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HISTOIRE DE FRANCEdepuis les origines jusqu'à la revolution
LIVRE DEUXIÈME .CONQUÊTE DE LA GAULE PAR LES ROMAINS.
Les Phéniciens et les Grecs, peuples commerçants,
s’étaient à peu près bornés à fonder des établissements sur les côtes de la
Gaule. Les Romains, puissance militaire, firent davantage. Ils commencèrent par
aider le développement de Marseille, qui était leur alliée, et dont l'influence
ouvrit, en s’étendant, la voie à leurs conquêtes. Devenus ensuite maîtres de
tout le pays, ils entreprirent de se l'assimiler, et ils poussèrent cette
assimilation si loin, que les peuples gaéliques, confondus dans la grande unité
romaine, finirent par perdre presque tous leurs caractères distinctifs. Rome et
les Césars ont frappé la Gaule d’une empreinte que les siècles n’ont pu
effacer.
Déjà, au temps des guerres puniques, deux siècles avant
l’ère chrétienne, Rome possédait le gouvernement le plus fort de l’antiquité.
Ses institutions militaires étaient arrivées à un haut degré de supériorité et
même de perfection. Elle avait conquis l’Italie centrale et méridionale; elle
en avait dompté les tribus les plus rebelles; la Péninsule était couverte de
ses colonies. Après les triomphes remportés sur les Carthaginois et les Grecs,
c’est-à-dire sur des nations commerçantes et riches, la république éprouva une
transformation rapide. La simplicité primitive de la ville de Mars, son antique
pauvreté, ses mœurs d’une rudesse énergique, firent place à des goûts opulents,
au luxe public et privé. Le progrès de la littérature latine, qui se développa
tout à coup et presque sans préparation, peut servir de mesure à celui de la
civilisation romaine. Cette révolution, tout en altérant profondément le
caractère du peuple qui devint le peuple roi, augmenta ses ressources, sa
richesse, sa puissance, et lui permit, après la conquête de l’Italie, d’aspirer
à celle du monde.
Le Sénat, qui voyait les barbares à ses portes, fut
obligé, par l’intérêt même de sa défense, de les attaquer, de les dompter et de
les assimiler aux autres populations romaines. Il occupa la Cisalpine pour
opposer la barrière des Alpes aux invasions. Ensuite il jugea cette barrière
insuffisante, et la fit franchir aux légions, qui, par un enchaînement naturel
d'événements, pénétrèrent bientôt au cœur de la Gaule.
L'an 154 avant Jésus-Christ, Marseille, en guerre avec
des tribus liguriennes de son voisinage, appela les Romains à son secours. Ils
passèrent les Alpes pour la première fois, battirent ces tribus, et leur
enlevèrent quelques terres qu’ils donnèrent aux Marseillais. Trente ans après,
ils furent invités de la même manière à repousser les attaques des Salyens ou Salluviens, le plus considérable des peuples gaulois
habitant entre le Rhône et les Alpes. Les consuls Fulvius,
en 125, et Sextius, en 123, remportèrent sur ce nouvel ennemi deux victoires
faciles. Sextius le dépouilla d'une partie de son territoire, et se réservant
la place ou il avait combattu, y établit, près d'une source thermale, la
première station militaire des Romains dans la Gaule. Il bâtit Aquae-Sextiae, Aix, qui devint une colonie.
Les Allobroges (entre l’Isère et le Rhône) et les
Arvernes (Auvergne), peuples montagnards, belliqueux, et placés chacun à la
tête d'une ligue particulière, s'unirent pour renverser l'établissement que
Sextius avait fondé. Les Arvernes surtout étaient puissants; leurs chefs
devaient à l’exploitation des mines des Cévennes des richesses devenues
proverbiales, et se paraient avec ostentation d'ornements d'or et d'argent. Des
députés allèrent à Rome demander que les terres enlevées aux Salyens leur
fussent restituées. Les Romains, appuyés d’ailleurs par l'alliance d'un autre
peuple gaulois, les Éduens (bourgogne), répondirent par une déclaration de
guerre.
Les consuls Domitius et Fabius marchèrent successivement
contre la confédération des Arvernes et des Allobroges, qui fut défaite dans
deux batailles sur les bords du Rhône, la première, en 122, à Vindalium, près de la jonction de la Sorgue, et la seconde,
en 121, près de l'embouchure de l'Isère. Les bandes ennemies ne purent, malgré
leur nombre, tenir contre la discipline des légions. Elles leur opposèrent
inutilement des lignes de chars de guerre qui furent rompues, et des meutes de
chiens dressés pour le combat, qui furent écrasés par les éléphants. Les
vainqueurs laissèrent aux Arvernes leur indépendance, mais réduisirent à l’état
de tributaires et de sujets les Allobroges et les petits peuples situés en deçà
du Rhône. Ils formèrent de cette manière, sur le versant occidental des Alpes,
une première province, comprenant la Provence et le Dauphiné actuel, sauf les
territoires qui appartenaient aux Marseillais.»
FORMATION DE LA PROVINCE ROMAINE.
Cette province s’agrandit presque aussitôt. Le Sénat
voulut assurer ses communications avec l’Espagne, dont la conquête était
achevée depuis peu de temps, et avec laquelle il ne pouvait entretenir encore
que des relations maritimes. Il n’était pas certain de demeurer toujours maître
de la mer. Il résolut de s’ouvrir une route de terre entre les Alpes et les
Pyrénées. Le consul Marcius, envoyé dans ce but
au-delà du Rhône, fonda, l’an 118, la colonie de Narbonne, qui fut peuplée de
vétérans, destinée à protéger une route militaire, et à devenir, comme
l’appelle Cicéron, une sentinelle et une forteresse du peuple romain dans ces
contrées. On incorpora à la province tout le pays qui s’étend sur le versant
méridional des Cévennes, depuis ces montagnes jusqu'à la Méditerranée
(Languedoc actuel). On donna aux peuples de ce pays, aux Helviens et aux Volques Arecomiques, le titre de fédérés,
qui devait déguiser leur sujétion. La province fut appelée Narbonnaise, du nom
de Narbonne, sa métropole. Toulouse, célèbre par ses temples où les Gaulois
entassaient l’or qu’ils consacraient à leurs dieux, entra dans l’alliance de la
république; quelques années après, un soulèvement offrit au consul Cépion l’occasion de lui enlever son indépendance.
Ces premiers établissements étaient à peine créés,
lorsque parurent, l’an 113, les Cimbres et les Teutons, que les historiens
romains représentent comme innombrables. On croit les Cimbres de la même race
que les Kymris de la Gaule; les Teutons appartenaient à la famille tudesque ou
germanique. Comme on ignore la raison qui mit ces hordes en mouvement, on a
pensé que les Romains, en pénétrant dans les vallées du Norique, et en rejetant
les peuples de la Germanie les uns sur les autres, pouvaient avoir été la cause
involontaire de cette grande émigration. Quoi qu’il en soit, les barbares,
après avoir erré ou séjourné quelque temps dans les pays d’outre-Rhin,
franchirent le fleuve et vinrent chercher des terres au cœur de la Gaule. On
les voyait s’avancer, les uns à pied, les autres sur des chariots, traînant
avec eux une longue suite de femmes, d’enfants et d’animaux domestiques.
Repoussés par les Belges qui ne laissèrent pas entamer leur territoire, ils se
dirigèrent vers le centre où ils promenèrent leurs ravages; ils battirent les
Arvernes affaiblis par les victoires récentes des Romains, puis attaquèrent la
province elle-même. Chemin faisant, leurs rangs se grossissaient d’aventuriers
de toute origine. Plusieurs tribus, dont ils avaient détruit les ressources, se
joignirent à eux. Trois peuples helvétiques, les Tirgurins,
les Tughènes et les Ambrons (Zurich, Zug), les suivirent. L’effroi fut général. Les populations
prenaient la fuite à leur approche ou s’enfermaient dans les enceintes
fortifiées, et y attendaient que le torrent dévastateur eût passé, laissant
après lui la désolation et la famine. César prétend que des nations gauloises
furent réduites à manger leurs vieillards.
Quand les Barbares ne trouvèrent plus à subsister, ils
demandèrent à la république de leur donner des terres, offrant en retour de
combattre pour elle. Plus tard, les Romains accueillirent favorablement les
propositions de ce genre, et firent même, sur cette base, des traités
systématiques avec les Germains. Mais alors ils répondirent par un refus. Les
Germains étaient pour eux une race nouvelle qu’ils connaissaient depuis peu de
temps; c’était la première fois qu’ils se trouvaient en présence de populations
errantes prétendant leur foire la loi. Comme ils s’attribuaient une immense
supériorité sur les Barbares nomades, ils crurent leur orgueil et la sûreté de
leur établissement dans la Gaule méridionale intéressés à ne faire aucune
concession.
Les Teutons, ne pouvant vivre qu’à la condition d’avoir
des terres, résolurent d’enlever par la force celles qu’on leur refusait. Us
entrèrent dans la province, et y défirent sur les bords du Rhône plusieurs
armées consulaires, entre autres, l’an 105, celle de Manlius et de Cépion. Suivant les historiens latins, la
dernière de ces défaites coûta aux Romains quatre-vingt mille hommes; les uns
tués sur le champ de bataille, les autres égorgés de sang-froid après le combat
ou précipités dans le fleuve par les vainqueurs. Ces chiffres, d’une
exagération évidente, comme presque tous ceux que les anciens nous ont laissés,
au moins pour les batailles livrées dans la Gaule, prouvent du moins que ces
batailles forent très-sanglantes; Les Tentons étaient belliqueux et bien armés.
Outre leurs armes offensives pareilles à celles des Gaulois, comme des épées,
des sabres, des épieux ou des traits qu’on appelait materis,
ils portaient des armes défensives, c’est-à-dire des boucliers étroits et
longs, et même des casques et des armures. D’ailleurs, après une victoire, ils
ne gardaient pas leurs prisonniers, qu’ils n’auraient pu nourrir; ils les
massacraient.
BATAILLE DE MARIUS ET DE TEUTONS
La plus grande difficulté pour de pareils peuples n’était
pas de vaincre, mais de tirer parti de leurs victoires, surtout quand ils
avaient affaire à une nation telle que les Romains. Aussi, quoiqu’ils eussent
franchi le Rhône, et qu’ils fussent entrés sur le territoire de la nouvelle
province, ne pénétrèrent-ils pas bien avant. Obligés de se diviser sans cesse
pour vivre, ils formèrent deux groupes principaux, dont Fun, celui des Teutons,
resta dans la Gaule, tandis que l’autre, celui des Cimbres, se dirigea sur les
vallées qui descendent dans la haute Italie.
Marius venait alors, de terminer la guerre de Jugurtha.
Le vainqueur de l’Afrique parut au Sénat le seul homme capable de commander les
légions en face de pareils ennemis. Il fut perpétué trois ans dans le consulat,
et il mit à profit ces trois ans, pendant lesquels les Barbares n’osèrent
l’attaquer, pour exercer ses soldats et les préparer à vaincre. Il leur fit
creuser un canal depuis Arles, où était son camp, jusqu’à la mer, afin
d’assurer ses communications avec Marseille. Le soldat romain, qui ne campait
jamais qu’après s’être retranché, était habitué à tous les genres de travaux,
particulièrement à ceux de la terre. Il fallait d’ailleurs qu’il eût et qu’il
développât continuellement une force physique bien plus nécessaire dans les
guerres antiques que dans celles d’aujourd’hui. Quand le canal d’Arles fut
achevé, Marius livra aux Teutons, l’an 102, entre Aix et le Rhône, la plus
terrible peut-être des batailles de l’antiquité. Les Romains et les Barbares
s’entrégorgèrent durant un jour; puis la mêlée, interrompue le lendemain,
recommença le troisième jour avec un nouvel acharnement. La horde fut détruite;
les Teutons se faisaient tuer ou s’entretuaient eux-mêmes pour ne pas tomber en
captivité: c’est ce qui explique les chiffres fabuleux auxquels les historiens
latins évaluent leurs pertes. On en prit cependant un certain nombre qui furent
enchaînés et vendus comme esclaves sur les marchés de la Gaule et de l’Italie.
Le peu qui échappa fut dispersé et cessa d’exister comme nation. On croit que
l’arc de triomphe d’Orange fut élevé en l’honneur de Marius et pour perpétuer
le souvenir de sa victoire. L’année suivante, Marius extermina tes Cimbres à
Verceil; on l’appela dès lors le sauveur et le troisième fondateur de Rome.
L’existence de la province était doublement assurée. Rome
avait appris aux peuples gaulois que ses armes pouvaient repousser les Barbares
et arrêter les invasions. Elle n’eut plus à combattre que les soulèvements
intérieurs. Non que le joug romain fût en soi bien rigoureux. Généralement le
Sénat laissait aux tribus indigènes l’autonomie, c’est-à-dire la faculté de se
gouverner elles-mêmes, et la propriété de leur sol; il se bornait à les
soumettre au payement d’un impôt. Mais les gouverneurs étaient durs, avides,
cruels, et à peu près sûrs de l’impunité. De là des soulèvements nombreux, que
les guerres civiles de la république encouragèrent, et qui furent punis par les
mesures les plus rigoureuses, comme des réquisitions d’armes et de blé, ou des
confiscations territoriales. Les terres confisquées étaient distribuées aux
Marseillais et aux légionnaires, quelquefois vendues à vil prix. On supprima
l’autonomie dans quelques cas particuliers. Les habitants de Toulouse perdirent
la leur et reçurent une colonie dans leurs murs. Toutefois ces agitations et
ces châtiments n’empêchèrent pas la province de prospérer et de prendre un
nouvel aspect.
La sécurité établie par les légions et la création de
nouveaux marchés engagèrent les tribus limitrophes, en remontant des Cévennes
aux bords du Rhône supérieur, à rechercher l’alliance de la république; un
commerce régulier s’organisa entre ces tribus et le territoire romain. Cicéron
peint la province livrée aux spéculateurs qui venaient d’Italie exploiter son
sol, le mettre en culture, y élever des constructions, s’emparer de son
commerce. «Les Gaulois, dit-il, ne font point d’affaires sans nous; nous sommes
leurs banquiers, leurs bailleurs de fonds; tout l’argent qui circule chez eux
est dans nos mains.»
Les Romains entreprenaient alors une grande oeuvre de colonisation. Il est difficile de croire qu’ils
n’eussent pas à cet égard quelques idées arrêtées, et qu’ils ne vissent pas dans la Gaule méridionale un champ ouvert, où
la population pauvre de Rome et de l’Italie devait trouver des terres et du
travail, la république un accroissement de richesse. Nul autre pays ne
présentait, par sa position, par son voisinage, par son climat si semblable à
celui de la Péninsule, des conditions plus favorables. Le résultat même fut si
complet qu’un demi-siècle suffit pour opérer la transformation de la
Narbonnaise. Malheureusement nous connaissons d’une manière très imparfaite les
moyens que les Romains employèrent. Tout ce que nous savons se borne à deux
choses: l’une, que l’occupation resta longtemps militaire, l’autre, que
l’administration fut pleine des abus les plus odieux. Fontéius,
un des gouverneurs, fut accusé devant le Sénat d’avoir dilapidé les revenus de
la province, et créé des monopoles pour son compte personnel. Cicéron composa
pour le défendre un plaidoyer célèbre. Or, ce plaidoyer nous montre que les
gouverneurs avaient un pouvoir discrétionnaire à peu près illimité, et que si
Rome était disposée à recevoir quelquefois les plaintes de ses colons, c’est-à-dire
de ses propres citoyens, elle l’était infiniment moins à admettre celles des
Barbares devenus ses sujets.
Les limites septentrionales de l’occupation restèrent les
mêmes pendant un demi-siècle, depuis la guerre des Teutons jusqu’à l’an 58
avant Jésus-Christ. Mais ce temps, utilement employé pour la colonisation de la
province, ne fut pas perdu non plus pour le progrès de l’influence romaine au
nord du Rhône et des Cévennes. Les marchands romains pénétrèrent dans le centre
de la Gaule, et y établirent des comptoirs à Genabum et Corbilo sur la Loire (Orléans, Nantes). Ils ne firent, suivant toute apparence, que
s’associer au commerce des Marseillais, et lui donner plus d’extension, car la
prospérité de Marseille alla croissant.
Plusieurs peuples libres, comme les Éduens, les Arvernes,
les Séquanes, empruntèrent à la république une partie de ses usages ou même de
ses institutions. C’est ainsi qu’ils frappèrent des médailles dont le type
était le même que celui de ses monnaies. Les Éduens, puissants par la position
centrale et naturellement forte qu’ils occupaient entre la Saône et la Loire,
entre les routes du Midi et celles du Nord, mirent à profit leur titre de
frères et alliés du peuple romain pour étendre leur autorité sur les
populations plus barbares qui habitaient du côté de l’Océan et de la Manche.
L’influence des maîtres de la Narbonnaise, secondée par l’alliance éduenne, fit
de si grands progrès dans toute la Gaule demeurée libre, qu’au temps de César
il existait au sein de chaque nation une faction qu’ils avaient gagnée, et des
chefs élevés à Rome. Certaines parties du pays étaient romaines à demi, ou du
moins prêtes à le devenir, lorsque le conquérant commença cette guerre savante
qui devait en achever la soumission en huit campagnes.
Suétone a soutenu que César avait entrepris la conquête
de la Gaule pour se faire une armée à lui, et remporter des triomphes qui lui
permissent de prétendre au pouvoir souverain. Tous les historiens ont répété à
l’envi cette assertion, qui fait peut-être, comme toutes les explications
données après coup, une bien grande part à la prévoyance humaine. Ne
suffisait-il pas que le proconsulat de la Gaule fût pour César la position la
plus considérable que la république pût lui donner? Il était chargé de défendre
la province, de régler les différends des tribus en rapport avec Rome, et de
protéger les intérêts du commerce romain. Or, Rome ne pouvait se borner
longtemps à une occupation restreinte du pays au-delà des Alpes. Elle était
appelée, comme plus tard l’ont été les Anglais dans les Indes et les Français
en Algérie, à étendre tous les jours son protectorat au-delà de sa frontière.
Elle était forcée de prendre part aux luttes des peuples gaulois les uns contre
les autres, luttes qui menaçaient la sûreté de sa colonisation. Il est
difficile de croire, quoique César ne l’ait pas dit, que la pensée de faire
dans la Gaule des conquêtes nouvelles et plus ou moins nécessaires eût échappé
à la politique clairvoyante du sénat.
Les circonstances, sans doute habilement ménagées,
étaient alors des plus favorables. Tous les peuples du centre étaient troublés
par des révolutions. Bien que les Commentaires ne mentionnent ces révolutions
qu’en passant, on y voit qu’en l’an 59, Orgétorix conspirait pour s’emparer du pouvoir chez les Helvètes; que Dubnorix ou Dumnorix en faisait autant chez les Ëduens; que Geltill, père de
Vercingétorix, ayant échoué dans une tentative semblable chez les Arvernes,
avait subi le supplice du feu. César atteste l’impuissance à laquelle les
druides étaient réduits, en présence des changements que le contact des Romains
apportait dans les institutions et les mœurs du pays.
ARIOVISTE ET LES SUÈVES
L’occasion d’exercer une intervention armée se présenta
d’elle-même en 58. La Gaule fut menacée d’une double invasion, au centre, par
les Helvètes, et un peu plus au nord par les Suèves, nation ou fédération
germanique. Les Romains, qui avaient toujours évité de prendre l’offensive
vis-à-vis des peuples gaulois, qui s’étaient à peu près contentés jusque-là de
repousser des agressions, et n’avaient occupé de territoires que lorsqu’ils
avaient eu à infliger des châtiments, ne renoncèrent pas à cette attitude
prudente. César se présenta, non en conquérant, mais en protecteur.
Deux tribus originaires d’outre Rhin, les Atuatiques (Namur) et les Tongres (Maastricht, Tongres),
étaient établies depuis peu de temps sur les bords de la Meuse; la première
passait pour un débris de la grande nation des Cimbres. Tout porte à croire que
les Triboques, les Némètes,
les Vangions, qui étaient de race teutonique,
occupaient déjà une partie de la vallée du Rhin. Les Germains avaient donc pris
pied dans le nord de la Gaule, et ils songeaient à la conquérir. Ce nom de
Germains se rencontre alors dans l’histoire pour la première fois; il
désignait, suivant toute apparence, les guerriers d’Arioviste (wehrmann, homme de guerre); les Romains en firent un
nom générique qu’ils étendirent à tous les peuples de race teutonique.
Les Suèves formaient une fédération de cent tribus, dont
chacune pouvait mettre sur pied mille hommes armés. Ces mille hommes armés
représentaient une moitié de la population mâle; l’autre moitié cultivait la
terre et soignait les troupeaux pour fournir à la subsistance commune. Chaque
année les rôles changeaient; les hommes qui avaient porté les armes les
quittaient pour reprendre les travaux agricoles, et réciproquement. On faisait
un nouveau partage du sol entre les chefs de famille, sans que nul pût habiter
la même tente ou la même cabane plus de douze mois. Telle était l’organisation
de ces peuples, qui semblait faite pour l’émigration ou pour la conquête. Il
est probable que les Gaulois avaient été anciennement ce qu’étaient alors les
Germains; Strabon le dit d’ailleurs en termes formels.
Le roi des Suèves, Arioviste, comptait profiter des
divisions des peuples gaulois. Il avait joint ses fonces à celles des Séquanes
contre les Éduens, alliés de Rome. Ces deux peuples se querellaient pour des
péages établis sur la Saône, dont le cours séparait leurs territoires.
Arioviste, uni aux Séquanes, battit les Éduens à Magetobriga (la motte de Broyé), près du confluent de l’Oignon et de la Saône, obligea les
vaincus à entrer dans la clientèle de leurs rivaux, à leur payer tribut, et à
lui remettre des otages. Il se fit ensuite payer par les Séquanes le service
qu’il venait de leur rendre, en exigeant d’eux la cession d’un tiers de leurs
terres. Il eut, suivant César, l’ambition d’étendre son empire jusqu’aux bords
de l’Océan. Instruit des troubles intérieurs de la république, il ne croyait
pas que les Romains pussent lui faire obstacle.
Au moment où les Éduens venaient d’être battus, malgré
leur titre d’alliés de Rome, par les Séquanes et les Suèves, ils se virent
encore menacés par les Helvètes, dont la population entière, au nombre de trois
cent soixante-dix mille personnes, descendant de ses montagnes comme une
avalanche, voulut se frayer, les armes à la main, un passage sur leur
territoire. Les Helvètes, peuple pauvre, habitant sous un rude climat, et le
premier exposé au choc des invasions germaniques, avaient pris la résolution
d’émigrer en masse, et de marcher vers l’ouest pour conquérir au bord de
l’Océan des terres mieux abritées contre ces invasions. Il n’est pas douteux
que leur mise en mouvement ne fût une suite de l’ébranlement produit par les
conquêtes d’Arioviste.
PREMIÈRE CAMPAGNE DE CÉSAR
César fait un tableau curieux de leur émigration. Il les
représente brûlant leurs cabanes et leurs grains pour s’ôter tout espoir de
retour dans la patrie qu’ils abandonnaient, traînant de nombreuses troupes de
femmes, d’enfants et de vieillards, poussant devant eux leur bétail, et
conduisant de longs chariots, véritables demeures roulantes, enfin marchant
armés et prêts aux combats, auxquels les femmes prenaient part aussi bien que
le§ hommes. Un fait qui n’est pas moins remarquable, c’est que les Éduens
agitèrent à leur tour la pensée d’une émigration générale, seule ressource
peut-être qui leur fût restée, s’ils n’eussent eu pour soutenir la lutte les
armes du proconsul.
Les Helvètes sortirent de leurs montagnes en suivant la
vallée du Rhône à partir de Genève, c’est-à-dire en longeant la frontière de la
province. César leur ferma le passage par un retranchement ou rempart fortifié,
construit un peu au-dessous de cette ville, entre le fleuve et les montagnes
qui s’en rapprochent. De cette manière il les rejeta sur les défilés du Jura.
Les Séquanes, au lieu de fermer ces défilés, ce qui eût été facile, les
ouvrirent, et laissèrent à la horde émigrante la route libre pour gagner le
territoire des Éduens. Ceux-ci implorèrent en toute hâte les secours du
proconsul. César courut sur les bords de la Saône. Trois des quatre tribus
helvétiques avaient déjà franchi la rivière; il n’atteignit que la quatrième,
celle des Tigurins (Zurich); il la mit en déroute
avant qu’elle eût effectué le passage. Puis il poursuivit de l’autre côté de la
Saône le reste des émigrants, qui s’étaient enfoncés au milieu des coteaux du
pays éduen. Les Helvètes espéraient sans doute que les Romains n’oseraient
s’éloigner de la rivière, dont la batellerie servait à les approvisionner. Mais
César, hâtant sa marche, joignit bien vite un ennemi embarrassé par sa
multitude même et par l’immense quantité de chariots qu’il traînait. Il le
surprit à peu de distance d’Autun, et engagea un combat très meurtrier qui dura
huit heures. Les Romains mettaient à profit dans les batailles rangées la
supériorité de leurs armes et de leur tactique, quoique les Gaulois leur
eussent emprunté une partie de leurs usages militaires. Ils avaient également
la certitude, une fois la bataille gagnée, de forcer des adversaires qui ne
savaient se retrancher que derrière un rempart de chariots. Les Helvètes furent
complètement défaits; ils laissèrent un grand nombre de captifs aux mains des
vainqueurs, et durent reprendre en hâte le chemin de leurs montagnes qu’ils
avaient juré de ne jamais revoir. Le recensement fait au départ avait donné le
chiffre de trois cent soixante-dix mille personnes; on n’en compta au retour
que cent dix mille. «César, dit Florus, chassa devant lui les Helvètes comme un
berger fait rentrer dans son bercail un troupeau dispersé.»
Ce premier péril repoussé, il en restait un second plus
sérieux encore, c’était Arioviste et les Suèves. Il n’était bruit que de la
barbarie et de la férocité des soldats germains, qui se vantaient de n’avoir
pas couché sous un toit depuis quatorze ans. Les peuples de la Gaule centrale
se réunirent pour implorer de nouveau le secours de Rome; les Éduens se firent
les interprètes de ces craintes; les Séquanes eux-mêmes s’associèrent à ces sollicitations
pour se délivrer du maître qu’ils s’étaient donné.
César exigea qu’Arioviste renonçât à tout nouvel
établissement de Germains dans la Gaule. Arioviste refusa, déclarant qu’il
voulait avoir sa province dans le Nord, comme les Romains avaient la leur dans
le Midi. Le proconsul partit aussitôt, atteignit en quelques marches rapides la
forte place de Vesontio, ou Besançon, capitale
des Séquanes, et, triomphant de l’effroi qu’inspirait à ses troupes une
campagne entreprise contre un tel ennemi dans un pays de montagnes et de forêts
inconnues, il s’avança jusque dans la vallée du Rhin. Là il livra aux Suèves,
près de Béfort, une bataille dont le succès devait
les repousser au-delà du fleuve. Il mit leur armée en pleine déroute, et les
força de regagner la Germanie dans le plus affreux désordre. Il n’entrepôt
pourtant pas de les anéantir; car il ne voulait rien livrer au hasard.
Peut-être espérait-il trouver un jour chez les Germains des auxiliaires utiles
et aguerris, contre les Gaulois que la nécessité avait jetés dans 6on alliance,
mais qu'il savait être des alliés douteux et jaloux de leur libérateur.
César dut assigner des quartiers d’hiver aux légions hors
de la province, sur le territoire des Éduens, à portée du théâtre des derniers
événements. Ce territoire fut soumis à de nombreuses réquisitions. Les Gaulois
mécontents commencèrent à regarder leur protecteur comme un maître. Les
factions opposées aux Romains s’agitèrent de tous côtés. Les peuples belges,
les plus indépendants par leur position, et les mains travaillés par les agents
de la république, commencèrent à se croire menacés. Ils préparèrent une levée
de boucliers pour le printemps de l’an 57, et formèrent une vaste coalition qui
mit sur pied près de trois cent mille hommes. De telles masses ne devaient
pourtant triompher ni de la discipline ni de la tactique des Légionnaires.
César avait des intelligences chez les Rèmes (peuple de Reims), qui portaient le titre de fédérés.
Il était sûr de trouver chez eux des vivres et des ressources. Il établit un
camp sur les bords de l’Aisne, et s’y fortifia. Un camp retranché, comme les
Romains savaient les faire, situé dans un lieu favorable et bien approvisionné,
était à peu près imprenable pour des barbares, quelque fût leur nombre. Le
proconsul, enfermé dans ses lignes de l’Aisne, y repoussa tous les assauts des
Belges, et dissipa facilement une coalition qui, par la manière même dont elle
était composée, et par la multitude d’hommes qu’elle avait mis en campagne, ne
pouvait longtemps demeurer unie.
Marchant ensuite vers le nord, il poursuivit sur leurs
propres territoires les différents peuples qui en avaient fait partie, et
pénétra dans les immenses forêts qui couvraient les bords de la Sambre. Ces
forêts servaient de retraite aux Nerviens, l’une des plus belliqueuses tribus
de la Belgique. Ces Nerviens, pour mieux conserver leur vigueur et leur
renommée, refusaient d’admettre chez eux les marchands étrangers et de recevoir
le vin et les objets de luxe recherchés des antres Barbares. Le nord de la
Gaule était encore à peu près sauvage; on n’y rencontrait plus, à partir de
Reims, ni routes, ni villes, ni traces de culture, de loin en loin seulement
des places fortes qui servaient de lieux de refuge. Les Romains furent obligés
d’avancer dans les forêts de la Sambre la hache à la main, On était dans la
saison des pluies, et des lies formées par de vastes marais offraient aux
indigènes un asile difficilement pénétrable. César parvint cependant à les
atteindre. U trouva les Nerviens renforcés parles Atrébates et les Véromanduens (Hainaut, Artois et Vermandois). Surpris un
instant, près de Maubeuge, par ces peuples qui se jetèrent sur lui avec une
extrême furie, il leur livra un combat sanglant, où il paya de sa personne pour
ramener à la charge ses légions ébranlées. Les Nerviens se firent tailler en
pièces, et ne se décidèrent à poser les armes qu’après avoir constaté que de
leurs six cents chefs ou sénateurs, trois seulement restaient vivants.
CAMPAGNES DE CÉSAR
Plusieurs places fortes de la Belgique, Noviodunum
(Noyon), Brataspantium (ancienne ville près de
Breteuil), Atuaticum (Namor),
se rendirent aux Romains durant cette campagne. La défaite des Nerviens
entraîna la soumission de tout le Nord et celle des peuples riverains de la
Manche jusqu’à l’extrémité de l’Armorique. César, pour ne pas trop s’éloigner,
établit les quartiers d’hiver de ses légions sur les bords de la Loire, chez
les Andes, les Carnutes et les Tarons (Angers, Chartres, Orléans et Tours).
Strabon remarque avec raison que si les Gaules furent
promptement soumises, ce fut parce que les peuples y résistèrent par grandes
masses, jouant leur destinée sur le succès d’une campagne, ou même d’un simple
combat.
La troisième année, 56, les Venètes (Vannes) se saisirent d’envoyés romains qui étaient venus leur demander des
subsistances pour les légions cantonnées sur la Loire. Puissants par leur marine,
ils se confiaient dans la situation de leur pays, dont l’accès était difficile,
et dans l’avantage qu’offraient leurs places fortes d’être défendues par le
flux et le reflux de l’Océan. Ils entraînèrent quelques-uns des peuples
voisins, et formèrent une ligue dans laquelle entrèrent tous les riverains de
l’Océan et de la Manche depuis l’embouchure de la Loire jusqu’à celle de
l’Escaut. Us tirèrent aussi des auxiliaires de la Grande-Bretagne, avec
laquelle ils entretenaient des relations de commerce régulières.
César donna immédiatement l’ordre de saisir tous les
navires gaulois qu’on put trouver dans les ports de l’Océan, fit construire en
même temps des vaisseaux sur la Loire, et équipa de cette manière une flotte
qu’il chargea un de ses lieutenants de conduire en face de Vannes, tandis qu’il
marchait lui-même par la route de terre. L’entreprise présenta de grandes
difficultés. Les positions des Venètes étaient
presque inabordables du côté de la terre. Sur mer, ils manœuvraient deux cent
vingt grands navires élevés, mais à fond plat, propres à naviguer dans les eaux
basses du Morbihan. Les Romains finirent par trouver le moyen d’approcher de
ces navires, d’en faucher les câbles et d’en arrêter la marche; dès lors ils
purent les escalader et s’en rendre maîtres. Un jour de combat leur suffit pour
détruire la flotte gauloise. Ce triomphe amena promptement la fin de la guerre,
César fit passer les chefs des Venètes au fil de
l’épée, et vendre comme esclave le reste de la population; il voulait effrayer
par un grand exemple ceux qui seraient tentés de les imiter. Il avait déjà
châtié de la même manière quelques-uns des peuples de la Belgique.
D’autres rébellions, qui avaient eu lieu pendant cette
campagne, sur les bords de la Manche, dans les Alpes, dans l’Aquitaine, furent
comprimées par ses lieutenants.
La quatrième année, 55, César marcha contre les tribus
germaniques des Usipètes et des Tencthères qui cherchaient à établir entre le
Bas-Rhin et le pays des Trévires, tribus nombreuses que les commentaires
portent au chiffre, d’ailleurs probablement exagéré, de quatre cent mille
têtes. On pouvait craindre que les Gaulois ne s’unissent à elles contre Rome.
César prévint le danger. Il trompa les Usipètes et les Tencthères par un
semblant de négociations, les surprit, s’empara de leurs chefs, contrairement à
tout droit des gens, et n’eut ensuite aucune peine à dissiper une multitude
abandonnée à elle-même. Il résolut alors de passer le Rhin sur un pont de
bateaux, qu’il fit construire en dix jours près de Cologne, pour intimider la
Germanie par la vue des aigles. Il voulait prouver aux Gaulois que sa
protection était sûre, et aux Germains que Rome saurait les poursuivre jusque
chez eux. Cependant il ne s’arrêta que dix-huit jours au-delà du fleuve; il
laissa l’ennemi fuir à son approche dans l’intérieur du pays, et refusa de
prendre parti dans les querelles des peuples teutoniques, aussi divisés entre
eux que les peuples de la Gaule.
Les mêmes raisons lui firent entreprendre de pénétrer
dans Bretagne, dont les habitants, d'ailleurs Celtes ou Kimris d’origine, accueillaient les réfugiés du continent, et s’associaient à leurs
complots. La ruine de la marine des Venètes permettait de tenter le passage. Peut-être même César, en attaquant ce dernier
peuple, s'était-il surtout proposé de s'assurer la navigation libre. Une
première expédition eut lieu dans l’automne de l’an 55, mais elle échoua, parce
que les difficultés avaient été mal calculées. Les Romains n’avaient pas
l’expérience des grandes marées de la Manche pendant l’équinoxe, et ne
pouvaient se fier aux pilotes gaulois, qui les trahissaient. Une fois
débarqués, ils se virent obligés de laisser une partie de leurs troupes sur le
rivage, pour protéger leur flotte contre une surprise et empêcher qu'on leur coupât
la retraite. Tout se borna pour eux à une reconnaissance du littoral.
César ne se rebuta pas. Il fit des préparatifs plus
considérables, traversa le détroit une seconde fois au printemps suivant, passa
dans l’île plusieurs mois de sa cinquième campagne, et s'avança jusqu'au nord
de la Tamise, où il trouva des peuples couverts de peaux de bêtes, chez
lesquels la culture de la terre était presque ignorée. Il força quelques rois
barbares à lui remettre des otages et leur imposa un tribut. Ce tribut ne fut
peut-être jamais payé; mais le proconsul avait obtenu le genre de succès qu'il
cherchait. Désormais les Bretons, comme les Germains, cessèrent d’appuyer les
soulèvements des Gaulois.
Ainsi l’Allemagne et l’Angleterre trouvent, comme la
France, le nom de César au début de leur histoire. Ce fut lui qui porta chez
leurs premières populations les enseignes de Rome conquérante, destinée à les
civiliser un jour. Il cherchait alors a les frapper de respect, pendant qu'il
achevait la soumission des Gaules.
L'histoire des conquêtes romaines se lira toujours avec
une faveur indulgente, à cause des grands résultats qu’elles ont préparés.
Cependant il ne faut pas oublier que les guerres antiques étaient cruelles,
impitoyables; que les Romains, supérieurs, sous le rapport de l’organisation
militaire, aux barbares qu'ils combattaient, ne l’étaient pas à un autre titre;
qu'ils exterminaient par système et ne connaissaient à peu près aucun droit des
gens. Une seule voix s’éleva pour protester au nom de l’humanité contre les
flots de sang que César faisait répandre: Caton demanda que la République
livrât en expiation le proconsul à ses ennemis. Malheureusement cette
indignation n’avait rien de désintéressé; c’était celle d’un adversaire et d’un
homme de parti.
Les expéditions dans la Bretagne étonnèrent les Gaulois,
mais les irritèrent encore davantage. Ils ne pouvaient s’abuser sur le sort que
les Romains leur réservaient. Plusieurs chefs refusèrent de prendre part à des
entreprises dirigées contre un peuple frère; d’autres n’obéirent qu’avec
répugnance aux ordres qu’ils reçurent. César fut obligé de traiter en rebelle
le commandant des Éduens, Dumnorix, qu’il fit mettre
à mort. Il convient lui-même que le joug était dur pour une nation fière et
belliqueuse. Partout les véritables patriotes se voyaient supplantés par les
hommes qui faisaient bon marché de l’honneur national, et les titres, les
dignités, dispensés par l’influence romaine, étaient aux plus intrigants ou aux
plus traîtres. Des hommes nouveaux, vendus aux vainqueurs, s’élevaient dans
chaque cité et foulaient aux pieds les pouvoirs des anciens chefs. Il était
donc à peu près impossible que la Gaule ne fit pas un suprême effort pour
briser les chaînes dont on la chargeait. César reconnaît qu’une coalition de ses
peuples était légitime; une prise d’armes lui semblait imminente, surtout de
la part des nobles qu’effrayait le traitement infligé à Dumnorix,
et il l’attendait.
Au retour de la Bretagne il établit ses légions dans des
camps ou quartiers d’hiver, espacés à d’assez grandes distances, depuis le Rhin
jusqu’à la Loire, et dont le centre fat placé à Samarobriva ou au pont de la Somme (Amiens). Il avait pour les disséminer ainsi deux
raisons, l’une d’assurer ses approvisionnements, l’autre de tenir en respect
les peuples mal disposés. Mais à peine cette dispersion des troupes romaines fut-elle connue que le soulèvement préparé éclata.
Le camp retranché de Sabinus, établi sur le territoire
des Éburons et des Trévires (Liège et Trêves), fat attaqué par Ambiorix et Indutiomar, rois de ces deux peuples. Sabinus, ne disposant
pas de forces suffisantes pour le défendre contre un nombre d’ennemis trop
considérable, prit la résolution de l’abandonner, et de se replier sur celui de
Quintus Cicéron, frère du grand orateur, dans le pays des Nerviens (la
Flandre). Mais la retraite à travers les Ardennes était périlleuse. Il fut
presque aussitôt enveloppé, dans une vallée étroite, et obligé de rendre sou
épée. Les Éburons le firent mourir, malgré la parole qu’ils lui avaient donnée.
Son corps d’armée fut détruit; Cotta, son lieutenant, périt les armes à la
main; ses soldats furent massacrés par l’ennemi ou s’entretuèrent pour échapper
au massacre, n’ayant que le choix de leur genre de mort.
Au signal donné par les Éburons et les Trévires on s’arma
de tous côtés. Les chefs qui devaient leur pouvoir aux Romains furent renversés
presque partout. Quelques tribus germaniques envoyèrent leurs guerriers
soutenir le grand mouvement national de la Gaule. Deux peuples cependant, et
c’étaient les plus considérables, les Éduens et les Rèmes,
demeurèrent fidèles à l’alliance de Rome.
Le principal effort des coalisés se porta sur le camp de
Quintus Cicéron, dont ils réussirent à couper les communications avec les
autres camps du proconsul. Ils entreprirent d’en faire le siège, en mettant à
profit les leçons que les Romains leur avaient données, et en construisant des
machines semblables aux leurs. On croyait alors César en Italie; mais il était
à quelques marches de là, au camp de Samarobriva. Un
transfuge lui apprit le péril de son lieutenant, qui était réduit à la dernière
extrémité et ne comptait plus qu’un dixième d’hommes valides parmi ses soldats.
Il partit en toute hôte avec moins de deux légions, surprit l’ennemi, le trompa
par une feinte défiance, l’attira sur un terrain où il eut l’avantage, et mit
en déroute une armée huit fois plus nombreuse que la sienne. La coalition se
dissipa aussitôt, et Quintus Cicéron fut délivré.
Le vainqueur, au lieu de se rapprocher de Rome l’hiver
suivant son usage, ne quitta pas ses troupes et hiverna dans le pays même, où
il combla les vides de son armée par des renforts venus d’Italie, et réunit
jusqu’à dix légions. Le printemps venu, il chargea son lieutenant Labienus de
châtier les Trévires et leur roi, qui venaient de faire une levée en masse;
pour lui, il se réserva de tenir en personne l’assemblée générale de la Gaule.
Il voulait que ce fût elle qui prononçât l’arrêt des coupables et leur
infligeât un châtiment. Plusieurs des peuples qui étaient entrés dans la
coalition refusèrent de souscrire à cette exigence, et n’envoyèrent pas de
représentants à l’assemblée; quelques-uns reprirent les armes. César entra sur
leur territoire, enleva les hommes et les troupeaux, détruisit, brûla les
cabanes. Étranger à tout sentiment d'humanité, et cependant maître de lui
jusque dans ses vengeances, il se montrait modéré ou cruel, suivant les besoins
de sa politique. Tantôt il recevait les vaincus à composition, et se contentait
d’exiger qu’ils lui livrassent leurs chevaux et des otages; tantôt il les
poursuivait avec un impitoyable acharnement. Au retour d’une expédition de dix
jours dans la Germanie, il vengea le meurtre de Sabinus en écrasant les
Éburons. Il cerna leur pays, où tout fut incendié par les légions; il fit une
véritable chasse d’hommes dans l’Ardenne, passa tous ceux qu’il put saisir au
fil de l’épée, et n’en laissa échapper qu’un petit nombre, à la suite de leur
roi Ambiorix, qui franchit le Rhin. Il convia les peuplades voisines à prendre
leur part des dépouilles d’une nation dont il voulait détruire jusqu’au nom.
Après ces châtiments et ces vengeances, il revint tenir
l’assemblée générale à Durocortorum, qui était le
chef-lieu des Rèmes, et y fit prononcer une sentence
de mort contre un chef des Sénonais (Sens), coupable de trahison.
Malgré ces succès des armes romaines, la Gaule était
toujours loin d’accepter le joug. Les exécutions militaires n’avaient fait que
l’exaspérer. Elle apprit, pendant l’hiver qui suivit cette sixième campagne,
que Rome était pleine de divisions; le bruit courut même que César, qui s’y
était rendu, ne pourrait repasser les Alpes. Une nouvelle ligue se forma, cette
fois dans le plus grand secret. On voulut profiter de l’absence prétendue du
proconsul pour couper toute communication entre les camps qu’il avait laissés
sur les bords de la Seine et la Province.
Les Carnutes, dont le pays, alors couvert de grandes
forêts (pays Chartrain), était le sanctuaire du druidisme, s’engagèrent à
donner le signal de la levée de boucliers. Les représentants des autres nations
coalisées jurèrent d’y répondre et prêtèrent serment avec solennité, sur leurs étendards
réunis. Ce signal fut le pillage de Genabum (Orléans), où l’on massacra les
marchands et les munitionnaires romains. La nouvelle du massacre se répandit
partout avec une incroyable rapidité. Elle parvint le jour même chez les
Arvernes, à une distance de plus de cinquante lieues.
VERCINGÉTORIX
Un jeune chef Vercingétorix, venait de faire une
révolution chez ce dernier peuple; il avait renversé le parti romain, armé ses
compatriotes et reçu de la plupart des nations du centre le titre de commandant
suprême. Disposant de troupes nombreuses, particulièrement d’une cavalerie
composée de nobles, il les forma aux manœuvres, à la discipline romaine, et
entreprit de combattre César avec ses propres armes, c’est-à-dire de faire
mouvoir ses forces avec ordre, de les concentrer au besoin sur un point donné
et de les établir dans de solides retranchements. Il se faisait obéir en
employant les châtiments les plus rigoureux, même les plus barbares. César
prétend que pour des fautes légères il ordonnait de couper les oreilles et de
crever les yeux de ses soldats. Le centre, l’ouest et le nord de la Gaule se
déclarèrent pour lui; les peuples de l’est furent les seuls qui restèrent
hésitants, à cause de leurs rivalités particulières ou des garnisons romaines
établies sur leurs territoires.
Vercingétorix, après s’être assuré de la fidélité de tous
ses alliés par des otages qu’il se fit livrer, prit l’offensive. Il envoya un
de ses lieutenants inquiéter les frontières de la Province, et il marcha
lui-même au nord contre les quartiers des légions, en soulevant et armant les
peuples sur sa route. César accourut d’Italie, fortifia les postes qui
gardaient la Province, passa avec quelques légions, composées de dépôts et de
recrues, les Cévennes en plein hiver, à travers six pieds de neige, en suivant
des sentiers jugés impraticables, et tomba, comme à l’improviste, sur le Velay
et l’Arvernie, ce qui força Vercingétorix à revenir
sur ses pas. Le proconsul, laissant alors ses troupes sous les ordres d’un
lieutenant, courut à Vienne, remonta la Saône, et s’assura de la fidélité des
Éduens, qui était nécessaire pour maintenir ses communications. Puis il
rejoignit les légions cantonnées au nord, chez les Lingons (Langres), en prit
le commandement, et marcha avec elles en tonte hâte sur Genabum, qu’il
incendia, pour venger le massacre des marchands romains. Après cette exécution,
il traversa la Loire, entra chez les Bituriges (Berry), qui venaient aussi
d’abandonner son alliance, mit leur pays à sac, et plaça Vercingétorix entre deux
armées.
Jamais plus habile chef n’avait tiré un plus grand parti
de la légion, cette machine si merveilleusement organisée, non-seulement pour
les combats de toute nature, mais encore pour les longues marches et les
mouvements stratégiques. Les Gaulois disposaient de masses d’hommes plus
considérables, mais ne pouvaient les faire mouvoir avec la même rapidité. César
nous est d’ailleurs représenté par Suétone, son biographe, toujours à cheval et
en armes, infatigable, et étonnant les Romains eux-mêmes par sa prodigieuse
activité. II dérouta Vercingétorix, qui, accablé de nouvelles contradictoires,
promena son armée du nord au midi et du midi au nord sans être à temps sur
aucun point.
Les Gaulois essayèrent d’affamer les Romains dans le
Berry; ils firent du pays un désert, détruisirent les blés et les fourrages,
brûlèrent les habitations et les bourgs. Vercingétorix ne voulait pas combattre
César en bataille rangée, mais l’empêcher de vivre. Il espérait détruire ainsi
peu à peu l’armée romaine, en profitant de la supériorité numérique de ses
cavaliers et de l’habileté de ses archers, qui répondaient assez aux
tirailleurs de nos armées modernes. Mais en livrant aux flammes les petites
places du Berry, les Gaulois crurent pouvoir faire une exception pour la plus
grande, Avaricum (Bourges), qui était d’ailleurs très-forte, entourée presque
entièrement de marais et d’eaux courantes.
La population des alentours courut s’y enfermer. César en
entreprit le siège, sans s’arrêter aux difficultés qu’il offrait. Ses soldats
montrèrent devant les murs de Bourges une constance égale à leurs autres
qualités militaires. Rien ne les rebuta. Quoique manquant de vivres au milieu
d’un pays ruiné, ils achevèrent rapidement et sûrement, avec la conscience de
leur supériorité, des travaux que les Gaulois, aussi braves, mais moins
exercés, ne pouvaient, malgré leur esprit d’imitation, égaler de leur côté.
Vercingétorix n’osa pas livrer de combat, et César, après quelques tentatives
sans succès, finit par donner, le vingt-cinquième jour, un assaut général qui
lui livra la ville et ses approvisionnements. La plupart des défenseurs
d’Avaricum furent massacrés.
Après avoir ravitaillé ses troupes, alors fortes de dix
légions, ou environ quarante mille hommes, il les divisa, envoya Labienus avec
quatre légions comprimer divers soulèvements dans le Nord, et marcha avec les
six autres contre les Arvernes. Il passa par Decetia (Decize sur la Loire) pour assister en personne à l’élection du vergobret des
Éduens et affermir dans l’alliance romaine ce peuple, dont la fidélité devenait
très douteuse. Arrivé chez les Arvernes, il franchit l’Allier en trompant la
vigilance de l’ennemi, et alla camper devant sa capitale, Gergovie (près de
Clermont). C’était une place très forte, assise sur une hauteur et entourée
presque de tous côtés d’une ceinture de montagnes ou de plateaux, dont elle
était séparée par une plaine étroite ou une simple vallée. Vercingétorix avait
réuni sur ce point des forces nombreuses qui, couronnant toutes les hauteurs, dominaient
entièrement la vallée. César enleva un des plateaux qui faisaient face à la
ville, et, maître de cette position, lui livra plusieurs attaques. Mais ne
pouvant engager l’ennemi à une bataille, et impatient d’obtenir un succès, dont
l’effet moral était nécessaire pour empêcher la défection prévue de ses
derniers alliés, il tenta une surprise et fit donner un assaut. Il laisse
entendre, dans ses Commentaires, qu’il éprouva un échec considérable; il
convient qu’il perdit quarante-six centurions, que la confiance de ses soldats
fut extrêmement ébranlée et qu’il dut abandonner le siège. Suétone avoue sans
détour que les Romains furent repoussés [avec des pertes énormes.
Aussitôt une révolution éclata chez les Éduens, qui
avaient jusque-là servi de guides, presque d’éclaireurs, à la conquête romaine.
Des hommes du parti patriote s’emparèrent du pouvoir; les troupes que l’on
envoyait comme auxiliaires à César passèrent dans le camp de Vercingétorix, et
les nouveaux chefs de la nation entreprirent de couper la retraite au
proconsul. Les villes de Cabillo et de Noviodunum (Chàlons, Nevers) étaient pleines de Romains commerçants et
munitionnaires; les Éduens en firent un massacre général, comme celui que les
Carnutes avaient fait à Genabum. Ils pillèrent les caisses, les magasins de
l’armée, enlevèrent ses chevaux et ses recrues. César, privé de toutes ses
ressources, se vit entouré d’un cercle d’ennemis; il demeura même enfermé
quelque temps entre l’Allier et la Loire, à peu de distance de leur point de
jonction, sans pouvoir rallier Labienus et son armée du nord.
Il fut tiré de cette position difficile par la découverte
d’un gué, qui lui permit de passer la Loire et d’aller rejoindre Labienus à
Agendicum (Sens ou Provins). Labienus avait dû, de son côté, résister, avec les
quatre légions du Nord, à une coalition dont les peuples principaux étaient les
Bellovaques et les Parisiens (Beauvais, Paris). Il avait battu ce dentier
peuple à Metiosedum, sur les bords de la Seine, mais sans y gagner d'autre
avantage que de se maintenir dans son quartier général d’Agendicum. César opéra
la jonction des deux corps d’armée; en même temps, comme la défection des
Gaulois auxiliaires l’avait privé de sa cavalerie, il prit à son service des
cavaliers germains, renommés pour leur habileté à fourrager et à battre la
campagne. C’était depuis longtemps l’usage des généraux romains de réserver les
légions pour les actions décisives, et de confier les reconnaissances et les
engagements secondaires à des troupes auxiliaires, levées autant que possible
dans le pays même où ils combattaient.
Pendant que César parvenait ainsi à réunir et à compléter
ses deux corps d’armée, les députés de la coalition gauloise s’assemblaient
chez les Eduens et confirmaient les pouvoirs de Vercingétorix. Mais leur
lenteur et la difficulté qu’eurent les Éduens à céder le commandement aux
Arvernes, servirent beaucoup les Romains. Le plan des Gaulois consistait à
attaquer la Province de plusieurs côtés à la fois; on croit que Vercingétorix
voulait, diriger ses principales forces vers la frontière septentrionale des Allobroges
et la plaine du haut Rhône (entre Ambérieux et Lyon). Il s’était à peine mis en
mouvement, que César courut à sa poursuite, et l’atteignit dans une plaine de
la Côte-d’Or. Un combat de cavalerie fut vivement engagé. Vercingétorix
comptait sur ses cavaliers pour harceler, fatiguer, envelopper les légions, qui
n’avaient qu’un petit nombre de chevaux. Mais César mit aux prises avec lui les
auxiliaires germains, qu’il soutint avec les légions, et, marchant lui-même à
la tête de celles-ci au moment décisif, il remporta une victoire complète.
Vercingétorix alla occuper, à quelque distance du champ
de bataille, la place forte d’Alésia, qui était située sur un point élevé, le
mont Auxois, dans une position analogue à celle de Gergovie, et qu’on disait avoir
été bâtie par les Phéniciens. Il établit son armée dans un camp retranché au
pied des murs, de manière à dominer la plaine circulaire environnante. Tout
porte à croire qu’il avait fait les préparatifs nécessaires pour y soutenir un
siège comme à Gergovie. César ne pouvait avoir beaucoup plus de quarante mille
hommes (dix légions et la cavalerie germaine). Il n’en conçut pas moins le
projet audacieux d'assiéger ou plutôt de bloquer une armée ennemie qu’il dit
avoir été de quatre-vingt mille hommes. On a, il est vrai, des raisons de
douter de l’exactitude de ce dernier chiffre. Quoi qu’il en soit, il tira
autour de la place une ligne de circonvallation de onze mille pas (seize
kilomètres), creusa des fossés, éleva des remparts garnis de tours, et en remplit
les abords et les intervalles de divers ouvrages, tels que chausse-trappes et
chevaux de frise, dont il donne la description. Cela fait, il tira, pour se
garantir des attaques du dehors, une autre ligne de contrevallation de quatorze
mille pas, la fortifia de la même manière, et amassa des approvisionnements.
Vercingétorix essaya d'abord d’empêcher ces travaux.
Voyant qu’il n’y pouvait réussir, il renvoya, avant d’être enfermé, les chevaux
et les hommes inutiles; il les fit passer une nuit à travers les ouvrages
inachevés des Romains, qui n’y mirent point d’obstacles. En même temps, il
adressa un appel à tous les peuples gaulois, et sollicita l’envoi d’une armée
de secours; car, si les places fortes de l’antiquité avaient plus de chances de
résister que celles d’aujourd’hui, grâce à l’infériorité des moyens d’attaque,
cet avantage était compensé par la difficulté et l’insuffisance ordinaires des
approvisionnements.
Les Gaulois répondirent par une levée en masse et par
l’envoi de deux cent cinquante mille hommes, au compte de César. Chaque peuple,
chaque tribu fournit son contingent. Au reste cette immense armée ne pouvait
être qu’une multitude confuse, comme celle que la coalition belge avait réunie
cinq ans plus tôt. Elle vint entourer le camp romain et l’assiéger à son tour,
quand déjà il était à craindre que la disette ne livrât Alésia. La masse des
barbares, plus fougueuse que disciplinée, attaqua les lignes extérieures des
Romains dès le lendemain de son arrivée, et entreprit d’y pénétrer de deux côtés
à la fois. Au même moment, Vercingétorix et les défenseurs de la place firent
une sortie et se précipitèrent sur les lignes intérieures. La lutte, engagée
avec un grand acharnement, recommença durant plusieurs jours; de part et
d’autre on combattit en désespérés. Malgré ses prodigieux travaux, César avait
à défendre des lignes si étendues, que ses soldats perdirent leur assurance
ordinaire. Enfin il se montra lui-même, couvert de son manteau de pourpre, au
poste le plus périlleux, et sa vue entraîna les légionnaires. Les Gaulois
assaillants furent jetés au bas des remparts du camp. Ils perdirent
soixante-quatorze enseignes, et leur multitude se dispersa dans le désordre le
plus complet.
Le lendemain, Vercingétorix vint se présenter au camp
romain, à cheval, dans son costume de guerre. Il jeta son épée aux pieds du
proconsul, sans proférer une parole. On le réserva pour servir d’ornement au
triomphe du vainqueur, dont six ans plus tard il suivit le char à pied dans les
rues de Rome, exposé à la curiosité insultante d’un peuple qui aimait à se
repaître de pareils spectacles. Suivant l’usage, on l’égorgea dans la soirée.
Toutefois les Romains ne purent refuser leur admiration à l’homme qui avait
soutenu contre eux une lutte héroïque et balancé quelque temps leur fortune, au
chef qui avait formé, discipliné et commandé, avec une habileté incontestable,
la puissante armée des Gaulois coalisés pour la défense de leur sol et de leur
indépendante, enfin au glorieux vaincu, qui, témoin de la ruine de sa patrie, s’était
livré lui-même pour satisfaire à une sorte de point d’honneur.
César, après avoir reçu à composition les Éduens et les
Arvernes, qu’il obligea à lui donner des otages et à lui fournir des corps
auxiliaires, passa l’hiver de la huitième année 51 à Bibracte. Pendant ce
séjour, il convoqua diverses assemblées, auxquelles il dicta leurs résolutions,
et il régla les charges qui furent imposées aux vaincus. Quelques peuples,
comme les Bituriges, les Carnutes, les Bellovaques (Beauvais) opposèrent encore
isolément d’assez vives résistances, refusèrent de se soumettre aux tributs ou
aux châtiments qui leur étaient infligés, et fatiguèrent les Romains par des
soulèvements répétés. Mais ces insurrections isolées n’eurent pas plus de
succès que n’en avaient eu les levées en masse. César les poursuivit une à une
et les punit avec une rigueur impitoyable. Il fit même saisir, contre toute
espèce de droit des gens, un roi des Atrebates, qui n’échappa que par miracle
au guet-apens où il l’avait entraîné.
Des expéditions contre les peuples du centre et du midi,
les Pictons (Poitou), les Cadurques (Querci), les
Aquitains, terminèrent cette huitième campagne. La place d’Uxellodunum, chez
les Cadurques, résista jusqu’à la dernière extrémité; elle était défendue par
un ancien lieutenant de Vercingétorix, et la famine seule la livra. César
ordonna, pour frapper de terreur ceux qui auraient été tentés d’imiter un
pareil exemple, que tous les hommes de la garnison eussent le poing coupé.
Cruelle et inhumaine revanche des massacres de Genabum et de Noviodunum. Mais
les Romains, dont l’avidité arrachait en ce moment même au pays conquis toutes
ses dépouilles et pillait les richesses de ses temples, n’avaient aucun
souci de respecter, dans ses derniers défenseurs, les droits de l’humanité. Peu
leur importait le sang et les ruines; il fallait que la Gaule acceptât le joug.
Elle l’accepta en effet. Elle était livrée sans condition
au conquérant, que son activité prodigieuse, son génie, et sa fortune égale
jusqu’alors à son génie, allaient faire bientôt maître de Rome elle-même. Déjà
César ne pouvait mettre le pied en Italie sans que les plus grands personnages
de la République accourussent au-devant de lui, briguant l’honneur de lui
former un cortège. Le Sénat décrétait de continuelles prières pour remercier
les dieux de ses victoires.
En abandonnant sa conquête, César y laissa deux camps,
l’un chez les Éduens, et l’autre chez les Belges, et il frappa les vaincus
d’une contribution de guerre, appelée stipendium,
qu’on estime à plus de huit millions de francs de notre monnaie. Ce chiffre
énorme pour un pays ruiné, dont Plutarque n’évalue pas la population à plus de
trois millions d’habitants, égalait presque celui des impôts payés par le reste
des provinces romaines. César eut également soin de donner tous les
commandements à des hommes à lui, qu’il s’attacha par des distributions de
terres, et en leur offrant comme appât les dignités de la république. Il enrôla
des Gaulois sous ses aigles, en composa une légion et en fit entrer quelques-uns
dans le Sénat.
Ce fut pour la Gaule un grand désastre que la perte de
son indépendance; car la conquête romaine, indépendamment des maux et des
barbaries qui l’accompagnaient, imposait à tous les vaincus un niveau et un
joug impitoyables. Les peuples qui achetaient le progrès de leur civilisation à
ce prix le payaient très-cher. D’un autre côté la conquête mit fin aux petites
guerres intérieures qui ruinaient le pays. Elle y établit un ordre légal à peu
près inconnu jusque-là. Elle arrêta les invasions des Barbares. Elle fit
pénétrer mieux et plus vite sur toutes les parties du territoire la langue, les
arts et les connaissances des vainqueurs. Tous ces résultats s’obtinrent même
avec une assez grande rapidité.
Cependant la conquête faite, il fallut quelques années
pour la consolider. Ce que Cicéron disait peu de temps auparavant était
toujours vrai: «De grandes nations ont été soumises par César; elles ne sont
pas encore enchaînées par les lois, par un droit certain, par une paix solide.»
En réalité, l’assimilation de la Transalpine aux autres
provinces romaines n’eut lieu que sous le règne d’Auguste. Jusque-là des
soulèvements continuèrent d’y éclater de temps à autre, et les cendres de
l’incendie étouffé s’éteignirent lentement. Les guerres civiles qui déchirèrent
les dernières années de la république favorisèrent cette agitation; elles
troublèrent même la Narbonnaise, qui embrassa presque tout entière le parti de
Pompée contre celui de César. Mais ces épreuves, loin d’ébranler la domination
romaine, ne servirent qu’à l’affermir et à l’étendre. La guerre civile fournit
au parti césarien l’occasion d’enlever aux Phocéens de Marseille, qui s’étaient
déclarés Pompéiens, leur indépendance. Decimus Brutus, un des lieutenants du dictateur, assiégea la ville, s’en rendit maitre
après avoir détruit une de ses flottes, et força les habitants de lui livrer
leurs armes et leurs vaisseaux. A partir de ce jour Marseille cessa de former
un état particulier, et devint sujette de la république, comme l’étaient déjà
presque toutes les cités d’origine grecque. On lui laissa son autonomie,
c’est-à-dire la liberté de son gouvernement intérieur; mais on lui enleva deux
de ses colonies, Agde et Antibes, qui reçurent des colons romains. Les Romains
établirent d’autres colons à Arles et à Béziers, et construisirent à Fréjus (Forum Julii) un port de guerre pour servir de station
aux flottes qui devaient surveiller la sécurité de ces parages.
AUGUSTE ET L’ADMINISTRATION ROMAINE
Auguste devait être le véritable organisateur de la
Gaule. Il y introduisit le premier l’administration impériale, cette puissante
machine de gouvernement, dont Dioclétien et Constantin multiplièrent plus tard
les rouages, et que les Barbares, la féodalité, la monarchie devaient
entreprendre sans cesse de rétablir ou de fortifier.
Il vint une première fois visiter la conquête de César
l’an 29 avant l’ère chrétienne; il y fit ensuite d’autres voyages. Il commença
par y créer de nouvelles divisions administratives. Laissant à la Narbonnaise
ou Gallia togata ses anciennes limites, il partagea
le pays nouvellement conquis ou la Gaule chevelue, Gallia comata, en
trois provinces: 1º l’Aquitaine, s’étendant des Pyrénées à la Loire ; 2º la Lugdunaise ou Lyonnaise, comprenant le pays situé entre la
Loire au sud, la Saône à l’est, et la Seine au nord; elle fut ainsi nommée de
sa capitale, Lugdunum ou Lyon, ville romaine, bâtie en l’an 41 par Munatius Plancus, au confluent de la Saône et du Rhône,
c’est-à-dire à l’extrémité de l’ancienne province; enfin 3º la Belgique, à
l’orient et au nord de la Saône et de la Seine.
Auguste partagea les provinces en deux classes, les unes
dépendant du Sénat, et les autres de l’empereur; les premières, gouvernées
comme autrefois par des proconsuls; les secondes, par des légats impériaux ou
des présidents, legati, praesides,
qui les administraient plus militairement. Il laissa au Sénat la Narbonnaise,
où la paix était assurée, et se réserva les trois autres, l’Aquitaine, la
Lyonnaise et la Belgique, où les agitations intérieures étaient plus à
craindre. Elles étaient d’ailleurs toutes désarmées également.
Mais cette distinction, dont le principal objet dut être
de ménager et de contenter le Sénat, eut au fond peu d’importance. Dans l’un et
l’autre cas, les gouverneurs réunissaient, pour emprunter les expressions
romaines, le pouvoir civil et le pouvoir militaire, la jurisdictio et l’imperium; ils revêtaient tour à tour la toge sur leur chaise
curule, une armure à la tête des légions, et exerçaient une autorité presque
discrétionnaire. S’ils devaient en principe rendre compte de leur gestion à
Rome après le temps de leur change expiré, cette responsabilité était très
limitée en fait. Il n’y avait que les citoyens romains qui eussent un recours
légal contre eux. Les autres habitants des provinces étaient réduits à se
choisir des patrons parmi les grands personnages de l’empire, et ne pouvaient
s'adresser à l’empereur que pour implorer sa bienveillance et sa merci.
L’autorité des gouverneurs s'étendait à toutes les
parties de l’administration, dont on ne séparait pas les différentes branches,
si ce n’est pour les emplois inférieurs. Les finances seules étaient confiées,
dans les provinces les plus importantes, à des agents spéciaux appelés procuratores ou rationales.
On eut dans la Gaule, sous le règne d’Auguste, un exemple remarquable de la
rapacité, de l’arbitraire et surtout de l’impunité de ces procurateurs. Un
d'eux, nommé Licinius, exigeait chaque année le payement de quatorze mois de
tribut. Les Gaulois se plaignirent et sollicitèrent une enquête; Licinius la
prévint en abandonnant à l'empereur la fortune énorme qu’il avait amassée. Les
gouverneurs et leurs agents montrèrent tous la même avidité. L’administration
des provinces n'était pour eux qu'une mine à exploiter; ils les mettaient
littéralement au pillage. Auguste essaya de modérer les exactions en assurant
un traitement aux fonctionnaires de tout ordre. Il s’imposa aussi la loi de
maintenir plusieurs années dans les mêmes provinces les gouverneurs, qui n’y
étaient d’abord nommés que pour un an, et Tibère se conforma à cet usage.
Les provinces furent donc traitées en pays conquis. On ne
peut s’empêcher de comparer les gouverneurs romains aux pachas turcs, d’autant
plus que sous les gouverneurs romains comme sous les pachas turcs le régime
antérieur à la conquête ne fut pas détruit, et lui survécut avec peu de
changements.
En effet, les peuples soumis continuèrent de
s’administrer eux-mêmes sous la surveillance des proconsuls et des légats, et
en se conformant aux lois générales de l’empire. Presque tous ceux du centre et
du nord de la Gaule avaient conservé leur autonomie au temps où Pline écrivait,
c'est-à-dire plus d'un siècle après César. Les Santons (Saintonge), les
Bituriges (Berry), les Arvernes (Auvergne), les Suessions (Soissoinnais), les Nerviens (Hainaut), les Leuques (Lorraine), les Trévires (Prusse rhénane), les Meldes (Meaux, Champagne), et les Ségusiaves (Lyonnais et Forez) étaient libres. Les Éduens, les Carnutes, les Rèmes et les Lingons (Langres) étaient fédérés,
c’est-à-dire, avaient avec Rome des traités particuliers qui modifiaient sur
quelques points seulement leur autonomie primitive. Auguste reconnut dans la
Gaule transalpine l’existence légale de soixante nations ou cités, ayant
chacune un sénat chargé de l’administration locale et de la perception de
l’impôt, et chacune responsable du maintien de l’ordre et de la police sur son
territoire.
L’autorité du gouverneur s’élevait au-dessus de tous ces
pouvoirs locaux, pour maintenir ce que Pline le jeune appelle la majesté de la
paix romaine (romanae pacis majestas).
Plusieurs petits peuples qui avaient eu jusque-là une
existence à part, et dont les noms se sont conservés dans ceux de pagi ou cantons particuliers, furent incorporés aux soixante nations reconnues par
le gouvernement impérial. Il est probable que les Romains suivirent aussi dans
la Gaule le système qu’ils avaient adopté ailleurs, de placer sous l’autorité
directe d’agents spéciaux du gouverneur les nations ou les cités auxquelles
ils enlevaient leur autonomie pour un motif ou pour un autre, et qu’ils
appelaient civitates dediticiae.
Enfin, les Romains y eurent, comme dans les autres
provinces, des colonies et des villes privilégiées. Les colonies étaient des
espèces de camps, dont les habitants étaient citoyens et jouissaient de tous
les droits attachés à ce titre, en même temps qu’ils en subissaient les charges
particulières. Toutefois les colonies de la Gaule furent peu nombreuses; après
celles d’Aix et de Narbonne, les plus anciennes comme on a vu, il faut citer
Fréjus, Arles, Béziers, Orange, Valence, Vienne, et probablement Nîmes, fondées
après la conquête de César, ou sous le règne d’Auguste. Le nombre des villes
privilégiées fut un peu plus considérable; ces villes jouissaient de ce qu’on
appelait le droit latin ou le droit italique, jus latinum,
jus italicum, c’est-à-dire qu’elles étaient
assimilées non à Rome, mais aux villes du Latium et de l’Italie. Leurs
habitants pouvaient recevoir individuellement le droit de cité, qui les
exemptait de châtiments corporels et les rendait capables d’exercer les charges
de l’empire. Le jus italicum conférait une
exemption d’impôts; mais Lyon et Cologne furent les seules villes qui
possédèrent cet avantage exceptionnel.
En résumé, ce système admettait comme principe
l’autonomie des cités avec diverses restrictions et avec la faculté d’obtenir
des privilèges également divers. En d’autres termes, on se réservait de châtier
les rébellions et de récompenser la fidélité et les services. Le gouvernement
n’exerçait qu’une sorte de surveillance générale.
Les anciennes ligues ou fédérations avaient des
assemblées communes. Les empereurs réunirent plusieurs fois des assemblées de
ce genre, et les présidèrent en personne ou par leurs lieutenants. Auguste à
Narbonne et Drusus à Lyon tinrent deux grands conventus des peuples gaulois. Dans celui de Lyon, qui eut lieu l’an 12 avant
Jésus-Christ, Drusus éleva, en présence des principaux chefs ou représentants
des soixante nations, à Aisnay, au confluent de la
Saône et du Rhône, un temple qui fut consacré à Auguste. L’érection d’un autel
commun était chez les anciens une cérémonie destinée à sceller les traités
d’alliance. Elle eut encore ici un autre objet, celui d’obliger les Gaulois à
honorer le génie de l’empire personnifié dans la divinité de l’empereur. Les
soixante nations furent figurées par autant de statues placées autour de
l’édifice d’Aisnay. Cette cérémonie fut l’origine
d’une fête annuelle qui se célébrait encore à Lyon deux cents ans plus tard, au
temps de l’historien Dion Cassius.
Auguste eut également des autels à Nîmes, à Béziers, à
Uzès. Il se forma en son honneur, dans un grand nombre de villes, des collèges
de flammes, appelés flamines Augustales, sortes d’associations
politiques et religieuses à la fois. On sait qu’à Rome il n’existait point de
corps sacerdotal particulier; les fonctions religieuses étaient associées aux
fonctions civiles et militaires. Jamais peuple au monde ne mêla autant que les
Romains la religion à la politique et le culte à l’administration. Le titre de flamine
était porté par la plupart des hauts dignitaires de l’armée; il fut donné dans
les Gaules aux hommes les plus considérables de la population indigène.
RELIGION ROMAINE
La religion impériale faisait à la politique une place si
large, qu’on vit les noms des idoles gauloises et latines confondus à dessein
sur l’inscription des mêmes autels. Il est vrai que cette confusion était
facilitée par la ressemblance des divinités; car elles avaient de paît et
d’autre la même origine, ou des caractères et des attributs analogues. Ainsi,
le dieu Belenus put être aisément identifié avec
Apollon, Hésus avec Mars, Teutatès avec Jupiter. Toutefois les empereurs eurent
soin d’assurer dans l’association des deux religions la prépondérance à celle
de Rome. Ils multiplièrent partout les temples et les autels des divinités
romaines. Les villes qu’ils construisirent, qu’ils agrandirent ou qu’ils
réparèrent, et le nombre en fut considérable, eurent presque toutes un Capitole
à l’image de celui du mont Palatin. La religion gauloise ne fut pas non plus
tolérée sans réserve. Auguste interdit aux Gaulois devenus citoyens la pratique
de leurs rites nationaux, et proscrivit les sacrifices humains. La même
proscription fut renouvelée sous les règnes de Tibère et de Claude. Le dernier
de ces princes fit au druidisme une guerre acharnée; il le poursuivit jusque
dans la Grande-Bretagne, devenue son asile, et lui interdit la célébration de
ses cérémonies.
Le polythéisme latin valait-il mieux que celui des
druides? Les Gaulois gagnaient-ils quelque chose à ce changement de religion
qui leur était imposé officiellement? Y avait-il un avantage pour eux à
l’introduction de l’Olympe romain avec la corruption que ses dieux
autorisaient? De telles questions ne sont guère aisées à résoudre.
Peut-être n’ont-elles pas autant d’importance que l’on a
cru. La révolution religieuse qui se fit alors fut au fond assez simple, car
les religions de l’antiquité étaient des livres ouverts, auxquels on pouvait
toujours ajouter de nouvelles pages. Celle des Romains et celle des Gaulois
admettaient également, outre quelques grandes divinités au culte desquelles
étaient attachées des idées symboliques et des cérémonies traditionnelles, un
nombre illimité de divinités inférieures, ayant chacune des fonctions
particulières ou exerçant leur patronage sur chaque pays, sur chaque tribu, sur
chaque famille. Il était dès lors naturel que, dans la Gaule comme dans le
reste du monde, les Romains fissent deux choses, qu’ils imposassent leurs
divinités aux vaincus par droit de conquête, et qu’ils donnassent droit de cité
dans leur Olympe à des dieux qui avaient cessé pour eux d’être des dieux
étrangers ou ennemis
Il serait d’ailleurs puéril de ne pas reconnaître une
certaine supériorité à la religion romaine, consécration d’un état social plus
avancé et d’un gouvernement plus éclairé. A Rome, les formes du culte étaient
moins grossières, les cérémonies étaient moins barbares. Les empereurs
défendirent les immolations de victimes humaines, et les remplacèrent par des
sacrifices de taureaux qui furent célébrés dans les grandes solennités. Ce
qu’ils proscrivirent d’abord dans les rites des druides, ce fut l’outrage fait
à l’humanité. Ensuite ils proscrivirent dans le druidisme lui-même
l’institution politique, qui leur était hostile et servait de drapeau aux
rébellions. Ils ne firent nullement la guerre à celles de ces doctrines qui
pouvaient avoir une valeur morale. Lucain put, cent ans après César, chanter
encore dans la Pharsale ce mépris audacieux de la mort que continuait
d’inspirer aux peuples celtiques leur croyance particulière à l’immortalité de
l’âme.
Auguste n’épargna rien pour hâter le développement de la
civilisation matérielle cher les Gaulois. Strabon dit qu’il les força de
cultiver la terre. Les migrations de tribus cessèrent tout à fait. La sécurité
fut beaucoup plus grande. Des Romains devinrent propriétaires dans les
provinces conquises, y acclimatèrent les procédés agricoles suivis en Italie,
et y attirèrent des cultivateurs étrangers. Les chefs indigènes, devenus à leur
tour propriétaires du sol de leur clan, ou du moins de la partie dont ils
disposaient à titre de domaine commun ou réservé, s’occupèrent de le mettre en
culture. On fit un cadastre du territoire et un recensement des habitants,
double opération comprise sous l’expression de cens (census).
On distingua les habitants qui étaient propriétaires et ceux qui ne l’étaient
pas; ces derniers furent désignés sous le nom de censiti et adscriptitii. Les propriétaires durent payer
un impôt territorial consistant dans une quote part
des récoltes, qu’on supposa être le dixième, mais qui fut quelquefois bien plus
considérable; c’est ce qu’on appela Frumentum decumanumou vectigal. Les non propriétaires furent soumis, sauf quelques exceptions, au payement
d’une capitation ou impôt personnel. On ne peut s’empêcher de rapprocher cette
conduite des Romains dans la Gaule de celle que nous tenons aujourd'hui en
Algérie. Des situations à peu près semblables devaient produire les mêmes
effets.
Les écrits de Pline l’Ancien nous montrent que les
Romains étaient loin d’être indifférents à l’étude des ressources naturelles
des pays où ils s'établissaient, et qu’au premier siècle de notre ère
l’agriculture et l’industrie de la Gaule étaient en grande voie de
perfectionnement.
VILLES ROMAINES
Auguste bâtit des villes nouvelles et agrandit celles qui
existaient déjà; il y attira la noblesse gauloise, et y éleva des remparts et
des monuments. Agrippa, son lieutenant, fonda deux colonies, l’une à laquelle
il donna son nom, Colonia Agrippina, Cologne, sur les
bords du Rhin, l’autre à Nîmes. D’anciennes villes, agrandies ou reconstruites,
prirent des noms romains, comme Bibracte, capitale des Éduens, qui devint Augustodunum (Autun), comme Soissons, Trêves, Vermand, plus
tard Saint-Quentin, qui devinrent Augusta Suessionum, Trevirorum, Veromanduorum.
Il en fut de même de Viviers (Alba Augusta Helviorum),
de Saint-Pol-Trois-Châteaux (Augusta Tricastinorum), de Clermont (Augustonemetum),
de Limoges (Augustoritum), de Troyes (Augusta Tricassium), d’Augst (Augusta Rauracorum), de Beauvais (Caesaromagus),
de Tours (Caesarodunum).
Plusieurs villes des bords du Rhin ou de la Moselle font
à tort ou à raison remonter leur fondation à Drusus. Ce qui est certain, c’est
qu’Auguste et Drusus, son beau-fils, achevèrent de soumettre la Gaule
septentrionale, où quelques peuples, comme les Ménapiens (Flandre actuelle),
étaient restés à peu près indépendants. Ils y établirent aussi des colons de la
Germanie : près du Rhin, des Sicambres et des Suèves; près de la Meuse, des
Thuringiens ou Tongrois, et les Toxandriens,
dans la Campine actuelle, près des bouches de l’Escaut. Les Germains
sollicitaient continuellement la faveur d’être admis à coloniser des terres en
friche couvertes de maigres pâturages ; ils disaient aux Romains, c’est du
moins le mot que Tacite met dans la bouche du député des Ansibares : «Vous devriez préférer à vos bestiaux des hommes qui manquent de pain.»
La plus considérable et la plus riche de toutes les cités
romaines fut Lyon, qui posséda dès le règne d’Auguste tous les établissements
nécessaires à une capitale. Sénèque dit que ses monuments magnifiques auraient
servi à l’embellissement de plusieurs villes. Elle eut un palais impérial, un
hôtel des monnaies, un cirque, un amphithéâtre, des bains. Agrippa, qui y
résida en qualité de gouverneur des Gaules, fit ouvrir quatre routes (aggera, strata),
qui partaient d’une borne appelée le milliaire d’or et placée au milieu du
forum lyonnais. Ces quatre routes se dirigeaient par le centre jusqu’à Saintes
et à l’Océan, par le sud jusqu’à Narbonne et aux Pyrénées, par le nord jusqu’à
Beauvais , Amiens et Boulogne, et la dernière par le nord-est vers le Rhin. Ces
grandes voies furent ensuite reliées entre elles par des voies secondaires. Un
service régulier de postes, dont l’usage était, il est vrai, réservé à l’État,
y fut organisé. On y établit des relais de chevaux et des lieux d’étapes pour les
légions. La soumission des Alpes Maritimes, qu’Agrippa réduisit en province
romaine, assura pour tous les temps la communication régulière des Gaules avec
l’Italie. L’arc de triomphe de Suse, à l’entrée des défilés du mont Cenis et du
mont Genèvre, à côté d’un castrum romain, servit probablement à
perpétuer la mémoire de cette soumission.
Après Lyon venait Autun, dont l’amphithéâtre, détruit
aujourd’hui, était plus vaste que les arènes de Nîmes. Mais Autun dut sa
principale importance aux écoles appelées Écoles méniennes, où les jeunes gens
des premières familles de la Gaule reçurent, sous la direction des maitres les
plus habiles, une éducation toute romaine et l'instruction nécessaire pour
prendre rang dans l’armée et l’administration impériales. Cet enseignement
remplaça celui que les druides donnaient autrefois dans l’isolement de leurs
forêts, et transforma la jeunesse gauloise, qui s’associa dès lors rapidement
aux idées et à la fortune de l’empire. Elle ne tarda pas à parler la langue
latine, qui était la langue du gouvernement, de la science et des affaires;
elle apprit la grammaire, l’éloquence et le droit. Les classes supérieures
n’eurent aucune peine à devenir romaines; le peuple seul garda plus ou moins,
surtout dans les campagnes reculées, la fidélité aux anciennes traditions.
L’aristocratie gauloise transformée habita les grandes
villes. Après Lyon et Autun, Toulouse et Bordeaux acquirent une certaine
importance. Elles eurent des écoles, et payèrent des rhéteurs et des médecins à
l’exemple de Marseille.
MONUMETS ROMAINS
Nous voyons encore debout aujourd’hui des restes d’arcs
de triomphe romains à Carpentras, à Aix, à Arles, à Cavaillon, à Saint-Remy,
aux deux extrémités du pont antique de Saint Chamas, à Autun, à Reims (porte de
Mars) et à Orange. L’arc de triomphe d’Orange est le plus beau de tous et le
mieux conservé. La même ville a un théâtre magnifique et unique dans son genre,
même des arènes qui ont défié le temps; Arles et Autun, les ruines majestueuses
de superbes amphithéâtres. Vienne a conservé le temple de Livie, et Nîmes sa
célèbre Maison carrée, œuvre aujourd’hui intacte du siècle des Antonins. Arles,
Riez, Autun, Avallon, possédèrent d’autres temples dont il reste des débris.
Nous avons à Autun un obélisque que les Romains ont dressé sur sa hase. Ce sont
eux qui ont élevé les aqueducs des environs de Lyon et de Metz, dont on admire
encore quelques gigantesques piliers, et le pont du Gard, demeuré à peu près
tel qu’ils l’avaient bâti. Vaison, Saint-Chamas, Sommières, Saintes,
Vieux-Brioude, ont ou avaient naguère des ponts romains. Des thermes romains
furent construits à Paris, à Nîmes, à Fréjus, à Saintes, et sur plusieurs
points du Languedoc et de l’Auvergne. D’autres monuments, renversés depuis
longtemps, ont conservé une certaine célébrité historique. On peut citer
particulièrement la tour d’Odre ou phare de Caligula,
élevée à Gessoriacum (Boulogne), pour servir la nuit
de fanal aux vaisseaux qui entraient dans le Pas-de-Calais. Il faut ajouter à
cette énumération les édifices encore subsistants de Cologne et de Trêves, qui
faisaient partie de la Gaule.
Telle a été l’œuvre des Romains. Comme toutes les grandes
nations de l’antiquité, ils ont marqué leur règne par d’impérissables
monuments; ces monuments, nombreux surtout dans la Narbonnaise, qui eut plus de
colonies et où les villes étaient plus rapprochées, s’étendirent aussi dans
l’ouest et dans le nord. Il n’y a pas aujourd’hui un seul canton de notre
territoire où les fouilles n’aient fait découvrir des médailles ou des
antiquités attestant le séjour du peuple roi. On a trouvé les débris d’un
théâtre romain jusqu’au fond de la Bretagne, au milieu des ruines druidiques de Loc-Maria-Ker.
On a comparé le spectacle que devait offrir la
Transalpine au premier siècle de notre ère à celui que présenta l’Amérique du
Nord lorsque la colonisation anglaise y prit ses premiers développements. Les
historiens nous montrent des villes qui s'élèvent, des routes percées à travers
des marais ou des forêts profondes, des champs livrés à la culture, des fleuves
ouverts à la navigation. Les rivières forent l’objet d'importants travaux de
navigabilité. Non-seulement le Rhône ou la Saône, mais la Loire, la Meuse, le
Rhin, portèrent des bateaux de commerce. Les Romains entreprirent dé creuser
des canaux. Corbulon en fit percer un entre la Meuse et le Rhin, l'an 47 de
notre ère. Quelques années après, sous Néron, Lucius Vêtus projeta d’unir la
Saône à la Moselle, c’est-à-dire la Méditerranée à l’Océan; il est vrai que ce
projet ne fut pas exécuté et ne pouvait guère l’être, parce qu’on ignorait
l’art de faire des écluses, c’est-à-dire d'établir des communications entre des
cours d’eau d'un niveau inégal. Enfin les Romains ont construit des levées ou
des digues. Drusus commença, pour contenir le Rhin, une digue qui fut achevée
sous Néron. Les levées de la Loire dans l’Orléanais remontent à Agrippa, du
moins suivant une tradition. Les aqueducs destinés à conduire l'eau aux grandes
villes furent souvent des œuvres gigantesques.
Grâce à ces travaux et à l'affluence des colons, italiens
ou autres, qui apportaient avec eux leur industrie, leurs mœurs et leur langue,
la transformation de la Gaule fut rapide. Il y avait des villes où le latin
était parlé comme à Rome, puisque Martial, qui écrivait au commencement du
second siècle de notre ère, se vantait que ses vers fussent lus à Vienne par
les femmes même et par les enfants. La Narbonnaise donna aux lettres latines
Varron et Cornélius Gallus, au temps de César et d’Auguste» et, un peu plus
tard, Trogue-Pompée, Pétrone et Favorinus.
Les Gaulois durent apprendre d’autant plus aisément la
langue des vainqueurs, qu’elle n’était pas sans analogie avec celle qu’ils
parlaient eux-mêmes; le latin et le celte avaient, comme les deux races latine
et gaélique, une origine commune, bien qu’éloignée. Le latin possédait une
double supériorité, en qualité de langue littéraire et de langue officielle. Le
celte, qui n’était même pas une langue écrite, ne pouvait soutenir la lutte ;
il passa presque partout à l’état de patois. Il se conserva pourtant dans les
campagnes, et il entra dans la formation du français moderne pour une part
réelle, quoique difficile à déterminer.
POLITIQUE DES EMPEREURS
Le long gouvernement d’Auguste, il dura près d’un
demi-siècle, son énergie militaire, l’habileté de ses mesures, la fécondité des
travaux qu’il entreprit, habituèrent les Gaulois à l’obéissance et les
façonnèrent au joug. Les anciennes agitations s’étaient calmées insensiblement.
La huitième année, il est vrai, du règne de Tibère, l’an
21 de notre ère, une révolte éclata chez les Trévires, les Éduens, les Andes et
les Turoniens (Anjou, Touraine), et menaça de s’étendre plus loin encore; les
anciens chefs armèrent leurs clientèles. Mais, autant qu’on en peut juger par
le récit un peu court de Tacite, ce fut une simple émeute causée sur plusieurs
points à la fois par l’aggravation des impôts à la suite des recensements, par
les excitations des agents impériaux, par le malaise des cités, qui étaient
obligées, pour s’acquitter envers l'État, de s’endetter et de payer des
intérêts usuraires. Les Trévires voulurent massacrer les negotiatores,
c’est-à-dire les banquiers ou marchands romains; c’était par des actes
semblables que les soulèvements contre César avaient débuté autre fois. Ils
furent prévenus: bien qu’ils eussent entraîné à la défection un corps
auxiliaire, ils ne purent tenir la campagne, et Florus, qui les commandait,
finit par le suicide, alors la ressource ordinaire des généraux vaincus. Les
Éduens réunirent de leur côté quarante mille hommes et soulevèrent la jeunesse
des écoles méniennes; mais ce n’était qu’une troupe armée de couteaux et
d’épieux; elle fut dispersée aisément, près d'Autun, par Silius,
légat de l’armée du Rhin. Le chef, Sacrovir, s’enfuit
avec quelques-uns des siens dans une maison où ils mirent le feu, et ils
s’entretuèrent dans l’incendie. La révolte ne fut comprimée ni moins vite ni
moins facilement chez les Andes et les Turoniens.
Tibère, Caligula et Claude visitèrent les Gaules, y
firent comme Auguste d’assez longs séjours, et poursuivirent les entreprises
pacifiques qu’il avait commencées. Caligula marqua son passage à Lyon, en l’an
40, par une de ces fêtes gigantesques qui attiraient un immense concours de
peuple et qui semblent avoir été pour les empereurs de cette époque un moyen de
gouvernement. Il y célébra des jeux mêlés, ludi miscelli, c’est-à-dire à la fois gymnastiques et
littéraires, et institua des combats d’éloquence grecque et latine. Caligula,
au rapport de Suétone, subvint aux dépenses de ces fêtes en vendant aux
enchères le mobilier du palais des Césars; il avait une ressource probablement
plus sûre dans les proscriptions et les confiscations de biens dont il frappait
les grands personnages.
On sait que la politique des empereurs s’efforça, sinon
de détruire, au moins d’affaiblir l’ancienne aristocratie romaine, et qu’un des
moyens qu’elle employa fut d’appeler les principaux habitants des provinces
dans la capitale de l’empire. Ainsi, pendant que Rome envoyait au-delà des
Alpes une nuée d’agents, de soldats, de colons et de spéculateurs, elle
attirait à son tour dans ses propres murs, par une conséquence naturelle du
système qu’elle avait suivi, les Gaulois les plus riches, les plus puissants,
les plus ambitieux. L’histoire en cite particulièrement deux : l’orateur
Domitius Afer et l’opulent Valerius Asiaticus, qui
jouirent de l’amitié de Caligula. Il est vrai que le séjour de Rome n’était pas
sûr, même pour les riches provinciaux. Valerius Asiaticus, trop puissant,
disait-on, à Vienne, sa patrie, fut plus tard une des victimes du règne de
Claude.
Auguste avait ouvert les portes du Sénat aux citoyens
romains de la Narbonnaise; Vienne eut l’honneur de donner à Rome les premiers
sénateurs gaulois. Claude, en l’an 48, ouvrit encore le Sénat de droit aux
Eduens, et de fait aux autres nations de la Transalpine. Il invoqua en leur
faveur cent ans de fidélité inviolable et de dévouement éprouvé depuis César;
la révolte de Sacrovir, qui sans doute n’avait laissé
aucune trace, ne méritait pas d’être comptée. Le discours célèbre que Claude
prononça dans cette circonstance, et dont Tacite nous a donné un extrait, fut
gravé sur des tables de marbre, aujourd’hui conservées au musée de Lyon. La
politique impériale triompha l’opposition des vieux Romains et des Italiens,
qui voulaient garder leur privilège. En appelant les peuples conquis à être
représentés dans le Sénat, c’est-à-dire dans le premier conseil du
gouvernement, elle les associa à la fortune de l’empire, autant du moins
qu’elle pouvait le faire, puisque le Sénat, avili, décimé et dépouillé de la
plupart de ses anciens pouvoirs, n’était plus alors que l’ombre de lui-même.
CAMPS DU RHIN
Pendant cent vingt ans, la Gaule avait joui d’une paix
intérieure à peine troublée, quand tout à coup, en l’an 68, elle fut mêlée aux
guerres civiles de l’empire, et appelée à jouer dans ces révolutions un rôle
prépondérant. Ces guerres civiles et le soulèvement national qui les suivit
chez les peuples de la Belgique ont d’autant plus d’intérêt que Tacite nous en
a laissé un admirable récit.
Les Romains avaient formé, sous le règne d’Auguste,
probablement depuis la grande défaite éprouvée par Varus en Germanie, des
établissements considérables sur la ligne du Rhin. Us y entretenaient huit
légions, plus un certain nombre de cohortes. Les légions étaient composées de
soldats éprouvés et en partie de vétérans; elles étaient l’élite et la réserve
des armées; les cohortes, formées des contingents des cités gauloises, libres
ou fédérées, et d’auxiliaires barbares, comprenaient les troupes légères.
Toutes ces forces étaient établies dans des camps permanents, castra stativa, sur le territoire des deux provinces gauloises
qu’on appelait Germanie supérieure et inférieure, à cause de leur population,
germanique d’origine. La première renfermait les cités de Strasbourg, Worms,
Spire et Mayence (Argentorata, Vangiones, Nemetes, Moguntiacum); la
seconde avait pour chef-lieu Cologne, fondation d’Agrippa. Indépendamment de
ces camps, on avait élevé plus de quarante châteaux le long du fleuve et établi
des postes pour en garder tous les gués. Drusus avait percé un canal, la Fossa Drusi, qui déchargeait les
eaux du Rhin dans le lac Flevo, le Zuyderzée actuel, alors séparé de la mer par une ligne de
dunes; ce dernier travail avait rendu habitable une partie des marais de la
Batavie. Les Romains s’étaient formé, au moyen de ces établissements, une
barrière contre les invasions des barbares, et une base d’opérations pour des
entreprises au-delà du fleuve le jour où, non contents d’arrêter les Germains,
ils prétendraient les poursuivre dans leur pays même.
Les armées du Rhin, à peu près aussi permanentes que les
camps où elles étaient établies, manifestèrent beaucoup d’exigences et de
prétentions. Elles s’étaient déjà révoltées plusieurs fois sous Tibère, au
temps où Germanicus les commandait. Ce forent elles qui, les premières,
divulguèrent, comme dit Tacite, le secret de l’empire, en montrant que des
empereurs pouvaient être proclamés ailleurs qu’à Rome. L’an 68, le légat
consulaire Vindex, qui était à la tête d’une légion et de plusieurs corps
d’auxiliaires, se prononça contre Néron. Il se déclara las des infamies d'un
histrion, proclama, de sa seule autorité, Galba, l’un des plus vieux officiers de
l’empire, alors gouverneur d’une des provinces de l'Espagne, et lui offrit
l’appui de la Gaule, qu’il croyait capable de balancer au besoin l’influence de
l’Italie. «La Gaule, lui écrivait-il, est un corps vigoureux qui n’attend
qu’une tête pour le diriger.»
Galba vint à Narbonne, y prit le titre de César, et y
obtint l’adhésion de la plupart des légions et des cités du pays. Un nouveau
recensement, ordonné par Néron, y avait causé un mécontentement très-vif;
l’ordre même y était troublé; des bandes de paysans pillaient les environs de
Lyon sous la conduite d’un soldat nommé Maricus.
Trois cités seulement, Lyon, Langres et Trêves, restèrent fidèles à Néron; la
première, détruite par un incendie terrible, se montrait reconnaissante pour
l'empereur, qui avait consacré des sommes énormes à la rebâtir. Galba prodigua
le titre de citoyen, et diminua les impôts d’un quart chez tous les peuples qui
embrassèrent son parti. Il confisqua les revenus de Lyon, et enleva aux Lingons
et aux Trévires une partie de leurs territoires. Ainsi la Gaule fut mêlée
directement à une guerre civile dont l’objet lui était sans doute étranger,
mais où elle partageait le rôle principal avec les légions du Rhin. Néron fut
abandonné à Borne même par le peuple et les prétoriens, et un décret du Sénat,
approuvant le choix de Galba, légitima les pouvoirs du nouvel empereur.
Mais avant que ces derniers événements fussent connus
dans la Gaule, Virginius Rufus, autre légat de
l’armée du Rhin, s’était prononcé à son tour contre Galba. Il avait battu les
troupes de Vindex dans la Séquanie et réduit ce dernier à se percer de son
épée. La nouvelle que Galba était maître de Rome le surprit au milieu de sa
victoire. Ses soldats craignirent d’être décimés. Ils n’avaient qu’un moyen de
prévenir le châtiment qui les menaçait, c'était de faire un empereur. Us
offrirent la pourpre à Virginius, et, sur son refus,
s’unirent aux légions du Rhin inférieur, qui proclamaient un nouveau
prétendant, le consulaire Vitellius.
RÉVOLTE DES LÉGIONS VITELLIENNES
Vitellius, issu d’une famille illustre et possesseur
d’une fortune prodigieuse, était un des hommes les plus corrompus et les plus
décriés de l’empire. Il avait gagné les légions du Rhin inférieur par ses
prodigalités et ses manières populaires; il avait acheté leurs suffrages en
flattant leur avidité et leurs passions. Les soldats trafiquaient de ces
suffrages, dont ils avaient appris à connaître la valeur, et les camps étaient
changés en assemblées tumultueuses. Revêtu de la pourpre à Cologne, Vitellius
éloigna ou fit périr les centurions sur lesquels il ne pouvait compter,
s’assura de la fidélité des troupes de Virginius par
des largesses abondantes, et leur promit les dépouilles des partisans de Galba.
Il se fit en même temps livrer des auxiliaires, des chevaux, des armes, des
subsides, par les Lingons et les Trévires, ennemis de son rival, et disposa de
cette manière d’une armée nombreuse et bien pourvue, qu’on appela l’armée
vitellienne. Cette armée, divisée en deux corps, que commandaient deux
lieutenants pleins de résolution, Cécina et Valens,
marcha sur Rome pour imposer à l’Italie l’empereur de son choix.
Le corps de Valens, fort de quarante mille hommes,
traversa la Gaule du nord au sud, pendant que Cécina remontait le Rhin et passait par la Rhétie. Valens devait proclamer partout
Vitellius et le faire reconnaître par les peuples qui s’étaient prononcés pour
Galba. Sa marche fut signalée par des violences qui jettent une sombre lueur
sur le sort réservé aux provinces dans de pareilles guerres civiles. Les
vitelliens, bien que favorablement accueillis à Metz ou Divodurum (chez les Mediomatrici), commencèrent par y massacrer
quatre mille personnes. Aussitôt l’épouvante fût générale; les villes qui se
trouvaient sur leur passage furent désertées, les populations prirent la fuite.
Les Lingons, les Éduens, Lyon, l’Aquitaine, la Narbonnaise, n’ayant aucun moyen
de résister, furent frappés de contributions énormes et obligés d’acclamer
Vitellius. La cause vitellienne ne tarda pas à triompher en Italie. Déjà Galba
n’y régnait plus. Othon, son meurtrier et son successeur, fut battu par les
vitelliens, et réduit, le soir même de sa défaite, à se percer de son épée.
A ce tableau d’insurrections militaires et d’excès commis
par des armées rebelles, il faut ajouter, comme une conséquence nécessaire, le
retour des rivalités et des guerres locales comprimées depuis César. Vienne et
Lyon, qui avaient suivi des partis différents, et qui élevaient des prétentions
opposées sur la navigation du Rhône, en vinrent à des hostilités ouvertes. La
lutte se termina par un arbitrage des Marseillais, qui rédigèrent un traité
entre les deux cités, et le soumirent ensuite à la confirmation impériale.
Jusqu’ici la Gaule s’était bornée à un rôle passif dans
des révolutions dont l’empire était l’enjeu. Mais un soulèvement éclata chez
les Bataves, et réveilla dans le nord les souvenirs de l’ancienne indépendance
nationale.
SOULÈVEMENT DES BATAVES
Les Bataves habitaient, à l’extrémité septentrionale, les
plaines basses formant une espèce d’ile aux embouchures de la Meuse et du Rhin.
Ils ne payaient aucun impôt et ne fournissaient que des soldats. Tacite dit
qu’on les réservait comme des instruments de guerre. On vantait l’habileté de
leurs cavaliers, qui traversaient les fleuves à cheval et tout armés. Les
agents impériaux chargés de la levée des recrues soulevèrent la nation par leur
vénalité et leurs exigences brutales.
Civilis donna le signal d’une prise d’armes. Il était
issu d’une des principales familles du pays. Élevé autrefois au grade de préfet
d’une cohorte auxiliaire, puis enchaîné par les lieutenants de Néron et
poursuivi naguère encore par ceux de Vitellius, il en avait conçu contre Rome
une passion de vengeance qu’on a comparée à la haine d’Annibal. Il entraîna ses
compatriotes en leur faisant entendre que s’ils étaient vaincus, ils
déclareraient avoir pris les armes pour Vespasien, nouveau compétiteur donné à
Vitellius par les légions d’Orient, et que si la fortune se déclarait pour eux,
ils n’auraient de compte à rendre à personne.
L’insurrection commença par le désarmement des postes de
l’île des Bataves, composés en partie de recrues tirées du pays même. Civilis
battit les cohortes les plus voisines, qui opposèrent peu de résistance, parce
qu’il avait séduit les corps auxiliaires qui leur étaient attachés. Il s’empara
de dépôts d’armes et d’une flottille de vingt-quatre navires, en station sur le
Rhin. Puis il adressa un appel aux nations germaniques et gauloises, en leur
représentant que les forces de Vindex et de Virginius,
qui avaient tous deux disposé de l’empire, étaient presque entièrement
composées de contingents gaulois.
Hordeonius Flaccus, qui commandait dans la Germanie inférieure et qui
était âgé et goutteux, laissa d’abord, par faiblesse et peut-être par
connivence, Tacite du moins l’en accuse, le champ libre à l’insurrection. Il
envoya tardivement contre elle deux légions. Ces légions, abandonnées en route
par leurs auxiliaires furent obligées de s'enfermer au vieux camp appelé Vetera Castra.
Pendant ce temps, des cohortes bataves qui se rendaient à
Rome apprirent les premiers succès de leurs compatriotes. Elles rebroussèrent
chemin pour s’unir à eux, et détruisirent, près de Bonn, trois mille
légionnaires qui leur barraient le passage. Civilis, ayant ainsi augmenté le
nombre de ses soldats, leur fit, pour plus de sûreté, prêter serment au nom de
Vespasien, et somma les deux légions enfermées au vieux camp de le prêter
aussi. Sur leur refus, il les assiégea. Il occupait les deux rives du Rhin, qui
communiquaient par une flottille. Son armée, déployée dans la plaine, était
composée de vieilles troupes qui gardaient leurs enseignes romaines et de
barbares qui portaient au haut des leurs des figures d’animaux sauvages. Les
Bataves, encouragés par les dispositions des peuples voisins, dont leurs succès
ébranlaient la fidélité, et qui s’apprêtaient à refuser comme eux les levées
d’hommes et de tributs, donnèrent l’assaut au vieux camp, sans réussir
toutefois à l'enlever.
Hordeonius paraissait dédaigner l’insurrection ou attendre que l’événement eût prononcé
entre Vitellius et Vespasien. Ses soldats, impatients de ses lenteurs,
l’accusèrent d’incapacité ou de trahison, et l’obligèrent à foire marcher de
nouvelles troupes, sous les ordres de deux lieutenants. Le premier de ces lieutenants, Vocula, rallia les différents corps disséminés le
long du Rhin, s’avança jusqu’à Novesium ou Nuys, et s’établit en face de l’ennemi dans un camp
retranché à Gelduba (Gelb).
Le second, Herennius Flaccus,
se fit battre dans une rencontre; les troupes qu’il commandait crurent qu’il
avait voulu les perdre, s’emparèrent de lui, le chargèrent de fors, et
l’auraient massacré, si Vocula n’était survenu pour
l’arracher à leur furie.
Civilis mit à profit ces divisions et ces hésitations. Il
reçut des renforts de la Germanie, écrasa les Ubiens,
que les Germains regardaient comme des traîtres à cause de leur fidélité à
Rome, envoya ses cavaliers au-delà de la Meuse pour soulever les Ménapiens et
les Morins, et pressa le siège du vieux camp avec les machines qu’il avait fait
construire.
La guerre devenait ainsi de plus en plus sérieuse, quand
on apprit que les lieutenants de Vespasien venaient d’entrer à Rome, et que
Vitellius avait péri comme ses prédécesseurs.
Cette nouvelle acheva d’exaspérer les légions
vitelliennes, qui depuis longtemps se croyaient trahies par leurs chefs. Hordeonius, s’étant prononcé pour Vespasien, fut
immédiatement assassiné. Les légats et les centurions, ayant fait presque tous
la même déclaration, virent leur autorité méconnue. Les soldats, entraînés par
quelques vitelliens fanatiques, craignant d’ailleurs d’être punis par le nouvel
empereur, finirent par écouter les offres de Civilis, dont les déclarations
antérieures en faveur de Vespasien n’avaient été qu’une feinte, et qui saisit
cette occasion de lever le masque.
Alors les peuples de la Gaule du nord, qui s’étaient
apprêtés à soutenir le chef des Bataves, mais que la crainte avait retenus
jusque-là, se déclarèrent tout à fait, d’abord les Trévires sous les ordres de
Julius Classicus et de Julius Tutor,
puis les Lingons commandés par Sabinus, qui prit la pourpre en qualité de
prétendu descendant de César. Civilis fit jurer à ses soldats Rétablissement
d’un empire gaulois, auquel il voulait donner pour frontière des postes fortifiés
dans les passages des Alpes Les druides reparurent et annoncèrent la chute de
Rome, prédiction qui accompagnait infailliblement toute levée de boucliers chez
les peuples celtiques. On vit des chefs marcher à la guerre suivis, comme
autrefois, d’un cortège de clients. Mais ce réveil des souvenirs nationaux
changea peu le caractère d’une guerre que les Romains pouvaient regarder comme
une guerre civile, puisque l’armée de Civilis s’était formée et grossie
successivement par la défection de leurs propres troupes.
Civilis poursuivit le genre de succès qu’il avait déjà
obtenus. Les soldats de Vocula se laissèrent gagner
par les chefs des Trévires, massacrèrent leur commandant, enchaînèrent leurs
officiers et prêtèrent serment de fidélité à l’empire gaulois. Les légions du
vieux camp, décimées par la famine, furent réduites à poser les armes. Partout
au nord de Mayence les établissements romains furent détruits, les images des
empereurs arrachées. Le chef des Bataves délibéra s’il raserait Cologne, à la sollicitation
des Germains qui demandaient sa destruction; mais il jugea plus prudent de
céder aux prières des habitants et de la conserver comme place forte. Passant
ensuite la Meuse, il reçut la soumission des Tongres et des Nerviens.
Jusque-là son triomphe était complet. Les Gaulois ne
tardèrent pas à aider au rétablissement de la fortune de Rome. Les Séquanes,
restés fidèles, livrèrent un combat aux Lingons, les taillèrent en pièces, et
obligèrent leur chef Sabinus à se cacher. On raconte qu’enfermé dans un
souterrain, il y défia neuf ans les recherches de Vespasien, grâce au
dévouement de sa femme Éponine; il finit cependant
par tomber au pouvoir des agents impériaux, et subit le supplice ordinaire des
généraux vaincus, supplice qui chez les Romains ne se prescrivait jamais. Éponine, n’ayant pu obtenir sa grâce, poussa le dévouement
jusqu’au bout, et voulut mourir avec lui.
La victoire obtenue par les Séquanes arrêta les progrès
de l’insurrection. On apprit bientôt que de nouvelles légions venaient de
l’Espagne, de la Bretagne et de l’Italie réparer les revers et les défections
de celles de la Gaule. Les Rèmes réunirent un conventus ou une assemblée des députés des peuples
belges, pour délibérer sur la conduite à tenir en commun. Ces députés, dominés,
les uns par le sentiment de la fidélité, les autres par celui de la crainte,
écoutèrent favorablement la voix des orateurs pacifiques. Il était d’ailleurs
difficile qu’un accord contre le gouvernement romain pût s’établir entre des
nations dont Rome avait eu soin d’entretenir les anciennes jalousies, et qui
avaient embrassé dans la guerre de Vindex des partis différents. Elles
n’avaient pas, dit Tacite, attendu la victoire pour se diviser.
La seule approche des légions d’Italie qui venaient par
la vallée du Rhin, jeta le désordre dans les rangs des rebelles. Classicus, Tutor, furent battus,
et la défection gagna leurs troupes. Petilius Cérialis arriva dans la Gaule du nord précédé d’une grande
réputation militaire. Il amenait avec lui des légions unies, disciplinées,
ardentes et sûres d’elles-mêmes. Il déclara qu’elles lui suffisaient, et refusa
d’employer les contingents gaulois dont la fidélité était douteuse; cette
exonération des contingents fut reçue avec enthousiasme par les peuples belges. Cérialis prit vivement l’offensive. Parti de Mayence,
il marcha sur Trêves, dont un seul combat lui ouvrit les portes. Ses soldats
voulaient mettre la ville à feu et à sang; il parvint à la soustraire à leur
fureur, et il y rallia les légions vitelliennes, auxquelles il promit l’oubli
du passé. Tutor, Classicus et Civilis, qui avaient réuni leurs forces, et qui, dit Tacite, offraient aux
Gaulois la liberté, aux Bataves la gloire, aux Germains le pillage, essayèrent
de le surprendre et de l’écraser, mais ne purent triompher des légions. Rompues
un instant, elles se reformèrent et les mirent en fuite. Cologne, Tolbiac,
égorgèrent leurs garnisons germaines, et les Romains rentrèrent dans les deux
places. Civilis, réfugié aux Vetera Castra, y livra
une seconde bataille dans laquelle il fut encore vaincu, quoiqu’il eût couvert
sa position par des marais.
Après ces deux défaites, il ne lui restait qu’un asile,
l’île des Bataves. Drusus avait élevé une digue, à l’endroit où se séparent les
eaux du Rhin, pour les diriger vers l’embouchure septentrionale. Civilis,
rompant cette digue, dirigea le principal courant vers le bras méridional,
qu’on appelait déjà le Wahal, et qu’il mit entre les Romains et lui. Mais Cérialis équipa une flotte qui descendit les bouches du
fleuve, pénétra dans l’île et y occupa la position de Batavodurum (Vyk te Duerstedt). Les
Bataves et leurs, alliés furent alors réduits à poser les armes.
Tacite a mis dans la bouche de Cérialis,
suivant l’usage des historiens anciens, un magnifique discours adressé aux
Trévires et aux Lingons. Il est impossible d’exposer avec plus de hauteur et de
vérité, non-seulement la condition de la Gaule, mais la politique de Rome,
politique toute militaire, qui consistait à contenir et à protéger les pays
conquis au moyen des légions, que leur admirable organisation, leur discipline
et leurs ressources matérielles concouraient à rendre invincibles.
«Les généraux romains, fait-il dire par Cérialis aux Gaulois, sont entrés dans votre pays pour
répondre à l’appel de vos aïeux, qui étaient fatigués de leurs discordes et
menacés par elles d’une ruine totale. Vos aïeux avaient déjà eu recours aux
Germains; mais ceux-ci avaient asservi également les peuples qu’ils étaient
venus protéger et ceux contre lesquels ils avaient porté les armes... Nous ne
nous sommes pas établis sur le Rhin pour défendre l’Italie, mais pour empêcher
un nouvel Arioviste de conquérir les Gaules... Les Germains ont toujours une
même raison qui les pousse sur votre territoire, l’inquiétude, l’avidité, la
passion du changement, passion naturelle, quant au lieu de leurs marais et de
leurs déserts ils espèrent posséder un sol d’une fertilité extrême et devenir
vos maîtres. Sans doute ils mettent en avant la liberté et les prétextes les
plus spécieux; mais qui a jamais désiré la servitude pour autrui et la
domination pour soi-méme, sans employer un pareil
langage?
«Malgré vos nombreuses provocations, nous n’avons usé des
droits de la victoire que pour une seule chose; nous vous avons demandé les
moyens nécessaires de maintenir la paix. Car le repos des peuples est
impossible sans armée. Une armée entraîne une solde, et la solde le tribut. Tout
le reste est commun entre vous et nous. Le plus souvent, c’est vous qui
commandez nos légions, vous qui gouvernez ces provinces et les autres. Pour
nous, point de privilèges; pour vous, aucune exclusion!
«Supposez que les Romains soient chassés de leurs
conquêtes, qu’en peut-il résulter, sinon une mêlée générale de tous les peuples
de la terre? »
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