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EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

 

HISTOIRE DE L'EMPIRE OTTOMAN

LIVRE PREMIER.

ORIGINE ET PAYS DES TURCS. — HISTOIRE DES OGHUSES ET DES TURKMANS, DES SELDSCHUKS DE PERSE ET DE RUM.

 

Bien antique est le peuple turc, d'où est sortie la branche aujourd’hui dominante des Ottomans. Turc, auquel ils rapportent eux-mêmes leur origine, est, selon toutes les apparences, le Targétaos d'Hérodote et le Togharma de l'Écriture. Le nom des Turcs fut pris par des nations différentes, dont quelques-unes même leur étaient entièrement opposées. Les historiens de la Tatarie et de la Mongolie croyaient ennoblir leur nation en la faisant descendre de Turc, fils de Japhet, au septième degré, par Tatar et Mongol qu'ils supposent frères, tandis que les Ottomans, les véritables Turcs, se croient aujourd'hui avilis par cette dénomination, parce qu’ils désignent ainsi des hordes vagabondes et des peuples barbares, comme autrefois les Grecs et les Romains les comprenaient sous le nom générique de Scythes. Au reste, Pline et Pomponius Méla connaissaient déjà de nom les Turcs. Les Byzantins les nommaient tantôt Perses, tantôt Ungres, sans y être autorisés par la moindre affinité ni des Perses avec des Turcs, ni des Ungres avec les Perses. Chalcondylas ne sait s’il doit faire descendre les Turcs des Scythes ou des Parthes. Phranze adopte la tradition romanesque si flatteuse pour la vanité des Grecs dégénérés, d’après laquelle la race dominante des Ottomans viendrait d’lsaac Comnène. Le prince, doublement apostat, ayant abjuré sa foi et renié sa patrie, grâce à sa connaissance parfaite de l'arabe, se serait acquis l'affection des Perses, c’est-à-dire des Turcs ( bien que ceux-ci ne fussent pas Perses et qu’ils ne parlassent pas arabe); traducteur en arabe de la plupart des nouvelles romaines et grecques, il aurait été honoré comme un second Mohammed, et marié à la fille de l'émir (des seldschuks), il aurait engendré Suleiman père d’Ertoghrul, père d’Osman. D’autres historiens, non byzantins, ont imaginé, pour les Turcs, une origine troyenne, et les font descendre en droite ligne de Teucer et d’Hector. Paolo Giovio, auteur de l’histoire de Charles-Quint, le premier qui ait appris quelque chose aux modernes sur l’histoire et l’organisation militaire des Ottomans, ne doute pas qu’ils ne soient des Tatares du Wolga; enfin, tout récemment encore, on a fait dériver le mot turc du nom du fleuve Terek.

Ces recherches sur le berceau d’un peuple, si elles ne sont pas toujours satisfaisantes, sont moins frappées de stérilité que les efforts tentés pour remonter à sa source primitive. Les Turcs, que les Chinois nomment Tuku, descendirent de l’Altaï (Altun-Tagh), c’est-à-dire Mont-d’Or, l’Ektagh des Byzantins, et cette vaste étendue de steppes de la Haute-Asie, bornée au levant par le Chatai, ou la Chine septentrionale, an couchant par le lac Aral et le pays de Chuaresm, au nord par la Sibérie, et au midi par le Thibet et le pays au delà de l’Oxus, ou la grande Bucharie, porte le nom de Turkistan. C’est un pays renommé dès longtemps par la fertilité de ses pâturages, par le musc de Taras, par les arcs de Tschatsch, par la nature de ses chevaux et les mœurs de ses habitants, dont les belles proportions et la rapacité sont passées en proverbe dans tout l’Orient. Des poètes persans célébrèrent dans leurs chants les filles de ces contrés, qu’ils appellent les idoles de Tschigel (l’une des premières villes du Turkistan, dont les habitants adoraient Canope, Orion et la grande Ourse, et qui se mariaient avec leurs sœurs et leurs filles); ces poètes chantent leurs maitresses, belles comme les femmes de Ghatfar, Choten, Farchar, et d’Iaghma (villes célèbres du Turkistan), qui ravissent le repos, ainsi que les Turcs rapaces enlèvent les mets des festins. Les anciens Perses, qui appelaient leur propre pays Iran, et tout le reste de la terre Aniran, c’est-à-dire non Iran, désignaient particulièrement les contrées orientales au delà de l'Oxus, c’est-à-dire le Turkistan, d’aujourd’hui, par le nom de Turan; celui de Turaniens, c’est-à-dire des Turcs, était un nom générique comme celui de Scythes, qui signifiait rudesse et barbarie par opposition à culture et civilisation. Le mot Turan finit par se transformer en tyran dans la bouche des Grecs, et môme aujourd'hui, chez les Ottomans, turc est synonyme de barbare.

Les Uigurs (Turcs de l’Orient), répandus de Karakorum à Turfan, furent confondus par les premiers historiens et les géographes avec les Uigurs de Sibérie des Byzantins, comme les Hunnius avec les Huns. La langue des Uigurs est le turc le plus ancien et le plus pur; on l’appela dans la suite dschagataien, de Dschagatai, fils de Genghis Khan, dominateur de ces contrées, dont les habitants reçurent ensuite le nom d’Usbegs, à cause d’Usbeg-Chan. La langue uigure ou dschagataienne, que les Ottomans appellent aussi vieux turc, est la sœur aînée de la ghésienne ou turcomane qui, dans la suite, se forma comme celle des Seldschuks et des Ottomans, et qui est la nouvelle langue turque d’aujourd’hui.

A la fin du XVe siècle, époque où la langue ottomane commença de marcher dans les voies du perfectionnement, l’idiome dschagataien avait atteint déjà le dernier degré de sa formation, point où elle est restée depuis, tandis que la langue ottomane a toujours suivi un mouvement progressif.

Il était nécessaire d’entrer dans ces détails sur les Uigurs d’Orient et les Usbegs, parce que ceux-ci, quoique séparés par toute l’étendue de la Perse de leurs frères de l’Occident (les Ottomans) sont néanmoins toujours restés jusqu’aujourd’hui en relations politiques et en alliance avec eux contre leurs ennemis communs et naturels les Persans.

Nous allons maintenant nous occuper de l’histoire la plus ancienne des Turcs, d’après leurs propres traditions qui, si elles ne présentent pas le caractère de vérité historique) méritent néanmoins d’être mentionnées.

D’après une antique légende turque, dont on aperçoit même des traces dans les récits d’Hérodote sur l’origine des Scythes, vivait dans les époques primitives, un certain Oghuz-khan, fils de Kara-khan qui fonda la puissance et la civilisation des Turcs par ses conquêtes et par des lois; il était contemporain d'Abraham, et comme fondateur de domination, il a beaucoup de ressemblance avec le Dejocès de Mèdes (le Dschemschid des histoires orientales). Son abandon du culte des idoles de son père et sa vocation à une religion plus relevée et plus pure amenèrent une guerre civile et religieuse qui dura soixante-dix ans. De Karakoum, où son père Kara-khan passait l’hiver, tandis qu’il se tenait l’été entre les montagnes Urtag et Kurtag, Oghuz marcha vers le sud, el fixa sa résidence à Jassi, l’une des villes les plus célèbres du Turkistan comme siège de l’ancienne et de la nouvelle domination turque, du culte religieux ancien et nouveau; comme résidence d’Oghuz-khan à des époques reculées, et du khan des Usbegs dans les temps plus récents, comme le berceau et l’école de Chodscha-Ahmed, un des plus grands scheichs de l’ordre des Nakschbendis. Oghuz ayant vaincu son père, soumit à son empire tout le Turkistan depuis Artelas et Sirem jusqu’à Buchara. La tradition lui donne six fils, les chans du jour, de la lune, de l’étoile, du ciel, de la montagne et de la mer.

Oghuz, chasseur, comme Nimrod, chef d’un peuple nomade et chasseur, envoya un jour ses fils à la chasse, comme à la recherche de leur destinée future. Ils lui rapportèrent un arc et trois flèches qu’ils avaient trouvés. Le père donna l’arc aux trois ainés et les trois flèches aux trois plus jeunes de ses fils; ceux-ci en prirent chacun une, mais les premiers rompirent l’ace en trois morceaux et conservèrent chacun une pièce. Pour cela, Oghuz appela les derniers Utschok, trois flèches, et les aînés Bosuk, destructeurs; il confia à ceux-là l'aile gauche de son armée, et à ceux-ci la droite, donnant ainsi la préférence aux destructeurs.

Après sa mort ils se partagèrent les contrées de l'est et celles du couchant du grand empire d’Oghus; les trois flèches, ou chefs de l’aile gauche, furent les Turcs de l’Orient; les destructeurs, ou les chefs de l’aile droite, ceux de l’Occident. A chacun de ces six héritiers d’Oghuz-khan la légende donne quatre fils qui devinrent les chefs des vingt-quatre tribus turques.

La foi dans certaines traditions adoptées sans examen dans les époques primitives, et plus tard révoquées en doute par la critique, est souvent, dans les temps modernes, confirmée par l’histoire; de sorte que ce qui, dans la tradition est faux quant au fond, se trouve vérifié quant à la forme, et réciproquement. Les mœurs d’un peuple originairement chasseur ont dû laisser de longues traces à la cour des sultans, et la division primitive en aile droite et aile gauche, faite par Oghuz, se présente comme la base fondamentale du ban et arrière-ban des Turcs, des Mongols et des Tatares; de plus, le nombre quatre (par allusion aux quatre enfants qu’eut chacun des fils d’Oghuz) est venu partout s’implanter, pour ainsi dire, dans l’ingénieuse organisation des États ottomans. C’est ainsi que les chefs des vingt-quatre tribus turques se sont conservés dans les vingt-quatre begs des Mameluks boharites et tscherkesses, jusqu’à leur destruction récente. Dans la suite de cette histoire, nous aurons plus d’une fois occasion de revenir sur ce point.

Quittant les trois chans de l’aile gauche et les descendants des trois flèches qui marchèrent à l’Orient, et sortant de notre cercle, nous allons suivre les descendants des trois khans de l'aile droite ou destructeurs. Ceux-ci s’établirent d’abord dans le Turkistan, d'où ils firent une invasion dans le pays situé entre le Sibun et le Dschihun (l'Iaxarte = Syr-Daria, et l’Oxus), et, enfin, franchissant ces dernières limites, ils s’avancèrent en conquérants et en dominateurs jusqu'au Bosphore et au Danube. Les plus anciens historiens de la race des Oghuzes, des Seldschuks et des Ottomans font descendre leurs souverains directement des trois chans de l'aile droite : les Oghuzes viennent du chan de la montagne ( ils habitaient un pays montagneux ); les Seldschuks, du khan de la mer ( la Méditerranée bornait leur empire) ; les Ottomans, du khan du ciel.

Avant de nous occuper exclusivement de ces derniers, il sera utile de faire mention des diverses branches de cette race et de leurs devanciers, puisqu’en effet l'empire des Ottomans s’est élevé sur les ruines de celui des Seldschuks. Nous dirons donc d'abord quelques mots des Oghuzes; puis nous nous étendrons avec d'autant plus de détails sur les derniers Seldschuks, que l’histoire de leur chute est plus intimement liée à l’élévation des Ottomans.

Les Oghuses dominaient dans le Turkistan et dans la contrée située entre l'Iaxarte et l’Oxus, fréquemment enveloppée dans les guerres avec les Chosroes de Perse et les khalifes d’Arabie. Ce ne fut que trois cent cinquante ans après Mohammed que Salur, descendant de Tak-khan ( seigneur de la montagne ), embrassa l'islam avec deux mille familles. Il porta depuis le nom de Tschanak ou Kara-khan, et la partie de son peuple qui avait adopté sa doctrine prit celui de Turkmans, pour se distinguer des Turcs encore mécréants. Après leur émigration, ils allèrent s’établir, les uns dans l’Arménie occidentale, d'autres sur les bords orientaux de la mer Caspienne : de là les Turcomans orientaux et occidentaux. La contrée qu’ils occupèrent se nomme encore aujourd’hui Turcomanie.

Musa, fils de Tschanak-Chan, rassembla près de lui des savants, éleva des mosquées, des cloîtres et des écoles; et Boghra-Chan-Harun, fils de Suleiman, successeur et oncle de Musa, recula les bornes de sa domination vers l'orient, au delà de Kaschghar et de Balasghun, jusqu'aux frontières de Sina, et conquit sur la dynastie persane de Saman le pays de Bucharie. Après lui, Ahmed-Chan-Ben-Ebu-Nasser-Ben-Ali imposa par la force des armes l'islam à la partie non convertie des Turcs. Son frère Arslan-Chan-Abul-Mossaffir-Ben-Ali, qui changea son nom démesuré contre celui de Scherfeddewlet (noblesse d’empire), conquit tout le pays au delà de l’Oxus. A sa mort, Kadr-Chan-Jusuf, fils de Boghra-Chan, se rendit célèbre par ses libéralités envers les Turcs qui se livraient à la lecture du Koran. Son fils Kara-Chan-Omar, ayant été fait prisonnier par son frère Mahmud, fut empoisonné avec lui, et le pays passa sous la domination de Toghmadsch-Chan de Samarcand [1031]. Le fils de celui-ci ( Schemsul-Mulk-Ben-llik-Chan-Ben-Togh-madsch ) s’unit par un double lien à la famille Seldschuk, dont la puissance allait toujours croissant, en épousant la fille d’Alparslan, et en donnant sa sœur Turkan au sultan Melek-Schah [1069].

Les fils de Seldschuk, puissante branche turque sortie du fils d'Oghus, chan de la mer, se fixèrent, vers la fin du dixième siècle de l’ère chrétienne , près de la Bucharie où régnait Boghra Khan. Trente ans plus tard [1034], Mahmud, le grand dominateur de Ghazni, le conquérant des Indes, les conduisit par delà l’Oxus dans le Chorasan. Sebektegin, père de Mahmud, qui, d’abord esclave turc d’un général au service d’une famille persane régnante (Saman), fut installé comme gouverneur de Ghasna, s’empara bientôt du pouvoir absolu de tout le pays, comme avaient fait, dans les deux siècles précédents, les esclaves turcs Tulun et Achschid institués aussi gouverneurs pour les khalifes en Égypte. Ces Turcs furent les premiers qui, du milieu de la garde du corps placée autour du souverain, s'élancèrent sur le trône qu’ils étaient chargés de défendre, et changèrent leur titre d’esclaves contre celui de rois; Mahmud substitua à la dénomination de roi celle de sultan, jusqu'alors inusitée. Le pouvoir suprême resta à peine cent cinquante ans dans sa famille; elle dut s abaisser devant la race Seldschuk, qui, appelée d'abord par Mahmud au delà de l’Oxus, tint pendant trois siècles sa main puissante étendue sur tout le pays situé entre la mer Caspienne et la Méditerranée; et cette main, au moyen des cinq dynasties seldschukides, saisit successivement les contrées de Fars, de Kerman, de Damas, d’Alep et de Rum ou Asie Mineure.

Toghrulbeg, petit-fils de Seldschuk, arracha les rênes du pouvoir placées par les khalifes dans les mains débiles de la famille persane Buje; puis, appelé par le khalife Kaimbiemrillah pour lui porter secours, il vengea les affronts faits au faible souverain par l’exécution de Besasiri, esclave révolté. Toghrul reçut des mains du khalife la dignité, avec le pouvoir réel d'Emirolumera ( prince des princes ) dans la vaste étendue du khalifat, titre le plus élevé dont, avant lui, eussent été revêtus les chefs de la famille Buje. La cérémonie de l'investiture se fit en grande pompe, le khalife assis sur son trône, derrière un voile noir, et couvert du manteau noir de Mohammed (al Borda), tenait à la main, pour sceptre, le bâton du prophète. Toghrul, après avoir baisé la terre, se tint quelque temps debout, puis s’assit sur un autre trône à côté du khalife; après la lecture du diplôme qui l'instituait représentant absolu du khalife, chef suprême de tous les pays que Dieu lui avait confiés, et gouverneur de tous les Mouslims, on le revêtit successivement de sept costumes d’honneur; on lui offrit en présent sept esclaves provenant de sept royaumes; sur sa tête, déjà couverte d’un voile d’or parfumé de musc, on posa deux bandeaux ( pour représenter deux couronnes, de Perse et d’Arabie); ensuite il baisa deux fois la main du khalife ; on lui ceignit deux épées, comme au dominateur de l’Orient et de l'Occident; puis on le proclama comme tel en public.

Toghrul donna sa sœur en mariage au calife, et lui-même, après de longues négociations, finit par obtenir celle du calife pour épouse; mais à la pompe extraordinaire avec laquelle on célébra les noces succéda bientôt une autre pompe, celle des funérailles du vieux fiancé. Sa place sur le trône fut occupée par son neveu, Alparslan (robuste lion). Celui-ci, à la tête de la cavalerie turque, passa l'Euphrate et entra dans Césarée, capitale de la Cappadoce, où l'avaient attiré la renommée et les richesses de l'église de Saint-Bazile; il enleva les portes enrichies de perles du reliquaire. Il conquit l’Arménie et la Géorgie, et s’avança jusque dans le cœur de la Phrygie contre l'empereur byzantin, Romanus Diogènes, dans l'armée duquel une horde moldave d’origine turque (les Uzes) combattait contre Alparslan, dont le prince des Oghuses avait épousé la fille.

L’empereur, après trois campagnes difficiles, parvint à rejeter les Turcs au delà de l'Euphrate et à reconquérir Malaskerd, forteresse limitrophe située entre Erzeroum et Wan. Alparslan accourut lui-même en toute hâte avec quarante mille chevaux pour défendre ses États, que l'empereur menaçait à la tête d’une armée de plus de cent mille hommes. La supériorité numérique des impériaux fut affaiblie par l'indocilité d'une troupe de mercenaires francs placés sous les ordres d’Ursel ou Russel Balliot, parent ou chef de la race des rois d'Ecosse, et aussi par la défection des Uzes, qui passèrent du côté d'Alpars­lan. Toutefois l’orgueil de l'empereur en fut si peu humilié, qu'il réclama pour gage de la paix la remise entre ses mains de la ville de Rey, résidence du sultan. Alparslan se prépara au combat; il retroussa de sa propre main la queue de son cheval, changea ses flèches et son arc contre une massue et une épée, se revêtit d’un habit blanc, se parfuma de musc, et jura que, s’il succombait, le champ du combat serait son tombeau. Il triompha : l’empereur baisa la terre comme prisonnier du sultan qui, dit-on, lui posa le pied sur la tête. C'est ainsi que huit siècles auparavant l’empereur persan Schabur avait traité Valérien, empereur romain, et trois cent trente ans plus tard, le tatare Chan-Timur foula sous ses pieds le sultan ottoman Bayezid. Au moyen d’une rançon de 1,000,000 et d’un tribut annuel de 160,000 livres d’or, Romanus Diogènes recouvra la liberté; mais, il peine rentré dans ses États, il fut outragé par ses sujets révoltés, renfermé, dépouillé du diadème, et mis à mort. Les jours d’Alparslan furent abrégés par le poignard d'un assassin, Jusuf, chuaresmien commandant de la forteresse de Bersera. Sur le tombeau des Seldschuks à Merwe dans le Chorasan, on lit l'inscription suivante : « Vous qui avez connu la grandeur d’Alparslan élevée jusqu’aux cieux, contemplez-la ici ensevelie sous la poussière.»

Le bien le plus précieux qu’Alparslan transmit avec son empire à son fils Melek-Schah, le plus grand des souverains seldschuks, fut le plus grand de tous les grands vizirs, Nisamul-Mulk. Déjà sous le règne de Toghrul, de Sascha et d’Alparslan, ce ministre avait dirigé pendant trente années avec un pouvoir illimité les affaires du vaste empire des Seldschuks, qui, d’un côté, s’étendait de la mer Caspienne à la Méditerranée, et, de l’autre, du pays des Chasares à la pointe de l’Yemen. Melek-Schah parcourut douze fois son vaste empire d’un bout à l’autre pendant un règne de vingt ans. A Isfahan, Nischabur, Merwe, Balch, Hérat, Mosul, Basra et Bagdad, s’élevèrent de nombreuses écoles et académies fondées par Nisamul-Mulk, richement dotées par lui. La plus célèbre, celle de Bagdad, nommée Nisamie, du nom de son fondateur, servit de modèle à toutes les hautes écoles de l’Islam. Nisamul-Mulk avait été le condisciple de Hasan Ssabah, fondateur de la secte des assassins. Il opposa pendant très-longtemps l’énergie de son caractère et tout le pouvoir de sa haute position à l’alliance destructive de l’incrédulité et du poignard. Mais sur la fin de sa carrière, ayant perdu les faveurs du sultan Melek-Schah, il tomba sous le fer des assassins. Son nom est passé à la postérité comme celui du plus grand des vizirs. Melek-Schah fut célébré comme le plus grand des princes Seldschuks, le fondateur d’une ère nouvelle ( l’ère dschelalide ), le protecteur des savants et surtout des poètes. Il rivalisa de libéralités envers les poètes avec Chisr-Chan, fils de Toghmadsch, frère et successeur d’Ilik-Chan, souverain Oghuse des contrées transoxianes, et dont la sœur (Turkan) était son épouse. Melek-Schah avait aussi recherché la main d'une princesse Comnène que l’empereur Alexis lui avait refusée; de son côté, Melek accorda sa fille au khalife Moktadi, mais sous la condition rigoureuse, en Orient surtout, qu’il renoncerait à toutes ses autres femmes, ainsi qu’à ses concubines, pour vivre uniquement avec sa nouvelle épouse. Dix-huit ans avant sa mort, Melek-Schah avait abandonné à son cousin Suleiman, arrière-petit-fils de Seldschuk, la domination de tous les pays situés au delà d’Antioche, c’est-à-dire le pays de Rum ou Asie Mineure. Nous devrions, suivant l'ordre logique, passer de suite à l'histoire de celui-ci; mais il faut, pour la clarté et l'intelligence, qu’après avoir fait connaître les trois premiers souverains des Seldschuks persans, (Toghrulbeg, Alparslan, et Melek-Schah), nous disions quelques mots de leurs trois successeurs immédiats, Barkjarok, Mohammed-Schah et Sandschar, avec lequel s’éteignit la grandeur des Seldschuks de Perse.

Melek-Schah laissa quatre fils: Barkjarok, Sandschar, Mohammed et Mahmud. Leur mère (Turkan-Chatun ), dont les intrigues avaient déjà renversé le grand Nisamul-Mulk, voulait élever sur le trône, au préjudice de l'ainé, le plus jeune de ses fils. Elle y aurait peut-être réussi, si une maladie subite n’avait pas enlevé ce jeune prince, qui donnait les plus belles espérances. Barkjarok, attaqué par deux de ses oncles, les vainquit. Il fit crever les yeux à l’un d’eux (Tekesch ou Tukusch), et le fit jeter dans une prison à Tatrik; l’autre, Tetesch ou Tutusch, se noya. Les serviteurs d’un troisième oncle (Arslan-Arghun-Ben-Alparslan), gouverneur du Chorasan et de Ghasna, mirent fin à sa tyrannie par une mort tragique.

Barkjarok remit le gouvernement de Chora­san â son frère Sandschar, et celui de Chuaresm à Mohammed-Ben-Nuschtegin-Ghardscha, fondateur de la dynastie des schah de Chuaresm. Attaqué par son frère Mohammed, Barkjarok fit avec lui un traité de paix d’après les conditions duquel il renonçait aux pays orientaux de l’empire ( Azerbaïdjan et Irak ), mais sous la condition que pendant tout le temps du règne de Sandschar dans le Chorasan, dans toutes les prières publiques on ne prononcerait jamais que le nom de Barkjarok. Le grand vizir Nisamul-Mulk avait laissé cinq fils : Asul-Mulk (honneur de l'empire ), Siaul-Mulk (splendeur de l’empire), Moéjidul-Mulk (prospérité de l’empire), Fachrul-Mulk (gloire de l’empire). Ils succédèrent tous les cinq â leur père dans la charge de grand vizir. Le premier n’en exerça les fonctions que quelques jours, pendant lesquels il se rendit indigne par ses débauches d'occuper le poste élevé qui lui était confié; son frère et successeur, Moéjidul-Mulk, coupable de trahison envers Barkjarok, en portant son frère Mohammed à la révolte, fut jeté dans les fers. Rentré en grâce et rappelé à la cour, il fut néanmoins quelque temps après décapité par la main du sultan lui-même. Fachrul-Mulk, l’ainé des fils du grand vizir, mérita par sa fidélité à son prince et sa foi religieuse de tomber frappé par le poignard des assassins, sous le gouvernement de Mohammed-Schah, frère et successeur de Barkjarok. Dans le long espace de mille ans, quatre fois seulement se renouvela l’exemple de plusieurs membres de la même famille exerçant successivement le souverain pouvoir en qualité de grand vizir. Ainsi, avant les fils de Nisamul-Mulk, on avait vu les Barmek, sous les Abbassides: après eux on cite les Dschenderilis, enfin les Kœprilis, sous les Ottomans. Siaul-Mulk (splendeur de l'empire) troisième fils de Nisamul-Mulk, fut élevé au grand vizirat sous le règne de Mohammed-Schah qui, à la mort de son frère Barkjarok, avait réuni sous son pouvoir tous les États de la domination des Seldschuks persans, à l’exception du Chorasan où régnait son frère Sandschar. Siaul-Mulk ne succéda pas immédiatement à son frère Fachrul-Mulk, mais à un grand vizir d’une autre famille, Seadul-Mulk (bonheur de l’empire), qui, gagné par la secte des assassins, avait formé le complot d'empoisonner le sultan. Il fut découvert au moment de l’exécution et mis à mort avec ses complices. Les assassins tirèrent vengeance de cet échec par le meurtre de Siaul-Mulk. C’est alors que le sultan prit le parti de détruire quelques-unes de leurs forteresses dans l’Irak. Ainsi Nisamul-Mulk et deux de ses fils, périrent par le poignard des assassins, victimes de leur fidélité. Le troisième, Moéjidul-Mulk, fut décapité par le sultan lui-même â cause de sa trahison; le quatrième, Asul-Mulk, ne dut son salut qu’à son incapacité absolue. Mohammed-Schah fit la guerre sacrée dans la Syrie contre les croisés, et dans les Indes contre les idolâtres. Il enleva à ces derniers une idole colossale qu'il fit placer comme seuil de la porte de l’académie d’Isfahan, voulant ainsi que le vrai croyant ne pût entrer dans le sanctuaire de la science qu’en foulant les idoles sous ses pieds. Ce prince, poète lui-même, combla de faveurs et d'encouragements tous ceux qui s'occupaient de poésie, et prit le surnom de refuge du bonheur et du monde

Sandschar, fils de Melek-Schah, qui du vivant de Barkjarok et de Mohammed avait partagé avec eux les domaines des Seldschuks, réunit après leur mort sous son sceptre unique tout ce vaste empire, avec un trésor immense qui s’accrut encore par la conquête de Ghasna. Dans celte résidence de son oncle maternel Urslan-Arghun-Ben-Alparslan, il avait saisi toutes les richesses accumulées par le sultan Mahmud, conquérant de l’Inde. Là se trouvaient cinq couronnes, chacune d’une valeur d’un million de ducats; seize trônes d’or et d’argent; treize cents bijoux d’or garnis de pierreries, et treize cents armures d’or et d’argent pour hommes et pour chevaux de bataille. D’après le partage de l’empire fait avec son frère, dans les prières publiques, Mohammed était appelé schah, et Sandschar, sultan des sultans. Durant le règne de Barkjarok et de Mohammed, Sandschar avait gouverné vingt années le Chorasan; après la mort du dernier, il monta sur le trône, qu’il occupa vingt-quatre ans, dernier grand dominateur des Seldschuks persans, depuis Kaschghar jusqu’à Antioche, de la mer Caspienne au détroit de Babolmandeb. La durée de son règne fut en rapport avec la vaste étendue de son empire et de sa puissance, mais ne le vit pas accompagné d une fortune constante. Il soutint dix-neuf guerres, et triompha dix-sept fois de ses ennemis; mais, dans une campagne au delà de l’Oxus [1140], il fut défait par Kurchan, souverain de Karachatai, et ne lui échappa qu’à l’aide d’une prompte fuite, avec quelques-uns des siens, abandonnant son camp et son harem. Plus tard [1156], il fut vaincu et pris par ses sujets révoltés, les Ghuses.

Cette invasion des Oghuses dans le Chorasan est le second grand mouvement de translation opéré par ces peuples de l’est à l’ouest, dont les histoires musulmanes font mention. Déjà il a été parlé de la première migration de quelques milliers de familles sous Kara-Chan, deux siècles auparavant; alors elles s'établirent sur les rives orientale et occidentale de la mer Caspienne, sous le nom de Turkmans. Cette fois ces tribus paraissent dans les historiens byzantins, appelées Ghuses ou Uses, dans la race desquels sont comptés aussi les Kumans, et les Petschenegues ou Kanglis. Les souverains du Karachatai se servirent de ces peuples comme de gardes des frontières contre les invasions à redouter du Sud, et leur donnèrent pour cela une solde annuelle. Arslan-Chan, prédécesseur de Kur-Chan, maître du Karachatai (la petite Bucharie), ayant rompu avec eux, non-seulement leur retira le subside annuel, mais encore enleva leurs femmes, pensant ainsi détruire cette souche indocile. Dépourvus de notions sur le monde par delà leurs steppes, ils saisirent des marchands que l'amour du gain avait conduits auprès d’eux, et les prirent pour guides vers un autre pays fertile. Les mains liées derrière le dos, les marchands montrèrent le chemin de Balasghun, où les fugitifs tremblèrent encore sous la main d'Arslan-Chan. Mais sous son successeur Kur-Chan, moyennant une pièce d’or par famille, il leur fut permis de s'étendre dans le Turkistan.

Kur-Chan, qui désirait établir de bons rapports avec Sandschar, maître du pays au delà de l’Oxus et du Chorasan, lui adressa une lettre pleine de déférence et de soumission. Sandschar lui répondit par une ambassade qui l’appelait à l'islam, et comme moyen de conversion, l’épître orgueilleuse du sultan menaçait Kur-Chan d’armées innombrables, dont les archers fondaient un cheveu avec leurs flèches. Kur-Chan fit arracher la barbe aux envoyés; puis, leur mettant dans une main cette outrageante dépouille, dans l’autre une aiguille: «Si vous ne pouvez, dit-il, partager ces poils de barbe avec une aiguille, comment fendrez-vous avec des flèches les cheveux qui sont encore plus fins?» La réponse plus sérieuse fut un armement formidable, puis la défaite de Sandschar, après laquelle les gouverneurs du Chuaresm et de Ghur, Itsif et Hussein, commencèrent aussi à lever la tète avec des mouvements d’indépendance, et firent réciter les prières en leur nom jusqu'à ce que Sandschar, rassemblant ses forces, sut courber à l’obéissance les gouverneurs rebelles, et les Ghuses qui s'étaient établis dans le Chorasan et dans les environs de Balch, où ils devaient se tenir paisibles et tributaires. Ils étaient chargés de fournir la viande pour la cuisine du roi. Mais un jour ils tuèrent l’officier qui levait cet impôt avec trop de rigueur, et l’émir Kamadsch, gouverneur de Balch, qui voulut les forcer par les amies à expier ce crime, resta sur le champ de bataille avec son fils. Alors le sul­tan s’avança en personne avec 100,000 cavaliers. Les Ghuses lui envoyèrent d’abord des députés, pour s’excuser, implorer leur pardon, et offrirent cent esclaves du Chatai comme prix du sang de Kamadsch, et deux livres d’or pour chaque famille; mais tous les émirs ne s’étant pas accordés, des négociations on en vint ans armes, et le grand monarque des Seldschuks devint le prisonnier des Ghuses.

Par la défection des Uses, l’empereur de Byzance Romanus Diogènes était tombé entre les mains d’Alparslan; par la révolte des Ghuses, Sandschar, petit-fils d’Alparslan, se trouva leur captif. D’abord leurs émirs baisèrent la terre devant lui, et le traitèrent avec tout le respect dû au grand souverain qui naguère leur dictait des lois; mais ensuite, sur son refus inflexible de leur céder la contrée de Merw, où il résidait, ils en vinrent à des insultes, à des outrages. On imagina déjà sur lui la fable d'une cage de fer renouvelée plus tard au sujet de Bajesid. Les Ghuses se répandirent comme un torrent sur le Chorasan, dévastèrent Nischabur, brûlèrent les mosquées, massacrèrent les savants après leur avoir fait subir mille supplices, et voulurent par le fer et le feu ramener les Musulmans de l’islam au culte des idoles. Après une captivité de quatre ans, Sandschar leur échappa dans une chasse, et, favorisé par le seigneur de Termed, parvint à franchir l’Oxus. Comme bientôt après mourut le chef des Ghuses, ils se soumirent à l'autorité de Sandschar, avec lequel s’éteignit la grande domination seldschuke, en Perse (1157). A cause de ses conquêtes, les peuples l’appelèrent un second Alexandre. Des rois revêtirent les dignités de sa cour; les sultans Kotbeddin et ltsis, l’un fils, l’autre petit-fils de ce Nuschtegin, auquel Barkjarok avait conféré le gouvernement de Chuaresm, remplirent successivement les fonctions d’échanson de Sandschar. Des poètes et des savants distingués illustrèrent son règne. Enweri, le plus grand rhéteur des Perses, et Abdolwasi, furent ses panégyristes. Samachschari, fameux commentateur du Koran, et non moins célèbre philologue, et Nesefi, dont la dogmatique forme encore aujourd’hui la base de la doctrine des Sunnites, moururent tous deux dans l’année qui suivit la grande défaite subie devant les troupes de Char-Chan [1142-1143]. Hariri, connu depuis longtemps dans l'Occident comme en Orient, par le chef-d’œuvre de la rhétorique arabe, la makamat, dédia cet ouvrage à son protecteur Scherefeddin-Chaleb, grand vizir de Mohammed, fils de Melek-Schah, auquel Sandschar-Aserbeidschan avait confié le gouvernement d’Irak et de Fars.

Les descendants de Mohammed-Schah, fils de Melek-Schah, maître de l’Irak, les schah de Chuaresm, les princes des Ghurides, et les quatre branches des Atabegs, se partagèrent les débris de l’empire seldschuk de l'orient, tandis que s’élevait celui de l’ouest dans l’Asie Mineure. Tournons maintenant nos regards sur celui-ci, car sur son tombeau fut dressé le berceau de la puissance ottomane. Malgré les rapports multipliés des Seldschuks d’Iconium avec les croisés et la liaison des deux histoires, les écrivains contemporains des croisades, comme ceux de Byzance, ne nous ont donné que des notions très-incomplètes sur les souverains de l’Asie Mineure; nous serions donc autorisé à combler cette lacune par des matériaux jusqu’alors inconnus, alors même que l'enchaînement intime des destinées des derniers princes seldschuks avec celles des premiers Osmans n’imposerait point à l'historien le devoir indispensable d'éclairer les unes par les autres.

Kutulmisch, fils d'Israil, fils de Seldschuk, dès le règne d’Alparslan dans Rum, c’est-à-dire dans l'Asie Mineure, avait déjà tenté, avec une armée de Turkmans rassemblés à la hâte, de se former un pouvoir indépendant. Vaincu, il périt dans sa fuite d’une chute de cheval. L'ainé de ses fils, Manszur, fut quelque temps tributaire d’Alparslan et de son successeur Melck-Schah; puis, sur l’ordre de ce dernier, il fut attaqué par l’émir Pursak, battu et tué. Le même sort était réservé à Suleiman, son frère puîné encore mineur, parce que Melek-Schah avait résolu d'extirper entièrement ces rejetons qui portaient ombrage de plus en plus à la branche principale de la famille régnante en Perse. Grâce aux représentations et aux instances du grand vizir Nisamul-Mulk, la vie fut laissée à Suleiman, et on lui confia le commandement des armées seldschukes de Rum. La reine des cités de la Syrie, la superbe Antioche, fut alors arrachée pour la quatrième fois à l'empire byzantin par les conquérants orientaux: deux fois elle était tombée au pouvoir des chosroes de Perse, Schabur et Nuschirvan; les Arabes l’avaient enlevée quatre ans après la mort de Mohammed, et maintenant elle fut surprise par les Turcs sous Suleyman, avec deux cent quatre-vingts chevaux, à l’aide de la trahison du fils du gouverneur Philaretos. Alors deux lieutenants de Melek-Schah gouvernèrent en Syrie, son frère Tutusch, fondateur de la dynastie syrienne des Seldschuks à Damas, et Moslim, fils de Koreisch, de la famille Okaïl, à Alep. Celui-ci réclama de Suleiman le tribut d'Antioche; sur son refus, il courut aux armes et perdit la vie dans cette lutte [1085,]. Suleiman, vaincu lui-mème par Tutusch, se donna la mort pour échapper à la captivité (1086).

Les fils de Suleiman, David et Kilidscharslan, furent amenés à la cour de Melek-Schah. Après la mort de ce prince, David fonda à Konia le siège d’une souveraineté indépendante que maintint ensuite son frère. Le dernier arracha aux Danischmendes, régnant en Cappadoce, leur capitale Malatia et la Karamanie, siège de leur puissance, battit les croisés qui, dix années après la mort de son père, avaient conquis Nicée, enleva Mosul, combattit l'émir Dschewali, et finit par trouver la mort dans les flots du Chaboras par accident peut-être, ou noyé par des traîtres qui le tinrent de force sous les eaux. De ses deux fils, Melek-Schah prit possession de l'Asie Mineure, où il se trouvait à la mort de son père. Mesud, que Kilidscharslan avait jadis établi gouverneur de Moszul, et qui, après la mort de son père, avait été envoyé par l émir Dschewali, vainqueur de ce prince, à la cour de Mobammed-Schah, souverain seldschuk de la Perse, Mesud fut replacé par Mohammed dans le gouvernement de l’héritage paternel, et, par la mort de son frère Melek-Schah, ce gouvernement s'étendit sur toute l’Asie Mineure. Mesud fut un prince juste et pieux, fondateur de cloîtres et de mosquées; il bâtit, près d’Amasia, Samara, où l'on voit son tombeau recouvert d'un dôme. Il régna vingt-sept ans.

Son fils et successeur, Aseddin-Kilidscharslan (honneur de la foi, lion d'épée), maria sa fille Seldschuk-Chatum au khalife Naszir-Lidinillah, reprit Malatia, jadis arrachée par son aïeul aux Danischmendes [1171], leur vendit une seconde fois cette place, sur les instances de Nureddin, le plus grand des Atabegs de Syrie; après la mort de ce prince, il conquit de nouveau Malatia, ainsi que Siwas et Cæsarée [1172]: puis il fit empoisonner le dernier prince des Danischmendes, et incorpora leurs vastes possessions à son empire. Mais, en le partageant aussitôt entre ses dix fils, il l’affaiblit intérieurement autant qu’il l'étendit au dehors [1188]; aussi devint-il facile aux croisés, conduits par l’empereur Frédéric Barberousse, de conquérir Iconium que remit Katbeddin, fils d’Aseddin. Frédéric emmena vingt otages, et poussa sa marche par Tarsus vers Maszissa ( Mopsuestia ), où il trouva la mort dans le Selefke, le Calycadnus [1190], moins heureux qu’Alexandre, qui échappa aux eaux froides du Cydnus, voisin de ces lieux, seulement avec la fièvre. Plus tard, Kilidscharslan se repentit du morcellement de l'empire; il voulut le réunir de nouveau sous l’autorité de Katbeddin, et, dans cette vue, il rechercha pour ce prince la fille du grand Salaheddin; mais alors tous les autres fils se révoltèrent contre leur père, qui vit que ç'en était fait de sa puissance. Il chercha un abri et un appui auprès de l’un contre les autres; Mahmud, qui lui était le plus dévoué, fut opposé à Chosrew, le plus acharné de tous. Au milieu des combats entre les fils, le père tomba malade (1193), et mourut après vingt-neuf ans de règne durant lequel il a bâti la ville d’Akserai. Après sa mort, la guerre fratricide s’enflamma de plus en plus pour la domination unique et absolue. D'abord Mahmud et Kotbeddin se frappèrent; bientôt mourut le dernier, après avoir attiré par de perfides apparences d'amitié son ennemi dans un piège pour l’immoler. A leur place aussitôt s’élancèrent sur le premier plan de cette sanglante arène Keichosrew, souverain d’Iconium, et Rokneddin-Suleyman, maître de Tokat. Celui-ci enleva Siwas et Cæsarée, chassa Keichosrew d’Iconium, puis lui donna en dédommagement Elbistan dont il avait dépouillé son frère Moghaieszeddin, et peu à peu réunit sous son sceptre l'empire démembré par son père. Keichosrew s’enfuit d’Elbistan auprès du maître d’Alep, de là, auprès de Léon, roi d’Arménie; puis il gagna Trapezunt (Trébisonde), et enfin se rendit à Constantinople, où, avec ses fils Alaeddin-Keikobad et Aseddin-Keikawus, il attendit onze années la mort de son frère. Rokneddin avait adopté en secret la doctrine impie des Ismaïlites. Un jour, à la cour, un philosophe et un derwisch disputèrent en sa présence. Celui-ci, vaincu par les arguments de son adversaire, eut recours à la violence, et s’emporta jusqu’à le frapper au visage, sans que le sultan fit le moindre mouvement pour empêcher une telle scène. Lorsque le derwisch se fut retiré, le philosophe se plaignit de ce que Rokneddin l’eût ainsi laissé maltraiter: «Si j’avais pris ouvertement, dit le sultan, la doctrine des philosophes sous ma protection contre celle des derwischs, toi et moi nous eussions été assommés par le peuple.» Rokneddin avait reçu du khalife égyptien le titre honorifique d’es-sultan el kahir, c’est-à-dire le puissant, le vengeur, et le mérita par ses rigueurs. Il fit ouvrir le ventre à son favori chéri, le bel Ajas, qui avait pris du lait caillé à une pauvre femme. Après avoir dépouillé ses frères de leur héritage paternel, il rencontra une résistance opiniâtre dans son neveu, fils de Mohieddin, maître d’Angora, qui tint contre lui trois années dans le château situé sur un rocher escarpé, labre sortie fut assurée aux assiégés; mais, au mépris de la parole donnée, le neveu fut immolé avec toute sa famille. Cinq jours après, la mort frappa le meurtrier, et son fils, âgé de onze ans, Aseddin- Kilidscharslan, ne régna que cinq mois.

Ghajaszeddin-Keichosrew, qui, à la nouvelle de la mort de son frère, était accouru de Constantinople, fut d'abord battu par les troupes de son neveu; mais bientôt les habitants d’Akserai et de Konia se déclarèrent pour lui et le proclamèrent sultan. Il se saisit de son neveu et de tous ses émirs, et reçut l’hommage de Melek-Efdhal, l'Ejubid, souverain de Samosata, et de Nisameddin, maître de Charpurt [1203]. Le dernier, pressé par les armes du souverain d’Amid, Nasireddin-Mahmud, et de Melek-Eschret, appela l'assistance de Keichosrew, qui envoya à son secours Melek-Efdhal avec une armée. Le souverain d'Amid quitta Charpurt, et Keichosrew se mit en marche pour aller assiéger Attalia, sur la côte de Cilicie. Les Grecs appelèrent à leur secours les Francs de Chypre; mais, ne pouvant s’accorder avec ces auxiliaires, ils livrèrent la place au sultan. Bientôt après, Keichosrew fondit sur l’Arménie; il enleva Karakos [1206]; mais, après avoir triomphé de Laskaris près d'Amurium [1208], il se laissa surprendre par un Franc qui le tua [1211]. Melek-Efdhal, prince de Samosata, pleura sa mort dans une élégie arabe pleine de charme et de tendresse.

Aseddin-Keikawus, fils aîné de Keichosrew, prince jeune, beau, instruit et vaillant, reçut l'hommage des souverains d’Amid, Hoszin Keifa, Mardin, Charpurt et Samosata, qui frappèrent de la monnaie avec son empreinte, et firent réciter les prières en son nom; mais, dans sa propre famille, il lui fallut abattre les prétentions de son oncle, Toghrul Ben-Kilidsch Arslan, maître d'Erzeroum, et de son frère puîné, Alaeddin-Keikobad. Toghrul assiégea le sultan dans Siwas, et ne se retira qu’à l’approche de Melek-Eschrat, appelé de Syrie au secours de la place. Plus tard, tombé entre les mains de son neveu, il fut étranglé avec tous ses émirs [1213]; son frère Keikobad fut assiégé par le sultan dans Angora, pris et envoyé dans les fers à Malatia. Quant aux émirs du prince rebelle, Keikawus leur fit couper la barbe, et ordonna qu’on les promenât par le camp sur des ânes, en proclamant que c'était le châtiment des traîtres envers les princes. Laskaris n’échappa à la vengeance que le sultan voulait tirer de la mort de son père, qu’en lui abandonnant un grand nombre de villes et de châteaux. Aux Francs de Chypre Keikawus arracha la ville d'Attalia, dont ils s'étaient emparés (1214); il prit la place de Luluc en Arménie, et Sinope, sur les rives de la mer Noire [1215]. Après la mort de Tahir, fils de Salaheddin, souverain d’Alep, il voulut se saisir de cette ville, mais il lui fallut se retirer. Rejetant la faute de cet échec sur ses généraux, il les fit renfermer dans une maison à laquelle on mit le feu, et ils périrent dans les flamme. Le sultan n’obtint pas plus de succès dans son expédition contre Melek-Oleschref-Musa, maître de la Mésopotamie; au retour, il tomba malade et mourut à Siwas [1220]; là il repose sous un dôme élevé à côté de l'hôpital bâti par lui.

Son frère, Alaeddin-Keikobad, s’élança de la prison au trône: une captivité de cinq années, un séjour de onze ans à l'étranger, à Constantinople, lui avaient donné les loisirs de la méditation et l'expérience des infortunes, propres à développer les hautes facultés dont la nature l'avait doué. Quinze ans il exerça le pouvoir suprême, et se montra le plus grand prince des Seldschuks de l’Asie Mineure; et il marque la place la plus remarquable pour leur histoire, et particulièrement pour celle des Ottomans: car sous lui elle grandit et s'éleva à une plus haute importance. Au commencement de son règne, époque contemporaine de Gengis-Khan, la race des Ottomans, par Suleyman, père de Toghrul, aïeul d’Osman, surnage au-dessus du flot de la conquête mongole, puis disparaît un demi-siècle, emportée par le courant des événements, jusqu'à ce que, sous le règne du troisième et dernier Alaeddin, elle reparaisse avec un nouvel éclat, s'arrête enfin, et fonde son trône sur le théâtre de l’histoire. Pour ne pas rompre l'enchaînement des actes des Ottomans, il ne faut pas encore nous détacher des Seldschuks d’Iconium; nous devons plutôt suivre leurs destinées jusqu'à la fin de leur empire, avec les sept princes qui restent encore, depuis le plus grand de tous, Alaeddin Ier, jus­qu'au plus impuissant et au plus débile, Alaeddin III; embrassant les faits, comme jusqu’ici, par un coup d’œil rapide. Aussitôt après son avènement au trône, Alaeddin le Grand conclut paix et amitié avec Melek-Eschref, souverain de l'Arménie, arracha au prince de Mésopotamie, Melek-Kamil-Mohammed, quelques châteaux (1225), prit, l’année suivante, au prince d’Amid, Melek-Mesul-Ben-Ssalih, de la famille Ortok, deux forteresses [1226], et triompha de cet adversaire avec l’assistance de son allié, Melek-Eschref.

Dans la septième année du règne d’Alaeddin, commença la guerre de sept ans avec Dschelaleddin, le plus grand des princes de Chuaresm (1229), qui, dans l’histoire de Gengis-Khan, joue un rôle si important, pour avoir opposé une digue longtemps inébranlable au débordement des peuples mongols, et qui s’écroula enfin en ébranlant le pays. Comme des historiens européens d’un certain poids ont fait des Ottomans des Chuaresmiens, parce que leur auteur, Suleiman, quelques années avant la chute de Dschelaleddin, parut sur les frontières d'Arménie, pour déraciner cette opinion, il est nécessaire ici de dire quelques mots sur le Chuaresm et ses habitants, et de donner une explication à laquelle nous autorisent de vieilles sources orientales. Le Chuaresm est cette bande étroite de terrain entre l’Oxus à l’Orient, et la mer Caspienne à l’occident; bornée au sud par le Chorasan, au nord par le pays des Turkmans. Les habitants, population mélangée, se distinguent par des mœurs particulières; leur langue diffère du turc et du pur persan. Les villes principales sont Kurkendsch ou Dschordschania, sur la rive occidentale, Kat, sur la rive orientale de l’Oxus. La première porte aussi le même nom que le pays; c’était la résidence des schahs. Grande est sa renommée comme berceau de nombreux savants, et cependant le village de Samachschar lui dispute la prééminence, pour avoir donné le jour au plus fameux philologue arabe, Samachschari.

Barkjarok et Sandschar, les plus grands sultans des Seldschuks persans, curent pour échansons Kutbeddin et son fils Itsif; le premier fut seulement gouverneur, et l’autre devint bientôt après prince indépendant dans le Chuaresm. Le père de Kotbeddin était le Turc Nuschtegin, l'esclave de l'échanson d’un émir seldschuk. Itsif eut pour successeurs son fils, son petit-fils et son arrière-petit-fils. Le dernier, Alaeddin Tekesch, engagé dans des guerres multipliées à l'intérieur avec des frères et des fils, au dehors avec les Seldschuks de Perse et les souverains du Karachatai, se signala par sa valeur et sa magnanimité, par des exploits et par sort amour pour les sciences. Il plaça sur ses drapeaux et sur ses tentes le croissant, qui depuis, en Europe, fut regardé comme les armes exclusives des Ottomans, mais qui déjà longtemps auparavant, avec l'empreinte du soleil, décorait la couronne des chosroes de Perse sur leurs monnaies, comme symbole d’un pouvoir s'étendant sur le soleil et sur la lune. Au temps des Seldschuks, la musique militaire jouait aux cinq parties de la prière; Alaeddin Mohammed, fils de Tekesch, maître du Chuaresm, établit qu’elle se ferait entendre pour ses fils cinq fois comme auparavant, et pour lui seulement deux fois, au lever et au coucher du soleil. Vingt-sept princes devaient battre des tambours avec des baguettes d’or garnies de perles. Ces batteurs de tambour étaient les fils des souverains assujettis des Seldschuks et des Ghurides, les rois de Balch, Bamian, Buchara et leurs fils; tous les emplois de cour étaient remplis par des rois et des princes. Dans l'enivrement de son o­gueil, il avait provoqué Gengis-Khan par le meurtre de marchands mongols à Otrar, et le torrent mongol se répandit sur ses États, au delà et en deçà de l'Oxus sur Otrar et Nedschend, sur Fenaket et Chodschend, sur Samarkand et Buchara, sur le grand et le petit Kurkendsch ou le Chuaresm.

Le fils de Mohammed-Schah, Dschelaleddin-Minkberni, le dernier des schahs de Chuaresm, non seulement poursuivit dans l'Orient contre Gengis-Khan la guerre qu’il avait héritée de son père, mais encore il mesura ses forces en Occident avec Alaeddin-Keikobad, le plus grand des Seldschuks de Rum. Le neveu d’Alaeddin, son lieutenant à Achlath, s’étant soumis avec sa ville au pouvoir triomphant du schah de Chuaresm, Alaeddin-Keikobad courut avec vingt mille cavaliers, auxquels se joignirent cinq mille hommes de son allié Melek Eschref-Musa, de la famille Éjubid, seigneur de Mésopotamie, et après une des plus sanglantes batailles qui aient signalé les fastes de l’islam, à Niszi- Tschemen, dans le voisinage d'Erdendschan (1229), il remporta une victoire éclatante. Quatre ans après (1233), Achlath tomba en son pouvoir. Melek-Kumil, souverain de l’Égypte, convoqua maintenant ses forces contre Alaeddin; seize rois vinrent grossir son armée, et néanmoins avec ses troupes innombrables, il se tint seulement sur les rives du Gokszu (du Calycadnus), qui séparait Rum de la Syrie. Le prince de Hama, Melek-Mosaffir, fut détaché avec deux mille cinq cents cavaliers au delà de l'Euphrate vers Charpurt. Serré de près par Alaedin, il capitula, et le sultan le renvoya revêtu d’un costume d’honneur. L'année suivante (1234) l'armée égyptienne des rois alliés se dispersa, et Alaeddin s'empara de Harran et de Roha. Il enleva aussi Ersendschan, Tschemischek et Alaje, ou plutôt l'ancienne Side, aux environs de laquelle il bâtit la ville d'Alaje qui porte son nom, ainsi que Kobadije près d’Ersendschan. Passionné pour les grandes constructions, Alaeddin enrichit de mosquées, de cloîtres, d’académies et de caravanserais neuf villes de son empire, parmi lesquelles Siwas, Amasia, Anamur et la résidence de Konia, qu'il entoura de murailles.

Afin de protéger ces villes par une sorte de talisman, il demanda une inscription au plus grand des poètes mystiques, Mewlana-Dschelaleddin qui, sous son règne, était venu de Buchara avec son père Behaeddin, s'était établi à Rum, d’où il reçut aussitôt le nom de Dschelaleddin-Rumi, Mewlana (notre maître ou ami) est le fondateur des derwischs mewlewi, l’un des ordres les plus considérés, florissant encore aujourd'hui dans l’empire ottoman. Le siège et les principales possessions de cet ordre se trouvent à Konia, lieu de pèlerinage très-fréquenté, qui renferme les tombeaux de la famille de Dschelaleddin, dont le père et le fils partagent avec lui le titre honorifique de sultan dans l'empire de la sainteté, et des connaissances mystiques. Ainsi le père Behaeddin porte le nom de sultan des Ulémas; son fils, celui d’émir sultan ou mewlanar chunka, c'est-à-dire, l’empereur, et son petit-fils, celui de sultan weled, ou sultan enfant. Lorsque Gengis-Khan porta ses ravages sur les pays en deçà et au delà de l’Oxus, les savants, s'échappant des débris fumants de leurs bibliothèques et des académies, s’enfuirent vers l’extrémité occidentale de l’Asie, auprès de Keikobad, cherchant auprès de lui un asile, une protection que le schah de Chuaresm ne pouvait plus leur accorder; et la littérature persane émigra des rives de l’Oxus aux bords de la mer Ionienne, comme deux siècles plus tard les lettres grecques furent transportées du Bosphore sur le Tibre et l’Arno. Le khalife Naezir-Li-Dinillah (soutien de la religion pour l’amour de Dieu) envoya comme ambassadeur a Keikobad le plus grand légiste de son temps, Schehabeddin-Suhrwerdi, qui lui remit un diplôme du khalife avec le litre d’honneur de grand sultan. Quinze mille cavaliers tous ulémas ou scheichs allèrent au-devant de Schehabeddin, et le savant ambassadeur, par amour pour la science, ou en reconnaissance de tels honneurs, revit un ouvrage fameux sur l’Éthique, dédié par le scheich Nedsch-Meddiu au sultan Alaeddin. Ce puissant souverain mérita les hommages que lui rendaient les savants, par la protection dont il les couvrit, et par l’amour avec lequel lui-même cultivait les sciences. Il divisait la nuit comme le jour en trois parties bien réglées. Une portion du jour était consacrée aux affaires du gouvernement, une autre à des e­tretiens avec les savants et les scheichs, la troisième à l’étude de l'histoire. Il n’accordait qu'un tiers de la nuit au sommeil; le reste était employé à des exercices de piété et à la lecture d'ouvrages de morale. Ses deux grands modèles étaient Mahmud-Le-Ghaznévide, comme conquérant, et Kabus, fils de Weschmgir, comme prince noble, éclairé. Il réussit à réunir leur double mérite, et les nombreux monuments de son amour pour les arts et les sciences, comme l'étendue dc son empire, témoignent de sa grandeur et de sa puissance. Dix-sept ans il fut le plus grand et le plus heureux des souverains Seldschuks; le malheur ne le frappa que dans sa mort. Il périt dans le palais qu’il avait élevé près d'Erzurum, et qui de son nom fut appelé Kobadije [1237], empoisonné par son propre fils.

Ce fils était Ghajaszeddin-Keichosrew, second de ce nom. Si la vengeance de son crime monstrueux ne l'atteignit pas aussi rapidement que d'autres parricides dont les noms souillent l’histoire des chosroes et des califes, elle arriva cependant terrible, impitoyable, et le surprit an milieu des jouissances de la débauche et de l’ivresse des plaisirs grossiers où s’écoulait son règne. Dès son avènement au trône, il célébra le mariage de sa sœur avec Melek-Asis, prince d’Alep, qui lui donna sa fille pour épouse, et fit prononcer le nom de son gendre dans les prières publiques. L’hommage du père ne put assurer à la fille les égards de son époux, qui porta exclusivement toutes ses affections sur sa seconde femme, la fille du prince de Géorgie. Son amour pour elle alla si loin, qu’il voulut éterniser le nom de la princesse en le faisant empreindre avec le sien sur les monnaies. Comme les grands de l’empire s’opposèrent à cette violation publique des lois fondamentales de l'islam, il imagina une expression symbolique de son idée. Le lion est l'image du sultan, le soleil celle de la sultane: au lieu de mettre son propre profil regardant celui de la princesse, il fit illuminer la tète du lion par les rayons du soleil dont le disque était placé derrière. Les monnaies, avec cette galante application de l’ancien hiéroglyphe astronomique du soleil dans le lion, se sont conservées jusqu’à nos jours, et se trouvent entre les antiques médailles persanes représentant le soleil et le lion et la décoration plus récente de l’ordre persan du Soleil, comme monument du moyen âge.

La tranquillité du règne de Ghajaszeddin fut d’abord troublée par la révolte des derwischs, sous la conduite d'un certain scheich, Baba-Ellas, qui, sous le masque de la sainteté, souleva le peuple. Ses bandes furent dispersées par les troupes du sultan, et Baba fut pris avec Isak, le complice de ses jongleries dévotes et politiques. Mais le vaincu s’empara bientôt de l’esprit du vainqueur, et fit de si grands progrès dans la faveur du sultan que Mewlana-Dschelaleddin et ses compagnons, les pieux scheichs Mewlewi, s’éloignèrent complètement. Dans la septième année du règne de Ghajaszeddin [1243], les Mongols fondirent sur les frontières de Rum. Le sultan les rencontra dans le voisinage d’Ersendschan; une terreur panique saisit son armée, qui s'enfuit aussitôt. Les Mongols prirent Achlath et Amid; Keichosrew se réfugia dans une forteresse, d’où il envoya une ambassade porter au chan sa soumission. C'est ainsi que finit l’indépendance de l’empire des Seldschuks dans l’Asie Mineure. Les émirs, soulevés par la trahison du parricide, l’étranglèrent [1257], et placèrent ensemble sur le trône ses deux fils mineurs, Rokneddin-Kilidscharslan et Aseddin-Keikawus, auxquels ensuite Alaeddin fut associé dans la souveraineté.

Après la conquête de Bagdad, Rokneddin et Aseddin se rendirent auprès d’Holaku pour prendre ses ordres; il les retint quelque temps auprès de lui, puis les renvoya, instituant comme régent auprès d’eux son vizir Suleyman Perwane. Les frères ne régnèrent ensemble que peu de jours; bientôt Rokneddin s’empara du pouvoir pour lui seul, et Aseddin s'enfuit par Alaje vers Constantinople. Théodore Laskaris, empereur byzantin résidant à Nicée, exposa dans un discours solennel au Seldschuk fugitif les raisons qui lui faisaient désirer son éloignement. Il trouva moins de faveur encore au­près de Michel Paléologue, qui maria sa fille, la princesse Marie, jadis fiancée avec Holaku, au frère et successeur de ce prince Abakachan. Vainement Aseddin, dont la mère était chrétienne, se montra dans toute occasion tellement disposé au christianisme, que l'historien byzantin Pachymeres se demande s'il n’était pas en effet chrétien; en vain il affecta le plus grand respect pour des petites images de saints et des reliques qu’il sollicita du patriarche. Les considérations que pouvait faire agir sur un empereur dévoué à la foi du Christ, l'adoption par le prince turc de la religion chrétienne, furent étouffées par la crainte des Mongols. Aseddin fut confiné avec sa famille dans le château d’Ainos, et Michel est justifié de cette violation de l'hospitalité, s'il est vrai, comme le disent les historiens seldschukides, sans qu'il en soit nullement question dans les ouvrages byzantins, qu'Aseddin avec son général Behadir-Ali et son grand écuyer Oghuslibeg ait tramé un complot pour se saisir du trône de Byzance. On aveugla l’écuyer avec du vinaigre bouillant, le général fut tué, et Aseddin tenu sous une garde rigou­reuse, jusqu’à l’apparition de son libérateur Berke-Chan, fils de Tuschi, fils de Gengis-khan, grand chef des Tatares de Kiptschak et de Krimée. Favorisé par la rigueur de l'hiver, Berke-Chan passa le Danube sur la glace, porta ses ravages jusque sous les murs de Constantinople, emmena en Crimée le prince Seldschuk, échappé d'Ainos, traînant en même temps après lui la colonie turque établie sous Saltukdede dans la Tatarie Dobruze, sur le rivage occidental de la mer Noire, unit sa fille avec Aseddin, auquel il donna en fief les districts de Soldschad et de Sudak. La première épouse d'Aseddin était restée au pouvoir de l'empereur, dans le voisinage d'Ainos, à Karaferia, où une porte s’appelle encore aujourd’hui Ana-Kapuszi, la porte de la mère ou d'Anna, parce que cette princesse, se trouvant sur la tour près de la porte au moment où lui parvint la fausse nouvelle de la mort de son maître, se précipita par terre et se tua [1268]. Le fils d'Aseddin, resté auprès d’elle, reçut, en embrassant la foi chrétienne, le nom de Constantin. Cependant le souverain d’Iconium, frère d'Aseddin, Rokneddin-Kilidscharslan, sur l’ordre d’Abaka-Chan, avait été étranglé par le régent mongol Perwane (1267), et à sa place on avait mis sur le trône le fils de Rokneddin, Ghajaszeddin-Keichosrew, troisième de ce nom, âgé de quatre ans, pour figurer le représentant du pouvoir suprême. Mais la puissance réelle fut placée dans les mains de son beau-père, époux de la veuve du prince étranglé, qui l’exerça durant dix années avec sagesse pour les Mongols, jusqu'à ce que, battu par le sultan d'Egypte Kilaun, successeur de Bibar-Bondokdari, il fut soupçonné par Abaka-Chan d'entretenir des intelligences avec son ennemi le sultan, que l’on nommait déjà dans les prières publiques à Ilbestan et Kaiszarqe. Le soupçon fut immédiatement suivi du supplice du prince, et aussitôt de grands troubles éclatèrent dans l’empire seldschukide.

Mohammed-Beg, fils de Karaman, fondateur de la dynastie des Karamans, qui s'éleva des débris de l’empire seldschukide, en même temps que celle des Ottomans, et se maintint durant deux siècles rivale dangereuse de celle-ci, Mohammed-Beg produisit un Turc sorti du peuple comme le fils d'Aseddin mort à Serai en Crimée, et, au nom de ce prétendu prince, il s'empara de la capitale et du gouvernement. Nous aurons ailleurs une occasion plus convenable de parler de la fondation de la puissance des Karamans et des principaux souverains de cette dynastie; qu’il nous suffise de remarquer ici que, pendant cette révolution de cour, Mohammed-Karaman introduisit un changement essentiel dans les rôles des impôts. Ces registres avaient été jusque-là tenus dans tout l'empire seldschukide en persan; Mohammed-Karaman y mêla le turc avec le persan, et mit en usage la tenue de livres avec les mots confondus des deux langues, d’après laquelle, aujourd'hui encore, sont rédigés les registres de la chambre ottomane avec des termes tout rompus et des caractères qui se croisent et se brisent. Invoqué comme protecteur à la fois par les deux princes seldschukides, Ghajazeddin-Keichosrew, que le prétendu fils d’Aseddin avait chassé de sa capitale, et par Mesud, le véritable fils d’Aseddin, mort en Grimée, le chan des Mongols, Abaka, envoya contre le Turc usurpa­teur et son soutien Karaman son fils Oghus Chan et son vizir Fachreddin-Ali-Schah, qui chassèrent l'usurpateur, et tuèrent Mohammed-Beg-Karaman, avec tous ses frères. Le chan des Mongols divisa l’empire des Seldschuks entre les deux cousins, en sorte que Keichosrew régnait sur la partie occidentale, à Iconium, et Mesud sur les contrées de l’Orient, à Ersends­chan, Siwas et Malatia. Arghun-Chan fit exécuter le dernier (1283), qui lui était devenu suspect d'intelligence avec ses ennemis les Tatares, c’est-à-dire les Turcs de la Crimée contre ses sujets les Mongols de Perse.

Mesud, fils d'Aseddin, se voyait donc nominalement maître unique d’un empire qui, dans le fait, était déchiré en tous sens par des gouverneurs révoltés, et par des prétendants que le hasard et l'ambition faisaient surgir de plusieurs points. Après n'avoir goûté durant quinze années que les amertumes du pouvoir, il finit par y laisser sa vie [1297] lorsque, après la mort de son père, il était revenu par Kastemuni , où il disputa quelque temps, les armes à la main, la domination à Umurbeg, regagnant l'Asie Mineure par Constantinople, il avait laissé sa femme et sa fille en étages à l'empereur grec. La première lui fut renvoyée, mais l'empereur Andronicus retint la fille, dont il promit la main à Isak, chef des Turkopols, qui, pour prix de cette union, consentait à se séparer des Almogabares, ennemis de Byzance. Isak avait en même temps demandé que l'empereur proclamât sultan le frère de Mesud, qui avait été baptisé sous le nom de Constantin. La faiblesse du sultan d’Iconium devait encourager à cette demande; mais l'empereur, plus impuissant encore, n'osa s’y hasarder. Les Almogabares, ou Catalans, ayant découvert la trahison que le perfide chef des Turkopols méditait contre eux, le massacrèrent au moment où il voulait s’embarquer pour l’Asie avec son prétendant par lui proposé comme sultan à l'empereur, le néophyte Melek-Constantin, frère de son beau-père. Outre Constantin, qui, avec l’aide d’Isak et de l’empereur, avait espéré se rendre maître d’Iconium, et Mesud, qui figurait sur le trône, il y avait encore un troisième frère, Firamurs, fils d'Aseddin. Après la mort de Mesud, le fils de ce Firamurs, Alaeddin III, fut le dernier Seldschuk qui occupa le trône et lui rendit un peu de son ancien éclat, les begs turkmans, tels que Karaman, Kermian, Mentesche et Osman, tout en rendant un apparent hommage au souverain suprême, Alaeddin, s'étaient saisis d'un pouvoir indépendant dans les gouvernements de l’empire, qui, plus tard, firent appelés de leurs noms; mais dans le troisième Alaeddin se ranima pour quelque temps ce feu qui avait brillé dans le premier, et la dynastie, au moment de s’éteindre, jeta encore un vif éclat. Avec le secours d'Osman, Alaeddin remporta quelques avantages sur les Turkmans révoltés et sur les armées des Mongols, jusqu'à ce que le chan Ghasan irrité, mit fin à la vie d'Alaeddin, et avec elle à la domination seldschukide [1307]. Ghajaszeddin, fils d’Alaeddin, prince cruel et sanguinaire, fut étranglé par les Mongols quelques jours après son père, dont le neveu, Ghasi-Tschelebi, fils de Mesud, qui se maintint encore un demi-siècle comme seigneur de Kastemuni et de Sinope, borna toute sa gloire à exercer la piraterie contre les Génois et les Byzantins [1356].

L'empire des Mongols persans, qui avait mis fin à celui des Seldschuks d'Iconium, touchait lui-même au terme de ses destinées. Impuissants à retenir unis les pays dont ils avaient fait leur proie, ils durent les abandonner en partage aux chefs des hordes turkmanes. Ainsi se démembra l'empire depuis longtemps amoindri des Seldschuks, que, cent dix-neuf ans auparavant, Kilidscharslan il avait distribué, dans une bien plus vaste étendue entre ses dix fils, qui, après la mort d’Alaeddin III, se rompit en dix portions indépendantes, pour se reformer en un seul tout sous la main violente de la dynastie prépondérante, au bout de cent cinquante ans, et tomber enfin à n’être plus qu’un simple gouvernement du vaste empire ottoman. L'Anatolie, ou l'Asie Mineure, bornée de trois côtés par la mer, et à l’est par l’Halys ( aujourd'hui Kisilirmark, le fleuve Bouge) et par le Taurus, comprend tout le territoire des dix princes qui surgiront comme des rejetons du trône renversé des Seldschuks, et qui, par les historiens orientaux, ont été appelés rois des peuples, comme les généraux qui, après la mort d'Alexandre, se partagèrent les débris de sou empire en Europe et en Asie. D’abord ces pays portaient dans l'histoire le nom des peuples qui les habitaient; dans le moyen Age, sous l’empire byzantin, on les dé­signa par les légions qui s’y trouvaient en garnison; après le renversement des Seldschuks, par les maîtres qui s’étaient partagé les débris, et aujourd’hui ils portent encore les noms des derniers. Comme il ne s’agit ici ni de l'histoire de Byzance, ni de l’ancienne Asie, mais des annales des Ottomans, nous n’indiquerons donc pas les pays d'après les désignations employées par les Grécs anciens ou modernes, par Hérodote ou Strabon, par Constantin Porphyrogenète ou Denys le Periegète; mais nous nous servirons de la nouvelle géographie en usage depuis la fondation de l’empire ottoman, depuis cinq siècles environ seulement, pour nous orienter plus facilement, comme il faut le faire maintenant en traçant le cercle des possessions des dix princes, parfois nous nous reporterons aux dénominations des anciens temps.

Tout ce que la vue peut embrasser de Constantinople en Asie, et pas plus loin, c’est-à-dire jusqu'à l’Olympe, voilà ce qui obéissait encore à l’empereur de Byzance; puis venaient, le long de la côte, les petits États indépendants des Turkmans, nouvellement formés avec les débris du grand empire seldschukide, dans l'ordre suivant :

En Mysie régnait Karasi; dans la Lydie ou Mæonie, Ssaru-Chan et Aidin; Mentesche possédait la Carie; la Lycie et la Pamphylie étaient réunies sous la domination de Tekke. Au nord de celui-ci, mais en se retirant de la mer, Hamid était établi dans la Pisidie et l'isaurie; et au nord de ce dernier, dans la Licaonie, Karaman avait établi le siège de sa puissance, de beaucoup supérieure à celle de tous les autres petits princes ses voisins ou collègues, d’abord à Larenda, puis à Konia, ancienne capitale et résidence de tout l’empire seldschukide. Ses vastes États étaient bornés au nord-ouest par ceux de Kermian, dans la Phrygie septentrionale, les seuls qui n’empruntèrent point leur nom du prince, mais le reçurent de l’ancienne capitale, dans le voisinage de Kutahije. Dans la Galatie et la Bithynie, et jusqu’au pied de l’Olympe, et par conséquent, en contact immédiat avec les Byzantins, les premiers princes des Ottomans passaient l'hiver dans les villes, et l'été au sein des montagnes. A l’est et au nord de leurs possessions, dans la Kastemuni (la Paphlagonie), et à l’angle oriental de la Bithynie, régna encore un demi-siècle sur la côte maritime, à Sinope et à Héraclée, le dernier rejeton des Seldschuks, Ghasi-Tschelebi; immédiatement après lui, et même déjà de son vivant, les fils d'Umur-Beg et d’Isfendiar, appelés aussi Kisil-Ahmedli (les Ahmed rouges), dominaient sur le pays des anciens Henétes, Cauconiens et Mariandini.