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EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.

CONSTANCE ET JULIEN

LIVRE DIXIÈME.

 

Tibérius Fabius Datianus et Marcus Nératius Céréalis, consuls pour l’année 358, étaient recommandables par leur mérite. Céréalis l’était encore par sa naissance. Il était oncle maternel de Gallus et de la première femme de Constance; il avait été préfet de la ville de Rome. Datien, né dans l’obscurité, avait la noblesse que donne la vertu. Il parvint à la dignité de comte, et s’éleva jusqu’à celle de patrice. Son désintéressement et son zèle pour le bien public méritent une place dans l’histoire à plus juste titre encore que les exploits guerriers, parce qu’il est souvent plus utile et toujours plus rare de sacrifier à l’état ses intérêts que de lui sacrifier sa vie. Constance, pour diminuer le poids des contributions, restreignait autant qu’il pouvait le nombre des privilégiés. Datien avait acquis de grands biens dans le territoire d’Antioche: il jouissait de l’exemption. Il sollicita la révocation de ce privilège avec autant d’empressement que d’autres en auraient montré pour l’obtenir. C’est le glorieux témoignage que Constance lui rend dans une loi mal à propos attribuée à Constantin, par laquelle il déclare qu’à l’avenir on ne tiendra pour exempts que les biens du prince ceux des églises catholiques, ceux de la famille d’Eusèbe ( c’était apparemment le père de l’impératrice ), et les domaines qu’Arsace, roi d’Arménie , possédait dans l’empire.

Sapor était encore aux extrémités de la Perse, où il venait de terminer la guerre contre ses voisins, lorsqu’il reçut la lettre de son général, qui, pour flatter sa fierté, lui mandait que le prince romain le priait avec instance de lui accorder la paix. Le monarque persan, prenant cette prière pour une marque de faiblesse, enfle ses prétentions, et veut vendre la paix à des conditions exorbitantes. Il écrit à Constance une lettre pleine de faste et d’orgueil; il s’y donnait les titres de roi des rois, d’habitant des astres, de frère du soleil et de la lune. Après l’avoir félicité d’avoir pris le parti de la négociation, il lui déclarait qu’il était en droit de redemander le patrimoine de ses ancêtres, qui s’était étendu jusqu’au fleuve Strymon et aux frontières de la Macédoine; qu’étant supérieur à ses prédécesseurs en vertu et en gloire, il pouvait légitimement prétendre à tout ce qu’ils avoient possédé; mais que, par un effet de sa modération naturelle, il se contenterait de l’Arménie et de la Mésopotamie qu’on avait surprises sur son aïeul Narsès; que jamais les Perses n’avaient adopté cette maxime sur laquelle les Romains fondaient toutes leurs victoires, qu’il fût indifférent dans la guerre de réussir par la supercherie ou par la valeur. Il l’exhortait à sacrifier une petite portion de l'empire, toujours arrosée de sang, pour posséder tranquillement le reste, et à suivre l'exemple de ces animaux qui, sentant ce qui attire après eux les chasseurs, s’en défont volontairement, et l’abandonnent pour se délivrer de leur poursuite. Il finissait par menacer Constance d’entrer au printemps sur les terres de l’empire avec toutes ses forces, et de se faire à main armée la justice qu’on lui aurait refusée. L’ambassadeur nommé Narsès, porteur de ces lettres et de quelques pressens, passa par Antioche. Il était chargé d’une autre lettre pour Musonien. Le roi recommandait à celui-ci de disposer son maître à lui donner satisfaction. Narsès arriva à Constantinople le vingt-troisième de février, et continua sa route jusqu’à Sirmium, où Constance était revenu sur la fin de l’année précédente.

L’ambassadeur était un homme modeste et civil; il tâcha d’adoucir par ses procédés la dureté de ses propositions. Constance le traita avec honneur; mais il répondit au roi de Perse avec fermeté. Il désavouait Musonien, comme ayant entamé la négociation à son insu : il ne refusait pas cependant de traiter de la paix, pourvu que les conditions pussent s’accorder avec la majesté romaine; mais il protestait qu’étant maître de tout l’empire , il se garderait bien d’abandonner ce qu’il avait su conserver lorsqu’il ne possédait que l’Orient. Il rabaissait la fierté de Sapor en l’avertissant que, si les Romains se tenaient pour l’ordinaire sur la défensive, c’était uniquement par esprit de modération; et il le renvoyait aux témoignages de l’histoire pour y apprendre que la fortune avait à la vérité trahi les Romains dans quelques combats, mais que jamais aucune guerre ne s’était terminée à leur désavantage. Narsès partit avec cette réponse, et fut bientôt suivi d’une ambassade composée du comte Prosper, de Spectat, secrétaire de l’empereur, et du philosophe Eustathe, dont Musonien vantait beaucoup l’éloquence. Ils étaient chargés de pressens; et ils avoient commission d’employer toute leur adresse pour suspendre les hostilités, et pour donner à Constance le temps de pourvoir à la sûreté des provinces de l’occident. Ils trouvèrent le monarque à Ctésiphon; et, après un assez long séjour, comme il s’obstinait à ne rien rabattre de la hauteur de ses premières propositions, ils revinrent sans rien conclure. On envoya encore le comte Lucilien et le secrétaire Procope avec les mêmes instructions. Sapor ne voulut pas même les entendre : il les tint long-temps éloignés de sa cour, et leur fit appréhender que sa colère n’allât jusqu’à leur ôter la vie.

Cette négociation, quoique sans succès, produisit cependant un effet avantageux : ce fut de différer la guerre des Perses, qui aurait fait une diversion fâcheuse. Tout était en armes sur les bords du Danube. Les Juthonges, ayant rompu le traité, ravageaient la Rhétie; ils attaquaient même les villes contre leur coutume. Barbation marcha à leur rencontre avec de bonnes troupes: il réussit pour cette fois par la valeur de ses soldats. Il n’échappa qu’un petit nombre de barbares, qui regagnèrent avec peine leurs forêts et leurs montagnes. Ce fut dans cette expédition que Névitta, Goth de naissance, commença de se faire connaitre: il commandait un corps de cavalerie. Les Sarmates et les Quades, que le voisinage et la conformité de mœurs unissaient ensemble, s'étaient partages en plusieurs bandes, et pillaient les deux Pannonies et la haute Mœsie. Ces peuples, toujours en course, avoient une armure convenable à cette manière de faire la guerre. Ils portaient de longues javelines et de longues cuirasses composées de petites pièces de corne, polies et appliquées sur une toile en façon d’écailles. Toutes leurs troupes ne consistorient qu’en cavalerie; ils montaient des chevaux hongres, mais fort vîtes et bien dressés; ils en avoient toujours un, et quelquefois deux en main, et dans une longue traite ils sautaient légèrement de l’un sur l’autre. Constance, étant parti de Sirmium avec une belle armée à la fin de mars, passa le Danube sur un pont de bateaux, quoiqu’il fût extrêmement grossi par la fonte des neiges, et fit le dégât dans le pays des Sarmates. Les barbares, surpris de cette diligence, et hors d’état de résister à des troupes régulières, n’eurent d’autre parti à prendre que de se disperser par la fuite. On en massacra beaucoup; le reste se sauva dans les défilés des montagnes. L’armée romaine, remontant vis-à-vis de la Valérie, mit tout à feu et à sang. Les barbares, désespérés, sortent de leurs retraites; et s’étant divisés en trois corps, ils s’avancent comme pour demander la paix. Leur dessein était de tromper les Romains, de les envelopper, et de les tailler en pièces. Quand ils se sont approchés à la portée du javelot, ils s’élancent comme des lions. Les Romains, quoique surpris, les reçoivent avec courage, en tuent un grand nombre, mettent les autres en fuite; et, ne respirant que vengeance, ils marchent sans perdre de temps, mais en bon ordre, vers le pays des Quades. Ceux-ci, pour prévenir les mêmes désastres dont ils venaient d’être témoins sur les terres de leurs voisins, vont se jeter aux pieds de Constance. Ce prince , qui pardonnait volontiers aux ennemis, plutôt par paresse et par timidité que par grandeur d’âme, convint avec eux d’un jour pour régler les conditions de la paix.

Zizaïs, chef des Sarmates , voulut profiter en faveur de sa nation de cette disposition pacifique de l’empereur. Il vint à la tête de ses gens rangés en ordre de bataille, se présenter devant le camp des Romains: c’était un jeune homme de haute stature. Dès qu’il aperçoit l’empereur, il jette ses armes, saute à bas de son cheval, et court se prosterner aux pieds de Constance. Il voulait parler; mais les sanglots, étouffant sa voix, excitèrent plus de compassion que n’auraient pu faire ses paroles. Constance l’ayant rassuré, il reste à genoux, et demande pardon de ses attentats contre l’empire. En même temps les Sarmates s’approchent dans un morne silence. Zizaïs se lève; et, sur un signal qu’il leur donne, ils jettent tous à terre leurs boucliers et leurs javelots; et, les mains jointes, en posture de suppliants, ils implorent la miséricorde de l’empereur. Plusieurs seigneurs, dont quelques-uns portaient le titre de rois vassaux, tels que Aumon, Zinafre, Fragilède, s’abaissaient aux plus humbles prières; ils promettaient de réparer leurs ranges par tel dédommagement qu’on voudrait exiger; ils offraient leurs personnes, leurs biens, leurs terres, leurs femmes même, et leurs enfants. Constance se contenta de demander la restitution de tous les prisonniers, et prendre des otages pour sûreté de leur foi. Charmés de la générosité romaine, ils protestèrent d’y répondre par l’obéissance la plus prompte et la plus fidèle.

Ce trait de clémence attira plusieurs rois barbares. Arahaire et Usafre, l’un, chef d’une partie des Quades ultramontains, l’autre, d’un canton de Sarmates, tous deux unis par le voisinage et par une égale férocité, se rendirent au camp à la tête de tous leurs sujets. A la vue de cette multitude, l’empereur, craignant quelque surprise, ordonna aux Sarmates de se tenir à l’écart tandis qu’il donnerait audience aux Quades. Ceux-ci, debout, la tête baissée, avouèrent qu’ils méritaient toute la colère des Romains, et demandèrent grâce. On les obligea de donner des otages, ce qu’ils n’avoient jamais fait jusqu’alors. Cette affaire étant réglée, Constance fit approcher Usafre et sa troupe. Il s’éleva pour lors un débat nouveau et singulier. Arahaire prétendit que, ce prince étant son vassal, il était compris dans les traités qu’on venait de conclure avec lui; et, en conséquence, il s’obstinait à ne pas permettre qu’Usafre traitât séparément et en son propre nom. L’empereur, s’étant porté pour juge, prononça que les Sarmates, en vertu de leur soumission aux Romains, seraient affranchis de toute autre dépendance, et il lui accorda les mêmes conditions qu’aux Quades. Il déclara libres et indépendants de tout autre que des Romains une peuplade de Sarmates qui, chassés vingt-quatre ans auparavant par leurs esclaves nommés Limigantes, s’étaient retirés chez les Victovales, qui leur avaient cédé une partie de leur terrain à titre de servitude. Devenu en cette occasion alliés des Romains, ils demandaient à rentrer dans leur ancienne franchise. Constance, pour mieux assurer leur liberté , leur donna un roi : ce Zizaïs, qui, par une fidélité constante, se montra dans la suite digne de ce bienfait. L’empereur ne permit à aucun de ces barbares de retourner dans leur pays qu’après qu’ils eurent rendu tous les prisonniers, comme on en était convenu. Il restait encore un canton de Quades à subjuguer, sur les bords du Danube, vis-à-vis de Brégétion, qu’on croit être aujourd’hui la ville de Grau ou celle Komore dans la basse Hongrie. Constance y marcha: aussitôt que son armée parut dans le pays, Vitrodor, chef de cette nation, fils de Viduaire, Agilimond, son vassal, et plusieurs seigneurs, vinrent se jeter aux pieds des soldats, donnèrent leurs enfants en otage, et firent serment de fidélité sur leurs épées, qui tenaient à ces peuples lieu de divinités. On ne cessait de voir arriver des contrées les plus septentrionales diverses bandes de différentes nations à la suite de leurs princes. Ils venaient demander la paix ; ils offraient en otage les enfants des seigneurs les plus distingués, et ils ramenaient les prisonniers romains. Tous ces barbares, comme de concert, venaient se soumettre avec autant d’empressement qu’ils en avoient auparavant montré à courir aux armes.

Pour terminer cette heureuse campagne, on marcha contre les Limigantes. Ces esclaves, devenus possesseurs d’un vaste pays, avaient fait des courses sur les terres de l’empire, en même temps que leurs anciens maîtres, avec lesquels ils ne s’accordaient que dans le brigandage: d’ailleurs ils les traitaient en ennemis. Constance avait conçu le dessein de les transplanter; mais cette nation perfide n’était pas d’humeur à y consentir: elle se prépara donc à mettre en usage tous les moyens de défense, la fraude, le fer, les prières. Au premier aspect de l’armée romaine ils se croient perdus; saisis de terreur, ils demandent quartier, et promettent de payer tribut et de fournir des troupes: ils ne refusaient rien, sinon de changer de demeure. En effet, ils ne pouvaient espérer de situation plus sûre ni plus favorable que celle du pays dont ils avoient, chassé leurs maîtres. La Teisse, qui, après un assez long cours presque parallèle au Danube, vient se jeter dans ce fleuve, formait de ce pays une presqu’île : elle les défendit du côté de l’orient contre les autres barbares du voisinage, tandis que le Danube les couvrit au midi et à l’occident contre les attaques des Romains. Le côté du nord était fermé par des montagnes. Le terrain, coupé de marais et de rivières souvent débordées, était impraticable à ceux qui n’en avoient pas une parfaite connaissance. L’empereur, jugeant à leur contenance qu’ils n’étaient pas disposés à exécuter ses ordres, les fait envelopper de ses troupes sans qu’ils s’en aperçoivent; et, se montrant à eux au milieu de sa garde sur un tribunal élevé, il leur fait signifier de se préparer à vider le pays pour aller s’établir dans celui qu’il leur assignerait.

Ces malheureux, flottant entre la fureur et la crainte, bien résolus de ne pas obéir, mais incertains s’ils emploieront la feinte ou la violence, tantôt suppliant, tantôt menaçant, enfin, semblables à des bêtes féroces enfermées dans une enceinte, cherchent des yeux par où ils pourront se faire un passage; enfin, comme pour marquer leur soumission, ils jettent tous à la fois leurs boucliers bien loin d’eux du côté de l’empereur, afin de gagner du terrain en les allant reprendre, sans qu’on pût soupçonner leur dessein. Dès qu’ils les ont ramassés, ils se serrent et s’élancent vers Constance, qu’ils menacent de la voix et des yeux. La garde impériale arrête leur première fougue; toute l’armée se rapproche et fond sur eux; on les enfonce, on les perce, on les abat de toutes parts; ils périssent avec rage; on n’entend pas un seul cri, mais des frémissements de fureur. Ils ne sentent pas la mort; la victoire des Romains fait tout leur désespoir; et on entendit dire à plusieurs en expirant que c’était le nombre qui triomphait, et non pas la valeur. Plusieurs, couchés par terre, les jarrets ou les mains coupées, d’autres respirant encore sous des monceaux de corps morts, souffraient dans un profond silence les plus affreuses douleurs. Pas un ne demanda quartier ni qu’on avançât ses jours; pas un ne quitta ses armes. Une demi-heure commença le combat, donna la victoire, et laissa sur la place toutes les horreurs d’une sanglante bataille. L’armée romaine, ivre de sang et fumante de carnage, s’avance dans le pays. On abat les cabanes, on égorge les femmes, les enfants, les vieillards sur les ruines de leurs maisons; on brûle les villages, et les habitants périssent dans les flammes, ou, voulant se sauver, rencontrent le fer ennemi. Quelques-uns gagnent le fleuve et s’y noient ou sont percés de traits; la Teisse est comblée de cadavres. Pour achever de les détruire, on fait passer le fleuve à des troupes légères, qui vont relancer les habitants des chaumières dispersées sur l’autre rive. Ceux-ci, voyant venir à eux des barques de leur pays, les attendent d’abord sans crainte; mais bientôt s’apercevant de l’erreur, ils se sauvent dans leurs marais; ils y sont poursuivis et égorgés.

Les Limigantes, qu’on venait de tailler en pièces, ne faisaient qu’une partie de la nation; ils s’appelaient Amicenses; le reste portait le nom de Picenses. Ces derniers, instruits du désastre de leurs compatriotes, s’étaient réfugiés dans des lieux impraticables. Pour les réduire on eut recours aux Taïfales leurs voisins, et aux Sarmates libres, autrefois leurs maîtres. Trois armées entrèrent à la fois par différents côtés dans leur pays. Attaqués de toutes parts, ils balancèrent longtemps entre la nécessité de périr et la honte de se rendre. Enfin, par le conseil de leurs vieillards, ils prirent le parti de mettre bas les armes; mais, dédaignant de se soumettre à des maîtres dont ils s’étaient affranchis par leur courage, ils ne se rendirent qu’aux Romains. Dès qu’ils ont reçu la parole de l’empereur, ils abandonnent leurs montagnes et se répandent dans la plaine avec leurs pères, leurs enfants, leurs femmes, et ce qu’ils peuvent emporter de leurs richesses, qui ne consistaient guère qu’en de misérables ustensiles de ménage. Ils accourent au camp des Romains. Ces gens, qui peu auparavant paraissaient déterminés à mourir plutôt qu’à changer d’habitation, et qui mettaient la liberté dans la licence du brigandage, se soumirent à se laisser transporter dans des demeures plus sures et plus tranquilles, où ils ne pourraient si aisément inquiéter leurs voisins. On les établit plus haut, vis-à-vis de la Valérie, mais loin des bords du Danube. On rendit le pays aux Sarmates, qui en avoient été chassés vingt-quatre ans auparavant. L’armée donna à Constance le titre de Sarmatique; et ce prince, enorgueilli de ces succès; qui ne lui avoient coulé que la peine de se montrer, après en avoir fait un fastueux étalage dans une harangue qu’il prononça devant ses troupes, se reposa pendant deux jours, et revint à Sirmium. Il y rentra avec toute la pompe d’un vainqueur, et renvoya ses soldats dans leurs quartiers.

Les disputes de religion lui suscitaient plus d’embarras que les incursions des barbares. Les ariens, réunis contre l’église catholique, mais divisés entre eux, l’entrainaient tantôt dans une secte, tantôt dans une autre. Selon les différents ressorts que les eunuques, les femmes, les évêques de cour savaient mettre en mouvement, il ordonnait et révoquait, il exilait et rappelait, il s’irritait et se calmit, sans jamais fixer ses résolutions, non plus que ses sentiments. Eudoxe, pur anoméen et disciple d’Aetius, s’autorisant d’un ordre prétendu de l’empereur, et s’appuyant du crédit de l’eunuque Eusebe, s’était emparé du siège d’Antioche après la mort de Léonce sans ob,server les formes canoniques. Il tient un concile où les anoméens triomphent. Basile d’Ancyre, chef des demi-ariens, combat ce concile par un autre, où les anoméens sont à leur tour frappés d’anathème. Basile prend le dessus à la cour; Constance se déclare pour les demi-ariens. Aussitôt, à l’exemple d’Ursace et de Valens, qui tournoient sans cesse au vent de la cour, la plupart de ceux qui avoient signé le blasphème de Sirmium se rétractent. L’empereur ordonne la suppression de cette formule, et défend d’en garder des copies. Il était sur le point de confirmer l’élection d’Eudoxe, qui lui avait déjà surpris des lettres d’approbation; il retire ces lettres; il exile Aetius, Eunomius, Eudoxe, et il leur impute d’avoir trempé dans les complots de Gallus. Macédonius se joint au parti dominant.

Libère, qui paraissait moins éloigné du sentiment des nouveaux favoris, obtint par leur crédit la permission de retourner à Rome. Mais, parce que les anoméens laissaient courir le bruit qu’il pensait comme eux, il prit, avant son départ de Sirmium, la précaution de signifier à tous les évêques qui s’y trouvaient l’anathème qu’il prononçait contre le dogme impie des anoméens. L’intention de l’empereur et des prélats qui procuraient son retour, était qu’il gouvernât l’église de Rome conjointement avec Félix. En conséquence, ils mandèrent à Félix et à son clergé de recevoir Libère, et de partager avec lui les fonctions apostoliques. Ce projet, contraire à la discipline canonique, n’eut pas d’exécution. Dès que Libère fut rentré à Rome le deuxième d’août, dans la troisième année de son exil, le sénat et le peuple se réunirent pour chasser l’anti­pape, qui, ayant osé revenir quelques jours après, fut encore obligé de prendre la fuite. Il se retira dans une terre qu’il avait près de Poro, où, pendant plus de sept ans qu’il vécut encore, il conserva le titre d’évêque sans en faire aucune fonction.

Pour achever la défaite des anoméens, Basile engagea l’empereur à convoquer un concile général. Constance proposait la ville de Nicée; mais ce nom seul faisait trembler les ariens : ils obtinrent qu’on s’assemblât à Nicomédie. Déjà un grand nombre d’évêques étaient en chemin pour s’y rendre , lorsqu’ils apprirent que Nicomédie venait d’être détruite par un horrible tremblement de terre, qui s’étendit dans l’Asie, dans le Pont et jusqu’en Macédoine, et qui ébranla plusieurs montagnes et plus de cent cinquante villes. Nicomédie était alors par sa grandeur la cinquième ville de l’empire; elle tenait le même rang par sa beauté. Elle était bâtie en amphithéâtre sur une colline, au fond du golfe d’Astaque, qui fait partie de la Propontide. On la découvrit tout entière de plus de six lieues de distance. Deux portiques d’une superbe architecture la traversaient d’une extrémité à l’autre. La magnificence des édifices publics, la multitude des maisons particulières qui s’élevaient comme par étages les unes au-dessus des autres, les fontaines d’eaux vives, les thermes, le théâtre, l’Hippodrome, les temples, le port, le palais impérial bâti au bord du golfe, les jardins dont les environs étaient embellis formaient un spectacle enchanteur. Une heure de temps fit de toutes ces merveilles un amas de ruines. Le vingt-quatrième d’août, à la seconde heure du jour, lorsque le temps était le plus serein, tout à coup des nuages sombres et épais couvrent la ville : en même temps les éclats de la foudre se joignent aux tourbillons des vents et au mugissement de la mer, qui se gonfle et qui menace d’inonder ses rivages. La terre se soulève par secousses, les maisons croulent les unes sur les autres; le bruit des vents et du tonnerre, le fracas des ruines, les hurlements des habitants, se confondent ensemble au milieu d’une nuit affreuse. Le jour, qui reparaît avec le calme avant la troisième heure, présente de nouvelles horreurs. Nicomédie n’était plus; on n’y voyait qu’un monceau de pierres et de cadavres. Quelques habitants vivaient encore; mais, plus malheureux que ceux qui avaient perdu la vie, les uns demeuraient suspendus à des pièces de charpente, les autres, du milieu des débris dont ils étaient écrasés, élevaient la tête, et appelaient en expirant leurs femmes et leurs enfants. Quelques-uns, sans être blessés, restaient ensevelis sons les démolitions, qui ne les avoienl épargnés que pour les laisser périr par la faim; et du fond de ces ruines sortaient des voix lamentables qui imploraient en vain du secours. Entre ces derniers périt Aristénète, né à Nicée, connu par son éloquence et par la douceur de ses mœurs : il avait recherché avec ardeur et venait d’obtenir le vicariat de Bithynie; où il ne trouva qu’une mort longue et cruelle. L’évêque Cécrops, fameux arien, et un autre évêque du Bosphore y périrent aussi. Il n’échappa qu’un petit nombre d'habitants, presque tous estropiés, qui se sauvèrent dans la campagne. Ils ne trouvèrent ensuite d’asile que dans la citadelle, qui resta sur pied. Au tremblement avait succédé l’incendie. Tous les feux qui se trouvaient allumés dans les maisons, dans les bains, dans les forges des ouvriers, se communiquèrent aux bois et aux matières combustibles. Les vents, qui soufflaient avec fureur, étendirent l’embrasement; et pendant cinquante jours cette ville infortunée fut tout ensemble un vaste sépulcre et un immense bûcher. Elle avait éprouvé le même malheur sous Adrien et sous Marc-Aurèle; elle l’éprouva encore quatre ans après sous Julien ; et de nos jours, en 1719, elle a été presque entièrement abîmée par un tremblement, qui dura trois jours, depuis le 2.5 jusqu’au 28 de mai. Cependant les charmes de sa situation effacent bientôt le souvenir de ses désastres, et y attirent toujours de nouveaux habitants.

Nicomédie étant détruite, on résolut d’abord d’assembler les évêques à Nicée. Mais Eudoxe avait repris  faveur par le crédit de l’eunuque Eusèbe. Les anoméens bannis furent rappelés; ils achetèrent leur grâce aux dépens de leur maître Aetius, qu’ils excommunièrent, quoiqu’ils demeurassent fidèles à sa doctrine. Eudoxe s’empare à son tour de l’esprit de l’empereur; il le détermine à partager le concile dans deux villes, l’une pour les évêques d’Orient, l’autre où s’assembleraient ceux d’Occident. Le prétexte était d’épargner des fatigues aux évêques et des dépenses à l’empereur, qui les défrayait dans ce voyage. Mais le véritable motif était la facilité que les anoméens trouveraient à diviser les esprits dans deux conciles séparés, et à les tromper par de fausses relations portées d’un concile à l’antre. De plus, si toute l’Eglise était réunie, ils ne se flattaient pas que leur parti eût l’avantage du nombre; au lieu que, si elle était partagée, ils espéraient que, s’ils ne pouvaient gagner les deux conciles, du moins ils pourraient échapper à l’un des deux. La ville de Rimini fut acceptée pour l’Occident; pour l’Orient, il n’était plus question de Nicée; l’alarme qu’y avait répandue la destruction de Nicomédie, et les secousses qui s’y étaient communiquées, mettaient cette ville hors d’état de recevoir les évêques. On proposa Tarse, Ancyre, et enfin Séleucie, capitale de l’Isaurie. On s’en tint à cette dernière; et Constance donna ses ordres pour l’ouverture du double concile au commencement de l’été de l’année suivante. Il ordonna qu’après les séances, on envoyât de part et d’autre à la cour dix députés pour lui rendre compte des décrets : il voulait, disoit-il, juger s’ils étaient conformes aux saintes Ecritures, et décider sur ce qu’il y aurait de mieux à faire. C’est ainsi que ce prince se rendait l’arbitre des conciles, et que ces lâches prélats consentaient à le reconnaitre pour juge de la foi.

Julien ne songeait qu’à maintenir par de nouveaux exploits la tranquillité de la Gaule. Cette province se repeuplait de pus en plus; mais, les ravages précédents ayant empêché la culture des terres, elles ne produisaient pas assez de grains pour la subsistance des habitants. La Grande-Bretagne était auparavant la ressource de la Gaule. On en faisait venir des blés, qui se distribuaient par le Rhin dans les contrées septentrionales. Ce transport était devenu impraticable depuis que les barbares étaient maîtres des bords et de l’embouchure du Rhin; et les barques qu’on y a voit employées, demeurées à sec depuis longtemps, étaient pourries pour la plupart. Celles qui pouvaient encore servir étaient obligées de décharger le blé dans les ports de l’Océan, d’où il fallait le faire transporter à grands frais sur des chariots dans l’intérieur du pays. Julien résolut de rouvrir l’ancienne route d’un commerce si nécessaire. Il fit construire dans la Grande-Bretagne quatre cents barques, lesquelles, jointes à deux cents autres qui restaient, formaient une flotte de six cents voiles. Il s’agissait de les faire entrer dans le Rhin. Florence, persuadé qu’il serait impossible d’y réussir malgré les barbares, leur avait promis deux mille livres pesant d’argent pour en obtenir la liberté du passage, et Constance avait consenti à ce marché. Julien, qui n’avait pas été consulté, crut qu’il serait honteux d’acheter des ennemis ce qu’on pouvait emporter de vive force : il se mit en devoir de nettoyer les bords du Rhin, et d’en éloigner les barbares, ou de les soumettre. C’étaient les Saliens et les Chamaves, peuples sortis de la Germanie. Les Saliens étaient une peuplade de Francs, qui, s’étant d’abord arrêtés dans l’île des Bataves, entre le Rhin et le Vahal, en avoient été chassés par les Saxons, et s’étaient fixés en-deçà du Rhin, dans la Toxandrie, qui faisait partie de ce qu’on appelle le Brabant. Les Chamaves habitaient plus bas, vers l’embouchure du Rhin.

Les Romains, pour ouvrir la campagne, attendaient les convois de vivres qui leur venaient d’Aquitaine, et qui ne pouvaient arriver avant le mois de juillet. Julien, voulant surprendre l’ennemi, se détermine à partir avant la saison. Il fait prendre à ses soldats du biscuit pour vingt jours, et marche vers la Toxandrie. Il était déjà à Tongres lorsqu’il rencontra les députés des Saliens qui l’allaient trouver à Paris, où ils le croyaient encore. Ils étaient chargés de lui offrir la paix, à condition qu’il leur laisseront la possession tranquille du pays où ils s’étaient établis. Le prince entre en conférence avec eux; et, sur des difficultés qu’il sut bien faire naître, il les renvoie avec des pressens pour retourner prendre de plus amples instructions, leur laissant croire qu’ils le retrouveraient à Tongres. Mais à peine sont-ils en chemin, qu’il se met en marche sur leurs pas; et, ayant détaché Sévère pour côtoyer les bords de la Meuse, il parait subitement au milieu du pays. Les Saliens, pris au dépourvu, se rendent à discrétion, et sont traités avec clémence.

L’activité de Julien alarma les Chamaves. N’osant hasarder une bataille, ils se divisèrent en petites bandes, qui coudoient pendant la nuit, et se retiraient au jour dans l’épaisseur des forêts. Ces brigands étaient hors de prise à des troupes régulières, et Julien se trouvait dans un assez grand embarras, lorsqu’un aventurier vint lui offrir ses services. C’était un Franc nommé Charietton, d’une taille et d’une hardiesse fort au-dessus de l’ordinaire. Après s’être exercé à faire des courses avec ses compatriotes, il lui avait pris envie de quitter son pays, et il était venu s’établir à Trêves. Alors, regardant ses anciens camarades comme des ennemis, il voyait avec douleur les ravages qu’ils venaient faire dans la Gaule avant l’arrivée de Julien, et cherchait à venger sa nouvelle patrie. Comme il n’était revêtu d’aucun commandement, il allait seul se cacher dans les bois, sur les routes les plus fréquentées des barbares; et quand il en apercevoir quelque parti, étant au fait de leur façon de camper et de tous leurs usages, il attendait l’heure à laquelle il savait qu’ils les trouverait ivres et endormis. Alors, sortant de sa retraite, et entrant secrètement dans leur camp à la faveur de la nuit, il en égorgeait sans bruit autant qu’il pouvait, et rapportait toujours à Trêves quelque tête pour encourager les habitants. Il continua assez longtemps sans être découvert. Enfin, plusieurs déterminés se joignirent à lui, et ce fut avec eux qu’il vint se présenter à Julien. Le prince accepta ses offres, et lui donna même quelques Saliens exercés à cette espèce de guerre. Ces volontaires allaient de nuit surprendre les Chamaves, et, pendant le jour, des corps de troupes postés sur tous les passages en massacraient un grand nombre et faisaient beaucoup de prisonniers.

Ces barbares, découragés par tant de pertes, envoient assurer Julien de leur soumission. Il répond qu’il veut traiter avec leur roi. Ce prince, qui se nommait Nébiogaste, s’étant présenté devant lui, Julien lui demanda des otages pour sûreté de sa parole; et, comme il répondit que les prisonniers que Julien avait entre ses mains pouvaient bien servir d’otage : Pour ceux-là, repartit le César, je ne les tiens pas de vous; c'est la guerre qui me les donne. Les premiers des Chamaves le suppliant de nommer lui-même ceux qu’il désirait: Je veux, dit-il , le fils de votre roi. A cette parole, tous ces barbares poussèrent des gémissements et des cris lamentables; et le roi, leur ayant imposé silence, s’écria d’une voix entrecoupée de sanglots:

«Plût aux dieux, César, qu’il vécût encore ce fils que tu demandes en otage! je le tiendrais plus heureux de vivre captif sous tes lois que de régner avec moi. Mais, hélas! victime de son courage, il est tombé sous vos coups, sans doute parce que vous ne l’avez pas connu. C’est en ce moment que je sens toute l’étendue de mes maux. Je ne pleurois qu’un fils unique, et je vois que j’ai perdu avec lui l’espérance de la paix. Si tu en crois mes larmes, je recevrai l’unique consolation dont la mort de mon fils ne m’ait pas ôté le sentiment; je verrai mes sujets hors de péril. Mais, si je ne puis te persuader, aussi malheureux roi que malheureux père, la perte de mon fils deviendra celle de ma nation; et j’aurai la douleur de ne porter une couronne que pour ne pouvoir être seul misérable.»

Le César, attendri, ne put retenir ses larmes. Les Chamaves se désespéraient, lorsque Julien fit tout à coup paraitre le jeune prince, comme une de ces divinités qui viennent sur le théâtre pour démêler une intrigue dont le dénouement semblait impossible. Il avait été fait prisonnier, et les Romains le traitaient en fils de roi. Julien lui permit d’entretenir son père, et ne perdit rien d’une entrevue si touchante. A ce spectacle, la surprise arrêta les gémissements. Les barbares, muets et immobiles, croyaient voir un fantôme. Au milieu de ce profond silence, Julien élève sa voix:

« Croyez-en vos yeux (leur dit-il), c’est votre prince; la guerre vous l’avait fait perdre; Dieu et les Romains vous l’ont rendu. Je le retiendrai, non comme un otage que me donne votre soumission, mais comme un présent que m’a fait la victoire. Il trouvera auprès de moi tous les honneurs qui conviennent à sa naissance. Pour vous, si vous êtes infidèles au traité, vous en porterez la peine, non pas dans la personne de votre jeune prince; je ressemblerais à ces bêtes féroces qui, blessées par les chasseurs, déchirent les voyageurs qu’elles rencontrent; il vivra comme une preuve de notre valeur et de notre humanité. Mais vous serez punis, d’abord par votre propre injustice; l’injustice ne manque jamais de perdre les hommes, quoiqu’elle les flatte quelquefois en leur procurant un succès passager; ensuite par moi et par les Romains, dont vous ne pourrez ni surmonter les armes, ni désarmer la colère.»

 Quand il eut cessé de parler, tous ces barbares, l’adorant comme un dieu, se prosternèrent devant lui, et le comblèrent de louanges. Il ne demanda pour otage que la mère de Nébiogaste; on la lui mit entre les mains, et le traité fut conclu. Il fit entrer dans ses troupes un corps de Saliens et de Chamaves, qui subsistait encore du temps de Théodose le jeune. La navigation du Rhin demeura libre, et Charietton fut récompensé par des emplois honorables: il était, huit ans après, quand il mourut, comte des deux Germanies.

Ensuite de cette expédition on rétablit sur les bords de la Meuse trois forteresses, que les barbares avaient détruites: et comme il restait encore aux soldats des vivres pour dix-sept jours, Julien en fit laisser une partie dans ces places, comptant sur les moissons des Saliens et des Chamaves. Mais, avant qu'elles fussent en maturité, le blé manqua aux troupes; et le soldat, ne trouvant pas de subsistance, s’abandonna aux murmures. La faim lui fit perdre tout respect et toute estime pour son général: Julien n’était plus alors qu’un sophiste, un imposteur, un faux philosophe.

«Que veut-on faire de nous (s’écriaient les plus mutins) ? On épuise nos forces par des marches plus meurtrières que des combats : on nous traînera bientôt au travers des neiges et des glaces; et aujourd’hui que nous tenons aux ennemis le pied sur la gorge, on nous fait périr de faim : qu’on ne nous traite pas de séditieux, si ce n’est l’être que de demander du pain : qu’on ne nous donne ni or ni argent, nous avons perdu l’habitude d’en toucher, et même d’en voir, comme si la patrie désavouait nos services, et que ce ne fût pas pour elle que nous prodiguons notre vie.»

Ces plaintes n’étaient que trop bien fondées. Depuis que Julien commandait les armées de la Gaule, Constance, loin de leur faire aucune gratification après les succès, ne leur payait pas même leur solde. Julien n’avait aucun moyen d’y suppléer ; et ce qui prouve que c’était de la part de Constance un effet de malignité plutôt que d’avarice, c’est qu’un jour Julien ayant fait une très légère libéralité à un soldat, le secrétaire Gaudence, qui était auprès de lui l’espion de l’empereur, lui en fit un crime à la cour, et lui attira une sévère réprimande. Cependant, s’il en faut croire Sulpice Sévère, élans une occasion, auprès de Worms, il distribua une gratification aux soldats, sans doute à ses dépens.

Julien, plus touché du triste état de ses troupes qu’offensé de leurs murmures, ne songea qu’à les soulager au lieu de les punir. L’obéissance et le respect revinrent avec l’abondance. On jeta un pont sur le Rhin; on entra sur les terres des Allemands. Sévère perdit toute sa gloire dans cette expédition. Ce vieux général, qui jusqu’alors avait inspiré le courage par ses paroles et par son exemple, devint tout à coup lâche et timide: il était toujours d’avis de ne point combattre; il n’avançait qu’à regret; il corrompit même secrètement les guides, et les obligea, par les plus terribles menaces, à dire unanimement qu’ils ne connaissaient pas les chemins. Ces obstacles ralentissaient la marche de l’armée; mais la terreur avait saisi les ennemis. Suomaire, un de leurs rois, prince auparavant féroce et ardent au pillage, se crut fort heureux de conserver son pays, situé entre le Rhin et le Mein. Il vint au-devant de Julien avec l’extérieur d’un suppliant; et, se jetant à ses genoux, il protestait qu’il était prêt à accepter toutes les conditions qu’on voudrait lui imposer. Julien exigea de lui qu’il rendit les prisonniers, et qu’il fournît des vivres. Il voulut même qu’il s’assujettît à prendre des quittances, et que, faute de les représenter quand il en serait requis, il s’obligeât à faire une seconde fois les mêmes fournitures. Suomaire ne refusa rien, et fut fidèle à l’exécution.

Il falloit passer le Nèkre pour mettre à la raison un autre roi nommé Hortaire. C’était, aussi-bien que Suomaire, un des rois qui s’étaient trouvés à la bataille de Strasbourg. Comme on manquait de guides, Nestica, tribun de la garde, et Charietton, furent chargés d’enlever quelques habitants du pays. Ils amenèrent un jeune Allemand, qui promit de conduire l’armée, pourvu qu’on lui accordât la vie. On rencontra bientôt de grands abatis d’arbres qui obligèrent de prendre de longs détours. Enfin, on arriva sur les terres d’Hortaire, où le soldat fatigué se vengea par le ravage. Ce roi, voyant une armée nombreuse et son pays désolé, où il ne restait plus que des ruines et des cendres, vint aussi implorer la miséricorde du César, et promit avec serment d’obéir aux ordres qu’il recevrait, et de rendre tous les prisonniers. Ils étaient en grand nombre dans ce canton; mais, malgré sa promesse, il n’en rassembla que fort peu; et, les ayant amenés devant Julien, il s’approcha pour recevoir le présent qu’on avait coutume de faire aux princes avec lesquels on traitait. Julien , indigné de sa mauvaise foi, fit arrêter quatre des principaux seigneurs qui l’accompagnaient, et prit des mesures pour ne perdre aucun des Gaulois qui étaient en captivité. Il fit interroger tous ceux qui s’étaient sauvés des villes et des campagnes pillées les années précédentes, pour savoir d’eux les noms de leurs compatriotes que les barbares avoient enlevés. Après que sur leur déposition on en eût dressé un rôle exact, Julien monta sur son tribunal, et fit défiler devant lui tous les prisonniers, en leur demandant à chacun leur nom. Les secrétaires du prince, placés derrière son siège, tenaient registre de tous ceux qui passaient. Cette revue étant finie, comme le rôle en contenait un beaucoup plus grand nombre, Julien, s’adressant aux barbares, leur demanda qu’étaient devenus ceux qui manquaient, en les désignant par leurs noms, et il leur signifia qu’ils n’avoient point de paix à espérer tant qu’il en manquerait un seul. Les barbares, n’apercevant pas les secrétaires qui suggéraient à Julien les noms de tous ces prisonniers absents, étaient frappés d’étonnement; ils s’imaginaient qu’il était inspiré du ciel, et qu’on ne pouvait lui rien cacher; et ils jurèrent avec des imprécations horribles qu’ils lui mettraient fidèlement entre les mains tous ceux qui vivaient encore. Hortaire, tremblant et humilié, s’obligea de fournir à ses dépensiez matériaux et les voitures de transport pour rebâtir les villes que les Allemands avoient ruinées. On n’exigea point de lui qu’il fît apporter des vivres, parce que son pays était entièrement dévasté. On le renvoya après qu’il eut répondu sur sa tête de son exactitude à remplir les conditions. C’est ainsi que ces rois féroces, nourris de sang et de pillage, furent enfin forcés de courber leur tête superbe sous le joug de la puissance romaine.

Le retour des prisonniers fut le fruit de ces glorieuses expéditions. C’était un spectacle touchant de voir revenir par bandes ces malheureux, saluant leur patrie par des cris dallégresse, caressés de leurs maîtres, qui leur avoient fait sentir au-delà du Rhin le plus dur esclavage, se prosternant aux pieds de leur libérateur, embrassant avec larmes leurs pères, leurs femmes, leurs enfants qui pleuraient aussi de joie. Il en revint près de vingt mille. On demandait compte aux barbares de ceux qu’ils ne ramenaient pas; et ils étaient obligés de se justifier en prouvant que ceux-là étaient morts, par le témoignage de ceux qu’ils ramenaient. La Gaule reprit une face nouvelle: les villes se relevaient; c’était pour Julien autant de trophées; et ce qu’il y avait de plus glorieux et de plus nouveau, c’est que les barbares qui les avoient ruinées travaillaient à les rebâtir. Les campagnes, auparavant désertes et incultes, se repeuplaient et se ranimaient. On voyait refleurir les arts; les revenus publics augmentaient; ce n’était que mariages, fêtes, assemblées; et l’hiver suivant fut une saison de joie et de plaisirs.

Dès succès si brillants et si soutenus ne faisaient pas taire l’envie. Le compte que Julien était obligé de rendre à l’empereur, quelque modeste qu’il fût, semblait toujours exagéré et plein de vanité : et tandis que la Gaule retentissait des éloges du César, il n’était à la cour qu’un fanfaron, un poltron, qui s’enorgueillissait de faire fuir devant lui des sauvages encore plus timides. Mais ces lâches courtisans, attentifs à flatter la basse jalousie de l’empereur, travaillaient malgré eux à la gloire de Julien. Il lui eût manqué un trait de ressemblance avec les plus grands hommes, s’il n’eût pas eu des envieux et des ennemis.

Il fut bientôt délivré du plus dangereux. L’année suivante, sous le consulat d’Eusèbe et d’Hypace, frères de l’impératrice, Barbation fut lui-même sacrifié à ces défiances qu’il avait tant de fois inspirées contre les autres. Ce méchant homme joignit à beaucoup de malice une égale faiblesse. Un essaim d’abeilles qui se forma dans sa maison lui donna de grandes alarmes. C’était, dans la superstition païenne, un pronostic des plus fâcheux. Il consulta les devins, et partit avec ces inquiétudes pour une expédition qui n’est pas autrement connue. Sa femme, nommée Assyria, étourdie et ambitieuse, se met dans l’esprit que son mari, pour s’affranchir de ses craintes, va détrôner Constance. Elle voit déjà Barbation empereur. Cette folle imagination en enfante une autre : la voilà jalouse d’Eusébie ; elle se persuade que Barbation, ébloui des charmes de la princesse, ne manquera pas de l’épouser. Sans perdre de temps, elle envoie secrètement à son mari une lettre trempée de ses larmes, pour le conjurer de ne lui pas faire l’injustice de la croire indigne du rang d’impératrice. Elle avait employé pour l’écrire la main d’une femme esclave, qui lui était venue de la confiscation des biens de Sylvain. Dès que Barbation fut de retour, cette confidente, pour venger son ancien maître, va de nuit trouver Arbétion; elle lui met entre les mains une copie de la lettre. Celui-ci, trop heureux de trouver une si belle occasion de perdre un rival, la porte à l’empereur; et sur-le-champ Barbation est arrêté. Il avoue qu’il a reçu la lettre; sa femme est convaincue de l’avoir écrite, et tous deux ont la tête tranchée. Constance, une fois alarmé, ne se rassura pas sitôt. On arrête , on met à la question beaucoup d’innocents. Le tribun Valentin, qui ne savait rien de cette prétendue intrigue, essuya de cruelles tortures : il eut assez de force pour y survivre; et, par forme de dédommagement, l’empereur lui donna le commandement des troupes dans l’Illyrie.

Il s’éleva cette année dans la ville de Rome de violentes séditions. La flotte de Carthage , qui apportait le blé de l’Afrique, battue de la tempête, ne pouvait aborder à Ostie; et le peuple, qui craignit la famine, rendait les magistrats responsables du caprice des vents. Le préfet Junius Bassus était mort peu de temps après qu’il fut entré en charge; il venait de se convertir au- christianisme. La sédition éclata sous Artémius, vicaire de Rome, qui succéda à ses fonctions. Mais elle devint plus furieuse lorsque Tertulus eut été nommé préfet. Ce magistrat, après avoir épuisé tous les moyens d’apaiser le tumulte, se voyant sur le point d’être mis en pièces, fit conduire au milieu de la place publique ses enfants encore en bas âge; et les montrant au peupler Romains, dit-il, voilà vos concitoyens; si la colère du ciel continue, il partageront vos malheurs; mais si vous croyez sauver votre vie en leur donnant la mort, je les mets entre vos mains. A la vue de ces enfants, la compassion étouffa la rage de la multitude; elle attendit avec patience, et peu de jours après, pendant que Tertulius, qui était païen, faisait un sacrifice à Ostie dans le temple de Castor et de Pollux, le vent tourna au midi, la flotte entra dans le Tibre, et la superstition, reconnaissant la main qui gouverne les tempêtes et qui distribue aux hommes leur nourriture, regarda cet événement comme un miracle de ces chimériques divinités.

Constance était encore à Sirmium lorsqu’il apprit que les Limigantes, quittant peu à peu le pays où il les avait transplantés, se rapprochait du Danube, et qu’ils commençaient déjà à faire des courses. Craignant que, s’il ne les arrêtait dès le premier pas, ils n’en devinssent plus hardis, il assemble ses meilleures troupes, sans attendre l’été. Il comptait et sur l’ardeur de son armée encore échauffée des succès de la campagne précédente, et sur la prévoyance d’Anatolius, préfet d’Illyrie, qui, sans incommoder la province, avait pendant l’hiver établi des magasins. Ce personnage mémorable était de Béryte en Syrie. Après avoir étudié les lois dans sa patrie, la plus célèbre école de jurisprudence qui fût en Orient, il vint à Rome du temps de Constantin ; et s’étant fait connaitre à la cour par ses talents, il fut gouverneur de Galatie, vicaire d’Afrique, et parvint à la charge de préfet du prétoire en Illyrie. Il resta dans les ténèbres du paganisme : d’ailleurs c’était un homme à qui ses ennemis même ne pouvaient refuser des éloges. On admirait son amour pour la vérité et pour la justice, l’élévation de son âme, sa noble franchise, son application au travail, son éloquence, son désintéressement, la tendresse et la fermeté de son cœur tellement assorties, qu’il ne mesurait pas le mérite des autres par l’amitié qu’il avait pour eux, mais qu’il réglait au contraire la mesure de son amitié sur celle du mérite. On dit qu’en faisant ses adieux à l’empereur quand il partit pour l’Illyrie, il lui dit : Prince, désormais la dignité ne sauvera plus les coupables : quiconque violera les lois, officier civil ou militaire, en éprouvera la sévérité. Ce n’était pas qu’il eût rien de dur dans le caractère; il aimait mieux corriger que de punir, et jamais l’Illyrie ne fut plus florissante et plus heureuse que sous son gouvernement. Il soulagea le pays ruiné par l’entretien des postes et des voitures publiques, et par l’excès des tailles, tant réelles que personnelles. Les habitants le pleurèrent après sa mort; mais ils le regrettèrent bien davantage quand on lui eut donné pour successeur Florence, auparavant préfet des Gaules. Ce financier intraitable, armé de toutes les rigueurs du fisc, étant venu fondre sur eux comme un vautour, plusieurs se pendirent de désespoir.

L’empereur, bien assuré de trouver des subsistances, marche en grand appareil vers la Valérie dès les premiers jours du printemps. Il arrive au bord du Danube, lorsque les barbares se disposaient à le passer sur les glaces, qui n’étaient pas encore fondues. Pour ne pas laisser languir ses troupes, qui souffraient beaucoup des rigueurs du froid, il envoie aussitôt demander aux Limigantes pourquoi ils franchissaient les limites marquées par un traité solennel. Les barbares s’excusent sur de vains prétextes, et demandent humblement la permission de passer le fleuve, pour expliquer à l’empereur les incommodités de leur nouvelle habitation; ils protestent qu’ils sont prêts, s’il y consent, à se transporter partout ailleurs, pourvu que ce soit dans l’intérieur de l’empire; et qu’il n’aura point de sujets plus obéissants ni plus tranquilles. L’empereur, ravi de terminer sans coup férir une expédition qui paraissait difficile et périlleuse, leur accorde le passage : il croyait gagner beaucoup en les établissant dans l’empire ; c’était, lui disaient ses flatteurs, aussi mauvais politiques que bons courtisans, une pépinière de braves soldats qui rempliraient ses armées, tandis que les provinces donneraient volontiers de l’argent pour être dispensées de fournir des recrues. Constance, pour recevoir les barbares à leur passage, va camper près d’Acimincum, qu’on croit être Salankemen, presque vis-à-vis de l’embouchure de la Teisse; et, ayant fait élever une terrasse en forme de tribunal, il détache quelques légionnaires sons la conduite d’un ingénieur nommé Innocentius, qui lui avait donné ce bon conseil, et les fait placer sur les bords du Danube, avec ordre d’observer les mouvements des barbares, et de les prendre à dos, en cas qu’ils voulussent faire quelque violence quand ils auraient passé le fleuve. La précaution ne fut pas inutile. Les Limigantes, ayant traversé le fleuve, se tenaient d’abord la tête baissée en posture de suppliants, et semblaient attendre les ordres de l’empereur. Mais, quand il le virent qui s’apprêtait à les haranguer sans défiance, un d’entre eux, comme saisi d’un accès de fureur, ayant lancé sa chaussure contre le tribunal , se met à y courir de toutes ses forces en criant : marha ! marha ! c’était le cri de guerre de la nation. Tous ses compatriotes élèvent en même temps un drapeau, poussent d’affreux hurlements, et le suivent en confusion. Constance, du haut de la terrasse où il était assis, voyant accourir cette multitude qui faisait briller à ses yeux les épées et les javelots, descend à la hâte, quitte ses habits impériaux pour n’être pas reconnu, et, montant promptement à cheval, se sauve à toute bride. Ses gardes essaient de faire résistance, et sont massacrés; le siège impérial est pillé et mis en pièces. Constance avait eu l’imprudence de laisser assembler les barbares sur la rive, sans faire mettre ses troupes sous les armes. Elles étaient encore dans le camp lorsqu’elles apprirent que l’empereur était en péril. Aussitôt les soldats accourent à demi-armés, et, poussant un cri terrible, enflammés de colère et de honte, ils se jettent tête baissée au travers de ces perfides ennemis: ils égorgent tout ce qu’ils rencontrent; le détachement qui bordait le Danube les charge par-derrière; on les enveloppe, on les serre de toutes parts : les vivants, les mourans et les morts, ne formant qu’un monceau, tombent pêle-mêle les uns sur les autres. L’exécution fut terrible; et l’on ne sonna la retraite qu’après le massacre du dernier des Limigantes. Les Romains ne perdirent que ceux qui fu­rent surpris dans la première attaque. On regretta surtout Cella, tribun de la garde, qui se jeta le premier dans le plus épais des bataillons ennemis. Cette plaine fut le tombeau des Limigantes; il n’en est plus parlé dans l’histoire, et cette nation fut détruite, comme elle s’était formée, par sa propre perfidie.

Constance, après avoir pris des mesures pour la sûreté des frontières, revint à Sirmium. Il en partit peu de jours après pour Constantinople, afin de se rapprocher de l’Orient, que Sapor menaçait d’envahir. Jusque-là les duumvirs, qui dans les villes municipales tenaient le même rang que les consuls à Rome, avoient été à la tête du sénat de Constantinople: c’étaient les chefs de la magistrature. Constance, afin d’y établir le même gouvernement qu’à Rome, créa celte année pour la première fois un préfet de la ville. Ce fut Honorât, qui avait été préfet des Gaules. L’empereur distingua ce nouveau magistrat des préteurs, dont il régla la juridiction. Il déclara que les appels des trois provinces de la Thrace nommées Europe, Rhodope et Hémimont, et ceux de la Bithynie, de la Paphlagonie, de la Lydie, de l’Hellespont, des îles de la mer Egée et de la Phrygie salutaire, ressortiraient devant ce préfet.

La faiblesse de Constance était un fonds inépuisable p0ur Paul le délateur. Ce scélérat, insatiable d’argent, ne savait pour s’enrichir d’autre métier que de réveiller de temps en temps les inquiétudes du prince. Une cause très-légère fit vers ce temps-là périr un grand nombre d’innocents. Dans Abyde, ville de la Thébaïde, était un oracle fameux d’un dieu nommé Bésa. On le consultait de vive voix ou par écrit, et les absents n’avoient pas toujours soin de faire retirer leurs billets avec la réponse de l’oracle. On en envoya quelques-uns à l’empereur. Il crut y voir des questions dangereuses, et qui tiraient à conséquence pour la sûreté de sa personne. Aussitôt il fait partir Paul, dont il estimait la sagacité dans ces sortes de recherches : il le charge de mettre en justice tous ceux qu’il jugera à propos : il nomme pour présider aux interrogatoires, non pas Hermogène, préfet du prétoire d’Orient, qui avait succédé à Musonien, il connaissait trop son équité et sa douceur; mais Modestus, comte d’Orient, propre à ces commissions sanguinaires. Paul arrive, ne projetant que tortures et que supplices. Ses accusations alarment et bouleversent l’Egypte et les contrées voisines. On amène devant lui des gens de toute condition, dont plusieurs périssent dans les fers avant le jugement. On avait choisi pour le théâtre de ces sanglantes exécutions Scythopolis en Palestine, parce qu’elle était située entre les villes d’Antioche et d’Alexandrie, d’où l’on faisait venir la plupart des accusés. Un des premiers fut le fils de ce Philippe qui avait été préfet du prétoire et consul, et qui avait prêté ses propres mains pour ôter la vie à Paul, évêque de Constantinople. Son fils, nommé Simplice, fut accusé d’avoir consulté l’oracle sur les moyens de parvenir à l’empire. Constance, qui n’avait jamais rien excusé ni pardonné sur cet article, avait ordonné de l’appliquer à la torture. Simplice fut cependant assez heureux pour s’en garantir, sans doute à force d’argent; il en fut quitte pour être banni. Ce fut aussi le sort de Parnasius, quoiqu’il eût été condamné à mort. C’était un homme de bien, qui avait été préfet d’Egypte : il obtint dans la suite la permission de retourner à Patras, ville d’Achaïe, sa patrie, et de rentrer en possession de ses biens. Andronic, homme de lettres, et célèbre alors par ses poésies, déconcerta ses accusateurs par la force de ses réponses, et se fit absoudre. La même fermeté sauva le philosophe Démétrius, surnommé Çhytras, fort avancé en âge, mais dont le corps et l’esprit àvoient conservé toute leur vigueur. Après une longue torture qu’il soutint avec courage, on lui permit de retourner à Alexandrie. Ceux-là échappèrent à la calomnie; mais quantité d’autres en furent les victimes. Les uns furent déchirés à coups de fouets; d’autres périrent d’une manière plus cruelle; et la confiscation des biens était toujours la suite du supplice. Paul mettait en usage mille détours, mille pièges pour surprendre l’innocence: porter à son cou quelque préservatif superstitieux, passer le soir auprès d’une sépulture? c’en était tassez pour perdre la vie, comme convaincu de sortilège ou de commerce avec les morts, dans l’intention de détrôner ou de faire périr l’empereur.

Depuis que les Isaures avoient manqué leur entreprise sur la Séleucie, ils s’étaient tenus quelque temps cachés dans leurs montagnes. Enfin, s’ennuyant du repos, ils recommençaient leurs courses. Accoutumés à franchir aisément les lieux les moins praticables, ils échappaient aux troupes qui défendaient le pays. On envoya pour les contenir le comte Laurice, plus politique que guerrier. Sa bonne conduite fit plus que la valeur. Il sut si bien les intimider et les resserrer, qu’ils ne purent rien exécuter de considérable tant qu’il fut dans la province.

Les menaces de Sapor éclatèrent cette année. Ce prince, avide de conquêtes, ayant trouvé de nouveaux secours dans les nations féroces avec lesquelles il venait de conclure la paix, s’occupa pendant l’hiver à ramasser des vivres, des armes, et à lever des soldats, dans le dessein d’entrer sur les terres de l’empire. Résolu de faire les plus grands efforts, il consulta tous les devins de son royaume; on dit même qu’il alla jusqu’à immoler des hommes, pour chercher dans leurs entrailles des pronostics de ses succès. Mais un transfuge lui fournit des lumières plus sûres que tous ses oracles et tous ses sacrifices. Antonin était un riche négociant établi en Mésopotamie, et très connu dans ces contrées. Sa fortune fit envie à des hommes puissants qui lui suscitèrent des procès. Afin de ne pas manquer leur proie, ils s’appuyèrent des officiers du fisc, qui entrèrent en collusion avec eux. Antonin, habile et rompu aux affaires, après avoir, malgré la protection d’Ursicin, perdu plusieurs procès, n’espérant rien de ses juges vendus à l’injustice, feignit de s’exécuter de bonne grâce; il reconnut des dettes qu’il n’avait pas contractées, et fit des billets payables à terme, se réservant au fond du cœur l’espoir de la vengeance. Ayant dressé son plan, il se mit an service de Cassien, commandant des troupes de la province, qui, comptant sur son intelligence, l’employa à tenir ses rôles. Cette commission lui donna le moyen de s’instruire à fond et en peu de temps de tout le détail militaire. Quand il eut acquis ces connaissances, il songea à les porter en Perse; et, pour se procurer la facilité d’approcher des frontières sans donner de soupçon, il acheta une petite terre sur les bords du Tigre. Il y transporta sa famille, et dans les fréquents voyages qu’il y faisait, il trouva moyen de lier un commerce secret avec Tamsapor, qui commandait de l’autre côté du fleuve. Le terme de l’échéance de ses billets arriva, et l’intendant des finances, d’intelligence avec ses prétendus créanciers, se mettait en devoir de le poursuivre, lorsque Antonin, escorté d’un parti de Perses qui se rendirent auprès de lui pour favoriser sa fuite, se jeta dans des barques avec sa femme, ses enfants et tous ses effets, et passa à l’autre bord. On le conduit à Sapor, qui le reçoit à bras ouverts, et lui donne place à sa table et dans son conseil. Ce transfuge, animé par le ressentiment et par le désir de servir son nouveau maître, devint le plus mortel ennemi des Romains. Il ne cessait d’animer Sapor en lui reprochant qu’il savait vaincre, mais qu’il ne savait pas faire usage de ses victoires; il lui rappelait ses campagnes passées, tant d’efforts sans succès, tant de succès sans aucun fruit: qu’après avoir terrassé les Romains a Singare, il avait laissé sa victoire ensevelie dans les ombres de la nuit; et que les Perses vainqueurs, comme de concert avec les vaincus, n’avaient osé approcher d'Edesse ni des ponts de l'Euphrate : quels avantages n'aurait pas remportés le plus brave et le plus puissant monarque du monde, s’il fût tombé sur l’empire dans le temps où les Romains le déchiraient eux-mêmes par la guerre civile?

C’était la coutume des Perses de délibérer sur les affaires les plus importantes au milieu des festins; Antonin, attentif à se ménager en ces occasions, profitait de la chaleur que le vin inspirait aux autres; il les échauffait encore par ses discours ; et le roi, enivré de ses conseils et de l’idée de sa propre grandeur, se détermina à mettre en mouvement toutes ses forces dès que l’hiver serait passé, et à faire usage du zèle d’Antonin, qui lui promettait hardiment les services les plus essentiels.

Il eût été à propos de choisir le meilleur capitaine de l’empire pour l’opposer à un si redoutable ennemi: l’imprudence de Constance et les intrigues de cour dépouillèrent du commandement l’unique général qui fût en état de soutenir cette guerre. Ursicin était en Orient avec le titre de général de la cavalerie. Consommé dans le métier des armes, il avait appris par une longue expérience à combattre les Perses. Mais il était coupable aux yeux d’Eusèbe de deux crimes impardonnables: ce guerrier magnanime était le seul qui dédaignât de s’appuyer de la faveur de l’eunuque; et, malgré les instances les plus pressantes, il n’avait jamais voulu consentir à lui céder une belle maison qu’il possédait dans la ville d’Antioche. C’en était assez pour rendre Ursicin criminel dans l’esprit d’Eusèbe, et pour engager cet eunuque à travailler à sa perte. C’était, à l’entendre, un présomptueux, un perfide, dont les services étaient autant d’insultes, et pouvaient dégénérer en attentats. Cet esprit dangereux avait inspiré sa passion aux eunuques de la chambre, qui profitaient de l’accès que leur donnait leur ministère pour tenir tous de concert le même langage; et ceux-ci disposaient à leur gré de la langue des courtisans, à qui ils procuraient les entrées et les grâces du prince. Ainsi Constance n’entendit jour et nuit que des rapports propres à augmenter des soupçons qui ne lui étaient que trop naturels. La perte d’Ursicin fut donc encore une fois résolue : mais il fallait, disait Eusèbe, user de précaution pour né pas alarmer ce général, qui, sur la moindre défiance, ne manquerait pas d’éclater. Ursicin était alors à Samosate. L’empereur le mande à la cour pour y venir recevoir la qualité de général de l’infanterie, qu’avait possédé Barbation. Il charge de sa lettre celui qu’il envoyait pour commander en sa place : c’était Sabinien, vieillard sans vigueur comme sans courage, trop peu connu jusqu’alors pour avoir droit de prétendre à un emploi si important, mais assez riche pour l’acheter de ces a gens de cour qui vendaient l’empereur et l’empire.

Dès que le bruit de ce changement se fut répandu, ce fut dans tout l’Orient un cri général. Toutes les villes témoignaient leurs regrets par des décrets honorables en faveur d’Ursicin: on gémissait de se voir enlever un puissant défenseur, qui avec de mauvaises troupes avait su si longtemps défendre cette partie de l’empire. L’incapacité de son successeur dans des circonstances si périlleuses augmentait le chagrin de sa perte. Ce même événement donnait aux Perses les plus belles espérances. Antonin conseillait à Sapor de ne pas s’arrêter à des sièges, toujours ruineux, mais de passer l’Euphrate, et de fondre rapidement sur ces riches provinces que la guerre avait épargnées depuis Valérien. Il s’offrait de le conduire à une conquête assurée. Ce conseil fut approuvé : on fit les préparatifs de cette brillante expédition. Ursicin revenait en Italie; il était déjà aux bords de l’Hèbre quand il reçut une seconde lettre du prince qui le renvoyait sur ses pas, mais sans emploi. Les eunuques avoient changé d’avis; ils avaient fait réflexion qu’en laissant Ursicin en Orient, ils pourraient lui imputer toutes les fautes de Sabinien, et donner à celui-ci tout l’honneur des succès.

Les rapports des espions et des transfuges s’accordaient sur les mouvements des Perses. On crut que leur dessein était d’attaquer Nisibe ; et comme Sabinien restait dans l’inaction, Ursicin y accourut pour mettre la ville en état de défense. Dès qu’il y fut entré, la fumée et les flammes qui se faisaient voir depuis les bords du Tigre jusque fort près de la ville annoncèrent l’arrivée des coureurs ennemis. Ursicin sortit pour les reconnaitre et s’avança jusqu’à deux milles de Nisibe. Il fut coupé au retour, et obligé de s’enfuir avec sa troupe vers le mont Isala, situé entre cette ville et celle d’Amide. Les ennemis le poursuivirent vivement à la faveur de la lune qui était dans son plein; et comme le pays qu’il traversait était une campagne toute découverte et sans aucune retraite, il était pris, si, pour donner le change, il n’eut fait attacher une lanterne sur la selle d’un cheval qu’on fit tourner vers la gauche, tandis qu’Ursicin prenait sur la droite du côté des montagnes. Les Perses suivirent cette lumière, et furent dupes de ce stratagème. L’historien Ammien Marcellin, attaché à la personne d’Ursicin, l’accompagnait dans ce péril. Ils arrivèrent à un lieu nommé Méjacarire, planté de vignes et d’arbres fruitiers : ce mot signifiait en Syrien sources d'eau fraîche. Les habitants avoient pris la fuite; on n’y trouva qu’un soldat qui s’y tenait caché; on l’amena au général. Ce malheureux s’étant coupé dans ses réponses, on le força par menaces à dire la vérité. Il déclara qu'il était Parisien; qu'il avait servi en Gaule dans la cavalerie, et que, par crainte d'un châtiment qu'il avait mérité, il s'était sauvé jusqu'en Perse ; qu'il s’y était marié, et qu’il avait plusieurs enfants; qu'étant employé en qualité d’espion, il avait souvent donné aux Perses de bons avis ; qu’actuellement Tamsapor et Nohodare, chefs des coureurs, l’avoient envoyé en avant pour prendre langue. Quand on eut tiré de lui les instructions dont on avait besoin, on le tua. Ursicin courut promptement à Amide, pour laquelle il craignait une surprise. Il y vit bientôt arriver des espions romains, dépêchés par Procope et par le comte Lucilien, ambassadeurs de Constance auprès de Sapor, et que ce prince retenait en Perse. L’avis qu’ils portaient était écrit sur un parchemin collé au-dedans du fourreau de leur épée. Il était conçu en termes énigmatiques, qui signifiaient que le roi de Perse, excité par le traître Antonin, allait passer l’Anzabas et le Tigre, dans l’intention de se rendre maître de tout l’Orient. Ursicin, pour avoir des connaissances plus précises, envoya dans la Gordyène Ammien Marcellin avec un centurion d’une fidélité reconnue. Le satrape de ce pays s’appelait Jovinien. Envoyé, dès sa première jeunesse en Syrie en qualité d’otage, il y avait pris le goût des lettres; et brûlant d’envie de revenir sur les terres de l’empire pour y passer sa vie, il entretenait avec les Romains une secrète intelligence. Ammien fut bien reçu, exposa le sujet de sa mission, et fut conduit par un guide fidèle sur un rocher fort élevé, d’où l’on découvrait une étendue de seize à dix-sept lieues de pays. Au troisième jour, il aperçut à l’horizon, au-delà du Tigre, une multitude immense: c’était l’armée des Perses conduite par Sapor, à la gauche duquel (cette place était chez les Perses la plus honorable) marchait Grumbate, roi des Chionites. Ce prince, quoiqu’il ne fût encore que de moyen âge, portait déjà sur son front les rides de la vieillesse, témoignage glorieux de ses travaux; son courage et ses exploits l’avoient rendu fameux dans tout l’Orient. A la droite de Sapor on voyait le roi d’Albanie. Ils étaient suivis d’un grand nombre de seigneurs, et d’une armée innombrable rassemblée de diverses nations, et composée de vieilles troupes accoutumées aux hasards et aux fatigues de la guerre.

Ces princes, ayant passé au-delà de Ninive, grande ville de l’Adiabène, s’arrêtèrent au milieu d’un pont sur le fleuve Anzabas, qui se décharge dans le Tigre. Ce fleuve est celui qui portait chez les Grecs le nom de Capros : ils y firent un sacrifice, et consultèrent les entrailles de la victime. Ammien jugea qu’il fallait au moins trois jours à une armée si nombreuse pour passer le fleuve, et il retourna porter ces nouvelles à Ursicin. On dépêche aussitôt des courriers à Cassien et à Euphrone, gouverneur de la province. Ceux-ci obligent les paysans de se retirer dans les places fortes avec leurs familles et leurs troupeaux; ils font évacuer la ville de Carres, qui n’était pas en état de soutenir un siège; et, pour ôter la subsistance aux ennemis, ils mettent le feu aux campagnes et consument les moissons et les fourrages; en sorte qu’il ne resta rien sur terre entre le Tigre et l’Euphrate. Cet incendie fit périr quantité de bêtes féroces, et surtout de lions, qui sont très cruels dans ces contrées, et qui s’y multiplieraient jusqu’à les rendre inhabitables, si la nature elle-même ne prenait soin de les détruire. Les ardeurs excessives de l’été produisent des essaims innombrables de moucherons, qui, s’attaquant aux yeux des lions, les mettent dans une telle fureur, que ces animaux vont se précipiter dans les fleuves, ou s’arrachent les yeux avec leurs griffes. En même temps on travaillait avec ardeur à fortifier les rives de l’Euphrate du côté de la Syrie; on y élevait des redoutes; on plantait des palissades, on établissait des batteries de catapultes et de balistes. Dans ce mouvement général, Sabinien, tranquille à Edesse, regrettant les théâtres où il avait passé sa vie, s’amusait à faire exécuter par ses soldats des danses militaires au son des trompettes et des clairons. Ursicin , quoique sans emploi, prenait sur lui tout le soin de la province et tout le fardeau du commandement; la nécessité, jointe à sa haute réputation, lui rendait l’autorité que la cabale lui avait ôtée.

Sapor traverse le Tigre et attaque Nisibe. Comme il y trouvait de la résistance, afin de ne pas perdre de temps, il l’abandonne et marche en avant. L’intérieur du pays n’était plus couvert que de cendres; il prend sa route par le pied des montagnes, pour ne pas manquer de fourrage. L’armée arriva à un bourg appelé Bébase; de là jusqu’à Constantine, nommée auparavant Nicéphorium, sur l’Euphrate, dans l’espace de plus de trente lieues, on ne voyait qu’une plaine aride, où l’on ne trouvait d’eau que dans un petit nombre de puits. Le roi se préparait à la traverser, comptant sur la patience de ses troupes, lorsqu’il apprit que l’Euphrate, grossi par la fonte des neiges, s’était débordé et n’était plus guéable. Embarrassé sur le parti qu’il avait à prendre, il assemble les chefs. On s’en rapporte à Antonin, comme à l’oracle de l’armée. Il conseille de prendre sur la droite et de remonter au nord, jusque vers la source de l’Euphrate, où l’on trouverait un passage facile : il promet d’y conduire les troupes par un pays abondant, que l’ennemi n’avait pas ruiné. On accepte ses offres, et toute l’armée marche à sa suite.

Sur la nouvelle de ce mouvement, Ursicin prend la route de Samosate, à dessein de rompre les ponts de Zeugma et de Çapersane, et de fermer aux Perses l’entrée de la Syrie. La lâcheté de ceux qui couvraient la marche le mit en grand péril. Deux corps de cavalerie, qui faisaient environ sept cents hommes, arrivés depuis peu d’Illyrie, étaient chargés d’observer l’ennemi et de garder les passages. Craignant eux-mêmes d’être attaqués, ils quittaient leur poste pendant la nuit, quand il était plus nécessaire de faire bonne garde, et s’écartaient du grand chemin pour boire et dormir à leur aise, Tamsapor et Nohodaire, qui commandaient l’avant-garde, composée de vingt mille chevaux, instruits de cette négligence, passent sans être aperçus, et vont se cacher derrière des hauteurs dans le voisinage d’Amide. Au point du jour, Ursicin et sa troupe commençaient à marcher vers Samosate, lorsque ses coureurs, ayant du haut d’une colline découvert l’ennemi qui s’avançait à toute bride, viennent donner l’alarme. On ne savait à quoi se résoudre: soit qu’on prit la fuite devant une cavalerie bien montée, soit qu’on essayât de combattre un nombre fort supérieur, la mort semblait inévitable. Pendant cette incertitude, on avait déjà perdu quelques soldats qui s’étaient hasardés à courir sur l’ennemi. Les deux partis s’approchent: Ursicin, ayant reconnu Antonin qui marchait à la tête des Perses , le charge de reproches, le traitant de perfide et de scélérat. Celui-ci, ôtant sa tiare, et se courbant jusqu’à terre, les mains derrière le dos, ce qui chez les Perses marque la plus profonde soumission : Pardonne-moi, dit-il, illustre comte, mon patron et mon maître : je mérite les noms que tu me donnes; mais la nécessité m’excuse en même temps qu’elle me rend criminel; c’est l’injustice de mes persécuteurs qui m’a jeté dans cette extrémité; tu ne le sais que trop, puisque ta haute fortune, qui protégeait ma misère n’a pu me défendre contre leur avarice.

Après ces paroles il se retire dans le gros de la troupe, mais sans tourner le dos, montrant par là le respect qu’il conservait pour Ursicin. Dans ce moment, quelques soldats de la queue placés sur une éminence s’écrient qu’ils voient arriver en grande hâte une multitude de cavaliers armés de toutes pièces. Les Romains se débandent aussitôt pour prendre la fuite. Mais, rencontrant partout une foule d’ennemis, ils se rallient en peloton. Résolus de vendre bien cher leur vie, et se battant en retraite, ils sont poussés jusqu’au Tigre, dont les bords étaient fort élevés. Une partie est renversée dans le fleuve; chargés de leurs armes, les uns restent enfoncés dans la vase, les autres sont engloutis dans les eaux: une autre partie combat et dispute sa vie; quelques-uns gagnent les défilés du mont Taurus. Entre ces derniers, Ursicin, reconnu et enveloppé d’un gros d’ennemis, s’échappe par la vitesse de son cheval avec un tribun nommé Aïadalthe, et un seul valet. Ammien Marcellin se sauve vers la ville d’Amide, où l’on ne pouvait arriver de ce côté-là que par un chemin escarpé et fort étroit. Comme les Perses montaient avec les fuyards, les habitants n’osaient ouvrir les portes. Les Romains passèrent la nuit sur la pente, resserrés entre les ennemis et les murailles; et la presse était si grande, que les morts, mêlés avec les vivants, demeuraient debout, faute de place pour tomber. Ammien rapporte qu’il eut toute la nuit devant lui un soldat dont la tête était fendue en deux parts d’un coup de cimeterre, et qui resta sur ses pieds comme un pieu fiché en terre. Cependant les pierres et les javelots partaient à tous moments du haut des murailles; et, passant par-dessus la tête des Romains , allaient chercher les ennemis. Au point du jour on Ouvrit une poterne. On pouvait à peine trouver place dans une ville assez petite, dont les rues étaient remplies d’une foule d’habitants des campagnes d’alentour. Une foire célèbre, qui se tenait dans ce temps de l’année, les y avait rassemblés de toutes parts.

Amide était forte par son assiette, par ses murailles, et bien pourvue de défenseurs. La cinquième légion, nommée Parthique, était attachée à la garde de cette place. A l’approche des Perses six autres légions s’y étaient rendues en diligence: c’étaient, entre autres, les soldats restés de l’armée de Magnence. L’empereur, se défiant de la fidélité de ces troupes, les avait envoyées en Orient, où l’on ne craignait de guerre que de la part des étrangers. Mais ces légions, comme nous l’avons déjà dit, ne ressemblaient que de nom aux anciennes; ce n’étaient, à proprement parler, que des cohortes. Il y avait encore vingt mille autres soldats, en comptant plusieurs escadrons de sagittaires, la plupart barbares, bien armés et pleins de courage.

Sapor, en partant de Bébase, avait pris sur la droite du côté d’Amide. Ayant rencontré sur sa route deux châteaux nommés Reman et Busan, qui appartenaient aux Romains, il apprit par les transfuges qu’on y avait retiré toutes les richesses du pays, et que la femme de Craugase , citoyen de Nisibe, distingué par sa naissance et par son crédit, célèbre elle-même par sa beauté, s’y était retirée avec sa fille en bas âge, et ce qu’elle avait de plus précieux. Sapor marché à ces châteaux: les habitants prennent aussitôt l’épouvante et donnent entrée aux Perses. On apporte aux pieds du roi tous les trésors; on amené devant lui les mères éplorées, serrant entre leurs bras et arrosant de leurs larmes leurs petits-enfants. Le roi se fait montrer la femme de Craugase, et lui ordonne d’approcher. Elle vient toute tremblante, et ne s’attendant qu’aux derniers outrages, enveloppée d’un voile de deuil, dont son visage même était couvert. Sapor, qui avait le cœur assez grand pour être maître de lui-même, sans vouloir alarmer la modestie de cette femme par une curiosité importune, ne s’occupe qu’à calmer sa douleur. Il la rassure, il lui fait espérer d’être bientôt rendue à son mari; il lui promet que son honneur ne souffrira aucune atteinte. Il savait que Craugase l’aimait éperdument; et il espérait acheter à ce prix la ville de Nisibe. Sapor voulut même en cette rencontre regagner les cœurs en effaçant par sa clémence les horreurs de sa cruauté passée : il voulut bien garder de la brutalité du soldat des filles chrétiennes qui avoient consacré à Dieu leur virginité, et défendit de les troubler dans le culte de leur religion.

Trois jours après il arrive devant Amide. Au lever de l’aurore les habitants voient du haut des murs toute la pleine et les coteaux d’alentour étinceler de l’éclat des armes. Au milieu d’une troupe de seigneurs et de rois de diverses nations, paraissait Sapor, distingué de tous les autres par la hauteur de sa taille, par l’éclat de ses habits, et par son casque d’or en forme de tête de bélier, semé de pierreries. Ce fier monarque, résolu, suivant l’avis d’Antonin, de pousser ses conquêtes jusque dans le cœur de l’empire, n’avait pas dessein de s’arrêter devant cette ville: il se flattait que les habitants, saisis de crainte, viendraient se jeter à ses pieds. Dans cette confiance, il s’approche jusqu’à être aisément reconnu. Mais bientôt les traits lancés de dessus les murailles lui firent voir la mort de si près, qu’une partie de son habit fut emportée par un javelot. Outré de fureur, et traitant cette hardiesse d’attentat sacrilège, il protestait qu’il ruinerait la ville de fond en comble, et donnait déjà ses ordres pour les préparatifs d’un siège meurtrier. Enfin, à la prière des principaux seigneurs, qui le conjuraient de ne pas sacrifier à sa vengeance tant de glorieux projets, il consentit à offrir le pardon aux habitants en les sommant de se rendre. Au point du jour, Grumbate, roi des Chionites, escorté de ses plus vaillants soldats, s’avançait hardiment vers les murs pour faire connaitre la volonté de Sapor, lorsqu’un tireur habile, le voyant à portée, perça de part en part à côté de lui son fils unique, qui, dans la première fleur de sa jeunesse, faisait déjà par sa bonne mine et par sa valeur la joie de son père et l’espérance de son pays. Ce coup jette d’abord l’effroi dans toute la troupe; ils prennent la fuite: mais bientôt, revenant sur leurs pas pour sauver le corps du jeune prince, ils appellent à leur secours le reste de l’armée. Les habitants font une vigoureuse sortie; on combat pendant tout le jour avec acharnement autour du corps, les uns pour l’enlever, les autres pour le défendre. Enfin, la nuit étant survenue, les Perses en demeurent les maîtres , et l’emportent à la faveur des ténèbres au travers du carnage. Tous les princes prirent le deuil, et partagèrent l’affliction du père. On suspendit les opérations du siège, et on fit les funérailles selon la coutume des Chionites. On plaça sur un lit élevé le corps revêtu de ses armes ordinaires; alentour étaient dressés dix autres lits mortuaires, sur chacun desquels était couchée une figure de cadavre représentée au naturel. Les soldats, partagés par bandes, buvoient et mangeaient en dansant et en chantant des airs lugubres  et les femmes, qui suivaient toujours en grand nombre les armées des Perses, pleuraient et poussaient de grands cris. Après ces cérémonies, qui durèrent sept jours, on brûla le corps, et on en recueillit les os dans une urne d’argent, que le père avait dessein de remporter dans son pays.

Pour satisfaire la vengeance de Grumbate, la résolution fut prise de détruire Amide. On donna aux troupes encore deux jours de repos, pendant lesquels on envoya faire le dégât dans les campagnes voisines, et l’on tint la ville enfermée de cinq rangs de tentes. Au commencement du troisième jour toute la plaine parut, à perte de vue, couverte d’une brillante cavalerie. Les nations auxiliaires tirèrent au sort chacune leur poste. Les plus redoutables par leur valeur étaient les Ségestans, au milieu desquels marchaient à pas lents des éléphants chargés de tours. L’aspect d’une si innombrable multitude ôtait l’espoir aux assiégés sans leur ôter le courage; ils résolurent de s’ensevelir sous les ruines de leur ville. L’ennemi resta tout le jour en présence sans faire aucun mouvement, et se retira au coucher du soleil, dans le même ordre qu’il était venu. Avant le jour il se rapproche au son des trompettes, et vient occuper les mêmes postes. Dès que Grumbate eut donné le signal (c’était une javeline teinte de sang qu’il lança contre la ville), les Perses, faisant avec leurs armes un bruit terrible, courent insulter la muraille; ils déchargent leurs traits; ils font jouer les machines qu’ils avoient enlevées de la ville de Singare, prise et pillée dans les courses précédentes. On leur répond du haut des murs; à coups de pierres, de dards, de javelots. La nuit vient; ils la passent sous les armes, et font retentir les échos d’alentour du nom de Constance et de celui de Sapor, auxquels ils donnent à l’envi les titres les plus pompeux. Au retour de l’aurore les trompettes sonnent; les décharges recommencent; la journée n’est pas moins meurtrière. Les assiégés se relèvent tour à tour. La nuit suivante les Perses prennent du repos; mais il n’en est point pour les assiégés. Ils s’occupent moins de leurs blessures que du soin de réparer leurs brèches, de rétablir leurs machines, et de se prémunir contre de nouvelles attaques.

Pendant ces sanglants combats, Ursicin, qui s’était sauvé à Edesse, pressoir Sabinien de partir en diligence avec les troupes légères, et de marcher secrètement par le pied des montagnes, pour enlever quelque poste aux ennemis, dont la circonvallation était très étendue, ou pour faire diversion par des alarmes fréquentes. Sabinien opposait à ces bons conseils les ordres de l’empereur, qui lui avait, disait-il, recommandé de ne pas exposer les troupes. Mais la vraie raison d’une inaction si honteuse, c’étaient d’autres ordres secrets qu’il avait reçus des eunuques, de fermer à son prédécesseur toutes les voies d’acquérir de la gloire, même en servant l’état. Ces lâches ennemis aimaient mieux voir périr les plus belles provinces que de laisser à ce brave capitaine l’honneur de les sauver. Ursicin envoyait en vain à Amide des courriers qui n’y pénétraient qu’avec peine : toutes les mesures qu’il prenait pour secourir la ville restoient sans exécution.

L’infection des cadavres qui demeuraient sans sépulture, les excessives chaleurs, la confusion de tant d’habitants resserrés dans un espace étroit, les maladies causées par les fatigues et les autres incommodités, causèrent la peste dans la ville. Elle n’y fit pas cependant beaucoup de ravage. Des pluies douces qui tombèrent la nuit d’après le dixième jour rendirent l’air plus pur, et ramenèrent la santé. La fureur de l’ennemi était beaucoup plus opiniâtre: il dressait des mantelets, il élevait des terrasses, il construisait des tours dont la face était couverte de lames de fer; les batistes placées sur ces tours nettoyaient les murs tandis que les frondeurs et les archers ne cessaient de lancer d’en bas une grêle de traits et de pierres. Au midi de la ville, du côté du Tigre, s’élevait une haute tour avancée sur l’angle de la muraille, et posée sur des roches escarpées. Un escalier souterrain pratiqué dans le roc, ainsi qu’il était d’usage dans toutes les places situées près du Tigre et de l’Euphrate, conduisit jusqu’au bord du fleuve pour aller puiser de l’eau à l’abri de l’ennemi. Comme cette tour n’était pas gardée, parce qu’on la croyait assez défendue par sa situation, soixante et dix sagittaires de l’armée des Perses, des plus hardis et des plus adroits, guidés par un déserteur, se glissent pendant la nuit dans le souterrain, et, étant montés jusqu’au troisième étage, ils y attendent le jour. Alors, ayant élevé en l’air une casaque rouge, comme ils en étaient convenus, tandis que toute l’armée s’approche des murs et les attaque plus vivement que jamais, ils ne cessent de lancer leurs traits dans la ville; et tous leurs coups sont meurtriers. En même temps les Perses montent à l’escalade, et gagnent déjà le haut des murs. Dans ce double péril les assiégés partagent la défense; ils pointent contre la tour cinq balistes, d’où partent de gros javelots, qui traversent souvent deux ennemis à la fois; les uns tombent percés de coups, les autres, d’effroi, se précipitent du haut de la tour et se brisent sur les rochers; on se bat sur la muraille; on renverse les assiégeants et les échelles. Les Perses, couverts de blessures, après une grande perte, sont forcés de regagner leurs tentes. On se reposa de part et d’autre le reste du jour et la nuit suivante.

Le lendemain matin on aperçut du haut des murs un nombre infini de prisonniers qu’on traînait au camp des Perses. Les partis ennemis avoient depuis quelques jours pris et brûlé plusieurs châteaux; entre autres celui de Ziata, très considérable par sa force et par son étendue, dont les fortifications embrassaient douze cent cinquante pas de circuit. Ils emmenaient beaucoup d’habitants; et comme il se trouvait parmi eux grand nombre de vieillards et de femmes qui ne pourvoient suivre, ces barbares les abandonnaient dans le chemin après leur avoir coupé les jarrets. Ce spectacle tirait des larmes aux habitants. Personne n’y fut plus sensible que les soldats de la Gaule. Ces guerriers , braves et alertes, fort propres à se battre en plaine, mais peu entendus dans les travaux d’un siège, gémissaient de ne trouver aucune occasion de signaler leur courage. S’ennuyant de cette inaction, ils sortaient étourdiment pour faire un coup de main, et revenaient toujours avec perte. Enfin, retenus par force, ils frémissaient d’impatience. Leur ardeur s’enflamma à la vue de ces malheureux prisonniers. Ils demandent à grands cris qu’on leur ouvre les portes; ils menacent même leurs officiers de les égorger, s’ils les tiennent plus longtemps dans cette contrainte; et, tels que des bêtes féroces, qui s’élancent avec fureur contre leurs barrières, ils hachent les portes à coups de sabre. On eut peine à gagner sur eux qu’ils attendissent la nuit pour aller avec moins de péril attaquer les postes les plus proches. Dès qu’elle fut venue, les Gaulois, armés de leurs haches et de leurs épées, sortent par une poterne, et s’approchent sans bruit de la première garde; ils lui marchent sur le ventre, massacrent la seconde garde, qu’ils trouvent endormie, et vont droit au camp, dans le dessein de pénétrer, s’ils peuvent, jusqu’à la tente de Sapor, et de le tuer au milieu de cent mille hommes. Les cris des premiers qu’ils égorgent donnent l’alarme à tout le reste. En un moment ils ont sur les bras des bataillons entiers; ils font ferme d’abord avec une audace incroyable, et reçoivent à grands coups d’épée ceux qui osent les approcher. Mais, bientôt accablés de traits, et trop faibles pour tenir tête à des flots de cavaliers et de fantassins qui grossissent sans cesse, et qui viennent fondre sur eux, ils reculent, mais à petits pas et sans tourner le dos. On sonne la retraite dans la ville, dont on ouvre les portes pour les recevoir; on fait jouer les machines, mais sans les charger, pour faire peur aux ennemis et ne pas risquer de tuer ces braves gens. Après avoir perdu quatre cents des leurs, ils rentrent avant le jour presque tous blessés, quelques-uns mortellement. Constance, pour conserver la mémoire d’une action si hardie, fit dresser dans la place publique d’Edesse les statues de leurs capitaines, revêtus de leurs armes. Le jour, étant venu, découvrit aux Perses la perte qu’ils avoient faite. Il se trouva entre les morts plusieurs satrapes et quelques-uns des principaux seigneurs. Tout le camp retentissait de cris. Les attaques furent suspendues pendant trois jours, dont les assiégés profitèrent pour se remettre de leurs fatigues.

Cette attaque inopinée irrita les barbares. Ils résolurent de périr devant Amide plutôt que de laisser subsister une ville qui leur coûtait déjà le plus pur sang de la Perse. Les assauts ayant été inutiles, ils mirent toute leur confiance dans les machines. Ils se hâtent d’en construire de toute espèce: ils multiplient les tours revêtues de fer et chargées de batistes. Au point du jour, couverts de toutes leurs armes défensives, bien serrés et en bon ordre, ils avancent à petits pas. Mais, dès qu’ils furent à la portée des machines, toutes leurs défenses deviennent inutiles contre les javelots, dont presque aucun ne manquait son coup. L’infanterie est obligée d’éclaircir ses rangs, et la cavalerie de reculer. Cependant les balistes des assiégeants, qui tiraient du haut des tours plus élevées que les murailles, faisaient dans la ville une terrible exécution; et, la nuit étant venue, les habitants songèrent au moyen de s’en garantir. On transporta en diligence, et l’on mit en batterie vis-à-vis de ces tours quatre machines nommées scorpions, propres à lancer de grosses pierres. Au matin, les Perses avancent avec les éléphants, dont les cris, mêlés à ceux des soldats, formaient un effrayant concert. Les traits qui s’élèvent de la plaine ou qui tombent des tours abattent ou blessent tous ceux qui paraissent sur la muraille. Mais bientôt les masses énormes de pierres lancées des quatre machines brisent les tours, démontent et mettent en pièces les balistes, écrasent ou précipitent les tireurs. On fait pleuvoir sur les éléphants des flèches enflammées. Les animaux, effarouchés, retournent sur les Perses, et les foulent aux pieds, sans que leurs guides puissent les retenir. On met le feu à tous les ouvrages des assiégeants. Jamais les rois de Perse ne s’exposaient dans les combats; mais Sapor, désespéré de tous ces désastres, accourt en personne au milieu des combattants; on tire de toutes parts sur lui et sur sa garde; il voit tomber à ses côtés un grand nombre de ses officiers; mais, toujours intrépide, bravant mille fois la mort, il ne se retire qu’à la fin du jour, et pour donner quelque relâche à ses troupes fatiguées de tant d’attaques.

Voyant toutes ses machines détruites et brûlées, et n’espérant plus rien des moyens qu’il a voit mis en œuvre jusqu’alors, il fit élever, tout près des murs, de larges terrasses qui les égalaient en hauteur. Ce travail coûta plusieurs jours, pendant lesquels les habitants en élevèrent de leur côté en-deçà des murs. Sur ces plateformes on combattit presque à coups de main comme sur un champ de bataille. L’acharnement et le mépris de la mort étaient égaux de part et d’autre. Enfin le moment fatal de la perte d’Amide arriva; la terrasse de la ville, trop chargée de combattants, s’éboula tout à coup comme si elle eût été ébranlée par un tremblement de terre; et comme elle surpassait la muraille en hauteur, la terre s’étant renversée du côté de l’ennemi, elle combla le peu d’intervalle qui restait entre les murs et la terrasse des Perses, et ouvrit à ceux-ci un large chemin. On accourt à la défense; mais la foule et l’empressement même embarrassent les défenseurs. Les corps qui tombent de part et d’autre s’amoncellent et favorisent le passage. Toute l’infanterie des Perses, que Sapor faisait monter à la file, se précipite dans la ville comme un torrent. On passe tout au fil de l’épée, sans distinction d’âge ni de sexe. Peu échappèrent au massacre, entre lesquels fut Ammien Marcellin, qui, après diverses aventures, ayant traversé avec grand péril des plaines couvertes de fuyards et d’ennemis, gagna enfin l’Euphrate par les forêts et les montagnes. Il passa à Mélitine, où il retrouva Ursicin, et il retourna avec lui à Antioche.

La longueur de ce siège mit les Perses hors d’état d’entreprendre des conquêtes plus éloignées. L’automne était déjà avancée, et Sapor, après la destruction de la ville, ne songeait qu’à retourner dans son royaume avec les prisonniers et le butin. Il fit inhumainement mettre en croix le comte Elien et les tribuns, dont la capacité et la valeur lui a voient fait perdre tant de sang. Il commanda de rechercher et d’égorger sans miséricorde, comme déserteurs , tous les habitants des pays d’au-delà du Tigre qui se trouvèrent dans la ville. Il emmena captifs Jacques et Cæsius, officiers du général de la cavalerie, avec ceux qui restaient des soldats de la garde, les mains liées derrière le dos. La femme de Craugase, toujours traitée avec honneur, était inconsolable de s’éloigner de Nisibe. Veuve du vivant même de son mari, elle ne voyait d’autre remède à sa douleur que de l’attirer en Perse. Elle lui dépêche secrètement un esclave fidèle qui s’introduit dans Nisibe, et lui remet une lettre dont elle l’avait chargé : elle le conjurait par les prières les plus tendres de venir changer en jours heureux des jours qu’elle passerait sans lui dans les soupirs et dans les larmes. Craugase donna parole d’aller rejoindre sa femme à la première occasion; et le messager retourna porter à sa maîtresse une si agréable nouvelle. Tout était préparé; elle avait déjà obtenu de Sapor qu’il voulût bien, avant que de quitter le pays, favoriser l’évasion de son mari. L’absence de l’esclave, qui avait tout à coup disparu, donna du soupçon aux commandants de Nisibe. On menace Craugase, on l’accuse d’une intelligence secrète. Pour détourner les défiances, il demande en mariage une fille de qualité; et, sous prétexte d’aller faire les apprêts de la fête nuptiale, il prend la route d’une maison de campagne qu’il avait à huit milles de Nisibe. Il est enlevé en chemin par un parti de cavaliers perses envoyés exprès. On le conduit au camp de Sapor, qui le comble de faveurs. Il eut peu après la douleur de perdre sa femme mais il conserva les bonnes grâces du roi, auprès duquel il tenait le premier rang après Antonin. Celui-ci, plus habile et plus exercé aux affaires, était principalement écouté, et le succès justifiait toujours ses conseils. Sapor se retira triomphant en apparence, mais en effet pénétré de douleur d’avoir si chèrement acheté la prise d’une seule ville. Pendant soixante et treize jours que dura le siège, il perdit trente mille hommes, que l’on compta morts sur le champ de bataille après son départ. Il était aisé de distinguer les corps des Romains de ceux des Perses: les premiers se corrompaient aussitôt, et après quatre jours ils n’étaient plus reconnaissables: au contraire, les Perses se. déséchouent sans perdre leur forme et sans se corrompre; ce qu’Ammien attribue à leur frugalité et à la sécheresse de leur tempérament, causée par les chaleurs du climat qu’ils habitent.

L’opiniâtre résistance de cette ville infortunée causa sa ruine, mais elle sauva la Syrie. Tandis que les Perses menaçaient l’Orient, Constance ne songeait qu’à défendre l’arianisme. Il eut, pour le malheur de la religion, plus de succès que Sapor, et il fit cette année à l’Eglise des plaies plus profondes que les Perses n’en purent faire à l’empire. Il était revenu à Sirmium après la destruction des Limigantes; il y assista à une assemblée de huit évêques; c’était le préliminaire des deux conciles indiqués pour cette année. La doctrine des demi-ariens, qui dominait alors à la cour, y fut confirmée par un nouveau formulaire. Pendant ce temps-là les évêques d’Occident se rendaient à Rimini, et ceux d’Orient à Séleucie. Le concile de Rimini s’ouvrit au mois de juillet. Sulpice Sévère, qui paraît avoir été le mieux instruit, dit qu’il s’y trouva plus de quatre cents évêques, dont quatre-vingts étaient ariens. L’empereur voulait les défrayer aux dépens du trésor; mais il n’y en eut que trois qui, à raison de leur indigence, acceptèrent cette libéralité. Taurus, préfet du prétoire d’Italie, eut ordre d’assister à l’assemblée, et de ne point permettre aux prélats de se séparer qu’ils ne fussent d’accord : on lui promit le consulat, s’il procurait cette réunion, c’est-à-dire, s’il faisait triompher l’arianisme dans l’église d’Occident. Après de longues contestations, le concile confirma la foi de Nicée, condamna de nouveau la doctrine d’Arius, et prononça la sentence de déposition contre les prélats obstinés à défendre l’hérésie. On peut dire que là se termina le vrai concile; la foi jusque-là ne reçut aucune atteinte; et saint Athanase ne considère que cette première partie, quand il parle avantageusement du concile de Rimini. Le reste ne fut que séduction et violence. On envoie à l’empereur, selon ses ordres, dix députés pour lui rendre compte: c’étaient de jeunes évêques sans expérience. Les ariens députent de leur côté des vieillards rusés et artificieux, qui préviennent Constance, fatiguent, intimident, enfin séduisent les envoyés catholiques jusqu’à les engager à trahir le concile et à signer le contraire de ses décisions. Ils retournent, et sont d’abord mal reçus. Mais Taurus met tout en œuvre pour ébranler les évêques qu’on retenait malgré eux à Rimini. Les intrigues, les menaces, les incommodités d’une longue absence firent enfin succomber les plus fermes, ou, pour parler plus juste, ils se laissèrent surprendre par les sollicitations et les larmes même de Taurus, et par les artifices de Valens. Ils signèrent une profession de foi équivoque, dont ils n’apercevaient pas le venin, mais qui recelait le pur arianisme. Bientôt les ariens lèvent le masque, et, selon l’expression de saint Jérôme, le monde chrétien gémit de cette surprise, et s’étonna de se voir devenir arien. Les évêques, de retour dans leurs diocèses , ouvrent les yeux, et désavouent avec horreur les décrets de Rimini. Ils se joignent au pape Libère, et à ceux qui n’avoient point eu de part à cette faute. Ce fut la source d’une persécution nouvelle, pendant laquelle saint Gaudence, évêque de Rimini, fut tué à coups de pierres et de bâtons par les soldats du président Marcien. L’erreur trouva encore moins d’obstacle à Séleucie. Le concile y commença le 27 de septembre. De cent soixante évêques il n’y eut que saint Hilaire, alors relégué en Phrygie, et douze ou treize évêques d’Egypte qui soutinrent la consubstantialité. Le questeur Léonas et Laurice, général des troupes d’Isaurie, assistaient aux séances. Le concile se divise; les purs ariens font à part leur profession de foi; les demi-ariens s’en tiennent à celle du concile d’Antioche assemblé en 341. Ils s’anathématisent mutuellement et se séparent sans rien conclure. Les chefs des deux partis se rendent à Constantinople, où était alors l’empereur, qui faisait sa principale affaire des succès de l’hérésie; et quoiqu’il dût entrer au premier jour de janvier dans son dixième consulat, cérémonie brillante et qui demandait de grands préparatifs, il passa le dernier de décembre, et presque toute la nuit suivante, à faire signer aux députés de Séleucie et aux autres évêques la formule de Rimini. On tient à Constantinople un nouveau concile, où les anoméens remportent tout l’avantage. Macédonius, Basile d’Ancyre et les autres évêques demi-ariens sont déposés. Eudoxe passe du siège d’Antioche à celui de Constantinople, et prêche publiquement des blasphèmes dans la cérémonie de la dédicace de Sainte-Sophie, le quinzième de février de l’an 360. La profession de Rimini se répand partout l’empire et fait d’horribles ravages : on exile ceux qui refusent d’y souscrire. Au milieu de ce désastre saint Hilaire obtient, par une providence particulière de Dieu, la permission de retourner en Gaule: il y arrive pour soutenir la foi ébranlée jusque dans ses fondements. Par une bizarre inconséquence, suite ordinaire de l’erreur, Constance exile Aetius, chef des anoméens, et consent à faire évêque de Cyzique Eunomius, le plus dangereux de ses disciples; mais peu après il est obligé de forcer Eudoxe à le déposer. Eudoxe ayant été transféré à Constantinople , Constance assemble un concile dans la ville d’Antioche pour l’élection d’un évêque. Après bien des brigués et des cabales, les ariens jettent les yeux sur Mélèce, déjà évêque de Sébaste, qu’ils croient dans leur parti. Plusieurs catholiques consentent à ce choix, et le décret d’élection est déposé entre les mains d’Eusèbe, évêque de Samosate. L’événement fit voir que les catholiques avaient le mieux connu le nouvel évêque. A peine est-il élu, qu’il se déclare hautement pour la foi de la consubstantialité. Constance, irrité, l’exile un mois après à Mélitine, dans l’Arménie mineure, et, à la sollicitation des ariens, il envoie à Samosate redemander à Eusèbe l’acte d’élection. Ce généreux prélat refuse de le remettre, à moins que tous ceux qui lui ont confié ce dépôt ne soient assemblés. L’empereur l’envoie sommer une seconde fois, et lui mande qu’en cas de refus il a ordonné qu’on lui coupât la main droite. Eusèbe, après la lecture de cette lettre, présente les deux mains. Coupez-les toutes deux, dit-il, mais je ne remettrai jamais à l’empereur un acte dont un concile m’a rendu dépositaire. Ce n’était qu’une feinte de la part de Constance; l’envoyé avait ordre de ne pas exécuter cette menace; et l’empereur ne put s’empêcher d’admirer la fermeté du prélat. Mais il ne s’adoucit point en faveur de Mélèce; il fit nommer en sa place Euzoïus, qui, dès l’origine de l’hérésie, avait partagé les erreurs et les anathèmes d’Arius. De ce moment il y eut trois partis dans l’église d’Antioche: les ariens, qui reconnaissaient Euzoïus; les méléciens; ceux-ci étaient catholiques et unis de communion avec Mélèce; les Eustathiens; on appelait ainsi les orthodoxes, qui, n’ayant reconnu aucun évêque depuis l’injuste déposition d’Eustathe, restèrent séparés de Mélèce, parce qu’ils ne pouvaient se résoudre à recevoir un évêque de la main des hérétiques. Les prélats ariens assemblés à Antioche dressèrent encore un nouveau formulaire, où la doctrine des anoméens se manifestait sans aucun déguisement. Mais les cris qui s’élevèrent contre eux les forcèrent d’en revenir à la formule de Rimini. C’est ainsi que les flots de l’hérésie tantôt s’élançant avec audace, tantôt se repliant sur eux-mêmes, emportaient l’empereur, qui jusqu’à la fin de sa vie, poussé d’erreur en erreur, fut sans cesse le jouet des différentes cabales, soit dans l’Eglise, soit dans sa cour.

Julien acquérait autant d’estime que Constance attirait de mépris. Rien n’était plus opposé que la conduite des deux princes. Le César, après avoir passé l’été à soumettre les barbares, employait le temps de l’hiver à rétablir les provinces. Il modérait le fardeau des impôts, il réprimait les usurpations, il enchaînait l’avarice de tous ces hommes de sang et de rapine qui ne s’enrichissent que des perles publiques : il veillait avec tant d'attention sur les magistrats, qu’ils ne pouvaient s’écarter des règles de la justice. Son exemple était pour les juges une loi vivante plus forte que toutes les autres lois. Il se chargeait lui-même des affaires importantes, et les jugeait avec la plus scrupuleuse intégrité. Un gouverneur fut accusé de concussion devant Florence. Celui-ci, coupable du même crime, ne fut pas assez, hardi pour condamner son semblable : sa colère se tourna contre l’accusateur, et le concussionnaire fut absous. L’injustice était trop évidente; les murmures éclatèrent, et Florence, pour se mettre à couvert, pria Julien de revoir le procès: il se flattait que le César n’oserait casser sa sentence. Julien refusa d’abord; il s’excusa sur ce qu’il ne lui appartenait pas de réformer le jugement d’un préfet du prétoire. Enfin, pressé de prononcer, il décida en faveur de la vérité et de la justice. Florence s’en vengea à son ordinaire, en écrivant contre lui à la cour. La sévérité de Julien n’empruntait rien de l’humeur ni du caprice; elle était toujours éclairée, et n’agissait qu’autant qu’elle était guidée par la certitude des faits. On accusa encore de concussion devant lui Numérius, qui avait gouverné la province narbonnaise. Julien voulut le juger dans une audience publique; l’accusé se défendait fortement en niant les faits, et les preuves manquaient pour le convaincre. Alors l’accusateur Delphidius, qui plaidait avec chaleur, s’écria d’un ton d’impatience : Eh! César; qui sera jamais coupable, si l'on est quitte pour nier les faits! Et qui sera jamais innocent, repartit Julien, si pour être coupable il suffit d'être accusé?

La campagne précédente avait soumis une partie de l’Allemagne: mais il y restait encore des princes ennemis. Afin de pénétrer leurs desseins, Julien envoya a la cour d’Hortaire, allié des Romains, un tribun dont il connaissait la fidélité, l’intelligence, et qui savait la langue allemande. Celui-ci, revêtu du caractère d’ambassadeur, avait ordre de s’approcher de la frontière des barbares, auxquels on avait dessein de faire la guerre, et d’observer leurs mouvements. Pendant ce temps-là Julien rassemble ses troupes; il visite les villes qui avoient été détruites sur les bords du Rhin, et achève de les rétablir. Les nouveaux alliés, comme ils y étaient obligés par le traité, fournissaient la plupart des matériaux. Les soldats, que de pareils travaux rebutent pour l’ordinaire, s’y portaient de bon cœur par amour pour Julien. On mit en état de défense sept villes, dont les plus connues sont Nuys, Bonn, Andernach et Bingen. Les magasins pour serrer le blé qu’on apportait de la Grande-Bretagne avoient été réduits en cendres; ils furent bientôt rétablis et pourvus de grains. Le préfet Florence joignit Julien avec le reste de l’armée, et des provisions pour plusieurs mois.

Le tribun vient rendre compte à Julien, et l’armée marche à Mayence. Florence et Lupicin, qui avoit succédé à Sévère, mort depuis peu, voulaient qu’on passât le Rhin en cet endroit, comme on avait fait les deux années précédentes. Le César s’y opposait : le pays d’au-delà appartenait à Suomaire; il craignait d’offenser ce nouvel allié, en faisant passer sur ses terres des soldats toujours avides de pillage. Les Allemands, qu’on allait attaquer, menaçaient de leur côté Suomaire de s’en prendre à lui, s’il n’arrêtait les Romains. Sur la réponse qu’il leur fit qu’il n’était pas en état de résister seul, toute l’armée des barbares vint camper vis-à-vis de Mayence pour disputer le passage. On ne pouvait, sans un péril évident, l’entreprendre à la vue de tant de forces réunies. Ainsi, l’avis de Julien prévalut : on remonta le fleuve pour chercher un endroit commode à l’établissement d’un pont. Les barbares firent le même mouvement, et, suivant le long du fleuve la marche de l’armée Romaine, ils s'arrêtaient quand ils la voyaient camper, et faisaient bonne garde pendant la nuit. Après plusieurs jours de marche, Julien fit retrancher ses troupes, et chargea d’ordres secrets quelques officiers de confiance. Ils choisirent trois cents soldats braves et dispos, qui ne savaient pas où on les conduisit, et ils les firent embarquer de nuit dans quarante bateaux. Ils descendirent le fleuve en se laissant aller au fil de l’eau, sans se servir de rames, de peur d’être entendus des ennemis. Après avoir dépassé d’assez loin le camp des Allemands, ils débarquèrent sur la rive droite. Le roi Hortaire avait cette nuit-là invité à un grand festin les rois et les princes de l’armée ennemie. Ce n’était pas qu’il eût dessein d’entrer dans leur ligne : mais quoi­qu’il fût ami des Romains, il l’était aussi de ces princes, et il voulait observer avec eux tous les égards du bon voisinage. Le repas avait duré longtemps, selon l’usage de la nation, et les conviés revenaient au camp en belle humeur lorsqu’ils furent rencontrés par le détachement qui avait passé le fleuve. Les princes échappèrent à la faveur des ténèbres et de la vitesse de leurs chevaux : mais presque tous les gens de leur escorte qui les suivaient à pied restèrent sur la place. L’alarme se répand dans le camp; on croit que toute l’armée romaine est déjà en-deçà du Rhin; c’est à qui fuir avec plus de vitesse; chacun s’empresse de gagner l’intérieur du pays, et d’y mettre en sûreté sa femme et ses enfants. Les Romains, ne trouvant plus d’obstacle, jettent leur pont, et traversent le pays d’Hortaire sans y faire de ravage.

Quand ils furent entrés sur les terres des ennemis, ils mirent tout à feu et à sang. On abattait les cabanes, on passait les habitants au fil de l’épée. Après qu’on eut désolé tout le canton, on arriva dans un lieu nommé Palas, où étaient dressées des pierres qui servaient de bornes entre le pays des Allemands et celui des Bourguignons. L’armée s’y arrêta pour recevoir deux rois, nommés Macrien et Hariobaude : ils étaient frères, et venaient demander la paix, qu’ils obtinrent. Vadomaire, dont nous avons déjà parlé, et qui régnait dans le pays qu’on nomme aujourd’hui le Brisgaw, se rendit aussi au camp. Il apportait des lettres de recommandation de Constance. On le reçut avec honneur, comme un vassal de l’empire, mais il n’obtint pas une réponse favorable. Il venait implorer la clémence des Romains pour trois princes qui s’étaient trouvés à la bataille de Strasbourg, et qui, voyant approcher le vainqueur, avoient recours aux prières. C’étaient Urie, Ursicin et Vestralpe. Julien, connaissant la légèreté de ces barbares, craignit que, s’il les tenait quittes pour des excuses et des soumissions verbales, ils ne se fissent un jeu de reprendre les armes dès qu’il serait éloigné. Il voulut donc leur faire sentir ce qu'il en coutait pour attaquer l’empire. On brûla les moissons et les habitations; on tua, on enleva un grand nombre de leurs sujets. Quand on les eut ainsi punis, on écouta leurs supplications, et l’on traita avec eux aux mêmes conditions qu’avec leurs voisins: on les obligea surtout à rendre tous les captifs. Lorsque Julien eut repassé le Rhin, un de ces princes qui venait de donner son fils en otage l’envoya aussitôt redemander avec menaces, sans avoir rendu les prisonniers. Julien remit le jeune prince entre les mains des députés: Remenez-le à son père, leur dit-il; un enfant n’est pas seul une caution suffisante pour un si grand nombre de braves gens qui valent mieux que lui. Il écrivit en même temps au père en ces termes: Je vous envoie à mon tour des députés ; ayez à leur remettre tous les prisonniers que vous avez en votre pouvoir, et dont le nombre monte à plus de trois mille; ou n’imputez qu’à vous seul les suites funestes de votre perfidie. En même temps il part de Spire à dessein de repasser le fleuve. Le roi allemand n’attendit pas l’orage; il renvoya promptement tous les Gaulois qu’il avait enlevés dans ses incursions. Cette campagne couronna les succès de Julien dans la Gaule; et ces quatre années furent la partie la plus brillante de sa vie. L’hiver suivant, tandis qu’il se reposait des fatigues de la guerre dans des occupations plus tranquilles, mais qui n’étaient pas moins salutaires à la province, ses ennemis travaillaient à la cour à le désarmer pour le détruire. Leur malignité alla si loin, qu’elle lassa la patience des soldats de la Gaule. Le César se vit forcé, du moins en apparence, d’accepter le titre d’Auguste, comme nous l’allons raconter.