HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |
LIVRE SIXIÈMECONSTANTIN II, CONSTANT, CONSTANCE.
La mort de Constantin donnait lieu à
de grandes inquiétudes. Plus il s’était acquis de gloire, plus on craignait que ses
fils ne fussent pas en état de la soutenir. Les politiques observaient que, de
tous les successeurs d’Auguste, Commode avoir été le seul qui fût né d’un père
déjà empereur; et cet exemple, unique jusqu’aux enfants de Constantin, était
pour ceux-ci de mauvais augure. Ils remarquaient encore que la nature avait
pour l’ordinaire fort mal servi l’empire: plusieurs de ceux que l’adoption avait
placés sur le trône s’en élogient montrés dignes; mais, à l’exception de Tite et de
Constantin lui-même, les Césars qui avoient succédé à
leurs pères, en avoient toujours dégénéré. A ces réflexions générales se joignaient
celles que faisait naître le caractère particulier des nouveaux
empereurs. Ils n’avoient pas pleinement répondu à l’excellente éducation qu'ils
avoient reçue. Constantin , l’aîné des trois, était celui qui ressemblait le
plus à son père: il avait de la bonté et de la valeur; mais il était
ambitieux, fougueux, imprudent. Constant, le plus jeune, laissait déjà apercevoir
un penchant pour les plaisirs qui ne pouvait devenir que plus dangereux dans
la puissance souveraine; et Constant était tout ensemble faible et
présomptueux; fait pour être l’esclave de ses flatteurs, pourvu qu’ils
voulussent bien lui laisser croire qu’il était le maître; se croyant grand
capitaine parce qu’il était adroit à tirer de l’arc, à
monter à cheval, et qu’il réussissait dans tous les exercices militaires. La
jeunesse de ces princes, dont l’aîné n’avait que vingt ans, et les
contestations qui pourvoient naître du partage de l’empire augmentaient
encore les alarmes.
Le testament de Constantin fut remis, suivant ses ordres, entre
les mains de Constance. Il appelait à la succession, avec ses trois fils, ses
deux neveux , Delmace et Hannibalien. Mais les armées, les
peuples et le sénat de ne voulaient reconnaître pour maîtres que ses enfants:
ils les proclamèrent seuls Augustes; c’était donner l’exclusion a ses neveux.
Ce zèle bizarre, qui prétendait honorer la mémoire de Constantin en s’opposant
à ses dernières volontés, se porta jusqu’à la fureur. Les soldats prirent les
armes, et commencèrent les massacres par celui du jeune Delmace, le plus
aimable de tous les princes de cette famille. Son frère le suivit de près. Delmace,
leur père, surnommé le Censeur, était mort. Les meurtriers n’épargnèrent
pas les deux autres frères de Constantin, Jule Constance et Hannibalien. On
égorgea encore cinq neveux du défunt empereur, dont on ignore les noms: l’un était
le fils aîné de Jule Constance. Ses deux autres fis, Gallus, âgé de onze à
douze ans, et Julien, âgé de six, allaient périr dans le sang de leur père et
de leur frère; mais on ne crut pas qu’il fût besoin d’ôter la vie à Gallus,
qui, étant malade, semblait près de mourir. Julien fut sauvé par Marc, évêque
d’Aréthuse, qui le cacha dans le sanctuaire, sous l’autel même. On ne sait par
quel moyen échappa Népotien, fils d’Eutropie, sœur de
Constantin. On n’a jamais reproché ces meurtres à Constant ni à Constantin le
jeune. Plusieurs historiens les attribuent à Constance; d’autres l’accusent
seulement de ne s’y être pas opposé. Saint Grégoire de Nazianze paraît en rejeter toute l’horreur sur les soldats. Constance lui-même s’en est
reconnu coupable, s’il en faut croire Julien, qui rapporte,
sur le témoignage des courtisans de ce prince, qu’il s’en repentit, et qu’il pensait
que la stérilité de ses femmes et les pertes qu’il essuya dans la guerre contre
les Perses en étaient la punition. Les trois princes, délivrés de tous ceux
dont il pouvaient craindre la concurrence, prirent le titre d’Augustes le
neuvième de septembre.
Les
soldats se firent payer de ces forfaits par la liberté d’en commettre de
nouveaux. Ils se crurent en droit de donner la loi à leurs maîtres, et de
réformer leur conseil. Ils massacrèrent les principaux courtisans de Constantin,
dont quelques-uns avoient abusé de sa faveur, et les laissèrent sans sépulture.
On distingue entre les autres le Patrice Optât, ce personnage célèbre, dont
j’ai parlé sur l’année 334, où il fut consul, et Ablave,
préfet du prétoire. Celui-ci s’était élevé de la plus basse naissance. On
croit qu’il était chrétien, et les auteurs païens confirment cette opinion par
leur acharnement à le décrier. Ils lui imputent la mort de Sopâtre,
que nous avons racontée. Il avait à Constantinople une maison qui égalait en
magnificence celle de l’empereur, et qui fut dans la suite le palais de Placidie, fille du grand Théodose. Son caractère aigrissait
encore l’envie. Il était fier de son mérite et de ses services. Après avoir
franchi l’espace immense qui se trouvait entre sa naissance et le rang qu’il occupait,
il ne croyait rien au-dessus de lui, pas même la couronne impériale. Constantin,
qui ne voyait que ses bonnes qualités, lui avait recommandé son fils Constance. Ablave se regardait comme le tuteur du jeune prince,
et presque comme son collègue. On s’étonnait même qu’il voulût bien se
contenter du second rang. La jalousie du souverain et la haine des soldats qui
demandèrent son éloignement renversèrent en un moment cet édifice de grandeur.
Dépouillé de sa dignité, il se retira en Bithynie, où il espérait se reposer
sur les trésors qu’il avait accumulés.
Mais
peu de jours après arrivèrent de Constantinople des officiers de l’armée, qui,
selon les ordres de Constance, lui présentèrent à genoux des lettres, par lesquelles
on lui donnait le titre d’Auguste. Cet homme vain, déjà rempli de toute la
fierté d’un empereur, demanda avec hauteur où était la pourpre. Ils répondirent
que ceux qui étaient chargés de la lui présenter attendaient ses ordres. Dès
qu’il eut fait signe qu’on les fît entrer, les soldats qui étaient restés à la
porte se jetèrent sur lui, et le mirent en pièces. Il laissait une fille en
bas âge, nommée Olympias, déjà fiancée à Constant. Ce prince ne l’abandonna pas
après la mort de son père : il l’éleva pour en faire son épouse; et comme il
mourut avant que d’avoir exécuté ce dessein, Constance la donna en mariage à Arsace, roi d’Arménie.
On aurait
peut-être pardonné à Constance la mort d’Ablave, s’il
l’eût remplacé par le choix d’un bon ministre. Mais celui qui succéda à la
faveur de cet ambitieux était un homme dont l’ambition fut le moindre vice.
L’eunuque Eusèbe, grand chambellan du prince, et peut-être l’auteur secret de
tous ces massacres, s’éleva sur tant de ruines; il devint l’arbitre de la cour.
On disait par raillerie que Constance avait beaucoup de crédit auprès de son
chambellan. Celui-ci était vain, fourbe, avare, injuste, cruel, et arien
passionné. Il remplit tout le palais d’ariens et d’eunuques; et c’est du règne
de Constance qu’on peut dater le commencement de l’énorme puissance de ces
ministres de volupté, qui, destinés par la jalousie des Orientaux à garder les
femmes, et formés aux plus basses intrigues, s’emparèrent de l’esprit des
empereurs, et parvinrent à gouverner l’empire.
La
mort du jeune Delmace et de son frère Hannibalien troublait l’ordre établi par
Constantin dans sa succession. La Thrace, la Macédoine, l’Achaïe, c’est-à-dire
la Grèce, qu’il avait données à Delmace; l’Arménie mineure, le Pont et la
Cappadoce, qui composaient le royaume
d'Hannibalien, restaient à distribuer entré les trois empereurs. L’année
suivante, sous le consulat d’Ursus et de Polémius, ils se rendirent en Pannonie pour convenir d’un
nouveau partagé. M. de Tillemont suppose qu’il y eut deux entrevues entre ces
princes; l'une à Constantinople, où la Thrace fut donnée à Constantin,
qui, selon la chronique d’Alexandrie, régna un an à
Constantinople, l’autre en Pannonie, où ce partage fut changé. L’entrevue de
Constantinople, fort embarrassante pour l’histoire, n’est fondée que sur le
témoignage des nouveaux Grecs. Il me paraît plus convenable de rejeter ce
témoignage, dont M. de Tillemont lui-même ne fait pas pour l’ordinaire plus de
cas qu’il ne mérite, aussi-bien que celui de la Chronique d’Alexandrie, qui
n’est pas à beaucoup près exempte d’erreurs; et de s’en tenir au récit de
Julien. Il doit avoir été le mieux instruit des événements de ces
temps-là; et il ne dit pas un mot ni de la convention faite à Constantinople,
ni de l’autorité du jeune Constantin dans cette ville. Si l’on veut s’arrêter
aux titres et aux dates des lois, qui ne sont pas non plus les monuments les
plus certains de l’histoire, il faudra dire que Constantin le jeune avait fait
un voyage à Thessalonique dès la fin de l’année précédente, apparemment pour y
conférer d’avance avec son frère Constant. Il devait en effet être le plus empressé
à solliciter un nouvel arrangement, parce que les états, devenus vacants par la
mort de Delmace et d’Hannibalien, confinaient avec ceux de ses frères, et n’étaient
nullement à sa bienséance.
Les trois princes s’étant donc assemblés vers le mois
de juillet en Pannonie, partagèrent ainsi la nouvelle succession.
Constance eut pour sa part tout ce qui avait été donné à
Hannibalien, en
sorte qu’il posséda sans exception l’Asie entière et l’Egypte. Des états
de Delmace il eut la Thrace et Constantinople, supposé que cette ville n’eût
pas été
dès auparavant détachée de la Thrace, et donnée à Constance par Constantin
même, comme il y a lieu de croire. Constant, qui possédait déjà l’Italie,
l’Illyrie et l’Afrique, y joignait la Macédoine et la Grèce. Il paraît que
Constantin fut celui qui gagna le moins dans ce partage. Il avait déjà les
Gaules, la Grande-Bretagne , et l’Espagne, dont la Mauritanie tingitane était
alors considérée comme une dépendance: il ne remporta que des prétentions sur
l’Italie, et des droits contestés sur l’Afrique, dont Constant lui cédait une
partie et lui disputait l’autre: ces différends entre les deux frères
éclatèrent bientôt par une rupture funeste à l’un des deux.
On convint dans cette conférence du rappel des évêques
catholiques, que Constantin, abusé par les hérétiques, avait exilés à la fin de
sa vie. Constance était depuis longtemps livré aux ariens: après la mort de
son père il s’était ouvertement déclaré en leur faveur. Ce prêtre
suborneur dont j’ai parlé, déjà maître absolu de l’esprit de l’impératrice, s’était
insinué bien avant dans la confiance du nouvel empereur; il n’avait pas manqué
de lui faire valoir sa fidélité à lui remettre le testament de Constantin, dont
le prince avait lieu d’être content. Les deux Eusèbes,
l’évêque de Nicomédie et l’eunuque secondaient cet imposteur; et la cour,
toujours esclave des favoris, n’osait penser autrement. Cependant le jeune
Constantin vint à bout de rendre aux églises les évêques que la calomnie en avait
chassés. Dès avant son départ de Trêves, il avait adressé au peuple catholique
d'Alexandrie une lettre datée du 17 de juin, dans laquelle il supposait que son
père n’avait relégué Athanase en Gaule que pour le soustraire à la fureur de ses
ennemis; il déclarait qu’il s’était efforcé d’adoucir l’exil de cet homme
apostolique en lui rendant les mêmes honneurs que le prélat aurait pu recevoir
à Alexandrie; il admirait sa vertu soutenue de la grâce divine, et supérieure
à toutes les adversités: Puisque mon père, ajoutait-il, avait
formé le pieux dessein de vous rendre votre évêque, et qu'il ne lui a manqué
que le temps de l’exécuter, j’ai cru qu'il était du devoir de son successeur de
remplir ses intentions. Comme Alexandrie était dans le
partage de Constance, le jeune Constantin, pour ne pas donner d’ombrage à son
frère, ne prenait dans cette lettre que le titre de César. Il mena avec lui
Athanase en Pannonie. Constant, animé du même zèle, le seconda par ses
instances. Ils parlèrent avec fermeté, et forcèrent leur frère à consentir,
malgré les favoris, au retour des exilés. Athanase se présenta à Constance dans
la ville de Viminac; il continua son voyage par
Constantinople, où il s’arrêta quelques jours. En passant par la Cappadoce, il
vit encore à Césarée Constance qui revenait de Pannonie en Syrie. Ce prince
lui fit un accueil favorable; et le saint prélat, après deux ans et demi
d’absence, fut reçu dans Alexandrie avec des acclamations de joie. Les autres
évêques d’Egypte, que l’exil d’Athanase avait alarmés et dispersés, se
rallièrent comme sous l’étendard de leur chef. Ce ne fut pas sans peine qu’Asclépas de Gaze et Marcel d’Ancyre se remirent en
possession de leurs sièges, dont les ariens s’étaient emparés.
Alexandre,
évêque de Constantinople, était mort peu de
temps avant Constantin, après avoir vécu quatre-vingt-dix-huit ans , et
gouverné vingt-trois ans son église. Dans les derniers moments de sa vie, consulté
par son clergé sur le choix de son successeur : S’il vous faut,
dit-il, un prélat capable de vous édifier par son exemple, et de vous
instruire par sa doctrine, choisissez Paul; mais si vous cherchez un homme
habile dans la conduite des affaires, a propre à réussir dans le commerce des
grands, ces talents sont ceux de Macédonius.
Ces
dernières paroles du saint évêque partagèrent les esprits. C’était un diacre
déjà avancé en âge, qui entretenait avec les ariens une secrète intelligence.
Il avait été brodeur dans sa jeunesse. Les autres, en plus grand nombre,
élurent Paul: ils l’emportèrent, et Paul fut ordonné dans l’église de la Paix.
Mais la division s’alluma dans la ville. Eusèbe de Nicomédie, qui regardait ce
siège d’un œil d’envie, et qui désirait ardemment d’être l’évêque de la cour,
profita de la discorde. Il réussit à noircir Paul dans l’esprit de l’empereur
comme il avait noirci Athanase: il le fit accuser par Macédonius.
Celui-ci attaqua ses mœurs, quoiqu’elles fussent irréprochables: il représenta
son élection comme une cabale, sous prétexte qu’il avait été installé sans la
participation des évêques de Nicomédie et d’Héraclée, à qui il appartenait
d’ordonner l’évêque de Constantinople; mais Eusèbe et Théodore d’Héraclée,
livrés à l’arianisme, avoient refusé leur ministère. Constantin, toujours
trompé dans les derniers temps de sa vie, exila dans le Pont le nouveau prélat,
sans consentir cependant à sa déposition. Athanase, en passant par Constantinople,
fut témoin de son retour; il le fortifia de ses conseils contre la persécution
, qui ne tarda guère à se rallumer.
Constance,
que la mort de son père avait rappelé de l’Orient, y retournait en diligence.
Les Perses avoient passé le Tigre. Avant la mort de Constantin, Sapor était
entré dans la Mésopotamie; mais, sur la nouvelle de la marche de l’empereur, il
s’était retiré dans ses états. Il y demeura tranquille le reste de l’année.
Dans l’été suivant, il se remit en campagne, pour profiter de l’éloignement de
Constance, ou pour faire l’essai de la capacité du nouvel empereur. Il était
secondé d’un puissant parti dans l’Arménie. Les Arméniens, alors divisés, sans
doute par les intrigues de Sapor, s’étaient révoltés contre leur roi, et
l’avoient forcé à se sauver sur les terres de l’empire avec ceux qui lui étaient
restés fidèles. Les rebelles, maîtres du pays, s’étaient déclarés pour les
Perses, et faisaient des courses sur la frontière. Sapor, de
son côté, ravageait la Mésopotamie, et vint mettre le siège devant Nisibe.
Cette
ville était située dans la partie septentrionale et plus fertile de la
Mésopotamie, à deux journées du Tigre, sur le fleuve Mygdone,
au pied du mont Masius. C’était, selon saint Jérôme,
celle qui est nommée Achad dans la Genèse, une
des plus anciennes villes du monde, bâtie par Nemrod en même temps que Babylone
et Edesse. Nisibe, en langage phénicien, signifiait colonnes ou monceau
de pierres. Les Macédoniens, qui transportaient aux pays conquis les noms
de leur propre pays, donnèrent a cette contrée le nom de Mygdonie,
et à Nisibe celui d’Antioche. Elle s’appelle encore aujourd’hui Nesbin, dans le Diarbek.
Elle était très forte, environnée d’un double mur de brique très épais, et d’un
double fossé large et profond. Lucullus
en fit le siège, et s’en rendit maître par surprise. Elle, fut rendue aux rois
d’Arménie. Artabane, roi des Parthes, s’en étant emparé,
en fit présent à Izatès, roi de l’Adiahène,
par qui il avait été rétabli dans son royaume. Elle fut reprise par Trajan,
abandonnée par Adrien, rendue aux Romains sous Marc-Aurèle. Septime Sévère
l’honora du titre de colonie. C’était une digue qui couvrit à la vérité la
partie orientale de l’empire contre les invasions des Perses, mais qui coutait
aux Romains beaucoup de sang et de dépenses.
Défendue
par ses remparts, par une forte garnison, et par des habitants aguerris, elle
résista aux attaques de Sapor. Mais, dans les trois sièges qu’elle soutint
contre ce prince, elle attribua surtout sa délivrance aux prières de Jacques
son évêque, prélat fameux par sa sainteté et par ses miracles, et qui avait
soutenu à Nicée et à Constantinople la foi attaquée par les ariens. Sapor se
retira après un siège de soixante-trois jours, et ramena en Perse son armée,
honteuse et fatiguée, que la famine et la peste achevèrent de détruire.
Cependant
l’empereur, arrivé à Antioche, se disposait à marcher contre les Perses. Ces
circonstances ne. lui promettaient pas de grands avantages. II n’avait que le
tiers des forces de son père; ses frères ne lui prêtaient aucun secours : les
vieilles troupes regrettaient Constantin; elles méprisaient son fils: leur
courage contre l’ennemi s’était tourné en mutinerie contre leur chef; elles prétendaient
lui commander parce qu’il ne savait pas s’en faire obéir. Ce fut un des plus
grands défauts de Constance, et la principale source des mauvais succès qui ont
déshonoré son règne et affaibli l’empire. En vain, pour gagner le cœur et la
confiance des soldats, le prince faisait avec eux des exercices militaires,
dans lesquels il excellait. La discipline semblait avoir été ensevelie avec
Constantin, et Constance ne fut vaincu par les ennemis qu’après s’être laissé
vaincre par ses propres légions. Cette première campagne lui fut pourtant assez
heureuse. Les Goths alliés l’aidèrent d’un renfort considérable, et
continuèrent de lui rendre de bons services dans toute la suite de cette
guerre. Il forma un corps de cavalerie semblable à celle des Perses, et dont
les hommes et les chevaux étaient couverts de fer; il mit à la tête le brave
Hormisdas, qui, en combattant pour les Romains, cherchait à venger sa propre
querelle. Comme les fonds nécessaires manquaient pour la guerre, il augmenta
les impositions, mais de peu, et pour peu de temps; et afin de rendre cette
surcharge moins onéreuse en général, il ne voulut pas que ceux qui par leurs
privilèges étaient exempts des impositions extraordinaires fussent dispensés
de celle-ci.
Etant parti d’Antioche au mois d’octobre, il arriva le 28 à
Emèse, passa par Laodicée et par Héliopolis. En approchant de l’Euphrate, il
engagea au service des Romains quelques tribus de Sarrasins. Les Perses s’étaient
déjà retirés. Constance avança sans coup férir jusque sur leurs frontières. La
seule crainte de ses armes pacifia l’Arménie. Les rebelles
rentrèrent dans le devoir, renoncèrent à l’alliance des Perses, et reçurent
leur roi qu’ils avoient chassé. On ne sait si ce n’est pas à cette première
expédition qu’il faut rapporter ce que Libanius raconte d’une ville de Perse. Elle fut prise d’emblée : Constance fit grâce
aux habitants; mais il les obligea de quitter le pays, et les envoya en Thrace,
dans un lieu sauvage et inhabité, où ils s’établirent. L’auteur ne marque le
nom ni de la ville prise, ni de celle qui fut fondée en Thrace. L’empereur
ramena son armée à Antioche vers la fin de décembre, et prit le consulat pour
la seconde fois avec son frère Constant.
An. 339.
Sapor,
renfermé dans ses états, s’occupa pendant les années suivantes à réparer ses
pertes. C’était un temps précieux, dont Constance aurait pu profiter pour prendre
ses avantages. Il pouvait se mettre en état d’entamer la Perse à son tour, ou
du moins, par des mesures bien prises, obliger Sapor à se tenir sur la défensive.
Mais ce prince imprudent ne portait pas ses vues dans l’avenir: au lieu de
pourvoir à la sûreté de ses états, il passa ces deux années à brouiller les
affaires de l’Eglise, et à jeter les semences des troubles dont tout le reste
de son règne fut agité. Il se transporte à Constantinople, et y fait tenir un
concile où Paul est déposé. L’ambition d’Eusèbe fut enfin couronnée; il se vit
installé sur le siège de la nouvelle capitale. Paul se réfugia à Trêves, dans
la cour de Constantin, qui servit d’asile aux prélats catholiques. Athanase n’était
pas en repos à Alexandrie. Les ariens y avoient nommé un évêque de leur faction;
c’était Piste, autrefois chassé par Alexandre, et frappé d’anathème dans le
concile de Nicée. Il fut ordonné évêque d’Alexandrie par Second, de Ptolémaïde; mais il n’en fit jamais les fonctions. Les
ennemis d’Athanase mettaient tout en œuvre pour séduire le pontife romain et
les trois empereurs; mais leurs calomnies ne trouvaient de croyance que dans
l’esprit de Constance, déjà préoccupé. Il écrivît au saint prélat des
lettres pleines de reproches, et n’eut aucun égard à ses réponses.
Tandis
que la faction arienne dressait toutes ses batteries pour perdre Athanase, il
fut délivré d’un de ses plus dangereux ennemis, parce que c’était peut-être le moins
déclaré et le plus habile. Eusèbe de Césarée mourut. Il eut pour successeur son
disciple Acace, surnommé le Borgne. Celui-ci ne fut guère moins savant ni moins
éloquent que son maître; mais il était plus entreprenant. Fier arien sous
Constance, humble catholique sous Jovien, sa religion se plia toujours à ses
intérêts.
Les
consuls de l’année 34o méritent d’être connus: c’étaient Acyndine et Proculus. Le premier, déjà préfet d’Orient depuis deux ans, était un homme
dur, mais assez équitable pour reconnaître ses fautes, et pour les réparer à
ses propres dépens. Pendant qu’il était à Antioche, il condamna à la prison un
habitant qui devait au fisc une livre d’or, et jura que, s’il ne payait dans un
certain terme, il le ferait mourir. Le terme approchait, et le débiteur était
insolvable. Sa femme avait de la beauté: un riche citoyen lui proposa
d’acquitter la dette à condition qu’elle se prêterait à sa passion. Mais elle aimait
son mari; elle ne voulut disposer du prix de sa délivrance qu’avec sa
permission. Le misérable y consentit. Ce honteux trafic eut la fin qu’il méritait.
Le riche libertin ayant donné à cette infortunée un sac plein d’or, eut
l’adresse de le reprendre et d’y substituer un sac rempli de terre. Retournée
chez elle, dès qu’elle s’aperçut de la fraude, désespérée d’avoir commis un
crime inutile, et résolue d’achever de perdre son honneur plutôt que son mari,
à qui elle l’avait déjà sacrifié, elle va porter sa plainte au préfet. Acyndine jugea qu’il y avait quatre coupables: deux n’étaient
que trop punis par leur honte et par leur malheur; il se chargea de punir les
deux autres : c’étaient le riche perfide, et lui-même,
dont les menaces cruelles avoient fait naître cette intrigue criminelle. Il
prononça que la dette du fisc serait acquittée aux dépens d’Acyndine,
et que la femme serait mise en possession de la terre où le fourbe avait pris
de quoi la tromper. Cet Acyndine passa honorablement
sa vieillesse à Baules en Campanie, où il avait une belle maison de campagne.
L’autre
consul, Procupius, était célèbre par sa naissance,
par ses magistratures, et par son mérite personnel. Il était fils de Q. Aradius Valérius Proculus, qui avait
été gouverneur de la Byzacène. Il fut élevé aux plus
grands emplois. Les inscriptions qui font mention de lui disent qu’il était né
pour tous les honneurs. Symmaque le fait descendre des anciens Valérius Publicola, et lui donne la gloire de soutenir
cette illustre origine par la dignité de ses mœurs, par sa franchise, sa
constance, sa douceur sans faiblesse, et par sa piété envers les dieux; car il était
païen, et revêtu des sacerdoces les plus distingués.
Ce fut sous ce consulat que le jeune Constantin se perdit par
son imprudence. La querelle qui s’était élevée entre ce prince et Constant son
frère au sujet du nouveau partage s’aigrissait de jour en jour. Un tribun, nommé Amphilochius, de Paphlagonie, ne cessait d’animer
Constant, et le détournait de tout accommodement. Enfin Constantin prit le
parti de se faire justice par les armes, et passa les Alpes. Constant était en
Dace : il envoie ses généraux à la tête d’une armée, et se dispose à les
suivre avec de plus grandes forces. Ses capitaines, arrivés à la vue de
l’ennemi près d’Aquilée, à la fin de mars ou au commencement d’avril, dressent
une embuscade, et, ayant engagé le combat, feignent de prendre la fuite. Les
soldats de Constantin s’abandonnent à la poursuite; et, bientôt enfermés entre
les troupes qui sortent de l’embuscade et les fuyards qui tournent visage; ils
sont taillés en pièces. Constantin lui-même, renversé de son cheval, meurt
percé de coups.
On
lui coupe la tête; on jette son corps dans le fleuve d’Alsa, qui passe près
d’Aquilée. Il en fut apparemment retiré; puisqu’on montrait longtemps après son
tombeau de porphyre à Constantinople, dans l’église des saints Apôtres. Il avait
vécu près de vingt-cinq ans, et régné un peu plus de deux ans et demi depuis la
mort de son père. Ayant perdu sa femme, il venait de contracter, par députés, un
second mariage avec une Espagnole de noble origine, dont on ne dit ni le nom
ni la famille. Constant profita seul de la dépouille de son frère: il devint
maître de tout l’Occident. Constance, moins ambitieux ou plus timide, se
contenta de ce qu’il avait possédé jusqu’alors. Son empire se terminait au pas de Suques. C’était un passage
étroit entre le mont Hémus et le mont
Rhodope , qui séparait la Thrace de l’Illyrie. Le vainqueur déclara nulles les
exemptions dont Constantin avait gratifié plusieurs personnes. La loi qu’il fit
à ce sujet porte le caractère d’un haine dénaturée qui survivait à son frère;
il le qualifie son ennemi et celui de l’état.
Pendant le règne de Constantin, les trois princes avoient,
tantôt séparément, tantôt de concert, établi plusieurs lois utiles. Nous allons
en rapporter les principales, en y joignant celles qui ont été données sur les mêmes
objets jusqu’à la fin du règne de Constance. Constantin le grand avait réprimé
l’ambition de ceux qui se procuraient par argent ou par brigue des titres honorables.
Cet abus subsistait; et ces titres avoient tellement multiplie les dispenses et
les exemptions, que les fonctions municipales coudoient risque d’être abandonnées.
Les princes s’efforcèrent de remédier à ce désordre: ils réglèrent la forme et
l’ordre de la nomination aux offices municipaux; ils n’en déclarèrent exempts que
ceux qui ne possédaient pas vingt-cinq arpens de
terre, ceux qui seraient entrés dans la cléricature avec le consentement de
l’ordre municipal, et un petit nombre d’autres personnes distinguées par leurs
emplois: ils enjoignirent aux décorions et aux magistrats, sous certaines
peines, l’exactitude la plus scrupuleuse à s’acquitter de leurs obligations
personnelles; ils prirent des mesures pour prévenir l’anéantissement du sénat
des villes,
et pour remplir les places vacantes; afin d’encourager ces utiles citoyens, ils
renouvelèrent leurs privilèges. Les donations du prince prédécesseur, souvent
attaquées sous un nouveau règne, furent
confirmées; mais on soumit à l’examen les exemptions accordées par
les gouverneurs. Le massacre de la famille impériale, et la confiscation des
biens de ceux qu’on avait massacrés, faisaient naître mille accusations contre
les personnes, mille chicanes sur les biens : les empereurs en arrêtèrent le
cours par de sages lois; ce ne fut que dans les dix dernières années de la vie
de Constance que ce prince prêta l’oreille aux délateurs. Constantin avait
proscrit les libelles anonymes; ses fils n’en témoignèrent pas moins d’horreur
: ils défendirent aux juges d’y avoir égard. On doit, dit une loi de
Constance, regarder comme innocent celui qui, ayant des ennemis, n’a point
d'accusateur. Constance confirma les lois de son père contre l’adultère; il
porta même encore plus loin la sévérité en condamnant les coupables à être
brûlés ou cousus dans un sac, et jetés dans la mer comme les parricides; il ne
leur laissa pas même la ressource de l’appel, quand ils étaient manifestement
convaincus. Ces formules de droit, dont l’exactitude syllabique rendit tous les
actes épineux, furent abolies. Afin de ne pas laisser languir l’innocence dans
les prisons, Constance ne donna aux juges que l’espace d’un mois pour instruire
les procès des prisonniers, sous peine d’être eux-mêmes punis. On voit dans ce
prince une grande attention à procurer au peuple de Constantinople les divertissement
du théâtre et du Cirque, et à en régler la dépense, qui devait être faite par
les préteurs. Julien lui reproche une haine déclarée contre les Juifs : en
effet, il leur défendit sous peine de mort d’épouser des femmes chrétiennes; et
il ordonna que les chrétiens qui se feraient juifs fussent punis par la
confiscation de leurs biens. Mais une loi célèbre de Constance, datée de l’an
339, est celle par laquelle il défend, sous peine de mort, les mariages d’un
oncle avec la fille du frère ou de la sœur, et tout commerce criminel entre
ces mêmes personnes. Ces alliances étaient prohibées par les anciennes lois
romaines. Mais, lorsque l’empereur Claude voulut épouser Agrippine, fille de
son frère Germanicus, le sénat, pour sauver l’infamie de l’inceste à ce prince
stupide et voluptueux, avait déclaré par un arrêt qu’il serait permis d’épouser
la fille d’un frère; et, par une distinction bizarre qui indiquait assez le
motif du relâchement, on n’avait pas étendu cette permission à la fille de la
sœur. Il ne tint qu’à Domitien de prendre pour femme la fille de Tite son frère;
il aima mieux la laisser épouser à Sabinus, la corrompre ensuite, tuer son
mari, vivre licencieusement avec elle, et lui donner enfin la mort. Nerva
rappela les anciennes lois; mais bientôt l’abus reprit le dessus, et se
maintint jusqu’à l’établissement de la religion chrétienne. Sozomène dit en
général que Constantin défendit les unions contraires à l’honnêteté publique,
qui étaient auparavant tolérées; mais nous n’avons de lui aucune loi précise
contre les mariages des oncles et des nièces. Constance y attacha la peine de
mort, qui fut modérée par l’empereur Arcadius. Ces alliances ont été depuis ce
temps-là regardées comme incestueuses. Constance défendit aussi d’épouser la
veuve d’un frère, ou la sœur d’une première femme, et déclara illégitimes les enfants
sortis de ces mariages.
La
mort du jeune Constantin prévoit Athanase de son plus zélé protecteur. Les
ariens renouvelèrent leurs efforts pour enlever encore au saint évêque l’appui
de Constant. Ils ne réussirent ni auprès de lui ni auprès du pape, qu’ils
tâchèrent aussi d’ébranler. Sylvestre était mort le dernier jour de l’année 335.
Marc lui avait succédé, et n’avait vécu que jusqu’au mois d’octobre suivant. Jule,
élu le 6 février 337, était alors assis sur la chaire de saint Pierre. C’était
un pontife qui savait allier la douceur d’un pasteur avec la fermeté d’un chef
de l’Eglise; digne successeur de tant de saints et de tant de martyrs. Les
ariens lui députèrent un prêtre et deux diacres: ils lui envoyèrent les actes
du concile de Tyr, comme un monument de leur triomphe: ils ajoutaient de
nouvelles calomnies. L’évêque d’Alexandrie, instruit de leurs démarches,
rassembla pour sa défense toutes les forces que l’Eglise avait dans l’Egypte,
dans la Pentapole et dans la Libye. Près de cent évêques se rendirent à
Alexandrie: tous, d’un accord unanime, souscrivirent une lettre adressée au
pape et à tous les évêques catholiques du monde. Athanase y était pleinement
justifié contre toutes les accusations anciennes et nouvelles. Celles-ci
roulaient sur trois chefs: il avait, disaient ses ennemies, violé les canons de
l’Eglise en rentrant dans son siège : déposé par un concile, il fallait un
concile pour le rétablir: de plus, le peuple d’Alexandrie ne l’avait reçu
qu’â regret; il ne s’était remis en possession que par la force et par le
carnage; enfin il détournait à son profit les sommes que Constantin avait
consacrées à la subsistance des pauvres de l’Egypte et de l’Afrique: cette
dernière accusation était appuyée d’une lettre de Constance. Tels étaient les
nouveaux reproches dés ariens. Le concile d’Alexandrie détruisit le premier
chef en faisant voir que le prétendu concile de Tyr n’avait été qu’un conventicule
d’hérétiques présidé par un comte, inspiré par la cabale, guidé par la
violence: il donnait le démenti aux accusateurs sur les deux autres articles:
les témoins du rétablissement d’Athanase déposaient de l’empressement et de la
joie qui avoient éclaté à son retour; et sa fidélité dans la distribution
des aumônes était prouvée par l’attestation des évêques qu’il a voit employés à
ce pieux ministère. Les députés du concile chargés de cette lettre eurent, en
présence du pape, avec les envoyés des ariens une conférence dont ils
remportèrent tout l’avantage. Les uns et les autres offrirent de s’en remettre
à la décision d’un nouveau concile qui serait tenu à Rome, et auquel le pape présiderait.
Jule accepta la proposition: il indiqua le concile, mais il refusa de donner
audience à Piste, que la cabale avait nommé évêque d’Alexandrie. Les députés
d’Eusèbe, n’espérant rien d’une affaire traitée dans
les règles, et confus du peu de succès de leurs intrigues,
partirent précipitamment de Rome. Le pape fit tenir à Athanase une copie des
actes de Tyr, afin qu’il se préparât à se justifier.
Il n’était pas question d’apologie. Constance vouloir qu’Athanase
fût coupable; il rougissait secrètement d’avoir été forcé par ses frères de lui
rendre justice; il prétendit s’en venger sur Athanase même: et la mort du jeune
Constantin lui en laissait plus de liberté. L’année
suivante, sous le consulat de Marcellinus et de de Probinus, il assembla dans la ville d’Antioche un grand nombre
de prélats pour y célébrer la dédicace de la grande église,
appelée l’Eglise d’or. Ce superbe édifice, commencé par le grand
Constantin, était enfin achevé. Constance assista à cette brillante cérémonie
avec plus de quatre-vingt-dix évêques, tous de ses états. La dédicace fut
suivie d’un concile, qui fait encore aujourd’hui un sujet de dispute. Les
canons qu’il composa ont été reçus de toute l’Eglise : les trois professions de
foi qui y furent dressées ne renferment rien que d’orthodoxe, quoique la
première contienne quelques propositions équivoques, et que le terme de consubstantiel n’y soit pas exprimé, non plus que dans les deux autres. D’habiles critiques
distinguent deux parties dans ce concile. Il fut d’abord composé de tous les
évêques qui étaient venus à Antioche, et dont la plupart étaient
catholiques: les professions de foi, les canons et la lettre synodique sont leur
ouvrage. Mais, après le concile, quarante prélats ariens, dévoués aux volontés
de l’empereur, restèrent assemblés: c’était là, dans l’intention de Constance,
le vrai concile; la cérémonie et la convocation des autres prélats n’avoient
servi que de prétexte. Ils voulurent signaler la dédicace de l’église
d’Antioche par la condamnation de leur plus redoutable adversaire, comme ils
avoient six ans auparavant signalé la dédicace de l’église de Jérusalem par la
réception d’Arius leur maître. La sentence de déposition prononcée à Tyr fut
renouvelée. On avait déjà nommé Piste pour remplir le siège d’Alexandrie; mais
il fut oublié, comme incapable de soutenir un rôle si important. On jeta les
yeux sur Eusèbe d’Edesse, homme savant, instruit par Eusèbe de Césarée, et
arien décidé. Il était trop habile pour accepter une place où il ne pou voit se
flatter de réussir. Dans un voyage qu’il avait fait à Alexandrie, il avait été
témoin de l’amour du peuple pour Athanase; il refusa. On le fit dans la suite
évêque d’Emèse; il passa pour un saint parmi ceux de sa secte; Constance le menait
avec lui dans ses expéditions, et se conduisit par ses avis dans les choses qui
regardaient l’Eglise.
Au
refus d’Eusèbe, on nomma Grégoire. Né en Cappadoce, il avait fait ses études à
Alexandrie. La reconnaissance, s’il en eût été capable, l’aurait attaché à la
personne d’Athanase, qui l’avait traité comme son fils. Mais ni les études
d’Alexandrie, ni les bienfaits d’Athanase n’avoient adouci la rudesse de ses
mœurs et la grossièreté naturelle au pays de sa naissance. Personne n’était
plus propre à seconder les desseins violents et sanguinaires de ceux qui
l’avoient choisi. Il part, et Constance le fait accompagner de Philagre, qu’il
nomme préfet d’Egypte une seconde fois, et de l’eunuque Arsace,
avec une troupe de soldats. C’était ce même Philagre dont j’ai
parlé au sujet des informations faites dans la Maréote pendant le concile de Tyr: il était Cappadocien comme Grégoire; et sa cruauté,
armée des ordres du prince, s’empressait d’éclater en faveur d’un compatriote.
Ils arrivèrent à la fin du carême de l’an 342. L’église d’Egypte était alors
dans un calme profond, et les fidèles se préparaient à la fête de Pâques par
les jeûnes et par les prières. Le préfet fait afficher un édit qui déclare que
Grégoire de Cappadoce est nommé successeur d’Athanase, et qui menace des plus
rigoureux châtiments ceux qui oseront s’opposer à son installation. L’alarme se
répand aussitôt: on s’étonne de l’irrégularité du procédé: on s’écrie que ni
le peuple, ni le clergé, ni les évêques n’ont porté de plainte contre Athanase;
que Grégoire n’amène avec lui que des ariens, qu’il est arien lui-même et
envoyé par l’arien Eusèbe. On s’adresse aux magistrats: toute la ville retentit
de murmures, de protestations, de cris d’indignation.
Pendant
ce tumulte, Grégoire entre comme dans une ville prise d’assaut. Les païens, les
Juifs, les gens sans religion et sans honneur, attirés par Philagre, se joignent
aux soldats. Cette troupe insolente, armée d’épées et de massues, force
l’église de Quirin, où les fidèles s’étaient réfugiés
comme dans un asile : on met le feu au baptistère; on le souille par les plus
horribles abominations. On dépouille les vierges, on leur fait mille outrages;
quelques-uns les traînent par les cheveux , et les forcent de renoncer à Jésus-Christ,
ou les mettent en pièces. Les moines sont foulés aux pieds, meurtris de coups,
massacrés, assommés. Grégoire, pour récompenser le zèle des Juifs et des
païens, leur abandonnait le pillage des églises; et ces impies, non contents
d’en enlever les vases et les meubles, profanaient la table sacrée par des
oblations sacrilèges. Ce n’était que blasphèmes, que feux allumés pour brûler
les livres saints, qu’images affreuses de la mort. Les ariens, au lieu d’arrêter
ces excès, traînaient eux-mêmes les prêtres, les vierges, les laïcs devant les
tribunaux, qu’ils avoient établis pour servir leur fureur; on condamnait les
uns à la prison, les autres à l’esclavage; d’autres étaient frappés de verges;
on retranchait aux ministres de l’Eglise le pain des distributions, et on les laissait
mourir de faim. Le vendredi saint, Grégoire, accompagné d’un duc païen nommé Balace, entre dans une église; irrité de voir que les
fidèles ne le regardaient qu’avec horreur, il anime contre eux l'humeur barbare
de ce duc, qui fait saisir et fouetter publiquement trente-quatre personnes,
tant vierges que femmes mariées et hommes libres. Philagre avait ordre de
Constance de faire trancher la tête à Athanase; les ariens se flattaient de le
surprendre dans un lieu de retraite, où il avait coutume de passer une partie
de ce saint temps; mais il s’était retiré ailleurs. La sainteté du jour de
Pâques ne fut pas respectée; et, tandis que le reste de l’Eglise célébrait avec
joie la rédemption du genre humain, celle d’Alexandrie éprouvait toutes les
rigueurs de la plus dure captivité. Philagre ayant pillé les églises, les livrait
à Grégoire, qui en prenait possession; et les fidèles étaient réduits à la
nécessité de s’en interdire l’entrée ou de communiquer avec les ariens. On ne baptisait
plus les catholiques; leurs malades expiraient sans consolation spirituelle: la
privation des sacrements de l’Eglise était pour eux plus affligeante que la
mort même; mais ils aimaient mieux mourir sans ces secours salutaires que de
sentir sur leurs têtes les mains sacrilèges et meurtrières des ariens.
Grégoire, altéré du sang d’Athanase, se vengea de sa fuite sur la tante de ce
saint prélat, qu’il accabla de mauvais traitements. Elle ne put y survivre. Il
défendit qu’on l’enterrât, et elle serait restée sans sépulture, si des
personnes animées d’un esprit de charité n’eussent dérobé son corps à ce
persécuteur opiniâtre.
Il
est vrai que Constance n’avait pas ordonné ces cruautés.
Mais il ne devait pas ignorer que les souverains sont heureux quand le bien
qu’ils commandent est à demi exécuté, et que le mal qu’ils permettent est toujours
porté fort au-delà de ce qu’ils ont permis. Grégoire et Philagre en vinrent
eux-mêmes à craindre que l’empereur ne condamnât de si étranges excès. Pour lui
en ôter la connaissance, Grégoire, d’un côté, attribuait à Athanase tous les
maux dont il était l’auteur: c'était sur ce ton qu’il écrivait à Constance; et
le prince, abusé par sa propre prévention, ajoutait foi à ces mensonges. D’un
autre côté, le préfet défendit, sous les plus terribles menaces, aux
navigateurs qui partaient d’Alexandrie de rien dire de ce qu’ils avoient vu;
il les contraignit même de se charger de lettres où la vérité était
entièrement défigurée; et ceux qui refusèrent de se prêter à l’imposture furent
tourmentés et retenus dans de fers. Il supposa un décret du peuple d’Alexandrie
conçu dans les termes les plus odieux, et adressé à l’empereur, par lequel il paraissait
qu’Athanase avait mérité, non pas l’exil, mais mille morts. Ce décret fut signé
par les païens, par des Juifs, et par les ariens qui les
mettaient en œuvre.
Après
s’être rendu maître de la capitale, le nouveau conquérant songea à réduire
toute la province. Grégoire se mit en marche avec Philagre et Balace pour faire la visite des églises d’Egypte. Environné
d’un cortège brillant, il ne témoignait que du mépris aux
ecclésiastiques; mais il prodiguait les égards aux officiers de l’empereur et
aux magistrats. Assis sur un tribunal entre le duc et le préfet, il faisait
traîner devant lui les évêques, les moines,
les vierges : il les exhortait en deux mots, ou plutôt il leur ordonnait de
communiquer avec lui. Sur leur refus, affectant la contenance d’un juge, cet hypocrite impitoyable les faisait, avec un
sang-froid plus cruel que la colère, déchirer de verges et
meurtrir de coups. Les plus favorisés en étoilent quittes
pour la prison ou pour l’exil. L’évêque Potamon,
célèbre confesseur, l’un des pères de Nicée, et qui avait perdu un œil dans la
persécution de Maximin, fut frappé à coups de bâton sur le cou jusqu’à être
laissé pour mort, et il en mourut peu de jours après. Grégoire, ayant reçu une
lettre de saint Antoine qui le menaçait de la colère de Dieu, la donna avec
mépris à Balace: celui-ci la jeta
par terre, cracha dessus, maltraita les envoyés du saint, et les chargea de
dire à leur maître qu’il allait incessamment lui rendre visite. Cinq jours après, Balace, ayant été mordu par un de ses
chevaux, mourut en trois jours. Cette persécution continua, mais avec moins de
violence, pendant les cinq années que Grégoire occupa le siège d’Alexandrie.
L’Egypte
n’était pas le seul théâtre de ces sanglantes tragédies. Marcel d’Ancyre, Asclépas de Gaze, Luce d’Andrinople, furent chassés de
leurs sièges. Constance, à la requête d’Eusèbe, condamna à mort Théodule et
Olympe, l’un évêque de Trajanople, l’autre d’Enos, villes de Thrace. Comme ils avaient pris la fuite, il
ordonna qu’ils fussent exécutés partout où on les pourrait trouver; et l’on
vit, dit un auteur judicieux, par une procédure si contraire à la
liberté de l’Eglise et aux sentiments de l’humanité, que les hérétiques ne respiraient
que la mort et le sang de leurs frères. Ces deux évêques échappèrent à
cette proscription cruelle.
Athanase, du fond de sa retraite, portait aux ariens des coups
mortels. Il écrivit à tous les évêques orthodoxes une lettre circulaire pleine
d’éloquence et de dignité. Elle commence par un trait sublime , qui seul peut
faire sentir la beauté et la vigueur du génie de ce grand personnage. Il se
compare à ce lévite qui, voyant le corps de sa femme victime des plus horribles
outrages, le coupa en douze parts , et les envoya aux tribus d’Israël.
Sa lettre n’excita pas moins d’indignation contre ces nouveaux Benjamites, qui avoient souillé par tant de
forfaits l’église d’Alexandrie. Le pape Jule, résolu de tenir le concile que
les députés d’Eusèbe avoient eux-mêmes proposé, manda Athanase, qui se rendit
aussitôt à Rome. Entropie, sœur du grand Constantin, le reçut avec
honneur; et pendant dix-huit mois qu’il attendit ses accusateurs, il répandit
dans l’Occident les premières semences de la vie monastique, qui florissait
déjà dans les déserts d’Egypte et de Syrie. Jule ouvrit les bras aux
évêques persécutés; mais il rejeta l’arien Carponas et les autres députés que lui envoyait Grégoire pour lui demander sa communion.
Cerf funestes divisions semblaient sur le point d’être terminées par le
jugement du synode, auquel les deux partis avoient offert de se soumettre. Il
ne manquait plus que les évêques d’Orient, qui dévoient comparaitre en qualité
d’accusateurs. Le pape les envoya inviter par les prêtres Elpidins et Philoxène. Mais ces prélats, faisant réflexion que
ce concile serait un jugement purement ecclésiastique, qu’on n’y verrait ni
comte, ni gouverneur, ni soldats, et que les décisions n’y seraient pas
dictées par l’ordre du prince, refusèrent de s’y rendre. Ils prirent pour
prétexte de leur refus la crainte qu’ils avoient des Perses; et ces prélats,
qui feignaient de n’oser aller à Rome au-delà de la mer, ou les Perses n’étaient
nullement à craindre, couraient comme des furieux tout l’Orient, et allaient
jusque sur la frontière de Perse chercher leurs adversaires et les chasser de
leurs églises. Afin d’éluder le concile, ils retinrent à Antioche les députés
du pape jusqu’après le terme de la convocation.
Dans
cet intervalle murut Eusèbe. Il n’a voit joui que trois
ans de la qualité d’évêque de Constantinople, qu’il avait achetée par tant
d’années de crimes. Le parti arien faisait une grande perte; mais
il trouvait encore des ressourcés dans l’opiniâtreté
inflexible de Théognis de Nicée, de Maris de Chalcédoine, et de Théodore d’Héraclée.
C’étaient des vieillards consommés dans les l’hérésie, auxquels s’étaient
joints depuis peu deux jeunes prélats ignorants, mais bouillants et téméraires,
Ursace, évêque de Singidon dans la haute Mœsie, et Valens, évêque de Murse dans la basse Pannonie. Après la mort d’Eusèbe, la discorde se ralluma entre
les partisans de Paul et ceux de Macédonius. Les
catholiques prétendaient rétablir Paul injustement déposé. Les ariens, ayant à
leur tête Théognis et Théodore, installèrent Macédonius:
les esprits s’échauffèrent; on en vint aux armes, et plusieurs citoyens
périrent de part et d’autre. Constance était à Antioche. Averti de ce désordre, il ordonna à Hermogène, général de la cavalerie qu’il envoyait en Thrace, de
passer à Constantinople, et de chasser Paul de la ville. Hermogène,
à la tête de ses cavaliers, va arracher Paul de l’église où il s’était retiré;
le peuple se soulève, attaque les soldats; le général se sauve dans une maison;
on y met le feu; on égorge Hermogène; on traîne son corps par les pieds dans
les rues de la ville, et on le jette à la ruer. A cette nouvelle, Constance,
enflammé de colère, monte à cheval; c’était la saison de l’hiver; il accourt en
diligence à Constantinople malgré les pluies et les neiges; il ne respire que
punition et que vengeances. Mais, à son arrivée, touché de voir le sénat et le
peuple fondant en larmes et prosternés à ses pieds, il fit grâce de la vie à
tous, et se contenta, pour châtier la ville, de lui retrancher la moitié des
quatre-vingt mille mesures de blé qu’on distribuait tous les jours au peuple
en conséquence de l’établissement de Constantin. Il chassa Paul, mais sans
confirmer l’élection de Macédonius, dont il était
mécontent, parce qu’il avait eu part à la première sédition, et parce qu’il s’était
fait ordonner évêque sans avoir pris l’agrément de l’empereur. Il lui permit
cependant de faire les fonctions épiscopales dans l’église où il avait été
ordonné, et repartit ensuite pour Antioche.
Paul, exilé d’abord à Singare , en
Mésopotamie, eut la liberté de revenir à Thessalonique. Il alla bientôt chercher
un asile dans la cour de Constant. Les ariens avoient inutilement tenté de
gagner ce prince. Il chérissait Athanase, et respectait sa vertu héroïque et
son grand savoir. Quoique peu réglé dans ses mœurs, il aimait la vérité; il la cherchait
dans les livres saints, et il s’était adressé à l’évêque d’Alexandrie pour les
avoir dans une forme commode, parce que les Egyptiens s’entendaient
mieux que les autres à copier et à relier les livres. Athanase lui écrivit: il
lui fit une peinture touchante de la guerre cruelle des ariens contre l’Eglise; il
lui rappela le grand concile de Nicée, et le zèle de son père, qui avait formé
cette sainte assemblée. Cette lettre fit verser des larmes au jeune prince, et
ralluma dans son âme la même ardeur dont Constantin avait été embrasé pour la
religion. Il écrivit à Constance; il l’exhortait à imiter la piété de leur père
: Conservons-la, lui disait-il, comme la plus précieuse portion de
son héritage; c’est sur ce fondement solide qu’il a établi son empire; c’est
par elle qu’il a terrassé les tyrans et dompté tant de peuples barbares. Il
le priait de lui envoyer quelques évêques du parti d’Eusèbe pour l’instruire
des causes de la déposition de Paul et d’Athanase. Constance n’osa refuser à
son frère ce qu’il demandait. Il fit partir, l’année suivante 343, Narcisse de Néroniade, Maris de Chalcédoine, Théodore d’Héraclée, et
Marc d’Aréthuse. Pour se faire mieux écouter du jeune empereur , ils lui
portèrent une nouvelle formule de foi, qui ne pouvait être suspecte que par le
soin qu’ils avoient eu d’y éviter le mot de consubstantiel. C’en fut
assez à Constant pour la rejeter; éclairé par les conseils de Maximin, évêque
de Trêves, il les renvoya avec mépris, et continua de protéger la foi et les
évêques qui en étaient les défenseurs et les martyrs.
Les
prélats ariens, après avoir longtemps retenu Elpidius et Philoxène, les renvoyèrent enfin chargés d’une lettre
qui ne s’accordait guère avec la première proposition qu’ils avoient faite de s’en
rapporter au jugement d’un synode auquel le pape présiderait. Ils se plaignaient
que Jule prétendît juger de nouveau un évêque
condamné par le concile de Tyr; c’était, selon eux, un attentat contre l’Eglise
entière, dont Jule s’érigeait en souverain; ils déclaraient qu’ils n’auraient
point de communion avec lui, s’il n’adhérait à leurs décrets.
Lorsque cette lettre fut rendue au pape, le synode de Rome, composé de
cinquante évêques, était déjà commencé. Jule avait inutilement attendu les
évêques accusateurs. Enfin, le terme étant depuis longtemps expiré, il avait
fait l’ouverture du synode. Athanase y fut absous, aussi-bien que Paul, Marcel, Asclépas, et les autres prélats persécutés par la
faction. Jule, après avoir encore pendant plusieurs jours tenu secrète la
lettre des Orientaux, dans l’espérance de recevoir quelques députés de leur
part, la communiqua enfin au concile. On le pria d’y répondre; et cette
réponse, pleine d’onction et de force, est un des plus beaux monuments de
l’histoire de l’Eglise. Les reproches des ariens y sont tournés contre eux-mêmes: tous leurs prétextes sont réfutés; il leur fait honte des violences exercées
à Alexandrie et ailleurs; il réduit en poudre les accusations suscitées contre
Athanase, Marcel et les autres orthodoxes; il y établit les règles solides des jugements
ecclésiastiques. Le pape, en confondant les adversaires, les traite avec une
charité digne du premier pasteur de l’Eglise; il n’y avait point encore de
rupture ouverte entre l’Orient et l’Occident; les partisans de l’arianisme dissimulaient,
et rejetaient encore de bouche la doctrine d’Arius. Jule ne croyait pas qu’il
fut temps de les démasquer : il évitait de faire un schisme; il aimait mieux, s’il était possible, guérir
la plaie de l’Eglise que de la rendre incurable en la découvrant. La
justification d’Athanase ne produisit aucun effet sur le cœur endurci de
Constance. Le saint prélat resta en Occident jusqu’après le concile de Sardique.
J’ai
rapporté sans interruption toute la suite de cette affaire. Le concile de Rome
ne se tint qu’en l’année 343, selon la nouvelle chronologie d’un habile
critique d’Italie. Je vais reprendre les autres événements de l’année 341.
An 341
Pendant que Constance, renfermé à Antioche avec des évêques, employait
toute sa puissance à faire triompher la cabale arienne, les Perses ravageaient
la Mésopotamie. Ce fut pour couvrir ce pays qu’il ajouta de nouvelles
fortifications à la ville d’Amide. Ce n’était qu’une petite bourgade lorsque
Constance, encore César, l’environna de tours et de murailles pour servir de
place de sûreté aux habitants du voisinage. Il avait dans le même temps bâti ou
réparé Antoninopolis, environ à trente lieues
d’Amide, vers le midi. Cette année il établit dans Amide un arsenal pour les
machines de guerre; il en fit une forteresse redoutable aux Perses, et voulut
même qu’elle portât son nom; mais l’ancien nom prévalut. Elle était située au
pied du mont Taurus, entre le Tigre, qui fait un coude en cet endroit, et le
fleuve Nymphée, qui, coulant au nord de la ville, allait à peu de distance se
jeter dans le Tigre. Elle avait à l’occident la Gumathène,
pays fertile et cultivé, où était un bourg nommé Abarné,
fameux par des sources d’eaux chaudes et minérales. Dans le centre même
d’Amide, au pied de la citadelle, sortait à gros bouillons une fontaine, dont
les eaux étaient ordinairement bonnes, à boire, mais devenaient quelquefois
infectées par des vapeurs brûlantes. L’empereur commit à la garde de cette
ville la cinquième légion, appelée Parthique, avec un corps considérable
d’habitants du pays. Elle devint dans la suite métropole delà Mésopotamie,
proprement dite, comme Edesse l’était de l’autre partie, nommée l’Osrhoëne.
On commença
en ce temps-là à sentir en Orient des tremblements de terre, qui durèrent près
de dix ans, à plusieurs reprises. La terre trembla dans Antioche pendant une
année entière; le péril fut grand, surtout durant trois jours; plusieurs autres
villes furent ruinées.
Saint
Ephrem, diacre d’Edesse, qui parle des faits dont il a pu être témoin oculaire,
dit que les montagnes d’Arménie, s’étant d’abord écartées l’une de l’autre, se
heurtèrent ensuite avec un horrible fracas; qu’il en sortit des tourbillons de
flamme et de fumée, et qu’après cette effrayante agitation elles se replacèrent
sur leur base.
L’Occident
n’était guère plus tranquille. Les Francs s’étaient jetés dans la Gaule, et le
nom seul de cette nation ne répandit pas moins d’alarmes que les fléaux les
plus terribles. Voici le portrait qu’en fait un orateur du temps, à l’occasion
de l’incursion dont je parle :
«
Ils sont ( dit-il ) redoutables par leur nombre, mais plus encore par leur
valeur; ils bravent la mer et ses orages avec autant d’intrépidité qu’ils
marchent sur la terre; les frimas du nord leur sont plus agréables que l’air le
mieux tempéré; la paix est pour eux une calamité, une maladie; leur bonheur,
leur élément naturel, c’est la guerre: vainqueurs, ils ne cessent de poursuivre;
vaincus, ils cessent bientôt de fuir, et reviennent à la charge: incommodes à
leurs voisins , ils ne leur laissent pas le temps de quitter le casque; rester dans
le repos, c’est pour eux la plus dure captivité.»
Constant
essaya ses forces contre cette nation guerrière; il leur livra plusieurs
combats dont les succès furent balancés. Il fut plus heureux l’année
suivante, dans laquelle il fut consul pour la seconde fois, et Constance pour
la troisième. Les Francs furent domptés, obligés de repasser le
Rhin, et de recevoir pour rois des princes attachés à l’empereur, qui surent,
tant qu’il vécut, contenir ces esprits inquiets. Une expression d’Idace donne cependant lieu de croire qu’on employa les négociations
ou même l’argent plutôt que la force; et un panégyriste flatteur, et par
conséquent digne de foi dans ce qui lui échappe de peu favorable, convient que
les Francs ne furent pas réduits par les armes.
La paix rétablie dans la Gaule laissa à Constant la liberté de
passer dans la Grande-Bretagne, sous le consulat de Placidus et de Romulus. Les
Calédoniens menaçaient la province. L’empereur n’annonça son dessein que par un
impôt extraordinaire, qu’il leva en ce temps-là pour armer
une flotte. Voulant surprendre les ennemis, qui se croyaient en sureté, du
moins pendant l’hiver, il s’embarqua à Boulogne à la fin de janvier, et prit
les devants, accompagné seulement de cent soldats.
On ignore le détail de cette expédition. Si l’on s’en rapporte
aux éloges donnés à Constant sur ses médailles, il terrassa
les barbares; mais ces monuments sont sujets à donner de l’éclat aux moindres
succès, et le métal même sait flatter. On ne peut non plus rien conclure en
faveur de Constance de ce que dit une chronique, qu’il triompha des Perses
cette année. Un orateur qui ne lui a pas épargné les éloges pendant sa vie lui
a reproché après sa mort d’avoir souvent triomphé sans avoir vu l’ennemi, et
même après avoir été vaincu.
Il paraît
cependant que l’armée suivante, Léontius et Sallustius étant consuls, Constance remporta quelque
avantage sur les Perses. On parle d’un combat ou ceux-ci tirent une grande
perte. Mais ce qui rend cette année plus mémorable, c’est le désastre de Néocésarée, ville située dans le Pont, sur le fleuve Lycus, et célèbre depuis un siècle par les miracles de son évêque
saint Grégoire, surnommé le Thaumaturge. Un tremblement de terre avait un an
auparavant ruiné une grande partie de la ville de Salamine, dans l’île de Chypre.
Ce fléau, qui se communiquait aux diverses contrées de l’Orient, éclata à Néocésarée. La terre s’ouvrit; toute la ville fut abîmée, à
la réserve de l’église et de la maison épiscopale. Ce fut le privilège de
cette église, où le Thaumaturge était enterré, de rester entière lorsque le
reste de la ville tombait en ruine; et l’histoire en fait la remarque en
plusieurs occasions. Il n’échappa qu’un petit nombre d’habitants, qui se
trouvèrent alors dans l’église avec l’évêque Théodule. Pour achever l’histoire
de ces terribles secousses, si ordinaires en ce temps-là, l’année suivante l’île
de Rhodes fut presque entièrement bouleversée: en 346, Dyrrachium,
aujourd’hui Durazzo, sur les côtes de l’Albanie,
tomba tout entière. Rome fut ébranlée pendant trois jours et trois nuits, et
douze villes de Campanie furent ruinées. Enfin, l’an 349, Béryte, une des
principales villes de la Phénicie, renommée par son école de jurisprudence, fut
détruite en grande partie. Théophane rapporte que la plupart des païens se réfugièrent
dans l’église, promettant d’embrasser la religion chrétienne; mais que, le
péril étant passé, ils se crurent quittes de leur promesse en s’assemblant en
un lien qu’ils appelèrent Oratoire, où ils contrefaisaient les
cérémonies du christianisme sans renoncer à leurs anciennes superstitions.
Constance
ne manquait pas de zèle pour répandre chez les nations étrangères les semences de la foi; mais elles étaient
mêlées d’ivraie; on y portait en même temps l’arianisme. Les Homérites habitaient l’Arabie heureuse vers la jonction du
golfe Arabique et de l’Océan, près du royaume de Saba. Leur capitale se nommait Taphar. Outre plusieurs autres villes, il y avait deux
ports; l’un, sur la côte, qu’on appelait dès-lors la côte d’Aden, fréquenté par
les négociants romains; l’autre, plus à l’orient, ouvert aux vaisseaux des
Perses. Cette nation était très nombreuse; elle prétendit descendre d’Abraham
par un fils de Cétura. L’Evangile y avait été porté
d’abord, à ce qu’on croit, par l’apôtre saint Barthélemi,
et dans le siècle suivant par Pantène, prêtre d’Alexandrie. Mais, la foi s’y
étant éteinte, on y adroit alors le soleil, la lune et les dieux du pays. Il y avait
beaucoup de Juifs : tout le peuple était circoncis, comme les Ethiopiens et les
Troglodytes, au-delà du golfe. Constance ménageait cette nation , à cause de la
guerre des Perses. Dans le dessein de la convertir au christianisme, il y
envoya une ambassade, dont le chef fut un Indien célèbre, nommé Théophile. Il était
né dans l’ile de Diu, qu’on croit être celle qui porte encore le même nom vers
l’embouchure de l’Indus. Envoyé à Constantin en otage par ceux de son pays, dès
sa première jeunesse, il tomba entre les mains d’Eusèbe de Nicomédie, qui lui
inspira les principes de l’arianisme avec ceux de la religion chrétienne, et
lui conféra le diaconat. Afin de lui donner plus d’autorité dans sa mission,
les ariens le firent évêque. L’empereur le chargea de riches présents pour les
princes du pays, et de grandes sommes d’argent, qu’il devait employer à bâtir
des églises. Il le fit accompagner de deux cents chevaux de Cappadoce, qu’il envoyait
au roi de la contrée. Les chevaux de ce pays étaient les plus estimés de
l’empire: on les réservoir pour le service de l’empereur. Théophile réussit
malgré l’opposition des Juifs. Le roi des Homérites reçut le baptême; il fit bâtir trois églises, non pas des deniers envoyés par
l’empereur, mais à ses propres dépens; l’une à Taphar,
les deux autres dans les deux villes de commerce. L’évêque, après avoir jeté
dans cette contrée les fondements de la foi, fit un voyage dans sa patrie et
parcourut une partie de l’Inde, réformant les abris qui s’étaient glissés
parmi les chrétiens, mais y répandant le poison d’Arius. Revenu en Arabie, il
passa de l’autre côté du golfe à Auxume, métropole de
l’Ethiopie. La nouvelle doctrine ne trouva pas sans doute beaucoup de crédit
chez un peuple gouverné par le pieux évêque Frumentius,
établi dans ce pays sous le règne de Constantin. A son retour, ce zélé
missionnaire de l’arianisme fut comblé d’honneurs par Constance; il porta toute
sa vie le titre d’évêque, sans être attaché à aucun siège. Son parti l’admirait
comme un conquérant évangélique: on prétendait même qu’il faisait des
miracles.
Ces
succès étrangers ne satisfaisaient pas l’ambition des ariens; ils voulaient
dominer dans l’empire. Ce n’était de leur part qu’agitations et inquiétudes.
Toujours enveloppés de nuages, hérissés d’équivoques, ils changeaient
perpétuellement de langage. Feignant d’appuyer d’une main la foi de l’Eglise en
se déclarant contre Arius, ils travaillaient de l’autre à la détruire en
rejetant la consubstantialité. Pour éclipser le concile de Nicée, ils assemblaient
sans cesse des conciles; ils multipliaient les professions de foi pour étouffer
la véritable. Ils en dressèrent encore une à Antioche, où ils tinrent un
nouveau synode sous le consulat d’Amantius et
d’Albinus. Elle fut appelée la longue formule, parce qu’elle était beaucoup
plus étendue que les autres, sans en être moins obscure ni moins ambiguë: elle était
même contradictoire: la foi et l’hérésie, tout s’y trouvait, excepté le terme
de consubstantiel. Plusieurs d’entre eux furent chargés de la porter aux
évêques d’Occident, pour obtenir leur souscription.
Constance n’assista pas à ce synode : il marchait alors vers la
Perse, d’où l’on craignait sans cesse une irruption. La haine de Sapor contre
les Romains croissait de plus en plus. Tant que la religion chrétienne avait
été persécutée dans l’empire, la Perse avait ouvert les bras aux chrétiens qui venaient y chercher un asile.
Mais, depuis la conversion de Constantin, Sapor les regardait comme autant
d’espions et de traîtres : il les accusait de favoriser
les Romains, avec lesquels ils s’accordaient dans le culte. Sous ce prétexte il
les livrait aux plus affreux supplices. Les tables ecclésiastiques donnaient
les noms de seize mille martyrs, tant hommes que femmes: le reste était
innombrable. Ces cruels traitements contribuaient à fortifier les
soupçons de Sapor: un grand nombre de fidèles se réfugiaient dans les villes
romaines; et, par une sorte de reflux, la persécution les ramenait dans les
mêmes contrées d’où la persécution les avait chassés. Constance s’avança
jusqu’à Nisibe, où se rendait sans doute une partie de ces pieux fugitifs. Mais
on ne voit pas que les Perses aient cette année passée le Tigre, et l’empereur
revint à Antioche sans avoir tiré l’épée.
On avait commencé le 17 d’avril à construire à Constantinople
des thermes magnifiques, qui portèrent le nom de Constance. Il y fit
transporter d’Antioche les statues de Persée et d’Andromède.
Un
ouvrage bien plus important s’exécutait près d’Antioche. La côte voisine de
celte ville était d’un accès difficile. Des roches cachées sous les eaux, et
d’autres qui bordaient le rivage en défendaient l’approche. Tout le commerce se
faisait au port de Séleucie, situé à quarante stades de l’embouchure de
l’Oronte. Constance fit ouvrir ce port, et lui donna une face toute nouvelle
pour le rendre plus spacieux et plus commode. Cette entreprise coûta beaucoup de travail
et de dépense. Il fallut couper une montagne et creuser un bassin dans le roc.
Séleucie fut augmentée de nouveaux édifices, et Antioche ornée de portiques et
de fontaines. En reconnaissance, cette dernière ville voulut prendre le nom de
Constance; mais son ancien nom, célèbre depuis plusieurs siècles, ne céda pas à
ce goût de flatterie, qui eut plus de succès à l’égard d’une ville moins
illustre; c’était Antarade en Phénicie. Constance la fit rebâtir: elle porta
dans la suite indifféremment son premier nom et celui de son
restaurateur.
Les deux
empereurs étaient consuls cette année. Constance pour la quatrième fois, et
Constant pour la troisième. Il est remarquable qu’ils ne prirent point le consulat
au commencement de l’année: l’histoire n’en donne point la raison. Le premier
monument où ils soient nommés consuls est une loi du 7 de mai.
Constance était alors à Constantinople, et il paraît qu'il y séjourna le reste
de cette année, et jusqu’au mois de mars de la suivante. Il s’y apparemment
rendu afin d’arrêter les suites d’une sédition. Le peuple révolté , on ne sait
à quelle occasion, avait blessé un magistrat considérable, nommé Alexandre, qui
fut obligé de se sauver à Héraclée. Les séditieux se saisirent de ceux qui leur
étaient suspects; et, se flattant d’être toujours les maîtres, ils les mirent
en prison en attendant qu’on instruisît leur procès. Bientôt ils se calmèrent,
peut-être avec aussi peu de raison qu’ils s’étaient soulevés. Le magistrat
offensé rentra dans la ville, et se mit en devoir de punir les mutins. Mais il
survint dès la nuit suivante un ordre de l’empereur qui destituait Alexandre,
et qui mettait en sa place Liménius, que Libanius dépeint comme un homme sans mérite et d’une vanité
ridicule.
Cependant
Sapor, rentré en Mésopotamie, assiégeait Nisibe pour la seconde fois. Toutes
les forces de la Perse échouèrent encore devant celte ville, quoiqu’elle ne fût
défendue que par sa garnison; et Sapor fut obligé d’en lever le siège au bout
de soixante-dix-huit jours.
Dans le thème temps que Constance était venu à Constantinople,
Constant avait passé en Italie. Il était à Milan au mois de juin. Il y manda
Athanase et plusieurs évêques d'Occident, qui s’assemblèrent en
synode. Les députés orientaux, leur ayant présenté cette longue formule dont
j’ai parlé, leur demandèrent d’y souscrire. Les évêques
répondirent qu’ils s’en tenaient à la profession de Nicée, et qu’ils rejetaient
toutes les autres, comme des productions d’une curiosité dangereuse: ils
proposèrent à leur tour de condamner la doctrine d’Arius. Cette proposition
irrita les députés; ils partirent brusquement, et les évêques prirent cette
occasion pour conjurer l’empereur de renouveler ses instances auprès de son
frère, et d’obtenir de lui qu’il voulût bien concourir à terminer par
un concile œcuménique les contestations qui déchiraient le sein de l’Eglise.
Constant avait plusieurs fois écrit à son frère des lettres pressantes en
faveur d’Athanase et des autres évêques bannis; mais Constance, toujours obsédé
par les ariens, était sourd à de si justes remontrances. Constant, à la
sollicitation du synode, lui proposa un concile général, où se rassembleraient
les prélats des deux partis. Constance y consentit. Les empereurs choisirent la
ville de Sardique, comme la plus commode pour les
évêques d’Orient et d’Occident, parce qu’elle était sur la frontière des deux
empires. Constant, ayant fait un voyage dans ses états d’Illyrie
et de Macédoine, et s’étant avancé jusqu’à Thessalonique, retourna en Gaule, et
fit venir à Trêves Athanase, qui partit peu après avec le célèbre Osius pour se
rendre à Sardique.
Le concile s’assembla au commencement de l’année suivante, 347,
sous le consulat de Rufin et d’Eusèbe. Jamais, depuis le concile de Nicée ,
l’Eglise n’a voit vu un si grand nombre de
prélats réunis. Cent évêques d’Occident et soixante et
treize d’Orient allaient combattre comme en bataille rangée, les uns
pour la foi de Nicée, les autres pour
la doctrine d’Arius, dont la plupart cependant n’osaient se déclarer les
partisans. Ce fut en cette rencontré qu’on vit naître entre l’église d’Orient
et celle d’Occident ces premières étincelles de division qui, ayant paru
s’éteindre ensuite, mais n’étant qu’assoupies, ont, sous d’autres prétextes,
éclaté plusieurs siècles après par un embrasement funeste, dont les suites
durent encore de nos jours. Entre les Occidentaux on compte
cinq transfuges qui se joignirent aux ariens: les deux plus renommés sont
Ursace de Singidon, et Valens de Murse.
Deux prélats se détachèrent aussi du parti des Orientaux, et vinrent instruire
leurs adversaires des complots contre eux. Il y en avait d’autres encore qui étaient
orthodoxes dans le cœur : mais la crainte de Constance et la
violence de leurs collègues les tenaient comme enchaînés. Le pape Jule, qui avait
été invité, s’excusa sur les maux que son absence pourrait causer à son troupeau;
il envoya deux légats prêtres et un diacre. Plusieurs prélats, qui s’étaient,
vingt-deux ans auparavant, signalés à Nicée, donnaient à cette illustre
assemblée un nouvel éclat, et y apportaient le même courage. Osius, âgé de plus
de quatre-vingt-dix ans, était le plus célèbre; il fut l’oracle de ce concile:
c’était lui qui proposait et qui demandait les avis; et son nom se lit en tête
de toutes les signatures. Outre Athanase, Marcel et Asclépas,
on y vit paraitre Luce d’Andrinople, présentant au concile les
fers dont il avait été chargé par les ariens; et plusieurs
autres évêques, décharnés par la faim et meurtris de coups, portaient les
marques d’une persécution barbare. Du côté des ariens c’étaient les plus hardis
qui venaient avec confiance s’offrir au choc; et pour
assurer leur victoire, ils s’étaient fait accompagner du comte Musonien et du chambellan Hésychius.
Théognis était mort depuis peu; mais, fidèle à son parti, et livré au mensonge
jusqu’au dernier soupir, il avait en mourant supposé des lettres, dans la vue
d’irriter l’empereur contre Athanase. Valens était encore tout échauffé d’une
sédition qu’il venait d’exciter à Aquilée, dont il avait voulu usurper le siège
, et il y avait vu fouler aux pieds un évêque nommé Viator,
qui en était mort trois jours après. Théodore
d’Héraclée, Etienne, nouvel évêque d’Antioche, Ursace de Singidon,
ne montraient pas moins d’ardeur. Cependant, se sentant
encore trop faibles contre la vérité et la justice, ils convinrent ensemble de
ne pas entrer au concile si les choses ne paraissaient pas disposées à leur
avantage.
En
effet, lorsqu’à leur arrivée ils virent qu’on allait procéder régulièrement,
que les officiers ne seraient pas admis à l’assemblée, qu’Athanase et les
autres bannis y seraient reçus, qu’on était disposé à écouter leurs défenses,
et qu’ils allaient eux-mêmes être convaincus’ de tant d’horribles violences,
ils s’enfermèrent dans le palais; et, ayant tenu conseil entre eux, ils prirent
le parti de se retirer. Ils envoyèrent signifier au concile leur refus d’y
assister, sous prétexte que, les accusés étant déjà frappés d’anathème, on ne pouvait
sans crime communiquer avec eux. Ils s’autorisaient encore d’une prétendue
lettre de l’empereur qui les rappelait, disaient-ils, pour célébrer une
victoire qu’il venait de remporter sur les Perses. Des raisons si frivoles
n’excitèrent que l’indignation. Osius employa tous ses efforts pour vaincre ces
esprits opiniâtres; il s’avança, de l’aveu du concile, jusqu’à leur proposée de
comparaitre devant lui seul; que, s’ils réussissaient à convaincre Athanase,
celui-ci serait déposé : si, au contraire , ils étaient confondus et qu’ils
persistassent cependant à le rejeter, il renoncerait à l’évêché d’Alexandrie,
et se retirerait en Espagne avec Osius. Athanase acceptait ces conditions,
quelque injustes qu’elles fussent; mais les ariens refusaient tout. Enfin,
s’embarrassant peu d’être condamnés par le concile, parce qu’ils étaient bien
assurés que l’empereur né permettrait pas l’exécution de la sentence, ils se
retirèrent sur les confins de la Thrace, à Philippopolis,
ville qui appartenait à Constance, et qui n’était séparée du territoire de Sardique que par le pas de Socques.
Le
concile, ayant perdu toute espérance de les ramener, forma sa décision. Il ne
dressa point de nouvelle profession de foi, déclarant qu’il s’en tenait à
celle de Nicée. On remit à l’examen le jugement de Jule en faveur d’Athanase.
On fit la révision de toutes les pièces du procès à charge et à décharge: on
entendit les accusés. La sentence de Jule fut confirmée: Athanase et les autres
furent de nouveau absous. On ordonna qu’ils rentreraient en possession de leurs
sièges; on cassa les ordinations de Grégoire; et, loin de le reconnaître pour
évêque, on déclara qu’il ne méritait pas même le nom de chrétien. On prononça
la déposition des principaux chefs de la faction arienne. Le concile écrivit
quatre lettres synodales: l’une aux empereurs, pour les prier de rétablir dans
leur premier état les catholiques persécutés, et de réprimer les attentats des
magistrats séculiers: il demandait que la foi fût libre, et qu’on n’employât
plus les chaînes, les bourreaux et les tortures pour gêner les consciences. Une
autre lettre était adressée à tous les évêques: on les informait de ce qui s’était
passé à Sardique, et on les priait d’y souscrire: la
lettre écrite à Jule contenait en peu de mots le même récit, et reconnaissait
le pape pour chef de l’Eglise. Enfin, dans celle qu’on écrivit à l'église
d’Alexandrie, on faisait part aux fidèles de la pleine justification d’Athanase;
on les exhortait à demeurer constamment attachés à sa communion, et on leur prouvait
la nullité de l’ordination de Grégoire. On fit plusieurs canons de discipline,
dont quelques-uns sont des titres respectables de la primauté du Saint-Siège.
Ce concile était général dans sa convocation: mais la séparation des Orientaux
lui ôte la qualité d’œcuménique.
Les
évêques retirés à Philippopolis donnèrent à leur
assemblée le nom de concile de Sardique, pour en imposer
par cette supercherie. L’église d’Afrique n’était pas encore détrompée du temps
de saint Augustin, qui, ne connaissant pas le vrai concile de Sardique, ne regardait l’assemblée qui portait le nom de
cette ville que comme un conciliabule d’ariens. Ils dressèrent une profession
de foi, captieuse selon leur coutume. Ils envoyèrent leur lettre synodale aux
évêques de leur parti. Tous ceux qui avoient été absous par les Occidentaux y
sont condamnés; toutes les anciennes calomnies contre Athanase y sont
renouvelées: ils excommunient Osius, les principaux évêques catholiques , et
même le pape Jule. Cette lettre fut aussi adressée aux donatistes d’Afrique;
mais ceux-ci n’adhérèrent point aux erreurs des ariens, et restèrent attachés à
la foi de la consubstantialité. Le concile de Sardique sépara pour quelque temps l’Orient de l’Occident. Le pas de Sucques fut la borne des deux communions, comme celle des deux empires. Il restait cependant
en Orient des orthodoxes : mais ceux-ci, quoique fermes dans la foi de Nicée, évitaient
les disputes et communiquaient même avec les ariens, qui se divisèrent bientôt
en plusieurs branches. Les uns prétendaient que le fils de Dieu était d’une substance
absolument différente de celle de son père; c’étaient les purs ariens; on les
appela anoméens: les autres reconnaissaient que le fils était en tout semblable
au père; mais ils ne voulaient point qu’on parlât de substance; d’autres
admettaient dans le fils une substance semblable, mais non pas la même;
ils ne rejetaient que la consubstantialité : ils sont nommés sémi-ariens. Le plus grand nombre voltigeaient sans cesse
d’un parti à l’autre, et réglaient leur profession de foi sur les circonstances.
C’était
la coutume de notifier dans des synodes particuliers les décrets des conciles
généraux. L’équivoque du prétendu concile de Sardique rendait dans l’occasion présente cet usage plus indispensable. Constant résidait
alors à Milan. Il s’y assembla un concile nombreux, composé des évêques d’Illyrie
et d’Italie : le pape Jule y envoya des légats : on y accepta les décrets du
vrai concile de Sardique. Ursace et Valens,
retournés à leurs églises, se voyant environnés de prélats orthodoxes; et craignant
les suites de l’anathème, dont un prince catholique ne les sauverait pas,
vinrent se présenter aux évêques; et, plus attachés à leur
dignité qu’à leur sentiment, ils abjurèrent l’arianisme par un acte signé de
leur main. On leur pardonna, et on les admit à la communion. Deux évêques
furent envoyés à Constance pour demander l’exécution du jugement rendu à Sardique, et le rétablissement des prélats bannis. Constant
les fit accompagner d’un officier de ses armées nommé Salien,
recommandable par sa piété et par son amour pour la justice. Il le chargea
d’une lettre par laquelle il faisait les mêmes demandes; il menaçait son frère
d’employer; s’il en était besoin; la force des armes
pour soutenir une cause si juste.
Constance était à Antioche: il avait quitté Constantinople dès les
premiers mois de cette année. En passant par Ancyre y entendit son panégyrique
prononcé par le fameux sophiste Thémistius, qui,
après avoir, selon l’usage, protesté de la vérité de ses éloges, débita beaucoup
de mensonges à la louange de l’empereur. Les députés du concile de Sardique s’étaient rendus à Antioche avant Pâques; et ceux
du concile de Milan durent y arriver avec Salien an commencement de l’année suivante.
Quelques auteurs prétendent que Salia; alors consul
avec Philippe est le même que ce Salien; mais la dignité consulaire ne paraît
guère s’accorder avec cette députation. Philippe, l’autre consul, était d’une
famille très obscure. Un génie souple et intrigant l’avait élevé jusqu’à la
charge de préfet d’Orient, qu’il posséda pendant plusieurs années. Il était
vendu aux ariens, et nous le verrons bientôt signaler son zèle en leur faveur
par des crimes dont il fut mal récompensé. Constance, naturellement timide, ne
reçut pas sans inquiétude les lettres menaçantes de son frère. Mais les Perses
lui donnaient alors de plus vives alarmés.
Après
le siège de Nisibe, ils étaient convenus d’une trêve avec les Romains.
Cependant Sapor, dont l’humeur guerrière n’était gênée par aucun scrupule, employait
ce temps à faire de nouveaux efforts. Il enrôle tout ce qu’il a de sujets
propres à porter les armes; les plus jeunes, pour peu qu’ils paroisses
vigoureux n’en sont pas dispensés. Les villes restent presque désertes. Il
n’épargne pas même les femmes, qu’il oblige de suivre l’armée et de porter le
bagage. Il épuise de soldats les nations voisines, qu’il engage par prières,
par argent, par force. Tout l’Orient s’ébranle et marche vers le Tigre.
Constance, de son côté, rassemble les forces romaines, se met à leur tête, et
s’avance pour arrêter ce torrent. II campe à six lieues du fleuve, et porte des
corps de troupes jusque sur les rives. Bientôt la poussière qui s’élève au-delà
annonce l’approche des Perses; on entend le bruit des armes et le hennissement
des chevaux. Constance, averti par ses coureurs, va lui-même reconnaître l’ennemi;
il ordonne aux postes avancés de se replier, et de laisser le passage libre : N’empêchez
pas même les Perses, leur dit-il, de prendre un terrain avantageux et de
s’y retrancher : tout ce que je souhaite, c’est de les attirer au combat; et
tout ce que je crains, c'est qu’ils ne prennent la fuite avant que d’en venir
aux mains. Les Perses profitent de cette confiance ils jettent trois ponts;
ils mettent plusieurs jours et plusieurs nuits à passer le fleuve sans aucune
inquiétude, et se retranchent près de Singare. Dans
cette ville se trouvait alors un officier de la garde nommé Elien; il n’avait
avec lui qu’une troupe de nouvelles milices. Mais il sut leur inspirer tant de
courage, qu’étant sortis pendant la nuit, ils osèrent, sous sa conduite,
pénétrer jusque dans le camp des Perses : ils les surprirent endormis sous
leurs tentes, en égorgèrent un grand nombre, et se retirèrent sans perte avant
que d’être reconnus. Cette action rendit ces soldats célèbres. On en composa
deux cohortes, sous les nomade Superventores et de Prœventores, qui rappelaient leur
hardiesse. Elien fut honoré du titre de comte.
Les deux armées se rangèrent en
bataille: celle des Perses paraissait innombrable. Elle était composée de soldats
de toute espèce; archers à pied et à cheval, frondeurs, fantassins et cavaliers
armés de toutes pièces. Les rives, la plaine, la pente des montagnes, n’offraient
aux yeux qu’une forêt de lances et de javelots. Les gens de trait couvraient
les coteaux et hourdaient le retranchement: au-devant était rangée la
cavalerie. L’infanterie formait l’avant-garde; elle se mit en marche, et fit
halte hors de la portée du trait : les deux armées restèrent longtemps en
présence. On était déjà à l’heure de midi, dans les plus grandes chaleurs du
mois d’août; et les Romains, sous les armes dès le point du jour, n’étaient pas
accoutumés comme les Perses au soleil brûlant de ces climats. Enfin Sapor,
s’étant fait élever sur un bouclier pour considérer l’armée ennemie, fut
frappé du bel ordre de leur bataille; elle lui parut invincible. C’était un
reste de cette ancienne tactique qui, jointe à la sévérité de la discipline, avait
rendu les Romains maîtres du monde. Sapor savait assez la guerre pour admirer
leur ordonnance, mais non pas pour la rompre de vive force, ni pour la rendre
inutile par la disposition de ses troupes. Soit crainte, soit stratagème, il
fait sonner la retraite, et, fuyant lui-même à toute bride avec un gros de
cavalerie, il repasse le Tigre, et laisse la conduite de l’armée à son fils
Narsès, et au plus habile de ses généraux. Les Perses prennent la fuite vers
leur camp, pour attirer l’ennemi à la portée des traits prêts à partir de
dessus la muraille et les coteaux. Les Romains, au désespoir de les voir
échapper, demandent à grands cris le signal du combat. En vain Constance veut
les arrêter; ils n’estimaient ni sa capacité ni sa valeur; et, malgré ses
ordres, ils courent de toutes leurs forces, et arrivent au
camp sur le soir, lorsque les Perses y rentraient en désordre. Constance,
voyant les siens fatigués d’une course de quatre lieues, épuisés par la chaleur
et par la soif, fait de nouveaux efforts pour les retenir. La nuit approchait;
les archers sur les éminences d’alentour, les cavaliers au pied de la muraille faisaient
bonne contenance. Rien n’arrête la fougue du soldat romain; il fond sur cette
cavalerie, renverse hommes et chevaux, les assomme à coups de masses d’armes.
En un moment le fossé est comblé, les palissades sont arrachées. Ils
s’attachent ensuite à la muraille; elle s’écroule jusqu’aux fondements. Les uns
pillent les tentes et massacrent tous ceux qui ne peuvent fuir; Narsès est fait
prisonnier: les autres courent vers les hauteurs; mais, à découvert de toutes
parts, ils sont accablés d’une grêle de traits, l’obscurité fait égarer leurs
coups; leurs épées, déjà rompues dans le corps des ennemis, refusent de les servir;
après avoir perdu leurs meilleurs soldats, ils se rejettent dans le camp; là,
se croyant victorieux, ils allument des feux, et, accablés de fatigue, brûlant
de soif, ils cherchent de l’eau et ne songent qu’à se désaltérer. Les vaincus,
profitant du désordre, et favorisés des ténèbres de la nuit, fondent sur eux;
ils les percent de traits à la lueur de leurs feux, et les chassent du camp.
Dans cette affreuse confusion, quelques soldats furieux se jettent sur Narsès;
il est fouetté, percé d’aiguillons et coupé en pièces. Constance, fuyant avec
quelques cavaliers, arriva à une méchante bourgade nommée Hibite ou Thébite, à six lieues de Nisibe, où, mourant de
faim , il fut trop heureux de se rassasier d’un morceau de pain qu’il reçut
d’une pauvre femme. Le lendemain, les Perses, ne sentant que leur perte,
repassent le fleuve et rompent les ponts. Sapor, saisi de douleur et de rage,
quitta les bords du Tigre, s’arrachant les cheveux, se frappant la tête, et
pleurant amèrement son fils. Dans l’excès de son désespoir, il fit trancher la
tête à plusieurs seigneurs qui lui avoient conseillé la guerre.
Telle fut la bataille de Singare, où les rives du
Tigre furent tour à tour abreuvées du sang des Perses et des Romains, et où la
mauvaise discipline fit perdre aux vainqueurs tout l’avantage que leur avait
procuré une bravoure téméraire.
En
Occident, les Francs étaient tranquilles, et Constant profitait du calme de ses
états pour travailler à rendre la paix à l’Eglise. Etant allé de Milan à
Aquilée, il y manda Athanase, et l’engagea ensuite à passer à Trêves. Gratus, évêque de Carthage, en allant au concile de Sardique, avait représenté à l’empereur les violences que
les circoncellions ne cessaient de commettre en Afrique. Le prince y envoya
deux personnages considérables, nommés Paul et Macaire. Ils étaient chargés de
distribuer des aumônes, et de donner leurs soins à ramener les esprits. Donat,
faux évêque de Carthage, les rebuta avec insolence , et défendit à ceux de sa
communion de recevoir leurs aumônes. Un autre Donat, évêque de Bagaï en Numidie, assembla les circoncellions. Les envoyés
de l’empereur, pour se mettre à couvert de leurs insultes, furent obligés de se
faire escorter par des soldats que leur donna le comte Sylvestre. Quelques-uns
de ces soldats ayant été maltraités, leurs camarades, malgré les commandants,
en tirèrent vengeance: ils tuèrent plusieurs donatistes, entre autres Donat de Bagaï. On employa contre ces sectaires des rigueurs qui
furent blâmées des évêques catholiques. Cette conduite trop dure de Paul et de
Macaire donna occasion à la secte de les rendre odieux comme persécuteurs, et
d’honorer comme martyrs ceux qui perdirent la vie. Mais les commissaires n’excédèrent
pas les bornes d’une sévérité légitime en chassant de Carthage le faux évêque Donat,
et en traitant de même plusieurs autres évêques obstinés. Une grande partie du
peuple rentra dans la communion catholique. Gratus cimenta cette heureuse union par un concile tenu à Carthage; et la
tranquillité, rétablie dans l’église d’Afrique, subsista jusqu’à la mort de
Constance.
Il était
temps que les menaces de Constant arrêtassent en Orient la persécution, qui avait
redoublé de violence après le concile de Sardique.
Les ariens de Philippopolis, irrités contre les habitants
d’Andrinople, qui rejetaient leur communion, s’en étaient plaints à Constance;
et, par les ordres de ce prince, le comte Philagre avait fait trancher la tête
à dix laïcs des plus considérables de la ville. L’évêque Luce fut de nouveau
chargé de chaînes, et envoyé en exil, où il mourut. Des diacres, des prêtres,
des évêques avoient été, les uns proscrits, les autres relégués dans les
montagnes de l’Arménie ou dans les déserts de la Libye. On gardait les portes
des villes pour en interdire l’entrée aux prélats rétablis par le vrai concile.
On envoya de la part de l’empereur aux magistrats d’Alexandrie un ordre de
faire mourir Athanase, s’il osait se présenter pour rentrer en possession de
son siège. On redoublait les fouets, les chaînes, les tortures. Les catholiques
fuyaient au désert; quelques-uns feignaient d’apostasier. Ce fut au milieu de
ce désordre que les lettres de Constant vinrent suspendre les coups que son
frère portait à l’Eglise.
Constance
ne se rendit pas d’abord. Son incertitude lui attira une seconde lettre plus
forte que la précédente. Il connaissait le caractère vif et bouillant de son
frère; il ne doutait pas que ses menaces réitérées ne fussent bientôt suivies
de l’exécution. Dans cet embarras, il assemble plusieurs évêques du parti, et
leur demande conseil. Ils sont d’avis de céder plutôt que de courir les
risques d’une guerre civile. L’empereur feint de s’adoucir. Il permet à Paul
de retourner à Constantinople. Il invite par lettre Athanase à le venir
trouver, lui promettant non-seulement une sûreté entière et le rétablissement
dans son église, mais encore les effets les plus réels de sa bienveillance. Il
lui témoigne beaucoup de compassion sur ses malheurs, et lui fait des reproches
de ce qu’il n’a pas préféré de recourir à lui pour obtenir justice. Cette
feinte douceur n’était capable que d’inspirer de nouveaux soupçons. Aussi
Athanase ne se pressa pas d’y répondre. Dans ces circonstances on découvrit un
horrible complot qui déshonora les ariens , et qui fit pour quelques moments
ouvrir les yeux à leur aveugle protecteur.
Les
deux évêques envoyés avec Salien à Constance étaient Vincent de Capoue et Euphratas de Cologne. Etienne, évêque d’Antioche, résolut
de leur ôter tout crédit auprès de l’empereur, et de les perdre d’honneur à
la face de toute la terre. Dans ce dessein, il trama l’intrigue la plus noire
et la plus honteuse. Il avait à ses ordres un jeune homme de la ville dont il
se servait pour maltraiter les catholiques. C’était un scélérat sans pitié et
sans pudeur. On lui avait donné le surnom d’Onagre, mot qui signifie âne
sauvage, à cause de sa pétulante férocité. L’évêque lui fait part de son
dessein, et n’a pas besoin de l’exciter à le remplir. Onagre va trouver une
femme publique: il lui dit qu’il est arrivé deux étrangers qui veulent passer
la nuit avec elle. Il convient avec quinze brigands semblables à lui qu’ils se
placeront en embuscade autour de la maison où logeaient les deux évêques. La
nuit suivante, Onagre conduit la courtisanne. Un domestique qu’il avait
corrompu par argent tenait la porte ouverte: cette femme se glisse dans la
chambre d’Euphratas: c’était un vieillard vénérable.
Il s’éveille au brui; et ayant demandé qui c’était comme il entend la voix
d’une femme, il ne doute pas que ce ne soit une illusion du diable, et se
recommande à Jésus-Christ. Aussitôt Onagre entre avec des flambeaux à la tête
de sa troupe. La courtisanne, frappée de la vue d’un homme si respectable, et
qu’elle reconnait pour un évêque, s’écrie qu’elle est trompée: on veut lui
imposer silence; elle crie plus fort: tous les valets
accourent. Vincent, qui couchait dans une chambre voisine, vient au secours de
son collègue: on ferme les portes; on arrête sept de ces misérables. Onagre s’échappe
avec les autres. Dès le point du jour, les évêques instruisent Salien de cet
attentat; ils vont ensemble au palais; les prélats requièrent un jugement
ecclésiastique. Salien soutient qu’un fait de cette nature est du ressort des
tribunaux séculiers; il demande une information juridique: il offre les
domestiques des deux évêques pour être appliqués à la question; et comme tout
le soupçon tombait sur Etienne, dont Onagre était le ministre ordinaire, il
exige qu’Etienne représente aussi les siens. Celui-ci le refuse, sous prétexte
que ses domestiques, étant clercs, ne peuvent être mis à la question. L’empereur
est d’avis que l’information se fasse dans l’intérieur du palais. On interroge
d’abord la courtisanne, qui déclare la vérité: on s’adresse ensuite au plus
jeune de ceux qui avoient été arrêtés; il découvre tout le complot: Onagre est
amené, et proteste qu’il n’a rien fait que par les ordres d’Etienne. Cet
indigne prélat est aussitôt déposé par les évêques qui se trouvent à Antioche.
L’empereur,
irrité d’une si affreuse imposture, rappelle d’exil les prêtres et les diacres
d’Alexandrie; il défend d’inquiéter ni les clercs ni les laïcs attachés à l’évêque
Athanase.
La
guerre des Perses, qui commençait alors à l’occuper tout entier, ne lui fit pas
perdre de vue le retour du prélat. Dans sa marche même, étant à Edesse, il lui
écrivit une seconde lettre, dont il chargea un prêtre d’Alexandrie: c’était
apparemment un des exilés qui revenait d’Arménie, et qui s’était présenté à
l’empereur. Constance pressoir de nouveau le saint évêque; il lui permettait de
prendre des voitures publiques pour se faire conduire à la cour. Mais il était
de retour à Antioche avant qu’Athanase se fût déterminé à le venir trouver.
Grégoire
était mort à Alexandrie, et l’empereur n’avait pas permis aux ariens de lui
nommer un successeur. Enfin, l’année suivante, sous le consulat de de Catulinus, Athanase, pressé par une troisième lettre de
Constance, et par celles de plusieurs comtes, dont la bonne foi lui était moins
suspecte, se rend à tant de sollicitations. Il va d’abord à Rome trouver le
pape Jule, qui, transporté d’une sainte joie, écrit à l’église d’Alexandrie
pour la féliciter du retour de son évêque. De là il prend la route d’Antioche,
où l’empereur affecta de réparer ses injustices passées par l’accueil le plus
honorable. La seule grâce qui lui fut refusée, ce fut celle de confondre en
face ses calomniateurs, qui étaient à la cour. Mais le prince lui promit avec
serment de ne les plus écouter en son absence. Constance écrit aux Alexandrins
pour les exhorter à la concorde; il leur recommande l’obéissance à leur évêque;
il ordonne aux magistrats de punir les réfractaires; il déclare que l’union
avec Athanase sera à ses yeux le caractère du bon parti il enjoint par un ordre
exprès aux Commandants de la ville et de la province, d’annuler et d’effacer
des registres publics tous les actes et tontes les procédures faites contre
l’évêque, contre ceux de sa communion, et de rétablir le clergé d’Athanase dans
tous ses privilèges. On ne peut concevoir comment Constance a pu sans rougir
donner à la doctrine et aux mœurs du saint prélat les éloges dont ces lettres
sont remplies. Il entrait dans cette conduite plus de crainte de Constant que
de sincérité et de véritable repentir. Aussi voit-on ici ce prince se démentir
lui-même. Il était alors autant que jamais le jouet des ariens qui l’avoient
tant de fois trompé. Ce fut à leurs instances qu’ayant un jour fait appeler
Athanase : Vous voyez, lui dit-il, tout ce que je fais pour vous;
faites à votre tour quelque chose pour moi; je l’attends de votre
reconnaissance: de toutes les églises d’Alexandrie, je vous en demande une pour
ceux qui ne sont pas de votre communion.
Prince, lui répond
Athanase sans se déconcerter, vous avez le pouvoir d'exécuter ce que vous
désirez; mais accordez-moi aussi une grâce.
Je
vous l’accorde, lui dit aussitôt Constance.
Il y
a ici, a Antioche, répliqua Athanase, beaucoup d’habitants
séparés de la communion de l’évêque; il est de votre justice que tout soit égal
: donnez-leur une église, comme vous en demandez une pour céux d’Alexandrie.
Depuis
la déposition d’Etienne, l’église d’Antioche était gouvernée par Léonce, qui
n’était pas moins livré à l’arianisme; et les catholiques appelés eustathiens étaient en grand nombre. Constance,
frappé de la présence d’esprit d’Athanase, ne put lui répondre sans avoir
consulté ses oracles ordinaires. Ceux-ci jugèrent que par cette concession
mutuelle leur parti perdrait beaucoup plus à Antioche qu’il ne gagnerait à
Alexandrie, tant que leur doctrine y trouverait un si puissant adversaire; et
l’empereur se désista de sa demande.
Dans le voyage d’Antioche à Alexandrie, Athanase fut partout reçu avec honneur. Les évêques, excepté quelques ariens, s’empressaient à lui témoigner leur respect. La plupart même de ceux qui l’avoient auparavant condamné ou abandonné revenaient à sa communion. Les prélats dé Palestine l’assemblèrent à Jérusalem; ils écrivirent une lettre aux églises d’Egypte, de Libye, d’Alexandrie, pour les assurer qu’ils partageaient leur joie. A son arrivée ce fut une fête par toute l’Egypte, mais une fête vraiment chrétienne. C’était par l’imitation d’Athanase qu’on solennisait son retour. On versait des aumônes abondantes dans le sein des pauvres; les ennemis se réconciliaient; chaque maison semblait une église; Alexandrie tout entière était devenue un temple consacré aux actions de grâces et à la pratique des vertus. Tous les évêques catholiques envoyaient à Athanase et recevaient de lui des lettres de paix, Ursace et Valens eux-mêmes lui écrivirent d’Aquilée, et lui demandèrent sa communion. Ils venaient de confirmer à Rome, en présence de Jule et de plusieurs évêques, par une nouvelle protestation signée de leurs mains, qu’ils avoient prononcé à Milan contre la doctrine d’Arius; ils avoient de plus par ce même acte déclaré fausses et calomnieuses toutes les accusations formée contre Athanase: c’était confesser leur propre crime. L’Eglise respirait après un orage de plus de sept années. Les évêques exilés étaient rétablis, les ariens quittaient en tumulte les sièges usurpés: Macédonius, obligé de céder à Paul, ne conserva dans Constantinople qu’une seule église. Cette paix, qui était l’ouvrage de Constant, fut bientôt troublée. Elle ne survécut pas à ce prince, dont la mort fut l’effet d’une révolution soudaine, et la cause des plus violentes agitations.
CONSTANT, CONSTANCE.LIVRE SEPTIÈME
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HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |