparable et une nouvelle expansion des missions chrétiennes à laquelle fut
          due la conversion de la Russie, achevèrent de faire de Byzance le centre du
          monde civilisé et de faire rayonner son influence et sa civilisation dans les
          pays les plus lointains.
           Cette expansion se poursuivit jusqu’à la deuxième moitié du xie siècle, puis une
          fidélité trop grande au principe dynastique, étendu aux femmes, mit sur le
          trône une série d’aventuriers et d’empereurs incapables dont le mauvais
          gouvernement compromit la situation extérieure, au moment où de nouveaux
          ennemis redoutables, les Turcs et les Normands, attaquaient l’Empire.
          L’expansion byzantine se heurta à l’expansion des peuples d’Occident qui
          atteignit son plus haut degré avec la croisade. Une dynastie qui eut
          successivement trois empereurs remarquables, celle des Comnènes, fit face
          pendant un siècle à ces dangers nouveaux, mais les ressources de l’Empire
          étaient épuisées et, après les règnes désastreux d’Andronic Comnène et des deux
          représentants de la dynastie des Anges, il ne put résister aux convoitises des
          Occidentaux et s’effondra lamentablement.
           
           1.  Les débuts de l’expansion byzantine  (944-963)
          La première phase de cette longue période de trois siècles
          correspond aux règnes de Constantin Porphyrogénète (944-959) et de Romain II
          (959-963) et aux premières conquêtes des armées byzantines.
           Constantin Porphyrogénète. — Empereur en
          titre depuis 25 ans sans avoir jamais pris une part quelconque aux affaires,
          bien qu’âgé de 38 ans, sa figure paraît bien effacée à côté de celle de son
          prédécesseur. A la différence de Lécapène, il était peu propre à l’action et il
          ne pouvait d’ailleurs renoncer subitement à la vie solitaire et studieuse qu’il
          menait depuis si longtemps au Grand Palais. Très instruit, représentant de la
          science byzantine de son temps, érudit et archéologue, ses goûts le portaient
          vers le passé de l’Empire et il employait ses faibles ressources à acheter des
          manuscrits . Il aimait à s’entourer
          de lettrés, d’artistes, de juristes, et son esprit curieux embrassait toutes
          les connaissances, y compris celle des arts industriels comme l’architecture,
          la construction des navires de guerre, la toreutique. Il pratiquait lui-même la
          peinture, la sculpture, l’orfèvrerie et l’on vantait la treille qu’il avait
          modelée au plafond du Triclinium des Dix-neuf lits, l’aigle d’argent étouffant
          un serpent placée au-dessus d’un jet d’eau, et une table d’argent incrustée de
          bois précieux. Il était également musicien, composait des cantiques et
          dirigeait lui-même les chœurs . Il était même
          linguiste, connaissait les langues des peuples voisins de l’Empire, et il donne
          dans ses ouvrages des étymologies slaves et scandinaves.
           Un savoir aussi dispersé était forcément superficiel, comme le
          montrent les erreurs qu’il a commises et les fables qu’il a acceptées sans
          aucun sens critique . Son œuvre personnelle
          ne fut pas d’ailleurs inutile à l’Empire. Maître du pouvoir, disposant de
          ressources abondantes, il put satisfaire ses goûts et il entreprit
          l’établissement d’un immense inventaire de toutes les richesses de Byzance, de
          ses traditions politiques et juridiques, de son historiographie, de ses connaissances
          ethnographiques, etc. Il fut vraiment l’empereur-archiviste, avec le désir de
          revenir à la grande tradition impériale et d’instaurer un régime définitif et
          permanent dans tous les domaines, cérémonies, hiérarchie, enseignement, droit
          public, techniques. Ce fut là son rôle historique .
           Le xe siècle est l’époque des compilations et des encyclopédies, dont la Bibliothèque de Photius est le type,
          composée d’extraits des auteurs anciens et modernes, mais la nouveauté consista
          à séparer les différents ordres de connaissances. Il existait déjà une encyclopédie
          juridique, les Basiliques, œuvre monumentale achevée sous Léon VI. Constantin
          VII paraît avoir eu l’ambition de constituer sur le même modèle une série de
          grandes collections embrassant toutes les branches du savoir humain. Plusieurs
          d’entre elles portent sa marque personnelle ; les autres sont l’œuvre
          d’une équipe de lettrés qui travaillaient probablement sous sa direction. La
          plus importante était l’Encyclopédie historique en 53 livres, dont il ne reste
          que les Extraits des ambassades (livres 26-27), puisés dans les Archives impériales . Le Livre des Cérémonies, dû en grande
          partie à l’empereur, soucieux de restaurer les anciens usages, est une
          encyclopédie du même genre qui conserve des pièces de diverses époques et qui
          reçut des compléments postérieurs . L’administration de
          l’Empire est représentée par le Livre des Thèmes dont l’attribution au basileus
          est douteuse  et par le De administrando Imperio , œuvre authentique
          de Constantin, dédiée à Romain son fils, qu’il veut faire profiter de sa propre
          expérience et de celle de ses prédécesseurs dont il a pu consulter les archives .
           D’autres encyclopédies comme les Γεωπονικά
          (encyclopédie agricole) et peut-être les Ἰατρικά
            (encyclopédie de médecine) sont des remaniements d’œuvres antérieures . Enfin une entreprise
            considérable qui passe pour avoir été sinon commandée, tout au moins encouragée
            par Constantin, est l’Encyclopédie
              hagiographique à laquelle s’attache le nom de Syméon Métaphraste , qui dut pour la
            composer se procurer un nombre important de manuscrits écrits en copte ou en
            syriaque et les faire traduire en grec. Les arguments d’après lesquels il
            aurait vécu au xie siècle  sont démentis par les allusions
            très claires de certaines translations où il se donne lui-même comme un contemporain
            de Léon VI .
             Constantin ne se contenta pas d’encourager ces travaux. Il
          réorganisa l’Université impériale réformée déjà par Bardas et chercha comme lui
          à recruter les professeurs parmi les principaux savants de l’Empire. Non
          seulement il fonda des chaires nouvelles, mais il attribua aux maîtres qui les
          occupaient un rang honorable dans la hiérarchie et se préoccupa du recrutement
          et des progrès des étudiants, qui devaient dans sa pensée former une pépinière
          de lettrés parmi lesquels il pourrait recruter ses fonctionnaires .
           Il y avait là une conception d’homme d’État, qui était un
          retour à la tradition de Théodose II et de Bardas et qui domine l’histoire
          universitaire de Byzance. On a d’ailleurs exagéré l’incapacité de Constantin à
          s’occuper des affaires. S’il ne fut pas un homme d’action, s’il ne parut jamais
          à la tête de son armée, il fut loin de se désintéresser du gouvernement. Ses
          historiens ont toujours été embarrassés par les témoignages contradictoires du
          Continuateur de Théophane, son contemporain, qui vante son humanité pour ses
          sujets, sa clémence, son souci de l’administration des provinces, et des
          chroniques postérieures, Skylitzès, Glycas, Zonaras, qui lui reprochent sa
          paresse, son amour de la bonne chère et même sa cruauté pour ses ennemis . Ce sont là des
          calomnies qui proviennent vraisemblablement d’une source, chronique ou
          pamphlet, favorable aux Lécapènes.
           En fait on ne peut refuser au
          Porphyrogénète certaines initiatives importantes. A peine a-t-il ressaisi le
          pouvoir qu’il songe à assurer l’avenir de la dynastie macédonienne et, le
          dimanche de Pâques 6 avril 945, il fait couronner basileus Romain, son fils,
          par le patriarche Théophylacte . De même un de ses
          premiers actes fut d’écarter de l’armée et de l’administration les créatures de
          Romain Lécapène et de rappeler aux affaires ceux qui avaient été disgraciés
          sous le règne précédent, en particulier Bardas Phocas, fils du rival de Romain,
          qui devint domestique des scholes, et ses deux fils, Nicéphore, promis à de
          hautes destinées, et son frère Léon, dont il fit des stratèges d’Anatolie et de
          Cappadoce .
           Avec le patriarche Théophylacte, pour les
          écarts duquel les chroniqueurs reprochent à Constantin son indulgence , un autre Lécapène fut
          épargné : ce fut un bâtard de Romain, Basile l’Oiseau, dont on avait fait
          un eunuque. Il s’insinua dans les bonnes grâces de Constantin, qui le créa
          protovestiaire, patrice, puis parakimomène et en fit son confident . Basile lui fut fidèle
          et ne prit aucune part aux complots dirigés contre Constantin par de hauts
          dignitaires qui, comme Théophane, devaient leur fortune à Romain et avaient
          conservé leurs places : le danger était d’autant plus grand que l’empereur
          déchu vivait encore, mais Constantin se borna à exiler les conspirateurs ou à
          les reléguer dans des monastères .
           Enfin le souci réel que le Porphyrogénète
          avait des intérêts de l’État et de la protection des petits contre les sévices
          des grands apparaît dans les novelles qu’il a publiées. Les unes ne font guère,
          et ceci est significatif, que reproduire la législation de Romain Lécapène sur
          la protection des biens militaires ; les autres avaient pour objet de réglementer
          les frais de justice dans les tribunaux des thèmes et d’obliger les juges et
          les hommes de loi à abréger les longs délais imposés aux plaideurs .
           Mais si Constantin VII avait le sens de
          l’intérêt de l’État et de la majesté impériale, dont il était imbu depuis son
          enfance, il manquait absolument de volonté à l’égard des siens. Son panégyriste
          le Continuateur de Théophane peint un tableau idyllique de son intérieur
          familial . Il préparait son fils
          à son métier impérial en lui enseignant tout ce qu’un basileus doit penser,
          comment il doit se tenir, parler, rire, s’habiller, s’asseoir. Mais cette
          éducation toute formelle, consistant en leçons de maintien, glissa sur l’esprit
          frivole de Romain qui se montra paresseux et débauché. Veuf de Berthe de Provence,
          il épousa pour sa beauté une certaine Anastasie, fille de Cratéros, de
          naissance illustre d’après le panégyriste , ancienne servante
          d’auberge connue sous le sobriquet d’Anastaso d’après les autres chroniques  : non seulement
          Constantin approuva ce mariage, mais il le fit célébrer en grande pompe au
          Justinianos et donna à sa bru le nom de Théophano , sans se douter qu’il
          préparait ainsi sa perte. Ce fut en effet cette femme ambitieuse et éhontée,
          qu’on a pu appeler la Frédégonde byzantine, qui poussa Romain à empoisonner son
          père à deux reprises . Constantin montra
          d’ailleurs la même faiblesse pour l’impératrice Hélène et pour Basile l’Oiseau
          qui s’entendaient pour vendre les dignités et les fonctions  et pour des
          fonctionnaires tarés comme le Préfet de la Ville, Théophile, voleur avéré,
          qu’il voulut destituer plusieurs fois et qu’il finit par créer patrice et
          questeur, chef de la justice .
           Affaibli par la maladie et probablement par le poison,
          Constantin Porphyrogénète se rendit aux thermes de Pythia en Bithynie , fit un pèlerinage aux
          couvents de l’Olympe et mourut à son retour (novembre 959) .
           Romain II. — Il laissait sa
          succession à un adolescent débauché et criminel, dont les chroniqueurs vantent
          les dons naturels qui auraient été corrompus par son entourage , mais qui avait en
          réalité une nature vulgaire, incapable de s’intéresser à une affaire sérieuse
          et qui ne vit dans le pouvoir qu’une facilité plus grande à satisfaire ses
          goûts cynégétiques et crapuleux. Il s’adonna à ses plaisirs avec une telle
          fougue qu’il mourut à la suite d’un surmenage physique, à moins que, selon une
          autre version incontrôlable, mais douteuse, il n’ait été empoisonné par
          Théophano , à laquelle cependant
          il avait laissé toute liberté, allant, pour satisfaire sa haine contre
          l’impératrice Hélène et ses filles, jusqu’à chasser ses cinq sœurs du palais et
          les forcer à entrer en religion .
           Heureusement pour l’Empire, l’indifférence même que Romain
          montrait pour les affaires publiques permit à l’homme d’État remarquable sur
          lequel il s’était déchargé entièrement des soucis du pouvoir, de sauvegarder
          les résultats acquis sous Constantin VII : Joseph Bringas, eunuque en
          grande faveur sous le règne précédent, successivement logothète du trésor, puis
          grand-drongaire de la flotte, fut créé parakimomène par Romain II et gouverna
          l’Empire sans contrôle, aidé par de bons collaborateurs . Ce fut à lui qu’on dut
          les magnifiques succès militaires de ce règne si bref. La seule initiative du
          basileus fut de nommer grand-hétériarque et patrice le moine défroqué Jean
          Chœrina, chassé du palais par Constantin VII pour ses mœurs infâmes .
           Romain II mourut le 15 mars 963, à l’âge de 24 ans, après
          avoir régné 3 ans et 4 mois . Théophano lui avait
          donné deux fils, Basile et Constantin, couronnés empereurs, le premier à l’âge
          de 3 ans (22 avril 960) , le second en 961 , et deux filles, Théophano
          et Anne, la future épouse du grand prince russe Vladimir.
           Affaires extérieures. — Romain Lécapène avait
          si bien organisé la diplomatie, l’armée et la marine que, malgré
          l’insignifiance de ses deux premiers successeurs, la situation extérieure de
          l’Empire non seulement resta excellente, mais fut encore améliorée par des
          succès diplomatiques et militaires qui furent comme la préface de l’épopée
          byzantine. Grâce à ses ressources l’Empire put lutter en même temps sur quatre
          fronts : sur le Danube, dans la Méditerranée orientale, en Mésopotamie, en
          Italie.
           Au nord la paix continua à régner du côté des Bulgares et
          Constantin VII eut les meilleures relations avec le tsar Pierre, dont les ambassadeurs
          prenaient le pas sur ceux des autres souverains . Avec les Hongrois le
          traité signé en 943  fut sans doute
          renouvelé et des princes magyars fréquentèrent la cour de Constantin VII et
          furent baptisés . L’écrasement des
          Hongrois par Otton Ier à la bataille d’Augsbourg (955) diminua
          beaucoup leur prestige et en 958 leurs bandes ayant envahi la Thrace furent
          massacrées en grande partie ou mises en fuite . Des relations
          commerciales se développèrent entre Byzance et la Hongrie, mais les tentatives
          pour attirer le peuple magyar vers l’Église grecque produisirent peu de
          résultats .
           Du côté de la Russie un succès diplomatique
          important fut la réception à Constantinople, en 955, de la veuve d’Igor, la
          princesse Olga.
           Il est faux qu’elle ait été instruite et
          baptisée par Polyeucte (qui n’était pas encore patriarche), comme l’affirment
          Nestor et des chroniques postérieures . Déjà chrétienne, elle
          amenait avec elle son chapelain. La magnifique réception qui lui fut faite n’en
          préparait pas moins la conversion de la Russie par des missionnaires
          byzantins .
           Fronts arabes. — La lutte contre
          l’islam en Asie Mineure et en Mésopotamie, dans l’Archipel et dans la
          Méditerranée occidentale, reste le principal souci du gouvernement impérial et
          il existe une continuité parfaite entre la politique arabe de Romain Lécapène
          et celle en vigueur dans la période suivante : entreprises diplomatiques
          distinctes dans les divers États musulmans afin d’isoler l’adversaire du moment,
          esprit d’offensive, accord des opérations terrestres et maritimes, armées
          solides dirigées par des chefs de guerre de premier ordre.
           En Orient le principal ennemi est toujours
          le Hamdanide Seïf-ad-Daouleh, émir d’Alep, mais par bonheur pour l’Empire sa situation
          n’est pas bien assise et il est toujours en difficulté avec l’Ikhchide, maître
          de l’Égypte et de Damas et allié de Byzance . Redevenu émir de
          Tarse, après la mort de l’Ikhchide, Seïf-ad-Daouleh consentit à l’échange de
          prisonniers, décidé entre son prédécesseur et l’Empire . Ce ne fut qu’une
          courte trêve. Profitant des embarras de l’émir hamdanide en Égypte et en Syrie,
          le gouvernement impérial envoya Bardas Phocas réoccuper les villes de
          Mésopotamie et de la frontière arménienne, Germanicia (Marasch) et Erzeroum
          (948-949) . Seïf ne réagit pas,
          étant occupé par des luttes intestines qui suivirent le meurtre de son fils par
          son poète favori. La situation étant calme en Asie, le gouvernement impérial
          crut le moment favorable à l’exécution d’un grand dessein préparé depuis
          longtemps : la reprise de la Crète, dont les corsaires continuaient à
          écumer impunément les côtes de la Grèce et les îles .
           L’expédition fut précédée de grands
          préparatifs diplomatiques et militaires. Deux ambassades furent envoyées de
          Constantinople à Cordoue au calife Abd-er-Rahmân III (les Sarrasins de Crète
          continuant à avoir des relations avec l’Espagne), en 947 et 949. Elles
          aboutirent à la signature d’un traité d’amitié, gage de la neutralité du
          calife, et à de curieuses relations littéraires et artistiques . Un immense effort
          naval et militaire fut accompli . De petites escadres
          allèrent croiser dans la Méditerranée occidentale et l’Adriatique pour
          interdire toute tentative d’intervention en faveur des corsaires. Chaque thème
          dut fournir son contingent de troupes ou de navires. Malheureusement
          l’expédition était dirigée par un chef inexpérimenté, Constantin
          Gongylès ; après avoir pu débarquer heureusement en Crète, il laissa
          surprendre son armée, qui fut massacrée presque entièrement par les Arabes
          (949) . Les pirateries
          recommencèrent de plus belle.
           Quelques mois plus tard, au mois d’août
          950, Seïf-ad-Daouleh prenait l’offensive et commençait contre l’Empire une
          guerre sans merci qu’il devait poursuivre jusqu’à sa mort en 967. Il débuta par
          une attaque brusquée, envahissant la Cappadoce et marchant sur Constantinople,
          mais, l’hiver venant, abandonné d’une partie de ses contingents alliés, il dut
          battre en retraite et le 26 octobre tomba dans une embuscade que lui tendit le
          domestique des scholes, Bardas Phocas : une grande partie de son armée fut
          tuée ou capturée et le butin des Grecs fut considérable . Une deuxième tentative
          de l’émir pour pénétrer en Cappadoce en 951 échoua de nouveau  et la guerre fut
          reportée par les stratèges byzantins en Cilicie et en Mésopotamie avec des
          alternatives de succès et de revers (952-959) . Jusqu’en 958
          Seïf-ad-Daouleh soutint victorieusement les attaques des Grecs, mais sa
          résistance commença à faiblir. En 958 le futur empereur Jean Tzimiskès prenait
          les villes de la Mésopotamie septentrionale, allait assiéger avec succès
          Samosate sur l’Euphrate, infligeait une grande défaite à l’émir lui-même et
          poursuivait son armée en déroute en faisant de nombreux prisonniers . Dès 960 la région située
          à l’est de l’Euphrate devenait le thème de Mésopotamie .
           La situation des armées byzantines en
          Orient était donc excellente au moment de la mort de Constantin Porphyrogénète
          et ce fut ce qui décida le chef du gouvernement de Romain II, Joseph Bringas, à
          tenter une nouvelle expédition en Crète, tout en laissant en Mésopotamie une
          armée commandée par Léon Phocas ; son frère, Nicéphore. qui avait succédé
          comme domestique des scholes à son père en 954 , fut rappelé d’Orient
          et désigné comme chef de l’expédition, dont le projet rencontrait une assez
          forte opposition au Sénat .
           En un temps assez court une armée composée
          des corps d’élite de la garde et de troupes des thèmes d’Asie et d’Europe fut
          rassemblée, tandis que, sous le commandement du chitonite Michel et des
          stratèges des thèmes maritimes des Cibyrrhéotes et de Samos, une flotte immense
          était formée de transports et de navires de guerre munis de feu grégeois . Nicéphore Phocas
          s’embarqua avec l’élite de l’armée à Constantinople (fin juin 960) , mais la concentration
          de l’armée et de la flotte se fit à Phygèles, petit port au sud d’Éphèse, d’où
          partit l’expédition . Le débarquement eut
          lieu après un combat assez vif avec les Sarrasins  et Nicéphore, après
          avoir reformé son armée, marcha sur la capitale de l’île, Chandax (Candie),
          dont il établit le blocus par terre et par mer. L’émir de Crète avait demandé
          des secours au calife fatimite d’Afrique et à celui de Cordoue, mais son appel
          ne fut pas entendu et les quelques milliers d’Arabes qui débarquèrent furent
          taillés en pièces. L’hiver fut également dur pour les assiégés comme pour les
          assiégeants auxquels Bringas dut envoyer des approvisionnements. Sept sorties
          des habitants furent successivement repoussées. Grâce à ses machines de siège
          Nicéphore put faire ouvrir une brèche dans les murailles de Chandax et le 7
          mars 961 la ville fut prise d’assaut et les habitants massacrés en masse ou
          faits prisonniers .
           La prise de Chandax fut suivie de la
          soumission de l’île entière, à laquelle Nicéphore donna une organisation
          provisoire, jusqu’au moment où elle fut érigée en thème sous le gouvernement
          d’un stratège .
           La reprise de la Crète à l’islam était un événement d’une
          portée considérable. Depuis 137 ans elle était le repaire des pirates, qui arrêtaient
          la navigation dans la Méditerranée et désolaient périodiquement ses rivages.
          D’autre part l’expédition de Nicéphore, à laquelle avait participé un nombreux
          clergé, revêtait le caractère d’une guerre sainte qui s’était terminée par la
          victoire du Christ. La fermeture des mosquées, le rétablissement du culte
          chrétien, la conversion des Arabes entreprise par des missionnaires donnèrent à
          l’Empire un immense prestige dans la chrétienté entière aussi bien que dans le
          monde musulman. Le vainqueur de la Crète, déjà très populaire dans l’armée, fut
          acclamé avec enthousiasme à son retour à Constantinople et reçut les honneurs
          du triomphe .
           Pendant que Nicéphore Phocas se couvrait ainsi de gloire, son
          frère Léon infligeait une défaite retentissante à Seïf-ad-Daouleh, qui revenait,
          chargé de l’immense butin qu’il avait fait par un raid audacieux dans le thème
          de Charsian, situé au-delà de l’Halys : surpris au passage du Taurus
          oriental, l’émir dut abandonner son butin et s’enfuir jusqu’à Alep, après avoir
          perdu la plus grande partie de son armée (novembre 960) .
           Le gouvernement impérial résolut de profiter de cet
          affaiblissement des forces du Hamdanide pour reprendre l’offensive en Orient.
          Après un bref séjour à Constantinople, Nicéphore Phocas fut renvoyé en Asie
          avec pour objectif la conquête de la Cilicie d’où partaient les incursions en
          territoire byzantin et qui était le principal centre de piraterie après la
          Crète ; d’autre part, la Cilicie était la porte de la Syrie .
           Dans une première campagne (janvier-février
          962) Nicéphore réussit à prendre en 22 jours 50 à 60 villes ou châteaux , et de nombreux
          prisonniers ; puis, au début du carême, il se retira en Cappadoce pour
          réorganiser son armée. Ce fut seulement dans l’automne de 962 qu’il reparut en
          Cilicie où il prit Anazarb (Aïn-Zarba), qui commandait la route de Syrie, des
          abords de laquelle il s’empara . Seïf-ad-Daouleh, qui
          n’avait plus que des forces insuffisantes, ne put disputer les passes de
          l’Amanus à Nicéphore, qui, après avoir pris plusieurs villes, atteignit
          l’Euphrate à Mabough (Hiérapolis)  et marcha sur la grande
          ville d’Alep, capitale de Seïf, puissamment fortifiée, dont il s’empara après
          un siège de 11 jours (20-31 décembre 962), mais sans pouvoir prendre la
          citadelle. Ne se sentant pas en force pour occuper la Syrie, Nicéphore battit
          en retraite en emmenant une nombreuse troupe de prisonniers et un butin
          considérable . Ce fut pendant son
          retour qu’il apprit que Romain II était mort le 13 mars 963 : cet événement
          allait changer le cours de sa destinée.
           La politique italienne. — Pendant la
          même période des règnes de Constantin VII et Romain II, l’Empire ne remporta
          pas en Italie de succès aussi éclatants qu’en Orient, mais sa domination s’y affermit
          peu à peu et son prestige s’accrut aux yeux des populations et des princes
          indigènes. Au moment de la chute de Romain Lécapène, le thème de Longobardie
          était troublé par des révoltes et une émeute sanglante éclata, à Bari en 946.
          Réconciliés avec les Fatimites d’Afrique, auxquels Constantin VII avait refusé
          de payer le tribut habituel, les Arabes de Sicile occupaient Reggio ainsi que
          plusieurs villes de Calabre et soutenaient les révoltes des sujets de
          Byzance .
           La situation fut donc très critique jusqu’à
          956, année où le gouvernement impérial put envoyer en Italie une flotte
          importante avec une armée tirée des thèmes de Thrace et de Macédoine sous le
          commandement du patrice Marianos Argyros, investi de l’autorité suprême en
          Italie avec le titre de stratège de Calabre et de Longobardie. Marianos réprima
          les révoltes, rétablit l’influence impériale en Campanie et prit l’offensive
          contre la Sicile où il s’empara de la ville de Termini. Après une dernière et
          infructueuse tentative pour envahir la Calabre, l’émir de Sicile signa avec
          l’Empire une trêve qui dura jusqu’à l’avènement de Nicéphore Phocas
          (958-963) , tandis que Constantin
          entretenait de bons rapports avec les Fatimites .
           En même temps le gouvernement impérial
          continuait à étendre son influence sur l’Italie centrale. Constantin VII se
          déclarait le protecteur de Lothaire, fils de son allié Hugue de Provence,
          détrôné par Bérenger, marquis d’Ivrée. Lothaire, frère de la fiancée de Romain
          II, avait été proclamé roi d’Italie sous la tutelle de Bérenger qui crut
          prudent de charger Luitprand, évêque de Crémone, d’aller négocier à
          Constantinople (948) 
    
    [1207]
    
    , mais Lothaire mourut
          en 950 et les rapports avec Bérenger paraissent avoir cessé : le prestige
          de Byzance était prédominant même à Rome, où le pape Jean XII, fils d’Albéric
          II, prince des Romains , datait ses actes par
          les années de règne du basileus suivant un protocole abandonné depuis Hadrien Ier .
           
           
           2.  La grande offensive  (963-976)
          Les victoires magnifiques du règne de Romain II, l’anéantissement
          du principal centre de piraterie dans la Méditerranée, la capture pour la
          première fois d’une capitale musulmane de l’importance d’Alep ne furent que le
          prélude d’une expansion en Orient, qui se poursuivit sans interruption, à peine
          ralentie par les difficultés intérieures, jusqu’à la mort de Basile II en 1025
          et même, à certains égards, jusqu’au dernier quart du xie siècle. La première période a pour
          protagonistes deux chefs militaires dont l’association au trône fut imposée aux
          représentants de la dynastie légitime, la seconde partie de cette épopée est
          l’œuvre du plus illustre représentant de cette dynastie.
           Les princes-tuteurs. Nicéphore Phocas. — Romain II
          laissait pour lui succéder deux enfants déjà associés à la couronne, mais dont
          l’aîné, Basile, avait six ans et le second, Constantin, trois ans. Avant sa
          mort, il avait décidé que Théophano exercerait la régence, que Bringas
          continuerait à diriger le gouvernement et Nicéphore Phocas à commander l’armée
          d’Asie . Les événements
          rendirent ces dispositions caduques. Théophano, qui détestait Bringas, appela à
          Constantinople Nicéphore Phocas, qui reçut un accueil triomphal, mais à qui le
          parakimomène voulait faire crever les yeux pour avoir abandonné son armée
          (avril 963). Bientôt le danger fut tel que Nicéphore se réfugia à
          Sainte-Sophie, mais grâce à l’intervention du patriarche Polyeucte, il fut
          amené au palais où, après s’être engagé par écrit à ne rien entreprendre contre
          les droits des deux jeunes empereurs, il reçut la confirmation de son
          commandement de l’armée d’Asie et alla en reprendre possession (mai 963) .
           Bringas ne se tint pas pour battu et dans sa haine aveugle il
          entreprit de susciter un rival à Nicéphore parmi ses compagnons d’armes et
          s’adressa à Jean Tzimiskès et à Romain Courcouas, qui s’empressèrent de tout
          révéler à leur chef et le mirent en demeure de se laisser proclamer basileus.
          Le 3 juillet 963, à Césarée en Cappadoce, Nicéphore Phocas était hissé sur le
          pavois, puis couronné par le métropolite. Un ultimatum au nom de l’armée fut
          dépêché à Bringas et au Sénat et le nouveau basileus marcha sur
          Constantinople . Le 9 août il était à
          Chrysopolis, tandis que dans la Ville Impériale une émeute formidable éclatait
          contre Bringas désemparé . Le 16 août, grâce à
          l’intervention de l’ancien parakimomène de Constantin VII, Basile, bâtard de
          Romain Lécapène, Nicéphore Phocas faisait son entrée solennelle à
          Constantinople et était couronné à Sainte-Sophie par le patriarche
          Polyeucte . Le 20 septembre
          suivant, son mariage avec Théophano était célébré à la Nouvelle Église de
          Basile, non sans une opposition, assez vive et difficile à expliquer, du patriarche .
           A la différence de Romain Lécapène, Nicéphore devait l’Empire
          à une révolte militaire, mais son pouvoir reposait sur la même fiction, d’après
          laquelle, tout en étant basileus, pleno
            jure, il était simplement associé au trône des deux héritiers légitimes. En
          outre sa situation de prince-époux eût dû consolider son pouvoir, mais ce fut
          justement ce qui causa sa perte.
           Issu d’une maison de l’aristocratie militaire, qui avait donné
          à l’Empire deux familles de chefs de guerre et d’hommes d’État de premier
          ordre, Nicéphore Phocas était âgé de 50 ans au moment de son avènement. Sa
          glorieuse carrière avait commencé sous Constantin VII, qui l’avait nommé
          stratège d’Anatolie, puis l’avait fait succéder à son père comme domestique des
          scholes d’Orient . Ses magnifiques
          victoires sur les Arabes lui assuraient une immense popularité, qui est la
          vraie raison de son arrivée à l’Empire. Parfait chef de guerre, il ne vivait
          que pour ses soldats, qu’il savait entraîner et auxquels sa vigueur
          exceptionnelle lui permettrait de donner l’exemple dans la mêlée. Mais il avait
          un caractère taciturne et sombre qui le rendait impitoyable pour les crimes
          militaires. Ce soldat accompli était en même temps un grand mystique. Il avait
          puisé son goût pour l’ascétisme auprès de son oncle, Michel Maleinos, higoumène
          d’un monastère thessalien, qui lui donna comme directeur spirituel le moine
          Athanase, regardé de son vivant comme un thaumaturge. Athanase exerça une
          influence profonde sur Nicéphore, qu’il détourna d’entrer dans un monastère, le
          trouvant plus utile à la défense de la chrétienté. Il fut à ses côtés pendant
          l’expédition de Crète et une part du butin lui fut attribuée pour fonder la
          célèbre Laure dans les solitudes de l’Athos . Il n’en blâma pas
          moins le mariage de son fils spirituel avec Théophano et il fallut pour
          l’apaiser que Nicéphore lui promît d’accomplir son vœu monastique dès que les
          affaires publiques le lui permettraient .
           Le gouvernement de Nicéphore fut donc, avant tout, celui d’un
          empereur militaire. Non seulement pendant son règne si court il dirigea
          lui-même trois expéditions en Cilicie (965) et en Syrie (966 et 968) mais
          toutes les mesures qu’il prit furent subordonnées aux intérêts de l’armée, à
          son recrutement, à son équipement, à son bien-être. C’est ce qui explique le
          caractère de ses lois sociales, fiscales et même religieuses. Représentant de
          la noblesse foncière, il revient sur la législation de Lécapène en accordant
          aux puissants le droit de préemption sur les grandes propriétés tombées en
          déshérence  et, s’il permet aux
          possesseurs de ces biens de revendiquer leur lot après trois ans
          d’absence , il triple la valeur de
          ces lots  et donne ainsi au
          recrutement de l’armée un caractère aristocratique.
           Lorsqu’il s’agissait des intérêts de l’armée, Nicéphore Phocas
          ne ménageait même pas l’Église, et ce fut certainement le souci de protéger son
          recrutement qui inspira sa novelle de 964 interdisant toute fondation nouvelle,
          monastique ou autre, et enrayant ainsi le mouvement qui poussait vers le
          cloître un nombre de plus en plus important d’hommes valides et de jeunes gens
          au détriment de la défense de l’Empire .
           Cependant il faut voir dans cette loi qui fut tant reprochée à
          Nicéphore une autre intention bien nette. Les considérants si durs qui
          l’accompagnent et qui ressemblent à une satire de la vie monastique montrent
          chez ce disciple d’Athanase, porté par ses goûts vers le cloître, un vif désir
          de faire cesser les scandales qui déshonorent l’Église et de l’engager sur la
          voie de la réforme .
           L’intérêt de l’armée n’en reste pas moins sa préoccupation dominante.
          Ne va-t-il pas jusqu’à vouloir faire honorer comme martyrs les soldats tués à
          l’ennemi  ? Et le désir
          d’assurer le bien-être de ses magnifiques régiments et de pouvoir les combler
          de cadeaux  explique son âpreté
          fiscale qui lui fit perdre sa popularité, l’augmentation de l’impôt sur la
          propriété bâtie (Kapnikon) et la rigueur de sa perception , ainsi que
          l’établissement d’impôts spéciaux destinés à alimenter les caisses militaires
          et maritimes . Il alla jusqu’à
          altérer les monnaies en émettant des nomismata d’une valeur plus grande que
          leur poids réel  et il fut accusé de
          spéculer sur les blés de concert avec son frère Léon Phocas . Enfin le droit qu’il
          se fit accorder par le synode de nommer de sa seule autorité tous les évêques
          de l’Empire lui servit de prétexte à lever des taxes abusives sur leurs diocèses .
           Le basileus était d’ailleurs très dur pour les soldats sous
          les armes et d’une indulgence sans bornes pour leurs méfaits au préjudice des
          civils . Il n’est donc pas
          étonnant que pour toutes ces raisons il ait fini par devenir aussi odieux à
          tous ses sujets qu’il était auparavant aimé d’eux. A son retour de sa deuxième
          expédition de Syrie (fin 966) le mécontentement se manifesta ouvertement à
          Constantinople. En voulant improviser à l’Hippodrome un simulacre de combat
          entre ses soldats, il provoqua une telle panique que les spectateurs, croyant
          leur dernière heure venue, se précipitèrent vers les sorties et beaucoup périrent
          étouffés . Mais ce fût surtout le
          jour de l’Ascension, 9 mai 967, qu’une émeute violente éclata sur son passage,
          alors que suivant l’usage il se rendait au monastère de la Source. Les émeutiers furent
          cruellement châtiés et Nicéphore, craignant pour ses jours, fit fortifier le
          Grand Palais et construire au Boucoléon, sur la côte de la Propontide, un
          véritable château fort, où il s’enferma au grand mécontentement du peuple .
           Ces précautions étaient vaines et il ne put échapper au destin
          que des inconnus lui avaient prédit plusieurs fois . Après une entente entre
          Théophano, qui avait fini par abhorrer son époux, et Jean Tzimiskès, que le
          basileus soupçonneux avait disgracié et éloigné du palais , dans la nuit du 11 au
          12 décembre 969 Nicéphore Phocas fut atrocement massacré dans son château du
          Boucoléon, et le chef des assassins était son meilleur ami d’autrefois, son
          plus fidèle lieutenant, Jean Tzimiskès, qui ne craignit pas, le meurtre achevé,
          de prendre la place de sa victime sur le trône impérial .
           Jean Tzimiskès. — Comme Nicéphore
          Phocas, Jean Tzimiskès appartenait à la haute aristocratie. D’origine
          arménienne (son vrai nom était Tchemchkik ou Tchémeschaguig), il était allié
          par son père aux Gourguen (Courcouas) et par sa mère aux Phocas ; sa
          première femme était de la famille de Skléros. Age de 45 ans en 969, de petite
          taille, il était renommé pour sa souplesse et sa bravoure. Plein de fougue au
          combat, il était adoré des soldats, mais dans la vie ordinaire il montrait un
          caractère doux, mesuré, patient, en parfait contraste avec celui de Nicéphore
          Phocas ; il était en outre très généreux, mais libertin, aimant les femmes
          et la bonne chère. En 969 il était veuf de Marie, sœur de Bardas Skléros .
           Pendant que ses complices, à la lueur des torches,
          proclamaient son nom dans tous les quartiers de la ville, Jean Tzimiskès
          commençait par constituer son gouvernement en appelant au palais le parakimomène
          Basile Lécapène, disgracié par Nicéphore. Comme il se promettait de diriger
          lui-même les expéditions, Jean voulait laisser un homme sûr à Constantinople.
          Basile accepta cette mission, prit toutes les mesures nécessaires au maintien
          de l’ordre et fit une véritable hécatombe de tous les fonctionnaires connus
          pour leur attachement à Nicéphore Phocas, sans d’ailleurs aucun acte de
          violence .
           Mais ce pouvoir enlevé par la force restait précaire tant
          qu’il n’avait pas été légalisé par le couronnement solennel et, pour y procéder,
          il fallait compter avec l’intransigeance bien connue du patriarche Polyeucte.
          Jean Tzimiskès, qui tenait avant tout au pouvoir, accepta toutes ses
          conditions . Il osa jurer qu’il
          n’avait pas porté la main sur Nicéphore et désigna comme coupables deux
          patrices qui furent condamnés à mort et exécutés . Il n’hésita pas à
          chasser du palais Théophano et à l’exiler à Proti . Il révoqua les
          ordonnances de Nicéphore Phocas sur les fondations religieuses et la nomination
          des évêques . Enfin, comme
          l’exigeait le patriarche, il abandonna sa fortune mobilière et immobilière
          moitié aux pauvres de la banlieue, moitié aux hospices de Constantinople . Ces conditions
          acceptées et remplies, le couronnement eut lieu deux semaines après le meurtre,
          le jour de Noël 969, et le basileus fut absous par un acte synodal de la part
          qu’il y avait prise .
           Mais la maison des Phocas était trop
          puissante pour se résigner au fait accompli. Une des premières mesures de
          Tzimiskès avait été d’en exiler les membres les plus influents . Bardas Phocas parvint
          à s’échapper de l’île de Lesbos, où il était interné avec son père, le
          curopalate Léon : grâce à de nombreuses complicités il put gagner Césarée
          de Cappadoce où il rallia les nombreux clients de sa famille et fut proclamé
          basileus . Avec une armée qui
          grossissait sur son chemin il marcha sur Constantinople et rejeta la tentative
          de conciliation de Tzimiskès . Celui-ci fit appel à
          son meilleur général, en même temps son beau-frère, Bardas Skléros, le vainqueur
          des Russes à Arcadiopolis , qui atteignit Phocas
          en Phrygie sur la route militaire de Césarée à Éphèse, et, grâce à des espions
          déguisés porteurs de promesses, lui débaucha presque toute son armée et le
          força à capituler après l’avoir assiégé dans la forteresse où il s’était
          réfugié avec quelques fidèles (fin 970). Tzimiskès se contenta de l’interner
          dans un monastère de l’île de Chio avec toute sa famille . Quelques mois plus
          tard, Léon Phocas et son fils Nicéphore s’échappaient de Lesbos pendant que
          Tzimiskès était en Bulgarie, ralliaient quelques partisans, arrivaient à
          Constantinople et essayaient à l’aide d’intelligences de pénétrer au Grand
          Palais. Dénoncés, à la suite d’une imprudence, au parakimomène, ils se
          réfugièrent à Sainte-Sophie, d’où ils furent tirés de force, conduits aux îles
          des Princes et aveuglés .
           Tous les efforts que les Phocas firent pour ressaisir le trône
          échouèrent donc et, comme pour légitimer son pouvoir désormais consolidé, Jean
          Tzimiskès épousa en secondes noces Théodora, sœur de Romain II (novembre
          971) .
          Prenant en tout le contre-pied de la politique fiscale de Nicéphore Phocas, il
          avait fini par se rendre populaire à force de largesses de toute sorte. C’est
          ainsi qu’à son avènement il exempte d’impôts les habitants du thème des
          Arméniaques, dont il était originaire , que pour remédier à la
          disette qui sévissait à Constantinople il réunit de grands
          approvisionnements , qu’au retour de sa
          campagne victorieuse de Bulgarie il fit faire d’abondantes distributions de vivres
          au peuple et supprima au moins pour une année la levée de l’impôt impopulaire
          du Kapnikon, imaginé par Nicéphore le Logothète et augmenté par Nicéphore
          Phocas . L’armée n’était pas
          oubliée dans ces faveurs, comme le montre la novelle exemptant les soldats des
          droits sur les esclaves pris à la guerre .
           Cependant, malgré cette bienveillance et ces concessions qui
          lui étaient imposées par sa situation, Jean Tzimiskès savait à l’occasion se
          montrer aussi autoritaire que son prédécesseur, comme le prouve sa politique
          religieuse. Très sincèrement dévot, il fut le premier empereur qui fit
          représenter le buste du Christ au droit de ses monnaies d’or et de cuivre, avec
          au revers la légende en latin Iesus
            Christus rex regnantium . Comme son
          prédécesseur, il aimait la société des ascètes et il se fit même le protecteur
          zélé de la Grande Laure de l’Athos, à laquelle il confirma en les augmentant
          les privilèges accordés par Nicéphore Phocas  et dont il apaisa le
          différend avec la communauté des ermites de l’Athos. Son chrysobulle de 970 est
          la véritable charte de fondation de la fédération athonite .
           C’est cette prédilection pour le monachisme
          qui explique certaines de ses interventions dans le gouvernement de l’Église.
          Ainsi, le patriarcat d’Antioche reconquise étant vacant, Jean Tzimiskès imposa
          au synode l’élection d’un ermite aussi grossier qu’ignorant, dont le principal
          mérite était de lui avoir prédit autrefois l’Empire, Théodore de Coloneia, qui
          fut consacré par Polyeucte le 8 janvier 970 . Quelques jours plus
          tard Polyeucte mourait après avoir exercé le patriarcat de Constantinople
          pendant 13 ans et 10 mois. Par un nouvel acte d’autorité et sans consulter
          aucun évêque, le basileus força le synode à lui donner pour successeur un
          ascète de l’Olympe, Basile le Scamandrien, qu’il présenta lui-même à
          l’assemblée encore vêtu de sa casaque de peaux de bêtes .
           Mais si, comme on l’a pensé, Jean
          Tzimiskès, échappé à la tutelle sévère et tatillonne de Polyeucte, avait cru
          trouver dans la personne de Basile un prélat insignifiant et de tout repos, il
          ne tarda pas à être détrompé : en 974 Basile fut accusé d’avoir promis la
          succession de Jean à un haut personnage, de mal administrer l’Église et de
          transgresser les canons. Cité devant le tribunal impérial, il refusa de
          comparaître et déclara qu’il ne se justifierait que devant un concile
          œcuménique. Il fut exilé, déposé et remplacé par un autre ascète, son syncelle,
          Antoine le Studite (974) .
           Au début de l’an 976 le pouvoir de Jean Tzimiskès paraissait
          définitivement établi : la seule opposition sérieuse qu’il ait rencontrée,
          celle des Phocas, était brisée. Tenant son armée bien en main, il ajoutait à
          chacune de ses campagnes un peu plus de gloire au nom romain. Sa dernière
          expédition en Syrie avait été une succession de triomphes et il revenait à
          Constantinople en rapportant des reliques insignes dans son butin. Il avait
          déjà atteint la Bithynie et reçu l’hospitalité d’un grand seigneur, petit-fils
          de Romain Lécapène, lorsqu’il fut atteint d’une maladie mortelle, qui passa
          chez les contemporains comme due à un poison violent qui aurait été mêlé à ses
          aliments, mais qui, d’après la description des chroniqueurs, présentait les
          symptômes du typhus, et il revint à Constantinople pour y mourir le 10 janvier
          976 .
           Les guerres d’expansion. —
          L’accroissement territorial de l’Empire à la fin du xe siècle, la reconquête de pays devenus musulmans
          depuis Héraclius est l’œuvre de trois empereurs, chefs de guerre et diplomates
          de premier ordre : Nicéphore Phocas et jean Tzimiskès, qui n’ont fait que
          continuer sur le trône l’œuvre qu’ils avaient commencée comme chefs d’armée,
          Basile II, qui les a dépassés par l’ampleur de ses vues et de son génie
          stratégique et dont l’œuvre mérite d’être étudiée à part.
           L’offensive contre l’islam, qui avait produit de si beaux
          résultats sous Romain II, s’est développée de 963 à 976, mais par la volonté de
          Nicéphore Phocas, tout en poursuivant la conquête de l’Orient, l’Empire a dû
          combattre sur un nouveau font, celui de Bulgarie. D’autre part, dans la période
          précédente le principal ennemi de Byzance était l’émir hamdanide ; à la
          fin du xe siècle
          surgissent devant elle trois adversaires plus redoutables encore : en
          Italie, les empereurs germaniques qui, depuis le couronnement impérial d’Otton
          le Grand (962), revendiquent l’héritage carolingien ; dans la péninsule
          des Balkans, la menace des Russes qui cherchent à s’établir sur le
          Danube ; en Orient, les califes fatimites, qui ont conquis l’Égypte
          (969-970) et dont leur ardeur de propagande fait pour l’Empire des voisins bien
          plus dangereux que le califat dégénéré de Bagdad.
           Front d’Orient. — De 963 à 967 la lutte
          entre Byzance et l’émir hamdanide se poursuit. La révolution de Constantinople
          qui arrêta les opérations permit à Seïf de rentrer à Alep dévastée et de
          relever les murailles d’Anazarb en Cilicie, mais il dut bientôt faire face à la
          révolte de Nadjâ, son principal lieutenant . Jean Tzimiskès, devenu
          domestique des scholes d’Orient, ne put prendre Massissa (Mopsueste), mais
          infligea près d’Adana une grande défaite à l’émir de Tarse, venu au secours de
          la place (été de 963) ; la famine qui régna en Cilicie arrêta les opérations .
           Elles reprirent et d’une manière méthodique
          au printemps de 964, lorsque Nicéphore Phocas, bien assis sur le trône, dirigea
          lui-même une expédition en Cilicie, après avoir fait de Césarée en Cappadoce
          une base importante d’armements et d’approvisionnements. Puis ayant passé les
          Portes Ciliciennes, il prit d’assaut Anazarb, Adana et plus de 20 châteaux
          sarrasins, ainsi qu’Issus à l’entrée de la Syrie . Après avoir hiverné en
          Cappadoce, il reprit sa marche en 965, fit assiéger Tarse par Léon Phocas,
          tandis que lui-même attaquait Mopsueste où il entrait par la brèche le 15
          juillet, puis il alla rejoindre son frère devant Tarse qui capitula , La Cilicie, qui était
          depuis près de trois siècles la base des opérations sarrasines par terre et par
          mer contre l’Empire, était délivrée sans qu’il y ait eu la moindre réaction de
          la part de Seïf-ad-Daouleh. Elle devenait un thème nouveau, dont le stratège
          avait Tarse comme résidence . Durant l’hiver de la
          même année la flotte de Nicétas Chalkoutzès occupait l’île de Chypre, qui
          redevint un thème particulier . Les possessions
          maritimes des Arabes tombaient ainsi une à une et Nicéphore Phocas pouvait
          aller célébrer un triomphe éclatant à Constantinople (octobre 965) .
           Seïf-ad-Daouleh, qui avait eu fort à faire
          pour réprimer les révoltes d’Antioche et d’Alep , obtint de Nicéphore
          Phocas un échange de prisonniers qui eut lieu cette fois sur les bords de
          l’Euphrate le 23 juin 966 , mais l’émir hamdanide
          était à bout de forces et mourut à Alep le 8 février 967, à l’âge de 52 ans,
          après avoir passé sa vie à se mesurer avec le grand empire chrétien, dont il
          tint souvent les forces en respect .
           Ainsi avait disparu le principal ennemi de
          Byzance, dont les possessions se présentaient comme un obstacle insurmontable à
          sa marche vers l’Orient, et l’occupation de la Cilicie facilitait l’invasion de
          la Syrie et de la Mésopotamie. L’expédition entreprise par Nicéphore Phocas
          dans l’hiver de 966 en Haute Mésopotamie et dans laquelle il atteignit Dara,
          Nisibe, anciennes places-frontières entre l’Empire et la Perse au vie siècle, Maboug d’où il
          rapporta la relique insigne dite la sainte
            Brique , Antioche, dont il
          essaya d’obtenir la reddition, eut le caractère d’un raid, d’une reconnaissance
          destinée à frapper les populations, plutôt que d’une entreprise méthodiquement
          préparée .
           Retenu en Europe par sa rupture avec la
          Bulgarie, Nicéphore Phocas ne put reprendre l’offensive en Orient qu’à
          l’automne de 968. Par une marche rapide il se dirigea sur Alep, dont le fils de
          Seïf-ad-Daouleh avait eu beaucoup de mal à se mettre en possession. Une troupe
          de mercenaires égyptiens, commandée par l’ancien secrétaire de Seïf, Kargouyah,
          qui voulait défendre les approches de la place, fut culbutée, mais, au lieu
          d’assiéger Alep, Nicéphore envahit la Syrie septentrionale, s’empara de Homs
          (Émèse), où il fit sa prière dans la mosquée qu’il incendia ensuite, de Djibleh
          (Gabala), Arqa (Césarée du Liban), Tortose. Il n’osa assiéger Tripoli, devant
          laquelle il se trouvait le 5 novembre 968 . Ayant laissé des
          garnisons dans ces villes, il battit en retraite vers le nord et parut devant Antioche,
          dont le siège était déjà commencé et dont il organisa le blocus en faisant
          reconstruire le château de Bagras, qui commandait le défilé étroit où passait
          la route d’Antioche au golfe d’Alexandrette, et en y mettant une forte garnison
          commandée par le patrice Michel Bourtzès. Il reprit ensuite le chemin de Constantinople
          où il fit une entrée triomphale en janvier 969 .
           Avant son départ il avait laissé le
          commandement en chef à son neveu Pierre Phocas en interdisant toute attaque de
          la ville jusqu’à son retour, mais les événements déjouèrent ses plans. Des
          chrétiens d’Antioche firent savoir aux assiégeants que la ville, tombée au
          pouvoir d’un aventurier, était en pleine anarchie . A cette nouvelle
          Michel Bourtzès, sans avertir les autres chefs, partit la nuit de son château
          avec des échelles, escalada les murs de la ville, mais l’alarme ayant été donnée
          à la garnison, il aurait été massacré avec les siens, s’il n’eût fait appel, au
          bout de trois jours, à Léon Phocas, déjà en marche sur Alep. Rétrogradant aussitôt,
          il arriva à temps pour délivrer Bourtzès et il entra lui-même à Antioche avec
          toute son armée . Ainsi fut prise cette
          ville immense, qui appartenait aux Arabes depuis 638  et dont la vaste
          enceinte de Justinien semblait défier les armées les plus fortes. Ce succès eut
          un immense retentissement dans le monde musulman, mais Nicéphore Phocas, qui
          voulait se le réserver, ne l’apprit pas sans amertume et priva de son
          commandement Bourtzès qui, quelques semaines plus tard, devait être son
          meurtrier .
           Mais l’enthousiasme et l’élan de l’armée
          impériale étaient tels que, deux mois après la prise d’Antioche, Pierre Phocas
          faisait capituler la capitale des Hamdanides, Alep, défendue par Kargouyah, qui
          en avait évincé l’émir et qui signa un traité par lequel il se reconnaissait le
          vassal de l’Empire (décembre 969) , à la grande
          consternation des Arabes qui voyaient l’Égypte et la Mésopotamie menacées
          directement par Byzance.
           Les deux guerres russo-bulgares et l’insurrection de Bardas
          Phocas empêchèrent Jean Tzimiskès de reprendre l’avance byzantine en Orient.
          Cependant, dès qu’il fut délivré du danger des Russes, il se proposa d’en finir
          avec le califat de Bagdad, de libérer la Palestine du joug musulman et de
          reprendre Jérusalem. Il avait d’ailleurs à compter avec la puissance nouvelle
          du calife fatimite, à qui son vizir, Djauher, avait conquis l’Égypte et la
          province de Damas, d’où avait été détachée une armée qui tenta de reprendre
          Antioche et l’assiégea pendant cinq mois (fin de 970-971) .
           Tzimiskès se contenta de nommer Michel Bourtzès
          duc d’Antioche avec la mission d’en remettre les fortifications en état . Ce ne fut qu’en 973
          qu’il put envoyer en Orient une expédition sous les ordres du domestique des
          scholes, l’Arménien Mleh, qui alla ravager les territoires de Haute Mésopotamie,
          s’empara de Mélitène, mais échoua devant Amida, où il fut fait prisonnier et
          envoyé à Bagdad où il mourut .
           Jean Tzimiskès reprit lui-même la direction
          de la guerre d’Orient et en deux expéditions mémorables remporta des victoires
          décisives. En 974 il se proposa Bagdad comme objectif et, reprenant la route
          suivie autrefois par Héraclius, il pénétra dans la haute vallée de l’Euphrate,
          puis dans la province arménienne de Taron à l’ouest du lac de Van, où il signa
          des traités d’alliance avec le roi Aschod et des dynastes arméniens . Se détournant ensuite
          vers le sud, il s’empara d’Amida, brûla Mayafarikin, prit Nisibe (12 octobre)
          et conclut avec l’émir hamdanide de Mossoul un traité par lequel celui-ci se
          reconnaissait vassal de l’Empire . Traînant après lui un
          immense butin, il revint célébrer son triomphe à Constantinople .
           Au printemps de 975 il repartait en
          campagne, mais cette fois ayant concentré ses troupes à Antioche, il se
          dirigeait vers la Palestine, traversant des pays déjà soumis, mais qui devaient
          être repris. Comme il marchait sur Damas, le gouverneur arabe prévint son
          attaque en signant un acte de vassalité et en acceptant une garnison
          chrétienne. Tzimiskès arriva bientôt dans la région des souvenirs évangéliques,
          au bord du lac de Tibériade, à Nazareth qu’il épargna, au Thabor qu’il gravit.
          Sur sa route il recevait des actes de soumission avec promesse de tribut de la
          plupart des villes, de Ramleh, de Jérusalem, d’Acre, de Génésareth et il y établissait
          des commandants militaires. Mais toutes les forces envoyées par le calife
          fatimite s’étaient retranchées dans les villes de la côte : menacé
          d’attaques de flanc et d’encerclement, Tzimiskès remonta vers le nord en
          s’emparant de Sidon, de Beyrouth, d’où il rapporta une icône célèbre , de Djebeil (Byblos),
          de Gabala où il trouva les sandales du Christ, laissant partout des garnisons.
          D’après sa lettre à Aschod III, il se vantait d’avoir soumis en cinq mois toute
          la Syrie et il se retrouvait avec toute son armée à Antioche en septembre 975.
          Malgré le caractère triomphal de cette expédition, il n’en avait pas moins
          reculé devant la puissance fatimite et l’on a vu qu’une maladie mortelle
          contractée pendant son retour l’empêcha de jouir du fruit de ses
          victoires .
           Front des Balkans. Conquête de la Bulgarie
          danubienne. — A côté de la guerre perpétuelle contre les Arabes, la
            guerre bulgaro-russe, qui n’a duré que quatre ans (967-971) fait figure d’un
            simple épisode, mais de son issue dépendait le sort de Constantinople.
             La guerre de Bulgarie fut voulue par Nicéphore Phocas. A son retour
          de l’expédition victorieuse dans laquelle il avait vaincu définitivement l’émir
          hamdanide, il chercha à profiter des embarras intérieurs de la Bulgarie,
          affaiblie sous le tsar Pierre par les révoltes des boliades et l’agitation
          religieuse des Bogomiles, pour reculer la frontière de l’Empire jusqu’au
          Danube . Les Bulgares
          fournissaient d’ailleurs un prétexte à la rupture en s’acquittant mal de
          l’engagement qu’ils avaient pris, en échange du tribut que leur payait l’Empire,
          d’empêcher les Hongrois de passer le Danube pour aller piller la Thrace . Dans l’été de 967 des
          ambassadeurs bulgares étant venus réclamer le tribut, Nicéphore leur répondit
          par des injures et les fit souffleter en pleine audience , puis il envoya un
          ultimatum au tsar Pierre en le sommant de prendre des mesures pour arrêter les
          Hongrois. Sa réponse n’ayant pas été jugée satisfaisante, Nicéphore s’empara
          des forteresses que les Bulgares occupaient dans la région du Rhodope .
           Il y avait juste un demi-siècle que la paix régnait entre la
          Bulgarie et l’Empire. Nicéphore ne se dissimula pas qu’il s’engageait dans une
          aventure dont l’issue pouvait être lointaine, alors que la lutte contre l’islam
          était loin d’être terminée. Il eut donc recours au procédé classique de
          Byzance : il fit proposer au prince russe Sviatoslav, fils d’Olga, de
          s’allier avec lui contre les Bulgares et lui envoya pour le décider le patrice
          Kalocyr, qui parlait le slavon, avec une nombreuse suite et beaucoup d’or . Sviatoslav accepta la
          proposition avec empressement, rassembla ses guerriers et sa flotte et débarqua
          au sud des embouchures du Danube, à la grande terreur des Bulgares. En quelques
          jours il conquit la Bulgarie danubienne et s’installa dans la capitale même du
          tsar, à Preslav, entouré de boliades révoltés contre Pierre , comme s’il voulait en
          faire le centre de ses États.
           Rappelé à Kiev par une invasion des
          Petchenègues qui menaçaient de prendre la ville, où se trouvait Olga,
          Sviatoslav abandonna la Bulgarie (été de 968), mais il y revint après avoir
          repoussé les envahisseurs, plus décidé que jamais à s’installer dans la
          péninsule des Balkans, poussé d’ailleurs par Kalocyr qui comptait sur son appui
          pour s’emparer du trône impérial .
           Nicéphore Phocas, informé de ce plan au
          retour de sa dernière expédition en Syrie (janvier 969), n’hésita pas à se
          rapprocher des Bulgares, à conclure une alliance avec le tsar Pierre et à
          fiancer deux princesses bulgares aux deux jeunes empereurs Basile et
          Constantin . Il fit en outre de
          grands préparatifs pour attaquer les Russes . Mais le 30 janvier 969
          le vieux tsar Pierre mourait après un règne de 42 ans. Nicéphore renvoya
          aussitôt en Bulgarie ses deux fils qu’il tenait en otages et l’aîné, Boris, fut
          proclamé tsar, mais beaucoup de boliades refusèrent de le reconnaître et le
          pays était en pleine anarchie lorsque Sviatoslav à la tête d’une immense armée
          traversa le Danube, conquit toute la Bulgarie au nord des Balkans et s’empara
          de la Grande Pereiaslavets où se trouvait le trésor royal, ainsi que des deux
          héritiers du trône  (automne de 969). Au
          moment où Nicéphore Phocas était assassiné, les Russes se préparaient à marcher
          sur Constantinople et prévenaient l’attaque byzantine en franchissant les
          Balkans et en s’emparant de Philippopoli (mars 970) .
           La panique fut grande à Constantinople.
          Jean Tzimiskès dont le trône était encore mal assuré, essaya de négocier, mais
          par deux fois il se heurta aux exigences et à l’insolence de Sviatoslav, dont
          les troupes répandues dans toute la Thrace se livraient au pillage . Alors, ne disposant
          que d’une petite armée de 12 000 hommes, il la confia à Bardas Skléros,
          qui établit son quartier général à Andrinople et, à l’apparition des Russes, se
          retira lentement sur Constantinople en évitant la bataille ; mais à la
          hauteur d’Arcadiopolis (Lullé-Bourgas), il leur tendit à la faveur des bois une
          embuscade qui lui permit de les encercler et de les forcer à s’enfuir en
          désordre vers Philippopoli (été de 970) .
           Malheureusement Tzimiskès ne put profiter de
          cette brillante victoire pour accabler les Russes. Pendant qu’il faisait ses
          préparatifs, éclata l’insurrection de Bardas Phocas, contre lequel il fallut
          envoyer Skléros avec toutes les forces disponibles laissant en face des Russes
          un simple corps d’observation qui ne les empêchait pas de faire des razzias en
          Thrace et en Macédoine . Ce fut seulement au
          printemps de 971 que le basileus put reprendre ses opérations contre les
          Russes. Le 28 mars il passait en revue une flotte de 300 navires qui appareillait
          et se dirigeait vers la mer Noire pour pénétrer dans le Danube et prendre les
          Russes à revers, tandis que lui-même, avec l’armée qu’il avait formée, allait
          rejoindre à Andrinople le corps d’observation commandé par l’incapable Jean
          Courcouas . Les Russes n’avaient
          pas cherché à défendre les passes des Balkans qui furent franchies sans
          difficulté (2 avril). Deux jours plus tard Tzimiskès, après une bataille
          acharnée, mettait en déroute le gros des forces russes qui défendaient la
          Grande Pereiaslavets (Preslav), prenait la ville d’assaut et y célébrait la
          Pâque, le 7 avril .
           Sviatoslav s’était posté à Dorystolon  pour défendre le
          passage du Danube. Sentant les Bulgares prêts à trahir, il avait fait décapiter
          300 boliades. Un dernier ultimatum que lui avait envoyé Jean Tzimiskès avait
          achevé de l’exaspérer . Aussi, après avoir
          formé son armée en phalange serrée, hérissée de lances, avec la cavalerie sur
          les ailes, se défendit-il avec acharnement lorsque l’empereur vint l’attaquer
          le 23 avril. Il fallut 13 charges de la cavalerie impériale, dont la dernière
          fut dirigée par Tzimiskès lui-même, pour venir à bout des Russes et les obliger
          à s’enfermer dans Dorystolon. L’empereur en commença aussitôt le siège avec le
          secours de la flotte, qui parut devant la place le 25 avril. Après un siège de
          trois mois, pendant lequel il fallut repousser de furieuses sorties des Russes,
          Sviatoslav livra une dernière bataille dans laquelle la plus grande partie de
          ses guerriers fut massacrée et demanda un armistice en offrant de livrer Dorystolon
          et de se retirer dans son pays (24 juillet) . Après une entrevue
          entre le basileus et le chef russe sur le Danube, Sviatoslav signa un traité
          par lequel il s’engageait à ne jamais reparaître dans la péninsule, à ne pas
          attaquer Kherson, à prêter son appui à l’Empire contre ses ennemis .
           C’était là un immense succès politique, qui fut complété par
          l’annexion à l’Empire de la Bulgarie orientale, après l’abdication forcée de
          Boris II et la déposition du patriarche Damien. Le Danube redevenait la
          frontière de l’Empire, mais la reconquête des territoires perdus depuis le
          temps de Constantin Pogonat était incomplète, car une Bulgarie indépendante se
          reformait dans la Macédoine occidentale autour des « quatre fils du
          comte ».
           Politique italienne. — A côté des combats de
          géants qui se sont livrés pendant cette période dans les Balkans et en Orient,
          l’Italie apparaît comme un théâtre secondaire d’opération, une sorte de colonie
          extérieure. Cependant, sous peine de voir anéantis les résultats acquis depuis
          Basile le Macédonien et de perdre tout prestige en Occident, l’Empire a dû
          défendre ses possessions contre les Fatimites d’Afrique, toujours menaçants, et
          contre une puissance nouvelle, celle du roi germanique Otton, couronné empereur
          à Rome le 2 février 962 et décidé à revendiquer tout l’héritage carolingien.
           Néanmoins Nicéphore Phocas, conquérant de
          la Crète, désireux de rétablir complètement la puissance navale de Byzance dans
          la Méditerranée, tenta d’affranchir la Calabre du tribut payé aux Sarrasins de
          Sicile, mais l’expédition du Patrice Manuel, chargé de porter secours à
          Rametta, la dernière ville sicilienne restée à l’Empire, échoua complètement
          (octobre 964) et les Arabes levèrent le tribut en Calabre .
           Puis, devant la menace germanique, les
          ennemis se réconcilièrent et la paix fut signée à Mehedia en 967 entre
          Nicéphore Phocas et le calife Al-Muizz , Maître de l’Italie du
          Nord et de Rome, Otton, comme successeur de Charlemagne, revendiquait le regnum Italicum tout entier et en 966 il
          était descendu en Italie avec une forte armée, désireux d’expulser les Grecs de
          l’Apulie et de la Calabre . Comme ses
          prédécesseurs il trouva un appui auprès des princes lombards qui cherchaient à
          se maintenir indépendants entre les deux empires. Il fit ainsi alliance avec Landolf,
          prince de Capoue et de Bénévent, auquel il donna le duché de Spolète  et en février 967 il
          tenait sa cour à Bénévent et y recevait l’hommage du prince de Salerne .
           Nicéphore Phocas, qui ignorait la défection
          de Landolf, essaya d’abord la conciliation. Plusieurs ambassades furent
          échangées entre les deux souverains (967-968) . Otton, qui eût préféré
          acquérir pacifiquement le territoire byzantin, demanda au basileus la main
          d’une princesse porphyrogénète pour son fils Otton II qu’il fit couronner
          empereur à Rome le 25 décembre 967 . Nicéphore, informé de
          ce qui se passait en Italie, fit une réponse évasive qui mécontenta Otton et,
          pour se venger, sans déclaration de guerre, il attaqua Bari, capitale des possessions
          byzantines, puis, ne pouvant bloquer la ville par mer, il battit en retraite
          (mars 968) , il avait cru que ce
          coup de force ferait réfléchir Nicéphore et il lui envoya en ambassade
          Luitprand, évêque de Crémone, choisi à cause de sa connaissance de la cour
          byzantine et du succès de la mission que lui avait confiée Bérenger auprès de
          Constantin Porphyrogénète .
           Mais le malheureux évêque s’aperçut que les
          temps étaient changés dès le jour de son arrivée (4 juin 968) . Dans un récit très
          vivant, qui est une des sources les plus précieuses que l’on possède sur la
          cour impériale du xe siècle, il fit part à son maître de sa déconvenue. Outré de la conduite
          d’Otton, Nicéphore se vengea sur son ambassadeur. Il ne négligea rien pour le
          vexer, l’humilier, l’irriter. Devant ses colères naïves se dressait le mur
          infranchissable de l’étiquette impériale. Ce fut à dessein qu’il fut mal reçu
          et abreuvé d’outrages qui s’adressaient surtout au souverain qu’il
          représentait . A la demande en
          mariage Nicéphore répondit qu’il donnerait son consentement si Otton renonçait
          au titre d’empereur, restituait à Byzance Rome et Ravenne, rompait son alliance
          avec Pandolf , Jusqu’à son départ, le
          2 octobre, et même pendant son voyage de retour, Luitprand subit toutes les
          avanies possibles .
           Pendant que l’ambassadeur était mis au
          secret  Nicéphore Phocas avait
          envoyé une flotte de guerre en Italie et Otton, en ayant été averti, n’attendit
          pas le retour de Luitprand pour attaquer les thèmes byzantins. Parti de Ravenne
          le 31 octobre 968, il célébrait les fêtes de Noël en Apulie et parcourait la
          Calabre, mais sans pouvoir en prendre les villes. Son allié Pandolf, qui
          assiégeait Bovino, en Apulie, fut fait prisonnier et envoyé à
          Constantinople , Dans une seconde campagne
          (fin de 969), Otton infligea une défaite aux Grecs à Ascoli et força plusieurs
          villes de Pouille à lui payer tribut, mais ne put prendre Bovino qui résistait
          toujours au moment où Jean Tzimiskès s’emparait du pouvoir . Le nouvel empereur, se
          souciant peu de disperser ses forces, préféra un accommodement avec Otton et
          prit comme intermédiaire Pandolf, toujours captif à Constantinople, qui décida
          Otton à lever le siège de Bovino et à évacuer les possessions byzantines .
           Le résultat de cette négociation fut
          l’envoi à Constantinople par Otton de Géro, archevêque de Cologne, qui obtint
          pour Otton II la main de Théophano, fille de Romain II et sœur des deux jeunes
          empereurs . En échange de cette
          alliance, l’empereur germanique renonça à réclamer la Pouille et la Calabre.
           Ainsi, avec des forces réduites, l’Empire avait réussi à
          sauvegarder ses possessions d’Italie et ce fut même à cette époque qu’elles reçurent
          une nouvelle organisation qui resserra leurs liens avec Byzance. Cette réforme
          est l’œuvre de Nicéphore Phocas, qui établit en Italie l’unité de commandement
          en plaçant sous l’autorité du magistros Nicéphore les deux thèmes de Calabre et
          de Longobardie, dont les stratèges étaient jusque-là indépendants l’un de
          l’autre (965) . En 975 apparaît le
          titre de catepano ou catapan d’Italie, mais son institution date de Nicéphore
          Phocas qui, en substituant le terme d’Italie à celui de Longobardie, voulut
          s’opposer ainsi aux prétentions d’Otton .
           Ce fut dans la même intention qu’il compléta sa réforme administrative
          par une réforme ecclésiastique en étendant à l’Apulie l’hellénisation du clergé
          qui régnait en Calabre. Il fit de l’archevêque d’Otrante un métropolite en lui
          donnant 5 suffragants, mais, si, comme l’avance Luitprand, il fit interdire le
          rite latin en Apulie et en Calabre, il faut croire que le décret ne fut pas
          observé, car la liturgie romaine demeura en usage en Apulie .
           
           
           3.  L’Œuvre administrative et militaire de Basile
          II  (976-1025)
          
           L’expansion byzantine, œuvre d’une pléiade d’hommes de guerre
          et d’administrateurs, dont trois occupèrent le trône, fut achevée par un
          représentant de la dynastie légitime, Basile II, qui donna à l’empire romain
          hellénique son maximum d’extension dans des limites territoriales correspondant
          à une véritable unité géographique : péninsule des Balkans, Asie Mineure,
          Syrie septentrionale, Haute Mésopotamie, Arménie, Transcaucasie, région de
          l’Adriatique et de l’Italie méridionale.
           Le règne de Basile II, abstraction faite de sa minorité, est
          le plus long de l’histoire byzantine. Il a régné effectivement 49 ans . Et c’est aussi le
          règne le plus glorieux depuis celui de Justinien, mais entre les deux princes
          le contraste est grand. Ni intellectuel, ni théologien, Basile est avant tout
          un soldat : il a passé la plus grande partie de son règne hors de
          Constantinople à la tête de ses armées et il fut en outre un remarquable
          administrateur, préoccupé de questions sociales et de l’avenir de la Romania.
          Mais il lui fallut d’abord conquérir son pouvoir.
           La lutte pour la couronne. — La mort de
          Tzimiskès sans enfant laissait le trône aux héritiers légitimes, tous deux
          adolescents, Basile âgé de 19 ans, Constantin de 16 ans, sous la tutelle du
          parakimomène Basile Lécapène, qui partageait le pouvoir avec Bardas Skléros, le
          héros de la guerre russe. Il était certain que l’aristocratie militaire et terrienne,
          dont la puissance sociale était considérable, chercherait à perpétuer le régime
          des princes-tuteurs, qui avaient en somme reculé les limites de l’Empire et
          abattu ses ennemis. De là entre les grandes maisons féodales une rivalité qui
          eut pour conséquence 13 ans de guerre civile. Cette « fronde
          asiatique », comme on l’a justement appelée , faillit disloquer
          l’Empire et compromettre l’œuvre d’un siècle.
           Elle commença par la révolte de Bardas
          Skléros, qui voulut enlever au parakimomène la tutelle des empereurs. Destitué
          de sa charge de domestique des scholes et nommé duc de Mésopotamie, il fut
          proclamé basileus par ses troupes , tint la campagne pendant
          trois ans (976-979), marcha sur Constantinople, mit en déroute deux armées
          envoyées contre lui, régna en maître dans toute l’Asie Mineure : en 978 il
          avait pris Nicée et paraissait sur le Bosphore . Il fallut, pour en
          venir à bout, faire appel à Bardas Phocas, enfermé dans un monastère de Chio
          depuis sa révolte contre Tzimiskès . Par des manœuvres
          savantes Phocas força son adversaire à abandonner le Bosphore, mais se fit
          battre par lui près d’Amorium (19 juin 978) . L’année suivante
          Phocas qui avait reçu des secours du prince pagratide de Géorgie, rencontra
          encore Skléros à l’est d’Amorium et, au cours de la bataille, lui proposa un
          combat singulier qui fut accepté et se termina par la défaite du prétendant et
          la débandade de son armée (24 mars 979) . Skléros s’enfuit en
          territoire arabe où il fut considéré comme un otage , que le grand vizir
          Aoud-ed-Daouleh offrit en vain de négocier contre la restitution au califat des
          conquêtes byzantines .
           Le second acte de cette tragédie fut une
          révolution de palais. Pendant la captivité de Skléros à Bagdad, la guerre
          civile fut interrompue, mais l’affaiblissement du prestige de l’Empire, qui en
          avait été la conséquence, se manifesta par des difficultés que le gouvernement
          impérial rencontra dans les pays nouvellement conquis, soit sur la frontière
          arabe, soit dans la Péninsule des Balkans où s’était formé un nouvel État
          bulgare, soit en Italie où Otton II menaçait les possessions byzantines. Or ce
          fut à ce moment que l’aîné des deux empereurs, Basile, qui jusque-là avait mené
          une vie de plaisirs, commença à s’intéresser aux affaires de l’État et à
          intervenir d’une manière autoritaire dans les résolutions, au grand mécontentement
          du parakimomène, inquiet de voir son pouvoir menacé. Une lutte sourde s’engagea
          entre le basileus et son tuteur, qui finit par s’entendre avec les chefs
          militaires, Bardas Phocas et Léon Mélissénos, mécontents de voir le jeune
          empereur régler les opérations sans les consulter. Basile prévint l’attaque,
          obligea le parakimomène à se démettre de sa charge et à entrer dans un
          monastère, ordonna la confiscation de ses biens, enleva à Bardas Phocas sa
          dignité de domestique des scholes pour en faire un duc d’Antioche et pardonna à
          Léon Mélissénos . L’Empire avait
          retrouvé un chef (983).
           A partir de ce moment Basile II, au dire des chroniqueurs,
          devint tout autre et comprit « la grandeur de son rôle et les difficultés
          de sa haute situation ». Le viveur qu’il était jusque-là se transforma en
          ascète couronné. Il ne s’occupa plus que des affaires de l’État, renonçant à
          tout luxe, portant des vêtements sombres, sans bijoux, ne songeant plus qu’à
          établir son autorité personnelle, jaloux de tout autre pouvoir, même de celui
          de son incapable frère, qu’il laissa tout entier à ses plaisirs. Agé à ce moment
          de 28 ans, il voulut commander les armées et gouverner par lui-même .
           Mais cette transformation n’était du goût
          ni de ses conseillers, ni de ses généraux, qui se montrèrent pleins de mauvaise
          volonté pendant la première campagne qu’il mena contre les Bulgares en 986 et
          qui fut malheureuse . Sur ces entrefaites
          Bardas Skléros parvint à obtenir sa libération de l’émir-al-oumarâ et arriva
          d’une traite de Bagdad à Mélitène, où il fut proclamé de nouveau empereur . La guerre civile
          recommençait avec cette aggravation que Bardas Phocas, aigri par sa disgrâce,
          se révoltait à son tour et faisait cause commune avec son vieil adversaire . Mais cet accord entre
          les deux Bardas ne fut pas de longue durée. Phocas, convaincu que Skléros le
          trahissait, le fit arrêter au cours d’une entrevue et emprisonner dans un
          château patrimonial de sa maison  (14 septembre 987). Le
          même jour il se faisait proclamer empereur et ralliait la plupart des partisans
          de Skléros . Au début de l’année
          suivante il apparaissait à Chrysopolis et envoyait Mélissénos surprendre Abydos
          afin de bloquer Constantinople .
           Le danger était pressant et Basile avait
          peu de troupes à opposer aux brillants escadrons des thèmes d’Asie et du
          Caucase. Avec un esprit de décision il fit appel au grand prince russe Vladimir
          qui songeait à convertir son peuple au christianisme et à épouser une
          porphyrogénète. Après avoir signé un traité mémorable par ses conséquences
          Vladimir envoya à Constantinople 6 000 Russes qui aidèrent les impériaux à
          chasser l’armée de Bardas de ses positions . Obligé de battre en
          retraite le prétendant alla rejoindre Mélissénos devant Abydos poursuivi par
          Basile, qui parvint à incendier sa flotte et l’obligea à livrer une bataille
          dans laquelle il trouva la mort et qui fut désastreuse pour ses
          troupes  .
           Cependant le drame n’était pas terminé.
          Bardas Skléros, mis en liberté par la femme de Phocas, reprit la campagne et
          chercha à intercepter le ravitaillement de Constantinople, mais Basile avait le
          très vif désir de terminer la lutte et il fit assurer à Skléros sa grâce
          entière s’il se soumettait . Le prétendant accepta
          et cessa de porter les chaussures écarlates. Une entrevue touchante et cordiale
          eut lieu entre le jeune souverain et le vieux partisan . Skléros, créé
          curopalate, se retira à Didymotika, où il mourut le 6 mars 991 .
           Le gouvernement de Basile II. Intérieur. — Psellos a
          tracé de Basile un portrait physique qui correspond assez bien à la magnifique
          peinture du psautier de Venise où il est figuré en costume de guerre, recevant
          l’hommage des chefs bulgares vaincus. On y reconnaît le teint clair, le front
          vaste, les joues garnies d’une barbe épaisse, le corps bien proportionné, le
          regard assuré et franc que décrit l’historien . Entraîné à la marche,
          excellent cavalier, la parole brève et sans apprêt, sujet aux accès de colère
          et, quand il était joyeux, riant à gorge déployée, Basile avait le tempérament
          d’un soldat, mais, comme les grands chefs de guerre, il possédait aussi les
          qualités d’un administrateur.
           Délivré du parakimomène et des deux Bardas, il n’agit plus
          jamais que par lui-même et n’eut ni premier ministre, ni favori, ni favorite
          et, ce qui est plus étrange, il ne semble pas qu’il ait jamais été marié et on
          ne connaît de lui aucune descendance. Il savait d’ailleurs s’entourer d’hommes
          de valeur, guerriers et administrateurs, mais il prenait seul toutes les
          décisions importantes. Assurer la prépondérance et la prospérité de l’Empire,
          conserver et accroître les résultats acquis, tel fut le but de toute sa vie.
          Une de ses principales préoccupations était de grossir son trésor et il laissa
          à sa mort 200 000 livres d’or ainsi qu’une grande quantité de joyaux et de
          bijoux enfouis dans des caveaux qu’il avait fait creuser en forme de
          labyrinthes .
           La première œuvre de Basile fut de rétablir la tranquillité
          dans l’Empire, mais l’année 989 fut déplorable. L’hiver fut si froid que la mer
          fut prise par les glaces. Il y eut en outre le 25 octobre un tremblement de
          terre qui renversa des tours de défense et les coupoles de 40 églises, dont
          celle de Sainte-Sophie, que Basile fit reconstruire par l’architecte arménien
          Tiridate . Mais surtout
          l’empereur travailla à la pacification morale et son autorité fut bientôt
          incontestée. Pendant tout son gouvernement, de 989 à 1025, il n’y eut à
          réprimer qu’un seul mouvement séditieux, celui de Nicéphore Xiphias, stratège
          d’Anatolie, et de Nicéphore Phocas, fils de Bardas (1022) .
           Basile se souvint surtout que la guerre civile menée par les
          deux Bardas avait trouvé son point d’appui parmi les grands propriétaires
          d’Asie Mineure, qui, en accaparant les terres des pauvres et en réduisant en
          servage les paysans libres, malgré les lois, tendaient à former une féodalité
          oppressive pour la population et dangereuse pour l’État, dont elle violait impunément
          la législation.
           Les plaintes innombrables reçues par l’empereur de ceux qui
          avaient été lésés ainsi le déterminèrent à publier sa novelle du 1er janvier 996, par laquelle il abolissait la prescription de 40 ans qui couvrait
          les acquisitions illégales des biens des pauvres ; tous les biens de cette
          catégorie acquis depuis la première loi de Romain Lécapène (922) devaient être
          restitués à leurs propriétaires primitifs sans aucune indemnité, même s’il
          s’agissait de biens acquis par l’Église. Les considérants de cette novelle,
          regardés comme des scolies ajoutées par Basile, s’élèvent avec indignation
          contre le scandale donné par les grandes familles, comme les Phocas ou les
          Maleinoi, qui possèdent depuis cent ans des biens injustement acquis .
           La loi fut appliquée avec la plus grande rigueur. Philokalès,
          simple paysan, qui avait acquis de grands biens par des usurpations et acheté
          des dignités palatines, fut ravalé à sa condition première, et on alla jusqu’à
          détruire les édifices qu’il avait élevés . Eustathe Maleinos, un
          des plus puissants potentats d’Anatolie, ancien auxiliaire de Bardas Phocas,
          ayant offert à Basile, à son retour d’Ibérie en 1001, une somptueuse
          hospitalité, fut vivement remercié, mais emmené à Constantinople, d’où il ne
          put jamais rentrer dans ses domaines, qui furent saisis par le fisc après sa
          mort .
           Dans cette lutte Basile II, ainsi qu’on l’a dit, dépassait
          donc souvent les bornes de la loi et de la justice , mais sa principale
          arme contre le maintien de la grande propriété fut le rétablissement de l’allelengyon (caution mutuelle),
          obligation pour les puissants d’une
          circonscription fiscale de répondre des pauvres incapables de payer la
          capitation et les autres impôts  ; auparavant
          l’allelengyon pesait sur les communautés de villages. Le coup porté ainsi aux
          grands propriétaires souleva les plus vives protestations et par deux fois le
          patriarche Sergius, appuyé par les plus hauts dignitaires ecclésiastiques,
          intervint pour faire revenir l’empereur sur sa décision, mais Basile resta inflexible .
           Affaires religieuses. — Le parakimomène était
          encore au pouvoir lorsque Antoine le Studite, patriarche depuis 974,
          démissionna, au moment où se terminait la première révolte de Bardas Skléros
          (980). On a supposé sans preuves qu’il avait favorisé le rebelle, mais
          l’histoire religieuse de cette époque est remplie d’obscurités. C’est ainsi
          qu’on ignore pourquoi le successeur d’Antoine, Nicolas Chrysoberge, ne fut élu
          qu’après un interrègne de quatre ans, qui laisse supposer un conflit entre le
          gouvernement et le synode  (août 984).
           Sous Nicolas Chrysoberge une des premières
          initiatives de Basile II, maître du pouvoir, fut la révocation de la novelle de
          Nicéphore Phocas interdisant de nouvelles fondations pieuses (4 avril
          988) ,
          acte de circonstance et peu conforme aux principes de l’empereur, publié au
          moment où Bardas Phocas menaçait Constantinople.
           Il semble que Basile II ait manifesté son
          esprit autoritaire dans l’administration de l’Église, mais à cause du silence
          des chroniqueurs, on est réduit à des conjectures. A Nicolas Chrysoberge
          succéda en 995  un simple laïc, le
          médecin Sisinnius, puis en 1001 le patriarcat échut à un moine, Sergius II
          (1001-1019), de la famille de Photius, higoumène du monastère de Manuel, qui,
          ainsi qu’il a été dit, désapprouva les lois sociales de Basile .
           Bien que les chroniques soient muettes sur ce point, la
          question des rapports de Constantinople avec le Saint-Siège a dû tenir une
          place importante dans le choix des patriarches. C’était l’époque où la papauté
          n’avait échappé à l’ingérence de l’aristocratie romaine que pour subir
          l’autorité des empereurs germaniques, qui avaient repris leurs attaques contre
          les thèmes byzantins d’Italie .
           Aucune question religieuse n’était en
          cause, mais on s’explique que Basile II ait cherché à diminuer l’influence
          allemande à Rome en prenant parti pour les papes issus de l’aristocratie
          romaine contre les papes impériaux. Ce fut d’ailleurs le parakimomène qui dut
          accueillir à Constantinople vers 974 le trop célèbre Francon, élu pape sous le
          nom de Boniface VII, grâce au tribun Crescentius, et qui lui fournit en 983 les
          moyens de rentrer à Rome, où il emprisonna et laissa mourir de faim Jean XIV,
          le pape d’Otton II, mais périt lui-même dans une émeute en 985 .
           Par contre on n’a aucune preuve que Basile
          II ait soutenu Jean Philagathos, archevêque de Plaisance envoyé en ambassade à
          Constantinople en 996 par la régente Théophano, qui voulait marier son fils
          Otton III à une princesse porphyrogénète : en 997 Philagathos fut porté à
          la papauté par le second Crescentius et Grégoire V, le pape allemand, chassé de
          Rome. Basile a-t-il favorisé cette élection comme le veut Gfroerer ? Ce
          n’est là qu’une conjecture .
           Mais ce qu’il serait important de connaître, c’est l’attitude des
          patriarches vis-à-vis de Rome à cette époque. On regarde comme apocryphe
          l’envoi par Sisinnius et Sergius de l’Encyclique de Photius aux patriarches
          d’Orient, affirmé sans preuve par Baronius . S’il y eut un schisme
          sous Sergius, ce fut après l’année 1009, le nom du pape étant alors mentionné
          dans les diptyques de l’église Sainte-Sophie, au témoignage de Pierre, plus
          tard patriarche d’Antioche . Cependant Nicétas
          Chartophylax, archevêque de Nicée, affirmait en 1055 la réalité du schisme de
          Sergius , et on a été frappé du
          fait qu’en 1054 Michel Kéroularios n’avait pas eu à rayer des diptyques le nom
          du pape, qui n’y figurait plus depuis longtemps . On a supposé que la
          cause de ce schisme était l’élection à la papauté de Benoît VIII, de la maison
          de Tusculum, élection appuyée par l’empereur Henri II contre le candidat des
          Crescentii. En reconnaissance le pape offrit à Henri II un globe d’or surmonté
          d’une croix, symbole de la domination universelle, geste qui aurait été
          considéré à Byzance comme une usurpation et un acte d’hostilité .
           On sait en somme peu de choses de cette rupture qu’aucune
          source historiographique ne mentionne, dont il n’est même pas question au
          moment du schisme de 1054 et qui est incompatible avec la démarche que fit à
          Rome, auprès du pape Jean XIX, le successeur de Sergius, le patriarche
          Eustathe, pour faire reconnaître à l’Église de Constantinople une autonomie
          complète et transformer en dyarchie le gouvernement de l’Église
          universelle . Le pape était disposé
          à céder, mais l’affaire s’étant ébruitée, il recula devant les protestations
          des partisans de la réforme ecclésiastique, Guillaume, de Saint-Bénigne de Dijon
          et Richard, abbé de Saint-Vanne . On a supposé, sur la
          foi d’un obscur chroniqueur allemand dont le témoignage est isolé, qu’une rupture
          entre Rome et Constantinople eut lieu en 1028, après l’expédition en Italie de
          Conrad II, que le pape Jean XIX couronna solennellement empereur : on
          aimerait à voir cet événement confirmé par d’autres sources .
           La dernière intervention de Basile II dans les affaires de
          l’Église fut un acte d’arbitraire, dont on ignore d’ailleurs la raison.
          L’higoumène du monastère de Stoudios, Alexis, ayant apporté le chef de saint
          Jean-Baptiste à l’empereur, qui était à l’article de la mort, Basile le créa
          patriarche pour remplacer Eustathe qui venait de mourir et le fit introniser
          immédiatement sans aucune consultation du synode (15 décembre 1025) .
           Conversion de la Russie au
          christianisme.
            — Mais l’événement religieux le plus considérable de cette période fut la
              conversion de la Russie au christianisme, qui étendit en même temps les limites
              de la chrétienté et la zone d’influence de l’Empire. On a vu qu’en retour des
              6 000 Varègues amenés par Vladimir pour lutter contre Bardas Phocas,
              Basile II avait accordé au prince russe par un traité la main de sa sœur, Anne
              porphyrogénète .
               Sur l’enchaînement des faits on a admis longtemps le récit de
          la chronique dite de Nestor : l’enquête de Vladimir sur la meilleure des
          religions, sa préférence pour le rite byzantin à cause de la splendeur des
          cérémonies, son attaque et sa prise de Kherson pour peser sur la décision des
          empereurs qui se hâtent de lui accorder la main de leur sœur, son baptême à
          Kherson par des clercs byzantins, suivi de son mariage et de son retour à Kiev
          où il détruit les idoles et impose le baptême à son peuple en 989 .
           Mais des textes littéraires du xie siècle retrouvés dans les dépôts de
          manuscrits, un éloge de Vladimir d’un moine Jacques, une Vie des saints Boris
          et Gleb, une homélie du métropolite Hilarion, Sur la grâce, présentent les mêmes faits d’une tout autre manière
          qui s’accorde assez bien avec les renseignements des sagas scandinaves et des
          historiens arabes .
           Il résulte de ces documents qu’en 989 il y avait déjà
          longtemps que le christianisme était répandu en Russie et qu’il y avait été
          apporté par des missionnaires latins venus de Scandinavie, d’Allemagne, de Moravie,
          et une chronique russe mentionne une ambassade du pape Benoît VII (974-984) à
          Iaropolk, fils aîné et successeur de Sviatoslav (972-978) . On apprend aussi par
          eux que Vladimir s’est fait baptiser de son propre mouvement, que le baptême
          lui a été donné à Kiev par des prêtres indigènes en 987, deux ans avant son
          mariage avec la princesse byzantine, qu’il a pris Kherson trois ans après son
          baptême, par conséquent après avoir traité avec Basile II et à son retour de la
          campagne contre Bardas Phocas . On doit donc supposer
          que les empereurs n’ayant pas observé les clauses du traité en retardant le
          départ de leur sœur pour la Russie, Vladimir a voulu leur forcer la main . Il arriva ainsi à ses
          fins et dans l’automne de 989 la princesse Anne partit pour Kherson escortée
          par des métropolites et des clercs qui apportaient à Vladimir une couronne
          royale et les reliques du pape saint Clément . Après son mariage,
          Vladimir restitua Kherson à l’Empire et aida même l’armée et la flotte byzantines
          à chasser les derniers Khazars de Crimée et des régions environnantes
          (1016) .
           De retour à Kiev, Vladimir travailla à la conversion du peuple
          russe et à l’extirpation du paganisme, non sans rencontrer des résistances,
          particulièrement à Novgorod . On connaît mal
          l’organisation primitive de l’Église russe. Les sources grecques n’en disent
          rien et les sources russes ont été profondément remaniées par des interpolateurs
          hostiles aux Latins, non sans commettre d’énormes anachronismes . Ce qui paraît certain,
          c’est qu’avec Anne la Porphyrogénète l’influence de l’Église byzantine s’est
          introduite en Russie. Des églises ont été dédiées par Vladimir à saint Basile
          et à la Dormition de la Vierge, celle-ci construite en 991 par des architectes
          grecs et consacrée en 996 . D’autre part, il
          existait déjà une chrétienté russe qui avait ses traditions, sa liturgie, sa
          discipline empruntées à l’Occident, peut-être même à l’Église morave des saints
          Cyrille et Méthode. Des usages occidentaux sont attestés en Russie, par exemple
          la dîme instituée par Vladimir et inconnue à Byzance . On est frappé en outre
          des rapports de tout genre entre Vladimir et l’Occident : échanges
          d’ambassades avec les papes Jean XV (990-994) et Sylvestre II (1000) , protection accordée au
          camaldule Bruno, apôtre des Petchenègues , mariage en secondes
          noces du prince russe avec une petite-fille d’Otton II .
           Cependant les usages et les rites byzantins finirent par
          triompher en Russie, mais ce fut seulement en 1037 qu’un évêque grec fut envoyé
          à Kiev et que cette ville devint le siège d’une métropole rattachée au
          patriarcat de Constantinople. Elle figure pour la première fois comme telle
          dans la notice épiscopale rédigée sous Alexis Comnène .
           L’œuvre militaire et territoriale de Basile II. — Les
          prédécesseurs de Basile II avaient surtout dirigé leurs efforts contre les
          Arabes et il avait fallu l’agression des Russes pour obliger Tzimiskès à
          distraire une partie de ses forces du côté des Balkans et du Danube. L’œuvre
          militaire de Basile II est d’une plus grande envergure. Il a trouvé moyen de
          rassembler des forces suffisantes pour lutter à la fois sur quatre fronts. Il a
          fait porter son principal effort du côté du nouvel État bulgare ; il est
          arrivé à maintenir et à organiser les conquêtes faites aux dépens des
          Arabes : il a poussé la pénétration byzantine chez les peuples du
          Caucase ; il a conservé la défensive en Italie jusqu’à la fin de la guerre
          bulgare.
           Incomparable chef de guerre, connaissant à fond l’organisation
          de l’armée et les ouvrages de stratégie, Basile II n’a pour ainsi dire jamais
          cessé pendant 39 ans (986-1025) de diriger ses armées en personne sur le
          théâtre dont l’importance lui paraissait la plus grande. Ses succès sont dus
          d’ailleurs à un coup d’œil sûr qui lui permettait de discerner les endroits
          sensibles où il fallait concentrer des forces. Il eut une véritable conception
          stratégique qui embrassait l’Empire tout entier. Jamais il ne sacrifia au
          hasard ; toutes ses entreprises étaient raisonnées. Comprenant toute
          l’importance de la rapidité dans l’action, à la différence des autres
          stratèges, il ne tenait aucun compte des saisons et imposait parfois à ses soldats
          des campagnes d’hiver .
           Si glorieuse qu’ait été l’œuvre de ses deux derniers
          prédécesseurs, elle était restée incomplète. Ils n’avaient pu venir à bout ni
          du calife fatimite d’Égypte, désireux de reprendre la Syrie et de dominer
          l’islam, ni de la maison germanique des Ottons qui continuait à élever des
          prétentions sur toute l’Italie, ni de la Bulgarie dont ils n’avaient pu
          soumettre que la partie orientale. Obligé de consacrer toutes ses forces à la
          lutte contre les Arabes, Jean Tzimiskès n’avait pu s’emparer de la Macédoine
          occidentale, où les Bulgares qui fuyaient la domination byzantine s’étaient
          groupés autour des quatre comitopouloi,
          les fils du comte Nicolas, qui avaient réorganisé l’État bulgare autour
          d’Ochrida et étendaient leur autorité sur l’Albanie et l’Épire . En 980 trois des
          quatre comitopouloi, David, Maurice et Aaron, avaient péri de mort violente. Le
          dernier survivant, Samuel, avait pris le titre de tsar, s’était mis en
          relations avec le pape Benoît VII qui lui envoyait une couronne en 982, ainsi
          qu’avec les Ottons .
           De toutes les menaces contre l’Empire, le soulèvement bulgare
          était la plus dangereuse. Basile porta donc tous ses efforts de ce côté, sans
          perdre de vue les autres fronts, en y envoyant des expéditions et même en y intervenant
          en personne. La seule manière d’apprécier cette œuvre est d’en suivre les
          grandes lignes en signalant les résultats dans leur ordre chronologique :
          on peut les répartir en quatre périodes dont chacune est marquée par un
          événement caractéristique.
           La première période, 976-989, est celle des
          révoltes qui affaiblissent l’empire et remettent en question les résultats
          acquis pendant les deux derniers règnes.
           L’offensive bulgare éclate en 980 à
          l’avènement de Samuel, qui ne songe pas à reconquérir la Bulgarie danubienne,
          mais marche sur la Grèce et, après plusieurs tentatives déjouées par la ruse de
          son gouverneur Kékaumenos, finit par prendre Larissa en 986  et s’avancer jusqu’à
          l’isthme de Corinthe. Ce fut alors que Basile II, impatient d’agir par lui-même,
          organisa une campagne qui força Samuel à abandonner la Grèce, mais se termina
          par un grave échec devant Sofia (17 août) . Basile dut faire face
          ensuite à la révolte des deux Bardas.
           Sur le front arabe il n’y eut pas de grande
          opération. Rentré à Alep, l’émir hamdanide Saïd essaya à plusieurs reprises de
          s’affranchir du tribut que Bagkour s’était engagé à payer à l’Empire. Il fallut
          pour le mettre à la raison trois expéditions de Bardas Phocas contre Alep (981,
          983, 986). La dernière provoqua un conflit avec le calife fatimite sous la
          protection duquel Saïd s’était placé et Basile, alors en pleine guerre civile,
          dut signer avec le calife El-Aziz un traité, qui entre autres clauses
          spécifiait que le nom du calife serait prononcé dans les prières de la mosquée
          qui se trouvait à Constantinople depuis le viiie siècle .
           L’Italie byzantine enfin était mal défendue
          pendant cette triste période et n’avait d’autres forces que des milices locales
          impuissantes à lutter contre les incursions des Sarrasins de Sicile . Il semble qu’Otton II,
          en dépit de son mariage avec une porphyrogénète, ait voulu profiter de cette
          situation pour reprendre les projets de son père sur l’Italie méridionale. Ce
          fut en vain que le gouvernement byzantin informé essaya de l’en faire
          dissuader . Dans l’été de 981 il
          était dans l’Italie centrale, mais la mort de son fidèle allié Pandolf, prince
          de Salerne et de Bénévent, fut pour lui un affaiblissement . Cependant en janvier
          982 il envahissait l’Apulie byzantine qu’il parcourut impunément pendant cinq
          mois en prenant ses villes  ; mais étant passé
          en Calabre, il se heurta à une armée de Sarrasins de Sicile qui lui infligea
          une sanglante défaite près de Stilo (13 juillet 982). Lui-même se sauva à
          grand-peine en poussant son cheval dans les flots jusqu’à un navire byzantin
          qui le recueillit. Ayant reformé son armée à Rossano, il battit en retraite
          jusqu’en Longobardie et mourut à Rome en décembre 983 . Les Sarrasins étant
          retournés en Sicile, ce furent les Grecs qui profitèrent de la défaite de Stilo
          pour rétablir l’autorité impériale en Apulie.
           Pendant la deuxième période (989-1001),
          Basile II, enfin maître du pouvoir, peut porter ses principaux efforts du côté
          de la Bulgarie et de l’Orient. En paix avec la Russie et le calife fatimite, il
          s’attaque d’abord aux Bulgares. Ceux-ci, avant la fin de la révolte de Skléros,
          marchaient sur Thessalonique et s’emparaient de Berrhoé (Verria), qui en
          défendait l’approche à l’ouest . La situation était
          grave. Pendant les guerres civiles Samuel s’était emparé d’une partie de la
          Dalmatie, du port de Dyrrachium (Durazzo), point de départ pour l’Italie, et du
          littoral albanais ; il régnait sur les deux tiers de la péninsule
          balkanique . Au printemps de 990
          Basile alla lui-même mettre Thessalonique en état de défense et entreprit
          contre les Bulgares une guerre qui dura quatre ans et aboutit à la reprise de
          Berrhoé . Appelé subitement en
          Orient en 995, l’empereur laissa Nicéphore Ouranos, domestique de scholes
          d’Occident, continuer la guerre contre les Bulgares .
           Basile avait reçu en effet de très
          mauvaises nouvelles de Syrie. Rompant la trêve conclue avec l’Empire, le calife
          fatimite El-Aziz voulut profiter de la mort d l’émir hamdanide Saïd-ed-Daouleh
          (991), laissant un fils en bas âge, pour s’emparer d’Alep, qu’il fit assiéger
          (992) . Le mamlouk
          Loulou-el-Kébir, régent au nom du jeune Saïd, demanda secours à l’empereur au
          moment où les Égyptiens infligeaient une défaite à Michel Bourtzès, duc
          d’Antioche, qui avait cherché à secourir Alep (bataille du gué de l’Oronte, 15
          septembre 994) . Avec un esprit de
          décision remarquable, Basile, abandonnant le champ de bataille bulgare, rassembla
          des troupes, ordonna que chaque soldat, monté sur une mule de course rapide,
          tiendrait en laisse une mule de rechange, et accomplit l’exploit inouï de
          traverser l’Asie Mineure en 16 jours en plein hiver. Après avoir rallié les
          contingents d’Antioche, il marcha sur Alep, où son arrivée subite démoralisa
          les Égyptiens qui s’enfuirent précipitamment sur Damas . A son retour Basile
          trouva moyen de s’emparer de plusieurs places syriennes qui obéissaient au
          calife et dans l’automne de 995 il était de retour à Constantinople .
           Sur le front bulgare, à la nouvelle du
          départ de Basile, Samuel marcha sur Thessalonique, dont le gouverneur,
          l’Arménien Aschod de Taron, périt dans une embuscade , mais, n’osant
          entreprendre le siège de la grande ville, il envahit la Grèce, s’avança
          jusqu’au golfe de Corinthe, puis battit en retraite vers le nord ; mais au
          passage du Sperchios, au pied des Thermopyles, il fut arrêté par Nicéphore
          Ouranos qui tomba à l’improviste sur son armée, lui infligea une grosse défaite
          et l’obligea à s’enfuir dans les montagnes de Thessalie et à franchir le Pinde
          pour pouvoir regagner l’Épire (été de 996) . Rentré à Constantinople
          d’où il dirigeait les opérations, Basile ne put exploiter cette victoire à
          fond, se contenta d’envoyer Ouranos ravager la Bulgarie , mais ne put empêcher
          Samuel de s’étendre encore du côté de l’Adriatique où en 998 il s’empara de la
          Dioclée (Monténégro) .
           Les opérations de la guerre bulgare furent
          suspendues et en 999 Basile dut retourner en Syrie où le calife fatimite
          El-Hakem, successeur d’El-Aziz, avait infligé une déroute complète au duc
          d’Antioche, Damien Dalassenos, tué en combattant (juillet 998) . L’objectif de Basile
          paraît avoir été de dégager Antioche menacée, de soumettre les émirs arabes et
          de s’assurer de l’obéissance de ceux qui étaient, comme l’émir d’Alep, vassaux
          de l’Empire. Le 20 septembre 999 il était à Antioche, s’emparait de Césarée et
          de Homs (octobre), mais échouait devant Tripoli (6-17 décembre) et allait
          passer l’hiver à Tarse .
           Basile avait sans doute l’intention de
          continuer sa campagne au printemps suivant, lorsqu’il reçut la nouvelle du
          meurtre de David, roi de Haute Géorgie , qui avait prêté
          secours à Bardas Phocas révolté et avait dû, pour conserver son État, le léguer
          à l’Empire par testament . Basile n’hésita pas à
          se mettre en route avec des forces importantes, gagna Mélitène à marches
          forcées, reçut un excellent accueil des chefs arméniens, passa près des sources
          du Tigre, franchit l’Euphrate et trouva à Havatchich sur l’Araxe un brillant
          cortège de princes et de chefs de Géorgie auxquels il distribua des titres.
          Après avoir annexé tous les États de David, nommé des gouverneurs dans les
          forteresses et reçu les serments des vassaux qui « mettaient le pied sur le tapis », il rentra à Constantinople
          par Erzeroum avec de nombreux otages, après avoir accompli une véritable promenade
          militaire et porté très haut le prestige de l’Empire dans ces régions .
           Les résultats de ces succès ne se firent
          pas attendre. A son retour à Constantinople, Basile y trouva le patriarche de
          Jérusalem, Oreste, envoyé par le calife fatimite El-Hakem pour demander la
          paix. Une trêve de dix ans fut signée entre les deux chefs d’État .
           En Italie il ne se passe pas d’événement
          important pendant cette période et les possessions byzantines ne sont pas
          menacées. La situation n’en est pas moins constamment troublée, soit par des
          incursions arabes (siège de Tarente en 991, prise de Matera en Calabre en 994)
          ou des révoltes lombardes comme celle de Smaragdus qui s’entend avec les
          Sarrasins et tient la campagne de 997 à l’an 1000 . Les garnisons
          byzantines sont peu nombreuses et les milices locales peu sûres ; les
          habitants de l’Apulie sont réduits à la misère . Il n’y a plus du moins
          d’attaque germanique. Théophano est morte en 991 et en 996 Otton III envoie ses
          deux précepteurs, Jean Philagathos et Bernward d’Hildesheim, à Constantinople
          demander pour lui la main d’une princesse porphyrogénète . Ce ne fut qu’en 1001
          que les négociations aboutirent, après une seconde ambassade, celle d’Arnulf,
          archevêque de Milan, mais quand il ramena la fiancée impériale en Italie, il
          apprit en débarquant à Bari (janvier 1002) qu’Otton III venait de mourir à
          Paterno, à l’âge de 22 ans .
           Après ces douze années si bien remplies, on arrive à une
          période décisive (1001-1018) qui se termine par la soumission de la Bulgarie.
          La fin de la guerre avec les Fatimites assurait la sécurité relative de la
          frontière d’Orient, ce qui permit à Basile de concentrer toutes ses forces
          contre les Bulgares. La conquête totale de la Bulgarie remplit donc cette
          période de 17 ans. Disposant d’armées solides et bien entraînées, ainsi que
          d’un état-major de premier ordre, Basile II n’en traçait pas moins lui-même les
          plans et en dirigeait l’exécution dans le détail. D’une santé robuste, il
          bravait les intempéries, mais ne faisait pas en général de campagne
          d’hiver : regagnant son quartier général de Mosynopolis, il s’arrangeait
          pour faire presque chaque année une apparition à Constantinople. La cause de sa
          supériorité était due à l’habileté de ses plans stratégiques qui consistaient à
          diviser les forces de l’ennemi pour les envelopper et aussi à sa mobilité
          extrême, à son coup d’œil qui le faisait courir au plus grand danger,
          n’hésitant pas à abandonner une opération en cours pour aller réparer le
          désastre d’un lieutenant.
           A la fin de la guerre l’acharnement était inouï des deux
          côtés. Basile avait d’abord cherché à gagner les chefs bulgares en leur distribuant
          des titres et des honneurs, mais quand il se vit trahi, il devint féroce et
          pratiqua le système de la terreur avec une cruauté froide pour abattre les
          résistances : lorsque sa victoire fut assurée, il redevint humain et
          bienveillant.
           Malheureusement les renseignements que l’on possède sur cette
          lutte de géants sont rares et incomplets. Une phrase de Yahya nous apprend
          qu’après la trêve avec l’Égypte, Basile passa 4 ans en Bulgarie, prenant et
          détruisant de nombreuses forteresses et forçant Samuel à fuir devant lui . Skylitzès, dont la
          chronologie est défectueuse, rapporte des faits que l’on peut attribuer à cette
          période .
           Par une attaque dirigée contre la plaine de
          Sofia (1001-1002), Basile coupe Samuel de la Bulgarie danubienne, retombée en
          son pouvoir pendant les troubles, et la fait réoccuper par ses
          lieutenants . En 1003 il dégage les
          abords de Thessalonique en reprenant Berrhoé et Servia, séjourne en Thessalie,
          où il rebâtit les villes et les châteaux détruits par Samuel. Il envoie les
          Bulgares faits prisonniers coloniser le territoire d’Aenos à l’embouchure de la
          Maritza, puis en automne, marchant vers le nord-ouest, il s’empare de Vodena,
          se rapprochant ainsi du centre de la puissance de Samuel . En 1004 il complète la
          conquête de la Bulgarie en s’emparant de Vidin après huit mois de siège, malgré
          la diversion de Samuel qui parait brusquement devant Andrinople dont il
          massacre les habitants .
           Mais Samuel dut évacuer Andrinople
          lorsqu’il apprit que Basile, laissant une forte garnison à Vidin, marchait vers
          le sud et s’enfonçait au cœur de la Macédoine occidentale. Les deux armées se
          rencontrèrent sur le Vardar devant Skoplje (Uskub) : Samuel subit une
          grave défaite et dut abandonner le butin d’Andrinople. Romain, dernier fils du
          tsar Pierre et gouverneur de Skoplje, capitula et Basile le nomma patrice et
          stratège d’Abydos . En quatre ans Samuel
          avait perdu la moitié de son empire, dont, à part quelques places, toute la
          partie orientale était aux mains de Basile. Ces succès furent complétés en 1005
          par la reprise de Dyrrachium, la place la plus importante de Samuel sur
          l’Adriatique, qui fut livrée à Basile par son gouverneur, l’Arménien Aschod, le
          propre gendre du tsar bulgare .
           Entre 1005 et 1014 les sources ne donnent
          que des renseignements épars sur les opérations de Basile, qui semble s’être
          approché de plus en plus du centre de la domination de Samuel, auquel il ne
          restait plus que la région des grands lacs, les montagnes de l’Albanie et la
          haute vallée du Strymon . Ce fut dans cette dernière
          région qu’eut lieu, le 29 juillet 1014, la bataille la plus décisive de la
          guerre. Samuel essaya de défendre la passe de Kimbalongos que Basile empruntait
          chaque année pour envahir la Macédoine occidentale . Elle était barrée par
          des palissades derrière lesquelles des troupes nombreuses couvrirent les Grecs
          de projectiles, mais, pendant que Basile l’attaquait de front, Nicéphore
          Xiphias tourna la position et attaqua subitement par derrière les Bulgares qui
          s’enfuirent en désordre . Avec une cruauté
          raffinée Basile fit aveugler 15 000 prisonniers bulgares et les envoya à
          Samuel en laissant un borgne par centaine pour servir de guide. La vue de cette
          troupe lamentable fit un tel effet sur le tsar qu’il tomba foudroyé par une
          attaque d’apoplexie et mourut le 6 octobre 1014 . Quelques jours après
          le fils de Samuel, Gabriel Radomir, était proclamé tsar : la guerre devait
          durer encore quatre ans .
           Basile exploita sa victoire en achevant
          l’occupation des districts du versant occidental du Rhodope (prise de Melnic,
          fin 1014) et en envahissant la Macédoine occidentale où Bitolia (Monastir),
          Prilep et Ischtip tombèrent entre ses mains (fin décembre) . Les Bulgares étaient réduits
          aux hautes terres de la Pélagonie que Basile commença à attaquer en 1016 (prise
          de la forteresse de Moglena, août) . Il apprit là que les
          Bulgares étaient en pleine guerre civile et que Gabriel Radomir avait été tué
          par son cousin Jean Vladislas, fils d’Aaron, acclamé tsar, qui lui offrait de
          se soumettre , mais Basile, croyant
          cette offre peu sincère, continua sa marche vers l’ouest et occupa Ochrida, la
          capitale de Samuel (automne) , puis, au début de
          1017, il assiégea Castoria. Une tentative des Bulgares pour s’allier aux
          Petchenègues le fit abandonner le siège et remonter vers le nord, mais apprenant
          l’échec des négociations, il revint en Pélagonie où Jean Vladislas voulut arrêter
          sa marche et subit une grosse défaite (fin de 1017) .
           Cependant avec une grande énergie, pendant
          que Basile regagnait Constantinople, le dernier tsar bulgare reformait son
          armée et allait attaquer Dyrrachium (janvier 1018), mais il était tué dans un
          combat . C’était la fin de la
          Bulgarie et l’expédition de 1018 fut pour Basile une marche triomphale jusqu’à
          Ochrida et à Prespa, où il reçut la soumission des chefs bulgares et des fils
          de Jean Vladislas . Après un séjour à
          Athènes , Basile célébrait sa
          victoire par une entrée triomphale à Constantinople .
           La conquête de la Bulgarie était due à la supériorité de
          l’armée byzantine sur l’organisation à moitié féodale des Bulgares  et d’autre part la paix
          avec le calife fatimite avait permis à Basile de disposer de toutes ses forces
          pour mener à bien cette gigantesque entreprise ; mais, si favorables que
          fussent tous ces avantages, il avait fallu le génie militaire d’un Basile II
          pour les mettre en œuvre : pour la première fois depuis Justinien un
          empereur régnait sur la péninsule des Balkans tout entière, du Danube à l’extrémité
          du Péloponnèse : avec les annexions faites en Orient, l’Empire avait
          recouvré son véritable domaine géographique .
           Basile montra la même maîtrise dans l’organisation de sa
          conquête. Il avait pu apprécier l’humeur farouche des boliades et leur désir
          d’indépendance. Aussi il se garda bien d’assimiler de suite la Bulgarie aux
          autres thèmes de l’Empire et il nomma pour l’administrer des basilikoi ou commissaires chargés de
          l’expédition des affaires en tenant compte le plus possible des coutumes indigènes . Tout en plaçant la
          Bulgarie sous un régime militaire, en nommant des Grecs gouverneurs des
          forteresses, il conserva la plupart des vieilles institutions bulgares, comme
          l’impôt en grains dû par tout propriétaire d’une paire de bœufs . Il montra la même
          modération dans l’organisation ecclésiastique en respectant l’autocéphalie de
          l’Église bulgare, dont le chef fut l’ancien patriarche, devenu simple
          archevêque d’Ochrida, mais dont le successeur fut un Grec du clergé de
          Sainte-Sophie .
           La quatrième période des entreprises
          militaires de Basile (1020-1025) est marquée par son expédition en Géorgie et
          par la pacification de l’Italie.
           Loin de se reposer après l’heureuse issue
          de la guerre bulgare, Basile repart presque immédiatement pour la lointaine Transcaucasie,
          où Giorgi, roi des Abasges , avait profité de la
          guerre bulgare, s’était emparé de territoires que son père, Bagarat, mort en
          1014, avait cédés à l’Empire en échange du titre de curopalate, ainsi que de la
          région du Basian , qui avait fait partie
          de l’héritage de David, dont Giorgi avait été le fils adoptif . Basile attachait la
          plus grande importance à la possession de ces territoires, menacés déjà par la
          migration des Turcs Seldjoukides, et n’était sans doute pas fâché de montrer à
          ses vassaux du Caucase que l’éloignement ne leur assurait pas l’impunité.
           Après avoir concentré son armée à
          Philomelion (thème d’Anatolie, sans révéler le but de son expédition, Basile
          gagna la région de Karin (Erzeroum) (printemps 1021), où il attendit en vain la
          soumission de Giorgi , puis, traversant la
          chaîne de partage entre l’Euphrate et l’Araxe, déboucha dans la plaine de
          Basian où il rencontra l’armée de Giorgi, lequel, après une bataille indécise
          qui coûta de lourdes pertes aux deux adversaires, s’enfuit vers l’Abkhazie,
          poursuivi par Basile. Sur son passage l’empereur brûlait les villes de Giorgi
          et il gagna ainsi la région de Tiflis où aucun de ses prédécesseurs n’avait
          pénétré depuis Héraclius . Là il s’arrêta et alla
          hiverner à Trébizonde, où il reçut la soumission de Jean Sempad, roi de la
          Grande Arménie, qui avait été l’allié de Giorgi et qui promit de léguer son
          royaume à l’Empire après sa mort . Il traita avec le roi
          du Vaspourakan (sud du lac de Van), qui, incapable de défendre son État contre
          les Turcs Seldjoukides, le céda à l’Empire en échange du titre de magistros et
          du gouvernement de la Cappadoce . Giorgi lui-même, à la
          nouvelle que Basile se préparait à attaquer l’Abkhazie par mer, fit sa
          soumission et céda à l’Empire les territoires en litige .
           Tout semblait ainsi terminé et Basile
          allait prendre possession de ces territoires, lorsqu’il fut arrêté par la
          révolte de Nicéphore Xiphias, stratège d’Anatolie, un des meilleurs généraux de
          la guerre bulgare, de concert avec Nicéphore au col tors, fils de Bardas
          Phocas. Basile suspendit sa marche et se contenta d’envoyer le stratège des
          Arméniaques contre les rebelles, mais Nicéphore Phocas fut assassiné et
          Xiphias, fait prisonnier, fut simplement interné aux îles des Princes . Sa révolte avait été
          fomentée par Giorgi au moment même où il traitait avec Basile. Invité à
          renouveler sa soumission, il ne fit aucune réponse. Exaspéré par cette
          duplicité, Basile marcha contre lui, l’atteignit dans le Basian et lui infligea
          une déroute complète (11 septembre 1022) . Giorgi, qui s’était
          enfui en abandonnant son camp et son trésor, serré de près par les troupes
          impériales, implora la paix, que Basile lui accorda aux mêmes conditions qu’au
          traité précédent, mais il dut livrer de nombreux otages, dont son fils
          unique . Après avoir fait une
          démonstration militaire à la limite des terres chrétiennes au nord-ouest du lac
          d’Ourmiah, Basile battit en retraite et rentra à Constantinople au début de
          l’année 1023 . Il avait achevé
          d’annexer à l’Empire en fait ou en expectative toute l’Arménie et la Géorgie,
          qui auraient pu devenir le glacis d’une forteresse opposée aux peuplades de
          l’Asie centrale.
           En Italie, entre les années 1001 et 1025,
          pendant que Basile était occupé en Bulgarie et en Orient, les possessions
          byzantines furent de nouveau menacées par la reprise des incursions arabes, la
          révolte des Lombards alliés aux Normands, l’agression de l’empereur Henri II.
          Par une politique habile Basile sut faire face à toutes ces difficultés. Non
          seulement il laissa l’Italie pacifiée, mais il se préparait à y intervenir en
          personne et à reprendre la Sicile aux Sarrasins lorsqu’il mourut.
           Tout d’abord Basile ne sépare pas la
          question de l’Italie byzantine de celle de l’Adriatique, dont les rives sont
          occupées par Venise, encore à moitié vassale de l’Empire, par la Croatie, par
          le thème impérial de Dyrrachium et par celui d’Italie. Tous ces territoires
          sont menacés par les mêmes ennemis : les Bulgares, les pirates slaves, les
          Sarrasins. Tout entier à la guerre bulgare, Basile fait alliance avec la jeune
          puissance maritime de Venise, dont il se considère comme le suzerain. En 992 il
          accorde au commerce vénitien dans l’Empire une diminution des droits de douane
          et le met à l’abri des extorsions habituelles des officiers impériaux, à
          condition que les navires vénitiens seront mis, le cas échéant, à sa
          disposition pour transporter des troupes en Italie . En 998 il autorise le
          doge Pierre Orseolo à défendre les villes du thème de Dalmatie contre les
          attaques des pirates slaves , L’expédition d’Orseolo
          en Dalmatie (1001) est un véritable triomphe pour la république de Saint-Marc
          et c’est de là que datent ses prétentions sur la Dalmatie . Enfin, en 1004, Venise
          s’acquitte de ses obligations envers l’Empire en envoyant une flotte secourir
          la capitale du thème byzantin d’Italie, Bari, assiégée par les Sarrasins de
          Sicile et prête à succomber . En reconnaissance et
          pour renforcer son alliance avec Venise, Basile fit venir le fils du doge à
          Constantinople et le maria à une patricienne . Ces événements étaient
          gros de conséquences : une nouvelle puissance était née dans l’Adriatique.
           Basile entretenait d’ailleurs d’excellents
          rapports avec les autres villes maritimes d’Italie et en 1005 c’était une
          flotte de Pise qui aidait les Grecs à détruire une escadre sarrasine à la
          hauteur de Reggio . La même année
          l’empereur envoyait une ambassade à Cordoue, destinée sans doute à obtenir la
          fin des pirateries andalouses dans la mer Tyrrhénienne .
           Mais un danger bien plus grave encore menaça
          bientôt les possessions byzantines. Le 9 mai 1009 éclatait à Bari une
          insurrection dirigée par deux membres de l’aristocratie lombarde, Mélès et son
          beau-frère Datto, qui chassèrent la garnison byzantine restée sans chef par la
          mort du catapan . La faiblesse des
          forces byzantines, incapables d’assurer la défense contre les Sarrasins, la
          fiscalité et l’insolence des fonctionnaires byzantins vis-à-vis des indigènes
          furent les causes de cette révolte, soutenue par des milices locales bien
          organisées . Le mouvement s’étendit
          bientôt à toute l’Apulie  et ce fut seulement 10
          mois après le début de la révolte que des forces envoyées en toute hâte par
          Basile débarquèrent en Italie (mars 1010) .
           Le chef de l’expédition, Basile Argyros,
          entra à Bari après un siège de 61 jours et y rétablit l’autorité
          impériale . Mélès, sur le point
          d’être livré par les habitants, s’enfuit à Bénévent et passa de là en Allemagne
          où Henri II lui conféra le titre de duc d’Apulie .
           Il se produisit alors un événement dont les
          conséquences devaient être incalculables et qui allait singulièrement
          compliquer la lutte pour l’Italie méridionale. Depuis les premières années du xie siècle, un grand nombre
          de chevaliers normands fuyaient un pays trop peuplé pour ses ressources et trop
          bien gouverné pour l’humeur indépendante de ces descendants des vikings , Pèlerins à Compostelle,
          à Rome, à Jérusalem, guerriers ou marchands à l’occasion, on les trouvait sur
          toutes les routes de l’Europe, partout où il y avait des coups à donner ou à
          recevoir et particulièrement dans l’Italie méridionale, où ils ne manquaient
          pas de fréquenter le pèlerinage de Saint-Michel au Monte Gargano, en relations
          mystiques avec leur Saint-Michel-au-Péril-de-la-Mer , Ce fut là que Mélès
          aurait rencontré une troupe de ces pèlerins, auxquels il demanda d’exciter
          leurs compatriotes à venir combattre en Italie , mais ce fut
          probablement Guaimar, prince de Salerne, qui eut l’idée d’envoyer des
          émissaires recruter des troupes en Normandie pour aider les Lombards
          révoltés .
           Après avoir grossi son armée de ces
          auxiliaires, qui arrivaient en grand nombre, Mélès attaqua l’Apulie au
          printemps de 1017, infligea plusieurs défaites au catapan Léon Tornikios et
          occupa en quelques mois toutes les forteresses des Pouilles . Tornikios fut rappelé
          à Constantinople et remplacé par un soldat énergique, Basile Bojoannès, qui
          débarqua en Italie avec une armée et des subsides importants en décembre 1017.
          Il lui fallut 10 mois pour réprimer les révoltes locales et reconstituer son
          armée, puis en octobre 1018, au moment même où Basile en finissait avec la
          Bulgarie, il infligea à l’armée lombardo-normande une défaite décisive dans la
          plaine de Cannes sur la rive droite de 1’Ofanto. Mélès s’échappa à grand-peine
          et gagna l’Allemagne où il mourut en 1020 .
           La conséquence de ces deux victoires fut le
          rétablissement de l’autorité byzantine en Apulie, en Dalmatie et en
          Croatie . Pour défendre le thème
          d’Italie, Bojoannès créa une sorte de Marche militaire qui bloquait le massif
          du Gargano et lui donna un réduit défensif en créant la ville de Troja sur une
          colline élevée qui dominait la route de Bénévent à Siponto et la peupla
          d’habitants entraînés à la guerre . Il rétablit enfin
          l’autorité de Byzance sur les principautés lombardes . Ce fut en vain que
          l’empereur Henri II inquiet de cet accroissement de la puissance byzantine,
          entreprit en 1021 une grande expédition qui échoua devant Troja, dont il ne put
          s’emparer après un siège de trois mois ; il obtint simplement la
          soumission nominale des princes lombards, qui se hâtèrent de reporter leur hommage
          à Byzance après son départ .
           Ces succès ne suffisaient pas à Basile et
          après son retour de sa deuxième expédition d’Arménie, il songea à supprimer le
          principal repaire de pirates qu’était devenue la Sicile et à conduire lui-même
          les opérations. En avril 1025 il se faisait précéder en Italie par une armée
          commandée par le protospathaire Oreste. Après avoir restauré les fortifications
          de Reggio, Basile Bojoannès commençait la campagne en s’emparant de Messine,
          mais un échec de l’armée d’Oreste le força à rester dans l’inaction .
           Basile II, âgé de 68 ans, se préparait à
          s’embarquer pour rejoindre Bojoannès lorsqu’il fut terrassé par un mal subit et
          il expira le 15 décembre 1025, laissant l’Empire plus grand et plus puissant
          qu’il n’avait jamais été depuis Justinien .
           
           
           4.  L’Arrêt de l’expansion byzantine et la fin de la dynastie macédonienne  (1025-1057)
          La mort de Basile II ne marque pas la fin
          de l’expansion byzantine, qui continue à se développer après lui, grâce au
          personnel d’élite qu’il a su former et au prestige universel qu’il a donné à
          l’Empire, mais il eut pour successeurs une série de princes incapables, dont
          les fautes accumulées finirent par compromettre cette magnifique situation. Il
          se produisit en effet dans le gouvernement un changement profond qui fut un
          véritable retour en arrière : de nouveau la direction des affaires fut
          accaparée par les eunuques du Koubouklion impérial, ce qu’on n’avait pas vu
          depuis la disgrâce du parakimomène Basile en 980. De là sortit un antagonisme
          désastreux entre le gouvernement civil du Palais et les chefs militaires,
          comblés d’honneurs et d’avantages sous Basile. Cette rivalité produisit de nouvelles
          révoltes militaires qui compromirent la défense de l’Empire au moment où il
          était menacé sur ses deux flancs par les ennemis nouveaux qui avaient fait leur
          apparition sous Basile : les Normands en Italie, les Turcs en Mésopotamie.
           Constantin VIII. — Après la mort
          de Basile II sans enfant, le pouvoir passa naturellement à son frère Constantin
          VIII, co-empereur depuis sa naissance, mais qui n’avait jamais pris la moindre
          part aux affaires. Frivole et indolent, vivant contraste avec son glorieux
          frère, taillé en hercule, il ne s’occupait que de sports, luttes, courses de chevaux,
          mais ne pouvait supporter la moindre fatigue et détestait tout ce qui pouvait
          rappeler la guerre. A son avènement, sa santé était ruinée et son règne
          effectif ne dura même pas trois ans (16 décembre 1025 - 11 novembre 1028) , mais fut assez long
          cependant pour lui permettre de confier le gouvernement de l’Empire aux
          eunuques du Palais et de destituer les meilleurs chefs militaires et les
          fonctionnaires qui devaient leur fortune au choix clairvoyant de Basile II, en
          les remplaçant par ses créatures. Il était d’ailleurs dur et cruel, accueillant
          toutes les calomnies sans discernement et punissant les fautes vénielles de
          l’ablation des yeux : il avait la violence des faibles et des poltrons .
           De sa femme, Hélène Alypios, Constantin
          VIII avait eu trois filles, dont l’aînée, Eudoxie, entra dans un monastère, et
          dont les deux cadettes, Zoé et Théodora, étaient ses seules héritières, mais
          n’avaient pas encore été mariées . Ce fut seulement en
          novembre 1028 que Constantin, étant tombé malade et se sentant perdu, songea à
          donner un époux à l’une de ses filles et à lui-même un successeur. Aussitôt les
          intrigues allèrent leur train au Palais, les eunuques étant partagés entre deux
          membres de la noblesse, Constantin Dalassenos et Romain Argyre. Ce fut celui-ci
          qui l’emporta bien que déjà marié. Appelé avec son épouse au chevet du
          moribond, il fut mis en demeure d’avoir les yeux crevés ou de divorcer d’avec
          sa femme et d’épouser l’une des princesses. Théodora s’étant récusée, Romain
          Argyre fut marié à Zoé le 8 novembre, trois jours avant la mort de Constantin.
          Les deux conjoints étaient parents, mais le patriarche Alexis leva la
          difficulté dans l’intérêt de l’État .
           Le régime des princes-époux et adoptés. — L’Empire
          connut de nouveau de 1028 à 1057 le régime des princes-époux ou adoptés, mais,
          tandis qu’au xe siècle
          ce rôle fut tenu par des hommes de premier ordre, qui firent la grandeur de
          l’Empire, les princes-époux du xie siècle sont des parvenus médiocres, mal préparés à la mission grandiose que le
          hasard leur avait assignée. Incapables de faire face aux dangers très graves
          qui menacèrent l’Empire, ils compromirent irrémédiablement la puissance et le
          prestige que lui avaient donnés leurs grands prédécesseurs.
           Parmi les cinq parvenus qui occupèrent le
          trône pendant un demi-siècle, Romain Argyre fut le seul auquel son passé
          donnait quelque prestige, le seul capable de commander une armée, mais non
          d’obtenir la victoire, ayant plus de prétentions que de qualités réelles . Il appartenait à la
          noblesse militaire, dont il partageait toutes les passions, et l’un des actes
          les plus importants de ses six années de règne fut l’abolition de l’allelengyon
          que Basile II avait institué comme une digue contre l’extension abusive des
          grands domaines. Désormais la petite propriété était livrée sans défense aux
          accaparements des puissants et ce qui est plus grave, l’existence des biens
          militaires, source de recrutement de l’armée des thèmes, était compromise. Les
          conséquences néfastes de cette mesure ne devaient pas tarder à se faire
          sentir .
           Le court règne de Romain Argyre fut
          d’ailleurs agité par des intrigues de palais et des complots dans lesquels,
          compromise, Théodora fut enfermée au monastère de Pétrion et obligée par Zoé,
          qui la détestait, de prononcer ses vœux monastiques . Romain périt lui-même
          victime d’une de ces intrigues, dont l’origine fut des plus vulgaires.
          Délaissée par son impérial époux, qui avait perdu l’espoir d’avoir d’elle une
          postérité , Zoé se vengea en
          prenant comme amant le frère d’un eunuque de Romain, paphlagonien d’origine,
          que celui-ci avait créé orphanotrophe . Michel, c’était son
          nom, fit semblant de répondre à la passion de la vieille basilissa, qui fit
          étouffer Romain Argyre dans les bains du palais (12 avril 1034)  et, quelques heures
          après, fit célébrer son mariage avec le jeune aventurier par le patriarche
          Alexis, puis le proclama basileus .
           Avec la famille paphlagonienne la dignité
          impériale décroît d’un échelon social. Avant d’être basileus, Michel IV avait
          été changeur, ainsi que son frère Nicétas. Ses trois autres frères étaient
          eunuques et deux d’entre eux, Georges et Constantin, exerçaient le métier
          décrié de guérisseur ou empirique. Une de ses sœurs avait épousé un ouvrier
          calfat du port de Constantinople . Mais le véritable chef
          de la famille et l’artisan de sa fortune était son frère aîné, Jean
          l’Orphanotrophe, moine et eunuque, qui avait su se glisser dans la faveur de
          Romain Argyre et encourager la passion de Zoé pour son jeune frère, qu’il avait
          littéralement poussé au trône et qui prit lui-même, sous le nom de Michel, le
          gouvernement de l’Empire. Il commença d’ailleurs par bien établir ses autres
          frères et, malgré leur nullité et leur mauvaise conduite, leur confia des
          postes de premier ordre . Pour trouver un
          exemple d’une pareille ascension sociale il faut remonter jusqu’au fondateur de
          la dynastie macédonienne.
           L’Orphanotrophe travaillait d’ailleurs avec
          zèle à l’expédition des affaires et montrait la plus grande vigilance. Rien
          d’important ne lui échappait. Il parcourait lui-même la nuit les rues de
          Constantinople, où sa robe de moine lui assurait l’incognito et déjouait, grâce
          à sa police, les menées des fauteurs de désordres. On a dit qu’il représentait
          la centralisation bureaucratique antérieure à l’influence prise par la
          noblesse  et il ne ménageait pas
          l’aristocratie militaire d’Asie Mineure.
           Cependant la seule opposition qui se
          manifesta à l’avènement de Michel fut celle de Constantin Dalassène, le
          prétendant malheureux à la main de Zoé. Jean l’Orphanotrophe sut l’attirer au
          palais, lui fit un excellent accueil et le créa anthypatos , mais peu après, une
          émeute ayant éclaté à Antioche, Nicétas, que l’Orphanotrophe avait créé
          gouverneur de cette ville, dénonça Constantin Dalassène comme le principal
          instigateur des troubles et Jean saisit ce prétexte pour le déporter dans l’île
          de Plati (3 août 1034). De plus, il emprisonna son gendre, Constantin Doukas,
          qui avait protesté et confisqua les biens de plusieurs archontes d’Asie
          regardés comme ses partisans, en faisant profiter ses frères de leurs dépouilles . C’était là un
          véritable camouflet pour l’aristocratie militaire qui prétendait gouverner
          l’Empire.
           Quant au basileus Michel, qui ne voyait rien
          que par les yeux de son frère, il cessa, à peine couronné, de feindre sa
          passion pour Zoé et la relégua au Gynécée en renvoyant toutes ses femmes et les
          eunuques de Basile II dont l’Orphanotrophe redoutait les intrigues . Les Paphlagoniens
          étaient les maîtres de l’Empire et l’eunuque Jean, ne connaissant plus de
          bornes à son ambition, entreprit même de se substituer à Alexis sur le trône
          patriarcal en prétextant l’irrégularité de sa nomination, mais le vieux
          patriarche lui fit une réponse telle qu’il abandonna ce projet .
           De toute cette famille de parvenus sans
          scrupules, Michel IV paraît avoir été le seul honnête homme, le seul qui ait
          témoigné des remords de l’origine criminelle de son pouvoir. Tous les
          chroniqueurs, à commencer par Psellos, son contemporain, sont d’accord pour
          vanter son esprit sérieux et réfléchi et reconnaître que, malgré son peu
          d’instruction, il s’acquitta consciencieusement du rôle auquel rien ne l’avait
          préparé, ne bouleversant rien dans l’administration, n’élevant pas ses amis
          trop vite et résistant à la cupidité de ses frères. Il s’occupait surtout de
          l’armée et lorsque éclata le soulèvement bulgare en 1040, il eut le courage,
          bien qu’agonisant, de commander lui-même une expédition .
           Malheureusement Michel avait une santé très
          précaire et était sujet à des attaques d’épilepsie qui devenaient de plus en
          plus fréquentes à mesure qu’il avançait en âge. C’était en vain qu’il demandait
          des prières à tous les moines de l’Empire, qu’il multipliait les actes de
          piété, les fondations, allant en pèlerinage au tombeau de saint Démétrius à
          Thessalonique, s’entourant d’ascètes qu’il servait lui-même, allant jusqu’à les
          faire coucher dans son lit : son mal était inguérissable . Devenu incapable de
          s’occuper des affaires, il abandonnait le gouvernement de l’Empire à
          l’Orphanotrophe, que ses exactions rendaient de plus en plus odieux et qui
          laissait transparaître la vulgarité de ses origines en prenant part à des
          orgies scandaleuses, sans d’ailleurs, d’après Psellos, perdre un seul des propos
          assez libres de ses compagnons d’ivresse, qu’il obligeait plus tard à lui en
          rendre compte .
           Mais la maladie de son frère finit par
          l’inquiéter et il songea à lui trouver un successeur dans sa famille. Son choix
          tomba sur son neveu Michel, le fils de Marie, sa sœur, et de l’ancien ouvrier
          calfat Étienne, qu’il avait, malgré sa nullité, donné comme successeur à
          Georges Maniakès, en Sicile .
           Après avoir démontré à l’empereur que le
          peuple, au courant de sa maladie, qu’il croyait mortelle, finirait par se
          soulever et le renverser du trône, il l’amena habilement à accepter sa solution
          et il obtint aussi, on ignore par quel moyen, l’acquiescement de Zoé . Il fut donc procédé à
          une cérémonie solennelle à l’église de la Vierge des Blachernes : Zoé, qui
          représentait la légitimité, adopta comme fils Michel le Calfat et l’assit sur
          ses genoux devant toute la cour, puis, suivant les rites anciens, on lui
          conféra la dignité de César . Esprit faux et caractère
          dissimulé, le nouvel héritier du trône ne tarda pas à provoquer l’antipathie de
          tous, si bien que l’Orphanotrophe le relégua dans la banlieue de
          Constantinople . Ce fut pourtant cet
          indigne personnage qui fut appelé à gouverner la Romania lorsque, le 10 décembre
          1041, Michel IV expira au monastère des Saints-Anargyres qu’il avait fondé,
          après y avoir reçu la robe monastique .
           Le règne de Michel V devait durer
          exactement 132 jours (10 décembre 1041 - 21 avril 1042). Afin de se faire
          accepter, il montra d’abord le plus grand respect pour Zoé et pour l’Orphanotrophe
          qu’il affectait de consulter sans cesse, mais, excité par son autre oncle, le
          domestique des scholes, Constantin, à qui il fit conférer par Zoé la dignité de
          nobilissime , il changea bientôt
          d’attitude et, après avoir cherché querelle à l’Orphanotrophe, il l’exila dans
          un monastère et, comme Jean était très impopulaire, il n’y eut pas de
          protestation . Très habilement guidé
          sans doute par son oncle Constantin, Michel V chercha à mettre l’opinion de son
          côté en faisant sortir de prison les victimes de l’eunuque Jean, comme
          Constantin Dalassenos et Georges Maniakès qu’il nomma catapan d’Italie. Il
          confia la direction des affaires au juriste érudit Constantin Lichoudès et il
          envisagea une réforme administrative . Il montra de la haine
          contre la noblesse, s’entoura d’une garde de Bulgares et affecta une allure démagogique
          qui lui valut la faveur de la foule .
           Mais il voulut aller trop loin et vint
          buter contre un écueil. Jaloux des honneurs rendus à Zoé, il entreprit de s’en
          débarrasser. Il l’interna d’abord au Gynécée, puis l’accusa d’avoir voulu
          l’empoisonner, la déporta à Prinkipo et lui fit couper les cheveux  (18 avril 1042). Non
          content de cet exploit qu’il justifia par un manifeste , il voulut s’attaquer
          au patriarche Alexis , mais celui-ci fit
          sonner les cloches et souleva contre Michel une formidable émeute (39 avril),
          appuyée par la garde des Varanges russes . Le Grand Palais fut
          assiégé. Ce fut en vain que pour sauver sa vie le basileus rappela Zoé et la
          montra au peuple du haut du Kathisma . Il était trop tard.
          Les émeutiers tirèrent Théodora du monastère de Petrion, la conduisirent toute
          tremblante à Sainte-Sophie et la firent couronner basilissa par le patriarche.
          Le 20 avril le Grand Palais était pris : Michel et Constantin s’enfuirent
          par mer au monastère de Stoudios, où, par ordre de Théodora, on leur creva les
          yeux et on les enferma chacun dans un monastère différent  (23 avril).
           La légitimité représentée par Zoé et
          Théodora, derniers rejetons de la dynastie macédonienne, avait donc remporté
          une nouvelle victoire. Les émeutiers qui avaient tiré Théodora de son monastère
          craignaient que Zoé ne se réconciliât avec Michel V , mais il paraissait
          difficile de faire régner ensemble les deux sœurs qui se détestaient. Cependant
          Zoé, cédant aux circonstances « et bien contre son gré » , invita sa sœur à venir
          au palais et la pressa sur son cœur . « Pour la
          première fois le Gynécée fut changé en salle du conseil impérial »  et rien n’est plus
          curieux que la description laissée par Psellos d’une audience tenue par les
          deux impératrices . Leurs décisions furent
          d’ailleurs des plus sages : à part les révocations des créatures de Michel
          V et la condamnation pour péculat du nobilissime Constantin , elles ne bouleversèrent
          pas l’administration et firent même une bonne réforme en supprimant la vénalité
          des charges, qui n’existait pas en droit, mais en fait, par suite des sommes
          extorquées aux nouveaux fonctionnaires .
           Dans la pensée des deux sœurs ce régime
          n’était que provisoire, chacune d’elles cherchant à supplanter l’autre et ayant
          ses partisans qui les poussaient à prendre un prince-époux, mais Théodora était
          réfractaire au mariage tandis que Zoé n’hésita pas, malgré son âge, à convoler
          en troisièmes noces. Constantin Dalassène, auquel elle songea d’abord,
          l’inquiéta par son ton autoritaire ; un second prétendant mourut à la
          veille de réussir ; à la fin son choix se porta sur Constantin Monomaque,
          d’une bonne famille de la noblesse byzantine, mais qui n’avait jamais exercé
          aucune charge, personnage très remuant, fils d’un conspirateur, impliqué
          lui-même dans un complot et exilé par Michel IV à Mytilène, où il passa sept
          ans. Zoé l’avait rappelé et l’avait nommé juge du thème de l’Hellade. Ce fut de
          là qu’elle l’appela pour en faire un basileus. Le patriarche Alexis fit quelque
          difficulté pour unir deux conjoints qui en étaient chacun à leurs troisièmes
          noces, mais il trouva un moyen terme en faisant célébrer le mariage par le
          premier clerc du Palais et en couronnant lui-même les deux époux . Constantin Monomaque,
          qui devait survivre à Zoé, allait régner sur l’Empire pendant plus de 12 ans
          (12 juin 1042 - 11 janvier 1055).
           Affaires extérieures (1025-1042). — Pendant cette
          période si agitée à l’intérieur, malgré l’insuffisance et l’impéritie des
          empereurs, l’excellente organisation diplomatique et militaire de Basile II n’a
          pas périclité et l’expansion de l’Empire, bien que moins active, n’en a pas
          moins continué, mais les succès sont déjà moins grands et amoindris par
          quelques désastres : on s’aperçoit que l’Empire n’est plus dirigé d’une
          main ferme.
           Cependant la police des frontières et de la
          mer est encore active. Il y a encore des tentatives de surprise et de piraterie
          mais elles sont réprimées immédiatement, comme celle du russe Chrysocheir,
          parent de Vladimir, qui parvint avec ses 20 monoxyles jusqu’à Lemnos (1024),
          mais fut arrêté par les stratèges des Cibyrrhéotes et de Thessalonique . Basile II était encore
          vivant, mais en 1025 le gouverneur de Sirmium repousse une incursion des Petchenègues,
          qui reviennent d’ailleurs en 1033 et en 1036  ; en 1027 les
          stratèges de Sarnos et de Chio détruisent dans l’Archipel une flotte de
          corsaires venus d’Afrique et une nouvelle tentative de leurs congénères en 1035
          a le même sort . Plus grave fut en 1040
          le soulèvement des Bulgares, dû à l’abandon des sages mesures de Basile II, en
          particulier par la transformation en numéraire de l’impôt en nature des
          paysans, sur l’ordre de Jean I’Orphanotrophe. Un aventurier, Pierre Dolianos,
          se donna comme le descendant de l’ancienne dynastie et fut proclamé tsar. Il
          marcha sur Thessalonique, mit en déroute l’armée impériale et envoya des armées
          en Grèce et contre Dyrrachium. Mais le siège de Thessalonique par Dolianos et
          un autre prétendant, Alousianos, échoua grâce à une sortie victorieuse des
          assiégés le jour de la fête de saint Démétrius (26 octobre 1040). Dès lors,
          leurs affaires périclitèrent. Alousianos creva les yeux à son rival et se fit
          battre par une armée impériale. A la fin de 1041 la Bulgarie était soumise.
           En revanche la position de l’Empire était
          compromise sur le versant de l’Adriatique par suite de la révolte des Serbes de
          la Dioclée à la voix d’Étienne Boïthslav, époux d’une petite-fille du tsar
          Samuel, gardé comme otage à Constantinople, d’où il s’était échappé.
          L’insurrection battait son plein en 1041. Du moins la ville de Zara avait été
          annexée à l’Empire et son toparque (magistrat local) était en même temps
          stratège impérial et anthypatos .
           Sur le front d’Orient non seulement les
          positions de l’Empire furent maintenues, mais il y eut de nouvelles
          annexions . Le traité conclu en
          1027 entre le calife fatimite Al-Zahir et Constantin VIII autorisant la
          réédification de l’église du Saint-Sépulcre détruite en 1009 par l’ordre de
          Hakem, montre que l’Empire n’avait rien perdu de son prestige . Par contre ce prestige
          fut amoindri par la désastreuse expédition de Romain Argyre contre l’émir
          d’Alep, un Bédouin, dont les troupes avaient fait des incursions au-delà de la
          frontière (1030) . Fort heureusement le
          mauvais effet produit par la fuite honteuse du basileus fut atténué par la
          résistance des gouverneurs des places fortes comme celle de Georges Maniakès , et par les
          contre-attaques victorieuses du nouveau duc d’Antioche, Nicétas, qui
          déterminèrent l’émir d’Alep à signer un traité par lequel il redevenait vassal
          de l’Empire  (septembre 1031). Peu
          auparavant l’émir de Tripoli, révolté contre l’Égypte, s’était placé aussi sous
          la protection impériale , mais un succès encore
          plus éclatant fut l’annexion de la grande ville d’Édesse livrée à Georges
          Maniakès, créé catepano de la Basse Médie (Vaspourakan), à la suite d’une
          guerre civile entre deux chefs musulmans . Non seulement cette
          acquisition portait la frontière au-delà de l’Euphrate, mais la place
          qu’occupait Édesse dans l’histoire du christianisme explique l’effet moral
          produit par cette victoire. A plusieurs reprises des émirs sarrasins essayèrent
          vainement de reprendre la ville (1035-1037) . En 1033 la paix avec
          l’Égypte avait été rompue, l’émir de Tripoli ayant été chassé de sa résidence
          par une armée égyptienne et réintégré à la suite d’une expédition byzantine,
          pendant qu’une escadre impériale faisait une démonstration devant
          Alexandrie  ; mais en 1036 la
          paix fut renouvelée entre l’Empire et la veuve d’Al-Zahir, régente au nom de
          son fils Al-Mostancer .
           La politique impériale fut moins heureuse
          dans les pays du Caucase. Sous Constantin VIII une tentative d’annexion du
          royaume de Géorgie, après la mort de Giorgi, laissant un fils mineur (1027),
          échoua complètement  et en 1038 une
          expédition du domestique des scholes, Constantin, frère de Michel IV, aboutit à
          une défaite . De même après la mort
          du roi de Grande Arménie, Jean Sempad, et de son frère Aschod, Michel IV voulut
          profiter de la guerre civile qui éclata en Arménie, pour revendiquer l’héritage
          de Sempad, cédé à l’Empire par le traité de 1021, mais l’armée qu’il envoya
          pour saisir Ani fut taillée en pièces et le jeune Kakig II, fils d’Aschod, fut
          sacré roi des rois (1042) .
           Enfin l’Italie byzantine courut les plus
          grands dangers pendant cette période, sans cependant avoir été entamée. La
          disgrâce du catapan Bojoannès prononcée par Constantin VIII (1028)  et son remplacement par
          un incapable encouragèrent les Sarrasins de Sicile à recommencer leurs
          incursions (1030-1031) . En 1032 ils parurent
          même dans la mer Ionienne et l’Adriatique, mais ils ne purent tenir contre les
          forces réunies du stratège de Nauplie et de la république de Raguse  et en mai 1035 l’émir
          de Sicile concluait une trêve avec Michel IV .
           Mais d’autres dangers menaçaient les
          possessions byzantines : tout d’abord les entreprises du nouvel empereur
          germanique, le Franconien Conrad II (1024-1039), couronné à Rome le 6 janvier
          1027 ,
          qui fait reconnaître sa suzeraineté par les princes lombards et envoie Werner,
          archevêque de Strasbourg, à Constantinople demander pour son fils âgé de 10 ans
          la main d’une princesse impériale . Ce sont ensuite les
          bandes normandes que les princes lombards, en querelles continuelles les uns
          contre les autres, prennent à leur solde : en 1029 Sergius ayant recouvré
          son duché de Naples, dont il avait été chassé par Pandolf III, prince de
          Capoue, fait don à Rainolf, chef de ses auxiliaires normands, du territoire et
          de la ville d’Aversa . Pour la première fois
          les Normands ont un établissement territorial en Italie sous un chef des plus
          habiles et c’est là le point de départ de leurs prodigieux succès.
           Cependant l’état d’anarchie qui régnait en
          Italie, divisions des princes lombards, guerres civiles entre les Sarrasins de
          Sicile et d’Afrique, était favorable à une action de l’Empire byzantin, dont
          tous les partis recherchaient l’alliance. Une seconde intervention de Conrad II
          (1038), qui mit un terme aux usurpations de Pandolf III, prince de Capoue, en
          train de se constituer un puissant État aux dépens de ses voisins, fut plus
          avantageuse que nuisible à Byzance .
           C’est ce qui explique la reprise des
          projets de Basile II sur la Sicile, dont les partis en pleine guerre civile
          sollicitaient une intervention byzantine . Dès 1037 le catapan
          d’Italie, Constantin Oropos, passait en Sicile, battait à plusieurs reprises
          les troupes africaines, délivrait des milliers d’esclaves chrétiens, mais ne pouvait
          se maintenir dans l’île . Mais une expédition importante
          avait été préparée par Jean l’Orphanotrophe qui avait mis son frère Étienne à
          la tête de la flotte et confié à Georges Maniakès une armée composée des
          meilleures troupes de l’Empire, dont un corps de Varanges sous Harald le
          Sévère, roi de Norvège, et 300 chevaliers normands commandés par le Lombard
          Ardouin . La campagne commença
          dans l’été de 1038 par la reprise de Messine, puis il semble que Maniakès ait
          voulu marcher sur Palerme en suivant la côte septentrionale, car il est
          vainqueur d’une armée africaine à Rametta qui commande cette route. Il exploita
          sa victoire en prenant des villes, mais on ignore la suite de ses
          opérations  et on le retrouve en
          1040 devant Syracuse, qu’il est obligé d’abandonner pour faire face à une
          diversion venue de l’intérieur. La brillante victoire de Troïna, au nord-ouest
          de l’Etna, lui permit de continuer le siège de Syracuse dont il s’empara (été
          de 1040) .
           Malheureusement la division se mit dans
          cette armée composite. Les Normands et les Scandinaves mal payés regagnèrent
          l’Italie . Maniakès aurait maltraité
          le chef de la flotte, Étienne, en lui reprochant d’avoir laissé échapper le
          chef musulman vaincu à Troïna. Dénoncé à Constantinople, Maniakès fut rappelé
          et emprisonné . Ses incapables
          successeurs laissèrent les Sarrasins reprendre toutes ses conquêtes. En 1041
          Byzance ne possédait plus en Sicile que Messine, défendue héroïquement par
          l’Arménien Kékaumenos Katakalon .
           Enfin pendant que l’armée impériale était
          encore en Sicile, les Lombards sujets de Byzance se révoltaient une seconde
          fois, mais, circonstance aggravante, avec le concours des Normands. Le
          principal artisan de cette révolte fut Ardouin, ulcéré des affronts que lui
          avait infligés Maniakès. Gagnant la confiance du catapan Michel Dokeianos, il
          se fit nommer gouverneur de Melfi , s’allia avec les
          Normands d’Aversa et en introduisit une bande dans la place au moment où toutes
          les villes d’Apulie se soulevaient. Melfi devint alors le centre de
          l’insurrection et la place forte où les Normands, grands pillards, venaient
          déposer leur butin. Le catapan Michel, battu en plusieurs rencontres, dut
          s’enfuir à Bari (mars 1041) ; le fils de Bojoannès qui lui succéda ne fut
          pas plus heureux et fut fait prisonnier à la bataille de Montepeloso (3
          septembre). Le fils de Mélès, le chef de la première révolte, Argyros, qui
          avait quitté Constantinople, où il était prisonnier en 1029, fut proclamé chef
          des Normands et des Lombards dans l’église Saint-Apollinaire de Bari (février
          1042). Les troupes impériales ne tenaient plus que quelques places fortes du
          sud, Brindisi, Otrante et Tarente 
    
    [1570]
    
    . Telle était la
          situation de l’Italie byzantine à l’avènement de Constantin Monomaque.
           Constantin Monomaque. — Constantin
          Monomaque, porté à l’Empire par son heureuse étoile, continue la série des
          princes-époux. Jusqu’à son avènement, sauf en Italie, l’Empire avait maintenu
          partout ses positions. Avec lui, bien que son règne présente certains aspects
          assez brillants, commence la liquidation de la politique de conquête. L’Empire
          perd sa force offensive et se voit menacé à son tour sur toutes ses frontières
          par de nouveaux ennemis, les Turcs en Orient, les Petchenègues sur le Danube,
          les Normands en Italie.
           Pour faire face à ces périls il eût fallu
          un nouveau Basile II et il n’y avait au Palais Sacré qu’un parvenu banal,
          supérieur sans doute par son éducation aux Paphlagoniens, mais frivole et
          indolent, bellâtre bien vu de toutes les femmes, ne demandant que la paix et la
          tranquillité, considérant le pouvoir impérial comme une retraite dorée qui lui
          permettait de s’amuser, comme il en fit l’aveu cynique à Psellos . Il n’était pas
          d’ailleurs sans qualités. Simple et avenant il séduisait les gens par sa
          bienveillance, ni hautain, ni vindicatif, toujours de bonne humeur, même dans
          les circonstances pénibles, un vrai Philinte couronné avec tout ce que ce
          caractère comporte d’égoïsme et même de lâcheté .
           Avant son avènement Monomaque avait une
          liaison déjà ancienne avec une petite-fille de Bardas Skléros, le prétendant.
          Ayant été marié déjà deux fois, il n’avait osé l’épouser, mais les deux amants
          ne pouvaient se passer l’un de l’autre et Sklérène était venue le consoler dans
          son exil de Mytilène. Contre toute attente Constantin trouva moyen d’obtenir de
          Zoé que sa favorite vînt habiter le palais, qu’elle y eût une situation
          officielle, le titre de Sébasté en
          vertu d’un contrat d’amitié, qu’elle
          assistât au conseil où elle faisait parfois prévaloir son avis et qu’elle parût
          dans les processions impériales, au grand scandale du peuple qui craignait
          qu’elle ne supplantât Zoé et manifestât sa réprobation par une véritable
          émeute . Mais la favorite ne
          tarda pas à mourir, à la grande douleur du basileus, qui la fit ensevelir au
          monastère des Manganes qu’il avait fondé .
           Cependant la mort de Sklérène ne changea
          pas grand-chose à la physionomie de la cour. Constantin continua à mener la
          même existence oisive, remplaça Sklérène par une jeune Alaine qu’il n’osa
          introduire au palais du vivant de Zoé, mais qu’il créa Sébasté  ; d’autre part il
          prenait plaisir aux facéties ineptes de son favori Romain Boïlas, véritable
          bouffon qui s’enhardit jusqu’à devenir amoureux de la favorite et à comploter
          la mort du basileus  et reçut d’ailleurs son
          pardon. Constantin était en outre d’autant moins disposé à mener une vie active
          que dès le début de son règne il devint paralytique au point de ne pouvoir plus
          faire le moindre mouvement, bien qu’avec un réel courage il n’ait jamais cessé
          de s’acquitter des fonctions qui incombaient à sa dignité . D’une prodigalité inouïe,
          il épuisa le trésor laissé par ses prédécesseurs, soit en comblant de richesses
          ses nombreux favoris et favorites, soit par ses fondations fastueuses comme
          celles de l’église Saint-Georges des Manganes ou de la Nea Moni de Chio .
           De son côté Zoé n’avait pas plus de goût
          que Constantin pour les affaires et passait son temps au Gynécée à fabriquer
          des parfums et à chercher l’avenir en contemplant une icône du Christ,
          l’Antiphonétès, qu’elle avait confectionnée elle-même « et dont elle avait
          fait une image presque vivante » . Elle avait dédié une
          église à cette icône et par ses générosités irraisonnées elle aidait le
          basileus à dilapider les finances publiques. Elle mourut à l’âge de 72 ans en
          1050 et reçut de son triste époux autant d’honneurs que si elle eût été une
          sainte .
           Malgré ces misères, le règne de Constantin
          Monomaque est remarquable par une tentative curieuse de gouvernement au moyen
          des lettrés et par une réorganisation de l’Université impériale destinée à devenir
          une pépinière d’hommes d’État et d’administrateurs. Il s’agissait en fait de
          soustraire le pouvoir à l’ingérence des eunuques du Palais d’une part, des
          chefs de l’aristocratie militaire d’autre part.
           Déjà, à son avènement, Michel V avait choisi comme ministre le juriste Constantin Likhoudès et Monomaque l’avait conservé en cette qualité . Il avait profité de son arrivée au pouvoir pour protéger ses compagnons d’études, de famille pauvre comme Jean Xiphilin de Trébizonde , ou de petite bourgeoisie comme Michel Psellos, qu’il fit nommer juge à Philadelphie, puis sous-secrétaire (hypogrammateus) au Palais . Constantin IX, qui se piquait de littérature, mais qui cherchait surtout à battre en brèche la noblesse militaire, protégea les lettrés et Psellos fut en faveur auprès de lui et de Sklérène . Bientôt il confia aux lettrés les plus hauts emplois. En 1043, à 25 ans, Psellos était nommé vestarque et protoasecretis (chef de la chancellerie impériale), Jean Byzantios dit Mauropous devenait conseiller intime de l’empereur et Jean Xiphilin, déjà juge de l’Hippodrome, reçut la charge nouvelle de nomophylax qui faisait de lui le chef de la faculté de Droit réorganisée et destinée à fournir des magistrats choisis d’après leur mérite et non d’après leur naissance (1045) . Psellos reçut plus tard le titre pompeux de consul des philosophes qui lui donnait la direction des études littéraires et un rang dans la hiérarchie des dignitaires palatins . Mais cet enthousiasme pour les lettrés ne
          dura pas. La franchise et la rudesse de Constantin Likhoudès, qui critiquait
          ses dilapidations, déplurent à l’empereur et dans un mouvement de colère il le
          destitua (1050). La disgrâce de Jean Mauropous suivit de près et il devint évêque
          d’Euchaïta. Psellos et Xiphilin, s’apercevant du changement d’attitude du
          souverain à leur égard, se retirèrent dans un monastère de l’Olympe  et un favori plus
          souple, mais tout à fait incapable, le logothète Jean, prit la direction des
          affaires .
           Ce changement subit est un exemple de
          l’incohérence et du désordre qui paraît avoir régné dans le gouvernement
          intérieur de Constantin IX. Cet homme qui cherchait avant tout son repos, mais
          dont le caractère était impulsif, n’a cessé de se créer des difficultés par ses
          caprices et ses fantaisies déraisonnables. Psellos l’accuse d’avoir bouleversé
          tous les usages et les règles de l’avancement dans la hiérarchie en ouvrant le
          Sénat à des gens de bas étage . Il faillit même être
          victime de ce manque de discernement : l’un de ces nouveaux sénateurs,
          sachant qu’il ne prenait aucune précaution pour se garder la nuit, mais que sa
          chambre était ouverte à tout venant, résolut de l’assassiner et faillit
          réussir . D’autre part, à la fin
          de son règne ses fantaisies et ses libéralités devinrent de plus en plus
          coûteuses  et lorsqu’il eut vidé
          complètement le trésor, cet homme si généreux eut recours à la fiscalité la
          plus éhontée pour se procurer des ressources : il envoya partout des
          collecteurs d’impôts qui employaient les moyens les plus illicites pour
          récolter de l’argent et, ce qui fut plus grave encore, il alla jusqu’à
          licencier des troupes pour employer à d’autres objets les sommes levées sur les
          populations pour leur entretien .
           Événements extérieurs. — Une invasion
          russe, deux grandes révoltes militaires, la violation de la frontière du Danube
          par les Petchenègues, les invasions des Turcs Seldjoukides en Orient et des Normands
          en Italie, le schisme avec la papauté, tel est le bilan du règne d’un empereur
          qui n’a jamais quitté le Grand Palais de son avènement à sa mort, non par
          manque de courage, il a donné des preuves du contraire, mais par indifférence
          néfaste pour les choses de l’armée et par un détachement coupable des affaires,
          qu’il laissait diriger par ses ministres. C’est tout au plus si, mêlés à ces
          événements désastreux, se montrent les derniers succès de la politique
          impériale : le maintien de la paix avec le calife fatimite, la protection
          officielle des chrétiens de Palestine, la dernière annexion byzantine, celle du
          royaume pagratide d’Arménie, compromise d’ailleurs bientôt par l’avance des
          Turcs.
           C’est d’abord la révolte de Georges
          Maniakès, que Zoé avait renvoyé en Italie comme l’avait décidé Michel V. Arrivé
          à Tarente en avril 1042, il commença à châtier par de cruelles exécutions les
          villes qui avaient accueilli les Normands  (1600), mais une
          intrigue se tramait contre lui à Constantinople : Romain Skléros, frère de
          Sklérène, qui était son ennemi personnel, obtint son rappel  et la même ambassade
          chargée de la lui notifier parvenait à détacher Argyros de la cause lombarde . Maniakès se révolta,
          fut proclamé empereur par son armée (octobre 1042) et, assiégé dans Otrante par
          Argyros, s’embarqua pour Dyrrachium, d’où il comptait marcher sur
          Constantinople par la Via Egnatia, grâce à son alliance avec le chef serbe
          Boïthslav  ; mais dès la
          première rencontre avec l’armée impériale envoyée contre lui, le prétendant
          reçut une blessure mortelle et ses soldats se débandèrent. Constantin n’eut que
          la peine de célébrer un triomphe éclatant à l’Hippodrome  (premiers mois de 1043).
           Quelques mois plus tard Constantinople
          était attaquée par une expédition russe. La cause de la rupture aurait été une
          rixe entre Grecs et Russes au faubourg de Saint-Mamas : un des principaux
          marchands de Novgorod ayant été tué, la république demanda le prix du sang et,
          sur le refus qui lui fut opposé, recruta des troupes dans les régions nordiques
          et équipa une flotte considérable de monoxyles, commandée par son prince,
          Vladimir, fils du grand prince de Kiev, Iaroslav . Il semble d’ailleurs
          que la vraie cause de la guerre fut le désir des Novgorodiens d’obtenir un
          traité de commerce plus avantageux. Vladimir s’arrêta en effet à l’entrée du
          Bosphore . La terreur régnait à
          Constantinople, mais Vladimir ayant refusé les propositions de paix du
          basileus , celui-ci se mit
          lui-même à la tête d’une escadre improvisée qui couvrit la flottille russe de
          feu grégeois et la mit en déroute (juin 1043) , Poursuivis dans la mer
          Noire, les survivants de cette expédition regagnèrent à grand-peine leur pays.
          Ce fut seulement en 1046 que la paix fut signée : un fils de Iaroslav
          devait épouser une princesse grecque ; on ignore les autres clauses,
          vraisemblablement commerciales et militaires .
           La révolte de Léon Tornikios en 1047 eut un
          caractère beaucoup plus grave que celle de Maniakès, dont l’entreprise fut
          isolée. Ici il s’agit d’un soulèvement général des thèmes d’Occident, exaspérés
          par la politique antimilitariste de Constantin Monomaque. Le centre de la
          révolte était Andrinople où résidaient plusieurs généraux en disgrâce et le
          chef de la conjuration était Jean Vatatzès. Les conjurés firent appel à
          Tornikios, Arménien de la famille des Pagratides dont les terres avaient été
          annexées à l’Empire. Patrice et vestiarios, il était mal vu du basileus, dont
          une sœur, Euprepia, avait au contraire pour lui une véritable inclination . Se sentant en danger
          (Constantin avait déjà voulu l’enfermer dans un monastère), et confiant dans
          des prophéties d’après lesquelles il devait régner, Tornikios quitta Constantinople
          le 14 septembre 1047 avec plusieurs chefs de l’armée et franchit en un jour les
          240 kilomètres qui le séparaient d’Andrinople. Proclamé empereur, il se mit
          aussitôt à la tête de l’armée rebelle, marcha sur la ville impériale et, le 25
          septembre, il établit son camp en face du faubourg des Blachernes. Pris au
          dépourvu, Constantin appela à son secours l’armée des thèmes d’Orient, mais en
          attendant, et bien que souffrant de la goutte, il dirigea courageusement la
          défense avec les quelques troupes qu’il avait pu rassembler et en armant les
          citadins. La lutte, fertile en péripéties, ne dura que quatre jours (25-28
          septembre). Après deux assauts qui échouèrent, Tornikios battit en retraite et
          l’armée d’Orient vint achever sa défaite (décembre 1047) .
           La guerre avec les Petchenègues (1048-1053)
          participe à la fois de l’invasion et de la révolte militaire. L’établissement
          de ce peuple turc  sur le Danube, depuis
          le règne de Basile II, présentait pour l’Empire le même danger qu’autrefois les
          Bulgares et désormais la péninsule balkanique n’était plus à l’abri des
          invasions .
           En 1048 une querelle entre le Khan
          petchenègue Tyrach et le chef militaire Kégénis obligea celui-ci à se réfugier
          dans l’Empire où il fut bien accueilli , mais, par sa
          maladresse, le gouvernement impérial entra en conflit avec Tyrach qui passa le
          Danube sur la glace avec une forte armée (décembre 1048). Grâce aux troupes des
          thèmes d’Occident appuyées par Kégénis, Tyrach subit un gros désastre :
          des milliers de Petchenègues entrèrent au service de l’Empire et furent envoyés
          en Bithynie pour marcher contre les Turcs. Mais ces barbares indisciplinés se
          révoltèrent, repassèrent le Bosphore et s’établirent dans la plaine de Sofia où
          ils furent rejoints par de nombreux compatriotes cantonnés en Bulgarie (1049) .
           Le gouvernement impérial ne put venir à
          bout de cette révolte. Trois armées impériales furent successivement battues et
          si les barbares ne purent prendre Andrinople en 1050, si Nicéphore Bryenne avec
          une armée d’auxiliaires francs et varègues les força à évacuer la Thrace et
          leur infligea une sanglante défaite, Tyrach avec d’autres bandes put
          s’installer dans la Bulgarie danubienne et occuper la Grande Preslav. L’effort
          suprême que fit Constantin en 1053 pour l’en déloger en réunissant les forces
          d’Orient et d’Occident échoua complètement et l’armée impériale mal commandée
          fut décimée au passage des Balkans . Malgré leur victoire,
          ce furent les Petchenègues qui demandèrent la paix  Leurs incursions cessèrent,
          mais beaucoup d’entre eux restèrent cantonnés en Bulgarie.
           En Orient au contraire la situation de
          l’Empire paraissait excellente. La paix avec le calife fatimite Al-Mostancer
          fut renouvelée (1047-1048) et les rapports les plus cordiaux s’établirent entre
          les deux États. Constantin IX ravitailla en blé la Syrie musulmane en proie à
          la famine (1053) et put en retour coopérer à la reconstruction du
          Saint-Sépulcre et exercer une sorte de protectorat sur les chrétiens de
          Palestine .
           Dans la région du Caucase les frontières de
          l’Empire furent élargies par l’annexion de la Grande Arménie, à vrai dire d’une
          manière peu glorieuse qui ne releva guère le prestige de Byzance. Jean Sempad
          étant mort en 1041, Constantin IX réclama à son neveu Kakig II, qui avait pris
          le titre de roi des rois, l’application du testament par lequel Sempad avait
          légué son royaume à l’Empire . Kakig ayant résisté et
          battu une armée byzantine devant Ani, Monomaque n’eut pas honte de faire
          alliance avec l’émir de Dwin, qui s’empara pour son compte de plusieurs
          territoires arméniens, et d’attirer traîtreusement Kakig à Constantinople,
          puis, sur son refus de céder son royaume, de l’interner dans une île . Mais, en l’absence du
          roi, le catholikos et les chefs arméniens livrèrent Ani et son territoire au
          stratège de Samosate : à Constantinople Kakig dut ratifier le traité et
          reçut en échange de son royaume deux petites villes sur la frontière de
          Cappadoce . Une expédition dirigée
          contre l’émir de Dwin (1045-1047) l’obligea à restituer une partie des
          forteresses arméniennes dont il s’était emparé . Quelques mois plus
          tard le gouvernement impérial intervenait avec succès dans les querelles
          intérieures du royaume de Géorgie, placé de fait sous la suzeraineté byzantine .
           Par l’annexion du royaume d’Ani l’Empire
          avait atteint son maximum d’extension , mais l’étendue
          démesurée de la frontière n’en rendait la défense que plus difficile au moment
          où elle était menacée par les Turcs et où Constantin Monomaque par sa politique
          militaire désorganisait cette défense.
           Ce fut en effet sous son règne que les
          Turcs seldjoukides commencèrent à violer la frontière de l’Empire. A la fin du xe siècle, horde formée sous
          le commandement de Seldjouk, de la tribu des Oghouz, établis près de la mer
          d’Aral, ils se mirent au service des Ghaznévides qu’ils aidèrent à conquérir
          l’Inde, puis, révoltés contre le sultan Mas’oûd, s’établirent dans le Khorassan
          (1038-1040) sous le commandement de Toghroul-beg . Attirant tous les
          Turcomans d’Asie centrale, dont le seul métier était la guerre, ils eurent
          bientôt une nombreuse armée, menaçante à la fois pour l’empire, l’Arménie et le
          califat.
           Par l’annexion de la Grande Arménie
          l’Empire semblait pouvoir défendre avec succès les principales voies
          d’invasion , mais Constantin IX
          ayant remplacé par un impôt le service de la protection des frontières, qui
          incombait aux Ibères , le nombre des défenseurs
          se trouva tellement insuffisant que les chefs byzantins adoptèrent la tactique
          qui avait réussi avec Seïf-ad-Daouleh : laisser les grosses armées turques
          passer la frontière et les attaquer à leur retour quand elles revenaient
          chargées de butin .
           Ce fut en 1048 qu’eut lieu la première
          incursion des Seldjoukides, qui ravagèrent le Vaspourakan, mais les forces
          byzantines les obligèrent à repasser la frontière . Fort heureusement pour
          l’Empire, l’infériorité numérique de la défense fut compensée par les qualités
          de premier ordre de chefs tels que Katakalon, qui infligea une sanglante
          défaite à Ibrahim, frère de Toghroul, à Gaboudrou (province d’Ararat) le 17
          septembre 1048 . Liparit, qui avait
          amené les contingents géorgiens, fut fait prisonnier et, pour le délivrer,
          Constantin IX signa une trêve avec Toghroul (début de 1050) . L’empereur ayant
          envoyé une partie des troupes d’Asie contre les Petchenègues (1052), les Turcs
          en profitèrent pour recommencer leurs attaques.Toghroul dirigea lui-même une
          campagne dans le Vaspourakan (1053-1054), mais il subit un échec devant
          Mantzikert, dont il ne put s’emparer . En somme, malgré de
          mauvaises conditions, la défense avait été efficace et l’Empire conservait ses
          frontières intactes.
           Ce fut en Occident que se produisit le
          premier fléchissement de la puissance impériale. Pendant que les provinces
          d’Orient étaient défendues avec succès contre les Turcs, les Normands faisaient
          la conquête de l’Italie byzantine. Les années qui suivent la révolte de
          Maniakès sont marquées par un nouvel afflux de ces aventuriers (1043-1046).
          C’est à cette époque que les autres fils de Tancrède de Hauteville viennent
          rejoindre leurs, frères et que Robert Guiscard arrive en Italie, où il commence
          par mener d’abord la vie d’un chevalier brigand  Ils ont pour allié
          Guaimar, prince de Salerne, qui a pris le titre de duc de Pouille et de Calabre
          et en distribue les territoires aux chefs normands . Mais ils commencent à
          oublier complètement la cause lombarde et font aux indigènes une guerre atroce,
          pillent, rançonnent, brûlent les églises, détruisent les cultures, torturent
          leurs prisonniers avec des raffinements de cruauté : leur nom est honni
          dans toute l’Italie .
           Devant cet assaut la défense byzantine est
          insuffisante et ne peut empêcher les Normands d’envahir la terre
          d’Otrante : seules les villes maritimes tiennent encore, mais leurs
          habitants sont prêts à la révolte . Argyros est rappelé à
          Constantinople (1046), où il prit une part active à la défense de la ville
          contre Tornikios et fut admis en récompense au conseil impérial . On ignore quels
          pourparlers il eut avec le basileus pendant son séjour qui dura jusqu’en 1051.
          On sait seulement qu’il entra en conflit avec le patriarche Michel Kéroularios,
          qui le priva plusieurs fois de la communion, au sujet du pain azyme employé en
          Occident pour les hosties. Cet incident montre qu’Argyros devait préconiser
          pour les populations lombardes une politique de ménagement, à laquelle le
          patriarche était formellement opposé .
           Pendant ce temps des interventions
          nouvelles se produisaient dans l’Italie méridionale à l’effet d’y rétablir un
          peu d’ordre. Ce fut d’abord celle de l’empereur Henri III, qui, après la
          déposition de trois papes, au concile de Sutri, vint installer à Rome le nouvel
          élu, Clément II (début de 1047), et tint sa cour à Capoue (3 février). Il
          affaiblit la puissance de Guaimar de Salerne en lui enlevant la principauté de
          Capoue et il fortifia la situation des Normands en donnant l’investiture des
          territoires qu’ils occupaient à Rainolf et à Dreu qui, de simples aventuriers,
          devenaient princes souverains . Et à ses dons
          l’empereur germanique ajoutait la ville de Bénévent qui avait refusé de le
          recevoir. Cette politique était défavorable aux intérêts byzantins, bien qu’en
          1049 Constantin et Henri III eussent échangé des ambassades amicales .
           En deux ans en effet la situation s’est
          modifiée et un nouveau facteur apparaît dans la politique italienne. Un nouveau
          pape réformateur énergique, Léon IX , poursuit les abus de
          toute sorte qui troublent la vie religieuse : usurpation des églises et de
          leurs biens par des laïcs, simonie, nicolaïsme, violation des canons
          ecclésiastiques aussi bien dans l’Italie méridionale que dans le reste de
          l’Europe. D’une grande activité, il tient des conciles disciplinaires à Rome
          (1049), à Siponto (1050), dépose des prélats simoniaques, fait lui-même des
          enquêtes, à Salerne, à Melfi, où il reproche aux Normands leurs déprédations . Les malheureuses
          populations le considèrent comme un sauveur ; les habitants de Bénévent se
          donnent à lui (mars 1041) et il vient prendre possession de cette ville et
          négocier avec Guaimar et Dreu (juillet) .
           
           Mais le 10 août 1051 Dreu était assassiné
          et avec lui disparaissait le seul espoir qu’on eût de discipliner les
          Normands . Argyros venait
          d’arriver de Constantinople avec le titre de magistros, duc d’Italie, Calabre
          et Sicile  et de grosses sommes
          d’argent qui lui permettraient d’acheter les chefs normands et de leur
          persuader d’aller combattre les Turcs en Orient . Cette mission ayant
          échoué, il aurait provoqué le meurtre des principaux chefs ; Dreu fut la
          seule victime de ce complot . Ce fut alors
          qu’Argyros fit alliance avec le pape Léon IX, qui se trouvait à Naples en juin
          1052 .
          On ignore les clauses de l’accord, mais le pape, déterminé à défendre les
          droits du Saint-Siège par la force, se rendit en Allemagne pour recruter des
          troupes et se faire confirmer par Henri III la possession de Bénévent .
           Cette double action fut mal combinée.
          Argyros entra en campagne avant le retour du pape et subit trois défaites
          successives, à Tarente, à Crotone et à Siponto (1052-1053) . Le pape revint
          d’Allemagne (février 1053) et avec une armée composite, où l’on voyait, à côté
          des auxiliaires allemands, des milices féodales et urbaines de l’Italie
          centrale, attaqua les Normands et subit une défaite complète à Civitate au pied
          du Monte Gargano, le 17 juin 1053 . Prisonnier des Normands
          et traité avec les plus grands honneurs, Léon IX fut ramené à Bénévent, qu’il
          ne devait pas quitter avant le mois de mars 1054 . Rentré à Rome, il y
          mourut le 19 avril suivant . Argyros envoya
          l’évêque de Trani à Constantinople demander des secours au basileus, mais
          celui-ci avait déjà reçu de l’évêque d’Ochrida la lettre qui allait déclencher
          une autre offensive contre le Saint-Siège, celle du patriarche de
          Constantinople .
           Le schisme de 1054. — Les causes du
          conflit qui s’est produit avant la mort de Léon IX entre les Églises de Rome et
          de Constantinople, sont liées intimement aux événements de l’Italie
          méridionale. L’alliance politique et militaire conclue par Argyros avec Léon IX
          et ratifiée par Monomaque  avait pour adversaire
          le patriarche Michel Kéroularios qui avait succédé à Alexis le Studite le 25
          mars 1042 . La cause de cette
          hostilité était le progrès de l’influence spirituelle du pape dans l’Italie
          byzantine dont les évêchés, occupés presque tous par des Grecs, relevaient du
          patriarcat œcuménique. Mais ce conflit de juridiction ne suffit pas à expliquer
          la violence de la lutte et le désaccord final. Il faut tenir compte du
          caractère entier et des ambitions du patriarche qui se heurtèrent à une intransigeance
          non moins grande de Léon IX et surtout du cardinal Humbert.
           Sorti d’une bonne famille bourgeoise de
          Byzance, Michel Kéroularios avait manifesté dès sa jeunesse son ambition
          politique en conspirant contre Michel IV, qu’il aurait remplacé sur le
          trône . Découvert et exilé aux
          îles des Princes avec son frère, qui se suicida de désespoir, Michel se fit
          tonsurer, fut rappelé d’exil par Michel IV et gagna la faveur de Constantin
          Monomaque, ancien conspirateur comme lui. Élevé à la dignité de syncelle qui
          lui donnait un rang dans la hiérarchie palatine , il succéda au
          patriarche Alexis bien qu’il n’eût pas reçu les ordres ecclésiastiques, ce qui
          devait permettre à Léon IX de le traiter de néophyte . En dépit des
          contradictions du témoignage de Psellos, qui fut tour à tour l’accusateur et le
          panégyriste de Kéroularios , on est frappé de
          l’autorité qu’il avait su acquérir aussi bien à la cour du basileus que dans le
          clergé et le peuple. Il devait sa popularité à de réelles qualités de
          bienveillance et de justice , mais il les mettait au
          service d’une ambition effrénée, qui n’allait à rien moins qu’à un vif désir de
          domination dans l’Église comme dans l’État.
           Au milieu du xie siècle les conquêtes temporelles et
          spirituelles des hommes d’État et des missionnaires avaient étendu prodigieusement
          les limites et le champ d’action du patriarcat de Constantinople. De grands
          pays comme la Russie, la Bulgarie, l’Arménie, la Géorgie étaient sous son
          obédience directe ou indirecte, et la paix qui régnait entre le calife fatimite
          et l’Empire favorisait les relations entre le patriarche œcuménique et ses
          collègues orientaux . Régnant ainsi sur la
          moitié du monde chrétien, Kéroularios se considérait comme l’égal du pape, dont
          il supportait mal l’ingérence sur le territoire de son patriarcat, notamment
          dans l’Italie du sud. On voit, par la lettre qu’il écrivit à Léon IX (janvier
          1054) et qui n’est connue que par la réponse du pape, qu’il réclamait non
          seulement l’autocéphalie de l’Église de Constantinople, telle que la revendiqua
          son prédécesseur Eustathe en 1024, mais qu’il exigeait l’égalité complète entre
          le pape et le patriarche byzantin . Or ses desseins
          étaient contrariés par la politique d’alliance avec Léon IX, inspirée au
          basileus par Argyros, d’où la haine du patriarche contre le duc d’Italie et son
          attaque brusquée contre l’Église romaine. A ce moment les rapports entre la
          papauté et Byzance étaient loin d’être rompus , comme le prouve
          l’envoi à Rome de la synodique, à son avènement en 1052, du patriarche
          d’Antioche, Pierre, ancien clerc de Sainte-Sophie . Ce fut donc bien
          Kéroularios qui prépara cette rupture.
           Elle prit la forme d’une véritable querelle
          cherchée à l’Église romaine sur ses rites et ses usages. En septembre 1053
          l’archevêque d’Ochrida, Léon, ancien clerc de Sainte-Sophie, écrivit à Jean,
          archevêque de Trani, une lettre dans laquelle il blâmait l’usage du pain azyme
          par les Latins dans l’eucharistie, ce qui était pour lui un reste de judaïsme,
          ainsi que le jeûne du sabbat et, reproche plus blessant encore pour les
          réformateurs occidentaux, il s’élevait avec violence contre le célibat des
          prêtres .
           Que cette lettre fût inspirée par le
          patriarche, c’est ce que prouve la suite des événements : le traité du
          moine Nicétas Stéthatos de Stoudios contre les usages latins  et la fermeture
          violente des églises de rite latin à Constantinople . Par cette triple
          offensive Kéroularios rendait tout accord impossible.
           L’évêque de Trani avait communiqué la
          lettre de Léon d’Ochrida au cardinal Humbert qui la traduisit en latin pour la
          montrer au pape . Dès lors commença une
          correspondance active entre Léon IX, l’empereur Constantin et Kéroularios . Loin d’améliorer les
          rapports entre les deux Églises, ces lettres, pleines de récriminations, ne
          firent qu’envenimer le conflit. Il semble bien cependant que dans sa deuxième lettre
          au pape (janvier 1054) le patriarche, probablement suivant les instructions
          impériales, ait fait un effort de conciliation, mais en même temps, nous
          l’avons vu, il exigeait l’égalité complète avec le pape .
           Dès lors les événements se précipitèrent.
          Dans l’espoir de faire agir l’empereur sur la volonté du patriarche, Léon IX
          envoya à Constantinople trois légats accrédités auprès du seul basileus et il
          les choisit parmi les défenseurs les plus ardents de la réforme
          ecclésiastique : le cardinal Humbert , Frédéric de Lorraine,
          chancelier de l’Église, Pierre, évêque d’Amalfi, tous incapables de faire la
          moindre concession au patriarche. L’inévitable se produisit donc : deux
          intransigeances se heurtèrent et la rupture fut consommée. Les légats reçus
          avec honneur par le basileus n’eurent point la moindre conférence avec le
          patriarche, qui affecta de les considérer comme de faux légats envoyés par
          Argyros . Le seul succès obtenu
          par eux fut la rétractation solennelle de Nicéphore Stéthatos (24-25
          juin) , mais le patriarche
          resta irréductible. Alors le 15 juillet 1054, à Sainte-Sophie, en présence du
          peuple assemblé pour l’office quotidien, ils déposèrent sur l’autel une bulle
          d’excommunication , puis, après avoir
          consacré des églises de rite latin, ils partirent. Le patriarche voulut alors
          conférer avec eux et ils avaient déjà atteint Selymbria quand on les rappela,
          mais l’empereur, flairant un piège, exigea d’être présent à la conférence.
          Kéroularios ayant refusé d’accepter cette condition, les légats continuèrent
          leur voyage .
           A cette excommunication le patriarche
          répondit en déchaînant une émeute à Constantinople et il fallut pour l’apaiser
          que l’empereur fît emprisonner le fils et le gendre d’Argyros et fouetter
          l’interprète qui avait traduit la bulle en grec . Mais il restait à
          accomplir l’acte décisif qui répondrait à la bulle d’excommunication par une
          autre excommunication et romprait ainsi toutes les relations religieuses entre
          Rome et Constantinople. Kéroularios réunit dans les catéchumènes de Sainte-Sophie
          un synode auquel prirent part 12 métropolites et 2 archevêques. L’édit synodal
          qu’ils rédigèrent reproduisait en partie l’Encyclique de Photius aux évêques
          d’Orient et énumérait tous les griefs du patriarche contre l’Église romaine
          ainsi que toutes les erreurs reprochées aux Latins. Le 20 juillet, au Grand
          Tribunal du patriarche, l’anathème fut lancé contre la bulle pontificale et sur
          ses rédacteurs, puis, le 25 juillet, tous les exemplaires de la bulle furent brûlés
          devant le peuple, à I’exception d’un seul qui fut déposé aux archives patriarcales .
           Ce schisme était une victoire pour le
          patriarche, soutenu par la plus grande partie du clergé , mais il était une
          défaite pour le pouvoir impérial et il peut être regardé comme la première
          manifestation de l’antinomie qui s’est affirmée de plus en plus entre les
          intérêts de l’Église orthodoxe et ceux de l’Empire.
           La fin de la dynastie macédonienne. — Constantin
          Monomaque ne survécut que quelques mois à ces événements et mourut le 11 janvier
          1055. Suivant la doctrine légitimiste, le pouvoir revenait à Théodora, dernier
          rejeton de la famille macédonienne. Bien que Constantin ait essayé de l’écarter
          du trône, ce fut elle qui lui succéda . On pensait qu’elle
          prendrait un prince-époux, mais les eunuques qui l’avaient portée au pouvoir
          écartèrent cette solution. Nicéphore Bryenne, cantonné avec son armée en Asie
          Mineure, s’avança jusqu’à Chrysopolis, mais fut déclaré rebelle et
          emprisonné . Le patriarche Kéroularios,
          qui voulait peut-être donner à Théodora un époux de son choix, essaya en vain
          de s’ingérer dans son gouvernement et fut écarté . On tenta même de le
          compromettre dans le procès intenté à deux moines thaumaturges de Chio et à la
          voyante qu’ils exhibaient : Kéroularios, qui s’intéressait aux sciences
          occultes, avait avec eux de nombreux rapports et les protégeait .
           Théodora exerça donc seule l’autorité et se
          montra très active, s’occupant d’ambassades, de justice, de lois. En réalité
          ses eunuques gouvernaient l’Empire sous son nom et elle leur distribuait les
          grandes charges dont elle destituait les conseillers de Constantin IX et les
          meilleurs chefs des armées . Ce fut sous son règne
          que s’exaspéra la rivalité, déjà sensible sous Monomaque, entre le gouvernement
          du Palais et l’aristocratie militaire.
           A l’extérieur ce règne de 19 mois fut
          néfaste pour l’Empire. La disgrâce des conseillers de Monomaque eut pour effet
          l’arrêt malencontreux de l’action qu’ils exerçaient dans les pays étrangers,
          leurs successeurs prenant le contre-pied de leur politique et engageant
          l’Empire dans de nouveaux conflits. L’exemple le plus typique est la rupture de
          la paix avec le calife fatimite, qui avait été le fondement de la politique
          étrangère des règnes précédents : Théodora voulant transformer en alliance
          la convention par laquelle Constantin IX s’était engagé à ravitailler en grains
          les sujets syriens du calife et celui-ci ayant refusé, les envois de grains cessèrent.
          Al-Mostancer répondit à cette mesquinerie en interdisant l’entrée du
          Saint-Sépulcre aux pèlerins et en molestant les chrétiens de Jérusalem . Par contre le Turc
          Toghroul-beg était devenu le maître dans le califat de Bagdad et exigeait que
          son nom fût substitué dans la prière à celui du calife fatimite à la mosquée de
          Constantinople . Du côté de l’Italie,
          en dépit du schisme, on constate un nouvel effort pour organiser une alliance
          avec le pape contre les Normands. Argyros revient à Constantinople au moment
          même de la disgrâce du patriarche, et sa politique d’alliance avec les
          puissances d’Occident reçoit l’approbation de Théodora qui accueille un
          ambassadeur d’Henri III et le renvoie avec une ambassade byzantine chargée de
          négocier un traité d’alliance entre les deux empires .
           Ce fut seulement lorsqu’ils virent Théodora
          à l’article de la mort que ses conseillers s’avisèrent de lui donner un
          successeur. Il s’agissait pour eux d’écarter du trône les chefs d’armée et de
          découvrir un homme incapable de leur enlever la direction des affaires. Leur
          choix se porta sur un vieux sénateur, ancien intendant de la caisse militaire,
          Michel le Stratiotique , « homme simple et
          inoffensif, ne connaissant rien en dehors de l’administration de
          l’armée » . Pour légitimer son
          élévation, on le fit adopter par Théodora et le patriarche ne put faire
          autrement que de le couronner  : il se garda bien
          de prendre au sérieux la tentative d’un parent de Constantin Monomaque, le
          proèdre Théodose, pour s’emparer du trône quelques heures avant la mort de
          Théodora .
           Le règne de Michel VI, qui dura un an et
          dix jours, ne fut qu’une longue lutte du gouvernement des eunuques, dont le
          basileus n’était que le porte-parole, contre les chefs de l’armée . Aucune occasion de les
          humilier n’était perdue et toutes leurs demandes étaient systématiquement
          repoussées . L’incident décisif fut
          celui du dimanche de Pâques, 30 mars 1057 ; à l’audience solennelle dans
          laquelle le basileus avait coutume de faire des largesses parurent les
          principaux chefs de l’armée d’Asie ; Michel Bourtzès, Constantin et Jean
          Doukas, Isaac Comnène, Katakalon, résolus à faire une démarche collective
          auprès de Michel ; mais à leurs demandes il répondit par des éloges et de
          bonnes paroles et, comme ils insistaient, il entra subitement en fureur et se
          mit à les invectiver . Le résultat de cette
          scène fut le complot qu’avant de se séparer les chefs militaires ourdirent à
          Sainte-Sophie avec la connivence du patriarche on convint de demander l’appui
          de Bryenne, stratège des contingents macédoniens de Cappadoce, et d’élever
          Isaac Comnène à l’Empire .
           La révolte faillit échouer faute d’entente
          entre les conjurés. Trop impatient de se soulever, Bryenne se fit prendre, fut
          aveuglé et envoyé enchaîné à Constantinople . Ce fut alors que les
          conjurés se décidèrent à agir. Le 8 juin 1057 Isaac Comnène était proclamé empereur
          à Gomaria en Paphlagonie , où Katakalon, après
          avoir entraîné son armée en produisant un faux ordre de Michel VI, vint rejoindre
          les chefs rebelles (juillet) . Tous les thèmes d’Asie
          reconnurent Isaac Comnène et l’armée, très bien disciplinée, marcha sur Constantinople,
          infligea une défaite meurtrière aux troupes d’Europe, envoyées contre elle par
          Michel, devant Nicée (20 août) . Dans le plus complet
          désarroi, Michel VI dépêcha à Comnène Psellos et plusieurs sénateurs, lui promettant
          le titre de César s’il licenciait son armée (24 août) . Isaac reçut les
          envoyés à Nicomédie au milieu d’un appareil guerrier, mais il était en fait
          d’accord avec eux et il leur donna des instructions pour ses partisans et des
          contre-propositions fictives pour Michel VI. Celui-ci se déclara prêt à tout
          accepter et renvoya les ambassadeurs à Comnène (30 août). Mais à peine
          étaient-ils partis qu’une émeute éclatait à Constantinople et le patriarche,
          secrètement d’accord avec les révoltés, feignait de se laisser imposer par la force
          la proclamation de Comnène et envoyait à Michel une députation de métropolites
          qui engageaient le vieux basileus à abdiquer et à entrer dans un monastère.
          Michel VI ne fit aucune résistance.
           Kéroularios se trouva pendant un jour le
          maître de Constantinople. Il fit proclamer partout Isaac Comnène et toléra des
          représailles contre les ennemis du nouveau basileus, dont les émeutiers
          allèrent détruire les maisons . Le jour suivant Isaac
          Comnène, arrivé à Chrysopolis, faisait une entrée triomphale dans le port de
          Constantinople sur un navire couvert de fleurs, au milieu des
          acclamations .
           
 
             LIVRE DEUXIÈME. L’EMPIRE ROMAIN HELLÉNIQUECHAPITRE III. — Le déclin et la chute (1057-1204)  
                  
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