HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST |
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HISTOIRE DE L'EMPIRE OTTOMANLIVRE VI
BAJESID, FRATRICIDE, MONTE SUR LE
TRONE. PREMIER SIÈGE DE CONSTANTINOPLE PAR LES TURCS. — PREMIÈRE
INVASION TURQUE EN HONGRIE.—CONQUÊTE DES ÉTATS DE KARAMANH, DE BURDANEDDIN ET
DE KOETURUM.— CORRUPTION DES MOEURS ET DES JUGES. — FONDATIONS ET CONSTRUCTIONS.
— BATAILLE DE NICOPOLIS ET MASSACRE DE DIX MILLE PRISONNIERS.— MOSQUÉE ET KADI
A CONSTANTINOPLE. — NOUVELLES CONQUÊTES EN ASIE ET EN GRÈCE.
Le règne de Bayezid-Ildirim, c’est-à-dire la
foudre, commence comme l'histoire du monde par un fratricide. A peine son père
avait rendu le dernier soupir, Bayezid fit mettre A mort son unique frère
Jakub, en raison, dit l'historiographe de l’empire, de cette maxime du Koran: la sédition est pire que l’exécution. Il considérait
aussi le mauvais exemple de conjuration et de révolte donné par sou frère
Sandschi, et la nécessité de prévenir l'envie de l’imiter. Enfin, à l’exemple
de Dieu lui-même qui règne seul et sans rival, celui qui est l’ombre de Dieu
sur la terre, le chef des vrais croyants, devait, semblable à Dieu et délivré
de tout rival, s'asseoir seul sur le trône. La politique des sultans
successeurs de Bayezid trouva ses motifs si puissants, que l'imitation de sa
conduite fut regardée par eux comme un devoir, et que dans la suite Mohammed le
Conquérant proclama publiquement comme loi de l’empire, que chaque nouveau
sultan devait immoler ses frères à son avènement. Les historiographes ottomans
pour qui ce fratricide parait une tache à la mémoire de leur héros, malgré leur
accord à le regarder comme une nécessité politique, prétendent que l'exécution
de Jakub eut lieu à l’insu d'Ildirim et d'après
l'unanime décision des begs. Les historiens
européens, qui se plaisent à exagérer les horreurs comme les ottomans à
exagérer les éloges, portent jusqu'à sept le nombre de frères que Bayezid fit
exécuter, bien qu'il n'en ait jamais eu que deux, et qu'il ne lui en restait
plus qu'un seul lorsqu'il devint maître du pouvoir suprême.
Après avoir envoyé en Asie les notifications
nécessaires sur la victoire de Kossovo et sur son élévation trône, Bayezid s’occupa
d'abord de mettre ordre aux affaires de Servie. Il ordonna à Jigit-Beg de faire des courses en Bosnie, et à Firus-Beg de pousser des partis du côté de Vidin; il
prit ensuite possession des mines d'argent de Karatova,
et peupla Skopi de colons turcs. Après
cela, (1389), Étienne, fils de Lazare étant venu lui prêter serment de
fidélité, il conclut avec lui un traité par lequel le despote s’engageait à
suivre Bayezid comme allié dans toutes ses guerres, à lui donner sa sœur en mariage,
et à lui payer un tribut annuel sur ses mines d’argent. Ildirim humilia davantage les Paléologues qui se
disputaient le trône byzantin. Andronicus et Jean, fils et petit-fils de Jean,
l'empereur régnant, qui avait trouvé contre eux un allié dans Mourad, comme
auparavant il avait rencontré un appui dans Urchan contre
Cantacuzène avaient dû, sur l'injonction de Mourad, à cause de leur conjuration
avec Sandschi son fils, avoir les yeux brûlés puis être jetés en prison; mais
les ordres pour le supplice n'avaient pas été tellement bien exécutés que les
deux princes fussent entièrement privés de la vue, et qu'ils n'eussent conservé
quelque espoir de monter un jour sur le trône; leur garde n'était pas si sévère
qu'ils n'eussent pu trouver moyen de s’adresser à Bayezid, et de réaliser par
lui leurs espérances. Bayezid saisit avidement l’occasion qui lui était offerte
de semer de nouveaux troubles; il se réjouit comme le loup lorsque le vent
soulève la poussière. Ainsi s’exprime Phranzes faisant
allusion sans doute au loup qui se trouvait dans les anciennes armoiries
turques. Le sultan vint donc à Constantinople au secours des princes avec six
mille cavaliers et quatre mille fantassins; il arracha du palais des fontaines
l’empereur Jean et son fils Manuel, les enferma dans la tour d’Anemas, et les remit à la garde sévère d’Andronicus, qui
monta sur le trône de son père. Pour prix d’un tel service, Andronicus paya
chaque année à Bayezid plusieurs quintaux d'argent et d’or; toutefois, il
n’écouta pas les conseils répétés du sultan d'immoler son père et son frère.
L’empereur Jean et Manuel, par le secours des Génois, réussirent à échapper aux
soldats bulgares qui gardaient la tour d’Anemas et
se réfugièrent auprès de Bayezid. Celui-ci qui avait souvent pressé Andronicus
de les mettre à mort maintenant résolut de tirer parti de leur existence, ou
châtier la désobéissance de son protégé Andronicus. Réveillant le souvenir de
l’ancienne amitié du vieil empereur avec son père Murad et son aïeul Urchan, Bayezid prêta l’oreille aux proportions de Jean,
qui lui offrait d’être son vassal. Celui-ci promit de payer pour la captivité
du fils le tribut que le fils avait payé jusqu’alors pour celle du père, de se
mettre chaque printemps au service du souverain des Ottomans avec douze mille
hommes, cavaliers et fantassins, et de se regarder comme l’ami de ses amis et
l’ennemi de ses ennemis. Cet accord fut des deux côtés scellé par un serment
(1390). Bayezid envoya un messager à Constantinople pour s’informer des
habitants lequel des deux fils de l’empereur, Andronicus ou Manuel, ils étaient
disposés à reconnaître comme son successeur au trône. Le rapport ayant été
favorable à Manuel, Bayezid lui prêta le secours promis, et une armée turque le
replaça sur le trône, comme elle l’en avait arraché deux ans auparavant. Mais
Andronicus ne retourna pas en prison; il conserva ce qui restait encore de
l’empire byzantin hors des murs de la capitale, savoir: Selymbria, Heraklea, Rhaidesios, Danias et Panidossur la Propontic,
ainsi que Thessalonique. Manuel fut couronné comme successeur et co-régent de
l’empereur Jean, qui parut deux ans encore assis sur le trône, où la pitié des
princes ottomans Urchan, Mourad et Bayezid, le
maintint pendant la durée d’un demi-siècle.
Bayezid, ayant conclu la paix de Servie, avant
de partir pour l’Asie, jeta à Andrinople les fondements d’une mosquée, dans
cette partie de la ville que l’on nomme encore aujourd'hui le quartier d'Ildirimchan. Cette mosquée dont la coupole repose sur
quatre arceaux, et qui pour cela est appelée mosquée de la coupole, avec un
minaret y attenant, ne fut achevée que dans l’espace de quatorze ans. Saridsche-Pacha, appelé souvent général des Asabes, bâti une autre mosquée dans cette résidence. Comme
commandant de la flotte, il captura a l’entrée des Dardanelles un vaisseau
franc, sur lequel se trouvait une princesse destinée à l'empereur de Byzance.
La belle fiancée impériale dont le nom est resté inconnu, entra dans le harem
de Bayezid, qui, déjà se trouvant marié avec la fille du seigneur de Kermian, avec la princesse de Byzance, et celle de Servie,
comptait maintenant quatre princesses pour ses femmes légitimes. Afin de
subvenir aux frais nécessaires à l’achèvement de la mosquée qu’il venait de
fonder, il entreprit une expédition en Asie, et résolut de conquérir Alaschehr
(Philadelphia); cette ville, située en re les pays soumis aux Ottomans et ceux
du prince d’Aidin dont elle était l’alliée,
était la seule possession que les Grecs eussent conservée dans toute l'Asie.
Pour faire cette conquête le sultan réclama les troupes de ses nouveaux alliés
de Servie de Byzance [1391]. Le commandant grec d’Alascheur répondit
à la sommation de Manuel de recevoir un juge et un préfet turcs, qu’il n'était
pas disposé à livrer la ville à un barbare. Ildirim,
transporté de terreur, fit investir la place par les troupes grecques placées
sous les ordres de Jean et de Manuel en personne, qui reçurent pour les
services rendus dans ce siège une récompense d’Ildirim,
à qui le fidèle vassal avait refusé de livrer la ville; et, ce qui paraîtra
plus incroyable, c’est que les deux empereurs montèrent les premiers à l’assaut
de leur propre ville pour la mettre au pouvoir des barbares. Philadelphie est
restée plus fameuse dans l’histoire par cette étrange manière de passer aux
mains des musulmans, que par la conquête précédente qu’en avaient faite les
Seldschuks, les Byzantins, les croisés et les Karamaniens, à qui les Catalans,
sous la conduite de Roger, avaient tenté de l’enlever. Anciennement elle
s’appelait Kallatebos; Hérodote en parle à
propos de la marche de Xerxès à cause de ses gâteaux de miel; aujourd'hui même
l’Halwa, c'est-à-dire le gâteau du miel d'Alaschehr, ainsi que celui de Konia, sont renommés dans toute l’Asie Mineure. Bayezid y
bâtit une mosquée, une école et des bains, et affecta les revenus delà ville à
l’érection et à l’entretien de la mosquée qu’il avait commencée à Andrinople.
Le prince d'Aidin, dont la protection avait soutenu
jusqu'alors Alaschehr, l'unique ville grecque d’Asie, vint prêter serment au
vainqueur; non-seulement il se désista du droit souverain de frapper monnaie et
de faire dire la prière publique dans tout son territoire, mais il céda encore
Éphèse, jusqu’alors sa capitale, et transporta le siège de son pouvoir à Tire,
aujourd'hui renommée par ses tapis et ses étoffes de coton. Avec la principauté
d'Aidin, celles de Ssaru-Chan
et de Mentesche furent incorporées à
l’empire ottoman, et les princes de ces pays cherchèrent et trouvèrent un
refuge contre la puissance de Bayezid-lldirim (la
foudre), auprès de Kœturum-Bayezid, c'est-à-dire
Bayezid le Perclus, seigneur de Kastemuni et de Sinope. Ildirim fit de ses nouvelles conquête un sandschak qu'il donna à son fils Ertoghrul. Ainsi des
dix principautés formées des débris de l'empire seldjoukide, déjà sept étaient
venues s'engloutir dans le gouffre toujours béant de la puissance ottomane; au
nord et au sud de l'Asie Mineure, les deux princes seuls de Kastemuni et
de Karamanie bravaient encore sa puissance.
Depuis la paix renouvelée par Urchan, des
relations d'amitié s'étaient formée avec le dernier; mais le vassal de Hamid
éleva des plaintes contre lui à Bayezid, après avoir entièrement soumis Kermian et Tekke, et
placé Firus-Beg à la tête de ce
nouveau sandschak, se tourna contre la Karamanie, dont le prince Alaeddin se réfugia dans les
rochers de la Cilicie Pétrée. Bayezid investit Konia,
qu’avait assiégée son père Mourad; il eut les mêmes égards pour les habitants
de la contrée; il usa de la même discipline rigoureuse qui avait autrefois
excité des mécontentements dans les troupes auxiliaires de Servie. Les citoyens
de la ville eux-mêmes furent ainsi encouragés à transporter du blé dans le camp
ottoman; et, quand ils eu avaient reçu le prix, ils étaient reconduits en
sûreté par des tschauschs. Séduites par de tels
procédés, les villes karamaniennes d’Akschehr,
de Nikde, d'Akserai, ouvrirent elles-mêmes leurs
portes, et le commandement en fut donne au beglerberg Timurtasch.
Le prince de Karamanie, pour ne pas perdre
tousses États, en sacrifia une partie [1390], et la paix fut conclue à la
condition qu'à l’avenir le fleuve Tschehars-chenbe servirait
de limite entre les Ottomans et les Karamaniens.
Après avoir rétabli la tranquillité et l’ordre
en Asie, Bayezid-Chan se tourna vers l'Europe avec toutes ses forces. Il
commença par fortifier la clef de ses États européens, Gallipoli, détruite
jadis par les Catalans et les Ottomans eux-mêmes; il y construisit un port sûr
pour les galères, et une énorme tour pur arrêter les attaques des ennemis. Son
regard se tourna en même temps vers l'Archipel, vers Byzance, la Bosnie, la
Hongrie et la Valachie; il réclama de l’empereur byzantin le tribut et les secours
convenus, et le successeur et co-régent Manuel parut à la tête de cent hommes,
comme allié et vassal, dans le camp turc. Le sultan défendit l’exportation des
blés de l'Asie dans les îles de Lesbos, Lemnos, Rhodes et Chios; il envoya
contre cette dernière soixante longs vaisseaux, et réduisit en cendres la ville
et les villages qui, dans les quatre-vingt-quatre ans écoulés depuis la
première dévastation turque, étaient sortis de leurs ruines. L'Eubée et une
partie de l’Attique furent aussi ravagées. L’empereur Jean, qui, sous les
ordres de Bayezid, était monté le premier avec son fils à l'assaut delà ville
grecque de Philadelphie, songea alors, mais trop tard, à défendre sa capitale
par de nouvelles fortifications. Comme il manquait de pierres de construction,
il démolit trois des plus belles églises fondées par ses devanciers: celle des
Quarante-Martyrs, construite par l’empereur Marcian; celle de Tous les Saints,
par Léon le Grand, et celle de Saint Moccius,
par Constantin le Grand. Avec les blocs de marbre qu’il tira de ces temples, il
éleva, à la porte borée, deux grandes tours carrées, les plus grandes et les
plus belles des Sept-Tours, si fameuses. Bayezid arrivait dans ce moment
à Brusa, de retour de l'expédition d'Asie, et il
songeait à passer en Europe, lorsque, de Brusa,
où Manuel servait à sa porte, il envoya l'ordre à l’empereur de raser son
nouvel ouvrage, s'il ne voulait voir revenir son fils les yeux crevés. Le vieux
empereur obéit; tremblant pour la vie de son fils, et accablé de terreur et de
chagrin, il détruisit ce qu’il avait fait [1391]. Cette nouvelle arriva à
l’héritier du trône à Brusa, en même temps que
celle de la mort de son père; il s’enfuit aussitôt à Constantinople. Bayezid,
irrité contre les siens â qui était confiée la garde de Paléologue, et contre
Manuel lui-même, lui envoya un messager pour lui dire qu’à l’avenir un kadi réglerait
à Constantinople les affaires des vrais croyants; qu’il n’était pas juste que
les musulmans, attirés à Constantinople par le commerce ou pour d'autres motifs,
fussent obligés de comparaître devant les tribunaux des giaurs; que s’il refusait, les abords de la ville seraient
fermés dans toute la contrée environnante déjà soumise à la puissance ottomane.
Le messager fut suivi de l’armée, qui passa de la Bithynie en Thrace, ravageant
tous les villages depuis Panidos jusqu'aux
murs de la ville, et emmenant les habitants en esclavage.
Dès ce moment commença le premier siège ou
plutôt le premier blocus de Constantinople par les Turcs. Il dura sept
automnes; un corps de troupes se tint toujours en observation. Le reste de
l’armée turque envahit la Bulgarie, la Valachie, la Bosnie et la Hongrie.
Mirtsche, prince de Valachie, se reconnut vassal et tributaire du vainqueur; et
c’est depuis cette année que la Valachie est inscrite comme tributaire sur les
registres de la Porte [1391]. Ce fut aussi cette année que Tokatmisch, chan de la grande Tatarie, fut entièrement
défait par Timur-Chan et vit son empire abattu: l’émigration des Tatares
du Kiptschak vers les deux rives du Danube,
c’est-à-dire en Bessarabie et dans la Tatarie-Dobruze,
eut aussi lieu dans ce temps. Une partie de l'armée turque inonda la Bosnie
jusqu’à Naglazinze; mais, à la prière de Dabischia, successeur de Thwarko, Goyko-Manarvitius, avec des troupes hongroises, vint poser
une barrière, un terme aux courses de l’armée turque. Une partie de cette armée
musulmane tomba sur le pays de Sirmium, et se battit à Nagy Oloszou Francovilla contre
les Hongrois, commandés par Jean de Maroth; une
autre division conquit Galamboz et tout le
pays de Machov, jusqu'à ce que Pierre de Perenv la contraignit à la retraite et reprit le
château de Galamboz, situé sur une haute
montagne, prés de la rive du Danube appartenant à la Servie. Telle fut la
première invasion des Turcs en Hongrie, après un message infructueux que le roi
Sigismond avait envoyé à Bayezid-Chan; et ce fut seulement quatre siècles après
que les frontières de la Hongrie et de la Turquie furent définitivement fixées
par la paix de Sistov [1392]. L'année
suivante, Sigismond marcha dans la Bulgarie contre les Turcs alliés à Myrtsche, les battit, et s’empara, après un siège pénible,
du Petit-Nicopolis, forteresse située sur le Danube. La supériorité numérique
des Turcs le força de se retirer, et Blaise-Cserei garantit
le roi du sabre d'un sipahi, comme dans sa fuite
il lui procura les aliments nécessaires. Ce fut pendant cette retraite que le
roi Sigismond, se trouvant dans le comitat d’Hunyade,
s'éprit d’amour pour la belle Élisabeth Morsinay:
le fruit de cette liaison passagère fut Hunyade le
Grand, qui développa si brillamment le germe de valeur qu’il avait reçu de son
père, se distingua comme un heureux aventurier, par sou ardeur guerrière contre
les Turcs, par ses actions chevaleresques et ses nombreuses victoires.
Pendant que Bayezid était occupé de tous les
côtés en Europe, le prince de Karamanie s'agitait
encore en Asie. Par une attaque imprévue, il pénétra jusqu'à Angora et Brusa, et fit même prisonnier le beglerbeg Timurtasch; Bayezid en personne marcha contre lui.
L'ambassade de Karamanie qui vint à Brusa implorer la paix et le pardon du prince, fut
renvoyée avec cette réponse: que le glaive seul devait décider entre eux; ce
fut en effet le glaive qui décida en faveur des Ottomans dans la grande plaine
d'Aktsehai, au pays de Kermian.
Alaeddin, prince de Karamanie, fut pris avec ses
deux fils, Ali et Mohammed, et confié à la garde de son ennemi personnel, Timurtasch. Celui-ci avait été mis en liberté et renvoyé
avec de riches présents avant qu'on en vint aux mains, et dès la première
nouvelle de la marche de Bayezid; mais il n'était pas pour cela réconcilié avec
Alaeddin: il ne vit pas plutôt ce prime entre ses mains, qu'il le fit pendre
sans l’ordre et même contre la volonté de Bayezid. Le sultan irrité, du moins en
apparence, écouta cependant les excuses du beglerbeg, fondées sur des motifs
politiques; il le remit aussitôt en faveur, alléguant quels perte d'un prince
était moins importante que celle d’une province: maxime qui, dans la suite,
légitima plus d'une fois la mort des princes vaincus, exécutés par l’ordre des
sultans. Bientôt furent conquises les villes de Konia,
Akschehr, Akserai et Larenda, et toute la Karamanie fut incorporée aux États ottomans.
Ayant soumis à son empire le sud de l’Asie
Mineure, Bayezid poussa son armée dévastatrice vers l’est et le nord, afin de
traverser ces pays en conquérant, comme il avait fait pour ceux du sud et de
l’ouest. A l’orient, dans le pays qui forme aujourd'hui le gouvernement de
Siwas, entre cette ville (l’ancienne Sebaste)
et Kaiszarije (Césarée), régnait alors
Ahmed Kasi-Burhaneddin, c’est-à-dire le
juge-preuve de la foi. Ce prince, distingué par son savoir autant que par ses
talents politiques, avait établi sa domination sur les restes de plusieurs
tribus tatares autrefois soumises aux Dschengisides;
il était en même temps brouillé avec Bayezid et Kara-Juluk.
Bayezid, content d’avoir trouvé dans h dynastie du Mouton-Blanc un prince dont
le bras s’employât contre les ennemis des Ottomans, voulait d’abord laisser au
fils de Burhaneddin, Seinol-Aabidin,
les terres de son père; mais comme les principaux du pays trouvèrent plus
prudent d’envoyer le jeune prince auprès de Naszireddin-Beg,
de la dynastie de Sulkadr, prince voisin et son
parent, et invitèrent Bayezid à prendre possession du pays, celui-ci accepta
volontiers l’invitation, et, en conséquence, il s'empara des villes de Siwas,
Tokat et Kaiszarije [1392].
Au nord-ouest de cette partie de l’ancienne
Cappadoce, s’étend aujourd'hui le gouvernement de Kastemuni, qui comprend
l’ancienne Paphlagonie presque tout entière. Quelque temps après la chute de
l'empire des Seldschuks, le dernier rejeton de cette famille exerça dans ces
lieux une infâme piraterie; de son temps, ou immédiatement après lui, les fils
d’Ilsfendiar avaient régné sur ces contrées:
l'un d’entre eux, Kœturum-Bayezid (le perclus),
occupait alors le pouvoir, mais il ne put s’y maintenir contre Bayezid-Ildirim (la foudre). Les principales villes du pays
de Kastemuni, Ssamszun, Dschanik et Osmandschik,
avec les riches mines de cuivre, tombèrent entre les mains du conquérant. Kœturum-Bayezid se réfugia à Sinope, extrême forteresse de
ses États et port de mer; de là il négocia avec le vainqueur. Bayezid lui
laissa la ville de Sinope et son territoire; il exigea qu'on lui livrât les
fils des princes de Mentesche et d’Aidin, mais ceux ci se réfugièrent auprès de Timur, et
furent bientôt suivis par Isfendiar lui-même. Kastemuni fut
donnée comme gouvernement au prince Suleyman: ce pays est le plus abondant en
mines de tout l'empire ottoman; ses richesses naturelles et son industrie
l’avaient placé dans l’état le plus prospère. Kastemuni, la capitale,
renferme plusieurs mosquées remarquables; on y convertissait autrefois en
vaisselle de cuivre une partie des riches produits des mines voisines, mais
aujourd'hui elle ne possède plus de manufactures, bien qu'habitée par douze
mille Turcs, trois cents Grecs, et cinquante familles arméniennes. La ville est
située dans une vallée profonde, au milieu de laquelle se dresse un rocher
escarpé couronné d'un ancien château, autrefois forteresse appartenant aux
Comnènes, et plus tard aux Turkmans; elle
renferme le tombeau d un saint, et a donné naissance à plusieurs poètes et à la
fameuse Seineb. Dschanik,
l'ancienne résidence des tzanes, dont le nom se
reconnaît encore aujourd'hui dans celui du pays, est fameuse par l'âpreté de
ses montagnes et la rudesse des Turkmans qui
y habitent dispersés. Ssamszun, l'ancienne
Amisus, peuplée d’abord par les Milésiens, lorsqu’ils possédaient la Cappadoce,
ensuite par des colonies athéniennes; plus tard gouvernée par des rois, en bel
lieu par plusieurs d’entre eux, surtout par Eupator et
Mithridates: enlevée à Pharnace par Lucullus après un siège opiniâtre; déclarée
libre par Jules César; de nouveau soumise à des rois par Antoine; maltraitée
par le tyran Sirabo; rendue à la liberté par
l’empereur Auguste, après la victoire d’Actium, et de plus érigée en capitale
de toutes les villes du Pont; plus tard, une des principales villes de l’empire
des Comnènes; enfin, passant des mains de Bayezid le Perclus à celles de
Bayezid la Foudre, n’est plus aujourd'hui peuplée que de deux mille habitants,
et entourée de murs à demi ruinés. Les marins turcs estiment surtout surtout sa
poix, son goudron, ses cordes et ses câbles. A l’orient de Ssamszun s'étend la plaine de Phanaræa,
arrosée par l’Iris, et plus loin celle de Themiskyra,
qui, traversée par le Thermodon, était le pays des Amazones. Sur les bords de
l’iris, aujourd’hui Tscheharschen-bessuji,
c’est-à-dire eau du mercredi, se trouve Amasia,
dont le nom (chose merveilleuse!) s’est conservé intact jusqu'à nos jours, en
passant à travers tant de siècles, et par la bouche de tant de peuples
barbares. Enlevée aux Grecs par les Danischmendes,
à ceux-ci par les Seldjoukides, aux Seldjoukides par les Isfendiars, aux Isfendiars par
les Ottomans, elle est surtout remarquable par les ruines de l’ancien château
royal, les tombeaux des rois qui y sont creusés dans le roc, par les anciens
aqueducs et le palais d'Isfendiar. Tant d’avantages
l’ont fait généralement appeler la Bagdad de Rum.
Bientôt après la conquête faite par Ildirim, Amasia brava
pendant sept mois, derrière ses fortifications, toute la puissance de Timur,
qui fut obligé de lever le siège. Plus tard, pendant les révoltes de Karajasidschi et de Karasaid,
ce fut le refuge assuré de tous les biens meubles de la contrée. Parmi
plusieurs mosquées, on distingue surtout celle de Bayezid, non pas de Bayezid
1er, la Foudre, mais de Bayezid II, le Pieux; elle a cent pieds carrés: on y
remarque les sculptures élégantes de la chaire et de l’autel, et sa coupole. Le
même prince construisit aussi le tombeau du scheich Pir-Elias, lieu fameux de pèlerinage. Pir-Elias, contemporain de Bayezid la Foudre et connu
de Timur, se retira à Amasia; il est
enseveli dans le site ravissant de Suwadije, à
côté du couvent des Chalweti, fondé par Bayezid
II. Non loin de là est un autre lieu de pèlerinage fréquenté par les musulmans:
c'est le tombeau du gendre et successeur d'Elias, du scheich Hosameddin, qui, recevant la visite des trois fils de
Mourad Ier, permit à deux d’entre eux de lui baiser la main; mais il se jeta
aux pieds du troisième, Mohammed, qui fut ensuite sultan, et le conjura en
présence de ses frères de veiller aux intérêts de l’islam. Les musulmans pieux
s'arrêtent devant ces deux tombeaux; mais l'ami de la poésie est attiré par
celui du poète Mumin, vizir du prince Ahmed,
gouverneur de Bagdad, et surtout par celui de Mihri,
la sapho des Ottomans, qui consacra à
l'amour ses poèmes et sa vie passionnée. Les beautés turkmanes d’Amasia trouvent de puissants aliments à leur
imagination ardente, à leur passion pour les aventures extraordinaires, dans le
roman de Ferhad et Schirin,
dont les scènes se sont, dit-on, passées dans cette ville. D'après la tradition
turque, l'ancien aqueduc serait le canal creusé dans le roc par Ferhad pour recevoir le lait des bergeries de Schirin, et la promenade de Kanli-Binar (fontaine
sanglante) serait le lieu où Ferhad apprit
d'une vieille femme la fausse nouvelle de la mort de Schirin,
et se précipita sur sa hache pour se tuer. Cette nouvelle tradition suffit
aux Amasiennes, et a remplacé celle de leurs
anciennes voisines, les Amazones, qu'elles ont entièrement oubliée. Amisus
et Amasia forment un triangle avec Osmandschik, une des principales villes du pays de Kastemuni,
nouvellement conquise et confié eau gouvernement du prince Suleyman. Elle
occupe une situation pittoresque sur le Kisilirmak (l'Halys),
dans une plaine fertile en vin et en blé. Près du grand pont jeté sur le fleuve
et supporté par dix-neuf arches, l'un des plus beaux de l’empire ottoman,
construit par le sultan Bayezid II, on voit le tombeau du saint Burhandede. Mais dans la ville même d'Osmandschik se
trouve le mausolée bien plus célèbre du saint Kujunbaba,
c'est-à-dire Père-Mouton, compagnon du scheich des
janissaires Hadschi-Begtasch. Il reçut ce surnom
parce qu’il ne parlait point, et se bornait cinq fois par jour, aux heures de
la prière, â faire entendre un bruit semblable au bêlement d'un mouton. Le
sultan Bayezid II, surnommé lui-même le Pieux ou le Saint, construisit au saint
Père-Mouton, qui lui était apparu en songe, un magnifique tombeau et un cloître
avec des étables, des cuisines, et de nombreux appartements pour recevoir et
entretenir gratuitement les voyageurs; c'est un des plus beaux et des plus
riches couvents de l'empire.
Bayezid, emporté sur les ailes de la victoire
et enivré par ses conquêtes, commença à négliger son royaume et ses propres
devoirs. Le premier des princes ottomans, il transgressa la loi de l'islam qui
défend l'usage du vin, et il se montra indulgent pour le luxe et les débauches
monstrueuses de son vizir Ali-Pacha. C'était la princesse servianne, son épouse, qui lui avait inspiré sa passion
pour les orgies. Pour satisfaire ses honteux plaisirs, le vizir ne fit plus
seulement servir les nombreux enfants chrétiens à recruter le corps des
janissaires, mais ceux d'entre eux qui se distinguaient le plus par leur beauté
et leur esprit étaient employés comme pages (Itschogblan)
au service intérieur de la cour. En quittant ces infâmes fonctions, ils
entraient en possession d'un fief, où ils étaient promus aux premiers emplois
militaires et civils. Ainsi les habitudes contre nature de la corruption
orientale, dont les Perses et les Grecs se sont jadis mutuellement reproché
l'origine, se glissèrent dans l’empire ottoman, et se propagèrent,
non-seulement par l’exemple des sultans et des vizirs, mais encore par ceux des
jurisconsultes. Bientôt ce vice devint dominant à la cour, à l'armée et parmi
le peuple; il fut le moyen le plus sûr de parvenir aux honneurs et aux richesses,
et même souvent ce fut la véritable cause des guerres contre les chrétiens; car
le butin promettait de remplir les rangs éclaircis des recrues et des pages, et
de donner un nouvel accroissement au pouvoir et aux plaisirs. Quoique la loi de
l'islam ne puisse être interprétée en faveur d'une pareille monstruosité,
puisqu'elle la condamne comme un crime contre nature, cependant dès lors la
corruption de l'empire turc a publiquement bravé cette loi. Si l'amour honteux
pour les garçons tire son origine de la Perse ou plutôt de la Médie, comme on
n'en peut douter d’après le témoignage d’Hérodote et d'autres historiens, si ce
vice, joint au luxe des eunuques et aux robes flottantes des Mèdes, énerva
aussi les Perses, les Turcs ont du moins le mérite d'avoir établi une
distinction moins abrutissante. Ils détruisirent le lien qui dans l'origine,
chez les Mèdes, unissait les favoris et les eunuques; et ces deux classes
furent séparément organisées, l'une pour le service du harem, l’autre pour celui
de l’État. Les Mèdes et les Perses privaient les plus beaux enfants de leur
qualité d'homme, et les destinaient non-seulement à la garde du harem, mais à
servir d'instrument à leurs plaisirs honteux; ils commettaient ainsi un double
crime contre la liberté de la femme et la dignité de l'homme. Les anciens Grecs
avaient ennobli ce crime dans la troupe thébaine des Amants et dans le corps
macédonien des Immortels, dans le but d'attacher les jeunes gens aux idées plus
hautes et plus pures de liberté et de patrie. Les Turcs imitèrent cette
dernière institution en créant le corps des janissaires, qu'ils rabaissèrent au
rang de pages; mais, à peu d'exceptions près, ces jeunes gens conservaient leur
qualité d’homme, et la troupe des eunuques blancs fut le plus souvent entièrement
composée d’esclaves géorgiens et circassiens, mais non d'Européens. Les jeunes
garçons grecs, servians, bulgares et hongrois,
n'étaient pas traités comme les eunuques, mais seulement circoncis comme les
musulmans, exercés au maniement des armes, et, après qu’ils avaient servi aux
passions de leurs seigneurs et maîtres, la faveur ou l’habileté leur ouvrait le
chemin aux premières places de l’État et de l’armée: c’est de pareilles écoles
que sont sortis les plus grands hommes de l'empire ottoman. Aussi longtemps que
dura la levée annuelle des enfants chrétiens, et que les excursions des
Ottomans produisirent chaque année un revenu d'esclaves, leurs hommes d’État et
leurs généraux les plus célèbres furent le plus souvent des Grecs, bosniens,
Albanais de naissance, et rarement des Turcs. Ainsi le despotisme turc
renouvelait ses forces dans le sang de la chrétienté, et, par cette ingénieuse
institution, la Grèce était forcée à déchirer son propre sein par les mains de
ses enfants. Ce n’est que dans les derniers temps que les rôles ont été
changés, et seulement dans les derniers troubles de la Servie, les vieux Turcs
ont pu se consoler de leur défaite en pensant qu’ils tombaient sous les coups
de leurs propres fils, puisque les mères de leurs vainqueurs avaient servi
comme esclaves aux plaisirs des vaincus.
La corruption des mœurs que Bayezid et
Ali-Pacha, modèles d'intempérance et de débauche, répandirent l’un par ses
orgies, l'autre par ses amours infâmes, s’étendit partout, non-seulement dans
l’armée, dont la discipline était sévère et souvent cruelle, mais parmi les
jurisconsultes et surtout dans le corps des juges. Bayezid, si indulgent pour
lui-même, entrait dans une affreuse colère à chaque faute des pages et a chaque
nouvelle prévarication des magistrats. Un page accusé par une vieille femme de
lui avoir bu son lait fut éventré; quatre-vingts juges contre lesquels
s’élevaient des plaintes pour sentences iniques et corruption, furent enfermés
dans une maison à Begschehri, et condamnés par
le sultan à être brûlés. Déjà l'ordre était donné, lorsque le vizir, qui
n'osait lui-même faire aucune représentation, gagna le bouffon de Bayezid,
Arabe de naissance, en lui promettant mille ducats s'il parvenait à changer la
résolution de son maître; le bouffon parut devant Bayezid, le priant de vouloir
bien l'envoyer en ambassade à Constantinople.
— Pourquoi? dit le sultan.
—Afin de demander à l’empereur des moines pour
nous juger.
— Comment cela?
— Puisque nous brûlons nos juges qui n’ont
point fait d’études, il faut les remplacer par des moines grecs qui ont
beaucoup lu, afin de travailler par leur moyen à la propagation de l’Evangile.
La satire produisit son effet; le vizir fut
appelé et interrogé sur les causes qui rendaient les juges si accessibles à la
corruption, malgré leur science profonde. Le vizir donna pour principale raison
l’incertitude qui avait jusqu'alors existé dans leurs émoluments, et proposa de
leur accorder à l’avenir un traitement fixe, au moyen de taxes et d’autres
droits éventuels. Ainsi ils obtinrent comme droits de justice deux pourcent sur
les sommes en litige, et deux aspres pour la rédaction d’un acte judiciaire.
Ali-Pacha, à qui l’administration de la justice fut redevable de cette
amélioration essentielle, en introduisit une autre dans les monnaies, en en
faisant frapper de nouvelles et en retirant les anciennes de la circulation.
Bayezid, non content d'avoir inspiré aux juges
une terreur salutaire, pensa aussi à effacer par une meilleure conduite le
souvenir des mauvais exemples qu’il avait donnés au peuple. Exhorté au repentir
et à la pénitence par le grand scheich Buchara
(ainsi appelé du nom de sa patrie, mais généralement connu sous le nom
d'Emir-Sultan), il se montra disposé à suivre ses conseils, et construisit,
pour l'expiation de ses fautes, deux mosquées à Brusa.
L’une s’élève hors de la ville, dans un site solitaire et pittoresque, prés du
torrent d’Aktschaghlan (à l’écume blanche); la
seconde, dans le quartier de la ville nommé encore aujourd’hui Emir-Sultan,
fut bâtie pour le scheich, qui sut s’attirer
non-seulement la bienveillance de Bayezid, mais encore l’amour d’une de ses
sœurs qu’il épousa. Cette mosquée a été plus d une fois réduite en cendres dans
les nombreux incendies de Brusa; mais la
première, garantie par la solitude où elle est située des dévastations du fer
et du feu, s’offre encore aujourd’hui dans son état primitif, monument intact
et précieux de l’architecture sarrasin vers la fin du XIVe siècle. Pendant que
l'on construisait la mosquée d'Emir-Sultan, un des plus grands mystiques de
l’Orient, le scheich Seid-Ali-Hamadani, arriva pour rendre visite au scheich Buchara; Bayezid lui donna comme présent de
bienvenue le triple du salaire des ouvriers employés à la mosquée. Le scheich Buchara-Emir-Sultan portait dans l’empire
spirituel le même titre que son beau-frère dans l’empire temporel: le calife
d'Egypte, qui, s'il n’était pas l’ombre de Dieu, était au moins l'ombre du
califat sur la terre, avait accordé à Bayezid, sur sa demande, le titre de
sultan. Buchara possédait donc le droit de ceindre le glaive à l'émir-sultan
Bayezid-Ildirim chaque fois qu'il entrait en
campagne; cette cérémonie remplaça dans la suite celle du couronnement.
Non-seulement Bayezid orna Brusa de
mosquées, mais il la mil à l’abri d une attaque imprévue en l'entourant de
murs; et tout en élevant les mosquées et les murs de Brusa,
il fit construire un fort sur la rive asiatique du Bosphore: c’est le château
d’Anatolie, qui porte à juste titre le nom de Güseldschchiszar,
c’est-à-dire le joli château. Ce fut à l'embouchure du Goekzu (l’eau céleste), l’Arétas,
qui arrose la plus délicieuse vallée de la contrée, à l’endroit le plus
resserré du Bosphore, que le nouveau fort fut élevé pour presser plus
étroitement la ville de Constantinople. L’entreprise du sultan contre
Thessalonique eut un succès bien plus prompt que ses plans contre la capitale,
dont les limites étaient celles de l'empire byzantin. Après une victoire
remportée sur la flotte alliée des croisés chrétiens qui étaient accourus au
secours de la citadelle, Thessalonique tomba pour la seconde fois entre les
mains des Turcs. Déjà Chaireddin-Pacha s'en était emparé à la fin du règne de
Mourad Ier, mais il l'avait rendue au prince repentant Manuel. Cette fois les
Turcs ne la gardèrent pas non plus; ce ne fut que plus tard qu’ils la
conquirent définitivement sur les Vénitiens, après de sanglants combats.
Détournons maintenant nos regards des
frontières méridionales de l’empire ottoman en Europe, pour les porter au nord,
vers la Bulgarie, la Hongrie a la Valachie. La Bulgarie, en partie avant eu
partie après la bataille de Kosovo, avait été soumise â des gouverneurs
turcs. Sistow et Vidin, Nicopolis et Silistria, les plus fortes places de ce pays sur le Danube,
résistèrent encore quelque temps. Le Kral Sisman, enfermé dans Nicopolis, avait
pu facilement braver plus longtemps le pouvoir des Turcs, encore inexpérimentés
dans l'art de conduire un siège; mais lui et son fils parurent devant le
général assiégeant, Ali-Pacha, avec un linceul autour du cou pour implorer la
vie. Sisman fut ennoyé captif à Philippopolis,
où il fut bientôt tué, ou bien gardé jusqu'à sa mort naturelle. Son fils, aussi
appelé Sisman, conserva la vie en embrassant l'islam, et reçut en récompense le
gouvernement de Ssamszum (Amisus),
nouvellement conquis en Asie. Vidin se rendit sur la promesse qu’on laisserait
librement sortir sa garnison, mais les soldats furent taillés en pièces sur
l’ordre de Ferif Beg. Silistria et Nicopolis furent prises à l'aide de ce
même stratagème de marchands déguisés, que les Karamaniens employèrent avec
autant de succès à la prise d’Ermenak et de
Tripolis sur le Méandre. L'ambassade hongroise que le roi Sigismond envoya à
Bayezid fut reçue pur celui-ci dans une salle ornée d’armes et de trophées
bulgares, et, pour toute réponse, le sultan montra aux envoyés les arcs et les
flèches appendus aux murs comme ses titres à la possession de la Bulgarie
(1394).
Sigismond chercha maintenant des alliés au
loin comme autour de lui, afin de pouvoir tenir tète aux forces supérieures de
Bayezid. Par son envoyé Nicolas de Kanischa, il demanda le recours du roi de
France. Il conclut une nouvelle ligue avec Mirtsche, voivode de
Valachie et vassal du royaume de Hongrie, qui depuis environ deux ans avait
payé un tribut à la Porte; il conduisit ensuite son armée sur le Danube, et
reprit après un siège opiniâtre le Petit-Nicopolis. Dans cette campagne, cinq à
six cents cavaliers français combattaient déjà avec Sigismond, sous les ordres
du connétable de France, le comte d’Eu. Comme ce secours ne suffisait pas,
l'année suivante parut une armée de mille chevaliers français, avec autant
d'écuyers, et six mille mercenaires. A leur tète marchaient le comte de Nevers,
le vaillant fils du duc de Bourgogne, seigneur de Flandre et oncle de Charles
VI; le sire de Bourbon, comte de la Marche, Henri et Philippe de Bar, tous
trois cousins du roi; Philippe d'Artois; le comte d’Eu, prince du sang,
connétable; Jean de Vienne, amiral; le maréchal Boucicault,
qui, à son retour d’Orient, traversant la Hongrie, avait excité le courage du
roi Sigismond à de nouvelles entreprises contre les Turcs; le sire de Coucy, un
des meilleurs et des plus anciens généraux de la chrétienté; Guy de la
Trémouille; les seigneurs de Boye,
Saint-Paul, Monturel et Sampi. A cette
fleur de la chevalerie française se réunirent à son passage en Allemagne
Friedrich, comte de Hohenzollern, grand prieur de l’Allemagne, à la tète des
chevaliers teutoniques, et le grand maître Philibert de Naillac, qui arriva de Rhodes dans le camp de Sigismond,
suivi d'un grand nombre de chevaliers de Saint-Jean. Outre les troupes
auxiliaires françaises et celles des ordres de chevalerie, l'armée de Sigismond
fut grossie par des chevaliers bavarois, sous la conduite de l’électeur palatin
et du comte Mumpelgard, châtelain de Nuremberg,
par des chevaliers styriens sous les ordres d'Hermann II, comte de Chili, et
des troupes valaques commandées par Mirtsche, prince de Valachie [1396]. Vers
la Pentecôte, il y eut une réunion à Vienne d’où l'on envoya soixante-dix
grands vaisseaux qui descendirent le Danube chargés de vin, de faune et
d’avoine. L'armée hongroise signala par le pillage sa marche à travers la
Servie; les troupes auxiliaires françaises traversèrent la Transylvanie et la
Valachie. Le roi Sigismond passa le défilé de la Porte de fer, et occupa Vidin
et Orsova: la première avec trois cents, la
seconde avec deux cents hommes. Vidin s’était rendue volontairement; Orsova se défendit cinq jours, au bout desquels les
habitants chrétiens chassèrent la garnison turque. Baco fut
cernée, et la garnison, après s’être rendue, fut égorgée. L’armée alliée forte
de soixante mille hommes se réunit à Nicopolis, qui fut assiégée pendant six
jours par terre et par eau. Toghan-Beg se
défendit avec opiniâtreté, certain qu'il ne tarderait pas à être secouru. Les
alliés et surtout les Français, confiant dans leur supériorité, s’abandonnaient
sans mesure au vin et à la débauche avec des courtisanes qu’ils avaient amenées
avec eux. Ils ne parlaient de Bayezid qu'avec le plus grand mépris, et
doutaient qu’il eût le courage de passer le Bosphore. Ils ne voulurent pas même
croire aux courriers qui leur apportèrent la nouvelle que l’armée turque
n'était éloignée que de six lieues; le maréchal Boucicault menaça
les messagers de leur faire couper les oreilles pour avoir répandu une fausse
alarme. Les chevaliers poussaient l'extravagance jusqu'à dire que si le ciel
tombait ils le soutiendraient sur leurs lances. Fier de ses succès, Bayezid
pouvait paraître moins présomptueux en faisant cette menace: «Bientôt je ferai
manger l'avoine à mon cheval sur le maître-autel de Saint-Pierre à Rome.»
Aussitôt que les premiers coureurs turcs, les Asabes,
couvrirent la plaine, le courage impétueux du comte de Nevers lui fit demander
le poste d’honneur à la première attaque par la cavalerie française; le roi
Sigismond, habitué à la guerre contre les Turcs et connaissant leur manière de
combattre, lui représenta que des troupes légères suffisaient pour dissiper
cette canaille mal armée, mais qu'il fallait réserver le noyau de l’armée
chrétienne pour l’opposer au noyau de l'armée turque, les janissaires, les
sipahis. Le sire de Coucy et l'amiral Jean devienne furent de l’avis du roi;
mais le connétable et le maréchal de France blessés dans leur orgueil de ce que
Sigismond avait consulté l’amiral et le sire de Coucy avant de demander leur
opinion, embrassèrent avec vivacité l'opinion contraire, et s’écrièrent que la
cavalerie française ne céderait jamais le pas à l'infanterie hongroise, que le
poste d'honneur appartenait de droit aux Français dans la bataille. A ces
paroles, toute la jeunesse française répondit par des acclamations, et leur
folle témérité se changea en sauvage barbarie lorsqu'ils égorgèrent dans le
camp des prisonniers turcs qui s’étaient livrés sur parole.
Après ce sanglant prélude commença la
bataille, dont l'issue fut si tragique (22 sept. 1396). Les Asabes composant l’avant-garde turque ne résistèrent
pas à l'impétuosité de la cavalerie française; les Janis Charès eux-mêmes
furent enfoncés, et lorsque dix mille d’entre eux couvraient déjà lé champ de
bataille de leurs cadavres, le reste chercha un refuse derrière les sipahis;
alors les Chevaliers français se précipitent avec une force invincible sur la
cavalerie turque, dont cinq mille hommes sont tués. La victoire était aux
Français s'ils avaient suivi l'avis du sire de Coucy et de l'amiral, qui
conseillaient de faire halte, de remettre l'ordre dans les escadrons, et
d'attendre l’infanterie hongroise. Mais dans l'emportement de leur imprudent
courage et voyant les sipahis fuir devant eux, ils coururent et montèrent
jusqu’au sommet d'une hauteur, où ils espéraient achever le reste de l’armée
turque. Quel fut leur étonnement lorsqu'ils virent l’élite des forces de
Bayezid, leur présenter une forêt de quarante mille lances. Au premier
étonnement succéda une terreur panique, et à la valeur la plus emportée le
découragement le plus complet. Tout s'enfuit ou se dispersa, la cavalerie de
Bayezid coupa la retraite. L’amiral Jean de Vienne avait déjà fait un mouvement
en arrière, lorsque, fidèle à l'honneur, il s’écria aux douze chevaliers qui
l'entouraient: «Dieu nous garde de sauver notre vie aux dépens dé notre gloire,
c’est ici qu’il faut se défendre ou mourir au champ d’honneur.» A ces mots, ils
se précipitèrent ensemble sur les lances des ennemis, et moururent en
chevaliers français. Le duc et vingt-quatre de ses compagnons furent pris:
parmi eux étaient le prince Henri de Bar, les sires de Coucy et de la
Trémouille. A mille pas seulement derrière les Français, l'armée hongroise
était rangée en bataille. A l’aile droite étaient les Hongrois commandés par
Étienne Lazkvich; à la gauche les Valaques sous
les ordres de leur prince Mirtsche; au centre Hermann de Cilli avec les Styriens et les Bavarois, le palatin
Gara et Sigismond en personne. Aussitôt que la témérité des Français se fut
brisée sur le corps de l'armée de Bayezid, les deux ailes de Sigismond prirent
la fuite: Étienne Lazkovich, ennemi secret,
s'enfuit avec les Hongrois, et Mirtsche, allié infidèle, avec les Valaques. Le
centre seul, les troupes fidèles du roi commandées par Gara, les Styriens sous
Hermann de Cilli, et les Bavarois, sous
l'électeur palatin, recueillirent les fuyards français, et au nombre de douze
mille hommes marchèrent courageusement à l’ennemi. Déjà les janissaires étaient
hors de combat, déjà les sipahis étaient à demi ébranlés, lorsque le despote de
Servie, qui combattait dans les rangs de Bayezid, accourut à son secours avec
cinq mille de ses vaillants soldats, et décida la victoire en sa faveur. Ceux
qui suivaient la bannière de Sigismond furent taillés en pièces; les chevaliers
styriens et tous les chevaliers bavarois ensemble tombèrent pour la défendre.
Hermann de Cilli et le burgrave de
Nuremberg entourèrent le roi, l’arrachèrent au combat et le mirent sur un
bateau, où il monta avec l’archevêque de Gran et son frère Étienne de Kanischa;
Hermann de Cilli et Nicolas de Gara, le
palatin, les suivirent sur un autre barque, lis atteignirent heureusement avec
le grand-maître des chevaliers de Saint-Jean la flotte réunie des croisés
vénitiens et rhodiens qui mouillait à l’embouchure du Danube. Cette flotte les
transporta jusqu’en Dalmatie, en passant par Constantinople et Rhodes.
Après la victoire, Bayezid campa devant
Nicopolis et retourna ensuite contempler le champ de bataille. lorsqu’il vit le
grand nombre de morts que son armée avait perdu, et qui se montait, dit-on, à
soixante mille, il versa des larmes de rage, et jura de venger dans le sang des
giaours le martyre que les musulmans avaient subi, soit dans la bataille, soit
dans le camp français, lorsqu'on avait égorgé les prisonniers. L'ordre cruel
fut donné de faire comparaître le lendemain matin tous les prisonniers devant le
sultan. Dix mille furent traînés avec des cordes jusqu'en sa présence. Parmi
eux se trouvait l’écuyer bavarois Schiltberger,
jeune homme qui n'avait pas encore seize ans, et qui, échappé par miracle au
massacre, a décrit fidèlement, de retour dans sa patrie, les horreurs de cette
journée et les souffrances d’un esclavage de trente-quatre ans. Le sultan fit
venir le comte de Nevers afin qu'il fût témoin de la vengeance épouvantable
qu’il allait tirer des chrétiens, pour satisfaire aux mânes de ses sujets. Le
prince demanda la vie pour lui et quelques-uns des siens : elle lui fut
accordée ainsi qu’à vingt-quatre des principaux chevaliers. Alors fut donné
l’ordre du massacre général. Chaque soldat prisonnier, témoin obligé de la mort
de ses compagnons, dut les voir décapités ou assommés à coups de massue. Quand
vint le tour de Schiltberger, qui avait déjà vu
tomber les têtes de trois de ses compagnons d’armes, le fils de Bayezid fit
remarquer à son père la jeunesse de l’esclave, car on n’exécutait personne au-dessous
de vingt ans: il fut gracié et associé à d'autres jeunes gens. Sous ses yeux,
cinq seigneurs bavarois, entre autres Jean Greif,
furent traînés avec une corde. Greif s'écria
d’une voix forte: «Adieu! nous versons notre sang pour la foi chrétienne, et
aujourd'hui même, si Dieu le veut, nous serons des enfants du ciel.» Aussitôt
sa tête roula sur la poussière avec celles de ses quatre compagnons. Le carnage
dura sans interruption depuis le lever du soleil jusqu’à quatre heures du soir.
Alors, les grands de l’État se jetèrent aux pieds du sultan et le prièrent de
suspendre le massacre. La soif de vengeance du tyran était pour le moment
assouvie dans le sang de tant de chrétiens; il laissa les autres à ceux qui les
avaient fait prisonniers, après avoir choisi le cinquième qui lui appartenait:
dans cette part se trouva Schiltberger. Les
captifs réservés furent, avec le duc de Bourgogne et les vingt-quatre
chevaliers, enfermés dans la tour de Gallipoli. Pendant qu'ils y étaient
chargés de chaînes, le roi Sigismond passa sur les vaisseaux rhodiens, venant
de Constantinople; les Turcs, dont les petits navires ne pouvaient rien
entreprendre de sérieux contre la flotte des croisés, rangèrent leurs
prisonniers comme en spectacle sur le bord de la mer, et crièrent au roi d'un
ton railleur de venir les racheter. Cette ironie des ennemis n'était pas
nécessaire pour engager l’honneur de Sigismond au rachat des chevaliers, ses
alliés. En vertu d’un traité de subsides avec Venise, la république devait lui
payer par an 7.000 ducats. Il consacra le versement opéré au commencement de
l'année à racheter les chevaliers français. Les rois de France et de Chypre se
réunirent à celui de Hongrie pour envoyer dans ce même but des ambassadeurs
avec des présents. Lusignan envoya une salière d'or d'un travail merveilleux et
10.000 ducats en espèces; Charles VI, par les Hongrois, une volée de faucons
norvégiens, la charge de six chevaux en écarlate, de la toile fine de Reims et
des tapis d’Arras, sur lesquels étaient représentées les batailles d'Alexandre
le Grand. Enfin, moyennant une somme de 200,000 ducats, les chevaliers furent
mis en liberté à Brusa où ils étaient
durement gardés près du palais du sultan. L'amiral de France avait péri dans la
bataille, le connétable et le sire de Coucy étaient morts à Brusa en prison; mais le maréchal Boucicault et Guy de la Trémouille furent au nombre de
ceux qui survécurent a leur captivité. Lorsque la rançon fut payée, le sultan
congédia le comte de Nevers en lui disant: « Je te relève de ton serment de ne
jamais porter les armes contre moi; si tu as de l'honneur, je te conjure, au
contraire, de les reprendre le plus tôt que tu pourras, et de réunir pour me
combattre toutes les forces de la chrétienté, tu ne peux me faire un plus grand
plaisir que de me procurer une nouvelle occasion d'acquérir de la gloire.»
Avant le départ des captifs étrangers, Bayezid, amateur passionné de la chasse,
leur donna le spectacle d'une chasse au faucon, et les étonna par la
magnificence de son cortège, qui se composait de sept mille fauconniers et six
mille valets de chiens. Les fauconniers ont formé depuis Ion la masse du train
de chasse du sultan; ils se divisaient en quatre classes: les chasseurs au
faucon, les chasseurs au milan, les chasseurs au vautour, et les chasseurs à
l'épervier. De leur côté, les valets de chiens (segbans)
plus tard incorporés aux janissaires, formaient trente-trois régiments, sans
compter les trois régiments des samsundschis (garde-dogues),
des sagardschis (garde-bassets) et
des lurnadschi (garde-cigognes). Leurs
quatre commandants étaient récemment encore les quatre lieutenants-généraux de
l’aga des janissaires. Selon nos idées militaires, leurs officiers supérieurs
auraient été avilis; mais, d'après celles à l'ancien Orient, ils étaient, au
contraire, honorés par des dénominations empruntées à la chasse, comme les bas
officiers par celles empruntées à la cuisine. En effet, les vivres sou; le nerf
de la guerre, et la chasse en est le plus noble prélude.
De Brusa,
Bayezid fit remplir toute l’Asie de bruit de sa victoire. Les messagers, qui en
portèrent la relation au sultan d’Égypte, aux princes de l'Irak arabe et
persan, au khan des Tatares et aux dynasties d'Arménie, y joignirent pour
preuve des esclaves pris dans la bataille, dont ils leur firent présent. C'est
ainsi que le sultan d'Égypte reçut soixante page prisonniers, et parmi eux un
magnat hongrois. La défaite de Nicopolis eut pour conséquent immédiate la prise
de Mitroviz sur la Save (1393), et la première
irruption dévastatrice des Turcs dans la Styrie. Bayezid s’y jeta dès le
troisième jour après la bataille, pénétra jusqu’à Pettau,
brûla entièrement la ville et emmena seize mil prisonniers. Le traître Lazkovich, qui, dans la bataille de Nicopolis avait, le
premier, pris la fuite avec l'aile droite de l’armée, se chargea de l'irruption
en Styrie. Il avait depuis lors négocié un mariage entre la fille de Bayezid et
Ladislas de Naples, dans le but de placer celui ci sur le trône de Sigismond
par le secours du sultan. Jean de Maroth battit,
il est vrai, Posega, et fit retirer l'armée
turque qui avait passé la Save, venant de Bosnie; mais les Turcs en
ravagèrent pas moins toute la presqu’île située entre la Save, la Drave et le
Danube, et des ruines des villes indiquaient seules l’ancienne prospérité du
pays. Ils pénétrèrent aussi en Bosnie jusqu’à Zwornik,
et, malgré la valeur de Mirtsch, sa
résistance dans les forets de chênes de la Valachie, Ewrenos sut soutenir en
ces lieux la puissance des Ottomans, établissant un camp retranché, ce qui
maintint son importance et sa haute faveur auprès du sultan.
Alors Bayezid tourna ses regards du côté de
Constantinople que ses troupes tenaient bloquée depuis la mort de Jean
Paléologue, il y ait déjà vingt-cinq ans. Pour reprendre le fil historique des
rapports de Byzance avec Bayezid, il faut remonter jusqu’à l’avènement de
Manuel qui provoqua la colère de Bayezid et la demande d’une mosquée et d’un
kadi à Constantinople. Chalcondylas et Phranzes racontent
plus exactement que Ducas la circonstance
qui donna lieu à une rupture plus éclatante entre sultan et son vassal
l’empereur Manuel. Celui-ci, peu de temps après son avènement, parut à Serès, où le sultan demeurait alors, avec son frère
Théodore et d’autres princes vassaux de Bayezid, ainsi qu’Étienne, despote de
Servie, Constantin, fils de Thwarko et
frère de Dragases, seigneur de la contrée située
sur le Wardar Axios, et Paulus Marnas,
seigneur d’Epidamnus ou Monembasia. Celui-ci, en
préséance de Bayezid, accusa Théodore, frère de Manuel, de lui avoir enlevé sa
ville de vive voce. La colère du sultan, déjà enflammée, fut encore
excitée par Jean, fils d’Andronicus, qui servait â la porte du sultan comme
seigneur de Selymbria, et qui n'avait pas oublié
le traitement que son père et lui avaient subi. Le sultan, dans sa fureur,
voulait tuer Théodore de sa propre main, au milieu d’une entrevue; cependant il
se contint et abandonna ce soin à son vizir Ali-Pacha. Celui-ci, comblé de
présents par Théodore, l’en récompensa plus tard par une mort violente. A celte
conférence de Serès, Manuel et Constantin, fils
de Thwarko, se jurèrent mutuellement de ne plus
retourner à la porte du sultan. Pour gage de sa foi, Constantin promit sa fille
en mariage à l'empereur de Byzance, à la place de la princesse de Trébizonde.
veuve du Turc Alaeddin, que son père Jean Paléologue lui avait enlevée,
quoiqu’il ne put se tenir debout, rongé par la goutte. Les conjurés se
séparèrent ainsi pour retourner; Constantin dans son pays sur le Wardar, Théodore, frère de Manuel, dans le Péloponnèse, et
Manuel lui-même à Constantinople. Le vizir Ali-Pacha revint devant les murs de
la capitale, demandant à l’empereur d’aller faire son service à la porte du
sultan. Il s’acquitta publiquement de sa commission, mais en secret il
conseilla à l’empereur de se conformer en apparence et non par le fait à
l’ordre de Bayezid. Celui-ci, voyant que Paléologue n’avait pas sérieusement
l’intention de continuer ce service, reprit le siège de Constantinople,
commencé avant la victoire de Nicopolis, et l'on serra la ville de plus près. La
plupart des habitants murmurait et aimait mieux se livrer aux Turcs que de
souffrir plus longtemps la faim. Bayezid, qui voulait enlever Selymbria à Jean, fils d’Andronicus, le recommanda aux
habitants de Constantinople pour l’élire empereur â la place de son oncle
Manuel; celui-ci, forcé de se soumettre, s'entendit, à l'insu de Bayezid, avec
son neveu Jean; il promit, pourvu qu’on le laissât librement sortir, de lui
céder le reste de l'empire byzantin, limité aux murs de la capitale affamée, et
de se contenter du Péloponnèse. Il s’embarqua sur une galère, laissa son épouse
et son jeune fils Théodore dans le Péloponnèse et partit de là pour aller, dans
des voyages infructueuses, implorer des secours contre les Turcs à Milan,
Gènes, Florence, en France et en Allemagne. Son neveu Jean régnait en attendant
à Constantinople, et le premier exercice de son autorité obtenue par
l'entremise du sultan fut d'accorder l'établissement d'une mosquée et d'un kadi
à Constantinople, avec un tribut annuel de 10,000 ducats pour le sultan et dix
poissons remplis d'or et d'argent pour le vizir Ali-Pacha, dont la vénalité
retarda cette fois encore la chute de la capital. C'était la quatrième mosquée
que tolérait la faiblesse des empereurs chrétiens depuis l'envahissement de
l'islam dans les murs de leur métropole. Avant Bayezid, le calife Suleyman, le
Seldschuk Ertoghrul, le Kurde Ssalaheddin avaient
déjà demandé et obtenu le libre exercice du culte des musulmans par une mosquée
consacrée à cet effet dans le sein de la capitale. Mais il étai réservé au
sultan des Ottomans d'ériger à côté de la mosquée une mehkeme (cour
de justice) et d'établir à côté de l'imam un kadi à Constantinople; il peupla
même un faubourg de la ville d’une colonie turkmène venue de Bithynie, des
bords de la mer Noire: ce furent les habitants de Koinik et
de Jenidsche-Tarakdschi qui, â la chute de
Bayezid, furent chassés avec l'imam, le kadi et tout ce qui leur appartenait,
et se transportèrent à Kinikli, village bien
connu encore aujourd'hui dans le voisinage de Constantinople.
Après avoir ainsi humilié l’empereur dans sa
capitale, Bayezid poursuivit le cours rapide de ses conquêtes en Asie par son
général Timurtasch, qui étendit sa domination au
nord et à l'est, tandis que lui-même en personne poussait les masses ottomanes
en Europe au sud et à l’ouest. Timurtasch s'empara
de Kanghri ou Gangra,
l'ancienne résidence des rois paphlagoniens, capitale de la Paphlagonie depuis
le IVe siècle, située entre les deux petites rivières Schirinszu (eau
douce) et Adschiszu (eau amère),qui se jettent
dans l’Halys. Diwrigi, à deux jours de marche à
l’est de Siwas, enfermée du côté de l'orient par la montagne Tschilschektaghi (montagne de fleurs, l’ancien Scædissus) et du côté de l'occident par la montagne d’Hasan
(l'Antitaurus), se trouve à l’extrémité d’une vallée
formée de rochers stériles, c'est l'ancienne Nicopolis, c’est-à dire ville à la
victoire, bâtie par Pompée à l’endroit où il vainquit la première fois
Mithridate. Devrende, à deux journées au sud
de Diwrigi, limite du pays de Malatia, est adossée à une montagne qui s’ouvre pour donner
passage au fleuve Akszu (eau blanche); Ia
ville de Behens, avec un district du même nom,
sur le chemin de Meraasch (l’ancienne Gemanica) à Kaizarige (Césarée),
est entourée de nombre jardins arrosés par un petit fleuve. Malais
l'ancienne Melitène, non loin de l'Euphrate, sur
les bords de la petite rivière Deir-Meszih (cloitre
du Messie), qui, avec un autre cours d'eau, le Benarbaschi (tète
des sources), arrose la magnifique promenade d'Uspusi,
est fameuse par la grande bataille livrée entre Justinien et Chosroes-Nuschirwan, par la naissance du premier cid, le hèros Sid Albattal (le
champion), et par la résidence de la dynastie des Danischmends.
Enfin, la forteresse frontière de Kumach, dont
le nom rappelle encore l'ancien nom du pays de Gumathène,
sur les bords de l'Euphrate, une des plus forts places de l'empire ottoman, est
aussi célèbre par la toile qui s'y fabrique, que la ville voisine Ersendschan, par ses brebis, et Baiburd par
la beauté de ses femmes.
Pendant que Timurtasch portait
de ce coté ses étendards victorieux jusqu'à l'Euphrate qui avait été si
longtemps la limite naturel des Romains et des Perses, Bayezid tombait sur la
Grèce comme la foudre. L’évêque de Phokis,
doublement traitre à sa patrie et à sa foi, invita à quitter son quartier
de Karaferia où il construisait une
mosquée, pour venir dans l'Hellade. Connaissant le goût du sultan pour la
chasse, il lui dépeignait la Grèce comme une magnifique réserve peuplée de
grues, réjouissante de verdure. Bayezid s'avança en Thessalie dont il occupa
les villes principales: Venischehr, l’ancienne
Larissa; Tirhala, autrefois Trikka, déjà connue sous ce nom par les guerres des Romains
avec Philippe de Macédoine, et par les talents stratégiques de Boemond et d'Alexis Comnène, qui, dans la défilé
voisin, s'efforcèrent mutuellement de lui surprendre; Domakia (Domeniska), abandonnée par son seigneur le duc Kernaios, qui prit la fuite; Pavas (aujourd'hui Badradschik), dans une plaine à pied des montagnes
locriennes; enfin Pharsale, appartenant comme Domakia à
la famillie des Kernaioi.
Pharsale, si fameuse dans histoire par deux batailles décisives, dans
lesquelles Philippe, roi de Macédoine, fut abattu par Quinctius Flaminius
et Pompée par César, tomba sans coup férir au pouvoir du conquérant. Ce fut
aussi sans avoir à forcer d'obstacles que Bayezid, comme autrefois Alaric avec
ses Goths, pénétra dans l’immortel défilé des Thermopyles, sans prendre la
peine de tourner l’ennemi, comme les Perses l’avaient fait à l’égard des
lacédémoniens et les Romains à l’égard des Macédoniens. La ville des
Thermopyles, Seitun, (l’ancienne Lamia), autant
illustrée par le siège de Philippe de Macédoine que par celui qu'Antipater y
soutint dans la guerre appelée du nom de cette ville, ouvra ses portes avec
toute la Phocide aux Barbares conduits par l'évêque grec. Ce prélat avait
accusé auprès de Bayezid la duchesse Trudeluda,
épouse de Delwos, duc de Delphes, d'entretenir
un commerce illégitime avec le Grec Strates, d'opprimer horriblement les
habitants, et d’en avoir fait périr plusieurs; son époux, issu du sang royal
d’Espagne, était mort depuis peu, et l’amant était accusé d’avoir trompé la
duchesse et plusieurs autres femmes par des enchantements et des artifices
diaboliques. Il est possible que cette accusation ait déterminé la duchesse à
aller au-devant du vainqueur avec des présents et sa fille nubile déjà fiancée,
pour lui offrir ses trésors, son pays, sa fille et elle-même. Bayezid laissa à
la mère la liberté de sa personne et de sa religion; mais il accepta avec
plaisir la fille et la contrée, à laquelle il donna un gouverneur. Maître de la
Doride, de la Locride et de la Phocide, le sultan confia la conquête du
Péloponnèse à ses généraux Jakub et Ewrenos. Celui-ci parcourut l'ouest de la
péninsule jusqu'à la pointe méridionale, et ravagea les cantons de Modon et de
Coron; celui-là assiégea Argos, l’ancienne capitale du Péloponnèse. Il attaqua
la ville à la fois par la droite et la gauche, et pendant que les habitants se
portaient tous sur le premier point, trompés par le faux bruit que la place
était prise de ce côté, les ennemis escaladèrent à la gauche les murs
abandonnés par leurs défenseurs [juin 1397]. Les trésors de la ville furent
pillés, et ses habitants au nombre de trente mille, devenus esclaves, furent
transportés en Asie. En échange, Bayezid fit venir d'Asie en Europe des
colonies turkmanes et tatares, suivant
entièrement le système des conquérants asiatiques, qui, dès les plus anciens
temps, ont regardé la translation de toute une ville ou de toute une population
d'un bout de leur empire à l'autre bout comme le moyen le plus efficace de
consolider leur pouvoir despotique. Déjà Darius avait transplanté les habitants
des déserts de Barka, de Libye en Bactriane : les Pœoniens,
d'Europe en Asie; les Miléniens de l’Asie
Mineure à Suse en Perse; il avait aussi voulu transporter les Ioniens en
Phénicie et les Phéniciens en Ionie. A son exemple, Bayezid fit passer
les Turkmans du pays de Ssaruchan, des plaines de Mennen dans
le canton de Philippopolis; d'autres vinrent des
contrées asiatiques du Méandre, du Scamandre et du Kaistros sur
les bords de l’Axios, en Europe; et les habitants de Therma furent
poussés jusqu'à Zagora et Sofia.
Les historiens ottomans s'accordent tous à
placer aussi dans la dernière année du VIIIe siècle de l’hégire (1397) la
conquête d'Athènes, qu'ils nomment constamment eux-mêmes la ville des
philosophes. Quoique elle n’ait été conquise d’une manière définitive que
soixante ans plus tard par Mohammed II, on ne peut cependant pas plus contester
pour cette ville que pour Thessalonique son occupation antérieure par les
musulmans. Quels flots d’événements se pressent entre les premiers témoignages
historiques du père de l’histoire, qui appelle les Athéniens les plus sages
parmi les Grecs, et ceux de l’historiographe de l’empire ottoman, Seadeddin, qui ne peut refuser à leur cité le nom de ville
des sages! Athènes, fondée par Cécrops, qui y transporta de Sais le culte
de Neilh sous le nom d’Athéné;
Athènes, dont les plus anciens habitants se vantaient d’être les seuls parmi
les Grecs qui n'eussent jamais abandonné le sol paternel; qui, du temps
d'Ilion, avait envoyé à sa conquête l'homme le plus capable d’organiser une
armée, et avait fourni à Marathon les défenseurs de la liberté grecque;
Athènes, où les descendants des Phéniciens, les Géphyrœens apportèrent
l’écriture, et qui vit leurs petits-fils Harmodius et Aristogiton la délivrer
de la tyrannie d’Hipparque, fils du tyran Pisistrate; Athènes deux fois
conquise par les Perses, incendiée par Xerxès et Mardonius, subjuguée par les
Spartiates, délivrée de ses trente tyrans par Trasybule,
soumise aux Macédoniens après la bataille de Chéronée, ravagée du temps des
Romains par Philippe, roi de Macédoine, avait fini à jouir longtemps encore
d’une ombre de liberté grâce à cette fameuse décision par laquelle le sénat
romain rendit l’indépendance à toute Grèce. Sous les empereurs romains, elle
fut embellie par Hérodes Atticus et par
Adrien même de nouveaux monuments d’architecture que détruisirent en grande
partie plus tard les Goths sous Alaric. Mais avant que cette heureuse ville eût
été la proie des Goths elle avait subi les dévastations du roi grec Philip de
Macédoine; ce monarque impie avait ravagé le bois de Kynosarge,
le Lycée et tout ce que pouvait reposer agréablement la vue; il avait abattu
depuis les toits des maisons jusqu’a les pierres des tombeaux. Sous l'empire
byzantin, la cité de Minerve fut un lieu de ralliement pour les flottes, et,
après la division de cet empire, elle forma avec Thèbes un grand duché échu en
partage à un noble bourguignon Othon de La Roche. De cette famille, elle passa
par un mariage à celle de Gauthier de Brien. Ce prince, avec sept cents chevaliers,
six mil quatre cents cavaliers et huit mille fantassins marcha contre les
Catalans, qui le battirent complètement sur les bords du Céphissus, en Boétie. L’Attique et la Béotie restèrent en
proie aux victorieux Catalans, qui, sous le titre de Grande société (de la
rapine), furent pendant quatorze ans la terreur de la Grèce. Ils reconnurent
enfin la souveraineté de la maison d’Aragon, et les rois de Sicile firent
d’Athènes gouvernement ou fief. Après les Francs et Catalans, sur le trône du
grand duché s’assis la famille italienne des Aciaioli,
plébéiens á Florence, tout puissants à Naples, souverains absolues en Grèce :
Athènes, ornée d’édifices, devint capitale d’un État qui s'étendit sur Thèbes,
Argos, Corinthe et une partie de la Thessalie. A la seconde prise d’Athènes par
les Turcs, par Mohammed II, le dernier prince de cette maison fut pendu d’après
l’exemple que Timurtash avait donné à
l’égard du prince de Karaman. La patrie de Solon et de Périclès, de Socrate
d’Alcibiade, où, sous les portiques et dans les jardins de l’Académie, Platon,
Aristote, Zénon, Épicure, enseignaient la sagesse avec tant charmes; où, sur la
scène, Sophocle et Euripide savaient émouvoir les passions, Aristophane et
Ménandre excitaient le rire de leurs concitoyens; où, du haut de la tribune,
Eschine et Démosthène exercèrent le pouvoir de leur éloquence; la ville de
Minerve et de Neptune, avec ses temples et ses académies, avec son Parthénon,
son Panthéon, son Pandroson, son Erechthéon, avec les temples de Pallas Polias, de Thésée, de Thémis et d’Aphrodite, avec le
Cynosarge et l'Olympion, avec l’Aréopage et le Pnyx,
avec le Pirée et l’Acropolis,avec le Lycée, le
Musée, l’Odéon et le Prytanée, avec le Poikile et
les Propylées, avec le Gymnase, le Stade, avec le théâtre d’Hérode, avec les
longs murs et les vastes salles, avec lare de triomphe d’Adrien, la Tour des
vents, le monument de victoire de Philopappos,
avec les cavernes de Pan et de Phœbus, avec l’Ilissus et
la source d'Enneacrynos, avec les tombeaux de Thalès
cl de Thémistocle; cet unique sanctuaire des sciences et des arts, en proie
tour à tour aux incendies, aux déprédations, aux ravages des Barbares, des
Perses, des Goths, des Catalans, tomba avec les débris de toutes ces grandeurs
dans les mains d'autres barbares, qui, du moins, conservèrent les ruines de la
ville des philosophes dans l'état où ils les avaient trouvées. Pendant ces
événements, surtout après la perte de ces mêmes conquêtes dans le Péloponnèse,
pendant qu’Ewrenos et Jakub souillaient le sol de la Grèce par les premières
incursions turques (en supposant que cette expédition n’ait eu lieu qu’après la
bataille de Nicopolis), l’empereur Manuel parcourait l’Europe, faisant entendre
d’inutiles prières aux puissances chrétiennes, et son neveu, Jean, régnait
alors dans l’enceinte de Constantinople; car la banlieue même de la ville,
entourée par la grande muraille d’Anastase qui commençait à Selymbria, était tombée au pouvoir des Turcs avec cette
dernière ville. Les Turcs étaient logés dans l’intérieur de ces longs murs, et
des colons turkmans établissaient leur
demeure dans les faubourgs de la capitale, et, dans le sein même de
Constantinople, l’imam priait dans sa mosquée, le kadi siégeait sur son
tribunal.
Ainsi s’écoulèrent quelques années dans le
calme de la honte. Pendant ce temps, dit l’historien Docas,
Bayezid se tenait â Brusa, où ne lui manquait
aucune jouissance: animaux de forme extraordinaire, métaux précieux, tout ce
que Dieu a créé dans ce monde pour satisfaire la vue, tout se trouvait dans ses
palais. Des esclaves des deux sexes, choisis entre des milliers pour leurs grâces
et leur beauté, se tenaient sans cesse autour de lui. Il y avait des Grecs, des
Valaques, des Servians, des Albanais, des Hongrois,
des Saxons, des Bulgares et des Latins, qui tous devaient chanter dans leur
langue, selon sa volonté; pour lui, au milieu de cette foule, il se livrait
sans cesse à la volupté dans les bras de ses femmes. Tout à coup il fut tiré de
ce sommeil de l’indolence par un message de Timur, dont le nom remplissait
alors le monde. Bayezid crut l’effrayer par une réponse insultante; et arrêter
sa marche en allant conquérir Ersendschan en
Arménie (1400). Ensuite il revint à Brusa, puis
franchissant l’Hellespont, de sa résidence d’Andrinople, il fit dire à
l’empereur Jean : «Quand j’ai jeté ton prédécesseur Manuel hors de sa ville, ce
n’était pas dans ton intérêt, mais dans le mien. Si tu veux rester notre ami,
quitte la place et je te donnerai le gouvernement qui te plaira; si tu refuses,
je jure par Dieu et son prophète, que je n’épargnerai personne, et que vous
serez tous exterminés». Les Byzantins, s’étant pourvus de vivres pour un long
siège, firent à l’ambassadeur cette réponse pleine d’une confiance
toute chrétienne: «Allez dire à votre maître que faibles comme nous sommes,
nous ne connaissons nulle puissance à laquelle nous puissions avoir recours,
sinon à Dieu, qui soutient les faibles et abat les forts. Maintenant que le
sultan fasse ce qui lui plaira». Macs la conquête d’Ersendschan et
le massacre de Siwas, empêchèrent la poursuite du second siège dont les
Byzantins étaient menacés, et Bayezid courut d’Europe en Asie où se roulaient
les flots de Tatares qui allaient l’emporter.
LIVRE
VII.
Histoire
de Timour. — Ses expéditions contre les Gètes, le Khuarezm, le Khorassan et
contre Tokatmisch; contre la Perse, l'Inde, la Syrie et contre Bayezid — Massacre
de Siwas. — Echange d’ambassades entre Timour et Bayezid. — Bataille d'Angora.
— Captivité du sultan.
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