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EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 
 


HISTOIRE DE L'EMPIRE OTTOMAN
 
 
 

LIVRE XIII.

Constantinople est repeuplée par de nouveaux colons — Exécution du grand-vizir — Expéditions de la flotte dans l’Archipel — Prise de Novoberda et siège de Belgrade — Incursions dans la Hongrie — Soumission de la Servie — Conquête du Péloponnèse — Mort des deux despotes et du dernier duc d’Athènes.

 

Conquérant et maître de Constantinople, Mohammed II (Mehmet II) fit son entrée triomphale le quatrième jour de la prise de la ville, après avoir fait partir dès la veille sa flotte chargée d’un immense butin. Arrivé devant l'église de Sainte-Sophie, il descendit de cheval pour prendre possession de cette métropole de la chrétienté en Orient. De là il se rendit au palais qui, depuis tant de siècles, était le séjour des successeurs de Constantin-le-Grand. A la vue de ces murs déserts, il ne put s’empêcher de faire un triste retour sur les vicissitudes des choses humaines, et il récita ce distique d’un poète persan: «L’araignée fait sa toile dans le palais des  rois, et la chouette entonne son chant nocturne sur les tours d’Efraziab

Pour conquérir l’affection des chrétiens qu’il avait soumis par les armes, Mohammed se déclara leur protecteur, et procéda, dès le 1er juin 1453, à l’investiture d’un nouveau patriarche grec. C’est ainsi qu’il réunissait les talents de grand capitaine à l’habileté de l’homme d’Etat; il avait encore les armes à la main, qu’il pensait déjà à s’assurer sa nouvelle conquête par de sages institutions politiques. Il fit proclamer publiquement que les fugitifs retournassent dans leurs maisons, libres de toute crainte; que les habitants reprissent leurs affaires et continuassent à vivre comme par le passé. Il ordonna en même temps qu’en remplacement du patriarche mort, un nouveau fût élu et sacré suivant les anciens usages. Tel était le cérémonial observé sous les souverains de Byzance: le nouveau patriarche, monté sur un cheval des écuries impériales richement enharnaché et couvert d’une housse blanche, se rendait du palais Bucoleon au patriarcat, où les archiprêtres lui prêtaient serment. Là l’empereur, assis sur son trône, autour duquel était rangé tout le sénat, la tête découverte, lui remettait une crosse enrichie de perles et de pierres précieuses; le premier chapelain de la cour bénissait l’assemblée, le grand-domestique entonnait les hymnes et le Glorïa et le lampadarios (gardien des lampes) chantait le chœur  Le roi des cieux! Les chants terminés, l’empereur se levait, tenant dans sa main le sceptre et ayant à ses côtés le césar et le métropolitain d’Héraclée: le premier à sa droite, le second à sa gauche. Le nouvel élu s’inclinait trois fois profondément devant toute l’assemblée et se prosternait aux pieds de l’empereur. Celui-ci, étendant son sceptre sur sa tête, prononçait alors ces mots : «La sainte Trinité, qui m’a donné l’empire, t’investit du patriarcat de la nouvelle Rome.» Le patriarche recevait sa dignité des mains de l’empereur , et lui donnait la communion. Sauf ce dernier point, il n’y eut alors rien de changé dans le cérémonial précédemment établi. Mohammed voulut que le petit nombre d’archiprêtres et de laïques qui avaient concouru à l’élection de George Scholarius, appelé aussi Gennadius, observassent les rites sacrés comme avant la conquête. Il invita le patriarche à un repas somptueux et lui fit une magnifique réception. Après un long et amical entretien, Gennadius étant sur le point de se retirer, Mohammed lui fit présent d’un sceptre précieux et lui dit: «Soyez patriarche, et que le ciel vous protège; usez de mon amitié en toute circonstance; jouissez de tous les droits et de tous les privilèges dont ont joui vos prédécesseurs.» Le prince musulman voulut reconduire le prélat chrétien jusque dans la cour, et là il ordonna aux grands dignitaires qui l’entouraient d’accompagner Gennadius au synode. Au milieu d’un cortège de vizirs et de paschas, celui-ci, monté sur un des plus beaux chevaux du sultan, se rendit à l’église des Saints-Apôtres qui avait été désignée pour le siège du patriarcat, Aya-Sophia ayant été transformée en mosquée. Mais le quartier de la ville où était située cette église étant désert et ravagé, et un Turc ayant été trouvé assassiné dans le parvis du temple, Gennadius obtint du sultan la translation du patriarcat dans l’église de la Sainte-Vierge, devenue plus tard la mosquée Fethiyé. Les nonnes, qui jusqu’alors avaient habité le couvent de la Sainte-Vierge, furent transférées dans celui de Saint-Jean sur le Trullos, ce qui prouverait que quelques-unes d’entre elles avaient pu sauver des mains des Turcs, sinon leur honneur, du moins leur vie. Le magnifique palais, situé au nord de la nouvelle métropole, devint la résidence du patriarche. Le sultan lui fit délivrer peu après un diplôme qui déclarait sa personne inviolable. Il était ainsi conçu: «Que personne n’impose le patriarche; qu’il ne soit inquiété par qui que ce soit, et que lui et les archiprêtres, ses suffragants, soient pour toujours exempts de toute charge publique.» Le même diplôme assure aux Grecs les trois privilèges suivants: «Leurs églises ne pourront être changées en mosquées; leurs mariages, leurs enterrements, et tous leurs autres usages, seront maintenus d’après les rites et les principes de l’église grecque; enfin, les fêtes de Pâque continueront à être célébrées, et, à cet effet, les portes du Fanar, c’est-à- dire du quartier grec, resteront ouvertes pendant trois nuits.»

Mohammed, après avoir ainsi assuré la tranquillité des Grecs, en leur donnant pour gage de ses bonnes intentions l’investiture d’un nouveau patriarche, s’occupa, le 2 juin , du sort des Génois de Galata. Les habitants présents furent inscri , les maisons de ceux qui s’étaient enfuis sur les vaisseaux latins furent ouvertes, mais non livrées au pillage. Les mobiliers furent inventoriés, et on fixa aux propriétaires, pour faire valoir leurs droits, un terme de trois mois, au bout duquel ce qui leur appartenait était acquis au fisc. Le sultan fit ensuite raser les murs du côté de la terre, mais il laissa subsister les fortifications du port. Pour réparer les murs de Constantinople et en repeupler l’enceinte déserte, il manda un grand nombre de maçons et de chaufourniers, et ordonna à cinq mille familles de Trébizonde, de Sinope et d’Asprocastron, de venir s’établir dans la ville, sous peine de mort. Un de ses esclaves, Soleiman, était chargé de veiller à ce que la chaux nécessaire à la réparation des murs fût prête au mois d’août, et que les nouveaux colons eussent au mois de septembre abandonné leur ancienne patrie pour la nouvelle. Sur les assurances publiques du sultan, que tous les nobles grecs qui pourraient prouver leur noblesse seraient traités avec plus de distinction que sous les empereurs grecs, et qu’il leur serait assigné un rang analogue à celui dont ils jouissaient précédemment, un grand nombre d'entre eux se présentèrent le jour de la fête de Saint-Pierre fixé à cet effet; mais ils payèrent cher leur crédulité, et leurs têtes tranchées ne tardèrent pas à ensanglanter les marches de la cour du palais.

Le vingtième jour de la conquête de Constantinople (18 juin 1453), Mohammed se rendit à Andrinople, où il fit une entrée solennelle, traînant à sa suite une longue file de vierges et de femmes de la noblesse grecque; parmi ces dernières se trouvait l’épouse du grand-duc Notaras; cette princesse, remarquable par ses vertus et son grand caractère, mourut en chemin près du village de Mezené, où elle fut enterrée. Au nombre de ceux qui formaient le cortège triomphal du sultan était le grand-vizir Khalil, le quatrième des Djenderelli, dans la famille duquel le grand-vizirat s’était transmis sans interruption jusqu’à lui; il eut la tête tranchée. Ce fut là le premier exemple de l’exécution du plus haut dignitaire de l’empire, exemple qui se renouvela depuis plus de vingt fois dans les rangs des deux cent deux grands-vizirs que compte jusqu’à ce jour (1836 AD) l’histoire ottomane. Cet acte de Mohammed est justifié par les intrigues précédentes de Khalil, qui était l’ami secret des Grecs, et n’avait pas été inaccessible à la corruption. Notaras, dans sa première entrevue avec le sultan, ayant été interrogé par lui sur la cause de la résistance opiniâtre de la ville, avait donné pour raison les lettres secrètes de Khalil qui exhortaient l’empereur et son sénat à tenir bon et à ne pas abandonner la défense. Mohammed dissimula pendant deux jours; mais le troisième, il fit jeter en prison le grand-vizir, qui n’en sortit, quarante jours après, que pour marcher à la mort. Son trésor, riche de cent vingt mille ducats, fut confisqué au profit du sultan, et on défendit à ses amis de porter son deuil. Les vizirs qui lui étaient adjoints, Yakoub et Mohammed-Pacha, furent destitués de leurs dignités, et envoyés en exil après avoir été dépouillés de tous leurs biens. Depuis longtemps Mohammed soupçonnait Khalil de s’être vendu à l’or des Grecs. Un jour, en voyant un renard enchaîné à une porte, il s’était écrié: «Pauvre fou  pourquoi ne t’es-tu pas adressé à Khalil pour acheter ta liberté?» Ces mots effrayèrent le vizir, qui résolut dès-lors de se dérober au courroux du sultan en faisant le pèlerinage de la Mecque. Cependant, rassuré par un message particulier qui détruisit ses craintes, il se décida à rester; mais il ne tarda pas à payer de sa vie sa trahison, et la vieille haine de Mohammed, qui ne lui avait jamais pardonné d’avoir fait remonter, pour la seconde fois, Mourad sur le trône. Le sultan expédia d’Andrinople des lettres de victoire au sultan d’Egypte, au schah de Perse et au schérif de la Mecque, et répondit aux félicitations des Etats chrétiens, ses voisins, par des demandes de tributs annuels. Les despotes de Servie et du Péloponnèse durent se soumettre à envoyer tous les ans une ambassade: le premier avec une somme de douze mille ducats, le second avec une de dix mille. Les seigneurs génois, maîtres de Chios et de Lesbos, furent taxés : l’un à trois mille , l'autre à six mille ducats de contribution annuelle. Trabzon et les côtes asiatiques de la Mer-Noire furent frappées d’un impôt de deux mille ducats, qu’une ambassade devait venir déposer aux pieds du sultan a. La république de Raguse elle-même, le premier des Etats chrétiens qui eût reconnu la suzeraineté des sultans ottomans, vit son tribut élevé de quinze cents à trois mille ducats. C’est ainsi qu’elle dut expier l’hospitalité donnée aux Grecs fugitifs; la distinction avec laquelle elle avait traité les nobles familles des Comnène, des Lascaris, des Paléologue et des Cantacuzène; la réception non moins flatteuse qu’elle avait faite à des savanes distingués de cette époque, tels que Jean Lascaris, Démétrius, Chalcondyle, Théodore, Spandugino et Paul Tarchoniâtes, et les présents par lesquels elle les avait aidés à poursuivre leur voyage à la cour de Lorenzo de Médicis. Des ambassadeurs du grand-maître de Rhodes et du doge de Venise étaient attendus à Andrinople pour traiter de la paix. Sur ces entrefaites arriva, au mois d’août, l’ambassade du despote de Servie avec le tribut imposé. Elle fit en outre de riches aumônes aux prisonniers, et racheta, d’après l’ordre du despote George, cent nonnes, jeunes et vieilles, de l’esclavage.

Cependant des dissensions s’étaient élevées entre les Grecs du Péloponnèse et leurs auxiliaires albanais, et dans les rangs des Grecs eux-mêmes, lorsque Démétrius et Thomas, les frères du dernier empereur byzantin, avaient voulu, après la prise de Constantinople, s’embarquer pour l’Italie; les Albanais leur refusèrent obéissance, se constituèrent en révolte ouverte sous les ordres de Pierre-le-Boiteux, et leur disputèrent la domination du Péloponnèse. Démétrius et Thomas avaient, il est vrai, abandonné leur lâche projet de fuite, et déjà promis à Mohammed le tribut de douze mille ducats, qu’il leur avait imposé; mais les Grecs se divisèrent entre eux, et Emmanuel Cantacuzène se mit à la tête du parti opposé aux Paléologues. Les Albanais profitèrent de cette anarchie pour ravager le pays, et offrirent au sultan de payer le même tribut que les Grecs, s’il plaisait à Sa Hautesse de leur conférer la souveraineté du Péloponèse.

Après Emmanuel Cantacuzène, qui s’était arrogé la despotie, les deux chefs les plus dangereux de la révolte contre Démétrius et Thomas, furent les deux Grecs Lucanos et Centerion Zacharias, beaux-frères de Constantin, le dernier empereur byzantin. Thomas les retenait depuis quelque temps en prison dans la ville de Khloumoutza ou plutôt dans le castel Tornèse qui l’avoisine; Centerion avait mérité cette détention en s’enfuyant en Achaïe lors de l’entreprise de Mourad II contre Hexamilon, Lucanos en se mettant à la tête de quelques novateurs et en soulevant les Grecs et les Albanais contre les despostes. Ils parvinrent à s’évader, prirent le commandement des révoltés grecs et albanais, et menacèrent d’arracher aux frères du dernier empereur la souveraineté que Mohammed avait daigné leur abandonner contre le paiement d’un tribut. C’en était fait de l’autorité des deux despotes dans le Péloponnèse, si Hasan, le commandant grec de Corinthe, n’eût demandé des secours à la Porte du sultan, que celui-ci n’eut garde de refuser. Tourakhan qui, trente ans auparavant, avait, le premier des Turcs, franchi l’isthme après la conquête d’Hexamilon, pénétré jusqu’à Sparte (Lacedæmon), Scutari (Leontopolis), Gardika, et battu les Albanais à Tawia, parut de nouveau dans le Péloponèse accompagné de ses fils , et à la tête d’une armé turque destinée à protéger les Grecs contre ces mêmes Albanais (1454). Il convoqua les Paléologues et les exhorta à se montrer au peuple, qui, disait-il, devait avoir plus de confiance en eux ses compatriotes, qu’en lui, son ancien ennemi, quoiqu’alors son allié. Chalcondyle le fait ainsi terminer son discours: «Si le sultan n’eût pas eu pitié de vous et ne fût pas venu à votre secours, pour vous remettre en possession de votre puissance presque perdue, je sais bien que c’en était fait de vous. Votre propre expérience vous apprend que jusqu'ici votre administration a été vicieuse; la nécessité vous ordonne donc impérieusement de mieux gouverner vos sujets à l’avenir. Je vous exhorte surtout à ne pas provoquer vous-mêmes votre ruine par des dissensions intestines; soyez implacables pour toutes les tentatives de révolte, et ne vous montrez pas trop indulgents envers ceux qui tenteraient des innovations. Deux choses nous ont élevés, nous autres Turcs, au faîte de la puissance, la punition des méchants et la récompense des bons. Si les circonstances nous forcent de différer le châtiment que nous avions résolu, nous accordons le pardon demandé; mais dès que nous le pouvons en toute sûreté, nous infligeons la punition méritée, et nous poursuivons avec persévérance la vengeance de nos injures.» Tourakhan termina en donnant l’ordre de la marche contre les Albanais; Démétrius, à la tête d’un faible corps de Grecs, suivit les Turcs au défilé de Barbostenis, où les Epirotes avaient retiré leurs femmes et leurs enfants; cette partie de l’armée se mit sur-le-champ en devoir de miner les fortifications qui protégeaient l’ennemi. Les Albanais ayant pris la fuite pendant la nuit, dix mille femmes tombèrent au pouvoir des Turcs. Thomas, le frère puîné de Démétrius, se rendit avec une autre division par Ithome (Monte Vulcano) à Aetos, ville qui avait embrassé le parti de Centerion et qui se racheta par mille esclaves et par des fournitures d’armes et de vivres. Les autres chefs albanais ne tardèrent pas à faire leur soumission, sous la réserve expresse de ne pas être obligés à la restitution des chevaux pris aux Grecs. Avant son départ, Tourakhan exhorta de nouveau les Paléologues à vivre en bonne intelligence et à déployer la plus grande sévérité contre tous les novateurs. «Princes des Grecs, leur dit-il, je vous ai déjà suffisamment expliqué ce que je désirerais vous voir faire dans votre propre intérêt. J’ajouterai seulement cette réflexion: tant que vous serez unis, votre gouvernement prospérera et ne sera point troublé; mais, si la désunion se met entre vous, le contraire arrivera. Veillez surtout à ce que vos sujets vous respectent pendant la paix, et soyez les inexorables vengeurs de tout ce qui se fait de mal.» En disant cela, il leur serra la main et monta à cheval pour quitter le Péloponnèse. Ces principes de politique turque ne profitèrent guère aux deux despotes. Après le départ de Tourakhan, au lieu d’exercer une sage sévérité, ils flattèrent plus que jamais leurs sujets, dans l’espoir de s’assurer ainsi de leur fidélité, tandis qu’ils ne faisaient qu’encourager par là l’esprit d’innovation et de révolte. Lucanos se mit à la tête d’une conspiration dans laquelle il fit entrer plusieurs Byzantins, Albanais et Péloponnèsiens, et dont le but était de secouer l’autorité des despotes. Ils s’adressèrent à cet effet à Hasan, commandant de Corinthe et de la presque totalité du Péloponnèse; mais celui-ci leur déclara qu’il ne pouvait en référer à la Porte. d’autant plus qu’ils ne pouvaient avancer le tribut imposé par Mohammed. Démétrius et Thomas firent avorter les projets des rebelles en envoyant sur-le-champ le tribut annuel de douze mille ducats à la cour d’Istamboul; le sultan, satisfait de cet empressement, expédia un diplôme en faveur des principales familles du Péloponnèse, dans lequel il jurait par les mânes de son père, par le sabre qui lui ceignait les reins, par les cent vingt-quatre mille prophètes des Musulmans et par le saint Coran, que les Grecs ne seraient point lésés dans leurs personnes et dans leurs biens, et que leurs intérêts trouveraient plus de protection sous son règne que sous les règnes précédents .

Mohammed passa à Andrinople, dans le repos du harem, l’hiver qui suivit la prise de l’ancienne Byzance. Siliwri el Bivados qui forment, pour ainsi dire, la garde avancée de la capitale, et qui seules de tous les lieux environnants, fières de la solidité de leurs murs, avaient si souvent repoussé les attaques des Turcs, se rendirent sans combat aussitôt après la conquête de Mohammed. Siliwri est l’ancienne Selymbria, dans l’église métropolitaine de laquelle on conservait précieusement les reliques, ou, comme s’expriment les Turcs, la momie du corps de sainte Euphémie; on y remarque encore les ruines d’un palais de Cantacuzène. Bivados, l’Epibatos des Byzantins, est célèbre par le magnifique palais d’Apocaucos, le puissant rival de ce dernier empereur. Dans la tranquille possession de la capitale de l’empire grec et du reste de ses États, Mohammed médita dès lors la conquête de la Servie. Un an après son départ de Constantinople, il envoya dans le cours du printemps (1454), au vieux despote servien, un ambassadeur avec ce message: «Le pays sur lequel tu règnes ne t’appartient pas, mais à Étienne, le fils de Lazare, et par conséquent à moi (par les droits qu’avait la belle-mère de la fille de Lazare). Cependant je pourrai te céder la part de ton père Wulk, ainsi que la ville et le territoire de Sophia; si tu te refuses à cet arrangement, j’en appellerai aux armes.» L’ambassadeur avait l’instruction d’être de retour en vingt-cinq jours, sous peine d’avoir la tête tranchée et d’être livré sans sépulture aux bêtes féroces. George avait passé le Danube pour demander des secours à Hunyade; l’ambassadeur fut retenu sous différents prétextes, et on gagna ainsi le temps nécessaire pour approvisionner les villes et réparer à la hâte leurs fortifications. Le trentième jour, Mohammed ne voyant pas revenir son envoyé, perdant à la fin patience, partit d’Andrinople avec toutes ses forces réunies et se dirigea sur Philippopolis. Là il rencontra son ambassadeur auquel il fit grâce de la vie en considération de son rapport sur la fuite de George en Hongrie. Ce rapport lui était arrivé à temps, c’est-à-dire avant le terme qu’il lui avait fixé pour son retour. Pendant la marche de l’armée ottomane, les Hongrois avaient franchi le Danube, ravagé tout le pays dans les environs de Tirnova et repassé le fleuve, chargés de butin. Arrivé à Sofia, Mohammed y laissa la plus grande partie de son armée et tout le diwan, et franchit les frontières de la Servie, à la tête de vingt-deux mille hommes de cavalerie légère, sans rencontrer l’ennemi. George avait ordonné à ses sujets de se réfugier dans les places fortes, en leur promettant un prochain secours des Hongrois. Mohammed divisa son armée en deux colonnes, dont l’une se dirigea sur Semendra, l’autre sur Ostraviz, les deux clefs du pays. La cavalerie parcourut toute la Servie et ramena avec elle cinquante mille prisonniers dont quatre mille furent employés par le sultan à la colonisation des villages situés dans les environs de Constantinople. Toute la puissance de Mohammed vint échouer contre Semendra. Lorsque le rempart extérieur fut tombé au pouvoir des Turcs, la citadelle qui domine la ville opposa une résistance invincible. Ostroviz, malgré sa vaillante défense et une sortie vigoureuse de la garnison, voyant ses murs réduits en cendres par l’artillerie de Mohammed, ouvrit ses portes après avoir stipulé une libre retraite. Bien que cette condition eût été acceptée et jurée par les Turcs, la garnison fut traînée en esclavage. Mohammed leva le siège de Semendra et retourna à Sofia et à Andrinople (Edirne), où il fit le partage des esclaves, en prélevant, pour le cinquième qui lui revenait, les plus beaux garçons. Il avait laissé Firouzbeg avec trente-deux mille hommes à Krussovaz sur la Morava pour contenir l’armée réunie des Hongrois et des Serviens sous les ordres d’Hunyade et du despote George. Ces deux généraux, après avoir battu Firouzbeg et l’avoir fait prisonnier, marchèrent sur Pirota et Widin, brûlèrent ces deux villes et ravagèrent toute la contrée. Mohammed, pour mettre un terme aux victoires de l’armée hongroise, vint camper entre Pirota et Sofia. Mais Hunyadi étant retourné triomphant en Hongrie par Belgrade, et George ayant offert de payer un tribut annuel de trente mille ducats, Mohammed accorda la paix et revint par Andrinople à Constantinople. Peu de temps auparavant, il avait conclu avec Venise, par l’entremise de Marcello, l’ambassadeur de la république, un traité qui assurait la liberté du commerce aux marchands des deux pays; le duc de Naxos, en sa qualité de feudataire de Venise, fut compris dans ces dispositions; le tribut pour les possessions vénitiennes en Albanie fut remis sur le même pied où il était du temps de Mourad II, et la république eut le droit d’entretenir un bayle à Constantinople pour la protection de ses sujets (18 avril 1454).

Après avoir ainsi rétabli la paix, Mohammed poursuivit dans sa nouvelle capitale ses plans d’embellissement et d’administration intérieure. Il posa à Constantinople la première pierre de la mosquée d’Eyoub, à la place même où le tombeau de ce compagnon du Prophète avait été découvert pendant le siège. Il éleva sur les ruines de l’église des Saints-Apôtres et des tombeaux des anciens empereurs (le forum de Théodose), un palais appelé aujourd’hui le Vieux-Seraï, et qu’il destinait à sa résidence. Les Turcs à son retour s’étaient déjà mis en possession des couvens les plus célèbres de la ville: des derviches s’étaient fixés dans le monastère de l’arsenal, situé à l’extrémité du Serai actuel, et des foulons et des savetiers occupaient celui du Pantocrator.

La première dignité de l’empire était restée vacante pendant un an entier. Nous ne voyons pas ce fait se renouveler depuis dans les fastes de l’empire. Le sultan nomma à la place de grand-vizir, Mahmoud-Pasha, d’origine servienne par sa mère et grecque par son père. Fort jeune encore, il avait été enlevé par l’armée turque sur le chemin de Novoberda à Semendra. Admis dans le Serai en qualité de page, il fut employé au service du trésor, et s’acquit par ses talents les faveurs de Mohammed, qui à son avènement le choisit pour son confident intime, et l’investit du gouvernement de la Roumilie.

Au printemps de 1455, Isabeg, fils d’Ishak, commandant des frontières turques du côté de la Servie, adressa au sultan un rapport dans lequel il lui démontrait la facilité qu’il y aurait à soumettre ce pays. Mohammed rassembla aussitôt son armée dans la plaine d’Andrinople; après l’avoir passée en revue, il alla camper à l’est d’Ouskoub, au pied de la montagne de Karatova, célèbre par ses mines d’argent. Dans le conseil qu’on tint en cet endroit, il fut convenu de commencer la campagne par une sommation à Novoberda, la plus riche et la mieux fortifiée des places de la Servie, d’ouvrir ses portes. Novoberda on Novobrodo, connue aussi sous les noms de Neopridum, Novopyrgium et Novomonte, avait été appelée dans l’antiquité Mère des villes, à cause de ses riches mines d’argent. Nous avons déjà raconté comment dix-huit ans auparavant Ishakbeg, fils d’Ewrenos, le père du commandant turc des frontières serviennes, avait sollicité Mourad II à la conquête de cette ville, et comment elle était tombée au pouvoir des Turcs après la prise de Semendra. Novoberda étant rentrée depuis sous la domination du despote de Servie, Isa voulut, en rendant cette ancienne conquête à l’empire, gagner les hautes faveurs de Mohammed par les mêmes moyens qui avaient valu à son père celles de Mourad II. Il somma donc le commandant de livrer la ville au sultan à qui elle appartenait, puisque Lazar, le dernier despote, n’avait point laissé de fils pour lui succéder. Le commandant répondit que, s’il n’avait pas laissé de fils, il avait laissé une fille, mariée au prince de Bosnie, qui était devenu par ce fait l’héritier de Lazar. Mohammed, à la nouvelle de ce refus, vint en personne prendre le commandement du siège. La ville fut battue en brèche sept jours durant, et enfin prise d’assaut au commencement de juin (1455). Les immenses richesses que l’armée trouva dans la place furent partagées entre les vainqueurs. Mohammed nomma un beg, un juge et un commandant de la citadelle, à qui il confia la garde de cette importante conquête. Les forts de Trepdjia et de Taschhissar, avec tous leurs trésors, tombèrent également au pouvoir du sultan, qui de là se rendit dans la plaine voisine de Kossova, célèbre par deux victoires des Turcs sur les Chrétiens. En mémoire de son aïeul Mourad Ier, qui y avait perdu la vie et le fruit de son triomphe, sous le poignard de Milosch, Mohammed distribua de riches présents aux akindjis, et retourna, accompagné seulement de la suite affectée à sa personne, à Constantinople, où pendant plusieurs mois il oubliait, au sein des plaisirs du harem, les fatigues d’une cam­pagne si glorieusement terminée.

Mohammed, en quittant son armée, avait voulu être plus près du théâtre des mouvements de sa flotte, qui croisait alors dans l’Archipel; il espérait stimuler par sa présence l’ardeur de son amiral, dont les diverses tentatives sur les îles de Chios, de Cos, de Rhodes et de Lesbos n’avaient pas été couronnées du succès qu’il en attendait. La guerre récemment déclarée au grand-maître de Rhodes avait nécessité ce déploiement de forces maritimes. Avant le départ de Mohammed pour la campagne de Servie, le grand-maître avait envoyé en ambassade à Constantinople quelques chevaliers de Saint-Jean avec des présents magnifiques et la demande d’un traité qui aurait donné la liberté du commerce à l’Ordre sur les côtes de la Lycie et de la Carie, et aux Turcs dans l’île de Rhodes. Les vizirs ayant demandé qu’ils payassent un tribut à l’exemple des autres îles de l’Archipel, telles que Chios, Lesbos, Lemnos et Imbros, ils répondirent que le cas d’une pareille demande n’étant pas prévu dans leurs instructions, ils ne pouvaient rien décider; qu’en conséquence on les fît accompagner d’un envoyé turc avec de pleins pouvoirs pour en traiter avec le grand-maître. On envoya à Rhodes un des premiers dignitaires de la cour; mais à la demande du tribut, le grand-maître répondit que l’Ordre relevant du pape, il lui était défendu de payer aucune espèce de redevance, non seulement aux princes de croyance différente, mais encore aux Etats chrétiens eux-mêmes; que, du reste, il était prêt à envoyer tous les ans une ambassade avec des présents, en signe de déférence pour la Sublime-Porte; il ajouta que si les propositions ne plaisaient pas au sultan, il pourrait agir comme bon lui semblerait. En apprenant l’issue des négociations, Mohammed, blessé du ton fier du grand- maître, déclara sur-le-champ la guerre aux chevaliers de Rhodes. Trente navires qui croisaient sur les côtes de la Carie reçurent l’ordre de commencer les hostilités; ils opérèrent une descente dans les îles de Rhodes et de Cos, d’où ils ramenèrent un riche butin et des prisonniers. Dans cet intervalle Mohammed équipa une flotte composée de vingt-cinq trirèmes, de cinquante birèmes, et de plus de cent navires à un rang de rames. Après la prise de Novoberda, elle partit de Constantinople sous les ordres du kapitan-pasha Hamza, en se dirigeant vers Gallipoli, d’où elle fit voile vers Lesbos, au lieu d’aller aborder à Rhodes Hamza n’entra pas dans le port, il mit à l’ancre dans la rade. Gatelusio, le duc de Lesbos, envoya, suivant l’usage, des présents à bord du vaisseau-amiral. Ces présents, que l’historien Ducas fut chargé d’offrir, consistaient en habits de soie, en six mille florins d’argent, vingt bœufs, cinquante moutons, huit cents mesures de vin, du pain et du biscuit, dix quintaux de fromage, et une grande quantité de rafraîchissements pour l’équipage. Après un séjour de quarante-huit heures, la flotte appareilla pour Chios, où elle fut loin d’être reçue avec les mêmes démonstrations d’amitié. Quelque temps auparavant, le sultan avait demandé, au nom de François Draper, négociant de Galata, quarante mille ducats dus à celui-ci par Chios, pour de l’alun qu’il avait fourni. L’amiral turc venait de nouveau réclamer cette somme, avec la menace, en cas de refus des habitants, de ravager l’île. Hamza lut l’ordre du sultan aux députés de l’ile qui nièrent la dette et déclarèrent ne rien vouloir payer. L’amiral ne put songer à forcer ni le port, dont l’entrée était interdite par plus de vingt navires bien armés, ni la ville, qui était défendue par un double fossé profond de trois toises et par une nombreuse garnison italienne; il dut se contenter de ravager les vignes et les jardins environnants. Il proposa ensuite aux régents de l’île d’envoyer à bord quelques-uns d’entre eux pour s’entendre avec Draper. Après la délivrance d’un sauf-conduit, ils envoyèrent un vieillard, accompagné d’un jeune homme de la famille Kyrikos Justini. En route, la crainte leur vint que les Turcs, qui considéraient la violation de la parole donnée comme une ruse de guerre, non seulement permise, mais louable, ne se fissent pas grand scrupule de les retenir prisonniers. Aussitôt, saisis d’une terreur panique, ils tournent bride et piquent des deux pour retourner à la ville; mais les Turcs qui battaient encore la campagne les en empêchèrent; les cavaliers francs qui escortaient les deux députés, trop peu nombreux pour soutenir la lutte avec leurs adversaires, s’enfuirent; le vieillard et son jeune compagnon furent emmenés de force sur la flotte qui leva l’ancre aussitôt et fit voile pour Rhodes. Les fortifications du port et de la ville de Rhodes étant bien autrement inexpugnables que celles de Chios, toute attaque fut impossible; Hamza se porta dans les eaux de Cos. Il ne trouva plus que des ruines dans le chef-lieu de l’île; quelques vieillards qui étaient restés déclarèrent que les habitants et les chevaliers s’étaient retirés dans le fort de Racheia. On les prit à bord et on se dirigea sur cette forteresse; Draper somma les chrétiens de se rendre; mais ceux-ci répondirent par la décharge de toute leur artillerie. Après un siège infructueux de vingt­deux jours, et une perte d’hommes considérable, par suite des attaques et d’une dissenterie qui s’était mise dans ses troupes, Hamza fut contraint de se retirer. Il concerta en route avec Kyrikos une ambassade que les habitants de Midilü enverraient au sultan, afin de négocier un arrangement. Kyrikos et les régents de Midilü se montrèrent très disposés à cette démarche; mais pendant qu’Hamza était à l’ancre en vue de l’île, attendant la députation qui devait le suivre, un incident malheureux amena de nouveaux conflits. Contrairement à l’ordre de l’amiral, qui avait défendu à son équipage de quitter la flotte, quelques Turcs ivres se mirent à la nage pour gagner la terre. Un d’entre eux monta sur le toit d’une église dont il se mit à jeter les tuiles par terre; un Latin le frappa; ce fut le signal du désordre. Les Latins et les Grecs, armés de bâtons et de sabres, se jetèrent sur les Turcs qui accouraient au secours de leur camarade. Ceux-ci s’enfuirent vers le rivage où une des galères d’Hamza avait mouillé; les chrétiens les y poursuivirent; fuyards et vainqueurs se jetèrent pêle-mêle dans la galère qui, submergée par le poids, coula à fond, entraînant dans une même ruine innocents et coupables. Les archontes de l’île parvinrent à apaiser Hamza, dont le caractère était naturellement doux, en lui restituant le double du prix de la galère, ainsi que des effets et des esclaves engloutis avec elle. Cette satisfaction obtenue, Hamza partit pour Lesbos où l’historien Ducas lui fit servir, par ordre du duc, un magnifique repas apporté à bord  de là il revint à Gallipoli après une absence de deux mois (octobre 1455). Lorsque Hamza, de retour à Andrinople, parut devant Mohammed, celui-ci lui dit d’un ton menaçant: «Si tu n’avais pas été si cher à mon père, je t’aurais fait écorcher vif» et il le chassa de sa présence sans vouloir entendre son rapport. Mais ayant appris la perte d’une de ses galères devant Chios, il fit appeler de nouveau l’amiral: «Hamza, lui dit-il, où est la galère que les habitants de Chios ont coulée bas?—Elle est au fond de la mer», répondit celui-ci. Le sultan ayant demandé comment cela était arrivé, Hamza raconta que quelques-uns de ses soldats ayant désobéi à ses ordres, avaient trouvé une mort méritée, qu’on ne pouvait imputer à ceux de Chios. Alors Mohammed, se tournant vers Draper, qui était présent: «C’est moi qui me charge de ta dette de quarante mille ducats, j’en exigerai le double pour prix du sang des Turcs qui ont péri.» Draper fut admis à baiser la main du sultan, et Hamza reçut ordre de quitter l’amirauté et d’échanger le gouvernement de Gallipoli contre celui de Satalia. Cette disgrâce expliquait assez les intentions de Mohammed à l’égard du prince de Chios, auquel il ne tarda pas à déclarer la guerre (30 juin 1456).

Cependant Doria Gatelusio, prince de Lesbos, venait de mourir à Lemnos. Un mois après sa mort, le 1er août 1455, l’historien Ducas, qui tenait un rang distingué à la cour de Metelino, fut envoyé, par le nouveau prince Nicolas, auprès du sultan avec les tributs annuels de Lesbos et de Lemnos, dont le premier s’élevait à trois mille, et le second à deux mille cinq cents ducats. Le prince d’Aïnos vint également payer le tribut de deux mille ducats qui lui avait été imposé pour la possession de l’île d’Imbros. Ducas, admis à l’audience, s’assit, d’après le cérémonial d’alors, en face du sultan, pendant que celui-ci dînait, et lui offrit le tribut après son repas. Les vizirs s’informèrent de la santé du vieux prince de Lesbos, comme s’ils eussent ignoré sa mort, ne voulant pas reconnaître le nouveau prince avant qu’il fût venu lui-même prêter foi et hommage à la Porte. Ducas retourna prendre à Lesbos le jeune prince, fils aîné de Doria, pour le conduire à la cour du sultan. Mais Mohammed changeait à cette époque fréquemment de résidence à cause de la peste qui exerçait ses ravages à Constantinople et dans les provinces en-deçà du Balkan. Ducas, après l’avoir cherché à Andrinople, à Filibé et à Sofia, finit par le rencontrer dans le défilé d’Izlati, sur une montagne où il avait établi son camp. Le prince de Lesbos, après avoir fait des présents au grand-vizir, Mohammed-Pasha, et au second vizir, Sidi-Ahmed- Pasha, fut introduit dans la tente du sultan, qui d’abord lui fit une réception flatteuse, et lui donna même sa main à baiser. Mais le jour suivant, les choses changèrent de face: les vizirs demandèrent, au nom de leur maître, la cession de l’île de Taschouz (Thassos) et le double du tribut annuel payé jusqu’alors. Ducas eut beau représenter l’impossibilité qu’il y aurait à réunir une pareille somme; tout ce qu’il put obtenir fut que le tribut ne serait augmenté que d’un tiers. Il fut donc élevé, dans le nouveau traité, à trois mille ducats. Avant son départ, le prince fut revêtu d’un kaftan brodé d’or; Ducas et le reste de la suite de kaftans de soie. Cependant la flotte armée contre Chios, forte de dix trirèmes et de dix birèmes, était partie sous les ordres du nouvel amiral et gouverneur de Gallipoli, Younis-Pasha, le beau favori de Mohammed. Un orage la dispersa sur les côtes de Troie; sept vaisseaux périrent; la galère amirale fut poussée seule dans les eaux de Chios: les douze autres relâchèrent dans le port de Metelino. Younis-Pasha rencontra, à la hauteur de Chios, une galère lesbienne envoyée par le frère du prince Nicolas à la reconnaissance des pirates catalans. Car, outre le tribut, on avait encore imposé au prince de Lesbos la surveillance de l’Archipel et des côtes asiatiques depuis la ville d’Assos, aujourd’hui Baïram, jusqu’à l’embouchure du Krimakh (Caïcus), de sorte qu’il était responsable des captures faites sur les Ottomans dans ces parages. Younis-Pasha donna la chasse à cette galère, à bord de laquelle se trouvait une riche Grecque de Chios, la belle-mère du prince de Lesbos; il la poursuivit jusque dans le port de Metelino, où il la réclama comme une prise qui lui revenait, quoiqu’elle n’eût navigué que sous la protection et pour le service du sultan. (En cas de refus, il menaça du courroux de son maître.) De Metelino il fit voile vers la nouvelle Phocée, et y mit une garnison turque. Quoique la ville n’eût opposé aucune résistance, il emmena cent jeunes garçons et jeunes filles qu’il envoya par terre, de Gallipoli à Constantinople, comme présent au sultan. Lors du départ de Younis-Pasha, Ducas avait été chargé d’une nouvelle mission auprès de la Porte; mais la justice de sa cause ne put contre­balancer l’influence de l’amiral. Il fut même retenu jusqu’à la réception de la nouvelle qui annonça la prise de l’ancienne Phocée. Mohammed alors quitta Constantinople et se rendit par terre à Aïnos, où devait le rejoindre Younis-Pasha avec une escadre de dix galères (24 janvier 1456). Les juges de Karaferia et d’Ipssala s’étaient plaints au sultan de quelques actes arbitraires commis par Doria, le maître d’Aïnos, dans le cercle de leur juridiction, et de ses ventes de sel aux infidèles qui causaient un grand dommage aux Musulmans. Mohammed promit de remédier promptement à ce mal par la conquête d’Aïnos. Doria, à l’approche des Turcs, se réfugia d’abord dans l’île de Samothrace; mais ensuite, mieux avisé, il envoya au sultan sa fille, jeune personne d’une rare beauté, avec de riches présents. Elle lui obtint sa grâce et la remise de quelques possessions en fief. Mais chemin faisant, Doria se jeta sur les Turcs qui l’accompagnaient, les massacra et s’enfuit dans les Etats chrétiens. Ducas ne dit que quelques mots sur la conquête d’Aïnos; mais les historiens ottomans en parlent avec de grands détails dans un chapitre spécial, ainsi que de la prise de Thassos, de Samothrace et d’Imbros, îles situées à l’entrée du golfe d’Aïnos, et appelées par les Turcs Taschouz, Semendrek et Imrouz. Chios, pour conjurer l’orage qui la menaçait, paya trente mille ducats en dédommagement de la galère perdue, et promit en outre un tribut annuel de dix mille ducats. Mohammed  renonçant pour le moment à la possession de Chios et de Lesbos, ne laissa pas que de s’emparer de l’île de Lemnos (Stalimené). La mésintelligence qui régnait entre les habitants et Nicolas Gatelusio, frère du prince de Lesbos, à la place duquel ils avaient demandé un gouverneur turc, fut le prétexte de cette nouvelle usurpation. Mohammed nomma à cette place Hamzabeg, tout récemment envoyé comme gouverneur à Satalia, et donna ordre au nouvel amiral et beg de Gallipoli, l’eunuque Ismaïl, d’installer Hamza à Lemnos. A cette nouvelle, le prince de Lesbos arma en toute hâte une galère commandée par Jean Fontana et Spineta Kolumbotos pour ramener son frère, si tout rapprochement entre lui et les habitants de Lemnos devenait impossible. Ils remplirent leur mission, mais non sans avoir été obligés de recourir aux armes (mai 1456). Trois jours après débarqua l’amiral Ismaïl, accompagné du nouveau gouverneur. Il donna de grandes louanges aux Lemniens, et emmena, en partant, les Lesbiens qui se trouvaient dans l’île. La guerre de la Porte avec la Hongrie opéra une heureuse diversion en faveur des frères Gatelusio, en forçant Mohammed d’ajourner sa vengeance.

Dès le commencement du mois d’avril, le bruit se répandit dans toute la Hongrie que Mohammed rassemblait une nombreuse armée pour faire le siège de Belgrade; cette place, alors considérée comme imprenable, est située dans une presqu’île formée au nord par le Danube et à l’ouest par la Save. On apprit en même temps qu’il faisait fondre à cet effet des pièces d’artillerie à Kroussovaz, sur la Morawa (Margus). Le 13 juin, l’armée ottomane, forte de cent cinquante mille hommes environ, parut devant Belgrade. Elle avait à sa suite un parc d’artillerie de plus de trois cents bouches à feu, au nombre desquelles étaient sept mortiers destinés à lancer des boulets de pierre, et vingt-deux canons qui atteignaient la longueur démesurée de vingt-sept pieds. L’artillerie foudroya la ville jour et nuit, et la canonnade se fit entendre jusqu’à Szegedin, c’est-à-dire à une distance de plus de vingt-quatre milles hongrois. Mohammed, regardant la conquête de Belgrade comme un jeu auprès de celle de Constantinople, s’était vanté, s’il faut en croire certains historiens, de prendre en quinze jours la forteresse, que son père avait assiégée infructueusement pendant six mois, et il espérait être sous deux mois à Ofen. Une flottille de deux cents brigantins, réunie à Widin, remonta le Danube pour intercepter les secours qu’on préparait à Szegedin. Le grand homme de guerre de la Hongrie, Hunyadi, alors lieutenant-général du royaume, rassembla d’abord à Ofen, puis à Szegedin, l’armée des croisés qui, appelés par une bulle du pape Calixte III, et encouragés d’ailleurs par les promesses d’indulgences plénières faites par son légat, le cardinal Jean Angelo, avaient pris la croix et les armes contre les Turcs. Environ soixante mille hommes avaient répondu à l’appel du pape, ou plutôt aux exhortations du zélé prédicateur Joannes Capistrano, et étaient venus se ranger sous les drapeaux d’Hunyadi. Cependant, parmi toute cette multitude, on ne comptait que trois magnats : Jean de Korogh, haut-palatin et ban de Machov, d’Orban et de Posega, dans le banat duquel est situé Belgrade, le capitaine Michel Zelaghy, haut-palatin de Bistrai, et le jeune Ladislas de Kanischa. Beaucoup d’autres nobles, à la vérité, prirent la croix, mais non les armes; les troupes d’Hunyadi étaient un ramassis de bourgeois, de paysans, d’étudiants, de moines mendiants, armés de pieux, de bâtons, de frondes et de sabres. Capistrano était accompagné de six de ses collègues comme lui franciscains, et dont deux, Jean Tagliacozzo et Nicolas de Fara ont, par leurs écrits sur cette mémorable époque, transmis leurs noms et celui de Capistrano à la postérité. Le 14 juillet, Hunyade, avec une flottille également composée de deux cents brigantins, en partie rassemblés à Sztary-Slankament, en partie construits à Belgrade sous la direction de Zelaghi, alla à la rencontre de la flottille ennemie. Le combat ne fut presqu’un abordage; les bâtiments turcs, dont la manœuvre était lourde et inexpérimentée, furent bientôt dispersés. Mohammed fit brûler les navires démâtés et dont l’équipage avait péri, afin qu’ils ne tombassent pas entre les mains des Hongrois. Les Turcs perdirent sept galères, dont trois coulées bas et quatre prises; plus de cinq cents des leurs furent tués dans le combat. Capistrano s’était tenu sur le rivage pendant toute la durée de l’engagement, en invoquant le nom de Jésus et agitant l’étendard des croisés. Sept jours après l’échec reçu sur le Danube, Mohammed ordonna un assaut général et se mit lui-même à la tête des janissaires. Karadja, le beglerbeg de Roumilie, qui jusqu’alors avait dirigé le siège avec talent et bonheur, était mort la veille frappé par un boulet de canon. Au matin du 21 juillet 1456, le camp ottoman retentit du bruit des tambours et des trompettes, les janissaires, dans une attaque impétueuse, pénétrèrent par les brèches et se rendirent maîtres du faubourg; de là ils se portèrent sur le pont qui conduit dans l’intérieur de la ville avec une telle vigueur, qu’Hunyadi lui-même crut à sa défaite; mais le courage inspiré de Capistrano ne faillit pas même alors, et sa confiance demeura inébranlable. Il jeta de nouveaux renforts dans la citadelle par la porte de derrière, et fit lancer des fagots enflammés et imbibés de soufre sur les Turcs montant à l’assaut, qu’il repoussa ainsi dans les fossés. Vers midi, les assiégeants furent forcés d’abandonner les positions qu’ils avaient prises (2 juillet). Dans cet instant décisif, Capistrano prit avec lui le porte-étendard Pierre, et deux de ses confrères et compagnons d’armes, dont l’un était Tagliacozzo, et fit, à la tête de mille croisés, une sortie vigoureuse pour s’emparer de l’artillerie de siège de l’ennemi. Les Turcs s’enfuirent dans toutes les directions au cri d’Allah! et les chrétiens pénétrèrent jusque dans le camp ennemi en invoquant le nom de Jésus. Mohammed, voyant les azabs en pleine fuite et son artillerie sur le point d’être prise, combattit lui-même comme un lion; d’un coup de sabre, il fendit la tête à un chrétien, mais il fut lui-même blessé à la cuisse et dut se retirer. Transporté de fureur, il fit d’épouvantables menaces à Hasan, le général des janissaires; celui-ci répondit que ses soldats étaient blessés pour la plupart, et que les autres ne lui obéissaient plus; puis il se jeta, sous les yeux du sultan, au-devant d’une mort glorieuse qu’il ne tarda pas à trouver dans les rangs des Hongrois. Six mille cavaliers turcs arrivèrent assez à temps pour forcer enfin les croisés à la retraite. Mohammed leva le siège en désordre, et se retira avec cent chariots de blessés à Sofia, où il arrêta la fuite de son armée en faisant trancher la tête aux fuyards. Trois cents canons furent la proie du vainqueur; vingt-quatre mille Turcs avaient succombé sous les murs de la forteresse. Mais Hunyadi ne survécut pas long­temps à son triomphe; les fatigues de cette dernière campagne, une blessure qu’il avait reçue pendant le siège, l’air de ces contrées corrompu par les miasmes pestilentiels émanés des cadavres turcs restés sans sépulture, se réunirent pour allumer dans son sein une fièvre ardente qui l’emporta vingt jours après la fuite de Mohammed (11 août 1456). Capistrano ne tarda pas à le suivre; le 23 octobre suivant, il mourut à Belgrade, dans son lit, après avoir cherché tant de fois une fin plus digne de lui sur le champ de bataille. Capistrano fut mis au nombre des saints; son monument sous le dôme de Saint-Etienne, à Vienne, où il prêcha si souvent la croisade, est encore là pour rappeler tous les titres qu’il eut à la reconnaissance des chrétiens et au respect des Ottomans.

En mémoire de cette victoire, et pour consacrer le souvenir du secours porté à Belgrade par les croisés, le pape Calixte III fixa la fête de la Transfiguration au 6 août, jour où Capistrano avait combattu avec tant d’héroïsme. C’était ce même Calixte III, alors âgé de quatre-vingts ans, qui avait fait prêcher la cinquième croisade contre les Turcs. A cette croisade se rattache la victoire de Capistrano, comme la prise de Smyrne (Ismir) à la première, sous Clément VI; la bataille des Serviens à la seconde, sous Urbain VI; la défaite de Nicopolis à la troisième, sous Grégoire XI, et le désastre de Warna à la quatrième, sous Eugène IV. Toujours plein de zèle pour la croisade, Calixte équipa à ses frais, l’année suivante (1457), une flotte de dix-huit galères qu’il envoya dans les eaux de l’Archipel, sous les ordres du cardinal Louis Scarampa, patriarche de Venise. Cet armement devait protéger contre les Ottomans les sept îles principales de l’Archipel, savoir: Rhodes, Chios, Lesbos, Lemnos, Imbros, Thassos et Samothrace. La flotte papale mouilla d’abord à Rhodes, puis à Chios et à Lesbos, dont les habitants repoussèrent la proposition que leur fit le cardinal de ne plus payer le tribut imposé par les Turcs. Les archontes de Chios craignirent de nouvelles hostilités de la part de Mohammed dès que la flotte serait partie, et le prince de Lesbos avait envoyé son tribut par son ambassadeur Ducas, immédiatement après la délivrance de Belgrade. En vain Ducas voulut-il disculper les habitants de Lemnos de l’accusation de trahison qu’on faisait peser sur eux; tout ce qu’il put obtenir du sultan fut que ceux qui étaient déjà condamnés à mort fussent conduits de la place d’exécution au marché des Esclaves, où Mohammed les fit vendre pour mille ducats. Lorsque la flotte papale, renforcée de quarante navires de corsaires catalans, arriva devant Lemnos, elle y trouva un accueil bien autrement empressé qu’à Chios et à Lesbos. Scarampa laissa des garnisons dans Lemnos, Samothrace, Imbros et Thassos, et retourna à Rhodes. Mohammed qui soupçonnait le prince de Lemnos d’avoir favorisé sous main cette entreprise des Latins, envoya contre lui, au mois d’août, une flotte formidable sous le commandement d’Ismaïl. Les Turcs mirent le siège devant Méthymnos; mais ils se retirèrent sans avoir réussi. A l’époque où Ducas avait apporté au sultan le tribut de Lesbos, Pierre, prince de Moldavie, était venu aussi offrir un tribut de son plein gré et avait acheté, moyennant un paiement annuel de deux mille ducats, la tranquille possession de ses Etats, pour lesquels il redoutait beaucoup le voisinage des forces ottomanes.

Mohammed, de retour à Andrinople, s’efforça de faire oublier sa défaite devant Belgrade par des fêtes magnifiques (1457). Il prépara les solennités de la circoncision de ses fils, Bayezid et Moustafa, dont le premier résidait à Amassia et le second à Magnésie. Les deux princes furent invités à se rendre à Andrinople avec leur cour. Des circulaires, envoyées dans toutes les parties de l’empire, appelèrent à ces fêtes les émirs, les fakirs, les légistes, les begs, les poètes et les juges. On dressa un camp dans la grande île formée par les eaux de la Marizza près d’Andrinople, et un trône fut élevé dans la tente destinée aux grandes réceptions du sultan. Mohammed ouvrit ces fêtes par une assemblée du corps des savants et des oulémas; il était assis sur son trône, revêtu de tous ses insignes, et à ses côtés quatre des savants les plus distingués occupaient la place d’honneur. A sa droite se tenait Khaïreddin, le kodja, c’est-à-dire le précepteur du sultan; à sa gauche, Mewlana Ali Et-Touzi, qui était venu de Perse sous Mourad II. Après la prise de Constantinople, Et-Touzi avait été employé en qualité de professeur dans une des huit églises que le conquérant avait changées en collèges. Plus tard, Mohammed, pour récompenser son haut savoir, lui donna en toute propriété un village appelé depuis Muderriskoï, c’est-à-dire le village du Recteur, situé dans les environs de Constantinople. En face du sultan étaient assis Khizrbeg Tschelebi, le premier juge ottoman de la capitale des Grecs après la conquête, et Schoukroullah, son médecin, natif de Schirwan. Ces quatre personnages présidaient l’assemblée des savants qui lisaient et commentaient le Coran devant Mohammed, ou récitaient des poésies de circonstance. A la fin de cette séance des académiciens turcs, on servit aux professeurs des plateaux chargés de sucreries, et aux danischmends ou candidats au professorat, des boîtes de fruits confits qu’ils purent emporter chez eux; tous s’en allèrent avec de riches présents en or et en vêtements d’honneur. Le second jour, les scheiks et les fakirs, avec lesquels le sultan se plut à disserter sur des matières religieuses, furent reçus et fêtés de la même manière. Le troisième jour, eurent lieu les exercices d’armes, les courses de chevaux, le tir de l’arc. Enfin le quatrième jour, qui fut le dernier des fêtes de la circoncision, on jeta de l’argent au peuple. Les grands apportèrent à leur tour des présents au souverain : le grand-vizir les surpassa tous par sa fastueuse munificence. Ces fêtes avaient à peine cessé que les deux petits-fils d’Ewrenos, Isa fils de Hasan, et Isa fils d’Ishak. furent chargés d’une expédition, le premier en Albanie, et le second en Hongrie. La ville d’Ofen fut exposée aux courses des Turcs pendant un mois.

Nous raconterons dans le livre suivant, à l’occasion de la trêve conclue entre Scanderbeg et les Turcs, les événements qui se sont passés en Albanie depuis la mort de Mourad II jusqu’à l’année 1458; mais nous devons interrompre un instant le fil de notre récit, pour placer ici l’incursion d’Isa dans la Hongrie, que les historiens hongrois passent sous silence, mais dont Chalcondyle et les historiens ottomans font mention, et la campagne de Servie, à la suite de laquelle ce pays devint irrévocablement une province turque. Nous ne quitterons pas ce sujet sans avoir parlé de l’asservissement définitif de la Grèce.

Au commencement de l’année 1458, Mohammed, dès qu’il eut jeté, près de la Porte-d’Or, les fondements du château des Sept-Tours, prit en personne le commandement de l’expédition qu’il destinait à envahir la Morée. En même temps, le grand-vizir Mahmoud-Pasha reçut l’ordre d’aller réduire les places fortes de Servie qui tenaient encore, soit que ce fût dans ses attributions comme beglerbeg de Roumilie, depuis qu’il avait succédé dans cette dignité à Karadja, mort devant Belgrade; soit que Mohammed pensât qu’il eût été imprudent de lui confier l’asservissement de la Grèce, sa patrie. Mahmoud grossit d’un corps de mille janissaires son armée, en grande partie équipée à ses frais, et qu’il avait tirée de son gouvernement et des sandjaks d’Anatolie; puis, après avoir passé ses troupes en revue dans la plaine voisine de Constantinople, qui porte encore son nom, il se dirigea sur le Danube à marches forcées. Il soumit en peu de temps les forts de Ressowa, de Curicovaz, de Druno et de Braniczovacza, et alla mettre le siège devant la ville de Semendra située au sud-est de Belgrade et au confluent de la Jessova et du Danube. Ishakbeg et Karaman-Pasha furent chargés de négocier la rendition de la forteresse; mais le commandant refusa de capituler, bien que tous les ouvrages extérieurs fussent tombés au pouvoir des Turcs. Mahmoud, ne voulant pas consumer son temps et ses forces devant les murs de Semendra, leva le siège, et se rendit au chateau d’Hawala élevé par Mohammed II sur une colline, à trois lieues seulement de Belgrade. Après l’avoir remis en état de défense, il attaqua et prit successivement Ostroviza, Rudnik et Marjone. Il passa le baïram (le carême des Musulmans) à Nissa, puis alla assiéger Columbacz (Columbraria), petite place forte sur la rive droite du Danube. La garnison fut obligée de se rendre faute d’eau. Mahmoud avait détourné la source qui alimentait la place, et repoussé les troupes qui avaient été s’approvisionner au fleuve. Dès qu’il eut réparé les murs de cette ville, et pourvu à sa défense par de nouvelles fortifications, il détacha Mohammedbeg, fils de Minet, pour battre le pays au-delà du Danube. Celui-ci s’empara du château de Tarak, probablement Kereck, dans le voisinage de Semlin, ravagea le district de Rahova situé entre la Save et le Danube, et revint par eau avec un riche butin de jeunes garçons, de jeunes filles, de bestiaux, d’effets précieux et avec deux cents soldats armés de cuirasses, qu’il alla présenter au sultan alors à Ouskoub.

Peu de temps après la délivrance de Belgrade, le despote George avait suivi au tombeau ses vaillants défenseurs Hunyadi et Capistrano, laissant après lui son épouse Irène, sa fille Mara veuve du sultan Mourad II, et trois fils, Grégoire, Étienne et Lazar. Les deux premiers avaient eu les yeux crevés par ordre de Mourad II lors de leur emprisonnement. Lazar chassa ses deux frères aveugles, empoisonna sa mère et s’efforça de consolider son usurpation, en offrant au sultan vingt mille livres d’or à titre de tribut annuel. Mais il ne jouit pas longtemps du fruit de son crime; il mourut le second mois de son règne. Sa sœur, la sultane Mara, s’était réfugiée avec son frère Grégoire et son oncle Thomas Cantacuzène auprès de Mohammed, qui se chargea d’appuyer les droits qu’elle avait au trône de Servie, et lui assigna une résidence à Yassovo sur le Strymon, non loin du mont Athos. Là vivait dans la solitude la sultane de l’empereur Mourad, «la pieuse czarine Mara, fille du despote George.» (C’est ainsi qu’elle signe dans un document sous la date du 13 avril 1479, conservé par Raitsch). Elle avait pour compagne sa sœur Catherine, veuve du comte de Cilïey, qu’après la mort de son frère Grégoire, elle avait fait venir de la Pouille. Hélène la veuve de Lazar espéra sauver la Servie des mains des Turcs en mariant sa fille à l’héritier du trône de Bosnie et en faisant de son royaume un fief du pape, qui en accepta la suzeraineté par son légat, le cardinal S. Angelo. Les boyards serviens, mécontents de cette donation et des sympathies de la reine pour la religion catholique, préférèrent la domination des Ottomans à celle du pape et choisirent pour chef Michel Abogovitsch, frère du grand-vizir Mahmoud-Pasha. Hélène attira par de feintes prévenances Abogovitsch dans la citadelle, s’empara de sa personne et l’envoya prisonnier en Hongrie. Mohammed venait de réduire Prisren; il parut inopinément sous les murs de Semendra qui se rendit à la première sommation, en stipulant la libre sortie d’Hélène avec ses trésors. Les forts de Wicheslaw, de Schernow et de Belastena suivirent l’exemple de Semendra (8 novembre 1459) ; le couvent de Mileschewo fut livré aux flammes. S’il faut en croire Aeneas Sylvius, deux cent mille habitants furent emmenés en esclavage. C’est ainsi que six ans après la prise de Constantinople, la Servie devint une province de l’empire ottoman, et Semendra ou Spenderobe, l’ancienne capitale des Tryballiens, une place frontière au nord de la Turquie. Mousa, le rival de Mohammed Ier, l’avait assiégée en 1414 peu avant le premier siège de Constantinople par les Ottomans. Mourad II s’en empara en 14403; mais à quelque temps de là elle fut rendue et servit à payer la rançon de Mahmoudbeg frère du grand-vizir Khalil- Pasha, fait prisonnier à la bataille d’Islati. Enfin Mahmoud-Pasha l’assiégea à deux reprises pendant deux années consécutives, la première fois inutilement, dans l’année même où l'impôt foncier fut élevé dans tout l’empire de vingt à trente-trois aspres par paire de bœufs, la seconde fois avec un plein succès dans l’année qui vit naître l’infortuné prince de Djem.

Les deux despotes du Péloponnèse, frères de l’empereur de Byzance, Démétrius et Thomas, dans une stupide imprévoyance des dangers qui les menaçaient, ne trouvaient rien de mieux à faire que de s’affaiblir mutuellement par des dissensions domestiques. Mohammed Il qui ne perdit jamais une occasion d’étendre sa puissance, prit en personne le commandement de l’expédition de Morée (15 mai 1458), après avoir envoyé les deux petits-fils d’Ewrenos, l’un en Albanie, l’autre en Servie.

A l’époque où Mohammed, ne songeant qu’à se rendre maître de Constantinople, avait rassemblé toutes ses forces sur ce seul point, les derniers débris des patriotes grecs se réfugièrent dans le Péloponnèse, où le sultan condescendit à ne pas inquiéter leur puissance expirante. Cette transaction précaire suffit pour rassurer Démétrius qui résidait à Sparte, tandis que Thomas dominait à Patras. Nous avons déjà raconté comment la désunion entre les deux frères avait appelé au sein de leurs États des hordes albanaises qui ne tardèrent pas à se révolter, et comment ils ne ressaisirent le pouvoir que par le secours des Ottomans et le paiement d’un tribut onéreux. Pour mieux connaître les circonstances qui ont facilité aux Turcs la conquête du Péloponnèse, il convient de jeter un regard sur les partis qui se disputaient alors le pays. Lorsque Constantin mourut les armes à la main en défendant sa capitale, les archontes voulurent proclamer empereur Démétrius, à qui le trône revenait par droit d’aînesse; mais son jeune frère Thomas, d’un caractère turbulent, ambitieux et tyrannique, se refusa obstinément à lui céder le pouvoir, et force fut de partager entre eux la domination du Péloponnèse, que menaça bientôt de leur enlever la révolte des Albanais. Thomas qui ne le cédait point au sultan en tyrannie, mais qui était loin de l’égaler en habileté et en puissance, imita sa politique sanguinaire d’usurpations et d’assassinats. Pour s’emparer de Glarenza et de l’Achaïe, il attira à Patras le seigneur de ces districts, son parent, sous la protection d’un sauf- conduit, et le fit mourir de faim en prison avec ses fils. Il poursuivit ses cruautés jusque sur le gendre du prince d’Achaïe, à qui il fit arracher les yeux et couper le nez, les mains et les oreilles, pour le punir d’avoir osé se marier pendant la captivité de son beau-père. Théodore Bokali, un des plus grands propriétaires du Péloponnèse, expia l’influence de sa position par la perte de la vue et de ses biens. Un pareil sort était réservé à Emmanuel Cantacuzène; mais plus heureux, il sut éviter les pièges qu’on lui tendait. Il se mit à la tête des Albanais révoltés, chez lesquels il réussit à se rendre populaire, en changeant son nom grec contre un nom albanais, ravagea tout le plat pays, et assiégea les deux despotes dans leurs résidences de Patras et de Sparte.

Mohammed regarda avec raison ce moment de désordre général comme l’occasion la plus favorable à l’accomplissement de ses projets de conquête. Il partit de Constantinople le 5 mai 1458, mit le blocus devant Corinthe le 15 du même mois, et continua sa marche dans le Péloponnèse avec le reste de son armée, jusqu’à Phlius, qui faisait anciennement partie de la confédération Achaïenne. Mais le commandant albanais Doxias, déterminé à n’abandonner la défense de la ville qu’après la plus vigoureuse résistance, se mit en devoir de le recevoir sur une hauteur fortifiée et qui dominait toute la contrée. Mohammed, jugeant inutile de s’occuper d’un ennemi qui devait tomber entre ses mains après la réduction des principales places, marcha sur Tarsos dont la garnison se rendit à la première sommation; il y laissa un de ses officiers avec quelques troupes, emmenant avec lui trois cents jeunes garçons, et continua sa route dans l’intérieur du pays. Les Albanais qui avaient capitulé à Tarsos, ayant cherché à s’enfuir, Mohammed, pour donner un exemple terrible à ceux qui seraient tentés de les imiter, fit exécuter vingt d’entre eux d’une manière atroce; on leur brisa les chevilles des pieds et des mains à coups de massue, et ainsi mutilés ils durent attendre la mort. La place de l’exécution reçut le nom de Tokmak Hissari (château des chevilles). Une autre ville située sur une montagne dans l’intérieur du Péloponnèse dont Chalcondyle nous laisse ignorer le nom, mais qui paraît être l’Aetos de Phranzes, souffrit tellement du manque d’eau, que les habitants furent réduits à pétrir le pain avec le sang des bêtes de somme; pressée par la plus extrême nécessité, elle allait se rendre, lorsque les janissaires escaladèrent les murs et la mirent au pillage. De là, Mohammed conduisit son armée devant la ville de Rupela ou d’Akoba, où un grand nombre de Grecs et d’Albanais s’étaient réfugiés avec leurs familles. Après un assaut de deux jours, le sultan, voyant que beaucoup de ses soldats avaient été mis hors de combat, était sur le point de se retirer, lorsqu’une députation vint lui apporter la capitulation des assiégés. La ville ne fut pas détruite, mais les habitants furent transférés à Constantinople. L’armée continua sa marche par Mantinée sur Pazenica. Le sultan fit sommer la garnison albanaise de se rendre, par Cantacuzène, le même qui, avec le secours de ce même peuple, avait fait la guerre aux despotes quelque temps auparavant; mais elle ne céda ni aux propositions de celui-ci, qui, soupçonné de l’avoir encouragée dans sa résistance, tomba dans la disgrâce du sultan, ni à l’attaque des troupes ottomanes elles-mêmes. Mohammed se retira le deuxième jour du siège sur Tégée, incertain s’il marcherait sur Sparte qu’habitait le despote Thomas, ou sur Epidaure, alors la résidence de Démétrius. Mais ayant appris qu’en avant de Tégée les chemins devenaient impraticables, il retourna sur ses pas et investit Moklia ou Moukhla près de Tégée. Cette place était défendue par Asanès Démétrius et plus encore par sa position sur une montagne inaccessible; le seul côté attaquable était protégé par un triple mur. Dès qu'il eut dressé son camp, disposé son artillerie et détourné les eaux qui alimentaient la place, Mohammed envoya Isa, petit-fils d’Ewrenos, avec un interprète auprès d’Asanès, pour le sommer de se rendre. Chalcondyle nous a transmis les discours dans lesquels l’ambassadeur turc et le commandant grec vantent, le premier la puissance du sultan, et le second la solidité des fortifications. Ces pourparlers n’ayant amené aucun résultat, Mohammed ouvrit le feu de ses batteries en le dirigeant contre le seul côté accessible de la place. Lorsque le premier rempart tomba sous les coups de l’artillerie turque, Asanès se retira derrière le second et continua sa brillante défense. Mais un boulet du poids de sept quintaux étant tombé sur la boulangerie, ce bâtiment s’écroula, et le peu de provisions qui restait fut perdu. L’évêque, traître à sa patrie, instruisit le sultan de la disette de la ville et l’encouragea à continuer le siège. Mohammed fit de nouvelles sommations, en ajoutant que ses intelligences dans la place l’avaient instruit de la famine qui y régnait. Asanès Démétrius et Lucanos considérèrent dès lors une plus longue défense comme inutile et imprudente, et se rendirent au sultan. «Dites à votre maître (le despote Démétrius), leur dit Mohammed, que je suis prêt à lui accorder la paix et mon amitié, sous la condition que la partie du Péloponnèse déjà parcourue par mon armée m’appartiendra, et qu’il paiera un tribut annuel de cinq cents livres d’or pour les pays dont il reste le maître; faites savoir au prince de Patras qu’il ait à me céder sa souveraineté, autrement j’irai l’en dépouiller moi-même.» Asanès Démétrius et Lucanos portèrent ce message aux deux despotes qui eurent une entrevue à Tripisbuna, aujourd’hui Tripolitza, pour s’entendre sur leurs intérêts communs. La reddition de Moklia fut suivie immédiatement de l’occupation de Corinthe par les Turcs: la garnison avait fait une vaillante résistance; mais un autre Asanès, fils de Paul et beau-frère du despote Démétrius et Nicephoras Lucanos, intimidés par les menaces de Mohammed, capitulèrent peu après le commencement du siège. Démétrius et Thomas accusaient, non sans quelque raison, les deux commandants de trahison et de lâcheté, mais enfin force leur fut d’accepter les conditions du vainqueur. Démétrius abandonna le district de Phliasia qui s’étendait depuis Corinthe jusqu’à Calavrita; Thomas céda Patras et les villes qui en dépendaient. Ce nouveau traité rangea toute la côte nord du Péloponnèse sous la domination des Ottomans. Omar, fils de Tourakhan, qui le premier des Turcs avait franchi trente-cinq ans auparavant l’isthme d’Hexamilon, fut investi du gouvernement de l’Achaïe depuis Patras jusqu’à Calavrita. Mohammed, avant de partir pour Constantinople, mit dans les villes nouvellement conquises des garnisons de janissaires, et alla visiter Athènes, récemment conquise par Tourakhan; un crime de la maison ducale des Acciaioli avait servi de prétexte à cette nouvelle usurpation.

La veuve du dernier duc Rainer, violemment éprise d’un jeune noble vénitien, auquel le sénat avait confié le gouvernement de Napoli di Romania, lui avait promis sa main et la souveraineté d’Athènes, à condition qu’il assassinerait sa femme, issue comme lui d’une famille patricienne de Venise. Après avoir acheté par son forfait le droit d’être l’époux de la duchesse, l’assassin fut obligé, pour se soustraire à la haine et aux poursuites des Athéniens, de se réfugier à la cour du sultan, avec le fils de Rainer dont il était devenu le tuteur. On le dénonça à la Porte comme meurtrier de sa femme. Mohammed donna le gouvernement d’Athènes à son protégé Franco Acciaioli, neveu du dernier duc, pour lequel il était soupçonné d’avoir une passion honteuse. Franco fut reçu par les habitants avec de grandes démonstrations de joie conformément aux ordres du sultan. Le premier acte de son autorité fut de jeter en prison à Mégare la duchesse qui avait provoqué l’assassinat de sa rivale, et de l’y faire périr. Le jeune Vénitien, meurtrier de sa première épouse, accusa à son tour Franco de la mort de la duchesse sa seconde femme. Alors, pour en finir, Mohammed ordonna à Omar de prendre en son nom possession d’Athènes. Celui-ci détermina facilement Franco à se retirer avec ses trésors, en lui promettant de la part du sultan la principauté de Thèbes et de Béotie. Ce fut à cette occasion que Mohammed alla visiter Athènes, dont la prudence d’Omar venait de faire si pacifiquement la conquête. A la vue des merveilles de l’Acropolis et du port, il s’écri : «Quels remerciements ne doivent pas au fils de Tourakhan la religion et l’empire!»

Lorsque Mohammed eut visité tous les monuments d’Athènes, il envoya aux deux despotes un ambassadeur, chargé de demander la ratification du traité conclu, et la fille de Démétrius en mariage (octobre 1458). Démétrius agréa sa demande, à l’exemple honteux de quelques-uns de ses aïeux, qui avaient sacrifié leurs filles au harem du sultan. Mais Thomas, son frère, ne tarda pas à rompre la paix qu’il venait de jurer. Nicephoras Lucanos, que Phranzes appelle pour cela le bourreau du Péloponnèse, lui avait persuadé que les Grecs et les Albanais étaient prêts à secouer le joug des Turcs, et qu’une révolte ne pouvait manquer de réussir.

Vers le mois de janvier de l’année 1459, Thomas commença les hostilités, non seulement contre les Turcs, mais encore contre son frère; il prit aux Ottomans Calavrita, et à Démétrius Karitena, Saint­George, Bordonia et Kastriza, dont il s’empara moins par la force des armes, que par la promesse qu’à l’avenir elles choisiraient elles-mêmes leurs magistrats pour les affaires d’administration intérieure. Il assiégea ensuite Zarnata et Kalamata dans le golfe de Koron, qui appartenaient à son frère; celui-ci en revanche attaqua Scutari et Akoba. Mais le plus grand fléau qui affligeât alors le Péloponnèse était les Albanais, ce peuple qui, suivant Phranzes, «le plus pervers et le plus inutile du monde, passait d’un despote à l’autre, et reniait trois fois son maître dans un même dimanche; les Turcs de Corinthe, de Patras et d’Amykla, profitant de cette confusion générale, massacraient, pillaient, et se moquaient des despotes et des archontes dont les querelles intestines les poussaient vers une ruine certaine.» Mohammed qui se trouvait à celle époque à Scopi, où Mahmoud-Pasha vint lui présenter les prisonniers faits en Hongrie, attribuant cette insurrection à l’incurie du fils de Tourakhan, le déposséda de son gouvernement, et nomma à sa place Hamza son gendre. Le nouveau gouverneur força les Grecs à lever le siège de Patras, et marcha ensuite de concert avec le despote Démétrius, son allié, sur Léontari où Thomas s’était renfermé. Celui-ci accepta la bataille que lui offrit Hamza, et fut battu. Cette victoire fut due à l’habileté de Younisbeg, général des sipahis. Tout ce qui était resté aux Grecs, aux Albanais, aux archontes et aux despotes, devint la proie des Turcsa. Les deux frères, ouvrant enfin les yeux sur leur propre ruine, se réunirent à Karriza, où ils assistèrent à la messe du métropolitain de Sparte et se firent de nouveaux serments.

Mohammed, instruit de l’alliance des deux frères, en rejeta la faute sur Hamza, comme précédemment il avait rendu Omar responsable de la guerre civile qui désolait la Grèce. Il le remplaça par Saganos-Pasha, gouverneur de Gallipoli, son grand-amiral. A l’entrée de Saganos-Pasha dans le Péloponnèse, les troupes auxiliaires des deux despotes se désunirent de nouveau, et, sans attendre l’ennemi, elles s’enfuirent dans toutes les directions. Thomas, songeant peu aux conséquences du nouveau parjure qu’il venait de commettre, s’empara des possessions de son frère dans la Laconie et la Messénie, et assiégea Kalamata, tout en entamant des négociations avec le sultan. Mohammed, occupé des préparatifs de la campagne d’Asie contre Ouzoun-Hasan, écouta volontiers les propositions de Thomas et y accéda sous les trois conditions suivantes, savoir : qu’il s’engagerait à tenir les troupes grecques éloignées des forteresses turques, qu’il consentirait au paiement d’un tribut annuel de trois mille livres d’or, et qu’au bout de vingt jours il viendrait signer ce traité chez l’ambassadeur turc qui serait envoyé à Corinthe. Thomas promit tout, mais il ne put rassembler le tribut ni satisfaire à aucune des conditions stipulées dans le dernier traité. Mohammed furieux renvoya la campagne d’Asie à l’année suivante, et marcha en personne contre les deux frères. Arrivé à Corinthe, il jeta dans les fers Asanès, beau-frère de Démétrius, et s’avança sur Sparte. Démétrius, abandonné par son frère et poussé par l’espoir de sauver sa vie en trahissant la cause des Grecs, se rendit dans le camp du sultan, qui lui fit une réception gracieuse, lui renouvela la promesse d’épouser sa fille et de le dédommager de la cession de sa principauté. Il le retint auprès de lui; et après avoir mis une garnison turque dans Sparte, il alla attaquer Kastriza, qu’il prit facilement et qu’il pilla. Mais le château qui domine la ville fit une défense qui coûta la vie à un grand nombre de janissaires. Cependant la garnison, forte de trois cents hommes, se rendit volontairement. Pour la punir de sa vaillante résistance et de la confiance qu’elle avait accordée à sa parole, Mohammed la fit rassembler sur la place publique où elle fut massacrée; le commandant eut la distinction d’être scié en deux. Le sultan ne tarda pas à paraître devant Léontari, dont les habitants s’étaient réfugiés avec leurs femmes et leurs enfants dans le fort de Gardika. Animés par le courage du désespoir, ils repoussèrent pendant quelque temps toutes les attaques des azabs. Mais leur valeur ne put les sauver; la ville fut prise d’assaut. Six mille cadavres, gisant pêle-mêle avec ceux des bêtes de somme, signalèrent le triomphe des Turcs; car Mohammed avait défendu d’épargner la vie d’un seul esclave. Après la chute de la ville, il promit à la garnison de la citadelle la vie sauve et une libre retraite si elle voulait capituler. A peine fut-elle sortie qu’il rassembla hommes et femmes sur une place étroite, où il les fit massacrer au nombre de treize cents. Bokhalis, le commandant du fort, aurait probablement aussi été scié en deux, si sa parenté avec le grand-vizir Mahmoud-Pasha, beau-frère de sa femme, ne l’eût exempté de ce supplice. Ces cruautés effrayèrent les garnisons des autres forteresses du Péloponnèse, qui envoyèrent de tous côtés faire leur soumission. Crocontelos, commandant de Saint-George, vint se jeter aux pieds du sultan. Awarin et Arkadia, les deux ports les mieux fortifiés de la côte ouest de la Morée, se rendirent presque sans résistance. Mohammed fit jeter en prison dix mille habitants de cette dernière ville; il voulait d’abord les mettre tous à mort, mais il se ravisa et les fît conduire à Constantinople pour en repeupler les faubourgs. D’après le conseil de Démétrius lui-même, qui, traîné à la suite des Turcs, était journellement témoin des atrocités exercées sur sa patrie, le sultan envoya Isa, petit-fils d’Ewrenos, à la côte orientale de la Morée, prendre possession de Napoli di Malvasia, et chercher la femme et la fille du despote. Nicolas Paléologue, plus digne que Démétrius de leurs communs ancêtres, refusa de livrer la ville aux Turcs, mais il laissa partir la princesse et sa fille. Mohammed les mit sous la garde d’un eunuque et les envoya en Béotie, où il ordonna à Démétrius de les rejoindre. Le despote Thomas ayant perdu tout espoir de succès depuis la chute de Léontari et de Gardika, avait quitté Kalamata et s’était embarqué avec ses enfants pour aller chercher un refuge dans les pays de la chrétienté.

Le sultan confia au beglerbeg Saganos la réduction des places qui tenaient encore, et alla sur la côte reconnaître les ports des Vénitiens, Modon et Pylos. Lorsqu’il arriva devant cette dernière ville, le vaisseau du despote Thomas était encore en rade; les Vénitiens lui firent signifier de s’éloigner à l’instant, et renouvelèrent à Mohammed leurs promesses de paix et d’amitié. Mais leurs protestations n’empêchèrent pas la cavalerie turque de battre le pays et d’emmener en esclavage un grand nombre d’Albanais. Ces excursions faites, le sultan retourna dans le nord, et prit, chemin faisant, Bostiza et Lestrene, Patras et Calavrita. Il fit scier en deux le courageux commandant de cette dernière ville, l’Albanais Doxas, qui, comme le dit Phranzes, n’avait été fidèle ni au sultan, ni au despote, ni à son Dieu; une partie de la garnison eut la tête tranchée, l’autre fut vendue comme esclave. Caritena, commandée par le Paléologue Sguromalo, ne se rendit qu’après une vigoureuse résistance. Un autre Paléologue, Graitzas, soutint avec courage, dans Salmenikos, l’attaque des Turcs; et lorsque la ville eut été prise et livrée au pillage, il se retira dans la citadelle où il continua sa défense. Mais, enfin, il offrit au sultan de l’abandonner, sous la condition que l’armée ottomane irait camper à une lieue du château pour que sa retraite ne fût pas inquiétée. Mohammed, rendant justice à la brillante valeur de Graitzas, souscrivit à sa demande, et s’éloigna entièrement de la ville, en laissant l’ordre à Hamza, qu’il venait de réinstaller dans sa dignité de gouverneur à la place de Saganos-Pasha, d’en prendre possession. Mais la garnison de Salmenikos tint encore pendant une année après le départ du sultan, jusqu’à l’époque où Graitzas entra au service de Venise en qualité de général de la cavalerie légère. La cause de la déposition de Saganos, fut le grave mécontentement conçu par Mohammed, des suites qu’avait entraînées sa perfidie à l’égard de la garnison albanaise de Santameria. Après lui avoir garanti sa libre retraite, il en avait fait massacrer une partie et conduire le reste en esclavage. Les cruautés exercées par Mohammed sur les Grecs avaient du moins le mérite d’être des crimes heureux, en ce sens que leur effet fut de hâter la soumission de ceux qui se défendaient encore; mais celles de Saganos eurent un tout autre résultat sur les Albanais, qui ne virent de salut pour eux que dans les chances de la guerre, et aimèrent mieux mourir, les armes à la main, que de se laisser égorger par trahison. Mohammed n’entendit point punir l’immoralité de l’acte de Saganos, mais simplement ses conséquences. Lorsqu’à son retour du Péloponnèse, il passa à Athènes, on lui dénonça Franco Acciaioli, son ancien favori, comme cherchant à se rendre indépendant, il emmena avec lui dix des principaux habitants de la ville en ôtage, et laissa l’ordre à Saganos de faire étrangler le rebelle. Saganos invita Franco, eut avec lui une conversation amicale qui dura bien avant dans la nuit, et, par une grâce spéciale, le fit étrangler, non pas dans la tente turque, mais dans la sienne propre. La mort de Franco, dernier duc d’Athènes, fit passer toute la Grèce sous la domination des Ottomans. La ville d’Aïnos fut assignée pour séjour à Démétrius; les revenus des salines et soixante mille aspres par an furent affectés à son entretien. Mais Mohammed ne jugea plus sa fille digne de son harem, et alla même jusqu’à lui retirer le seul eunuque qui formait sa garde-d’honneur. Le despote Thomas s’était enfui en Europe, emportant, au lieu de trésors, la relique de la tête de saint André. Mais, avant de partir pour Rome, il envoya de Corfou un de ses confidents, l’archonte Raies, à Mohammed, pour lui offrir la ville de Monembasia (Napoli di Malvasia) en échange du gouvernement de la côte sud-est de la Morée. Raies trouva le sultan à Veria (Reroia), dans la Macédoine inférieure. Pour toute réponse, il le fit jeter dans les fers avec sa suite. Cependant il le renvoya quelques jours après, en lui disant que si le despote voulait venir lui-même , ou envoyer son fils à sa cour, il lui assurerait une existence honorable; que, sinon, il pouvait faire ce qu’il jugerait à propos. A son retour de la conquête du Péloponnèse, Mohammed fit son entrée triomphale à Andrinople, la dixième année de son règne et la septième de la prise de Constantinople, après avoir mis sous sa domination toute la Grèce, sauf quelques ports appartenant aux Vénitiens, avoir chassé, égorgé ou traîné en captivité les princes de Laconie, d’Achaïe et d'Aténes, et avoir laissé partout sur son passage la ruine et la désolation.

Ainsi disparurent les derniers restes de la domination grecque dans le Péloponnèse. Mais si ce malheureux pays fut trahi par la fortune des armes, il ne laissa pas d’engager de nouvelles luttes souvent inutiles, mais toujours glorieuses. La haine contre les Turcs s’enracina dans le sol et devint un instinct héréditaire chez les Grecs. Pendant trois cent soixante-sept ans des flots de sang coulèrent pour l’indépendance de la nation; enfin, de nos jours, la Grèce est sortie victorieuse de sa longue lutte avec ses oppresseurs, et a conquis une nationalité que sa désunion lui avait fait perdre.



 

LIVRE XIV

MOHAMMED II

Coup-d’œil sur les derniers exploits de Scanderbeg —Prise de Sinope, d’Amassia et de Trébizonde — Vlad l’empaleur — Conquête de Bosnie, de Lesbos, d'Hexamilon et de Corinthe, dans la guerre vénitienne — Seconde et troisième expéditions en Karamanie — Constructions de Mohammed — Conquête de Négrepont

 

 
 

 

Gennadius II Scholarius

Gennadios II, né vers 1400 et mort vers 1473, est patriarche œcuménique de Constantinople de 1454 à 1456 et, probablement, de 1462 à 1463, ainsi que de 1464 à 1465. Auteur prolifique, philosophe et théologien, il est l’un des derniers grands intellectuels byzantins et un ardent défenseur de la philosophie aristotélicienne dans l’Église d’Orient. Partisan de l’union des Églises d’Orient et d’Occident avant le concile de Florence, il adopta la position inverse à son retour et défendit ardemment l’orthodoxie par la suite.

Probablement né à Constantinople vers 1400, il eut comme premier professeur Manuel-Marc Eugenikos, mieux connu sous le nom de Marc d’Éphèse, lequel lui aurait recommandé de suivre les cours de Gémiste Pléthon à Mistra vers 1428 .Il enseigna d’abord la logique et la physique à Constantinople avant de devenir didaskalos (sénateur) et d’entrer au service de l’empereur Jean VIII Paléologue (emp. 1425-1448) à titre de krites katholikos (conseiller théologique).

Afin de se préparer au concile de Ferrare/Florence où il conduisait la délégation byzantine, l’empereur se mit à l’étude des œuvres de Nil Cabasilas avec Marc d’Éphèse et Scholarios. Les trois hommes étudièrent les œuvres de Jean Duns Scot (vers 1266-1308), qui bien qu'acceptant le Filioque, utilisait des arguments différents de ceux de saint Thomas d'Aquin.

Le concile de Ferrare/Florence

Scholarios atteint la notoriété en accompagnant Jean VIII à titre de « juge civil à la cour » au concile de Ferrare qui devait se transporter par la suite à Florence (1438-1439). Le but de ce concile était d’effectuer la réunification des Églises d’Orient et d’Occident, objectif que Scholarios partageait à cette époque. Il y prononça quatre discours, chacun sur un ton extrêmement conciliant.

Au même concile était également présent Gémiste Pléthon, célèbre platonicien et ennemi le plus acharné de l’aristotélisme dominant, donc opposé à Scholarios. Les deux s’affrontèrent tant en matière ecclésiale qu’en philosophie. Pléthon prônait un retour partiel au paganisme grec sous forme d’une union syncrétique entre le christianisme et le zoroastrisme, alors que Scholarios préconisait l’union des Églises de Rome et de Constantinople et s’était employé à rédiger un texte qui, par son ambiguïté et ses formules vagues, serait acceptable par les deux parties. Scholarios était en position de faiblesse puisque, étant laïc, il ne pouvait prendre une part directe dans les débats.

Même s’il avait appuyé l’idée de l’Union (et s’il avait admonesté les évêques orthodoxes pour leur manque de préparation théologique), Scholarios changea d’avis dès son retour à Constantinople et se rangea à l’opinion de la plupart de ses compatriotes. Scholarios quitta toutefois le concile tôt et ne signa pas le décret d’Union (horos).

C’est à peu près à ce moment (1444) que Scholarios commença à attirer l’attention sur l’hétérodoxie potentielle de la « distinction de raison » établie par Thomas d’Aquin entre les attributs (c.a.d. les énergies) et l’essence de Dieu. Dans un premier temps Scholarios interrompt les chapitres 94 à 96 du discours « sur l’être et l’essence » de Thomas d’Aquin et remplace l’explication thomiste par celle de Scott de façon à s’harmoniser davantage avec Palamas. Toutefois, il évite de condamner complètement la doctrine thomiste en notant que des érudits subséquents comme Hervaeus Natalis ont interprété Thomas d’Aquin sous une lumière plus orthodoxe9. Avec ce texte, Scholarios prend de plus en plus ses distances avec Thomas d’Aquin qu’il dénonça de façon véhémente dans ses œuvres subséquentes. Il écrivit par la suite de nombreux ouvrages dans lesquels il défendit ses nouvelles convictions qui différaient tellement des anciennes qu’Allatius pensa qu’il devait y avoir deux personnes du même nom.

Après la mort de Jean VIII en 1448, Scholarios, sentant faiblir sa position à la cour, quitta ses fonctions pour entrer au monastère du Pantocrator de Constantinople et changea son nom pour celui de « Gennadios ». Dès avant la chute de la cité, il était connu comme un opposant acharné de l’Union, lui et Marc d'Éphèse étant les leaders du parti anti-latin. Il promit du reste à Marc d’Éphèse agonisant de poursuivre la lutte contre l’Union. Lorsque celle-ci fut proclamée le 12 décembre 1452, le peuple, sous la conduite des moines et du bas-clergé violemment anti-latin, se rendit au monastère où Scholarios fit remettre un texte écrit déplorant la disgrâce où était tombée la foi ancestrale et traçant un tableau sinistre du jugement divin.

Gennadios Scholarios fut fait prisonnier lors de la prise de Constantinople par les Ottomans. Trois jours plus tard, le sultan ottoman Mehmed II, qui voulait s’assurer la loyauté de la population grecque et éviter qu’elle ne cherche à susciter une nouvelle croisade, le nomma patriarche en raison de ses positions hostiles à l'Union des églises. Le 1er juin 1453, il fut reçu par le sultan qui, reprenant la tradition byzantine, l’investit lui-même des signes de ses fonctions : la crosse (dikanikion) et le manteau, cérémonie répétée par tous les sultans par la suite. Il fut consacré patriarche quelques mois plus tard par le métropolite d’Héraclée du Pont, probablement le 6 janvier 1454. Sainte-Sophie ayant été transformée en mosquée, il installa le patriarcat à l’église des Saints-Apôtres. Mais en raison de son délabrement, Mehmed la fit démolir et le patriarcat s’établit pour plus d’un siècle au monastère-église de Pammakaristos. Les Ottomans avaient divisé leur empire en millets ou nations-sujettes. Le millet grec prit le nom de Millet-i Rûm et le patriarche en fut nommé leader officiel ou ethnarque, Gennade étant le premier titulaire de cette charge.

Pendant qu’il occupait ce poste, Gennadios rédigea, apparemment à l’usage de Mehmed, une Confession ou exposé de la foi chrétienne qui fut traduite en turc20,21. Toutefois, il n’était pas heureux dans cette charge et se démit de ses fonctions le 6 janvier 1456. On attribue généralement cette démission à son désappointement de la façon dont les chrétiens étaient traités, non par le sultan qui entretint d’excellentes relations avec le patriarche, mais par les fonctionnaires ottomans qui considéraient les Grecs comme des sujets de seconde classe.

Il devait néanmoins reprendre ses fonctions à deux reprises après le règne troublé de son successeur, Isidore II. Il n’y a pas consensus sur les dates de ses deux retours. Selon Kiminas, il serait revenu une première fois d’avril 1463 à juin 1463 et d’août 1464 à l’automne 146522 ; ce sont à peu près les dates proposées par Venance Grumel. Selon Vitalien Laurent, qui s’appuie sur une source inédite, son deuxième patriarcat aurait débuté après celui de Joasaph Ier, de fin avril à mai 1463, et son troisième après celui de Sophrone Ier, d’août 1464 à la fin de l’été 146524. Blanchet pour sa part nie que de tels retours aient eu lieu.

Il se retira par la suite au monastère Saint-Jean-Baptiste près de Serrae en Macédoine où il s’adonna à l’écriture jusqu’à sa mort.

Gennadios tient une place importante dans la littérature byzantine. Il fut le dernier représentant de la vieille école des auteurs polémistes et l’un des plus brillants. Contrairement à la plupart de ses collègues d’Orient, il avait une connaissance approfondie de la littérature théologique occidentale, spécialement de Thomas d’Aquin et des scholastiques. Avec Marc d'Éphèse, mais en plus érudit, il s’opposa avec adresse à la théologie catholique romaine.

Il a défendu la philosophie aristotélicienne contre les néoplatoniciens menés par Pléthon et a pris part à toutes les polémiques importantes de son siècle. Ceci lui valut d’être appelé par un universitaire grec « le dernier des Byzantins et le premier des Hellènes». Ses écrits montrent ses connaissances non seulement de la philosophie latine, mais également juive et musulmane. Dans la controverse entourant l’hésychasme, il attaqua Barlaam et soutint les moines, alors que les Barlaamites se rangeaient du côté latinophile.

Un peu plus d’une centaine de ses écrits subsistent, certains seulement sous forme de manuscrits, alors que d’autres sont d’une authenticité douteuse. Ses écrits peuvent être classés comme :

philosophiques (interprétation d’Aristote, de Porphyre et autres ; traductions de Petrus Hispanus et de Thomas d’Aquin (défense de l’aristotélisme contre le néoplatonisme) ;

théologiques et ecclésiastiques (en partie concernant la réunion des deux Églises, en partie pour la défense du christianisme contre les musulmans, les juifs et les païens) ;

nombre d’homélies, d’hymnes et de lettres ;

traductions de Thomas d’Aquin (malgré son opposition à l’Union des Églises), de Gilbert de la Porrée et de Petrus Hispanus).

Première période (en faveur de l’Union)

Les principales œuvres de cette période sont des discours faits pendant le concile de Florence28, de même que de nombreuses lettres à différents amis, à des évêques et à des personnages de l’État dont certaines sont encore inédites. L’authenticité de l’Apologie pour cinq chapitres du concile de Florence est mise en doute. L’Histoire du concile de Florence, manuscrit qui porte son nom, est en fait identique à l’ouvrage du même titre de Syropulos.

Deuxième période (contre l’Union)

Nombre d’ouvrages polémiques contre les Latins furent publiés durant cette période : deux livres sur la Procession du Saint-Esprit, un Contre l’insertion du Filioque dans le Credo, deux livres et une lettre sur Le Purgatoire, différents sermons et discours, un Panégyrique de Marc d’Éphèse (1447), etc. Diverses traductions des œuvres de Thomas d’Aquin et différents traités polémiques contre sa théologie sont encore inédits, de même que ses travaux contre les Barlaamites. Existent également divers traités philosophiques dont le principal est la Défense d’Aristote (Antilepseis hyper Aristotelous), dirigé contre le néoplatonicien Gémiste Pléthon.

L’ouvrage le plus important demeure cependant sa Confession (sous-entendu : de foi) ou Ekthesis tes pisteos ton orthodoxon christianon, généralement connu sous le titre de Homologia tou Gennadiou, adressée à Mehmed II. Elle contient vingt articles dont seuls les douze premiers sont authentiques. Rédigée en grec, elle fut traduite en turc par le kadi de Berrhoea, Achmed, puis fit l’objet de diverses rééditions en latin et en grec. Cette Confession met en évidence la philosophie quasi-platonicienne de Gennadios. Pour éviter les susceptibilités de ses interlocuteurs musulmans, il évite le mot Prosopa pour expliquer la Trinité, parlant plutôt de trois Personnes (idiomata) « que nous appelons hypostases ».

De sa démission à sa mort (1459-1468), il continua à écrire sur des sujets théologiques et polémiques. Sa lettre encyclique à tous les chrétiens, intitulée Défense de ma démission, est encore inédite, comme le sont le Dialogue avec deux Turcs sur la divinité du Christ et l’Adoration de Dieu, le Dialogue entre un chrétien et un juif et une collection de Prophéties au sujet du Christ, réunies à partir de l’Ancien Testament. Un traité De notre Dieu, un en trois, contre les athées et les polythéistes se trouve dans la Patrologia Graeca, CLX. Enfin, de nombreuses homélies, la plupart d’entre elles manuscrites, existent au Mont Athos.