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HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

HISTOIRE DES MEROVINGIENS

 

CLOTAIRE II, ROI DE NEUSTRIE; CHILDEBERT ET ENSUITE SES DEUX FILS THÉODEBERT ET THIEURY, ROIS d'AUSTRASIE ET DE BOURGOGNE.


Ambition de Childebert. — Politique habile de Fredegondc. — Victoire de son gênerai Landry. — Défaite des Saxons.—Mort de Childeliert et de sa femme. — Changemens dans laloi salique.

CHILDEBERT, loin de se borner à la possession des deux tiers de la France, en voulait conquérir le reste : il y était excité par la vindicative Brunehaut, dont l'existence était incompatible avec celle de Frédégonde; tous deux espéraient s'emparer promptement de la Neustrie qui n'était défendue et gouvernée que par une
femme détestée, que par un faible enfant.

Frédégonde trompa leur attente; cette reine déploya autant d'adresse dans sa politique et de courage contre ses ennemis, qu'elle avait montré d'audace pour égorger ses victimes; déjà elle avait regagné l'affcctn d'une partie du peuple, en décidant son époux à supprimer les impôts. Redoublant ses efforts pour se concilier les esprits au milieu des orages qui la menaçaient, elle apaise le clergé par des sou-missions, gagne les soldats par des largesses, séduit les grads par l'appât des dons et par l'éclat des dignités, rassemble ses troupes, marche intrépidement à leur tète et enflamme leur courage, en leur montrant son fils Clotaire qu'elle portait dans ses bras.

Bientôt les deux armées sont en présence, non loin de Soissons : celle de Childebert était plus nombreuse, plus aguerrie; mais, dans cette lutte inégale, Frédégonde sut opposer avec succès la ruse à la force. Au milieu d'une nuit obscure, son général Landry ordonne à chaque soldat de porter un arbre et une lumière; tout à coup les Austrasiens, réveillés au bruit des trompettes, s'épouvantent à la vue de cette forêt qui marche entourée de feux; une terreur panique les saisit; ils prennent la fuite, perdent quatre mille hommes daus leur déroute, et Frédégonde triomphe sans avoir combattu.

A la nouvelle des dissensions qui déchiraient la France, les peuples du Nord espèrent que le moment est arrivé d'envahir de nouveau cette riche proie. Les Saxons, les Anglais, les Hernies accourent en foule dans la Frise, dans la Batavie, et les dévastent. Mais Childebert marche contre eux, les attaque avec rapidité, les défait et les détruit presque entièrement.

Le poëte Fortunat, évéque de Poitiers, céllebra par ses vers les exploits du duc Lupus dans cette guerre glorieuse. Une victoire si éclatante faisait espérer aux Français et craindre à Frédégonde le règne d'un nouveau Clovis; mais, cette même année, ce jeune roi et sa femme moururent; on les crut empoisonnés; et l'idée du poison s'unit nécessairement dans l'opinion générale au nom de Frédégonde.

Childebert avait régné vingt ans, et venait d'atteindre sa vingt-sixième année. On trouve son éloge dans les lettres du pape Grégoire-le-Grand et dans les vers du poëte Fortunat : mais ce qui prouve surtout qu'il en était digne, c'est qu'il fut sincèrement regretté par son peuple.

Ce roi, instruit, actif, brave, s'occupait également d'affermir sa puissance par les armes et de rétablir l'ordre par les lois. Ayant conclu un traité de paix avec Clotaire, après la bataille gagnée par Landry, tous deux signèrent un pacte dont le but était de réprimer les vols devenus trop communs et surtout ceux des serfs : ce pacte forma depuis le quatrième livre de la loi salique.

Un autre décret du même roi introduisit dans la même loi salique des changemens importans. Le préambule de cette ordonnance est très remarquable, puisqu'il prouve sans réplique que les assemblées nationales se tenaient régulièrement, et que tout ce qui intéressait l'État y était délibéré.

« Ayant, toutes les années aux calendes de mars, dit Childebert , réuni tous les grands de nos États, nous avons au nom de Dieu traité dans ces assemblées de toutes les affaires de notre royaume; et notre intention est d'en faire connaître à chacun les résultats. »

Le roi rend compte d'abord des décisions prises sur les successions par l'assemblée d'Andernach ou d'Attigny, la vingtième année de son règne, et rapporte de même ensuite les décisions des autres assemblées.

En voici les principales : Les mariages entre beaux-frères et belles-sœurs, tantes et neveux, beaux-fils et belles-mères , sont interdits et déclarés incestueux. Le réfractaire excommunié sera chassé du palais et privé de ses biens.

La peine de mort est attachée au crime de rapt, par la décision d'une autre assemblée où tout le peuple, dit le roi, s'était trouvé réuni; et il est défendu aux grands d'intercéder pour le coupable.

L'homicide est puni de mort sans pouvoir se racheter; si un des parens de la personne assassinée consent au rachat, il est défendu aux autres parens de l'assister dans cette lâcheté.

Cinq ou sept témoins de bonne foi suflisent, en prêtant serment, pour convaincre l'accusé.

Le vol est puni de mort; et si le juge relâche le voleur, il perd lui-même la vie.

La garde préposée à maintenir l'ordre est divisée par troupes nommées centaines : chacune doit payer le prix de la chose volée sur son territoire, si elle ne découvre pas le voleur. »

Cette célèbre ordonnan ve à la suite de la loi salique publiée par Pithou. Elle nous montre les efforts que faisaient les rois pour sortir de la barbarie, et comme dans toute législation la gravité des mœurs est indiquée par la violence des remèdes; car c'est au milieu des mœurs les plus corrompues que naissent les lois sévères.

 

CLOTAIRE II, ROI DE NEUSTRIE , SOUS LA RÉGENCE DE FRÉDÉGONDE, THEODEBERT, ROI D'AUSTRASIE; TIERRY, ROI DE BOURGOGNE, SOUS LA REGENCE DE BRUNEHAUT (595.)


Gouvernement de la France. — Victoire et mort de Fredegonde. — Règne tyrannique de Brunehaut. — Révolte contre elle. — Sa régence en Bourgogne. — Guerres civiles. — Assassinat de Protade, maire du palais. — Massacre de Theodebert et de ses enfans. — Mort de Thierry. — Supplice de Brunehaut. — Son apologie.

 

La mort de Childebert et de Contran laissait les renés de la France entre les mains de trois enfans et de deux femmes acharnées à se détruire. Clotaire II était âgé de huit ans, Théodebert de dix, et Thierry de neuf. Leur innocence, égarée par la rage de deux reines ambitieuses, eut pour premiers jeux des combats, et pour premier spectacle le sang des Français inondant la France. Les armées des trois rois ne tardèrent pas à se chercher, à se rencontrer et à s'attaquer; elles virent à leur tête les trois enfans couronnés et leurs implacables mères.

Frédégonde , aussi redoutable par le glaive que par le poignard, fut favorisée par la fortune, demeura victorieuse, força ses ennemis à la retraite, et rentra triomphante dans Paris, dont elle conserva l'entière possession à son fils. Cette victoire sanglante fut la dernière joie de sa vie : elle mourut et reçut probablement dans un autre séjour le châtiment de tous ses crimes , que le sort sur la terre avait constamment couronnés de succès. Le siècle gémit de sa fortune et s'y soumit; l'histoire est chargée de sa condamnation. o

Bruuehaut, délivrée de cette odieuse rivale, ne vit plus d'obstacle à son ambition, affecta la puissance absolue, et ternit, par son orgueil, si l'on en croit ses ennemis, un régne que la justice et la modération auraient pu rendre glorieux.

Les Huns, attirés par les troubles qui déchiraient et affaiblissaient l'empire français, traversèrent, en les ravageant, la Bohème, l'Esclavonie, la Bavière, et pénétrèrent sur le territoire de la France. Brunehaut, trop occupée des querelles intérieures de l'Etat, n'osa point combattre ces formidables ennemis; elle prit le parti timide, et par-là même dangereux, de les éloigner à prix d'argent.

Cette reine, avide de pouvoir, imita la conduite arbitraire des rois Clotaire et Chilpéric; elle priva de leurs charges et de leurs bénéfices les grands qui lui résistèrent, et donna leurs dépouilles à ses favoris. Sous son régne, la fierté conduisait à la proscription , et la servilité à la fortune. On l'accusa d'avoir fait tuer par ses émissaires le duc Ventrion, dont elleredoutait l'influence et enviait les richesses. Ces spoliations subites, ces fortunes soudaines remplissaient la cour d'intrigues et de mécontentemens.

Bientôt tous les leudes, turbulens, fatigués de subir le joug de quelques favoris et les caprices d'une femme, se rassemblent, se liguent, soulèvent le peuple de Metz, forcent le palais, et en chassent ignominieusement Brunehaut. Quelques soldats la conduisirent près d'Arcis-sur-Aube : là cette reine, naguère si superbe, se vit seule, abandonnée, sans argent, sans asile, et à peine couverte des vètemens de l'indigence. Dans cet état d'isolement, de honte et de détresse, un mendiant qui passait reconnaît la reine, la prend sous sa protection, et l'accompagne jusqu'à Châlons, où son fils Thierry la reçut avec un respect mêlé de chagrin et de crainte.

Cependaut, comme elle était aussi spirituelle et aussi insinuante qu'orgueilleuse, elle prit bientôt un entier ascendant sur ce fils, dont elle amollit le caractère, en le détournant de ses devoirs , et en le livrant aux pièges séducteurs des voluptés. Sous son nom, elle régna en maitre sur la Bourgogne, et une fortune rapide récompensa le pauvre qui l'avait secourue; il devint évêque d'Auxerre.

La gucrrc recommença entre Clotaire et les rois Thierry et Théodebert. ils se livrèrent bataille auprès de Moret : la défaite du roi de Neustrie fut complète; Clotaire perdit trente mille hommes, chercha son salut dans la fuite, et se vit contraint de céder aux rois ses cousins la plus grande partie de ses États. Les princes vainqueurs portèrent ensuite leurs armes en Aquitaine contre les Gascons, les soumirent et les obligèrent à payer un tribut.

Les grands du royaume de Bourgogne commençaient à trouver à leur tour le joug de Brunehaut dur et pesant; leurs murmures contre ses injustices n'épargnaient point ses mœurs; et, quoique son âge ne lui permît plus d'inspirer de l'amour, ils l'accusaient de s'entourer d'amans qu'elle éblouissait, non plus par ses charmes , mais par l'appât de ses largesses.

La réputation, le crédit et l'indépendance du patrice Egila l'importunaient : il périt, et Brunehaut donna ses dépouilles à son favori Protade, Romain d'une commune extraction, qu'elle éleva rapidement aux plus hautes dignités; elle lui donna le titre de duc, et elle voulait qu'il occupât la place importante de maire du palais de Bourgogne : c'était pour elle le moyen de dominer et son fils et les grands ; mais cette charge était remplie par Berthoald que défendait l'alfection des leudes, du peuple et de l'armée.

Ne pouvant le renverser par la force, Brunehaut réussit à le perdre par ses artifices. La guerre venait d'éclater de nouveau entre Clotaire et les petits-fils de Brunehaut; la reine fit partir Berthoald pour la Neustrie avec des troupes peu nombreuses , et ne lui envoya point les renforts qu'il attendait.

Landry, comme la reine l'avait prévu, l'attaqua, le défit et l'assiégea dans Orléans. Cependant Berthoald par son courage avait échappé aux armes de ses ennemis; Thierry vint le secourir, et livra aux Neustriens une bataille près d'Étampes. Landry fut taillé en pièces; mai Berthoald périt dans le combat; et, selon les desirs de la reine, Protade devint maire du palais.

Les rois commençaient à vouloir régner : Théodebert invitait son frère à sortir de la tutelle de Brunehaut. Tous deux marchèrent contre Clotaire; mais, au moment de le combattre, ils se reconcilièrent avec lui sans consulter la reine, qui ne voyait dans ce même Clotaire que le fils de l'odieuse Frédégonde.

Cet acte d'indépendance avertit Brunehaut que sa puissance allait tomber; furieuse et ne pouvant vivre sans régner, elle conçut, si l'on doit en croire les ennemis de sa mémoire, l'horrible projet d'armer ses enfans l'un contre l'autre; et dans ce dessein elle sut, dit-on, persuader à Thierry que son frère Théodebert n'avait aucun droit légitime au trône, étant le fruit, non de l'hymen de Childebert et de Failleube, mais de l'adultère de cette reine avec un jardinier.

Quol qu'il en soit, il est certain que les deux frères se brouillèrent, prirent les armes et marchèrent pour se combattre. Les glaives étaient levés, on avait donné le signal de la bataille, lorsque des deux côtés les leudes, indignés de cette guerre impie, se révoltent, entourent tumultueusement leurs princes, les forcent à se réconcilier, et se précipitent ensuite dans la tente où se trouvait le maire Protade, qu'ils regardaient comme l'auteur de ces discordes; ils le voient jouant tranquillement aux échecs, l'accablent d'outrages , et le font périr sous leurs coups.

Brunehaut , pour se venger de cet affront, chercha de nouveaux appuis par de nouveaux crimes, intimidant Thierry par son audace, gagnant le clergé par ses fondations et par ses largesses, prodiguant, à tous ceux qui voulaient la servir, et ses trésors et ses faveurs, épouvantant les autres par des proscriptions, elle parvint encore à raifermir sa puissance chancelante.

L'évèquc de Lyon, Didier, osa lui adresser des reproches publics sur le scandale de sa conduite : la reine l'exila; on la soupçonna même de l'avoir fait lapider dans une émeute. Thierry voulut quelque temps après demander en mariage la fille du roi des Visigoths; Brunehaut s'y opposa, lui permettant des maîtresses qu'elle méprisait, mais non une femme qui aurait bientôt balancé son pouvoir.

Ce fut alors que le saint abbé Colomban, célèbre par sa piété, vint conjurer Thierry de contracter un lien légitime et de renoncer à ses débauches qui dégradaient le trône; mais l'ardeur de son zèle l'entraîna hors des bornes de son devoir; il éclata contre le prince et la reine en invectives et en menaces. Brunehaut le bannit; et Clotaire , en lui donnant un asile, le sauva d'un sort plus funeste.

Dans le même temps Théodebert épousa une de ses esclaves; bientôt cette femme périt. Théodebert la crut empoisonnée; il en soupçonna Brunehaut, et en accusa même la servile complaisance de Thierry. La guerre recommença entre les deux frères; vainement les leudes voulurent encore les rapprocher : Thierry, invité à une conférence, y tomba dans un piège tendu par la perfidie; soudainement entouré et assailli, il se vit contraint, pour sauver ses jours, de céder une partie de son royaume à son frère.

Thierry, excité à la vengeance par l'implacable Brunchaut, rassembla de nouvelles troupes, battit Théodebert à Tours, et le défit une seconde fois près de Tolbiac. Dans ce dernier combat, Tbéodebert, abandonné des siens, fut pris et décapité; on massacra ses enfans; et quelques auteurs assurent qu'un des soldats de Brunehaut écrasa contre une muraille la tête du dernier de ces princes.

Thierry, maître de la Bourgogne et de l'Austrasie par ces crimes, crut peut-être les expier par le châtiment de sa coupable aïeule qui les lui avait inspirés. Mais, au moment où il méditait sa ruine, la mort le frappa, et Brunehaut fut accusée de ce forfait.

Thierry mourut; il était âgé de vingt-six ans, et en avait régné dix-sept : il laissait six fils; aucun n'était légitime. Cependant les deux plus âgés, Sigebert et Childebert, furent proclamés rois , l'un d'Austrasie et l'autre de Bourgogne; et Brunehaut put se flatter encore qu'elle allait régner sous leurs noms.

L'indignation excitée par tant de meurtres était devenue générale; les principaux leudes des deux royaumes forment une vaste conspiration; ils s'entendent secrètement avec Clotaire. Le roi de Neustrie, sûr de leur appui, s'avance à la tète de ses troupes, et réclame hautement l'héritage de Thierry. Bientôt les armées sont en présence; mais, à l'instant où l'on donne le sifrnal du combat, les antrustions, les leudes, les chefs austrasiens et bourguignons se retirent et livrent leurs princes sans défense au pouvoir de Clotaire. Le fils de Frédégonde les condamna tous à la mort, excepté Mérovée qui se fit moine, et Childebert qui se sauva, et dont on ne trouva plus jamais ni le nom ni les traces.

Brunehaut ne put échapper au sort terrible qui l'attendait; poursuivie dans sa fuite, elle fut arrêtée et livrée à la vengeance du fils de Frédégonde. Clotaire, animé dos fureurs de sa mère, dont l'ombre parut encore planer sur la France, ne prévit point qu'il allait porter un coup funeste à la royauté et dégrader lui-même le trône par le supplice d'une reine. Rassemblant tous les Francs au Champ-de-Mars, il accusa Brunehaut de la mort de dix rois et de tous les crimes commis par sa propre mère : elle fut condamnée.

Cette princesse, dont la misère dut faire oublier l'orgueil, jugée par la haine plus que par la justice, fut livrée aux outrages d'un peuple toujours prompt à fouler aux pieds la puissance devant laquelle il se prosternait la veille : la fille, l'épouse, la mère et l'aïeule des rois , couverte de haillons, se vit promenée sur un chameau pendant trois jours dans le camp, et exposée aux insultes d'une soldatesque effrénée; après ce supplice, plus affreux pour elle que la mort, on attacha l'infortunée aux crins d'une cavale indomptée qui brisa sa tête sous ses pieds, déchira son corps au milieu des ronces, et écrasa ses membres sur les cailloux : les flammes consumèrent ses restes; le vent dispersa ses cendres; il ne resta d'elle que le souvenir de son ambition , de ses crimes, de son châtiment et de l'horreur presque égale qu'inspirent une telle coupable et de tels juges.

Nous avons répété les arrêts prononcés par plusieurs historiens contre cette reine trop ambitieuse et trop punie : il fallait cependant qu'il y eût dans son caractère quelque mélange de vertus, car elle a trouvé des apologistes aussi zélés que ses ennemis étaient ardens. Ses défenseurs vantent son habileté, son éloquence, sa générosité et même sa bonté; ils nient tous les crimes qu'on lui impute, et en accusent ses fils, leurs ministres et les mœurs du temps. Ce qui est certain, c'est que dans les lettres de cette princesse qui sont parvenues jusqu'à nous, et qu'elle adressait à l'empereur Maurice, à l'impératrice Anastasie, aux grands de Constanlinople, à deux papes et à son petit-fils Athanagilde, on remarque de l'urbanité dans le ton, de l'élégance dans le style, beaucoup de douceur et même de sensibilité dans les ex-pressions; loin de lui reprocher de l'orgueil dans ses correspondances, on voit avec quelque peine qu'elle et son époux, abaissant la fierté du langage que tenaient précédemment les fils de Clovis, sollicitaient avec trop d'empressement la bienveillance et l'appui des empereurs d'Orient, tandis que Maurice leur reprochait avec hauteur d'être plus prompts à lui envoyer des ambassadeurs que des soldats.

Les papes Pelage et Grégoire-le-Grand, au moment où ils réprimandaient Chilpéric et Clotaire, et où ils se plaignaient à Brunehaut des seandales du clergé des Gaules, des désordres des prêtres et de la vente honteuse des dignités ecclésiastiques, donnaient les plus grands éloges à l'administration sage et à la piété éclairée de la reine d'Austrasie. Ils félicitèrent cette reine d'avoir favorisé la conversion des Anglais à la foi chrétienne. Grégoire attribue à l'éducation qu'a reçue son fils Childebert l'a-vantage qu'il lui doit de voir son règne plus florissant que celui des autres rois.

Ce qui doit faire croire à la sincérité des louanges de Grégoire, c'est qu'il y mêle de sages conseils contre l'ambition de Brunehaut. « Voulez-vous jouir paisiblement, lui disait-il, soyez très attentive à n'acquérir que par des moyens légitimes. Si vous voulez vaincre vos ennemis, prouvez que vous leur êtes supérieure en vertus : suivez les principes de Dieu , et Dieu combattra pour vous ; l'autorité doit avoir pour base la justice : vous tenez inviolablement à cette règle; on le voit par la manière digne d'éloges avec laquelle vous gouvernez tant d'États divers, tant de peuples diffërens. Comment pourrait-on douter de votre bonté , quand on voit que votre générosité pour vos sujets n'a d'autres bornés que celles de votre pouvoir!»

Dans d'autres lettres, vantant toujours le zèle pieux de Brunehaut, et la remerciant du lustre qu'elle répand sur l'Église, il l'invite à détruire les restes du culte des arbres, des idoles et des sacrifices païens; il lui demande de ne plus permettre aux juifs d'avoir des esclaves chrétiens, et, comptant sur sa justice sévère, il lui confie les chagrins que lui causent les scandales du clergé des Gaules. «Nous avons appris, lui écrit-il, des désordres qui nous aflligent au-delà de toute expression. On assure que certains prêtres de vos États se comportent d'une manière si impudique et si abominable, que nous n'avons pu l'entendre raconter sans en ressentir l'opprobre. Puisque cette perversité vous résiste, il faut la châtier pour qu'une telle dépravation ne retombe ni sur votre âme ni sur votre royaume; car ce sont les prêtres qui peuvent causer la ruine publique ; en effet , pourraient-ils intercéder le ciel pour les crimes des peuples, quand eux-mêmes en commettent de plus grands!».

Un autre pontife, Fortunat, évêque de Poitiers, fit en vers un portrait de Bruneut qui ne peut s'accorder avec l'image horrible qu'en ont tracée ses détracteurs. « Cette reine, dit- il, est belle, modeste, décente, gracieuse, séduisante, affable, également puissante par sa naissance royale, par ses charmes et par son esprit ; aux qualités qui séduisent les hommes, elle unit les vertus qui plaisent à Dieu. »

A la vérité Fortunat était poëte, et la poésie exagère souvent; mais cependant un contemporain, un évêque aurait-il pu peindre ainsi Brunehaut s'il l'avait vue baignée dans le sang de sa famille et armée du poignard de Frédégonde? Pour être juste, en ôtant de ces éloges ce qu'on peut attribuer à l'adulation , à la reconnaissance ou à l'enthousiasme, on doit aussi retrancher tout ce que la haine et la crainte du fils de Frédégonde ont pu dicter de calomnies contre une ennemie vaincue et jugée par ses vainqueurs.

Les lettres du pape Grégoire que nous venons de citer nous apprennent que dans ce temps le Saint-Siège possédait en France des revenus qu'on appelait le patrimoine de saint Pierre. L'évêque d'Arles, Virgile, nommé légat du pape, était chargé d'administrer ces revenus; mais ce qu'on y voit encore de plus important, c'est qu'à l'instant où les leudes et les grands, secouant le joug des rois, s'armaient contre eux, et les forçaient à rendre leurs bénéfices irrévocables, les papes commençaient aussi à tenir aux princes un langage impérieux.

On lit, dans un décret de Grégoire qui établit les privilèges du monastère d'Autun, ces singulières paroles : « Si quelqu'un des rois, des évéques, des juges ou des autres séculiers, ayant pleine connaissance du présent décret , s'avisait d'y porter atteinte , qu'il soit dépouillé de sa dignité, de sa puissance, de ses honneurs; qu'il soit privé du corps, du sang de J.-C. , et dévoué à la damnation éternelle.»

Ainsi c'est de ce temps, à la fin du sixième siècle, qu'on peut dater l'époque de l'origine de la noblesse, fondée par l'irrévoca-bilité des bénéfices, de la domination des grands sur les rois, enfin de la rivalité qui s'établit entre la tiare et la couronne.

 

CLOTAIRE II, ROI DES FRANCE.

 

Repos de la France sous Clotaire II. — Formalion de tribunaux ambulatoires nommes Placita. — Progrès de la justice ecclésiastique.— Mort de la reine Bertrude. — Décisions d'un concile rassemble' à Paris. — Dagobert est roi d'Austrasie. — Fondation de l'abbaye de Saint-Denis.

 

La France, déchirée depuis près d'un siècle par des guerres civiles continuelles, et souillée par le meurtre de tant de princes, jouit enfin de quelque repos sous le sceptre de Clotaire II. Ce monarque fut le troisième roi mérovingien, le second du nom de Clotaire, et le deuxième roi de Soissons qui régna sur toutes les parties de l'empire français. Parvenu à cette grandeur par les crimes de sa mère et par les siens, loin de gouverner en tyran comme on pouvait le craindre, il parut adouci et amendé par la fortune ; il se fit aimer par sa bienfaisance , respecter par sa jusiicc et craindre par sa fermeté.

Cependant il faut dire que Clotaire ne fut pas tout-à-fait le maître de choisir la route qu'il devait suivre; la force impérieuse des circonstances les lui traçait. La révolte des grands lui avait vendu plutôt que livré les dépouilles de Théodebert et de Thierry; ces mêmes grands resserrèrent dans des limites étroites le pouvoir suprême dont ils l'avaient investi.

Les Francs étaient las du joug arbitraire des Chilpéric, des Childebert; l'ambition de Brunehaut, les fureurs de Frédégonde les avaient fatigués. Tour à tour enrichis et dépouillés par le caprice et par l'avidité de leurs princes, ils s'étaient empressés, sous la minorité de trois enfans, de secouer les chaînes du despotisme, de ressaisir leur indépendance et d'assurer leur tranquillité. Mais , trop égoïstes et trop peu éclairés pour diriger leurs efforts vers le noble but de la liberté publique, ils s'occupèrent moins à relever celle des Francs qu'à consolider leur propre fortune et à élever la puissance aristocratique des Icudes et du clergé sur la ruine du pouvoir royal.

Aussi, depuis cette époque, les rois, pour avoir voulu devenir trop absolus, virent graduellement tomber la force de leurs sceptres; et si l'habitude d'obéir laissa pendant quelque temps une autorité réelle à Clotaire et à son fils, leurs successeurs n'en eurent bientôt plus' que l'ombre , et méritèrent à peine dans leur avilissement de conserver le vain litre de roi que rhistoire leur a laissé.

Clotaire gouverna lui-même la Neustrie, qui ne demanda point de donner d'héritier à son maire; les grands de l'Austrasie, au contraire, et ceux de la Bourgogne ne exigèrent que ces deux pays conservassent toujours leur titre de royaumes séparés, et qu'ils fussent gouvernés par Varnachaire et Radon. Ces deux maires du pa-
lais étaient chefs de la conjuration qui avait livré les enfans de Thierry et leurs trônes au roi; ils obligèrent Clotaire à promettre qu'il ne les destituerait jamais; et l'irrévocabilité de leurs charges les rendit ainsi presque indépendans.

Par une innovation étrange chez les Francs, une femme nommée Théodelane, sœur de Thierry, avait été investie par la reine d'Austrasie du gouvernement de la Bourgogne trans-jurane; mais elle tomba, ainsi que Brunehaut, dans les fers de Clotaire, qui donna son gouvernement au duc Herpin, alors patrice. Les grands, mécontens de ce choix, conspirèrent contre le nouveau duc, et excitèrent une émeute populaire dans laquelle il périt.

Sur cette nouvcllc ,lotaire accourut pour rétablir l'ordre dans la province. Les leudes et les évêques qui le suivirent formèrent à Massolac, maison royale en Bourgogne, un tribunal qui jugea et condamna à mort les principaux conjurés. Cependant le véritable chef de ce complot sut si bien cacher la part qu'il y avait prise, qu'il n'en fut pas même accusé : c'é-tait le patrice Alethée, rejeton des anciens rois de Bourgogne; cet homme, intrigant et audacieux, trompa tellement le roi qu'on lui donna la place d'Herpin sa victime.

A peine revêtu du pouvoir, il osa former une trame plus coupable, et concevoir des espérances plus hardies. L'évêque de Sion, gagné par lui, vint trouver secrètement la reine Bertrude. « Une révélation, lui dit-il, m'apprend par la volonté divine que votre époux Clotaire mourra bientôt. Songez donc à vous; mettez à l'abri vos trésors, et confiez vos destins à la prudence du patrice Alethée; il vous aime; les grands lui sont dévoués, et leur appui lui assure le trône de Bourgogne sur lequel il vous fera monter, si vous consentez à vous unir à lui.» Bertrude, crédule, sensible, timide, fond en larmes à ce discours; la douleur la suffoque; elle ne peut répondre; mais ses regards expriment à la fois la terreur et l'indignation. L'évêque de Sion, déconcerté par l'effet inattendu qu'il a produit, et prévoyant le péril qui le menace, s'enfuit précipitamment et cherche un asile dans l'abbaye de Luxeuil.

Clotaire ne tarda pas à tout découvrir; la reine éplorée lui fit le récit des effrayantes prédictions de l'évèque et des propositions insolentes du patrice. Alethée fut saisi, traduit au tribunal du roi, condamné et mis à mort. L'é-vèque de Sion dut sa vie à l'intercession trop puissante alors du clergé. Ces deux exemples que nous venons de rapporter nous font connaître l'usage qu'établit alors Clotaire de rendre la justice dans les provinces par des tribunaux ambulatoires nommés de son temps placita , d'où sont venus les mots plaids, plaidoiries, plaidoyers et plaideurs.

Au reste les juges, sous la première race de nos rois, n'avaient aucune des formes de la magistrature moderne : conservant les antiques usages des Francs, la cuirasse était leur robe magistrale, le bouclier leur balance, l'épée leur main de justice; leur jurisprudence ressemblait à leur costume militaire; leurs jugemens étaient sommaires; une exécution prompte les suivait, et souvent, en une seule séance, l'accusé était interrogé, jugé , condamné et exécuté.

Dans les villages les centeniers, dans les villes les comtes et les ducs expédiaient les alfaires avec la même promptitude et le même appareil militaire. Les Gaulois, soumis aux lois romaines, n'y trouvaient guère plus de garantie, parce que, de jour en jour, l'ignorance croissante diminuait le nombre des hommes assez instruits pour connaître et pour appliquer ces lois; et ce fut par cette raison que les tribunaux ecclésiastiques, plus éclairés et plus humains, acquirent graduellement tant d'extension et de puissance.

L'Église était alors, pour ainsi dire, le dernier asile de la justice; et chacun chercha tous les prétextes plus ou moins plausibles qu'il put trouver pour porter sa cause devant elle. L'ambition d'un clergé habile sut profiter de ces circonstances ; il fit placer d'abord sous sa protection les veuves, les orphelins et les pauvres, trouva le moyen de faire comprendre dans sa compétence, comme péchés, les sacrilèges, les adultères, les incestes, et obtint enfin, par les dispositions de plusieurs édits, que , dans un grand nombre de cas, on put appeler de la justice civile à la justice ecclésiastique.

Mais ce qui lui donna surtout le plus grand crédit, ce fut l'influence éminente que prirent les éveques mêlés avec les leudes dans les assemblées nationales et dans le tribunal du roi. Cette puissance temporelle de l'Eglise peut certainement être regardée comme un grand abus, et cependant ce fut alors la digue la plus heu-reusement placée par le sort contre le torrent de la barbarie qui menaçait d'engloutir l'Europe; car, malgré l'ambition et les vices qui souillaient alors, comme le dit Grégoire-le-Grand, une partie du clergé, ce clergé, pour l'intérêt même de sa domination, était sans cesse obligé de rappeler Dieu aux hommes, de leur retracer la morale de l'Evangile, et de parler ainsi en tout temps le langage des vertus que démentaient trop souvent ses actions; de sorte qu'à l'époque même où les bons exem-ples manquaient le plus, il conservait au moins dans les esprits la semence et la force des bons préceptes.

Clotaire, pour effacer les traces des malheurs causés par les guerres civiles, rendit aux leudes des divers royaumes les biens dont ils avaient été dépouillés, abolit les impôts établis par Brunehaut, Théodebert et Thierry, fit rentrer dans son domaine les biens que des sujets rebelles avaient usurpés; e,t pour assurer aussi la paix extérieure, accueillit favorablement les réclamations des Lombards, qui demandaient à être alfranchis du tribut de douze mille écus d'or qu'ils devaient payer annuellement a la France. Clotaire, de l'avis des grands, les délivra de ce tribut au moyen du paiement de trois années qu'ils effectuèrent sur-le-champ.

Tous ces actes, que les uns attribuèrent à la prudence, les autres à la faiblesse, firent jouir les Français d'un repos depuis long-temps inconnu pour eux, et leur reconnaissance donna au roi le plus pacifique le nom de Grand qu'ils avaient refusé à des princes belliqueux et conquérans.

Clotaire perdit la reine Bertrude, et, peu de temps après, épousa Sichilde dont il devint aussi jaloux qu'épris. On lui inspira des soupçons sur les liaisons secrètes de cette reine avec un sénieur nommé Boson ; il le fit assassiner. Les mœurs de ce temps barbare comptèrent à peine cet acte de violence au nombre des crimes, et les contemporains n'en vantèrent pas moins Clotaire comme un prince doux et clément. D'ailleurs toutes les taches de sa vie disparaissaient, aux veux des grands et du clergé, devant l'éclat que les concessions de ce prince répandaient sur eux.

Clotaire avait rassemblé un cinquième concile à Paris. Soixantc-dix-neut eveques se trouvèrent dans cette assemblée avec un grand nombre de leudes des trois royaumes. Jusque-là les plus grands abus s'étaient introduils dans l'élection des évèques par l'arbitiaire des princes, par l'audace des leudes et par la cupidité des peuples; l'épiscopat se vendait, s'achetait; vainement plusieurs papes et de saints prélats s'étaient fortement élevés contre les exemples fréquens de corruption et de simonie; le conseil réforma ces abus.

Il décida que l'élection des évèques serait librement et régulièrement faite par les suffrages des métropolitains, des évèques de la province, du concile provincial, du clergé et du peuple de la ville; tout choix dicté par un intérêt temporel devait être annulé : Clotaire modifia ce décret en y ajoutant l'autorisation nécessaire du roi pour confirmer l'élection.

Suivant d'autres décisions de ce concile qui fait époque dans notre histoire, on confirma l'abolition des impôts promise dans l'assemblée de Bonneuil; on défendit à tout évêque de désigner son successeur, et il fut interdit à tout clerc de se choisir un patron sans en prévenir son évêque. Le roi seul fut excepté de cette prohibition, et ses lettres de recommandation conservèrent leur efficacité.

Le même concile décida que hors les cas d'évidence et de flagrant délit, aucun magistrat laïque ne jugerait civilement ni criminellement les clercs, et que, même dans les cas précités, il ne pourrait juger les prêtres et les diacres. On ordonna que, dans les causes où se trouveraient à la fois impliqués des laïques et des ecclésiastiques, le tribunal serait mi-partie. On interdit aux juifs toute action en justice contre les chrétiens.

Par une autre disposition on décida que tout cens additionnel contre lequel il s'élèverait de justes plaintes, serait révisé et réformé : on ordonna le maintien des péages établis par les rois Contran et Sigebert ; toutes les concessions des rois, faites aux leudes et au clergé, furent irrévocablement confirmées. Enfin, par une disposition expresse, il fut ordonné que tout bien ou bénéfice, enlevé pendant les derniers troubles aux leudes et aux fidèles, leur serait restitué en totalité.

Le concile, frappé des scandales dont le trône même avait donné souvent l'exemple, interdit, sous des peines sévères , tout mariage avec des religieuses, quand même, pour s'assurer l'impunité, le coupable aurait extorqué le consentement du roi.

On parut aussi vouloir poser quelques bornes aux abus de pouvoir commis par des évêques; on leur défendit d'envoyer des juges dans les provinces où ils avaient des possessions ; ils furenl obligés de choisir les juges sur les lieux. Enfin, ce qui ne prouve que trop a quel point, comme nous l'avons dit, les jugemens étaient alors rendus irrégulièrement el arbitrairement, c'est qu'on se crut obligé de décider oar un article formel , dans ce concile, que nul ne pouvait être mis à mort par le juge sans avoir été entendu. Les avantages garantis au clergé et aux grands par les canons de ce concile , et qui prirent le nom de capitulaires , furent probablement peu sentis par le peuple qui n'en profitait pas; mais ils répandirent dans toute la partie riche, puissante et ambitieuse de la nation une satisfaction qui put faire illusion au roi; il se vit entouré de bénédictions, d'hommages; et jamais peut-être son trône ne lui parut plus élevé qu'au moment où ses prétendus fidèles en minaient la base et en détruisaient les marches.

Les sénieurs austrasiens , que nous ne nommerons plus sénieurs, mais seigneurs, puisqu'il cetle époque ils commencèrent à n'être plus les anciens, mais les dominateursde la nation, fatiguèrent tellement Clotaire par leurs demandes réitérées de posséder dans leur pays un trône, une cour et un roi, qu'il leur donna son fils Dagobert pour régner sur eux. Ce jeune prince, élevé par le savant évèque de Metz, Arnoul, était déjà cher au clergé; aussi, à peine sorli de l'enfance , les prêtres vantaient sa piété, le disaient couvert de la laveur divine, et lui faisaient croire à lui-même que Dieu opérait des miracles pour lui manifester sa volonté.

On racontait et on croyait alors que ce jeune prince étant à la chasse et voulant poursuivre un cerf qui s'était réfugié dans l'enclos d'une petite chapelle où l'on gardait les reliques de saint Denis, ses chiens s'arrêtèrent inopinément, ne voulant ou ne pouvant pénétrer dans ce saint asile.

Quelque temps après, Dagobert ayant désobéi au duc d'Aquitaine, l'un de ses gouverneurs, celui-ci résolut de le punir. Le prince, cherchant à éviter ce châtiment, se souvint de l'événement qui l'avait récemment frappé, et courut se cacher dans le même enclos où le cerf s'était dérobé à sa poursuite; vainement les gardes du roi voulurent l'y saisir, une force invisible les repoussa et les empêcha d'entrer dans l'enclos sacré.

Dagobert, pénétré de reconnaissance pour le saint qui l'avait protégé, conçut dès-lors le projet qu'il exécuta depuis de fonder dans ce lieu une église et un monastère : telle fut, suivant les chroniques du temps, l'origine de la célèbre abbaye de Saint-Denis.

Plusieurs années après, le duc d'Aquitaine ayant été assassiné, ses fils négligèrent de poursuivre, comme ils le devaient, ses meurtriers. Dagobert les déclara indignes de posséder les biens d'un père qu'ils ne vengeaient pas, et il donna ce riche héritage aux moines de Saint-Denis.

Les Huns , les Avares , les Saxons menaçaient l'Austrasie d'une invasion prochaine; et ce fut la crainte de cette irruption de tant de peuples barbares qui détermina Clotaire à céder aux vœux des Austrasiens, et à leur donner le roi qu'ils demandaient. Dagobert fut placé par lui sous la prudente surveillance d'Arnoul, son instituteur, et de Pépin-le-Vieux, alors maire d'Austrasie. C'était l'aïeul du fameux Pépin qui, dans le siècle suivant, s'empara du sceptre des Français et détrôna la race mérovingienne.

 

CLOTAIRE II, ROI DE NEUSTRIE ET DE BOURGOGNE ; DAGOBERT SON FILS , ROI d'AUSTRASIE. (623.)

Irruption des Esclavons ou Slaves. — Traite entre Clotaire et Dagobert. — Révolte des Saxons. — Echec de Dagohert.— Victoire de Clotairc. — Mort de ce roi.

 

L'administration sage et ferme du nouveau roi d'Austrasie lui attira de grands éloges; son nom devint célèbre en Europe; il dut cette gloire à ses trois ministres, Pépin, Arnoul et Cunibert, évêque de Cologne. Le caractère d'Arnoul était si révéré que le peuple de Metz voulut l'élire pour évèquc, quoiqu'il fût marié et père de plusieurs enfans. L'autorité du roi appuya le vœu du peuple. La femme d'Arnoul consentità se séparer de lui; elle se fit religieuse; et Arnoul, dégagé de ses liens, se vit porté malgré sa résistance sur le siège pontifical.

A cette époque les Francs commençaient à redouter un nouveau peuple dont la puissance faisait des progrès rapides : c'était la nation des Esclavons-Venèdes; on les appelait dans leur pays Slaves, nom tiré du mot slava qui signifiait gloire.

Les Esclavons, sortis des plaines glacées de la Suède et de la Prusse, s'étaient d'abord répandus en Scythie, en Sarmatie, bientôt jusqu'aux rives de l'Elbe. De là ils s'étendirent en Hongrie, en Bavière, en Dalmatie et dans les contrées connues jusqu'à présent sous le nom d'Esclavonie. Ce peuple était divisé en plus de trente tribus; quelques-unes, voulant s'établir dans la Carinthie et dans la Carniole, s'y trouvèrent soumises aux Avares ; mais, impatientes du joug, elles se révoltèrent sous les ordres d'un marchand français né à Sens et nommé Samon; son courage le conduisit à la victoire, et son esprit à la domination. Par reconnaissance elles le proclamèrent roi ; et Samon, marchant de succès en succès, étendit promptement ses limites jusqu'aux frontières de la Thuringe.

Il avait quitté le commerce pour la royauté, et la religion chrétienne pour l'idolâtrie. Degagé du frein qui aurait pu arrêter ses passions, il épousa, dit-on, douze femmes, dont il eut vingt-deux fils et vingt-cinq filles : tel était le nouvel ennemi qui menaçait alors les Austrasiens.

Le roi de France aurait dû attaquer ces Barbares sans leur laisser le temps d'accroitre leurs forces et d'affermir leur puissance; mais, depuis un demi-siècle, les Francs étaient trop livrés aux troubles civils pour s'occuper avec constance des dangers extérieurs; et leur désunion seule les empêcha de succéder aux Romains, et de se rendre maîtres de l'empire du monde, qu'aucun rival digne d'eux n'aurait pu alors leur disputer.

Clotaire, en donnant l'Austrasie à son fils, n'avait pas cru cesser de régner sur cette partie de la France; un nouveau nœud semblait encore lui répondre de la docilité de Dagobert ; il venait de lui faire épouser Gomatrude, sœur de sa femme Sichilde; mais l'ambition ne respecte ni les chaînes du devoir ni les liens du sang; les leudes austrasiens exigèrent que leur roi réclamât les possessions qui appartenaient à leur royaume du temps de Brunehaut, de Childebert, de Thierry, et que Clotaire en avait séparées : le père et le fils se virent au moment d'être forcés par la turbulence de leurs grands de se faire une guerre impie; mais, au moment où la rupture était près d'éclater, les deux rois se soumirent à l'arbitrage de douze seigneurs qui terminèrent leurs différends par un traité. Clotairc céda aux Austrasiens presque toutes les terres qu'ils demandaient; mais il garda Bordeaux, Toulouse, et une grande partie de l'Aquitaine. Arnoul, blessé de ces débats scandaleux, et fatigué de ces intrigues qui ne pouvaient convenir à sa piété, abandonna son évêché, renonça au ministère, quitta la cour et chercha dans la solitude, au fond des Ardennes, un repos que les mœurs du temps rendaient inconîpatible dans le monde avec la vertu.

Cunibcrt le remplaça dans la confiance des peuples et dans la faveur du roi. Le maire de Bourgogne, Varnachaire, mourut cette même année. Les grands rassemblés , prévoyant peut-être que les maires deviendraient de nouveaux rois plus redoutables que ceux dont ils ne semblaient être que les ministres, ne voulurent point élire de successeur à Varnachaire; et Clotaire, depuis ce moment, gouverna seul cette contrée jusqu'à sa mort.

La France était pacifiée au dedans; ce repos fut court : la révolte des Saxons la força bientôt de courir aux armes. Berthold, duc et chef de ce peuple belliqueux, refusa de payer le tribut qui lui était imposé; et, fier des forces nombreuses qui l'entouraient, il envoya au roi de France un défi hautain.

Dagobert, sans attendre les secours que lui promettait son père, marcha contre les rebelles avec plus d'ardeur que de prudence. Surpris, attaqué, investi, il opposa vainement une opiniâtre résistance au nombre et au courage des Saxons; après des prodiges de valeur, vaincu et blessé , il se vit forcé à la retraite; il rendit compte à Clotaire de ce désastre, et, pour lui prouver que la race de Clovis n'était point dégénérée en lui, il lui envova des fragmens de son casque brisé, et une touffe de ses cheveux souillée de sang.

Clotaire se livrait dans les Ardennes au plaisir de la chasse, passion favorite des princes francs. Saisi de douleur et de colère à la lecture des lettres de son fils, à la nouvelle de sa défaite et à la vue de son sang, il appelle aux armes tous ses leudes, rassemble tous les Francs, leur demande vengeance, marche rapidement contre les Saxons, les atteint près du Véser, et leur livre bataille.

La fortune était indécise, la victoire vaillamment disputée; au milieu de la mêlée, Clotaire aperçoit Berthold, et s'élance sur lui : « Roi de France, crie le duc, arrête-toi; évite un combat qui ne peut tourner à ton avantage.» Si je succombe, à peine se souviendra-t-on que tu as tué un de tes vassaux; et, si lu tombes sous mes coups, tu me donneras la gloire d'avoir vaincu le plus puissant roi de la terre.»

Clotaire, sans lui répondre, l'attaque, le presse, le renverse, tranche sa tête et la fait placer au bout d'une lance. La vue de ce sanglant trophée remplit les Français d'enthousiasme et les Saxons de terreur; il semble que ceux-ci ont perdu leur courage avec leur chef; ils ne peuvent ni combattre ni se retirer. Clotaire profite de leur désordre , les disperse, les poursuit et en fait un affreux carnage.

Les historiens de ce temps barbare n'auraient point cru ce triomphe assez beau, s'ils ne l'avaient terni en s'efforçant de le rendre honteux et féroce; ils racontent que le roi, insatiable de vengeance, extermina les vaincus, et n'accorda la vie qu'à ceux dont la taille n'excédait point en hauteur la longueur de son épée.

Revenu en France, le roi éprouva qu'il lui était plus facile de vaincre ses ennemis que de gouverner ses sujets. Au moment où il jouissait paisiblement de la victoire dans son palais de Clichy, il apprend que les serviteurs d'Egina, son favori, ont tué l'intendant de son fils Charibert ou Aribert, et que le prince et ses amis veulent punir les meurtriers défendus vivement par un grand nombre de seigneurs.

Malgré les ordres du roi, et aux portes de son palais, les deux partis, rangés en bataille, se disputent la colline de Mont-Mercure, aujourd'hui Montmartre, qui les séparait.

Le roi ne peut empêcher ce criminel combat qu'en sortant armé, à la tète d'une troupe de leudes fidèles, et en menaçant de charger lui-même celui des deux partis qui commencerait l'attaque; on bravait son sceptre, on se soumit à son épée.

L'année 628, qui termina le règne de Clotaire, devint dans l'Orient une époque mémorable par la mort de Mahomet, de ce prophète guerrier dont les dogmes et le glaive dominèrent bientôt une moitié du monde et menacèrent d'envahir l'autre.

Clotaire fut enterré dans l'église de Saint-Germain-des-Prés; il avait régné quarante-quatre ans. Meurtrier de Brunehaut à laquelle il avait faussement imputé tous les crimes de Frédégonde, assassin des fils de Thierry, il fut cependant nommé juste, clément, et même débonnaire par ses contemporains, toujours disposés par leurs mœurs à excuser les crimes politiques.

Au reste on doit convenir que ce prince, cruel par ambition avant de parvenir au trône, se montra modéré après son élévation. Il était vaillant, instruit; ses concessions et ses largesses aux grands, ses libéralités pour les églises et pour les monastères, lui attirèrent la reconnaissance des seigneurs et les éloges d'un clergé qui seul tenait alors le burin de l'histoire.

 

 

DAGOBERT I , ROI DE NEUSTRIE, d’AUSTRASIE ET DE BOURGOGNE ; CHARIBERT OU ARIBERT SON FRÈRE, ROI D'AQUITAINE.

ROIS FAINÉANS, OU RÈGNE DES MAIRES DU PALAIS; PEPIN ET SON FILS RIMUALD, MAIRES d'AUSTRASIE, LA GOUVERNENT SOUS LE NOM DU ROI SIGEBERT ; EN NEUSTRIE CLOVIS II, ROI; EGA, PUIS ARCHINOALD, MAIRES. (639.)