THE FRENCH DOOR |
HISTOIRE DES CAROLINGIENS
INTRODUCTION HISTORIQUE.
SECTION PREMIÈRE.
ORIGINE DE LA MONARCHIE
MÉROVINGIENNE.
1. LA BELGIQUE ANCIENNE.
La Belgique fut le berceau
des deux dynasties mérovingienne et carolingienne; c’est dans ce pays aussi que
la nation franque se prépara à accomplir ses brillantes destinées. L’extrémité
septentrionale des Gaules, qui correspond au royaume actuel des Belges et aux
Pays-Bas, n’a pas été conquise par les Barbares, comme la Gaule celtique ou
romaine: c’est d’ici, au contraire, que partirent les conquérants. Nos pères
appartenaient à la grande famille germanique, comme tous les Francs; ils
prirent aux exploits et aux établissement de ceux-ci sur la terre étrangère une
part aussi large que glorieuse. Il est vrai que les plus anciens habitants de
la Belgique étaient Celtes; mais l’histoire nous apprend aussi que les Germains
avaient envahi cette partie de la Gaule et en avaient expulsé les Celtes
longtemps avant César Les peuples qui s’y trouvaient à l’époque de la conquête
romaine étaient tous Germains, c’est César lui-même qui l'affirme.
En parlant des Éburons, des
Conduises, des Cérèses et des Pémanes,
il les comprend tous indistinctement sous la dénomination de Germains. Il dit
également des Sègnes, qu’ils font partie de la
nation des Germains. Aux Aduatiques seuls il attribue
une origine teuto-cimbrique; mais les Teutons étaient
bien certainement Germains, et les Cimbres étant venus avec les Teutons de la
Germanie, ces deux peuples s’identifiaient par les moeurs et le but de leur émigration, si ce n’est par la race. La nationalité des Ambivarites, dont parle César, est seule inconnue: cette
peuplade est représentée comme habitant les rives de la Meuse, et exposée aux
persécutions des Ubiens. Les Trévires et les Nerviens
étaient de tous les peuples de ce pays ceux qui s’enorgueillissaient le plus
d’être originaires de Germanie. Tout ce qu’on sait des Centrons, des Grudiens, des Levaces ou Levaques, des Pleumoxes et des Geidunes, c’est qu’ils formaient de petites tribus
dépendantes des Nerviens. Ceux-ci étant d’origine germanique, il est probable
que les peuplades qui les avoisinaient vers le nord n’étaient pas de race
différente.
Plusieurs de ces tribus
furent détruites par César, notamment celles des Éburons et des Aduatiques. Les peuples qui vinrent les remplacer sortaient
également de la Germanie. Les Ménapiens avaient encore un pied sur la rive
droite du Rhin au moment de la conquête. Les Thuringiens ou Tongrois traversèrent le Rhin sous Auguste, se dirigeant
vers la Meuse; ils furent suivis par les Ubiens, les
Suèves, les Sicambres, et plus tard par les Toxandres. Pendant l’occupation
romaine, le sol de la Belgique se partageait entre les diverses tribus qui s’y
étaient établies, de la manière suivante:
Les Nerviens occupaient les
territoires correspondant au Cambrésis, au Hainaut et à la partie septentrionale
du pays d’Entre-Sambre et Meuse. En y ajoutant les terres occupées par leurs
clients, Centrons, Grudiens, Levaces, Pleumoxes et Geidunes, la Nervie s’étendait vers le nord entre la Dyle et l’Escaut,
jusqu’au Ruppel. Ces limites furent à peu près
celles de l’ancien diocèse de Cambrai.
Les Ménapiens, à peine
établis sur la rive gauche du Rhin, avaient été refoulés par les Tenchtres et
les Usipêtes au-delà de l’Escaut. Séparés des Nerviens par ce fleuve, ils
occupaient tout le territoire situé entre l’Escaut et l’Océan. Ils confinaient
aux Bataves vers le nord, aux Morins et aux Atrebates par leur frontière
méridionale. Peut-être avaient-ils, en faisant leur mouvement vers le sud,
empiété sur le territoire des Morins.
Le pays des Toxandres
correspondait à la contrée qui porte aujourd’hui le nom de Campine. Il était
borné à l’ouest par l’Escaut, au nord par le Wahal, au sud par le Demer. Du
côté de l’est-il joignait à la contrée qui plus tard fut appelée Masgau, laquelle le séparait de la Meuse.
Les Bethases et les Suniques étaient de petites tribus voisines
des Tongrois et qui probablement se tenaient sur les
deux rives de la Meuse, l’une dans l’ancien Limbourg et le pays de Juliers,
l’autre entre le Demer, la Dyle et la Gête. Il rogne du reste beaucoup
d’incertitude ù cet égard.
Les Tongrois occupaient à l’est de la Toxandrie presque tout l’ancien emplacement des
Éburons, des Aduatiques, des Condruses,
des Ceréses, des Sègnes et
des Pémanes. Ils s’étendaient sur les provinces
actuelles du Limbourg, de Liège, de Namur, et même sur une partie du
Luxembourg. Ils avaient pour voisins, au sud, les Trévires, au nord les Gugernes, qui ont donné leur nom à la Gueldre, à l’est les Ubiens, qui avaient été établis par Agrippa dans une partie
du pays des Éburons, entre le Rhin et la Meuse.
Le pays des Trévires se
composait des contrées qui plus tard devinrent l’électorat de Trêves, le duché
de Luxembourg et dont une partie fut comprise dans le diocèse de Cologne. Il
était séparé du pays des Nerviens par la Meuse et avait le Rhin pour limite
orientale. A partir du Rhin ses frontières du nord et du sud étaient tracées
vers l’ouest par les cours de l’Ahr et de la Nahe,
pour aller aboutir à la Meuse sur deux points respectivement voisins de
Charlemont et de Montmédy.
Quand les Romains
organisèrent l’administration des contrées septentrionales de la Gaule, ils les
divisèrent en provinces. Sous Auguste, les Trévires, les Nerviens et les
Ménapiens se trouvèrent seuls compris dans la province appelée Belgique; les Tongrois et les Toxandres appartenaient à la Germanie inférieure.
Plus tard, sous Dioclétien ou Constantin, la province de Belgique, créée par
Auguste, fut partagée en première et seconde Belgique, et l’on appela première
et seconde Germaniques les provinces de la Germanie supérieure et inférieure.
Les Trévires faisaient partie de la première Belgique, dont la métropole
était Trêves et qui comprenait les villes de Metz, de Toul et de Verdun. Les
Nerviens et les Ménapiens étaient dans la seconde Belgique, qui avait Reims
pour chef-lieu ou métropole, et dont la circonscription embrassait les villes
de Soissons, Châlons-sur-Marne, Saint-Quentin, Arras, Cambrai, Tournai, Senlis,
Beauvais, Amiens, Thérouanne et Boulogne. Aucune partie de la Belgique
actuelle n’entrait dans la composition de la première Germanique, dont le
chef-lieu était Mainz; mais à la seconde Germanique appartenaient la Toxandrie
et le pays des Tongrois. Cologne était sa métropole,
Tongres sa seconde ville.
Les Romains occupèrent la
Belgique pendant plusieurs siècles et y fondèrent d’assez nombreux établissements,
des colonies militaires, des camps permanents (castra stativa),
dont un petit nombre sont devenus villes. Il serait intéressant de pouvoir
déterminer jusqu’à quel point la civilisation romaine, qui dut nécessairement
entrer dans le pays avec les vainqueurs, se naturalisa et se développa dans les
localités où ils séjournèrent. On ne peut faire à cet égard que des conjectures
plus ou moins vraisemblables. Le nombre et l’importance des établissements
romains dont tous vestiges ne sont pas effacés, sont pour ainsi dire les seuls
éléments d’appréciation qui nous restent.
C’est dans le pays des
Trévires, comprenant une grande partie du Luxembourg actuel, qu’on trouve le
plus de souvenirs du séjour des Romains. Trêves (Colonia Augusta Trevirorum), colonie militaire dans le principe, était
devenue une des principales cités de l’empire. On sait qu’elle fut la résidence
du préfet des Gaules, et que plusieurs empereurs, entre autres Constantin, y
tinrent leur cour. Il y avait à Trêves une école de littérature célèbre, un
hôtel des monnaies, plusieurs manufactures d’armes et d’étoffes, un gynécée
pour la confection des équipements militaires. Le commerce devait
nécessairement créer de nombreuses relations entre les Romains et les habitants
indigènes. Les Romains engageaient ceux-ci à bâtir des temples, des forums,
des maisons; ils faisaient instruire les fils de leurs chefs dans les arts
libéraux; ils tâchaient surtout de propager l’usage de la langue latine.
Un centre de population aussi
considérable ne pouvait être isolé; aussi a-t-on trouvé, dans un certain rayon
autour de Trêves, de nombreux vestiges de camps, de villas, de bourgs ou
villages, d’établissements de toute espèce. Pour ne parler que des plus
importants, citons Neumagen (Neomagus)
sur la Moselle; Bitbourg (Beda vicus),
sur la route de Trêves à Cologne, Antwen (Audethanna vicus),
à deux lieues de Luxembourg, sur la route de Trêves à Reims, et
surtout Arlon (Orolaunum).
On a découvert à Arlon
non-seulement de nombreux restes d’édifices, de monuments, d’autels, de
statues, mais encore un mur d’enceinte et tout ce qui indique une place de
guerre imposante. Si Orolaunum n’est pas mentionné dans la notice de l’empire,
c’est que probablement cette localité n’acquit tous ses développements qu’à
une époque postérieure. Il est fort possible qu’elle soit devenue le refuge des
riches habitants de Trêves, lorsque la ville impériale fut saccagée par les
Francs. Au nord d’Arlon, il n’est pas sans intérêt de citer Nassogne,
mentionnée par l’anonyme de Ravenne sous le nom de Nassogna et dont l’existence comme villa impériale est constatée par deux lois de
l’empereur Valentinien, données à Nassonacum en 372.
Après le pays des Trévires,
c’est dans celui des Nerviens qu’on trouve le plus de traces d’établissements
romains. Bavai (Bavacum), qui était le
chef-lieu de la Nervie, doit avoir contenu des
monuments remarquables et des habitations élégantes. Les restes d’un cirque
relativement vaste, ceux d’un aqueduc de plus de deux myriamètres de longueur,
les substructions d’un grand nombre d’édifices, plusieurs monuments funéraires
et d’innombrables objets d’art que des fouilles récentes ont mis au jour,
attestent la splendeur de cette antique cité.
Cambrai (Cameracum)
était situé à peu de distance de Bavai, mais il ne paraît pas que les deux
villes aient coexisté. D’abord station de poste, Cambrai ne s’éleva au rang de
ville qu’après la destruction de Bavai. Elle devint alors chef-lieu de la Nervie, mais elle n’atteignit jamais l’importance et la
prospérité de la ville à laquelle elle succédait
Autour de Bavai et de
Cambrai, il y avait, sur le territoire des Nerviens, quelques stations
romaines, mais trop insignifiantes pour être citées. Famars seul (Fanum Martis) mérite une mention particulière. C’est à Famars
probablement que se réfugièrent les habitants de Bavai, comme ceux de Trêves à
Arlon, lorsque les villes romaines furent saccagées par les Francs. Le bourg de
Famars fut alors fortifié; l’enceinte existe encore. En fouillant le sol, on y
a trouvé les restes d’un aqueduc et d’un hypocauste, des fragments de
sculpture, des monnaies en grand nombre et des objets antiques de toute espèce.
Dans le pays des Ménapiens,
il n’y avait de ville que Tournai (Tornacim),
située sur la limite de la Nervie. L’étendue que
Tournai avait à cette époque est marquée par un mur d’enceinte dont on voit encore
des fragments. C’était une place de guerre, ayant comme Trêves un gynécée. On y
a trouvé peu de vestiges de monuments ou d’édifices publics remontant à
l’époque romaine. A quelques lieues de Tournai se trouvaient Verwicq (Viroviacum),
station romaine sur la route de Boulogne, et puis Escaupont (Pons Scaldis), dans la direction de Bavai. Un
fort appelé Castellum Menapiorum avait été construit sur le mont Cassel, entre Boulogne et Tournai.
Il est à remarquer que dans
toute la partie de la Flandre située au nord de Cassel, il n’y a de vestiges
d’établissement romain qu’ù Courtrai (Cortoriacum),
dont la notice de l’empire fait mention comme d’un poste militaire. On peut
supposer, d’après cela, que les populations de cette contrée n’avaient pas été
entièrement soumises. La partie septentrionale du pays des Nerviens et la
Toxandrie, correspondant au Brabant, à la province d’Anvers et à la Campine,
étaient à peu près dans le même cas. Si l’on ne connaissait par la voie
romaine de Bavai à Assche, qui passe à côté de Mons et d’Enghien, pour aboutir
à un camp dont on a retrouvé les vestiges auprès d’Assche, on pourrait croire
que les Romains ne pénétrèrent jamais dans cette partie de la Belgique. Il est
évident d’ailleurs que la voie précitée n’était qu’un diverticulum,
c’est-à-dire une route secondaire, étroite et construite à peu de frais dans un
but purement stratégique. Tout semble indiquer qu’elle n’avait ni station ni
relais.
Les grandes voies militaires
des Romains étaient au sud et à l'est de la Belgique. Là aussi se trouvaient
les villes, les stations, les postes fortifiés. Sur la route de Bavai à
Cologne, on rencontrait d’abord la station de Vogdoriacum,
probablement Waudrez, ensuite Geminiacum,
Gembloux, qui semble avoir été plus qu’une station ordinaire; en troisième lieu Perviciacum, dont l’identité avec Perwez est
douteuse. Plus loin était Tongres (Atuatuca ou civitas Tungrorum).
Nous avons déjà fait remarquer qu’Ammien Marcellin, citant Cologne et Tongres
comme les deux villes de la seconde Germanie, dit qu’elles étaient grandes et
populeuses. On voit encore à Tongres de nombreux vestiges de l’enceinte
romaine. On y a trouvé une grande quantité d’objets antiques et une colonne
milliaire extrêmement remarquable, mais rien qui révèle l’existence de grands
édifices. Tongres, qui devait son origine à un camp romain, était plutôt une
place de guerre qu’une ville de luxe et de commerce.
A quelques lieues de Tongres, Maestricht (Pons Mosae ou Trajectum Mosae)
était aussi une place fortifiée, mais de moindre importance. Des fouilles-récentes
y ont fait découvrir les substructions d’un liypocauste et diverses autres antiquités.
Tels furent, pensons-nous,
les principaux établissements des Romains en Belgique et sur les frontières de
ce pays. Pour ne pas tirer de l’existence de ces établissements des conclusions
erronées, il faut se rendre compte de la manière dont ils avaient été formés et
de l’espèce d’habitants qui s’y était établie. Des camps et des postes
militaires étaient leur origine commune. Il ne faut point se dissimuler que les
Romains regardaient la Belgique comme un pays sauvage et ses habitants comme
des barbares. Ils ont occupé ce pays par la force des armes, à peu près de la
même manière que les Anglais ont occupé dans le principe l’Indoustan. Ils y
établirent de petites colonies, des camps retranchés, des postes fortifiés,
qui sont devenus des villes ou des bourgs; mais il dut y avoir, sous ce
rapport, d’énormes différences entre les diverses parties du pays. Trêves, par
exemple, fut la capitale romaine non-seulement de la Belgique, mais encore des
Gaules; autour de Trêves on vit se former de nombreux établissements romains.
Il y en eut beaucoup ainsi dans la partie méridionale de la Nervie,
et puis quelquesuns le long de la Sambre et de la Meuse jusqu’à Tongres et Maestricht; mais dans l’intérieur du pays, on trouve à
peine quelques vestiges insignifiants.
Nul doute que les moeurs romaines ne se soient développées à Trêves, à Bavai,
à Tournai, à Tongres, à Cologne. Les Romains établis dans ces colonies ne sont
pas demeurés sans relations avec les habitants indigènes. Il est vraisemblable,
au contraire, que leurs relations furent assez fréquentes et de diverses natures,
relations de commerce, de voisinage, de famille, etc.; il dut même se
contracter des mariages, et se former des alliances entre eux. Un mélange de
races s’opéra, sans doute, entre les habitants romains et barbares des villes;
mais il est fort douteux que les mœurs et la civilisation romaines se soient répandues
au dehors. Les Germains considéraient les villes fondées sur leur territoire
comme des établissements étrangers, et méprisaient à l’égal des traîtres ceux
des leurs qui consentaient à s’y renfermer. Et d’ailleurs les villes étaient si
rares, si éloignées les unes des autres; il y avait de si vastes étendues de
territoire sans ville, même sans station militaire que la plus grande partie de
la population demeura nécessairement étrangère à tout contact avec les Romains.
La civilisation n’a pu
exercer son influence que dans les grands centres de population, à Trêves, à
Bavai, à Tournai, à Tongres, à Cologne, et peut-être parmi les habitants de
l’est et du midi, voisins des stations et postes fortifiés. «Partout ailleurs,
dit Schayes, dans le nord, le centre et l’ouest de la
Belgique, les moeurs, les usages, la langue et le
culte des indigènes n’éprouvèrent que peu ou point d’altération, pendant toute
la durée de la domination romaine. Dans les deux Flandres, la province
d’Anvers, la Campine et le Brabant, la population peu nombreuse était
disséminée et en quelque sorte perdue au milieu de ses forêts et de ses marais.
Gouvernée, sous des chefs nationaux, par ses vieilles coutumes, elle conserva
dans toute sa vigueur le caractère germanique, si éminemment développé chez
les Germano-Belges, cette fierté farouche et intraitable qui leur inspirait un
profond dédain pour les institutions étrangères»
Le christianisme, suivant le
même auteur, ne fit son apparition en Belgique que vers le troisième siècle. II
se manifesta alors avec quelque éclat dans la ville de Trêves, mais il ne
s’introduisit que postérieurement dans les autres villes et bourgades plus ou
moins romanisées. On sait positivement qu’il y avait un évêque a Tongres au
milieu du quatrième siècle, puisque saint Servais assista en cette qualité au concile
de Sardique en 347 et à celui de Rimini en 359. Le
siège épiscopal de Tournai ne fut érigé que vers la fin du cinquième siècle;
son premier évêque fut saint Eleuthère, promu à cette dignité en 486. Au reste,
les établissements chrétiens disparurent entièrement du pays dès les premiers
temps qui suivirent l’expulsion des Romains.
C’est également à Trêves et
sur les bords de la Moselle que la langue latine dut faire le plus de progrès.
Les Romains imposaient leur langage aux nations vaincues, comme ils leur
imposaient le joug de leur domination. Tout se faisait en latin;
l’administration, la justice, les lois, les institutions civiles et militaires,
la religion, le commerce, la littérature, le théâtre, étaient autant de moyens
d’introduire et de répandre l’usage de cet idiome. Une loi expresse défendait
aux préteurs de promulguer les décrets en aucune autre langue. Des écoles de
grammaire et de rhétorique s’établirent dans toutes les villes; celle de
Trêves, nous l’avons déjà dit, fut une des plus célèbres. Il est assez
étonnant, d’après cela, que les habitants des bords de la Moselle n’aient pas
adopté, comme ceux des bords de la Meuse, un dialecte roman. Peut-être aussi
l’usage du roman-wallon, dans quelques provinces de la Belgique, ne date-t-il
point du temps de la domination romaine, mais de l’époque où le christianisme
rentra dans ces contrées après la conversion des Francs, et où furent établies
les maisons religieuses dont les habitants parlaient le latin rustique.
2.
LA CONFÉDÉRATION DES FRANCS.
Tout le monde connaît
l’histoire de l’insurrection dite des Bataves, qui éclata dans la basse
Germanie, sous le règne de Néron. C’est vainement qu’on a voulu amoindrir le
caractère de ce soulèvement, en le représentant comme une révolte de colons
militaires. Tacite parle en termes très explicites du mécontentement des
populations, produit par les injustices, les brigandages des Romains, et par
tous les maux de la servitude. Dans la guerre qu’il décrit, ce ne sont pas
seulement les cohortes bataves et autres qu’on voit se rallier au drapeau de
Civilis; ce sont des nations entières qui courent aux armes pour chasser leurs
oppresseurs.
La confédération franque, qui
se forma peu de temps après, semble n’avoir été qu’une suite de cette première
insurrection. Elle se composait des mêmes éléments à peu près, et le même
mobile la faisait agir. C’est chez les Cattes,
établis sur les bords de l’Yssel et du Rhin inférieur, qu’elle paraît avoir
pris naissance. De là elle s’étendit progressivement aux nations voisines. Son
nom ne figure dans l’histoire qu’à partir de l’an 240; mais à cette époque elle
existait probablement déjà depuis longtemps. Pendant plusieurs siècles elle
grandit peu à peu, en avançant du nord au sud et en s’incorporant l’une après
l’autre toutes les populations germaniques de la Gaule. Vers le milieu du
quatrième siècle, les Francs occupaient la vallée de la Meuse, jusqu’à
proximité de l’endroit où s’éleva plus tard la ville de Liège. Ammien Marcellin
nous a laissé sur ce sujet des renseignements précieux.
Il rapporte qu’en 356 Julien
défit les Allemans, passa le Rhin et détruisit par le fer et la flamme les
établissements de ce peuple. «Le général de cavalerie Sévère, revenant de
cette expédition, se rendait à Reims par Cologne et Juliers, lorsqu’il vint se
heurter contre une bande agile et déterminée de Francs. A l’approche de
l’armée, ceux-ci se jetèrent dans deux forts, baignés par les eaux de la Meuse,
qu’on avait laissés dégarnis, et s’y défendirent de leur mieux. Julien en fit
le siège, mais l’incroyable opiniâtreté des barbares l’y retint pendant
cinquante-quatre jours. Ils ne se rendirent prisonniers que lorsqu’ils furent
réduits aux abois par la fatigue et la faim. Un corps considérable de leurs
compatriotes avait essayé d’opérer une diversion pour les dégager». Ces faits
doivent s’être passés aux environs de Liège ou de Maastricht, puisque Sévère se
rendait de Cologne à Reims, en passant par Juliers, lorsqu’il rencontra les
Francs.
L’année suivante, Julien se
porta contre les Francs dits Saliens. Ceux-ci, d’après Ammien Marcellin, s’étaient
établis, non pas récemment, mais depuis assez longtemps déjà sur le sol romain,
près de la Toxandrie. Julien rencontra à Tongres une députation de ce peuple,
qui, le supposant encore dans son quartier d’hiver, lui fit offrir la paix.
«Ils étaient chez eux, à les entendre, et promettaient de s’y tenir
tranquilles, pourvu qu’on ne vînt pas les y troubler. Julien amuse les députés
quelque temps par des paroles ambiguës, et finalement les congédie avec des présents,
leur laissant croire qu’il attendrait leur retour. Mais ils n’eurent pas le dos
tourné, qu’il se remit en marche; et faisant suivre à Sévère la rive du fleuve
afin d’étendre sa ligne d’attaque, il tombe comme la foudre sur le gros de la
nation, qu’il trouva plus disposé à s’humilier qu’à se défendre. Le succès le
disposait à la clémence: aussi les reçut-il en grâce, quand ils vinrent se
livrer avec leurs biens et leurs enfants. De là se jetant sur les Chamaves, qu’il avait à punir d’une semblable agression, il
les défait avec une égale promptitude»
Ce récit ne laisse point de
doute sur l’établissement des Francs-Saliens dans les environs de Tongres dès
l’époque dont il s’agit. Ils y étaient avec leurs biens et leurs enfants;
ce n’était pas une bande, une troupe guerrière courant les aventures; c’était
la nation. Ammien Marcellin ajoute que Julien, après avoir défait les Chamaves, résolut de réparer, si le temps le permettait,
trois forts construits sur une même ligne pour défendre le passage de la Meuse,
et qui avaient depuis longtemps succombé sous les efforts des Barbares. Ce
dernier trait nous montre dans tout son jour la décadence de la domination
romaine en ces contrées; on voit que la frontière de l’empire était débordée
par les barbares, et que déjà les Romains n’occupaient plus la ligne de la
Meuse d’une manière permanente.
Un historien que nous ne
connaissons que par Grégoire de Tours, Sulpice Alexandre, rapporte que vers
l’an 388, les Francs, sous la conduite de Genobalde, Marcomer et Sunnon, leurs chefs
ou ducs, menacèrent Cologne; que cette ville fut sauvée par Nannius et Quintinus, commandants
de la milice à Trêves; que les Romains combattirent avec avantage et tuèrent
un grand nombre de Francs près de la forêt Charbonnière. C’est probablement de
la forêt des Ardennes qu’il s’agit. «L’un des généraux romains, Quintinus, ayant passé le Rhin avec son armée auprès de Nuitz, poursuivit les Francs à deux jours de marche au-delà
de ce fleuve; il vit leurs demeures inhabitées et de grands villages
abandonnés. Étant entrés dans les bois, les Romains s’engagèrent dans les
détours des chemins et finirent par s’égarer. A la fin arrêtés par une enceinte
de fortes palissades, ils se répandirent dans des champs marécageux qui
touchaient à la forêt. Bientôt l’armée se vit environnée d’un grand nombre
d’ennemis et se précipita avec empressement dans les plaines que les Francs
avaient laissées ouvertes. Les cavaliers s’étant plongés les premiers dans les
marais, on y vit périr pêle-mêle les hommes et les chevaux. Les légions
rompirent leurs rangs et furent massacrées»
Les Francs dont il est fait
mention dans ce récit, sont ceux qui habitaient au-delà du Rhin, et qui, remontant
le long de la rive droite de ce fleuve jusqu’au Mein, donnèrent le nom de Francia à toute cette contrée en prenant eux-mêmes celui de Francs Ripuaires. Arbogaste se chargea de venger les légions romaines qui
avaient été massacrées par eux. Il poursuivit avec ardeur Sunnon et Marcomer, se rendit de Trêves à Cologne au milieu
des plus grandes rigueurs de l’hiver, pensant qu’il pénétrerait facilement
dans les retraites des Francs, et y mettrait le feu, lorsqu’ils ne pourraient
plus se tenir en embuscade dans les forêts dépouillées de feuilles. Il passa
donc le Rhin avec son armée et ravagea le pays des Bructères, ainsi qu’un
village habité par les Chamaves, sans que personne se
présentât, si ce n’est un petit nombre d’Ampsuaires et de Cattes, commandés par Marcomer,
qui se firent voir sur le sommet des collines.
Tous ces récits montrent à
l’évidence que c’étaient surtout les peuples du bas Rhin qui composaient la confédération
franque. Ils habitaient les marais que forment le Rhin et la Meuse vers leur
embouchure. Dewez fait remarquer que le pays de Salland ou Zalland, où sont
aujourd’hui les villes de Zwoll, Kampen,Deventer,
Hasselt, dans la province d’Over-Yssel, et surtout la ville d’Oldenzaal (Sala vêtus) paraissent rappeler le séjour des
Saliens, qui de là s’avancèrent jusque dans la Toxandrie. D’autres peuples,
tels que les Bructères, les Chamaves, les Attuaires, remontant le cours du Rhin sur les deux rives, y
prirent le nom de Ripuaires.
L’expédition d’Arbogaste fut probablement la dernière qu’il fut permis aux
Romains de pousser aussi loin dans le pays des Francs. La notice de l’empire
constate qu’à la fin du quatrième siècle, époque où elle fut rédigée, les troupes
romaines avaient abandonné le cours inférieur du Rhin. Cependant elle fait
encore mention d’un corps de Lûtes stationné près de Tongres. A l’exception de
ce corps, il n’y avait plus dans la seconde Germanique aucun poste militaire,
aucun emplacement de troupes. Du côté des Saliens, la notice n’indique point de
position militaire au-delà d’Arras et de Famars. Le commandant de la seconde
Belgique avait sous son autorité une compagnie de Lûtes nerviens à Famars, une
compagnie de Lûtes bataves à Arras et une demi-compagnie de Sarmates à Amiens. Au-delà,
vers le nord, le pays était entièrement délivré des Romains. Il est certain
d’ailleurs que quelques années plus tard, Stilicon, pour protéger Rome contre
les Goths d’Alaric, fut obligé de dégarnir toute la frontière septentrionale de
la Gaule.
On connaît l’histoire de la
décomposition de l’empire romain; on sait de quels désordres la Gaule fut le
théâtre, surtout à partir de l’invasion des Alains, des Vandales et des Suèves.
Rome abandonna ce pays à son malheureux sort, et les Gaulois eux-mêmes étaient
incapables de le sauver. Les Vandales ravagèrent impunément la Gaule pendant
plusieurs années. Un auteur du temps assure que si l'Océan se fût débordé dans
ce pays, ses eaux n’y auraient pas causé tant de dommages. «Ils se répandirent
d'abord, dit Le Beau, dans la première Germanique, qui renfermait les cités de
Mainz, de Worms, de Spire et de Strasbourg. Mainz fut prise et saccagée;
plusieurs milliers de chrétiens furent égorgés dans l’église, avec Aureus, leur
évêque. Worms fut détruite après un long siège; Spire, Strasbourg et les autres
villes de moindre importance éprouvèrent la fureur de ces cruels ennemis. De là
ils passèrent dans les deux Belgiques, portant partout la désolation et le
carnage. Trêves fut pillée; Tournai, Arras, Amiens, Saint-Quentin ne purent
arrêter ce torrent. Laon fut la seule ville de ces cantons qui tint contre
leurs attaques; ils se virent obligés d’en lever le siège. Ces barbares,
furieux ariens, la plupart même encore idolâtres, firent dans toute la Gaule
grand nombre de martyrs. Nicaise, évêque de Reims, eut la tête tranchée, après
la prise de sa ville épiscopale. Ils traitèrent de même Didier, évêque de
Langres; ils passèrent les habitants au fil de l’épée, et mirent le feu à la
ville. Besançon vit massacrer son évêque Antidius.
Sion fut prise; Bâle ruinée. Ils s’étendirent jusqu’aux Pyrénées. Les deux
Aquitaines, la Novempopulanie, les deux Narbonnaises, provinces auparavant les
plus fortunées de la Gaule, ne furent plus couvertes que de cendres et de
ruines. Peu de villes purent résister à cette fureur par l’avantage de leur
situation»
Ajoutons à ces paroles de Le
Beau que les Vandales ne rencontrèrent d’obstacle sérieux que du côté des
Francs. Ceux-ci en firent un affreux carnage; ils les auraient tous exterminés,
si les Alains n’étaient venus à leur secours: «Pendant ce temps, dit Renatus Profuturus Frigeridus, cité par Grégoire de Tours, Respendial,
roi des Allemans, détourna son armée des bords du Rhin, parce que les Vandales
étaient aux prises avec les Francs. Le roi Godegisele avait succombé, une armée de près de vingt mille hommes avait péri par le fer;
et les Vandales auraient été détruits, si les Alains ne les eussent secourus à
temps»
Peu de temps après l’invasion
des Alains et des Vandales, les frontières de la Gaule furent débordées de
toutes parts. Les Allemans s’emparèrent des bords du Rhin depuis Bâle jusqu’à
Mainz; les Burgondes se rendirent maîtres de l’Helvétie jusqu’au Mont-Jura;
d’où ils s’étendirent dans le pays des Séquaniens et des Eduens jusqu’à la
Loire et l’Yonne. Ataulphe, roi des Wisigoths,
s’empara de Narbonne et de Toulouse; il choisit ensuite pour résidence Heraclée, aujourd’hui Saint-Gille,
sur la rive droite du Rhône, entre Nîmes et Arles. Les Saxons, qui depuis
longtemps faisaient des incursions sur les côtes de la Gaule, entrèrent dans la
Loire et remontèrent ce fleuve jusqu’aux grandes îles voisines de Saumur et
d’Angers. Enfin, pour que rien ne manquât à cet épouvantable désastre, les
Bagaudes, qui appartenaient à la population indigène, se répandirent par bandes
dans les contrées non envahies par les barbares.
Les insurrections des
Bagaudes ont été parfaitement caractérisées par M. de Petigny.
«La Bagudie, dit-il, Bacaudia,
suivant l’expression des historiens du Bas-Empire, ne différa en rien de la
Jacquerie du quatorzième siècle. Elle fut provoquée par les mêmes causes, les
maux affreux que l’invasion étrangère faisait peser sur la population des campagnes,
impitoyablement pressurée par leurs seigneurs et par le fisc. Elle eut les
mêmes effets, le massacre des riches, des nobles, des fonctionnaires, le
pillage des châteaux, l’attaque des villes, le brigandage sur les routes; elle
eut la même marche, les mêmes vicissitudes et la même fin... Il y eut toujours
quelques bandes disséminées dans le pays, et le feu de la révolte éclata avec
plus de violence et plus d’étendue que jamais au cinquième siècle, lorsque
l’invasion des Vandales eut fait peser de nouveau sur les habitants des campagnes
les affreuses calamités dont les avaient frappés, au troisième siècle,
l’invasion des Allemans»
M. de Petigny fait remarquer ensuite que les grands rassemblements de Bagaudes se sont
toujours formés dans les contrées vraiment celtiques, dans l’ouest et le centre
de la Gaule, ancien territoire des Galls, dans ces
provinces qui ont été au moyen âge le principal foyer de la jacquerie et de
nos jours même encore le théâtre de la guerre civile. Il n’y eut jamais de
Bagaudes dans la Belgique, dit-il. En effet, lorsqu’on détourne la vue de la
Gaule celtique, où régnait le chaos que nous venons de décrire, pour la reporter
sur les contrées habitées par les Francs, on est frappé du contraste. Ici il y
a une nation qui s’organise et qui sait défendre ses frontières; il y a un
ordre social nouveau qui se prépare et qui doit bientôt remplacer l’ordre
social ancien. L’histoire signale un roi ou chef des Francs-Saliens, résidant à Dispargum, sur les confins du pays des Tongrois. Un autre chef de Francs est établi à Cologne,
devenue la capitale des Francs-Ripuaires. Voilà donc deux peuples voisins, deux
peuples frères, qui s'organisent paisiblement, tandis que tout est
désorganisation, anarchie, trouble et désordre dans la Gaule romaine.
La nationalité franque (qu’on
nous permette d’insister sur ce point) s’est constituée dans les limites des
tribus de race germanique que César avait trouvées à l’extrémité
septentrionale de la Gaule et sur la rive droite du bas Rhin. Si quelques-unes
de ces tribus disparurent par le fait de la conquête, celles qui vinrent les
remplacer étaient de même origine, de même race. Elles s’étaient d’ailleurs
identifiées avec les autres par une longue cohabitation. Il est indubitable,
dit M. de Petigny, que les tribus établies dans ces
contrées au cinquième siècle n’avaient pas changé de demeure, au moins depuis
cinq cents ans. Comment se fait-il donc que cet auteur si judicieux n’ait voulu
voir dans les Francs que des colons militaires chargés de défendre les limites
de l’empire? Le système général de son ouvrage tend à démontrer que les Francs
n’entrèrent dans la Gaule que parce que les Romains y avaient consenti et que
les Gaulois les y conviaient. Cette manière de voir, inspirée par quelque
prévention antigermanique, est évidemment erronée. Tous les faits historiques
concourent à prouver que les Francs, d’abord opprimés par les Romains, étaient
devenus un peuple indépendant; que par leur valeur et leur persévérance, ils
étaient parvenus à briser les liens dont chacune de leurs tribus avait été
enveloppée dès son berceau, et qu’en se réunissant, ils avaient fini par se
constituer en corps de nation.
Que Maximien, que Constance
Chlore, que Constantin aient, comme leurs prédécesseurs, forcé quelques tribus
franques à reconnaître la suprématie de l’empire; qu’ils aient même concédé des
terres à ceux des Francs qui voulurent bien se soumettre à cette exigence, et
qu’ils les y aient établis comme milites limitanei;
que ces sortes de colonies aient fourni de nombreux contingents aux troupes
impériales, et que leurs chefs aient occupé les postes les plus éminents dans
les armées et à la cour des empereurs,... tout cela paraît être vrai; mais il
faut remarquer aussi que les concessions faites par les Romains étaient presque
toujours forcées; que, quand la vanité romaine se faisait un titre de gloire
d’avoir colonisé des tribus barbares sur le sol de l’empire, elle avait fait le
plus souvent ce qu’elle ne pouvait empêcher, et qu’enfin les contingents
fournis aux troupes impériales, ainsi que les chefs placés à leur tête, avaient
plutôt en vue de commander aux Romains que de leur obéir.
Nous ne comprenons pas que de
ces faits l’on ait voulu induire que les Francs, établis dans la Gaule rhénane,
devaient leur existence à des colonies militaires fondées par les Romains.
Certes, les tribus germaniques qui prirent le nom de Francs avaient été pour la
plupart soumises pendant longtemps au joug des Romains, et ceux-ci y avaient
puisé des éléments utiles, soit pour fonder des colonies militaires, soit pour
recruter leurs légions; mais les tribus mêmes d’où ces éléments étaient sortis,
ils ne les avaient point créées; elles n’étaient pas leur oeuvre,
puis qu’elles existaient presque toutes avant eux dans cette partie de la
Gaule. La conquête que les Romains avaient faite de leur pays n’avait rien
ajouté à la consistance, la valeur de ces tribus, n’avait certainement pas aidé
au développement de leur nationalité. Cette nationalité se développa malgré eux
et sous leur joug, qu’elle finit par briser. L’affranchissement des Francs, et
non la compression qu’ils avaient subie, en fit une nation puissante et qu’on
peut dire glorieuse; car de tous les Barbares qui envahirent l’Italie et la
Gaule, les Francs sont les seuls qui aient fondé des établissements durables. A
l’époque dont nous nous occupons, c’était déjà un peuple avec lequel il
fallait compter. C’est à ce peuple que plus tard la France dut son nom et son
existence: car, sans les Francs, dont certains écrivains cherchent aujourd’hui
à ternir la gloire, dans un but qui ne s’explique pas, il n’y aurait jamais eu
de Français. Cela est évident pour quiconque a réfléchi sur ce qu’étaient la
Gaule et les Gaulois au commencement du cinquième siècle. La population mixte
de la France actuelle n’occupe un rang distingué dans le monde que parce
qu’elle est mixte. Ce sont les Francs qui ont infusé I la nation française ce
sang généreux dont elle se glorifie à si juste titre; eux seuls d’ailleurs ont
arrêté le flot des invasions barbares et donné à la Gaule un commencement de
sécurité.
3.
INVASION DES FRANCS DANS LA
GAULE CELTIQUE.
Au commencement du cinquième
siècle, Grégoire de Tours nous montre les Francs-Saliens établis dans la
Thoringie. On est assez généralement d’accord aujourd’hui, pour reconnaître que
la Thoringia dont parle cet auteur n’est autre
que le pays de Tongres. Wendelinus cite dans la
province de Limbourg, entre Herck et Haelen, une
vaste plaine appelée Vranckryck, qu’il traduit
par regnum Francorum, et dans cette
plaine un endroit connu sous le nom de Konincryck,
qu’il suppose avoir été la résidence du premier roi des Francs-Saliens. Il
importe assez peu de savoir le nom de ce monarque primitif; mais il n’est pas
sans intérêt de constater que les Francs avaient déjà, avant leur invasion dans
la Gaule celtique, des chefs qu’on pouvait appeler rois. Pour les Ripuaires, le
fait n’est pas douteux: Marcomir et Sunnon sont des personnages historiques dont l’existence
est incontestable, et qui bien certainement exercèrent une sorte d’autorité
royale sur leur nation. Peut-on en dire autant des Saliens, et Chlodion ne fut-il pas le premier roi des Francs de ce nom?
Si l’on en croit l’auteur
inconnu des Gesta regum Francorum (chronique
rédigée vers l’an 720), Chlodion eut pour prédécesseur Pharamond ou Faramund, fils de Marcomir,
élevé sur le pavois après la mort de Sunnon.
Cependant Grégoire de Tours, le plus ancien historien de la nation franque, ne
parle pas de Pharamond; mais il cite comme ayant été le prédécesseur de
Chlodion, Theodomer, fils de Richimer,
lequel fut massacré en même temps que sa mère Ascila.
S’il est vrai, comme l’affirme Grégoire de Tours, qu’il ait puisé cette notion
dans les Fastes consulaires il faut bien admettre que Theodomer,
roi des Francs-Saliens, a existé, bien qu’on ignore les circonstances de sa
vie. Or, du fait de cette royauté déjà ancienne, on peut inférer, nous
semble-t-il, que l’organisation sociale des Francs était plus qu’ébauchée,
quand ils passèrent dans la Gaule celtique. Leurs institutions et leurs lois
avaient eu le temps de se former et de se consolider, avant qu’elles fussent
mises en contact avec les lois et les institutions du peuple chez lequel ils
allaient s’établir. Cette circonstance vient à l’appui de l’opinion
généralement admise aujourd’hui, que c’est en Belgique que la loi salique fut
écrite pour la première fois. Elle fut l’oeuvre, si
l’on s’en rapporte à son prologue, de quatre sages, désignés sous les noms de Salogast, Windogast, Bodogast et Wisogast, parce
qu’ils habitaient des lieux appelés Salechem, Widochem, et Bodochem. Le savant Wendelinus croit avoir reconnu ces localités dans les
villages de Saleheim, aujourd’hui Zeelheim,
de Windehove, aujourd’hui Wintershoven,
et de Bodehove, aujourd’hui Boienhoven,
tous situés dans l’ancienne Toxandrie.
C’est une question fort
controversée et qui a été étudiée avec infiniment de soins par les jurisconsultes
et les historiens allemands de nos jours, que de savoir si la loi salique,
dont l’origine belge n’est plus contestée par eux, fut primitivement écrite en
langue franque. Déjà Hauteserre, Schilter,
Leibnitz, Hoffmann et Biener le père étaient de cet
avis; plus récemment la même opinion a été adoptée par Müller, Pardessus, Davoud-Oghlou, Holtzmann, Hillebrand et, sauf quelques modifications, par Daniels;
tandis que l’opinion contraire a trouvé des défenseurs dans Heineccius, Zoepfl, Walter, Waitz,
Merkel et, en dernier lieu, Stobbe.
On peut alléguer, pour
l’affirmative, qu’il est certain que la loi fut écrite avant la conversion des
Francs au christianisme, peut-être même sous Chlodion; qu’elle n’a pu être
rédigée par des ecclésiastiques à cette époque, et qu’il n’est pas
vraisemblable qu’il y eût parmi les Francs païens des hommes assez versés dans
la connaissance du latin pour écrire en cette langue un texte de loi. On ne
conçoit pas d’ailleurs la raison qui aurait pu alors faire rédiger en latin les
dispositions du droit national. En second lieu, la glose malbergique,
intercalée dans la loi pour en faciliter l’intelligence, consiste en majeure
partie dans le rappel de textes francs exprimant le taux des amendes ou
compositions; il faut donc bien admettre que ces textes existaient, et que les
dispositions du droit salique en langue nationale étaient connues de tout le
monde, car autrement la glose n’aurait été d’aucune utilité.
Les adversaires de cette
opinion rejettent le dernier argument, mais ils n’ont pas encore réfuté le
premier. Ils pourraient cependant tenter de l’affaiblir, en faisant observer
que le latin des plus anciens textes de la loi salique est assez barbare pour
qu’on puisse l’attribuer à des rédacteurs francs. Ils pourraient dire aussi
qu’à cette époque l'idiome franc n’était pas encore arrivé à l’état de langue
écrite. On connaît, il est vrai, un fragment de texte franc de la loi salique,
qui a été découvert à Trêves par M. Mone; mais on est généralement d’accord
pour le considérer comme appartenant au neuvième siècle et faisant partie d’une
traduction du texte latin.
Peut-être l’idée suivante
est-elle propre à faciliter la solution de ce problème si difficile. On ne peut
pas supposer que les Francs-Saliens, qui passent pour les plus civilisés des
Germains barbares, aient vécu sans lois; mais il est possible que leurs lois
n’aient été que des coutumes non écrites, se constatant par des témoignages
semblables à ceux des Records des douzième et treizième siècles, et aux
preuves par turbes, usitées en Belgique et en France jusqu’au
dix-huitième siècle. Il doit y avoir eu dans les divers pagi des Francs,
des hommes spécialement versés dans la connaissance du droit national; la loi
des Saxons et celle de la Frise font mention de ces sapientes.
Le sagibaro, qu’on voit figurer dans toute la
période mérovingienne, semble n’avoir été qu’un personnage de cette espèce. Il
y en avait aussi dans la Scandinavie: la Graue-Gans,
c’est-à-dire le coutumier de l’Islande, parle des loegsoematr,
appelés lagmoenner en Suède et nomophylaces (gardiens de la loi) dans la traduction
latine. Ils étaient obligés d’assister aux plaids et d’énoncer les textes des
lois; ils devaient même, plusieurs fois dans l’année, réciter la coutume
entière dans une réunion solennelle des habitants de leur district.
N’est-il pas vraisemblable
que Windogast, Salogast, Bodogast et Wisogast furent des
hommes de loi de cette espèce, attachés aux mals ou malbergen de Saleheim, Windoheim, Bodoheim et Wisoheim, ou aux pagi Salegow, Windegow, etc.? Lorsque les Francs eurent reculé leur
frontière méridionale jusqu’à la Somme, de manière à embrasser des populations
gallo-romaines, il devint indispensable, pour alléguer la loi à ces populations
et la leur faire connaître, de l’écrire et de la traduire dans leur langue. On
convoqua à cet effet les quatre personnages prénommés et on leur fit réciter
les coutumes nationales. C’est pourquoi le prologue de la loi salique dit, en
parlant de ces hommes de loi: dictaverunt legem. On objectera sans doute que cette explication n’est fondée que sur
des conjectures; mais s’il fallait exclure de l’histoire tout ce qui est
conjectural, on la réduirait à de bien minces proportions.
Selon Grégoire de Tours,
Chlodion habitait Dispargum ou auprès du castrum de ce nom, sur la limite du pays des Thoringiens.
L’emplacement de ce château a donné lieu à de nombreuses controverses. Quelques
auteurs ont essayé de démontrer qu’il devait se trouver au-delà du Rhin, ce qui
ne s’accorderait guère avec le texte de Grégoire de Tours, portant que les
Francs avaient traversé le Rhin pour venir dans la Thoringie. Cette opinion a
cependant été adoptée par Dewez qui, dans un mémoire
présenté à l’Académie de Bruxelles, a soutenu que Dispargum était Duisbourg, situé entre Düsseldorf et Wesel. Dubos indique un autre
Duisbourg, entre Bruxelles et Louvain, près de Tervueren.
M. de Pétigny pense aussi que c’est à Duisbourg en
Brabant qu’il faut placer le Dispargum de
Grégoire de Tours. Mais la plupart des écrivains qui ont fait de cette question
un objet particulier de leurs recherches, tels que Chifflet, Henschenius, Vredius, Bucherius, Mantelius et surtout Wendelinus, se sont prononcés pour la ville de Diest sur le
Demer. C’est aussi l’opinion des historiens allemands de nos jours. En effet,
la situation de cette ville répond parfaitement aux indications données par
Grégoire de Tours, et de plus elle est entourée de localités dont les noms
rappellent le séjour des Francs Saliens. Cependant M. Waitz place Dispargum dans le pagus des Thoringiens, prenant en ce sens le mot terminis.
Nous croyons, au contraire, que Grégoire de Tours a voulu indiquer
l’emplacement de Dispargum près des limites du
pays des Thoringiens, c’est-à-dire de l’ancienne civitas Tungronun,
limites qui doivent avoir existé entre Diest et Tongres.
Quoi qu’il en soit, un fait
demeure constant, c’est que Chlodion habitait la Belgique et que de Belgique il
partit pour aller dans la Gaule prendre sa part du territoire de l’empire. Les
Francs Ripuaires étaient entrés dans la ville de Trêves depuis l’an 413. Ce fut
en 431, selon M. de Pétigny, en 443 suivant la plupart
des auteurs, que Chlodion, à la tête des tribus saliennes, traversa la forêt
charbonnière, c’est-à-dire ce prolongement de la forêt des Ardennes qui, au
dire de César, s’étendait des rives du Rhin et de la frontière des Trévires
jusqu’au pays des Nerviens. Cette immense forêt servait en quelque sorte de
frontière naturelle aux populations germaniques de la Gaule. Chlodion marcha
sur Cambrai, défit les troupes romaines et se rendit maître de tout le pays
jusqu’à la Somme. On s’est plu à représenter cet exploit comme tout à fait
dépourvu de gloire: Chlodion, a-t-on dit, est entré par surprise dans la ville de
Cambrai; rien n’était plus facile que d’envahir l’Artois; mais quand le bruit
de cette invasion fut parvenu à Aétius, le maître de
la milice romaine, il accourut et battit les Francs dans toutes les rencontres.
Cette manière de présenter les faits est évidemment inexacte. Grégoire de
Tours dit qu’après avoir envoyé des éclaireurs pour reconnaître le pays,
Chlodion se mit lui-même en marche, qu’il écrasa les Romains et prit la ville
de Cambrai. Il ne dit pas qu’il la surprit, et ce n’est point parce qu’un
général se fait éclairer avant d’entreprendre une expédition, qu’on peut
l’accuser de surprise.
M. de Pétigny s’est emparé avec une sorte de bonheur, pour prouver que les Francs avaient
toujours été battus par les Romains, d’un épisode raconté par Sidonius Apollinaris dans son panégyrique de Majorien. Voici la
traduction textuelle du récit de ce poète gaulois: «Vous avez combattu ensemble
(Aétius et Majorien) dans les plaines des Atrébates,
que le Franc Cloïo avait envahies. Là venaient aboutir
plusieurs chemins resserrés par un défilé; ensuite on voyait le bourg de
Helena, formant un arc, puis on trouvait une rivière traversée par un pont
construit en planches. Majorien, alors chevalier, combattait à la tête du pont.
Voilà qu’on entend résonner sur la colline prochaine les chants d’un hymen
que célébraient les Barbares dansant à la manière des Scythes. Deux époux à la
blonde chevelure s’unissaient alors. Majorien défit les Barbares. Son casque
retentissait sous les coups, et les lances étaient repoussées par sa cuirasse
aux mailles épaisses, jusqu’à ce qu’enfin l’ennemi plie, se débande et prend la
fuite. Vous eussiez vu errer à l’aventure sur des chariots les brillants
apprêts de l’hymen barbare; on emportait çà et là des plats et des mets, puis
des bassins entourés de guirlandes de fleurs. Tout à coup le combat redouble,
et Bellone plus ardente brise le flambeau nuptial: le vainqueur s’empare des essèdes et de la nouvelle épouse. Le fils de Sémélé ne mit
pas plus promptement en déroute les monstres de Pholoé ni les Lapithes de Péléthronium, lorsque les femmes
de Thrace, enflammées par les orgies, appelèrent Mars et Cythérée, se servirent
de mets sanglants pour commencer le combat, se firent une arme de vases remplis
de vins, et qu’au plus fort de la mélée, le sang des
Centaures souilla le mont Othrys en Macédoine»
En supposant qu’il fût permis
à l’historien de prendre au sérieux un pareil récit, que pourrait-il raisonnablement
en conclure? Qu’une ou plusieurs familles des Francs, surprises au milieu d’une
fête par Aétius et Majorien, furent mises en déroute
et abandonnèrent les apprêts de la noce. Cette action, si elle est vraie, doit
avoir eu lieu à Vieil-Hesdin (Hedena) dans les
limites du pays des Morins, déjà occupé par les Francs depuis l’an 407. Ce
n’est pas de ce côté que Chlodion entra dans la Gaule celtique; il marcha sur
Tournai, et de Tournai à Cambrai. Aétius tenta vainement
de s’opposer à sa marche; son armée incapable de lui résister, se retira
derrière la Somme. Les Romains s’en consolèrent par des récits poétiques et en
écrivant dans l’histoire que les Francs s’étaient soumis à l’empire et avaient
reconnu la suzeraineté du vaincu. Ces artifices de langage leur étaient familiers.
Les Francs avaient peut-être promis de ne pas pousser plus loin leurs
conquêtes; mais il n’en est pas moins vrai qu’ils avaient considérablement
élargi les limites de leurs possessions et que les Romains avaient été trop
heureux de leur accorder la paix pour les empêcher d’aller plus avant.
L’expédition d’Aétius sur le Rhin, en 428, avait eu
des résultats analogues; le
général romain avait vaincu les Francs Ripuaires, mais il les avait laissés en
possession du territoire conquis en leur accordant la paix. Cette espèce de
suzeraineté que les écrivains romains font sonner si haut, était plutôt fictive
que réelle. Les Francs n’y voyaient probablement qu’une trêve, un traité de
paix temporaire, et dans la réalité ce n’était pas autre chose.
En étendant leurs possessions
jusqu’à la Somme, les Francs de Belgique n’avaient pas abandonné leur patrie
primitive; ils n’avaient fait que reculer ses limites. Il est à remarquer en
effet que cette invasion n’a pas le même caractère que celles qui furent
opérées plus tard par des bandes de guerriers réunis autour d’un chef pour
courir les hasards des combats. Ici, c’est un peuple établi sous un climat
froid et humide, qui fait un mouvement d’extension vers le Sud, pour y jouir
d’un soleil plus chaud. Une fois ce mouvement opéré, son but est atteint; il ne
s’occupe plus que du soin de consolider son nouvel établissement. C’est ce qui
explique le silence des historiens sur la fin du règne de Chlodion et sur le
règne tout entier de Mérovée. Il a même fallu inventer une fable pour pouvoir
dire quelque chose des premières années du règne de Childeric. Tout le monde
connaît la légende du roi Basin et de la reine Basine.
Grégoire de Tours rapporte que Childeric, s’adonnant à une luxure effrénée, se
mit à déshonorer les filles du peuple des Francs sur lequel il régnait. Ceux-ci
indignés le chassèrent. Voyant qu’on en voulait même à sa vie, Childeric s’en
alla en Thuringe, et se cacha chez le roi Basin et chez sa femme Basine. Après l’avoir expulsé, les Francs élurent d’une voix
unanime Aegidius, qui avait été envoyé par le gouvernement romain comme maître
de la milice. Celui-ci était déjà dans la huitième année de son prétendu règne,
lorsque Childeric, rappelé, quitta la Thuringe et fut rétabli dans son royaume.
Alors Basine abandonna son époux et vint trouver
Childeric. Comme il lui demandait pour quel motif elle venait d’un pays si
éloigné, elle répondit: «Je connais ton mérite et ton grand courage. C’est
pour cela que je viens habiter avec toi, car sache que, si j’avais connu au-delà
des mers un homme qui valût mieux que toi, j’aurais voulu vivre avec lui».
Childeric plein de joie l’épousa. Il en eut un fils qu’on appela du nom de
Chlovis: «Ce fut, dit Grégoire de Tours, un grand roi et un redoutable
guerrier»
Le grand événement de cette
époque, c’est l’invasion des Huns, c’est surtout la bataille de Mauriac, où
Attila fut battu et mis en fuite. Il ne paraît pas que les Francs, comme corps
de nation, aient été mêlés à cette guerre. Idatius,
chroniqueur contemporain, se borne à dire que les Huns attaquèrent le roi (des
Visigoths) Théodoric et le général Aétius, dans les champs Catalauniens, non loin de la ville de Metz qu’ils
avaient détruite, et qu’ils furent vaincus avec le secours de Dieu. Il ne parle
pas des Francs. Jornandès, dont les écrits datent de
l’an 515, dit qu’aux Romains se joignirent comme auxiliaires des Francs, des
Burgondes, des Armoriques, des Ripuaires, des Saxons,
des Ibrions, des Sarmates, jadis soldats romains,
mais alors appelés seulement comme auxiliaires. Évidemment, ces expressions ne
peuvent s’appliquer qu’à des bandes composées d’anciens soldats déclassés.
S’il y avait eu un contingent régulièrement fourni par la nation des Francs, ce
n’est pas dans ces termes que Jornandès en aurait
parlé. Il ne cite que trois nations, les Romains, les Visigoths et les Alains,
comme ayant pris part à la bataille de Mauriac; le reste est compris sous la
dénomination générale d’auxiliaires.
Il ne paraît donc pas que le
calme dont jouissaient les Francs-Saliens, dans leurs nouvelles possessions,
ait été troublé par l’expédition d’Attila. S’il est vrai que celui-ci ait
saccagé Trêves et Metz, les Ripuaires doivent s’être trouvés dans le cas de
repousser ses attaques; mais rien n’indique que la nation franque ait été engagée
tout entière dans cette lutte. On sait d’ailleurs quel était le but d’Attila: c’était
aux Visigoths qu’il voulait faire la guerre, et nullement aux Francs, dont, à
cette époque, les populations paisibles ne portaient ombrage à personne. Nous
trouvons dans Orose un témoignage précieux de cette disposition des Francs à
jouir des bienfaits de l’ordre et de la paix: «Les Barbares eux-mêmes, y est-il
dit, n’ont pas plutôt achevé leurs conquêtes, que, prenant leurs glaives en
exécration, ils se sont tournés vers les travaux des champs; et nous les
voyons aujourd’hui traiter les Romains qui restent au milieu d’eux comme des
amis et comme des frères; au point qu’il n’est pas rare de trouver chez eux des
Romains qui préfèrent une pauvreté libre au milieu des Barbares aux angoisses
d’une vie tourmentée par les exactions de Rome»
Cependant les chefs des
Francs, appelés proceres, optimates,
principes et même reges par les auteurs
latins, s’étaient partagé le territoire conquis; mais leur domination devait
être supportable, puisque les indigènes la préféraient à celle des Romains. M.
de Pétigny suppose que, pendant cette longue paix qui
suivit la première invasion des Francs, ceux-ci ne touchèrent point à
l’administration intérieure des cités gauloises; que ces cités continuèrent à
être gouvernées par elles-mêmes, dans les formes établies par les lois de
l’empire et sous l'influence prépondérante des évêques, représentants électifs
de la société chrétienne.
C’est une illusion fondée sur
cette idée, que les Francs ne possédaient d’établissements dans la Gaule qu’à
titre de bénéfice militaire, et qu’ils n’avaient pas cessé de reconnaître la
suprématie de Rome, bien qu’ils n’eussent plus de relation avec elle et que les
communications même avec la préfecture d'Arles dussent être fort difficiles.
Cette illusion doit tomber devant les faits historiques parfaitement
constatés. Il est certain que les villes furent distribuées, comme les autres
parties du pays, aux chefs des Francs. De même que Tournai fut occupée par le
roi des Saliens, et Cologne par celui des Ripuaires, Tongres eut aussi son
seigneur particulier; Cambrai fut le partage de Ragnacaire; Thérouanne tomba
aux mains de Chararic; le Mans devint la résidence
de Rignomer. Chacun de ces personnages était le
maître dans sa ville; et quant à l’influence prépondérante des évêques,
représentants de la société chrétienne, nous la verrons se produire bientôt
après la conversion de Chlovis; mais c’est faire un étrange anachronisme que de
la placer à une époque où les Francs étaient encore païens.
4.
ÉTABLISSEMENT DE LA MONARCHIE
MÉROVINGIENNE.
Ce fut au milieu du règne
assez long de Childeric, que les Francs sortirent pour la première fois des
limites de leurs possessions nouvelles. On vit alors s’élancer ces bandes
guerrières, connues sous le nom de Gefolgschaften,
qui étaient déjà en usage au temps de Tacite, et donc nous aurons l’occasion de
préciser le caractère. Childeric, à la tête de ses compagnons d’armes, fit une
irruption dans la Gaule centrale jusqu’à Orléans; il attaqua les Goths, qui
voulaient passer la Loire, les Saxons qui s’étaient emparés d’Angers, et puis
il fit une alliance avec ces derniers, pour porter la guerre chez les Allemans.
L’histoire de ces expéditions est excessivement obscure; on ne peut les
expliquer que par l’état d’anarchie dans lequel se trouvait la Gaule. Outre les
Francs, les Burgondes et les Visigoths, qui en occupaient les plus grandes
fractions, il y avait dans ce pays des Saxons, des Sarmates, des Alains, des Tayfales, des Ibrions, des Armoriques et d’anciens lêtes de
diverses nations. Perdus, écrasés entre toutes ces populations barbares, les
Gaulois étaient incapables de mettre obstacle à leurs courses désordonnées, comme
à leurs luttes sanglantes et à leurs déprédations.
Cependant, à l’époque où
Chlovis succéda à son père Childeric, les populations gallo-romaines avaient
encore un chef dans la personne de Syagrius, fils d’Égidius,
noble Gaulois, qui avait établi le siège de son gouvernement à Soissons. Les
indigènes reconnaissaient son autorité depuis la Somme jusqu’à la Loire. C’est
contre lui que les compagnons de Chlovis et ceux de Ragnacaire firent leur
première expédition. Ce reflet de l’empire romain disparut bientôt et toutes
les cités sénonnaises tombèrent successivement sous
la domination des vainqueurs.
Après avoir essayé ses forces
contre les Gallo-romains, Chlovis fut assez heureux pour trouver l’occasion de
défendre leur pays contre une nouvelle invasion de Barbares. Les Allemans et
les Suèves avaient fait irruption dans les États de Sighebert, son parent; ils
voulaient à leur tour envahir la Gaule. Chlovis vola au secours du roi des
Ripuaires; alors eut lieu, en 496, la fameuse bataille de Tolbiac, où les
Allemans furent complètement défaits. La tradition rapporte que la victoire
ayant paru d’abord indécise, Chlovis se rappela ce que Chlotilde sa femme lui avait dit souvent du Dieu des chrétiens, et fit voeu d’embrasser sa religion, s’il voulait lui donner la
victoire. A peine avait-il formé cet engagement, que les Allemans tournèrent
le dos et commencèrent à se mettre en
déroute. Grégoire de Tours, en faisant le récit de cette bataille, ne nomme pas
l’endroit où elle fut livrée; mais dans un autre chapitre de son histoire, il
dit que Sighebert avait reçu au genou une blessure qui le rendait boiteux, en
combattant les Allemans près de Tolbiac. Cet endroit est celui qu’on appelle
aujourd’hui Zulpich ou Zulch,
dans l’ancien duché de Juliers.
Chlovis, en repoussant les
Allemans à Tolbiac, devint le protecteur du peuple gallo-romain soumis à son
autorité. Dès lors un changement considérable s’opéra dans sa position
personnelle et dans la condition des habitants de la Gaule. Ce pays n’ayant
plus d’autre chance de sortir de l’abîme que par l’avènement d’un roi barbare,
assez fort pour le défendre et rétablir l’ordre, les grands de la Gaule qui,
presque tous s’étaient réfugiés dans l’église, s’empressèrent d’entourer le roi
des Francs. Saint Remi, issu d’une des familles les plus nobles de la cité de
Reims, fut assez habile pour le déterminer à accepter le baptême chrétien.
Grégoire de Tours rapporte qu’à l’intervention de la reine Chlotilde,
saint Remi engagea peu à peu et secrètement Chlovis à croire au vrai Dieu,
créateur du ciel et de la terre, et à abandonner ses idoles. Le roi voulut
consulter ses guerriers; il les trouva disposés à suivre les conseils et
l’exemple de leur chef.
«On
apporta cette nouvelle à l’évêque (saint Remi) qui, transporté de joie, fit
préparer les fonts sacrés Les places publiques sont ombragées de toiles peintes;
les églises sont ornées de blanches courtines, l’encens exhale ses parfums, les
cierges odorants répandent la lumière; l’église du saint baptême respire tout
entière une odeur divine, et les assistants purent croire que Dieu, dans sa
grâce, répandait sur eux les parfums du paradis. Le roi demanda au pontife à
être baptisé le premier. Nouveau Constantin, il marche vers le baptistère, pour
s’y purifier de la lèpre qui depuis longtemps le souillait, et laver dans une
eau nouvelle les taches honteuses de sa vie passée. Comme il s’avançait vers le
baptême, le saint de Dieu lui dit de sa bouche éloquente: Courbe humblement la
tête, Sicambre; adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré». Le roi, ayant reconnu la toute-puissance
de Dieu dans la Trinité, fut baptisé au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit, et oint du saint chrême avec le signe de la croix; plus de trois
mille hommes de son armée furent baptisés avec lui, ainsi que sa soeur Alboflède, qui, quelque
temps après, alla rejoindre le Seigneur»
Le baptême auquel Chlovis
s’était prêté lui assura le concours du clergé gallo-romain et la soumission du
pays jusqu’aux rives de la Loire. L’évêque devienne, entre autres, Avitus, lui
adressa une lettre qui caractérise l’impression que cet événement produisit
sur les chefs de l’Eglise: «Enfin, dit-il, la divine providence vient de
trouver en vous l’arbitre de notre siècle. Tout en choisissant pour vous, vous
décidez pour nous tous. Votre foi est notre victoire... Poursuivez vos
triomphes; vos succès sont les nôtres, et partout où vous combattez nous
remportons la victoire»
Le pape Anastase exprima les
mêmes idées: «Nous voulons faire savoir à ta sérénité, dit-il, toute la joie
dont notre coeur paternel est rempli, afin que tu
croisses en bonnes oeuvres, et, nous comblant d’allégresse,
tu sois notre couronne et que l’Église, notre mère, se réjouisse d’avoir donné
à Dieu un si grand roi. Continue donc, glorieux et illustre fils, à réjouir ta
mère; et sois pour elle une colonne de fer, afin qu’elle te donne à son tour la
victoire sur tous tes ennemis. Pour nous, louons le Seigneur d’avoir ainsi pourvu
aux besoins de son Église, en lui donnant pour défenseur un si grand prince, un
prince armé du casque du salut contre les efforts des impurs»
Cependant Ragnacaire, ce
parent de Chlovis, qui l’avait suivi partout, se sépara de lui, lorsqu’il eut
renoncé aux dieux des Francs, et se retira avec ses compagnons d’armes. Il
repassa la Somme, pour rentrer dans ses possessions de Cambrai et d’Arras. La
nation franque, au sein de laquelle Ragnacaire venait de se rapatrier, demeura
étrangère aux expéditions de Chlovis, en ce sens qu’elle n’opéra point alors,
comme au temps de Chlodion, un mouvement d’invasion proprement dite; il n’y eut
que des expéditions de guerriers rangés sous la bannière du roi.
Individuellement ils passèrent en grand nombre dans les provinces gauloises;
les campagnes de Chlovis contre les Bourguignons et les Visigoths supposent des
rassemblements de troupes considérables.
A ceux qui prétendent, comme
M. de Pétigny, qu’il n’y eut pas de conquête de la
Gaule, que l’occupation de ce pays par les Francs fut toute pacifique, nous
nous bornerons à opposer les paroles suivantes d’Augustin Thierry. «Chlodowig,
chef des Francs, parut sur les bords de la Loire. L’épouvante précédait son
armée; on savait qu’à leur émigration de Germanie en Gaule, les Francs
s’étaient montrés cruels et vindicatifs envers la population gallo-romaine; la
terreur fut si grande à leur approche, que, dans plusieurs lieux, on crut voir
des prodiges effrayants annoncer leur invasion et leur victoire. Les anciens
habitants des deux Aquitaines se joignirent aux troupes de Goths pour la
défense du territoire envahi. Ceux des pays montagneux qu’on nommait en latin Avérnia et que nous appelons Auvergne, s’engagèrent
dans la même cause. Mais le courage et les efforts de ces hommes de races
diverses ne prévalurent pas contre les haches des Francs»
L’auteur français dit encore
dans le même ouvrage: «Plus d’une fois la vieille terre des Gaules a tremblé
sous les pieds de ses vainqueurs; mais, soit que la fatigue de ces luttes ait
surpassé les forces de nos aïeux, soit que la violence ait répugné à leur caractère
doux et paisible, ils ont bientôt suivi d’autres voies. Au lieu de repousser la
conquête, ils l’ont niée, croyant qu’en l’oubliant eux-mêmes, ils la feraient
oublier à d’autres»
La plupart des guerriers
francs s’établirent sur le territoire conquis; les uns furent investis de commandements,
de dignités, de fonctions de tous genres; d’autres obtinrent des propriétés
foncières souvent fort étendues; il y en eut beaucoup qui se fixèrent autour
des résidences royales, et qui vinrent chercher les faveurs de la fortune dans
les palais des princes mérovingiens; mais la masse de la nation resta dans les
contrées qu’elle occupait, entre la Somme et le Rhin. L’espèce de fédéralisme
qui unissait les diverses tribus franques leur permettait bien de reconnaître
pour roi celui des membres de la famille mérovingienne qui dirigeait leurs
expéditions guerrières; mais ces tribus n’entendaient pas abdiquer leur
indépendance et renoncer à leurs institutions nationales. D’un autre côté
cependant les instincts ambitieux de Chlovis se développaient par les
adulations dont il était l’objet de la part du peuple civilisé de la Gaule.
Déjà après la bataille de Soissons, il avait tourné ses armes contre ses compatriotes
pour forcer les Tongriens à reconnaître sa suprématie. L’organisation
indépendante des tribus et surtout la coexistence de plusieurs princes à longue
chevelure (criniti) ne convenaient pas à ses
vues ni à celles des grands de la Gaule, pour qui la centralisation des
pouvoirs politiques était l’idéal du gouvernement. Afin de réaliser cet idéal,
Chlovis no craignit point de se souiller de tous les crimes. Son expédition
contre les Tongriens n’avait été qu’un premier pas pour atteindre les
Ripuaires: il voulait en réunissant ceux-ci aux Francs Saliens, fonder l’unité
de la monarchie. Par la plus atroce des combinaisons, il se servit, pour
assassiner le roi Sighebert, de la main de son propre fils et puis il punit de
mort le parricide. Il n’eut plus alors qu’à se rendre à Cologne pour recueillir
l’héritage des rois ripuaires.
Mais il y avait encore, sinon
d’autres rois, du moins d’autres princes de la race des Criniti.
Chlovis résolut de les faire disparaître, comme il avait fait de ceux qui
régnaient chez les Ripuaires. L’exécution suivit de près la résolution. A peine
revenu de Cologne, où on l’avait porté sur le pavois, il fit mettre à mort
successivement, ou il tua de sa main les princes de sa famille établis à
Thérouanne, à Cambrai, au Mans. Leurs fils et leurs frères subirent le même
sort; ce massacre atteignit tous ceux qui auraient pu prétendre au partage de
la royauté. Alors l’unité fut faite, autant qu’elle était possible, parmi les
Francs, et la monarchie mérovingienne fut constituée. Chlovis put revêtir, dans
l’église de Saint-Martin à Tours, la tunique et le manteau de pourpre que
l’empereur Anastase lui avait envoyés. Il convoqua un concile à Orléans; trente
évêques des Gaules y assistèrent. Des immunités étendues furent accordées aux
églises, auxquelles le roi fit d’ailleurs d’immenses donations. Il établit le
siège de son gouvernement à Paris, et s’efforça d’affermir sa domination sur le
peuple Gaulois, par un accord parfait avec le clergé.
Mais après la mort de
Chlovis, en 511, la situation qu’il avait voulu anéantir se produisit de
nouveau. Il laissait quatre fils, qui se partagèrent sa succession, avec
l’assentiment des grands du royaume, conventis Francorum proceribus. Ce partage ne
s’appliquait, il est vrai, qu’aux biens du domaine royal; mais on déterminait
en même temps les parties du pays dans lesquelles chacun des copartageants
exercerait l’autorité, et dont les habitants auraient à le suivre comme leur
seigneur. Les successeurs de Chlovis ne voulaient pas détruire l’unité du
royaume, mais seulement en partager l’administration. C’est ainsi qu’il y eut
un roi à Metz, un autre à Soissons, un troisième à Orléans, un quatrième à
Paris.
On est étonné que le lien
social ne se soit pas rompu sous le règne de ces princes, dont l’histoire n’est
qu’une longue série de crimes. Mais la force vitale de la société des Francs
n’était pas dans la famille de leurs rois, comme dit Sismondi; elle était tout
entière dans la nation. Jamais cette nation ne fut plus unie, plus puissante et
plus redoutée; jamais elle n’étendit plus loin ses conquêtes. Pendant le
demi-siècle qui suivit la mort de Chlovis, les Francs imposèrent la paix aux
Saxons; ils adjoignirent ou soumirent successivement à la monarchie
mérovingienne la Thuringe, la Souabe et la Bavière; ils répandirent la terreur
de leurs armes dans toute l’Italie et jusque chez les Slaves; ils s’élevèrent
enfin, au milieu des peuples de l’Occident, à un degré de puissance et de
gloire qu’aucun autre peuple n’a pu atteindre. La jalousie mutuelle des fils de
Chlovis eut pour résultat final de réunir dans les mains d’un seul, de
Chlotaire Ier, non-seulement toutes les parties du royaume des
Francs, mais encore les pays conquis, la Bourgogne, la Thuringe, la Souabe et
les territoires pris aux Ostrogoths.
A la mort de Chlotaire, en
561, ses États furent de nouveau partagés entre ses quatre fils, de la même
manière à peu près que l’avaient été ceux de Chlovis. Mais Charibert, roi de
Paris, étant mort peu de temps après, le royaume des Francs ne se trouva plus
fractionné qu’en trois parties, qu’on commença à désigner sous les noms
d’Austrasie, de Neustrie et de Bourgogne. Ce dernier pays, qui avait conservé
son gouvernement propre après l’extinction de ses rois nationaux, en 524, finit
insensiblement par perdre aussi son autonomie; de sorte qu’il n’y eut plus en
définitive que deux grandes divisions, l’Austrasie et la Neustrie.
Le nom d’Austrasie ou
d’Auster s’explique facilement: c’est celui du royaume oriental. Moins clair
est celui de Neustrie ou de Neuster. Selon quelques
auteurs, il signifie probablement non Austrasia;
selon d’autres, Neustria est une corruption de Westria;
d’autres encore pensent qu’il vient de Neo ou Neu-Westria. La différence de nationalité des habitants ne
peut pas être considérée comme la seule cause qui détermina la formation de ces
deux divisions du royaume; mais il est à remarquer cependant que, sauf la
Flandre qui était de minime importance à cette époque, toutes les populations
germaniques se trouvaient d’un côté, et les populations gallo-romaines de
l’autre.
L’Austrasie comprenait, outre
la partie orientale du royaume primitif des Francs, les territoires annexés des
Thuringiens, des Allemans et des Bavarois. Une grande partie du pays occupé
jadis par les Allemans faisait partie intégrante de l’Austrasie franque;
cependant la Souabe et la Bavière se distinguaient encore du royaume des Francs.
D’autre part, ce n’était pas seulement le pays des Ripuaires, avec les
conquêtes germaniques orientales, qui formaient le royaume d’Austrasie, mais
encore le pays des anciens Salions, entre la Meuse et l’Escaut, et de plus les
contrées qui séparent le Rhin de la Marne, depuis Châlons jusqu’à Strasbourg.
Metz était la résidence du roi d’Austrasie; les villes de Châlons et de Reims
marquaient en quelque sorte sa frontière occidentale.
Nous devons nous borner à cet exposé rapide de rétablissement et des partages de la monarchie mérovingienne, afin de ne pas nous écarter du but de ce mémoire. Il nous reste cependant à jeter un coup d’oeil sur les institutions des Francs à cette époque de leur histoire: car c’est dans ces institutions en quelque sorte primitives qu’il faut chercher la source de presque toutes celles qui suivirent, et l’explication de la plupart des événements.
Section II. Organisation politique
du royaume des Francs
Chapitre
premier. Origine belge des Carolingiens
Chapitre II. Les maires du palais
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