LIBRAIRIE FRANÇAISE |
FRENCH DOOR |
HISTOIRE DE FRANCEdepuis les origines jusqu'à la revolutionM. C. DARESTE
TABLE DES MATIÈRES
1. Les Gaulois
LIVRE DEUXIÈME. — conquéte de la
gaule par les romains.
1. Formation de la province romaine. Bataille de Marius et
des Teutons.
LIVRE TROISIÈME. — les
romains.
I. La Gaule sous les
Antonins.
LIVRE QUATRIÈME. — le
mérovingiens.
I. Institutions
primitives des Francs.
LIVRE CINQUIÈME. — pépin
et Charlemagne.
I. Affaires de Rome.
Pépin prend la défense des papes. Origine de la puissance temporelle du saint-siége.
LIVRE SIXIÈME. — successevrs de
Charlemagne.
I. Louis le Pieux.
Partage de 811.
LIVRE SEPTIÈME. — les
capétiens avant la croisade.
I. Premiers actes de Hugues Capet. Guerre contre le duc de
basse Lorraine. Procès d’Ainouï, archevêque de Reims.
PREMIÈRES POPULATIONS.
L’ancienne Gaule était plus grande que la France actuelle.
Bornée à l’occident et au midi par les mêmes mers et les mêmes montagnes, elle
s’étendait à l’orient et au nord jusqu’au Rhin, qui la séparait de la Germanie.
Quand les Romains en firent la conquête, il y a dix-neuf siècles, ils furent
frappés de sa fertilité, de sa richesse, et du génie vigoureux de ses
habitants. Comme ils se trouvaient en face d’elle dans la situation où nous
sommes aujourd’hui vis-à-vis de l’Afrique conquise, et où sont les Anglais
vis-à-vis des Indes, ils se préoccupèrent d’étudier la condition matérielle,
l’état social, les croyances, les origines du vaste et beau pays incorporé à
leur empire. C’est donc à César et aux autres écrivains de F époque romaine,
particulièrement à Strabon, Pline et Tacite, que nous devons les matériaux
propres à reconstruire notre première antiquité.
En effet, les Gaulois n’ont pas écrit leur histoire. Les
seuls monuments qu’ils nous ont laissés sont des monuments de pierre, avec un
grand 'nombre d’armes, de médailles et d’objets antiques, débris muets d’une
civilisation encore pleine de mystères, malgré le zèle infatigable qui préside
aujourd’hui à leur recherche, le soin avec lequel ils sont recueillis et
conservés, et l’érudition ingénieuse qui a su tirer un parti remarquable de
leur étude. Les plus anciens documents que nous possédions de la langue
celtique, à part quelques fragments de peu d’intérêt, ne remontent pas au-delà
du dixième siècle de notre ère. Les lois du pays de Galles, dont la rédaction
telle que nous l’avons appartient à cette époque, ont une importance capitale,
parce qu’il n’est pas douteux que la race gauloise ait conservé dans ce pays,
plus longtemps et avec moins de mélange qu’ailleurs, une partie de ses
caractères propres et de ses institutions primitives; mais leur date relativement
récente, et le fait qu’elles ont été écrites pour une contrée étrangère,
exigent une grande réserve dans l’emploi qu’on en peut faire pour l’étude de
notre propre histoire et l’appréciation des temps anciens.
Les Romains étaient des observateurs habiles et exercés. Il
est cependant fâcheux que nous ayons à déplorer sur bien des points
l’insuffisance des renseignements qu’ils nous ont transmis. Avec un esprit
plus exclusivement pratique que le nôtre, ils n’étaient pas curieux des mêmes
choses que nous, et le cercle de leurs investigations était moins étendu et
moins varié.
Ils commencèrent par être frappés des différences que présentaient
les populations gauloises. Elles n’avaient ni le même aspect extérieur, ni les
mêmes langues, ni les mêmes institutions. Elles ne remontaient pas non plus à
la même antiquité. Celles du midi étaient plus anciennes que celles du nord; la
tradition était positive à cet égard. Les druides, dit Ammien Marcellin, racontent
qu’une partie de la population est indigène, mais qu’une autre est étrangère et
venue des fies éloignées et des pays d’outre-Rhin, fuyant devant la guerre et
les flots de l’Océan.
Le peuple indigène, ou plutôt regardé comme tel, parce qu’on
avait perdu le souvenir de son origine, était les Ibères, qui occupaient de
temps immémorial les contrées riveraines de la Méditerranée orientale.
Les anciens ont déterminé leur type particulier: la peau
brune, les yeux noirs, la taille petite, de l’agilité, de la vigueur, de la
patience. On sait aujourd’hui que ce peuple venait de l’Asie, comme toutes les
races du monde; on croit qu’il l’avait quittée avant la formation des premiers
empires de la vallée de l’Euphrate, c’est-à-dire avant l’essor de la première
civilisation. On a pensé aussi qu’il appartenait au rameau des nations
sémitiques, sa langue offrant avec celle de ces nations une certaine analogie;
toutefois, le fait n’est pas prouvé. Les Ibères occupèrent la région
méridionale de la Gaule, et peut-être les côtes de l’ouest. Quelques auteurs
pensent qu’ils s’étendirent encore plus loin, et qu’ils formèrent la plus
ancienne couche de la population des Îles Britanniques. Ce n’est là encore
qu’une conjecture. On ne connaît pas les limites où ils s’arrêtaient, et il est
possible qu’ils n’en eussent aucune. Il est seulement vraisemblable qu’ils
habitèrent les côtes plutôt que l’intérieur des terres; d’abord, à cause des
bois qui couvraient une grande partie de la surface du sol; en second lieu,
parce que c’est partout dans la région maritime qu’on a trouvé les plus anciens
vestiges de la présence et du séjour de l’homme.
Le peuple que les druides disaient être venu d’outre-Rhin
était les Gaulois, ou Gaëls, divisés eux-mêmes en plusieurs tribus, mais ayant
aussi un type distinct, très-opposé à celui des Ibères. Ils avaient la peau
blanche et les yeux bleus. Ils étaient grands et belliqueux, mais simples et
d’une franchise qui contrastait avec le caractère défiant et rusé de leurs
voisins. Ils appartenaient au rameau des nations indo-germaniques, et parlaient
une langue de la même souche que le sanscrit. On a calculé qu’ils avaient dû
quitter l’Orient deux mille ans environ avant l’ère chrétienne, à l’époque des
sociétés patriarcales, dont ils apportèrent avec eux les institutions et les
croyances. Ils s'avancèrent de l’est à l’ouest, en traversant les plaines méridionales
de la Russie actuelle et celles du centre de l’Europe, jusque dans la contrée à
laquelle ils devaient donner leur nom. Quand ils eurent franchi le Rhin, ils
refoulèrent devant eux les Ibères, qu’ils poussèrent au midi vers les Cévennes
et les Pyrénées, à l’ouest vers la péninsule armoricaine ou la Bretagne
actuelle, et dont une partie sans doute émigra.
Partout où les Gaëls s’établirent, la race ibérique fut condamnée
à l’infériorité. Ses descendants se mêlèrent aux nouveaux venus, et perdirent
peu à peu leurs caractères distinctifs, ou s’ils les conservèrent, ce fut en
se retirant dans les parties reculées du pays et dans les montagnes, asiles
naturels des races primitives. Ainsi, du temps des Romains, on retrouvait leur
type à peu près intact chez les montagnards de la Ligurie et chez les Vascons
ou Basques des Pyrénées, particulièrement chez le petit peuple des Euskes (latin, Ausci dont
la ville d’Auch a gardé le nom. Encore ce type, quelque vivace qu’il fût,
a-t-il dû s’altérer à la longue. Dans tous les cas, les Ibères sont pour nous
un de ces peuples mystérieux dont l’antiquité ne nous a presque légué que le
nom. Les traces de leur existence se sont effacées peu à peu de ce côté des
Pyrénées. S’ils en ont laissé quelques-unes, c’est surtout en Espagne; c’est
dans les provinces basques qu’on a recueilli d’informes mais curieux débris de
leur langue, où l’on a cru remarquer quelques ressemblances avec la langue des
Phéniciens.
La grande race gaélique a eu d’autres destinées. Les Romains
la trouvèrent maîtresse de la Gaule et de presque toutes les contrées
occidentales de l’Europe. Elle était même divisée en trois branches ou corps de
peuples, savoir: les Gaëls proprement dits, les Kimris et les Belges. (Kimri ou Àrimro est un terme de l’idiome cambrien signifiant un homme libre. Les historiens
modernes l’ont en quelque sorte consacré par l’emploi qu’ils en ont fait,
quoiqu’il ne soit pas démontré qu’ils aient eu raison de l'employer.)
Les Gaëls proprement dits, ou anciens Celtes, étaient arrivés
dans la Gaule à une époque reculée qu’on ne peut déterminer sinon par des
calculs hypothétiques. Au temps de César ils occupaient la région située entre
la Garonne et la Loire; au sud de la Garonne ils étaient mêlés aux Ibères. Ils
étaient aussi établis dans une partie de l’Espagne, de l’Italie et des fies
Britanniques. C’est en Irlande que leur type national et leur langue paraissent
s’être le mieux conservés.
Les Cimbres ou Cimmériens, que les modernes appellent
ordinairement Cambriens ou Kimris, pour les
distinguer d’autres Cimmériens ou Cimbres étrangers aux contrées gaéliques,
n’avaient fait leur apparition dans ces contrées que six cents ans avant notre
ère. Ils occupaient dans la Gaule la région située entre la Seine et la Loire,
et dans l’Île de Bretagne presque toute la partie centrale. Ils se sont
maintenus longtemps avec leurs caractères et leur idiome propres dans le pays
de Galles, qu’on appelle encore aujourd’hui la Cambrie.
Les Belges, venus les derniers, environ trois siècles après
les Kimris, occupèrent le nord de la Gaule jusqu’à la
Seine et la Marne, et n’envoyèrent dans les autres contrées qu’un petit nombre
de colonies. Cependant leur apparition remua la Gaule entière. Une de leurs
tribus, celle des Tectosages, s’avança jusqu’aux Pyrénées et s’établit dans les
hautes vallées de la Garonne , près de Toulouse.
César, en distinguant ces différents peuples, eut soin de
constater qu’ils appartenaient à une même famille, et que leurs idiomes étaient
au fond les dialectes d’une même langue. Ces données ont été pleinement
confirmées par les études faites sur les dialectes gaéliques, parlés longtemps
dans plusieurs parties des îles Britanniques et dans notre Bretagne, où ils
n’ont pas encore disparu. Quant aux caractères particuliers des trois branches
de la race, il est assez difficile de les déterminer. Les recherches des
historiens, ou plutôt des physiologistes, n’ont abouti jusqu’ici qu’à des
conjectures, en dépit de la sagacité et de l’intérêt de certaines
observations.
Tout en constatant l’existence de ces divisions ethnographiques
ou territoriales, sur lesquelles aucun doute n’est possible, on doit ajouter
que les mélanges de races étaient inévitables, ce qui crée une grande
difficulté pour les recherches de ce gens même où une race acquérait la
prédominance re. Malgré la tendance des anciens peuples à se grouper suivant
leurs affinités naturelles et à ne pas altérer la pureté de leur sang par des
alliances étrangères, là, il restait toujours quelques débris de
celles qui l’avaient précédée. Nous en avons des exemples positifs. Ainsi,
quand les Kimris furent chassés par les Germains du
territoire qu’ils occupaient entre l’Oder et le Rhin, ils n’abandonnèrent pas
ce territoire tout entier, mais y laissèrent quelques tribus au fond des Carpathes
et dans les montagnes qui séparent aujourd’hui la Silésie de la Bohême.
Certains usages, communs dans la haute antiquité, contribuaient
à favoriser ces mélanges. Chaque peuple avait soin de conserver autour de sa
frontière un espace libre pour se garantir contre les hostilités du dehors.
Cette raison de sécurité, jointe à l’étendue des forêts et à la prédominance
des habitudes pastorales, avait pour effet de laisser une quantité
considérable de territoires vacants. Or, c’étaient ces territoires vacants que
les envahisseurs cherchaient d’abord à occuper ou à se faire céder de manière
ou d’autre. Soit qu’ils y réussissent, soit que l’issue la plus ordinaire de
ces contestations fût la guerre et l’expulsion des vaincus, il en résultait
toujours une certaine confusion territoriale entre les races différentes.
Constatons encore que les peuples de l’antiquité, vieux ou
nouveaux, étaient plus pasteurs qu’ agriculteurs; ils tenaient au sol par des
liens beaucoup moins forts que nos populations modernes, et cette circonstance
favorisait leurs déplacements. Quand même les anciens habitants d’un territoire
parvenaient à se défendre contre des envahisseurs étrangers, il n’était pas
rare qu’une partie de leur jeunesse, entraînée par le torrent, allât, de gré ou
de force, grossir le flot des nations errantes.
C’est de cette manière qu’à l’époque des deux grandes invasions
des Kimris et des Belges, toute la race gaélique fut
mise en mouvement, et que de nombreux essaims d’émigrants, appartenant à
chacune de ses branches particulières, se jetèrent sur les contrées voisines,
l'Espagne, l’Italie et les îles Britanniques.
Les Gaëls, différents des Ibères, ne l’étaient pas moins des
Latins et des Germains, bien que ces derniers peuples fussent issus comme eux
de la souche indo-germanique. Ils s'en distinguaient par quelquesuns de ces
caractères physiques qui, transmis héréditairement, acquièrent après une suite
de générations déterminée un certain degré de permanence. Leur taille élevée,
leur peau blanche, leurs yeux bleus, leurs cheveux blonds ou bruns, n’avaient
aucun rapport avec la taille courte et carrée, la peau brune, les yeux foncés,
les cheveux noirs des Latins ou des Romains. Les Germains, avec des traits plus
rudes et la chevelure d’un blond roux, avaient aussi un extérieur particulier,
quoique la différence fût, ce semble, moins marquée.
Si de la distinction des caractères physiques on veut
s’élever à celle des caractères moraux, la difficulté est plus grande encore,
car le caractère d’un peuple se forme, se développe et se modifie sous
l’influence de circonstances qui font l’éducation même de la race. D’où il
résulte que l’étude des races et la détermination de leurs types primitifs,
quelque intéressantes qu’elles soient, n’ont pas l’importance un peu exclusive
qu'on leur a souvent prêtée. Le développement de la civilisation a d’autres
éléments d’une nature moins mystérieuse, ajoutons-le, d’un ordre plus élevé.
Les destinées particulières de chaque groupe de peuples, comme celles de chaque
peuple pris isolément, tiennent surtout aux conditions économiques et morales
dans lesquelles il a vécu. Nous quittons ici le domaine de la physiologie pour
entrer dans celui de l’histoire proprement dite.
La première chose qui frappe dans l’histoire des grandes
familles européennes, c’est qu’elles se présentent au début avec des traits
identiques. Sorties de la même souche, elles sont originaires également du
plateau de l’Asie centrale; elles ont opéré leur migration d’Orient en Occident
dans des conditions semblables, bien qu’à des époques différentes; elles
comptent dans leurs langues un grand nombre de racines primitives ou de formes
grammaticales qui appartiennent à une langue mère. On peut même affirmer
qu'elles ont un fonds commun de traditions religieuses, quoique le voile qui
couvre ces traditions soit assez épais. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que
les anciens n’aient pas toujours établi entre ces races une ligne de démarcation
rigoureuse, et que nous éprouvions à notre tour une difficulté réelle à
distinguer ce qui appartient en propre, dans les institutions ou dans les
langues, aux Gaulois, aux Latins ou aux Germains.
Mais la configuration des lieux et la nature du sol où chaque
nation s’est établie, les conditions de son industrie, les ressources dont
elle a disposé, la sécurité plus ou moins grande dont elle a joui, les rapports
qu’elle a entretenus avec les nations voisines, les révolutions enfin qui l'ont
troublée, sont autant d’éléments divers qui en ont constitué peu à peu le
caractère propre et la physionomie distinctive. La civilisation n’étant autre
chose que l’ensemble de tous ces éléments, a dû à son tour être diverse comme
eux.
Cette diversité s’est fait surtout remarquer chez les peuples
de la Gaule. Ceux du nord, plus récents, plus éloignés des rivages de la
Méditerranée, qui fut le premier berceau de la civilisation européenne, en
contact perpétuel et à peu près unique avec les barbares d’outre-Rhin,
restèrent longtemps fidèles à leurs institutions primitives. Au contraire, ceux
du midi, établis plus anciennement, modifièrent de très bonne heure ces mêmes
institutions par leurs rapports journaliers avec des peuples industrieux comme
les Phéniciens, ou doués, comme les Grecs et les Romains, du génie de la
colonisation et de la conquête. Chose remarquable, la Gaule a été de tout temps
le point de l’Europe où les influences du nord et du midi se sont le mieux
rencontrées pour se combattre ou pour se confondre, et c’est peut-être, vanité
nationale à part, une des raisons qui font de notre histoire une des plus
intéressantes pour le monde entier. Dans l’antiquité, ces influences étaient de
nature bien différentes. C’était au nord la barbarie pure et simple. Au midi
c’étaient le commerce, l’agriculture, la civilisation enfin, sous toutes ses
formes matérielles et intellectuelles et avec l’aurore de toutes ses grandeurs.
De là, entre les différentes parties du pays que l’uniformité de nos
institutions modernes nous a habitués à considérer en bloc et sous un même
aspect, de fortes disparates et des contrastes puissants.
|