Amazon.com:LE CŒUR DE NOTRE-DAME MARIE DE NAZARETH:UNE HISTOIRE DIVINE |
HISTOIRE DE HENRI VIII ET DE SCHISME D’ANGLETERRECHAPITRE II.COURONNEMENT DE HENRI VIII. — 1509-1511.
Au roi courbé par l’âge et les soucis, flétri par le
soupçon, rongé par l’avarice, succéda le 25 avril 1509 un prince de dix-huit
ans, dont l’avènement au trône fut salué par d’unanimes acclamations.
Mountjoy, un des hôtes brillants de la cour de Greenwich, témoin de l’allégresse
populaire, écrivait à Érasme :
«En apprenant que «Henri Octavus»
ou plutôt «Octave» vient de succéder à son père, toute votre tristesse s’est
dissipée, je n’en doute pas. Oh! si vous pouviez être témoin des transports du
peuple, de son bonheur, de ses vœux pour Henri, vous pleureriez de joie. Le
ciel sourit, la terre a tressailli, partout coulent le lait, le miel, le
nectar».
Henri, que l’Angleterre fêtait ainsi, était un des plus
beaux princes de son époque. Sa figure portait le type anglo-saxon. Il avait le
front lisse, les sourcis arqués, l’œil d’un bleu
tendre, le menton garni d’une barbe fauve, les épaules larges, une main toute
féminine.
A le voir on devinait qu’il prenait un soin curieux de sa
personne. Sa toque de velours, ombragée d’une plume d’autruche, était posée sur
l’oreille avec coquetterie. Son manteau était drapé à l’espagnole, son
justaucorps fortement arrêté sur les hanches. Il recherchait les couleurs chatoyantes,
la soie et le velours. On le citait pour l’un des meilleurs cavaliers
d’Angleterre, il maniait un cheval avec autant d’aisance que de grâce. Quand on
l’apercevait au milieu de ces flots de jeunes seigneurs, son cortège
accoutumé, il était impossible de ne pas être frappé de la fleur de santé qui
s’épanouissait sur son teint, de la sève de chaleur qui circulait à travers ses
veines, de ses manières lestes et martiales. Les femmes l’avaient nommé roi
avant qu’il montât sur le trône. Mais le regardait-on de près, on remarquait
bien vite en lui, comme une impatience fébrile qui se manifestait par des
mouvements saccadés. Comme son père, il ne pouvait regarder en face celui qui
l’approchait: son œil se fermait et s’ouvrait incessamment; brusque, fantasque,
il répondait par quelques monosyllabes aux longs discours dont on l’ennuyait.
En Angleterre il existe de vieilles ballades où le poète
représente le prince de Galles déguisé, sortant de son palais pour étudier les
besoins de son peuple futur; mais il est bien vite découvert. Ce qui le trahit,
c’est la douceur répandue sur ses traits, c’est sa grâce, c’est son affabilité,
c’est je ne sais quoi de merveilleux, que la foule contemple dans une muette
admiration. Juste Lipse a dit qu’on mettrait le nom de tous les princes qui
méritèrent le titre de bons dans le cercle d’une bague: il y eût fait entrer
Henri, si le prince, ressemblant au portrait qu’en ont tracé quelques-uns de
ses contemporains, était mort après deux années de règne.
Le peuple, enivré d’espérance et de joie, se pressait
autour de l’adolescent qu’il accompagnait jusqu’au palais. Rien n’était beau
comme Henri à cheval, sous sa brillante armure, le pied appuyé sur de larges
étriers en fer, le corps emprisonné dans une cotte de mailles d’acier, la tête
ombragée de plumes blanches, ondulant au moindre souffle de l’air, au plus
léger mouvement du cavalier. Il aimait tous les exercices du corps : la chasse,
où quelquefois il lassait jusqu'à dix chevaux; le jeu de boule, où il faisait
sa partie avec le meilleur pointeur, en pourpoint de satin blanc; la balle,
qu’il renvoyait de sa main armée d’un gantelet de bois ; le tir à l’arbalète,
où rarement il manquait le but.
Né avec des passions impétueuses, Henri, fils unique
d’Élisabeth, de la maison d’York, pouvait un jour donner des inquiétudes à son
père, et, les armes à la main, faire valoir ses droits comme héritier du trône;
c’eût été pour le vieux Tudor un prétendant autrement redoutable que Perkin Warbeck. Henri VII, pour mourir en paix, voulait faire de
son fils un dignitaire ecclésiastique. L’enfant devait être un jour primat
d’Angleterre, et archevêque de Cantorbéry; son éducation fut donc toute
cléricale.
A sept ans il apprenait à solfier; à dix ans il faisait
sa partie à la chapelle royale; à douze ans il composait, dit-on, des messes en
musique. On chante encore à l’église du Christ, à Oxford, une antienne à quatre
voix qu’il composa quand il était duc d’York: O Lord the maker.
L’enfant avait montré d’heureuses dispositions pour la
théologie : on lui mit dans les mains la Somme de saint Thomas; cette œuvre
qu’étudient avec une sorte de passion toutes les intelligences du seizième
siècle, et où l’Ange de l’école a sondé les mystères les plus ardus de la
psychologie, avec tant de bonheur, qu’il semble que ses solutions soient des
révélations célestes. Saint Thomas est la grande image des monastères au moyen
âge; c’est au souffle de ce maître que s’anime et se meut tout ce qui veut
alors parler théologie. Quand, dans la dispute religieuse dont est tourmentée
la société allemande au seizième siècle, vous apercevrez quelque moine qui
tombe et renie sa foi, cherchez bien dans sa bibliothèque, vous n’y trouverez
pas la Somme de saint Thomas. Henri VIII, un de ses disciples fervents, a
pourtant succombé: il nous faudra chercher le secret de cette chute.
Comme Luther au couvent, Henri, quand ses yeux s’étaient
fatigués sur la Somme de saint Thomas, prenait sa flûte et improvisait des
mélodies pour se rafraîchir le cerveau. On remarquait qu’il était vain de sa
science, supportait difficilement la contradiction, et voulût toujours avoir
raison; d’humeur impatiente, quelque peu pédant, et amoureux de la dispute
comme un vieux théologastre. Nous le verrons bientôt
entrer en lutte avec Luther, et dans ses «Sacrements vengés» faire comme Eck
d’Ingolstadt, entasser les uns sur les autres des arguments scolaires, et
chercher à étouffer son antagoniste sous le poids de citations tirées des Pères
de l’Église. Le lecteur qui ne connaîtrait pas Henri, s’émerveillerait de ce
faste de science, et serait tenté de faire honneur au chapelain du prince, A
quelque évêque caché dans l’ombre, de cette richesse d’arguments bibliques : il
se tromperait pourtant.
L’intelligence, réchauffée en Angleterre au soleil que
l’Italie avait fait luire sur les lettres, sembla se réveiller de son long
sommeil, sous les dernières années du règne de Henri VII. Les lettres divines
et humaines y étaient à cette époque représentées par William Warham, archevêque de Cantorbéry, lord Mountjoy,
Thomas More, William Grocyn, Thomas Linacre, William Lattimer,
Richard Pace, Guthbert Tonstal,
dont nous aurons occasion d’apprécier le caractère et les travaux. Presque
tous étaient familièrement reçus par Henri VII. Érasme, alors en Angleterre,
avait ses entrées à la cour. Il y a dans sa correspondance un tableau charmant
de la famille royale. Au milieu le vieux roi, aux cheveux blanchis par les
soucis; à ses côtés Henri, duc d’York, âgé de neuf ans, et s’exprimant en
latin avec autant de grâce que d’aisance; près du petit humaniste, Marguerite,
jeune fille de onze ans, qui devait épouser plus tard Jacques IV, roi d’Écosse;
plus loin Marie, jouant avec sa poupée. Mountjoy présenta l’étranger à notre Henri qui le reçut comme un savant dont le nom
était européen, et qui demanda pour toute faveur de correspondre avec le
philologue. On pense avec quelle joie orgueilleuse Érasme dut accepter la
proposition de l’écolier. L’enfant n’oublia pas sa promesse, et un jour que
Richard Pace, cet homme «aux mœurs de neige» rendait visite à son ami à
Ferrare, le philosophe alla chercher une petite boîte de cèdre d’où sa main
tira mystérieusement la plus jolie lettre latine qu’on eût écrite depuis la
renaissance : elle était du prince de Galles, à peine âgé de dix ans.
L’intérieur de la famille royale, au palais de Greenwich,
était délicieux à voir. On n’y aurait pas reconnu Henri VII! Ce n’est plus ce
monarque ombrageux qui se compose un visage sévère en face de ses courtisans,
qui s’étudie à se rendre impénétrable, qui s’écoute parler, dissimulé, et
amoureux de tout ce qui sent le manège et le mensonge. En famille il redevient
ce qu’il était dans un camp, ouvert et plein d’abandon; son bonheur est de
jouer avec ses enfants. La comtesse de Richmond est un des ornements de la
cour, et l’on peut dire de son sexe. Sa piété a quelque chose de doux et de
mélancolique. Levée à six heures du matin, elle se met à genoux et reste une
heure en prière; avant le dîner, elle lit ordinairement quelque livre de
méditation. Elle a des pauvres nombreux qu’elle nourrit et habille, et, mère du
roi, elle ne craint pas de préparer de ses mains les médicaments qu’elle porte
elle-même aux malades. Elle protège les lettres et ceux qui les cultivent: on
la nomme la providence des étudiants. Deux cours d’instructions religieuses
ont été établis par ses soins, l’un à Oxford, l’autre à Cambridge. C’est encore
à elle qu’on doit la fondation des collèges de Saint-Jean et du Christ dans
cette dernière université. Érasme lui a consacré une belle épitaphe. Catherine,
la femme du prince Arthur, mort si malheureusement, et à laquelle le prince de
Galles a été fiancé, est un modèle accompli de vertus, mais d’une dévotion de
couvent. Elle se lève à minuit pour assister à l’office divin, s’habille à
cinq heures, porte sous sa robe l’habit du tiers ordre de Saint-François,
jeûne le vendredi et le samedi; et la veille des fêtes consacrées à Marie, ne
mange que du pain et ne boit que de l’eau; elle se confesse deux fois par
semaine, et communie tous les dimanches. Chaque matin elle récite l’office de
la Vierge, passe plusieurs heures à l’église, et après son dîner se fait lire
la Vie des Saints par une de ses dames de compagnie, puis retourne à l’église
où elle reste jusqu’à l’heure du souper.
A toutes ces vertus chrétiennes, Catherine joint un
penchant royal pour les lettres, qu’elle cultive dans les rares instants que
lui laissent ses exercices de piété. Assurément c’est un beau témoignage que
celui d’Érasme qui vante les doctes instincts de cette jeune femme. Après avoir
lu le traité latin sur le libre arbitre, elle priait Vivès d’exprimer à
l’auteur le plaisir qu’elle avait pris à cette lecture.
C’est John Skelton, un descendant de l’ancienne famille
des Cumberland, dont Henri VII a fait choix pour enseigner à l’héritier du
trône les règles de la poésie latine. Henri né connaissait pas son poète
lauréat. Skelton est lé Rabelais de la Grande-Bretagne; fantasque et sceptique
comme le curé de Meudon; impitoyable rieur, qui ne voit dans la vie humaine
qu’une farce, et dans l’homme qu’un acteur comique. Des fictions du moine
poète, l’élève devait faire plus tard une théorie politique.
Si nous écoutons Skelton, c’est un prince accompli que
son élève, l’idole de l’Angleterre, qui verserait pour lui jusqu’à la dernière
goutte de son sang s’il était jamais en danger. Sir Thomas Chaloner emprunte pour le célébrer la langue ascétique; il convient que parfois
l’adolescent a pu tomber dans quelques fautes, mais toutes vénielles.
Le premier acte du jeune roi confirma les joies et les
espérances de la nation: Henri, docile aux avis de la duchesse de Richmond sa
grand’mère, fit entrer dans son ministère des hommes aimés du peuple. Warham, archevêque de Cantorbéry fut nommé chancelier; Fox,
évêque de Winchester, secrétaire du petit sceau; le comte de Surrey, trésorier;
le comte de Shrewsbury, grand maître de la maison du roi; lord Herbert,
chambellan; sir Thomas Lovel, gouverneur de la Tour;
sir Édouard Poynings, contrôleur.
Érasme a vanté les belles qualités de l’archevêque de
Cantorbéry, qui s’entendait aux affaires, avait étudié le droit canon et les
lettres, connaissait les Pères et les poètes, et se délassait de ses travaux
administratifs par la lecture des anciens, et dans la société des humanistes.
Il passait comme une ombre à table, ne buvait jamais de vin, et disait la messe
tous les jours. Affable avec ses inférieurs, bon avec ses domestiques, prêtre austère
dans ses mœurs, ministre d’une probité à toute épreuve, diplomate d’une
habileté consommée, c’était encore un homme du monde d’un enjouement
inépuisable.
Il y a dans le recueil des lettres du philosophe des
pages charmantes de gaieté que l'archevêque écrit à son ami : «A quoi
bon, lui disait-il un jour, toutes ces pierres qui tourmentent un corps aussi
frêle que le vôtre? Qu’en faites-vous donc? Je vous envoie trente nobles pour
vous en débarrasser ».
Érasme écrivait sur le même ton à son Mécène: «J’ai reçu
le cheval dont votre grâce m’a fait présent; il n’est guère beau, mais il est
bon. Il n’est enclin à aucun péché mortel, si ce n’est à la gourmandise. Du
reste, il a les vertus d’un bon confesseur : il est prudent, il est humble, il
est doux, et ne mord ni ne rue».
Érasme a dédié à l’archevêque plusieurs de ses ouvrages :
son Saint Jérôme, diverses traductions de Lucien, l’Hécube et l’Iphigénie
d’Euripide. Warham ne savait comment reconnaître les
marques d'estime que lui prodiguait l’écrivain. Il acceptait en riant
l’immortalité que lui décernait son protégé, mais sous condition qu’il
accepterait à son tour les marques de la munificence du protecteur : ce qui
fait vivre le corps, ces angelots d’or dont le philosophe était assez avide.
Richard Fox, d’abord garde du sceau privé sous Henri VII,
puis successivement évêque de Bath, de Wells, de Durham et de Winchester, avait
été employé dans les commissions, les ambassades et les négociations les plus
importantes. En France comme en Écosse, en Allemagne comme en Espagne, il
s’était attaché les cœurs des princes et du peuple. Autant l’archevêque de
Cantorbéry aimait la simplicité dans les vêtements, autant Richard Fox
cherchait tout ce qui frappe et éblouit le regard. C’était un homme de belles manières,
fastueux dans sa mise et ses ameublements, mais enclin à l’avarice, seul défaut
qu’on pût lui reprocher: du reste, d’une fidélité à toute épreuve, ami sincère
du prince, jaloux de la gloire de son pays, et porté pour les lettres qu’il
aurait protégées plus efficacement s’il n’eût pas aimé le tourbillon des
affaires.
Thomas Howard, comte de Surrey, était fils du duc de
Norfolk, qui périt en brave à la bataille de Bosworth pour défendre les droits de Richard III. Fait prisonnier, il fut amené devant
le comte de Richmond qui lui reprocha d’avoir pris les armes en faveur de
l’usurpateur. «Prince, lui répondit courageusement le vaincu, c’était mon roi;
le parlement lui avait mis la couronne sur le front, je l’ai servi loyalement:
que le parlement vous reconnaisse, et vous trouverez en moi un sujet aussi
fidèle».
Thomas Ruthall, docteur en
droit, passait pour l’un des canonistes les plus profonds de l’Angleterre.
C’est encore un de ces humanistes qu’Érasme salue de ses louanges.
« Comment, lui dit-il en lui dédiant le Timon de Lucien, moi vous dédier
le Misanthrope, à vous le philanthrope par excellence! »
Somerset, lord Herbert, avait fait une étude patiente des
historiens de l’antiquité, et avant d’arriver au pouvoir, avait appris à
l’école de Tite-Live et de Tacite surtout, comment meurent les rois et les
empires. Il savait qu’aux princes tout sage ministre ne doit jamais celer la
vérité. Il l’avait dite plus d’une fois au roi défunt, mais n’en avait été
jamais écouté.
Édouard Poyning était un ancien
serviteur de la couronne aussi habile à défendre une citadelle qu’à gouverner
une province. Il avait administré l’Irlande sous le règne précédent avec un
bonheur incontestable. On lui devait un statut qui porte encore son nom, et en
vertu duquel aucun acte ne pouvait être présenté au parlement irlandais, sans
qu’il eût été soumis d’avance à la sanction du roi et de son conseil; mesure
importante destinée à comprimer les ferments de révolte dont cette province
était remplie. Comme tous les vieux soldats qui ont passé leur vie dans les
camps, il était encore plus attaché à son maître qu’à son pays.
Tels étaient les hommes dont le jeune prince venait de
s’entourer: le choix était heureux et le peuple y vit l’augure de beaux jours
pour la monarchie anglaise, si le roi consentait à suivre leurs conseils.
Immédiatement après la mort de son père, Henri s’était
empressé de donner à l’ambassadeur d’Espagne Fuensalida l’assurance, qu’attaché de cœur à sa fiancée, il présenterait sans délai à son
conseil la question de son mariage avec Catherine. A cette vieille objection
tirée de la parenté des parties, et qu’un seul conseiller de la couronne essaya
de renouveler, les avocats de Catherine opposèrent la dispense souveraine de
Jules II, et, avec le serment de la princesse, l’aveu du roi, et l’affirmation
de quelques matrones que le premier mariage avec Arthur n’avait jamais été
consommé.
Le conseil, à l’unanimité, donna son consentement à
l’union du roi avec l’infante d’Espagne. Le mariage eut lieu à Greenwich le 11
juin, jour de la Saint-Barnabé. La fiancée royale avait les cheveux flottants,
la robe blanche comme une jeune vierge. Henri se hâta d’annoncer cet heureux
événement au cardinal Sixte Gara de la Rovère, dans
une lettre dont on conserve la copie au Vatican. C’est par hommage pour les
vertus de la fille du roi d’Aragon, qu’il la choisit pour épouse; pas un mot
dans sa lettre de la détermination de son conseil: c’est le cœur d’un amant et
d’un époux qui parle seul et librement.
Le couronnement eut lieu quelques jours après la
cérémonie nuptiale. Henri et Catherine s’embarquèrent le 21 juin à Greenwich
et remontèrent la Tamise jusqu’à la Tour, où des appartements avaient été
préparés pour les nouveaux époux. Ils y restèrent jusqu’au 29, où le cortège
royal quitta le château et traversa, pour se rendre à Westminster, les rues
étroites de la cité, toutes tendues de tapisseries. Gornhill s’était paré comme dans un jour de solennité religieuse; de Gornhill à l’Old-Change, la route était bordée de jeunes filles vêtues de blanc et qui
tenaient à la main des bouquets de fleurs. La reine était dans une litière
traînée par deux chevaux blancs; elle attirait les regards par sa parure et ses
charmes. Peu de femmes, dit lord Herbert, auraient pu lui disputer, en ce jour,
le prix de la beauté.
C’est dans l’église de Westminster que Henri allait
prêter le serment imposé au roi lors de son couronnement. Il s’était mis à
genoux: «Vous jurez, lui dit l’archevêque de Cantorbéry, de défendre les privilèges
et les libertés qu’ Édouard le Confesseur et les rois ses ancêtres, ont
octroyés à l’Église ainsi qu’au clergé d’Angleterre?»
— Je le jure!, répondit Henri.
L’archevêque prit la formule du serment qu’il lut à haute
voix, et que le prince répéta la main levée sur l’autel.
Et l’archevêque, après lui avoir mis sur la tête le
diadème, au doigt l’anneau, dans les mains le sceptre de la royauté, lui dit:
«Levez-vous, gardez fidèlement votre parole, et n’acceptez pas la couronne si
vous n’êtes déterminé à tenir le serment que vous avez juré ».
Mais la cérémonie était à peine achevée que le prince
demandait l’original du serment qu’il venait de prêter, prenait une plume, et,
enfermé dans une chambre secrète, altérait de sa main la formule sacramentelle.
Il a juré de maintenir les libertés de la sainte Église,
garanties par les anciens rois chrétiens d’Angleterre;—il ajoute: autant
qu’elles ne préjudicieront en rien à sa juridiction et à sa dignité royale.
Il a juré de maintenir la paix entre la sainte Église, le
clergé et le peuple;—il substitue à cette promesse celle de travailler à
l’union du peuple et du clergé sous la domination royale.
Il a juré d'écouter dans ses jugements la justice et
l’équité, en se montrant à la fois modéré et miséricordieux;—il réforme le
serment, et ne promet plus que d’accorder merci, suivant sa conscience, à qui
méritera merci.
Il a juré de faire respecter les lois du royaume et les
coutumes de la nation; — sans préjudice, écrit-il, des droits de la couronne ou
de sa dignité impériale.
Et Henri referme soigneusement le livre de la loi, sans
montrer à personne les interpolations qu’il a fait subir au texte sacré. Qu’est
devenu cet enfant dont Skelton nous vantait la candeur? Quand sa bouche
murmurait au pied de l’autel le serment d’Édouard, son cœur était parjure.
La cérémonie du couronnement terminée, les joutes et les
tournois commencèrent. Le roi et la reine étaient placés sur une estrade élevée
dans Westminster-Hall. En face du trône était une fontaine qui, par la gueule
de divers animaux, versait du vin blanc et du vin rouge. La trompette sonna, et
l’on vit s’élancer dans la lice une foule de jeunes seigneurs, somptueusement
vêtus et montés sur de magnifiques chevaux dont ils stimulaient l’ardeur de la
main et de l’éperon.
La trompette sonna de nouveau. Alors parut au haut d’une
tour recouverte de drap d’or une femme armée d’un bouclier de cristal: c’était
Minerve. La déesse descendit l’escalier de son palais, s’approcha du roi et lui
présenta six champions qui se proposaient, avec l’agrément du souverain, de
défendre envers et contre tous l’honneur de leur céleste maîtresse.
Une troupe de cavaliers s’élança dans l’arène, au son des
fifres et des tambours, la tête coiffée de bonnets d’or surmontés de plumes
blanches. Huit d’entre eux s’avancèrent vers la reine et la supplièrent de
leur permettre de combattre les tenants de Minerve et de disputer le bouclier
de cristal. Le tournoi commença et dura jusqu’à la nuit, et continua le
lendemain. Comme les huit chevaliers entraient le lendemain dans la lice, le
son du cor annonça l’arrivée des forestiers. Ils amenaient avec eux sur un
char de triomphe une cage entourée de pieux et remplie de bêtes fauves. Au
signal donné on ouvrit la porte de la cage, et les bêtes s’échappèrent dans le
cirque, où, poursuivies par des chasseurs, elles étaient frappées de dards et
venaient expirer aux pieds de la reine et de ses dames d’honneur.
La foule, à laquelle le roi avait ouvert courtoisement
les portes de Westminster-Hall, battait des mains et remplissait l’air de ses
cris de joie; mais sur les bancs de l’amphithéâtre on remarquait quelques figures
austères qui ne pouvaient détacher leurs regards des deux héros de la fête. Au
sortir du tournoi ces spectateurs se rapprochèrent pour se communiquer leurs
impressions. Ce qui les avait frappés, c’était l’attitude diverse des deux
époux. Pendant toute la durée des fêtes, Catherine, dont la robe de satin blanc
relevait encore la pâleur, était restée triste et pensive, échangeant à peine
quelques paroles avec ses dames d’honneur. On eût dit qu’elle était agitée de
pressentiments funèbres, et que Dieu, par un miracle, tenait ouvert pour elle
un des voiles qui cachaient l’avenir; tandis que le roi, dont l’œil se
promenait incessamment sur l’essaim de jeunes femmes qui garnissait les loges
de l’amphithéâtre, demeurait muet près de sa jeune compagne. Nos rêveurs
philosophes paraissaient inquiets et prévoyaient que tôt ou tard ce jeune
prince, impatient sur son siège royal qu’il quittait et reprenait incessamment,
chercherait parmi les femmes de la cour qu’il dévorait de ses regards des
distractions inquiétantes pour le repos de Catherine
Henri, pour gagner les cœurs, confirma l'amnistie que son
père, sur son lit de mort, avait accordée á quelques-uns de ses sujets. Par une
proclamation affichée sur les murs des églises, il invita tous ceux que la
dernière administration avait ruinés à lui transmettre leurs plaintes, en
promettant d’y faire droit et justice.
Cette pitié pour l’innocence opprimée cachait un piège;
le roi n’avait pas envie de restituer aux malheureux les biens qu’on leur
avait injustement ravis, mais de les encourager à produire leurs griefs contre
les instruments des iniquités royales. Le peuple demandait le châtiment des
deux ministres prévaricateurs Empson et Dudley; il
fallait que leur sang lavât, s’il était possible, les crimes du roi défunt
A peine la proclamation eut-elle été publiée que les
requêtes contre Empson et Dudley affluèrent à la
haute cour de justice; les deux coupables, dénoncés par la clameur publique,
parurent devant leurs juges. Empson, après que le
conseil eut fait lecture des crimes dont on chargeait les ministres de Henri
VII, prit la parole, et dans une improvisation d’une chaleur entraînante
démontra qu’ils n’avaient fait l’un et l’autre qu’exécuter des lois
impitoyables, mais établies et sanctionnées par le pouvoir légal du pays;
qu’ils auraient été coupables de félonie s’ils eussent osé désobéir au roi,
auquel la constitution avait remis l’administration de la justice; qu’ils
n’avaient été que les ministres dociles d’une autorité suprême, cruelle,
injuste peut-être; qu’ils avaient exécuté les volontés royales, approuvées du
reste par le parlement, en fermant les yeux, suivant le devoir de tout sujet
loyal; que les condamner serait insulter à la mémoire du mort; que ce n’était
pas un échafaud mais une couronne qu’on devait leur voter pour avoir obéi sans
murmure à des lois dont il ne leur appartenait pas de juger l’utilité ou le
danger, tant qu’elles n’avaient pas été abrogées par la puissance législative.
Empson avait raison. Le grand coupable reposait tranquillement dans son lit
d’airain à Westminster; mais qui donc aurait osé interrompre dans son sommeil
cette majesté prévaricatrice? Cependant le peuple demandait du sang. Il n’était
pas content du spectacle que lui avait donné la royauté nouvelle en exposant au
pilori après qu’on les eût promenés dans les rues de Londres, à cheval, la tête
tournée du côté de la queue de leur monture, les agents subalternes de Henri
VII, connus sous la dénomination de promoteurs. Larmes pour larmes, sang pour
sang, telle est la loi du peuple. Mais comment condamner Empson et Dudley, qui s’abritaient sous le manteau royal? La commission ne chercha pas
longtemps; elle imagina de leur imputer un crime dont ils étaient innocents,
un crime entraînant la peine capitale: on les accusa d’avoir formé le projet de
se saisir de la personne du roi, à la mort de son père, et de s’emparer du
pouvoir. Londres et l’Angleterre avaient été menacées, sans le savoir, de
passer sous le joug de deux dictateurs: l’un, Empson,
fils d’un tamisier; l’autre, Dudley, fils d’un juriste. Chose étonnante, on
trouva des témoins qui pour quelques nobles consentirent à déposer que les
deux prétendants avaient engagé leurs créatures à se tenir prêtes et á les
accompagner jusqu’à Londres, les armes à la main. Les témoins trouvés, le crime
était prouvé. Dudley fût donc jugé, c’est-à-dire condamné à Guildhall le 16
juillet 1509, et Empson à Northampton le Ier octobre.
Mais leur exécution fut retardée, grâce aux prières de la jeune reine. Elle
était trop belle encore pour que ses larmes fussent sans pouvoir sur le cœur de
Henri. On dit que dans sa prison Dudley écrivit sous le titre de : L’Arbre de
la République, un traité de politique qu’il adressait au roi pour l’attendrir,
mais qui ne parvint pas jusqu’au prince. L’aurait-il lu? Cependant le
parlement, assemblé, le 21 avril 1510, aux fêtes de Pâques, rendit contre les
prisonniers une sentence de proscription pour un crime imaginaire. Le roi se
serait contenté, dit-on, de confisquer leurs biens; mais assailli, pendant un
de ses voyages d'été, de plaintes et de remontrances il signa l’ordre de leur
supplice, sans crainte d’être troublé la nuit par l’ombre paternelle. Ils
furent pendus à Tower-Hill, et le peuple se tut, et les faux témoins reçurent
le prix de leur parjure, et les juges continuèrent à s’asseoir sur leur siège
souillé, et le roi poursuivit ses promenades. Le sang répandu sur la plateforme
de la Tour, imposa silence aux cris de Londres, et fournit aux officiers de la
trésorerie un prétexte pour refuser la réparation des injustices dont ces
infortunés avaient été les instruments et les victimes. Les biens des deux
condamnés furent confisqués par le foi, qui fit don à sir Henri Wyatt, un de
ses conseillers, d’une grande partie des terres appartenant à Empson.
La paix dont jouissait l’Angleterre permit au jeune
monarque de se livrer à ses penchants naturels pour les plaisirs. Pendant deux
ans l’histoire de Henri ne présente qu’une succession continue de bals, de
tournois, de carrousels, de fêtes de jour et de nuit dont il est toujours le
héros; c’est à peine s’il donne quelques heures au sommeil. Pendant que
Catherine d’Aragon lit dévotement ses heures à genoux sur son prie-Dieu, Henri
s’est levé, est monté à cheval, une hache à la main, ou une épée à deux
tranchants à ses côtés, pour aller disputer en présence des ambassadeurs
étrangers, des grands de son royaume, de ses ministres et d’une foule de jeunes
femmes, le prix de la force et de l’adresse. Après quelques passes, son second
abaisse son arme et s’avoue modestement vaincu; les trompettes sonnent, et le
vainqueur est salué par les applaudissements de la foule. Rentré dans son
palais, après avoir été sur son passage accueilli par les vivat du peuple, il
trouve sur sa table de travail une épître en vers improvisée par quelque poète
dans la détresse pour célébrer le triomphe de sa grâce. Henri est généreux, il
donne, à pleines mains, des nobles au poète. Le soir, à son coucher, un de ses
secrétaire fait tout haut la lecture du dithyrambe. Le vieil évêque de
Winchester, Fox, murmure en voyant les beaux angelots que son ancien maître
avait eu tant de peine á amasser, dissipés en folles dépenses, ou échangés
contre quelques grains d’encens que brûle la flatterie; mais Henri se moque du
conseiller á cheveux blancs, et ses favoris se croient obligés d’en rire comme
leur maître. Son confident, et presque son ami de cœur, c’est le grand
trésorier, le comte de Surrey, Thomas Howard, qui passait sous le dernier roi
pour l’avarice incarnée, et qui ne craignait pas de lui désobéir quand il en
recevait l’ordre de payer les dettes criardes de la couronne. Le comte, devenu
prodigue, flatte toutes les fantaisies de l’adolescent, lui donne de l’argent
sans compter, entretient son goût pour les plaisirs fastueux: c’est comme
l’ombre du prince, le favori ne quitte pas le maître. Le pauvre Fox, qui gronde
toujours , commence à fatiguer le roi. L’évêque a deviné bien vite que son
règne va finir, et pour supplanter son rival heureux, il vient d’appeler à la
cour un clerc d’une rare habileté, Thomas Wolsey, fils, dit-on, d’un boucher
d’Ipswich, et auquel il a fait donner la charge d’aumônier de la maison royale.
Étudiant d’Oxford, où à quatorze ans il avait été reçu bachelier ès lettres,
puis membre du collège de la Magdeleine, puis maître des arts, Wolsey avait été
chargé de l’éducation des trois fils du marquis de Dorset, qui lui procura la
cure de Lymington dans le Somerset. Nommé aumônier du
roi Henri VII, à la recommandation d’Amias Pawlet, il gagna les bonnes grâces de Fox et du chevalier
Thomas Lovel. Plus tard chargé de négocier le mariage
du roi avec Marguerite, duchesse de Savoie, il fut envoyé en ambassade à
l’empereur, père de cette princesse, et remplit sa mission avec tant de bonheur
que le prince le fit doyen de Lincoln, et lui donna bientôt la prébende de
Walton Brinhold. Wolsey pleura la mort de son
protecteur. Quand on conduisait le corps du monarque à cette somptueuse demeure
qu’il s’était fait bâtir de son vivant, et qui porte encore son nom, le bachelier
suivait à pied le cortège funèbre, un livre d’heures à la main, et priant
dévotement pour le repos de l’âme de son bienfaiteur. Prières et larmes
devaient cesser bien vite. Wolsey était sur le chemin de la fortune. Henri VIII
donna bientôt à son aumônier une somptueuse habitation qu’Empson possédait près du palais de Bridewell; demeure toute
royale, plantée de beaux arbres, et assise sur les bords de la Tamise. Wolsey,
dans son enivrement, se bâtissait en songe un palais plus merveilleux encore:
c’est au Vatican qu’il aspirait à loger.
Les poètes avaient raison de chanter Henri VIII. Le
prince leur faisait la cour presque avec autant d’assiduité qu’aux femmes. Son
palais leur était ouvert, et ils étaient sûrs d’y trouver un accueil cordial.
A peine sorti des bancs de l’école, Henri recherchait les joutes littéraires,
bien qu’il n’y trouvât pas toujours, comme dans ses tournois en champ clos, des
rivaux complaisants prêts à proclamer leur défaite avant d’avoir combattu. Sous
le diadème royal, c’était toujours l’aristotélicien passionné pour la
dispute, et soutenant glorieusement l’honneur de son maître saint Thomas.
L’hospitalité généreuse accordée par Henri VIII à ceux qui cultivaient les
lettres, devait exercer une heureuse influence sur leur développement.
L’Angleterre voulait décidément sortir de ces ténèbres où, seule de toutes les
nations, elle était restée si longtemps ensevelie. Depuis près d’un demi-siècle
elle demandait des inspirations à l’Italie. En 1446, nous voyons Robert
Fleming, Guillaume Gray, évêque d’Ély; Jean Free,
Jean Gunthorpe et Jean Tiptoft traverser les Alpes pour aller étudier à Ferrare sous Guarini le jeune. En 1442
l’Angleterre possédait deux collèges, l’école d’Éton et l’école du Roi à
Cambridge, où la langue latine était enseignée à l’aide de quelques grammaires
médiocres et de la lecture d’un petit nombre de poètes profanes. On trouve
dans la collection des lettres de Paston, deux vers latins d’un écolier d’Éton,
fort médiocres du reste. Leland a donné dans le quatrième volume de ses Collectanea, la liste de livres appartenant à des monastères
ou à des collèges, et qui font mention de traductions d’auteurs grecs récemment
faites en Italie. Ce mouvement intellectuel s’arrêta sous Richard III.
Tout ce qu’on enseignait alors dans les écoles, dit Wood,
était terne et décoloré. Les sources des grandes inspirations semblaient
taries, et la langue grecque était en quelque sorte oubliée. Mais à la fin du
règne de Henri VII, la pensée se réveille: l’Angleterre a compris la nécessité
de s’associer à cette œuvre de rédemption spiritualiste que poursuit l’Italie
pontificale. Quelques-uns de ses prélats sont en correspondance avec les
humanistes de Florence et de Rome. Érasme applaudit à cette résurrection des
saintes lettres, ouvrage en partie de l’épiscopat et du clergé breton.
Cambridge étudie Homère: Oxford commente Aristophane: l’intelligence des
auteurs anciens est un titre pour arriver aux dignités ecclésiastiques, et
avant que Henri VII soit descendu dans la tombe, l’Angleterre a de glorieux représentants
dans les sciences profanes et sacrées. Quelques-uns d’entre eux, comme Colet, Grocyn, Lylie, Mountjoy, sont les hôtes assidus de la cour de Henri VIII,
et souvent ses commensaux. Tenons compte au prince des encouragements et des
caresses qu’il leur prodigue : ce sont autant de services qu’il rend à
l’humanité.
Ce fut un événement heureux pour l’élève de Skelton que
l’arrivée en Angleterre de tous ces humanistes anglais qui venaient d’assister
à Florence à l’ouverture de l’académie platonicienne instituée par Laurent de
Médicis. Le voile qui leur cachait l’antiquité avait été levé. Comme à tous
leurs compatriotes, l’antiquité ne leur était apparue
jusqu’alors que couverte de poussière, et bégayant le dialecte de Scott et de
Durand; mais à Florence, aux réunions de Carreggi que
présidait Politien, ils l’aperçurent toute rayonnante, sortant d’un nuage de
parfums, au milieu d’un cercle de poètes, d’historiens, de philosophes et de
statuaires. Le miracle de la statue de Pygmalion se répétait pour ces nobles
pèlerins: l’antiquité ressuscitait, elle vivait, elle marchait, elle parlait.
Au récit de cette vision, Henri s’exaltait: c’est Érasme,
alors en Angleterre, qui nous raconte les poétiques transports du prince.
Presque tous ces humanistes, Grocyn, Linacre et Colet, en repassant les Alpes, emportaient
avec eux des manuscrits que la science réviseuse des philologues allait
bientôt élucider. Ils n’avaient pas oublié l’œuvre de Platon, dont l’image se
trouvait jusque dans l’oratoire du prêtre florentin. Depuis dix siècles un seul
monarque avait régné despotiquement dans les écoles: Aristote était menacé
maintenant, en Angleterre comme en France, de partager avec Platon sa royauté
séculaire. C’était toute une révolution, que l’inauguration dans les
universités bretonnes, d’une philosophie nouvelle qui s’adressait à
l’imagination, admettait le culte de la forme, et pour arriver à l’âme,
cherchait à séduire les sens. Henri VIII, à l’exemple du Magnifique, admettait
à sa table ces doctes émigrants qui n’avaient pas craint de traverser les mers
pour aller à la découverte d’un monde nouveau.
Nous n’avons point oublié la lettre où, quelques jours
après que les cloches de Saint-Paul eurent annoncé l’avénement à la couronne du prince de Galles, Mountjoy invitait
Érasme à quitter l’Italie pour s’établir en Angleterre. Il lui promettait la
protection du roi et un riche bénéfice de la part de l’archevêque de
Cantorbéry.
Sir Thomas More, qui sait que le philosophe ne hait pas
l’argent, a joint à l’épitre de Mountjoy une lettre
de change dont il a fourni les fonds de concert avec l’archevêque. Des amis
communs mêlent leurs instances à celles des deux humanistes, et conjurent
Érasme, au nom des Muses, de se prêter aux espérances de fortune qui
l’attendent en Angleterre. Le philosophe se laisse attendrir, il rêve des
monts d’or qu’il va trouver sur cette terre promise, fait ses préparatifs de
voyage et se met bientôt en route. Il traverse les Grisons, salue les vieilles
connaissances qu’il a laissées à Louvain et à Anvers, résiste à toutes les
obsessions d’Adolphe de Bourgogne qui veut le retenir, arrive à Londres et
descend chez More, dont il paye l’hospitalité en lui dédiant son Éloge de la
Folie. Pauvre homme, qui ne devait pas tarder à regretter le chaud soleil de
Rome, le vin d’Orviette qu’il buvait à la table des
cardinaux Grimani et Raphaël de Saint Georges , ses
promenades à l’Esquilin, et les hêtres du Pincio.
Érasme nous a laissé dans une lettre qu’il adresse au
poète Hutten, un portrait de main de maître de sir Thomas More, dont nous
donnerons ici quelques passages.
«Figurez-vous, dit-il, un jeune homme de taille
ordinaire, mais svelte et bien prise, la peau blanche, les yeux bleus, la barbe
rare, la physionomie souriante, les mains quelque peu campagnardes; gai sans
malice, inculte dans ses vêtements, ennemi de tout ce’ qui sent la gêne ou
l’apprêt, des cours, vous pensez bien, parce qu’il aime son franc parler;
jamais inquiet du lendemain, toujours pensant aux autres, et d’une conversation
si pleine d’enjouement qu’il est impossible avec lui de s’ennuyer. Il a fait
des comédies où il a joué lui-même, et même des épigrammes. On lui prête
certaines bonnes fortunes dont il a profité, mais sans scandale. Il sait le
grec, et malgré son père qui menaçait de le déshériter, il s’est mis à étudier
la philosophie. Il connaît les Pères, et, bien jeune, il a, devant un nombreux
auditoire, expliqué la Cité de Dieu de saint Augustin. »
Pendant qu’assis sur une mule au pas réglé, Erasme
traversait les Apennins, il pensait à More et arrangeait dans sa tête une
épître dédicatoire à son ami. Il lui semblait qu’un livre où sont si
spirituellement mises en scène ces monomanies humaines qu’on appelle honneurs,
ambition, avarice, vanité, épidémies auxquelles nul ne peut échapper en ce
monde; que ce livre, disons-nous, devait être placé sous le patronage d’un
clerc, qui mettait autant d’ardeur à repousser les gloires mondaines que d’autres
à les rechercher.
Henri VIII aurait bien voulu attirer sir Thomas à la cour
; mais le philosophe résistait aux instances du prince. Son bonheur était de
vivre dans la solitude, au milieu de livres dont il faisait ses délices. Loin
des agitations du monde extérieur, il évoquait alors, comme Machiavel, à sa
villa, près de Florence, les ombres des écrivains antiques, conversait avec
eux, et de ces mystérieux entretiens sortait toujours plus heureux.
Linacre ne ressemblait pas à sir Thomas More ; il flattait Henri pour en obtenir
un regard. Avide de gloire, il souffrait avec peine la contradiction.
Helléniste habile, il avait fait une traduction de Proclus qu’il avait dédiée
au roi Henri VII, son protecteur. Mais un des précepteurs du prince héréditaire
Arthur, André de Toulouse, âme jalouse, vint conter ail monarque que cette
prétendue traduction de Proclus n’était qu’un plagiat mal déguisé. Quand plus
tard Linacre, tout fier de son travail, parut à la
cour, savourant d’avance les louanges que le roi devait lui prodiguer, il
trouva dans le prince un juge morose qui le traita comme un imposteur. Il
n’avait pas malheureusement la philosophie stoïque de sir Thomas pour se
consoler. C’était un travailleur qui passait les nuits à composer, n’était jamais
content de son ouvrage et jetait au feu, la plupart du temps, ses savantes
élucubrations. Ses amis qui, connaissaient tout ce que son cerveau enfermait de
véritable science, le pressaient de publier quelques-uns de ses écrits qu’il
dérobait à tous les regards. Érasme, qui se plaignait souvent du tort que Linacre faisait à son pays, en condamnant à l’oubli le
fruit de ses doctes veilles, aimait le médecin encore plus que le lettré. Notre
philosophe avait la manie de se croire malade. À chaque indisposition dont il
était atteint, quand il n’avait rien à faire, il appelait Linacre qui le guérissait bien vite. Il était parti de Londres pour Paris, et dans la
traversée avait pris froid. Couché sur son lit, il sent en se passant la main
sur le cou que ses glandes sont enflées. Il écoute; ce sont bien des tintements
dans les oreilles qu’il entend. Il se retourne sur son chevet; cette fois,
c’est l’artère temporale dont les pulsations inégales l’effrayent à le faire
pâlir. Alors, hochant la tête, il s’écrie dans un mouvement de douloureuse
anxiété : « Et pas un Linacre pour me guérir! »
Ce fut Linacre qui, de retour
d’Italie, donna pendant quelques mois des leçons de grammaire latine au jeune
prince de Galles. A Florence, il avait assisté au cours de Politien sur Horace
et Virgile, et il en était sorti plein d’un amour véritable pour les poètes de
Rome antique que l’Angleterre avait à peine ouverts.
Un peu plus tard, quelques années avant le couronnement
de Henri VIII, Colet revenait aussi d’Italie et fondait, à Londres, le collège
de Jésus, la première école où le grec fut enseigné en Angleterre.
C’était un des hommes les plus remarquables de son
époque. Son père avait amassé dans le commerce une immense fortune. Sa mère,
d’une piété tout angélique, avait vu mourir vingt enfants : John était resté
seul héritier d’une fortune qu’Érasme nomme déplorable, luciuosa hereditas. Après sept ans passés à l’université
d’Oxford, l’écolier sentit le besoin d’échapper à cet enseignement demi-barbare
qui paralysait son intelligence. Il visita d’abord la France où il se lia
d’amitié avec Budée, puis il partit pour le pays des
belles et sérieuses études. A Florence, il rencontra quelques-uns de ses
compatriotes: entre autres Grocyn et Lylie, qui s’adonnaient avec une ferveur de néophyte à
l’étude de la langue grecque. Après un long séjour à Rome, à Pise, à Ferrare, à
Milan, et dans toutes les villes où Dieu avait suscité une harmonieuse
intelligence pour réveiller le culte des muses, il repassa les Alpes et revit
sa patrie bien-aimée, cette Angleterre où quelques rayons du soleil d’Orient
commençaient à poindre.
Doué d’une inépuisable gaieté, amoureux du plaisir; à
table, joyeux convive ne laissant jamais son verre vide; enclin à la
médisance, et recherchant la conversation des femmes; véritable épicurien,
enfin, comme il le dit de lui-même, Colet semblait être né pour briller dans le
monde plutôt que pour monter en chaire. Assailli par de vives tentations, il
sut les surmonter avec une force d’âme toute chrétienne.
Après une longue étude de saint Paul, qu’il aimait avec
passion, il eut l’idée d’instituer des conférences Sur les Épîtres de l’apôtre.
Ses leçons étaient fréquentées par les dignitaires de l’Église: plus d’une
fois Henri VIII vint se mêler parmi les auditeurs du savant exégète.
Un moment, cependant, on parla d’une rupture entre le
théologien et le monarque.
Warham avait désigné Colet pour prêcher le vendredi saint devant la cour.
L’orateur avait pris pour texte la victoire de Jésus sur la mort et le sépulcre:
victoire toute pacifique qu’on ne peut remporter que par la prière. Or, bien
qu’on sût que le roi nourrissait secrètement l’espoir d’une rupture prochaine
avec la France, le prédicateur, fort peu courtisan de sa nature, disait-on, ne
craignit pas de s’emporter saintement contre les princes qui cherchaient la
gloire dans les combats, et de pleurer sur le sort d’une pauvre àme, couronnée du diadème, qui passait d’un champ de
bataille au tribunal du souverain juge. Ce sermon était un véritable manifeste
contre les idées belliqueuses qui commençaient à tourmenter Henri. A peine
l’orateur était-il descendu de chaire, que le roi le faisait prier de se rendre
dans le jardin du monastère des Franciscains. Colet parait, le roi fait signe à
ses gens de s’éloigner. «Monsieur le doyen, dit le prince au prédicateur, vous
avez été bien beau; mais entre nous, j’ai peur que vous ne vous soyez trompé,
et ma conscience, troublée par votre éloquente parole, a besoin d’être
rassurée. Écoutez-moi, de grâce. Tout ce que vous avez dit sur la charité est
admirable! on n’a jamais mieux parlé sur l’amour qui doit unir les princes
rachetés par le sang du Sauveur; et, en vérité, vous m’avez presque réconcilié
avec la France; mais vous avouerez, docteur, que l’Évangile ne défend nulle
part de repousser une injuste agression. Sans doute, c’est une offense, et une
grande offense à la loi d’amour apportée par le Christ sur cette terre, que
d’attaquer un voisin inoffensif; mais si ce voisin vient jeter le trouble dans
vos domaines, l’Évangile ordonne-t-il de s’endormir dans une inaction coupable
? non, il faut le repousser dans l’intérêt de la paix publique, n’est-il pas
vrai? Donc, vous monterez en chaire et vous ferez un sermon comme vous les
savez si bien faire, sur la légitimité d’une guerre défensive, qui n’aurait
pour but que l’honneur et l’indépendance de ma couronne.»
Colet, qui ne s’attendait pas à se trouver en face d’un
aristotélicien tout frais sorti de l’école, balbutia quelques timides excuses
et promit humblement de réparer sa faute. Le jour de Pâques il monta donc en
chaire et commenta le thème comme eût pu le faire son royal adversaire. Cette
fois, un prince qui mourait les armes à la main pouvait aller droit au ciel
s’il ne faisait que se défendre contre d’injustes agressions : l’âme menacée
de la damnation était celle qui prenait les armes pour troubler le repos d’un
État voisin. A cette âme pécheresse, des feux éternels dans l’autre vie; mais à
l’âme patriote qui repousse la force par la force pour préserver l’honneur de
sa couronne et les libertés de ses peuples, des béatitudes sans fin par-delà
la tombe. Or il n’y avait pas â se tromper dans ce tableau des deux âmes,
l’une et l’autre ceintes du bandeau royal. Il était clair que l’âme ambitieuse
était celle qui habitait le corps mortel du roi de France nommé Louis XII; et
que l’âme selon le cœur de Dieu était celle qui gouvernait l’Angleterre sous
le Dom de Henri VIII. Aussi, son sermon achevé, l’orateur vit-il en face de lui
le prince qui souriait, qui hochait la tête en signe de satisfaction, et qui,
se tournant vers ses courtisans, leur disait : «Choisisse qui voudra son
docteur: voici le mien!». Et demandant une coupe, Henri la remplit de vin et
la but à la santé de Colet. La foule émerveillée regardait d’un air
d’admiration le pauvre prédicateur,. tout confus de sa gloire, et qui devait
son triomphe à un misérable distinguo qu’il avait commenté prolixement à la
façon d’un moine.
On se tromperait peut-être si l’on regardait ces détails
biographiques comme indignes de la gravité de l’histoire: ils sont, à notre
avis, une prophétique révélation de l’avenir que le roi réserve à
l’Angleterre. A dix-neuf ans le prince a déjà peur d’une allégorie, et c’est le
rire sur les lèvres qu’il punit un rhéteur en l’obligeant à une rétractation
que t le prêtre accepte sans murmure. Comme Colet redoute déjà la colère royal!
Le sacerdoce, représenté par un de ses membres les plus importants, nous montre
à quelles complaisances il descendra bientôt, quand Henri, pour se faire obéir,
essayera de substituer au rire la menace et l’emportement.
Colet, d’humeur chagrine, cherchait à se venger. Sa
victime fut bientôt trouvée: c’était un moine noir ou blanc, qui depuis dix ans
revenait sans cesse dans les sermons du doyen; un moine gourmand, paresseux ,
ignorant, et cachant dans sa besace presque tous les péchés du catéchisme.
Colet se mit donc à se moquer avec emphase de tout ce qui portait froc en Angleterre.
Les moines crièrent et se plaignirent à l’autorité; mais le prédicateur, assuré
de l’impunité, et comptant sur la protection du roi, qui n’aimait guère le
capuchon, continua de les poursuivre de ses sarcasmes : triste guerre qui dura
longtemps, et où Colet dépensa plus d’esprit que de vérité.
S’il faut en croire Érasme, témoin fort suspect, les
moines anglais méritaient, à peu d’exceptions près, les châtiments que leur
infligeait publiquement son ami. C’étaient presque tous des êtres déshérités du
ciel, plongés dans la crapule et l’ignorance, et qui ne manquaient jamais de
foire le signe de la croix toutes les fois qu’ils trouvaient un helléniste sur
leur chemin. A l’entendre, Satan voulait exiler la langue grecque pour ruiner
l’Église du Christ. Et à ce propos il racontait, avec dette causticité moqueuse
que nous lui connaissons l’histoire de la triste déconvenue d’un moine de
l’ordre des Franciscains.
Henri était à Woodstock, lorsqu’un frère qui appartenait
à l’église de Sainte-Marie monte en chaire, et, en véritable énergumène, se met
à déclamer contre la langue grecque et les malheureux qui osent l’étudier. Au
bruit des emportements du moine les écoliers s’émeuvent, parcourent les rues et
vont siffler sous ses fenêtres le malencontreux orateur. Après une enquête
faite au nom de sa majesté, le prince adressa des lettres royales à
l’université, pour l’exhorter à s’appliquer á l’étude de cette belle langue
d’Homère qui était appelée, comme la langue latine, à civiliser le monde, et le
moine de Sainte-Marie se tut.
Mais un autre le remplaça bientôt. Plus hardi, c’est en
face du souverain qui l’écoutait, qu’il fit une sortie violente, toujours
contre la langue grecque. Richard Pace se couvrait la figure de peur d’éclater
de rire, et les lèvres de sa majesté exprimaient par des mouvements
irréguliers, l’indignation et la pitié. Henri voulait se venger, mais en
humaniste. Il fit, appeler le prédicateur, et le pria de narrer ses griefs
contre la langue grecque. Sir Thomas More était chargé de défendre l’idiome
incriminé: l’avocat fût éloquent. Vint le tour du prévenu, qui, ne sachant que
répondre, s’agenouille, et, fondant en larmes, met sur le compte de l’esprit
saint toutes les sottises qu’il a débitées contre les hellénistes.
—De l’esprit saint, dit le monarque, avec un sérieux
comique; ne calomniez pas, mon père, celui de qui procède toute lumière, et
qui, certainement, n’a pas de motif pour en vouloir à la plus belle langue que
jamais les hommes aient parlée. Et dites-moi, ajoute-t-il en souriant malignement,
avez-vous lu quelques-uns des ouvrages d’Érasme que vous traitez si mal?
— Hélas non, répond piteusement le patient.
— Alors comment parlez-vous d’œuvres que vous n’avez jamais
lues.
— Pardon, reprend le moine en relevant un peu la tête,
j’ai parcouru le livre auquel le philosophe a donné le titre de l’Éloge de la
Folie.
—Vraiment, dit Pace, je gagerais que le livre a été écrit
pour votre révérence». Le frère mit fin à la discussion en déclarant qu’il
était réconcilié désormais avec le grec, parce qu’il voyait clairement à cette
heure que le grec dérivait de l’hébreu, et il s’éloigna au milieu des éclats de
rire des assistants.
La fable est charmante, contée admirablement, par Érasme,
et avec un sérieux philosophique qui a dû tromper plus d’un lecteur. Mais ce
n’est peut-être qu’une fantaisie d’artiste, comme Érasme s’en est permis si
souvent. Du reste, cet Éloge de la Folie, qui faisait les délices de Henri VIII
et de ses lettrés, ce n’étaient pas seulement des moines crasseux qui le
dénonçaient à leurs pénitents comme un vase de corruption: la Sorbonne,
elle-même, dont le Batave ne s’est guère moqué, le proscrivait dans une
sentence magistrale, et le traitait d’ouvrage «impie, injurieux à Dieu, à la
Vierge, aux saints, à l’Église, à la tradition». Pardonnons donc au franciscain
un moment d’humeur contre un livre qui excitait les colères « de la mère et de
la nourrice des saintes lettres »
Du reste, on doit avouer qu’il y avait d’importantes
réformes á introduire dans le système d’éducation appliqué par les moines en
Angleterre. Henri VIII les comprit et en favorisa le développement. La plupart
des écoles étaient alors dirigées par les dominicains, les franciscains et les
augustins. Ce que ces ordres avaient en vue surtout, c’était de former des
élèves à l’état ecclésiastique. Dans les monastères on donnait à l’étude de la
grammaire deux ou trois mois au plus; puis on mettait dans la main de l’écolier
la logique d’Aristote. Après une lente initiation à toutes les formules
pédantesques, connues sous le nom d’hypothèses, de restrictions, d’expositions,
d’équivoques, véritable labyrinthe où s’égarait son enfance, l’écolier
atteignait le portique de la théologie. A peine si en passant il pouvait jeter
un coup d’œil furtif sur les grands modèles de l’éloquence grecque et latine. Démosthènes était pour lui comme un dieu inconnu.
Colet, d’accord avec Henri, comprit que pour régénérer
l’entendement humain, il fallait lui ouvrir les sources de l’antiquité païenne;
à peu près ainsi qu’à la renaissance de l’art en Italie, on avait senti que le
sculpteur, avant de dégrossir un marbre, devait avoir étudié la plastique sous
Praxitèle ou Phidias. Avant donc de chercher à expliquer à ses élèves les
mystères de la sainte science, Colet leur faisait faire un cours complet de
grammaire. Il avait eu soin de choisir, pour opérer la révolution
intellectuelle qu’il méditait, des ouvriers d’une habileté philologique
consommée. A son école de Saint-Paul il plaça pour recteur William Lylie qui, pendant cinq ans de séjour à Rhodes, avait
pratiqué le grec sous les rhéteurs de Constantinople. Lylie méritait la confiance du doyen et du prince. C’était un professeur d’un zèle à
toute épreuve, mais qui malheureusement regardait la punition corporelle comme
un moteur puissant de progrès, dans toute espèce de système pédagogique.
Érasme, dont l’esprit devançait le siècle, nous a laissé un tableau fort
spirituel de la méthode « fustigeante » de
Colet, et de l’ardeur avec laquelle Lylie administrait le fouet et les férules.
Mais la guerre allait bientôt arracher Érasme à ses
causeries avec Thomas More, Colet à sa grammaire, Linacre à son Hippocrate, Warham à ses réunions littéraires,
et Henri VIII à ses humanistes, et peut-être à ses maîtresses, car le prince
n’avait pas été longtemps fidèle à Catherine.
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