HISTOIRE DE LÉON X ET DE SON SIÈCLE
PAR
J.-M. AUDIN
CHAPITRES
5.L’ITALIE A LA MORT DE LAURENT (1492).
6.RETOUR A FLORENCE (1492—1493).
7. CHUTE DES MÉDICIS (1494-1495).
8. SAVONAROLE (1494-1497),
9. SAVONAROLE (1498).
10.
MORT DE PIERRE DE MÉDICIS (1498-1503).
11. JULES II (1503-1512).
12. DÊLIVRANCE DU LÉGAT DE JULES II (1512)
13.JULES II, PROTECTEUR DES ARTS ET DES LETTRES.
14.
RÉTABLISSEMENT DES MÉDICIS. — MORT DE JULES II (1513).
15.
LÉON X, PAPE (1513).
16.
PREMIERS ACTES DE LÉON X (1513).
17.
SADOLET. — BEMBO. — BIBBIENA.
18.
CONCILE DE LATRAN (1513 et SUÎV.).
19.
LE CONCILE DE LATRAN. — LES MONTS-DE-PIÉTÉ (1513 et
SUÎV.).
20. LE CONCILE DE LATRAN. — LA PRESSE.
21.
LA VATICANE. — TACITE. — MANUSCRITS (1514-1513).
22. LE GYMNASE ROMAIN (1515).
23.
MARIGNAN. — MATH. SCHINNER (1515).
24.
ALLIANCE AVEC LA FRANCE (1515).
25.
CONCORDAT (1516).
26. EXPÉDITION DE MAXIMILIEN. — GUERRE D’URBIN (1516).
27. CONSPIRATION DES CARDINAUX (1516-1517).
28.
NOMINATION DE CARDINAUX (1517).
29.
THÉOLOGIE. — LINGUISTIQUE.
30.L'HISTOIRE
31.
POÉSIE. — POETES.
32.
PEINTURE. — RAPHAËL.
33.
PEINTURE. — RAPHAËL.
34.
PEINTURE. — RAPHAËL.
35.
PEINTURE. — RAPHAËL.
36.
GUERRE CONTRE LES TURCS.
37.
CAUSES DE LA RÉFORME.
38.
LA RÉFORME (1518).
39.
LA RÉFORME (1519-1520).
40.
LA RÉFORME.
41.
DERNIERS ÉVÈNEMENTS. — MORT DE LÉON X (1521).
42. L'HOMME INTIME
PREFACE
Au commencement du seizième siècle, à la renaissance des
lettres, deux hommes quittaient l’Allemagne, leur patrie, pour visiter
l’Italie. L’un, monté sur une mule, traversait à petites journées les Alpes,
emportant pour se distraire en chemin quelques satiriques grecs et latins;
l’autre suivait sur un cheval de bataille l’empereur Maximilien Ier dans
l’expédition du Milanais. De nos deux voyageurs, l’un était prêtre et se
nommait Érasme; l’autre était poète et s’appelait Ulrich de Hutten; tous deux,
ennemis du capuchon, s’arrêtaient pour écrire une épigramme contre le moine qui
passait à leurs côtés. Érasme était alors le roi de l’ironie ; son bonheur et
sa gloire peut-être étaient de faire la guerre aux péchés d’habitude qu’il
prêtait à tout ce qui portait un froc. Ces péchés étaient au nombre de sept,
comme dans le catéchisme. Pour ridiculiser les moines, il avait imaginé une
foule de joyeusetés qui couraient les écoles, et devenaient bientôt autant
d’apophthegmes, parce qu’il avait un rare talent de narrateur; qu’il savait
parer une médisance, enchâsser une calomnie, mettre en œuvre un mensonge, et
donner à tout ce qui s’échappait de sa plume ou de ses lèvres un tour fin et
spirituel. Du reste, comme il ne faut pas que nous tombions dans le péché que
nous reprochons à notre Balave, nous devons, pour
être juste, confesser que l’épigramme de Désidérius n’allait pas au-delà de l’épiderme; qu’elle égratignait, mais ne faisait pas
couler le sang.
Ulrich de Hutten ne ressemble à Érasme ni de figure, ni
de vêtement, ni de style. Sa poitrine est emprisonnée dans un corselet de fer
travaillé à Nuremberg; à ses côtés pend une longue épée; ses talons sont armés
d’éperons en forme de crocs, et ses deux cuisses cachées sous des écailles
d’acier poli. Son ironie, car il rit aussi, déchire comme son éperon; sa
moquerie a une odeur de sang; son épigramme sent le corps de garde, et sa gaîté
monte au cerveau comme la fumée de ce bois de gaïac dont il a célébré les
vertus.
Érasme donc et Ulrich de Hutten se trouvaient à peu près
en même temps en Italie, au moment où Jules II partait pour la conquête de
Bologne. Ni l’un ni l’autre ne comprirent le pontife-roi.
Hutten s'attache d’abord à la forme extérieure. La figure
de Jules II, que Michel-Ange prit pour modèle en taillant son Moïse, l’effraye;
il en fait un Sarmate à la barbe épaisse, à la chevelure ondoyante, à l'œil
hagard, aux lèvres gonflées de colère.
Alors, comme s’il tremblait à cette apparition, il
appelle un autre Brutus pour délivrer Rome de ce nouveau Jules: Rome,
assure-t-il, qui meurt dans l’esclavage si quelque poignard ne la débarrasse du
tyran.
Hutten, qui a dans les veines du sang germain, se lamente
chaque fois qu’une forteresse tombe au pouvoir du Saint-Siège. Il a rêvé que
le beau ciel, les plaines fécondes, les montagnes couvertes de vignes et d’oliviers,
les fleuves et les rivières de l’Italie appartiennent en toute propriété à son
empereur Maximilien. Dans ses préoccupations teutonnes, il ne s’aperçoit pas
que, si son empereur osait loucher à une seule pierre du patrimoine de
l’Église, Venise viendrait avec son d’Alviane,
l’Espagne avec son Gonzalve de Cordoue, la France
avec son Gaston de Foix, pour lui en disputer la possession.
Jusqu’où va la passion d’Ulrich! Sur la place de
Saint-Pierre, de nombreux ouvriers sont occupés à élever une basilique dont
Jules II conçut l’idée et Bramante le plan; il a traversé cette place et il
n’y a trouvé que deux maçons, dont l’un était boiteux: les pierres crient,
lapides clamant, et il n’entend pas.
Nous nous trompons, le poète a repris un moment l’usage
de ses sens, le soleil de Rome lui a rendu la vue, mais voici tout ce qu’il
aperçoit:
Une tourbe d'avocats, de juristes, de procureurs, de
bullistes, attachés comme autant de mouches à sa pauvre Allemagne, dont ils
aspirent le sang : mais, de toutes les intelligences chrétiennes qui vivent à
Rome, il n’en a pas vu une seule.
Alors, dans sa colère, il s’écrie :
« Brisons nos fers et jetons bas leur joug. »
Ces cris, exhalés en beaux vers, traversent le Rhin, vont
remuer les esprits de Franconie et préparer le grand schisme qui coûtera
bientôt tant de larmes à l’humanité. Les peuples allemands croient au récit
d’un voyageur qui a décrit, en courant à cheval, les mœurs d’une nation, et ils
pleurent, aux dithyrambes du poète, sur la dégradation de toutes ces
intelligences méridionales, à qui Dieu pourtant, dans sa bonté, avait donné,
disait-on, pour habitation, cet autre paradis terrestre, où l’oranger croît en plein
champ, terre dont Hutten conteste aussi les splendeurs.
Hutten et Luther haïssent tout ce qui sort du monde
latin, et, dans leurs préjugés, ils ne font pas plus grâce au sol qu’à l'homme:
pour Luther la rampe verdoyante du Poltersberg nourrit plus de fleurs que toutes les montagnes de l’Italie; pour Hutten, le
tilleul de la Franconie est mille fois plus beau que le hêtre de la campagne de
Rome.
A l’exception de Jules II, et nous dirons pourquoi,
Érasme a respecté tout ce qui, de son temps, porta la tiare. Mais il s’est
dédommagé de ce silence obligé, en dénigrant tout ce qui avait un froc, en
Allemagne comme en Italie. En Allemagne, c’est à l’intelligence qu’il s’est
attaqué surtout; en Italie, ce sont les mœurs qu’il a poursuivies : ces mœurs,
il ne les a guère connues, car rarement il est descendu dans un monastère. Il
lui suffît de deux ou trois épigrammes, comme chaque nation en possède, sur le
clergé conventuel, pour immoler les moines à sa risée. Hutten et Érasme se
seraient bien gardés d’aller visiter un de ces monastères où ils prenaient
plaisir à loger tant de fabuleuses folies: ils auraient trouvé, agenouillé
dans une petite chapelle, un pauvre frère qui, les mains jointes, priait Dieu
de le délivrer de ces dignités mondaines que le pape lui imposait, et qu’il
était obligé d’accepter par obéissance, car l’obéissance aussi à ses martyrs!
Mais que leur faisait la vérité? ils emportaient avec eux un roman ingénieux
disposé en drame, et qui ne devait voir le jour qu’en Allemagne: car ils n’ont
osé imprimer en Italie aucune de leurs bouffonneries antimonacales; et
cependant, à cette époque, de tous les pays du monde, l’Italie seule jouissait
du privilège de penser et d’écrire librement.
Un historien contemporain a déjà remarqué la couardise
d’Érasme. « Tant que le philosophe est en Italie, dit Adolphe Muller, il fait
l’éloge de cette nation, même dans ses épîtres familières. Mais, quand les
Italiens se vantent hautement d’avoir été ses maîtres, le Batave orgueilleux
s’irrite et se met à les dénigrer. »
Lorsque nous conçûmes le projet d’écrire cette grande
révolte contre la foi de nos pères qu’on appelle Réforme, nous pensâmes que
notre devoir était de visiter le pays qui en avait été le berceau. Il nous
tardait d’apprendre si ces théologiens, moines pour la plupart, qui
combattirent Luther, avaient été, comme il osa le dire, déshérités du ciel; si
Dieu avait abandonné des créatures qu’il avait suscitées pour défendre son
Église; si la vérité n’avait eu pour athlètes que des intelligences privées de
raison; et nous fûmes heureux, en exhumant de la poussière cette légion de
nobles défenseurs du catholicisme, de voir que nous avions été trompé, et le
monde avec nous; que la parole d’Eckius, de Faber, de Priérias était aussi splendide que Luther la faisait
terne, et que l’illumination d’en haut n’avait pas plus manqué que le courage à
tous cés nobles preux en Jésus-Christ. A vrai dire, il nous répugnait de croire
que leur piété envers notre vieille mère n'eût pas été récompensée dès cette
vie.
La même pensée, qui nous poussait vers l’Allemagne, nous
a conduit en Italie. Luther l’avait visitée en 1510. Dans quelques fragments de
ses Tisch-Reden, il nous a raconté sous quelles
impressions il avait repassé les Alpes; mœurs et intelligence, il n’a rien
épargné. L’intelligence de ses hôtes a été magnifiquement vengée ; c’est le
temps, cet historien sans peur, qui s’est chargé de leur réhabilitation.
Jamais époque ne fut attaquée avec plus de méchanceté
que la Renaissance en Italie: la Réforme a su rendre séduisant le mensonge à
force de parure. Des catholiques, en se faisant l’écho des plaintes exhalées
au-delà du Rhin, souvent par des âmes passionnées qui n’avaient jamais traversé
les Alpes, n’ont pas compris, que, pour colorer sa rébellion, l’erreur avait eu
besoin de nous tromper. Elle avait besoin de nous faire croire qu’avant la
venue de Luther, le grand arbre catholique, «sorti d’un petit grain de sénevé,» n’abritait plus de ses ombres que des âmes qui avaient éteint volontairement
en elles la lumière du Père céleste; car, sans cela, comment lui pardonner sa
révolte ? Elle avait besoin de démontrer que le chef de la catholicité avait
altéré le dépôt des vérités qu’il avait reçu de saint Pierre, étouffé cette
voix du Christ qui devait régénérer le monde, corrompu et souillé la parole de
Dieu; car, sans cela, comment justifier ses insultes à la papauté? Elle avait
besoin de prouver que les grandes dignités ecclésiastiques, qui ne devaient
être que le prix de la foi et des lumières, étaient le lot de l’orgueil et de
l’ignorance ; car, sans cela, pourquoi ses tentatives contre l’épiscopat? Il
fallait encore qu’elle nous révélât que dans ces monastères ultramontains,
jadis séjour de la prière et des vertus, toute étincelle de foi s’était
éteinte, qu’à la vie de l’âme avait succédé la vie du corps, et que l’homme
avait remplacé l’ange ; car, sans cela, pourquoi cette sécularisation des
couvents qu’elle provoquait partout sur son passage ?
Voilà les plaintes que fit entendre la Réforme par la
bouche de ses apôtres, mais dépouillées de ces injures qu’elle leur donnait
pour ornement ou pour appui. Notre devoir était d’en vérifier la sincérité dans
cette Rome chrétienne d’abord, dont elle avait prédit la chute, en témoignage
même de la vérité des accusations qu’elle avait formulées. Il y a longtemps que
Rome serait tombée, si elle eût ressemblé à l’image que Wittemberg en avait tracée.
Nous avons cherché sérieusement à étudier la papauté sous
deux sortes d’aspects, telle qu’elle s'est produite à la Renaissance: comme
fille du Christ dans ses attributions toutes spirituelles, comme puissance temporelle
dans ses actes tout humains. Nous la verrons sous ces deux représentations.
Léon X a été malheureux : il n’a pas plus échappé aux
calomnies qu’aux louanges de la Réforme: l’éloge, dans les termes qu’il est
formulé, ferait plus de tort à la mémoire du pape que l’insulte même. Le protestantisme
en fait un humaniste érudit, un poète brillant, un lettré de la Renaissance
enfin, tout occupé, sur la chaire de saint Pierre, de vanités mondaines: ce
qu’il y a de plus douloureux, c’est qu’il a donné le change à l’opinion
catholique, qui répète des jugements inspirés par la passion. Tout en acceptant
les louanges que lui ont décernées à dessein les écrivains de la Réforme, nous
réclamons pour Léon X une gloire plus durable que celle qui trouve ici-bas son
prix dans l’admiration et les applaudissements des hommes; et cette gloire, que
Dieu seul peut donner, il faudra bien la lui restituer quand nous le verrons
dans le cours de sa vie, si courte et si pleine, pratiquer tous les préceptes
de l’Évangile, qu’enfant il avait étudiés à Florence; conserver dans l’exil
celte chasteté de mœurs qui défia, suivant l’expression d’un écrivain
contemporain, jusqu’au soupçon lui-même! vivre, au
milieu des humanistes romains, à la manière des chrétiens de la primitive
Église ; jeûner, prier, et, rude à lui-même, faire maigre trois fois la
semaine, répandre autour de lui d’abondantes aumônes, et, quand Dieu l’eut
constitué chef de l’Église, donner au monde le spectacle des vertus chrétiennes
les plus éminentes.
Nous le verrons au concile de Latran, poursuivant l’œuvre
glorieuse commencée par Jules II, et qui devait s’accomplir à Trente: la
Réforme de l’Église. Il y a bien longtemps que la papauté travaillait à
l’amélioration intellectuelle et morale du clergé : elle voulait une Réforme ;
Nicolas V, Sixte IV, Innocent VIII, en avaient proclamé la nécessité. Que si
vous cherchez dans le cahier des doléances écrit par l’Allemagne à Nuremberg,
vous n’y trouverez pas un des griefs que les Ordres ont formulés, et auquel la
papauté n'eût déjà tenté de faire droit. Certes, s’il est une page où Léon X se
montre dans toute sa grandeur chrétienne, c’est à Latran quand il écoute les
gémissements des cœurs catholiques, et que sous son inspiration le concile
promulgue ces règlements dont la sagesse n’a point été assez appréciée, qui
vivent encore, et qui seront comme l’éternelle gloire de l’Église et du vicaire
de Jésus-Christ. Nous donnerons l’analyse des actes du concile, et l’on nous
dira si Léon X faillit à sa mission apostolique. Ouvrez les livres de tous ceux
qui ont écrit la vie de ce pape ; ils passent les yeux fermés devant ces
travaux véritablement évangéliques.
Nous l’étudierons surtout dans les lettres écrites sous
les noms de Bembo et de Sadolet; œuvre incontestable du pape, parce qu’on y
reconnaît à chaque ligne les qualités de son esprit, de son cœur et de son
style. Et en vérité, si, dans ces confidences intimes, il est des pages pour le
politique, l’humaniste, l’artiste et le lettré, il en est un bien plus grand
nombre pour le chrétien qui veut, avant tout, entendre le vicaire de
Jésus-Christ. Ne cherchez pas ailleurs l’histoire du pontife, c’est-à-dire son
âme : elle est là tout entière.
Expliquons clairement notre pensée: notre livre nouveau
est le complément de notre œuvre sur la Réforme.
Si dans L’Histoire de Luther nous avons démontré que,
hors de l’unité catholique, il n’y a plus que désordre dans les intelligences,
anarchie dans les doctrines, doute et négation dans la pensée. Si dans
L’Histoire de Calvin nous avons prouvé que, hors de l’unité catholique, la
Réforme avait été obligée, pour vivre et pour se perpétuer, de tomber dans le
despotisme; dans V Histoire de Léon X, nous voulons faire voir que, sous cette
papauté répudiée si violemment par la Réforme, il y avait unité, foi, lumière,
liberté. Ici, pas de dispute théologique ; le fait est un argument assez
lumineux.
Nous savions bien qu’avant nous d’autres écrivains
avaient raconté la vie de nos héros, mais leur pensée n’était pas la nôtre;
aussi avons-nous tâché de ne pas les imiter. Un de ces historiens, qui
travaillait à la manière des bénédictins, Roscoe, a tracé le tableau du régne de Léon X; mais tableau tout mondain, où le pape
n’est présenté que sous l’une de ses faces. Quand on a lu Roscoe, on connaît
l’artiste, on ignore le chrétien. C’est une réhabilitation du caractère de Léon
X que nous tentons aujourd’hui; c’est Léon X aussi dans son œuvre religieuse,
inconnue à la plupart des lecteurs, que nous avons essayé d’apprécier.
Mais ne nous plaignons pas du silence et de l’oubli de
Roscoe: pourrions-nous demander à un disciple de Knox l’amour filial d’un
catholique pour son père? Sachons gré à l’historien anglican de tout ce qu’il a
mis souvent d’impartialité dans son récit en écrivant la vie de Léon X; sans
lui, peut-être n’aurions-nous pas entrepris notre ouvrage. A une époque de
difficiles investigations, il pénétrait dans les archives et dans les
bibliothèques publiques et particulières, conférait des manuscrits qu'on
prêtait avec peine, puisait aux sources officielles les documents nombreux et
variés qui devaient entrer dans sa composition littéraire. Roscoe, en nous
traçant notre marche, nous avait indiqué notre devoir.
Comme Roscoe, c’est en Italie même que nous avons
rassemblé les matériaux de notre ouvrage
Notre première visite devait être naturellement à celte
Rome, encore brillante des splendeurs dont l’a dotée Léon X. Là nous avons
retrouvé celle papauté dont la Réforme compta les jours.
A nous, voyageur inconnu, n’apportant pour tout trésor
qu’une foi vive, le souverain pontife a ouvert ses bras comme il eût fait à un
roi des lettres: la Vaticane était là, il nous en a livré tous les trésors.
Nous avons pu consulter tout ce que nous demandions de documents à ces immenses
archives, où nous avons été introduit par Mgr Laureani,
dont le zèle égale les lumières.
A tous ceux qui voudraient écrire l’histoire, abrités par
de doux silences, nous dirons: Allez à Rome; vous y trouverez de riches
bibliothèques, comme celles de la Minerve et des Augustins, ouvertes à diverses
heures de la journée. Ne craignez pas de tourmenter la patience des
conservateurs : la patience entre dans leurs attributions; c’est une vertu que
le supérieur leur recommande et que Dieu leur accorde pour salaire. Manuscrits,
livres, brochures, tout est à vous, jusqu’à l'intelligence des gardiens, trésor
qu’ils sont obligés de donner à qui en a besoin. Vous seriez bien malheureux en
quittant ces vastes nécropoles, si vous n’emportiez avec vous l’amitié des
Pères à qui la garde en fut confiée. Vous faut-il de nouvelles lumières ? vous
avez les membres du Sacré Collège que vous pourrez visiter sans vous être fait
annoncer, et qui sont toujours prêts à rendre des services comme des arrêts.
Nous ne pouvions oublier Florence, qui tint une si belle
place dans les destinées et les affections de Léon X. La Magliabeccbiana,
les archives du palais Pilti, nous ont fourni de
curieux renseignements sur des hommes et des faits littéraires du seizième
siècle. Nous avons visité tous les lieux où des personnages de notre récit se
sont trouvés en scène : Fiesole, dont le prieur chérit si tendrement Léon X; Gareggi, où Laurent le Magnifique dissertait avec Ficin sur
le néoplatonisme; le palais de la Via Larga, d’où le
peuple chassa, dans un transport de colère, ces rois marchands qu’on nommait
les Médicis ; le couvent des dominicains, qu’habita longtemps un moine du nom
de Savonarole, dont nous avons essayé d’apprécier le génie religieux et
politique. Là vivent, comme à la Minerve de Rome, dans la pratique des lettres
et des vertus, des religieux qu’il est impossible de ne pas aimer. Pour le
mystérieux génie qui traversa si glorieusement leur cloître, tous conservent un
culte d’amour et d’admiration. Nous avons raconté les fautes de Savonarole,
sans crainte d’offenser ces saintes âmes, parce qu’à la robe blanche du
dominicain nous préférons la vérité, ce que du moins nous croyons la vérité.
A l’époque que nous nous proposons de décrire, la papauté
fut plus d’une fois obligée de défendre, les armes à la main, la nationalité
italienne. Nous la suivrons sur le champ de bataille, moins pour raconter les
péripéties du combat, que pour faire connaître quelques-uns des principaux
personnages qui s’y trouvèrent mêlés. Il est une grande figure historique qu’on
a pris à tâche de dénigrer et que nous essayerons de réhabiliter, celle de
Mathieu Schinner, évêque de Sion et légat de Jules II:
c’est dans l’abbaye de Saint-Maurice en Valais que nous l’avons étudiée.
L’art de la Renaissance, et sous ce terme nous
comprenons la peinture, la sculpture, la poésie, les lettres, devait avoir une
large place dans notre histoire : nous la lui avons donnée. Il est un peintre,
le commentaire en quelque sorte de Léon X, que nous nous sommes attaché surtout
à faire apprécier: c’est tout à la fois dans l’Ombrie où se passa son enfance,
au Vatican où l’appela la papauté, que nous suivrons Raphaël.
M. Passavant, dont l’ouvrage récent a fait une si vive
sensation en Allemagne, nous fournira de curieux documents sur celui qu’il a
poétiquement nommé : «Je plus bel astre du firmament de l’art»
Et maintenant, puissent les hommes d’études sérieuses
lire ces pages, que nous leur abandonnons, avec la même attention que nous les
avons écrites.
Goethe a dit :
«L’historien a un double devoir à remplir, d’abord envers
lui-même, puis envers ses lecteurs: pour se satisfaire lui-même, il est obligé
de s’assurer que les faits qu’il rapporte sont réellement arrivés; pour
satisfaire ses lecteurs, il est obligé de les prouver»
Nous pensons avoir rempli ce double devoir.