L'ESPRIT RÉVOLUTIONNAIRE AVANT LA RÉVOLUTION.1715-1789.FELIX ROCQUAINLIVRE IV.GOUVERNEMENT DE LOUIS XV (1743-1751)
Le 29 janvier 1743, le cardinal de Fleury expirait. Aucune émotion ne se produisit dans Paris à la nouvelle de cet événement. Il avait été si souvent annoncé que l'impression en était, pour ainsi dire, épuisé. On ne laissa pas de regarder cette mort comme un bienfait. Peu de ministères avaient été préjudiciables à la France comme le ministère de ce vieillard égoïste, intolérant et dévot; et, sur la fin, peu furent aussi odieux. Il avait tendu outre mesure les ressorts du despotisme, sans racheter cet excès d'autorité par aucune idée de grandeur; il avait amoindri le Parlement, la Sorbonne, l'Université, gêné la pensée, opprimé les consciences, soulevé par la violence et la persécution les ferments de la révolte, discrédité la religion et abaissé le gouvernement. En mourant, il léguait au pays la disette et la guerre, et le laissait sans finances, sans généraux, sans ministres et sans roi. Si les esprits réfléchis pouvaient seuls discerner l'étendue des maux que ce ministère avait faits à la France, chacun sentait du moins, en une certaine mesure, l'état critique où se trouvait le royaume. Tous les vœux se tournèrent vers Louis XV. On se flattait de l'espoir que, délivré de la tutelle qui avait si longtemps pesé sur lui, il voudrait réparer les désordres qu'il n'avait su prévenir; et, le jour même où Fleury expirait, ce mot courut Paris: Le cardinal est mort, vive le Roi! On put croire que Louis XV allait se rendre à ces vœux. « Messieurs, avait-il dit à ses secrétaires d'État en apprenant la mort de son ancien précepteur, me voilà donc premier ministre.» De cette parole, aussitôt commentée dans le public, on conclut avec joie que le cardinal de Tencin était «coulé à fond»; on se persuada aussi que Louis XV allait enfin régner, et, jugeant dès lors qu'il avait été méconnu, on fut prêt à l'admirer après l'avoir méprisé. Mais un mois ne s'était pas écoulé, que, déjà fatigué des affaires, il se montrait disposé à les confier de nouveau à un premier ministre. Le cardinal de Tencin, revenu à ses ambitieuses espérances, essaya, pour se rendre nécessaire, de ranimer les querelles sur la Constitution. A son instigation, un arrêt du Conseil supprima une consultation de plusieurs avocats rédigée en faveur de deux ecclésiastiques, qui, après avoir été condamnés dans un synode, avaient été mis à la Bastille et ensuite exilés. Contrairement à son attente, l'opinion ne s'émut point de cet arrêt. La guerre malheureuse engagÉ si imprudemment par le cardinal de Fleury deux ans auparavant, et qui menaçait de se prolonger encore, absorbait à cette heure toutes les préoccupations. Non-seulement les négociations tentées par le cardinal de Fleury pour obtenir la paix étaient demeurées sans effet, mais les hostilités avaient pris des proportions plus redoutables. Louis XV, comme autrefois son aïeul, avait maintenant contre lui l'Autriche, l'Angleterre, la Hollande et la Savoie. En présence de cette coalition, il dut augmenter ses forces, et la France compta bientôt trois cent mille hommes sous les armes. On ne vit point sans alarme cet accroissement de sacrifices imposés au pays. Une ordonnance du Roi qui enjoignait de lever à Paris trente mille hommes de milice,—et qui, en frappant les artisans, exemptait les laquais, excita dans le faubourg Saint-Antoine une violente agitation. Des placards séditieux furent affichés dans les rues, et le gouvernement dut prendre des mesures pour empêcher des troubles. L'annonce d'un nouvel échec essuyé par nos armes accrut le mécontentement. Dans les endroits publics, on s'élevait tout haut contre l'inhabileté de nos généraux et l'incurie des ministres. On recommençait à murmurer de l'insensibilité du Roi, qu'on voyait, au milieu de l'inquiétude et de la tristesse générales, occupé uniquement de ses voyages à Ghoisy avec madame de La Tournelle et sa sœur, madame de Lauraguais. A la vue des périls qui, au dedans et au dehors, menaçaient le royaume, madame de Tencin, qui, avec son esprit d'intrigue, ne manquait pas de pénétration, disait: «A moins que Dieu n'y mette la main, il est impossible que l'État ne culbute.» D'Argenson écrivait, l de son côté, le 30 juillet 1743: «La Révolution est certaine yans cet État-ci; il s'écroule par les fondements; il n'y a plus qu'à se détacher de sa patrie et à se préparer à passer sous d'autres maîtres et sous quelque autre forme de gouvernement». En 1733, on pressentait une révolution dans l'Église; dix ans après, on en prévoyait une également dans l'État. De nouvelles levées d'hommes et de milice et un redoublement d'impôts augmentèrent l'anxiété. On disait que, pour persister dans cette guerre désastreuse, la cour ignorait sans doute à quel point la misère désolait les provinces. Pendant qpe des ministres inconsidérés jouaient ainsi «à quitte ou double» les destinées du royaume, Louis XV, livré aux mêmes dissipations, conférait à madame de La Tournelle le duché de Ghâteauroux par des lettres patentes qu'enregistrait le Parlement. La publicité donnée à ces lettres, qu'on cria impudemment dans les rues, excita de nouveaux témoignages de désapprobation. Ce ne fut plus seulement sur les ministres, mais sur le Roi que se débitèrent tout haut les discours offensants, et la licence en fut portée au point que la police dut opérer nombre d'arrestations. Toutefois, lorsqu'on vit Louis XV, sortant de sa longue et coupable inertie, partir au mois de mai 1744, pour se placer à la tête des armées, et déployer des preuves inattendues d'activité et de courage, les signes de mécontentement cessèrent. Un changement subit parut s'accomplir à son égard dans les dispositions du public. D'Argenson lui-même, oubliant ses pressentiments, se disait: «Aurions-nous un Roi?». Une véritable émotion saisit les Parisiens, quand le bruit se répandit que le Roi était malade et mourant à Metz. Touché des représentations de l'évêque de Soissons, Louis XV avait congédié la duchesse de Ghâteauroux, et l'idée qu'il était résolu à une vie plus sévère concourait à lui gagner les cœurs. On priait, on pleurait dans les églises. On assiégeait la poste pour avoir des nouvelles; on se portait au-devant des courriers. Celui qui le premier annonça la convalescence du Roi fut embrassé par la foule, et l'on célébra cette convalescence dans tout Paris par des réjouissances spontanées. Les classes populaires se signalèrent entre toutes par l'ardeur de leurs démonstrations, et il n'y eut pas jusqu'aux porteurs d'eau qui, pour marquer leur allégresse, ne fissent, à leurs frais, chanter des Te Deum. Louis XV s'étonna lui-même des témoignages d'affection dont il était l'objet, se demandant ce qu'il avait fait pour mériter d'être aimé. Par un bonheur inespéré, la fortune, si long-temps contraire, souriait en ce moment à nos armes. Maurice de Saxe, qui venait d'être nommé maréchal de France, fit oublier l'impéritie de nos généraux. Aux Te Deum chantés pour la convalescence du Roi succédèrent les Te Deum chantés pour les succès répétés de nos armées. La victoire de Fontenoy, en 1745, qui prépara la conquête de la Flandre, et à laquelle Louis XV assistait accompagné du Dauphin, ajouta encore au prestige du monarque. Le Parlement envoya des députés complimenter solennellement Louis XV à la frontière, et voulut ordonner lui-même les cérémonies qui devaient honorer le retour du souverain à Paris. Voltaire unit sa voix à ce concert de louanges. Il célébra le Roi victorieux dans un poëme que tout le monde voulut lire. En dix jours, il y eut «cinq éditions de sa gloire». Il semblait que commençât enfin ce «nouveau règne» que la nation, comme le Parlement, avait appelé de ses vœux. La Bulle et les ardentes querelles qu'elle avait excitées paraissaient oubliées. Non-seulement le cardinal de Tencin se voyait déchu de son espoir d'arriver au ministère, mais Louis XV venait de confier le département des affaires étrangères au marquis d'Argenson, partisan déclaré du tolérantisme. Depuis le dernier arrêt du Conseil provoqué au lendemain de la mort de Fleury par le cardinal de Tencin, aucun autre arrêt ni du Conseil, ni du Parlement, ne fut prononcé, pendant quelques années, sur des écrits relatifs à la Constitution. Pour la première fois, on obtint, sur les matières religieuses, un silence que vainement on réclamait depuis 1715. La tolérance parut s'étendre en même temps à toutes les productions de la pensée. Aucune œuvre littéraire ne fut, durant cet intervalle, l'objet d'une condamnation. Les livres contraires aux mœurs attirèrent seuls les sévérités du pouvoir. En 1745, on publiait un règlement sur la librairie dégagé de toutes les menaces qui se rencontraient dans celui de 1728. Il y eut même, de la part du gouvernement, une certaine protection accordée aux gens de lettres'. Voltaire devenait gentilhomme de la chambre et historiographe du Roi et recevait de Louis XV l'autorisation de se présenter à l'Académie française. Par une heureuse coïncidence, un égal esprit de modération semblait régner à Rome. Benoît XIV, qui était un lettré, agréait de Voltaire la dédicace de sa tragédie de Mahomet, dont on avait interdit la représentation à Paris en 1742. A cette occasion, le Pontife envoya même son portrait h l'auteur. «Je viens de recevoir, écrivait celui-ci le 10 août 1745, le portrait du plus joufflu Saint-Père que nous ayons eu depuis longtemps. Il a l'air d'un bon diable et d'un homme qui sait à peu près ce que tout cela vaut» Ces heureux changements furent de courte durée. Au milieu même des transports d'allégresse que faisait naître la convalescence du Roi, et quand déjà retentissait en Europe le bruit de nos victoires, il e'tait des hommes qui persistaient à mal augurer du gouvernement et de l'avenir du royaume . Louis XV, en rappelant à la cour la duchesse de Ghàteau- roux dont il s'était publiquement séparé, porta lui-même atteinte au prestige qu'il semblait avoir reconquis dans l'esprit de ses sujets. Cet acte de faiblesse fut regardé par les Jansénistes comme le présage de malheurs certains qu'en- verrait à la France le ciel irrité. A la duchesse de Châteauroux, morte subitement, avait succédé une autre favorite, madame d'Étiolles, qui, déjà maîtresse déclarée au mois d'avril 1745, allait bientôt régner en souveraine sous le nom de marquise de Pompadour. Dès lors, on recommença dans le public à discourir contre le gouvernement, à critiquer ses actes, à semer les alarmes. Dans le mois même où Louis XV gagnait la bataille de Fontenoy, le Parlement prohibait, sous peine du fouet et du bannissement, les Nouvelles à la main, sorte de gazettes manuscrites qui répandaient dans tout le royaume et jusqu'à l'étranger les critiques malveillantes et les assertions injurieuses. La continuité glorieuse de nos succès militaires en Flandre et en Brabant,— contre-balancés, il est vrai, par des revers en Italie et par la présence de l'ennemi sur nos frontières de l'ouest et du midi,—n'arrêta point ces murmures renaissants. Si sensible que pût être la nation à l'éclat de ces succès, on désirait, on demandait la paix. On voyait avec anxiété se perpétuer une guerre entreprise sans prudence et qui, depuis la mort récente de l'électeur de Bavière, paraissait sans objet. Oubliant enfin la gloire imprimée à nos armes, on ne pensa plus qu'aux maux d'une guerre si prolongée; et le sentiment croissant des infortunes dont elle était la cause allait bientôt provoquer dans les populations de nouveaux signes de colère. Tandis que, sous une apparence de retour vers le gouvernement, la royauté continuait d'être en butte aux défiances et aux ressentiments, l'Eglise ne laissait pas d'être sourdement ébranlée. Non-seulement les querelles entre les Jansénistes et les ultramontains, moins apaisées qu'interrompues, semblaient prêtes à renaître à la première occasion, mais le catholicisme lui-même était enfin menacé par un adversaire que jusqu'ici on n'avait fait qu'entrevoir. L'esprit philosophique, apparu pour la première fois avec Voltaire en 1734, avait grandi par degrés et allait bientôt se montrer dans toute sa force. Au mois de juillet 1746, alors que des victoires successives livraient le Brabant à la France et que les drapeaux envoyés à Paris par le maréchal de Saxe encombraient Notre-Dame, le Parlement condamnait au feu deux ouvrages où ce redoutable ennemi de l'Eglise essayait sa hardiesse. Dans l'un, l'Histoire naturelle de l'âme, on combattait les théories spiritualistes qui distinguaient l'intelligence de la matière, sapant ainsi, disait l'avocat du Roi, «les fondements de toute religion et de toute vertu»; dans l'autre, intitulé: Pensées philosophiques, «on plaçait, par une incertitude affectée, toutes les religions presque au même rang pour finir par n'en reconnaître aucune». Ce second ouvrage était de Diderot. Le frontispice qui l'ornait suffisait à en caractériser la portée : il représentait la Vérité enlevant son masque à la Superstition. Au commencement de l'année 1747, on eut une première preuve qu'au sujet de la Constitution il n'y avait, en réalité, rien de changé dans la situation des esprits. Le haut clergé, tout en se taisant, n'avait point renoncé à ses anciennes exigences. L'évêque d'Amiens venait d'adresser une instruction à tous les curés de son diocèse, à l'effet de priver des sacrements les personnes rebelles à la Constitution. Le Parlement supprima un mandement capable, disait-il, de ranimer des disputes «qu'on avait lieu de regarder comme éteintes ou du moins comme assoupies depuis long-temps». Enhardi par ce jugement, l'auteur anonyme des Nouvelles ecclésiastiques s'éleva avec violence dans ses feuilles contre la Constitution, et osa dire que par elle «Dieu avait permis à Satan de prévaloir». Le Parlement, ou plutôt la Grand'Chambre, condamna l'écrit au feu'. Mais l'avocat général d'Ormesson, dans son réquisitoire, eut l'imprudence de déclarer que, la Constitution étant «une loi de l'Église et de l'Etat», on ne pouvait l'attaquer, sans enfreindre le respect dû «aux deux Puissances». Sur la réclamation des magistrats qui ne faisaient point partie de la Grand'Chambre, un arrêt, rendu le 17 février par les Chambres assemblées, corrigea les déclarations de l'avocat général, en maintenant les réserves que le Parlement n'avait cessé, depuis 1714, de formuler à l'égard de la Constitution. Plusieurs conseillers furent aussitôt mandés à Versailles sur un avis qu'un des secrétaires d'État transmit au premier président. Offensés d'un mode d'invitation qui blessait tout ensemble les usages et les bienséances, les magistrats se rendirent néanmoins aux ordres du souverain. Au lieu d'un maître des cérémonies qui aurait du les recevoir, un suisse seulement les attendait. Quand enfin, murmurant de cette nouvelle offense, ils purent parvenir dans la chambre du Roi, celui-ci leur marqua son mécontentement de leur dernier arrêt. «Je l'ai cassé et annulé, leur dit-il, par un arrêt de mon Conseil, et je vous défends de me faire aucune représentation à ce sujet, sous peine de désobéissance.» C'était traiter le Parlement comme on traitait rarement à les moindres des bailliages. Le jour où les députés vinrent rendre compte à leurs collègues de ce qui s'était passé, il y avait foule au Palais. On s'attendait, de la part des magistrats, à quelque coup d'éclat. En un moment, on acheta plus de deux cents exemplaires de l'arrêt du Conseil qui cassait celui du Parlement. Contrairement à l'attente du public, les magistrats décidèrent de ne point faire de remontrances; mais ils conservèrent de l'humiliation qui leur avait été infligée un ressentiment profond. Les querelles religieuses ne furent pas néanmoins rallumées par cet incident. Les événements qui troublaient l'Europe continuaient à préoccuper les esprits. Des conférences qui s'étaient ouvertes au mois de septembre 1746, à Bréda, pour la conclusion de la paix, n'avaient point abouti, et au printemps de 1747 la guerre recommençait. Depuis six ans qu'elle durait, les levées d'hommes et de milices, les impôts incessants avaient porté au comble la misère des provinces. Les campagnes se dépeuplaient; le commerce était anéanti, l'agriculture abandonnée. La disette occasionnait en Languedoc, en Guyenne, des émeutes plus graves que celles qui s'étaient produites sur la fin du ministère de Fleury. La reprise des hostilités nécessitant de nouvelles ressources, on haussa encore une fois les impôts; on ouvrit, sous le nom de loteries, des emprunts déguisés. Déjà la finance était à bout d'expédients et prête à «culbuter». A la vérité, il fallait subvenir non-seulement aux frais de la guerre, mais aux dépenses royales. Le temps n'était plus, comme sous le cardinal de Fleury, aux économies «de bouts de chandelles» . On bâtissait à la fois à Versailles, à Fontainebleau, à Ghoisy, à la Muette. De l'argent porté le matin au Trésor, il ne restait souvent pas un écu à la fin de la journée. En même temps, les plaisirs régnaient plus que jamais à la cour. Madame de Pompadour ayant mis à la mode les «comédies des cabinets» , on n'y était occupé que du soin de répéter des ballets ou d'apprendre des rôles. Dans les salons fastueux où se pressait, autour de la favorite, un flot de dames et de courtisans, ce n'étaient que dorures, guipures, dentelles; tout y étincelait comme au palais du soleil. Ces dépenses, ces fêtes, au milieu de l'infortune publique, ne tardèrent pas à exciter des clameurs. Le Parlement se disposait, aux premiers impôts qu'on soumettrait à son enregistrement, à faire au Roi des remontrances «terribles». On disait même que le peuple pourrait «prendre parti». Témoin de cette situation, d'Argenson, qui devait à ses idées de sagesse d'avoir été récemment congédié du ministère, revenait à ses pressentiments d'un prochain changement dans le régime politique de la France. «Considérons, écrivait-il le 26 décembre 1747, que les peuples sont aujourd'hui par défaut d'estime peu attachés à leurs princes. Quelqu'un osera-t-il proposer d'avancer de quelques pas vers le gouvernement républicain? Je n'y vois aucune aptitude dans les peuples; la noblesse, les seigneurs, les tribunaux, accoutumés à la servitude, n'y ont jamais tourné leurs pensées, et leur esprit en est fort éloigné. Cependant ces idées viennent, et l'habitude chemine promptement chez les Français». Par une coïncidence digne de remarque, d'Argenson traçait ces réflexions quelques mois seulement avant l'apparition de l'Esprit des lois, lequel, mettant en parallèle le régime monarchique et le régime républicain, et attribuant au premier pour ressort un honneur de convention et au second la vertu, fournissait à l'opinion de nouvelles armes contre la royauté. La définition même qu'on y donnait de la monarchie, comme d'un régime «où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies» , était la critique indirecte d'un pouvoir sans principes et sans règle. Certaines considérations rappelaient les maximes énoncées dans des brochures antérieures, et en particulier dans le Mémoire sur l'origine et l'autorité du Parlement, paru en 1732. «Dans une monarchie, disait l'auteur, il faut un dépôt de lois. Ce dépôt ne peut être que dans les corps politiques qui annoncent les lois lorsqu'elles sont faites, et les rappellent lorsqu'on les oublie. Le Conseil du Roi n'est pas un dépôt convenable. Il est, par sa nature, le dépôt de la volonté momentanée du prince qui exécute, et non pas le dépôt des lois fondamentales». Ce qui ressortait, en somme, du livre de Montesquieu, c'était l'éloge du régime fondé sur la légalité, quel que fût son nom, monarchie ou république, opposé dans ses effets au régime arbitraire. Cet ouvrage ne parut pas d'abord goûté comme il le fut plus tard, étant trop abstrait pour les gens du monde, qui eussent voulu le lire «en courant», comme ils lisaient une brochure. Mais les hommes réfléchis le méditèrent. Il initia les intelligences à la connaissance des lois et du gouvernement; par lui le domaine de la politique, ouvert jusqu'alors aux seules pas sions , le fut à la pensée, qui s'y engagea bientôt avec la même hardiesse qu'elle s'était engagée dans celui de la religion. En même temps que l'ouvrage de Montesquieu, paraissait un livre intitulé: les Mœurs, le plus aggressif que l'esprit philosophique eût encore inspiré contre l'Eglise. «Le but qu'on se propose en cet écrit, disait l'avocat général d'Ormesson en le déférant au Parlement, est d'établir la religion naturelle sur les ruines de tout culte extérieur. On y censure sans respect les préceptes et les cérémonies de l'ancienne loi, les rites et les sacrements de la nouvelle. On affecte de ne reconnaître ni la mission divine de Moïse, ni celle de Jésus-Christ. On soutient qu'en matière de foi l'homme n'a cessé d'être la dupe de l'ignorance ou de l'imposture et le jouet de la politique, et l'on érige la raison en juge souverain de toutes les religions. L'humilité, la mortification, la pénitence, le célibat, l'indissolubilité du mariage, toutes les vertus chrétiennes sont décriées par l'auteur, qui s'attache surtout à nier les effets du péché et l'éternité des peines de l'autre vie. Tandis qu'il affecte partout un ton de probité, d'austérité et de réforme, il s'emporte, avec des blasphèmes que nous n'oserions rappeler ici, contre tout ce qui annonce dans l'Écriture sainte la rigueur des jugements de Dieu, et il blâme même les supplices dont la justice humaine punit le vol et l'homicide» Cet ouvrage était, en résumé, la profession de foi d'un déiste. L'auteur, avocat au Parlement et grand ami de Diderot, opposait aux religions particulières la religion naturelle, qui seule, à ses yeux , satisfait la raison; et, associant en Dieu les idées de justice et de bonté, il demandait qu'à l'exemple de la loi divine la loi humaine, jusqu'alors si prodigue de supplices, tempérât ses rigueurs par la clémence. Le Parlement condamna le livre au feu. Cette condamnation, loin de discréditer l'ouvrage, en favorisa le succès. Il n'était personne, homme ou femme, «se piquant d'un certain genre d'esprit», qui ne le voulût connaître. Un seul exemplaire passait rapidement par cinquante mains. Chacun demandait: «Avez-vous lu les Mœurs?» Un tel empressement ne témoignait pas seulement que, dans une partie du public, on désapprouvait la sévérité des magistrats; il attestait la faveur que déjà rencontraient dans l'opinion les doctrines de la philosophie. L'arrêt du Parlement contre le livré des Mœurs était du 6 mai 1748. Dans le même mois, on apprenait qu'à la suite d'un congrès tenu à Aix-la-Chapelle, les préliminaires de la paix venaient enfin d'être signés. Cette nouvelle fut d'abord accueillie avec transport; mais, quand on sut que la France ne gardait aucune des villes qu'elle avait conquises, qu'elle ne retirait aucun prix de ses sacrifices, tout le monde, à Paris et en province, fut dans la consternation. On s'indigna de la conduite d'un gouvernement qui livrait en pure perte le sang et l'argent du pays. Il n'y avait pas jusqu'aux harengères par qui elle ne fût flétrie. «Tu es bête comme la paix» , se disaient-elles en leurs injures. L'une des conditions du traité était d'éloigner du royaume le prince Edouard Stuart, dont le gouvernement avait favorisé le débarquement en Ecosse, et qui, vaincu à Culloden après avoir été au moment de reconquérir le trône de ses ancêtres, n'avait pu regagner le continent qu'au prix des plus dures épreuves. Le prétendant n'ayant pas voulu quitter la France où le Roi, disait-il, lui avait promis l'hospitalité, on l'enleva par surprise, un soir, à l'Opéra, on le garrotta comme un criminel et on le mit à Vincennes. Cette violation de la parole donnée, ce traitement infligé à un prince que sa jeunesse, son courage et ses malheurs rendaient cher aux Parisiens, mirent le comble au mécontentement que faisait naître la conclusion de la paix. Partout, sous l'impression de cet événement, au théâtre, dans les cafés, dans les promenades, aux halles, on raisonnait politique. Jusqu'alors la question religieuse avait seule ainsi ému les diverses classes de la population. On imprima des libelles où l'on reprochait au Roi d'avoir trahi sa parole, où l'on osait lui dire que, dans les bras d'une maîtresse indigne, il oubliait «les pleurs et les mépris» de ses sujets. La police fit des arrestations, sans parvenir à empêcher ces hardiesses. C'était, dit un contemporain, im mécontentement général et national. Dans une brochure intitulée : les Cinq Plaies de la France, on attaqua le règne entier de Louis XV. La Constitution, les convulsions qui en étaient l'un des déplorables effets, le système de Law, le ministère du cardinal de Fleury et la paix d'Aix-la Chapelle, telles étaient les «cinq plaies» qu'on reprochait à ce règne d'avoir faites à la France. Aux discours hostiles sur les affaires politiques allaient désormais se joindre les écrits. En vain le gouvernement, pour ramener l'opinion, offrit-il des fêtes au peuple à l'occasion de la paix. En quelques-uns des endroits où des salles de danse avaient été préparées, on chassa les violons. Nulle part on ne cria: Vive le Roi! Un décor, construit pour cette circonstance par l'architecte Servandoni, fut brisé et brûlé par la foule. Le ministère avait, à la même occasion, supprimé quelques taxes. On vit dans cette mesure que la cour «craignait le peuple» et voulait le gagner. Il y a plus : on se prétendit juge de l'opportunité des impôts; on soutint que l'impôt du dixième établi par la Déclaration du 29 août 1741, et que le Roi avait promis, dans cette même Déclaration, d'abolir à la paix, se trouvait annulé par le seul fait de la cessation de la guerre, et l'on résolut, sans autre avis, d'en refuser le payement. On glissa sous la porte des maisons, à Paris, des lettres imprimées où on engageait chacun à entrer dans ces vues. Le ministère demanda au Parlement de condamner au feu cet écrit séditieux. Les magistrats s'y refusèrent, étant eux-mêmes hostiles à la continuation du dixième. Le Parlement de Bordeaux, plus hardi que celui de Paris, et, à son exemple, les Parlements d'Aix, de Pau, de Toulouse, défendirent aux contribuables d'acquitter le dixième et aux receveurs de l'exiger sous peine de punition corporelle. C'était comme la sanction donnée aux sentences de l'opinion sur les actes du pouvoir» Devant ces marques d'agitation, le gouvernement, si désireux qu'il fût de maintenir le dixième, n'osa passer outre; il se sentait lié par ses promesses. Sans céder tout à fait, il prit un moyen terme. Un édit qui réduisait le dixième au vingtième fut adressé au Parlement. Les magistrats repoussèrent l'enregistrement. Louis XV ayant signifié qu'il voulait être obéi, le Parlement se soumit, mais, pour dégager sa responsabilité, inscrivit sur ses registres qu'il se conformait au «très-exprès commandement du Roi». Le public, qui demandait la suppression du dixième et non sa réduction, continua ses plaintes. Les esprits étaient aigris de telle sorte que, quoi que fît le gouvernement, «tout était pris en mal». La paix, les impôts, les dépenses du monarque, ses plaisirs, «la maîtresse», tout choquait, tout révoltait. De toutes parts pleuvaient contre le Roi les chansons, les pièces de vers et les estampes satiriques. «Louis, disait-on dans un de ces pamphlets, si tu fus un temps l'objet de notre amour, c'est que tous tes vices ne nous étaient pas encore connus; dans ce royaume dépeuplé par ta faute et livré comme une proie aux histrions qui régnent avec toi, c'est pour t'abhorrer qu'il reste des Français.» La fermentation produite par ces événements n'était pas apaisée, quand s'éleva, du côté de l'Eglise, une nouvelle cause de trouble. Christophe de Beaumont était alors archevêque de Paris; il le fut jusqu'à sa mort en 1781. Doué de vertus que ses ennemis eux-mémes reconnaissaient, il les fit oublier par son intolérance. Il avait été appelé au siège de Paris par l'ancien évêque de Mirepoix, Boyer, chargé, depuis la mort de Fleury, de la feuille des bénéfices, honnête homme, mais borné, «persécuteur sur des bagatelles», et qui, disait-on, mettait la Constitution fort au-dessus de l'Évangile. A son instigation, l'archevêque, qui, dans le commencement, paraissait «ne vouloir se mêler de rien» , entreprit de détruire le jansénisme. Entré «comme un mouton» dans ses nouvelles fonctions, il ne tarda pas à se conduire «en loup irrité». Chaque jour, il «lâchait» des lettres de cachet contre des ecclésiastiques, soit pour les éloigner de leurs paroisses, soit pour les interdire. Il ordonna enfin de priver de la communion toute personne qui ne présenterait pas un billet de confession signé d'un prêtre adhérent à la Constitution. Coffin, ancien recteur de l'Université et grand janséniste, éprouva le premier les effets de cette sévérité. Il mourut, le 20 juin 1749 , sans que le curé de sa paroisse eût consenti à lui administrer les sacrements. Plus de quatre mille personnes de tous états se rendirent à son enterrement, protestant par cette démarche contre les rigueurs ecclésiastiques. Un conseiller au Châtelet, neveu du défunt, et qui portait le même nom, appela au Parlement de ce refus de sacrements, se fondant sur des consultations de près de soixante avocats. Le Parlement s'assembla. Il reçut de la cour l'ordre de suspendre toutes poursuites, le Roi se réservant de prendre «les mesures les plus convenables» sur un sujet qui intéressait «la religion, le bien commun du royaume et la tranquillité publique». On attendait du ministère une décision propre à empêcher le retour de ces scandales, lorsque le 1er août parut un arrêt du Conseil qui supprimait les consultations. Cet arrêt, qui semblait laisser aux évêques toute licence de bouleverser l'Église, ralluma les passions. L'hostilité contre le gouvernement éclata avec une nouvelle force dans les discours et les libelles. Une pièce de deux cent cinquante vers, des plus «horribles» sur le Roi, se répandit dans Paris. Elle commençait par ces mots: Réveillez-vous, mânes de Ravaillac! Louis XV l'ayant entendu lire: «Je vois bien, dit-il, que je mourrai comme Henri IV.» Le gouvernement, déjà irrité par l'affaire du dixième, résolut enfin de mettre un terme à ces audaces par des mesures énergiques. Des arrestations en masse furent opérées. La Bastille, le château de Vincennes, le For-l'Évêque reçurent, avec force jansénistes, quantité d'abbés, de savants, de «beaux-esprits», des professeurs de l'Université, des docteurs de Sorbonne, tous accusés «d'avoir fait des vers contre le Roi, de les avoir récités, débités, d'avoir frondé le ministère, d'avoir écrit et imprimé pour le déisme et contre les mœurs». Diderot se vit un des premiers arrêtés. Ce fut durant sa détention qu'il conçut le plan de l'Encyclopédie. Sans preuve, et sur un seul «soupçon de libelle» , on était enlevé et conduit en prison. Ces enlèvements avaient lieu ordinairement la nuit. Révolté de ces procédés, le public criait, «appelait cela l'inquisition française». Certaines personnes toutefois approuvaient le ministère; il avait raison, disaient-elles, «de déraciner la licence d'écrire autant qu'on faisait contre Dieu, contre le Roi et contre les mœurs». Les causes de ruine qui menaçaient la société se trouvaient réunies dans ces mots. C'était par le triple avilissement de la religion, de la royauté et des mœurs que devait s'écrouler l'ancien régime. Le gouvernement pensa qu'après avoir soutenu si ouvertement l'épiscopat dans le refus de sacrements dont s'était émue l'opinion, il pouvait attendre de celui-ci un retour de complaisance. Les difficultés qu'il éprouvait au sujet des impôts lui avaient fait jeter les yeux sur les énormes richesses du clergé, qui possédait le tiers environ de tous les biens du royaume. Déjà, par un édit enregistré le 2 setembre au Parlement, il avait défendu les acquisitions d'immeubles par les gens de mainmorte sans l'autorisation du Roi. Il alla plus loin; jugeant insuffisants les subsides qu'il recevait du clergé sous le titre de don gratuit, il voulut l'assujettir à l'impôt du vingtième récemment établi. Ce dessein ne fut point goûté des évéques. Comme ils n'avaient pas payé le dixième, ils prétendirent également être exempts du vingtième. Dans un mémoire imprimé, qui parut au commencement de l'année 1750, ils rappelèrent la Déclaration de 1726,—par laquelle le gouvernement, reconnaissant que les biens ecclésiastiques étaient de droit divin, s'engageait à ne les jamais imposer,—et remontrèrent au Roi, en termes respectueux, qu'il manquait à sa parole, à la foi jurée, à son sacre, à tout ce que les monarques, ses prédécesseurs avaient tenu depuis Clovis. Le ministère se flatta d'être soutenu par le bas clergé, sur lequel les évêques faisaient peser tout le fardeau des subsides. L'esprit de corps, l'amour du privilège triomphèrent de l'inimitié que le second ordre avait si longtemps nourrie contre le premier. L'un et l'autre s'unirent pour résister, et résolurent, au cas où le gouvernement aurait recours aux rigueurs, de ne plus célébrer ni messes, ni offices, de déserter leurs fonctions et de mettre, pour ainsi dire, le royaume en interdit. Le mémoire des évéques n'était pas demeuré sans réponse. Dans un traité publié sous forme de Lettres, avec cette épigraphe latine: Ne repugnate bono vestro, on démontra que le Roi avait «droit et police» sur les biens du clergé, et que les immunités dont se prévalait celui-ci n'étaient que des «usurpations». Cet écrit fut supprimé par arrêt du Conseil. «Sous prétexte, était-il dit dans l'arrêt, de soutenir les droits de l'autorité royale et les maximes de la France que personne ne révoque et ne peut révoquer en doute, on a fait entrer dans cet ouvrage des déclamations contraires à l'honneur du clergé de France, qu'on voudrait faire passer pour le corps le moins utile à la société». Cette condamnation excita la surprise, car l'écrit supprimé était en tout conforme aux vues du ministère; on savait aussi qu'il avait été suggéré , avoué même par le contrôleiitr général, Machault, auteur de l'entreprise tentée sur les biens ecclésiastiques. Dans le fait, l'arrêt du Conseil, rendu en apparence pour donner satisfaction aux évéques, le fut uniquement pour attirer l'attention du public sur l'ouvrage et provoquer, par ce moyen, un mouvement d'opinion en accord avec les projets du ministère. On afficha même l'arrêt dans les rues, afin de lui donner toute la publicité possible. Deux mois après, le gouvernement décidait, par une ordonnance enregistrée au Parlement, que les évéques et tous les gens de mainmorte feraient, dans un temps limité, la déclaration de leurs biens. Les évêques étaient alors réunis à Paris en assemblée géné- rale. Déterminés à refuser cette déclaration, ils adressèrent au Roi une lettre dont la hardiesse attestait le sentiment qu'ils avaient de leur puissance. «Nous ne consentirons jamais, disaient-ils, que ce qui a été jusqu'ici le don de notre amour devienne le tribut de notre obéissance». Le monarque offensé rompit l'assemblée et renvoya les prélats dans leurs diocèses. A partir de ce moment, les deux pouvoirs, si longtemps alliés, furent «à couteau tiré». Tout le clergé du royaume était «dans une espèce de révolte» , et, exhalant en tous lieux son amertume et son ressentiment, soulevait contre la cour de nouveaux ferments d'irritation. L'opinion, dans cette circonstance, était assurément favorable aux desseins du ministère. On trouvait juste d'obliger les ecclésiastiques à contribuer, comme les autres sujets du royaume, aux charges de l'État. Mais le gouvernement ne rencontrait pas néanmoins dans le public l'appui qu'il en avait espéré. On voyait clairement que sa conduite en cette affaire n'était pas dictée par des idées «de sage réformation», qu'elle l'était uniquement par le besoin d'argent, et que ces nouvelles ressources, une fois obtenues, iraient «s'engouffrer» dans le fisc et dans les dépenses royales, sans soulagement pour le pays. D'ailleurs, le vingtième n'était pas mieux accueilli des populations qu'il ne l'était du clergé. Dans les rares provinces qui avaient conservé le droit de convoquer des Etats, dans la Bretagne, l'Artois, le Languedoc, la Provence, l'assemblée des trois ordres se prononça contre le vingtième. Le gouvernement menaça ces provinces de les priver d'un droit dont elles usaient contre lui. «De mes jours, écrivait d'Argenson, j'ai vu abattre fort artistement le Parlement, la Sorbonne, l'Université, et voici les pays d'États qui vont avoir le même sort.» Une brochure éloquente sur l'utilité des Etats provinciaux répondit à ces menaces. Il y eut plus que des protestations. En Béarn, la perception du vingtième provoqua une émeute qu'on dut dissiper à coups de fusil. Le Parlement, à qui le public avait reproché d'avoir cédé sur le vingtième, éleva la voix à son tour. A l'occasion d'un édit qui renouvelait certaines taxes, il parla au Roi de la misère des peuples, des prodigalités de la cour, des sommes énormes dépensées depuis la paix, et lui adressa des remontrances en des termes qu'il n'était pas accoutumé à entendre. Sur ces entrefaites, se passaient à Paris des événements dont on eut lieu un moment de redouter les suites. Le gouvernement, ayant besoin de grossir la population de quelques-unes de ses colonies, y expédia d'abord les filles perdues et les gens sans aveu. Plus tard, des exempts de police, outre- passant vraisemblablement les ordres qui leur étaient donnés, enlevèrent par surprise des enfants d'artisans. Aussitôt que ces rapts furent connus, il se produisit dans les faubourgs une révolte comme on n'en avait pas vu depuis le commencement du règne. Plusieurs archers furent tués. La foule se porta vers la maison du lieutenant de police. Dans sa fureur, elle voulait le massacrer et lui manger le cœur. Ce magistrat, «pâle comme un noyé», ne sauva sa vie qu'en livrant aux émeutiers un exempt, qui fut, à l'instant, traîné dans le ruisseau et assommé. Durant ces scènes violentes, des propos «exécrables» étaient «vomis» contre la personne du Roi. Le peuple ne parlait de rien moins que d'aller brûler le château de Versailles, élevé, disait-il, à ses dépens. Le gouvernement, ne voulant point assumer la responsabilité des actes odieux commis par la police, refusa de croire à la culpabilité de ses agents et fit pendre trois des émeutiers. De fortes précautions militaires avaient été prises pour protéger l'œuvre du bourreau. Au moment de l'exécution, des voix ayant crié: Grâce! les troupes se tournèrent vers la foule, la baïonnette au bout du fusil. Ce dérioûment, qui parut aussi cruel qu'injuste, amassa dans les classes populaires de nouvelles semences de haine contre le gouvernement. Dans les classes supérieures, on plaignit les trois malheureux qui avaient été sacrifiés, les enlèvements d'enfants ne faisant doute pour personne; mais, en même temps, on ne fut pas fâché d'un exemple qui imposait au peuple, Il ne faut pas lui laisser connaître sa force», disait-on. Pour la première fois, on eut le pressentiment des chocs inattendus que pourrait, de ce côté, recevoir la société. Ainsi de toutes parts éclatait le mécontentement. Les Jansénistes, le clergé, les parlements, les gens de lettres, le peuple se montraient, à des titres divers, également irrités. Les gens de cour eux-mêmes, tout en se pressant à la toilette de madame de Pompadour, comme jadis au fameux déculotté du cardinal de Fleury, s'offensaient de voir «la maîtresse», à l'instar d'un premier ministre, disposer arbitrairement des places et des faveurs. Dans les salons, on dénigrait ouvertement le ministère et le prince en présence des valets. Dans les cafés, dans les promenades, on parlait tout haut et avec de telles injures contre le gouvernement, que la police se bornait à espionner, sans arrêter personne, parce qu'il aurait fallu arrêter «tout le monde». On ne pouvait aller dans aucune maison sans qu'on n'y entendît médire du Roi et du gouvernement. L'esprit de révolte s'était emparé de la nation et gagnait «comme la gangrène». Le peuple commençait à se faire sur les gouvernements des idées particulières. Il prétendait que les hommes revêtus de la puissance publique «lui devaient justice, abondance et bonheur». Des mots nouveaux et d'une signification menaçante s'introduisaient dans le langage. Dans des vers dirigés contre madame de Pompadour, on lui reprochait «d'étaler sans honte la substance du peuple». Des avertissements sinistres arrivaient jusqu'au Roi. Sur les cheminées et sur les parquets de Versailles, on trouvait des billets contenant ces mots : « Tu vas à Ghoisy; que ne vas-tu à Saint-Denis!» De son côté, le clergé continuait de résister aux desseins du contrôleur général. Des espèces d'associations se formaient, dans cette vue, entre les ecclésiastiques des différents diocèses. Quelques-uns portaient l'animation jusqu'à dire qu'ils souffriraient le martyre plutôt que d'abandonner leurs privilèges. Au mois de décembre 1750, le bruit courait que les évéques, unissant leur cause à celle du pays,—sans l'assentiment duquel le gouvernement n'avait pas le droit, d'après les traditions du royaume, d'exiger des impôts,—allaient requérir la convocation des États généraux. «Ces États-là ne s'assembleraient pas en vain, écrivait d'Argenson. Qu'on y prenne garde, ils seraient fort sérieux. Quod Deus avertat!» . L'année 1751 s'ouvrit par un incident analogue à celui qui s'était produit au sujet de l'ancien recteur de l'Université, Coffin. Son neveu, le conseiller au Chàtelet, se trouvant à l'extrémité et n'ayant pas voulu reconnaître la Constitution comme article de foi, le curé de Saint-Etienne du Mont, Bouettin, lui refusa les sacrements. Le Parlement décréta le curé de prise de corps, et le tint toute une nuit dans les prisons de la Conciergerie. Cet ecclésiastique ayant déclaré qu'il n'avait agi que par les ordres de son supérieur, l'archevêque de Paris, le Parlement adressa des remontrances au Roi à l'effet d'interdire aux évéques ces actes de rigueur. Le Roi blâma l'emprisonnement du curé et ne décida rien. Tout Paris était irrité contre le haut clergé. Les personnes même les moins disposées à prendre parti disaient qu'il était dangereux de gêner ainsi «la liberté de conscience», et que, si l'on persistait dans ce système d'intolérance, «cela serait peut-être cause un jour d'une révolution en France pour embrasser le protestantisme». D'autres allaient plus loin et disaient: «Nous deviendrons presbytériens ou rien». En même temps que le gouvernement donnait, cette fois encore, raison à l'épiscopat contre le Parlement, il prescrivait des mesures de sévérité à l'égard des protestants. Il semblait prendre à tâche de montrer que ses projets sur les biens du clergé ne diminuaient rien de son zèle pour les intérêts de la foi. Mais, aux yeux des évêques, toucher au temporel de l'Eglise, c'était toucher à la religion. L'évêque de Marseille adressa au contrôleur général une lettre qui courut Paris, et dans laquelle il disait: «Ne nous mettez pas dans la nécessité de désobéir à Dieu ou au Roi; vous savez lequel des deux aurait la préférence» Peu après paraissait un bref de la cour de Rome, qui défendait la lecture des Lettres Ne repugnate sous peine d'excommunication et de péché mortel. C'était condamner implicitement les intentions du ministère. Craignant de la part de Rome une opposition ouverte, s'ii persévérait dans ses vues, le gouvernement entra en pourparlers avec les évêques et consentit, pour le vingtième, à un accommodement, à la suite duquel un arrêt du Conseil suspendit l'exécution des ordres du Roi sur la déclaration des biens ecclésiastiques. Dès qu'on vit, dans cette affaire, le ministère se relâcher de ses premières exigences à l'égard du clergé, on ne douta pas que ce ne fût «un coup manqué». L'avortement d'une entreprise commencée avec tant d'éclat enhardit l'épiscopat et mécontenta le public. Depuis qu'elle avait été engagée, de nombreux écrits avaient été imprimés pour ou contre les immunités du clergé. Désireux d'assoupir une affaire dont Finsuccès ne faisait pas honneur à son habileté non plus qu'à sa hardiesse, le gouvernement ordonna, par un arrêt du Conseil du 21 mai 1751, la suppression en masse de ces écrits. Dans le nombre était la Voix du sage, libelle attribué à Voltaire, où l'on comparait l'État à une y famille et le clergé à un précepteur qui «ne devait avoir que des gages». On y trouvait également un Extrait des procès-verbaux du clergé de 1577, qui avait particulièrement froissé le ministère. C'était un acte du temps de la Ligue, où les évéques s'engageaient, par serment, «à ne jamais consentir, directement ni indirectement, de bouche ou de volonté, à aucune aliénation du temporel de l'Eglise, malgré toute injonction contraire du Pape ou du Roi». Au défaut des ressources qu'il espérait du clergé, le gouvernement se rejeta sur les populations, et, n'osant pour le moment frapper de nouveaux impôts, eut recours à des emprunts. Le Parlement, à cette occasion, adressa au Roi des remontrances plus vives que celles qu'il avait encore faites, et «qui étaient moins d'un Parlement que d'États généraux». Trois fois il osa les réitérer. Les édits qui créaient ces emprunts furent enfin enregistrés «de l'exprès commandement du Roi». Ils ne le furent, il est vrai, qu'à dix voix de majorité. Le public néanmoins sut mauvais gré au Parlement de son obéissance. Tout le monde ne parlait que des dépenses immodérées de la cour. Les voyages inces-sants, les fêtes, les spectacles, les bâtiments où l'on ne semblait que «faire, défaire et laisser là», tout cela, joint aux dons, aux pensions qu'on accordait à tout venant, absorbait de si énormes sommes, que, sans payer sa maison et devant jusqu'à deux ans de gages aux parlements, Louis XV dépensait dans l'année les revenus de l'année suivante. Ce n'était plus de la prodigalité, disait-on, c'était un pillage. Un «politique» définissait le gouvernement une anarchie dépensière, signalant par ces mots un double principe de désordre qui eut suffi pour conduire ce gouvernement à sa ruine, si des causes plus profondes ne l'eussent déjà préparée. Une contestation soulevée imprudemment par l'archevêque de Paris suivit de près la promulgation des derniers édits. Ce prélat, alléguant que les doctrines jansénistes s'étaient glissées dans tous les hôpitaux de Paris, voulut avoir la haute main sur le personnel ecclésiastique de l'hôpital général,— personnel choisi jusqu'alors par les administrateurs, et obtint du Roi une Déclaration qui changeait les règles de cet établissement. Le Parlement, auquel appartenait la surveillance de l'hôpital général, enregistra la Déclaration, mais avec des restrictions qui en altéraient l'esprit. Le Roi annula ces restrictions par un arrêt du Conseil, et manda aux magistrats que, s'il souffrait leurs remontrances, il ne leur avait pas donné le droit d'apporter à ses édits des modilications capables de les dénaturer. Dans le public même, certaines personnes, qui n'étaient pas hostiles au Parlement, estimaient que, dans cette conjoncture, il avait excédé son pouvoir. Les magistrats osèrent répondre à Louis XV que, «suivant les anciennes maximes du royaume et les lois fondamentales de l'État, les modifications apportées dans les arrêts d'enregistrement en étaient ùiséparables». C'était signifier, écrivait Barbier, «que le Parlement avait le droit d'arrêter la loi du prince, de la corriger, en un mot de la changer, toutes les fois qu'elle lui paraîtrait contraire à l'ordre public». La question politique que soulevaient ces débats fit bientôt oublier la cause particulière qui les avait provoqués. Les magistrats menacèrent de donner leurs démissions comme en 1732. Gomme à cette époque, on parla, dans l'entourage du monarque, de supprimer le Parlement. Les Jésuites et les évêques «soufflaient le feu», espérant faire du Parlement une carcasse comme ils avaient fait de la Sorbonne. Sommés à plusieurs reprises d'enregistrer la Déclaration dans son intégrité, les magistrats s'y refusèrent, disant que «la vraie fidélité et la vraie obéissance du Parlement consistaient à ne jamais consentir à rien qui fût opposé aux lois et aux maximes de la monarchie». Le Roi, irrité, évoqua à sa personne l'affaire de l'hôpital général et défendit aux magistrats d'en délibérer. Il fit plus; il demanda les registres du Parlement et enleva de sa main les minutes des arrêts rendus sur ce sujet. Les magistrats cessèrent leurs fonctions. Le ministère, craignant des troubles, se hâta de faire crier dans les rues une diminution d'impôts. Dans cette mesure précipitée, on vit l'effet de la peur '. Cependant, sur l'injonction du Roi, le Parlement consentit à reprendre ses fonctions; mais il maintint par un arrêt son droit de délibérer, défendit de déplacer ses registres à l'avenir, et ne rétracta rien de ses précédentes protestations. Le gouvernement riposta par des lettres patentes qui transféraient au Grand Conseil la surveillance de l'hôpital général; il est vrai qu'il n'osa les rendre publiques, témoignant ainsi, par une nouvelle preuve, qu'il redoutait l'opinion. Cette affaire, qui durant plusieurs mois occupa tout Paris et produisit de l'agitation jusque dans le «petit peuple », montra combien les rapports du Parlement avec le souverain s'étaient modifiés par l'effet des événements. Non-seulement l'attitude des magistrats devenait chaque jour plus hardie, mais ils s'avançaient ouvertement sur le domaine législatif qui leur avait été jusqu'alors interdit; ils ne prenaient plus de délibérations, ne rédigeaient plus de remontrances, «qu'en définissant le pouvoir de la royauté»; ils se regardaient enfin «comme une seconde puissance établie par les lois entre le monarque et ses sujets». Le Parlement paraissait gagné, à son tour, par l'esprit de révolte qui remuait toute la nation. Tels étaient en effet les sentiments du public, qu'il accueillait alors la naissance du duc de Bourgogne, fils aîné du Dauphin, avec une complète indifférence. Louis XV, à l'occasion des fêtes qui célébrèrent cet événement, étant resté un moment sur le perron de l'hôtel de ville pour se montrer à la foule, aucune voix ne l'acclama. Vainement des officiers aux gardes jetaient-ils de l'argent au peuple, en lui disant de «crier» . Tout le monde et les étrangers même qui se trouvaient à Paris remarquèrent ce silence. Il était visible que le peuple n'aimait plus les rois qu il avait tant aimés. La misère persistante dont il portait le poids, en face du luxe et des dissipations de la cour, eût suffi à lui rendre haïssable un gouvernement que, sur d'autres points, il avait appris à juger. Lorsque le Dauphin et la Dauphine allèrent à Notre-Dame remercier le ciel de leur avoir donné un fils, ils se virent entourés de deux raille femmes criant, les unes: «Donnez-nous du pain; nous mourons de faim!» et les autres: « Qu'on renvoie cette p... qui gouverne le royaume et qui le fait périr! Si nous la tenions, il n'en resterait bientôt rien pour en faire des reliques.» Dans les provinces, la détresse était au comble et provoquait des émeutes à Rennes, à Bordeaux, en Languedoc. En Touraine, la misère était, disait-on, pire qu'en 1709. A Arles, des milliers de paysans armés se présentèrent à l'hôtel de ville pour demander du pain . A Paris, on trouvait, sous les portes et jusque sur les escaliers des maisons, des billets où l'on disait de s'emparer de la personne du Roi, de rouer le contrôleur général et de pendre «la Pompadour». En même temps les menaces de mort se multipliaient contre Louis XV. Dans des vers placardés au Louvre, au pont Neuf et ailleurs, on disait au Roi de craindre le désespoir de la nation et de prendre garde que la noblesse avait encore des Guise, Paris des Ravaillac et le clergé des Clément. Les Jésuites recevaient des lettres contenant ces mots: «Vous, mes révérends Pères, qui avez su faire périr Henri III et Henri IV, n'auriez-vous pas quelque Jacques Clément, quelque Ravaillac, pour nous défaire de Louis XV et de sa p...?» En présence d'une situation si critique, la nécessité d'un changement dans le régime politique de la France était généralement sentie. Dès les premiers mois de l'année 1751, c'était, parmi les hommes capables de réflexion, le sujet le plus ordinaire des discours. Ce changement se résumait dans un mot, celui de Révolution. «On ne parle que de la nécessité d'une prochaine révolution par le mauvais état où est le gouvernement du dedans», écrivait d'Argenson le 1er mai 1751. Ceux-là même qui répugnaient aux moyens violents jugeaient que, sur le pied où étaient les choses, une réforme opérée par des voies pacifiques, comme en aurait pu tenter un premier ministre «sage et respecté», était presque impossible. A ne parler que de la question de finances, on sentait que, pour toucher aux bâtiments, aux pensions, à la bouche, aux voyages, aux écuries, aux mille dépenses qui épuisaient le Trésor, ce ministre aurait eu contre lui non-seulement la «maîtresse», mais le grand maître de la maison du Roi, le premier maître d'hôtel, le grand écuyer, le premier écuyer, les dames du palais, enfin toute la cour, depuis les seigneurs jusqu'aux valets. S'il était des personnes qui pensaient que cette révolution ne s'effectuerait pas sans obstacles, d'autres estimaient, au contraire, qu'elle se ferait par acclamation. «Tous les ordres sont mécontents, remarquait d'Argenson, qui inclinait vers la seconde opinion. Les matières étant partout combustibles, une émeute peut faire passer à la révolte, et la révolte à une totale l'évolution, où l'on élirait de véritables tribuns du peuple, des comices, des communes, et où le Roi et les ministres seraient privés de leur excessif pouvoir de nuire.» Bien que les idées de «républicanisme» fussent déjà entrées dans quelques têtes, on ne songeait pas à supprimer la royauté, mais à circonscrire son autorité. On n'allait guère au delà de la pensée que les princes régnaient sur les peuples en vertu d'un contrat, avoué ou supposé, que les uns et les autres étaient tenus de respecter. L'une des réformes particulières qui paraissaient le plus désirables était de réduire le Roi à une liste civile, à l'exemple de ce qui se pratiquait en Angleterre. On voulait surtout enlever le ministère aux influences pernicieuses de la cour. Quant aux réformes d'ordre général touchant à l'organisation politique, on les faisait consister dans «l'introduction d'un gouvernement par États provinciaux et États généraux». On voulait, en d'autres termes, rétablir sur de plus larges bases les institutions que la royauté avait elle-même brisées. Cette pensée, qui se rattachait tout à la fois aux traditions et aux usages du pays, avait fait un tel chemin dans les esprits, que «l'on ne parlait que de cela» et que, «jusqu'aux bourgeois, tout en était imbu». Dans les endroits publics, on s'entretenait ouvertement de ces idées. Un jour du mois de novembre 1751, au jardin du Luxembourg, un moine, s' asseyant sur un banc, entendit près de lui des personnes qui disaient: «Oui, il est à propos que le ministère pousse le clergé. » Sur cela, le moine prit la parole et défendit doucement les droits de son ordre. Quand il eut parlé: «Mon père, reprirent ceux auxquels il s'adressait, nous savons vos raisons; nous n'en parlions pas dans ce sens-là, mais en ce sens que les violences du gouvernement contre le clergé hâteraient la Révolution». A la date où se place cette anecdote. Voltaire était en Prusse, travaillant au Siècle de Louis XIV; Diderot n'avait encore fait paraître que le premier tome de l'Encyclopédie; Helvétius venait de se démettre de sa place de fermier général pour se livrer aux lettres, et ne devait publier que sept ans plus tard son livre de l'Esprit; Rousseau n'était connu que par le discours qui avait remporté le prix à I l'Académie de Dijon; l'abbé Raynal ne faisait que commencer à sortir de l'obscurité; Grimm n'avait pas entrepris sa Correspondance littéraire; d'Holbach n'avait rien produit; enfin Buffon n'avait publié que les trois ou quatre premiers volumes de son Histoire naturelle. Ainsi tombent ces assertions, si souvent répétées, d'après lesquelles on doit considérer les Philosophes comme les inspirateurs de la Révolution. Rien avant qu'ils fussent parvenus par leurs écrits à diriger l'opinion, la perspective d'une révolution, dans l'ordre politique, apparaissait aux intelligences. Depuis longtemps se dessinait, dans l'ordre religieux, une perspective analogue. De prochains événements allaient donner une force nouvelle à ces prévisions, et l'on touchait à ce moment critique où il suffisait de quelque circonstance pour que la Révolution, avec son double caractère d'hostilité contre l'Église et contre la royauté, passât tout à coup du domaine de l'idée dans celui de la réalité.
LIVRE V. GOUVERNEMENT DE LOUIS XV (1752-1754)
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