HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |
LIVRE DIX-SEPTIEME.
VALENTINIEN, VALENS, GRATIEN. 367-368.
L’ancienne politique romaine, toujours ambitieuse, quelquefois injuste, en avait
du moins imposé à l’univers par des dehors de probité et de justice. Ici
l’histoire va nous montrer des rois assassinés, des peuples massacrés contre
la foi des traités, la trahison substituée au courage, la bonne foi sacrifiée à
l’intérêt, ce principe destructeur de lui-même; la réputation, ce puissant ressort
de la prospérité des états, perdue pour toujours, et les Romains avilis par les
vices avant que d’être vaincus par les barbares.
Jovin, consul en l’année 367, aurait trouvé place entre les grands hommes de
l’ancienne république. On l’a vu, dans le même temps que Jovien le dépouillait
du commandement dans la Gaule, y maintenir généreusement l’autorité de
l’empereur. On vient de raconter ses exploits guerriers, comparables à ceux de
L. Marcius en Espagne, après la mort des deux Scipions. Mais Lupicin, son collègue, n’avait pas l’âme
plus élevée que le caractère de son siècle. Ses talents militaires, sa sévérité
dans le maintien de la discipline, une connaissance assez étendue de la
littérature et de la philosophie, l’avoient fait estimer de Julien, quoiqu’il
fût chrétien; mais il était avare et injuste. Nous verrons dans les années
suivantes les funestes effets de ces vices.
Valentinien fut attaqué à Reims d’une longue maladie, qui le réduisit à
l’extrémité. Il se formait déjà à la cour des cabales secrètes pour lui donner
un successeur. Les uns proposaient Rusticus Julianus,
chargé d’expédier les brevets, et de dicter les réponses que le prince faisait
aux requêtes. Il était éloquent et habile dans les lettres, mais cruel et
sanguinaire. D’autres penchaient pour Sévère, comte des domestiques, qui méritait
en toute manière la préférence sur Rusticus. Personne ne parlait en faveur de
Gratien, qui n’avait encore que huit ans.
Le rétablissement de l’empereur fit avorter tous ces projets. Ayant enfin
recouvré la santé vers le mois d’août, il se rendit dans la ville d’Amiens. Le
danger qu’il venait de courir, et les sollicitations de sa belle-mère et de sa
femme le déterminèrent à nommer Auguste son fils Gratien. Après avoir disposé
les esprits à seconder ses intentions , il assembla ses soldats le
vingt-quatrième d’août dans une plaine aux portes de la ville; et, étant monté
sur un tribunal environné des grands de sa cour, il prit par la main le jeune
prince, et, le présentant aux troupes :
«C’est vous (dit-il), braves soldats, qui m’avez choisi par préférence à
tant d’illustres capitaines : vous avez droit de prendre part à mes
délibérations, et la tendresse paternelle attend aujourd’hui vos suffrages. Le
souverain maître des empereurs et des empires, le protecteur de la puissance
romaine, qu’il rendra immortelle, m’inspire les plus belles espérances; et un
projet que je n’ai conçu que pour votre sûreté ne peut manquer de vous plaire.
C’est sur cette double confiance que j’ai formé le dessein d’associer mon fils
à l’empire. Vous le voyez depuis longtemps entre vos enfants, et vous l’aimez
comme un gage précieux de la tranquillité publique; il est temps qu’il en
devienne l’appui. Il est vrai qu’il n’est pas né comme nous dans les travaux,
qu’il n’est pas endurci dans les fatigues de la guerre; son âge ne l’en rend
pas encore capable. Mais son heureux naturel ne dément pas la gloire de son
aïeul; et si je ne suis pas abusé par mon amour pour lui et par le désir ardent
de votre félicité, voici te que ses inclinations naissantes me promettent pour la
prospérité de l’empire : cultivé par l’étude des lettres, saura bientôt peser
dans une juste balance les bonnes et les mauvaises actions; il fera sentir au
mérite qu’il en connait le prix; il entendra la voix de la gloire; il y courra
avec ardeur: vos aigles et vos enseignes composeront son cortège ordinaire. Il
saura supporter les incommodités des saisons, la faim , la soif, les longues
veilles; il combattra, il exposera sa vie pour le salut des siens ; et, rempli
des sentiments de son père, il chérira l’état comme sa famille.»
L’ardeur des soldats interrompit l’empereur; chacun semblait partager avec
Valentinien la tendresse paternelle, chacun voulait prévenir ses camarades
par les témoignages de son amour. Ils proclamèrent tout d’une voix Gratien
Auguste.
Alors l’empereur, transporté de joie, embrassant tendrement son fils,
après lui avoir posé le diadème sur la tête, et l’avoir revêtu des autres ornements
impériaux, lui adressa ces paroles, que le jeune prince écouta avec attention :
«Vous voilà, mon fils, élevé à la dignité souveraine par la volonté de
votre père et par le suffrage de nos guerriers. Vous ne pouviez y monter sous
des auspices plus heureux. Collègue de votre oncle et de votre père,
préparez-vous à soutenir le poids de l'empire, à franchir sans crainte à la vue
d’une armée ennemie les glaces du Rhin et du Danube; à marcher à la tête de vos
troupes, à verser votre sang, et à exposer votre vie avec prudence pour
défendre vos sujets; à ressentir tous les biens et tous les maux de l’état, comme
vous étant personnels. Je ne vous en dirai pas davantage en ce moment : ce qui
me reste de vie sera employé à vous instruire. Pour vous, soldats, dont la valeur
fait la sûreté de l’empire, conservez, je vous en conjure, une affection constante
pour ce jeune prince, que je confie à votre fidélité, et qui va croître à
l’ombre de vos lauriers.»
Les acclamations se renouvelèrent; on accablait de louanges les deux
empereurs. Les grâces du jeune prince, la vivacité qui brillait dans ses yeux, attiraient
tous les regards. Il méritait les éloges que lui a voit donnés son père, et il aurait
égalé les empereurs les plus accomplis, s’il eût vécu plus longtemps, et si sa
vertu eût pu acquérir assez de maturité et de force pour n’être pas obscurcie
par les vices de ses courtisans. Valentinien lui conféra le titre d’Auguste,
sans l’avoir fait passer, selon la coutume, par le degré de César. Il en avait
usé de même à l’égard de son frère Valens. L. Vérus était
le seul jusqu’alors qui, sans avoir été César, eût été élevé au rang d’Auguste.
Dans cette brillante proclamation, Eupraxe de
Césarée en Mauritanie, employé pour lors dans le secrétariat de la cour, eut
l’avantage de signaler son zèle. Il fut le premier à s’écrier: Gratien
mérite cet honneur; il promet de ressembler à son aïeul et a son père. Ces
paroles lui procurèrent la questure, dignité beaucoup plus éminente alors
qu’elle n’avait été du temps de la république, et qui renfermait une partie des
fonctions attribuées parmi nous au chancelier de France. Eupraxe n’était cependant rien moins que flatteur. Il laissa au contraire de grands
exemples d’une franchise inaltérable. Plein de droiture, attaché inviolablement
aux devoirs de sa dignité, il fut aussi incorruptible que les lois, qui parlent
toujours le même langage, malgré la diversité des personnes; et ni l’autorité,
ni les menaces d’un prince absolu, et qu’il était dangereux d’irriter, ne lui
firent jamais trahir les intérêts de la vérité et de la justice.
L’empereur était en chemin pour se rendre à Trêves lorsqu’il apprit que les
barbares qui habitaient la partie septentrionale de la Grande-Bretagne étaient
sortis de leurs limites, qu’ils portaient partout le fer et le feu, qu’ils avaient
tué le comte Nectaride, qui commandait sur la côte
maritime, et surpris dans une embuscade le général Fullofaude.
Il fit sur-le-champ partir Sévère, comte des domestiques; mais l’ayant presque
aussitôt rappelé, il y envoya Jovin, qui manda à l’empereur que le péril était
plus grand qu’il ne pensait, et que la province était perdue, si l’on n’y faisait
passer au plus tôt une nombreuse armée. Toutes les nouvelles qui venaient de
cette île confirmaient ce rapport. Pour remédier à ces désordres, Valentinien
jeta les yeux sur un officier déjà connu par ses services. Il s’appelait
Théodose, Espagnol de naissance et d’une famille illustre. Sa valeur, jointe à
une longue expérience, était encore relevée par sa bonne mine, par une
éloquence vive et militaire, et par une noble modestie. Dès qu’il eut la
commission de l’empereur, il se vit à la tête d’une brave jeunesse qui s’empressait
à servir sous ses ordres. L’activité était une des qualités de Théodose. Il
arrive à Boulogne et passe sans danger à Rutupies, le
port le plus proche dans la Grande-Bretagne. Quatre cohortes des plus renommées
y abordent à sa suite : c’étaient les Bataves, les Hérules, les Joviens, et
ceux qu’on appelait les Vainqueurs. Il marche aussitôt vers Londres,
ville ancienne, et dès lors capitale du pays. Comme il avait divisé son armée
en plusieurs corps séparés, il rencontra en chemin diverses troupes d’ennemis
qui ravageaient la campagne et emmenaient avec eux grand nombre d’hommes et de
bestiaux. Il tombe sur eux, les met en fuite, enlève leur butin, et le rend aux
habitants, qui lui en abandonnent volontiers une partie pour récompenser la
bravoure de ses soldats. Il entre ensuite comme en triomphe dans Londres. Cette
ville, auparavant remplie d’alarme, et qui ne s’attendait pas à un secours si
prompt et si efficace, reçut avec joie son libérateur. Théodose s’y instruisit
de l’état de la province: il apprit que les Pictes, qui se divisaient en deux
peuples, les Calédoniens et les Vecturions s’étaient
joints aux Ecossais, venus d’Hibernie, et aux Attacottes,
autres nations très belliqueuses; et que tous ces barbares, dispersés par pelotons,
embrassaient dans leurs ravages une grande étendue de pays. Théodose sentait
tout l’avantage que des troupes réglées avoient sur des brigands indisciplinés;
mais il n’était pas question de bataille rangée : pour venir à bout de joindre
et de battre ces ennemis, il lui fallait partager son armée en un grand nombre
de petits corps qui se répandissent au loin; et il avait besoin de beaucoup de
troupes. Il fit publier une amnistie en faveur des déserteurs qui reviendraient
à leur drapeau, et rappela les vieux soldats qui, ayant eu leur congé, s’étaient
dispersés dans le pays. En même temps, pour l’aider dans cette expédition, il
demanda à l’empereur Dulcitius, officier d’une capacité
reconnue; et pour assurer ensuite le repos de la province par un sage
gouvernement, il pria qu’on lui envoyât Civilis en qualité de vicaire des
préfets. C’était un homme d’un caractère vif et ardent, mais plein de droiture
et de justice. Après avoir pris de prudentes précautions, il partit de Londres
avec une armée considérablement augmentée, et vint à bout de délivrer le pays ,
prévenant partout les ennemis , leur dressant des embuscades à tous les
passages, les enveloppant, et taillant en pièces leurs partis les uns après les
autres. Ce qui assurait le plus ses succès, c’est qu'étant infatigable, il se trouvait
partout, payant lui-même de sa personne, et que dans toutes les opérations
militaires il ne commandait rien dont il ne donnât l’exemple. Ayant donc
rechassé les barbares dans leurs forêts et leurs montagnes, il rétablit les
villes et les forteresses; il garnit de troupes les frontières, et rendit à ce
pays désolé par tant de ravages une tranquillité durable. La Grande-Bretagne était
divisée en quatre provinces : des pays reconquis sur les barbares il en forma
une cinquième; et pour honorer la famille de l’empereur, il lui donna le nom de Valentia. C’est l’Ecosse méridionale: elle fut ensuite gouvernée par un
consulaire.
Le cours de cette expédition fut traversé par une conspiration qui aurait
déconcerté tous les projets d’un capitaine moins actif et moins prudent. Un
Pannonien nommé Valentin, beau-frère de Maximin, que nous verrons bientôt
vicaire de Rome et préfet du prétoire avait été condamné pour crime et relégué
dans la Grande-Bretagne. Cet homme superbe et turbulent résolut de s’emparer de
la province et d’y prendre le titre d’empereur. Il était surtout animé contre
Théodose, qu’il croyait le seul capable de faire échouer ses pernicieux
desseins. Il avait déjà gagné les autres exilés, et un assez grand nombre de
soldats, lorsque Théodose en fut averti. Ce général, prompt et intrépide,
s’étant aussitôt saisi de Valentin et de ses plus zélés partisans, les livra
entre les mains de Dulcitius pour les faire mourir.
Mais par un trait de prudence il défendit de les appliquer à la question, de
crainte de donner l’alarme aux autres conjurés, et de faire éclater le
complot, que le supplice des chefs ne manquerait pas d’étouffer. On avait
établi depuis longtemps dans la Grande-Bretagne, ainsi que dans le reste de
l’empire, des stationnaires chargés de veiller sur les mouvements des barbares, et d’en avertir les généraux romains. Ils furent convaincus d’avoir, par une
trahison criminelle, servi d’espions aux ennemis, qui leur faisaient part de
leur butin. Théodose chassa tous ces surveillants perfides, et laissa aux habitants
le soin d’informer eux-mêmes les commandants des sujets de leurs alarmes.
Après avoir réprimé les incursions des barbares qui ravageaient l’extérieur
de la Grande-Bretagne, il voulut en mettre les côtes en sûreté contre les
courses des Saxons. Cette nation avait originairement habité le pays qu’on
nomme aujourd’hui la Holsace, et une partie du duché
de Sleswic. Chassés par les Chattes et les Chérusques,
ils avoient passé l’Elbe, et s’étaient établis entre des marais alors
inaccessibles, dans la contrée occupée par les Francs, qu'ils avoient forcés de
reculer jusqu’aux embouchures du Rhin. De là ces deux peuples s’étant joints
ensemble dès le temps de Dioclétien, infestaient la Gaule et la
Grande-Bretagne. Les Saxons étaient de grande taille , fort dispos, et d’une
hardiesse extrême. Une longue chevelure flottait sur leurs épaules; ils étaient
vêtus de courtes casaques et armés de lances, de petits boucliers et de longues
épées. Accoutumés dès leur bas âge à braver les périls sur mer ainsi que sur
terre, ils montaient de petites barques légères, où, sans aucune distinction de
rang, tous ramaient, combattaient, commandaient et obéissaient tour à tour.
Après une descente, avant que de se rembarquer, ils décimaient leurs
prisonniers, pour offrir à leurs divinités d’horribles sacrifices; et, plus
cruels qu’ils n’étaient avares, ils traitaient avec barbarie les malheureux qu’ils
avoient transportés dans leur pays, aimant mieux les garder pour leur faire
souffrir de longs tourments que de recevoir leur rançon. Ce furent ces
incursions fréquentes des Saxons qui firent nommer rivages saxoniques les deux côtes opposées de la Gaule et de la Grande-Bretagne. Théodose
poursuivit ces pirates jusqu’aux îles Orcades, et il en détruisit un grand
nombre. Il passa ensuite sur leurs terres et sur celles des Francs, qui habitaient
alors vers le bas Rhin et le Vahal. Il y fit le
dégât, et retourna à la cour, où l’empereur le combla d’éloges et lui conféra
la dignité de général de la cavalerie. Ces exploits de Théodose, que nous
avons racontés de suite, doivent avoir rempli plus de deux années.
Valentinien était parti de Trêves pour une expédition dont l’histoire ne
nous donne aucune connaissance. Randon, roi d’un canton d’Allemagne, profita de
son éloignement pour exécuter un dessein qu’il méditait depuis longtemps.
L’empereur avait retiré la garnison de Mayence; il l’employait apparemment dans
ses troupes. Un jour de fête auquel les chrétiens, dont la ville était
peuplée, étaient assemblés dans l’église, le prince allemand, s’étant
secrètement approché avec une troupe légère, entra sans obstacle, fit
prisonniers les hommes et les femmes, pilla les maisons, et enleva et les habitants
et leurs richesses.
Les Romains s’en vengèrent, mais avec lâcheté et perfidie, sur un autre roi
de la même nation. Vithicabe, fils de Vadomaire, régnait dans le pays que nous nommons aujourd’hui
le Brisgaw, et dans les contrées voisines. Ce prince
était faible de corps et sujet à de fréquentes maladies, mais hardi et
courageux. Il ne pouvait pardonner aux Romains l’enlèvement de son père; il pardonnait
encore moins à son père de s’être racheté de l’exil en se mettant au service
des Romains; et les dignités dont Vadomaire était
revêtu à la cour de Valens ne paroissien au grand cœur de son fils que les
tristes ornements d’un ignominieux esclavage. C’était pour lui autant
d’affronts dont il cherchait à se venger. Les Romains le prévinrent; et, après
avoir inutilement tenté de le prendre par force ou par ruse, ils eurent recours
à un crime odieux, dont leurs ancêtres avoient abhorré et puni la simple
proposition dans la personne du médecin de Pyrrhus, le plus redoutable ennemi
de Rome. Ils corrompirent un domestique de Vithicabe,
et ce scélérat fit périr son maître. Ammien Marcellin n’explique pas si ce fut
par le fer ou par le poison; il ajoute seulement que le coupable, craignant la
punition qu’il n’avait que trop méritée, se réfugia aussitôt sur les terres de
l’empire. L’historien ne nomme pas Valentinien dans le récit de ce forfait
atroce; mais il ne dit pas qu’il ait puni le traître; et ce prince demeurera
dans tous les siècles flétri du soupçon d’y avoir consenti, et du crime de n’en
avoir pas fait une éclatante justice.
Inexorable sur des objets qui méritaient plus d’indulgence, il fit brûler
vif pour des fautes légères Dioclès, ancien trésorier général de l’Illyrie. Il
condamna au même supplice ceux qui, par une lâcheté devenue pour lors assez
ordinaire, se coupaient les doigts pour se soustraire à la milice. Etant en
Gaule, il fit défendre l’entrée de son palais à saint Martin , que le seul
motif de charité y conduisent pour intercéder en faveur des malheureux.
L’innocence même fut plus d’une fois la victime de ses emportements. Un certain
Diodore, qui avait été agent du prince, étant en procès avec un comte, le fit
assigner à comparaitre devant le vicaire d’Italie. Le comte partit pour la
cour, et se plaignit au prince de cette audace. Sur cette plainte, l’empereur,
sans autre examen, condamna à la mort et Diodore et trois sergents qui s’étaient
chargés de la signification.
L’arrêt fut exécuté à Milan. Les chrétiens honorèrent leur mémoire; et le
lieu où ils furent enterrés fut appelé le sépulcre des innocents. Quelque
temps après, un Pannonien nommé Maxence, qui était apparemment en faveur auprès
du prince, fut condamné dans une affaire dans laquelle trois villes étaient
intéressées. Le juge chargea les décurions de ces villes d’exécuter promptement
la sentence. Valentinien, l’ayant appris, entra dans une violente colère; il
ordonna qu’on fît mourir ces décurions; et rien ne les aurait sauvés sans la
noble hardiesse du questeur Eupraxe: Arrêtez,
prince, lui dit-il; écoutez un moment votre bonté naturelle; songez que
les chrétiens honorent en qualité de martyrs ceux que vous condamnez a la mort
comme criminels. Florence, préfet du prétoire de la Gaule, imita dans une
autre rencontre cette généreuse liberté, aussi salutaire aux princes qu’à leurs
sujets. L’empereur, irrité contre plusieurs villes pour une faute digne de
pardon, commanda qu’on fît mourir dans chacune trois décurions. Et que
fera-t-on, lui dit Florence, s'il ne se s’en trouve pas trois dans
chacune de ces villes? Faudra-t-il attendre que ce nombre soit rempli pour les
mettre à mort? Ces paroles calmèrent la colère du prince. Ce fut pour
Valentinien une faveur du ciel d’avoir sous son règne plusieurs officiers
vraiment zélés pour sa gloire, qui, d'un génie tout opposé à celui des
courtisans, s’efforçaient d’adoucir la dureté de son caractère. Ce Florence,
fort différent de celui du même nom qui s’était rendu si odieux du temps de
Constance, ne s’occupait que du soulagement de sa province. Valentinien exigeait
le paiement des impôts avec une rigueur impitoyable, et ne menaçait de rien
moins que de la mort ceux que leur indigence mettait hors d’état de satisfaire.
Florence obtint cependant une loi pour modérer dans la Gaule la dureté des
impositions; elle donnait à ceux qui se trouvaient trop chargés le temps de
porter leurs plaintes aux juges des lieux, et de leur demander une taxation
plus conforme à l’état de leur fortune.
Il était inutile aux accusés de s’adresser à l’empereur pour obtenir des
juges équitables; malgré les plus justes motifs de récusation, il ne manquait
pas de les renvoyer devant leur juge ordinaire, quoique celui-ci fût leur
ennemi personnel. Jamais il ne sut adoucir les punitions, jamais il n’accorda
de grâce à ceux qui étaient condamnés. C’était devant lui presqu’une même chose
d’être accusé et d’être coupable. Les tortures qu’il employait pour avérer les
crimes égalaient la rigueur des supplices. Il répétait sans cesse que la
sévérité est l’âme de la justice, et que la justice doit être l’âme de la puissance
souveraine. Il ne choisissent pas de dessein prémédité des hommes cruels et
inhumains pour gouverner les provinces; mais, lorsqu’il avait mis en place des
officiers de ce caractère, loin de les contenir, il les animait par des
louanges, il les exhortait par ses lettres à punir rigoureusement les moindres
fautes. Ces funestes encouragements durent coûter la vie à plusieurs innocents.
Saint Jérôme raconte fort an long l’histoire d’une femme de Verceil, faussement
accusée d’adultère, qui, ayant été condamnée à mort, et frappée plusieurs fois
du coup mortel, ne fut sauvée que par un miracle. Il parait cependant qu’il eut
quelques égards pour les sénateurs de Rome. Ils étaient soumis à la
juridiction du préfet de la ville. Valentinien se réserva par une loi la connaissance
de leurs causes en matière criminelle.
Cette loi est adressée à Prétextât, préfet de Rome qui était
bien capable de l’avoir inspirée au prince, quoiqu’elle tendît à la diminution
des droits de sa charge. Ce magistrat, auquel on ne peut reprocher que son zèle
pour le paganisme, ne donnait à Valentinien que des conseils de clémence. Il
sut lui-même, dans l’exercice de sa préfecture, trouver ce juste tempérament
de douceur et de fermeté qui concilie l’amour et la crainte dans le cœur des
inférieurs. Son autorité rétablit dans la ville le calme que le schisme
d’Ursin avait troublé. Son attention vigilante pour la sûreté publique se
manifesta par plusieurs règlements utiles. Il fit abattre tous les balcons en
saillie, qui s’étaient multipliés à Rome, au mépris de l’ancienne police. Il
ordonna de laisser un espace libre entre les maisons des particuliers et les
murs des temples et des églises, pour empêcher la communication des incendies.
Suivant une loi ancienne tous les édifices publics dévoient être isolés, mais
cette loi était oubliée. Il fit établir dans tous les quartiers de Rome de
nouveaux étalons pour fixer les poids et les mesures, et contenir la mauvaise
foi des marchands. Dans les jugements il ne fit jamais rien en vue de plaire,
et il plut à tous les citoyens. On rapporte que cette année on vit dans
l’Artois des flocons de laine tomber avec l’eau de la pluie. Je ne sais quelle
foi l’on doit ajouter à ce phénomène.
Tandis que Valentinien défendait avec succès l’Occident contre les
barbares, son frère Valens, devenu, par la mort de Procope, paisible possesseur
de l’Orient, y allumait deux guerres funestes, l’une contre les Goths, l’autre contre
les catholiques. C’était le caractère de l’arianisme, dès son origine, de
s’introduire à la cour par la séduction des femmes. Albia Dominica, préoccupée de cette erreur, n’eut pas de
peine à la communiquer à son mari: et lorsque, se préparant à marcher contre
les Goths, il voulut par une sage précaution recevoir le baptême, elle
l’engagea à se faire baptiser par Eudoxe, évêque de Constantinople et chef du
parti hérétique. Dans cette sainte cérémonie, ce prélat imposteur abusa de
l’autorité du moment pour joindre aux vœux sacrés du christianisme un serment
impie : il engagea Valens à jurer qu’il demeurerait irrévocablement attaché à
la doctrine d’Arius, et qu’il emploierait toute sa puissance contre ceux qui y seraient
opposés. Valens ne fut que trop fidèle à ce funeste engagement. L’arianisme était
alors dans un état de crise. Les demi-ariens, rebutés
de l’insolence des anoméens qui les persécutaient, avoient fait des démarches
éclatantes auprès du pape Libère, lorsqu’il vivait encore: ils avoient accédé
à la doctrine de Nicée. L’église d’Occident leur avait ouvert les bras avec
joie; et, en Orient même, dans un concile tenu à Tyane,
ils en avoient indiqué un second à Tarse, où ils dévoient dans deux mois se
rendre de toutes parts pour consommer l’ouvrage de la réunion par un acte
authentique. Eudoxe , alarmé de ce dessein, communiqua ses craintes à Valens.
L’empereur défendit aux évêques de s’assembler à Tarse. Il confondit d’abord
dans une proscription générale les catholiques, les demi-ariens et les novatiens, aussi opposés aux dogmes d’Arius que les catholiques. Mais
les novatiens se mirent bientôt à couvert par le crédit d’un de leurs prêtres
nommé Marcien, que Valens avait placé auprès de ses filles Anastasie et Carose, pour leur enseigner les belles-lettres.
L’empereur avait envoyé dans les provinces des ordres précis de chasser
tous les évêques qui, ayant été bannis sous le règne de Constance, étaient
rentrés en possession de leurs églises sous celui de Julien. Ces ordres contenaient
de terribles menaces contre les officiers, les soldats, les habitants des lieux
où ils ne seraient pas exécutés. Depuis quarante ans qu’Athanase remplissait le
siège d’Alexandrie , il avait eu l’honneur d’être toujours la première victime
que les ennemis de l’Eglise sacrifiaient à leur fureur; et les coups portés à
cet illustre prélat étaient devenus le signal de la persécution générale.
Tatien, préfet d’Egypte, entra dans Alexandrie, et y fit publier un édit contre
les orthodoxes. Les fidèles, déterminés à tout souffrir eux-mêmes, prirent
l’alarme pour leur évêque; ils représentèrent qu’Athanase n’était pas dans le
cas exprimé par les ordres de l’empereur, puisque Julien, loin de le rétablir,
l’avait chassé de nouveau. Tatien, ne se rendant pas à ces raisons, le peuple
se disposait à la défense; on était à la veille d’une sanglante sédition. Le
préfet suspendit cet orage en demandant le temps d’instruire l’empereur et de
recevoir de nouveaux ordres. Les esprits étant un peu apaisés, Athanase, trop
éclairé pour ne pas pénétrer les intentions du préfet, et ne voulant pas être
une occasion de désordre, sortit secrètement de la ville, et se déroba
également à ses ennemis et à ses amis. Tatien, qui n’a voit cherché qu’à amuser
les Alexandrins, voulut aussi profiter de ce calme pour exécuter sa
commission. Il se transporta pendant une nuit avec une nombreuse escorte à la
maison de l’évêque; mais il ne l’y trouva plus. Athanase s’était renfermé hors
de la ville, dans le tombeau de son père, où il se tint caché pendant quatre
mois. Les tombeaux, surtout en Egypte, étaient alors des bâtiments assez
étendus pour y loger. Cette évasion causait autant d’alarme aux ennemis
d’Athanase qu’à son troupeau. Valens craignit que son frère, comme avait fait
autrefois Constant, ne prît en main la défense de ce prélat respecté de tout
l’empire. Eudoxe et sa cabale n’appréhendait pas moins qu’un génie si fécond en
ressources ne vînt à bout de se ménager à la cour de Valens la même faveur
qu’il avait quelquefois trouvée auprès de Constance. Cette crainte prévalut
sur leur haine; ils furent les premiers à solliciter son retour. Valens envoya
ordre de le rétablir dans son église, où ce généreux athlète, signalé par tant
de combats, cinq fois banni et cinq fois rappelé, toujours persécuté avec
l’Eglise et triomphant avec elle, demeura paisible pendant les six dernières années
de sa vie.
La persécution de Valens déchirait le sein de l’Eglise sans mettre l’empire
en danger. Mais la guerre qu’il commença cette année contre les Goths attira,
par un enchaînement de causes dépendantes les unes des autres, la ruine de la
puissance romaine en Occident. Les Goths, quelquefois vainqueurs, souvent
vaincus, mais fournissant toujours à de nouvelles guerres par leur innombrable
multitude, avoient pendant six-vingts ans exercé les
armes romaines. Dominés depuis trente-cinq ans par Constantin, tranquilles sous
le règne de Constance, ils entretenaient avec les Romains un libre commerce
par le Danube. Plusieurs d’entre eux s’étaient dévoués au service des empereurs,
et étaient parvenus aux principales dignités de la cour et de l’armée. Comme
c’est ici que commencent les grands événements qui changèrent la face de
l’empire, il est à propos de donner une idée plus claire de leur origine et de
leurs progrès, autant qu’il est possible de percer les ténèbres dont leur
première histoire est enveloppée.
L’origine des Goths se perd, comme celle de toutes les nations célèbres,
dans la nuit de l’antiquité. Leurs migrations et leurs conquêtes sont cause que
les anciens auteurs les ont confondus avec les Scythes, les Sarmates, les Grecs
et les Daces. Entré les modernes, les plus habiles critiques se partagent à
leur sujet en deux sentimens. Suivant les uns, ils
sont nés dans la Germanie, et ce sont ceux que Tacite appelle Gothons, qui habitaient
le territoire de Dantzig, aux embouchures de la Vistule. Selon une autre
opinion, plus généralement reçue, et qui me parait mieux fondée, cet
établissement ne fut que leur seconde habitation. Plus de trois cents ans avant
l’ère chrétienne, ils étaient sortis de la Scandinavie , cette grande péninsule
qu’on a crue être une île jusque dans le sixième siècle, et que les anciens ont
appelé la source et la pépinière des nations. On voit encore la trace de leur
origine dans la Suède, dont une grande province a conservé le nom de Gothie. Ils s’emparèrent d’abord de l’île de Rugen, et de la côte méridionale et orientale de la mer
Baltique jusque dans l’Estonie. Les Ruges, les
Vandales, les Lombards, les Hérules n’étaient que diverses peuplades des Goths
qui se séparèrent du gros de la nation, et se firent en Germanie des établissements
particuliers. Ceux qui conservèrent le nom de Goths quittèrent, au
commencement du second siècle, les bords de la Vistule; et, ayant traversé les
vastes plaines de la Sarmatie, ils se fixèrent sur les bords des Palus-Méotides. Une partie d’entre eux, refusant de suivre leurs
compatriotes, demeurèrent à l’occident de la Vistule : on les nomma Gépides,
mot qui, dans leur langue, signifiait paresseux. Ces Gépides, quelque
temps après, vers le temps de Claude le Gothique, après avoir vaincu les
Bourguignons, s’avancèrent sur les bords du Danube, où ils commencèrent à
inquiéter les Romains.
Des Palus-Méotides les Goths envoyèrent divers essaims
dans le pays des anciens Gètes, vers les embouchures du Danube, et ils
anéantirent peu à peu cette nation. Ils remportèrent de grandes victoires sur
les Vandales, les Marcomans et les Quades. Ils commencèrent à se rendre
redoutables à l’empire sous le règne de Caracalla, réduisirent les Romains à
leur payer des pensions considérables pour acheter la paix avec eux. Ils la
rompirent toutes les fois qu’ils crurent trouver plus d’avantage dans la
guerre. Souvent on les vit passer le Danube, et mettre à feu et à sang la Mœsie et la Thrace. Ils battirent et tuèrent l’empereur
Dèce. Trébonien Galle leur paya tribut. Sous Valérien
et sous Gallien ils portèrent le ravage jusqu’en Asie , où ils entrèrent par
le détroit de l’Hellespont, après avoir pillé l’Illyrie, la Macédoine et la
Grèce. Ils brûlèrent le temple d’Ephèse, ruinèrent Chalcédoine, pénétrèrent
jusqu’en Cappadoce; et dans leur retour, cette nation barbare, née pour la
destruction des monuments antiques, ainsi que des empires, renversa, en
passant, Troie et Ilion, qui se relevaient de leurs ruines. Ils furent battus à
leur tour par Claude, par Aurélien, par Tacite. Probus les força à la
soumission par la terreur de ses armes. Leur puissance était déjà rétablie sous
Dioclétien. Ils servirent fidèlement Galère dans la guerre contre les Perses.
Ils étaient devenus comme nécessaires aux armées romaines, et nulle expédition
ne se fit alors sans leur secours. Constantin employa leur valeur contre
Licinius: ils s’engagèrent avec lui, par un traité, à fournir aux Romains
quarante mille hommes toutes les fois qu’ils en seraient requis. Ce traité,
souvent interrompu par les guerres qui survinrent entre eux et l’empire, était
toujours renouvelé au rétablissement de la paix: il subsista jusque sous
Justinien; et ces troupes auxiliaires étaient nommées les confédérés,
pour faire connaitre que ce n’était pas à titre de sujets, mais d’alliés et
d’amis qu’ils suivaient les armées romaines.
Ce peuple, né pour la guerre, n’était curieux que de belles armes. Ils se servaient
de piques, de javelots, de flèches, d’épées et de massues. Ils combattaient à
pied et à cheval, mais plutôt à cheval. Leurs divertissements consistaient à se
disputer le prix de l’adresse et de la force dans le maniement des armes. Ils étaient
hardis et vaillants, mais avec prudence; constants et infatigables dans leurs
entreprises; d’un esprit pénétrant et subtil.
Leur extérieur n’avait rien de rude ni de farouche : c’étaient de grands
corps, bien proportionnés, avec une chevelure blonde, un teint blanc et une
physionomie agréable. Les lois de ces peuples septentrionaux n’étaient point,
comme les lois romaines, chargées d’un détail pointilleux, sujettes à mille changements
divers, et si nombreuses, qu’elles échappent à la mémoire la plus étendue.
Elles étaient invariables, simples, courtes, claires, semblables aux ordres d’un
père de famille. Aussi le code de Théodoric prévalut-il en Gaule sur celui de
Théodose; et Charlemagne transporta dans ses capitulaires plusieurs articles
des lois des Visigoths. Les lois des Goths fondèrent le droit d’Espagne : elles
en furent la source. Celles des Lombards ont servi de base aux constitutions
de Frédéric II pour le royaume de Naples et de Sicile. La jurisprudence des
fiefs en usage parmi tant de nations doit son origine aux coutumes des Lombards;
et l’Angleterre se gouverne encore par les lois des Normands. Tous les habitants
des côtes de l’Océan ont adopté le droit maritime établi dans l’ile de Gotland,
et ont composé un droit des gens. La forme même de la législation chez les
Goths communiquait à leurs lois une solidité inébranlable. Elles étaient
discutées par le prince et par les principaux personnages de tous les ordres;
rien n’échappait á tant de regards pénétrants; on pratiquait avec zèle et avec
constance ce que le consentement commun avait établi. Pour les charges publiques,
ces peuples ne connaissaient point les titres purement honorifiques et sans
fonction: chez eux tout était en action. Dans toutes les villes et jusque dans
les bourgs étaient des magistrats choisis par le suffrage du peuple, qui renvoient
la justice, et faisaient la répartition des tributs. Chacun se mariait dans son
ordre : un homme libre ne pouvait épouser une femme de condition servile , ni
un noble une roturière. Les femmes n’apportaient pour dot que la chasteté et la
fécondité. Toute propriété était entre les mains des mâles, qui étaient le
soutien de la patrie. Il n’était pas permis à une femme d’épouser un mari plus
jeune qu’elle. Les parents avoient la tutelle des mineurs; mais le premier
tuteur était le prince. Les transports de propriété, les engagements, les testaments
se faisaient en présence des magistrats, et à la vue du peuple: les conventions
appuyées de tant de témoins en étaient plus authentiques; et le public étant
instruit de ce qui appartenait de droit à chacun, il ne restait plus de lieu
aux chicanes, au stellionat, aux prétentions frauduleuses. Les affaires s’expédiaient
sans longueurs et sans frais. Pour arrêter la témérité des plaideurs, on les obligeait
de consigner des gages. Le sang des citoyens était précieux ; on ne le répandait
que pour les grands crimes : les autres s’expiaient par argent ou par la perte
de la liberté: le criminel était jugé sans appel par ses pairs. Mais une
coutume vraiment barbare, et qu’ils ont ensuite répandue par toute l’Europe,
c’est que certaines causes ambiguës étaient décidées par le duel. L’adultère était
puni de la peine la plus sévère : la femme coupable était livrée à son mari,
qui devenait maître de sa vie. Les enfants nés d’un crime n’étaient admis ni au
service militaire, ni à la fonction de juges, ni reçus en témoignage. Une veuve
avait le tiers des biens-fonds du défunt, si elle ne se remariait pas;
autrement, elle n’emportait que le tiers des meubles. Si elle se déclarait enceinte,
on lui donnait des gardes; et l’enfant né dix mois après la mort du père était
censé illégitime. Celui qui avait débauché une fille était obligé de l’épouser,
si la condition était égale, sinon il fallait qu’il la dotât; car une fille
déshonorée ne pouvait se marier sans dot ; s’il ne pouvait la doter, on le faisait
mourir. Ils regardaient la pureté des mœurs comme le privilège de leur nation:
ils en étaient si jaloux, que, selon un auteur de ces temps-là, punissant la
fornication dans leurs compatriotes, ils la pardonnaient aux Romains, comme à
des hommes faibles et incapables d’atteindre au même degré de vertu. Nous
aurons occasion de parler ailleurs de leur religion.
Du temps de Valens, leur puissance s’étendit depuis les Palus-Méotides jusque dans la Dace située au-delà du Danube. Ils
s’étoient rendus maîtres de cette vaste province
après qu’Aurélien l’eut abandonnée. Les Peucins, les Bastarnes, les Carpes, les Victovales,
et les autres barbares de ces cantons, étaient ou exterminés ou incorporés
avec eux. Ils étaient divisés en deux peuples, les Ostrogoths, c’est-à-dire les
Goths orientaux, nommés aussi Gruthonges, qui habitaient
sur le Pont-Euxin et aux environs des bouches du Danube; et les Visigoths, ou
Goths occidentaux, appelés encore Thervinges, établis
le long de ce fleuve. C’est ici que l’histoire commence à distinguer
clairement les deux branches de cette nation. Il est cependant parlé des
Ostrogoths sous le règne de Claude le Gothique; et les meilleurs écrivains
présument que cette distinction était établie dès l’origine: en effet, elle
subsiste encore dans la Suède. Ces deux peuplades avoient des princes différents,
issus de deux races célèbres dans leurs annales; celle des Amales,
qui régnait sur les Ostrogoths, et celle des Balthes sur les Visigoths. Ils ne donnaient à leurs souverains que le nom de juges,
parce que le nom de roi n’était, selon eux, qu’un titre de puissance et
d’autorité; au lieu que celui de juge était un titre de vertu et de sagesse.
Dès le commencement du règne de Julien, les Goths, se voyant méprisés par
ce prince, avoient songé aux moyens de relever leur réputation. Depuis sa mort
la frontière était mal gardée; les soldats romains, presque sans armes et sans
habits, étaient aussi sans force et sans courage. Leurs commandants en avoient
congédié la plupart pour profiter de leur solde. Les forteresses tombaient
faute de réparations. Cette négligence favorisait les entreprises des Goths.
N’osant encore faire une guerre ouverte , ils envoyaient des partis au-delà du
fleuve, et remportaient toujours un butin considérable. La petite Scythie était
la plus exposée à leurs incursions. Le Danube, s’élargissant vers son embouchure,
inondait une grande étendue de terrain, qu’on ne pouvait traverser à pied à
cause de la profondeur de la vase, ni dans des barques, parce que les eaux y
étaient trop basses. Les barbares, se servant de petits bateaux plats, venaient
faire le dégât dans les îles et sur les bords du fleuve; et ils étaient rembarqués
et hors d’insulte avant qu’on eût pu accourir au secours. On fut réduit à leur
payer des contributions pour racheter la province de ces ravages. Lorsqu’ils
surent que Valens s’éloignait, et qu’il prenait le chemin de la Syrie, toute la
nation se mit en mouvement; et l’empereur fut obligé de détacher une grande
partie de ses troupes pour aller défendre la frontière. Soit que les Goths ne
fussent pas encore assez préparés, soit qu’ils voulussent laisser les Romains
se ruiner eux-mêmes par une guerre civile, ils se contentèrent alors d’envoyer
à Procope un secours de trois mille hommes. Ceux-ci, ayant appris la défaite et
la mort du tyran lorsqu’ils marchaient pour le joindre, reprirent le chemin de
leur pays, pillant et ravageant tout sur leur passage. Mais, avant que d’avoir
pu regagner les bords du Danube, ils furent enveloppés, forcés, malgré leur
fierté, à mettre bas les armes, et distribués comme prisonniers de guerre dans
plusieurs villes de la Thrace.
C’était des sujets d’Athanaric, prince des Visigoths, dont Constantin a
voit tellement aimé et honoré le père, qu’il lui avait fait ériger une statue
dans Constantinople. Athanaric envoya des grands de sa cour pour se plaindre du
traitement fait à ses soldats, et pour les redemander. Valens, de son côté,
députa le général Victor pour entrer en conférence avec le prince. Victor demandait
par quelle raison les Goths, alliés de l’empire, s’étaient portés à secourir un
rebelle contre son souverain. Athanaric montrait des lettres par lesquelles
Procope avait imploré son assistance, comme parent de la famille de Constantin
et légitime héritier de la couronne impériale. Il ajoutait que ce n’était pas
aux Goths à discuter les prétentions des deux concurrents; que, par le traité,
ils s’étaient obligés à secourir l’empire; qu’ils avoient cru satisfaire à
cette condition en assistant Procope; que, s’ils s’étaient trompés, c’était une
erreur excusable. Il insistait à demander qu’on relâchât ses soldats, qu’il avait
envoyés sur la foi d’un serment. Victor répliqua que le serment d’un rebelle
n’était pas un engagement pour l’empereur, et que Valens était en droit de
traiter en ennemis ceux qui étaient venus lui faire la guerre. On se sépara
sans rien conclure.
Valens avait déjà consulté son frère , dont il prenait en tout les avis, excepté lorsqu’il s’agissait de religion. Au
retour de Victor, il assembla son armée. Sa prudente économie dans le règlement
de sa maison avait rempli ses trésors. Pour fournir aux dépenses nécessaires,
il supprimait les superflues; en sorte qu’au lien d’imposer de nouveaux tributs
au commencement de cette guerre, il se vit en état de remettre un quart des
impositions précédentes. Cette libéralité lui gagna tous les cœurs; une ardeur
nouvelle embrasait ses soldats; et il en aurait trouvé autant qu’il avait de
sujets. Ses bonnes intentions furent pleinement Secondées par Auxone, préfet du prétoire. Ce magistrat ajouta un nouveau
prix à la générosité du prince par l’équité du recouvrement, ne permettant de
rien exiger au-delà de ce qui était dû, et réprimant les vexations des subalternes.
Cette modération ne l’empêcha pas de remplir tous les engagements de son
ministère. Tant que dura la guerre, l’armée ne manqua ni de vivres, ni d’autres
provisions. Il les faisait transporter par le Pont-Euxin dans les places
situées sur les bords du Danube, qui servaient de magasins.
Au milieu du printemps, Valens partit de Constantinople, et alla camper sur
le Danube, près du château de Daphné, bâti par Constantin. Il passa le fleuve
sans opposition sur un pont de bateaux. Les Goths, épouvantés d’un appareil si
formidable, avoient abandonné le plat pays, et s’étaient retirés dans les montagnes
de Serres, escarpées et inaccessibles a une armée. Tout le fruit de cette
campagne se borna à des pillages. Arinthée, à la tête
de divers partis, enleva grand nombre de familles , qu’il surprit dans les
plaines avant qu’elles eussent eu le temps de gagner les montagnes et les
défilés; et l’armée romaine, sans avoir fait aucune perte ni aucun exploit
mémorable, revint à Marcianople , dans la basse Mœsie. Valens y passa l'hiver à exercer ses soldats et à
faire les préparatifs de la campagne prochaine. Cette année il tomba, le 4 de
juillet, à Constantinople, une grêle d’une singulière grosseur, qui tua
plusieurs habitants.
L’année suivante, 368 d.C., sous le second
consulat de Valentinien et de Valens, le débordement du Danube retint l’empereur
en Mœsie. Etant resté inutilement pendant tout l’été
campé sur les bords du fleuve, il retourna vers de l’automne à Marcianople , où il célébra, selon l’usage, la solennité
de la cinquième année de son régné. Il y fit venir son fils, qui Il avait pas
encore deux ans accomplis, et le désigna consul pour l’année 369 avec le
général Victor. A l’occasion des quinquennales et de ce nouveau consulat,
Thémistius, déjà nommé précepteur du jeune prince, prononça deux discours. L’un
convenait à un courtisan; il contenait l’éloge de l’empereur. L’autre est
l’ouvrage d’un politique ingénieux. Ce sont des instructions adressées au fils,
élève de l’orateur, mais qui pouvaient alors être utiles au père. Elles sont
présentées avec tous les agréments d’une éloquence délicate et fleurie. Il est
vrai que Valens, pour en profiter, était obligé de les faire traduire. Car ce
prince, quoique régnant sur des Grecs, n’entendit jamais la langue grecque.
Pendant que les rivières du nord sortaient de leur lit ordinaire, un autre
fléau, produit peut-être par la même cause, affligeait la Bithynie. Nicée, déjà
ébranlée par les tremblements précédents, fut entièrement renversée le 11 d’octobre,
onze ans après la destruction de Nicomédie; et la ville de Germe, dans
l’Hellespont, fut presque ruinée.
La guerre que Valentinien porta cette année en Allemagne fut plus sanglante
que celle de Valens contre les Goths; mais elle fut aussi plus glorieuse et
plus promptement terminée. Résolu de réduire, par un dernier effort, des
ennemis opiniâtres, qui, suppliant et menaçant tour à tour, n’avoient tant de
fois demandé la paix que pour la rompre, Valentinien fit à loisir des
préparatifs extraordinaires. Ses soldats ne témoignaient pas moins
d’empressement à se délivrer d’une nation qui les fatiguait sans cesse. Ayant
donc mis sur pied une nombreuse armée, et formé ses magasins, il manda le comte
Sébastien avec les troupes d’Illyrie et d’Italie. Il voulut être accompagné
dans cette expédition par son fils Gratien pour lui faire voir l’ennemi, et
l’accoutumer de bonne heure aux fatigues de la guerre. Ce jeune prince n’avait
encore que neuf ans, mais il donnait déjà les plus heureuses espérances.
L’empereur passa le Rhin à la fin de l'été sans éprouver de résistance, et fit
marcher ses troupes sur trois colonnes. Il se mit à la tête de celle du centre;
Jovin et Sévère commandaient celles de la droite et de la gauche, toujours en
garde contre les surprises. L’armée, conduite par de bons guides, précédée de
batteurs d’estrade, faisait sans précipitation de longues marches, et brûlait
d’impatience de rencontrer l’ennemi. Au bout de quelques jours, comme il ne parois
soit point, on mit le feu aux campagnes, en réservant avec soin ce qui pouvait
servir à la subsistance des troupes. On continuait d’avancer, avec les mêmes
précautions, lorsque les coureurs vinrent avertir qu’ils avoient aperçu les
barbares. On fit halte près de Soultz sur le Nèkre.
Les Allemands, contraints d’abandonner le pays ou d’en venir à une action,
avoient réuni toutes leurs forces; et, pour couper le passage à l’armée
romaine, ils s’étaient postés sur une montagne escarpée, qui n’était accessible
que du côté du septentrion. Les Romains, ayant planté en terre leurs enseignes,
demandaient le signal de la bataille; ils voulaient, en arrivant, monter aux
ennemi; et, malgré la bonne discipline que l’empereur maintenait dans ses
troupes, on eut peine à les contenir. Sébastien fut placé à la descente de la
montagne, vers le septentrion, avec ordre de faire main basse sur les Allemands
lorsqu’ils prendraient la fuite. Gratien fut laissé sous la garde des joviens,
qui formaient la réserve. L’armée étant en ordre de bataille, Valentinien
parcourut les rangs. S’étant ensuite séparé de ses officiers, sans leur
communiquer ce qu’il allait faire, il prit avec lui cinq ou six soldats de
confiance; et, pour n’être pas reconnu des ennemis, il s’approcha, la tête nue,
au pied de la montagne. Son dessein était de la reconnaitre, et d’en considérer
lui-même toutes les approches, persuadé que le chemin découvert par ses
coureurs n’était pas le seul qui conduisît au sommet. C’était le caractère de
ce prince de ne s’en rapporter qu’à ses propres yeux, et de se flatter d’être
toujours plus clairvoyant que les autres. Comme il traversait un terrain qu’il
ne connaissait pas, il s’engagea dans un marais, où il allait être accablé par
une troupe qui sortit d’une embuscade, si sa force et celle de son cheval ne
l’eût promptement tiré de ce mauvais pas. Il regagna son armée à toute bride;
mais il fut si près de périr, qu’il y perdit son casque garni d’or et de pierreries.
Son écuyer, qui le portait a ses côtés, fut enveloppé
et tué par les barbares.
Après avoir donné à ses troupes le temps de se reposer et de prendre
quelque nourriture, il fit sonner la charge. Deux officiers de la garde, Salvius et Lupicin, marchaient à la tête; et, affrontant le
péril avec une contenance fière et assurée, ils montèrent les premiers. Leur
intrépidité attira après eux toute l’armée, qui, combattant à la fois et la
résistance des barbares, et la difficulté du terrain, grimpa à travers les
roches, les buissons, les pertuisanes ennemies; et, faisant pied à terre
reculer les Allemands, gagna enfin le sommet de la montagne. Ce fut un nouveau
champ de bataille où le choc devint terrible. Les piques dans le ventre, se
pressant les uns les autres de tout le poids de leurs bataillons, renversant
et renversés tour à tour , ils abattaient , ils tombaient : ce n’était que
cris, horreur et carnage. D’un côté, la bravoure et la science militaire, de
l’autre une fureur désespérée : la victoire balança longtemps. Enfin, le nombre
des Romains croissant toujours à mesure qu’ils parvenaient au sommet, les
Allemands sont enfoncés, tout se confond; ils reculent en désordre, et,
toujours pressés, ils tournent le dos; on les poursuit sans relâche, on les
taille en pièces, on les pousse jusque sur la pente de la montagne. Les uns
tués ou mortellement blessés tombent en roulant dans les précipices; les autres
fuient à perte, d’haleine par le chemin dont Sébastien occupait l’entrée; ils y
trouvent l’ennemi et la mort. Quelques-uns échappent et se sauvent dans les
forêts d’alentour. Cette victoire coûta beaucoup de sang aux Romains. Ils
perdirent Valérien, le premier des domestiques; et Natuspardon,
un des officiers de la garde, si renommé par sa valeur, que son siècle le comparait
à tous ces anciens guerriers qui avaient fait l’honneur des armées romaines
lorsqu’elles étaient invincibles.
Valentinien mit ses troupes en quartier d’hiver, et retourna à Trêves: il avait
choisi cette ville pour son séjour ordinaire dans la Gaule. Il y triompha avec
son fils. Ce fut vers ce tempslà qu’il répudia Sévéra sa première femme, et mère de Gratien, pour épouser Justine, veuve de Magnence
et fille de Juste, qui, sous le règne de Constance, avait été gouverneur du Picénum. On dit que Sévéra ayant
acheté une maison de campagne fort au-dessous de sa valeur, Valentinien,
indigné de voir sa femme abuser ainsi de l’autorité de son rang, rendit la
maison à l’ancien possesseur, et chassa Sévéra de son
palais. Quelques historiens ont imaginé à ce sujet une intrigue amoureuse, plus
digne d’un roman frivole que de la gravité de l’histoire. Ce second mariage était
contraire aux lois de l’Eglise, mais non pas aux lois romaines. Justine avait
deux frères, Constantin et Céréal, qui furent
successivement revêtus de la charge de grand-écuyer. Tant que Valentinien
vécut, elle renferma dans son cœur l’hérésie d’Arius, dont elle était infectée.
Elle se contentait d’éloigner de l’empereur, autant qu’elle le pouvait, les
prélats catholiques. Elle était belle, adroite, impérieuse; mais elle connaissait
trop la fermeté de son mari pour entreprendre de le séduire ou de le vaincre.
Ce prince, loin de prêter son bras aux persécuteurs, ne permet toit de
troubler aucune des religions établies dans l’empire; et, respectant le culte
divin, lors même qu’il était défiguré par l'illusion
et le mensonge, il défendit par une loi de donner des logements aux soldats
dans les synagogues des Juifs.
Le trait de justice auquel on attribue la disgrâce de Sévéra n’est pas constaté par un témoignage assez authentique : il ne se trouve que
dans la Chronique d’Alexandrie. Mais on ne peut refuser à Valentinien la
louange d’avoir montré une aversion extrême pour toute apparence d’injustice et
de concussion. Ce caractère d’équité éclate dans la loi qu’il publia cette
année pour régler la conduite des avocats. Après avoir proscrit ces traits outrageants
qui transforment un plaidoyer en libelle diffamatoire, il interdit aux avocats
toute convention avec leurs clients; il leur défend de rejeter comme
insuffisant ce qui leur est offert par une libre reconnaissance, ni d’allonger
à dessein les procédures. Il permet aux personnes titrées d’exercer cette noble
profession pourvu qu’elles la remplissent avec noblesse, et que, renonçant à un
vif intérêt, elles n’en retirent d’autre récompense que l’honneur de défendre
l’innocence et la justice. Deux ans après, afin que deux plaideurs n’eussent
l’un sur l’autre aucun avantage que par la qualité de leur cause, il ordonna
que les juges donneraient aux deux parties des avocats d’une égale capacité; et
il défendit à l’avocat nommé pour soutenir le droit d’une des parties de
refuser son ministère sans une raison valable, à peine d’interdiction
perpétuelle.
Il fit trembler à leur tour ces officiers de province qui abusent de
l’autorité que leur donnent leurs fonctions pour se faire craindre des habitants
et les assujettir à des servitudes onéreuses. Il leur défendit, sur peine de
mort et de confiscation de tous leurs biens, d’imposer aucune corvée aux habitants
de la campagne pour leur service particulier, d’en exiger aucuns présents, qui étaient
devenus, par abus, des redevances annuelles, d’accepter même ce qui leur serait
volontairement offert; et, par un excès de sévérité, il condamna à la même
peine l’habitant qui, pour sauver l’officier concussionnaire, prétendrait
l’avoir prévenu de son propre mouvement et sans être requis. Pour ce qui regardait
les travaux publics, il les épargnait aux paysans, surtout dans les temps où
la terre demande leurs peines et leurs soins. Il vaut mieux, disait-il, aller
chercher dans les maisons oisives des villes des bras inutiles pour les occuper
à ces ouvrages que d’arracher les laboureurs a des travaux qui font subsister
les villes mêmes.
La ville de Rome vit alors naître dans son enceinte un établissement
honorable à la religion chrétienne, et conforme à l’esprit de l’Eglise, qui,
animée d’une tendresse maternelle pour tous ceux qu’elle renferme dans son
sein, embrasse avec prédilection les indignés comme la portion la plus faible
de sa famille. Valentinien choisit entre les médecins de Rome des personnes
habiles qui sussent mettre plus d’honneur à prendre soin des pauvres qu’à
rendre aux riches des services intéressés. Il en institua quatorze, un pour
chaque quartier. Il leur assigna un entretien honnête sur le trésor public. Il
leur permit d’accepter ce que les malades guéris leur offriraient par reconnaissance,
mais non pas d’exiger ce qu’ils auraient promis par crainte avant leur
guérison. Il ordonna que les places vacantes seraient données au concours,
sans nul égard à la faveur ni aux plus puissantes recommandations. Les médecins
déjà en fonction examinaient les récipiendaires, et jugeons de leur capacité :
il fallait au moins sept suffrages pour être choisi; et, sur un rescrit du
prince qui confirmait l’élection, le préfet de la ville expédiait les
provisions. Quelque temps après, il dispensa les médecins de Rome et les
professeurs des lettres et des sciences de fournir des miliciens et de loger
des gens de guerre: il les exempta en général, eux et leurs femmes, de toutes
charges publiques.
Probe était alors préfet du prétoire, et Olybre préfet de Rome. Ces deux personnages méritent d’être connus. Sextus Pétronius Probus était le sujet de l’empire le plus
illustre par sa naissance, par ses richesses, par le nombre et la durée de ses
magistratures. Il était fils de Cælius Probinus, consul en 341, petit-fils de Pétronius Probianus, qui avait été honoré de la même dignité en
322. Sa maison était intimement unie et comme incorporée par des alliances à
celles des Anices et des Olybres.
Ces trois familles, les plus nobles de ce temps, avoient été les premières à
embrasser, sous Constantin , la religion chrétienne. Les richesses de Probe le faisaient
connaitre de tout l’empire; il n’y avait guère de provinces où il ne possédât
de grands domaines. Son nom était fameux jusque chez les nations étrangères; et
l’on raconte que deux des plus grands seigneurs de la Perse étant venus à Milan
pour entretenir saint Ambroise, ils allèrent à Rome dans le dessein de
s’assurer par leurs propres yeux de ce qu’ils avoient ouï dire de la puissance et
de l’opulence de Probe. Il avait été proconsul d’Afrique en 358. Cette année
368, il succéda à Vulcatius Rufinus, qui mourut
préfet d’Italie et d’Illyrie. Il conserva cette dignité pendant huit ans,
jusqu’à la mort de Valentinien. Ses inscriptions lui donnent aussi la qualité
de préfet du prétoire des Gaules. Il partagea avec Gratien l’honneur du
consulat en 371. Sa femme, Faltonia Proba, était de
la famille des Anices, et fut recommandable par sa
vertu. De ce mariage sortirent trois fils, héritiers des biens et de la
réputation de leur père. Ils furent tous trois honorés du consulat, et la
gloire de cette illustre maison se perpétua dans une longue postérité , et se
soutint même après la chute de l’empire en Occident.
Si l’on s’en rapporte aux inscriptions, aux panégyristes, aux écrivains
ecclésiastiques, qui peuvent s’être laissé éblouir par la protection éclatante
que Probe accordait à la vraie religion, on ne vit jamais de magistrat plus
accompli. Il est représenté dans ces monuments comme un homme admirable par sa
vertu, sa piété, sa libéralité, par son éloquence et par une érudition
universelle; surpassant la gloire de ses ancêtres, les plus grands personnages
de son siècle, les dignités même dont il fut revêtu. Mais Ammien Marcellin emploie
des couleurs bien différentes pour peindre le caractère de Probe. C’était,
selon lui, un ennemi aussi dangereux qu’un ami bienfaisant : timide devant ceux
qui osaient lui résister; fier et superbe avec ceux qui le redoutaient;
languissant et sans force hors des dignités; n’ayant d’ambition qu’autant que
lui en inspiraient ses proches, qui abusaient de son pouvoir; non pas assez
méchant pour rien commander de criminel, mais assez injuste pour protéger dans
les siens les crimes les plus manifestes: soupçonnant tout; ne pardonnant rien;
dissimulé; caressant ceux qu’il voulait perdre; au comble de la plus haute
fortune toujours agité, toujours dévoré d’inquiétudes qui altérèrent sa santé.
On prétend que l’historien a noirci ce portrait par un effet de prévention
contre un chrétien si zélé; mais il faut donc nier aussi les actions qu’il
attribue à Probe, et que nous raconterons dans la suite; elles s’accordent avec
cette peinture; et d’ailleurs pourquoi le même historien aurait-il dans le même
temps rendu justice à Olybre, qui n’était pas moins
attaché à la religion chrétienne?
Olybre, qui avait encore les noms
de Q. Clodius Hermogénianus, succéda cette année à
Prétextât dans la préfecture de Rome, qu’il exerça pendant trois ans. II avait
été consulaire de la Campanie et proconsul d’Afrique. Il fut dans la suite
préfet du prétoire de l’Illyrie et de l’Orient : il parvint au consulat en 379.
Dans le gouvernement de Rome il veilla au maintien de la tranquillité de l’état
et de l’Eglise, toujours troublée par les partisans d’Ursin. L’histoire loue sa
douceur, son humanité, son attention à n’offenser personne , ni dans ses
actions, ni dans ses paroles. Ennemi déclaré des délateurs, il était fort
éloigné de profiter de leur malice pour enrichir le fisc. Il avait autant de
droiture que de discernement et de lumières. Mais il était trop adonné à ses
plaisirs; et quoiqu’il sût les accorder avec les devoirs de sa charge, et
qu’ils n’eussent rien de criminel aux yeux des païens, cependant cette vie
voluptueuse était opposée à la religion qu’il professait; et Ammien Marcellin
même la censure comme indécente dans un grand magistrat.
Après la bataille de Soultz, Valentinien avait fait un nouveau traité avec
les Allemands. Les deux nations s’étaient engagées à ne point entrer sur les
terres l’une de l’autre. La convention était réciproque; mais les Allemands
vaincus étaient les seuls qui eussent donné des otages. La suite va faire voir
que la parole des Romains n’était pas une caution suffisante. Drusus avait autrefois
fait bâtir sur les bords du Rhin un grand nombre de forteresses; elles étaient
tombées en ruine. Julien en avait construit plusieurs. Valentinien, ne voulant
pas que la sûreté de la Gaule dépendît de la bonne foi des barbares, entreprit
de border le fleuve de tours et de châteaux, élevés de distance en distance,
depuis la Rhétie jusqu’à l’Océan : ce fut à ces travaux qu’il employa toute
l’année, pendant laquelle Valentinien Galate, fils de Valens, et Victor, étaient
consuls. Il ne se fit pas de scrupule d’empiéter en quelques endroits sur le
territoire des Allemands. Il construisit sur les bords du Nèkre une forteresse que les uns croient être Manheim, les
autres Ladenbourg. Mais, craignant que la violence
des eaux qui venaient en frapper le pied ne la détruisît peu à peu, il résolut
de détourner le cours du Nèkre. On passa plusieurs
jours à lutter contre le fleuve. Enfin la constance des travailleurs, plongés
dans l’eau jusqu’au col, surmonta tous les obstacles. Il en coûta la vie à
plusieurs soldats; mais l’ouvrage fut achevé, et la forteresse mise en sûreté.
C’était déjà une infraction du traité. Le succès fit pousser plus loin
l’entreprise. La montagne de Piri, située quelques
lieues au-dessus, vers l’endroit où est aujourd’hui Heidelberg, était un poste
avantageux. L’empereur forma le dessein de la fortifier. Il envoya un gros
détachement de son armée avec le secrétaire Syagrius, chargé de la direction
des ouvrages. On commençait à remuer la terre lorsqu’on vit arriver les
principaux de la nation allemande. Ils se prosternèrent aux pieds des Romains,
les conjurant avec instance de ne pas violer la foi jurée. Cette antique
fidélité, dont vous vous vantiez, leur disaient-ils, vous élevait au
rang de nos dieux; ne vous déshonorez pas vous-mêmes, et ne nous réduisez pas
au désespoir par une insigne perfidie. Qu’espérez-vous de cette forteresse?
Pensez- vous quelle puisse subsister si nos serments ne subsistent pas? Voyant qu’ils n’étaient pas écoutés, ils se retirent en pleurant la perte de
leurs enfants, qu’ils avoient donnés pour otages. Dès qu’ils furent éloignés,
on aperçut une troupe de barbares qui sortaient de derrière un coteau voisin,
où ils s’étaient tenus cachés pour attendre la réponse. Sans donner aux Romains
le temps de se reconnaitre ni de prendre leurs armes, ils fondent sur les
travailleurs, et les passent au fil de l’épée avec leurs capitaines, Arator et Hermogène. Il n’échappa que Syagrius, qui vint
apporter à l’empereur cette triste nouvelle. Ce prince, impétueux dans sa
colère, lui fit un crime de s’être sauvé seul, et le cassa comme un lâche.
Pendant ce même temps la Gaule était désolée par des troupes de brigands
qui infestaient tous les grands chemins. On n’entendit parler que de pillages
et de meurtres. Entre ceux qui périrent par les mains de ces assassins, fut Constantien, grand-écuyer, frère de l’impératrice Justine.
Ce n’était pas la faiblesse du gouvernement qui faisait naître ces
désordres. Jamais prince ne fut plus prompt à punir, ni plus rigoureux dans les
punitions. Il fit mourir un grand nombre de sénateurs et de magistrats, convaincus
de concussions et d’injustices. L’eunuque Rhodane,
grand-chambellan, fier de sa puissance et de ses richesses, s’empara des biens
d’une veuve nommée Bérénice. Elle s’en plaignit à l’empereur, qui lui donna
pour juge Salluste, honoré du titre de patrice depuis qu’il était sorti de la
préfecture. Celui-ci condamna Rhodane; et l’empereur,
en conséquence, ordonna la restitution des biens; mais l’eunuque, loin d’obéir,
prit à partie Salluste lui-même. Par le conseil du patrice, la veuve alla se
jeter aux pieds de l’empereur pendant qu’il assistait aux jeux du Cirque, et
l’instruisit avec larmes de l’opiniâtreté de son persécuteur. Rhodane était debout auprès du prince. Valentinien,
transporté de colère, le fit aussitôt précipiter dans l’arène, et brûler vif
aux yeux des spectateurs, tandis qu’un crieur publiait à haute voix son crime
et sa désobéissance. Tous les biens du coupable furent abandonnés à Bérénice.
Le sénat et le peuple, quoique saisis d’horreur, applaudirent à cette exécution
terrible; la renommée la publia avec effroi dans tout l’empire; mais la colère
de ceux qui gouvernent, n’étant qu’un mouvement passager, ne produit que des
impressions de même nature, et l’injustice trembla sans se corriger.
La guerre contre les Goths se termina cette année. Les eaux du Danube, qui
avoient tenu les campagnes submergées pendant toute l’année précédente, s’étant
enfin retirées, les Romains passèrent le fleuve à Nivors sur un pont de bateaux, et, étant entrés sur les terres des barbares, ils les
traversèrent jusqu’aux frontières des Gruthonges, ou
Ostrogoths. Athanaric, après quelques légers combats, vint à la rencontre de
Valens avec une nombreuse armée; mais il fut défait, et prit la fuite. Les
Goths n’osèrent plus paraitre en campagne: retirés dans leurs marais, ils se
contenaient de faire des courses à la dérobée, et de harceler les Romains.
Valens, pour ne pas fatiguer ses troupes, les retint dans le camp, et n’envoya
à la recherche de ces fuyards que les valets de l’armée, avec promesse d’une
certaine somme pour chaque tête qu’ils apporteraient. Ceux-ci, animés par l’espérance
du gain, devinrent des partisans redoutables. Ils fouillaient les bois et les
marais, et firent un grand carnage. Les barbares, voyant le pays inondé de leur
sang, Valens, obstiné à les détruire, et l’extrême misère où les réduisait
l'interdiction du commerce avec les Romains, vinrent à mains jointes demander
la paix.
L’empereur rebuta plusieurs fois leurs ambassadeurs. Enfin il se rendit,
non à leurs prières, mais aux instances du sénat de Constantinople, qui le suppliait
par ses députés de terminer la guerre, et de se reposer de tant de fatigues. Il
envoya donc à son tour Victor et Arinthée, pour
entrer en négociation avec Athanaric. Ces deux généraux lui ayant mandé que les
Goths acceptaient les propositions, on convint d’une conférence entre les deux
princes. Athanaric, soit par fierté, soit par défiance, refusait de passer le
Danube, sous prétexte que son père l’avait engagé par serment à ne jamais
mettre le pied sur les terres des Romains. Valens ne pouvait se rendre auprès
du prince des Goths sans avilir la majesté impériale. Il fut décidé que les
deux souverains s’avanceraient chacun sur une barque avec leurs gardes, et
qu’ils s’arrêteraient au milieu du fleuve. Quoique la forme de cette entrevue,
dans laquelle Athanaric semblait traiter d’égal à égal avec l’empereur, parût
donner quelque atteinte à l’honneur de l’empire, cependant la vue des deux
armées rangées sur les bords du Danube formait pour Valens un spectacle
flatteur; il voyait d’une part briller ses enseignes, et ses troupes montrer la
fierté naturelle à ceux qui imposent la loi : sur l’autre bord paroissien les
ennemis dans une contenance moins fière, plus honteux qu’abattus de leurs
défaites. Les deux princes fixaient aussi eux sur tous les regards; on observait
en silence leurs gestes, leurs mouvement; chacun croyait entendre leurs
discours : c’était un des plus beaux jours de l’année; le soleil dardait alors
ses rayons avec force. Malgré la grande chaleur, Valens et Athanaric demeurèrent
debout sur le tillac depuis le matin jusqu’au soir. Le prince des Goths n’avait
rien de barbare que le langage; il était souple, adroit, intelligent. Il contesta
longtemps sur les articles: enfin il fallut céder aux vainqueurs, et Valens
remporta tout l’avantage. Il fut arrêté que les Goths ne passeraient pas le
Danube , qu’ils n’auraient liberté de commerce que dans deux villes sur les
bords du fleuve; qu’on supprimerait tous les présents, toutes les provisions de
vivres qu’on avait coutume de leur envoyer; mais Athanaric obtint que la
pension qu’on lui payait serait continuée. Telles furent les conditions de ce traité,
qui fut regardé comme très-honorable à l’empire.
Valens prit, pour la sûreté de la Mœsie et de la
Thrace les mêmes précautions que son frère prenait alors pour la défense de la
Gaule. Etant revenu à Marcianople, il donna ordre de
réparer les anciens forts qui défendaient le passage du Danube, et d’en bâtir
de nouveaux. Il établit des magasins de vivres, d’armes, de machines; travailla
à rendre plus commodes les ports du Pont-Euxin, distribua des garnisons dans
les places. Il rencontrait dans l’exécution de ces ouvrages de plus grandes
difficultés que son frère; il fallait faire venir de fort loin la brique, la
chaux, la pierre; mais l’obéissance et la constance de ses troupes
surmontèrent tous ces obstacles. Les travaux étaient partagés entre les
soldats, divisés en plusieurs bandes : chacun s’empressait à l’envi de remplir
sa tâche; les officiers mêmes de la maison du prince ne se dispensaient pas des
plus rudes fatigues.
L’empereur retourna sur la fin de l’année à Constantinople , où il fut reçu
avec une grande joie. Il y célébra des jeux. Thémistius prononça dans le sénat
un nouveau panégyrique du prince : il y releva ses succès dans la guerre, et sa
sagesse dans la conclusion de la paix. Valens, quoique peu connaisseur, avait
pris goût aux éloges; il exigeait tous les ans un discours de Thémistius, qui payait
volontiers ce tribut de flatterie.
Domitius Modestus, préfet de Constantinople pour
la seconde fois, acheva cette année une magnifique citerne, qu’il avait
commencée dans sa première préfecture, sous le règne de Julien. Elle porta son
nom dans la suite.
Pendant que les forces de l’empire d’Orient étaient occupées à la guerre
contre les Goths, les Isaures, descendus par troupes
de leurs rochers , s’étaient répandus dans la Pamphylie et dans la Cilicie,
mettant les villes à contribution et pillant les campagnes. Musonius était alors vicaire d’Asie. Il avait enseigné la rhétorique dans Athènes; mais,
jaloux de la gloire de Prohérèse, qui effaçait la
sienne, il quitta son école, et se livra aux affaires, il réussit d’abord, et
s’acquit une si grande considération, que le proconsul d’Asie, quoique
supérieur en dignité, lui cédait le pas lorsqu’ils se rencontraient ensemble. Il
recueillit les tributs de son diocèse sans donner aucun sujet de plainte. Mais,
ayant appris les ravages des Isaures, et voyant que
les commandants de la province, endormis dans une molle oisiveté, ne se mettaient
pas en devoir de les arrêter, il se crut par malheur grand homme de guerre. A la
tête d’une poignée de soldats mal armés, il marche vers une troupe de ces brigands,
s’engage dans un défilé, et périt avec tous les siens dans une embuscade. Les Isaures, enflés de ce succès, et courant avec plus de
hardiesse, rencontrèrent enfin des troupes réglées, qui en tuèrent plusieurs et
repoussèrent les autres dans leurs montagnes. On les y tint assiégés; on leur
coupa les vivres, et on les força par famine à demander une trêve, pendant
laquelle les habitants de Germanicopolis, capitale de
ces barbares, obtinrent la paix pour toute la nation. Ils donnèrent des otages,
et demeurèrent en repos pendant six ou sept ans.
La Syrie éprouvait aussi d’horribles ravages. Les habitants d’un bourg fort
peuplé nommé Maratocupre, près d’Apamée, avaient
formé entre eux une société de voleurs, et s’étaient rendus redoutables. Ils employaient
la ruse autant que la force. Déguisés, les uns en marchands, les autres en
soldats, ils se répandaient sans bruit dans les campagnes; et, s’introduisant
séparément dans les villages et dans les villes, ils se réunissaient pour les
saccager. Comme ils ne suivaient aucun ordre dans leurs courses, et qu’ils se transportaient
rapidement dans des lieux fort éloignés, on ne pouvait prévoir leur arrivée.
Aussi avides de sang que de butin, ils égorgeaient ceux qu’ils avoient
dépouillés, arrachant la vie lorsqu’ils ne trouvaient plus rien à enlever. Ils
se faisaient un jeu du brigandage, et ils poussèrent l’insolence jusqu’à
s’exposer au milieu d’Apamée. Un d’entre eux se déguisa en gouverneur de la
province, un autre en receveur du domaine; le reste de la troupe prit des
habits de sergents et d’archers. Le gouverneur avait droit de condamner à mort,
et le receveur du domaine de saisir les biens de ceux qui avoient été
condamnés. En cet équipage, ils entrent sur le soir dans Apamée, précédés d’un
crieur qui publiait la sentence de condamnation d’un des plus riches habitants.
Ils forcent la maison, massacrent les maîtres avec les domestiques, qui
n’eurent pas le temps de se mettre en défense, enlèvent l’argent et les
meubles, et se retirent précipitamment avant le jour. Le bourg qui servait de
retraite à ces brigands fut bientôt rempli de toutes les richesses de la
province. Enfin , par ordre de l’empereur, on rassembla des troupes, on alla
les assiéger. Ils furent tous passés au fil de l’épée; et pour détruire la
race, on mit le feu à leur habitation. Les femmes qui se sauvaient avec leurs enfants
à la mamelle furent repoussées dans les flammes. Rien n’échappa à l’incendie;
et les cruautés de ces scélérats furent punies par une vengeance aussi cruelle.
LIVRE DIX-HUITIÈMEVALENTINIEN, VALENS, GRATIEN. 370-372
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HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |