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LE CŒUR DE NOTRE-DAME MARIE DE NAZARETH:

UNE HISTOIRE DIVINE

 

 

 

HISTOIRE DE LÉON X ET DE SON SIÈCLE

 

CHAPITRE III.

JEAN DE MÉDICIS A PISE. 1489—1492.

 

Jean poursuivait le cours de ses études; à douze ans il connaissait le grec, le latin, et lisait à livre ouvert Homère et Virgile: c’était l’orgueil de ses maîtres. Le vieux Chalcondyle, obligé de quitter la chaire de littérature grecque autour de laquelle, depuis l’apparition récente de Politien, ne se pressaient plus que de rares écoliers, avait trouvé dans le palais des Médicis un asile où les caresses de Jean le consolaient de l’injustice de ses anciens élèves. Jean n’avait pas voulu l’abandonner. On reprochait ù Chalcondyle une phrase incolore, une parole sans vie, une diction sans jet ni flamme: on le comparait a un rhéteur à jeun. L’écolier florentin, de sa nature si mobile, l’avait un beau malin, quand il s’apprêtait à discourir sur Platon, brisé comme un musicien brise un violon qui ne rend plus de sou. Le vieux professeur, les larmes aux yeux, avait été contraint de s’exiler de cette chaire si souvent témoin de ses triomphes, et d’aller se consoler dans la demeure de ses maîtres, du moins il ne pouvait plus entendre les applaudissements qu’on prodiguait à son rival, qui resta toujours son ami. Ses souffrances venaient d’avoir un terme: il trouva dans la Via Larga un enfant dont les embrassements lui firent oublier l’ingratitude de tout ce qu’il est au monde de plus capricieux, après les rois peut-être, l’écolier des grandes cités, qui ne voit dans son maître qu’un acteur qu’il abandonne quand sur sa tête un cheveu commence à grisonner. Dieu, soyons-en sûrs, n’oubliera pas le baiser de l’enfant: devenu grand, Jean éprouvera l’inconstance des hommes, et il sera trop heureux de trouver dans le malheur un ami fidèle: Bibbiena payera la dette de Chalcondyle.

Laurent de Médicis avait pris à son service Bernard Dovizi, si connu sous le nom de Bibbiena, en avait fait son secrétaire d’abord, puis l’avait adjoint aux professeurs qui donnaient leurs soins à son fils bien-aimé. C’était un beau jeune homme, qui ne gardait rien sur le cœur, qui disait tout ce qu’il pensait, qui parlait peu, qui étudiait l’homme, non pas dans les livres si souvent trompeurs, mais sur la physionomie, miroir plus fidèle; une de ces âmes d’or que la Providence accorde si rarement aux princes, parce qu’ils n’aiment ni leur franchise, ni leur dévouement, ni leurs conseils, et dont elle fit don à Jean de Médicis, qui sut apprécier ces belles qualités. Un jour nous verrons le peuple florentin, qui ne peut voir passer dans la rue un des rejetons de cette noble famille sans battre des mains, chas­ser indignement les Médicis. Nous regarderons alors autour de nous, cherchant quelqu’un assez courageux pour suivre dans l’exil l’homme qui hier encore était l’idole de la cité, et au coin de la rue del Giglio nous trouverons un professeur de vingt ans attendant son élève proscrit, comme une mère attend son fils: ce sera Bibbiena.

Au milieu de ses occupations toutes diplomatiques à la cour de Laurent, Bibbiena trouvait moyen de penser aux lettres. Il rêvait la résurrection de la comédie en Italie, et s’amusait à griffonner quelques scènes du drame qui, sous le nom de Calandra, devait illustrer h la fois et son nom et la scène italique, mais que le moraliste a dû blâmer sévèrement.

A cette époque, nous voyons rarement Médicis à Florence, parce qu’il fuit le tumulte de la cité pour étudier plus tranquillement. Quelquefois il va surprendre Marsile, et, au feu de la lampe de Cosme, ils discourent de matières philosophiques. Ficin a enseigné à son élève le secret de calmer les ardeurs de tête, de ranimer une imagination lasse d’un trop long travail, de chasser les insomnies. Il lui répète souvent son adage favori: La médecine guérit le corps, la musique l’esprit, la théologie l’âme. Jean imite son maître; il fait de la musique, et retourne au travail avec un charme nouveau. Toutes les intelligences d’élite du seizième siècle ont reconnu le pouvoir de la mélodie sur les sens; mais l’Italie, longtemps avant l’Allemagne, l’appliqua dans les maladies de l’esprit. J’aime ce tableau ravissant où Mathesius nous représente son enfant chéri, Luther, exilé de la maison paternelle, et le soir, de retour au logis, essayant sur sa flûte quelques modulations tristes ou joyeuses, selon que les groschen du bon Dieu sont tombés rares ou abondants dans sa casquette de cuir. Mais Ficin, Politien, Pic et Jean de Médicis se servaient de la musique longtemps avant le réformateur, pour bénir ou pour prier. Car il ne faut pas croire, comme on le lit dans quelques-uns des livres écrits en Allemagne après la réforme, que tous les écrivains de la renaissance florentine eussent oublié, dans ces songes où les berçait Platon, l’eau sainte qu’une main catholique avait répandue sur leur front le jour du baptême. Nous avons vu déjà l’un d’eux, le plus brillant peut-être, Pic de la Mirandole, s’effrayer, comme d’une tache honteuse, du soupçon d’hétérodoxie qu’une susceptibilité théologique, qui n’était pas de la science, voulait faire peser sur sa pensée. Si nous entrions, en ce moment, dans l’église de Santa- Reparata de Florence, nous verrions, prosterné au pied des autels, Marsile Ficin, qui mourra sous l’habit de chanoine, en protestant de sa soumission à l’Église; et Politien, au sortir de cette chaire où il a ravi ses auditeurs, qui improvise ce cantique en l’honneur de Marie :

Tu stellis comam cîngerls ;

Tu lunam premia pedibus;

Te sole amictam candido

Chori plupent augellci.

Jean sut rester pur dans cette atmosphère de corruption, peut-être plus épaisse à Florence que dans les autres villes de l’Italie, parce qu’elle était le rendez-vous d’une foule d’exilés qui y apportaient bien souvent des mœurs équivoques. Nous n’avons pas besoin heureusement de chercher dans l’âge, la naissance et la position de l’écolier, l’excuse de fautes contre la morale évangélique. Paul Jove, dont le penchant à la médisance est assez connu, nous le représente méritant par la pureté de ses mœurs la louange de tous ceux qui le connaissaient.

Bayle ajoute, d’après le témoignage du même historien, que Médicis avait dès son enfance renoncé à l’usage du vin et des liqueurs.

Innocent VIII, en conférant à Jean de Médicis la dignité de cardinal, voulut qu’il n’en revêtit les insignes qu’après trois ans d’étude. Les prières paternelles ne purent abréger les jours de cette épreuve dont il avait fixé le terme; cette initiation était toute scientifique: le pape exigeait que l’écolier allât à Pise étudier la théologie et le droit canon.

Pise était toujours cette cité chantée par Carolus de Maximis, où le soleil ne laisse tomber que des rayons dont la chaleur est tempérée par la brise maritime; où l’air arrive embaumé par le parfum des fleurs des collines environnantes; où l’oranger fleurit en plein hiver; où l’atmosphère toujours pure n’est jamais troublée par le sirocco: ville d’étude et de plaisir, asile des Muses et des malades. Au moyen âge, quand toutes les autres cités italiques sont visitées chaque année par la peste, Pise seule est à l’abri des atteintes de l’épidémie. Nul endroit au monde n’était plus propre à recevoir une université. Les papes, de tout temps, s’étaient montrés les protecteurs de son école: c’était leur fille bien-aimée.

En 1343, Clément VI, dans une bulle rapportée par Fabrucci, veut que tout clerc qui vient y étudier jouisse en paix du revenu de ses bénéfices et les touche intégralement. Comme les autres universités d’Italie, Pise eut ses jours de gloire: c’est en 1586, quand Francesco di Bartolo da Butimonte dans la chaire qui porte le nom de Dante pour expliquer à ses auditeurs les mystères de la philosophie du poète florentin. Dante avait laissé dans Pise d’impérissables souvenirs: on l’y vénérait comme un dieu; sa statue reposait couronnée au milieu de la grande salle, et les écoliers en passant se découvraient le front en signe de respect. A la suite de diverses révolutions, l’université était devenue déserte. Alors les Médicis songent à lui restituer sa splendeur primitive: l’école pisane se relève de ses ruines; les routes se couvrent de nombreux pèlerins qui viennent y entendre la parole de maîtres célèbres, et abandonnent Florence, où le bruit des affaires, les joies du théâtre, et les charmes trop décevants du sexe, détournent l’âme de pensées tranquilles. C’est encore un pape qui favorise ces pèlerinages scientifiques: Sixte IV, dans un bref qui porte la date de 1473, permit, dans l’intérêt de l’université, de prélever sur les biens des ecclésiastiques 1,000 ducats par an. Florence avait choisi, sur la proposition de Laurent, cinq de ses plus illustres citoyens pour dresser les statuts de l'académie nouvelle: c’étaient Tommaso de’ Ridolfi, Donato degli Acciajuoli, Andrea de’ Puccini, Alamanno de’ Rinuccini, et Lorenzo de’ Medici. La grande salle fut restaurée, l’édifice embelli; on alla chercher dans le palais quelques tableaux de vieux maîtres pour en décorer les murs; le salaire des professeurs fut augmenté: désormais chacun d’eux reçut 600 florins de traitement. Il ne manquait plus que des écoliers, et ils ne tardèrent pas à venir quand on apprit que Jean de Médicis devait bientôt arriver à Pise pour étudier sous Philippe Decio et Barthélemi Soccino.

Il n’y avait pas alors dans toute l’Italie de professeurs de législation et de droit ecclésiastique et civil plus habiles.

« Quand j’assiste aux leçons de Soccino, disait Politien, il me semble entendre un autre Papinien ».

Barth Soccino, fils de Mariano, célèbre canoniste, eut pour professeurs Alexandre d’Imola, Thomas Dotti le Siennois, et André Barbazza le Boulonnais. C’était un cou­reur d’aventures, qui quittait la plume pour l’épée, et qui, lorsque l’argument logique, l’exploit judiciaire ou la crainte de la geôle étaient impuissants à faire restituer à un débiteur de mauvaise foi une somme prêtée, conseillait sérieusement à son client d’employer, pour l’y contraindre, deux pouces d’une lame fine de Brescia. La chaire de droit canon n’était pas ce qui convenait à ce Gracque affublé d’une toge. Il était bien plus sûr de lui quand, s’élançant sur un cheval qu’il maniait avec une rare dextérité, et suivi d’arbalétriers, il venait, à Sienne, renverser la Balia populaire pour lui substituer une autre forme de gouvernement. On aimait à Pise sa verve caustique, sa parole poignante, son sourire satirique, et sa phrase qui tombait enflammée sur la tête de son adversaire. Il se plaisait aux luttes de la parole: malheur alors à qui se trouvait sous ses coups, car il ne respectait rien, pas même le triple laurier dont le front de son rival était couronné. On accourait de loin pour l’entendre parler. Un jour, Laurent de Médicis voulut le voir plaider contre Giasone del Maino. La lutte durait depuis une heure, quand Giasone, acculé dans une impasse, n’a rien de mieux à faire que d’inventer un texte pour sortir de prison. Soccino à l’air de se frotter le front pour chercher une réponse à l’argument de son adversaire, et il forge un texte auquel il n’y a plus rien à répliquer, et les écoliers d’applaudir.

—Mais, dit Giasone en dominant tout ce bruit joyeux de voix, où donc as-tu trouvé ce texte?

— Eh, mon Dieu ! reprend Soccino, à la page même où tu as rencontré le tien.

Giasone s’avoua vaincu.

Et Soccino, au sortir de la dispute, allait chanter victoire à table avec quelques joyeux convives de ses amis, francs buveurs comme lui, et déterminés joueurs de cartes. Le cabaret était le logis ordinaire où il recevait ses nombreux clients. Du reste, admirable dans l’improvisation, possédant à fond tous les légistes anciens, d’un jugement sain, d’une perspicacité merveilleuse: c’est l’éloge que ses ennemis eux-mêmes étaient obligés de faire de notre juris­consulte.

Philippe Decio ne ressemble pas tout à fait à Soccino: c’est un jeune homme de bonne maison, qui n’aime ni le vin, ni les cartes, ni l’orgie, et qui ne se plait que dans la société des doctes, des vieillards et des ecclésiastiques. Il était fils de Decio le Milanais, et frère de Lancellotto, dont le nom est si connu des juristes. En 1475, il étudiait à Pise, sc faisait remarquer par son amour du travail, et était l’idole de ses maîtres. Bartolini, Corneo, Soccino, Zanettini, le citaient comme un modèle de subordination. Seulement on lui reprochait une humeur guerroyante qui s'épanchait en sarcasmes amers: le rire était son argument favori, et mal­heur à qui l’irritait. En 1476, nommé professeur de droit, il expliquait les Institutes de Justinien. Quand il quittait sa chambre, il était suivi d'une foule d’élèves qui se rangeaient en haie au bas du perron de l'école, et, la tête découverte, laissaient passer le professeur. Un jour, c'était en 1479, a Pistoie, où l’université de Pise avait été transférée, Soccino publia des thèses qui déplurent à Laurent Pucci, élevé depuis au cardinalat. Pucci était disciple de Decio. Un élève de Soccino se présente pour défendre son maître: la lutte s’engage, et Decio survient pour soutenir Laurent. Toute la ville était dans l'émotion: on s’attendait à l’un de ces drames où le dernier acte coûtait au vaincu sa robe ou son bonnet, quand Banieri Guicciardini intervint et défendit a Decio, sous peine de prison, de monter en chaire. Le recteur redoutait la parole du professeur, et par-dessus tout l’art avec lequel il poétisait sa colère. Une fois en chaire, le juriste ressemblait au démon de Luther, qui va, vient, escalade monts et vaux, franchit les buissons, et fait rouler les rochers. Decio, qui avait étudié l'antiquité, n’avait gardé de s’enfermer dans le cercle de Popilius, où son adversaire voulait l’emprisonner; mais, agrandissant le champ de ba­taille, il appelait, comme seconds, Homère ou Virgile, Platon ou Cicéron, Démosthènes ou Térence, qui l'aidaient, avec leurs Ilots d'images, à confondre son rival. Surtout, il était admirable quand il reprenait un à un les arguments d’un adversaire, dans les termes mêmes dont il s’était servi, lui déniant la compréhension des textes cités: alors sa mémoire était aussi merveilleuse que sa logique était implacable. Quelquefois, comme dans la dispute de Cancellieri, son élève, la salle universitaire n’était pas assez grande pour contenir les spectateurs: alors on indiquait l’église de Saint-Michel in Borgo, dont les nefs et les tribunes se remplissaient, dès le matin, d’une foule avide d’entendre Decio. Le bruit de ses triomphes arriva jusqu’en France. Lors de la conquête de Milan par les Français, Louis XII réclama comme son sujet le jurisconsulte. Les Vénitiens, qui s’étaient attaché le professeur à force d’argent, résistèrent au monarque. Il y eut entre les ambassadeurs des deux puissances des notes échangées: le roi de France parlait en conquérant; la république, en maîtresse des mers: un moment on craignit une rupture. Decio fut sur le point de faire couler des flots de sang; il finit par rester en Italie.

Jean passa plusieurs années à Pise. C’était un bon écolier, assidu aux leçons de ses maîtres, passionné pour l’étude, excellent camarade; quand il était interrogé, il répondait avec une facilité, une grâce et un choix d’expressions qui plus d’une fois lui valurent les applaudissements de ses professeurs et de ses condisciples. On aime à voir le fils de Laurent le Magnifique, le protégé d’innocent VIII, mêlé comme un enfant du peuple à tous ces écoliers venus pour écouter Decio, et rentrant après la leçon en son logis pour repasser dans son souvenir les doctes paroles qu’il vient d’entendre. Pise fut une école où il apprit à parler en public, à écouter, à délaisser ces sphères où Politien l’avait peut-être trop longtemps retenu, pour passer dans un monde où la logique est reine. Il était parti de Florence poète, il revint de Pise dialecticien. Il est aisé de s’apercevoir de la révolution qui s’est opérée dans l’intelligence du fils de Laurent. Les hommes dont il recherche l’entretien sont presque tous aristotéliciens; cependant il n’a pas renoncé à Platon: seu­lement c’est l’idée qui l’occupe à Pise plus sérieusement. Le droit canonique est encore en Italie la règle des puissances: il l’étudie avec ferveur, et telle est la réputation de gravité qu’il s’est faite à l’université, qu’Alexandre Farnèse lui écrit de Rome, en lui recommandant l’évêque de Pampelune, qui vient à Pise pour étudier le droit civil.

Il soutint sa thèse de doctorat en droit canon avec beaucoup d’éclat, à Florence, dans le palais archiépiscopal. Le docteur Thésée de Pinis, de la ville d’Urbin, vicaire général dé Renaud des Ursins, archevêque de Florence, avait été chargé d’examiner le candidat: il s’était adjoint Dominique de’ Bonsi et Angelo de’ Niccolini, qui jouissaient l’un et l’autre d’une réputation de science. L’épreuve fut sévère: l’aspirant s’en tira avec honneur, et répondit magistralement, suivant le procès-verbal du temps, aux questions qu’on lui adressa. L’argumentation des juges fut tout à la fois serrée et subtile, et le candidat montra une sagacité qui étonna l’assemblée. L’épreuve achevée, il reçut solennellement les insignes accoutumés du doctorat: le vicaire général plaça d’abord dans les mains de l’élève, mais fermé, le livre du Digeste, qu’il ouvrit ensuite, puis sur sa tête le bonnet doctoral et à son doigt l’anneau d’or, signe de ses fiançailles canoniques; ensuite il le baisa au front et le proclama maître en droit canon, et, comme tel, ayant pouvoir de lire, d’en­seigner, de gloser, d’interpréter, de consulter, de monter en chaire, de faire tous les actes attachés au titre qu’il venait d’obtenir. Il déclara le lauréat en possession désormais des honneurs, immunités, privilèges, prérogatives, grâces et indulgences que possède tout docteur en droit canon.

Enfin arriva le jour où l’écolier devait prendre place parmi les princes de l’Église. Jean se rendit à Fiesole, au couvent des saints Barthélemi et Romolo, où l’abbé Matth. Bosso, chanoine de St-Jean-de-Latran, le reçut au nom de Laurent de Médicis, dont il était le confesseur. Bosso avait été chargé par la cour de Rome de conférer au docteur les insignes du cardinalat: la barrette et l’anneau. Le lendemain, Pic de la Mirandole, Jacques Salviati, mari de Lucrèce, Siméon Staza, notaire, l’accompagnèreut à l'église. C’était un samedi, jour consacré à Marie. On chanta l’office de la Vierge. Jean s’approcha de la sainte table, et reçut la communion de la main du célébrant avec des témoignages d’une vive piété. La messe achevée, Bosso bénit les vêtements, et prenant la bulle pontificale :

— « Jean de Médicis, dit-il, ô jour trois fois heureux pour la sainte Église, pour votre pays, pour votre famille! le temps de l’épreuve fixé par notre saint-père est accompli : legant qui volunt. Siméon, les ordres du saint-siège ont été ponctuellement remplis, prenez acte de la déclaration ».

Il revêtit alors le cardinal du pallium en adressant à Dieu celte prière: « Que Dieu te revête du nouvel homme qui a été créé dans la justice et la sainteté ». Puis il lui remit la barrette, le chapeau et l’anneau avec la formule ordinaire: « Voici les ornements de votre nouvelle dignité dont le siège apostolique vous a décoré; portez-les tant que vous vivrez en l’honneur du Seigneur ». Alors les moines entonnèrent le Veni creator Spiritus. L’hymne achevée, le cardinal bénit l’assemblée, et, en vertu des pouvoirs pontificaux, accorda une indulgence aux assistants, et le cortège gagna le couvent.

En ce moment, Pierre gravissait la rampe qui conduit à Fiesole, monté sur son cheval de bataillé tout caparaçonné d’or, pour embrasser et féliciter son frère. Depuis la porte San-Gallo, la route était couverte d’une foule de curieux à pied et à cheval, impatients de voir le cardinal, qui descendit bientôt du couvent, traversa le Mugnone, fut reçu auprès du pont par le protonotaire, les prélats, le clergé et les principaux magistrats de Florence, et accompagné jusqu’au palais par de grands cris de joie. A la porte de l’église de la Nunziata, il descendit de sa mule et alla s’agenouiller au pied de l’autel; il pria également dans l’église de Santa-Reparata. Les rues que le cardinal traversa étaient remplies de spectateurs, et les maisons décorées, suivant la coutume de l’époque, de tableaux représentant les hauts faits des Médicis. C’était un jour d’heureux augure pour les humanistes florentins; les poètes surtout étaient dans l'enivrement; un d’eux, dans un délire prophétique, se mit à chanter l’exaltation future du noble enfant. Il lui disait :

« Enfant issu de race illustre, courage, grandis, deviens homme, un jour tu porteras les insignes sacrés du Christ... Un jour tu ceindras la tiare : quelle joie pour ton père! et pour le poète quel sujet d’inspiration! »

Le poète devinait l’avenir; mais pourquoi se cachait-il sous le pseudonyme de Philomus?

 

 

CHAPITRE IV.

JEAN DE MÉDICIS A ROME. — MORT DE LAURENT. 1492.