HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST |
LIBRAIRIE FRANÇAISE |
FRENCH DOOR |
HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.
LIVRE TRENTE-UNIÈME.
THÉODOSE II, VALENTINIEN III.
An. 423.
Honorius, mourant sans postérité, laissait à Théodose un
droit légitime sur l’empire d’Occident. Lejeune Valentinien ne pouvait y
prétendre que du chef de sa mère Placidie. Mais cette princesse, étant née de Galla,
seconde femme du grand Théodose, ne venait à la succession impériale qu’après
les enfants de Flaccille, première femme de ce
prince. Théodose n’avait voulu reconnaitre le titre d’Auguste ni dans
Constance, ni dans Placidie, qui, retirée depuis peu à la cour d’Orient avec
son fils Valentinien, n’y était considérée que par sa qualité de tante
paternelle de l'empereur. Lorsque Théodose eut reçu la nouvelle de la mort de
son oncle, il la tint cachée pendant quelque temps, jusqu’à ce qu’il eût fait
les dispositions nécessaires pour s'assurer de l’Occident. Dans ce dessein, il
fit secrètement filer des troupes en Dalmatie du côté de Salone, espérant par
ce moyen prévenir les troubles auxquels son éloignement pouvait donner occasion.
L’ambition d’un homme, qui semblait être peu redoutable,
rompit toutes ces mesures. Jean, secrétaire d’état d’Honorius, appuyé de
Castin, général des troupes d’Occident, prit le titre d’empereur. Il avait été
employé dans les négociations avec Alaric, dont il était estimé; c’était
peut-être le même qui avait reçu du tyran Attale la charge de maître des
offices. On le représente comme un homme doux et affable, prudent, et aussi
vertueux que peut l’être un usurpateur, sourd à la calomnie, modéré, et qui ne
se permit aucune action de cruauté ni d’avarice. Dès les premiers jours de son
usurpation, il députa vers Théodose pour en obtenir la paix. Ses envoyés furent
arrêtés, jetés en prison, et ensuite relégués dans les lies de la Propontide.
Selon quelques auteurs, Théodose se contenta de les traiter avec mépris, et les
renvoya avec une réponse menaçante.
Ce procédé annonçait la guerre. Jean s’y
prépara en donnant la liberté aux esclaves pour en faire des soldats, et en appelant
les Huns à son secours. Il leur envoya pour cet effet Aétius, qui s’était
déclaré en sa faveur, et qu’il récompensa de la charge de maître du palais. Il
est temps de faire connaitre ce personnage célèbre, grand capitaine et rusé
politique, qui sauva l’empire et fit trembler l’empereur, un de ces génies puissants
et dangereux, que leur propre force détruit et que leur élévation précipite. Il
était né à Dorostore en Mœsie.
Son père, Gaudence, le plus distingué de la province de Scythie, ayant servi
avec réputation, parvint à la dignité de général de la cavalerie romaine, et à
celle de comte d’Afrique après la mort de Gildon. Il exécuta les ordres d’Honorius
pour la destruction des idoles de cette province; et quelque temps après il fut
tué en Gaule par des soldats mutinés. Son fils Aétius, né d'une mère italienne
très noble et très riche, fut élevé entre les gardes de l’empereur, et passa
trois ans auprès d’Alaric, auquel il avait été donné en otage. Dans cet état
d’inaction, son génie ardent et actif fit une profonde étude de la guerre, dont
le camp d’Alaric était alors la meilleure école. Le roi des Goths reconnut ses talents
: il le redemanda encore pour otage quelque temps après; mais Honorius le
refusa, et l’envoya en cette qualité chez les Huns. Aétius, fort semblable à
l’ancien Alcibiade, et propre à prendre toute sorte de caractères, se fit aimer
de cette nation, dans le temps même qu’il s’instruisit de ses forces et de sa
manière de combattre, pour se mettre en état de la vaincre un jour. Revenu à la
cour il s’acquit une grande considération par ses qualités personnelles. Il était
de taille moyenne et bien proportionnée, d’un air mâle, d’un tempérament
vigoureux, infatigable, et supportant aisément la faim, la soif, les veilles;
adroit aux exercices du corps, et très-instruit des connaissances qui font
l’ornement de l’esprit; d’une droiture inflexible, lorsque son ambition n’était
pas intéressée; libéral, aussi prudent que courageux, son ambition, déguisée
avec adresse, ne semblait être qu’une grandeur d'âme. Cette passion fut encore
animée par le caractère de sa femme, fille de Carpilion,
comte des domestiques. Elle descendait d’une famille royale des Goths, et porta
dans la maison d’Aétius la fierté barbare qu’elle tirait de son origine.
Brûlant du désir d’élever ses enfants à l’empire, jalouse de tous ceux qui leur
faisaient ombrage, elle aurait, par ses conseils sanguinaires, fait périr
Majorien, dont le mérite semblait la menacer qu’il serait un jour leur maître,
si elle eût trouvé dans son mari une âme aussi cruelle que la sienne. Tel était
Aétius, que Jean envoya chez les Huns; il lui était facile d’obtenir des
secours de cette nation guerrière. il avait ordre d'attendre que les troupes de
Théodose fussent entrées en Italie, et de venir ensuite leur couper la
retraite, et les charger par derrière, tandis que Jean les attaquerait de front.
Le nouveau tyran, suivant l’exemple des
empereurs, prit le titre de consul le premier de janvier de l’an 424. Il se
donna Castin pour collègue. Son consulat ne lut fut point reconnu dans l’empire
d’Orient, où Victor fut revêtu de cette dignité par Théodose. La révolte de
Jean fit connaitre à ce prince combien il lui était difficile de contenir les
deux empires sous son obéissance. Il se détermina donc à céder l’Occident à son
cousin. Il consentit enfin à donner à Placidie la qualité d’Auguste, qu’il lui avait
refusée jusqu’alors, et il conféra à Valentinien celle de nobilissime.
Il les fit aussitôt partir pour l’Italie avec une armée nombreuse, sous le
commandement de trois généraux. C’était Ardabure, qui venait de se
signaler dans la guerre contre les Perses, Aspar son fils, et Candidien,
attaché depuis longtemps à Placidie. Lorsqu’ils furent arrivés à Thessalonique,
Hélion, maître des offices, envoyé par Théodose, revêtit le jeune Valentinien
de la pourpre des Césars. Ce prince n’avait encore que cinq ans; ce qui
n’empêcha pas Théodose de lui fiancer sa fille Eudoxie, âgée seulement de deux
ans. Le mariage s’accomplit treize ans après. Il parait par la suite de
l’histoire que Théodose, abandonnant l’Occident à Valentinien, se réserva la
possession de l’Illyrie occidentale. L’année étant trop avancée pour
entreprendre dé passer les Alpes, l’armée s’arrêta sur les frontières de Dalmatie,
où elle demeura pendant l’hiver. Tout l’Occident reconnaissait Jean pour
empereur, à l’exception de l’Afrique, où Boniface commandait. Ce guerrier
intrépide et fidèle à Placidie, qu’il n’avait cessé de secourir depuis sa
disgrâce, maintint la province dans la soumission à ses maîtres légitimes. Le
tyran y envoya des troupes; mais cette diversion n’eut d’autre effet que d’affaiblir
l’armée, dont il avait besoin en Italie. Il y eut cependant quelques troubles
dans la Gaule. Exupérance, préfet de cette province,
et résidant à Arles, fut tué dans une sédition par les soldats, et Jean laissa
ce crime impuni.
Le tyran, ne croyant pas encore sa
puissance affermie, n’osait sortir de Ravenne. Il craignit surtout les
principaux de la ville de Rome et les évêques attachés à leur légitime
souverain. Au lieu de travailler à les gagner par des bienfaits, il dépouilla
le sénat de Rome, et les églises de leurs privilèges. Il ôta la juridiction aux
évêques, et ordonna que les causes ecclésiastiques fussent portées sans
distinction par devant les juges séculiers. Il sévit bientôt sur les bras
toutes les forces de l’Orient. Au retour du printemps, les généraux de Théodose
prirent de force la ville de Salone en Dalmatie. S’étant ensuite séparés,
Ardabure s’embarqua sur la mer Adriatique pour passer en Italie; Aspar, à la tête
de la cavalerie, marcha en diligence vers Aquilée, conduisant avec lui Placidie
et Valentinien; Candidien employa le reste des troupes à réduire les autres
places qui s’étaient soumises au tyran. Aspar surprit Aquilée. Mais Ardabure ne
fut pas si heureux; une violente tempête l’ayant jeté du côté de Ravenne , il
fut pris avec trois de ses galères. Cet accident causa d’abord de mortelles
inquiétudes à son fils et à Placidie. La marche des Huns qui, sous ta conduite
d’Aétius, approchaient de l’Italie, redoublait leurs alarmes. Mais la prise
d’Ardabure fut le salut de Valentinien. Le tyran traita son prisonnier avec
honneur espérant par son moyen engager Théodose à un accommodement. Le général,
adroit et insinuant, parut dans ses vues, tandis qu’il travaillait sourdement à
gagner les soldats déjà mécontents de l'usurpateur. Lorsqu’il se crut assuré du
succès, il le fit savoir à son fils, qui marcha aussitôt vers Ravenne. Pour
entrer dans cette ville, il fallait traverser un marais qu'on croyait
impraticable. Un berger s’offrit à conduire Aspar to et sa cavalerie par un gué
qui n’était connu que de lui seul. On accepta la proposition, et le berger tint
parole. Les habitants, étant dans une pleine sécurité, Aspar trouva les portes
de la ville ouvertes: les soldats de Jean, après une légère résistance, le
livrèrent aux ennemis. Il fut envoyé à Aquilée, où Placidie se vengea de ce
malheureux par les outrages les plus cruels. On lui coupa la main droite, et,
après l’avoir promené sur un âne dans le Cirque, où il fut exposé aux insultes
d’une populace effrénée, on lui trancha la tête. Il avait régné près de deux
ans. Castin fut exilé en Afrique, et abandonné à la discrétion de Boniface
qu’il avait outragé. Humilié par la disgrâce, il se jeta à ses pieds, et trouva
un asile auprès de cet ennemi généreux. Selon la date d’une loi du code
Théodosien , Symmaque lui fut substitué dans le consulat. Tout réussissait au
gré de Placidie. Candidien fit en peu de jours la conquête de la Dalmatie, de
l’Istrie et de la Pannonie. Il ne restait plus d’ennemis que les Huns, qui
arrivèrent au nombre de soixante mille, trois jours après la mort de
l’usurpateur. Aspar leur livra bataille; il y eut de part et d’autre un grand
carnage, sans événement décisif. Enfin Aétius fit son traité avec Placidie,
reçut le titre de comte, et engagea les Huns à force d’argent à reprendre la
route de leur pays.
Théodose apprit la défaite de Jean
lorsqu’il célébrait les jeux du Cirque à Constantinople. Il quitta aussitôt le
spectacle, invitant le peuple à venir rendre grâces à Dieu de la victoire
accordée à ses armes. Tous les spectateurs suivirent son exemple, et, chantant
des hymnes, ils accompagnèrent l’empereur à l’église, où ils demeurèrent
tout le jour; il partit peu de temps après, dans le dessein d’aller lui-même en
Italie pour y donner au jeune César le titre d’Auguste, et pour affermir
l’autorité du nouvel empereur. Mais une maladie l’arrêta à Thessalonique. Il
chargea Hélion, devenu patrice, de porter à son cousin les ornements impériaux,
et revint à Constantinople. Hélion se rendit à Rome, où Placidie et Valentinien
vinrent le trouver de Ravenne. Valentinien, qui était dans sa septième année,
fut proclamé empereur le 23 octobre. Ce fut apparemment dans ce même temps que
sa sœur Honoria fut aussi nommée Auguste. Le
gouvernement de l’empire, pendant le bas âge du prince, fut confié à
Placidie.
Le premier soin de cette princesse fut
d’inspirer son fils l'horreur de l’hérésie et le respect pour l’Eglise;
qualités très-estimables dans un souverain, mais qui ne purent couvrir le vice
d’une éducation molle et efféminée. Sa mère travailla plus à former sa croyance
que son esprit ni ses mœurs; aussi fut-il toujours très-catholique
sans être jamais chrétien. Lorsqu’il n’était encore que César, Placidie fit
publier en son nom plusieurs lois contre les hérétiques et les schismatiques;
ils furent bannis loin des villes, de crainte que leur poison ne s’y répandît.
Il restait encore quelques étincelles du schisme d’Eulale, et ses anciens
partisans refusaient de reconnaitre le pape Célestin, qui avait succédé à
Boniface. Vingt ans après Valentinien renouvela contre les manichéens en
particulier la rigueur de toutes les lois précédentes. Les devins et
astrologues furent traités comme les hérétiques. Placidie adressa à Patrocle,
évêque d’Arles, une constitution par laquelle les évêques pélagiens étaient
invités à revenir de leur erreur dans l’espace de vingt jours, sinon ils étaient
menacés d’être chassés de leur siège. Il y a grande apparence que Patrocle,
prélat simoniaque, et qui vendait le sacerdoce à prix d’argent, avait sollicité
cette loi pour avoir un prétexte de persécuter ses ennemis; car on ne voit par
aucun monument historique qu’il y ait eu en ce temps-là dans la Gaule des
évêques pélagiens. Cette même constitution défendit aux Juifs d’exercer la
profession d’avocat, qu’Honorius leur avait permise; de servir dans les armées,
d’avoir aucun esclave chrétien. Jean avait aboli les privilèges des églises;
Placidie les rétablit, et rendit aux évêques la juridiction dont ils avoient
joui dans les causes ecclésiastiques. Au commencement de fan 426, Valentinien,
ayant le titre d’empereur, on publia encore sous son nom deux lois favorables à
la religion: par l'une, les apostats sont privés du droit de tester et de rien
recevoir, soit par donation, soit par testament; par l’autre, les testaments
des Juifs qui déshéritent leurs enfants convertis au christianisme sont déclarés
de nul effet, et leurs enfants rétablis dans leurs droits. Placidie songea dans
le même temps à concilier à son gouvernement l'affection des peuples. Le sénat offrait
en hommage au nouvel empereur une somme d’argent considérable; elle en remit
une partie aux sénateurs, et fit présent du reste à la ville de Rome. Elle
imposa silence aux délateurs, qui se préparaient à faire retentir les tribunaux
d’accusations contre les partisans du tyran. Celui-ci avait donné la liberté
aux esclaves pour les enrôler dans son armée; Placidie les fit rentrer sous le
pouvoir de leurs maîtres, et interdit aux affranchis le service militaire. Elle
remit le sénat en possession de ses anciens privilèges. Sous le règne
d’Honorius, les fermiers du domaine avoient usurpé sur les autres sujets une
sorte de tyrannie: à la faveur des titres dont ils se faisaient décorer, ils se
prétendaient exempts de répondre aux juges ordinaires; ils troublaient même
l’exercice de la justice, protégeant leurs créatures, s’ingérant dans les
affaires publiques et particulières, abusant en toutes manières de leur crédit.
Tout ce manège d’intrigues et de faveur leur fut interdit; ils furent
dépouillés de tous les titres qu’ils usurpaient, et obligés à se soumettre à
l’ordre judiciaire, tel qu’il était réglé par les lois, qui, selon les termes
de cette ordonnance, commandent aux princes mêmes. Celte maxime, si précieuse
au genre humain., et qui fait la principale différence du despotisme et de la
monarchie, fut, quatre ans après, publiée à la face de tout l’empire d’Occident
par une loi expresse, qui mérite d’être rapportée en entier : La majesté
souveraine se fait honneur en reconnaissant qu'elle est soumise aux lois. La
puissance des lois fait le fondement de la nôtre. Il y a plus de grandeur
réelle à leur obéir qu'à commander seul et sans elles. Par le présent édit,
nous sommes bien aises de montrer à nos sujets quelles sont les bornes que nous
prétendons mettre à notre autorité. C'est la plus grande leçon qu’un
souverain ait jamais faite à ses pareils.
Théodose fit aussi dans le même temps
plusieurs lois qui méritent d’être connues. La puissance impériale jalouse au
point de ne pas permettre aux particuliers de porter des étoffes de la même
teinture que celle des ornements impériaux; c’était une espèce de pourpre la plus
rare et plus brillante. Il fut défendu à toute personne, de quelque dignité
qu’elle fût, d’en faire usage, et même d’en garder chez soi : la contravention
à celte ordonnance mise entre les crimes de lèse-majesté. On voit que les villes
des provinces avoient coutume de donner à leurs frais des spectacles dans la
ville de Constantinople; c’étaient des courses de chars qui obligeaient à de
grandes dépenses. Isidore, préfet d’Illyrie, ayant représenté à l’empereur
l’état d’indigence où se trouvait la ville de Delphes, comprise alors dans
cette province, il dispensa toutes les villes d’Illyrie de ces contributions,
défendit de les exiger, et ordonna que chaque ville ne serait obligée qu’aux
frais des jeux qui se donneraient dans son enceinte. Théodose le grand avait
interdit les spectacles les jours de dimanches; Honorius étendit cette défense
aux jours de fêtes, et Théodose le jeune y ajouta le temps depuis Pâques
jusqu’à la Pentecôte. Les provinces ne pourvoient députer à l’empereur sans
avoir auparavant communiqué aux préfets du prétoire le contenu de leurs
requêtes. Ceux-ci, abusant de leur autorité , s’étaient attribué le droit d’y
répondre eux-mêmes; en sorte que le prince n’était plus instruit des besoins de
ses sujets. Théodose réprima par une loi cette usurpation des préfets; il
ordonna que les députés fussent introduits à son audience pour lui
présenter leurs plaintes à son audience pour lui présenter leurs demandes. Les
terres données par le prince, ou déchargées des impositions ordinaires, payaient
une taxe dans les besoins de l’état; Théodose régla cette taxe, afin qu’elle ne
dépendît pas du caprice des gouverneurs : il ne l’exigea jamais avec rigueur,
et fit fréquemment des remises de ce qui restait dû au fisc. Mais la loi la plus
célèbre de ce temps-là est celle qui établit la prescription de trente ans,
après lesquels les droits dont on a joui paisiblement et sans réclamation
pendant cet intervalle ne peuvent plus être disputés : loi utile à la société
civile, afin que les procès et les querelles ne puissent éternellement se
reproduire, et que l’état et les possessions des particuliers ne flottent pas
dans une perpétuelle incertitude. Valentinien adopta celte loi vingt-cinq ans
après pour l’empire d’Occident. Théodose fut le premier qui donna une forme
constante à l’académie de Constantinople. Il fonda vingt chaires de grammaire,
dix pour la langue latine, autant pour la langue grecque, huit chaires de
rhétorique, cinq de rhétorique grecque, trois de latine; une pour la philosophie,
et deux pour la jurisprudence. Il assigna des classes séparées sous les
portiques du Capitole. Il défendit à tout autre maître de donner des leçons
publiques, et à ces professeurs du Capitole d’enseigner dans aucune maison
particulière, sous peine de perdre les privilèges attachés à leur profession.
Ces privilèges étaient considérables : après vingt ans d’exercice, ils étaient
honorés du titre de comte du premier ordre, et allaient de pair avec les lieutenants
des préfets du prétoire. Pour être admis à ces places distinguées, il fallait
subir un examen en présence du sénat ; c’était cette auguste compagnie qui jugeait
du mérite des prétendants: on exigeait d’eux une probité irréprochable, le
fonds de la science, la facilité de la produire au-dehors, l’intelligence des
auteurs, et l’érudition propre de leur art.
La principale vertu de Théodose, et celle
qui faisait le fonds de son caractère, était une sage et noble modestie. Placé
entre Dieu et ses sujets, il apercevoir l’espace immense qui le séparait de la
Divinité, et l’étroit intervalle qui le distinguait des autres hommes. Il ne
put souffrir les hommages presque divins qu’une adulation passée en coutume rendait
aux statues des empereurs. On les ornait de fleurs, on brulait devant elles de
l’encens et d’autres parfums, on se prosternait à leurs pieds. Il proscrivit
ces honneurs idolâtres, et ordonna de réserver à l’Etre suprême tous ces signes
d'adoration, qui ne peuvent convenir aux hommes, quelque élevés qu’ils soient.
On raconte que ce prince, s’étant éloigné de ses gens dans une chasse, arriva
fort fatigué à une cabane écartée: c’était la cellule d’un anachorète qui était
venu d’Egypte s’établir dans le voisinage de Constantinople. L’anachorète le
prit pour un officier de la cour, et le reçut avec honnêteté. Ils firent la
prière, et s’assirent. Théodose entra en conversation, et lui demanda ce que faisaient
les moines d’Egypte: Ils prient pour vous, répondit le solitaire.
L’empereur, jetant les yeux de toutes parts, ne vit dans la cellule qu’une
corbeille où étaient un morceau de pain et un vase plein d’eau. Son hôte
l’invita à manger et à boire. Le prince l’accepta; et, après ce repas frugal,
s’étant fait connaitre pour ce qu’il était, comme le solitaire se jetait à ses
pieds, il le releva en lui disant : Que vous êtes heureux, mon père, de
vivre loin des affaires du siècle! Le vrai bonheur n'habite pas sous la
pourpre. Je n'ai jamais trouvé de plus grand plaisir qu'à manger votre pain et
à boire votre eau. En même temps ses gens qui le cherchaient étant arrivés,
il partit en se recommandant aux prières de l’anachorète. Celui-ci, craignant
que cette aventure ne lui attirât quelque considération, quitta sa cellule et
s’enfuit en Egypte.
Pendant que Théodose et Placidie s’occupaient
à réformer les abus qui s’introduisaient de plus en plus dans les deux empires,
les Huns, mécontents du peu de succès de leur expédition précédente, se
jetèrent dans la Thrace, et, ravageant tout le pays, marchèrent vers Constantinople,
ne menaçant de rien moins que de la miner de fond en comble. Théodose, n’ayant
point alors de troupes à leur opposer, eut recours aux prières, et le ciel prit
sa défense. Plusieurs de ces barbares furent tués de la foudre avec Rougas leur chef; la peste désola le reste de leur armée,
et ils furent contraints de regagner le Danube. Il y eut cette année de grands
troubles dans Alexandrie, dont les habitants s’égorgeaient les uns les autres.
On ignore les causes et les circonstances de ces massacres, trop ordinaires
dans cette ville séditieuse.
Aétius commençait à signaler son courage
au service de Valentinien. Théodoric, roi des Goths établis dans l’Aquitaine,
méprisant le gouvernement d’une femme, voulut étendre ses états, et vint mettre
le siège devant Arles. Les Goths poussaient les attaques avec vigueur, lorsque Aétius
vint les forcer à lever le siège. On fit avec eux un nouveau traité, et on leur
donna plusieurs Gaulois en otage. Entre les autres était Théodore, parent de
cet Avitus qui fut depuis empereur. Avitus, l’étant allé voir à Toulouse,
inspira tant d’estime à Théodoric, que ce prince lui fit les offres les plus
avantageuses pour l’attirer à son service. Mais Avitus, fidèle aux engagements
de sa naissance, s’excusa de les accepter. A peine la ville d’Arles fut-elle délivrée du péril, qu’elle vit assassiner
Patrocle, son évêque; il fut percé de plusieurs coups par un tribun nommé Barnabe. On crut que ce prélat, d’ailleurs indigne de l’épiscopat
qu’il avait usurpé, fut la victime de la haine que lui portait Félix, aussi
méchant que lui. Félix était devenu général des troupes d’Occident à la place
de Castin, et il reçut ensuite le titre de patrice. 11 fit encore, dans ce même
temps, massacrer à Rome un saint diacre nommé Titus, qui fut tué pendant qu’il remplissait
les fonctions de son ministère en distribuant aux pauvres les aumônes de
l’Eglise.
Ce général, aussi jaloux et aussi fourbe
qu’il était violent et sanguinaire, s’unit en secret avec Aétius pour perdre
Boniface, le seul officier de l’empire dont le mérite et le crédit leur donnaient
de l’ombrage. Placide avait à Boniface les plus grandes obligations: seul il l’avait
généreusement secourue lorsqu’elle était bannie d’une cour et méprisée dans
l’autre. D’ailleurs il se comportait en Afrique avec tant d’équité et de
désintéressement, que, pour se soutenir, il semblait n’avoir besoin que de sa
vertu. Sa valeur faisait trembler les barbares voisins, qui n’osaient plus
sortir de leurs montagnes pour venir insulter la province. Tantôt à la tête
d'une armée, tantôt avec une petite troupe, il les avait toujours terrassés.
Brave de sa personne, il avait même tué plusieurs de leurs chefs en combat
singulier. On rapporte de lui un trait de cette vaillance brusque et
impétueuse, qui s’assortit mieux au caractère d’un aventurier qu’à celui d’un
grand capitaine. Un paysan vint se plaindre à lui d’un officier barbare qui servait
dans les troupes romaines, et qui entretenait avec sa femme un commerce
adultère: il en demandait justice au général. Boniface, après s’être informé du
lieu où il faisait sa demeure, lui ordonna de rester dans le camp et de revenir
le trouver le lendemain. Pour lui, dès que la nuit fut venue, il part
secrètement, court à tonte bride au domicile qui lui avait été indiqué, et qui était
éloigné de trois lieues, coupe la tête au barbare qu’il surprend avec la femme,
et se rend au camp avant le jour. Le paysan s’étant présenté devant lui selon
ses ordres, Boniface lui montre la tête sanglante, loi demande s’il la reconnait,
et le renvoie tout tremblant d'une si prompte et si sévère justice.
Ce guerrier si courageux se laissa
vaincre par une passion funeste qui le plongea dans les plus grands malheurs.
Placidie, l’ayant chargé d’une commission, il devint dans ce voyage éperdument
amoureux d’une fille fort riche nommée Pélagie; et, perdant alors de vue tontes
les résolutions de retraite et de continence qu’il avait formées après la mort
de sa première femme, il l'épousa. Elle était née arienne; et quoiqu’elle eût
abjuré l’hérésie pour parvenir à cette alliance, son cœur y fut toujours
attaché. Les ariens prirent autorité dans sa maison ; ils baptisèrent la fille
qui naquit de ce mariage. Boniface lui-même, oubliant toute sa vertu, se livra
par la suite à des concubines. Baronius conjecture, avec beaucoup de
vraisemblance, que la commission de Boniface était pour l’Espagne; qu’il vit
Pélagie à la cour du roi des Vandales, qui étaient ariens, et que ce fut celte
alliance qui forma sa liaison avec ces barbares. A son retour en Afrique,
Placidie récompensa ses services de la charge de comte des domestiques.
Cette nouvelle dignité augmenta la haine
de ses rivaux; ils ne songèrent plus qu’à le pousser à bout; et voici la ruse
qu’ils mirent en œuvre. Aétius, qui n’avait cessé d’entretenir avec lui une
feinte amitié, lui manda par une lettre secrète que tout était changé de
pour lui à la cour; que l’impératrice avait juré sa perte; qu’elle était sur le
point de le rappeler; et que, s’il quittait l’Afrique, sa mort était assurée. Il
lui faisait valoir cet avis fidèle, et lui recommandait un secret inviolable.
En même temps il va trouver Placidie; il lui proteste qu’étant l’ami de
Boniface, ce n’est qu’avec un extrême regret qu’il se voit obligé de dévoiler
ses projets pernicieux ; mais qu’il doit tout sacrifier à l’intérêt de son
prince : que ce général n’a si bien défendu l’Afrique que pour s’y rendre
indépendant; qu’il s’en regarde déjà comme souverain. Si vous voulez,
continua-t-il, démasquer sa trahison, envoyez-lui ordre de revenir à la cour.
Il n’obéira pas, et vous pourrez alors le traiter comme rebelle. Un ennemi
déclaré est moins à craindre qu’un sujet perfide. Il n’en fallut pas
davantage pour faire oublier à Placidie tant de services importants. Crédule,
et toujours prête à recevoir tous les soupçons, elle suivit le conseil d’Aétius.
Boniface, prévenu par la fourberie d’Aétius, reçoit fort mal l’envoyé de
l’impératrice; il se répand en invectives, et, sans rien dire de l’avis qu’il a
reçu, il déclare qu’il va faire payer bien cher à Placidie sa cruelle
ingratitude. Aussitôt il lève des troupes, et devient criminel pour défendre
son innocence. Placidie, convaincue de la fidélité et du zèle d’Aétius, l’admet
dans tous ses conseils. Félix le seconde, et la guerre est décidée contre
Boniface. On fait passer des troupes en Afrique sous la conduite de trois commandants, Mavorce, Galbion et Sinœcès. Ils assiègent le rebelle dans une place que
l’histoire ne nomme pas. Sinœcès trahit les deux
autres, qui sont tués, et il éprouve ensuite le même sort, voulant trahir
Boniface. On envoie à leur place le comte Sigisvult,
qui se rend maître de Carthage et d’Hippone. Cependant les barbares, que
Boniface avait contenus jusqu’alors, profitant de la discorde des Romains, se
répandent dans la province , et y font d’affreux ravages. Ce fut en cette
occasion que saint Augustin écrivit à Boniface une lettre touchante, où, sans
examiner la justice de la guerre qu’il fait à l’empire, il lui montre l’abîme
où son ressentiment l’a plongé, et l’exhorte à la pénitence. Boniface, aveuglé
par la colère, n’était plus en état d’écouter ces salutaires avis. Il fut sans
doute plus docile à ceux de sa femme, qui lui offrit une ressource puissante
dans le secours des Vandales. Dans son désespoir, il prit la funeste résolution
de partager l’Afrique avec eux, plutôt que de la remettre à son souverain,
qu’il ne regardait plus que comme son meurtrier.
Depuis la défaite de Castin, les Vandales
avoient achevé la conquête de la Bétique en se rendant maîtres de Séville
nommé alors Hispalis. Leur roi Gonderic,
après l’avoir saccagée, étant près d’entrer dans l’église de Saint-Vincent, la
plus riche et la plus respectée de cette ville, pour en piller les trésors,
tomba mort; et cet événement fut considéré de toute l’Espagne comme une
punition divine. Il laissait des enfants; mais Genséric, son frère bâtard, leur
fut préféré par les Vandales. Il s’était fait une haute réputation de valeur,
quoiqu’il fût d’assez petite taille, et devenu boiteux par une chute de cheval.
Il tiendrait un rang honorable entre les princes les plus illustres, s’il n’eût
pas souillé sa conquête par d’énormes cruautés : guerrier intrépide, habile
législateur, profond politique, adroit à former des intrigues, et à diviser les
nations qu’il voulait subjuguer; parlant peu, mais avec autorité et énergie;
méprisant le luxe et les plaisirs. Le sang des orthodoxes qu’il a voit répandu
à grands flots a rendu sa mémoire exécrable; il les persécuta d’autant plus
cruellement, qu’il était, dit-on, apostat. Né d’une mère esclave, par laquelle
il fut élevé dans la croyance catholique, il se fit arien par ambition. On lui
reproche encore d’avoir sacrifié à une politique inhumaine la veuve et les enfants
de son frère Gonderic. Lorsqu’il se vit maître de la
Mauritanie, il les fit noyer dans le fleuve Ampsaga,
qui bornait la Numidie.
Boniface invita Genséric à passer en
Afrique, à condition qu’ils partageraient entre eux cette vaste
contrée, et qu’ils se prêteraient un secours mutuel contre leurs ennemis.
Le roi des Vandales ne balança pas d’accepter des propositions si avantageuses.
L’établissement qu’on lui offrait était beaucoup plus étendu que ce qu’il occupait
en Espagne, partagée entre trois peuples différents et toujours en guerre. Le
général romain lui fournit des vaisseaux, et toute la nation reçut ordre de se
préparer au départ. Genséric, étant près de s’embarquer, apprit qu’Hermigaire, capitaine suève, ravageait les provinces
voisines. Pour ne pas déshonorer ses armes, en donnant à croire que son départ était
une fuite, et qu’il cédait à la terreur que les Suèves lui inspiraient, il les
va chercher avec une partie de ses troupes, les atteint en Lusitanie, et les
taille en pièces. Hermigaire, emporté par son cheval,
se noie, près de Mérida, dans le fleuve Anas, aujourd’hui la Guadiane. Le vainqueur va rejoindre sa flotte, et passe le
détroit au mois de mai. Arrivé en Afrique, il fit le dénombrement de son
peuple, qu’il trouva monter à quatre-vingt mille hommes, en y comprenant les
vieillards, les enfants et les esclaves. Mais Genséric, pour rendre sa
puissance redoutable, faisait courir le bruit que ce nombre était celui de ses
soldats. Quoique l’histoire ne spécifie pas quelles provinces d’Afrique furent
abandonnées aux barbares, la suite des événements fait assez connaître que
Boniface leur céda les trois Mauritanies, et que le
fleuve Ampsaga fut la borne de la domination des
barbares. Les Romains et les Suèves s’emparèrent en Espagne des pays que les
Vandales avoient quittés, et qu’ils ne cessèrent de se disputer jusqu’à ce que
la puissance romaine fût entièrement abattue en Occident.
Pendant que la jalousie d’Aétius faisait
perdre à l’empire une grande partie de I Afrique, et mettait en danger tout l reste de cette belle province, sa valeur regagnait le
terrain dont les Francs s’étaient emparés en-deçà du Rhin. Il fit un grand
carnage de celte nation, et la força d'abandonner la Gaule, et de repasser le
fleuve. On ne sait si cette défaite termina le règne de Pharamond, ou commença
celui de son successeur. Pharamond mourut cette année 428. Clodion lui succéda
: celui-ci est regardé par plusieurs auteurs comme le premier roi des
François, parce qu’il fut le premier qui les fixa pour toujours dans la Gaule,
ainsi que nous le verrons dans la suite. Le nom de chevelu qu’on lui
donne, convenait alors à tous les rois des François. Différents en cela des
autres barbares, ils étaient curieux de leur chevelure; ils l’arrangeaient avec
soin, et y employaient diverses sortes de poudres et d’essences. Partagée
par-devant, elle flottait avec grâce sur leurs épaules; c’était l’ornement
distinctif de la famille royale. Le reste de la nation avait communément les
cheveux blonds, mais elle les portait fort courts, ou noués sur le sommet de la
tête, en sorte qu’ils retombaient sur le front, et que le cou était découvert.
Un auteur achève de nous peindre les François de ce temps-là. Ils étaient de
grande taille, avoient les yeux bleus, se rassoient la barbe, portaient de larges
baudriers, et des habits serrés sur le corps, et qui ne descendaient que
jusqu’au-dessus du genou. Leurs armes étaient des boucliers légers, des
javelots fort courts qu’ils lançaient avec force en courant à l’ennemi, et des
haches qui portèrent leur nom, et furent appelées francisques. La
victoire d’Aétius leur enleva leur conquête, mais non pas leur courage, ni même
leur ancienne renommée.
Jamais tant d’orages ne s’étaient formés
à la fois contre la puissance romaine. Les Francs sur les bords du Rhin, les Visigots
dans la Gaule méridionale, les Sueves en Espagne, les Vandales en Afrique, et
au septentrion de l’Italie les Juthonges et les peuples des Alpes révoltés s’efforçaient,
comme à l’envi, de démembrer l’empire et d’envahir les provinces. Valentinien aurait
eu besoin d’autant de généraux qu’il avait de peuples à combattre ; et toute sa
ressource ne consistait qu’en deux capitaines, braves et habiles à la vérité;
mais Boniface était rebelle, et Aétius songeait bien plus à détruire son rivai
qu’à sauver l’empire. Les autres commandants, dispersés sur les frontières,
avoient si peu de mérite, que l’histoire n’a pas même daigné en recueillir les
noms. On sait cependant celui de Cassius, qui commandait dans la Gaule narbonnaise,
pour la défendre contre les Visigoths; mais il n’est connu que par le service
qu’il rendit à la ville d’Arles en contribuant à élever S. Hilaire sur le siège
épiscopal.
Les peuples de Galice, abandonnés par les
Romains, se défendaient contre les Suèves avec un courage opiniâtre. Cantonnés
dans les forts et dans les châteaux de leurs montagnes, ils ne cessaient de
courir sur les barbares. Ils en enlevaient un si grand nombre, qu’Herménéric se
vit obligé de consentir à l’échange des prisonniers, et de leur accorder la
paix. Elle fut bientôt rompue par les Suèves, accoutumés au pillage. Idace,
évêque de Chiaves, alors ville épiscopale comprise
dans la Galice sous le nom d'Aquœ Flaviae, passa en Gaule pour implorer le secours d’Aétius
qui faisait la guerre aux François. En même temps Théodoric, roi des Visigoths,
désirant d’étendre sa domination en Espagne, et voulant profiter de ses
troubles, députa Vetton aux peuples de Galice pour
leur offrir sa protection. Ils la jugèrent aussi dangereuse que les hostilités
des Suèves, et s’excusèrent de l’accepter. Aétius ne crut pas devoir engager
l’empire dans une nouvelle guerre; il prit le parti de négocier avec les
Suèves, et leur envoya, avec Idace, le comte Censorius,
qui fut bien reçu d’Herménéric. Ce prince consentit à un traité de paix, dont
les évêques furent médiateurs. On lui donna des otages; et comme les Espagnols
se reconnaissaient encore sujets de l'empire, on députa l’évêque Symphose pour obtenir la ratification de l’empereur. Sur
quelque difficulté que fit la cour de Ravenne, Herménéric recommença les
ravages; mais Censorius, député de nouveau avec Frétimond, renoua la négociation. Une longue maladie qui affaiblissait
le roi des Suèves, contribua sans doute à la faire réussir, et détermina Herménéric
à céder la couronne à son fils, nommé Réchila. J’ai conduit l’histoire des
Suèves jusqu’à l’année 438. Herménéric avait régné vingt-huit ans depuis son
entrée en Espagne. Il mourut en 441, après sept ans de maladie.
Quoique les Vandales fussent déjà
possesseurs de la Mauritanie, et que Boniface, à la tête des troupes dont el
était chéri, eût levé l’étendard de la révolte, cependant la Numidie et la
Proconsulaire obéissaient encore à l’empereur. Mais, tandis que ces provinces étaient
attaquées au-dehors, elles étaient désolées au-dedans par les commis chargés
d’y recueillir les impôts. Le comte Bubulcus fut
député à la cour pour obtenir du soulagement. La cour eut égard aux
remontrances du comte; elle envoya des édits, dont la sagesse est toujours éludée
par l’avidité des exacteurs, beaucoup plus ingénieux à perpétuer les abus que
le gouvernement à les réformer. Comme ces vexations étaient communes dans tout l’empire,
Placidie crut les arrêter par une constitution générale qui menaçait les
coupables à l’avenir, sans punir les excès passés. Elle savait que les sujets
ne demandent jamais plus de ménagement que dans les temps de trouble et
d’alarme ; mais elle ignorait peut-être que ce sont ces temps-là même où les
officiers corrompus, s’ils sont enhardis par l’impunité, profitent des besoins
de l’état pour remplir les leurs, qui sont sans bornes.
Cette princesse ne pouvait concevoir que
Boniface, qui lui avait donné tant de preuves d’attachement dans sa disgrâce,
eût attendu qu’elle fût maîtresse de l’empire pour se déclarer son ennemi. Elle
envoya en Afrique un officier de confiance afin de s’éclaircir avec lui et de
le ramener à l’obéissance. Le comte Darius, choisi pour cette commission
délicate, était un homme vertueux, éloquent, et ami de Boniface. Ce général,
naturellement franc et ouvert, ne put tenir contre les reproches que lui faisait
Darius; et, pour justifier sa conduite, il lui mit sous les yeux la lettre d’Aétius.
Darius retourne aussitôt à Ravenne, et instruit Placidie de cette noire
imposture. Elle en fut indignée; mais, dans la situation où se trouvaient les
affaires, il était d’une extrême conséquence de ne pas alarmer Aétius. Elle
tint donc secrète la triste découverte qu’elle venait de faire, et renvoya
Darius avec ordre de jurer de sa part à Boniface qu’elle lui rendait toute sa
bienveillance, et qu’elle ne lui demandait que ses bons offices pour réparer
les maux qu’il avait attirés sur l’Afrique. Boniface, touché de repentir,
employa tout son crédit auprès des Vandales pour les engager à retourner en
Espagne. Il n’en put obtenir qu’une trêve de quelques mois, pour la sûreté de
laquelle ils mirent entre les mains de Darius un de leurs officiers nommé Vérimode, qui était allié de Boniface.
Am. 43o.
Le terme de la trêve étant expiré,
Genséric, qui regardait Boniface comme un perfide, depuis qu’il avait cessé de
l’être, se déclara hautement son ennemi. Il lui signifia que le traité fait
entre eux ne subsistait plus, se mit en marche à la tête de son armée. Jamais
invasion ne fit couler tant de sang et ne couvrit la terre de tant de ruines.
La cruauté naturelle aux Vandales était encore animée par le dépit de se croire
méprisés, et par leur haine contre les catholiques. Aussi furieux ariens que
guerriers barbares, ils étaient tous ensemble conquérants et persécuteurs, les
deux plus terribles fléaux qui puissent affliger les hommes, et ils joignaient
les tourments aux massacres. Leur fureur aveugle détruisit d’abord ce qu’ils prétendaient
posséder ensuite, et ils commencèrent l’établissement de leur empire par faire
un vaste désert. La plus riante contrée de l’univers et la plus fertile,
peuplée de villes florissantes, enrichie d’une ancienne opulence, fut désolée par
le fer, par le feu, par la famine. Au risque de périr eux-mêmes, ils n’épargnaient
ni les moissons ni les arbres fruitiers, pour faire mourir de faim les
malheureux qui s’étaient réfugiés dans les cavernes ou sur les montagnes. Ni le
rang, ni la naissance, ni la faiblesse du sexe ou de l’âge, ne trouvaient grâce
auprès de ces cœurs impitoyables. Ils chargeaient de fardeaux les femmes et les
personnes les plus illustres, et les faisaient avancer à coups d’aiguillons.
Arrachant les enfants des bras de leurs mères, ils les écrasaient contre les
pierres, ou les déchiraient en les écartant par les pieds. Lorsque après avoir
attaqué une forteresse, ils la jugeaient imprenable, ils assemblaient alentour
une multitude de prisonniers, et les égorgeaient, afin que l’infection de leurs
cadavres portât la mort chez les assiégés et les forçât à se rendre. Leur zèle
inhumain pour l’arianisme fit une infinité de martyrs. On ne voyait par toute
l’Afrique qu’évêques, prêtres, vierges consacrées à Dieu, familles entières, les
uns privés d’une partie de leurs membres, les autres chargés de chaînes et
atténués par la faim. Plus de chants dans les églises; les églises mêmes étaient
pour la plupart réduites en cendres; plus de fêtes, plus de célébration du
saint sacrifice. Les donatistes espérèrent en vain se mettre à couvert en
favorisant les barbares dans la poursuite des orthodoxes; ils n’en furent pas
mieux traités; on les massacrait sans distinction avec ceux qu’ils trahissaient.
Les auteurs chrétiens de ce temps-là
s’accordent tous à regarder cette horrible désolation de l’Afrique comme le
châtiment des crimes de ses habitants; et les Vandales disaient eux-mêmes que
ce n’était pas de leur propre mouvement qu’ils soient de tant de rigueur, mais
qu’ils sentaient une force intérieure qui les y poussoir comme malgré eux. En
effet, s’il est permis aux hommes d’interpréter les jugements de Dieu, jamais
barbares ne portèrent plus sensiblement le caractère de ministres de la
vengeance divine. L’Afrique était, de toute la terre, le pays le plus corrompu
par l’assemblage de tous les vices. Les Africains avoient été de tout temps
décriés pour l’impudicité; ils y joignaient alors l’effronterie la plus outrée.
Au milieu de Carthage et des grandes villes, sous les yeux même des magistrats,
on voyait des jeunes hommes se promener par les rues avec des coiffures et des
parures de femmes, pour annoncer qu’ils faisaient profession publique de la
plus monstrueuse infamie. Des excès si contraires à la nature étaient une suite
de l’aveuglement produit par tous les autres crimes. Aussi rien n’était si
commun parmi les Africains que l’ivrognerie, la mauvaise foi, le meurtre,
l’impiété et le blasphème. Endormis profondément dans le sein de la débauche ,
les plus terribles éclats de la colère divine ne purent qu’à peine les
réveiller de cette funeste léthargie. Dans le temps que les barbares mettaient
tout à feu et à sang dans les campagnes, la licence régnait dans les villes, et
les spectacles du Cirque n’étaient pas même interrompus. Il fallut que les
Vandales les réduisissent en esclavage pour réformer leurs mœurs. Ces barbares étaient
chastes lorsqu’ils arrivèrent en Afrique; c’est un témoignage que leur rendent
les écrivains qui leur sont d’ailleurs le moins favorables. Ils avoient horreur
des crimes qui attaquent la pudeur. Ils défendirent sous peine de mort les
prostitutions; ils fermèrent les lieux de débauche, et proscrivirent les courtisanes,
ou les forcèrent à se marier.
Genséric avait abandonné la Mauritanie
pour se jeter dans la Numidie et dans la Proconsulaire, provinces beaucoup plus
riches et plus peuplées. Il s’y empara de toutes les villes, excepté de Cirthe, d’Hippone et de Carthage. Boniface, avec des forces
trop inférieures, hasarda une bataille; il fut défait, et contraint de se S.
Augustin, renfermer dans Hippone. Le vainqueur vint l’y assiéger à la fin de
mai ou au commencement de juin. C’était une des principales villes de la
Numidie, située au bord de la mer, célèbre depuis plusieurs siècles, et qui
l’est devenue beaucoup plus par l’éclat immortel que saint Augustin , pour lors
son évêque, a répandu dans tout le monde chrétien. Ce saint prélat, accablé des
infirmités de la vieillesse, mais soutenu par la charité dont il était embrasé,
faisait plus pour son peuple que les guerriers qui défendaient les murailles.
Au milieu de ces mortelles alarmes, il fortifiait les cœurs abattus, il leur apprenait
à tirer avantage des maux de ce monde, il leur montrait une patrie où le fer
des Vandales ne pouvait atteindre. Nous avons encore son dernier sermon, où
respire une compassion vraiment paternelle, jointe à une constance évangélique.
Pendant les trois premiers mois du siège, il ne cessa de prendre soin des
pauvres, de prêcher, de prier, de veiller pour son troupeau. Enfin, succombant
à tant de travaux, il tomba malade, et mourut le vingt-huitième d’août, âgé de
soixante et seize ans ; génie pénétrant, fécond, étendu, choisi de Dieu
pour terrasser les ennemis de son Eglise, et pour défendre la toute-puissance
de la grâce divine qui triomphe dans ses écrits. Le siège d’Hippone continua
jusqu’au mois d’août de l’année suivante. Quoique les Vandales eussent fermé le
port, ils ne purent ni prendre la ville, ni la forcer à se rendre; pressés
eux-mêmes de la famine, ils furent obligés de lever le siège, qui avait duré
quatorze mois.
Tandis que Boniface était assiégé dans
Hippone, son rival Aétius se rendait à la fois redoutable et nécessaire à
Placidie. Aussi hardi à se défaire de ses propres ennemis qu’à repousser ceux
de l’empire, il souleva soldats à Ravenne, et fit massacrer Félix, sa femme Padusie, et un diacre nommé Grunnite,
qui tramaient une intrigue pour le perdre. Aétius avait été nommé l’année précédente général des armées romaines à la place de Félix; et quoique
celui-ci eût reçu en même temps le titre de patrice, il ne put pardonner à son
ancien ami la préférence qu’on lui donnait pour le commandement des troupes.
C’est ainsi qu’après s’être intimement unis pour détruire Boniface, la même
ambition les arma l’un contre l’autre. Félix avait été consul en 428. Il nous
reste une inscription au sujet d’un présent qu’il avait fait à l’église de
Saint-Jean-de-Latran, de concert avec sa femme Padusie.
Aétius effaça bientôt ce forfait par des succès éclatants. Une troupe de
Visigoths étant venus ravager les environs de la ville d’Arles, il les tailla
en pièces, et fit prisonnier Anaulfe leur chef. De là
il se transporta en Rhétie, et défit les Juthonges qui ravageaient ce pays. Les Noriques et les Vindéliciens s’étant révoltés pour se joindre aux Juthonges, il les battit, et les fit
rentrer dans le devoir. Avitus, qui fut depuis empereur, l’accompagna dans
toutes ces expéditions; il y donna des preuves de son courage; et Sidoine, qui
le flatte peut-être, dit qu’Aétius ne fit rien sans lui, et qu’il fit beaucoup
sans Aétius. Celui-ci fut, pendant une grande partie des deux années suivantes,
occupé dans la Gaule à combattre les François, qu’il vainquit. Il leur accorda
la paix, qui ne fut pas de longue durée. Ce fut pendant cette guerre qu’Aétius
traita pour la Galice avec les Suèves, ainsi que je l’ai raconté.
On reçut cette année la nouvelle d’une
victoire beaucoup plus surprenante que toutes celles d’Aétius. Le pélagianisme
faisant des progrès dans la Grande-Bretagne, patrie de Pélage et de Célestius,
le pape Célestin y a voit envoyé Germain, évêque d’Auxerre, et Loup, évêque de
Troyes. Ces deux prélats, soutenus de cette même grâce dont ils défendaient la
cause, confondirent l’hérésie. Comme ils se disposaient au retour, les Bretons
implorèrent leur secours contre une autre sorte d’ennemis que ces saints
évêques n’avoient pas commission de combattre. Depuis que les Romains avoient
renoncé à la défense de la Grande-Bretagne, les Saxons, joints aux Pictes, ne cessaient
de désoler le pays. Une nombreuse armée de ces deux nations s’avançait alors
pour écraser celle des Bretons, qui n’était pas en état de leur résister. C’était
le temps du carême. Les deux évêques se rendirent au camp, baptisèrent un grand
nombre de soldats, et relevèrent leur courage par la confiance qu’ils leur
inspirèrent dans le secours du ciel. On célébra la fête de Pâques en pleine
campagne, et l’on marcha aux ennemis. Germain, qui avait dans sa jeunesse
pratiqué le métier de la guerre, fit l’office dé général; il alla reconnaitre
le pays à la tête d’une troupe légère; et, ayant remarqué un vallon qui se trouvait
sur le passage, il y cacha une embuscade, et attendit les Saxons de pied ferme.
A l’approche de l’armée ennemie, il donna le signal; c’était l’alléluia,
dont il était convenu pour cri de guerre. Ce cri, répété par les Bretons, et
redoublé par les échos des montagnes, porta l’épouvante dans le cœur des Saxons
et des Pictes. Ceux-ci se crurent enveloppés d’une multitude innombrable; en
même temps les troupes de l’embuscade fondirent sur eux: ils prirent la fuite,
jetèrent leurs armes, et, emportés par une aveugle terreur, la plupart se
précipitèrent dans le fleuve voisin. Il n’en coûta pas aux Bretons une
goutte de sang. Les deux prélats, vainqueurs des pélagiens et des barbares,
retournèrent en Gaule, après avoir rétabli la tranquillité dans l’église et
dans la nation.
L’année suivante les Vandales ayant levé
le siège d’Hippone, Boniface reçut un secours d’Orient. Théodose, voyant avec
douleur les progrès des barbares en Afrique, y envoya un grand corps de troupes
sous la conduite d’Aspar, fils d’Ardabure. Les deux généraux réunis
livrèrent bataille à Genséric , qui les défit entièrement. Aspar se rembarqua,
et Boniface ne put empêcher le vainqueur de retourner à Hippone, dont les habitants,
épouvantés de la défaite de l’armée romaine, avoient abandonné la ville. Les
Vandales y mirent le feu, en sorte qu’il ne restait plus à l’empire que Cirthe et Carthage. Genséric, ayant fait dans cette
bataille un grand nombre de prisonniers, donna ordre de les assembler devant
lui, afin de s’informer par lui-même de la qualité de chacun d’eux. Ils se
rendirent à la porte de sa tente; et comme la chaleur était excessive, la
plupart, manquant de forces, s’assirent dans la plaine, attendant leur rang
pour comparaitre devant le prince. Genséric en remarqua un qui, s’étant étendu
sur la terre, dormit tranquillement tandis qu’un aigle arrêté au-dessus de lui tenait
ses ailes déployées, comme pour le défendre des ardeurs du soleil. Ce prince,
avec de grandes qualités, n’était pas exempt de superstition; il croyait aux
présages. Il fait venir ce prisonnier; et, l’ayant interrogé, il apprend qu’il
se nomme Marcien, et qu’il est secrétaire d’Aspar et capitaine de ses gardes.
Persuadé que cet augure était pour Marcien le pronostic infaillible d’une haute
fortune, il lui donne la liberté, et lui permet de retourner à Constantinople,
après lui avoir fait jurer que, s’il est un jour le maître de disposer des
troupes romaines, il ne les emploiera jamais contre les Vandales. L’événement
se trouva conforme au présage, et nous verrons que Marcien, devenu empereur,
garda fidèlement sa parole. Il est rare qu’une fortune aussi extraordinaire que
celle de Marcien ne soit pas annoncée dans l’histoire par quelque événement
merveilleux, dont il est toujours permis de douter.
L’entreprise glorieuse que Théodose semblait
avoir. formée de délivrer l’Afrique n’eut point alors d’autres suites. Ce
prince avait trop d’occupations dans ses propres états. Constantinople était
affligée de la famine; et l’empereur, étant sorti de son palais pour aller en
personne visiter les greniers publics, eut occasion d’apprendre que la faim ne reconnait
plus de lois ni de maître. Il courut risque de la vie, une troupe de désespérés
ayant porté l’audace jusqu’à lui jeter des pierres. Il arriva dans le même
temps un autre désordre, qui mit toute la ville en alarme. Des esclaves
barbares, maltraités par un maître dur et impitoyable, prirent les armes; et,
s’étant réfugiés dans la grande église, s’emparèrent du sanctuaire. Malgré les
remontrances et les prières des prêtres, ils s’y maintinrent pendant plusieurs
jours, empêchant le service divin, et menaçant d’ôter la vie à quiconque approcherait
d’eux. Ce que deux ecclésiastiques ayant osé faire, ils massacrèrent l’un,
blessèrent l’autre, et tentèrent de mettre le feu à l’église. Enfin, pour
éviter de mourir de faim ou d’expirer dans les supplices, ils se tuèrent tous
au pied de l’autel. Un événement si tragique donna occasion à un édit au sujet
des asiles. L’empereur ordonna que non-seulement l’intérieur des églises, mais
aussi toute l’enceinte d’alentour, qui renfermait des logements, des jardins,
des bains, des portiques, servirait de refuge, et que les fugitifs y seraient
en sûreté. Il leur fut défendu de prendre leur repas ou de passer la nuit dans
l’église même, comme aussi de porter des armes. S’ils contrevenaient à cette
défense, les clercs, par l’autorité de l’évêque, dévoient les désarmer: s’ils
résistaient, on devait employer la force du bras séculier pour les arracher de
l’asile, après en avoir obtenu la permission de l’évêque et des magistrats
chargés de les punir. Le détail de cet édit nous instruit de plusieurs usages,
qui font honneur à la religion des empereurs. Lorsqu’ils entraient dans
l’église, ils laissaient leurs gardes en dehors et quittaient le diadème. Ils
n’approchaient de l’autel que pour y porter leur offrande, et se retiraient
ensuite dans la nef avec le peuple, selon la leçon que saint Ambroise en avait
faite au grand Théodose. L’année d’après, Théodose confirma la loi précédente
en ordonnant que, si un esclave se réfugiait sans armes dans une église, on en
avertirait son maître dans l’espace d’un jour, et que le maître pardonnerait à
l’esclave par respect pour le lieu saint ; mais que, si l’esclave était armé,
on l’en tirerait par force; et que, s’il se faisait tuer en résistant, le
maître ne serait point responsable de sa mort. Les clercs qui seraient
convaincus d’avoir favorisé le coupable dévoient être dégradés par l’évêque, et
remis entre les mains des juges séculiers, pour être punis selon la sévérité
des lois.
Mais l’objet qui attirait alors la
principale attention de Théodose, et qui consumait toute son activité, était le
concile assemblé à Ephèse pour examiner la doctrine de Nestorius. Cette affaire
est une de celles dont les suies ont été plus fâcheuses et plus durables: elles
ne sont pas même aujourd’hui entièrement éteintes, et le nestorianisme respire
encore dans plusieurs contrées de la terre. C’est aux annales de l’Eglise à
faire connaitre en détail le venin de cette hérésie, et tous les événements de
ce combat célèbre où la vérité et l’erreur luttèrent avec tant de force et de
chaleur dans la ville d’Ephèse. L’histoire de l’empire n’en doit parler
qu’autant que la puissance séculière prit part à la querelle, et elle n’y en
prit que trop: les intrigues de cour favorisèrent l’erreur, et retardèrent la
victoire de la vérité. Pour faire entendre ce que je dois exposer le plus
succinctement qu’il sera possible, il est nécessaire de remonter jusqu’au
commencement de l’épiscopat de Nestorius, et de tracer une idée de son
caractère. Après la mort de Sisinnius, évêque de la
ville impériale, et successeur d’Atticus, Nestorius fut mis en sa place le
dixième d’avril 428. Il était né à Germanicie, ville
située à l’orient du mont Amanus, dans la partie de la Syrie nommée alors l’Euphratésie, auparavant la Comagène. Ayant été élevé dans
le monastère de Saint-Euprépius, à deux stades
d’Antioche, il fut ordonné prêtre, et se fit une grande réputation de piété et
d’éloquence. Mais il n’avait de ces deux qualités que ce qu’il en faut pour
éblouir : une voix sonore, un extérieur avantageux, plus de facilité que de bon
sens, un discours rapide, fleuri, chargé d’embellissements étrangers, mais qui
n’avait rien de solide ni de naturel, lui attirèrent une foule d’auditeurs et
des applaudissements aussi frivoles que leur objet. Une extrême présomption lui
tenait lieu de savoir, expliquant tout, décidant de tout, sans faire aucun
compte de ce qu’on avait pensé avant lui. Sa piété n’était pas moins superficielle;
il cherchait beaucoup plus à paraitre vertueux qu’à l’être en effet; des habits
simples et grossiers, une contenance aussi étudiée que ses regards et ses
discours, un visage mortifié; tout annonçait en lui la pénitence, tandis que
dans le secret il ne se refusait aucune des commodités de la vie. Cette
hypocrisie lui gagna beaucoup de partisans ; elle l’éleva sur le siège de
Constantinople ; de grands prélats s’y laissèrent tromper, et Théodose crut
avoir trouvé un second Chrysostôme.
Nestorius voulut en effet en soutenir le
personnage par une affectation de zèle, mais qui n’était ni pur dans
l’intention, ni conduit par la prudence. Le jour même de son installation, dans
un sermon qu’il prononça devant Théodose, adressant la parole à l’empereur: Prince,
lui dit-il, donnez-moi la terre purgée d'hérétiques, et je vous donnerai le
ciel; prêtez-moi votre bras pour exterminer l'hérésie, et je vous aiderai à
vaincre les Perses. Ce ton de persécuteur et de dépositaire des grâces du
ciel dans un homme encore inconnu déplut aux catholiques sensés et modérés, qui
découvraient dans ses paroles moins d’amour pour la vérité que de légèreté,
d’emportement et de vanité. Ses actions ne furent pas moins téméraires. Cinq
jours après il fit, de sa propre autorité, abattre un édifice où les ariens s’assemblaient
secrètement pour faire leurs prières. Celte violence les jeta dans un tel
désespoir, qu’ils accoururent eux-mêmes, et mirent le feu à leur oratoire.
L’incendie, s’étant communiqué aux maisons voisines, répandit l’alarme par
toute la ville; ce qui fit donner à Nestorius, même par les orthodoxes, le nom d’Incendiaire.
Le nouveau prélat ne ménageait rien. Au risque de troubler l’état, il déclara à
toutes les sectes une guerre à outrance, et les poursuivit par des décrets fulminants,
dans l’Asie, dans la Lydie, dans la Carie. Il s’éleva à ce sujet de sanglantes
séditions à Milet et à Sardes; et il fallut toute l’autorité de l’empereur pour
arrêter cette dangereuse activité.
Ce n’est pas que ce prélat ne donnât
quelquefois de bons avis. On lui fait honneur de quelques lois utiles que
publia Théodose. II se trouvait des pères assez dénaturés, des maîtres assez
avares pour prostituer, ceux-là leurs filles, ceux-ci leurs esclaves. Théodose
permît à ces malheureuses victimes d’implorer le secours des évêques et des
magistrats pour s’affranchir de ce joug honteux: il déclara les coupables
privés de tout pouvoir sur elles, ci ordonna qu’ils fussent proscrits et
condamnés aux mines. Cette loi, datée du 21 d’avril, est adressée à Florence,
préfet du prétoire, qui, onze ans après, donna un exemple éclatant de son zélé
pour la pureté des mœurs. Le fisc profitait des désordres publics, et la
prostitution était devenue une branche de commerce qui payait à l’état une
redevance annuelle. Florence, pour engager l’empereur à abolir cet usage sans
que le trésor y perdît rien, fit présent au fisc d’une de ses terres, dont le
revenu égalait le produit de cette infâme contribution. Théodose, dans une de
ses lois, relève cette illustre générosité par de justes éloges, qu’il aurait
mieux fait sans doute de mériter lui-même: et l’on peut dire qu’en cette rencontre
Florence prit pour lui le rôle de l’empereur, et que l’empereur se contenta de
celui de Florence. En conséquence, ceux qui se déshonoraient par ce criminel
trafic furent condamnés à être fouettés publiquement et bannis du territoire de
Constantinople.
On peut encore attribuer aux conseils de
Nestorius la loi que Théodose fit afficher le 3o de mai suivant contre les
hérétiques. Toutes les peines et les notes d’ignominie qui leur sont imposées
par les lois précédentes se trouvent rappelées dans celle-ci. L’empereur y
nomme tous les hérétiques alors connus, et il en distingue plusieurs classes.
Il permet aux uns d’avoir des églises même dans les villes, pourvu qu’ils n’en
bâtissent pas de nouvelles; il ne permet aux autres d’en avoir que dans les
campagnes. Il y en a auxquels tout culte est interdit, en quelque lieu que ce
soit. Les manichéens sont proscrits avec plus d’horreur que les autres;
l’habitation des villes leur est défendue. Les Macédoniens étaient du nombre de
ceux auxquels il était permis d’avoir des églises dans les campagnes; mais ils
furent, peu de temps après, privés de cet effet de tolérance. Antoine, évêque
de Germe dans l’Hellespont, les traitait avec une extrême rigueur, pour faire
sa cour à Nestorius. Ils formèrent contre lui un complot criminel, et le firent
assassiner. En punition de ce forfait, toutes leurs églises furent données aux
catholiques. Mais ce ne fut pas sans doute Nestorius qui engagea Théodose à
chasser les pélagiens de Constantinople. Il était favorable à ces hérétiques; et
l’empereur suivit en ce point les avis de Marins Mercator, savant
ecclésiastique, qui vivait alors à Constantinople, et qui, après avoir combattu
Pélage, exerça son zèle contre Nestorius.
Ce prélat, le plus terrible fléau des
hérétiques, devint bientôt hérétique lui-même. Dès la première année de son
épiscopat, à la fête de Noël de l’an A28, il osa publiquement avancer dans son
église que Marie n’était pas mère de Dieu. Il divisait la personne de
Jésus-Christ, soutenant que le Verbe divin habitait seulement dans l’humanité
comme dans son temple, et qu’il n'y avait point d’union personnelle entre les
deux natures. Ces erreurs, enveloppées des subtilités d’une fausse dialectique,
séduisirent un grand nombre de fidèles, et même plusieurs prélats, mais révoltèrent
la plus saine partie de l’Eglise. Cyrille, évêque d’Alexandrie, aussi vif, mais
plus instruit et plus ami de la vérité que Nestorius, fut l’athlète invincible
que la Providence opposa à cet hérésiarque. Le pape Célestin, à la tête de
toute l’Eglise d'Occident, se déclara hautement contre la nouvelle doctrine.
L’Orient était partagé, et la cour même divisée en deux factions contraires. Pulchérie,
que Cyrille avait eu soin de prévenir contre l’erreur naissante, prit le parti
de l’ancienne tradition : elle y engagea ses sœurs, et les nestoriens s’en
vengèrent par les plus noires calomnies. Théodose, gouverné par ses eunuques,
et séduit par Chrysorète, son grand-chambellan, qui était
dévoué à Nestorius, fut trop longtemps favorable à ce prélat imposteur: sans
approuver l’erreur qu’on lui déguisait, il en protégeait l’auteur, et refusait
d’écouter les plaintes qu’on lui portait sur les procédés violents et
tyranniques de cet homme superbe. Il fut même irrité de ce que Cyrille avait
écrit séparément à lui et à sa sœur Pulchérie. On lui fit entendre que l’évêque
d’Alexandrie cherchait à semer la discorde dans la maison impériale, et ces
rapports calomnieux attirèrent à Cyrille une lettre pleine de reproches. Enfin,
pour terminer cette grande querelle, l’empereur, également sollicité par les
deux partis, qui tous deux espéraient la victoire, l’un par son crédit, l’autre
par la force de la vérité, convoqua un concile général à Ephèse. Cette ville
fut choisie comme très propre, par sa situation et par son grand commerce, à
recevoir et à entretenir commodément les prélats qui pourraient y arriver par
terre et par mer. L’édit de convocation, daté du 19 novembre 43o, porte le nom
des deux empereurs, et est adressé à tous les évêques du monde. Les
métropolitains, avec ceux de leurs suffragants qu’ils voudraient choisir,
eurent ordre de se rendre à Ephèse pour le jour de la Pentecôte de l’année
suivante.
Le concile commença le 22 de juin. Il s’y
trouva environ deux cents évêques de l’Orient, de l’Egypte et de la Macédoine.
Le déplorable état où l’Afrique gémissait retint les évêques de cette province;
mais Capréolus, évêque de Carthage, écrivit en leur
nom une lettre d’excuses, par laquelle il s’unissait à Cyrille. Le pape
Célestin y envoya trois légats pour y assister en son nom et au nom des évêques
d’Occident. Cyrille y présida et comme vicaire du saint siège, et comme évêque
d’Alexandrie. Il fut l’âme de cette sainte assemblée, et l’objet principal
de la haine de Nestorius et de ses partisans. Candidien, comte des domestiques,
fut chargé d’y maintenir l’ordre et la paix; commission dont il s’acquitta fort
mal en troublant toute la ville d’Ephèse par une partialité déclarée en faveur
de Nestorius. Ce prélat hautain et opiniâtre vint à Ephèse avec un nombreux
cortège, bien résolu de n’épargner ni fraude ni violence pour triompher de ses
adversaires. Sommé juridiquement de comparaitre devant les évêques assemblés,
il refusa de reconnaitre leur autorité. Il fallut examiner sa doctrine dans ses
écrits en son absence, et il fut, dès la première session, condamné, chargé
d’anathèmes, excommunié, et déclaré déchu de l’épiscopat. En vain les prélats
écrivirent à Théodose pour lui rendre compte de leur décision; Candidien interceptait
leurs lettres; et, de concert avec l’hérésiarque, il prévint tellement Théodose
par de fausses relations, que ce prince manda aux évêques qu’il était fort
mécontent de leur procédé, et qu’il n’y aurait aucun égard. Les réponses et les
députés du concile ne pourvoient parvenir à l’empereur; on leur fermait toutes
les entrées; et la vérité aurait succombé, si ce n’était son privilège de
forcer enfin les plus puissants obstacles, et de surmonter toutes les cabales
formées contre elle. Jean, évêque d’Antioche, n’étant arrivé à Ephèse qu’après
l’ouverture du concile et la condamnation de Nestorius, refusa de venir à
l’assemblée: il en forma lui-même une autre, composée de quarante-trois
évêques, les uns partisans de l’hérésie, les autres trompés par Nestorius,
qu’ils croyaient injustement persécuté. Ils tinrent leurs séances dans une
hôtellerie; et, tandis que le vrai concile, attentif à ne jamais s’écarter des
formes régulières, lançait les foudres de l’Eglise contre Jean et ses adhérons,
le conciliabule, sans observer ni règle ni forme, prononçait contre Cyrille et
contre Memnon, évêque d’Ephèse, la sentence de déposition. D’un côté l’autorité
légitime, de l’autre l’emportement et la violence détruisaient toutes les
décisions du parti contraire. On écrivit de part et d’autre à l’empereur: les
lettres des schismatiques arrivaient seules jusqu’à lui; ils étaient appuyés du
crédit des eunuques. Le comte Irénée, ami de Nestorius, fit publier dans
l’église de Constantinople l’excommunication portée contre Cyrille; mais, les
députés de l’évêque d’Alexandrie étant survenus, la cour se divisa en deux
partis. L’empereur commençait à craindre que sa religion n’eût été surprise :
il prit le parti d’envoyer sur les lieux un officier principal pour agir en son
nom, et rétablir le bon ordre. Dans cette vue, il ordonna que Cyrille, Memnon
et Nestorius demeurassent déposés, et que les autres évêques se réunissent en
un seul corps. Jean, intendant des finances, fut choisi pour exécuter cette
réunion. Il fit arrêter les trois évêques; mais il ne put engager les
orthodoxes à communiquer avec Jean d’Antioche. Aussi partial que Candidien, il
continua d’en imposer à Théodose. Enfin le vrai concile, bien informé que
toutes les instructions et toutes les plaintes qu’il envoyait à l’empereur étaient
interceptées, dépêcha un homme de confiance, déguisé en mendiant, et le chargea
de lettres qu’il porta enfermées dans un bâton creux. Elles étaient adressées
aux évêques, au clergé, aux abbés, et en particulier à Dalmace,
qui, n’étant point sorti de son monastère depuis quarante-huit ans, était
cependant très connu par la sainteté de sa vie. Il avait le titre
d’archimandrite, c’est-à-dire chef de tous les monastères de Constantinople.
Ces lettres mirent toute la ville en mouvement. Le clergé fit à l’empereur de
respectueuses remontrances. Les moines sortirent de leurs monastères; et,
marchant en procession en chantant des hymnes à la suite de leurs abbés, Dalmace à la tête de tous, ils vinrent au palais, suivis
d’une foule de peuple. L’empereur fit entrer les abbés, qui lui remirent entre
les mains la lettre du concile. Il ouvrît alors les yeux, et se rendit aux avis
de sa sœur, qui l’aida à démêler la vérité obscurcie par tant d’impostures. Il
permit aux évêques des deux partis de lui députer pour plaider leur cause
devant lui. En même temps il envoya ordre à Nestorius de sortir d’Ephèse, lui
permettant de se retirer où il voudrait, pourvu qu’il ne revînt jamais à
Constantinople. Chaque parti nomma huit députés, qui reçurent ordre d’attendre
l’empereur à Chalcédoine, de crainte que leur arrivée à Constantinople
n’allumât le feu de la discorde. Théodose les écouta favorablement dans cinq
audiences; mais, ne pouvant réunir des esprits si divisés, il les congédia,
laissant subsister la condamnation de Nestorius, et tout ce qui a voit été
décidé dans le concile, sans rien prononcer cependant contre Jean d’Antioche et
ses partisans. Il ordonna que Cyrille et Memnon fussent élargis, et que chaque
évêque se rendît au plus tôt dans son diocèse. En retournant à Constantinople,
il y conduisit les députés du vrai concile, pour y ordonner un évêque: on
choisit pour cette place éminente un saint prêtre nommé Maximien. Ce fut ainsi
qu’après cinq mois des plus violentes agitations, se termina ce concile,
regardé comme le troisième concile œcuménique, parce que tout l’Occident y prit
part dans la personne des députés du pape Célestin, et que ses décisions furent
reçues de toute l’Eglise.
Ce consentement universel de l’Occident
ne put ramener Jean d’Antioche, ni les prélats de son parti, le plus célèbre était
Théodoret, évêque de Cyr, renommé par la sainteté de sa vie, par son éloquence
et par ses savants écrits. Ils demeurèrent longtemps persuadés de l’innocence
de Nestorius. L’empereur n’épargna aucun soin pour procurer une union si
désirable, li écrivît au fameux solitaire Siméon Stylite pour le prier
d’obtenir de Dieu la paix de l’Eglise. Il chargea le secrétaire d’état Aristolaus et le comte Denys, général des troupes d’Orient,
de s’employer avec ardeur à la réconciliation. Enfin, après deux ans de
négociations, la concorde fut rétablie. Jean se réunit de bonne foi avec
Cyrille; il anathématisa Nestorius, et se déclara contre l’hérésie, qu’il n’avait
jamais approuvée, mais qu’il avait refusé d’apercevoir dans ceux qui en étaient
infectés. Théodoret revint peu à peu au même parti. Les prélats opiniâtres
furent déposés. Pour achever de proscrire le Nestorianisme, l’empereur fit
publier, le troisième d’août 435, une loi semblable à celle que Constantin avait
faite autrefois contre les ariens. Il ordonna qu’on éviterait même de prononcer
leur nom, et qu’on leur donneront celui de simoniens, c’est-à-dire, de
sectateurs de Simon le magicien, cet insigne imposteur. Il défendit de copier,
de lire, de garder aucun de leurs livres, qui seraient tous recherchés et
brûlés publiquement, comme aussi de leur donner retraite pour tenir aucune
assemblée, sous peine de confiscation de tous les biens. Quatorze ans après,
cette loi fut renouvelée par une autre encore plus rigoureuse, qui prononçait
peine de mort contre les réfractaires: celle-ci ordonnait de plus que les
évêques et les clercs attachés aux erreurs de Nestorius fussent chassés des
églises, et les laïcs frappés d’anathème : elle permettait à quelque personne
que ce fût de les accuser; elle défendit de rien enseigner, ni même de rien
dire qui fût contraire aux décrets de Nicée et d’Ephèse. Le comte Irénée, qui,
pendant le concile avait servi Nestorius de tout son pouvoir, ayant été depuis
ce temps-là élu évêque de Tyr, quoiqu’il fût veuf de deux femmes, l’empereur
déclara son ordination nulle et illégitime : il lui enjoignit de se retirer
dans sa patrie, avec défense d’en sortir, et d’y répandre ses erreurs.
L’hérésiarque, qui s’était d’abord retiré dans son ancien monastère, aux portes
d’Antioche, continuant d’y dogmatiser, fut exilé dans l’Oasis. Les Blemmyes,
ayant fait une irruption dans ce pays, l’emmenèrent prisonnier, et lui
donnèrent ensuite la liberté. Il vint à Panopolis, en
Thébaïde, d’où le gouverneur de la province le relégua sur la frontière , dans
la ville d’Eléphantine. On le ramena quelque temps après à Panopolis pour le reléguer encore. Ainsi, chassé sans cesse, sans cesse rappelé, changeant
à tout moment d’exil, vil rebut de toutes les contrées qui détestaient ses
blasphèmes, accablé de maux et de fatigues, mais toujours obstiné, il mourut
dans l’impénitence. Son hérésie ne fut pas éteinte par son éloignement, ni même
par sa mort. Maximien , n’ayant vécu que deux ans et demi sur le siège de
Constantinople, les partisans de Nestorius, qui était encore dans son monastère
d’Antioche , demandaient avec de grands cris qu’on le rappelât, et menaçaient
de mettre le feu à l’église et à la ville. Pour prévenir ces desseins
pernicieux, Théodose, par le conseil de Taurus et de ses autres ministres,
permit sans différer aux évêques qui se trouvaient pour lors à Constantinople
de mettre Proclus sur le trône épiscopal. Dans une conjoncture si pressante, il
crut pouvoir se dispenser des règles prescrites par les canons, d’autant plus
que Proclus était universellement désiré à cause de son grand savoir et de sa
vertu. Après la mort de Nestorius, ses sectateurs recherchaient ses reliques
comme celles d’un martyr. Son apologie a été écrite en syriaque par plusieurs
auteurs. Sa doctrine s’est étendue jusqu’aux extrémités de l’Orient. On voit,
par le célèbre monument de pierre qui fut déterré en 1625 près de Signan-fu, dans le Chensi,
province de la Chine, et dont l’autorité est appuyée sur des preuves
incontestables, que le nestorianisme fut prêché dans ce royaume dès l’an 636 de
Jésus-Christ; et qu’alors plusieurs prêtres nestoriens vinrent de Balk, ville du Korasan, près de
l’Oxus, jusque dans la Chine, où le christianisme avait pénétré par les Indes
dès le premier siècle de l’Eglise. Les livres syriens nous apprennent qu’au
huitième siècle il y avait dans la Chine un métropolitain soumis au patriarche
que les nestoriens avoient en Chaldée. Cette secte hérétique est détruite en ce
pays : après s’y être altérée de plus en plus par un mélange d’idolâtrie
indienne, elle a entièrement disparu. Mais elle subsiste plus ou moins
corrompue dans l’Egypte, l’Arabie, la Chaldée, la Perse, les Indes et la
Tartarie. Au seizième siècle, les nestoriens nominaient encore Nestorius dans
le canon de la messe au nombre de ceux qu’ils révéraient comme les plus saints
personnages.
Une erreur subtile et métaphysique telle
que celle de Nestorius devait s’introduire sans beaucoup de peine. Mais ce qui
arriva vers ce temps-là dans l’île de Crète montre qu’une illusion, quelque
grossière qu’elle soit, trouve toujours des têtes préparées à la recevoir, et
que le plus insensé fanatisme peut devenir épidémique. Cette île était peuplée
de Juifs. Un d’entre eux fut assez impudent pour publier qu’il était Moïse; que
c’était lui qui a voit autrefois traversé la mer Rouge à la tête des tribus
d’Israël, et que Dieu l’envoyait de nouveau pour conduire son peuple au travers
de la mer dans la terre de promission. Il parcourut en une année toutes les
villes de Crète, semant partout son imposture. Les Juifs, enivrés de ses
magnifiques promesses, le suivaient en foule avec leurs femmes et leurs enfants,
abandonnant leurs possessions. A mesure qu’il avançait, la troupe de ses
sectateurs grossissait toujours, et l’illusion acquérait un plus grand crédit.
Le jour fixé pour le départ, il les conduit à la pointe d’un promontoire, et
leur ordonne de se précipiter avec une pleine confiance, que les abîmes vont s’ouvrir
et leur laisser un chemin sec entre les eaux. On s’empresse; les plus dispos
franchissent le saut les premiers, et périssent, les uns brisés par les
rochers, les autres engloutis dans les flots. C’en était fait de tout ce
peuple, s’il ne se fût trouvé en ce lieu des pêcheurs et des marchands
chrétiens, qui retirèrent des eaux quelques-uns de ces misérables, et
chassèrent les autres du rivage. Ceux qu’on a voit sauvés, étant enfin
détrompés, désabusèrent leurs camarades. On chercha l‘imposteur, qui ne se
trouva point; et, par une imagination moins dangereuse que la première, on se
persuada que c’était un démon qui avait emprunté la figure humaine. Un grand
nombre de ces Juifs quittèrent avec cette erreur celle de leur religion , et se
convertirent au christianisme.
La religion ne courait aucun risque en
Occident; mais la rivalité d’Aétius et de Boniface y causa de grands troubles.
Boniface était revenu de l’Afrique, ayant laissé en sa place Trigétius pour s’opposer aux progrès de Genséric. Il fut
bien reçu de Placidie, auprès de laquelle il était déjà justifié. Aétius était
alors occupé en Gaule à réprimer les incursions des François. L’impératrice, qui
le haïssait, mais qui le craignit encore davantage, n’avait osé lui ôter le
commandement des troupes; et, dissimulant son ressentiment, elle l’avait même
honoré du consulat de celte année 432. Lorsque Boniface fut arrivé, elle se
crut assez forte pour abattre la puissance d’un sujet superbe, qui, outre la
perte de l’Afrique, dont était cause sa perfidie, s’était encore rendu criminel
en se rendant redoutable à son souverain. Pour le blesser par l’endroit le plus
sensible, elle affecta de combler Boniface de faveurs: elle fit frapper des
médailles où son nom était gravé au revers de la tête de l’empereur: elle lui
conféra le titre de patrice, et le créa grand-maître de la milice, c’est-à-dire
général des armées de l’empire: c’était dépouiller Aétius. Celui-ci n’eut pas
plus tôt appris cette nouvelle, qu’il revint en Italie avec ses troupes.
Boniface, à la tête de celles qui se trouvaient dans Ravenne, marcha au-devant
de lui. Il se livra un combat, dans lequel Aétius fut vaincu, et Boniface blessé
de la main de son rival. Il mourut de cette blessure au bout de trois mois.
Placidie, inconsolable de la perte de ce
grand capitaine, fit passer tous ses titres et toutes ses charges sur la tête du
comte Sébastien, son gendre. C’était un homme également habile pour le conseil
et pour l’exécution , vaillant, laborieux, vigilant. Aétius s’était retiré sur
une de ses terres, où il se tenait caché pour se dérober au ressentiment de
l’impératrice. Mais, ayant été découvert, et sur le point d’être enlevé par un
de ses ennemis, il se sauva d’abord à Rome , où, ne trouvant pas de sûreté, il
passa en Dalmatie, et de là en Pannonie, pour implorer l’assistance des Huns,
ses anciens amis, dont le roi, nommé Roua ou Ragula, lui
donna quelques troupes. L’approche d’Aétius suivi de ces barbares, jeta
l’alarme dans Ravenne. On envoya des députés à Théodoric, roi des Visigoths,
pour lui demander du secours. Enfin la timide Placidie crut que le meilleur
parti était de regagner Aétius. Elle traita donc avec lui, le rappela à la
cour, lui rendit toutes ses dignités, y ajouta encore celle de patrice; et,
dans ce faible gouvernement, un sujet coupable gagna plus par sa rébellion
qu’il n’avait auparavant obtenu par ses services. Sébastien fut sacrifié; il
lui fallut chercher asile à la cour de Constantinople. N’y trouvant que cette
froide et stérile considération que donne une illustre infortune, il s’ennuya
de n’être qu’un objet de compassion, et se mit à la tête d’une troupe de
pirates qui infestaient l’Hellespont et la Propontide. Bientôt las de cette vie
criminelle et misérable tout ensemble, il passa en
Aquitaine, auprès de Théodoric, roi des Visigoths: il trouva moyen de s’emparer
de Barcelonne; mais, en ayant été chassé peu de temps
après, il se retira en Afrique, à dessein d’y servir Genséric, et de se venger
de son injuste disgrâce. Ce prince venait alors de s’emparer de Carthage. Il se
souvenait de l’inconstance de Boniface; et, craignant qu’à son exemple son
gendre ne voulût, par une seconde trahison, racheter la faveur de Placidie en
se rendant maître de cette ville, il résolut de s’en défaire, et se servit du
prétexte de la religion. Un jour, en présence de toute sa cour : Je compte,
dit-il à Sébastien, sur votre fidélité; mais, pour m’en assurer davantage,
je souhaite que vous embrassiez notre religion, et que vous receviez le baptême
de nos évêques. Sébastien se fit apporter un pain de la table du roi, et,
le montrant à Genséric : Prince, lui dit-il, faites rompre ce pain en
morceaux, faites le tremper, pétrir de nouveau et remettre au four. S’il en
sort meilleur qu’il n’est maintenant, je ferai ce que désire votre majesté. Par cette réponse aussi ferme qu’ingénieuse, le roi, convaincu de sa résolution
, prit le parti de le faire mourir. En 449, on trouve son nom dans un
martyrologe. En effet, il exposa sa vie pour conserver sa foi, et ce sacrifice
a pu expier les fautes de sa vie passée. Mais, selon la remarque de M. de
Tillemont, il est toujours dangereux de se hâter de canoniser les grands.
Les incendies étaient fréquents à
Constantinople. L’année 433 il y en eut un, le plus terrible que cette ville
eût encore éprouvé depuis Constantin. Il commença le 17 d’août dans l’arsenal
de la marine, et, pendant deux jours et deux nuits, il consuma toute la partie
septentrionale de la ville. Les greniers publics, les bains d’Achille et tous
les environs furent réduits en cendres. L’église des novatiens fut, dans ce
quartier, le seul édifice qui résista aux flammes. Ces hérétiques en firent un
miracle, qu’ils attribuèrent aux mérites et aux prières de leur évêque Paul;
et, en mémoire de cet événement , ils instituèrent une fête annuelle , qui se célébrait
le 17 du mois d’août.
Une loi du 15 décembre 434 nous apprend
qu’en ce temps-là ceux qui s’engageaient dans la vie monastique y conservaient
l’usage et la propriété a leurs biens. S’ils mouraient sans testament et sans
rentiers légitimes, leur succession, selon le droit commun, était dévolue au
fisc. Théodose renonça à ce droit de déshérence à l’égard des évêques, des
autres ecclésiastiques, des religieux et religieuses. Il déclara qu’après leur
mort les églises et les monastères seraient leurs héritiers, s’ils n’en avaient
point laissé d’autres, et que leurs biens fussent libres de tout engagement.
On vit alors un de ces événements
scandaleux que le silence étouffe dans les familles obscures, mais dont le bruit
éclate dans les palais et retentit jusqu’à la postérité. Une princesse de seize
ans, fille, sœur, nièce et cousine germaine d’empereurs, chassée de la cour de
son frère, qu’elle avait déshonorée, arriva couverte de honte à Constantinople.
Placidie, mère d’Honoria, ne croyait pas que sa fille
pût prendre un mari sans avilir le nom d’Auguste dont elle était décorée; et
peut-être ne lui avait-elle procuré ce titre que pour l’obliger à une virginité
perpétuelle, de crainte de donner un rival à son fils Valentinien en lui
donnant un beau-frère. Honoria paraissait peu
disposée à se prêter à ces arrangements politiques: l’exemple de Pulchérie et
de ses sœurs, qu’on lui citait sans cesse, la touchait moins que sa propre
inclination. Elle en donna tant de soupçons, qu’on crut qu’il était nécessaire
de la garder étroitement. Cette contrainte révolta sa vivacité naturelle; elle
chercha tous les moyens de s’affranchir de cet esclavage: et, bien moins
sensible au sort de l’empire qu’au sien propre, elle jeta les yeux sur Attila,
qui venait de monter sur le trône. Elle entendit dire que c’était un prince qui
ne respirait que la guerre et l’agrandissement de son empire. La férocité qu’on
lui attribuait effrayait moins Honoria que la
condition à laquelle elle se regardait comme condamnée; et elle voulut être
elle-même une des conquêtes du roi des Huns. Dans cette résolution désespérée,
elle trouva moyen de lui dépêcher un eunuque affidé pour lui déclarer qu’elle
le choisissait pour époux, et qu’elle lui transmettait tous les droits que sa
naissance lui donnait sur la succession du grand Théodose. En conséquence, elle
l’invitait à venir au plus tôt en Italie, et elle lui envoyait un anneau pour
gage de la foi conjugale. Mais elle ne se fit pas scrupule de violer cet
engagement romanesque. Comme Attila tardait trop à son gré, elle s’abandonna à
son intendant, nommé Eugène, et ce commerce secret éclata bientôt par des
signes non équivoques. Placidie, irritée, la chassa du palais. Honoria, portant avec elle son ignominie, se réfugia auprès
de Théodose; et la cour d’Orient, accoutumée à voir trois princesses chastes et
vertueuses, la reçut en rougissant de sa honte. Nous verrons dans la suite quel
avantage Attila sut tirer de ces avances.
La paix se maintenait en Orient, et ces
années fournissent peu d’événements dans cette partie de l’empire. Nous allons
rassembler en peu de mots ceux de l’année 435 et de la suivante. Théodose
orna la ville de Constantinople d’une nouvelle place à laquelle il donna son
nom. Le théâtre d’Alexandrie s’écroula tout à coup pendant que le peuple assistait
à un spectacle, et cinq cent soixante et douze personnes furent écrasées sous
les ruines. Les païens et les Juifs, irrités des lois sévères, dont j’ai déjà
fait mention, se soulevèrent en Syrie, en Phénicie, en Palestine, en Arabie. A Laodicée
de Syrie, les Juifs se saisirent de l’archidiacre, le traînèrent au théâtre, et
l’y firent mourir dans les supplices. Ces excès furent arrêtés par le châtiment
des plus coupables. L’empereur alla par mer à Cyzique, et, après un séjour de
trois semaines, pendant lesquelles il combla cette ville de bienfaits, il revint
à Constantinople. Il augmenta de cent dix boisseaux par jour la distribution
gratuite de blé qui se faisait au peuple d’Alexandrie. Gigance,
Cappadocien, gouverneur de l’Augustamnique, province
d’Egypte, dont Péluse était la capitale, avait cruellement vexé les habitants
en les accablant d’impositions excessives. Plusieurs d’entre eux avoient été
obligés d’abandonner leurs biens et de s’exiler de leur patrie. L’empereur
ordonna de mettre aux fers cet injuste magistrat; il lui fit faire son procès,
et le punit par la confiscation de ses biens. Des moines turbulents voulaient
exciter de nouveaux troubles en faisant condamner Théodore, évêque de Mopsueste, mort dans la communion de l’Eglise. Ce prélat avait
été le maître de Nestorius; et l’on prétendait trouver dans ses écrits la
source de l’hérésie proscrite à Ephèse. Théodose étouffa pour lors ces
nouvelles semences de discorde, qui se ranimèrent dans la suite, et
produisirent de longues et fâcheuses contestations.
L’Occident ne jouissait pas de la même
tranquillité. Les Gaulois révoltés, les Francs, les Bourguignons, les
Visigoths, donnaient un continuel exercice aux armes romaines. Ce fut un
soulagement pour l’empire de n’avoir pas en même temps à combattre les
Vandales. Trigétius, successeur de Boniface, fit la
paix avec Genséric. Ce prince politique, ne se laissant pas éblouir de ses
succès passés, crut devoir assurer ses conquêtes avant que d’y en ajouter de
nouvelles. Il consentit à payer tous les ans un tribut, dont il savait bien
qu’il s’affranchirait dès qu’il le jugerait à propos. A cette condition,
l’empire lui cédait en propriété la Proconsulaire, à l’exception de Carthage,
la Byzacène, et ce qu’il avait conquis de la Numidie. Genséric s’engagea par
serment à ne rien entreprendre sur le reste de l’Afrique, dont les Romains demeureraient
paisibles possesseurs. Pour sûreté de sa parole, il donna son fils Huneric en
otage. Mais il sut si bien persuader la cour de Ravenne de sa sincérité, qu’on
ne tarda pas à lui renvoyer son fils. Ce traité fut conclu le 11 février 435.
La Gaule, désolée par tant de ravages, était
encore épuisée par ses magistrats. Leur avarice, plus destructive que l’épée
des ennemis, força les habitants les plus distingués d’aller chercher
auprès des barbares l’humanité qu’ils ne trouvaient plus chez les Romains. Les
paysans, qui n’avoient de ressource que dans leur désespoir, prirent les armes,
s'attroupèrent, et, sous le nom de Bagaudes, qui depuis le règne de Dioclétien était
devenu commun à ces sortes de rebelles, ils se mirent à ravager les terres
qu’ils avoient inutilement cultivées pour des maîtres ingrats et cruels. Un
certain Tibaton se mit à leur tête; et l’esprit de
révolte s’étant répandu dans tout le pays, depuis la Loire jusqu’au fond de la
Belgique, les esclaves se soulevèrent et se joignirent aux séditieux. Ils s’emparaient
des châteaux; ils en construisaient même dans les lieux avantageux pour leur
servir de retraite; et l’on rapporte que Saint-Maur, auprès de Paris, fut
autrefois appelé le château des Bagaudes. Il est aisé d’imaginer les
excès auxquels se porta une multitude grossière que la misère avait rendue
sauvage et féroce. Cette guerre dura deux ans. Enfin Tibaton fut pris et puni du dernier supplice. Les autres chefs de la faction furent les
uns mis à mort, les autres condamnés à une prison perpétuelle. Ce feu mal
éteint se ralluma encore neuf ans après dans la Gaule; mais il avait auparavant
passé en Espagne, où il fit d’horribles ravages. En 441, Asture,
général des troupes de l’empire, extermina un grand nombre de Bagaudes dans un
combat près de Tarragone. Deux ans après, Mérobaude, son gendre et son
successeur, les battit encore près d’Aracelle,
aujourd’hui Huarte-Araquil, à six lieues de
Pampelune, vers l’occident. Ce général fut, peu de temps après, rappelé à la
cour par les intrigues de ses envieux. En 448, Basile, homme hardi et violent,
se déclara leur chef, et fit la guerre aux troupes de Théodoric, qui avoient
passé les Pyrénées pour détruire ces brigands. Après avoir battu les Visigoths,
il les poursuivit jusque dans l’église de Tarazone,
où ils s'étaient réfugiés, et les passa tous au fil de l’épée, avec Léon, évêque
de cette ville. Il ravagea ensuite les environs de Saragosse. Cette même année
les paysans, s’étant de nouveau soulevés dans la Gaule, un médecin nommé Eudoxe
fut accusé d’avoir allumé cette sédition; et, pour éviter le châtiment, il se
réfugia auprès d’Attila, qui faisait alors trembler les deux empires. Il est
encore parlé de ces Bagaudes sous la troisième année du règne de Marcien.
Frédéric, frère de Théodoric II, roi des Visigoths, faisant la guerre au nom de
l’empire, les défit dans la province Tarraconaise.
Les Armoriques s’étaient en même temps soulevés, soit de concert avec les Bagaudes, soit
qu’ils fissent la guerre séparément et en leur propre nom. Litorius,
un des généraux de l’empire, et le plus puissant après Aétius, auquel il devait
sa fortune, marcha contre eux avec une troupe de Huns auxiliaires. Majorien,
qui devait être fort jeune dans celte expédition, y fit connaitre son courage.
La guerre continua pendant l’hiver. Il y eut des combats sur les bords de la
Seine, de la Loire, du Clain en Poitou, et de l’Allier. La ville de Tours fut
attaquée et défendue. Enfin les rebelles furent soumis, ou du moins réprimés;
car il parait qu’ils ne rentrèrent jamais dans une entière et parfaite
obéissance aux lois de l’empire.
Nous remettons aux années suivantes à
parler des incursions des Francs, qui ne purent encore se procurer un
établissement durable. Mais le royaume des Bourguignons, fondé depuis
vingt-trois ans, se vit dès ce temps-là près de sa ruine. Leur roi Gondicaire,
qui portait le titre d’allié des Romains, s’ennuyant d’un trop long repos,
porta le ravage dans la Belgique. Aétius accourut au secours de cette province
avec une armée d’Hérules, de Huns, de Frans et de Sarmates. Il entretenait des
liaisons avec tous ces barbares :c’était des ressources qu’il se ménageait par
une artificieuse politique, pour se soutenir en cas de disgrâce, et pour être
en état de faire la loi a son souverain. En attendant qu’il eût besoin de leur
service, il les employait à celui de l’empire, dont ils étaient les ennemis
naturels. Avitus servait dans cette armée. Gondicaire fut entièrement défait,
et réduit à demander la paix, qui lui fut accordée.
Aétius ne se mit pas fort en peine
d’assurer aux vaincus la jouissance de cette paix. Les Huns, qui faisaient
partie de son armée, ayant été congédiés après la guerre, se jetèrent,
peut-être à son instigation, dans le pays des Bourguignons, et leur tuèrent
dans une bataille vingt mille hommes. Gondicaire fut du nombre des morts, avec
presque toute sa famille. Les vainqueurs s’arrêtèrent dans un canton du pays,
d’où ils ne cessaient de faire des courses, pillant les campagnes et massacrant
les habitants. Contre ces cruels ennemis les Bourguignons n’implorèrent pas le
secours d’Aétius, dont la sincérité devait leur être suspecte; ils eurent
recours au dieu des Romains, dont la protection était plus assurée. Ceux
d’entre eux qui n’avoient pas encore reçu le baptême, allèrent à Trêves, et,
après un jeûne de sept jours, ils furent baptisés par saint Sévère, alors
évêque de cette ville. Animés d’un nouveau courage, ils marchèrent au nombre de
trois mille contre les Huns, dont l’armée était de dix mille hommes. La nuit
précédente, Uptar, roi des Huns, était mort d’un
excès de table. Les Huns, sans chef, surpris de cette attaque imprévue, furent
taillés en pièces. Ceux qui échappèrent de la défaite abandonnèrent la contrée.
Quelques auteurs croient que cet Uptar est le même
qu’Octar, frère de Roua et de Mundiuque,
dont le dernier fut père d’Attila. Gondicaire eut pour successeurs Gondiac et Chilperic, soit que
ces deux princes aient partagé ses états, soit qu’ils aient régné conjointement
et par indivis. Grégoire de Tours dit que Chilpéric établit son séjour à
Genève. En effet, ce fut à peu près en ce temps-là qu’Aétius fit donner aux
Bourguignons ce que nous nommons la Savoie, qui comprenait alors une grande partie
de ce qu’on appelle aujourd’hui le Dauphiné.
Pendant cette guerre des Bourguignons,
les Visigoths attaquaient la province narbonnaise. La paix conclue ans
auparavant avec Théodoric n’avait pas fait perdre à ce prince le désir
d’étendre ses états jusqu’au Rhône. Il avait déjà donné plusieurs atteintes au
traite par des actes d’hostilité. Cette année 436, il en vint à une rupture
ouverte. Après s’être emparé de plusieurs places, il mit le siège devant
Narbonne. La ville, dépourvu de munitions, ne souffrit pas moins de la famine
et de la peste que des attaques de l’ennemi. Litorius,
qui venait de réduire les Armoriques, reçut ordre de
courir au secours de Narbonne. Il y conduisit en diligence la cavalerie des
Huns, dont il s’était servi dans son expédition. Ces barbares, accoutumés au
brigandage, ne faisaient nulle distinction d’amis et d’ennemis: en traversant
l’Auvergne, il la ravagèrent avec la férocité qui leur était naturelle. Avitus
, déjà renommé pour sa valeur, s’était retiré à Clermont, sa patrie, après la
victoire d’Aétius sur les Bourguignons, à laquelle il avait eu grande part. Il
apprit qu’un de ses esclaves venait d’être tué par un cavalier barbare. Il
prend aussitôt ses armes, monte à cheval, et s’étant fait passage à grands
coups d’épée au travers de l’escadron des Huns, il va chercher le meurtrier,
qu’on lui avait désigné. Il pouvait le tuer sur-le-champ, l’ayant pris au
dépourvu; mais, pour faire respecter à ces barbares la valeur romaine, il lui
ordonna de se mettre en défense et de prendre carrière. On s’écarte pour les
voir combattre. Dès le premier choc, Avitus perce le barbare de part en part,
et le renverse mort par terre. Il se joint ensuite à Litorius,
et marche avec lui vers Narbonne. Les cavaliers, portant en croupe chacun deux
boisseaux de blé, donnèrent sur les assiégeants avec tant de furie, qu’ils
pénétrèrent dans la ville, et y établirent l’abondance. Avitus était estimé de
Théodoric, qui avait tenté de l’attirer à son service. Après avoir rafraîchi la
place, il en sortit pour conférer avec le roi des Visigoths, qu’il engagea à
faire retraite plutôt que de s’obstiner à un siège dont il ne pourrait retirer
que du déshonneur.
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