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EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.

 

LIVRE TRENTE-UNIÈME.

THÉODOSE II, VALENTINIEN III.

An. 423.

Honorius, mourant sans postérité, laissait à Théodose un droit légitime sur l’empire d’Occident. Lejeune Valentinien ne pouvait y prétendre que du chef de sa mère Placidie. Mais cette princesse, étant née de Galla, seconde femme du grand Théodose, ne venait à la succession impériale qu’après les enfants de Flaccille, première femme de ce prince. Théodose n’avait voulu reconnaitre le titre d’Auguste ni dans Constance, ni dans Placidie, qui, retirée depuis peu à la cour d’Orient avec son fils Valentinien, n’y était considérée que par sa qualité de tante paternelle de l'empereur. Lorsque Théodose eut reçu la nouvelle de la mort de son oncle, il la tint cachée pendant quelque temps, jusqu’à ce qu’il eût fait les dispositions nécessaires pour s'assurer de l’Occident. Dans ce dessein, il fit secrètement filer des troupes en Dalmatie du côté de Salone, espérant par ce moyen prévenir les troubles auxquels son éloignement pouvait donner occasion.

L’ambition d’un homme, qui semblait être peu redoutable, rompit toutes ces mesures. Jean, secrétaire d’état d’Honorius, appuyé de Castin, général des troupes d’Occident, prit le titre d’empereur. Il avait été employé dans les négociations avec Alaric, dont il était estimé; c’était peut-être le même qui avait reçu du tyran Attale la charge de maître des offices. On le représente comme un homme doux et affable, prudent, et aussi vertueux que peut l’être un usurpateur, sourd à la calomnie, modéré, et qui ne se permit aucune action de cruauté ni d’avarice. Dès les premiers jours de son usurpation, il députa vers Théodose pour en obtenir la paix. Ses envoyés furent arrêtés, jetés en prison, et ensuite relégués dans les lies de la Propontide. Selon quelques auteurs, Théodose se contenta de les traiter avec mépris, et les renvoya avec une réponse menaçante.

Ce procédé annonçait la guerre. Jean s’y prépara en donnant la liberté aux esclaves pour en faire des soldats, et en appelant les Huns à son secours. Il leur envoya pour cet effet Aétius, qui s’était déclaré en sa faveur, et qu’il récompensa de la charge de maître du palais. Il est temps de faire connaitre ce personnage célèbre, grand capitaine et rusé politique, qui sauva l’empire et fit trembler l’empereur, un de ces génies puissants et dangereux, que leur propre force détruit et que leur élévation précipite. Il était né à Dorostore en Mœsie. Son père, Gaudence, le plus distingué de la province de Scythie, ayant servi avec réputation, parvint à la dignité de général de la cavalerie romaine, et à celle de comte d’Afrique après la mort de Gildon. Il exécuta les ordres d’Honorius pour la destruction des idoles de cette province; et quelque temps après il fut tué en Gaule par des soldats mutinés. Son fils Aétius, né d'une mère italienne très noble et très riche, fut élevé entre les gardes de l’empereur, et passa trois ans auprès d’Alaric, auquel il avait été donné en otage. Dans cet état d’inaction, son génie ardent et actif fit une profonde étude de la guerre, dont le camp d’Alaric était alors la meilleure école. Le roi des Goths reconnut ses talents : il le redemanda encore pour otage quelque temps après; mais Honorius le refusa, et l’envoya en cette qualité chez les Huns. Aétius, fort semblable à l’ancien Alcibiade, et propre à prendre toute sorte de caractères, se fit aimer de cette nation, dans le temps même qu’il s’instruisit de ses forces et de sa manière de combattre, pour se mettre en état de la vaincre un jour. Revenu à la cour il s’acquit une grande considération par ses qualités personnelles. Il était de taille moyenne et bien proportionnée, d’un air mâle, d’un tempérament vigoureux, infatigable, et supportant aisément la faim, la soif, les veilles; adroit aux exercices du corps, et très-instruit des connaissances qui font l’ornement de l’esprit; d’une droiture inflexible, lorsque son ambition n’était pas intéressée; libéral, aussi prudent que courageux, son ambition, déguisée avec adresse, ne semblait être qu’une grandeur d'âme. Cette passion fut encore animée par le caractère de sa femme, fille de Carpilion, comte des domestiques. Elle descendait d’une famille royale des Goths, et porta dans la maison d’Aétius la fierté barbare qu’elle tirait de son origine. Brûlant du désir d’élever ses enfants à l’empire, jalouse de tous ceux qui leur faisaient ombrage, elle aurait, par ses conseils sanguinaires, fait périr Majorien, dont le mérite semblait la menacer qu’il serait un jour leur maître, si elle eût trouvé dans son mari une âme aussi cruelle que la sienne. Tel était Aétius, que Jean envoya chez les Huns; il lui était facile d’obtenir des secours de cette nation guerrière. il avait ordre d'attendre que les troupes de Théodose fussent entrées en Italie, et de venir ensuite leur couper la retraite, et les charger par derrière, tandis que Jean les attaquerait de front.

Le nouveau tyran, suivant l’exemple des empereurs, prit le titre de consul le premier de janvier de l’an 424. Il se donna Castin pour collègue. Son consulat ne lut fut point reconnu dans l’empire d’Orient, où Victor fut revêtu de cette dignité par Théodose. La révolte de Jean fit connaitre à ce prince combien il lui était difficile de contenir les deux empires sous son obéissance. Il se détermina donc à céder l’Occident à son cousin. Il consentit enfin à donner à Placidie la qualité d’Auguste, qu’il lui avait refusée jusqu’alors, et il conféra à Valentinien celle de nobilissime. Il les fit aussitôt partir pour l’Italie avec une armée nombreuse, sous le commandement de trois généraux. C’était Ardabure, qui venait de se signaler dans la guerre contre les Perses, Aspar son fils, et Candidien, attaché depuis longtemps à Placidie. Lorsqu’ils furent arrivés à Thessalonique, Hélion, maître des offices, envoyé par Théodose, revêtit le jeune Valentinien de la pourpre des Césars. Ce prince n’avait encore que cinq ans; ce qui n’empêcha pas Théodose de lui fiancer sa fille Eudoxie, âgée seulement de deux ans. Le mariage s’accomplit treize ans après. Il parait par la suite de l’histoire que Théodose, abandonnant l’Occident à Valentinien, se réserva la possession de l’Illyrie occidentale. L’année étant trop avancée pour entreprendre dé passer les Alpes, l’armée s’arrêta sur les frontières de Dalmatie, où elle demeura pendant l’hiver. Tout l’Occident reconnaissait Jean pour empereur, à l’exception de l’Afrique, où Boniface commandait. Ce guerrier intrépide et fidèle à Placidie, qu’il n’avait cessé de secourir depuis sa disgrâce, maintint la province dans la soumission à ses maîtres légitimes. Le tyran y envoya des troupes; mais cette diversion n’eut d’autre effet que d’affaiblir l’armée, dont il avait besoin en Italie. Il y eut cependant quelques troubles dans la Gaule. Exupérance, préfet de cette province, et résidant à Arles, fut tué dans une sédition par les soldats, et Jean laissa ce crime impuni.

Le tyran, ne croyant pas encore sa puissance affermie, n’osait sortir de Ravenne. Il craignit surtout les principaux de la ville de Rome et les évêques attachés à leur légitime souverain. Au lieu de travailler à les gagner par des bienfaits, il dépouilla le sénat de Rome, et les églises de leurs privilèges. Il ôta la juridiction aux évêques, et ordonna que les causes ecclésiastiques fussent portées sans distinction par devant les juges séculiers. Il sévit bientôt sur les bras toutes les forces de l’Orient. Au retour du printemps, les généraux de Théodose prirent de force la ville de Salone en Dalmatie. S’étant ensuite séparés, Ardabure s’embarqua sur la mer Adriatique pour passer en Italie; Aspar, à la tête de la cavalerie, marcha en diligence vers Aquilée, conduisant avec lui Placidie et Valentinien; Candidien employa le reste des troupes à réduire les autres places qui s’étaient soumises au tyran. Aspar surprit Aquilée. Mais Ardabure ne fut pas si heureux; une violente tempête l’ayant jeté du côté de Ravenne , il fut pris avec trois de ses galères. Cet accident causa d’abord de mortelles inquiétudes à son fils et à Placidie. La marche des Huns qui, sous ta conduite d’Aétius, approchaient de l’Italie, redoublait leurs alarmes. Mais la prise d’Ardabure fut le salut de Valentinien. Le tyran traita son prisonnier avec honneur espérant par son moyen engager Théodose à un accommodement. Le général, adroit et insinuant, parut dans ses vues, tandis qu’il travaillait sourdement à gagner les soldats déjà mécontents de l'usurpateur. Lorsqu’il se crut assuré du succès, il le fit savoir à son fils, qui marcha aussitôt vers Ravenne. Pour entrer dans cette ville, il fallait traverser un marais qu'on croyait impraticable. Un berger s’offrit à conduire Aspar to et sa cavalerie par un gué qui n’était connu que de lui seul. On accepta la proposition, et le berger tint parole. Les habitants, étant dans une pleine sécurité, Aspar trouva les portes de la ville ouvertes: les soldats de Jean, après une légère résistance, le livrèrent aux ennemis. Il fut envoyé à Aquilée, où Placidie se vengea de ce malheureux par les outrages les plus cruels. On lui coupa la main droite, et, après l’avoir promené sur un âne dans le Cirque, où il fut exposé aux insultes d’une populace effrénée, on lui trancha la tête. Il avait régné près de deux ans. Castin fut exilé en Afrique, et abandonné à la discrétion de Boniface qu’il avait outragé. Humilié par la disgrâce, il se jeta à ses pieds, et trouva un asile auprès de cet ennemi généreux. Selon la date d’une loi du code Théodosien , Symmaque lui fut substitué dans le consulat. Tout réussissait au gré de Placidie. Candidien fit en peu de jours la conquête de la Dalmatie, de l’Istrie et de la Pannonie. Il ne restait plus d’ennemis que les Huns, qui arrivèrent au nombre de soixante mille, trois jours après la mort de l’usurpateur. Aspar leur livra bataille; il y eut de part et d’autre un grand carnage, sans événement décisif. Enfin Aétius fit son traité avec Placidie, reçut le titre de comte, et engagea les Huns à force d’argent à reprendre la route de leur pays.

Théodose apprit la défaite de Jean lorsqu’il célébrait les jeux du Cirque à Constantinople. Il quitta aussitôt le spectacle, invitant le peuple à venir rendre grâces à Dieu de la victoire accordée à ses armes. Tous les spectateurs suivirent son exemple, et, chantant des hymnes, ils accompagnèrent l’empereur à l’église, où ils demeurèrent tout le jour; il partit peu de temps après, dans le dessein d’aller lui-même en Italie pour y donner au jeune César le titre d’Auguste, et pour affermir l’autorité du nouvel empereur. Mais une maladie l’arrêta à Thessalonique. Il chargea Hélion, devenu patrice, de porter à son cousin les ornements impériaux, et revint à Constantinople. Hélion se rendit à Rome, où Placidie et Valentinien vinrent le trouver de Ravenne. Valentinien, qui était dans sa septième année, fut proclamé empereur le 23 octobre. Ce fut apparemment dans ce même temps que sa sœur Honoria fut aussi nommée Auguste. Le gouvernement de l’empire, pendant le bas âge du prince, fut confié à Placidie. 

Le premier soin de cette princesse fut d’inspirer son fils l'horreur de l’hérésie et le respect pour l’Eglise; qualités très-estimables dans un souverain, mais qui ne purent couvrir le vice d’une éducation molle et efféminée. Sa mère travailla plus à former sa croyance que son esprit ni ses mœurs; aussi fut-il toujours très-catholique sans être jamais chrétien. Lorsqu’il n’était encore que César, Placidie fit publier en son nom plusieurs lois contre les hérétiques et les schismatiques; ils furent bannis loin des villes, de crainte que leur poison ne s’y répandît. Il restait encore quelques étincelles du schisme d’Eulale, et ses anciens partisans refusaient de reconnaitre le pape Célestin, qui avait succédé à Boniface. Vingt ans après Valentinien renouvela contre les manichéens en particulier la rigueur de toutes les lois précédentes. Les devins et astrologues furent traités comme les hérétiques. Placidie adressa à Patrocle, évêque d’Arles, une constitution par laquelle les évêques pélagiens étaient invités à revenir de leur erreur dans l’espace de vingt jours, sinon ils étaient menacés d’être chassés de leur siège. Il y a grande apparence que Patrocle, prélat simoniaque, et qui vendait le sacerdoce à prix d’argent, avait sollicité cette loi pour avoir un prétexte de persécuter ses ennemis; car on ne voit par aucun monument historique qu’il y ait eu en ce temps-là dans la Gaule des évêques pélagiens. Cette même constitution défendit aux Juifs d’exercer la profession d’avocat, qu’Honorius leur avait permise; de servir dans les armées, d’avoir aucun esclave chrétien. Jean avait aboli les privilèges des églises; Placidie les rétablit, et rendit aux évêques la juridiction dont ils avoient joui dans les causes ecclésiastiques. Au commencement de fan 426, Valentinien, ayant le titre d’empereur, on publia encore sous son nom deux lois favorables à la religion: par l'une, les apostats sont privés du droit de tester et de rien recevoir, soit par donation, soit par testament; par l’autre, les testaments des Juifs qui déshéritent leurs enfants convertis au christianisme sont déclarés de nul effet, et leurs enfants rétablis dans leurs droits. Placidie songea dans le même temps à concilier à son gouvernement l'affection des peuples. Le sénat offrait en hommage au nouvel empereur une somme d’argent considérable; elle en remit une partie aux sénateurs, et fit présent du reste à la ville de Rome. Elle imposa silence aux délateurs, qui se préparaient à faire retentir les tribunaux d’accusations contre les partisans du tyran. Celui-ci avait donné la liberté aux esclaves pour les enrôler dans son armée; Placidie les fit rentrer sous le pouvoir de leurs maîtres, et interdit aux affranchis le service militaire. Elle remit le sénat en possession de ses anciens privilèges. Sous le règne d’Honorius, les fermiers du domaine avoient usurpé sur les autres sujets une sorte de tyrannie: à la faveur des titres dont ils se faisaient décorer, ils se prétendaient exempts de répondre aux juges ordinaires; ils troublaient même l’exercice de la justice, protégeant leurs créatures, s’ingérant dans les affaires publiques et particulières, abusant en toutes manières de leur crédit. Tout ce manège d’intrigues et de faveur leur fut interdit; ils furent dépouillés de tous les titres qu’ils usurpaient, et obligés à se soumettre à l’ordre judiciaire, tel qu’il était réglé par les lois, qui, selon les termes de cette ordonnance, commandent aux princes mêmes. Celte maxime, si précieuse au genre humain., et qui fait la principale différence du despotisme et de la monarchie, fut, quatre ans après, publiée à la face de tout l’empire d’Occident par une loi expresse, qui mérite d’être rapportée en entier : La majesté souveraine se fait honneur en reconnaissant qu'elle est soumise aux lois. La puissance des lois fait le fondement de la nôtre. Il y a plus de grandeur réelle à leur obéir qu'à commander seul et sans elles. Par le présent édit, nous sommes bien aises de montrer à nos sujets quelles sont les bornes que nous prétendons mettre à notre autorité. C'est la plus grande leçon qu’un souverain ait jamais faite à ses pareils.

Théodose fit aussi dans le même temps plusieurs lois qui méritent d’être connues. La puissance impériale jalouse au point de ne pas permettre aux particuliers de porter des étoffes de la même teinture que celle des ornements impériaux; c’était une espèce de pourpre la plus rare et plus brillante. Il fut défendu à toute personne, de quelque dignité qu’elle fût, d’en faire usage, et même d’en garder chez soi : la contravention à celte ordonnance mise entre les crimes de lèse-majesté. On voit que les villes des provinces avoient coutume de donner à leurs frais des spectacles dans la ville de Constantinople; c’étaient des courses de chars qui obligeaient à de grandes dépenses. Isidore, préfet d’Illyrie, ayant représenté à l’empereur l’état d’indigence où se trouvait la ville de Delphes, comprise alors dans cette province, il dispensa toutes les villes d’Illyrie de ces contributions, défendit de les exiger, et ordonna que chaque ville ne serait obligée qu’aux frais des jeux qui se donneraient dans son enceinte. Théodose le grand avait interdit les spectacles les jours de dimanches; Honorius étendit cette défense aux jours de fêtes, et Théodose le jeune y ajouta le temps depuis Pâques jusqu’à la Pentecôte. Les provinces ne pourvoient députer à l’empereur sans avoir auparavant communiqué aux préfets du prétoire le contenu de leurs requêtes. Ceux-ci, abusant de leur autorité , s’étaient attribué le droit d’y répondre eux-mêmes; en sorte que le prince n’était plus instruit des besoins de ses sujets. Théodose réprima par une loi cette usurpation des préfets; il ordonna que les députés fussent introduits à son audience pour lui présenter leurs plaintes à son audience pour lui présenter leurs demandes. Les terres données par le prince, ou déchargées des impositions ordinaires, payaient une taxe dans les besoins de l’état; Théodose régla cette taxe, afin qu’elle ne dépendît pas du caprice des gouverneurs : il ne l’exigea jamais avec rigueur, et fit fréquemment des remises de ce qui restait dû au fisc. Mais la loi la plus célèbre de ce temps-là est celle qui établit la prescription de trente ans, après lesquels les droits dont on a joui paisiblement et sans réclamation pendant cet intervalle ne peuvent plus être disputés : loi utile à la société civile, afin que les procès et les querelles ne puissent éternellement se reproduire, et que l’état et les possessions des particuliers ne flottent pas dans une perpétuelle incertitude. Valentinien adopta celte loi vingt-cinq ans après pour l’empire d’Occident. Théodose fut le premier qui donna une forme constante à l’académie de Constantinople. Il fonda vingt chaires de grammaire, dix pour la langue latine, autant pour la langue grecque, huit chaires de rhétorique, cinq de rhétorique grecque, trois de latine; une pour la philosophie, et deux pour la jurisprudence. Il assigna des classes séparées sous les portiques du Capitole. Il défendit à tout autre maître de donner des leçons publiques, et à ces professeurs du Capitole d’enseigner dans aucune maison particulière, sous peine de perdre les privilèges attachés à leur profession. Ces privilèges étaient considérables : après vingt ans d’exercice, ils étaient honorés du titre de comte du premier ordre, et allaient de pair avec les lieutenants des préfets du prétoire. Pour être admis à ces places distinguées, il fallait subir un examen en présence du sénat ; c’était cette auguste compagnie qui jugeait du mérite des prétendants: on exigeait d’eux une probité irréprochable, le fonds de la science, la facilité de la produire au-dehors, l’intelligence des auteurs, et l’érudition propre de leur art.

La principale vertu de Théodose, et celle qui faisait le fonds de son caractère, était une sage et noble modestie. Placé entre Dieu et ses sujets, il apercevoir l’espace immense qui le séparait de la Divinité, et l’étroit intervalle qui le distinguait des autres hommes. Il ne put souffrir les hommages presque divins qu’une adulation passée en coutume rendait aux statues des empereurs. On les ornait de fleurs, on brulait devant elles de l’encens et d’autres parfums, on se prosternait à leurs pieds. Il proscrivit ces honneurs idolâtres, et ordonna de réserver à l’Etre suprême tous ces signes d'adoration, qui ne peuvent convenir aux hommes, quelque élevés qu’ils soient. On raconte que ce prince, s’étant éloigné de ses gens dans une chasse, arriva fort fatigué à une cabane écartée: c’était la cellule d’un anachorète qui était venu d’Egypte s’établir dans le voisinage de Constantinople. L’anachorète le prit pour un officier de la cour, et le reçut avec honnêteté. Ils firent la prière, et s’assirent. Théodose entra en conversation, et lui demanda ce que faisaient les moines d’Egypte: Ils prient pour vous, répondit le solitaire. L’empereur, jetant les yeux de toutes parts, ne vit dans la cellule qu’une corbeille où étaient un morceau de pain et un vase plein d’eau. Son hôte l’invita à manger et à boire. Le prince l’accepta; et, après ce repas frugal, s’étant fait connaitre pour ce qu’il était, comme le solitaire se jetait à ses pieds, il le releva en lui disant : Que vous êtes heureux, mon père, de vivre loin des affaires du siècle! Le vrai bonheur n'habite pas sous la pourpre. Je n'ai jamais trouvé de plus grand plaisir qu'à manger votre pain et à boire votre eau. En même temps ses gens qui le cherchaient étant arrivés, il partit en se recommandant aux prières de l’anachorète. Celui-ci, craignant que cette aventure ne lui attirât quelque considération, quitta sa cellule et s’enfuit en Egypte.

Pendant que Théodose et Placidie s’occupaient à réformer les abus qui s’introduisaient de plus en plus dans les deux empires, les Huns, mécontents du peu de succès de leur expédition précédente, se jetèrent dans la Thrace, et, ravageant tout le pays, marchèrent vers Constantinople, ne menaçant de rien moins que de la miner de fond en comble. Théodose, n’ayant point alors de troupes à leur opposer, eut recours aux prières, et le ciel prit sa défense. Plusieurs de ces barbares furent tués de la foudre avec Rougas leur chef; la peste désola le reste de leur armée, et ils furent contraints de regagner le Danube. Il y eut cette année de grands troubles dans Alexandrie, dont les habitants s’égorgeaient les uns les autres. On ignore les causes et les circonstances de ces massacres, trop ordinaires dans cette ville séditieuse.

Aétius commençait à signaler son courage au service de Valentinien. Théodoric, roi des Goths établis dans l’Aquitaine, méprisant le gouvernement d’une femme, voulut étendre ses états, et vint mettre le siège devant Arles. Les Goths poussaient les attaques avec vigueur, lorsque Aétius vint les forcer à lever le siège. On fit avec eux un nouveau traité, et on leur donna plusieurs Gaulois en otage. Entre les autres était Théodore, parent de cet Avitus qui fut depuis empereur. Avitus, l’étant allé voir à Toulouse, inspira tant d’estime à Théodoric, que ce prince lui fit les offres les plus avantageuses pour l’attirer à son service. Mais Avitus, fidèle aux engagements de sa naissance, s’excusa de les accepter. A peine la ville d’Arles fut-elle délivrée du péril, qu’elle vit assassiner Patrocle, son évêque; il fut percé de plusieurs coups par un tribun nommé Barnabe. On crut que ce prélat, d’ailleurs indigne de l’épiscopat qu’il avait usurpé, fut la victime de la haine que lui portait Félix, aussi méchant que lui. Félix était devenu général des troupes d’Occident à la place de Castin, et il reçut ensuite le titre de patrice. 11 fit encore, dans ce même temps, massacrer à Rome un saint diacre nommé Titus, qui fut tué pendant qu’il remplissait les fonctions de son ministère en distribuant aux pauvres les aumônes de l’Eglise.

Ce général, aussi jaloux et aussi fourbe qu’il était violent et sanguinaire, s’unit en secret avec Aétius pour perdre Boniface, le seul officier de l’empire dont le mérite et le crédit leur donnaient de l’ombrage. Placide avait à Boniface les plus grandes obligations: seul il l’avait généreusement secourue lorsqu’elle était bannie d’une cour et méprisée dans l’autre. D’ailleurs il se comportait en Afrique avec tant d’équité et de désintéressement, que, pour se soutenir, il semblait n’avoir besoin que de sa vertu. Sa valeur faisait trembler les barbares voisins, qui n’osaient plus sortir de leurs montagnes pour venir insulter la province. Tantôt à la tête d'une armée, tantôt avec une petite troupe, il les avait toujours terrassés. Brave de sa personne, il avait même tué plusieurs de leurs chefs en combat singulier. On rapporte de lui un trait de cette vaillance brusque et impétueuse, qui s’assortit mieux au caractère d’un aventurier qu’à celui d’un grand capitaine. Un paysan vint se plaindre à lui d’un officier barbare qui servait dans les troupes romaines, et qui entretenait avec sa femme un commerce adultère: il en demandait justice au général. Boniface, après s’être informé du lieu où il faisait sa demeure, lui ordonna de rester dans le camp et de revenir le trouver le lendemain. Pour lui, dès que la nuit fut venue, il part secrètement, court à tonte bride au domicile qui lui avait été indiqué, et qui était éloigné de trois lieues, coupe la tête au barbare qu’il surprend avec la femme, et se rend au camp avant le jour. Le paysan s’étant présenté devant lui selon ses ordres, Boniface lui montre la tête sanglante, loi demande s’il la reconnait, et le renvoie tout tremblant d'une si prompte et si sévère justice.

Ce guerrier si courageux se laissa vaincre par une passion funeste qui le plongea dans les plus grands malheurs. Placidie, l’ayant chargé d’une commission, il devint dans ce voyage éperdument amoureux d’une fille fort riche nommée Pélagie; et, perdant alors de vue tontes les résolutions de retraite et de continence qu’il avait formées après la mort de sa première femme, il l'épousa. Elle était née arienne; et quoiqu’elle eût abjuré l’hérésie pour parvenir à cette alliance, son cœur y fut toujours attaché. Les ariens prirent autorité dans sa maison ; ils baptisèrent la fille qui naquit de ce mariage. Boniface lui-même, oubliant toute sa vertu, se livra par la suite à des concubines. Baronius conjecture, avec beaucoup de vraisemblance, que la commission de Boniface était pour l’Espagne; qu’il vit Pélagie à la cour du roi des Vandales, qui étaient ariens, et que ce fut celte alliance qui forma sa liaison avec ces barbares. A son retour en Afrique, Placidie récompensa ses services de la charge de comte des domestiques.

Cette nouvelle dignité augmenta la haine de ses rivaux; ils ne songèrent plus qu’à le pousser à bout; et voici la ruse qu’ils mirent en œuvre. Aétius, qui n’avait cessé d’entretenir avec lui une feinte amitié, lui manda par une lettre secrète que tout était changé de pour lui à la cour; que l’impératrice avait juré sa perte; qu’elle était sur le point de le rappeler; et que, s’il quittait l’Afrique, sa mort était assurée. Il lui faisait valoir cet avis fidèle, et lui recommandait un secret inviolable. En même temps il va trouver Placidie; il lui proteste qu’étant l’ami de Boniface, ce n’est qu’avec un extrême regret qu’il se voit obligé de dévoiler ses projets pernicieux ; mais qu’il doit tout sacrifier à l’intérêt de son prince : que ce général n’a si bien défendu l’Afrique que pour s’y rendre indépendant; qu’il s’en regarde déjà comme souverain. Si vous voulez, continua-t-il, démasquer sa trahison, envoyez-lui ordre de revenir à la cour. Il n’obéira pas, et vous pourrez alors le traiter comme rebelle. Un ennemi déclaré est moins à craindre qu’un sujet perfide. Il n’en fallut pas davantage pour faire oublier à Placidie tant de services importants. Crédule, et toujours prête à recevoir tous les soupçons, elle suivit le conseil d’Aétius. Boniface, prévenu par la fourberie d’Aétius, reçoit fort mal l’envoyé de l’impératrice; il se répand en invectives, et, sans rien dire de l’avis qu’il a reçu, il déclare qu’il va faire payer bien cher à Placidie sa cruelle ingratitude. Aussitôt il lève des troupes, et devient criminel pour défendre son innocence. Placidie, convaincue de la fidélité et du zèle d’Aétius, l’admet dans tous ses conseils. Félix le seconde, et la guerre est décidée contre Boniface. On fait passer des troupes en Afrique sous la conduite de trois commandants, Mavorce, Galbion et Sinœcès. Ils assiègent le rebelle dans une place que l’histoire ne nomme pas. Sinœcès trahit les deux autres, qui sont tués, et il éprouve ensuite le même sort, voulant trahir Boniface. On envoie à leur place le comte Sigisvult, qui se rend maître de Carthage et d’Hippone. Cependant les barbares, que Boniface avait contenus jusqu’alors, profitant de la discorde des Romains, se répandent dans la province , et y font d’affreux ravages. Ce fut en cette occasion que saint Augustin écrivit à Boniface une lettre touchante, où, sans examiner la justice de la guerre qu’il fait à l’empire, il lui montre l’abîme où son ressentiment l’a plongé, et l’exhorte à la pénitence. Boniface, aveuglé par la colère, n’était plus en état d’écouter ces salutaires avis. Il fut sans doute plus docile à ceux de sa femme, qui lui offrit une ressource puissante dans le secours des Vandales. Dans son désespoir, il prit la funeste résolution de partager l’Afrique avec eux, plutôt que de la remettre à son souverain, qu’il ne regardait plus que comme son meurtrier.

Depuis la défaite de Castin, les Vandales avoient achevé la conquête de la Bétique en se rendant maîtres de Séville nommé alors Hispalis. Leur roi Gonderic, après l’avoir saccagée, étant près d’entrer dans l’église de Saint-Vincent, la plus riche et la plus respectée de cette ville, pour en piller les trésors, tomba mort; et cet événement fut considéré de toute l’Espagne comme une punition divine. Il laissait des enfants; mais Genséric, son frère bâtard, leur fut préféré par les Vandales. Il s’était fait une haute réputation de valeur, quoiqu’il fût d’assez petite taille, et devenu boiteux par une chute de cheval. Il tiendrait un rang honorable entre les princes les plus illustres, s’il n’eût pas souillé sa conquête par d’énormes cruautés : guerrier intrépide, habile législateur, profond politique, adroit à former des intrigues, et à diviser les nations qu’il voulait subjuguer; parlant peu, mais avec autorité et énergie; méprisant le luxe et les plaisirs. Le sang des orthodoxes qu’il a voit répandu à grands flots a rendu sa mémoire exécrable; il les persécuta d’autant plus cruellement, qu’il était, dit-on, apostat. Né d’une mère esclave, par laquelle il fut élevé dans la croyance catholique, il se fit arien par ambition. On lui reproche encore d’avoir sacrifié à une politique inhumaine la veuve et les enfants de son frère Gonderic. Lorsqu’il se vit maître de la Mauritanie, il les fit noyer dans le fleuve Ampsaga, qui bornait la Numidie.

Boniface invita Genséric à passer en Afrique, à condition qu’ils partageraient entre eux cette vaste contrée, et qu’ils se prêteraient un secours mutuel contre leurs ennemis. Le roi des Vandales ne balança pas d’accepter des propositions si avantageuses. L’établissement qu’on lui offrait était beaucoup plus étendu que ce qu’il occupait en Espagne, partagée entre trois peuples différents et toujours en guerre. Le général romain lui fournit des vaisseaux, et toute la nation reçut ordre de se préparer au départ. Genséric, étant près de s’embarquer, apprit qu’Hermigaire, capitaine suève, ravageait les provinces voisines. Pour ne pas déshonorer ses armes, en donnant à croire que son départ était une fuite, et qu’il cédait à la terreur que les Suèves lui inspiraient, il les va chercher avec une partie de ses troupes, les atteint en Lusitanie, et les taille en pièces. Hermigaire, emporté par son cheval, se noie, près de Mérida, dans le fleuve Anas, aujourd’hui la Guadiane. Le vainqueur va rejoindre sa flotte, et passe le détroit au mois de mai. Arrivé en Afrique, il fit le dénombrement de son peuple, qu’il trouva monter à quatre-vingt mille hommes, en y comprenant les vieillards, les enfants et les esclaves. Mais Genséric, pour rendre sa puissance redoutable, faisait courir le bruit que ce nombre était celui de ses soldats. Quoique l’histoire ne spécifie pas quelles provinces d’Afrique furent abandonnées aux barbares, la suite des événements fait assez connaître que Boniface leur céda les trois Mauritanies, et que le fleuve Ampsaga fut la borne de la domination des barbares. Les Romains et les Suèves s’emparèrent en Espagne des pays que les Vandales avoient quittés, et qu’ils ne cessèrent de se disputer jusqu’à ce que la puissance romaine fût entièrement abattue en Occident.

Pendant que la jalousie d’Aétius faisait perdre à l’empire une grande partie de I Afrique, et mettait en danger tout l reste de cette belle province, sa valeur regagnait le terrain dont les Francs s’étaient emparés en-deçà du Rhin. Il fit un grand carnage de celte nation, et la força d'abandonner la Gaule, et de repasser le fleuve. On ne sait si cette défaite termina le règne de Pharamond, ou commença celui de son successeur. Pharamond mourut cette année 428. Clodion lui succéda : ce­lui-ci est regardé par plusieurs auteurs comme le premier roi des François, parce qu’il fut le premier qui les fixa pour toujours dans la Gaule, ainsi que nous le verrons dans la suite. Le nom de chevelu qu’on lui donne, convenait alors à tous les rois des François. Différents en cela des autres barbares, ils étaient curieux de leur chevelure; ils l’arrangeaient avec soin, et y employaient diverses sortes de poudres et d’essences. Partagée par-devant, elle flottait avec grâce sur leurs épaules; c’était l’ornement distinctif de la famille royale. Le reste de la nation avait communément les cheveux blonds, mais elle les portait fort courts, ou noués sur le sommet de la tête, en sorte qu’ils retombaient sur le front, et que le cou était découvert. Un auteur achève de nous peindre les François de ce temps-là. Ils étaient de grande taille, avoient les yeux bleus, se rassoient la barbe, portaient de larges baudriers, et des habits serrés sur le corps, et qui ne descendaient que jusqu’au-dessus du genou. Leurs armes étaient des boucliers légers, des javelots fort courts qu’ils lançaient avec force en courant à l’ennemi, et des haches qui portèrent leur nom, et furent appelées francisques. La victoire d’Aétius leur enleva leur conquête, mais non pas leur courage, ni même leur ancienne renommée.

Jamais tant d’orages ne s’étaient formés à la fois contre la puissance romaine. Les Francs sur les bords du Rhin, les Visigots dans la Gaule méridionale, les Sueves en Espagne, les Vandales en Afrique, et au septentrion de l’Italie les Juthonges et les peuples des Alpes révoltés s’efforçaient, comme à l’envi, de démembrer l’empire et d’envahir les provinces. Valentinien aurait eu besoin d’autant de généraux qu’il avait de peuples à combattre ; et toute sa ressource ne consistait qu’en deux capitaines, braves et habiles à la vérité; mais Boniface était rebelle, et Aétius songeait bien plus à détruire son rivai qu’à sauver l’empire. Les autres commandants, dispersés sur les frontières, avoient si peu de mérite, que l’histoire n’a pas même daigné en recueillir les noms. On sait cependant celui de Cassius, qui commandait dans la Gaule narbonnaise, pour la défendre contre les Visigoths; mais il n’est connu que par le service qu’il rendit à la ville d’Arles en contribuant à élever S. Hilaire sur le siège épiscopal.

Les peuples de Galice, abandonnés par les Romains, se défendaient contre les Suèves avec un courage opiniâtre. Cantonnés dans les forts et dans les châteaux de leurs montagnes, ils ne cessaient de courir sur les barbares. Ils en enlevaient un si grand nombre, qu’Herménéric se vit obligé de consentir à l’échange des prisonniers, et de leur accorder la paix. Elle fut bientôt rompue par les Suèves, accoutumés au pillage. Idace, évêque de Chiaves, alors ville épiscopale comprise dans la Galice sous le nom d'Aquœ Flaviae, passa en Gaule pour implorer le secours d’Aétius qui faisait la guerre aux François. En même temps Théodoric, roi des Visigoths, désirant d’étendre sa domination en Espagne, et voulant profiter de ses troubles, députa Vetton aux peuples de Galice pour leur offrir sa protection. Ils la jugèrent aussi dangereuse que les hostilités des Suèves, et s’excusèrent de l’accepter. Aétius ne crut pas devoir engager l’empire dans une nouvelle guerre; il prit le parti de négocier avec les Suèves, et leur envoya, avec Idace, le comte Censorius, qui fut bien reçu d’Herménéric. Ce prince consentit à un traité de paix, dont les évêques furent médiateurs. On lui donna des otages; et comme les Espagnols se reconnaissaient encore sujets de l'empire, on députa l’évêque Symphose pour obtenir la ratification de l’empereur. Sur quelque difficulté que fit la cour de Ravenne, Herménéric recommença les ravages; mais Censorius, député de nouveau avec Frétimond, renoua la négociation. Une longue maladie qui affaiblissait le roi des Suèves, contribua sans doute à la faire réussir, et détermina Herménéric à céder la couronne à son fils, nommé Réchila. J’ai conduit l’histoire des Suèves jusqu’à l’année 438. Herménéric avait régné vingt-huit ans depuis son entrée en Espagne. Il mourut en 441, après sept ans de maladie.

Quoique les Vandales fussent déjà possesseurs de la Mauritanie, et que Boniface, à la tête des troupes dont el était chéri, eût levé l’étendard de la révolte, cependant la Numidie et la Proconsulaire obéissaient encore à l’empereur. Mais, tandis que ces provinces étaient attaquées au-dehors, elles étaient désolées au-dedans par les commis chargés d’y recueillir les impôts. Le comte Bubulcus fut député à la cour pour obtenir du soulagement. La cour eut égard aux remontrances du comte; elle envoya des édits, dont la sagesse est toujours éludée par l’avidité des exacteurs, beaucoup plus ingénieux à perpétuer les abus que le gouvernement à les réformer. Comme ces vexations étaient communes dans tout l’empire, Placidie crut les arrêter par une constitution générale qui menaçait les coupables à l’avenir, sans punir les excès passés. Elle savait que les sujets ne demandent jamais plus de ménagement que dans les temps de trouble et d’alarme ; mais elle ignorait peut-être que ce sont ces temps-là même où les officiers corrompus, s’ils sont enhardis par l’impunité, profitent des besoins de l’état pour remplir les leurs, qui sont sans bornes.

Cette princesse ne pouvait concevoir que Boniface, qui lui avait donné tant de preuves d’attachement dans sa disgrâce, eût attendu qu’elle fût maîtresse de l’empire pour se déclarer son ennemi. Elle envoya en Afrique un officier de confiance afin de s’éclaircir avec lui et de le ramener à l’obéissance. Le comte Darius, choisi pour cette commission délicate, était un homme vertueux, éloquent, et ami de Boniface. Ce général, naturellement franc et ouvert, ne put tenir contre les reproches que lui faisait Darius; et, pour justifier sa conduite, il lui mit sous les yeux la lettre d’Aétius. Darius retourne aussitôt à Ravenne, et instruit Placidie de cette noire imposture. Elle en fut indignée; mais, dans la situation où se trouvaient les affaires, il était d’une extrême conséquence de ne pas alarmer Aétius. Elle tint donc secrète la triste découverte qu’elle venait de faire, et renvoya Darius avec ordre de jurer de sa part à Boniface qu’elle lui rendait toute sa bienveillance, et qu’elle ne lui demandait que ses bons offices pour réparer les maux qu’il avait attirés sur l’Afrique. Boniface, touché de repentir, employa tout son crédit auprès des Vandales pour les engager à retourner en Espagne. Il n’en put obtenir qu’une trêve de quelques mois, pour la sûreté de laquelle ils mirent entre les mains de Darius un de leurs officiers nommé Vérimode, qui était allié de Boniface.

Am. 43o.

Le terme de la trêve étant expiré, Genséric, qui regardait Boniface comme un perfide, depuis qu’il avait cessé de l’être, se déclara hautement son ennemi. Il lui signifia que le traité fait entre eux ne subsistait plus, se mit en marche à la tête de son armée. Jamais invasion ne fit couler tant de sang et ne couvrit la terre de tant de ruines. La cruauté naturelle aux Vandales était encore animée par le dépit de se croire méprisés, et par leur haine contre les catholiques. Aussi furieux ariens que guerriers barbares, ils étaient tous ensemble conquérants et persécuteurs, les deux plus terribles fléaux qui puissent affliger les hommes, et ils joignaient les tourments aux massacres. Leur fureur aveugle détruisit d’abord ce qu’ils prétendaient posséder ensuite, et ils commencèrent l’établissement de leur empire par faire un vaste désert. La plus riante contrée de l’univers et la plus fertile, peuplée de villes florissantes, enrichie d’une ancienne opulence, fut désolée par le fer, par le feu, par la famine. Au risque de périr eux-mêmes, ils n’épargnaient ni les moissons ni les arbres fruitiers, pour faire mourir de faim les malheureux qui s’étaient réfugiés dans les cavernes ou sur les montagnes. Ni le rang, ni la naissance, ni la faiblesse du sexe ou de l’âge, ne trouvaient grâce auprès de ces cœurs impitoyables. Ils chargeaient de fardeaux les femmes et les personnes les plus illustres, et les faisaient avancer à coups d’aiguillons. Arrachant les enfants des bras de leurs mères, ils les écrasaient contre les pierres, ou les déchiraient en les écartant par les pieds. Lorsque après avoir attaqué une forteresse, ils la jugeaient imprenable, ils assemblaient alentour une multitude de prisonniers, et les égorgeaient, afin que l’infection de leurs cadavres portât la mort chez les assiégés et les forçât à se rendre. Leur zèle inhumain pour l’arianisme fit une infinité de martyrs. On ne voyait par toute l’Afrique qu’évêques, prêtres, vierges consacrées à Dieu, familles entières, les uns privés d’une partie de leurs membres, les autres chargés de chaînes et atténués par la faim. Plus de chants dans les églises; les églises mêmes étaient pour la plupart réduites en cendres; plus de fêtes, plus de célébration du saint sacrifice. Les donatistes espérèrent en vain se mettre à couvert en favorisant les barbares dans la poursuite des orthodoxes; ils n’en furent pas mieux traités; on les massacrait sans distinction avec ceux qu’ils trahissaient.

Les auteurs chrétiens de ce temps-là s’accordent tous à regarder cette horrible désolation de l’Afrique comme le châtiment des crimes de ses habitants; et les Vandales disaient eux-mêmes que ce n’était pas de leur propre mouvement qu’ils soient de tant de rigueur, mais qu’ils sentaient une force intérieure qui les y poussoir comme malgré eux. En effet, s’il est permis aux hommes d’interpréter les jugements de Dieu, jamais barbares ne portèrent plus sensiblement le caractère de ministres de la vengeance divine. L’Afrique était, de toute la terre, le pays le plus corrompu par l’assemblage de tous les vices. Les Africains avoient été de tout temps décriés pour l’impudicité; ils y joignaient alors l’effronterie la plus outrée. Au milieu de Carthage et des grandes villes, sous les yeux même des magistrats, on voyait des jeunes hommes se promener par les rues avec des coiffures et des parures de femmes, pour annoncer qu’ils faisaient profession publique de la plus monstrueuse infamie. Des excès si contraires à la nature étaient une suite de l’aveuglement produit par tous les autres crimes. Aussi rien n’était si commun parmi les Africains que l’ivrognerie, la mauvaise foi, le meurtre, l’impiété et le blasphème. Endormis profondément dans le sein de la débauche , les plus terribles éclats de la colère divine ne purent qu’à peine les réveiller de cette funeste léthargie. Dans le temps que les barbares mettaient tout à feu et à sang dans les campagnes, la licence régnait dans les villes, et les spectacles du Cirque n’étaient pas même interrompus. Il fallut que les Vandales les réduisissent en esclavage pour réformer leurs mœurs. Ces barbares étaient chastes lorsqu’ils arrivèrent en Afrique; c’est un témoignage que leur rendent les écrivains qui leur sont d’ailleurs le moins favorables. Ils avoient horreur des crimes qui attaquent la pudeur. Ils défendirent sous peine de mort les prostitutions; ils fermèrent les lieux de débauche, et proscrivirent les courtisanes, ou les forcèrent à se marier.

Genséric avait abandonné la Mauritanie pour se jeter dans la Numidie et dans la Proconsulaire, provinces beaucoup plus riches et plus peuplées. Il s’y empara de toutes les villes, excepté de Cirthe, d’Hippone et de Carthage. Boniface, avec des forces trop inférieures, hasarda une bataille; il fut défait, et contraint de se S. Augustin, renfermer dans Hippone. Le vainqueur vint l’y assiéger à la fin de mai ou au commencement de juin. C’était une des principales villes de la Numidie, située au bord de la mer, célèbre depuis plusieurs siècles, et qui l’est devenue beaucoup plus par l’éclat immortel que saint Augustin , pour lors son évêque, a répandu dans tout le monde chrétien. Ce saint prélat, accablé des infirmités de la vieillesse, mais soutenu par la charité dont il était embrasé, faisait plus pour son peuple que les guerriers qui défendaient les murailles. Au milieu de ces mortelles alarmes, il fortifiait les cœurs abattus, il leur apprenait à tirer avantage des maux de ce monde, il leur montrait une patrie où le fer des Vandales ne pouvait atteindre. Nous avons encore son dernier sermon, où respire une compassion vraiment paternelle, jointe à une constance évangélique. Pendant les trois premiers mois du siège, il ne cessa de prendre soin des pauvres, de prêcher, de prier, de veiller pour son troupeau. Enfin, succombant à tant de travaux, il tomba malade, et mourut le vingt-huitième d’août, âgé de soixante et seize ans ; génie pénétrant, fécond, étendu, choisi de Dieu pour terrasser les ennemis de son Eglise, et pour défendre la toute-puissance de la grâce divine qui triomphe dans ses écrits. Le siège d’Hippone continua jusqu’au mois d’août de l’année suivante. Quoique les Vandales eussent fermé le port, ils ne purent ni prendre la ville, ni la forcer à se rendre; pressés eux-mêmes de la famine, ils furent obligés de lever le siège, qui avait duré quatorze mois.

Tandis que Boniface était assiégé dans Hippone, son rival Aétius se rendait à la fois redoutable et nécessaire à Placidie. Aussi hardi à se défaire de ses propres ennemis qu’à repousser ceux de l’empire, il souleva soldats à Ravenne, et fit massacrer Félix, sa femme Padusie, et un diacre nommé Grunnite, qui tramaient une intrigue pour le perdre. Aétius avait été nommé l’année précédente général des armées romaines à la   place de Félix; et quoique celui-ci eût reçu en même temps le titre de patrice, il ne put pardonner à son ancien ami la préférence qu’on lui donnait pour le commandement des troupes. C’est ainsi qu’après s’être intimement unis pour détruire Boniface, la même ambition les arma l’un contre l’autre. Félix avait été consul en 428. Il nous reste une inscription au sujet d’un présent qu’il avait fait à l’église de Saint-Jean-de-Latran, de concert avec sa femme Padusie. Aétius effaça bientôt ce forfait par des succès éclatants. Une troupe de Visigoths étant venus ravager les environs de la ville d’Arles, il les tailla en pièces, et fit prisonnier Anaulfe leur chef. De là il se transporta en Rhétie, et défit les Juthonges qui ravageaient ce pays. Les Noriques et les Vindéliciens s’étant révoltés pour se joindre aux Juthonges, il les battit, et les fit rentrer dans le devoir. Avitus, qui fut depuis empereur, l’accompagna dans toutes ces expéditions; il y donna des preuves de son courage; et Sidoine, qui le flatte peut-être, dit qu’Aétius ne fit rien sans lui, et qu’il fit beaucoup sans Aétius. Celui-ci fut, pendant une grande partie des deux années suivantes, occupé dans la Gaule à combattre les François, qu’il vainquit. Il leur accorda la paix, qui ne fut pas de longue durée. Ce fut pendant cette guerre qu’Aétius traita pour la Galice avec les Suèves, ainsi que je l’ai raconté.

On reçut cette année la nouvelle d’une victoire beau­coup plus surprenante que toutes celles d’Aétius. Le pélagianisme faisant des progrès dans la Grande-Bretagne, patrie de Pélage et de Célestius, le pape Célestin y a voit envoyé Germain, évêque d’Auxerre, et Loup, évêque de Troyes. Ces deux prélats, soutenus de cette même grâce dont ils défendaient la cause, confondirent l’hérésie. Comme ils se disposaient au retour, les Bretons implorèrent leur secours contre une autre sorte d’ennemis que ces saints évêques n’avoient pas commission de combattre. Depuis que les Romains avoient renoncé à la défense de la Grande-Bretagne, les Saxons, joints aux Pictes, ne cessaient de désoler le pays. Une nombreuse armée de ces deux nations s’avançait alors pour écraser celle des Bretons, qui n’était pas en état de leur résister. C’était le temps du carême. Les deux évêques se rendirent au camp, baptisèrent un grand nombre de soldats, et relevèrent leur courage par la confiance qu’ils leur inspirèrent dans le secours du ciel. On célébra la fête de Pâques en pleine campagne, et l’on marcha aux ennemis. Germain, qui avait dans sa jeunesse pratiqué le métier de la guerre, fit l’office dé général; il alla reconnaitre le pays à la tête d’une troupe légère; et, ayant remarqué un vallon qui se trouvait sur le passage, il y cacha une embuscade, et attendit les Saxons de pied ferme. A l’approche de l’armée ennemie, il donna le signal; c’était l’alléluia, dont il était convenu pour cri de guerre. Ce cri, répété par les Bretons, et redoublé par les échos des montagnes, porta l’épouvante dans le cœur des Saxons et des Pictes. Ceux-ci se crurent enveloppés d’une multitude innombrable; en même temps les troupes de l’embuscade fondirent sur eux: ils prirent la fuite, jetèrent leurs armes, et, emportés par une aveugle terreur, la plupart se précipitèrent dans le fleuve voisin. Il n’en coûta pas aux Bretons une goutte de sang. Les deux prélats, vainqueurs des pélagiens et des barbares, retournèrent en Gaule, après avoir rétabli la tranquillité dans l’église et dans la nation.

L’année suivante les Vandales ayant levé le siège d’Hippone, Boniface reçut un secours d’Orient. Théodose, voyant avec douleur les progrès des barbares en Afrique, y envoya un grand corps de troupes sous la conduite d’Aspar, fils d’Ardabure. Les deux généraux réunis livrèrent bataille à Genséric , qui les défit entièrement. Aspar se rembarqua, et Boniface ne put empêcher le vainqueur de retourner à Hippone, dont les habitants, épouvantés de la défaite de l’armée romaine, avoient abandonné la ville. Les Vandales y mirent le feu, en sorte qu’il ne restait plus à l’empire que Cirthe et Carthage. Genséric, ayant fait dans cette bataille un grand nombre de prisonniers, donna ordre de les assembler devant lui, afin de s’informer par lui-même de la qualité de chacun d’eux. Ils se rendirent à la porte de sa tente; et comme la chaleur était excessive, la plupart, manquant de forces, s’assirent dans la plaine, attendant leur rang pour comparaitre devant le prince. Genséric en remarqua un qui, s’étant étendu sur la terre, dormit tranquillement tandis qu’un aigle arrêté au-dessus de lui tenait ses ailes déployées, comme pour le défendre des ardeurs du soleil. Ce prince, avec de grandes qualités, n’était pas exempt de superstition; il croyait aux présages. Il fait venir ce prisonnier; et, l’ayant interrogé, il apprend qu’il se nomme Marcien, et qu’il est secrétaire d’Aspar et capitaine de ses gardes. Persuadé que cet augure était pour Marcien le pronostic infaillible d’une haute fortune, il lui donne la liberté, et lui permet de retourner à Constantinople, après lui avoir fait jurer que, s’il est un jour le maître de disposer des troupes romaines, il ne les emploiera jamais contre les Vandales. L’événement se trouva conforme au présage, et nous verrons que Marcien, devenu empereur, garda fidèlement sa parole. Il est rare qu’une fortune aussi extraordinaire que celle de Marcien ne soit pas annoncée dans l’histoire par quelque événement merveilleux, dont il est toujours permis de douter.

L’entreprise glorieuse que Théodose semblait avoir. formée de délivrer l’Afrique n’eut point alors d’autres suites. Ce prince avait trop d’occupations dans ses propres états. Constantinople était affligée de la famine; et l’empereur, étant sorti de son palais pour aller en personne visiter les greniers publics, eut occasion d’apprendre que la faim ne reconnait plus de lois ni de maître. Il courut risque de la vie, une troupe de désespérés ayant porté l’audace jusqu’à lui jeter des pierres. Il arriva dans le même temps un autre désordre, qui mit toute la ville en alarme. Des esclaves barbares, maltraités par un maître dur et impitoyable, prirent les armes; et, s’étant réfugiés dans la grande église, s’emparèrent du sanctuaire. Malgré les remontrances et les prières des prêtres, ils s’y maintinrent pendant plusieurs jours, empêchant le service divin, et menaçant d’ôter la vie à quiconque approcherait d’eux. Ce que deux ecclésiastiques ayant osé faire, ils massacrèrent l’un, blessèrent l’autre, et tentèrent de mettre le feu à l’église. Enfin, pour éviter de mourir de faim ou d’expirer dans les supplices, ils se tuèrent tous au pied de l’autel. Un événement si tragique donna occasion à un édit au sujet des asiles. L’empereur ordonna que non-seulement l’intérieur des églises, mais aussi toute l’enceinte d’alentour, qui renfermait des logements, des jardins, des bains, des portiques, servirait de refuge, et que les fugitifs y seraient en sûreté. Il leur fut défendu de prendre leur repas ou de passer la nuit dans l’église même, comme aussi de porter des armes. S’ils contrevenaient à cette défense, les clercs, par l’autorité de l’évêque, dévoient les désarmer: s’ils résistaient, on devait employer la force du bras séculier pour les arracher de l’asile, après en avoir obtenu la permission de l’évêque et des magistrats chargés de les punir. Le détail de cet édit nous instruit de plusieurs usages, qui font honneur à la religion des empereurs. Lorsqu’ils entraient dans l’église, ils laissaient leurs gardes en dehors et quittaient le diadème. Ils n’approchaient de l’autel que pour y porter leur offrande, et se retiraient ensuite dans la nef avec le peuple, selon la leçon que saint Ambroise en avait faite au grand Théodose. L’année d’après, Théodose confirma la loi précédente en ordonnant que, si un esclave se réfugiait sans armes dans une église, on en avertirait son maître dans l’espace d’un jour, et que le maître pardonnerait à l’esclave par respect pour le lieu saint ; mais que, si l’esclave était armé, on l’en tirerait par force; et que, s’il se faisait tuer en résistant, le maître ne serait point responsable de sa mort. Les clercs qui seraient convaincus d’avoir favorisé le coupable dévoient être dégradés par l’évêque, et remis entre les mains des juges séculiers, pour être punis selon la sévérité des lois.

Mais l’objet qui attirait alors la principale attention de Théodose, et qui consumait toute son activité, était le concile assemblé à Ephèse pour examiner la doctrine de Nestorius. Cette affaire est une de celles dont les suies ont été plus fâcheuses et plus durables: elles ne sont pas même aujourd’hui entièrement éteintes, et le nestorianisme respire encore dans plusieurs contrées de la terre. C’est aux annales de l’Eglise à faire connaitre en détail le venin de cette hérésie, et tous les événements de ce combat célèbre où la vérité et l’erreur luttèrent avec tant de force et de chaleur dans la ville d’Ephèse. L’histoire de l’empire n’en doit parler qu’autant que la puissance séculière prit part à la querelle, et elle n’y en prit que trop: les intrigues de cour favorisèrent l’erreur, et retardèrent la victoire de la vérité. Pour faire entendre ce que je dois exposer le plus succinctement qu’il sera possible, il est nécessaire de remonter jusqu’au commencement de l’épiscopat de Nestorius, et de tracer une idée de son caractère. Après la mort de Sisinnius, évêque de la ville impériale, et successeur d’Atticus, Nestorius fut mis en sa place le dixième d’avril 428. Il était né à Germanicie, ville située à l’orient du mont Amanus, dans la partie de la Syrie nommée alors l’Euphratésie, auparavant la Comagène. Ayant été élevé dans le monastère de Saint-Euprépius, à deux stades d’Antioche, il fut ordonné prêtre, et se fit une grande réputation de piété et d’éloquence. Mais il n’avait de ces deux qualités que ce qu’il en faut pour éblouir : une voix sonore, un extérieur avantageux, plus de facilité que de bon sens, un discours rapide, fleuri, chargé d’embellissements étrangers, mais qui n’avait rien de solide ni de naturel, lui attirèrent une foule d’auditeurs et des applaudissements aussi frivoles que leur objet. Une extrême présomption lui tenait lieu de savoir, expliquant tout, décidant de tout, sans faire aucun compte de ce qu’on avait pensé avant lui. Sa piété n’était pas moins superficielle; il cherchait beaucoup plus à paraitre vertueux qu’à l’être en effet; des habits simples et grossiers, une contenance aussi étudiée que ses regards et ses discours, un visage mortifié; tout annonçait en lui la pénitence, tandis que dans le secret il ne se refusait aucune des commodités de la vie. Cette hypocrisie lui gagna beaucoup de partisans ; elle l’éleva sur le siège de Constantinople ; de grands prélats s’y laissèrent tromper, et Théodose crut avoir trouvé un second Chrysostôme.

Nestorius voulut en effet en soutenir le personnage par une affectation de zèle, mais qui n’était ni pur dans l’intention, ni conduit par la prudence. Le jour même de son installation, dans un sermon qu’il prononça devant Théodose, adressant la parole à l’empereur: Prince, lui dit-il, donnez-moi la terre purgée d'hérétiques, et je vous donnerai le ciel; prêtez-moi votre bras pour exterminer l'hérésie, et je vous aiderai à vaincre les Perses. Ce ton de persécuteur et de dépositaire des grâces du ciel dans un homme encore inconnu déplut aux catholiques sensés et modérés, qui découvraient dans ses paroles moins d’amour pour la vérité que de légèreté, d’emportement et de vanité. Ses actions ne furent pas moins téméraires. Cinq jours après il fit, de sa propre autorité, abattre un édifice où les ariens s’assemblaient secrètement pour faire leurs prières. Celte violence les jeta dans un tel désespoir, qu’ils accoururent eux-mêmes, et mirent le feu à leur oratoire. L’incendie, s’étant communiqué aux maisons voisines, répandit l’alarme par toute la ville; ce qui fit donner à Nestorius, même par les orthodoxes, le nom d’Incendiaire. Le nouveau prélat ne ménageait rien. Au risque de troubler l’état, il déclara à toutes les sectes une guerre à outrance, et les poursuivit par des décrets fulminants, dans l’Asie, dans la Lydie, dans la Carie. Il s’éleva à ce sujet de sanglantes séditions à Milet et à Sardes; et il fallut toute l’autorité de l’empereur pour arrêter cette dangereuse activité.

Ce n’est pas que ce prélat ne donnât quelquefois de bons avis. On lui fait honneur de quelques lois utiles que publia Théodose. II se trouvait des pères assez dénaturés, des maîtres assez avares pour prostituer, ceux-là leurs filles, ceux-ci leurs esclaves. Théodose permît à ces malheureuses victimes d’implorer le secours des évêques et des magistrats pour s’affranchir de ce joug honteux: il déclara les coupables privés de tout pouvoir sur elles, ci ordonna qu’ils fussent proscrits et condamnés aux mines. Cette loi, datée du 21 d’avril, est adressée à Florence, préfet du prétoire, qui, onze ans après, donna un exemple éclatant de son zélé pour la pureté des mœurs. Le fisc profitait des désordres publics, et la prostitution était devenue une branche de commerce qui payait à l’état une redevance annuelle. Florence, pour engager l’empereur à abolir cet usage sans que le trésor y perdît rien, fit présent au fisc d’une de ses terres, dont le revenu égalait le produit de cette infâme contribution. Théodose, dans une de ses lois, relève cette illustre générosité par de justes éloges, qu’il aurait mieux fait sans doute de mériter lui-même: et l’on peut dire qu’en cette rencontre Florence prit pour lui le rôle de l’empereur, et que l’empereur se contenta de celui de Florence. En conséquence, ceux qui se déshonoraient par ce criminel trafic furent condamnés à être fouettés publiquement et bannis du territoire de Constantinople.

On peut encore attribuer aux conseils de Nestorius la loi que Théodose fit afficher le 3o de mai suivant contre les hérétiques. Toutes les peines et les notes d’ignominie qui leur sont imposées par les lois précédentes se trouvent rappelées dans celle-ci. L’empereur y nomme tous les hérétiques alors connus, et il en distingue plusieurs classes. Il permet aux uns d’avoir des églises même dans les villes, pourvu qu’ils n’en bâtissent pas de nouvelles; il ne permet aux autres d’en avoir que dans les campagnes. Il y en a auxquels tout culte est interdit, en quelque lieu que ce soit. Les manichéens sont proscrits avec plus d’horreur que les autres; l’habitation des villes leur est défendue. Les Macédoniens étaient du nombre de ceux auxquels il était permis d’avoir des églises dans les campagnes; mais ils furent, peu de temps après, privés de cet effet de tolérance. Antoine, évêque de Germe dans l’Hellespont, les traitait avec une extrême rigueur, pour faire sa cour à Nestorius. Ils formèrent contre lui un complot criminel, et le firent assassiner. En punition de ce forfait, toutes leurs églises furent données aux catholiques. Mais ce ne fut pas sans doute Nestorius qui engagea Théodose à chasser les pélagiens de Constantinople. Il était favorable à ces hérétiques; et l’empereur suivit en ce point les avis de Marins Mercator, savant ecclésiastique, qui vivait alors à Constantinople, et qui, après avoir combattu Pélage, exerça son zèle contre Nestorius.

Ce prélat, le plus terrible fléau des hérétiques, devint bientôt hérétique lui-même. Dès la première année de son épiscopat, à la fête de Noël de l’an A28, il osa publiquement avancer dans son église que Marie n’était pas mère de Dieu. Il divisait la personne de Jésus-Christ, soutenant que le Verbe divin habitait seulement dans l’humanité comme dans son temple, et qu’il n'y avait point d’union personnelle entre les deux natures. Ces erreurs, enveloppées des subtilités d’une fausse dialectique, séduisirent un grand nombre de fidèles, et même plusieurs prélats, mais révoltèrent la plus saine partie de l’Eglise. Cyrille, évêque d’Alexandrie, aussi vif, mais plus instruit et plus ami de la vérité que Nestorius, fut l’athlète invincible que la Providence opposa à cet hérésiarque. Le pape Célestin, à la tête de toute l’Eglise d'Occident, se déclara hautement contre la nouvelle doctrine. L’Orient était partagé, et la cour même divisée en deux factions contraires. Pulchérie, que Cyrille avait eu soin de prévenir contre l’erreur naissante, prit le parti de l’ancienne tradition : elle y engagea ses sœurs, et les nestoriens s’en vengèrent par les plus noires calomnies. Théodose, gouverné par ses eunuques, et séduit par Chrysorète, son grand-chambellan, qui était dévoué à Nestorius, fut trop longtemps favorable à ce prélat imposteur: sans approuver l’erreur qu’on lui déguisait, il en protégeait l’auteur, et refusait d’écouter les plaintes qu’on lui portait sur les procédés violents et tyranniques de cet homme superbe. Il fut même irrité de ce que Cyrille avait écrit séparément à lui et à sa sœur Pulchérie. On lui fit entendre que l’évêque d’Alexandrie cherchait à semer la discorde dans la maison impériale, et ces rapports calomnieux attirèrent à Cyrille une lettre pleine de reproches. Enfin, pour terminer cette grande querelle, l’empereur, également sollicité par les deux partis, qui tous deux espéraient la victoire, l’un par son crédit, l’autre par la force de la vérité, convoqua un concile général à Ephèse. Cette ville fut choisie comme très propre, par sa situation et par son grand commerce, à recevoir et à entretenir commodément les prélats qui pourraient y arriver par terre et par mer. L’édit de convocation, daté du 19 novembre 43o, porte le nom des deux empereurs, et est adressé à tous les évêques du monde. Les métropolitains, avec ceux de leurs suffragants qu’ils voudraient choisir, eurent ordre de se rendre à Ephèse pour le jour de la Pentecôte de l’année suivante.

Le concile commença le 22 de juin. Il s’y trouva environ deux cents évêques de l’Orient, de l’Egypte et de la Macédoine. Le déplorable état où l’Afrique gémissait retint les évêques de cette province; mais Capréolus, évêque de Carthage, écrivit en leur nom une lettre d’excuses, par laquelle il s’unissait à Cyrille. Le pape Célestin y envoya trois légats pour y assister en son nom et au nom des évêques d’Occident. Cyrille y présida et comme vicaire du saint siège, et comme évêque d’Alexandrie. Il fut l’âme de cette sainte assemblée, et l’objet principal de la haine de Nestorius et de ses partisans. Candidien, comte des domestiques, fut chargé d’y maintenir l’ordre et la paix; commission dont il s’acquitta fort mal en troublant toute la ville d’Ephèse par une partialité déclarée en faveur de Nestorius. Ce prélat hautain et opiniâtre vint à Ephèse avec un nombreux cortège, bien résolu de n’épargner ni fraude ni violence pour triompher de ses adversaires. Sommé juridiquement de comparaitre devant les évêques assemblés, il refusa de reconnaitre leur autorité. Il fallut examiner sa doctrine dans ses écrits en son absence, et il fut, dès la première session, condamné, chargé d’anathèmes, excommunié, et déclaré déchu de l’épiscopat. En vain les prélats écrivirent à Théodose pour lui rendre compte de leur décision; Candidien interceptait leurs lettres; et, de concert avec l’hérésiarque, il prévint tellement Théodose par de fausses relations, que ce prince manda aux évêques qu’il était fort mécontent de leur procédé, et qu’il n’y aurait aucun égard. Les réponses et les députés du concile ne pourvoient parvenir à l’empereur; on leur fermait toutes les entrées; et la vérité aurait succombé, si ce n’était son privilège de forcer enfin les plus puissants obstacles, et de surmonter toutes les cabales formées contre elle. Jean, évêque d’Antioche, n’étant arrivé à Ephèse qu’après l’ouverture du concile et la condamnation de Nestorius, refusa de venir à l’assemblée: il en forma lui-même une autre, composée de quarante-trois évêques, les uns partisans de l’hérésie, les autres trompés par Nestorius, qu’ils croyaient injustement persécuté. Ils tinrent leurs séances dans une hôtellerie; et, tandis que le vrai concile, attentif à ne jamais s’écarter des formes régulières, lançait les foudres de l’Eglise contre Jean et ses adhérons, le conciliabule, sans observer ni règle ni forme, prononçait contre Cyrille et contre Memnon, évêque d’Ephèse, la sentence de déposition. D’un côté l’autorité légitime, de l’autre l’emportement et la violence détruisaient toutes les décisions du parti contraire. On écrivit de part et d’autre à l’empereur: les lettres des schismatiques arrivaient seules jusqu’à lui; ils étaient appuyés du crédit des eunuques. Le comte Irénée, ami de Nestorius, fit publier dans l’église de Constantinople l’excommunication portée contre Cyrille; mais, les députés de l’évêque d’Alexandrie étant survenus, la cour se divisa en deux partis. L’empereur commençait à craindre que sa religion n’eût été surprise : il prit le parti d’envoyer sur les lieux un officier principal pour agir en son nom, et rétablir le bon ordre. Dans cette vue, il ordonna que Cyrille, Memnon et Nestorius demeurassent déposés, et que les autres évêques se réunissent en un seul corps. Jean, intendant des finances, fut choisi pour exécuter cette réunion. Il fit arrêter les trois évêques; mais il ne put engager les orthodoxes à communiquer avec Jean d’Antioche. Aussi partial que Candidien, il continua d’en imposer à Théodose. Enfin le vrai concile, bien informé que toutes les instructions et toutes les plaintes qu’il envoyait à l’empereur étaient interceptées, dépêcha un homme de confiance, déguisé en mendiant, et le chargea de lettres qu’il porta enfermées dans un bâton creux. Elles étaient adressées aux évêques, au clergé, aux abbés, et en particulier à Dalmace, qui, n’étant point sorti de son monastère depuis quarante-huit ans, était cependant très connu par la sainteté de sa vie. Il avait le titre d’archimandrite, c’est-à-dire chef de tous les monastères de Constantinople. Ces lettres mirent toute la ville en mouvement. Le clergé fit à l’empereur de respectueuses remontrances. Les moines sortirent de leurs monastères; et, marchant en procession en chantant des hymnes à la suite de leurs abbés, Dalmace à la tête de tous, ils vinrent au palais, suivis d’une foule de peuple. L’empereur fit entrer les abbés, qui lui remirent entre les mains la lettre du concile. Il ouvrît alors les yeux, et se rendit aux avis de sa sœur, qui l’aida à démêler la vérité obscurcie par tant d’impostures. Il permit aux évêques des deux partis de lui députer pour plaider leur cause devant lui. En même temps il envoya ordre à Nestorius de sortir d’Ephèse, lui permettant de se retirer où il voudrait, pourvu qu’il ne revînt jamais à Constantinople. Chaque parti nomma huit députés, qui reçurent ordre d’attendre l’empereur à Chalcédoine, de crainte que leur arrivée à Constantinople n’allumât le feu de la discorde. Théodose les écouta favorablement dans cinq audiences; mais, ne pouvant réunir des esprits si divisés, il les congédia, laissant subsister la condamnation de Nestorius, et tout ce qui a voit été décidé dans le concile, sans rien prononcer cependant contre Jean d’Antioche et ses partisans. Il ordonna que Cyrille et Memnon fussent élargis, et que chaque évêque se rendît au plus tôt dans son diocèse. En retournant à Constantinople, il y conduisit les députés du vrai concile, pour y ordonner un évêque: on choisit pour cette place éminente un saint prêtre nommé Maximien. Ce fut ainsi qu’après cinq mois des plus violentes agitations, se termina ce concile, regardé comme le troisième concile œcuménique, parce que tout l’Occident y prit part dans la personne des députés du pape Célestin, et que ses décisions furent reçues de toute l’Eglise.

Ce consentement universel de l’Occident ne put ramener Jean d’Antioche, ni les prélats de son parti, le plus célèbre était Théodoret, évêque de Cyr, renommé par la sainteté de sa vie, par son éloquence et par ses savants écrits. Ils demeurèrent longtemps persuadés de l’innocence de Nestorius. L’empereur n’épargna aucun soin pour procurer une union si désirable, li écrivît au fameux solitaire Siméon Stylite pour le prier d’obtenir de Dieu la paix de l’Eglise. Il chargea le secrétaire d’état Aristolaus et le comte Denys, général des troupes d’Orient, de s’employer avec ardeur à la réconciliation. Enfin, après deux ans de négociations, la concorde fut rétablie. Jean se réunit de bonne foi avec Cyrille; il anathématisa Nestorius, et se déclara contre l’hérésie, qu’il n’avait jamais approuvée, mais qu’il avait refusé d’apercevoir dans ceux qui en étaient infectés. Théodoret revint peu à peu au même parti. Les prélats opiniâtres furent déposés. Pour achever de proscrire le Nestorianisme, l’empereur fit publier, le troisième d’août 435, une loi semblable à celle que Constantin avait faite autrefois contre les ariens. Il ordonna qu’on éviterait même de prononcer leur nom, et qu’on leur donneront celui de simoniens, c’est-à-dire, de sectateurs de Simon le magicien, cet insigne imposteur. Il défendit de copier, de lire, de garder aucun de leurs livres, qui seraient tous recherchés et brûlés publiquement, comme aussi de leur donner retraite pour tenir aucune assemblée, sous peine de confiscation de tous les biens. Quatorze ans après, cette loi fut renouvelée par une autre encore plus rigoureuse, qui prononçait peine de mort contre les réfractaires: celle-ci ordonnait de plus que les évêques et les clercs attachés aux erreurs de Nestorius fussent chassés des églises, et les laïcs frappés d’anathème : elle permettait à quelque personne que ce fût de les accuser; elle défendit de rien enseigner, ni même de rien dire qui fût contraire aux décrets de Nicée et d’Ephèse. Le comte Irénée, qui, pendant le concile avait servi Nestorius de tout son pouvoir, ayant été depuis ce temps-là élu évêque de Tyr, quoiqu’il fût veuf de deux femmes, l’empereur déclara son ordination nulle et illégitime : il lui enjoignit de se retirer dans sa patrie, avec défense d’en sortir, et d’y répandre ses erreurs. L’hérésiarque, qui s’était d’abord retiré dans son ancien monastère, aux portes d’Antioche, continuant d’y dogmatiser, fut exilé dans l’Oasis. Les Blemmyes, ayant fait une irruption dans ce pays, l’emmenèrent prisonnier, et lui donnèrent ensuite la liberté. Il vint à Panopolis, en Thébaïde, d’où le gouverneur de la province le relégua sur la frontière , dans la ville d’Eléphantine. On le ramena quelque temps après à Panopolis pour le reléguer encore. Ainsi, chassé sans cesse, sans cesse rappelé, changeant à tout moment d’exil, vil rebut de toutes les contrées qui détestaient ses blasphèmes, accablé de maux et de fatigues, mais toujours obstiné, il mourut dans l’impénitence. Son hérésie ne fut pas éteinte par son éloignement, ni même par sa mort. Maximien , n’ayant vécu que deux ans et demi sur le siège de Constantinople, les partisans de Nestorius, qui était encore dans son monastère d’Antioche , demandaient avec de grands cris qu’on le rappelât, et menaçaient de mettre le feu à l’église et à la ville. Pour prévenir ces desseins pernicieux, Théodose, par le conseil de Taurus et de ses autres ministres, permit sans différer aux évêques qui se trouvaient pour lors à Constantinople de mettre Proclus sur le trône épiscopal. Dans une conjoncture si pressante, il crut pouvoir se dispenser des règles prescrites par les canons, d’autant plus que Proclus était universellement désiré à cause de son grand savoir et de sa vertu. Après la mort de Nestorius, ses sectateurs recherchaient ses reliques comme celles d’un martyr. Son apologie a été écrite en syriaque par plusieurs auteurs. Sa doctrine s’est étendue jusqu’aux extrémités de l’Orient. On voit, par le célèbre monument de pierre qui fut déterré en 1625 près de Signan-fu, dans le Chensi, province de la Chine, et dont l’autorité est appuyée sur des preuves incontestables, que le nestorianisme fut prêché dans ce royaume dès l’an 636 de Jésus-Christ; et qu’alors plusieurs prêtres nestoriens vinrent de Balk, ville du Korasan, près de l’Oxus, jusque dans la Chine, où le christianisme avait pénétré par les Indes dès le premier siècle de l’Eglise. Les livres syriens nous apprennent qu’au huitième siècle il y avait dans la Chine un métropolitain soumis au patriarche que les nestoriens avoient en Chaldée. Cette secte hérétique est détruite en ce pays : après s’y être altérée de plus en plus par un mélange d’idolâtrie indienne, elle a entièrement disparu. Mais elle subsiste plus ou moins corrompue dans l’Egypte, l’Arabie, la Chaldée, la Perse, les Indes et la Tartarie. Au seizième siècle, les nestoriens nominaient encore Nestorius dans le canon de la messe au nombre de ceux qu’ils révéraient comme les plus saints personnages. 

Une erreur subtile et métaphysique telle que celle de Nestorius devait s’introduire sans beaucoup de peine. Mais ce qui arriva vers ce temps-là dans l’île de Crète montre qu’une illusion, quelque grossière qu’elle soit, trouve toujours des têtes préparées à la recevoir, et que le plus insensé fanatisme peut devenir épidémique. Cette île était peuplée de Juifs. Un d’entre eux fut assez impudent pour publier qu’il était Moïse; que c’était lui qui a voit autrefois traversé la mer Rouge à la tête des tribus d’Israël, et que Dieu l’envoyait de nouveau pour conduire son peuple au travers de la mer dans la terre de promission. Il parcourut en une année toutes les villes de Crète, semant partout son imposture. Les Juifs, enivrés de ses magnifiques promesses, le suivaient en foule avec leurs femmes et leurs enfants, abandonnant leurs possessions. A mesure qu’il avançait, la troupe de ses sectateurs grossissait toujours, et l’illusion acquérait un plus grand crédit. Le jour fixé pour le départ, il les conduit à la pointe d’un promontoire, et leur ordonne de se précipiter avec une pleine confiance, que les abîmes vont s’ouvrir et leur laisser un chemin sec entre les eaux. On s’empresse; les plus dispos franchissent le saut les premiers, et périssent, les uns brisés par les rochers, les autres engloutis dans les flots. C’en était fait de tout ce peuple, s’il ne se fût trouvé en ce lieu des pêcheurs et des marchands chrétiens, qui retirèrent des eaux quelques-uns de ces misérables, et chassèrent les autres du rivage. Ceux qu’on a voit sauvés, étant enfin détrompés, désabusèrent leurs camarades. On chercha l‘imposteur, qui ne se trouva point; et, par une imagination moins dangereuse que la première, on se persuada que c’était un démon qui avait emprunté la figure humaine. Un grand nombre de ces Juifs quittèrent avec cette erreur celle de leur religion , et se convertirent au christianisme.

La religion ne courait aucun risque en Occident; mais la rivalité d’Aétius et de Boniface y causa de grands troubles. Boniface était revenu de l’Afrique, ayant laissé en sa place Trigétius pour s’opposer aux progrès de Genséric. Il fut bien reçu de Placidie, auprès de laquelle il était déjà justifié. Aétius était alors occupé en Gaule à réprimer les incursions des François. L’impératrice, qui le haïssait, mais qui le craignit encore davantage, n’avait osé lui ôter le commandement des troupes; et, dissimulant son ressentiment, elle l’avait même honoré du consulat de celte année 432. Lorsque Boniface fut arrivé, elle se crut assez forte pour abattre la puissance d’un sujet superbe, qui, outre la perte de l’Afrique, dont était cause sa perfidie, s’était encore rendu criminel en se rendant redoutable à son souverain. Pour le blesser par l’endroit le plus sensible, elle affecta de combler Boniface de faveurs: elle fit frapper des médailles où son nom était gravé au revers de la tête de l’empereur: elle lui conféra le titre de patrice, et le créa grand-maître de la milice, c’est-à-dire général des armées de l’empire: c’était dépouiller Aétius. Celui-ci n’eut pas plus tôt appris cette nouvelle, qu’il revint en Italie avec ses troupes. Boniface, à la tête de celles qui se trouvaient dans Ravenne, marcha au-devant de lui. Il se livra un combat, dans lequel Aétius fut vaincu, et Boniface blessé de la main de son rival. Il mourut de cette blessure au bout de trois mois.

Placidie, inconsolable de la perte de ce grand capitaine, fit passer tous ses titres et toutes ses charges sur la tête du comte Sébastien, son gendre. C’était un homme également habile pour le conseil et pour l’exécution , vaillant, laborieux, vigilant. Aétius s’était retiré sur une de ses terres, où il se tenait caché pour se dérober au ressentiment de l’impératrice. Mais, ayant été découvert, et sur le point d’être enlevé par un de ses ennemis, il se sauva d’abord à Rome , où, ne trouvant pas de sûreté, il passa en Dalmatie, et de là en Pannonie, pour implorer l’assistance des Huns, ses anciens amis, dont le roi, nommé Roua ou Ragula, lui donna quelques troupes. L’approche d’Aétius suivi de ces barbares, jeta l’alarme dans Ravenne. On envoya des députés à Théodoric, roi des Visigoths, pour lui demander du secours. Enfin la timide Placidie crut que le meilleur parti était de regagner Aétius. Elle traita donc avec lui, le rappela à la cour, lui rendit toutes ses dignités, y ajouta encore celle de patrice; et, dans ce faible gouvernement, un sujet coupable gagna plus par sa rébellion qu’il n’avait auparavant obtenu par ses services. Sébastien fut sacrifié; il lui fallut chercher asile à la cour de Constantinople. N’y trouvant que cette froide et stérile considération que donne une illustre infortune, il s’ennuya de n’être qu’un objet de compassion, et se mit à la tête d’une troupe de pirates qui infestaient l’Hellespont et la Propontide. Bientôt las de cette vie criminelle et misérable tout ensemble, il passa en Aquitaine, auprès de Théodoric, roi des Visigoths: il trouva moyen de s’emparer de Barcelonne; mais, en ayant été chassé peu de temps après, il se retira en Afrique, à dessein d’y servir Genséric, et de se venger de son injuste disgrâce. Ce prince venait alors de s’emparer de Carthage. Il se souvenait de l’inconstance de Boniface; et, craignant qu’à son exemple son gendre ne voulût, par une seconde trahison, racheter la faveur de Placidie en se rendant maître de cette ville, il résolut de s’en défaire, et se servit du prétexte de la religion. Un jour, en présence de toute sa cour : Je compte, dit-il à Sé­bastien, sur votre fidélité; mais, pour m’en assurer davantage, je souhaite que vous embrassiez notre religion, et que vous receviez le baptême de nos évêques. Sébastien se fit apporter un pain de la table du roi, et, le montrant à Genséric : Prince, lui dit-il, faites rompre ce pain en morceaux, faites le tremper, pétrir de nouveau et remettre au four. S’il en sort meilleur qu’il n’est maintenant, je ferai ce que désire votre majesté. Par cette réponse aussi ferme qu’ingénieuse, le roi, convaincu de sa résolution , prit le parti de le faire mourir. En 449, on trouve son nom dans un martyrologe. En effet, il exposa sa vie pour conserver sa foi, et ce sacrifice a pu expier les fautes de sa vie passée. Mais, selon la remarque de M. de Tillemont, il est toujours dangereux de se hâter de canoniser les grands.

Les incendies étaient fréquents à Constantinople. L’année 433 il y en eut un, le plus terrible que cette ville eût encore éprouvé depuis Constantin. Il commença le 17 d’août dans l’arsenal de la marine, et, pendant deux jours et deux nuits, il consuma toute la partie septentrionale de la ville. Les greniers publics, les bains d’Achille et tous les environs furent réduits en cendres. L’église des novatiens fut, dans ce quartier, le seul édifice qui résista aux flammes. Ces hérétiques en firent un miracle, qu’ils attribuèrent aux mérites et aux prières de leur évêque Paul; et, en mémoire de cet événement , ils instituèrent une fête annuelle , qui se célébrait le 17 du mois d’août.

Une loi du 15 décembre 434 nous apprend qu’en ce temps-là ceux qui s’engageaient dans la vie monastique y conservaient l’usage et la propriété a leurs biens. S’ils mouraient sans testament et sans rentiers légitimes, leur succession, selon le droit commun, était dévolue au fisc. Théodose renonça à ce droit de déshérence à l’égard des évêques, des autres ecclésiastiques, des religieux et religieuses. Il déclara qu’après leur mort les églises et les monastères seraient leurs héritiers, s’ils n’en avaient point laissé d’autres, et que leurs biens fussent libres de tout engagement.

On vit alors un de ces événements scandaleux que le silence étouffe dans les familles obscures, mais dont le bruit éclate dans les palais et retentit jusqu’à la postérité. Une princesse de seize ans, fille, sœur, nièce et cousine germaine d’empereurs, chassée de la cour de son frère, qu’elle avait déshonorée, arriva couverte de honte à Constantinople. Placidie, mère d’Honoria, ne croyait pas que sa fille pût prendre un mari sans avilir le nom d’Auguste dont elle était décorée; et peut-être ne lui avait-elle procuré ce titre que pour l’obliger à une virginité perpétuelle, de crainte de donner un rival à son fils Valentinien en lui donnant un beau-frère. Honoria paraissait peu disposée à se prêter à ces arrangements politiques: l’exemple de Pulchérie et de ses sœurs, qu’on lui citait sans cesse, la touchait moins que sa propre inclination. Elle en donna tant de soupçons, qu’on crut qu’il était nécessaire de la garder étroitement. Cette contrainte révolta sa vivacité naturelle; elle chercha tous les moyens de s’affranchir de cet esclavage: et, bien moins sensible au sort de l’empire qu’au sien propre, elle jeta les yeux sur Attila, qui venait de monter sur le trône. Elle entendit dire que c’était un prince qui ne respirait que la guerre et l’agrandissement de son empire. La férocité qu’on lui attribuait effrayait moins Honoria que la condition à laquelle elle se regardait comme condamnée; et elle voulut être elle-même une des conquêtes du roi des Huns. Dans cette résolution désespérée, elle trouva moyen de lui dépêcher un eunuque affidé pour lui déclarer qu’elle le choisissait pour époux, et qu’elle lui transmettait tous les droits que sa naissance lui donnait sur la succession du grand Théodose. En conséquence, elle l’invitait à venir au plus tôt en Italie, et elle lui envoyait un anneau pour gage de la foi conjugale. Mais elle ne se fit pas scrupule de violer cet engagement romanesque. Comme Attila tardait trop à son gré, elle s’abandonna à son intendant, nommé Eugène, et ce commerce secret éclata bientôt par des signes non équivoques. Placidie, irritée, la chassa du palais. Honoria, portant avec elle son ignominie, se réfugia auprès de Théodose; et la cour d’Orient, accoutumée à voir trois princesses chastes et vertueuses, la reçut en rougissant de sa honte. Nous verrons dans la suite quel avantage Attila sut tirer de ces avances.

La paix se maintenait en Orient, et ces années fournissent peu d’événements dans cette partie de l’empire. Nous allons rassembler en peu de mots ceux de l’année 435 et de la suivante. Théodose orna la ville de Constantinople d’une nouvelle place à laquelle il donna son nom. Le théâtre d’Alexandrie s’écroula tout à coup pendant que le peuple assistait à un spectacle, et cinq cent soixante et douze personnes furent écrasées sous les ruines. Les païens et les Juifs, irrités des lois sévères, dont j’ai déjà fait mention, se soulevèrent en Syrie, en Phénicie, en Palestine, en Arabie. A Laodicée de Syrie, les Juifs se saisirent de l’archidiacre, le traînèrent au théâtre, et l’y firent mourir dans les supplices. Ces excès furent arrêtés par le châtiment des plus coupables. L’empereur alla par mer à Cyzique, et, après un séjour de trois semaines, pendant lesquelles il combla cette ville de bienfaits, il revint à Constantinople. Il augmenta de cent dix boisseaux par jour la distribution gratuite de blé qui se faisait au peuple d’Alexandrie. Gigance, Cappadocien, gouverneur de l’Augustamnique, province d’Egypte, dont Péluse était la capitale, avait cruellement vexé les habitants en les accablant d’impositions excessives. Plusieurs d’entre eux avoient été obligés d’abandonner leurs biens et de s’exiler de leur patrie. L’empereur ordonna de mettre aux fers cet injuste magistrat; il lui fit faire son procès, et le punit par la confiscation de ses biens. Des moines turbulents voulaient exciter de nouveaux troubles en faisant condamner Théodore, évêque de Mopsueste, mort dans la communion de l’Eglise. Ce prélat avait été le maître de Nestorius; et l’on prétendait trouver dans ses écrits la source de l’hérésie proscrite à Ephèse. Théodose étouffa pour lors ces nouvelles semences de discorde, qui se ranimèrent dans la suite, et produisirent de longues et fâcheuses contestations.

L’Occident ne jouissait pas de la même tranquillité. Les Gaulois révoltés, les Francs, les Bourguignons, les Visigoths, donnaient un continuel exercice aux armes romaines. Ce fut un soulagement pour l’empire de n’avoir pas en même temps à combattre les Vandales. Trigétius, successeur de Boniface, fit la paix avec Genséric. Ce prince politique, ne se laissant pas éblouir de ses succès passés, crut devoir assurer ses conquêtes avant que d’y en ajouter de nouvelles. Il consentit à payer tous les ans un tribut, dont il savait bien qu’il s’affranchirait dès qu’il le jugerait à propos. A cette condition, l’empire lui cédait en propriété la Proconsulaire, à l’exception de Carthage, la Byzacène, et ce qu’il avait conquis de la Numidie. Genséric s’engagea par serment à ne rien entreprendre sur le reste de l’Afrique, dont les Romains demeureraient paisibles possesseurs. Pour sûreté de sa parole, il donna son fils Huneric en otage. Mais il sut si bien persuader la cour de Ravenne de sa sincérité, qu’on ne tarda pas à lui renvoyer son fils. Ce traité fut conclu le 11 février 435.

La Gaule, désolée par tant de ravages, était encore épuisée par ses magistrats. Leur avarice, plus destructive que l’épée des ennemis, força les habitants les plus distingués d’aller chercher auprès des barbares l’humanité qu’ils ne trouvaient plus chez les Romains. Les paysans, qui n’avoient de ressource que dans leur désespoir, prirent les armes, s'attroupèrent, et, sous le nom de Bagaudes, qui depuis le règne de Dioclétien était devenu commun à ces sortes de rebelles, ils se mirent à ravager les terres qu’ils avoient inutilement cultivées pour des maîtres ingrats et cruels. Un certain Tibaton se mit à leur tête; et l’esprit de révolte s’étant répandu dans tout le pays, depuis la Loire jusqu’au fond de la Belgique, les esclaves se soulevèrent et se joignirent aux séditieux. Ils s’emparaient des châteaux; ils en construisaient même dans les lieux avantageux pour leur servir de retraite; et l’on rapporte que Saint-Maur, auprès de Paris, fut autrefois appelé le château des Bagaudes. Il est aisé d’imaginer les excès auxquels se porta une multitude grossière que la misère avait rendue sauvage et féroce. Cette guerre dura deux ans. Enfin Tibaton fut pris et puni du dernier supplice. Les autres chefs de la faction furent les uns mis à mort, les autres condamnés à une prison perpétuelle. Ce feu mal éteint se ralluma encore neuf ans après dans la Gaule; mais il avait auparavant passé en Espagne, où il fit d’horribles ravages. En 441, Asture, général des troupes de l’empire, extermina un grand nombre de Bagaudes dans un combat près de Tarragone. Deux ans après, Mérobaude, son gendre et son successeur, les battit encore près d’Aracelle, aujourd’hui Huarte-Araquil, à six lieues de Pampelune, vers l’occident. Ce général fut, peu de temps après, rappelé à la cour par les intrigues de ses envieux. En 448, Basile, homme hardi et violent, se déclara leur chef, et fit la guerre aux troupes de Théodoric, qui avoient passé les Pyrénées pour détruire ces brigands. Après avoir battu les Visigoths, il les poursuivit jusque dans l’église de Tarazone, où ils s'étaient réfugiés, et les passa tous au fil de l’épée, avec Léon, évêque de cette ville. Il ravagea ensuite les environs de Saragosse. Cette même année les paysans, s’étant de nouveau soulevés dans la Gaule, un médecin nommé Eudoxe fut accusé d’avoir allumé cette sédition; et, pour éviter le châtiment, il se réfugia auprès d’Attila, qui faisait alors trembler les deux empires. Il est encore parlé de ces Bagaudes sous la troisième année du règne de Marcien. Frédéric, frère de Théodoric II, roi des Visigoths, faisant la guerre au nom de l’empire, les défit dans la province Tarraconaise.

Les Armoriques s’étaient en même temps soulevés, soit de concert avec les Bagaudes, soit qu’ils fissent la guerre séparément et en leur propre nom. Litorius, un des généraux de l’empire, et le plus puissant après Aétius, auquel il devait sa fortune, marcha contre eux avec une troupe de Huns auxiliaires. Majorien, qui devait être fort jeune dans celte expédition, y fit connaitre son courage. La guerre continua pendant l’hiver. Il y eut des combats sur les bords de la Seine, de la Loire, du Clain en Poitou, et de l’Allier. La ville de Tours fut attaquée et défendue. Enfin les rebelles furent soumis, ou du moins réprimés; car il parait qu’ils ne rentrèrent jamais dans une entière et parfaite obéissance aux lois de l’empire.

Nous remettons aux années suivantes à parler des incursions des Francs, qui ne purent encore se procurer un établissement durable. Mais le royaume des Bourguignons, fondé depuis vingt-trois ans, se vit dès ce temps-là près de sa ruine. Leur roi Gondicaire, qui portait le titre d’allié des Romains, s’ennuyant d’un trop long repos, porta le ravage dans la Belgique. Aétius accourut au secours de cette province avec une armée d’Hérules, de Huns, de Frans et de Sarmates. Il entretenait des liaisons avec tous ces barbares :c’était des ressources qu’il se ménageait par une artificieuse politique, pour se soutenir en cas de disgrâce, et pour être en état de faire la loi a son souverain. En attendant qu’il eût besoin de leur service, il les employait à celui de l’empire, dont ils étaient les ennemis naturels. Avitus servait dans cette armée. Gondicaire fut entièrement défait, et réduit à demander la paix, qui lui fut accordée.

Aétius ne se mit pas fort en peine d’assurer aux vaincus la jouissance de cette paix. Les Huns, qui faisaient partie de son armée, ayant été congédiés après la guerre, se jetèrent, peut-être à son instigation, dans le pays des Bourguignons, et leur tuèrent dans une bataille vingt mille hommes. Gondicaire fut du nombre des morts, avec presque toute sa famille. Les vainqueurs s’arrêtèrent dans un canton du pays, d’où ils ne cessaient de faire des courses, pillant les campagnes et massacrant les habitants. Contre ces cruels ennemis les Bourguignons n’implorèrent pas le secours d’Aétius, dont la sincérité devait leur être suspecte; ils eurent recours au dieu des Romains, dont la protection était plus assurée. Ceux d’entre eux qui n’avoient pas encore reçu le baptême, allèrent à Trêves, et, après un jeûne de sept jours, ils furent baptisés par saint Sévère, alors évêque de cette ville. Animés d’un nouveau courage, ils marchèrent au nombre de trois mille contre les Huns, dont l’armée était de dix mille hommes. La nuit précédente, Uptar, roi des Huns, était mort d’un excès de table. Les Huns, sans chef, surpris de cette attaque imprévue, furent taillés en pièces. Ceux qui échappèrent de la défaite abandonnèrent la contrée. Quelques auteurs croient que cet Uptar est le même qu’Octar, frère de Roua et de Mundiuque, dont le dernier fut père d’Attila. Gondicaire eut pour successeurs Gondiac et Chilperic, soit que ces deux princes aient partagé ses états, soit qu’ils aient régné conjointement et par indivis. Grégoire de Tours dit que Chilpéric établit son séjour à Genève. En effet, ce fut à peu près en ce temps-là qu’Aétius fit donner aux Bourguignons ce que nous nommons la Savoie, qui comprenait alors une grande partie de ce qu’on appelle aujourd’hui le Dauphiné.

Pendant cette guerre des Bourguignons, les Visigoths attaquaient la province narbonnaise. La paix conclue ans auparavant avec Théodoric n’avait pas fait perdre à ce prince le désir d’étendre ses états jusqu’au Rhône. Il avait déjà donné plusieurs atteintes au traite par des actes d’hostilité. Cette année 436, il en vint à une rupture ouverte. Après s’être emparé de plusieurs places, il mit le siège devant Narbonne. La ville, dépourvu de munitions, ne souffrit pas moins de la famine et de la peste que des attaques de l’ennemi. Litorius, qui venait de réduire les Armoriques, reçut ordre de courir au secours de Narbonne. Il y conduisit en diligence la cavalerie des Huns, dont il s’était servi dans son expédition. Ces barbares, accoutumés au brigandage, ne faisaient nulle distinction d’amis et d’ennemis: en traversant l’Auvergne, il la ravagèrent avec la férocité qui leur était naturelle. Avitus , déjà renommé pour sa valeur, s’était retiré à Clermont, sa patrie, après la victoire d’Aétius sur les Bourguignons, à laquelle il avait eu grande part. Il apprit qu’un de ses esclaves venait d’être tué par un cavalier barbare. Il prend aussitôt ses armes, monte à cheval, et s’étant fait passage à grands coups d’épée au travers de l’escadron des Huns, il va chercher le meurtrier, qu’on lui avait désigné. Il pouvait le tuer sur-le-champ, l’ayant pris au dépourvu; mais, pour faire respecter à ces barbares la valeur romaine, il lui ordonna de se mettre en défense et de prendre carrière. On s’écarte pour les voir combattre. Dès le premier choc, Avitus perce le barbare de part en part, et le renverse mort par terre. Il se joint ensuite à Litorius, et marche avec lui vers Narbonne. Les cavaliers, portant en croupe chacun deux boisseaux de blé, donnèrent sur les assiégeants avec tant de furie, qu’ils pénétrèrent dans la ville, et y établirent l’abondance. Avitus était estimé de Théodoric, qui avait tenté de l’attirer à son service. Après avoir rafraîchi la place, il en sortit pour conférer avec le roi des Visigoths, qu’il engagea à faire retraite plutôt que de s’obstiner à un siège dont il ne pourrait retirer que du déshonneur.  

 

LIVRE TRENTE-DEUXIÈME

THEODOSE II, VALENTINIEN III