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HISTOIRE DES CAROLINGIENS

LOUIS V

(2 mars 986 — 22 mai 987)

 

Le successeur de Lothaire était un jeune homme de dix-neuf ans, sans autorité ni prestige, déconsidéré par ses aventures en Aquitaine. Quand il eut été élevé sur le trône par Hugues Capet et les grands du royaume, quand il eut reçu leurs serments de fidélité ainsi que sa mère Emma, il parut évident qu’il était trop jeune ou trop incapable pour gouverner. Ses premiers actes montrèrent toute sa faiblesse : il n'osa porter secours au comte de Barcelone et laissa échapper les Lorrains prisonniers, à l’exception du comte Godefroi qui resta aux mains d’Eudes et d’Herbert.

Emma, qui parut tout d’abord vouloir régner sous le nom de son fils, se rapprocha aussitôt de l’empire. Ce fut certai­nement à son instigation que les princes lorrains prisonniers furent relâchés; à peine son mari était-il mort, qu’elle rendait toute sa faveur à l’archevêque de Reims. De plus, elle était résolue à diriger sa conduite et celle de son fils d’après les avis de sa mère Adélaïde. Elle lui écrivait : « Ce sont vos conseils que je suivrai pour les mesures à prendre ou à rejeter; ainsi vous pourrez être appelée la mère non seulement de la reine Emma, mais de tous les royaumes.» Une entrevue entre Emma, Louis V, Adélaïde et Conrad de Bourgogne fut décidée pour le mardi 18 mai ; elle devait avoir lieu aux environs de Remiremont, à la limite des royaumes de Lorraine et de Bourgogne. Nous ignorons si on donna suite à ce projet qui avait sans doute pour but d’assurer la paix entre la France et l’Allemagne; en tous cas, il n’eut pas, nous le verrons, le résultat qu’en attendaient ses auteurs.

La cour de Louis V devint bientôt le centre d’intrigues de toutes sortes. Sa mère et l’archevêque de Reims prétendaient le rapprocher de l’empire. Les partisans de Hugues Capet lui conseillaient fortement d’aller habiter auprès du duc de France et de suivre en tout ses avis pour l’administration du royaume, bref, de se mettre sous sa tutelle et de se résigner au rôle de roi fainéant. D'autres conseillers, plus dévoués à la dignité royale, l’exhortaient à demeurer en ses propres domaines et à gouverner avec l’assistance des grands du royaume. Louis V ne prit pas immédiatement de résolutions et remit à plus tard sa décision.

La mort de Lothaire n’avait pas délivré de toute inquié­tude l’archevêque de Reims. Verdun était toujours occupé par une garnison et le parti français avait décidément pris le dessus dans la ville. Quand Adalbéron eut enfin réussi à faire consacrer son neveu homonyme par l’archevêque de Trêves, les habitants de Verdun refusèrent absolument de le laisser entrer dans leur ville et de reconnaître la souveraineté d’Otton III (mars-juin 986). Ce fut alors que Gerbert écrivit au nom du nouvel évêque ou de l’archevêque Ecbert une Oratio invectiva in Verdunensem civitatem, pleine d’injures contre les habitants et de menaces d’anathème

Ce n’était pas le seul souci d’Adalbéron. Son frère Godefroi, «pour lequel on espérait bientôt un meilleur sort» le len­demain de la mort de Lothaire, restait toujours prisonnier. De plus, une grosse affaire ecclésiastique occupait alors son attention. Entre la mort d’Oïlbod et l’avènement d’Abbon, l’abbaye de Fleury ou de Saint-Benoit-sur-Loire fut en proie à des troubles sérieux. Oïlbod, nommé abbé par Lothaire, mourut à peu près à la même époque que lui (un peu avant;, après un très court gouvernement3. Un usurpateur, dont le nom nous est inconnu, profita de la maladie du roi et de la faiblesse de son successeur pour s’emparer de la dignité abbatiale. Les moines de Saint-Benoit n’avaient rien à attendre de l’évêque d’Orléans, Arnoul, qui, loin de les proté­ger, se montrait contre eux fort hostile.  Voyant que leur sort laissait tout le monde indifférent, Adalbéron prit géné­reusement leur cause en main et entreprit d’intéresser les membres les plus éminents du clergé de la Gaule en faveur de l’abbaye de Fleury. Il exhorta tout d’abord l’abbé de Cluny, Mayeul, à prononcer la condamnation de l’envahisseur et il en prévint Ebrard, abbé de Saint-Julien de Tours. Mayeul répondit en blamant fortement l’usurpateur, mais se refusa à l’excommunier, alléguant justement que la contrée n’était pas sous son autorité. Cette décision ne satisfit pas le fougueux archevêque de Reims. Gerbert au contraire trouva cette réponse sage et invita son ami Constantin, écolàtre de Saint Benoit, à quitter cette abbaye et à venir le trouver à Reims le 17 août. Mais Adalbéron écrivit à Mayeul une lettre où il mêlait les reproches aux éloges et ne dissimulait pas son humeur contre la modération de l’abbé de Cluny.  Il se décida à excommunier lui-même l’intrus, de concert avec l'abbé Ebrard; il s’autorisa, d’ailleurs, du blâme qu’avait porté saint Mayeul contre le faux abbé, pour exhorter, au nom des abbés du diocèse de Reims, un certain nombre de moines de Saint-Benoit à quitter le parti de l’usurpateur (octobre 986). Les efforts de l’archevêque de Reims ne furent pas immédiatement couronnés de succès. L’abbaye de Fleury ne fut délivrée de la tyrannie de ce personnage inconnu que deux ans plus tard, dans les derniers mois de l’armée 988. L’abbé alors élu fut le célèbre Abbon, qui devait jouer un rôle si important dans l’enseignement et dans les affaires de l’Eglise à la fin du Dixième siècle.

Au milieu de l’année 986, les négociations entré la cour de France et celle d’Allemagne, entamées sans doute à l’entrevue de Remiremont, se poursuivaient et semblaient devoir aboutir bientôt à une paix définitive. Du moins Adalbéron l’espérait et écrivait (juin-août) à l’impératrice Théophano la lettre suivante qui témoigne que, sous Louis V comme sous Lothaire, il était tout dévoué à l’empire : «Si jusqu’à ce jour je vous ai honorée comme ma souveraine, à cause des mérites de votre très excellent époux, auguste et toujours illustre, vos propres bienfaits et ceux de votre fils perpétuent mon dévouement et augmentent mon attachement à vous et aux vôtres. Notre église conserve entre ses principaux trésors un gage de votre affection envers nous. Que Saint-Rémy ressente donc la protection d’une si grande souveraine eu recouvrant tous les biens qu’il a perdus, si cela est possible; je le demande au nom des mérites de ce grand saint et au nom des services que je suis prêt à vous rendre si vous les agréez. Puissiez-vous nous faire ressentir à nous aussi les effets d’une faveur déjà bien déclarée en daignant nous instruire par un envoyé, ou mieux encore par une lettre, de la paix qui va se conclure avec notre roi ou de ses conditions; nous sommes prêt, autant qu’il dépend de nous, à vous témoigner en toutes choses le dévouement le plus sincère. De cette manière, il nous sera plus facile de veiller simultanément à vos intérêts et aux nôtres»

Une surprise désagréable attendait l’archevêque. Il croyait à la paix, il trouva la guerre. Louis V, nous l’avons dit, avait différé sa décision sur sa conduite vis-à-vis du duc de France. Dans l’intervalle, probablement sous l'influence de son oncle Charles, il se détacha tout à fait de sa mère Emma, de sa grand’mère Adélaïde, enfin d’Adalbéron. Depuis longtemps sans doute il se défiait de ce dernier, le considérant à juste titre comme un homme dangereux, qui, ayant trahi son père, ne pouvait que lui être funeste à lui-même. Le roi était d’un caractère à la fois faible et violent; ces deux défauts se combinent souvent; sa jeunesse le portait aux résolutions extrêmes. Il en vint rapidement à haïr l’archevêque de Reims et à vouloir s’en débarrasser à tout prix. Livré à ses propres forces, il n’était peut-être pas en mesure d’exécuter ce projet. Il se résolut à se soumettre en apparence à l'ascendant de Hugues Capet, dans le dessein secret de lui faire partager ses griefs contre Adalbéron et de mettre les ressources du duc de France au service de sa haine. Dans un entretien qu’il eut avec lui et un certain nombre de ses conseillers, Louis le flatta en exagérant ses forces et les recommanda­tions de son père mourant. «J’ai voulu placer en vous, dit-il, mes desseins, ma volonté, ma fortune ». Mais il ajouta: «Adalbéron, archevêque de Reims, l’homme le plus scélérat de tous ceux que la terre supporte, méprisant l’autorité de mon père, favorisa en toutes choses Otton, l’ennemi des Français: il l’aida à conduire une armée contre nous; il l’aida à ravager les Gaules, et, en lui fournissant des guides, il lui donna les moyens de rentrer chez lui sain et sauf ainsi que son armée. Il me parait juste et utile d’arrêter ce misérable pour lui infliger la peine d’un si grand crime, et pour porter en même temps la crainte au cœur des méchants qui voudraient suivre ses traces. »

Ces propositions étaient tout à fait contraires aux inten­tions de Hugues Capet et elles choquèrent une partie du conseil; elles obtinrent néanmoins l’approbation d’un certain nombre de personnes et nul n’osa s’y opposer formellement de crainte de faire injure au roi. Louis, avec une promptitude et une résolution qui étonnent chez lui et montrent clairement la profondeur de son ressentiment contre Adalbéron, n’hésita pas à mettre aussitôt le siège devant Reims. Chose curieuse, il était accompagné de Hugues lui-même et de son armée, qui subissaient bon gré mal gré l’ascendant du roi Adalbéron, surpris par cette attaque imprévue, eut grand-peine à repousser l’assaut, et de part et d’autre il y eut beaucoup de sang versé. Toutefois, au lieu de poursuivre le siège, Louis, sur le conseil des grands, envoya un ultimatum à l’archevêque, lui signifiant que, s’il résistait, Reims serait emportée et lui-même chassé du royaume ; s’il consentait à se justifier, il devait donner des otages, prêter serment de fidélité et détruire ceux des châteaux de son diocèse qui dépen­daient de l’empire. Comme toujours, Adalbéron se prétendit calomnié, protesta de sa bonne foi et contre la violence qui lui était faite. Il consentit d’ailleurs à venir se justifier à Compiègne, le dimanche 27 mars 987, et livra des otages, entre autres Renier, vidame de Reims, guerrier noble et vaillant (août-septembre 986)l. Louis V leva alors le siège et se retira à Senlis sur le territoire du duc de France.

Adalbéron se hâta d’informer secrètement l’impératrice Théophano de tout ce qui venait d’arriver, et lui demanda ses instructions. Son confident et son agent zélé, Gerbert, était complètement rentré en faveur auprès de la cour impériale, et venait d'obtenir la restitution de l’abbaye de Bobbio. Gerbert était dès lors décidé à quitter la France et à se séparer d’Adalbéron, bien qu’à regret; mais en lui restituant Bobbio, l’impératrice Théophano lui avait ordonné de se rendre auprès d’elle en Saxe le 25 mars 987, accompagné des chevaliers italiens, vassaux de son abbaye. Elle était résolue à réunir le plus de troupes possible pour marcher contre Louis V s’il ne cessait ses hostilités. Gerbert ne put accomplir ce programme. Les événements le retinrent encore une fois en Gaule.

Louis V ne s’était pas éloigné de Reims sans y laisser une garnison ou tout au moins une troupe de ses partisans. Ceux-ci inquiétèrent l’archevêque qui crut prudent d’aban­donner la ville et de se réfugier dans la partie de son diocèse qui dépendait de l’Empire. La situation se compliqua des intrigues contre la reine Emma et l’évêque de Laon. Charles de Lorraine n’avait cessé d’être l’ennemi acharné de sa belle-sœur. Tant que Lothaire vécut, averti par ses expé­riences passées, il n’osa renouveler contre elle ses accusa­tions. Mais quand Emma eut perdu son mari, elle se trouva exposée de nouveau aux outrages de Charles. Celui-ci arriva même à persuader à Louis que sa mère était coupable d’adultère avec l’évêque de Laon. Louis se doutait bien qu’Emma était en relations très intimes avec la cour impériale. Partout il retrouvait l’influence secrète de l’Allemagne, chez l’archevêque de Reims, chez Hugues Capet, dans son entou­rage, et jusque chez sa mère. C’en était trop. Il la persécuta impitoyablement et chassa Ascelin de son évêché,

Emma, abandonnée de toute la cour royale, trouva un refuge auprès de Hugues Capet, des conseils auprès d’Adalbéron de Reims, de Théophano et surtout d’Adélaïde; enfin un appui chez les comtes Eudes et Herbert qui lui gardèrent la fidélité qu’ils avaient montrée à son mari. Ce fut sur le conseil de ces derniers qu’Ascelin alla à Dourdan demander asile à Hugues Capet. L’évêque de Laon, dans une circulaire qu'il adressa à ses confrères de la province de Reims, protesta de son innocence et leur interdit de conférer les sacrements dans son évêché.

Une des conditions imposées à l’archevêque lors du siège de Reims avait été de raser les châteaux de son diocèse appartenant à l’empire, c’est-à-dire Mézières et Mouzon, naturellement Adalbéron n’en avait rien fait. Louis V se résolut alors à s’en emparer lui-même. Mais ses projets furent démasqués par Gerbert qui exhorta l’archevêque à mettre une nombreuse garnison dans ces forteresses et à ne pas laisser s’éloigner son neveu Herilon et ses autres parents. On craignait sans doute qu’ils ne fussent surpris par l’armée du roi de France. Ces précautions réussirent à écarter le danger; du moins on ne voit pas que Louis ait mis son projet à exécu­tion. Il découvrit bien vite que les comtes Eudes et Herbert étaient partisans d’Emma et d’Ascelin. Il les effraya alors tellement par ses menaces que ceux-ci se rapprochèrent du parti impérial et qu’on put espérer qu’ils consentiraient à mettre le comte Godefroi en liberté. Gerbert suppliait Adalbéron de revenir, tant pour protéger la ville de Reims contre les partisans de Louis V que pour avoir une entrevue avec son frère et les comtes- Elle eut lieu à Hautvilliers, le 28 septembre 986, mais encore une fois l’affaire n’aboutit pas, les pré­tentions d’Eudes et de Herbert étant sans doute exorbitantes.

Adalbéron devait être jugé dans l’assemblée de Compiègne le dimanche 27 mars 987. Mais l’affaire fut renvoyée au 18 mai. Louis V avait alors d’autres préoccupations; il avait en effet, nous ne savons pourquoi, repris une attitude conci­liante vis-à-vis de l'empire. En mars 987, la paix n’était pas encore conclue formellement qu’il rendait Verdun sans condi­tions. La duchesse Béatrice, de même qu’aux assemblées de Worms et de Francfort, dirigeait les négociations. Elle se rendit en personne à Compiègne le 29 mars et réussit à mé­nager pour la conclusion définitive de la paix une entrevue à Montfaucon en Argonne près de Verdun, le 25 mai 987. L'impératrice Adélaïde, Charles de Lorraine, Louis V, Emma, Hugues Capet devaient y prendre part. Mais l’impératrice Théophano, alors en mauvais rapport avec sa belle-mère Adélaïde, n’avait pas été prévenue de ces dispositions. Ger­bert craignit quelque malentendu; il persuada la duchesse Béatrice de faire la paix par l’entremise de Théophano et de s’informer auprès d’Everger, archevêque de Cologne, des conditions du traité.

L’assemblée qui devait juger Adalbéron venait de se réunir à Compiègne le 18 mai quand un événement inattendu vint changer brusquement la situation. Louis V, comme tous les rois de France à toutes les époques, était passionné pour la chasse. Chassant un jour dans les forêts qui s’étendaient entre Senlis et Compiègne, il tomba de sa hauteur et si malheu­reusement que la chute fut mortelle. Il expira le 21 ou le 22 mai 987, à l’âge de vingt ans.

On s’imagine l’effet de cette mort soudaine sur l’esprit des assistants et le changement brusque de situation de l’arche­vêque de Reims. Au dire de Richer, il aurait manifesté un vif chagrin de la mort de Louis V. Il n’est pas impossible en effet que la fin imprévue de ce jeune roi de vingt ans ait excité en lui quelque pitié ; mais ce mouvement de compas­sion fut passager et ne l'empêcha pas de poursuivre avec âpreté l’extermination de la race de Charlemagne.

Louis V avait exprimé le désir d’être enseveli auprès de son père à Saint-Rémy de Reims. On ne satisfit pas à cette demande suprême, sous prétexte que la distance était trop grande et que le voyage, dispersant l’assemblée, pouvait favo­riser des entreprises contraires à la sûreté du pays. Le der­nier roi Carolingien fut en conséquence enseveli à Saint-Cor­neille de Compiègne.

Louis était certainement inférieur à son père Lothaire. Il n’avait ni ses qualités ni son ascendant. Mais le surnom de Fainéant que lui ont donné certains historiens est absolument déplacé. Il fit preuve au contraire pendant un règne si court de beaucoup d’activité ; et on pourrait lui reprocher d’avoir voulu embrasser trop d’affaires à la fois. Il réussit ainsi à liguer contre lui non seulement l’empire, mais l'archevêque de Reims, les comtes Eudes et Herbert et jusqu’à sa propre mère. Toutefois on peut observer que dans les derniers mois de sa vie il montra une certaine sagesse en essayant de di­minuer le nombre de ses ennemis par une réconciliation avec l’empire. Lui vivant, Hugues Capet n’aurait jamais songé à s’emparer du trône ; il aurait voulu dominer le roi, cela est évident; mais le renverser pour s’installer à sa place était un acte trop grave pour ce prudent personnage. Il était tout au plus capable de disputer la couronne à Charles; il était trop indécis ou trop scrupuleux pour l’enlever de vive force à un roi qui l’aurait déjà possédée.

 

 

HUGUES CAPET ET CHARLES DE LORRAINE

987-991