LIBRAIRIE FRANÇAISE |
FRENCH DOOR |
HISTOIRE DE FRANCEdepuis les origines jusqu'à la revolution
LIVRE PREMIER.
La Gaule comprenait de vastes étendues de marais, surtout
dans le nord; elle était couverte de bois de chênes et de bouleaux que
peuplaient des urus ou bœufs sauvages et des sangliers. Strabon dit que de son
temps, au premier siècle de notre ère, une forêt immense, dont il ne subsiste
plus aujourd’hui que la partie centrale ou l’Ardenne, s’étendait depuis la
Seine jusqu’au Rhin. Les habitants de cette région nourrissaient des bestiaux
faciles à élever; de grands troupeaux de porcs à demi sauvages étaient leur
principale richesse.
Les céréales ne venaient qu’au second rang des ressources
alimentaires. Toutefois la culture en était répandue et même avancée dans le
centre, à l’époque de la conquête romaine. César nomme plusieurs peuples des
bassins de la Loire et de la Saône, les Santons (Saintonge), les Bituriges
(Berry), les Séquanes (Franche-Comté), dont le territoire produisait des grains
en abondance. Ces grains étaient l’orge, l’avoine, le seigle, l’épeautre,
espèce de froment inférieur, et le froment lui-même; mais la propagation de
cette dernière céréale parait avoir été, comme celle de la vigne, l’œuvre des
Romains. On sait positivement que la vigne au temps de César ne s’étendait pas
vers le nord au-delà des Cévennes. Une autre question aussi intéressante et qui
n’offre guère moins de difficulté, est celle de savoir quelle préparation les
Gaulois faisaient subir à leurs grains. On croit qu’ils les broyaient sous des
meules à bras; c’est d’ailleurs le seul système qui ait été employé jusqu’à
l’invention des moulins à eau, au premier siècle de notre ère.
Les Gaulois avaient certains procédés agricoles
particuliers. Les anciens leur attribuent l’invention de la charrue à roues,
celle du crible de crin, celle des tonneaux de bois pour enfermer le vin, que
les peuples de la région méditerranéenne conservaient dans des outres de peau
ou des amphores de terre. Ils avaient quelques industries; ils exploitaient les
salines, fabriquaient le savon, tiraient du sein de la terre l’or, l’argent, le
cuivre, le fer qu’ils savaient étamer; ils façonnaient en terre ou en métal des
ustensiles dont on voit aujourd’hui un bon nombre recueillis dans nos musées.
Ils tissaient la laine, le chanvre et le lin. Un texte de Pline semble indiquer
qu’ils exploitaient des carrières d’ardoise. Malheureusement ces inventions
n’ont aucune date, et nous ignorons de combien de temps elles ont précédé la
conquête romaine.
Les habitations étaient des cabanes de bois ou d’argile,
ordinairement de forme circulaire et couvertes de chaume ou de roseaux;
quelquefois le sol était creusé à une certaine profondeur, comme l’attestent
des ruines qu’il est naturel d’attribuer aux Gaulois. Des cavernes ou des
souterrains en grand nombre servaient d’habitations, de lieux de retraite;
c’était là aussi qu’on enfermait et conservait les récoltes. On a trouvé dans
quelques lacs de France, comme dans ceux de la Suisse, des traces d’anciennes
constructions sur pilotis, qui s’expliquent ou par le genre de vie des
populations consacrées à la pêche, ou par certaines raisons de défense.
Toutefois, si le fait est prouvé par la quantité d’instruments de pierre
découverts sur quelques points, les conclusions historiques qu’on a pu en tirer
jusqu’ici demeurent à l’état purement conjectural. Il est probable que les premières
villes furent des sortes de camps retranchés ou des places de refuge, dans
lesquelles en cas de danger les hommes se retiraient avec leurs bestiaux. On
choisissait de préférence pour ces constructions des emplacements de difficile
accès, et des lieux élevés, comme les acropoles des Grecs. Avec le temps ces
places fortes se perfectionnèrent; à l’époque de César, celles du centre et du
midi avaient des murailles solidement construites. Celles du nord n’étaient
encore que de vastes espaces entourés de fossés et garnis de pierre et d’abatis
d’arbres.
Le costume national se composait d’une saye, c’est-à-dire d’une blouse ou casaque à
manches, et de brayes ou chausses, en toile ou en laine teinte, qui
descendaient jusqu’aux genoux, quelquefois jusqu’aux pieds. C’est à peu près le
vêtement que les paysans bretons portent aujourd’hui. Il était souvent complété
par un grand manteau, appelé laena par les
Romains, et semblable aux manteaux que portent nos bergers. Les riches se
chargeaient de colliers, de bracelets et d’ornements d’or. Quand ils faisaient
la guerre, ils se revêtaient de peaux de bêtes, et pour se rendre terribles,
portaient en guise de casques des têtes et des cornes d’animaux.
Les armes et les instruments dont les Gaulois se
servaient ont appartenu, comme chez les autres peuples de l’antiquité, à trois
âges successifs, l’âge de pierre, l’âge de bronze et l’âge de fer. On trouve
encore tous les jours des débris de l’âge de pierre, des haches, des couteaux,
des pointes de flèche et autres instruments taillés en silex. C’est au même âge
qu’il faut rapporter les outils formés avec des os d’animaux. Le bronze et le
fer vinrent ensuite, sans qu’on sache bien comment se fit cette révolution. Les
Gaulois durent-ils la connaissance des métaux à quelque peuple étranger, tel
que les Phéniciens, ou à une de leurs propres tribus? Diodore et les érudits de
l’antiquité croyaient l’industrie minière de la Gaule une importation
phénicienne. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que si les Gaulois se servirent
d’armes de métal à une époque ancienne et qu’on ne saurait déterminer, ils ne
les perfectionnèrent qu’au temps de leurs premières guerres contre les Romains.
Ce fut alors seulement que renonçant à l’usage de combattre à peine vêtus, ils
portèrent des cuirasses ou des cottes de mailles en fer et des boucliers avec
des figures gravées d’animaux ou d’oiseaux qui leur servaient d’emblèmes
militaires.
De tout temps ils se distinguèrent par leur caractère belliqueux.
Ils aimaient la guerre pour elle-même. Dans les combats ils se montraient
ardents, téméraires, prompts à sacrifier leur vie; mais ils étaient
inconstants, prêts à se décourager après la violence du premier choc, et
inférieurs par la discipline à plusieurs des nations qu’ils surpassaient en
bravoure. Avec leurs goûts militaires et aventureux, ils s’expatriaient
aisément: les princes ou les républiques de la Grèce et de l’Italie, habitués à
prendre à leur solde des mercenaires étrangers, enrôlaient de préférence des
Gaulois. Les historiens anciens ont encore signalé certains traits de leur
caractère, qui ont passé dans notre caractère national. Ils les dépeignent
querelleurs et batailleurs, irritables et pleins d’eux-mêmes, vains et légers,
parleurs et curieux à l’excès, d’ailleurs très hospitaliers et prompts à
communiquer avec les étrangers, dont ils s’assimilaient les inventions et les
idées.
A ces traits il faudrait en ajouter d’autres qui les
montreraient sous un jour moins brillant. Les Gaulois avaient la renommée
d’être cruels, reproche que les Grecs et les Romains, qui s’y connaissaient,
n’adressaient pas à la légère. Strabon les représente suspendant au cou de
leurs chevaux les têtes des ennemis qu’ils avaient tués. Posidonius, un peu
plus ancien que Strabon, dit qu’ils les gardaient dans des coffres pour les
montrer aux étrangers et s’en faire gloire. Ils étaient encore barbares de bien
des manières : par leurs superstitions, leur croyance aux augures et aux
prodiges; par l’infériorité de la condition des femmes, qui n’avaient ni part à
la propriété territoriale ni pouvoir dans la famille, et cultivaient la terre
de leurs mains, tandis que les hommes, méprisant le travail, consacraient au
repos les intervalles de la chasse et de la guerre; enfin par l’usage fort
commun d’abandonner et d’exposer les enfants. Au temps de César, plusieurs
peuplades du nord vendaient leurs enfants aux marchands romains, pour se
procurer du vin ou des armes.
RELIGION DES GAULOIS
Quand on étudie l’histoire des anciens peuples, trois choses
sont à considérer, leur condition matérielle et leurs arts, leur religion et
leurs croyances, leur organisation politique.
Il semble que la religion exerce chez les peuples
primitifs un empire encore plus grand que chez les autres, parce que ces
peuples ne connaissent en dehors d’elle aucune autorité morale, aucune loi,
aucune règle; ils ne connaissent que la force; or, la force, quelque rôle
qu’elle joue, ne peut jamais tenir lieu du droit. Aux yeux des peuples
primitifs, la règle morale, la justice, le droit enfin, ont un principe
supérieur qu’ils placent dans le ciel. La loi, étant pour eux l’expression de
la volonté divine, est l’œuvre de la religion. C’est la religion qui crée ou
qui confirme les premiers pouvoirs publics; c’est elle qui les dirige plus ou
moins; c’est même souvent elle qui les exerce. Ainsi la religion est, de tous
les éléments sociaux, le premier, par l’ancienneté comme par l’importance.
Malheureusement pour nous, les Romains, frappés de
quelques analogies que la religion des Gaulois présentait avec la leur, ont
semblé prendre à tâche de la défigurer dans les livres où ils nous en parlent.
Le peu de monuments qu’elle a laissés ne peut guère nous éclairer davantage. On
a découvert, sur plusieurs points de la France, particulièrement dans la
Bourgogne, des figures sculptées de dieux ou de prêtres indigènes; mais ces
figures ne remontent pas au-delà du règne des empereurs. On a même pensé
qu’elles pouvaient être l’ouvrage des sculpteurs grecs ou romains; car les
anciens Gaulois avaient pour principe, comme les Juifs, de ne faire aucune
image matérielle d’êtres immatériels, et ne représentaient leurs divinités qu’à
l’aide d’un petit nombre de symboles.
Ils n’avaient également pour temples que les amas de
pierres connus sous les noms de dolmen et de menhir. Ces constructions si
remarquables par la bizarrerie de leur forme et la difficulté de leur
assemblage, recouvraient probablement des sépultures. Leurs enceintes étaient
destinées aux sacrifices et aux cérémonies du culte. Les pierres isolées,
celles qu’on appelle pierres fîtes ou pierres plantées, marquaient les
délimitations de territoires, sous une sauvegarde religieuse. C’est à peu près
là tout ce que l’étude des monuments celtiques permet aujourd’hui d’affirmer
avec certitude.
La religion des Gaulois reposait sur des croyances traditionnelles,
croyances analogues à celles qui faisaient le fond de toutes les religions
antiques, et reproduisant suivant toute apparence quelques dogmes qui avaient
appartenu au monde primitif. Ainsi les Gaulois admettaient l’existence d’une
divinité suprême, Hésus, dont les dieux particuliers étaient autant d’attributs
personnifiés ou de manifestations distinctes. Ils regardaient ces dieux
particuliers comme les créateurs et les auteurs de leur race, les inventeurs de
leur langue et des arts de toute espèce. Ils croyaient à la métempsycose ou à
la renaissance des âmes, forme vague de la doctrine de l’immortalité. Cette
dernière croyance est peut-être celle qui les distingue le mieux des autres
peuples anciens, chez lesquels le dogme de l’immortalité de l’âme eut toujours
un caractère incertain.
Les Grecs et les Romains, qui appelaient les druides les
philosophes de la Gaule, et qui ont parfaitement connu ces doctrines
essentielles de la religion des Gaulois, ne paraissent pas avoir connu aussi
bien leur mythologie et leur théogonie, c’est-à-dire leurs traditions
particulières sur chaque divinité avec les raisons et les détails de son culte.
Ils ont fait du moins, dans le petit nombre de passages où ils en parlent, une
perpétuelle confusion des dieux de la Gaule avec leurs propres dieux. La
Bretagne et le pays de Galles ont conservé beaucoup de traditions fortement
empreintes des souvenirs de la mythologie celtique; malheureusement ces
traditions ne renferment rien de précis; elles appartiennent d’ailleurs à une
époque où le christianisme, déjà maître de la société, avait donné un sens
particulier et nouveau à tous les anciens usages, à toutes les anciennes
croyances.
Il faut donc se borner à citer les principaux dieux
gaulois, Hésus, Teutatès, Taranis, Belenus, sous les noms que les Romains nous ont transmis ou
que des inscriptions de l’époque romaine ont permis de lire. Hésus était le
plus puissant de tous; les Latins l’assimilèrent à Jupiter. Belenus était le soleil, en l’honneur duquel on faisait de grands feux au solstice
d’été. Venaient ensuite les divinités inférieures ou les forces de la nature
divinisées. Les Gaulois, comme les Grecs ou les Romains, rendaient un culte aux
forêts, aux arbres, aux lacs, aux montagnes. Ils plaçaient chaque pays, chaque
lieu particulier, sous la protection d’une divinité locale. Arduenna était le génie des Ardennes; Vosegus, celui des
Vosges; Circius, celui du vent qui balaye les côtes
de la Méditerranée. Ils déifiaient des villes, comme Nemausus (Nîmes) et Bibracte (Autun). On a trouvé dans le pays Eduen et dans le
voisinage des Pyrénées un certain nombre d’autels consacrés aux divinités
locales. Comme le nombre de ces divinités pouvait être infini, le monde fut
rempli d’êtres fantastiques, destinés à conserver longtemps, sous les noms de
nains, de fées ou de sylphes, une grande place dans nos superstitions et nos
terreurs populaires.
Les Gaulois avaient pour la divination le même respect
que les Romains. Comme eux ils sollicitaient par des talismans, des présages,
des augures, l’intervention du ciel dans les choses humaines; intervention
d’autant plus nécessaire à leurs yeux que la loi reposait sur la Volonté même
des dieux. Cette volonté était interprétée par les druides, gardiens des
croyances traditionnelles de la nation et de ses souvenirs historiques.
Les druides paraissent avoir eu plus de crédit et
d’autorité qu'aucun autre corps sacerdotal des temps antérieurs au christianisme.
On a pensé par cela même que leur science, ignorée des profanes et dont ils se
transmettaient le dépôt, avait dû être fort étendue. C’est ce que nous ne
pouvons guère apprécier. Nous savons seulement qu’elle comprenait les règles de
morale et de droit qui se rattachaient aux détails du culte, et certaines
connaissances, produit de l’observation et de l'expérience, comme celle du
cours des astres et celle des propriétés médicales de diverses substances.
Toutefois, le mystère même dont cette science était enveloppée doit prémunir
contre toute idée exagérée à son égard. Si l’on songe que les druides n’eurent
d’autre alphabet que celui qu’ils empruntèrent aux Grecs à une époque
relativement récente; que leur poésie sacrée était uniquement confiée à la mémoire
; que les Romains, si prompts à recueillir toutes les notions des arts usuels
existants dans la Gaule, n’ont rien pénétré de cette réalité prétendue cachée
sous le mystère; que les chants traditionnels du pays de Galles n’en ont de
leur côté conservé aucune trace authentique, on sera facilement convaincu de
l’illusion des historiens et des savants qui ont cru voir dans les druides les
dépositaires d’importantes vérités oubliées après eux. Quel que fût d’ailleurs
le fonds d’idées philosophiques sur lequel reposait la religion des Gaulois,
elle dégénérait facilement, comme les autres religions antiques, en un
naturalisme grossier. Elle était accompagnée de pratiques superstitieuses ou
sanglantes. Superstitieuses, comme la récolte du gui et des plantes sacrées, la
recherche des amulettes, l’interprétation des phénomènes célestes. Sanglantes,
comme les mystères qui se célébraient au fond des forêts séculaires ou des fies
de l’Océan, et dont les initiés ne parlaient qu’avec terreur. Les sacrifices
humains étaient communs, comme l’attestent les dolmens ou tables de pierre
conservées jusqu’à nous. Indépendamment des sacrifices particuliers, où le
prêtre lisait l’avenir dans l’attitude de la victime expirante, il y avait des
circonstances solennelles où des hommes vivants étaient entassés dans de grands
mannequins d’osier et brûlés en l’honneur de Teutatès. C’était là sans doute le
supplice des brigands et des malfaiteurs; mais on l’infligeait aussi aux
prisonniers de guerre, qu’on gardait rarement, faute de pouvoir les nourrir. Il
fallut de longs et puissants efforts aux empereurs romains pour abolir ces
rites de sang, qu’ils poursuivirent d’asile en asile jusqu’au fond de la
Grande-Bretagne.
Le sacerdoce des Gaulois comprenait trois ordres: les
bardes, les eubages et les druides proprement dits.
Les bardes étaient des musiciens qui chantaient des
chants sacrés ou des chants de guerre en s’accompagnant de la rote, espèce de
grossier instrument à cordes. Leur présence était recherchée dans toutes les
circonstances de la vie privée ou de la vie publique; ils suivaient
particulièrement les chefs dans les expéditions pour exciter de leur voix les
combattants. «Ils enseignaient, dit un auteur grec, Diogène Laerte,
à honorer les dieux, à être courageux, à ne point faire de mal.» On les
vénérait comme des hommes inspirés, des poètes ou des voyants, revêtus d’un
caractère religieux qui s’est longtemps conservé chez leurs descendants, les
bardes du pays de Galles.
Les eubages étaient les prêtres de second rang, faisant les
sacrifices et exerçant la divination.
Les druides, supérieurs aux bardes et aux eubages,
avaient des fonctions toutes spirituelles et ne se mêlaient pas au reste de la
nation. Ils vivaient dans une retraite profonde au sein des forêts de chênes
sacrés. C’est de là qu’à titre de savants, de prêtres et de juges, ils
rendaient de véritables oracles. Ils faisaient la loi, l’appliquaient et
l’enseignaient. De toutes leurs attributions la principale sans contredit était
d’être les ministres de la justice, investis du pouvoir suprême de répression
qui maintenait la société en dépit des luttes et des vengeances individuelles.
«Ils jugent, dit César, presque toutes les contestations
publiques ou privées. Si quelque crime a été commis, si un meurtre a eu lieu,
s’il s’élève un débat sur un héritage ou sur des limites, ce sont eux qui
statuent. Ils dispensent les récompenses et les peines. Si un particulier ou un
homme public ne défère point à leur décision, ils lui interdisent les
sacrifices. C’est chez les Gaulois le plus grave des châtiments. L’homme qui
encourt cette interdiction est mis au rang des impies et des criminels: tout le
monde s’éloigne de lui, fuit son abord et son entretien, craint de participer
par le contact à la réprobation qui le frappe; implore-t-il la justice, elle
lui est refusée, et il ne peut espérer aucun honneur» Les rois faisaient exécuter
les arrêts rendus par les druides.
Les druides avaient encore un caractère remarquable, qui
les distinguait des autres corps de prêtres de l’antiquité. Ils ne formaient
point une caste, une race particulière; mais ils se recrutaient dans toutes les
classes de la nation, au moyen d’une initiation spéciale. Le néophyte passait
plusieurs années à s’instruire dans la retraite; c’était seulement après ce
temps d’épreuve qu’il prenait la robe noire de l’ordre auquel il était affilié.
Le rang de chef suprême des druides était réservé au plus digne, et si
plusieurs candidats paraissaient avoir des titres égaux, c’était l’élection qui
décidait. Toutefois, au temps de César, les élections de ce genre entraînaient
souvent des luttes armées.
Comment s’était formée cette corporation sacerdotale, qui
exerça longtemps sur les peuples de la Gaule la plus grande autorité; qui, très
affaiblie à l’époque de César, survécut pourtant à la conquête romaine, et
encouragea pendant plus d’un siècle les protestations de l’indépendance
nationale; dont l’organisation présente enfin avec celle de l’Église chrétienne
une analogie sans autre exemple dans l’antiquité? Aucun des historiens romains
ne l'explique. Quelques modernes ont pensé qu’elle n’était pas fort ancienne,
et, se fondant sur des indices fournis par les triades galloises, en ont marqué
l’origine à l’établissement des Kymris dans la Gaule, au septième siècle avant
notre ère. Il est certain que les druides ont dominé particulièrement dans les
pays où les Kymris se sont établis, tandis qu’on ne peut affirmer qu’ils aient
exercé la même autorité cher, les Gaëls proprement dits. On n’a trouvé non plus
aucun monument qu’on puisse leur attribuer au nord de la Somme et de l’Aisne,
chez les Belges. Cependant les Gaëls et les Beiges, au temps des luttes contre
les Romains; entrèrent, aussi bien que les Kymris, dans les confédérations dont
ces prêtres furent les instigateurs manifestes ou cachés, et les sentiments
d’unité nationale qui éclatèrent alors avec une vivacité extrême dans la Gaule
entière prouvent qu’il y avait plus d’unité que de diversité religieuse entre
ses différentes populations.
César, dont les renseignements sont remarquablement nets,
mais d’un laconisme souvent fâcheux, n’a ni résolu ni même posé ces questions
intéressantes. Il se contente de dire que les druides tenaient le premier rang
d’honneur dans la nation, qu’ils étaient exempts du service de guerre, et ne
contribuaient pas aux charges publiques.
FAMILLES ET CLANS
Il place au second rang ceux qu’il appelle équites, les
chevaliers, quelquefois nobiles, les nobles,
et qu’il distingue de la masse du peuple (plebs.)
Ces chevaliers formaient le corps d’élite dans les armées.
Combattre à cheval a toujours été le signe distinctif de l’aristocratie chez
les peuples belliqueux, surtout avant le temps des armées régulières. il n’est
pas douteux que la cavalerie ou la chevalerie gauloise ne fût composée des
hommes riches et puissants. Ceci amène à exposer l’organisation de la société
civile.
La famille, prise dans l’acception la plus large, en
était le premier élément. C’est le pouvoir constitué au sein de la Camille qui
a été l’origine du pouvoir constitué plus tard dans la nation, ou, comme le dit
César, qui emploie généralement des expressions romaines, dans la cité.
L'organisation de la famille gauloise s'étant conservée longtemps dans les
clans des pays celtiques, on doit croire que les institutions essentielles de
ces clans, telles que nous les connaissons par les documents d’une époque plus
moderne, appartenaient à l’ancienne Gaule. C’est même de cette manière
seulement qu'on parvient à s'expliquer les passages trop courts et
malheureusement assez obscurs de César et des autres historiens romains sur ce
sujet.
Dans les pays celtiques, tels que l'Ecosse et la Cambrie
(pays de Galles), fa famille, composée des parents réunis jusqu'au quatrième
degré en ligne directe, et jusqu'au neuvième en ligne collatérale, formait une
petite association élémentaire qui avait son chef et ses lois. Le chef exerçait
une autorité sans partage et à peu près sans limites sur sa femme, sur ses
enfants, sur tous les siens. Il était maître ou plutôt seigneur de 1a terre,
car elle était moins sa propriété que la propriété collective de la famille.
Plusieurs familles distinctes, mais ayant entre elles le
lien d'une parenté et d'une origine communes, formaient une association plus
étendue, une tribu ou un clan. Tout porte à croire que les chefs des familles
élisaient un chef du clan et que cette dignité était à vie; tel était en effet
l’usage du pays de Galles dans les premiers siècles du moyen âge. Le chef élu
gouvernait avec l’assistance ordinaire des chefs de famille; mais quand les
intérêts généraux du clan venaient à être menacés, et qu'une guerre était
déclarée, il exerçait une sorte de dictature militaire: alors tous ses sujets
lui devaient une obéissance passive et illimitée.
Le clan n'était pas uniquement composé de familles liées
par une parenté commune; il renfermait encore un autre élément, les clients et
les esclaves. Les clients étaient des hommes personnellement libres, qui, ne
faisant partie d'aucune des familles légalement constituées et maîtresses d’un
territoire, se plaçaient sous le patronage d’un chef, pour que leur liberté fût
respectée et protégée. Protection nécessaire dans une société où il n’avait
aucune place pour les individus isolés, où nul ne possédait de droits qu’autant
qu’il appartenait à une association reconnue. En retour, les clients étaient
tenus à un dévouement absolu pour la personne du chef; ils devaient le suivre
et le défendre dans toutes ses entreprises; ils lui payaient aussi des
redevances particulières. Après les clients venaient les esclaves ou
serviteurs, servie, d’autant plus nombreux qu’une partie d’entre eux
étaient des serviteurs volontaires, c’est-à-dire des engagés aliénant leur
liberté pour un temps. César et Tacite donnent à ces derniers le nom latin d’obœrati. César se sert de termes très vagues pour
exprimer la condition de la classe inferieure; c’était une servitude, mais une
servitude plus mitigée et moins rigoureuse que l’esclavage romain.
De même que plusieurs familles unies par une origine
commune formaient un clan, plusieurs clans réunis par un lien semblable, bien
que plus éloigné, formaient une nation, ou ce que les Romains appelèrent une
cité. Les nations avaient à leur tête des chefs particuliers ou des rois. Il
semble qu’en général ces rois fussent élus par les chefs des clans et par les
druides. On sait du moins que c’étaient les druides qui désignaient le vergobret ou roi des Eduens. C’étaient eux aussi qui, dans les grandes guerres,
choisissaient le chef suprême auquel les nations confédérées devaient obéir.
Toutefois il résulte des récits de César qu’il existait aussi dans les clans et
les cités des commandements et des royautés héréditaires de droit, ou que
l’ambition de chefs puissants s’efforçait de rendre tels.
REVOLUTIONS INTERIEURS
La société gauloise resta généralement fidèle à son
organisation patriarcale originaire. Elle conserva longtemps ses cadres
primitifs avec une ténacité dont les cantons montagneux des îles Britanniques
nous ont laissé des exemples frappants. Cependant il est facile de comprendre
que cette organisation ne put être d’une régularité ni d’une uniformité
parfaites. Les guerres et les révolutions étaient fréquentes. Elles le furent
surtout à l’époque qui précéda la conquête de César. Le voisinage des Romains
établis dans le midi de 1a Gaule eut pour effet inévitable d’augmenter les
divisions. En effet, Rome suivit là, comme partout, son système de diviser pour
régner: elle soutint les petites ambitions des chefs qui recherchèrent son
alliance, et favorisa leurs usurpations.
Rien d’ailleurs ne lui était plus facile. Les chefs
gaulois poussaient à l’excès le sentiment de l’indépendance et de la vanité
personnelles; ils étaient avides de renommée et de gain, et ils trouvaient dans
le nombre et le dévouement de leurs sujets, de leurs tenanciers ou de leurs
fidèles, une excitation perpétuelle à satisfaire leur ambition. «Plus chacun d’eux
est riche et renommé, dit César, plus il réunit autour de lui de serviteurs et
de clients». Ces clients, nommés ambacti ou soldurii, étaient engagés, les uns pour toujours et
sans conditions, les autres pour un temps et moyennant une solde; mais tous mettaient
leur gloire à se sacrifier pour leur chef, comme les Romains mettaient la leur
à se sacrifier pour la patrie. Aussi plusieurs chefs devinrent-ils de
véritables petits souverains.
On voit dans les Commentaires Orgétorix,
que les Helvètes voulaient punir d’une trahison, se présenter au jugement
accompagné de dix mille hommes, ses parents ou ses clients. Quand le roi des
Trévires a été tué par les Romains, sa parenté se réfugie dans la Germanie.
Vercingétorix est choisi pour commander les peuples ligués contre César, à
cause du nombreux cortège d’hommes armés dont il marchait entouré. De là ces
factions rivales qui existaient au sein de chaque nation ou cité, de chaque
tribu ou fraction de cité, même de chaque maison ou de chaque famille, en sorte
que le printemps ne pouvait revenir sans qu’il y eût, suivant l’expression des
Commentaires, des injures à faire ou à venger. Les druides, que Diodore dit
avoir souvent arrêté par leur médiation les nations prêtes à en venir aux
mains, n’avaient plus l’autorité nécessaire pour empêcher des guerres
continuelles.
Tel est le tableau que présentent les clans et les
nations celtiques. Pour le compléter, il faut y ajouter un trait important.
Strabon et César mentionnent souvent des assemblées et même des délibérations
tumultueuses. Donc, les obligations de la clientèle militaire, si rigoureuses
qu’elles fussent, n’enchainaient pas entièrement la liberté des clients. Si la
tribu était une armée, elle ne cessait pas pour cela d’être une tribu; d’où
résultait un mélange inévitable de la discipline militaire et de l’indépendance
individuelle. Au reste, il est probable que ces assemblées, auxquelles la masse
des hommes libres prenait part, étaient celles qui décidaient de la guerre ou
de la paix; car la guerre une fois décidée, nul ne pouvait refuser de marcher.
On peut s’expliquer ainsi les paroles d’Ambiorix, roi des Éburons, disant au
lieutenant de César qu’il n’avait pas plus de droits sur ses sujets que ses
sujets n’en avaient sur lui.
Les différentes nations gauloises étaient très inégales
en force et en richesse, et c’était encore là une des grandes raisons des
guerres qui les déchiraient. Les plus considérables en tenaient d’autres sous
leur tutelle ou leur clientèle. Par exemple, les Rémois (Reims) avaient sous
leur tutelle, au temps de César, les Carnutes (Chartres); de leur côté, les
Éduens (Autun) avaient exercé longtemps, par l’étendue de leurs clientèles, une
sorte de protectorat sur la plus grande partie de la Gaule. Il en était du
patronage des tribus comme de celui des chefs. C’était en s’engageant à des
redevances et en contractant des obligations particulières que les faibles
obtenaient la protection des forts.
La Gaule, divisée en un certain nombre de ligues rivales,
ressemblait assez à la Suisse, telle qu’elle était dans les trois derniers
siècles, et telle qu’elle n’a pas encore cessé d’être. L’histoire moderne de la
Suisse est remplie des rivalités de ses cantons, formant sans cesse des ligues
et des contre-ligues et se disputant une sorte
d’hégémonie. C’est précisément le même tableau que présente l’histoire de la
Gaule, au moins dans le temps qui précède la conquête de César. Les ambitions
des chefs particuliers, les rivalités de peuple à peuple, les clientèles tour à
tour formées et détruites, la nation belliqueuse et pourtant s’épuisant en
luttes stériles, tels sont quelques traits saillants de celte comparaison. Rome
entretint habilement les divisions des Gaulois, qui servaient trop bien sa
politique et ses intérêts. Les druides essayèrent en vain d’y mettre un terme;
cette grande corporation, gardienne des traditions et de l’unité nationale,
voyait tous les jours son autorité s’affaiblir.
Voilà quelle fut, autant du moins que l’imperfection des
documents permet de la comprendre aujourd’hui, l’organisation sociale,
religieuse et politique de la Gaule ancienne.
ÉMIGRATIONS
Si on la compare à celle que nous présente l’histoire de
Rome et de la Grèce à leurs origines, ou l’histoire de la Germanie à une époque
un peu plus récente, on trouve encore des analogies frappantes. Les religions
voilant sous le culte apparent de la nature quelques croyances d’un ordre plus
élevé, le pouvoir dans les cités dérivant du pouvoir constitué dans les
familles, les migrations, les clientèles, les guerres fréquentes, les arbitrages
religieux ont appartenu à toutes les nations de l’antiquité. C’est, au reste,
une ressemblance qui s’explique d’elle-même; car il est naturel que les
sociétés anciennes aient passé par des phases identiques, sauf la différence
des temps ou celle des circonstances qui ont étouffé ou favorisé le
développement de leur civilisation.
Mais la ressemblance ne fut jamais complète. Au siècle
qui précéda l’ère chrétienne, la Gaule n’était pas encore arrivée à l’état de
sécurité et de stabilité nécessaires pour que les germes de civilisation
qu’elle renfermait en elle-même pussent fructifier librement. Toujours menacée
par les invasions des étrangers, elle était de plus déchirée à l’intérieur par
des luttes incessantes, et malgré les efforts des druides, elle n’avait aucun
pouvoir public régulier. Rome, au contraire, s’était déjà donné un gouvernement
assez fort pour protéger la marche d’une civilisation destinée à s’étendre sur
la plus grande partie du monde connu.
Une nation qui fut longtemps pastorale, qui à ce titre
avait besoin d’occuper pour sa subsistance de vastes espaces, dont chaque
peuplade s’entourait d’un territoire libre et vacant pour se défendre contre
les peuplades voisines, qui enfin vivait toujours armée, devait envoyer au loin
de fréquentes émigrations. En effet, toutes les grandes invasions qui eurent
lieu en Gaule firent refluer des essaims de Gaulois sur les contrées voisines.
Une partie des tribus partait pour chercher des terres à l'étranger.
A différentes époques, et particulièrement lors de
l’arrivée des Kymris, des bandes de Gaëls pénétrèrent dans la péninsule
Ibérique, la parcoururent jusqu’au détroit de Gadès, et y laissèrent des
marques indélébiles de leur passage ou de leur établissement dans les noms des
villes et des petits peuples. Les Gallaïciens et les
Celtibériens (peuples de la Galice, du Portugal, Portus Gallaïcorum, et de la Castille) se formèrent du mélange des Gaëls avec les races indigènes
de l'Espagne.
Des Gaëls, des Kymris, des Belges traversèrent également
la Manche; les Romains trouvèrent dans les (les Britanniques des tribus qui
portaient les mêmes noms que celles de la Gaule, et qui conservaient avec elles
des liens de parenté et d’alliance (les Parisiens, les Atrebates).
Suivant une tradition universellement répandue dan6
l’antiquité, les deux neveux d’un roi des Bituriges (Berri), Bellovèse et Sigovèse,
abandonnèrent leur patrie vers l’an 600, à la tête de deux grandes années
d’émigrants, franchirent les Alpes et le Rhin en prenant pour guide le vol des
oiseaux, et pénétrèrent dans les vallées du Pô et du Danube.
Bellovèse s'établit dans l’Italie septentrionale, qui ne tarda pas à se remplir de
colonies gauloises jusqu'au fleuve Aesis, en Ombrie,
et qui reçut des Romains, pour cette raison, le nom de Gaule cisalpine. Les
Gaulois italiens, recrutés sans cesse par leurs compatriotes, inquiétèrent de
leur turbulent voisinage les Etrusques et les Romains. Ils étaient poussés vers
le centre et le midi de la Péninsule par le besoin de terres nouvelles, par la
séduction du climat, par le désir de piller ou de rançonner des États déjà
riches et florissants. L’an 390, ils assiégeaient la ville Etrusque de Clusium, lorsqu’un envoyé romain les insulta. Pour se
venger, ils marchèrent sur Rome même, s’en rendirent maîtres après la sanglante
bataille de l’Allia, et se firent payer, .quoi qu’en ait dit Tite-Live, la
rançon du Capitole.
Rome, relevée par Camille, lie rencontra pas depuis lors
d’ennemis plus redoutables ni plus persévérants. Leur cavalerie exercée, leurs
chariots de guerre, l’habileté avec laquelle ils maniaient le sabre, l’épieu ou
la lance, et par-dessus tout leur audace indomptable, faisaient d’eux, à la
discipline près, la première nation militaire de l’antiquité. Ils mettaient
leur honneur à ne jamais abandonner un champ de bataille. L’histoire romaine
est pleine des terreurs qu’ils inspiraient; on décrétait à leur approche le tumultus gallicus, c’est-à-dire une sorte de
levée en masse et d’état de siège; en même temps la superstition populaire
exigeait qu’un Gaulois et une Gauloise fussent enterrés vifs dans la ville
même, pour accomplir de prétendus oracles en vertu desquels les Gaulois
devaient un jour prendre possession du sol sacré.
Cependant les Romains et les Italiens du centre, Osques,
Latins, Étrusques, entreprirent de défendre leurs territoires, et soutinrent
contre cette invasion une lutte dont ils sortirent victorieux. Les historiens
modernes de l’Italie ont remarqué, non sans raison, que la prépondérance de
Rome dans la Péninsule commença véritablement le jour où elle se mit à la tête
d’une guerre qui intéressait l’indépendance nationale du pays entier. Les
Romains et les Italiens, leurs alliés, durent leur succès à leur persévérance
et à la supériorité de leur organisation militaire. Ils avaient déjà des
troupes régulières permanentes; leurs soldats se servaient d’épées et de piques
mieux trempées, et d’armes défensives à l’épreuve des sabres mal forgés de
leurs adversaires. Ils possédaient aussi des villes pour se retirer au besoin,
des citadelles fortifiées et les ressources d’un pays bien cultivé, ce qui leur
permettait de se rallier après une défaite. Les Gaulois n’avaient rien de tout
cela. Vaincus, ils étaient réduits à se replier sur eux-mêmes ou à appeler pour
réparer leurs pertes quelques bandes d’aventuriers transalpins.
Ils vécurent d’ailleurs, dans le nord de l’Italie comme
dans la Gaule, divisés en cantons, sans unité, et livrés surtout à
l’agriculture pastorale : «Leurs troupeaux et leur or sont, dit Polybe, leurs
seules richesses sérieuses, parce que ce sont les seules qu’ils puissent
emporter avec eux partout où ils vont.» Ils se contentèrent d’occuper les
villes qui existaient déjà, et n’en fondèrent, à ce qu’on croit, qu’une seule,
Milan, au centre de leurs nouveaux établissements.
Les Romains, ayant acquis une prépondérance assurée dans
l’Italie, ne tardèrent pas à menacer à leur tour l’indépendance des nations qui
l’habitaient. Ils mirent un siècle à en conquérir le centre et le midi. Les
Gaulois de la cisalpine soutinrent, mais sans succès, les Etrusques et les
Samnites dans leurs luttes contre les années consulaires: ils éprouvèrent deux
grandes défaites, l’une à Sentinum, l'an 295 avant
Jésus-Christ, et l’autre en 283 au lac Vadimone. Les
Romains victorieux ne se contentèrent plus de les contenir dans les limites
qu’ils leur avaient assignées; ils entreprirent de fonder des colonies
militaires sur leur territoire. Ils commencèrent par occuper l’Ombrie; ils élevèrent
chez les Sénons, le principal peuple de ce pays, après la bataille du lac Vadimone, un fort où ils mirent une garnison de
légionnaires, et qui devint la colonie de Sena (aujourd’hui Sinigaglia).
Appuyés sur cette position, ils poursuivirent les autres
tribus, celles des Lingons, des Boïens, des Insubriens et des Cénomans, maîtresses de la vallée du Pô. L’an 225, ils
écrasèrent à Télamone, dans une troisième grande
bataille, une horde de Gaulois transalpins; cette dernière victoire permit à
Marcellus de s’emparer de Milan, la ville centrale de la fédération gauloise;
deux nouvelles colonies de vétérans forent alors fondées à Crémone et à
Plaisance.
L’arrivée d’Annibal en Italie offrit aux Gaulois italiens
une occasion favorable de défendre ou de recouvrer leur liberté. Ils unirent
leurs armes à celles des Carthaginois, auxquels ils avaient servi de guides
pour le passage des Alpes, le premier qui eût été entrepris jusque-là par une
armée nombreuse et régulière; il y avait d’ailleurs longtemps que Carthage
recrutait de préférence ses troupes mercenaires parmi leurs compatriotes. Mais
Rome, ayant ruiné Carthage, sortit de la seconde guerre punique plus puissante
que par Je passé, et les Gaulois italiens, réduits à leurs seules forces,
durent, malgré leur résistance héroïque, céder une seconde fois à la discipline
supérieure des légions. Pendant plusieurs années, Rome décréta des levées en
masse et dirigea ses deux armées consulaires dans le nord de la Péninsule. Elle
finit par se rendre entièrement maîtresse de la Cisalpine et des montagnes de
la Ligurie. Elle étendit sa frontière jusqu’au pied des Alpes. Elle força les
tribus gauloises à poser les armes, à s’attacher au sol par la culture, ou à
émigrer; car il parait que quelques bandes remontèrent au nord des montagnes.
Trois nouvelles colonies, fondées ou agrandies à cette époque, Bologne, Parme
et Mutine (ou Modène), assurèrent la conquête, et le pays changea de face si
complètement, qu’on s’est demandé si les vainqueurs n’avaient pas chassé devant
eux toute la population des plaines. Ce qui est certain, c’est que la Gaule
cisalpine devint romaine en fort peu de temps, qu’elle cessa de se distinguer
par aucun caractère essentiel du reste de F Italie, et qu’usant de ses
ressources naturelles, elle présenta bientôt l’aspect d’une des plus riches et
des plus florissantes contrées de l’ancien monde. Les Romains eurent soin
d’assurer cette prospérité en occupant les défilés des Alpes et en fermant
ainsi la Péninsule aux hordes étrangères.
LES GAULOIS EN GRÈCE
Sigovèse, que
la tradition dit avoir été frère de Bellovèse, avait
conduit, de son côté, une nombreuse horde d’émigrants gaulois dans la vallée du
Danube. Les Romains attribuèrent à cette émigration le fait de l’existence dans
la Germanie de plusieurs tribus celtiques, particulièrement des Boïens, qui
habitèrent la Bohème et plus tard la Bavière. Il est plus probable que les
Boïens, comme les Gallaeciens (de la Gallicie au pied des Carpathes), étaient d’anciennes tribus
gaéliques, qui, grâce à leur position montagneuse, avaient résisté
victorieusement à l’invasion des Germains, lorsque ceux-ci avaient rejeté vers
l’ouest la masse des Gaëls. Rien cependant n’empêche d’admettre que le flot,
poussé aux extrémités de l’Europe, n’ait plus d’une fois aussi remonté vers sa
source.
Un fait certain, c’est que quelques tribus gauloises
s’avancèrent par la vallée du Danube et les montagnes illyriennes jusque dans
le voisinage de la Macédoine et des riches Etats de la Grèce. Des Gaulois
combattirent contre Alexandre le Grand, et répondirent à ses menaces qu’ils ne
craignaient qu’une chose au monde, la chute du ciel. Ils se jetèrent à
plusieurs reprises sur les royaumes de ses successeurs. L’an 280, ils tuèrent
dans une bataille Ptolémée Céraunus, roi de
Macédoine. Deux ans après, ils battirent les Grecs et les Macédoniens réunis,
et pénétrèrent au cœur des pays helléniques dans les montagnes de la Phocide,
espérant piller les trésors du temple d’Apollon à Delphes. Us inspirèrent à
leurs ennemis une épouvante dont les historiens grecs de l’époque suivante ont
conservé l’impression. S’il faut les croire, Apollon Delphien dut lui-même
intervenir et défendre son sanctuaire par un orage terrible. La plus grande
partie des assaillants fut écrasée dans les défilés des montagnes, et leur chef
ou Brennus, pour ne pas survivre à ce désastre, se poignarda.
Antigone de Goni et Pyrrhus
repoussèrent deux fois les Gaulois, et réussirent à leur fermer la Grèce, mais
ne cherchèrent pas à les chasser du territoire où ils s’étaient établis, et les
laissèrent maîtres de plusieurs parties de l’Illyrie et de la Thrace. Une tribu
gauloise, celle des Scordisques, qui habitait les
bords de la Save, s’y rendit redoutable jusqu’au temps où ce pays fut occupé
par les Romains. D’autres se mirent à la solde des petits États helléniques des
bords de l’Hellespont, et se firent donner pour prix de leurs services les
provinces de l’Asie Mineure appelées depuis lors Galatie ou Gallo-Grèce. Ces
provinces, situées au centre de la Péninsule et dans la partie montagneuse, formaient
une sorte de camp retranché. Les Gaulois qui s’y établirent purent y conserver
facilement leur caractère national et leurs habitudes guerrières. Ils s’y
maintinrent pendant près d’un siècle, inquiétant les villes du littoral, les
États voisins et même les royaumes de Pergame et des Séleucides. Cependant
Attale, roi de Pergame, les refoula loin de la mer, et les Romains finirent par
les soumettre en Asie, comme ils avaient fait en Europe. L’an 189 avant
Jésus-Christ, le préteur Manlius les défit au cœur
même de leurs montagnes, réduisit en captivité une partie de leur population,
et revint à Rome chargé des couronnes d’or que les villes d’Asie lui envoyèrent
pour reconnaître leur délivrance.
Si, après avoir suivi ces émigrations qui ne donnèrent
naissance à aucun État durable, nous rentrons dans la Gaule, nous y voyons
quelques éléments de civilisation apportés par les Phéniciens, les Grecs, et
plus tard les Romains.
LES PHÉNICIENS DANS LA GAUL
Ce que nous savons des Phéniciens se réduit à peu de
chose. Dès une époque reculée, huit siècles au moins avant l’ère chrétienne,
ils envoyaient des vaisseaux sur toutes les côtes de la Méditerranée. On croit
aussi qu’ils franchirent le détroit de Gibraltar ou les colonnes d’Hercule, et
naviguèrent dans l’Océan, la Manche et la mer du Nord; toutefois ce n’est
qu’une conjecture.
Les anciens attribuaient aux Phéniciens d’avoir visité
les premiers l’intérieur de la Gaule, d’y avoir ouvert des voies de
communication, d’avoir frayé, par exemple, le passage des Alpes. Avant la
seconde guerre punique, il existait une route phénicienne conduisant des Alpes
aux Pyrénées. On prétend qu’ils enseignèrent aux Gaulois la construction des
places fortes. Des érudits ont avancé, toutefois sans preuves certaines, que
c’étaient eux qui avaient bâti la célèbre Alesia, en Bourgogne.
L’Hercule phénicien, dont les historiens grecs ont
raconté les voyages, est la personnification du peuple qui portait ses
divinités avec lui dans ses entreprises lointaines, et qui mettait son commerce
sous un patronage religieux.
Quelques auteurs ont pensé que la religion des Gaulois
pouvait leur être venue de la Phénicie; ils ont cru reconnaître, en s’appuyant
sur l’opinion d’un ancien, Diodore de Sicile, une parenté réelle entre les
divinités gauloises et les divinités phéniciennes. C’est un fait certain que
les peuples de la Gaule eurent des croyances, des traditions et des symboles
d’une origine orientale: la question est de savoir s’ils les apportèrent
directement de l’Asie, ou s’ils les reçurent plus tard des navigateurs et des
commerçants qui les visitèrent. La première de ces deux hypothèses est la plus
probable. Elle n’exclut pas d’ailleurs le fait d’une certaine influence
religieuse exercée par les Phéniciens. Ce peuple était plus civilisé que les
Gaulois; Diodore raconte qu’Hercule fit disparaître sur son passage la coutume
barbare de massacrer les étrangers.
Diodore ajoute que les Phéniciens apprirent aux Gaulois à
se servir des métaux précieux, dont ils ignoraient l’usage. C’est un fait digne
de remarque que l’exploitation des mines ait été l’une des plus anciennes
industries dans tous les pays du monde, leur produit servant d’instrument
nécessaire pour les échanges. On commençait par exploiter la partie
superficielle, où l’extraction présentait plus de facilité, et c’est là ce qui
explique comment certaines mines productives dans l’antiquité ont cessé de
l’être aujourd’hui. Les Phéniciens apprirent aux Gaulois non seulement l’usage
des lingots d’or et d’argent comme valeur représentative, mais encore celui de
la monnaie. Ils leur montrèrent, d’après la même tradition, à forger le fer et
à travailler les différents métaux, travail dans lequel ces derniers acquirent
une certaine habileté. Ils échangeaient contre ces métaux des verroteries, des
armes, des pierres précieuses, et quelques-uns de ces riches tissus aux
teintures éclatantes, dont leur industrie eût à peu près seule le secret dans
l'antiquité.
On voit que l'influence des Phéniciens a été presque
uniquement commerciale, que leur commerce peut être qualifié pour cette période
reculée de commerce de luxe, et qu'il se bornait en général à des objets de peu
de volume, faciles à transporter sur des bâtiments de petite dimension. Les
Phéniciens n'ont fondé aucun établissement important dans les pays celtiques;
ils n'y ont laissé pour tous monuments de leur séjour ou plutôt de leur passage
qu'un petit nombre de tombeaux et d'objets antiques; encore l'attribution qu'on
leur a laite de ces objets est-elle souvent contestable.
MARSEILLE
L’influence grecque, appartenant à des temps plus
historiques et mieux connus, peut être par cette raison mieux appréciée.
Les Rhodiens abordèrent les premiers à l'embouchure du
Rhône, mais ils ne firent que montrer la route aux Phocéens. Ces derniers,
partis de l'Asie Mineure, fondèrent Marseille environ six cents ans avant l'ère
chrétienne. Un de leurs chefs, Euxène, épousa,
suivant une tradition conservée par quelques auteurs, la fille d'un roi du
pays, et reçut pour dot le territoire où la ville fut bâtie. Soixante-cinq ans
après, en 535, les habitants de Phocée, pressés par les armes de Cyrus,
émigrèrent en grand nombre dans leur lointaine colonie, et y portèrent leur
activité et leur génie commercial.
Marseille, après s'être défendue avec succès contre les
attaques des peuples voisins dont elle excitait les jalousies, acquit une
importance très supérieure à celle de toutes les villes bâties par les
Phéniciens sur les côtes européennes de la Méditerranée. Elle fut la rivale de
Carthage; aussi les Romains trouvèrent-ils en elle, dans leur lutte contre la
patrie d'Annibal, une alliée dévouée et active. Peu à peu des villes grecques,
qui étaient probablement des comptoirs marseillais, s'échelonnèrent à l'ouest
et à l'est des bouches du Rhône, depuis Emporiæ (Ampurias) dans la Catalogne, jusqu'à Nice et au port d'Hercule Monoïcos (Monaco). Les principales forent Agatha (Agde), Olbia (Hyères) et Antipolis (Antibes).
Si le commerce de Marseille fut assez puissant pour
triompher des rivalités étrangères et pour assurer à la république un rôle
politique considérable pendant les deux siècles qui précédèrent la conquête
romaine, il n’en demeura pas moins à peu près borné, comme celui des
Phéniciens, à l’industrie des transports maritimes entre les différents ports
de la Méditerranée occidentale. Il est probable que les produits du sol,
marchandises encombrantes pour la marine des anciens, n’étaient pas l’objet
principal de ces transports; d’ailleurs les pays méditerranéens avaient tous à
peu près les mêmes produits, et pouvaient facilement se passer les uns des
autres. On continuait de transporter de préférence les objets de luxe, tels que
les métaux précieux, l’ivoire, peut-être l’encens, et quelques épices. Ces
objets, de peu de volume et d’un grand prix, étaient en rapport avec les
dimensions des navires grecs, navires beaucoup plus petits que les nôtres et
qui marchaient plus à la rame qu’à la voile.
Les Marseillais, successeurs des Phéniciens, exploitèrent
comme eux les mines du centre de la Gaule. Ils remontaient le Rhône et la
Saône, et communiquaient par des routes de mulet avec les vallées de la Loire
et de la Seine. Ils allaient encore chercher à l’embouchure de ces derniers
fleuves les produits tirés de la Grande-Bretagne, l’étain des lies Cassitérides
(Sorlingues ou Cornouailles), des pelleteries, des esclaves, des chiens de
chasse et de combat. Ils échangeaient contre ces produits des tissus de laine,
de l’airain, des métaux ouvrés (armes ou instruments de travail), du verre, du
pastel, plante méridionale dont les Bretons se teignaient le corps. Ce commerce
était en pleine activité dans le siècle qui précéda la conquête romaine. Ses
étapes donnèrent naissance à plusieurs villes, et c’est à lui sans doute qu’il
faut rapporter la formation d’une marine organisée chez les Vénètes, peuple de
l’Armorique, au nord de l’embouchure de la Loire. Les Vénètes sont la seule
nation gauloise chez laquelle les auteurs anciens mentionnent l’existence d’une
telle marine; leurs vaisseaux faisaient communiquer l’Armorique et la Bretagne,
et des monnaies d’un type particulier, également trouvées dans ces deux pays,
prouvent manifestement les relations commerciales qui existaient entre eux.
Des navigateurs phocéens, c’est-à-dire marseillais, Euthymène et Pythéas, entreprirent vers l’an 330 avant
notre ère des voyages d’exploration dans les mers de l’Afrique occidentale et
du nord de l’Europe. Mais nous ne connaissons ces voyages que par des fragments
très incomplets de Pythéas, qui visita une partie des contrées septentrionales.
La constitution de Marseille était républicaine comme
celle de presque tous les États grecs. Le gouvernement y appartenait à un
conseil de six cents membres, élus par les citoyens qui payaient un cens. Ces
six cents choisissaient eux-mêmes dans leur sein un petit conseil et trois
chefs chargés du pouvoir exécutif.
La colonie phocéenne, devenue riche et puissante,
entretenant de fréquentes relations avec la mère patrie, et envoyant tous les
ans des offrandes aux temples helléniques, eut une certaine industrie de luxe
et ce goût des arts qui a partout caractérisé les villes grecques. Elle eut des
philosophes, des lettrés et même des savants. Ses navigateurs possédèrent des
connaissances étendues en géographie et en astronomie. S’il faut en croire
Justin, abréviateur il est vrai d’un historien né à Marseille, Trogue-Pompée,
elle jeta un certain éclat à l’époque où les autres villes helléniques,
asservies par les Romains, virent s’effacer le leur. «Un si grand lustre, dit
Justin, fut répandu sur les hommes et sur les choses, qu’il sembla non pas que
la Grèce eût émigré en Gaule, mais que la Gaule eût émigré en Grèce.» Marseille
continua d’être sous le gouvernement des empereurs une ville littéraire,
célèbre par ses artistes, ses savants, ses sophistes et ses médecins; elle
partageait alors avec Athènes le privilège d’attirer chez elle la jeunesse
romaine qui cherchait à s’instruire. On l’appelait l’Athènes des Gaules.
La civilisation grecque n’a jamais été très expansive;
elle l’a été surtout beaucoup moins que celle de Rome. Les Grecs avaient un
esprit national très étroit; ils méprisaient les autres peuples, les Barbares,
même quand ils s’établissaient au milieu d’eux. Marseille ne s’est pas
distinguée sous ce rapport des autres colonies helléniques; Pendant tout le
temps qui précéda l’arrivée des Romains, elle ne parait avoir fait aucun effort
direct pour civiliser les peuples gaulois qui l’entouraient. Elle y a cependant
contribué indirectement par son commerce, son industrie et ses arts
particuliers.
Les Phocéens passèrent chez les anciens pour avoir
introduit dans les Gaules la vigne et l’olivier. On peut contester le fait. Il
n’en est pas moins certain qu’ils apportèrent avec eux les procédés de leur
agriculture et de leur industrie, déjà florissantes dans l’Asie Mineure. En
même temps, le commerce marseillais ne put sillonner les différentes routes de
la Gaule sans laisser dans plusieurs cantons des traces manifestes de son
passage. On trouvait au premier siècle de notre ère une population d’origine
grecque répandue sur tous les bords du Rhône. On croit qu’il existait une
colonie grecque à Lyon avant la colonie romaine que Plancus y établit; dans
tous les cas les Grecs de cette dernière ville furent assez nombreux pour qu’on
célébrât des jeux littéraires dans leur langue, et ce furent eux qui servirent
dans la Gaule d’introducteurs au Christianisme.
La langue grecque était répandue chez les Gaulois; ils
s’en servaient pour écrire les contrats. Elle a été parlée longtemps autour de
Marseille. Elle a contribué, plus directement qu’on ne pense, à former
non-seulement l’idiome provençal, mais encore le français moderne. Une partie
de nos anciens termes de marine et de commerce en dérivent sans intermédiaires.
Les Gaulois empruntèrent aussi aux Grecs leur alphabet.
Anciennement ils n’écrivaient rien. Pas un des monuments celtiques qui nous
restent n’offre la trace d’une inscription indigène. Les plus anciennes
inscriptions de la Gaule sont grecques ou romaines. César nous apprend que les
Helvètes employaient les caractères grecs pour écrire dans leur langue leurs
actes publics ou le dénombrement de leurs tribus. Ils faisaient usage de ces
mêmes caractères pour les légendes qu’ils gravaient sur leurs médailles, avant
qu’ils se servissent des caractères latins. En général ces médailles, dont il
reste un grand nombre et sur lesquelles on a retrouvé les noms des chefs que
César eut à combattre, reproduisent les types de divinités grecques. Enfin tous
les objets antiques de provenance gauloise antérieurs à l’époque romaine
présentent une imitation évidente de l’art hellénique.
Cette influence littéraire et artistique de la Grèce
marque une époque importante dans l’histoire de la civilisation des peuples
gaéliques. Quelque haute idée qu’on se fasse de l’antiquité et de l’étendue de
cette civilisation, le fait que les Gaulois empruntèrent aux Grecs leur
alphabet et même leur langue, constitue à leur égard une infériorité manifeste.
Primitivement ils purent avoir des chants nationaux, c’est-à-dire la poésie des
temps barbares, mais cette poésie n’a laissé qu’un souvenir traditionnel et
point de monuments. Rien n’est arrivé jusqu’à nous, ni des chants des bardes,
ni des poèmes druidiques, qui se transmettaient par la mémoire seule. La langue
celtique ne devint une langue écrite que très-tard. Aucun des textes que nous
avons encore et qui lui appartiennent, n’est antérieur à la conquête romaine et
à Père chrétienne.
|