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EL VENCEDOR EDICIONES

LIBRAIRIE FRANÇAISE

 

FRENCH DOOR

 

 

HISTOIRE DE FRANCE

depuis les origines jusqu'à la revolution

 

M. C. DARESTE

 

TABLE DES MATIÈRES

 

LIVRE PREMIER. — les gaulois.

1.     Les Gaulois . II. Religion des Gaulois. Druides. III.   Familles et dans. Révolutions intérieures.   IV.   Émigrations. Las Gaulois en Italie. V.    Les Gaulois en Grèce.       VI.   Les Phéniciens dans la Gaule. VII.  Marseille. Influence de la Grèce

LIVRE DEUXIÈME. — conquéte de la gaule par les romains.

1. Formation de la province romaine. Bataille de Marius et des Teutons. Influence des Romains    II.    Arioviste et les Suèves. Première campagne de César. III,   IV, V. Campagnes de César. Siège d'Alésia. VI.   Fin de la conquête, VII.  Auguste et l’administration romaine. Religion romaine. Villes romaines. Monuments romain. VIII. Politique des empereurs. IX.   Camps du Rhin. Révolte des légions vitelliennes. X.    Soulèvement des Bataves. Ruine de Civilis et des Bataves. Discours de Cérialis

LIVRE TROISIÈME. — les romains.

I.     La Gaule sous les Antonins. II.    Introduction du christianisme. Les martyrs de Lyon. III.   Septime Sévère. Bataille de Lyon. Les lois romaines.       IV.   Les cités et l'organisation municipale. La société gallo-romaine. V.    Guerres de Germanie.      VI.   Persécutions.    VII.  Soulèvement des armées. Les tyrans et l'empire gaulois.      VIII. Colonies de barbares auxiliaires. Révolte des Bagaudes. IX.   Dioclétien et Constance Chlore. X.    La tétnurehie. Les fonctionnaires impériaux. Changement dans l’armée. Système financier des Romains. Fiscalité et ruine des provinces XI.   Conversion de Constantin. Politique religieuse de Constantin. XII.  Tableau de la Germanie. Constance et les usurpateurs. XIII. Campagnes de Julien. Apostasie de Julien. Saint Hilaire. XIV. Les Francs auxiliaire». Saint Martin, XV.  Théodose et la mine du paganisme. XVI. Pouvoirs public des évêques. Rôle des évêques dans les cités. Écoles chrétiennes.     XVII. La grande invasion. L’usurpateur Constantin. XVIII. Les Goths. Ataulf et PIacidie. Établissement des Goths et des BourguignonsXIX. Aétius.      XX.  Les Huns. Invasion d'Attila. Défaite d’Attila.       XXI. Aviius. Majorien. Ægidius. XXII. Sidoine Apollinaire. Fin del’empire d’Occident. XXIII. Les Wisigoths et les Bourguignons. Rapports des Romains et des Barbares. Catholiques et arien

LIVRE QUATRIÈME. — le mérovingiens.

I.     Institutions primitives des Francs. II.    Clovis. Bataille de Tolbiac. Conversion de Clovis. III.   Guerre contre les Bourguignons et les Wisigoths. Conquête de l’Aquitaine. IV.   Clovis réunit toutes les tribus des Francs. Résultats des conquêtes des Francs. V.    Partage entre les fils de Clovis. VI.   Guerre contre la Bourgogne. VII.  Guerres et prédications en Germanie. VIII. Pillage de l’Auvergne. Conquête de la Bourgogne et de la Provence. Guerres en Italie. IX.   Guerres civiles. Chramne en Bretagne. X.    Gouvernement des fils de Clovis. XI.   Monastères. Règle de saint Benoit. XII.  Les fils de Clotaire. Invasions des Lombards. Chilpéric et Sigebert. Les évêques et les rois. XIII. Brunehaut et Mérovée. Chilpéric et Frédégonde. XIV. Chilpéric. XV.  Gontran. Conspirations. Childebert XVI. Guerre des Austrasiens en Italie. XVII. Minorités. Les maires du palais. Brunehaut et ses petits-fils. Batailles de Tout et de Tolbiac. Supplice de Brunehaut. XVIII. Édit de Clotaire II en 615. XIX. La propriété chez les Francs. XX.  État des personnes. XXI. Lois pénales.     XXII. Clotaire II. Dagobert XXI II. L’art religieux.    XXIV.   Les grandes abbayes. XXV. Lois ecclésiastiques. Conversion de la Belgique. Columban. Écoles monastiques.  XXVI.   Clovis II.    XXVII. Les fils de Clovis II. Ébroin. XXVIII. Ébroin et saint Léger. XXIX.   Révolutions dans la Neustrie. Les rois fainéants. XXX.  Pépin d’Héristal. XXXI. Batailles de Viney et de Soissons. L'armée des Francs. XXXII. Invasion des Arabes. Les Arabes dans la Septimanie. Eudes et Charles Martel. Bataille de Poitiers. XXXIII. Charlet Martel et les Arabes. XXXIV. Charles Martel et l’Église. XXXV. Pépin et Carloman. Boniface et les missions de Germanie. XXXVI. Couronnement de Pépin. Changement de dynastie  

LIVRE CINQUIÈME. — pépin et Charlemagne.

I.     Affaires de Rome. Pépin prend la défense des papes. Origine de la puissance temporelle du saint-siége. II.    Conquête de la Septimanie. Conquête de l’Aquitaine III.   Charlemagne IV.   Guerre contre les Saxons. Con quête de la Lombardie. Charlemagne à Rome. V.    Guerre d’Espagne. Désastre de Roncevaux. VI.   Les Saxons et Witilund. Guerre de Saxe. VIl. Soulèvements. Soumission de la Bavière. VIII. Guerre contre les Huns. Organisation des pays conquis. IX.   Création de la Marche de Gothie. X.    Charlemagne empereur d’Occident. XI.   Les Capitulaires. XII.  Administration de Charlemagne.  Service militaire et impôts. XIII. Église et affaires religieuses. XIV. Rôle du clergé sous Charlemagne. Réformes dans renseignement. Les lettres sous Charlemagne. XV.  Relations de Charlemagne avec l’OrientXVI. Dernières guerres de Charlemagne. Partage de 806. Apparition des Normands. Mort de Charlemagne

LIVRE SIXIÈME. — successevrs de Charlemagne.

I.     Louis le Pieux. Partage de 811. Premiers actes de Louis le Pieux. II.    Guerres sur les frontières. III.   État de l'empire. Plaintes du clergé. IV.   Première coalition contre Louis le Pieux. Restauration de Louis le Pieux. V.    Seconde coalition. Le champ du mensonge. Seconde restauration de Louis le Pieux. VI.   Derniers partages. Mort de Louis le Pieux. VII.  Guerres civiles. Bataille de Fon tanet. VIII. Lothaire fuit d’Aix-la-Chapelle. Traité de Verdun.  IX.   Les Normands. X.    Charles le Chauve. Guerre de Bretagne. Guerres d’Aquitaine et de Bretagne. XI.   Désastres causés par les Normands. XII.  Mesures défensives. Déposition et restauration de Charles le Chauve. XIII. Rôle politique du clergéXIV. Les Normands sont repoussés. Châteaux forts. XV.  Affaires de Lorraine. Hincmar et Nicolas I.  XVI. Charles le Chauve empereur. Capitulaire de Kiersy. Origines de la féodalité. XVII. Louis le Bègue. XVIII. Louis lll etCarlomau. Charles le Gros. Siège, de Paris par les Normands.  XIX. Eudes. XX.  Eudes. Charles le Simple. Affaiblissement de la royauté. XXL Traité de Saint-Clair-sur-Epte. Roi Ion, duc de Normandie. XXII. Coalition des grands vassaux. Bataille de Soissons. Charles le Simple emprisonné par Héribert. XXIII. Les Hongrois. Raoul. XXIV.       Louis d’Outremer. Guerres de Lorraine. Coalition des grands vassaux. XXV. Guerres de Normandie. Concile d’Ingelbeim. XXVI.   Lothaire. Dynasties féodales. XVII. Les Sarrasins dans le royaume d’Arles. XXVIII. Guerres de Lorraine. Hugues Capet, duc de France. XXIX. Louis V. Couronnement de Hugues Capet. Effets du changement de dynastie 

LIVRE SEPTIÈME. — les capétiens avant la croisade.

I. Premiers actes de Hugues Capet. Guerre contre le duc de basse Lorraine. Procès d’Ainouï, archevêque de Reims. II. Gerbert  III.   L'abbaye de Cluny.  IV.   Robert. Légendes et chroniques monacales. V.  Les prélatures usurpées par les grands. VI.   L’an 1000. Les Juifs persécutés. VII.  Actes des conciles. VIII. Les fiefs. Obligations des vassaux. IX.   Droits féodaux et régaliens. Mœurs des seigneurs. X. Foulques d’Anjou et Eudes de Blois. Guerres civiles. XL Le royaume d’Arles uni à l’empire. XII.  La paix et la trêve de Dieu. XIII. Guerres de Normandie. Les Normands en Italie. XIV. La chevalerie. XV.  Hildebrand et Léon IX. Les in­vestituresXVI. Philippe I. XVII. Conquête de l'Angleterre par les Normands. Bataille d’Hastings. Guillaume le Conquérant . XVIII. Guerre de Flandre. XIX. Grégoire VIl et Philippe I. La puissance pontificale.  XX.  Philippe I et Guillaume le Conquérant.    XXI. Entreprises des grands vassaux. Philippe I et Bertrade de Montfort

 

PREMIÈRES POPULATIONS.

 

L’ancienne Gaule était plus grande que la France actuelle. Bornée à l’occident et au midi par les mêmes mers et les mêmes montagnes, elle s’étendait à l’orient et au nord jusqu’au Rhin, qui la séparait de la Germanie. Quand les Romains en firent la conquête, il y a dix-neuf siècles, ils furent frappés de sa fertilité, de sa richesse, et du génie vigoureux de ses habitants. Comme ils se trouvaient en face d’elle dans la situation où nous sommes aujourd’hui vis-à-vis de l’Afrique conquise, et où sont les Anglais vis-à-vis des Indes, ils se préoccupèrent d’étudier la condition matérielle, l’état social, les croyances, les origines du vaste et beau pays incorporé à leur empire. C’est donc à César et aux autres écrivains de F époque romaine, particulièrement à Strabon, Pline et Tacite, que nous devons les matériaux propres à reconstruire notre première antiquité.

En effet, les Gaulois n’ont pas écrit leur histoire. Les seuls monuments qu’ils nous ont laissés sont des monuments de pierre, avec un grand 'nombre d’armes, de médailles et d’objets antiques, débris muets d’une civilisation encore pleine de mystères, malgré le zèle infatigable qui préside aujourd’hui à leur recherche, le soin avec lequel ils sont recueillis et conservés, et l’érudition ingénieuse qui a su tirer un parti remarquable de leur étude. Les plus anciens documents que nous possédions de la langue celtique, à part quelques fragments de peu d’intérêt, ne remontent pas au-delà du dixième siècle de notre ère. Les lois du pays de Galles, dont la rédaction telle que nous l’avons appartient à cette époque, ont une importance capitale, parce qu’il n’est pas douteux que la race gauloise ait conservé dans ce pays, plus longtemps et avec moins de mélange qu’ailleurs, une partie de ses caractères propres et de ses institutions primitives; mais leur date relativement récente, et le fait qu’elles ont été écrites pour une contrée étrangère, exigent une grande réserve dans l’emploi qu’on en peut faire pour l’étude de notre propre histoire et l’appréciation des temps anciens.

Les Romains étaient des observateurs habiles et exercés. Il est cependant fâcheux que nous ayons à déplorer sur bien des points l’insuffisance des renseignements qu’ils nous ont transmis. Avec un esprit plus exclusivement pratique que le nôtre, ils n’étaient pas curieux des mêmes choses que nous, et le cercle de leurs investigations était moins étendu et moins varié.

Ils commencèrent par être frappés des différences que présentaient les populations gauloises. Elles n’avaient ni le même aspect extérieur, ni les mêmes langues, ni les mêmes institutions. Elles ne remontaient pas non plus à la même antiquité. Celles du midi étaient plus anciennes que celles du nord; la tradition était positive à cet égard. Les druides, dit Ammien Marcellin, racontent qu’une partie de la population est indigène, mais qu’une autre est étrangère et venue des fies éloignées et des pays d’outre-Rhin, fuyant devant la guerre et les flots de l’Océan.

Le peuple indigène, ou plutôt regardé comme tel, parce qu’on avait perdu le souvenir de son origine, était les Ibères, qui occupaient de temps immémorial les contrées riveraines de la Méditerranée orientale.

Les anciens ont déterminé leur type particulier: la peau brune, les yeux noirs, la taille petite, de l’agilité, de la vigueur, de la patience. On sait aujourd’hui que ce peuple venait de l’Asie, comme toutes les races du monde; on croit qu’il l’avait quittée avant la formation des premiers empires de la vallée de l’Euphrate, c’est-à-dire avant l’essor de la première civilisation. On a pensé aussi qu’il appartenait au rameau des nations sémitiques, sa langue offrant avec celle de ces nations une certaine analogie; toutefois, le fait n’est pas prouvé. Les Ibères occupèrent la région méridionale de la Gaule, et peut-être les côtes de l’ouest. Quelques auteurs pensent qu’ils s’étendirent encore plus loin, et qu’ils formèrent la plus ancienne couche de la population des Îles Britanniques. Ce n’est là encore qu’une conjecture. On ne connaît pas les limites où ils s’arrêtaient, et il est possible qu’ils n’en eussent aucune. Il est seulement vraisemblable qu’ils habitèrent les côtes plutôt que l’intérieur des terres; d’abord, à cause des bois qui couvraient une grande partie de la surface du sol; en second lieu, parce que c’est partout dans la région maritime qu’on a trouvé les plus anciens vestiges de la présence et du séjour de l’homme.

Le peuple que les druides disaient être venu d’outre-Rhin était les Gaulois, ou Gaëls, divisés eux-mêmes en plusieurs tribus, mais ayant aussi un type distinct, très-opposé à celui des Ibères. Ils avaient la peau blanche et les yeux bleus. Ils étaient grands et belliqueux, mais simples et d’une franchise qui contrastait avec le caractère défiant et rusé de leurs voisins. Ils appartenaient au rameau des nations indo-germaniques, et parlaient une langue de la même souche que le sanscrit. On a calculé qu’ils avaient dû quitter l’Orient deux mille ans environ avant l’ère chrétienne, à l’époque des sociétés patriarcales, dont ils apportèrent avec eux les institutions et les croyances. Ils s'avancèrent de l’est à l’ouest, en traversant les plaines méridionales de la Russie actuelle et celles du centre de l’Europe, jusque dans la contrée à laquelle ils devaient donner leur nom. Quand ils eurent franchi le Rhin, ils refoulèrent devant eux les Ibères, qu’ils poussèrent au midi vers les Cévennes et les Pyrénées, à l’ouest vers la péninsule armoricaine ou la Bretagne actuelle, et dont une partie sans doute émigra.

Partout où les Gaëls s’établirent, la race ibérique fut condamnée à l’infériorité. Ses descendants se mêlèrent aux nouveaux venus, et perdirent peu à peu leurs caractères distinctifs, ou s’ils les conservèrent, ce fut en se retirant dans les parties reculées du pays et dans les montagnes, asiles naturels des races primitives. Ainsi, du temps des Romains, on retrouvait leur type à peu près intact chez les montagnards de la Ligurie et chez les Vascons ou Basques des Pyrénées, particulièrement chez le petit peuple des Euskes (latin, Ausci dont la ville d’Auch a gardé le nom. Encore ce type, quelque vivace qu’il fût, a-t-il dû s’altérer à la longue. Dans tous les cas, les Ibères sont pour nous un de ces peuples mystérieux dont l’antiquité ne nous a presque légué que le nom. Les traces de leur existence se sont effacées peu à peu de ce côté des Pyrénées. S’ils en ont laissé quelques-unes, c’est surtout en Espagne; c’est dans les provinces basques qu’on a recueilli d’informes mais curieux débris de leur langue, où l’on a cru remarquer quelques ressemblances avec la langue des Phéniciens.

La grande race gaélique a eu d’autres destinées. Les Romains la trouvèrent maîtresse de la Gaule et de presque toutes les contrées occidentales de l’Europe. Elle était même divisée en trois branches ou corps de peuples, savoir: les Gaëls proprement dits, les Kimris et les Belges. (Kimri ou Àrimro est un terme de l’idiome cambrien signifiant un homme libre. Les historiens modernes l’ont en quelque sorte consacré par l’emploi qu’ils en ont fait, quoiqu’il ne soit pas démontré qu’ils aient eu raison de l'employer.)

Les Gaëls proprement dits, ou anciens Celtes, étaient arrivés dans la Gaule à une époque reculée qu’on ne peut déterminer sinon par des calculs hypothétiques. Au temps de César ils occupaient la région située entre la Garonne et la Loire; au sud de la Garonne ils étaient mêlés aux Ibères. Ils étaient aussi établis dans une partie de l’Espagne, de l’Italie et des fies Britanniques. C’est en Irlande que leur type national et leur langue paraissent s’être le mieux conservés.

Les Cimbres ou Cimmériens, que les modernes appellent ordinairement Cambriens ou Kimris, pour les distinguer d’autres Cimmériens ou Cimbres étrangers aux contrées gaéliques, n’avaient fait leur apparition dans ces contrées que six cents ans avant notre ère. Ils occupaient dans la Gaule la région située entre la Seine et la Loire, et dans l’Île de Bretagne presque toute la partie centrale. Ils se sont maintenus longtemps avec leurs caractères et leur idiome propres dans le pays de Galles, qu’on appelle encore aujourd’hui la Cambrie.

Les Belges, venus les derniers, environ trois siècles après les Kimris, occupèrent le nord de la Gaule jusqu’à la Seine et la Marne, et n’envoyèrent dans les autres contrées qu’un petit nombre de colonies. Cependant leur apparition remua la Gaule entière. Une de leurs tribus, celle des Tectosages, s’avança jusqu’aux Pyrénées et s’établit dans les hautes vallées de la Garonne , près de Toulouse.

César, en distinguant ces différents peuples, eut soin de constater qu’ils appartenaient à une même famille, et que leurs idiomes étaient au fond les dialectes d’une même langue. Ces données ont été pleinement confirmées par les études faites sur les dialectes gaéliques, parlés longtemps dans plusieurs parties des îles Britanniques et dans notre Bretagne, où ils n’ont pas encore disparu. Quant aux caractères particuliers des trois branches de la race, il est assez difficile de les déterminer. Les recherches des historiens, ou plutôt des physiologistes, n’ont abouti jusqu’ici qu’à des conjectures, en dépit de la sagacité et de l’intérêt de certaines observations.

Tout en constatant l’existence de ces divisions ethnographiques ou territoriales, sur lesquelles aucun doute n’est possible, on doit ajouter que les mélanges de races étaient inévitables, ce qui crée une grande difficulté pour les recherches de ce gens même où une race acquérait la prédominance re. Malgré la tendance des anciens peuples à se grouper suivant leurs affinités naturelles et à ne pas altérer la pureté de leur sang par des alliances étrangères, là, il restait toujours quelques débris de celles qui l’avaient précédée. Nous en avons des exemples positifs. Ainsi, quand les Kimris furent chassés par les Germains du territoire qu’ils occupaient entre l’Oder et le Rhin, ils n’abandonnèrent pas ce territoire tout entier, mais y laissèrent quelques tribus au fond des Carpathes et dans les montagnes qui séparent aujourd’hui la Silésie de la Bohême.

Certains usages, communs dans la haute antiquité, contribuaient à favoriser ces mélanges. Chaque peuple avait soin de conserver autour de sa frontière un espace libre pour se garantir contre les hostilités du dehors. Cette raison de sécurité, jointe à l’étendue des forêts et à la prédominance des habitudes pastorales, avait pour effet de laisser une quantité considérable de territoires vacants. Or, c’étaient ces territoires vacants que les envahisseurs cherchaient d’abord à occuper ou à se faire céder de manière ou d’autre. Soit qu’ils y réussissent, soit que l’issue la plus ordinaire de ces contestations fût la guerre et l’expulsion des vaincus, il en résultait toujours une certaine confusion territoriale entre les races différentes.

Constatons encore que les peuples de l’antiquité, vieux ou nouveaux, étaient plus pasteurs qu’ agriculteurs; ils tenaient au sol par des liens beaucoup moins forts que nos populations modernes, et cette circonstance favorisait leurs déplacements. Quand même les anciens habitants d’un territoire parvenaient à se défendre contre des envahisseurs étrangers, il n’était pas rare qu’une partie de leur jeunesse, entraînée par le torrent, allât, de gré ou de force, grossir le flot des nations errantes.

C’est de cette manière qu’à l’époque des deux grandes invasions des Kimris et des Belges, toute la race gaélique fut mise en mouvement, et que de nombreux essaims d’émigrants, appartenant à chacune de ses branches particulières, se jetèrent sur les contrées voisines, l'Espagne, l’Italie et les îles Britanniques.

Les Gaëls, différents des Ibères, ne l’étaient pas moins des Latins et des Germains, bien que ces derniers peuples fussent issus comme eux de la souche indo-germanique. Ils s'en distinguaient par quelquesuns de ces caractères physiques qui, transmis héréditairement, acquièrent après une suite de générations déterminée un certain degré de permanence. Leur taille élevée, leur peau blanche, leurs yeux bleus, leurs cheveux blonds ou bruns, n’avaient aucun rapport avec la taille courte et carrée, la peau brune, les yeux foncés, les cheveux noirs des Latins ou des Romains. Les Germains, avec des traits plus rudes et la chevelure d’un blond roux, avaient aussi un extérieur particulier, quoique la différence fût, ce semble, moins marquée.

Si de la distinction des caractères physiques on veut s’élever à celle des caractères moraux, la difficulté est plus grande encore, car le caractère d’un peuple se forme, se développe et se modifie sous l’influence de circonstances qui font l’éducation même de la race. D’où il résulte que l’étude des races et la détermination de leurs types primitifs, quelque intéressantes qu’elles soient, n’ont pas l’importance un peu exclusive qu'on leur a souvent prêtée. Le développement de la civilisation a d’autres éléments d’une nature moins mystérieuse, ajoutons-le, d’un ordre plus élevé. Les destinées particulières de chaque groupe de peuples, comme celles de chaque peuple pris isolément, tiennent surtout aux conditions économiques et morales dans lesquelles il a vécu. Nous quittons ici le domaine de la physiologie pour entrer dans celui de l’histoire proprement dite.

La première chose qui frappe dans l’histoire des grandes familles européennes, c’est qu’elles se présentent au début avec des traits identiques. Sorties de la même souche, elles sont originaires également du plateau de l’Asie centrale; elles ont opéré leur migration d’Orient en Occident dans des conditions semblables, bien qu’à des époques différentes; elles comptent dans leurs langues un grand nombre de racines primitives ou de formes grammaticales qui appartiennent à une langue mère. On peut même affirmer qu'elles ont un fonds commun de traditions religieuses, quoique le voile qui couvre ces traditions soit assez épais. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que les anciens n’aient pas toujours établi entre ces races une ligne de démarcation rigoureuse, et que nous éprouvions à notre tour une difficulté réelle à distinguer ce qui appartient en propre, dans les institutions ou dans les langues, aux Gaulois, aux Latins ou aux Germains.

Mais la configuration des lieux et la nature du sol où chaque nation s’est établie, les conditions de son industrie, les ressources dont elle a disposé, la sécurité plus ou moins grande dont elle a joui, les rapports qu’elle a entretenus avec les nations voisines, les révolutions enfin qui l'ont troublée, sont autant d’éléments divers qui en ont constitué peu à peu le caractère propre et la physionomie distinctive. La civilisation n’étant autre chose que l’ensemble de tous ces éléments, a dû à son tour être diverse comme eux.

Cette diversité s’est fait surtout remarquer chez les peuples de la Gaule. Ceux du nord, plus récents, plus éloignés des rivages de la Méditerranée, qui fut le premier berceau de la civilisation européenne, en contact perpétuel et à peu près unique avec les barbares d’outre-Rhin, restèrent longtemps fidèles à leurs institutions primitives. Au contraire, ceux du midi, établis plus anciennement, modifièrent de très bonne heure ces mêmes institutions par leurs rapports journaliers avec des peuples industrieux comme les Phéniciens, ou doués, comme les Grecs et les Romains, du génie de la colonisation et de la conquête. Chose remarquable, la Gaule a été de tout temps le point de l’Europe où les influences du nord et du midi se sont le mieux rencontrées pour se combattre ou pour se confondre, et c’est peut-être, vanité nationale à part, une des raisons qui font de notre histoire une des plus intéressantes pour le monde entier. Dans l’antiquité, ces influences étaient de nature bien différentes. C’était au nord la barbarie pure et simple. Au midi c’étaient le commerce, l’agriculture, la civilisation enfin, sous toutes ses formes matérielles et intellectuelles et avec l’aurore de toutes ses grandeurs. De là, entre les différentes parties du pays que l’uniformité de nos institutions modernes nous a habitués à considérer en bloc et sous un même aspect, de fortes disparates et des contrastes puissants.