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LIBRAIRIE FRANÇAISE

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.

 

 

LIVRE TRENTIÈME.

HONORIUS, THÉODOSE II

 

Athaulf régnait au-delà des Pyrénées; et ce prince, naturellement guerrier, mais pacifique par réflexion, ne cherchait qu’à lier de plus en plus ses intérêts à ceux de l’empire. Il est vraisemblable qu’il avait dessein de chasser de l’Espagne les autres barbares, et de s’y former un royaume qui, dans la personne de son fils, se trouverait un jour réuni avec l’empire d’Occident. La mort de ce fils, peu de mois après sa naissance, renversa ces projets, et plongea dans une douleur amère Athaulf et Placidie. Le corps fut enfermé dans un cercueil d’argent, et déposé dans une église près de Barcelone. Athaulf ne survécut pas longtemps à son fils, un jour qu’il visitait son écurie, il fut poignardé par un de ses écuyers, que les uns nomment Dobbius, et les autres Vernulfe. Ce scélérat, cherchant l’occasion de venger son maître, qu’ Athaulf avait fait mourir, s’était mis au service de ce prince, et avait eu l’adresse de gagner sa confiance. Selon quelques auteurs, l’assassin fut aposté par les principaux seigneurs de la nation, dont l’humeur guerrière ne s’accommodait pas des ménagements politiques de leur roi. Athaulf laissait un frère; il lui recommanda en mourant de remettre Placidie entre les mains d’Honorius, et d’entretenir la paix et la concorde entre les Goths et les Romains. La nouvelle de sa mort arriva le 24 d’octobre à Constantinople. Elle y fut reçu avec joie; car on y regardait toujours Athaulf comme l’ennemi naturel de l’empire. On fit des illuminations publiques; on donna le lendemain des jeux dans le Cirque; réjouissances honteuses, qui sont pour la nation un aveu de faiblesse, et pour l'ennemi mort un triomphe glorieux à sa mémoire.

Après la mort d’Athaulf, les Goths, qui ne respiraient que la guerre lui donnèrent pour successeur son plus grand ennemi. C’était Sigéric, frère de Sarus. Sigéric pour venger le sang de son frère, arracha des bras de l’évêque Sigesaire, et massacra six enfants qu’Athaulf avait eus d’une première femme. Il traita Placidie comme une captive, et la força de marcher à pied devant son cheval l’espace de quatre lieues avec une troupe de prisonniers. Ce prince cruel fut lui-même assassiné sept jours après son élection. On éleva sur le trône Vallia, dont la bravoure connue s’accordait avec le caractère de la nation.

Vallia suivit d’abord son inclination guerrière. Soit qu’il n’espérât pas faire de grands progrès en Espagne, soit qu’il voulût exécuter le plan d’Alaric, et s’emparer de l’Afrique, il mit en mer une flotte nombreuse; mais il essuya la même disgrâce qu’Alaric. Ses vaisseaux, brisés par la tempête, périrent à douze milles du détroit. Abattu pas cet échec, il crut que le parti le plus sage était de faire avec les Romains une paix solide. S’étant donc approché des Pyrénées à la tête de son armée, il envoya faire des propositions à Constance, qui lui dépêcha Euplutius, un des agents de l’empereur, pour arrêter les conditions. On convint que les Romains donneraient aux Goths six cent mille mesures de blé; que Vallia rendrait Placidie, et qu’il s’engagerait à faire la guerre pour le service de l’empire aux autres barbares établis en Espagne; en sorte que les conquêtes qu’il ferait sur eux reviendraient à Honorius, et que les Goths se contenteraient du terrain qu’on leur avait cédé en-deçà de l’Ebre. Ce traité fut exécuté de bonne foi. Placidie fut remise entre les mains d’Euplutius, qui la conduisit à Ravenne, et Vallia se mit en devoir d’attaquer les autres barbares. Ce qui serait incroyable, si le fait n’était attesté par un auteur fidèle et contemporain, qui le rapporte comme un événement aussi certain que singulier, c’est que les rois des Alains, des Vandales et des Suèves, députèrent dans le même temps à Honorius pour lui demander un traité pareil à celui qui venait d’être conclu avec Vallia. La lettre qu’ils écrivirent à l’empereur était conçue en ces termes: «Vivez en paix avec nous tous, et recevez également nos otages. Nous allons combattre les uns contre les autres: la perte tombera sur nous; la victoire tournera à votre avantage. Quel profit pour l’empire, si les deux partis se détruisent!». En conséquence de celte détermination bizarre, ils commencèrent à s’entredéchirer par des guerres sanglantes, dont Vallia remporta toute la gloire. Il se saisit, par surprise et sans combat, de la personne de Frédibal, roi d’une partie des Vandales, et l’envoya prisonnier à Constance, qui le fit conduire à Ravenne. Il extermina les Silinges, maîtres de la Bétique, après les avoir vaincus dans une grande bataille près de la ville nommée depuis Tarifa. Les Alains furent entièrement défaits: leur roi Atace périt dans un combat, et ils se trouvèrent réduits à un si petit nombre, que, ne pouvant plus subsister par eux-mêmes, ils abandonnèrent la Lusitanie, et se retirèrent en Galice, sous la protection de Gondéric, roi des Vandales. C’est de là que ce prince et ses successeurs ont pris le titre de rois des Vandales et des Alains. Ces exploits de Vallia, commencés en 416, se terminèrent dans l’espace de deux ans et demi.

Tandis que les barbares se détruisaient mutuellement en Espagne, la Gaule commençait à respirer. Mais les désordres précédents laissaient de l’inquiétude à ceux qui s’étaient joints aux barbares pour se mettre à couvert de leurs violences; et la crainte d’une juste punition pouvait faire naître de nouveaux tyrans. Afin de maintenir la tranquillité en calmant les esprits, Honorius fit publier par Constance, qui était encore dans la Gaule, une amnistie générale: il pardonnait tous les excès commis pendant les troubles passés, comme de tristes effets de nécessité et de crainte; il défendit d’en poursuivre la vengeance, permettant cependant aux particuliers de se remettre par voie juridique en possession des biens qui leur auraient été enlevés, pourvu que ces biens subsistassent encore en nature.

Attale avait suivi les Goths en Espagne. Lorsqu’il vit la paix solidement établie entre Honorius et Vallia, ce chimérique empereur sentit bien qu’il n’y avait plus pour lui de sûreté parmi les Goths. Il s’embarqua sans savoir où il trouverait un asile. Ayant été pris sur mer, il fut mis entre les mains de Constance, qui l’envoya à Ravenne. On en apprit la nouvelle à Constantinople avant la fin de juin, puisque Théodose en témoigna sa joie par les jeux qu’il donna sur le théâtre le 28 de ce mois, et le 7 du mois suivant dans le Cirque. On garda en prison ce misérable jouet des Goths et d’une folle ambition jusqu’au milieu de l’année suivante. On le conduisit alors à Rome, où l’empereur entra en triomphe. Attale marchait devant le char. Il fut ensuite placé aux pieds du prince, assis sur un tribunal élevé; et, après qu’il eut servi de spectacle au peuple, Honorius lui fit couper deux doigts de la main droite, et le relégua dans l’île de Lipari, avec ordre de lui fournir tous les besoins de la vie. Honorius traitait Attale comme Attale avait voulu le traiter lui-même.

Junius Quartus Palladius était consul avec Théodose, qui, dans la neuvième année de son règne, portait déjà ce titre pour la septième fois. Le père de ce Pallade, après avoir été préfet de Constantinople, s’était attaché à Stilicon, et, par le crédit de ce ministre, il avait obtenu la charge de secrétaire de l’empereur. Le poète Claudien était pourvu d’un office sous ses ordres. Pallade le fils, recommandable par ses qualités personnelles, fut proconsul d’Afrique. Il était actuellement préfet du prétoire d’Italie, et il conserva cette dignité pendant six ans. Son mariage avec Célérine le rendait encore plus illustre. Cette dame était originaire de Tomes en Scythie; mais il n’avait tenu qu’à un de ses ancêtres qu’elle ne fût de famille impériale. Célérin, un de ses aïeux, qui commandait en Egypte, refusa l’empire que ses soldats lui offraient après la mort de Carus. Ce qui augmente le prix de ce refus aussi sage que généreux, c’est qu’il serait ignoré, si le poète Claudien ne l’eût relevé dans l’épithalame qu’il composa pour les noces de Pallade et de Célérine. Ceux qui ont porté la couronne ne méritent pas tous d’être connus; mais tous ceux qui l’ont refusée sont dignes de l’être.

Pendant les agitations de l’Orient l'Occident jouissait d’une paix profonde par la sagesse de Pulchérie. Elle éloignait son frère des principes inhumains du despotisme; elle lui apprenait à respecter dans ses sujets les droits de propriété; elle lui inspirait cette belle maxime: que plus les princes s’abstiennent de toucher aux biens de leurs peuples, plus ils trouvent en eux de ressources dans les besoins de l’état. Ce fut dans cet esprit que Théodose eut la générosité de se dépouiller d’un droit dont jouissaient les particuliers. Les lois autorisaient les dispositions que les mourans faisaient de vive voix en présence de témoins, au préjudice même des testaments antérieurs. C’était une voie ouverte à l’avidité des mauvais princes. Il n’était pas difficile de trouver de faux témoins qui, pour se servir eux-mêmes en servant l’avarice du souverain, déposassent en sa faveur, sans craindre d’être démentis. Domitien confisquait à son profit toutes les successions, pourvu qu’il se trouvât un seul homme qui attestât que l’intention du défunt avait été de laisser son bien à l’empereur. Mais Auguste, Tibère même, et Adrien, avoient refusé de profiter des testaments faits en leur faveur par des inconnus. Pertinax avait protesté en plein sénat qu’il ne recevrait rien de ce qui lui serait légué de vive voix. Théodose le grand avait renoncé à tout ce qui lui pourrait revenir en vertu d’une lettre ou d’un codicille. Théodose le jeune défendit par une loi d’avoir égard aux paroles d'un mourant qui contredirait un testament précédent, pour déclarer de vive voix qu’il laissait sa succession à l’empereur ou à quelque personne puissante: il voulut que ceux qui prétendraient appuyer de leur témoignage une pareille déclaration fussent traités comme faux témoins. Il laissait cependant subsister l’ancien usage en faveur des particuliers; mais, pour éviter les abus, il y renonçait pour lui-même, et par la même raison il en excluait les personnes titrées. Justinien, dont la législation fut moins désintéressée, s’est contenté de renfermer le prince dans les bornes dû droit commun. Le jeune empereur avait fait cette année un voyage dans la Thrace; il revint à Constantinople à la fin de septembre, et reçut dans la place qui portait le nom de Théodose une couronne d’or, qu’Ursus, préfet de la ville, lui posa sur la tête par décret du sénat. Ce fut dans le ministère de Pulchérie un défaut, peut-être pardonnable à son sexe, de laisser accoutumer son frère à recevoir, comme dus à sa dignité, des honneurs qui ne sont que des jeux d’enfants, lorsqu’ils ne sont pas la récompense des actions grandes et vertueuses.

Il y eut l’année suivante 417, un violent tremblement de terre qui se fit sentir à Constantinople le soir du 20 avril, jour du vendredi saint. Ce fléau s’étendit dans tout l’Orient : il ébranla Jérusalem et plusieurs villes de Palestine : Cybire en Phrygie, et les villages d’alentour furent abîmés. Philostorge, qui recule de deux ans ce tremblement, rapporte qu’en plusieurs endroits on vit tomber des flammes, et qu’un vent impétueux les chassa dans la mer, où elles s’éteignirent; que les toits et les planchers des maisons s’entrouvrirent et se rejoignirent ensuite exactement; qu’on ne pouvait reconnaitre l’endroit où ils s’étaient séparés; et que, le calme étant rétabli, on fut étonné de trouver dans les salles inférieures les monceaux de grains qui étaient auparavant serrés dans les greniers.

Honorius prit pour la onzième fois le consulat, et le donna pour la seconde fois à Constance. Théodose voulut bien sans doute lui céder en cette occasion le droit qu’il avait de nommer un consul en Orient; il s’en dédommagea deux ans après, en nommant deux consuls orientaux, Monaxe et Plintha. Honorius voulait relever par l’éclat de cette dignité l’époux qu’il donnait à Placidie, et qu’il avait déjà décoré des titres de comte et de patrice. Il croyait ne pouvoir mieux reconnaitre les services importants de Constance qu’en lui faisant épouser sa sœur. L’héritier de l’empire devoir naître de ce mariage. Mais la fière princesse, fille, sœur, tante d’empereurs, et veuve d’un roi, dédaignait un époux né dans l’obscurité , et qui ne devoir sa haute fortune qu’à son mérite. Constance, de son côté, bien assuré de la faveur de son maître, dont il soutenait la faiblesse en cette rencontre, loin de s’assujettir à des complaisances pour gagner le cœur de Placidie, agissait avec hauteur, et faisait sentir sa colère aux domestiques de cette princesse, auxquels il attribuait l’opiniâtreté de ses refus. Enfin Honorius l’emporta d’autorité , et il fallut qu’il prît lui-même de force la main de Placidie pour la joindre à celle de Constance. Les noces furent célébrées avec magnificence le premier de janvier, le jour même que Constance prenait possession du consulat. Ce mariage, quoique forcé, fut heureux. La concorde s’établit entre les deux époux; et avant la fin de celte année Placidie mit au monde une fille qui fut nommée Justa Grata Honoria.

J’ai déjà parlé de l’entrée triomphante qu’Honorius fit à Rome cette année. Il prit occasion dexhorter les habitants à travailler aux réparations de leur ville, et retourna ensuite à Ravenne. L’Italie était couverte de ruines; on y voyait partout les traces funestes du passage des Goths. La Toscane, où ils avoient fait un plus long séjour, se ressentait surtout des ravages de ce peuple destructeur. Les ponts des rivières et les digues des lacs dont le pays est arrosé étant rompus, les eaux inondaient les campagnes, et les chemins étaient devenus impraticables. La Gaule, désolée pendant tant d’années par les courses des barbares et par les révoltes des tyrans , n’était pas en meilleur état. Cependant l'autorité de l’empire s’y rétablissait, et , depuis la retraite des Goths, les Armoriques étaient rentrés dans l’obéissance. Exupérance, qu’on croit avoir été alors préfet des Gaules, les avait rappelés à leur devoir. Mais ces peuples, que le voisinage de la mer et l’expérience de la marine rendaient plus indépendants, se révoltèrent encore plus d’une fois dans la suite.

Une éclipse de soleil presque totale, arrivée le 19 de juillet de l’an 418, sert à fixer la date de plusieurs événements de ce temps-là. Elle fut suivie d’une extrême sécheresse, qui fit périr un grand nombre d’hommes et d’animaux. Une comète se fit voir pendant quatre mois: quelques auteurs lui donnent sept mois de durée. On en peut lire la description dans Philostorge, qui prétend que ce fut un pronostic de guerres et de malheurs.

La Gaule était pour lors divisée en dix-sept provinces; mais les sept provinces méridionales formaient ensemble un corps; c’était la Viennoise, les deux Aquitaines, la Novempopulanie, nommée aussi troisième Aquitaine, les deux Narbonnaises et les Alpes maritimes. Elles avaient à part un directeur des finances et un directeur des domaines. Depuis Constantin , la ville d’Arles avait acquis une grande considération. Valentinien et Honorius l’avaient décorée de privilèges particuliers : ils l’appelaient dans leurs rescrits la mère de toutes les Gaules. C’était là que les consuls qui se trouvaient en Gaule entraient en charge; les préfets du prétoire et les autres magistrats supérieurs y résidaient comme dans la capitale. Elle s’était même, depuis quelques années, érigée en métropole ecclésiastique au préjudice de Vienne, dont l’évêque d’Arles était suffragant, et le concile de Turin avait décidé que les deux évêques partageraient la province. Pétrone, préfet du prétoire dans les premières années de ce siècle, avait ordonné que tous les ans, entre le treizième d’août et le treizième de septembre, on tiendrait dans la ville d’Arles l’assemblée des sept provinces, qui seraient représentées par leurs magistrats ou leurs députés, et que sous la présidence du préfet on y délibérerait des affaires les plus importantes. Cet ordre avait été interrompu par l’invasion des tyrans et par les ravages des barbares. Constance en fit revivre l’usage. Il obtint à cet effet un édit d’Honorius, daté du 17 d’avril de cette année, et adressé à Agricola, préfet des Gaules. L’empereur y relève la ville d’Arles par l’avantage de sa situation et par l’étendue et l’activité de son commerce, qui réunit dans son port les productions de tout l’univers. Il impose une amende aux magistrats ou députés qui ne se rendront pas à l’assemblée dans le temps prescrit.

Si cet édit fut exécuté, il ne put l’être qu’une fois. Cette année même Constance, du consentement de l’empereur, permit à Vallia de revenir s’établir en Gaule. Il lui céda la seconde Aquitaine et la Novempopulanie, c’est-à-dire le Poitou, la Saintonge, le Périgord, le Bordelois, l’Agénois, l’Angoumois et toute la Gascogne jusqu’aux Pyrénées. Les Romains se réservèrent la Narbonnaise, à l’exception de Toulouse, dont Vallia et ses successeurs firent leur capitale, et où ils régnèrent sous le titre de rois des Visigoths pendant quatre-vingt-huit ans, jusqu’à ce que Clovis eût détruit leur puissance par la défaite d’Alaric. Tout ce pays fut nommé Gothie. La conjecture de M. Tillemont, que ces princes ne possédèrent ces terres qu’à ce titre de vassaux de l’empire, me semble destituée de fondement. Les guerres fréquentes qu’ils firent aux Romains pour étendre leur domination jusqu’au Rhône et à la Loire prouvent assez qu’ils étaient indépendants. Quelques auteurs ont supposé que Vallia, en acquérant un si grand domaine dans la Gaule, avait conservé ce qu’il possédait en Espagne. Mais cette supposition n’est appuyée d’aucun témoignage historique; elle est, au contraire, démentie par Jornandes, qui fait entendre que, selon les conditions du traité, conclu auparavant avec les Romains, Vallia leur abandonna toutes ses conquêtes. Il parait même, par la suite de l’histoire, que la cession dont nous parlons ici fut un échange, et que toute la Tarraconaise retourna au pouvoir de l’empire. Cet échange était sans doute bien avantageux pour les Goths; et il n’est pas aisé de deviner la raison qui put y déterminer les Romains. On peut soupçonner que Constance craignit que, malgré le traité, il ne fût difficile d’arracher des mains de Vallia les provinces d’Espagne qu’il avait reconquises sur les Alains et sur les Vandales. Mais, fallût-il perdre l’Espagne entière, n’était-ce pas une faute capitale d’admettre les barbares dans le cœur de l’empire pour en sauver une extrémité? Les montagnes des Pyrénées n’étaient-elles pas une barrière naturelle, plus forte et plus sûre que des traités, qui tombent au plus léger prétexte? Vallia, après avoir enfin solidement établi sa nation errante depuis si longtemps, mourut la même année, couvert de gloire: prince aussi habile politique que brave guerrier, qui, sous le personnage généreux de vengeur de l’empire, sut l’affaiblir et gagner beaucoup plus qu’il n’aurait pu faire s’il s’en fût déclaré l’ennemi. Il ne laissa qu’une fille; elle épousa un prince des Suèves, dont elle eut le célèbre Ricimer, qui fut tour à tour le défenseur et le fléau de Rome et de ses empereurs. Après la mort de Vallia, les Goths élurent pour roi Théodoric, qui joignit à la douceur du caractère une grande force de corps et un courage capable de soutenir et même d’étendre un royaume naissant.

Au milieu des troubles de l’empire, la foi de l’Eglise s’étendait et s’affermissait de plus en plus. L’arianisme, longtemps assis sur le trône, était contraint de ramper dans l’obscurité, et le schisme meurtrier des donatistes s’éteignait insensiblement depuis la conférence de Carthage, lorsqu’on vit éclater une hérésie cachée jusqu’alors dans les replis ténébreux du cœur humain, et aussi ancienne que le monde, puisque ce fut celle des anges rebelles. Fille de l’orgueil qu’elle flatte, ennemie de la grâce qu’elle veut asservir à la volonté humaine, elle emprunta l’organe de Pélage, esprit subtil, artificieux, hypocrite, qui, sans changer de sentiments, savait changer de langage. Comme cette hérésie ne s’est jamais armée que de sophismes, et que les empereurs n’y ont pris de part que pour la foudroyer par leurs édits, je me contenterai de la faire connaitre en peu de mots. Pélage, moine de la Grande-Bretagne, vint à Rome vers l’an 400, sous le pontificat d’Anastase, et, s’étant associé avec Célestius, noble écossais qu’il avait imbu de ses erreurs, il alla les répandre en Italie, en Sicile, en Afrique, en Asie. Ses dogmes se réduisaient à trois points principaux : que la grâce nous est donnée en conséquence de nos mérites : que l'homme peut vivre sans péché : que le péché du premier homme ne s’est point communiqué à ses descendants. Sa doctrine fut anathématisée par un concile de Carthage : le pape Innocent la condamna pareillement. L’hérésiarque eut cependant l’adresse d’en imposer à un concile de quatorze évêques assemblés à Diospolis en Palestine : il se sauva par des équivoques et fut déclaré orthodoxe. Il trompa même pendant quelque temps le pape Zosime: mais ce pontife, ayant ouvert les yeux, prononça sa condamnation; et cette sentence fut appuyée d’une loi d’Honorius. L’empereur y déclare qu’ayant appris par le bruit public que Pélage et Célestius enseignent des erreurs qui troublent l’union de l’Eglise et la tranquillité de l’état, il leur ordonne de sortir de Rome; que toutes personnes seront reçues à déférer aux juges ceux qui sont infectés de la même doctrine. Il condamne au bannissement perpétuel les opiniâtres qui seront convaincus de la soutenir. Cette loi fut publiée par les préfets d’Italie et des Gaules. Monaxe, préfet d’Orient, la fit aussi exécuter dans l’étendue de sa juridiction. Elle fut confirmée l’année suivante par un édit donné à Ravenne le neuvième de juin. Dix-huit évêques, qui refusèrent de souscrire à la condamnation de Pélage, furent déposés. Le plus connu par son opiniâtreté et par ses écrits, est Julien, évêque d’Eclane, ville aujourd’hui ruinée, subsistant alors en Campanie, à cinq lieues de Bénévent.

L’autorité de l’empereur fut encore nécessaire pour apaiser un schisme qui s’éleva dans Rome à la fin de cette année, et qui tint les esprits divisés pendant les trois premiers mois de l’année suivante. Le pape Zosime étant mort le 26 décembre, le clergé se partagea sur le choix du successeur. Boniface et Eulale furent tous deux élus, et le peuple prit parti dans la querelle. Symmaque, préfet de Rome, fils de cet illustre sénateur si connu du temps de Gratien et du grand Théodose, favorisait Eulale, dont l’élection était moins régulière. Il envoya à l’empereur un rapport plus conforme à son inclination qu’à la vérité; et Honorius ordonna de chasser Boniface et de réprimer ses partisans. Mais le prince, ayant été détrompé par une lettre du clergé attaché à Boniface, révoqua cet ordre, et commanda que, l’affaire demeurant suspendue, Boniface et Eulale se rendraient à Ravenne avec leurs électeurs pour y débattre leur droit devant lui et son conseil. Il manda en même temps plusieurs évêques de diverses provinces, qui dévoient être juges dans une cause si importante à la paix de l’Eglise. Comme ce différend ne pouvait être terminé avant la fête de Pâques, il chargea Achillée, évêque de Spolette, de célébrer l’office à Rome pendant ces saints jours. Les deux contendants avaient défense de rentrer dans la ville avant la décision. Boniface obéit: mais, Eulale étant revenu à Rome trois jours avant qu’Achillée y arrivât, les esprits s’échauffèrent: il y eut un grand combat; Symmaque lui-même y courut risque de la vie; et les deux partis se menaçaient mutuellement d’en venir aux extrémités le jour de Pâques pour s’emparer de l’église de Latran. Le préfet, qui s’était prudemment détaché des intérêts d’Eulale, ayant averti l’empereur de cette sédition, reçut ordre de le faire sortir, avec menace d’un traitement rigoureux pour lui et ses partisans, s’il différait d’obéir. Eulale résista cependant, et il fallut le chasser à main armée. Cette opiniâtreté acheva de donner gain de cause à son rival. Honorius, de l’avis du concile, prononça en faveur de Boniface. Ce pontife, recommandable par sa vertu et par son savoir, fut reçu avec joie, et la tranquillité fut rétablie. Eulale s’éloigna de Rome. Sa disgrâce le guérit des accès de l’ambition; et, quelques années après, Boniface étant mort, comme une partie du clergé lui offrait le pontificat, il préféra sa retraite à une dignité qu’il se repentait d’avoir trop ardemment recherchée. Ce schisme donna occasion aux empereurs, et ensuite aux rois d’Italie et aux grinces séculiers de se mêler de l’élection des papes.

L’histoire de l’empire d’Oriel fournit ici un événement très singulier, dont elle ne donne aucun détail. Le comte Plintha, Goth de naissance, se révolta en Palestine, fut défait, et l’année suivante 419 il devint consul, général des troupes de l’empire, et très puissant à la cour, à laquelle il rendit dans la suite d’importants services. Sous le consulat de ce comte et de Monaxe, le préfet de Constantinople, nommé Aétius, courut risque de perdre la vie par un assassinat. Le 13 de février, comme il sortait de la grande église avec son cortège pour se rendre au palais où l’empereur l’avait mandé, un vieillard nommé Cyriaque lui présenta un rouleau de parchemin qui semblait être une requête; mais c’était l’enveloppe d’un poignard, dont le préfet se sentit frappé au côté droit de la poitrine. Le fer ne perça que ses habits. On ignore la cause et les suites de cet assassinat. Cet Aétius, qui fut quelques années après préfet d’Orient et patrice, fit construire à Constantinople une citerne qui porta son nom. Il ne doit pas être confondu avec le fameux Aétius attaché à la cour d’Occident, et qui était devenu aussi célèbre par ses forfaits que par ses victoires. Les barbares voisins du Pont-Euxin ne manquaient pas de bois propres à la marine; mais ils ignoraient l’art de les mettre en œuvre. Ils attiraient des constructeurs romains, dont plusieurs furent pris par ordre de l’empereur et mis en prison. Asclépiade, évêque de la Chersonèse taurique, obtint leur grâce; mais Théodose défendit sous peine de mort d’enseigner aux barbares l’art de construire des vaisseaux. Malgré la bonté naturelle du jeune prince et de sa sœur Pulchérie, les tributs s’exigeaient en Orient avec une extrême rigueur. Les receveurs des deniers publics, qui dans les non-valeurs perdent souvent plus que le prince, exerçaient des cruautés beaucoup plus punissables que le défaut de paiement. Pallade, qui composait alors la vie des solitaires, raconte que, dans le temps qu’il écrivait, un homme qui devait au fisc trois cents écus d’or fut jeté dans un cachot et déchiré à coups de fouets; qu’on lui enleva ses trois fils; que sa femme, qui avait pris la fuite, fut plusieurs fois arrêtée, et autant de fois traitée aussi cruellement que son mari; et qu’enfin, mourant de faim, elle était réduite à errer dans les déserts.

Ces traitements inhumains étaient tout-à-fail contraires à une maxime gravée dans le cœur des deux empereurs, et qu’on lit à la tête d’une des lois qu’Honorius fit publier cette année : que sous le règne des bons princes l'humanité doit tempérer la justice. La loi étend le droit d’asile à cinquante pas hors des églises, afin que les malheureux qui s’y sont réfugiés puissent sortir de l’enceinte et respirer un air plus libre. Une autre loi ouvre aux évêques la porte de toutes les prisons, et leur permet d’y porter aux prisonniers tous les soulagements spirituels et temporels. L’hérésie de Jovinien, qui combattait l’excellence de la virginité, avait été proscrite par les lois de l’Eglise et de l’état; mais elle se défendit à la faveur des passions humaines. On voyait des filles consacrées à Dieu renoncer à leurs vœux, pour s’engager dans le mariage, ou se livrer à la débauche. Honorius ordonna que les séducteurs seraient punis du bannissement perpétuel avec confiscation de leurs biens; il déclara que quiconque les accuserait ferait une action religieuse, et ne serait point sensé délateur. L’empereur Majorien ajouta même dans la suite qu’en ce cas les biens du coupable seraient dévolus à l’accusateur.

Le mariage de Placidie avec Constance avait déjà donné une princesse. On vit naître à Ravenne le 2 ou le 3 de juillet 419 un héritier de l’empire. Il fut nommé Flavius Placidius, ou Placidius Valentinianus. Peu temps après sa naissance, Honorius lui conféra le titre de nobilissime: c’était, selon l’usage de ce temps-là, le désigner pour son successeur. L’empereur n’y consentit qu’avec peine sur les vives instances de sa sœur. On rapporte que la ville de Stefe en Mauritanie fut agitée par un violent tremblement de terre; qu’elle resta abandonnée durant cinq jours, tous les habitants s’étant sauvés dans les campagnes; et qu’il y eut deux mille personnes qui dans celte alarme demandèrent et reçurent le baptême.

Depuis que les Visigoths avoient quitté l’Espagne, Honorius y avait envoyé Astère avec la qualité de comte, pour gouverner le pays dont les Romains étaient demeurés les maîtres. Les Vandales et les Suèves, qui partageaient Galice, n’ayant plus d’ennemis étrangers, tournèrent leurs armes les uns contre les antres. Gonderic, roi des Vandales, tenait Herménéric, roi des Suèves, assiégé dans des montagnes qu’on croit être celles d’Arvas, entre Léon et Oviedo. Astère, suivant les règles d’une sage politique, prit le parti des plus faibles; et conjointement avec Maurocel, lieutenant des préfets, il tomba sur les Vandales, et les obligea de quitter la Galice. En abandonnant la ville de Brague, qui appartenait alors à cette province, ils déchargèrent leur colère sur les habitants, dont ils massacrèrent un grand nombre. Nous raconterons dans la suite de quel côté ils portèrent leurs armes. Astère, en récompense de ce succès, reçut la dignité de patrice.

C’est à l’année 420 et au troisième consulat de Constance que la plupart des auteurs rapportent les commencements de la monarchie Françoise dans la Gaule. Les Francs, depuis près de deux siècles, s’efforçaient de franchir la barrière que le Rhin, bordé de forteresses et de garnisons, opposait à leur établissement dans cette province. Toujours armés, toujours ennemis, quoique forcés quelquefois à faire la paix, vaincus en-deçà du fleuve, souvent vainqueurs au-delà, jamais subjugués, ils ne cessèrent de fatiguer l’empire, jusqu’à ce qu’enfin, profilant de son affaiblissement, ils se rendirent maîtres du pays qu’ils avoient tant de fois ravagé.

Cette nation, devenue aussi célèbre par le savoir que par les exploits guerriers, s’est exercée depuis la renaissance des lettres à rechercher sa véritable origine. Pour ne pas parler des vieux romanciers et des chroniqueurs fabuleux qui donnent les Troyens pour ancêtres aux François , divers auteurs les font venir des Palus-Méotides, de la Pannonie, de la Scandinavie. Les critiques les plus éclairés se sont partagés en trois sentiments. Les uns prétendent qu’en s’établissant dans la Gaule, ils n’ont fait que rentrer dans leur ancienne patrie; et qu’ils étaient la postérité de ces anciens Gaulois qui, sous la conduite de Sigovèse, près de six cents ans avant Jésus-Christ, avoient passé le Rhin et s’étaient fixés aux environs de la forêt Hercynienne. Cette opinion ne me parait établie sur aucun fondement solide. Les autres cherchent leur berceau dans la Germanie, où l’histoire commence à les apercevoir. Entre ces derniers auteurs il y en a qui les font descendre des bords de la mer Baltique; ce sont, selon eux, des restes des anciens Cimbres. Sous le règne de Marc Aurèle, disent-ils, les Marcomans s’étant avancés vers le midi, ce mouvement se communiqua aux barbares les plus septentrionaux; les Goths et les Bourguignons tirèrent au sud-est, et les Francs au sud-ouest : ceux-ci vinrent se placer entre l’Elbe et le Véser ; et, par une seconde migration entre le Véser et le Rhin, où ils se sont fait connaitre aux Romains. L’opinion, qui me semble la mieux appuyée, c’est que les Francs ne furent pas une nation unique et séparée, mais une ligue formée de plusieurs nations, qui se réunirent en un seul corps. Les Sicambres, les Bructères, les Chamaves, les Cattes,  les Saliens, et plusieurs autres peuples germains renfermés entre le Rhin, le Mein, le Véser et l’Océan, pour contrebalancer la puissance des Suèves, maîtres d’une grande partie de la Germanie, avoient autrefois formé ensemble une association sous le nom commun de Sicambres. Ceux-ci ayant été détruits sous le règne d’Auguste, les peuples qui composaient cette ligue se divisèrent, et reprirent chacun leur propre dénomination. Ce qui subsista jusque vers le milieu du troisième siècle. Alors, pour être plus en état de défendre leur liberté et leur franchise contre la puissance romaine, ils se réunirent de nouveau, et prirent le nom de Francs, qui, dans la langue germanique, signifiait libres.

Le climat heureux et le terrain fertile de la Gaule les attiraient en-deçà du Rhin. Ils commencèrent à y faire des courses dès le temps de Gordien Pie. Aurélien, qui n’était encore que tribun d’une légion, les défit près de Mayence. Gallien les arrêta plusieurs fois sur les bords du Rhin; mais, à la faveur des troubles de son règne, ils traversèrent la Rhétie, franchirent les Alpes, et portèrent le ravage jusqu’à Ravenne. Aussi hardis sur mer que sur terré, ils devinrent pirates, désolèrent les côtes de la Gaule et de l’Espagne, et pillèrent Tarragone. Battus par Posthume, ils le servirent ensuite contre Gallien. Probus, avant que d’être empereur, les défit en personne; empereur, il les vainquit par ses généraux. Ceux qu’il avait relégués sur les bords du Pont-Euxin s’embarquèrent, coururent les côtes de la Grèce, de l’Asie et de l’Afrique, prirent Syracuse, et revinrent en leur pays par l’Océan. Joints avec les Saxons, ils pillèrent les contrées maritimes de la Belgique et de l’Armorique, et furent repoussés par Carause. Maximien leur accorda la paix, et en fit passer des colonies dans la Gaule. Constantius en usa de même après les avoir chassés de l’île de Petau dont ils s’étaient emparés. Ceux qui avoient passé dans la Grande-Bretagne pour secourir Allectus, furent taillés en pièces dans la ville de Londres. Constantin se signala par leur défaite, et déshonora sa victoire par la mort cruelle qu’il fit souffrir à leurs rois prisonniers. Il fit un pont à Cologne, passa le Rhin, et couvrit leur pays de carnage. Un des plus beaux titres des empereurs, et des plus chèrement achetés, fut celui de Francicus. Les vaincus se relevèrent bientôt de leurs pertes, et donnèrent de l’exercice à la valeur de Crispe et à celle de Constant, fils de Constantin. Ils secoururent Magnence, et commencèrent à se mêler des intrigues de cour. Plusieurs d’entre eux y avancèrent leur fortune, et le palais des empereurs se trouva bientôt rempli de seigneurs François. Sylvain Mérobaude, Ricomer, Mellobaude, Bauton, Arbogaste, parvinrent aux premières dignités. On vit alors un grand nombre de Francs dans les troupes romaines. On en trouve des cohortes entières placées en Gaule, en Espagne, en Syrie, en Mésopotamie, jusqu’en Thébaïde, aussi bien que dans les troupes du palais. C’étaient des corps que Constantin et son fils Constance avoient composés de prisonniers ou de volontaires qui se donnaient au service de l’empire. La nation n’en était pas pour cela moins opiniâtre à poursuivre ses desseins de conquête. Julien, encore César, reprit Cologne sur les Francs; il les chassa de la Toxandrie, dont les Saliens, peuples français, s’étaient emparés. Il battit les Chamaves et les Attuariens, autres peuples de la même nation, et leur donna la paix. Leurs ravages continuèrent sous le règne de Gratien, et ne furent que faiblement réprimés par Valentinien II. Génobaude, Marcomir et Sunnon, rois des Francs et fils de Priam, dont le nom a donné occasion à beaucoup de fables, furent défaits en-deçà du Rhin, et remportèrent à leur tour une plus grande victoire au-delà du fleuve. Valentinien n’osa leur refuser la paix qu’ils demandaient. Ils furent les premiers à la rompre trois ans après; mais ils se laissèrent intimider par les ravages d’Arbogaste, et par les troupes nombreuses qui suivaient Eugène. Ils se mirent à sa solde dans la guerre contre Théodose. Après la défaite du tyran et la mort de Théodose, ils cédèrent aux menaces de Stilicon, qui vint dans leur pays prendre des otages pour s’assurer de leur soumission. Leur roi Marcomir, prince remuant et belliqueux, fut transporté en Toscane; Sunnon son frère fut assassiné. La frontière paraissait être hors d’insulte, lorsque Stilicon, qui ne cherchait qu’à troubler les affaires de l’empire, retira les garnisons des bords du Rhin, sous prétexte d’en avoir besoin contre Alaric; et la Gaule demeura ouverte. Les Francs, s’étant inutilement efforcés de s’opposer au passage des Vandales, des Suèves et des Alains, entrèrent en Gaule après eux, et fournirent des troupes auxiliaires aux tyrans, avec lesquels ils espéraient partager les dépouilles de l’empire. Mais la valeur et la sagesse de Constance délivra la Gaule des tyrans et des barbares, et les Francs repassèrent le Rhin.

Constance, l’année d’après son mariage avec Placidie, étant retourné à Ravenne, s’occupait moins des affaires de l’empire que du projet qu’il avait formé de se faire donner le titre d’Auguste. Les Francs profitèrent de son éloignement. La Gaule était alors partagée entre quatre nations différentes. Les Visigoths possédaient la seconde et la troisième Aquitaine; les Bourguignons tenaient une grande partie de ce qu’on appelle aujourd’hui le duché et le comté de Bourgogne, la Savoie et tout le pays qui s’étend jusqu’aux sources du Rhin; les Allemands habitaient l’Alsace depuis Bâle jusqu’à Mayence. Les autres parties de la Gaule appartenaient encore aux Romains. Je ne compte pas ici les Alains, qui, réduits à un petit nombre, n’avoient point encore de demeure fixe. Les Francs étaient gouvernés par plusieurs rois, qu’on choisissait dans la plus noble famille de chaque peuple, et qui se distinguaient par leur chevelure longue et flottante, tandis que le reste de la nation portait les cheveux relevés et noués en panache sur le sommet de la tête. Ces rois les conduisaient à la guerre; et leur autorité étant d’ailleurs très-bornée par le conseil de la nation, ils sont appelés par les historiens tantôt rois, tantôt chefs, tantôt princes, reges, duces, subreguli ou regales. Théodémir, fils de Ricomer, régnait en même temps que Génobaude, Marcomir et Sunnon, sans doute sur un autre peuple de la ligue française. Pharamond, fils de Marcomir, à la tête des Bructères , des Chamaves, des Cattes, des Ansivariens et des Saliens, passa le Rhin avec plusieurs autres rois de différentes tribus, entre lesquels il parait qu’il était le plus puissant. M. de Valois conjecture que ce prince avait été donné en otage à Honorius l’an 395. Si ce fait est véritable, il avait dû apprendre dans la cour de cet empereur à mépriser les Romains de ce temps-là. On croit qu’il s’établit en Toxandrie et dans le pays de Tongres, c’est-à-dire, depuis Maastricht jusqu’au confluent de la Meuse et du Vahal. Mais il étendit plus loin ses courses. Il parait que ce fut alors que la ville de Trêves fut pour la troisième fois prise et pillée par les Francs. Une multitude d’habitants fut passée au fil de l’épée; et ce qui fait connaitre combien étaient frivoles et méprisables les Gaulois de ce malheureux siècle, c’est que les Francs s’étant retirés de Trêves couverts de sang et chargés du butin lorsque la ville était réduite à un état déplorable, les nobles, pour se consoler du désastre de leur patrie, demandèrent à l’empereur la permission d’établir à Trêves les jeux du Cirque; ce qui leur fut refusé. Ces jeux ne se célébraient pas plus alors en Occident qu’à Rome et à Ravenne, soit que les finances des villes fussent épuisées, soit que les fréquentes invasions des barbares tinssent les peuples dans de continuelles alarmes. Cet établissement des Francs dans la Gaule ne fut pas permanent. Pharamond n’y régna que huit ans. La dernière année de son règne, ou la première du règne de Clodion, son successeur, Aétius obligea les Francs de retourner dans leurs anciennes demeures au-delà du Rhin. Nous avons suivi dans ce récit l’opinion commune. De savants critiques révoquent en doute l’existence même de Pharamond. Ils ne fixent l’époque de la fondation de la monarchie française qu’à l’an 438, lorsque Clodion assura aux Francs la possession de Cambrai et du pays voisin jusqu’à la Somme. Mais ils conviennent que cette nation passa dans ce temps-là en Gaule; qu’elle s’empara des contrées voisines du Rhin, et qu’elle n’en fut chassée qu’en 428.

Constance, général des armées d’Occident, patrice et beau-frère de l’empereur, gouvernait depuis dix ans toutes les affaires de l’empire. L’indolence et l’incapacité du prince lui laissaient l’usage du pouvoir souverain; mais il souhaitait ardemment d’en posséder la propriété. L’ambition de Placidie ne donnait de repos ni à son mari, ni à son frère; elle excitait l’un, elle sollicitait l’autre. Honorius, jaloux de son titre, quoiqu’il ne fît rien pour le soutenir avec dignité, sentait de la répugnance à le partager. Enfin, incapable d’une longue résistance, il céda aux importunités, et le 8 février 421 il déclara Constance Auguste, sans l’avoir auparavant nommé César. Placidie reçut peu de jours après le même honneur. Le nouvel empereur envoya aussitôt en Orient, selon la coutume, son portrait et celui de Placidie. Mais Théodose refusa de reconnaitre pour collègue un homme né si loin du trône. Il renvoya les deux portraits sans donner au député aucune réponse; et les ordonnances publiées en Orient depuis la nomination de Constance jusqu’à sa mort ne portèrent en tête que les noms d’Honorius et de Théodose.

Ce refus piqua vivement Constance. Il se préparait à se venger en portant la guerre en Orient, lorsqu’une mort prématurée l’enleva après six ou sept mois de règne. On dit que ce prince, après avoir tant désiré la puissance souveraine, n’y trouva plus, dès qu’il en fût revêtu, qu’un fardeau incommode. Il regrettait les plaisirs de la vie privée, et soupirait sans cesse après la liberté qu’il avait perdue. Ce chagrin, joint au déplaisir que lui causait le mépris de Théodose, abrégea ses jours. Il mourut à Ravenne d’une inflammation de poitrine, et fut enterré dans un mausolée que sa femme fit construire près de l’église de Saint-Vital. Placidie lui avait ouvert le chemin du trône; mais elle lui fit perdre plus qu’elle lui donna; elle corrompit sa vertu en lui communiquant l’avarice dont elle était infectée. Constance, désintéressé, généreux, noble, avant que d’entrer dans la famille impériale, devint, après cette alliance, avide, injuste, oppresseur. On vit après sa mort venir à Ravenne un grand nombre de personnes pour redemander les biens qu’il leur avait enlevés. La mollesse d’Honorius le rendit sourd à ces plaintes, et la puissance de Placidie, qui exerçait sur son frère un empire absolu, fit taire la justice.

Ce prince, dans le court espace de son règne, fit cependant plusieurs actions dignes de mémoire. Il chassa de Rome Célestius, le compagnon de Pélage; et cet hérétique étant allé solliciter Théodose pour obtenir un concile, fut encore banni de Constantinople. Constance n’osant abolir entièrement les lois qui permettaient la répudiation, la rendit, par un nouveau règlement, plus désavantageuse, et par conséquent plus rare. Il se déclara l’ennemi du paganisme, et fit détruire jusqu’aux fondements le temple de la déesse Céleste à Carthage, ainsi que nous l’avons déjà raconté. On abattit par son ordre une statue colossale placée, près de Rhége, sur le bord du détroit de Sicile, à laquelle une ancienne superstition attribuait la vertu de garantir cette île des embrasements du mont Etna et du ravage des barbares. Pour produire ces effets merveilleux, on entretenait un feu perpétuel dans un des pieds de ce colosse, tandis que l’autre était rempli d’eau. Un imposteur nommé Libanius, qui se vantait de pouvoir, par art magique, sans troupe ni sans soldats, exterminer les barbares, étant venu à Ravenne, se faisait écouter du peuple. Constance le regardait comme un fou qu’il suffisait de tenir enfermé. Le zèle impérieux et cruel de Placidie, qui menaçait son mari de faire divorce s’il laissait vivre un magicien, le contraignit de mettre à mort ce misérable.

Depuis que les Romains avoient abandonné la défense de la Grande-Bretagne, ce pays demeurait exposé aux courses des Pictes et des Escossois. Les Bretons, affaiblis par des ravages continuels, envoyèrent à Ravenne implorer le secours de l’empire. Ils promettaient une éternelle obéissance, si on les délivrait de ces cruels ennemis. Constance y envoya une légion qui défit les barbares, les repoussa jusque dans leur pays, et repassa la mer, après avoir exhorté les habitants à relever le mur autrefois construit par l’empereur Sévère, entre les golfes de Clyd et de Forth. Les Bretons, qui manquaient de courage et d’ouvriers intelligents, se contentèrent de bâtir à la hâte un rempart de gazon, bordé d’un large fossé. Cet ouvrage ne fut qu’une faible défense contre les barbares, qui revinrent avec une nouvelle fureur dès qu’ils furent assurés de la retraite des Romains. Les malheureux insulaires députèrent de nouveau à Ravenne après la mort de Constance. Leurs députés parurent devant l’empereur en habits déchirés, et la tête couverte de poussière. Honorius, touché de leurs maux, leur envoya encore des troupes qui, après les avoir délivrés des barbares, leur déclarèrent que l’empire n’était plus en étal d’entreprendre des expéditions si laborieuses et si éloignées; que les Bretons ne dévoient plus en espérer de secours, et qu’ils n’avoient besoin que de courage pour se défendre contre des barbares indisciplinés et faciles à vaincre. Les Romains, exercés au travail, et qui n’avoient pas encore oublié l’architecture militaire, les aidèrent à construire un mur de pierres d’une mer à l’autre, entre le golfe de Solway et l’embouchure de la Tine, au même endroit où avait été celui d’Adrien. Ce mur avait douze pieds de haut sur huit d’épaisseur. Ils élevèrent aussi des tours le long de la côte vers le midi, où l’on avait à craindre la descente des barbares tant de l’Ecosse que de la Germanie. Ils leur enseignèrent à forger des armes, leur laissèrent des soldats instruits pour les former aux exercices, s’efforcèrent de leur inspirer du courage, et partirent pour ne plus revenir. Le départ des Romains fut un signal pour les barbares. Les Pictes et les Escossois, presque nus, hérissés de poil comme les bêtes de leurs forêts, altérés de sang et de vengeance, revinrent en plus grand nombre. Les Bretons, tremblants et vaincus d’avance par la terreur, se montrèrent sur le mur et sur les éminences des environs; ils n’opposèrent qu’une faible résistance. Les barbares les perçoivent à coups de traits; ils les tiraient avec des crocs de dessus la muraille, et en faisaient un horrible carnage. Tout fuit devant eux; la muraille et les villes sont abandonnées. Les habitants qui peuvent échapper au fer ennemi se dispersent dans les bois, où, mourant de faim et devenant eux-mêmes sauvages, ils sont réduits à ne vivre que de leur chasse et à désoler leurs propres campagnes. Ils passèrent trente années dans ce déplorable état, jusqu’à l’arrivée des Saxons, qu’ils appelèrent à leur défense, et qui leur firent encore éprouver de plus grands maux.

L’empire d’Orient se soutenait avec plus de vigueur, et sa décadence était moins sensible. Il y avait eu en 420 une sédition dans laquelle les soldats avoient tué Maximin leur commandant. On ne sait ni le lieu ni les circonstances de cette révolte. Il parait qu’elle fut aussitôt étouffée. L’année suivante, le 13 de février, on fit, en présence de l’empereur, entrer l’eau pour la première fois dans une citerne que Pulchérie avait fait creuser. Quoique Constantin et ses successeurs eussent fait venir beaucoup d’eau à Constantinople, cependant la ville en manquait souvent dans les chaleurs de l’été, qui faisaient tarir toutes les sources. Ce fut pour cette raison qu’on bâtit un grand nombre de citernes, ouvrages admirables par le travail et par la vaste étendue de ces réservoirs.

Théodose avait vingt ans accomplis , et sa sœur lui cherchait une épouse dans les plus illustres maisons de l’empire. Paulin, qu’une tendre amitié attachait à Théodose depuis l’enfance, partageait ce soin avec Pulchérie; et ils éprouvaient tous deux combien il est difficile de rencontrer ensemble toutes les grâces et toutes les vertus. Pendant qu’ils s’occupaient de cette recherche une jeune Athénienne, conduite par l’infortune, vint à Constantinople. Elle était fille de Léonce, célèbre sophiste d’Athènes; et son père, trouvant déjà en elle tous les dons de la nature, avait pris le plus grand soin de cultiver son esprit. Il y avait beaucoup mieux réussi que dans l’éducation de ses deux fils, qui n’eurent d’autre mérite que d’être frères d’Athénaïs: c’était le nom de cette fille. Léonce était riche; il mourut, et fit en mourant un testament bizarre : Je laisse, disait-il, tous mes biens à mes deux fils Galère et Génésius, à condition qu’ils donneront à leur sœur cent pièces d’or pour elle, son mérite, qui l'élève au-dessus de son sexe, lui sera d'une assez grande ressource. Les cent pièces d’or ne faisaient guère que treize à quatorze cents livres de notre mon noie actuelle. Athénaïs, déshéritée pour la raison même qui rend les autres pères plus favorables, conjura d’abord ses deux frères de réparer cette injustice, et de lui accorder sa légitime, les prenant à témoin qu’elle n’avait pas mérité cette disgrâce, et leur, représentant que l’indigence de leur sœur serait pour eux, sinon un sujet d'affliction, du moins un reproche continuel. Ces âmes vulgaires n’écoutèrent que l’intérêt; et, pour oublier leur sœur, ils la chassèrent de la maison paternelle. Elle se réfugia chez une tante qui la conduisit à Constantinople pour y solliciter la cassation du testament. Elles s’adressèrent à Pulchérie. Athénaïs était d’une beauté éblouissante; elle exposa le sujet de ses plaintes avec des grâces si touchantes, que la princesse fut aussi charmée de son esprit que de sa beauté. Pulchérie s’informa de ses mœurs; et, ayant appris qu’elles étaient irréprochables, elle crut avoir trouvé dans cette jeune fille ce qu’elle cherchait vainement à la cour. Elle fit aussitôt part à son frère de cette heureuse découverte.

Ce récit excita dans le jeune prince une vive impatience de voir Athénaïs. Pulchérie, sous prétexte de s’instruire plus en détail de l’objet de sa requête, la fit entrer dans son appartement, où Théodose, sans être aperçu d’elle, eut le temps de la considérer d’un lieu où , il était avec Paulin. Tous deux furent frappés de l’éclat de sa personne, tandis que Pulchérie admirait la justesse , les grâces et la modestie de ses discours. Théodose en devint passionnément amoureux, et n’eut point de repos que le mariage ne fût conclu. Léonce était païen; Athénaïs, élevée dans la religion de son père, fut instruite du christianisme, et baptisée par Atticus, qui changea son nom en celui d’Eudoxie. Elle y ajouta le nom d’Aelia, que portait Pulchérie. Les noces furent célébrées le 7 de juin; et cette brillante solennité fut accompagnée de fêtes et de jeux, qui continuèrent pendant plusieurs jours. Eudoxie mit au monde l’année suivante une fille qui fut nommée Licinia Eudoxia. Elle reçut le titre d’Auguste le 2 de janvier 423. Les frères d’Eudoxie avoient mérité son ressentiment: ils prirent la fuite, et se cachèrent dès qu’ils apprirent qu’elle était devenue femme de leur souverain. La princesse, plus généreuse et plus habile qu’ils n’étaient en fait de vengeance, ne voulut les punir que par des bienfaits. Elle les fit chercher et conduire à Constantinople. Lorsqu’ils parurent devant elle, tremblants et déconcertés : Ne craignez rien, leur dit-elle, loin de vous savoir mauvais gré, je vous regarde comme les auteurs de mon élévation. Ce n’est pas votre dureté qui m’a bannie de la maison paternelle, c’est la Providence divine qui m’a prise par la main pour me conduire sur le trône. Elle procura à Valère la dignité de maître des offices, et à Génésius celle de préfet du prétoire d’Illyrie. Cette princesse conserva sons la pourpre le goût qu’elle avait pour les lettres. Elle composa des poèmes qui ont fait l’admiration de son siècle et de la postérité. Elle traduisit en vers les cinq livres de Moïse, Josué, les Juges, Ruth , les prophéties de Daniel et de Zacharie. Photius relève dans ses ouvrages la beauté de la poésie jointe à la fidélité de la traduction. Il fait encore un grand éloge d’un poème qu’elle composa en trois livres à la louange du martyr Cyprien, qui avait souffert la mort dans la persécution de Dioclétien. Ce poème, presque entier, a été retrouvé à Florence dans la bibliothèque de Laurent de Médicis. Le manuscrit est du dixième siècle.

Pulchérie, dès son entrée dans le ministère, avait éloigné de la personne de Théodose l’eunuque Antiochus, qui ayant été gouverneur du prince dans son bas âge, s’était rendu maître de son esprit. Cet ambitieux avait trouvé moyen de se rapprocher, et balançait auprès du jeune empereur le crédit même de Pulchérie. Il était parvenu à la charge de grand-chambellan et au titre de patrice. Ses injustices le rendaient odieux; mais ses artifices et ses intrigues lui conservaient son pouvoir. Eudoxie, peu de temps après son mariage, s’étant déclarée contre lui, on eut moins de peine à faire connaitre à Théodose que cet insolent favori méprisait également l’empereur et l’impératrice, et qu’il s’oubliait jusqu’à vouloir gouverner l’empire, où il ne jetait que du désordre par ses concussions. Le prince, enfin désabusé, le dépouilla de sa charge, et confisqua ses biens. Antiochus, pour se mettre à couvert des suites encore plus funestes que cette disgrâce pouvait entraîner, s’engagea dans le clergé. Il acheva sa vie, qui ne fut pas longue, au service de l’église de Sainte-Euphémie à Chalcédoine. Théodose, par une loi expresse, déclara les eunuques incapables de porter jamais le titre de patrice.

Ce fut dans ce temps-là qu’on vît éclater la première étincelle de cette funeste jalousie qui embrasa dans la suite l’église d’Orient, et qui l’a enfin séparée de l’église romaine. Atticus, évêque de Constantinople, prélat aussi adroit qu’il paraissait doux et modeste, profita du chagrin que causait à Théodose la promotion de Constance pour engager ce prince à étendre les droits de son église. Sur une contestation survenue entre les évêques de l'Illyrie orientale, Théodose ordonna par une loi que les questions de discipline concernant l’Illyrie seraient décidées par le concile de la province avec la participation de l’évêque de Constantinople, ville qui jouit, dit-il, des prérogatives de l’ancienne Rome. Les termes de la loi étaient ménagés et équivoques; mais c’était en effet enlever à l'évêque de Thessalonique, vicaire du Saint-Siège, l'autorité qu’il avait sur l’Illyrie orientale, et la faire passer aux évêques de Constantinople. De plus, l’éloge de cette dernière ville, inséré dans la loi, faisait soupçonner que Théodose entendit qu’il y eût entre les deux églises de Rome et de Constantinople la même égalité d’honneur et de juridiction qui subsistait entre les deux empires. Le pape Boniface s’opposa fortement à cette prétention; il fit défendre ses droits par l’évêque de Thessalonique; il engagea Honorius à prendre le parti de l’église romaine. Ce prince en écrivit à Théodose, qui, après la mort de Constance, consentit à révoquer sa loi. Cependant cette loi, qui ne subsistait plus, a été insérée dans le code de Justinien, et celle qui l'annulait ne se trouve pas même dans le code de Théodose : ce qui fait connaitre qu’après la loi révoquée, la jalousie contre le siège de Rome et la passion en faveur de l’église de Constantinople subsistèrent toujours.

La guerre de Perse commença cette année. Les auteurs orientaux la font durer quatre ans: les historiens d’Occident la terminent dès la seconde campagne. Nous raconterons de suite les événements que l’histoire nous a conservés. Isdegerd, qui avait entretenu une paix constante avec l’empire, étant mort en 420 après un règne de vingt-un ans, son fils Varane, cinquième du nom, lui succéda. Ce prince, aussi ennemi du christianisme que zélé pour sa fausse religion, commença son règne par une persécution très sanglante. Il ne fut jamais de nation plus ingénieuse que les Perses à raffiner sur la cruauté des supplices; ils en ont inventé d’inouïs, qui fout frémir la nature; et les martyrs de ce pays prouvent encore mieux que tous les autres la force invincible de la grâce divine. La persécution fit naître la guerre; c’étaient deux choses presque inséparables. Les chrétiens qui pourvoient échapper à la rigueur des édits aloient chercher leur sûreté sur les terres de l'empire; et quoique les mages, acharnés à leur perte, eussent posté sur la frontière des gardes de Sarrasins pour les arrêter, il s’en sauva un grand nombre, dont la plupart se retirèrent à Constantinople. Ils y trouvèrent une ressource assurée dans l’humanité du jeune empereur. On raconte à ce sujet un fait digne de mémoire. Il y avait en Perse un Grec nommé Aspébète, qui, étant né idolâtre, s’était établi dans le pays des Sarrasins, où sa valeur l’avait fait élire chef d’une tribu. Etant alors au service de la Perse, il fut chargé, comme les autres capitaines de la même nation, d’arrêter les chrétiens qui fuyaient en Mésopotamie. Mais cet infidèle, touché de compassion, loin de leur faire obstacle, favorisait leur fuite. Varane en fut averti. Aspébète, redoutant sa cruauté, emporta tous ses biens et se réfugia avec sa famille sur les terres des Romains. Anatole, préfet d’Orient, lui donna un établissement en Arabie, et le commandement des Sarrasins soumis à l’empire. Quelque temps après, le fils d’Aspébète ayant été guéri d'une paralysie par les prières d’un saint solitaire, le père se fit chrétien avec sa famille et son peuple, dont il fut dans la suite nommé évêque. Il prit le nom de Pierre, et fut par sa sainteté un des prélats les plus célèbres de l’Orient.

Varane envoya redemander à l’empereur ses sujets fugitifs. Théodose répondit avec courage que l’empire était un asile toujours ouvert aux innocents: que le christianisme faisait tout le crime de ceux que le roi poursuivait : que les empereurs n’avoient point de titre plus glorieux que celui de défenseurs de la religion chrétienne, et que, pour traîner en Perse ceux dont Varane voulait verser le sang, il faudrait qu'il vînt les arracher d'entre ses bras. Sur cette réponse généreuse, le roi de Perse usa de représailles; il refusa de rendre les travailleurs que l’empereur avait prêtés aux Perses pour fouiller les mines d’or de leur pays; et il fit saisir tous les effets des marchands romains qui se trouvaient alors dans ses états. Théodose, s’attendant à une rupture ouverte, prit toutes les précautions d’une sage politique. Il leva des troupes et mit à leur tête trois généraux, Ardabure, Aréobinde et Avitien. Les deux premiers étaient barbares d’origine, comme leur nom le fait connaitre. Ardabure, le plus renommé des trois, était Alain, et arien de religion, mais connu par sa bravoure et par ses talents militaires. Chez les Romains, qui dégénéraient, on trouvait encore beaucoup de soldats, mais peu de généraux. L’empereur permit à tous les habitants de l’Asie, depuis le Tigre jusqu’à l’Hellespont, d’enfermer leurs terres d’une enceinte de murailles, pour les mettre à couvert des incursions. On voit par celte loi que les particuliers ne pourvoient enclore leurs possessions sans la permission du prince. Par une seconde loi il renouvela la défense de transporter chez les barbares des marchandises dont ils pourvoient faire usage au préjudice de l’empire, telles que du fer, des armes, et même des vivres.

Les Perses, sous la conduite du général Narsès, se mirent en campagne au printemps de l’année 421. Mais des pluies abondantes et continuelles retardèrent leur marche, et donnèrent aux Romains le temps de les joindre dans l’Arzanène. C’était une des cinq provinces cédées par Jovien aux Perses en-deçà du Tigre. Il se livra une grande bataille où les Perses furent vaincus. On en reçut trois jours après la nouvelle à Constantinople, quoiqu'il y eût une distance de près de quatre cents lieues. Telle était la prodigieuse diligence d’un courrier nommé Pallade. On disait de lui qu’il savait rapprocher les distances, et qu’à mesurer par ses journées l’étendue de l’empire, ce n’était qu’un petit état.

Narsès, après sa défaite, laissa Ardabure faire le dégât dans l’Arzanène. Ayant rallié les fuyards et rassemblé de nouvelles troupes, il gagna les plaines de Mésopotamie. Il espérait s’avancer jusqu’à l’Euphrate. Ardabure, instruit de sa marche, le suivit avec toutes ses troupes, et l’atteignit devant Nisibe, qui faisait la borne des deux états. Narsès envoya défier le général romain, lui demandant le jour et le lieu où ils pourraient terminer la guerre par une bataille décisive. Ardabure répondit à cette bravade que ce n’était pas l’usage des généraux romains de concerter les opérations de la guerre avec leurs ennemis. En même temps il reçut un renfort considérable que lui envoyait l’empereur. Narsès, trop faible pour tenir la campagne devant une armée si nombreuse, s’enferma dans Nisibe. Les Romains assiégèrent la ville, établirent leurs batteries, et don noient de fréquents assauts. Les assiégés se défendaient avec vigueur.

Varane, ayant appris la défaite de son armée, le ravage de l’Arzanène et le siège de Nisibe, prit le parti d’aller en personne secourir celte place importante. Ce prince était vaillant, actif, adroit à manier les armes, et d’une force extraordinaire. Pour couper le retour à l'armée d’Ardabure  il résolut d’envoyer un grand corps de troupes vers l’Euphrate, en même temps qu’il marcherait lui-même vers Nisibe. Dans ce dessein, il demanda des secours aux Sarrasins. Cette nation était partagée en douze tribus, dont chacune avait son chef, qui, selon son inclination ou ses intérêts, combattait pour les Romains ou pour les Perses. Alamundare, chef d’une tribu puissante, guerrier intrépide et hasardeux, vint à la tête d’une cavalerie innombrable offrir ses services à Varane, lui promettant de pénétrer jusque dans le cœur de la Syrie, et de le rendre dans peu de jours maître d’Antioche. Il part aussitôt; et celte nouvelle va jeter l’effroi dans Constantinople. On a recours aux prières; les églises sont remplies d’une foule de personnes qui implorent la protection du ciel. Déjà cette multitude de Sarrasins couvrait les bords de l’Euphrate, lorsque, frappés d’une terreur panique, ils s’imaginèrent que l’armée romaine les poursuivait et qu’elle allait fondre sur eux. Dans celte alarme, sans se rassurer par leur grand nombre, ils se confondent, se pressent, se renversent les uns sur les autres, et, ne sachant où se sauver, parce qu’ils se croyaient enveloppés, ils se précipitent dans l’Euphrate, hommes et chevaux. Pas un n’atteignit l’autre bord; et, s’il en faut croire Socrate, cent mille Sarrasins furent ensevelis sous les eaux. Cependant Varane marchait vers Nisibe avec toutes les forces de ses états. Ardabure ne jugea pas à propos de l’attendre; il mit le feu à ses machines, et regagna les terres de l’empire.

Le roi de Perse, après avoir fait lever le siège de Nisibe, ne voulut pas quitter la Mésopotamie sans quelque exploit mémorable. Il alla assiéger Rhésène, nommée Théodosiopolis, depuis que le grand Théodose l’avait rétablie et fortifiée. Il fit construire des tours d’attaque, et d’autres machines propres à battre des murailles. Le siège dura un mois entier. La plus forte défense de la place, dépourvue de troupes, était l’évêque Eunome, prélat d’une éminente sainteté. Il inspira aux habitants le courage des plus braves soldais; il se trouvait à toutes les attaques, donnant les ordres et animant les combattants du geste et de la voix. Enfin il obligea les Perses d’abandonner leur entreprise ; ce qui arriva de cette manière. Un des rois vassaux de Varane, s’étant approché à la portée de la voix, possédé de la même fureur que Rhabsacès et Sennachérib, proférait contre le dieu des chrétiens les plus exécrables blasphèmes. Eunome, saisi d’indignation, fait pointer une baliste qui portait le nom de Saint-Thomas, et la pierre, partant avec violence, va fracasser la tête de ce prince impie. Varane, effrayé de ce coup, et rebuté d'une si vigoureuse résistance, lève le siège et retourne en Perse. On rapporte qu’il y eut cette année en Paphlagonie une si cruelle famine, que les habitants, désespérés, vendaient leurs propres fils, après les avoir fait eunuques, pour en tirer un plus haut prix.

La guerre continua l’année suivante. Les trois généraux romains se signalèrent. Un seigneur perse étant venu défier le plus brave des Romains, Aréobinde ne voulut céder à personne la gloire de le combattre; il courut à lui, le saisit au corps, et l’ayant renversé de cheval, il le perça de sa lance. Les Grecs du moyen âge ont à leur manière embelli ce combat par des circonstances romanesques. Ardabure surprit et tua dans une embuscade sept officiers-généraux de l’armée ennemie. Avitien acheva détruire ce qui restait de Sarrasins au service de Varane. Les habitants de Nisibe, toujours guerriers, mais devenus aussi ennemis de l’empire et du christianisme qu’ils avaient été autrefois attachés à l’un et à l’autre, étant sortis en armes pour se joindre à l’armée des Perses, furent enveloppés et taillés en pièces.

Ces premiers succès promettaient aux Romains une campagne glorieuse. Cependant Théodose aima mieux en profiter pour faire cesser la persécution par un traité de paix. Il employa dans cette négociation Hélion, maître des offices, qu’il estimait singulièrement, Anatole, préfet d’Orient, et Procope, gendre du célèbre Anthémius, et père d’un autre Anthémius qui fut depuis empereur. Ce Procope descendait de celui qui avait usurpé la souveraineté sous le règne de Valence. Ces plénipotentiaires, étant arrivés au camp des Romains en Mésopotamie, envoyèrent au roi de Perse un officier de marque, nommé Maximin, pour pressentir ses dispositions. Maximin était homme d’esprit, et propre à conduire habilement une affaire si délicate. Afin de ne pas compromettre l’honneur de l’empire, il dit au roi qu’il était envoyé non par l’empereur, mais par les généraux de l’armée romaine; que c’était à regret qu’ils faisaient la guerre à un monarque dont ils respectaient la haute vertu autant qu’ils admiraient sa valeur; qu’ils étaient assurés d’obtenir l’agrément de leur souverain, si le roi ne refusait pas d’entrer en négociation.

Varane , instruit du mauvais état de son armée , qui périssait faute de subsistances, était disposé à la paix. Mais les Immortels s’y opposèrent. C’était un corps de dix mille cavaliers, qui subsistait en Perse depuis les premiers successeurs de Cyrus; milice fameuse et la plus illustre de l’empire persan par la noblesse, la magnificence et la valeur. On les appelait Immortels parce que leur nombre ne diminuait jamais, et que celui qui mourait était aussitôt remplacé par un autre. Comme ils étaient en grande considération auprès des rois de Perse, ils persuadèrent à Varane de n’écouter aucune proposition qu’ils n’eussent eux-mêmes fait un dernier effort pour vaincre les Romains. Ils se flattaient de les surprendre. Le roi, plein de confiance en leur courage, y consentit; et afin que les Romains ne fussent pas avertis de leur marche, il fit enfermer Maximin. Les Immortels se partagèrent en deux troupes : l’une vint se présenter de front devant un grand corps détaché du reste de l’armée, tandis que l’autre, ayant pris un détour, gagna les derrières, et se mit en embuscade à dessein de charger les Romains en queue pendant le combat. C’en était fait de ce corps d’armée, si le stratagème eût réussi. Mais une sentinelle ayant, du haut d’une éminence, aperçu l’embuscade, vint promptement en donner avis à Procope qui se trouvait en cet endroit. Aussitôt Procope, à la tête de tout ce qu’il peut rassembler d’escadrons, se jette entre les combattants et les troupes de l’embuscade; il taille celles-ci en pièces, revient ensuite sur les premiers qui attaquaient de front, et qui, n’étant pas secourus, furent enveloppés et entièrement défaits.

La destruction d’un corps qui faisait l’honneur et la principale force de la Perse acheva d’abattre la fierté de Varane. Il fit venir Maximin; et, feignant d’ignorer cet événement funeste: Quoique je sente bien, lui dit-il, la supériorité de mes forces, j'ai réfléchi sur les maux inséparables de la guerre, lors même qu'elle est heureuse. Je consens à traiter avec vous. Maximin ayant fait part de cette ouverture aux trois députés, ils se rendirent à Ctésiphon, et conclurent avec le roi une paix pour cent ans. Elle en subsista quatre-vingts, jusqu’à la douzième année du règne d’Anastase. On convint que le roi laisserait aux chrétiens liberté de religion. Mais cet article ne fut pas fidèlement observé. La persécution recommença peu de temps après, et continua pendant tout le règne de Varane, quoique avec moins de fureur. La nouvelle de la paix causa autant de joie à Constantinople que la guerre y avait répandu d’alarme. Les orateurs et les poètes s’efforcèrent à l’envi de célébrer les louanges de l’empereur. Eudoxie elle-même composa sur ce sujet un poème en vers héroïques. Procope, qui avait le plus contribué à la paix, fut honoré du titre de patrice, et nommé général des troupes d'Orient.

Mais celui qui s’acquit dans cette guerre la gloire la plus solide, et qui en reçut sans doute la récompense la plus précieuse et la plus durable, fut Acace, évêque d’Amide. Dans le ravage de l’Arzanène, les Romains avaient enlevé grand nombre d’habitants qu’ils trainaient à leur suite. Ces malheureux, au nombre de sept mille, étaient réduits à la plus affreuse misère. Les soldats, qui dans ce pays stérile manquaient souvent eux-mêmes de subsistances, les laissaient périr de faim. Acace, digne ministre du Dieu qui répand ses bienfaits sur tous les hommes, eut pitié de ces infidèles. Il était pauvre, mais son église était riche. Du consentement de son clergé, qu’il embrasa de la même charité, il en vendit les ornements et jusqu’aux vases sacrés, racheta ces prisonniers des mains des soldats, les revêtit, leur fournil de l’argent pour leur voyage, et les renvoya en Perse. Cette générosité fit auprès de Varane plus d’honneur aux Romains que toutes leurs victoires. Il demanda avec instance à voir ce prélat, auquel il devait la conservation d’un si grand nombre de ses sujets. Acace eut ordre de Théodose de satisfaire le désir du roi. Il obéit, et fut reçu à labour, de Perse comme le bienfaiteur de la nation. Varane, instruit qu’il ne pourrait lui faire accepter aucun présent, le combla d’honneurs capables de flatter tout homme qui n’en aurait pas attendu d’immortels de la part du maître des rois.

Dans le mois de mars de cette année, il parut une comète, dont la queue était fort longue et fort brillante. Elle se fît voir pendant dix nuits un peu avant le lever du soleil. Il y eut en Orient des tremblements de terre : l’année fut stérile. Les Huns firent une irruption dans la Thrace. Calliste, préfet d’Egypte, fut assassiné dans Alexandrie par ses propres esclaves.

L’Espagne était en proie à des ennemis moins puissants; mais plus opiniâtres que les Perses. Les Vandales, chassés de la Galice, se jetèrent dans des barques; et, ayant fait le tour de l’Espagne, ils allèrent attaquer les îles de Majorque et de Minorque, qu’ils mirent à feu et à sang. De là ils passèrent sur la côte voisine, et ruinèrent Carthagène, que les Romains avoient auparavant reprise sur les Alains. Cette ville, autrefois bâtie par les Carthaginois, était la plus florissante de l’Espagne sur la Méditerranée. Elle fut alors réduite à quelques masures. La commodité du port fut cause qu’elle se releva dans la suite; mais elle ne recouvra jamais sa première splendeur. La dignité de métropole dont elle jouissait passa à Tolède. Les Vandales poussèrent plus loin leurs conquêtes, et s’emparèrent de la Bétique, dont les Romains s’étaient remis en possession depuis que Vallia y avait détruit les Silinges. Pour arrêter ce torrent, Honorius donna ordre à Castin de passer en Espagne avec une armée. Ce général avait été, deux ans auparavant, employé contre les François, lorsqu’ils étaient venus se jeter en Gaule. On ne sait ce qu’il fit alors; mais il est certain qu'il ne les avait pas obligés de repasser le Rhin.

Pour assurer les succès de Castin, l’empereur voulut qu’il fut accompagné de l’officier le plus brave et le plus expérimenté de l’empire. C’était le comte Boniface, né en Thrace, et qui s'était fait connaitre dès l'an 413, en défendant Marseille contre Athaulf. Il fut employé en Afrique, d’abord en qualité de tribun. Bientôt, par des services éclatants, il parvint à la dignité de comte, c’est-à-dire, de commandant des troupes de la province. Sa vigilance et son courage le rendaient redoutable aux barbares, en même temps que sa justice, son désintéressement, sa fermeté jointe à sa douceur, lui attachaient le cœur des peuples. Sa piété fervente, qui faisait l’honneur et la joie de l’Église, lui avait inspiré la pensée de renoncer aux avantages et aux espérances du siècle pour se renfermer dans un monastère. Saint Augustin, qui entretenait avec lui la liaison la plus sainte et la plus étroite, l’avait détourné de ce dessein en lui représentant que les talents qu’il avait reçus de la Providence pourraient être plus utiles dans les affaires et dans les emplois que dans la retraite. Boniface, étant venu à Ravenne par ordre.de l’empereur, éprouva de la part de Castin tous les dégoûts que peut donner à un subalterne supérieur en mérite un général jaloux, altier et intraitable. Il jugea qu’il ne pouvait attendre de cette expédition que du déshonneur, sans rendre aucun service à l’empire. Il se retira donc à Porto, et de là en Afrique. Quoiqu’il en eût sans doute obtenu la permission de l’empereur, cependant, comme elle fut secrète, sa retraite causa de l’inquiétude, et fut blâmée dans le public comme un trait de désobéissance.

Le présomptueux Castin, s’applaudissant d’avoir écarté un lieutenant qui lui faisait ombrage, passa les Pyrénées avec une armée nombreuse, augmentée encore des troupes auxiliaires qu’il reçut de Théodoric, roi des Visigoths. Arrivé dans la Bétique, il enferma d’abord l’armée des Vandales, et les réduisit à une telle extrémité, qu’ils offrirent de se rendre à des conditions raisonnables. Leur proposition fut acceptée, et le traité juré de part et d’autre sur le livre des Evangiles. Mais le perfide Castin, qui n’avait intention que de les amuser pour les exterminer plus facilement, marcha aussitôt contre eux avec toutes ses forces. Les Vandales, sans perdre courage, vinrent au-devant de lui, faisant porter le livre des Evangiles à la tête de leur armée. Il y eut une sanglante bataille, où les Visigoths, soit par perfidie, soit qu’ils eussent horreur de celle de Castin, refusèrent de combattre et l’abandonnèrent. Le général romain fut entièrement défait, et obligé de s’enfuir à Tarragone, après avoir perdu vingt mille hommes.

Honorius fit cette année et la suivante plusieurs ordonnances qui sont une preuve de sa bonté naturelle. Mais, sans lui faire injustice, on peut douter qu’il ait tenu la main à l’exécution. Ces lois réprimaient l’avidité souvent cruelle des créanciers; elles modéraient les impositions, et soulageaient les provinces accablées; elles réformaient plusieurs articles de la procédure criminelle portant règlement de juges dans les causes qui concernaient les sénateurs, défendant d’avoir égard aux mémoires secrets qui seraient fournis contre les accusés, d’écouler les dépositions des affranchis contre leurs patrons. Constantin, Valentinien Ier et le grand Théodose, se conformant aux anciennes lois, avoient défendu aux officiers employés dans les provinces d’y faire aucune acquisition; Honorius, importuné sans doute par les sollicitations de l’avarice, eut la faiblesse d’abroger une loi si équitable.

Depuis la mort de Constance, la tendresse naturelle d’Honorius pour sa sœur Placidie s’était accrue jusqu’à faire naître des soupçons, qui, dans une cour corrompue, trouvent toujours des esprits préparés à les recevoir. Elpidia, nourrice de Placidie, et Léontée son intendant, dans lesquels elle avait une aveugle confiance, vinrent à bout, par des rapports malins, de diviser le frère et la sœur, et de changer leur union en une haine mortelle. L’empereur se persuada que sa sœur entretenait de secrètes intelligences avec les barbares. Un grand nombre de Goths, après la mort d’Athaulf, étaient demeurés attachés à la veuve de leur prince, et l’avoient suivie à Ravenne. Ils prirent son parti avec chaleur; Ravenne était partagée en deux factions, qui en venaient tous les jours à des querelles sanglantes. Enfin Honorius donna ordre à Placidie de sortir de la cour. Elle alla se jeter entre les bras de Théodose avec ses deux enfants. De tous les courtisans de son frère qui avoient été les siens, il n’y eut que le comte Boniface qui ne l’abandonna pas dans sa disgrâce. Il lui envoya d’Afrique les secours nécessaires pour soutenir l’honneur de son rang, et redoubla de zèle à la servir.

Le ressentiment de Placidie, qui surpassait son frère en esprit et en courage, aurait pu exciter de nouveaux troubles, si la mort d’Honorius n’en eût prévenu les suites. Il mourut d’hydropisie à Ravenne, le 15 d’août de cette année 423, âgé de trente-huit ans, onze mois et sept jours, après avoir régné vingt-sept ans et sept mois moins un jour depuis la mort de son père. Ce fut un malheur pour ce prince d’être né pour régner; dans une condition privée il aurait mérité quelque estime. Son caractère et son gouvernement forment un contraste perpétuel  il était doux, et son règne ne fut pas exempt de cruauté; il ne respirait que la paix, et l’Occident fut désolé par d’horribles guerres; il chérissait sa famille, et tous ceux de ses parents qui vécurent sous son empire furent ou mis à mort ou bannis; ses lois ne tendaient qu’au soulagement de ses sujets, et ses sujets furent accablés. Sa faiblesse produisit tous ces maux; toujours gouverné, il ne prêta que son nom aux affaires. Son père avait raffermi les fondements de la puissance romaine, son incapacité les laissa ébranler; et l’on peut le regarder comme la première cause de la chute de l’empire d’Occident, qui, après avoir éprouvé les plus violentes secousses pendant les cinquante années suivantes, s’écroula enfin tout-à-fait. Vers le milieu du seizième siècle, on crut avoir trouvé son corps à Rome dans l’église de Saint-Pierre avec ceux de ses deux femmes, Marie et Thermantie. Si la chose est véritable, il faudrait qu’il y eût été transporté de Ravenne, où l’on voit encore son mausolée, qu’on suppose avoir été bâti par ordre de sa sœur Placidie.

 

LIVRE TRENTE-UNIÈME. THÉODOSE II, VALENTINIEN III.

 

HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.