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EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

HISTOIRE DES MEROVINGIENS

 

CLOTAIRE I.

(551-561)

Guerre entre Clotaire et son fils Chramne.—Mort cruelle de Chramne et de sa famille.

 

Ce fut à l’époque où Clotaire tint seul les rênes du gouvernement que quelques auteurs ont placé la fondation en Normandie du petit royaume d’Yvetot, en faveur de la famille d'un sénieur qu’il avait fait injustement périr : aucun acte, aucun fait constaté ne peut faire regarder comme historique ce récit qui passe aujourd'hui pour une fable.

La vie entière du roi avait été souillée par ses cruautés; ses dernières années furent troublées par les discordes que la haine répandait dans sa famille. Son fils Chramne se révolte de nouveau; Clotaire marche contre lui : le père et le fils se trouvèrent en présence sur les côtes de la Bretagne. Au premier choc les Bretons, alliés du prince rebelle, cèdent au courage des Francs; leur comte est renversé et tué. Chramne, abandonné, cherche vainement à fuir un père implacable; il est pris : l’impitoyable roi le fait enfermer avec sa femme et ses filles dans une chaumière que par ses ordres on livra aux flammes.

Ce monstre, moins lâche, mais aussi atroce que Neron, étouffa ainsi tous les sentiments de la nature; mais il ne put de même étouffer ses remords : depuis ce jour fatal le souvenir de ses perfidies, l’image de ses neveux massacrés, la honte de ses incestes, les cris de son fils dévoré par les flammes l’assiégeaient sur son trône, le poursuivaient dans son lit; il n’est ni gardes ni puissance qui mettent à l’abri de pareils ennemis. Vainement il fuyait dans les forêts les reproches des hommes et ceux de sa conscience; superstitieux autant que cruel, chaque objet lui paraissait un fantôme, chaque ombre un spectre.

Comme il chassait un jour dans la forêt de Guise, une fièvre ardente s’alluma dans ses entrailles; semblable au feu qui avait consumé son fils, elle termina son existence; il mourut un an après le supplice de Chramne, le même jour et à la même heure où son ordre barbare avait été exécuté. Conformément à ses volontés, on l'enterra dans l’église de Saint-Médard de Soissons ; il l’avait, fondée pour honorer la mémoire de ce saint évêque, dont il respecta la vertu et dont il méprisa les conseils.

Clotaire, avide d’argent comme de pouvoir, avait ordonné qu'à un jour fixe on apportât à son trésor le tiers des revenus des évêchés; la plupart des évêques n’osèrent résister à ce prince sanguinaire: l’évêque de Tours, Injuriosus, éleva seul la voix contre lui, non pour défendre la justice et les droits d’une nation jusque-là exempte d’impôts, mais pour soutenir les prétentions d’un ordre que l’ambition éloignait déjà des voies évangéliques.

«Roi, lui dit-il, si vous voulez vous emparer des biens qui appartiennent à Dieu, Dieu vous enlèvera promptement les vôtres et votre couronne; car il est souverainement injuste que vous, qui devez remplir de vos grains les granges des pauvres, vous preniez ceux qu’ils possèdent pour les entasser dans les vôtres.» Après ces paroles il sortit audacieusement du conseil.

Clotaire, effrayé de ses menaces, lui envoya des messagers pour apaiser son ressentiment, et renonça au projet qu’il avait formé. Il connaissait l’influence des prêtres sur les peuples, et craignait, non sans raison, de donner à la révolte une arme révérée. Ses dernières paroles furent une reconnaissance tardive de la force d’un Dieu vengeur; ou l’entendit s’écrier d’une voix agitée et mourante : «Ah! que le roi des cieux est puissant, lui qui donne la mort, quand il lui plaît, au plus grand roi de la terre!

Ce roi, comme beaucoup de tyrans, montra souvent dans ses discours et dans ses lois une sagesse que démentaient ses actions. Réformateur de la loi salique par un édit donné en 56o, on entendit sortir de sa bouche cruelle ces belles paroles : «Plus on manifeste d’amour pour la justice et l’intégrité, plus les peuples y répondent par leur affection et leur dévouement». L’article V de cet édit commande de regarder comme nulles toutes les ordonnances royales contraires aux lois; l’article VI, trop favorable à la puissance du clergé, donne aux évêques, en l’absence du roi, le droit de réviser et d’annuler les arrêts des juges. Le même édit remet à l’Église toutes les dîmes levées précédemment sur ses biens; enfin il établit l’incommutabilité de toute propriété quelconque, lorsqu’elle aura été possédée pendant trente ans.

 

CHARIBERT, ROI DE PARIS (561-557) ; GONTRAN, ROI D’ORLEANS ET DE BOURGOGNE; SIGEBERT, ROI DE METZ ET D’AUSTRASIE; CHILPÉRIC, ROI DE SOISSONS.

 

Partage de la France entre les fils de Clotaire. — Maires du palais et autres charges de la cour. —Victoire de Sigebert sur les Huns. — Sa générosité envers son frère Chilpéric.— Conduite scandaleuse de ses frères. — Mort de Charibert.

 

Les fils de Clotaire partagèrent entre eux la de la France , selon le droit du temps, et ce partage annonçait suffisamment une nouvelle série de querelles, de trahisons et de guerres civiles : les lots furent tires au sort. Aucun historien ne parle à cette occasion d’élection de la part du peuple; mais les actes de Childebert et de Clotaire. Ils rappellent que tous les ans ils convoquaient au Champ-de-Mars l’assemblée des Francs; et là on sanctionnait, par le consentement national, toutes les grandes mesures législatives prises dans le conseil des rois et des leudes.

Le premier des nouveaux rois qui fit éclater son ambition fut Chilpéric; il s’empara du trésor de son père, et entra dans Paris dont il espérait rester le maître; mais les menaces de ses frères le forcèrent bientôt d’en sortir.

Nos anciennes chroniques parlent à cette époque, pour la première lois, des maires du palais qui, peu de temps après, usurpèrent l’autorité royale. Depuis la conquête de la France les rois chériraient à imiter dans leur cour la pompe et l’étiquette des empereurs d’Orient: le maire commandait dans le palais; le comte y rendait la justice; le grand référendaire scellait les actes; les chevaux et les armes étaient confiés aux comtes de l’écurie, comes stabuli, que depuis on nomma connétables; à la suite de ces grands officiers, on voyait autour du prince un cortège nombreux d’écuyers, de référendaires, de camériers ou chambellans; les leudes , les antrustions et commensaux du roi, ainsi que les évêques, rendaient le conseil imposant par leur nombre, et la cour brillante par la quantité de serviteurs et de chevaux qui les suivaient. Le monarque nommait des ducs, des patrices, ainsi que des comtes, pour commander les armées et pour gouverner les provinces.

Ce qui prouve la puissance des grands, c’est qu’ils s’étaient réservé le choix des maires du palais. Lorsque Sigebert monta sur le trône d’Austrasie, ses leudes élurent pour maire Crodin, le plus distingué d’entre eux; mais il refusa cette charge importante : « Je ne suis point, dit-il, l’homme que vous devez choisir; croyez à ma sincérité : il me serait impossible de maintenir la paix dans ce royaume; le sang me lie aux seigneurs les plus puissants; et vous savez que tous les hommes sont enclins à abuser du pouvoir. Si mes parens commettaient quelques excès, je me trouverais obligé de sévir contre eux, et la sévérité d’un de leurs proches les révolterait; si, au contraire, je leur montrais une trop grande indulgence, elle m’exposerait au courroux de Dieu et à la haine publique. Par amitié pour moi, consultez mieux vos intérêts, et faites un choix qui vous soit utile.» Ils suivirent son conseil, et ils élurent Gogon.

Une attaque imprévue des Huns donna bientôt à Sigebert l’occasion de prouver par sa vaillance que le sang de Clovis coulait dans ses veines. Ils envahirent la Thuringe  : Sigebert les chassa, leur livra bataille sur les bords de l’Elbe, les défit et les poursuivit jusqu’au Danube.

Pendant son absence, Chilpéric s’était emparé de Reims; il était entré dans l’Austrasie. Le vainqueur des Huns, revenu en France, combattit Chilpéric, lui reprit ses injustes conquêtes, s’empara même de Soissons, se rendit maître de la personne de Théodebert, fils de Chilpéric; mais, prouvant ensuite que sa modération égalait son courage, il accorda la paix à son injuste frère, et lui rendit ses Etats.

L’orgueil insensé d’une femme opérait alors une nouvelle révolution en Italie : l'impératrice Sophie , femme de l’empereur Justin, prodiguant ses mépris à l’eunuque Narsès, libérateur de Rome et vainqueur des Goths, lui avait écrit de venir rendre compte à Constantinople de ses richesses; et elle lui envoya en même temps avec insolence des ciseaux et une quenouille. Narsès, pour se venger, appela en Italie les Lombards, peuple Scandinave qui s’était établi depuis quelque temps sur les rives du Danube. Alboin, leur roi, conquit rapidement la plus grande partie de la péninsule, et y fonda une puissance qui dura jusqu’au règne de Charlemagne.

L’empire ne conserva que l’exarchat de Ravennes, le pays de Naples, la Calabre et Rome, qui depuis ce temps ne connut plus d’autorité réelle que celle des papes. Le voisinage des Lombards amena bientôt la guerre entre eux et les Francs. Après la mort d’Alboin et de son successeur, ces Lombards avaient aboli la royauté; un gouvernement oligarchique de trente ducs la remplaça; ceux-ci franchirent les Alpes, entrèrent dans le royaume de Bourgogne, défirent l’armée de Gontran, commandée par Amatus, patrice d'Arles, et remportèrent en Italie un immense butin

L’année suivante, ils y revinrent; mais leur course y fut arrêtée par le patrice Mummol, successeur d’Amatus. Ce général, le plus célèbre de ce temps, était un Romain nommé d’abord Eunius, fils de Péonius, et comte d’Auxerre: à la tête de l’armée de Gontran, il surprit les Lombards, les entoura et les attaqua avec une telle furie qu’il les détruisit presque entièrement.

Tandis qu’il relevait la gloire des Francs, les rois Gontran, Chilpéric et Charibert la souillaient par leurs désordres : Gontran prit pour maîtresse une villageoise, épousa ensuite la fille du duc Magnacaire, la répudia bientôt après par amour pour une de ses suivantes qu’il couronna. Chilpéric, épris d’une plus fatale flamme pour une fille nommée Frédégonde, qui était aussi de basse extraction, lui laissa prendre sur son esprit le plus funeste ascendant. Il était marié avec Audovère, dont il avait déjà trois fils, Mérovée, Théodebert et Clovis: le roi voulait tenir un enfant sur les fonts de baptême; la marraine se trouvait absente. Frédégonde conseille perfidement à Audovère de la remplacer; bientôt après elle persuade à Chilpéric qu’il a par cet acte dissous son mariage suivant les lois de l’Eglise. Chilpéric, entraîné par sa passion, adopte cette fausse interprétation que la flatterie confirme: il relègue Audovère dans un couvent. Cependant, après s’être livré sans frein à l’amour de Frédégonde, honteux de ce lien scandaleux et voulant imiter son frère Sigebert qui venait d'épouser Brunehaut, fille d’Athanagilde, roi des Visigoths, il demanda en mariage Galsuinde, sœur de cette princesse.

Athanagilde, qui se méfiait de son inconstance, ne lui accorda sa fille qu’après lui avoir fait jurer de ne jamais la répudier. Cette princesse arriva en France, suivie d’un pompeux cortège et portée sur un char d’argent; c’était une victime parée que le Néron de la France devait bientôt immoler aux fureurs de Frédégonde.

Le roi de Paris, Charibert, scandalisait aussi les peuples par le choix et par la multiplicité de ses amours; après avoir répudie sa femme Ingoberge, il épousa successivement la fille d’un ouvrier en laine, sa sœur qui était religieuse, et enfin la fille d’un pâtre. Saint Germain, évêque de Paris, l’accusa hautement d’inceste, d’adultère et de sacrilège; le roi méprisa ses remontrances, et brava son excommunication : le clergé seul alors commençait à opposer quelque résistance au pouvoir.

Clotaire, par un simple édit, avait nommé Euménius évêque de Saintes, sans le consentement du métropolitain; les évêques de la province, rassemblés, cassent cette nomination, élisent Héraclius à la place d’Eumène, et l’envoient à Charibert, pour obtenir de lui la confirmation de ce choix. A sa vue, le roi, indigné, s’emporte et s’écrie : «Les prêtres sont bien hardis de destituer un évêque nommé par mon père. Croient-ils que les fils de Clotaire ne sauront pas soutenir ses actes et faire à respecter son autorité?». A ces mots il chasse Héraclius de son palais, et l’envoie, en exil sur un chariot rempli d’épines; en même temps il ordonne à des clercs de rétablir Eumène sur son siège; et quelques camériers, revêtus de sacs pouvoirs, condamnent les évêques d’Aquitaine à de fortes amendes : celle de Leontius, évêque de Bordeaux, fut de mille pièces d’or.

Dans ce siècle, l’audace et la force décidaient de tout; les faibles cédaient aux menaces des grands, et obéissaient au clergé, tandis que les rois, impérieux et favorisés par la fortune, exerçaient sans obstacle le pouvoir arbitraire. C’est par cette raison que les historiens ont trouvé chacun beaucoup de faits pour appuyer leurs systèmes opposés sur les droits de la couronne et sur ceux des peuples, à cette époque où rien n’était constant que le désordre.

Si plusieurs personnages célèbres illustrèrent alors l’Eglise par leur courage, leur modestie et leurs vertus, la masse du clergé n’était pas d’ailleurs plus exempte de vices que les patriciens romains et que les leudes des Francs. On voit par les lettres du pape saint Grégoire au roi Childebert, à Brunehaut et à plusieurs évêques, combien ce pontife gémissait de l’avidité, de la simonie, de l’orgueil, des vices, des incestes, des adultères qui souillaient alors une partie du clergé de France. Quelques-uns mêmes n’avaient point horreur de l’effusion du sang: dans la bataille livrée parle patrice Mummol contre les Lombards, deux évêques, Salonius et Sagittaire, se mêlèrent aux combattants : « Ils n’y parurent point, dit Grégoire de Tours, armés de la croix, mais le casque en tête, la cuirasse sur la poitrine; et, ce qui est pis encore, on rapporte qu'ils tuèrent de leurs mains plusieurs ennemis.»

Charibert, qui n’avait montré sur le trône que des vices, , tomba malade à Blaye, et y mourut. Il avait régné neuf ans, et ne laissa que trois filles; l’une, nommée Berthe, fut mariée à Ethelbert, roi de Cantorbéry, qu’elle convertit au christianisme; les deux autres prirent le voile.

Dès que Charibert eut expiré, l’une de ses veuves, Théodégilde , offrit à Gontran de lui remettre les trésors de son mari, s’il voulait l’épouser; il la trompa, en lui donnant de fausses espérances, s’empara de l’argent, et relégua sa belle-sœur dans un monastère.

 

CHILPÉRIC, ROI DE SOISSONS ET DE PARIS (561–575);

GONTRAN, ROI DE BOURGOGNE (561 – 592); SIGEBERT, ROI D’AUSTRASIE (561–575)

 

Serment des trois frères de Charibert.—Mariage et couronnement fe Frédégonde après l’assassinat de Galsuinde. — Invasion en Thuringe des Huns ou Avares. — Soumission de Sigebert à ces Barbares. — Guerre entre Gontran et Sigebert.—Mort de Théodebert, fils de Chilpéric. — Fuite de Chilpéric et de sa famille. — Entrée de Sigebert dans Paris. — Son assassinat. — Révolte dans Paris contre Brunehaut.— Couronnement de son fils Childebert. — Mariage de Brunehaut et de Merovée, fils de Chilpéric. —Violences de Chilpéric envers eux. — Guerre civile. — Assassinat de Merovée.— Procès de l'évêque Prétextât.—Fermeté de l'évêque Grégoire. — Prétextât est absous. —Exil de cet évêque. — Livre de Chilpéric sur la Trinité.— Nouvelle guerre civile. — Superstition de Frédégonde et de son époux. — Conspiration de Leudaste contre eux. — Son accusation contre Frédégonde. — Vengeance de cette reine. — Ses nouveaux crimes. — Invasion des Gascons en Aquitaine. — Mort de Chilpéric.

 

Les trois frères de Charibert partagèrent son héritage; mais, comme Paris semblait déjà devoir donner une trop grande prépondérance à celui qui en serait le maître, il fut convenu que chacun n’en posséderait que le tiers. Ils jurèrent même, en présence de leurs leudes, sur les châsses des martyrs, qu’aucun d’eux n’y entrerait sans le consentement de ses frères.

Chilpéric prouva bientôt qu’il ne respectait ni les traités, ni les liens du sang, ni les serments les plus sacrés. Frédégonde voulait être reine. Galsuinde opposait un obstacle importun à son ambition; on la trouva un matin étranglée dans son lit. Chilpéric, tyran de son peuple et esclave de sa maîtresse, épousa et couronna Frédégonde. Ce mariage et ce crime indignèrent la France; le peuple frémit et se tut; le clergé gémit; Brunehaut jura de venger sa sœur; les rois d’Austrasie et de Bourgogne prirent les armes; les flambeaux de l’hymen de Frédégonde, semblables aux torches des furies, allumèrent une guerre féconde en malheurs et en crimes.

Chilpéric  moins de courage après son forfait qu’il n’avait mis d’audace à le commettre : il demanda la paix à ses frères, et offrit une composition pour le meurtre de Galsuinde. Par ce traité, il céda à la reine Brunehaut Bordeaux, le Limousin, le Quercy , le Béarn et le Bigorre, que Galsuinde avait reçus de lui en don nuptial, appelé par les Francs morgen-gab, ou présent du matin. Les dispositions de ce pacte prouvent, contre l’opinion de plusieurs auteurs, que déjà les femmes en France pouvaient posséder non-seulement quelques revenus du fisc, mais des cités et des terres saliques.

Tandis que le royaume jouissait intérieurement dun calme passager, les Huns ou Avares firent une nouvelle invasion en Thuringe. Le vaillant Sigebert marche pour les combattre; mais, suivant les chroniques du temps, son armée se voit investie au milieu d’une vaste forêt, où elle est saisie d’une terreur panique par le pouvoir des fées, par des feux follets, par des enchantements, enfin par l’apparition d’un grand nombre de spectres, ou plutôt d’hommes couverts de masques hideux, qui semblaient vomir des flammes. Les Francs épouvantés restent immobiles, et laissent tomber leurs armes; vainement le roi veut ranimer leur courage, il est obligé de se rendre; mais sa présence d’esprit ne l’abandonne pas; son adresse supplée à la force qui lui manque; son éloquence, son audace, sa gaîté séduisent les chefs des Barbares; leur haine se change en amitié ; ils accordent au roi captif une paix honorable.

Sigebert, de retour en France, déclara la guerre a Gontran, qui lui avait enlevé une partie de la Provence. La fortune fut encore contraire aux Austrasiens; le patrice Celsus les battit, et en noya un grand nombre dans le Rhône; le danger commun ramena la paix entre les Francs; car ce fut à cette époque qu’curent lieu la seconde invasion des Lombards et la victoire décisive de Mummol.

Cependant Chilpéric, cédant à la haine implacable de Frédégonde pour Brunehaut, prit possession de Paris, et entra en armes dans la Touraine et dans le Poitou. Le faible Gontran s’unit à lui; vainement les leudes employèrent tous leurs efforts pour prévenir les funestes effets de ces discordes sanglantes; trois trêves furent successivement signées et rompues; les évêques, convoqués par Gontran, recommandent la paix aux princes; mais ils refusent de se rendre médiateurs et garants d’une foi si souvent violée.

Les généraux d’Austrasie, Gontran-Boson et Gondégisile, attaquent dans le Poitou Théodebert, fis de Chilpéric. Ce jeune prince, abandonné dans la mêlée par les siens, persiste seul témérairement à combattre; après des prodiges de valeur il succombe. Gontran-Boson le dépouille, le tue et cherche ensuite près du tombeau de saint Martin de Tours un asile contre la vengeance de Chilpéric. 

Le roi d’Austrasie n’aurait pas protégé la tête du meurtrier d’un prince royal; mais il restait à Gontran-Boson un appui secret plus sûr que le tombeau du saint ; car la mort d’un fils d’Audovère était un service rendu à l’ambitieuse Frédégonde. Tandis que le Poitou était ainsi reconquis par les généraux de Sigebert, ce roi, ayant rassemblé autour de lui tous les guerriers des nations germaines qui lui étaient soumises, s’avança à leur tête sur les rives de la Seine, et cette armée, composée de guerriers féroces, dévasta tous les environs de Paris. Le roi Gontran, effrayé de l’approche de ce torrent, fit sa paix avec Sigebert.

Chilpéric, abandonné de tous et poursuivi par la haine publique, se trouvait sans ressource et menace d’une ruine inévitable,’ il ne lui restait, pour le soutenir au bord de l’abîme, que le courage ou plutôt la fureur de Frédégonde. Cette femme, fuyant alors comme Médée, en semant ses poisons et en préparant ses poignards, emmena son époux dans Tournai, où ils s’enfermèrent avec leur famille.

Paris ouvrit ses portes à Sigebert; et la fière Brunehaut s’assit avec l’orgueil d’une vengeance satisfaite sur le trône de son indigne rivale. Le roi d’Austrasie envoya une armée chargée d’investir et d’assiéger Tournai. Saint Germain, évêque de Paris, montrant alors une noble et vertueuse hardiesse, dit à Sigebert : «Respectez les lois divines, et ne souillez point votre gloire par une cruauté impie; si vous marchez à Tournai dans l’intention de forcer votre frère à la paix, vous reviendrez vainqueur; mais, si vous attentez à ses jours, le ciel vous abandonnera; votre mort vérifiera ces paroles de Salomon : Vous tomberez vous-même dans la fosse que vous aurez préparée pour votre frère.» L’évêque prévoyait peut-être dès-lors les crimes que produirait le désespoir de Frédégonde. Au reste, s’il était une crédulité excusable, ce serait celle qui regarderait comme des oracles les conseils de l’humanité et les prédictions de la vertu.

Toute la France semblait alors conjurée contre les assassins de Galsuinde. Sigebert réunit autour de lui, à Vitry, tous les sénieurs neustriens qui déposèrent Chilpéric, élevèrent sur un pavois le roi d’Austrasie, et le proclamèrent monarque au milieu des acclamations du peuple : mais ce triomphe éclatant précéda de peu d’heures la plus funeste catastrophe; à peine Sigebert était proclamé que deux émissaires de Frédégonde arrivent, s’approchent, du roi pour lui rendre hommage au nom de la ville de Thérouanne, et le poignardent. Á l’instant où il est frappé, Charégisilus, son grand chambellan, lève le glaive pour le venger; il expire lui-même sur le corps de son prince; et des soldats inconnus massacrent aussitôt les deux meurtriers pour faire disparaître toutes les preuves qui auraient pu dévoiler le véritable auteur du crime.

Ainsi mourut Sigebert dans la quatorzième année de son règne; il était âgé de quarante-quatre ans. Tous les historiens s’accordent pour vanter l’étendue de son esprit, l’ardeur de son courage, la douceur de sa piété, la générosité de son caractère et la chasteté de ses mœurs. Il fut le plus illustre des princes mérovingiens; et, malgré l’excès de sa tendresse pour Brunehaut, aucune tâche ne ternit sa gloire. Sigebert laissait un fils âgé de quatre ans, nommé Childebert, et deux filles.

L’assassinat d’un roi généralement aimé aurait dû redoubler l’horreur des Français pour Frédégonde, et rendre la chute de Chilpéric plus certaine; mais ce crime produisit un effet contraire: l’audace des coupables glaça les peuples d’une stupeur qui disposait plus à la soumission qu’à la vengeance. La révolution fut soudaine et totale; les Austrasiens levèrent précipitamment le siège de Tournai, et prirent la fuite comme s’ils étaient vaincus; les Neustriens jurèrent de nouveau  fidélité à Chilpéric; Paris se révolta contre Brunehaut; elle s’y vit retenue prisonnière avec ses enfants; on devait les offrir comme victimes à la sanguinaire Frédégonde pour sc réconcilier avec elle; mais le courage d’un sénieur austrasien nommé Gonbaud sauva ces captifs en rendant leur mort inutile et dangereuse; il déroba le jeune Childebert à ses gardiens, le cacha dans une corbeille, le descendit la nuit par-dessus les murs de Paris; un homme affidé reçut ce dépôt précieux , et le porta à Metz. A la vue de cet enfant royal, les Austrasiens, qui étaient consternés et préparés à subir le joug de Chilpéric, reprennent courage, se rassemblent, s’arment, élèvent Childebert sur le pavois, le proclament roi, et le placent, sous la protection de Gontran son oncle.

Chilpéric accourait dans l’espoir de consommer ses crimes et sa conquête; mais, à la nouvelle du couronnement de Childebert, il s’effraie, s’arrête, renonce à l’Austrasie, et revient à Paris, où Frédégonde se voit forcée d’épargner les jours d’une rivale qu’elle abhorrait. Elle ne pouvait plus frapper Brunehaut sans attirer sur elle les armes de l’Austrasie et de la Bourgogne : ainsi le sort de la reine captive fut changé; Chilpéric la relégua dans la ville de Rouen, et il envoya ses deux filles à Meaux dans un monastère.

La reine d’Austrasie, exilée, prisonnière, dénuée de secours, trouva, dans son esprit adroit et dans les charmes dangereux dont la nature l’avait douée, des armes secrètes et des moyens assurés de vengeance contre ses oppresseurs; les fils de Chilpéric et d’Audovère connaissaient trop le caractère et l’ambition de Frédégonde pour ne pas prévoir qu’ils périraient tous ses victimes, s’ils ne prévenaient ses coups. Théodebert, l’aîné de ces princes, était déjà tombé sous le glaive de Gontran-Boson, secrètement dévoué à cette reine barbare; et sa haine en toute occasion éclatait contre Mérovée, le plus haï de tous par elle, parce qu’il était le plus aimé de son père. Ce prince commandait l’armée neustrienne; Chilpéric l’avait chargé de maintenir le Poitou dans l’obéissance; mais, au lieu d’exécuter cet ordre, il vient à Tours et de là à Rouen, pressé par le désir de voir Brunehaut; il plaignait ses malheurs; on vantait sa beauté; et Frédégonde était leur commune ennemie : la reine d’Austrasie n’avait alors que vingt-huit ans; orgueilleuse de sa haute naissance, fière dans ’adversité, elle attirait le respect par la noblesse de son maintien, commandait l’admiration par son courage dans le malheur, et savait en même temps, par les artifices de son esprit et par une éloquence douce et insinuante, inspirer à ceux qui l’approchaient des sentiments tendres, que son âme artificieuse savait feindre et non partager. Il était important pour elle de séduire Mérovée; elle fit briller à ses yeux et l’éclat de tous ses charmes et l’espoir d’une couronne; elle le captiva. Mérovée, en s’unissant à elle, espérait régner en Austrasie sous le nom de Childebert dont il serait le tuteur, et, revêtu de la puissance souveraine, braver en paix la haine de Frédégonde; d’un autre côté , par cette union, Brunehaut portait le trouble dans la famille de ses ennemis, armait le fils contre le père, et donnait un jeune vengeur à l’époux qu’elle avait perdu.

Chilpéric et Frédégonde étaient généralement détestés; l’évêque de Rouen, Prétextât, écoutant plus cette haine que ses devoirs, favorisa les amours de Brunehaut et de Mérovée, reçut leurs serments, et les unit.

Les émissaires de Frédégonde l’informèrent promptement de cet hymen secret. Chilpéric ne laissa pas aux deux époux le temps de fuir; il accourut à Rouen, resserra les chaînes de Brunehaut, menaça l’évêque de sa vengeance, et emmena son fils avec lui.

Cependant plusieurs sénieurs austrasiens, qui jusque-là semblaient fidèles à la cause de Chilpéric, dans l’intention réelle de délivrer Brunehaut, déclarent au roi qu'ils veulent retourner en Austrasie près de Childebert: ils partent, rassemblent quelques partisans, et s’emparent de Soissons où ils faillirent surprendre Frédégonde, juste objet de leur ressentiment.

Cette reine, échappée au péril, accourt près de son époux; elle accuse Mérovée et Brunehaut d’avoir tramé ce complot contre sa vie. Chilpéric, asservi par elle, fit resserrer plus étroitement Brunehaut. Par ses ordres Mérovée fut privé de ses droits au trône, rasé et relégué dans le monastère de Saint-Calais.

Les Austrasiens, indignés, coururent aux armes; Gontran, au nom de son pupille Childebert, exigea hautement la délivrance de Brunehaut; partout la guerre civile éclata avec furie. Frédégonde conseilla à Chilpéric d’envoyer son troisième fils Clovis en Saintonge pour s’emparer de la capitale de cette province; elle espérait que la guerre la délivrerait de ce dernier rival qui s’opposait encore à la grandeur future de son propre fils; son espoir fut cette lois trompé; la fortune favorisa Clovis; il échappa aux poignards de sa belle-mère, aux glaives de ses ennemis, et prit la ville de Saintes.

Dans le même temps , Didier, à la tête des principales forces de Chilpéric, assiégea Limoges, mais le patrice Mummol, envoyé contre lui par Gontran, lui livra une bataille. Elle fut longue, sanglante et décisive : les Neustriens y perdirent vingt mille hommes; cette victoire n’en coûta que cinq mille aux Austrasiens et aux Bourguignons. Didier, abandonné des siens, ne dut son salut qu’à la vitesse de son cheval.

La fortune semblait alors se rapprocher momentanément de la justice pour traverser les coupables desseins de Frédégonde. Mérovée s’échappe de son monastère, et cherche un asile près du tombeau de saint Martin de Tours; il y trouva pour son malheur le fameux Gontran-Boson, proscrit par Chilpéric pour la mort de Théodebert, et secrètement protégé par Frédégonde. Le roi de Soissons veut forcer l’évêque Grégoire de Tours à lui livrer les fugitifs; Grégoire défend courageusement et le droit d’asile de son église et le malheur du prince qu’une marâtre voulait sacrifier à sa fureur; il ose même plus, il donne les eulogies ou la communion à Mérovée, et lui prodigue les respects dus à son rang.

Chilpéric n’osa violer le sanctuaire de saint Martin; mais il se vengea des habitants de Tours en envoyant dans cette ville un de ses comtes, nommé Leudaste, qui la ruina par ses concussions. Gontran-Boson, fidèle aux instructions de Frédégonde, persuada au jeune Mérovée de sortir avec lui du monastère de Tours, et de se rendre secrètement en Austrasie; il espérait trouver en chemin le moyen de le faire périr.

Cependant le prince échappa d’abord par son courage aux ennemis qui le poursuivaient; il parvint même au but de sa course; mais les Austrasiens, craignant qu’il ne vînt enlever à Childebert son sceptre, refusèrent de le recevoir. Il erra quelque temps dans la Champagne, cherchant vainement des défenseurs, et ne trouvant partout que des cœurs glacés par la crainte qu’inspirait Frédégonde. Enfin Gontran-Boson et l’archevêque de Reims persuadèrent à cet infortuné que la ville de Thérouanne voulait se livrer à lui ; il s’y rendit sans défiance et y fut arrêté. Chilpéric ne tarda pas à venir dans cette ville pour prononcer sur le sort de son fils; mais il le trouva poignardé. Frédégonde avait craint le réveil de la tendresse paternelle; et, fourbe autant que cruelle, elle sut persuader au roi que Mérovée, réduit au désespoir, avait contraint l’un de ses serviteurs, Gailen, à lui donner la mort.

Chilpéric attribuait les égarements, la révolte et l’infortune de son fils à la faiblesse coupable de l’évêque Prétextât qui l’avait marié avec Brunehaut. Il cherchait quelques prétextes pour punir ce prélat; Frédégonde lui en suggéra un promptement.

Ses émissaires l’avertirent que l’évêque s’était rendu maître des trésors de Brunehaut. Cette reine, après la défaite de Didier, était redevenue libre; et Chilpéric s’était vu contraint de la renvoyer en Austrasie.

Le roi de Soissons convoque à Paris, dans l’église de Sainte-Geneviève, les évêques de son royaume, et ordonne à Prétextât d’y comparaître devant eux. Au milieu de cette assemblée le roi, qui prétendait à l’éloquence, accuse lui-même l’évêque d’avoir conspiré contre le trône; il lui reproche dans un long discours d’avoir violé les lois de l’Église, d’avoir, au mépris de l’autorité paternelle, uni le neveu et la tante, de s’être emparé d’un trésor qui ne lui appartenait pas, et d’avoir distribué des sommes considérables pour soulever le peuple; enfin il implore contre le coupable la rigueur des lois et la sévérité du clergé.

Apres avoir prononcé sa harangue d’un ton menaçant, il se retire; l’effroi qu'il inspirait règne encore après son départ. Tous les prélats, posant simultanément le doigt sur leurs lèvres, indiquent par ce geste la terreur qui enchaîne leur langue. Un archidiacre, Aetius, rompt enfin le silence, et représente au synode la nécessité de ne point condamner un évoque sans entendre sa défense : chacun reste muet.

Grégoire de Tours seul se lève : «Prêtres du Seigneur, dit—il, résistez a l’injustice; soutenez la dignité de l’Église; défendez l'innocence contre la calomnie, et donnez courageusement de sages conseils au roi. Dites-lui que, s’il se montre injuste et inflexible contre un ministre de Dieu, il armera la vengeance du ciel, souillera sa gloire, perdra son royaume et périra. »

Ces paroles, loin de réveiller le courage des évêques, semblent redoubler leur stupeur. «Eh! quoi donc, continua alors Grégoire, avez-vous oublié ces paroles du prophète : Quiconque voit un homme près de commettre une injustice, et qui ne s’y oppose pas, en devient le complice? Parlez donc hardiment au roi;  souvenez-vous que récemment, lorsque Clodomir jeta dans les fers le roi Sigismond, l’évêque Avitus lui dit avec une sainte audace : Si vous épargnez votre captif, vous reviendrez vainqueur des Bourguignons; si vous versez son sang, le ciel vous punira : Clodomir méprisa cet avis, fut vaincu et périt. »

Les prélats, ranimés par ce discours, l’approuvèrent par leurs acclamations; et cependant ils se séparèrent ce jour-là sans rien résoudre. Deux évêques courtisans vinrent rapporter au roi ce qui s’était passé; aussitôt Chilpéric appelle Grégoire devant lui : il était debout près d’un pavillon formé de branches d’arbres; à ses côtés se tenaient Bertrand, évêque de Bordeaux, et Ragnemonde, évêque de Paris; une table était devant eux couverte de pain et de différentes sortes de mets.

«Evêque, dit le roi à Grégoire, vous devez la justice à tous, et cest à moi que vous la refusez. Mais je sais pourquoi vous favorisez l’iniquité : le corbeau, dit le proverbe, ne  crève pas l’œil d’un corbeau.

«Roi, répondit Grégoire, vous pouvez punir celui de nous qui manque à la justice; mais vous, qui vous punira, si vous y manquez? Lorsque nous vous parlons son langage, il dépend de vous de l’entendre; si vous lui fermez votre oreille, savez-vous qui vous condamnera? celui qui est le principe de toute justice. »

Le murmure des flatteurs qui se trouvaient près du roi, désapprouvait la réponse hardie de l’évêque. Excité par eux, Chilpéric s’écrie: «Je sais ce qui me reste à faire ; les peuples vont vous connaître ; je ferai éclater votre iniquité à leurs regards ; oui, je cours assembler les habitants de Tours, et je leur dis : Que vos cris, que vos huées poursuivent ce Grégoire, cet ennemi de la justice. Lorsqu’il me la refuse cette justice, à moi qui suis roi, vous, peuples, espérez-vous que jamais il vous la rende?»

« Si je suis injuste, répliqua Grégoire avec fermeté, vous lignorez; celui-là seul le sait qui lit dans le fond des cœurs. Je supporterai vos outrages, et les vaines clameurs du peuple ne pourront m’émouvoir; on saura que vous les excitez; ce nest point sur moi, cest sur vous que leur haine tombera. Mais pourquoi tous ces vains discours? Vous avez pour règle les lois et les canons; il vous importe de les consulter avec soin; et, si vous les violez, la justice du ciel vous attend. »

Chilpéric, changeant tout à coup de formes et de langage, prit alors avec moi, dit l’historien Grégoire dans son récit, un ton presque caressant, et, croyant que je n’apercevrais pas le piège qu’il me tendait, il se tourne vers la table, regarde le plat qui est devant lui et me dit : C’est pour vous que j’ai fait apprêter ces mets : des volailles et quelques pois chiches composent mon dîner. »

« Je répondis : Ce qui doit nous suffire, c’est d’obéir aux ordres de Dieu, et non de nous complaire aux délices de la table. Mais vous, qui accusez les autres, promettez d’observer les lois et les canons, nous croirons alors à votre justice.» A ces mots Chilpéric leva la main et jura, par le nom de Dieu, qu’il respecterait les canons et les lois. Grégoire ne se mit point à table; il accepta seulement, selon l’usage, le pain et le vin, et il se retira.

Au milieu de la nuit des émissaires de Frédégonde viennent le trouver et lui disent : «La reine vous offre deux cents livres d’argent, si vous vous déclarez contre Prétextât. Nous avons reçu la promesse des autres évoques; la vôtre seule nous manque.»

«Quand vous m’offririez mille talons d’or et d’argent, répondit Grégoire avec autant d’adresse que de fermeté, je ne pourrais faire que ce que la loi me prescrit. Tout ce que je puis seulement vous promettre, c’est d’acquiescer à tout ce que feront les autres évêques en se conformant aux canons. » Cette restriction ne fut pas comprise, et la reine se tint pour satisfaite.

Le lendemain l’assemblée eut lieu. Chilpéric Prétextât accusa le prélat d’avoir volé deux valises remplies de pierreries et un sac qui contenait deux mille pièces d’or; en même temps il fit paraître des témoins subornés qui déposèrent contre l’évêque. Mais Prétextât prouva dans sa défense qu’une partie de ses richesses était un dépôt qu’il devait garder, et l’autre un don légitimement reçu. Les évoques regardèrent l’accusation comme calomnieuse, et Prétextât pour cette fois fut absous.

Le roi appela promptement auprès de lui deux de ses plus intimes confidents, et leur dit : « Les réponses de Prétextât sont vraies; il m’a vaincu : cependant quel parti prendre? Je veux absolument satisfaire le ressentiment de la reine; allez trouver Prétextât, comme de vous-même, et parlez-lui en ces termes : Vous savez que Chilpéric est un prince pieux et facile à émouvoir; il se laisse fléchir lorsqu’on s’humilie devant lui; suivez donc notre conseil, soumettez-vous; avouez que vous êtes coupable des crimes qu’il vous impute; aussitôt nous tombons tous à ses pieds; nous demandons votre grâce, et elle nous est accordée. »

Prétextât, trompé par cet artifice, promet de faire ce qu’on exige de lui. Le lendemain le concile sc rassemble; le roi s’y rend, et, adressant la parole à Prétextât : «Si vous n’avez, dit-il, voulu faire qu’un acte de générosité en distribuant de l’argent aux habitons de Rouen, pourquoi les avez-vous sollicités de prendre le parti de Mérovée et de lui rester fidèle ? »

«J’avoue, répond l’évêque, que je les ai pressés de favoriser ce prince; je ne m’adressais qu’à des hommes : mais si je l’avais pu, j’aurais conjuré les anges de descendre du ciel et de secourir cet infortuné dans la position déplorable où je le voyais réduit. D’ailleurs je l’avais tenu sur les fonts; il était mon fils spirituel, et je croyais en le servant remplir un devoir.»

A ces mots, Chilpéric lui adresse de vifs reproches sur sa conduite factieuse: la contestation s’échauffe; enfin l’évêque , cédant aux conseils perfides qu’il avait reçus, se jette aux pieds du prince et lui dit : «O roi très miséricordieux, j’ai péché contre le ciel et contre vous; je suis un malheureux homicide; j’ai voulu vous faire périr pour que votre fils régnât à votre place.» Alors Chilpéric se prosterne au milieu du concile: «Saints prélats du Seigneur, s’écrie-t-il, vous l’entendez; c’est lui-même qui confesse un crime exécrable.» Les évêques courent au roi et le relèvent. Soudain il bannit Prétextât de sa présence, et se retire dans son camp.

Peu d’instants après il envoya au concile un recueil de canons dans lequel on en avait inséré quelques-uns de faux, et qui portaient qu’un évêque convaincu d’homicide ou de parjure devait être déposé. Ils furent lus, sans être vérifiés, en présence de Prétextât consterné. L’évêque de Bordeaux lui dit alors : «Vous n’avez point obtenu votre grâce du roi; notre affection vous est désormais inutile.» Un envoyé du roi vint demander qu’on excommuniât le coupable et qu’on déchirât publiquement sa robe. Grégoire s’opposa à ces rigueurs et à ces formes nouvelles; mais il souscrivit à la condamnation prononcée par le concile; et Prétextât fut exilé dans une des îles du Cotentin.

Ce procès célèbre montre le mélange bizarre que présentaient les mœurs de ce siècle, l’injustice des princes, la force et en même temps la corruption du clergé, d’une part des évêques courtisans et perfides, de l’autre un tyran contraint de s’abaisser aux plus vils artifices pour faire punir un prélat factieux, enfin la religion toujours invoquée dans les discours et toujours outragée par les actions.

A cette même époque un autre concile, rassemblé à Lyon, déposa les évêques Salone et Sagittaire, accusés par la voix publique. Leur conduite excitait tant de scandale, que le peuple révolté les avait battus de verges. Malgré leur condamnation, ces évêques, soutenus par leurs nombreux serviteurs, conservaient encore leurs sièges. Le roi Gontran les manda en sa présence; et Sagittaire eut l’insolence d’injurier la personne de ce prince, dont les enfants, disait-il, ne pouvaient hériter du trône, parce que leur mère avait été servante du duc Magnacaire. «Il ignorait sans doute, dit Grégoire, qu’en France la condition des mères est indifférente, et qu’il suffit d’être fils des rois pour avoir droit à leur succession. »

Gontran, irrité de l’audace des deux évêques, les dépouilla de leurs biens, de leurs esclaves, de leurs chevaux, et les exila dans un monastère où ils furent enfermés et gardés à vue. Mais peu de temps après, les enfants du roi étant tombés malades, on lui persuada que ce malheur était l’effet de la condamnation injuste qu’il avait prononcée contre ces évêques. Le faible Gontran, effrayé, ordonna qu’on leur rendit promptement la liberté. C’est ainsi qu’alors et depuis on vit trop souvent, pour le malheur des rois et des peuples, une peur superstitieuse remplacer la crainte salutaire de la religion et des lois.

Chilpéric ainsi que ses frères répandaient sans remords le sang de leur famille, opprimaient les peuples, et dévastaient sans pitié les provinces. Mais, d’un autre côté, ces princes cruels devenaient tremblants au moindre phénomène; un songe les troublait; leur bizarre foi croyait aux maléfices et doutait des dogmes.

Ce même Chilpéric composa un livre coutre la Trinité:

«A quoi bon trois personnes? disait-il: c’est une chose indigne, prétendait-il, qu’on parle de Dieu comme si c’était un homme en chair et en os.»

Quand son livre fut achevé, il l’envoya à Grégoire de Tours; et, mandant près de lui cet évêque , il lui dit:

«Voilà ce que je veux que vous croyiez, vous et tous les docteurs de vos églises.»

«C’est vous-même, répondit l’évêque, qui ne devez croire que les vérités enseignées par les apôtres, et par Eusèbe et Hilaire, enfin ce que vous avez juré de croire en recevant le baptême.»

Le roi, irrité, témoignant son mépris pour Eusèbe et Hilaire, répliqua:

«Je vous crois peu de lumières; je m’adresserai à des gens plus habiles que vous, et qui m’approuveront.»  

«Seigneur, reprit Grégoire, si vous rencontrez de pareils hommes , ce ne seront point des hommes habiles, mais des insensés.»

Chilpéric le quitta brusquement, attaqua sur le même sujet l’évêque d’Albi ; et, trouvant en lui la même fermeté, il oublia son vain projet de changer le culte chrétien.

D’autres affaires, suscitées par la haine qu’il inspirait, troublèrent bientôt le repos momentané de ce roi ambitieux et de son implacable épouse. Gontran venait de perdre ses deux fils; il adopta solennellement le jeune roi d’Austrasie, et demanda au roi de Soissons de céder à Childebert la ville de Paris; sur son refus, il lui déclara la guerre.

Dans le même temps, Brunehaut, qui suscitait partout des ennemis à Chilpéric, arma contre lui les Bretons; ils s’emparèrent de Vannes, et leur comte, nommé Varoch, vint camper à la tête d’une nombreuse armée sur les bords de la Vilaine. Un corps de Saxons augmentait ses forces.

Chilpéric était brave; le courage était la seule vertu qui restait encore à la race de Clovis. Il combattit Varoch, le défi et le contraignit à se soumettre.

Depuis plusieurs années le roi de Soissons, forcé de chercher à tout prix de l’argent pour exécuter les desseins que lui dictait une ambition sans bornes, avait bravé les mœurs des Francs, en imposant sur leurs biens de lourds tributs. Les hommes libres, comme les serfs de son royaume, étaient assujettis à une capitation; l’industrie des villes était gênée par des taxes; enfin il venait d’asseoir l’impôt d’une amphore sur chaque arpent de vigne.

De toutes parts on murmurait; chacun, fuyant sa domination, en cherchait une plus douce dans les Etats de Gontran et de Childebert : ainsi son royaume se dépeuplait, en même temps que son trésor se remplissait.

L’avarice de ce prince résistait à toutes les remontrances; la superstition le trouva plus docile. Le fils aîné de Frédégonde meurt subitement; ses autres enfants tombent malades ; le roi lui-même est attaqué de la fièvre : Frédégonde alors s’effraie; les aiguillons du remords l’agitent; elle ne pouvait aimer Dieu, mais elle craignait l'enfer. Les prêtres s’aperçoivent de sa frayeur, en profitent et la redoublent. Epouvantée, elle entraîne son époux dans le lieu où l’on gardait les registres des impôts.

«Le ciel nous punit, lui dit-elle; nous abusons depuis longtemps de sa patience.» Aussi nos enfants vont périr; les larmes des pauvres, les gémissements des veuves, les soupirs des orphelins attirent sur nous la colère céleste. Si nos enfants meurent, à quoi nous serviront nos immenses richesses? Nous les amassons sans savoir qui en héritera; que faire de ces trésors souillés de rapines et chargés des malédictions du peuple? Nos celliers n’abondaient-ils pas en vin et en blé? Nos coffres n’étaient-ils pas remplis d’or et de pierres précieuses? Pourquoi accabler le peuple sous le poids de nouveaux impôts? C’est travailler nous-mêmes à notre propre ruine. Ah! croyez-moi, livrons aux flammes ces registres funestes et contentons-nous désormais des revenus que percevait le roi Clotaire. »

Chilpéric est ému par ces paroles. Cependant il se tait; il hésite à consommer un sacrifice si pénible. Alors la reine saisit les registres et les jette au feu, en lui disant : « Imitez mon exemple; et, si nous sommes destinés au malheur, préparons-nous au moins une consolation en regagnant l’affection des peuples.» Chilpéric obéit, et la multitude inconstante, oubliant les crimes de Frédégonde, admira sa générosité.

Si la peur des vengeances du ciel vainquit la cupidité de cette reine impie, elle ne fut pas assez forte pour surmonter sa haine contre les malheureux enfants d’Audovêre. Il restait encore un fils de cette princesse, c’était Clovis; il détestait Frédégonde : elle jura sa mort; cependant, avant de frapper sa victime, elle faillit tomber elle-même sous ses coups.

Le comte de Leudaste, parvenu des derniers rangs du peuple aux plus hautes dignités de l’État, forma dans ce temps, avec un prêtre de Tours nommé Riculphe, une conspiration dont le but était de chasser Frédégonde, de tuer Chilpéric, de placer sur son trône Clovis, et de gouverner le royaume sous son nom.

Leudaste, esclave dans son enfance, et depuis employé dans les écuries de Marcoueffe, femme de Caribert, était devenu, par la protection de cette reine, premier écuyer, leude et comte. Ce fut lui que Chilpéric envoya dans la ville de Tours, pour la punir de la protection accordée à Mérovée. Il s’y conduisit en tyran. L’évêque Grégoire obtint, à force de remontrances, l’éloignement de ce fléau public. De ce moment Leudaste résolut de perdre Grégoire, et de faire donner son évêché au prêtre Riculphe, qui, tenté par cet appât, promit de servir tous ses coupables projets.

L’audacieux Leudaste connaissait l’humeur impérieuse, jalouse et violente de Chilpéric ; il vint le trouver, et lui apprit que la reine Frédégonde entretenait un commerce criminel avec Bertrand, évêque de Bordeaux. Le roi, indigné de cette accusation, s’emporte d’abord contre Leudaste au point de le frapper. Mais celui-ci persiste à soutenir sa dénonciation. «Cet adultère, dit-il, est généralement connu, et l’évêque Grégoire de Tours en atteste la vérité.»

L’accusateur espérait sans doute que le prince outragé chasserait son indigne épouse, sans vouloir se compromettre par un jugement public; il se trompa. Chilpéric convoqua les grands et les évêques, et ordonna à la reine , ainsi qu’à Grégoire, de comparaître devant cette assemblée.

Frédégonde se défendit avec hauteur et violence; Grégoire avec le calme de la vertu. L’assemblée décida que l’évêque de Tours serait admis à se purger par serment de l’accusation intentée contre lui. Il communia publiquement, et jura ensuite que les faits allégués par le roi étaient des impostures. Alors les évêques proclamèrent son innocence, et déclarèrent qu’il ne leur restait plus qu’à excommunier le calomniateur.

Comme le roi avait seul porté plainte, sans nommer ceux qui l’avaient informé des désordres de la reine, cette déclaration des évêques ne concernait que lui; effrayé de cette menace, il dit qu’il n’avait fait que répéter les révélations de Leudaste et de Riculphe. Le comte fut jeté en prison, et Riculphe exposé à la torture. Ce lâche prêtre avoua tout le complot tramé contre Frédégonde et le roi; il périt, et Leudaste ne perdit que ses biens; tant on hésitait alors à punir les leudes, dont on redoutait l’audace, la force et les partisans; aussi il était plus commun de les voir assassinés que jugés.

Ce comte insolent, rassemblant quelques gens armés, livra au pillage la ville de Tours, pour se venger de l’évêque, obtint ensuite sa grâce du roi, et revint arrogamment à Tours demander à Grégoire de le réconcilier avec l’Église, et de l’admettre à la communion.

L’évêque allait céder à ses instances; mais il reçut une lettre que Frédégonde lui écrivait pour l’en détourner. Alors il répond â Leudaste qu’il doit racheter sa réconciliation par une longue pénitence. Le comte, dont l’épée et l’orgueil bravaient tous les dangers comme toutes les puissances, revient hardiment à Paris, et se montre sans crainte aux regards de Frédégonde.

Cette reine indignée perd connaissance, et tombe en le voyant; elle demande ensuite vainement à son époux vengeance de cet affront; Chilpéric n’ose ni la refuser ni la promettre. L’imprudent Leudaste se promène, sans suite, dans les rues, et parcourt les boutiques aussi tranquillement que s’il n’avait point d’ennemis; mais, au moment où il examinait les diamants d’un joaillier, un serviteur de la reine tombe sur lui à l’improviste, et le massacre : les lois et le roi se turent.

A peu près dans le même temps deux enfants de Frédégonde moururent; au lieu de les pleurer, elle chercha dans leur mort un prétexte pour consommer la ruine de Clovis; au moyen de faux aveux arrachés par la torture à une maîtresse de ce prince, elle vint à bout de persuader à Chilpéric que ses enfants étaient morts empoisonnés. Le roi, subjugué par sa vindicative épouse, lui livra son fils; on l’enferma dans une prison, et le poignard de Frédégonde y trancha ses jours.

La reine Audovère était religieuse; elle ne pouvait ni ne devait se venger; mais ses larmes importunaient Frédégonde. La barbare la fit étrangler, et enferma dans un monastère la fille de cette infortunée, après l’avoir fait déshonorer par ses infâmes satellites. De tels monstres, échappés à la justice des hommes, démontreraient plus que toute autre preuve la nécessité et l’existence d’une justice céleste.

L’empire d’Orient se relevait alors sous le sceptre d’un prince guerrier. L’empereur Tibère invita Chilpéric par ses ambassadeurs à se liguer avec lui contre les Lombards. Il envoya aussi dans le même but de riches présents aux rois Gontran et Childebert  mais les Français, livrés à leurs funestes dissensions, semblaient alors insensibles à la voix de la gloire qui les avait si longtemps animés. Frédégonde et Brunehaut, pareilles à deux furies, les excitaient sans relâche à se détruire entre eux et à déchirer le sein de leur patrie.

La faiblesse de Gontran et la minorité de Childebert laissaient un libre cours en Austrasie à la licence des grands; ils étendaient de jour en jour leur fortune et leur autorité aux dépens du pouvoir-royal. Vainement Lupus, duc de Champagne, défendait le trône d’un monarque enfant; les leudes Ranchin, Gontran-Boson, Bertefroy, de concert avec Égidius, archevêque de Reims, bravèrent le ministre et le contraignirent à s’exiler. Favorisant secrètement Frédégonde, ils corrompirent le patrice Mummol, forcèrent le jeune Childebert à rompre avec Gontran son tuteur, auquel ils enlevèrent par surprise la ville de Marseille. En même temps Didier, général de Chilpéric, s’empara du Périgord et de l’Agénois.

Les Gascons, peuplades qui habitaient la Navarre espagnole, profitèrent de ces troubles, franchirent les Pyrénées et s’établirent dans l’Aquitaine. Le désordre semblait alors régner dans le ciel comme sur la terre; on entendit gronder le tonnerre; on vit naître des fleurs au mois de janvier; une comète chevelue et une pluie colorée qu’on prit pour une pluie de sang effrayèrent les peuples. A la même époque, pour ajouter encore un élément de plus aux discordes qui désolaient la France, on vit paraître un nouveau prince de la race de Clovis.

Il se nommait Gondebaud et se disait fils de Clotaire; dans son enfance le roi Childebert l’avait accueilli, protégé et enrichi. Après la mort de ce roi il parcourut l’Italie, l’Allemagne, la Grèce, et rencontra à Constantinople Gontran-Boson, qui lui conseilla de réclamer ses droits au trône. L’empereur d’Orient lui promit des secours; il revint en France, fut reçu avec honneur dans Avignon par Mummol, et peu de temps après vit ce même Gontran-Boson se déclarer contre lui et le combattre.

Brunehaut, dans l’espoir de susciter un ennemi de plus à Chilpéric, favorisa secrètement Gondebaud, qui força ses ennemis à s’éloigner d’Avignon.

La guerre continuait entre Chilpéric et Gontran avec des succès balancés; enfin ils conclurent la paix; et Childebert, qui venait d’atteindre l’âge de quatorze ans, se réconcilia avec le roi de Bourgogne, son tuteur.

Le règne de Tibère en Orient avait été glorieux, mais court; son successeur Maurice envoya cinq cent mille écus d'or à Childebert, pour l’armer contre les Lombards qui investissaient la ville de Rome. Le jeune roi d’Austrasie franchit les Alpes à la tête de son armée, entra en Italie et éprouva d’abord quelques revers; mais enfin, réparant sa défaite, il força le roi des Lombards Autharis à se soumettre et à lui payer un tribut annuel.

Ce fut cette même année que la France se vit délivrée de l’un de ses plus cruels tyrans. Chilpéric, revenant de la chasse dans son palais de Chelles, reçut en descendant de cheval deux coups de poignard qui terminèrent sa vie et ses crimes : on accusa de sa mort Brunehaut et Frédégonde. On ne sait laquelle des deux fut coupable de cet attentat; mais toutes deux étaient capables de l’avoir conçu et commis.

Quelques ailleurs ont écrit que Chilpéric venait de découvrir la liaison criminelle de sa femme avec un leude nommé Landry, et qu’ils l’assassinèrent pour échapper à sa vengeance.

Chilpéric mourut à l’âge de quarante-cinq ans. Cc prince, vaillant, adroit, magnifique et instruit, se montra toujours dissolu, violent, faible, perfide et cruel; il comblait de richesses les grands pour les asservir; il fondait partout des monastères et bâtissait des églises pour racheter ses crimes; il craignait le clergé et le détestait, «Notre fisc, disait-il, est devenu pauvre; nos richesses sont â présent le patrimoine des églises; les évêques deviennent les vrais administrateurs des nations; le sceptre n’est plus qu’un ornement presque inutile dans la main des rois; les beaux jours de leur gloire sont passés; le clergé a tout envahi»

Ce roi sans pitié n’aima jamais personne, et personne ne lui fut attaché. Apres sa mort, son corps abandonné resta couché sur la terre, sans qu’aucun parût s’occuper d’un monstre qu’on ne craignait plus; ses restes durent enfin les honneurs funèbres à la pitié d’un évêque qui lui avait demandé pendant trois jours une audience sans pouvoir l’obtenir. Ce prélat fit transporter son corps à Paris ; on l’inhuma dans l’église de Saint-Germain-des-Prés. Grégoire de Tours a tracé en peu de mots le portrait de ce tyran, qu’il appelle avec raison le Néron et Hérode de la France.

 

GONTRAN, ROI DE PARIS (584-592);

CHILDEBERT II, ROI D’AUSTRASIE (575-596); CLOTAIRE II, ROI DE SOISSONS (584-628).

Clotaire II est proclamé roi. —Guerre entre les Français et les Lombards.—Assassinat de Prétextât. —Traité d’Andelot. — Mort de Gontran.

 

Dès que Gontran apprit la nouvelle de la mort de Chilpéric, il vint précipitamment à Paris. Childebert y accourut aussi avec ses troupes; mais on ne lui permit pas d’entrer dans cette ville. Ce fils de Brunehaut demandait à grands cris qu’on livrât Frédégonde à sa vengeance pour immoler l’infâme meurtrière de Sigebert, de Théodebert, de Mérovée, de Clovis et de Chilpéric à leurs mânes.

Frédégonde, effrayée, se réfugia dans l’église de Notre-Dame, et chercha un asile au pied des autels que sa présence profanait. Elle eut cependant l’audace d’y appeler Gontran et l’adresse de le séduire. Ce roi, dont la bonté n’était que faiblesse, protégea cette reine coupable, et fit proclamer roi son fils Clotaire II. Les Parisiens, indignés, bravaient l’autorité de Gontran, et demandaient la mort de Frédégonde. Son protecteur la fit partir pour Rouen afin de dérober sa tête à la haine publique. A peine arrivée dans ce nouvel asile, l’implacable Frédégonde médita de nouveaux forfaits; sollicitant l’appui des étrangers pour venger sa querelle, elle se ligua secrètement avec les Lombards, et, pour prix de leur invasion en France, elle leur promit la mort du jeune roi d’Austrasie et de sa mère Brunehaut.

Des assassins, agents fidèles de sa politique sanguinaire, partirent pour Metz; mais, au moment où ils voulaient exécuter les ordres de leur barbare reine, ils furent découverts, arrêtés, et Brunehaut, après avoir ordonné qu’on les mutilât, les renvoya avec mépris à Frédégonde.

L’opinion générale, accusant alors la veuve de Chilpéric d’adultère, regardait Clotaire II comme bâtard et indigne du trône. Gontran, pour détruire ce soupçon, obligea Frédégonde de faire attester publiquement la légitimité de son fils par le serment de trois évêques et de trois cents notables. Cette bienveillance du roi de Paris et de Bourgogne pour la mortelle ennemie de Brunehaut excitait le ressentiment de cette reine; voulant se venger de lui, elle soutint secrètement le parti du prince ou de l’aventurier Gondebaud, qui demandait à Gontran le partage de ses États.

Protégé par elle, secondé par Mummol, par Gontran-Boson et par l’évêque Sagittaire, il accrut promptement ses forces; et une armée assez nombreuse le proclama roi d’Aquitaine dans la ville de Brives-la-Gaillarde dont il s’était emparé; mais ce fut le terme de sa fortune. Le patrice Égila, envoyé contre lui par Gontran, l’attaqua, le vainquit et le mit en fuite. Il s’enferma dans le château de Comminges, ville très forte par sa position; il y fut assiégé et repoussa vaillamment plusieurs assauts; mais enfin, comme les vivres lui manquèrent, sa ruine parut certaine. Dès-lors le perfide Gontran-Boson et l’intrigant Sagittaire résolurent de se sauver en le trahissant. Mummol souilla aussi sa longue gloire par la même perfidie. Ils persuadèrent à cet infortuné de fuir avec eux et le livrèrent à ses ennemis; il périt : mais le patrice Égila, méprisant les traîtres en profitant de la trahison, fit aussi tomber leurs tètes coupables.

A la même époque on vit éclater entre les Français et les Lombards une guerre suscitée par les artifices de Frédégonde. Le fils du roi de Lombardie avait épousé la sœur de Childebert; ce jeune prince se révolta contre son père qui le fit enfermer; mais sa femme trouva le moyen de le tirer de sa prison, et de se sauver avec lui dans l’Orient. L’empereur Maurice y régnait alors; il se ligua avec Childebert et Brunehaut pour protéger le prince proscrit.

Cette guerre fut sans gloire pour les Français; ils ne purent ni pénétrer en Italie ni chasser leurs ennemis de la partie de la Gaule qu’ils avaient envahie. Le glaive des Francs était alors terni; on ne voyait briller que leur poignard, et ils semblaient n’avoir plus de courage que pour le crime.

Frédégonde, qui ne se lassait jamais d’en commettre, chargea un assassin de la venger d’un ancien ennemi, de l’évêque de Rouen, que Gontran venait de rétablir sur son siège. Prétextât fut frappé au pied de l’autel d’un coup de poignard; le meurtrier, arrêté par le peuple, invoqua vainement la protection de la reine; on le livra au neveu de l’évêque, qui le mit en pièces.

Prétextât était mourant; Frédégonde, qui ne connaissait ni pudeur ni remords, eut l’audace de visiter sa victime sous prétexte de la secourir. Le prélat refusa ses soins avec mépris, l’accabla de reproches, et lui annonça les vengeances du ciel.

Gontran, toujours faible, borna sa sévérité à exiler cette furie dans un château de Normandie nommé le Vaudreuil. Frédégonde, sans reconnaissance pour son libérateur, sans pitié pour l’âge de Gontran, sans respect pour le protecteur de son fils, tenta deux fois de l’assassiner.

Cependant les grands du royaume de Neustrie et d’Austrasie, las de la guerre impie que leurs faibles rois se faisaient pour la cause d’une femme souillée du sang de tant de princes, leur conseillèrent ou plutôt leur commandèrent de se réconcilier. Ils conclurent la paix. Gontran reconnut Childebert pour son héritier. Grégoire de Tours prit une part active à ces négociations. Ce traité, qu’on nomma le traité d’Andelot, fut, ainsi qu’on le voit dans son préambule, conclu par le conseil des évêques et des grands, dont il prouve évidemment l’influence et l’autorité croissantes.

Par les dispositions de cet acte Gontran conservait les parties de la ville de Paris et de tout l’héritage de Caribert qui lui avaient été disputées. De son côté Childebert acquérait définitivement les cités de Meaux, Sentis, Tours, Poitiers, Aire, Conserans, Bayonne et Albi. Le survivant des deux rois devait hériter totalement de l’autre, s’il mourait sans enfants.

Tous les dons faits par Gontran à sa fille Clotilde, en cités, terres ou autres revenus, lui étaient garantis.

Dans le cas où Childebert mourrait le premier, Gontran promettait de protéger en père ses fils Théodebert et Thierry, et de plus de servir d’appui à sa femme Failleube et à sa mère Brunehaut.

Le même traité garantissait aussi à la reine Brunehaut les cités de Bordeaux, de Limoges, de Cahors, de Béarn et de Bigorre qui lui avaient été adjugées après l’assassinat de sa sœur Galsuinde.

Les leudes qui avaient, dans le cours de la guerre, abandonné l’un des deux rois, étaient obligés d’après ce traité de revenir près de lui.

Tous les dons faits précédemment aux églises et aux leudes devaient leur être inviolablement conservés ou fidèlement rendus, et on les déclarait irrévocables; on s’obligeait à faire ces restitutions aux leudes sur-le-champ. On convint que les leudes pourraient en tout, temps voyager avec liberté d’un royaume à l’autre. Chacun des deux rois contractons s’engageait à ne jamais solliciter les leudes de l’autre de le quitter pour s’attacher à lui.

Enfin il fut déclaré que celle des deux parties contractantes qui violerait, sous quelque prétexte que ce fut, les stipulations de ce traité, en perdrait tous les avantages qui tourneraient au profit de l’autre.

Cet acte célèbre fut une victoire des grands sur les rois, et devint une époque remarquable dans notre histoire. Jusque-là les rois avaient marché graduellement au pouvoir absolu en s’entourant de leudes auxquels ils accordaient des bénéfices révocables; mais, comme leurs domaines s’épuisaient, et que cependant ils voulaient sans cesse augmenter le nombre de leurs leudes, ils reprirent arbitrairement les dons qu’ils avaient faits, et les distribuèrent de nouveau, suivant leurs craintes ou leurs caprices, dépouillant les plus faibles, enrichissant les plus redoutables; leurs cours se remplirent d’intrigues; et, lorsque tour à tour chacun des leudes eut subi sa part des injustices de ce despotisme, tous se liguèrent pour défendre leurs communs intérêts.

Le traité d’Andelot, arraché par eux, convertit les bénéfices en propriétés irrévocables; et dès-lors la noblesse, devenant indépendante et héréditaire, domina le trône qui resta sans richesse et sans force, de sorte que l’ancienne démocratie des Francs, qui depuis Clovis était devenue une monarchie militaire, se convertit en aristocratie turbulente sous laquelle languirent des ombres de rois incapables de défendre leur sceptre et le peuple de l’oppression des grands. Les progrès de cette révolution furent si rapides quen moins de cinquante ans on la vit consommée.

Au reste cette paix d’Andelot, qui rendait momentanément le repos à la France, augmentait les périls de Gontran, en redoublant les fureurs de Frédégonde. Aussi ce malheureux roi, se croyant toujours entouré d’assassins, adressa un jour dans l’église ces étranges paroles au peuple qui assistait à l’office : «Vous tous, hommes et femmes, je vous conjure de me rester fidèles. Ne me traitez pas comme mes deux frères que vous avez fait périr. Je n’ai point d’enfants; il ne me reste que de jeunes neveux que j’ai adoptés. Laissez-moi régner encore deux ou trois ans pour rétablir l’ordre dans la France. Songez que, si vous me laissiez mourir avec mes innocents pupilles, il ne resterait plus personne de la race royale pour vous défendre.» Le peuple répondit à ce discours par des prières ferventes pour le salut du roi. Il suffit, pour peindre les mœurs de ce temps, de dire qu’une si étrange démarche d’un roi excita quelque pitié, mais ne causa aucune surprise.

On découvrit bientôt en Austrasie une conspiration nouvelle tramée par les grands à l’instigation de Frédégonde. Brunehaut envoya les traîtres au supplice; l'évêque de Reims, leur chef, fut, dans un concile à Metz, jugé, convaincu et déposé.

Le roi Gontran mourut à Châlons; il était âgé de soixante-huit ans; il avait régné trente-deux-ans. Son dernier acte fut un acte de faiblesse: il consentit à revoir Frédégonde, et à tenir à Ruelle sur les fonts du baptême son fils Clotaire.

Comme il ne laissait pas d’enfants mâles, Childebert hérita de ses États; et la fière Brunehaut, qui gouvernait ce jeune prince, se vit enfin au comble de ses vœux, en régnant sur la plus grande partie de la France, tandis que son ennemie Frédégonde, humiliée, sans appui, soutenait avec peine dans un État borné le sceptre d'un enfant entouré d’ennemis.

Gontran fut l’un des moins barbares des petits-fils de Clovis; il faisait le bien par penchant et le mal par faiblesse; le peuple chérit sa douceur; le clergé profita de sa dévotion : il accrut l’autorité de cet ordre par ses lois, et sa richesse par de magnifiques fondations et par des dons sans mesure.

Le récit de ses entretiens avec l’évêque de Tours prouve qu’il était affable, gai et familier avec ses leudes; superstitieux comme tous les princes de son temps, il racontait à Grégoire de Tours que la mort de Chilpéric lui avait été annoncée dans un rêve, et qu’il avait vu en songe ce roi tomber dans une marmite bouillante.

Il nous reste de Gontran un édit dans lequel, après avoir gémi sur les crimes de tout genre qui souillaient alors la France, il ordonne aux évêques de renoncer sur de si graves objets à une indifférence et à un silence coupables; il leur recommande de se réunir aux juges, de parcourir les cités, d’instruire les peuples des règles de la morale, des préceptes de l’Evangile, et de rendre des jugements sévères contre ceux qui les violeraient. Enfin il défend, sous des peines sévères, tout travail les dimanches et les jours de fête. Les princes, dans tous les temps, oublient que leur exemple serait la plus efficace des lois, et que la vertu perd sa force quand son langage sort de la bouche de la faiblesse et du vice.

 

 

La Gaule au traité d'Andelot