HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST |
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FRENCH DOOR |
DAGOBERT I , ROI DE NEUSTRIE, d’AUSTRASIE ET DE BOURGOGNE ;
CHARIBERT OU ARIBERT SON FRÈRE, ROI D'AQUITAINE.
Accord entre Dagobert et Charibert.— Desordres de Dagobert.— Mort subite de Charibert.
Dagobert, au moment de la mort de son père, se hâta de
réunir sous son pouvoir toutes les ben parties d’un royaume que la jeunesse de
son frère l’empêchait de lui disputer.
Charibert n’opposait que d’impuissantes plaintes à cette
violence; mais ses plaintes émurent cependant en sa faveur un grand nombre de
seigneurs disposés à embrasser sa cause. Dagobert, pour éviter de grands troubles,
écouta leurs réclamations; conformément à leur avis, il céda à son frère
l’Aquitaine, l’Angoumois, l’Agenois, le Périgord, le Languedoc; et le jeune roi
d’Aquitaine établit son trône à Toulouse.
L’un des leudes les plus puissants alors, Brunulphe, avait rallié à la cause de Charibert un grand
nombre de seigneurs. Dagobert, qui redoutait son influence, le fit assassiner
par trois leudes qui lui étaient dévoués; car les rois francs avaient mis la
domesticité en honneur, et leurs nobles écuyers, chambellans, pannetiers, sénéchaux, exécutaient servilement et sans
examen tous les ordres de ces maîtres barbares.
La reine Gomatrude, parente des
maires du palais Pépin et Cunibert, favorisait
secrètement les pré tentions de l’Austrasie, qui se voyait avec peine réduite à
l’état de province. Cette princesse devint odieuse aux Neustriens, et leurs
intrigues décidèrent le roi à la répudier; il épousa Nantilde,
une de ses suivantes, et déclara que sa résidence serait constamment fixée en Neustrie.
Depuis ce moment Éga, maire du palais de Neustrie,
jouit exclusivement de la confiance du roi et presque du pouvoir royal.
Cunibert fut
congédié, et si Dagobert laissa la place de maire d’Austrasie à Pépin, ce fut
plutôt par crainte que par affection. Nantilde, qui
avait détrôné Gomatrude, devint promptement elle-même
victime de l’inconstance de Dagobert; il la renvoya et prit pour femme une
Austrasienne remarquable par sa beauté, et nommée Raguetrude;
celle-ci ne put à son tour le fixer long-temps; deux
autres reines parurent successivement sur le trône et partagèrent l’amour du
roi avec un grand nombre de maîtresses : ainsi des passions sans frein prirent
sur lui l’empire que ses sages ministres avaient perdu.
Dagobert était entraîné par ses vices sur la pente rapide
qui conduit les princes à la tyrannie. On lui aurait pardonné ses dissolutions;
mais, comme elles le rendirent bientôt avide et insatiable d’argent, les
grands, qui ne recevaient plus de dons, et qui se voyaient menacés d’impôts,
commencèrent à prendre l’alarme. Malgré la licence de ses mœurs, Dagobert avait
été nourri dans la crainte de l’Église: le clergé lui fit entendre une voix
sévère; saint Arnaud, évêque de Tongres, et dont on révérait la piété, parla
courageusement au roi de ses désordres, et parvint à lui inspirer tant de
frayeur ou de repentir, qu’il renoua ses premiers liens, rappela Nantilde dans son palais, et depuis lui demeura toujours
fidèle.
Comme il avait un fils de Raguetrude,
il pria son frère Charibert de tenir ce jeune prince sur les fonts de baptême;
Charibert y consentit, et se réunit à lui dans la ville d’Orléans pour cette
cérémonie. Revenu ensuite à Toulouse, il mourut subitement ainsi que son fils
Chilpéric.
On était alors si accoutumé aux crimes politiques, que
Dagobert fut soupçonné d’avoir empoisonné son frère et son neveu, parce qu’il
profita de leur mort : il réunit en effet l’Aquitaine à son sceptre. Cependant
Chilpéric laissait un enfant nommé Boggis, qui devint
duc d’Aquitaine et tige de la maison d’Armagnac, éteinte, dit-on, par la mort
du duc de Nemours, tué en 1505 à la bataille de Cérisolles.
DAGOBERT I.
(631.)
Progrès es Esclavons.—Guerre en Espagne.—Nouveau succès des
Esclavons.— Révolte des Gascons et des Bretons. — Soumission de leurs ducs.—
Renommée de Dagobert.— Sa maladie et sa mort.
Les Esclavons continuaient toujours à s’étendre aux
dépens des peuples tributaires de l’empire français. Leurs armes victorieuses
menaçaient à la fois toute la Germanie, les Gaules et l’Italie. Leurs courses
perpétuelles interceptaient les communications, et opprimaient le commerce.
Dagobert, pour les combattre, joignit ses forces à celles des Allemands et des
Lombards. Mais, avant de commencer la guerre, le roi des Français envoya un de
ses tendes demander à Samon une éclatante réparation
des griefs dont il avait à se plaindre. Le roi des Esclavons refusa toute
satisfaction, à moins que Dagobert ne voulût lui garantir ses possessions,
reconnaître son indépendance, et conclure avec lui un traité d’alliance.
«Un tel traité est impossible, dit alors avec une hauteur
grossière l’envoyé français; il ne peut
exister aucune amitié entre un peuple chrétien et des chiens de païens. »
« Vous nous accusez, répliqua Samon,
d’insulter à Dieu par notre croyance; et nous, avec plus de raison, nous vous
reprochons de l’outrager par votre conduite. Au reste, puisque vous nous
appelez chiens, vous nous reconnaissez le droit de vous mordre, et nous vous
mordrons cruellement. »
Un tel langage et de tels négociateurs ne pouvaient que
hâter la guerre; elle éclata. Samon, attaqué par
trois armées, fut obligé de diviser la sienne en trois corps : les deux premiers,
opposés aux Allemands et aux Lombards, éprouvèrent de sanglants échecs. Le roi
des Esclavons, à la tête du troisième, fut plus habile ou plus heureux. Les Austrasiens
fuirent devant lui; et il les poursuivit jusqu’en Thuringe. On attribua cette
déroute des Français au mécontentement des leudes austrasiens, qui demandaient
un roi, et ne pouvaient s’accoutumer à l’espèce de dépendance où les tenait la
Neustrie.
A peu près dans le même temps plusieurs tribus bulgares,
chassées de leur pays par les Avares, demandèrent un asile à Dagobert; il parut
vouloir les établir en Bavière; mais les Bavarois, redoutant de pareils bêtes
et bravant les ordres du roi, ou, selon quelques auteurs, les exécutant trop
servilement, dispersèrent perfidement ces malheureux, et les égorgèrent avec
autant de lâcheté que de barbarie.
L’autorité royale était encore moins respectée et
paisible alors en Espagne qu’en France. Un des seigneurs les plus puissants de
ce pays, Sisenand, conspirait contre le roi Suintila et voulait lui ravir le trône. Dagobert soutint le parti de ce rebelle, qui,
pour acheter sa protection, lui avait promis un vase d'or du poids de cinq
cents livres, autrefois donné par Aétius au roi des Visigoths Thorismund, après
la défaite d'Attila. Les Français franchirent les Pyrénées. Sisenand, par leur
secours, remporta la victoire, et s’empara du sceptre. Fidèle en apparence au
traité conclu, il livra le vase promis; mais les Français qui l’emportaient en
furent dépouillés dans leur route par les Visigoths qui leur avaient tendu une
embuscade. Dagobert, irrité de cette trahison, éclata en menaces. Sisenand
savait que ce prince était plus avare que belliqueux ; il sut l’apaiser en lui
envoyant deux mille livres d’argent.
On aurait cru que Dagobert, afin de ne pas démentir le
sang de Clovis, se serait hâté de marcher contre les Esclavons pour réparer la
honte de sa défaite; il en conçut probablement l’idée; mais, craignant d’être
mal soutenu par l’Austrasie mécontente, il chercha d’autres armes pouf se
venger, et accepta les offres des Saxons, qui lui promirent de combattre pour
lui s’il voulait les affranchir du tribut qui leur était imposé. L’heureux Samon fut encore vainqueur de ces nouveaux ennemis; et
Dagobert, justement effrayé des progrès croissants d’un adversaire qu’il avait
d’abord dédaigné, crut alors devoir céder aux conseils unanimes des évêques et
des grands. Il donna le royaume d’Austrasie à son fils Sigebert qui partit pour
Metz avec un riche trésor, des ameublements magnifiques et une grande quantité
de vases précieux.
Cunibert,
évêque de Cologne, et le duc Adalgise gouvernèrent l’Austrasie sous le nom du
jeune roi. Les Austrasiens satisfaits prirent les armes avec zèle ; et leur
courage, uni à celui des Saxons, força enfin les Esclavons à la retraite et au
repos.
L’élévation de Sigebert inspirait à la reine Nantilde une vive inquiétude pour le sort d’un fils nommé
Clovis qu’elle venait de donner au roi. Dagobert, pour la rassurer, déclara
publiquement, au milieu de ses grands rassemblés, que Clovis, après sa mort,
posséderait la Neustrie et la Bourgogne, et que Sigebert aurait pour son
partage l’Austrasie, l’Aquitaine et la Provence.
La tranquillité dont jouissait enfin le roi fut troublée
par une nouvelle révolte des Gascons. Les forces envoyées contre eux par
Dagobert défirent et soumirent les rebelles. Cette courte dissension avait fait
concevoir aux Bretons l’espoir d’en profiter pour secouer totalement le joug de
la France. Déjà leur duc Judicaêl se montrait
menaçant, à la tête d’une forte armée. Dagobert préférait les négociations aux
armes; il envoya au duc son favori Éloy, homme sage,
habile, adroit, qui de la profession d’orfèvre s’était élevé à la plus grande
fortune et aux plus hautes dignités ; son habileté le classa au nombre des plus
riches de la terre, et sa vertu le plaça dans le ciel au nombre des saints.
Trésorier de la cour, ministre du roi, il devint depuis évêque de Noyon; et cet
homme singulier, destiné à concilier les choses les plus communément inconciliables,
sut à la fois acquérir et conserver la faveur royale, la confiance populaire,
l’estime de l’Église, l’amitié des riches et l’affection des pauvres.
Éloy convainquit promptement Judicaël du péril auquel il s’exposait en attirant sur
lui toutes les forces du roi de France, que l’éloignement des Esclavons et la
soumission des Gascons le laissaient libre de réunir contre lui. Le duc effrayé
non-seulement posa les armes, mais il consentit même à se rendre au palais de
Clichy pour implorer la clémence de Dagobert.
Le duc des Gascons, Égina, y
vint aussi dans le même but. Le roi se montrait encore tellement irrité contre
eux, qu’ils se crurent obligés de chercher dans l’abbaye de Saint- Denis un
asile contre son ressentiment; mais, au bout de quelques jours, son courroux
feint ou réel s’apaisa. Les deux ducs obtinrent leur grâce, et furent admis au
pied du trône où ils prêtèrent serment de fidélité.
Une anecdote en apparence insignifiante, et rapportée par
les chroniques du temps, peut donner une juste idée de la déférence et même du
respect que le clergé obtenait alors non-seulement des grands, mais encore des
rois. Le duc de Bretagne, invité par Dagobert au banquet royal, refusa cette
invitation pour dîner chez le chancelier, vénérable personnage connu sous le
nom de saint Ouen; le roi ne parut ni offensé ni même surpris de ce refus.
Les dernières années du règne de Dagobert furent
tranquilles. La France, délivrée des troubles intérieurs qui l’avaient si long-temps déchirée, était redoutée par les Visigoths, les
Lombards et les Saxons. Rome désirait son appui, Constantinople son amitié; et
les ambassadeurs de Dagobert avaient renouvelé avec l’empereur Héraclius
l’ancienne alliance conclue entre la France et l’empire.
Cette tranquillité, les relations des Français avec l’Asie,
la Grèce, l’Italie, l’Afrique et l’Espagne, les tributs payés par les peuples de
la Germanie, les dons gratuits des Français, le cens imposé aux Gaulois
tributaires, l’étendue du domaine royal et par-dessus tout la sage économie de
Dagobert entourèrent son trône d’une richesse inconnue à ses prédécesseurs, et
qui éblouit tellement les yeux des peuples étonnés, que son nom s’est conservé
jusqu’à nous dans les traditions et dans les chants populaires qui célèbrent
encore sa magnificence, son fauteuil, son trône d’or et même la riche ceinture
d’Éloy son ministre.
Dagobert, qui habitait une de ses maisons de plaisance à
Epinay, tomba malade, et, sentant sa fin approcher, se fit transporter à
Saint-Denis, où il mourut âgé de trente-huit ans. Avant d’expirer, ce roi,
rassemblant autour de lui les seigneurs et les évêques présidés par Ega, maire
du palais de Neustrie, leur recommanda la reine Nantilde et ses fils Sigebert et Clovis.
On peut être surpris de voir inscrit dans les fastes de
la gloire un règne qui ne nous retrace presque aucun acte glorieux ; mais alors
la renommée des princes se mesurait sur le nombre et l’étendue des donations.
Le clergé écrivait l’histoire; sa reconnaissance plaça Dagobert au nombre des
rois les plus sages et les plus vaillans.
Au reste, il faut convenir que la tranquillité intérieure
de la France, sous son règne, est une preuve de la sagesse de son caractère et
de l’habileté de ses ministres. Si nous en croyons l’auteur des Gestes des
Francs, le luxe du palais de Dagobert égalait celui de la cour de
Constantinople; mais si l’or, les pierres précieuses et l’argent y brillaient
comme on le dit, il n’en est pas moins vrai que les lumières s’y éteignaient
graduellement, et que le voile de l’ignorance épaississait de plus en plus les
ténèbres qui enveloppaient toute l’Europe; depuis cette époque notre histoire
devient obscure, et notre chronologie tellement incertaine, que les uns placent
la mort de Dagobert en 639 et les autres en 645.
ROIS FAINÉANS, OU RÈGNE DES MAIRES DU PALAIS; PEPIN ET SON
FILS RIMUALD, MAIRES d'AUSTRASIE, LA GOUVERNENT SOUS LE NOM DU ROI SIGEBERT ;
EN NEUSTRIE CLOVIS II, ROI; EGA, PUIS ARCHINOALD, MAIRES. (639.)
Tableau île l’état de la France, depuis Clovis. —
Corruption du clergé. — Gouvernement des maires.— Pusillanimité du roi
Sigebert.— Evénements en Orient.— Mort de Sigebert.
Nous sommes enfin arrivés a l’époque
la plus humiliante pour la nature humaine. Toutes les traces de l’antique
civilisation avaient disparu; les lois étaient sans force, les rois sans
pouvoir, les grands sans frein, les riches sans pitié, les prêtres sans mœurs;
les guerriers combattaient sans art, s’égorgeaient sans raison, fuyaient sans
ordre, et, infidèles à leur serment, ne connaissaient de droit que la force; la
guerre ne donnait plus de gloire, ni la paix de repos.
Les Francs, en sortant de leur état sauvage, avaient
perdu les vertus de l’indépendance; les Gaulois, conquis par eux, voyaient s'éteindre
journellement les lumières grecques et romaines , qui, jusqu'à la chute de
l'empire, avaient éclairé et embelli l’âge de leur décadence. En changeant de
maîtres, ils avaient perdu leurs monuments, leurs richesses, leur industrie, et
leur servitude s’était aggravée.
Partout régnaient le crime, l’ignorance, l’anarchie; et
le résultat de la conquête n’était pour la Gaule opprimée qu’un pacte funeste
entre la barbarie d’un peuple sauvage et la servilité d’une vieille nation
corrompue, entre la souple bassesse des courtisans romains, l’ambition
belliqueuse des féroces Germains et l’insatiable avidité d’un clergé qui,
abandonnant les voies de l’Evangile pour celles de la fortune, sacrifiait les
intérêts du ciel à ceux de la terre, et la religion qui élève finie aux superstitions
qui la dégradent.
On peut remarquer cette tendance rapide à la
démoralisation générale dès les premiers pas du conquérant des Gaules, et dans
les premiers actes des évêques courtisans dont les vœux favorisaient ses armes.
Un Romain nommé Claudius, accusé de sacrilège, voulait obtenir un évêché,
quoiqu’il ne fut pas encore dans les ordres; il avait emprunté une somme
considérable pour acheter cette dignité, que le roi Clovis consentait à lui
vendre. Saint Remy, charge de l’exécution de ce contrat honteux, obéit, imposa
une légère pénitence à Claudius, pour expier son sacrilège, lui conféra l’ordre
de la prêtrise, et chargea les évêques de Paris, de Sens et d’Auxerre, de le
sacrer. Ces évêques adressèrent à Remy, sans ménagement, de vifs reproches sur
sa scandaleuse complaisance. « Seigneurs vraiment saints, et frères bienheureux,
leur répondit l’archevêque , vous m’accusez injustement de m’être laissé
corrompre pour transgresser les lois ecclésiastiques. Je n’ai reçu aucun présent;
mais j’ai cru devoir me conformer à la volonté d’un roi défenseur et propagateur
de la foi catholique. Vous déclarez que ses ordres sont en opposition avec les
lois canoniques; mais êtes-vous donc revêtus du souverain sacerdoce pour en
décider ainsi? et notre devoir n’est-il pas d’obéir en tout aux ordres du chef
des peuples, du protecteur de la patrie et du triomphateur des nations?»
La voix d’une piété éclairée et celle d’une vertu
courageuse auraient seules pu servir de digues à l’orgueil d’un vainqueur qui
venait de briser les armes des Romains, des Bourguignons, des Allemands et des
Visigoths. Il n’est donc point étonnant que le roi des Francs, enivré de sa
gloire, ait si promptement détruit la liberté des vainqueurs comme celle des
vaincus, puisque l’Église même ne lui fit entendre que le langage de la
flatterie.
Il soumit à son pouvoir ses fiers compagnons d’armes, en
les associant à sa tyrannie, et le clergé, en achetant son obéissance par des richesses
corruptrices; bientôt on ne vit plus dans les champs de Mars qu’une vaine ombre
des mœurs et de l’indépendance si renommée des nations germaines.
Ce reste même de respect pour les formes de la liberté
s’évanouit presque entièrement sous les enfants de Clovis; on les vit se livrer
sans frein à tout le délire du pouvoir arbitraire et à tous les excès des
débauches les plus scandaleuses. Chacun de ces princes entretint magnifiquement
dans sa cour trois ou quatre épouses, dont les couronnes décoraient en vain la
honte, et qui se voyaient publiquement insultées par un grand nombre de
concubines.
Peu de pontifes osèrent blâmer ces désordres : saint
Germain fut presque le seul qui osa élever la voix pour les faire cesser; il excommunia
le roi Caribert, que sa vertu ne put ni effrayer ni corriger.
La défection du clergé, qui avait abandonné la cause de
l’empire pour soutenir celle des conquérants, et l'exemple qu’il donna aux vainqueurs
mêmes d’une obéissance passive, furent récompensés par des privilèges et par
des richesses aussi contraires aux lois de l’Evangile qu’aux intérêts de la
puissance temporelle.
Le luxe et l’ambition corrompirent promptement les mœurs;
la morale fut séparée de la religion, et l’Eglise adopta des règles de conduite
opposées à celles que lui avait, prescrites son auguste fondateur.
Au lieu de servir d’appui aux opprimés, les prêtres
s’associèrent aux oppresseurs; les portes du ciel, dont ils prétendaient
disposer, parurent dès-lors étroites pour les pauvres, et larges pour les
riches; et bientôt, pour se faire pardonner des vices honteux, des crimes même,
et pour s’assurer, dans une autre vie, un bonheur éternel, il suffît de donner
aux églises et aux monastères une partie des biens les plus mal acquis.
Aussi, comme nous l’avons déjà vu, Chilpéric, indigné de
la puissance et de la richesse du clergé, disait : « Ce ne sont plus les rois, mais
les évêques qui règnent. »
Plus les pontifes s’écartaient dans leur conduite des
vertus et de la piété dont ils devaient offrir les plus parfaits modèles, et
plus ils osaient se parer avec orgueil de ces mêmes vertus, dans les titres
dont ils se décoraient mutuellement.
Au mépris de l’humilité évangélique, ils se donnaient
sans pudeur les titres de saints, vraiment saints, seigneurs saints, illustres
papes, et très dignes du siège apostolique; et, tandis qu’ils se livraient sans
mystère aux voluptés terrestres, aux intrigues de l’ambition et aux turpitudes
de la simonie, que leur reprochait avec tant de force Grégoire-le-Grand, ils
préjugeaient les arrêts du ciel, et s’arrogeaient présomptueusement les palmes
de la foi et les titres vains de votre sainteté et de votre béatitude.
Cependant quelques lumières brillèrent encore au milieu
de ces ténèbres, et, parmi tant de saints, usurpateurs de ce nom, l’Église des
Gaules en posséda de véritables; elle put offrir à la postérité les noms
honorables de Grégoire de Tours, de Vaast d’Arras, de Gildar à Rouen, d’Avitus à Vienne, de Césaire dans Arles, de Firmin à Uzès, de
Fortunat à Poitiers, de Germain à Paris, de Malo en Bretagne, d’Éloy à Noyon, de Lô à Coutances, de Maur, disciple de saint
Benoit, et de Remy même, dont les longues vertus ne purent être ternies par sa
condescendance pour un héros auquel il avait d’abord donné de sages et de pieux
conseils.
Les efforts de ces pontifes vertueux, et l’autorité de
quelques papes dont le mérite fonda la puissance, opposèrent fréquemment quelques
digues au torrent de la corruption; mais longtemps leurs tentatives furent
vaines : les plus violentes passions rendaient alors les grands et le clergé
sourds à la voix de la vérité.
Dans un seul siècle on rassembla quarante conciles, où
l’on rendit de nombreux décrets contre la simonie, les incestes, le divorce,
l’idolâtrie, et pour la réforme des mœurs; plusieurs évêques même y furent
condamnés. Mais, si la loi évangélique était invoquée dans ces assemblées, les
membres qui les composaient, à peine séparés, oubliaient les préceptes qu’ils
venaient de rappeler au peuple, et, revenus dans leurs palais, se livraient
sans frein aux désordres des seigneurs francs qu’ils imitaient, s’adonnant
comme eux au luxe, à la domination, aux festins, aux plaisirs illicites, à la chasse,
et même quelquefois aux armes.
L’autorité des papes était encore dans ce temps trop
contestée pour réprimer cette licence; en vain Grégoire-le-Grand voulut ambitieusement
rétablir la domination de Rome chrétienne sur les ruines de Rome païenne; les
évêques défendaient leur indépendance, les rois leur autorité, et l’on vit
même, à l’époque où la question des trois chapitres divisa l’Église, le roi
Childebert exiger du pape qu’il lui envoyât et lui soumit sa profession de foi.
Au reste, si dans ce temps la morale du clergé se ternit,
son autorité, loin d’en être affaiblie, s’accrut graduellement; il profita des
troubles de l’État, des querelles des princes, des rivalités des grands et de
l’oppression des peuples; et, comme au fond il restait seul conservateur des
lois de l’Evangile et des lois romaines, il fut à la longue regardé comme la
seule force constante dans l’État, et l’Église devint, malgré les vices de ses
ministres, le seul espoir du malheur ainsi que le dernier asile de la justice
terrestre et de la justice divine. On préféra les arrêts des tribunaux
ecclésiastiques, fondés sur le code de Théodose, aux sentences capricieuses des
comtes, des leudes, et de leurs rachimbours et scabins.
Enfin l’établissement des moines mêmes, qui dans la suite
ouvrit la porte à tant d’abus, et donna tant de légions à l’ambition des papes,
rendit, dans les premiers temps, de grands services à l’humanité ; l’ordre de Saint-Benoit, fondé par saint Maur son disciple, et qui se
répandit rapidement sur toute la surface de la Gaule, ouvrit de nombreux asiles
aux proscrits, prodigua de puissants secours à la misère, sauva du naufrage
général quelques restes de la science des anciens, et répara par le travail et
par la culture les désastres que des guerres continuelles versaient depuis un
siècle sur les champs devenus stériles.
Les leudes et les principaux guerriers des Francs,
enflammés par l’amour de la liberté tant qu’ils avaient été réunis en corps de
nation, semblèrent l’oublier dès qu’ils furent dispersés dans le pays conquis,
et ils se livrèrent exclusivement à l’ambition des dignités, à l’avidité du
pillage et à l’orgueil du pouvoir.
Les fils de Clovis profitèrent de ces penchants honteux
pour les asservir; ils achetèrent leur sujétion en leur prodiguant les titres
et les terres de leurs domaines; ainsi les Francs, autrefois égaux, pauvres et
libres, devinrent nobles, riches, oppresseurs et opprimés.
Sous leur tyrannie toutes les cités gémirent, toutes les
campagnes furent dévastées ; les sénats des villes, les municipes disparurent;
le peuple fut rabaissé au niveau des animaux les plus vils : partout la force
remplaça le droit. Les écoles furent désertes; les légendes remplacèrent
l’histoire, et les lettres, comme la terre, restèrent sans culture.
La Gaule, qui, dans les quatrième et cinquième siècles,
se vantait encore de posséder des savants et des poètes tels qu'Eutrope, Ausone,
Pallade, Ambroise, Sulpice Sévère, Paulin, Victor, Marcellus, Salvien et Sidonius Apollinaris, vit tous ces flambeaux tomber et s’éteindre
sous la terrible hache des Francs; à peine resta-t-il assez de lumières pour
répandre une pâle clarté sur rétendue et les progrès
de ce fléau destructeur.
« Il est temps, disait déjà révoque Avitus dans le
sixième siècle, il est temps de renoncer à la poésie; bientôt il n’existera
plus personne qui puisse goûter le charme des vers et sentir leur harmonie »
Soixante ans après, Grégoire de Tours s’exprimait ainsi :
« On ne cultive plus, dans les villes de
la Gaule, les lettres ni les arts; les sciences déclinent et dépérissent. Dans
ce malheureux siècle où nous vivons, l’amour de l’étude s’éteint de plus en
plus; avant peu il n’existera plus
d’hommes capables de transmettre à la postérité nos événements les plus mémorables.
Cette barbarie, qui fut ensuite organisée et non adoucie
par la féodalité, fit disparaître de l’Europe l’ordre, la justice, la raison,
déprava les mœurs, dessécha les âmes, dénatura même la religion et assoupit
presque totalement les facultés intellectuelles, qui ne se réveillèrent plus
qu’au bruit des armes et à la voix des passions les plus basses et les plus
cupides.
Les Francs, en entrant dans la Gaule, avaient d’abord
adouci le sort des esclaves. Suivant leurs mœurs, la servitude corporelle, en
usage chez les Romains, fut convertie en servitude de la glèbe; mais si cette
révolution releva le sort des serfs, elle abaissa celui des Gaulois libres, en
mettant en honneur la domesticité.
Le puéril orgueil de ces chefs barbares, méprisant
l’agriculture et les travaux mécaniques, en fit le partage des esclaves, tandis
qu’ils réservaient dans leur maison les emplois les plus serviles aux jeunes
Francs et aux jeunes Gaulois les plus distingués.
La dignité du rang et l’étendue du pouvoir se mesuraient
sur le nombre de ces nobles domestiques, dont le dévouement était la première
vertu, et qui se chargeaient, si l’on en croit Grégoire de Tours, d’exécuter
sans hésitation les ordres sanguinaires et les assassinats commandés par leurs
cruels maîtres et par leurs féroces maîtresses.
Depuis cette fatale époque, coutumes, langage, opinion,
tout changea. La fidélité domestique remplaça la vertu publique; le dévouement
du vasselage tint lieu du patriotisme; un point d’honneur sanguinaire étouffa
tout sentiment d’humanité; la vanité féodale prit la place de la fierté
gauloise et romaine; enfin il devint honteux de travailler et honorable de
servir.
Cette dégradation de l'espèce humaine fut portée à tel
point, sous le règne des premiers successeurs de Clovis, qu’on vit, au milieu
de la capitale de la France, Chilpéric disposer à son gré du sort des habitants
de cette ville. Le roi d’Espagne lui avait fait demander sa fille Sigonthe en mariage. «Chilpéric, dit Grégoire de Tours,
rentra aussitôt dans Paris et ordonna qu’un grand nombre d’hommes habitants des maisons soumises au fisc seraient
enlevés de leurs demeures avec leurs
familles et entassés dans des chariots pour servir de suite à la princesse.»
Ces malheureux refusaient de s’expatrier, et cherchaient en vain à fléchir le
tyran par leurs larmes; il les jeta dans les fers, dans la crainte que la fuite
ne les dérobât à son pouvoir. On enlevait le fils à son père; la fille était
arrachée des bras de sa mère; plusieurs se donnèrent la mort. La ville
retentissait de leurs gémissements et des malédictions dont ils chargeaient un
roi barbare. La désolation était si grande dans cette cité qu’on pouvait la
comparer à celle de l’Egypte, lorsque Dieu versa sur elle les plus cruels
fléaux; enfin un grand nombre de personnes d’une naissance distinguée, forcées
par cet ordre inhumain de renoncer à leurs familles et à leur patrie, regardant
ce départ comme le terme de leur vie, léguèrent leurs biens aux églises et
demandèrent que leur testament fût ouvert dès qu’on aurait appris l’entrée de
la jeune princesse sur les terres d’Espagne.
Chilpéric n’aurait point voulu d’hommes de condition
servile dans le cortège de sa fille. La disposition qu’ils faisaient de leurs
biens, en partant, prouve qu’ils avaient joui de la liberté civile; d’ailleurs
les termes de Grégoire ne permettent aucun doute à cet égard, et ce fait
démontre que le roi des Francs disposait alors arbitrairement du sort des
hommes libres comme d’un mobilier.
Ce despotisme aurait peut-être duré dans l’Occident comme
il s’est enracine dans l'Orient, à la honte de la nature humaine, s’il ne se
fût appesanti que sur la tête des vaincus; mais l’ambitieuse Brunehaut,
l’implacable Frédégonde, leurs époux et leurs enfants voulurent assujettir les conquérants
à ce joug humiliant; ils firent poignarder les grands qui leur donnaient quelque
ombrage; ils dépouillèrent les leudes des bénéfices qu’on leur avait d’abord
prodigués. Soudain l’ancien orgueil des guerriers francs se réveilla, et,
laissant les fers au peuple, ils conquirent au moins la liberté pour eux-mêmes
; et, comme on s’arrête rarement dans les attaques dirigées contre le trône, au
lieu de se contenter de l’abaisser, ils le renversèrent.
Devenus indépendants, ils ne souffrirent point que les
rois continuassent de l’être; leur couronne se changea en vain simulacre, et
leur palais en prison; ils se virent déchus du commandement des armées et
dépouillés de leurs propres domaines; les maires, élus par les grands,
régnèrent sous leur nom; enfui les titres des actes publics et quelques cérémonies
vaines et fastueuses rappelèrent seuls à la France qu’elle avait des rois.
Cette décadence de la race de Clovis date de l’avènement
au trône de Clotaire II, qui dut sa couronne à la ligue des leudes. Cette
ambitieuse aristocratie laissa bien au roi Dagobert quelque autorité; mais elle
était plus apparente que réelle; cette ombre du pouvoir disparut avec ce
prince, et ses faibles enfants ne furent plus que les premiers esclaves des
orgueilleux domestiques de leurs palais.
Clotaire et Dagobert, en sacrifiant forcément une partie
de leur pouvoir aux grands, avaient cependant continué à leur inspirer quelque
crainte. Dignes encore de Clovis, ils se montraient comme lui soldats vaillans et juges sévères. Dagobert, parcourant sans cesse
son royaume, avait, en plusieurs occasions, rendu justice aux hommes libres et
réprimé la tyrannie des leudes. Il est vrai que, selon les mœurs du temps,
cette étrange justice se manifestait plus souvent par des assassinats que par
des condamnations légales. Mais enfin il n’eut inspirait pas moins, par sa
sévérité, une crainte salutaire aux nobles et une grande confiance au peuple.
Dagobert, superstitieux et prodigue, et pourtant jaloux
de son pouvoir, s’il donna trop de richesses au couvent de Saint-Denis et à
d’autres églises qu’il avait fondées, réprima fréquemment l’ambition et la
cupidité d’un grand nombre d’évêques. De là vint la diversité des jugements
portés sur ce prince ; les prêtres qu’il avait enrichis le placèrent dans le
ciel, et ceux qu’il avait punis, dans les enfers.
Une sculpture représentait sur son tombeau, conformément
à une légende du temps, l’âme de ce monarque emportée par le diable et délivrée
par saint Denis, saint Maurice et saint Martin.
Sa mort fit disparaître toute ombre de respect et de
crainte pour la race royale, et les nobles ne parurent plus voir dans ses descendants
que des insignes du trône et des captifs couronnés.
Nous allons retracer rapidement le peu d’événements que
l’obscurité des temps nous a transmis sur les règnes de ces simulacres de rois;
car ce fut à cette époque que le flambeau de l’histoire s’éteignit avec Frédegaire dans les Gaules ; jusqu’au moment où le
secrétaire de Charlemagne, Eginard, répandit quelques
nouvelles clartés sur ces siècles de ténèbres, on ne peut chercher et trouver
de documents historiques que dans une foule de vieilles légendes absurdes, dont
les auteurs ignorants et superstitieux confondaient sans cesse les lieux, les
époques, altéraient les faits suivant leurs passions, et, mêlant un petit
nombre de vérités à une nuée de fables grossières, n’entretenaient la multitude
abrutie que des largesses faites aux églises et des miracles opérés par des
moines.
On sait au moins avec certitude que le roi Dagobert, en
mourant, confia ses fils et leurs États à deux ministres habiles et dignes de
son estime : l'un était Éga, savant pour le siècle,
et tellement instruit sur les lois romaines et les coutumes des Francs, que de
toutes parts on accourait pour le consulter : l’autre se nommait Pépin; son
courage et son expérience le faisaient craindre par les grands et respecter par
le peuple.
Dagobert, voulant profiter de leurs lumières sans avoir à
redouter leur ambition, les garda constamment près de lui tant qu’il régna, et
chargea du gouvernement de l’Austrasie le duc Adalgise, dont l’obéissance ne
lui paraissait pas douteuse. Mais, dès qu’on eut rendu à ce monarque les
derniers honneurs, Pépin retourna en Austrasie, associa à son pouvoir son ami,
le vertueux Cunibert, et fixa le siège royal du jeune
Sigebert à Cologne.
Ega gouverna la Neustrie et la Bourgogne sous le nom de
Clovis II. Les maires des trois royaumes convoquèrent à Compiègne l’assemblée
générale des Francs; on y fit le partage légal des trésors et des Etats de
Dagobert entre ses deux fils. Peu de temps après cet acte qui assura pour
quelques années le repos de la France, Pépin mourut, laissant le renom, trop
rare dans tous les siècles, d'homme de bien et d’homme d’État.
Sa mort excita des troubles en Austrasie. Une partie des
grands portait Grimoald, fils de Pépin, à la dignité de maire; les autres voulaient
élire Othon, l’un des grands officiers du palais du roi. Cette rivalité remplit
pendant trois années d’intrigues et de factions la cour du jeune Sigebert.
Enfin, à la suite d’une querelle, Lothaire, duc des Allemands, ayant tué Othon,
tous les suffrages se réunirent en faveur de Grimoald. La mairie du palais, ou
pour mieux dire le trône, devint depuis ce moment héréditaire dans la famille
de Pépin.
A cette époque la Germanie, voyant le sceptre des Francs
s’affaiblir, crut le moment favorable pour secouer le joug. Le duc de Thuringe
se révolta et contracta une alliance avec les Esclavons. Ce duc, nommé
Rodolphe, ne tarda pas à voir les Austrasiens marcher contre lui. Son général,
Faron, éprouva d’abord quelques revers; et Rodolphe, ralliant ses troupes, se
retrancha dans une forte position; il y fut promptement investi par les Francs.
Le jeune Sigebert se montra dans cette expédition plutôt à
la suite qu’à la tête de l’armée; la faiblesse de cet enfant royal, l’autorité
encore incertaine du nouveau maire Grimoald relâchaient les liens de la
discipline; la discorde régnait dans le camp français; au lieu de combattre on
délibérait.
Cependant l’ordre est donné d’attaquer l’ennemi; quelques
leudes obéissent et montent à l’assaut; les autres restent dans leurs
quartiers. Rodolphe, instruit de ces dissensions, en profite, fait une sortie
vigoureuse, renverse les colonnes françaises et les taille en pièces. Sigebert,
loin de songer à réparer sa défaite par un courage digne de sa race, verse des
larmes et obtient de Rodolphe, comme une grâce, la liberté de se retirer en
France.
Tandis que l’Austrasie se voyait ainsi flétrie par la
pusillanimité de son roi et par l’inexpérience de son maire, la Neustrie
éprouva un autre malheur; elle perdit Éga, dont la
sagesse assurait son repos et sa prospérité; il mourut dans le palais de Clichy.
Les Neustriens lui donnèrent pour successeur Archinoald,
lié par sa mère au sang de Dagobert.
L’enfance de Clovis II était encore protégée par sa mère, Nantilde, dont la sagesse et la douceur avaient fixé
l’inconstance de Dagobert son époux, et qui s’était concilié l’affection du
clergé, des grands et du peuple.
Cette reine, ayant appris que la Bourgogne, qui, depuis
trente ans, n’avait point eu de maire, s’agitait pour en élire un, convoqua les
grands de ce royaume dans la ville d'Orléans, et parvint à faire tomber leurs
suffrages sur son parent Flaochat, leude prudent et
sujet dévoue. Nantilde gouverna encore quatre années
sans troubles, contenant, par sa modération plus que par sa force, une cour ambitieuse,
un clergé cupide et deux peuples belliqueux.
Ce calme disparut avec elle; et depuis cette époque la
France se vit divisée en deux nations presque ennemies, les Austrasiens et les
Neustriens. La Bourgogne ne pouvait rester neutre dans cette longue querelle,
et son maire s’unit â celui de Neustrie pour s’opposer à l’ambition des
Austrasiens.
Le nouveau maire de Bourgogne ne jouit pas tranquillement
de sa nouvelle dignité; il avait pris les armes pour réprimer la rébellion du
duc de Transjurane. Les leudes des deux partis
s’efforcèrent de les réconcilier et les contraignirent à jurer la paix sur les
reliques des saints. Mais, dans ces temps barbares, le parjure suivait de près
le serment; et, les grands de Bourgogne s’étant rassemblés à Autun pour
cimenter la paix, le duc de Transjuranc fut assailli
dans son logement par les serviteurs armés de Flaochat et d’Archinoald, qui le massacrèrent et pillèrent ses
équipages.
Tandis que la France, ne conservant de vertu que la
vaillance, semblait plutôt défendue par des brigands que par des guerriers,
l’empire d’Orient, relevé quelques instants par les exploits d’Héraclius,
retombait sous une honteuse tyrannie, et, précipitant par les querelles
puériles des sectes religieuses sa rapide décadence, livrait sans défense
l’Italie aux Lombards, et l’Asie ainsi que l'Afrique à l’âpre courage des
musulmans.
Les farouches successeurs de Mahomet, Abu-becker et Omar, s’emparaient presque en courant de la
Syrie, de la Perse, de la Phénicie, de la Palestine et de l’Egypte. Le glaive
du roi- prophète ne rencontrait point d’obstacles; partout les peuples,
fatigués du poids des impôts, du luxe des cours, de la basse tyrannie des
eunuques, de la lâcheté des légions et des querelles sanglantes de l’Église,
semblaient voler au-devant du joug de ces intrépides guerriers qui leur
offraient un seul Dieu, un seul maître, des tributs légers, un repos constant
sur la terre, d’éternelles voluptés et des houris immortelles.
Cette nouvelle puissance, parcourant la terre comme un
torrent, paraissait devoir l’envahir tout entière. Le vieux monde civilisé se
courbait sous le cimeterre sarrasin; il ne devait s’arrêter un jour que devant
les phalanges sauvages des Francs, qu’un héros sut tirer momentanément de
l’anarchie pour les ramener à la gloire.
La Neustrie se vit désolée par le fléau de la famine; le
conseil de Clovis II se décida, pour acheter des grains, à recourir aux richesses
des églises; il s’empara, dans ce dessein, des lames d’argent qui ornaient le
tabernacle et la châsse de Saint-Denis. La disette cessa; les pauvres bénirent
le roi, les moines le maudirent, et le clergé prétendit que, depuis ce moment,
Dieu pour le châtier l’avait frappé de folie.
En 650 ou 654 (car la chronologie manque dans ces temps
vides de gloire), Sigebert, roi d'Austrasie, mourut; il fut d’abord enterré à
Metz, et ensuite transféré à Nancy. Quelque abaissé que fût le trône, son fils
Dagobert n’y monta pas sans difficulté; la race de Pépin se montrait déjà
rivale de la race de Clovis. Le maire du palais Grimoald voulait l’éloigner du
trône, prétendant que son propre fils, Childebert, avait été adopté par Sigebert;
mais les grands et le peuple s’opposèrent à cette usurpation qui ne fut
cependant que différée. Sigebert enrichit le clergé, favorisa le parti des
grands, augmenta l’autorité des évêques et fonda douze couvons. Les moines lui accordèrent
une place dans le calendrier : il n’en occupe aucune dans l’histoire ; elle se
tait aussi sur la vie de sa femme, nommée cependant Sonnechilde,
c’est-à-dire, dans la langue des Francs, enfant du soleil.
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