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EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

HISTOIRE DES MEROVINGIENS.

CLOVIS.

Roi des Francs (481-511)

l’oracle des douze vautours de Romulus semblait accompli, et la puissance du peuple-roi tombait au moment où le sort plaçait dans le nord de la Gaule, à la tête de la tribu vaillante des Francs salions, un jeune roi à peine sorti de l’enfance. Clovis, âgé de quinze ans, regnait sur un territoire peu étendu : tous les pays conquis par la nation étaient partagés en plusieurs tribus indépendantes, et gouvernés par des princes de sa famille; environ cinq mille guerriers, fiers et turbulents, composaient toute sa force : comme prince, il exerçait sur eux une autorité très bornée; comme général, son pouvoir dépendait doses succès et des chances de la fortune; possesseur d’un étroit domaine, il n’avait d’autres richesses que les antiques trésors des Francs, la simplicité des mœurs, un courage indomptable et l’inviolable fidélité de ses leudes, ou compagnons d’armes dévoués à sa personne.

Jamais on ne vit un conquérant célèbre entrer dans sa carrière avec de si faibles moyens; mais le sort des empires dépend plus du génie des hommes que de l’étendue des États et du nombre des guerriers. Le jeune chef d'une faible tribu de Sicambres changea le destin de la Gaule, parce qu’il était doué d’une âme forte, d’un vaste génie, d’une audace impétueuse et d’un esprit adroit : il semblait réunir dans son caractère l’intrépidité téméraire d’un Franc, la prudence d’un Romain, la finesse artificieuse d’un Grec, et la sanguinaire dureté d’un Carthaginois. Soumis aux lois dans le conseil national, despote au milieu de ses soldats, humble au pied des autels, rapide et terrible comme la foudre contre ses ennemis, circonspect et rusé dans sa politique, perfide et cruel avec les princes francs, rivaux jaloux de sa fortune, respectant habilement les coutumes de Germanie et les lois romaines, comme il était supérieur à son siècle, il le domina.

Quoique Clovis fût païen, on doit penser qu’il traitait avec tolérance la religion des Gaulois ou Romains qui vivaient dans le pays soumis à sa domination, et qu’il montrait même quelque déférence à leurs évêques, personnages alors fort influons dans les Gaules. C’était assez l’usage des nations les plus barbares, puisqu’on vit Attila lui-même s’arrêter dans sa course, délivrer l'Italie de ses armes, et céder aux prières du pontife de Rome.

On peut croire aussi que Clovis, ainsi que Childéric et Mérovée, pour commander avec plus de facilité à ces nouveaux peuples, s’était revêtu du titre de maître de la milice romaine. C’est sans doute pour cette raison qu’au moment où sa naissance et le consentement des Francs lui décernèrent la couronne, saint Rémy, évêque de Reims, crut pouvoir lui donner des conseils, et lui parler en ces ternies, dans une lettre que le temps lions a conservée.

Remy, évoque, à l’illustre roi Clovis, magnifique par ses vertus.

«Un bruit général, venu jusqu’à nous, nous fait connaître que vous avez pris l’administration des affaires militaires : je ne suis point surpris de vous voir remplir les mêmes fonctions que vos pères; répondez aux vues de la Providence qui vous élève; soyez modéré dans votre pouvoir et juste dans vos bienfaits; montrez de la déférence aux pontifes, et ne dédaignez pas leurs conseils; si vous agissez de concert avec eux, vos peuples seront plus heureux. Maintenez avec sagesse votre discipline militaire; élevez vos compagnons, mais n’opprimez personne; soulagez les malheureux et nourrissez les orphelins pour qu'ils puissent atteindre l’âge de vous servir; par-là vous ferez succéder l’affection à la crainte. Que l’équité de vos jugements préserve du pillage le faible et l’étranger. Ouvrez votre prétoire à tous, et que personne n’en sorte mécontent. Vous possédez les biens de votre père; s'ils vous servent à racheter des captifs, que ce soit dans l’intention de I leur rendre la liberté; ne laissez point apercevoir aux étrangers, placés sous votre domination, qu’ils sont d’une autre nation que la vôtre. Appelez à vos divertissement vos jeunes guerriers; mais n’admettez dans vos conseils que les sénieurs (vieillards). Enfin si vous voulez obtenir une obéissance facile, prouvez à tous que votre jeunesse est mûre pour le commandement.»

Les historiens ont gardé le silence sur les cinq premières années du règne de Clovis : il les employa probablement à affermir son pouvoir, à comprimer des révoltes dans le pays de Tongres, à méditer et à mûrir ses grands desseins, et à s’informer des forces et de la situation des princes visigoths et bourguignons, qui occupaient alors la plus grande partie de la Gaule. Mais le premier but de son ambition fut nécessairement la conquête des Armoriques : cette contrée seule avait jusque-là résisté aux conquérants du Nord et de la Germanie : indépendante de fait, elle restait romaine de nom; des légions et des milices nombreuses la défendaient; et elle voyait à la tête de ses troupes Syagrius, comte de Soissons, fils du célèbre Egidius, nommé Gilon par les Francs.

Autrefois Egidius, élu roi par eux, s’était uni ensuite à Childéric pour la défense des Armoriques; leur accord fut si intime qu’on peut dire qu'ils régnaient ensemble : leur mort rompit l’alliance des deux peuples. Syagrius méprisait l’enfance du nouveau roi des Francs, et, loin de partager son pouvoir avec lui, il espérait hériter de celui que son père avait exercé sur ces tribus belliqueuses.

Une lettre que lui écrivit dans ce temps Sidonius, prouve l’ascendant que ce général romain avait acquis sur les Barbares, dont la langue lui était familière : « Je ris beaucoup, dit le poète romain, en voyant les Barbares craindre de faire en votre présence des barbarismes dans leur propre langage; leurs sénieurs sont saisis d’étonnement en vous voyant traduire si facilement leurs lettres. Vous, ancien consulaire de Rome, vous êtes le nouveau Solon des peuples du Nord : vous discutez savamment leurs lois; nouvel Amphion pour eux, vous faites résonner sous vos doigts leurs harpes et leurs instruirions à trois cordes; et, quoique vous soyez Romain, ils aiment, malgré la grossièreté de leurs sens, à entendre votre voix; enfin ils viennent apprendre de vous leur propre langue.»

Childéric avait étendu ses Etats jusqu’à la Somme, d’autres disent jusqu’aux rives de la Seine. On sait par l’auteur de la vie de sainte Geneviève qu’il était même entré dans Paris.

 «Ce prince, dit cet historien, était rempli de vénération pour l’illustre vierge : voulant un jour faire exécuter quelques criminels dans Paris, il ordonna de fermer les portes de cette ville, dans la crainte que Geneviève n'y vint pour tenter de fléchir sa rigueur; mais les portes s’ouvrirent d’elles-mêmes ; la sainte entra et obtint la grâce des condamnés.»

En séparant dans ce récit le fait du miracle, ce qu’il faut toujours faire quand on remonte au berceau des peuples, puisque tous ont leurs fables et leurs prodiges, on doit conclure que, si Childéric ne régna pas dans Paris, il y porta au moins ses armes.

Son alliance avec Égidius aplanissait pour lui toutes les difficultés : mais tout était changé; Syagrius pouvait vouloir reprendre à un prince faible tout le pays que ses pères avaient enlevé à la Gaule. D’ailleurs cette nation des Francs se trouvait alors fort divisée : Sigebert régnait à Cologne sur l’une de leurs tribus; Ragnacaire à Cambrai; Cararic, entre Thérouanne et Boulogne; le pays de Tongres était en proie à la guerre civile ; et Syagrius ne voyait dans Clovis que le chef peu redoutable de quatre à cinq mille guerriers. Il pouvait compter avec vrai­semblance sur une victoire facile, n’ayant à combattre qu’un rival si peu puissant; mais le génie trompa tous les calculs de la politique. Clovis, loin d’attendre son ennemi, ose l’attaquer; il sort de Tournai, lieu de sa résidence; les Francs approuvent avec acclamation son audace belliqueuse ; Ragnacaire joint ses troupes aux siennes; Cararic, roi de Boulogne, de Thérouanne et de Gand, le suit aussi; enfin ses forces furent encore augmentées par celles de Sigebert, roi de Cologne.

Les Francs entrèrent dans le territoire de la cité de Reims : on montrait encore du temps d’Hincmar, près de Noyon, quelques vestiges du chemin qu’ils suivirent : on l’appelait la chaussée des Barbares.

Clovis défie audacieusement Syagrius, et lui propose de fixer le jour et le lieu du combat; le Romain l’accepte : les armées sont en présence; la trompette sonne; les flèches volent des deux côtés. Le roi des Francs s’aperçoit que Cararic le trahit et reste immobile, probablement dans l’intention de se joindre au vainqueur pour dépouiller le vaincu; son intrépidité alors le sauve du péril où l’exposait cette trahison; il anime ses soldats de la voix et de l’exemple, et charge avec furie; la tactique des Romains cède à l’impétuosité des Francs; les légions sont enfoncées; Clovis renverse tout ce qui s’oppose à son passage; il s’ouvre avec sa terrible francisque une sanglante et large route pour arriver à l’empire des Gaules. En vain Syagrius veut rallier ses soldats: les Francs profitent de leur désordre, les pressent, les poursuivent, et changent leur retraite en déroute. Syagrius fuit; Clovis le poursuit sans relâche, et le force à chercher au-delà de la Loire un asile chez le roi des Visigoths.

C’était le jeune Alaric qui, en succédant à son père Euric, avait hérité de sa puissance et non de son courage. Une victoire si prompte et si brillante aurait suffi à un général vulgaire; mais Clovis, semblable en ce point à César, croyait n’avoir rien fait quand il restait quelque chose à faire. Continuant donc sa marche sans s’arrêter, il osa menacer de la guerre le puissant roi des Visigoths, s’il ne consentait pas à remettre Syagrius entre ses mains.

La témérité, si dangereuse contre la fermeté, est habileté quand elle s’adresse à la faiblesse : Alaric, surpris et intimidé, livra lâchement Syagrius à son vainqueur.

La cruauté qui souilla le caractère du roi des Francs se montra presque aussitôt que sa gloire, et toutes deux ne firent que croître sans jamais se séparer. Un trophée, tel que Syagrius captif, embarrassa bientôt le conquérant des Armoriques; il n’aurait pas osé le rendre libre; il ne pouvait le tenir toujours dans les fers: pour sortir de ces difficultés, il eut recours au crime, et fit tuer secrètement Syagrius dans sa prison.

Les Francs, après la bataille de Soissons, avaient commis beaucoup d’excès, ravagé le territoire et pillé plusieurs églises. L’évêque de Reims obtint du vainqueur qu’il réprimerait cette licence; les biens de son clergé furent respectés : voyant avec quelle faveur le roi des Francs accueillait ses réclamations, il le pria de lui donner un vase d’argent de grand prix dont ses soldats s’étaient emparés à Soissons. Clovis lui promit de le lui remettre, s’il lui était permis d’en disposer.

Bientôt l’armée victorieuse se rassemble pour le partage du butin qu’on dépose, suivant l’usage , au milieu d’une enceinte guerrière. Le roi, s’adressant à ses compagnons, les pria de lui accorder le vase de Soissons pour qu’il pût en disposer à son gré. Les sénieurs, les plus considérés par leur âge et par leur sagesse, répondirent : « Tout ce que tu désireras de ce butin est à toi si tu le veux; nous obéissons avec joie à tes ordres, et nul de nous ne prétendra résister à ton autorité. »

Une acclamation générale approuvait cette déférence pour un chef victorieux, lorsque tout à coup un Franc impétueux et jaloux frappe violemment le vase de sa hache, en disant fièrement au roi : «Tu n’as rien à prétendre ici que la part que le sort te donnera.» Cette action brutale saisit l’assemblée de surprise; Clovis, sans paraître ému, supporta cette insulte eu silence. Ses compagnons cependant s’empressèrent de lui donner le vase qu’il souhaitait, et par ses ordres on le remit à l’évoque de Reims.

L’année suivante le roi, ayant réuni ses troupes au champ de Mars, en lit la revue; et, lorsque, en parcourant les rangs, il se vit en face du téméraire soldat qui l’avait bravé, il lui dit: «Tes armes, ton glaive, ton javelot et surtout ta hache sont mal soignés.» En même temps il prend cette hache et la jette à terre : le Franc se baisse pour la ramasser; Clovis alors lui fend la tête d’un coup de francisque, en s’écriant: «C’est ainsi que l’année dernière tu frappas le vase de Soissons.»

Ce trait, également cité par tous les historiens, a servi aux uns de preuve du peu d’au­torité de nos premiers rois, et aux autres de l’excès de leur despotisme. Ils n’ont tous d’autres torts dans leurs divers systèmes que d'en avoir cherché un fixe dans un temps où l’arbitraire et la licence se succédaient et se confondaient sans cesse. A cette époque il n’existait rien de réel que la force, rien d’habituel que la bravoure, rien de constant que l’amour de la guerre et du pillage. Au reste Clovis, dans ces deux circonstances, se conformait aux mœurs de son peuple : dans l’assemblée il suivait, comme prince, la loi du partage; mais dans son camp il exerçait hardiment un pouvoir sans limites; roi, il osait peu; général, il pouvait tout.

Après la défaite de Syagrius, Clovis établit sa résidence à Soissons, et donna un riche domaine à l’évêque de Reims. Les monnaies que ce prince fit battre dans cette ville n’étaient point à son effigie; le mot Sœcionis s’y trouve inscrit ainsi que le nom de Batto le monétaire; on y voit aussi la figure d’un guerrier portant une hache. Procope dit que les rois francs ne frappèrent de monnaie à leur nom que lorsque Justinien leur eut cédé les droits de l’empire sur la Gaule.

Pendant l’espace de six années, c’est-à-dire jusqu’en 492, Clovis ne s’occupa qu’à reconquérir totalement le pays de Tongres, qui avait été envahi par les Allemands.

Ce fut à cette même époque qu’une grande révolution s’opéra dans l’Italie. Théodoric, roi des Goths, adopté par l’empereur Zenon, s’éloigna de la Grèce, tour à tour défendue et dévastée par ses troupes; il franchit les Alpes, attaqua Odoacre qui avait déposé le dernier des empereurs romains. Après quatre ans de combats Odoacre fut vaincu, et périt; Théodoric se fit proclamer roi d’Italie; Zénon mourut à Constantinople, et Anastase monta sur le trône d’Orient.

Cependant Clovis, revenu à Soissons, travaillait sans relâche à étendre et à affermir sa puissance dans les Armoriques. Les territoires de Soissons et de Reims étaient jusqu’alors le seul fruit de sa victoire. Un grand nombre de cités restaient romaines, indépendantes et défendues par des troupes aguerries : leur conquête par l’épée eut arrêté longtemps Clovis; ses armes en soumirent quelques-unes; sa politique adroite le rendit maître des autres; ses ménagements pour le clergé catholique lui concilièrent son affection et le fortifièrent du secours de cet ordre puissant.

On voit par les lettres de ce temps que les peuples, cédant à l’influence des évêques, redoutaient la domination des Visigoths et des Bourguignons dont les princes étaient ariens. Le roi des Francs sut profiter habilement de cette disposition qui lui valut autant de conquêtes que son épée. L’Église fui le véritable fondement de son trône; et de son côté il lui assura aussi une puissance tellement colossale que l’un de ses successeurs, Chilpéric, se plaignit bientôt de voir les évoques plus rois que lui.

Ces évêques préféraient la tolérante domination d’un roi païen au gouvernement persécuteur des princes hérétiques, et plusieurs prélats catholiques, soupçonnés de favoriser secrètement Clovis, furent chassés de leur siège, et exilés par les princes visigoths et bourguignons.

Le roi des Francs donna bientôt aux évêques romains une nouvelle garantie de sa protection, en unissant son sort à celui de Clotilde qui était catholique et nièce du barbare Gondebaud, roi de Bourgogne, meurtrier du père, de la mère et des frères de cette princesse.

Si l’on en croit nos anciennes chroniques et l’auteur des Gestes, cette union, à laquelle Gondebaud consentit plutôt par crainte que par amitié, fut négociée avec beaucoup d’artifice. Clovis, qui savait à la fois se servir et de l'âpre courage des Francs et de l’adroite politique des anciens sujets de l’empire, donna sa confiante à un sénateur romain, Aurélianus, qu’il nomma comte de Melun; il l’envoya secrètement en Bourgogne.

Aurélien, déguisé en mendiant, arriva dans la ville de Genève où résidaient Clotilde et sa sœur; comme elles étaient charitables et visitaient les pauvres, le ministre de Clovis les vit et obtint de Clotilde un entretien particulier. Il lui apprit que le roi des Francs, sur le bruit de ses vertus et de ses charmes, s’était décidé à rechercher sa main; mais qu’avant de faire aucune démarche, il voulait être assuré de son consentement.

Clotilde haïssait son oncle comme ennemi de sa foi et assassin de sa famille : elle accueillit favorablement la demande d’un roi couronné par la victoire; elle accepta l’anneau royal de Clovis, donna le sien en échange pour gage de sa foi, lit présent de quelques sous d’or à l’émissaire dont elle ignorait le rang, et lui dit: «Apprenez à votre prince que, s’il veut ma main, il doit se hâter d’en faire la demande à Gondebaud, mon oncle, avant le retour de son ministre Aridius, qu’il a envoyé à Constantinople. Cet Aridius est un Romain ennemi de votre nation; s'il était de retour, il traverserait vos desseins.»

Aurélien partit, toujours sous le môme déguisement : arrivé dans l’Orléanais, un véritable mendiant l’accosta, et, tandis qu’il sommeillait, lui déroba les présents de Clotilde; mais, comme il se trouvait alors près de son château, il y courut et envoya à la poursuite du voleur ses esclaves qui l'arrêtèrent.

Clovis, informé par son ministre des dispositions favorables de Clotilde, fit demander officiellement sa main au roi de Bourgogne. Gondebaud, surpris de cette démarche, reçut froidement les ambassadeurs : ceux-ci insistèrent et dirent que la princesse était déjà fiancée avec Clovis. Le roi, irrité, traita cette assertion d’imposture, et refusa formellement de consentir au mariage proposé. Les Francs répliquèrent d’un ton menaçant. Des deux côtés tout annonçait la guerre; mais les sénieurs bourguignons, qui redoutaient les armes de Clovis, conjurèrent Gondebaud de ne point précipiter une rupture si funeste : «On parle, lui dirent-ils, d’engagements secrets; qui sait en effet s’ils n’ont point été contractés à votre insu?»

Gondebaud manda sa nièce Clotilde, dont le récit découvrit le mystérieux échange des anneaux. Le roi de Bourgogne flottait encore entre la prudence et la colère; mais les grands de sa cour, d’un avis unanime, le forcèrent à consentir au mariage de sa nièce. Elle partit et pressa les ambassadeurs du roi des Francs d’accélérer sa marche, parce qu’elle venait d’apprendre qu’Aridius était récemment débarqué à Marseille.

Ses craintes étaient fondées : Aridius courut en hâte à Genève; et, apprenant du roi la nouvelle du mariage et du départ de Clotilde : «Vous croyez, lui dit-il, que ce lien sera le sceau d’une alliance durable; moi, je vous prédis qu’il deviendra pour votre famille et pour la Bourgogne une source de guerre et de destruction. Vous avez privé de la vie le père et les frères de cette princesse; par vos ordres sa mère a péri dans les flots; Clotilde est vindicative; les armes de Clovis ne seront plus employées qu’à venger ses injures. Prévenez ces malheurs, s’il en est temps encore; envoyez promptement des troupes pour ramener votre nièce. Vous devez préférer une rupture passagère à une haine éternelle. Si Clovis s’unit à Clotilde, les Francs épouseront sa querelle, et leur glaive redoutable sera toujours levé sur vous et sur vos descendants »

Gondebaud suivit ce conseil : mais, lorsque ses soldats arrivèrent aux limites de la Bourgogne, Clotilde les avait dépassées.

Cette princesse justifia promptement les prédictions d’Aridius : dès qu’elle se vit sur les frontières des États de son oncle, elle exigea des Francs qui l’accompagnaient, qu'ils livrassent au pillage cette partie du territoire de la Bourgogne. Dans ce temps barbare l’âpreté des mœurs se retrouvait dans les plus nobles caractères et ternissait, même souvent la piété.

Les moindres détails, relatifs au mariage et à la conversion de Clovis, excitèrent longtemps, sous nos premiers rois, un vif intérêt; et ce récit de nos anciens chroniqueurs, plus ou moins conforme à la vérité , nous a paru devoir être conservé parce qu’il peint le siècle.

Le mariage de Clovis fut célébré : cette union lui concilia de plus en plus l'affection du clergé catholique et des peuples de l’Armorique. Il conclut un traité avec ceux qui ne s’étaient pas encore soumis. Procope nous apprend que, conformément à ce traité, les troupes romaines se réunirent à l’armée des Francs, mais qu'elles conservèrent l’ordre, la discipline , l’habillement, la chaussure et l’armure des légions.

Dès que Clotilde fut reine, elle se servit de toute l’influence de l’amour pour décider Clovis à embrasser le culte chrétien. Le roi, soit par conviction, soit par politique, résista longtemps à ses instances; il craignait probablement de dé plaire à sa nation en renonçant à ses idoles. Cependant, touché des prières de la reine, il lui permit de faire baptiser Ingomer son premier enfant. Ce nouveau néophyte mourut peu de temps après : le roi, irrité, dit à Clotilde : «Si cet enfant eût été offert à mes dieux, il vivrait encore.» Depuis, la reine ayant donné le jour à un second fils nommé Clodomir, il reçut encore le baptême : bientôt ce jeune prince tomba malade, et le roi renouvela ses reproches; mais l’enfant fut sauvé, dit Grégoire de Tours, par les prières de la reine, et le courroux de Clovis s’apaisa.

Jusqu’alors les chefs des Francs avaient donné à l’oisiveté tout le temps qu’ils ne consacraient pas à la guerre; mais Clovis était supérieur à son siècle et à son peuple; quand son glaive se reposait, son sceptre était actif; et, lorsqu’il cessait de conduire ses Francs aux combats, il s’occupait à fonder par les lois une puissance durable.

Aucun acte ne nous fait connaître le mode qu’il suivit pour le partage des terres conquises. Nos divers historiens ne nous donnent à cet égard que des conjectures. Plusieurs croient qu’il imita les Goths et les Bourguignons; ce qui aurait donné aux Francs les deux tiers des terrains appartenant aux Gaulois : Dubos pense au contraire qu’allié plutôt que conquérant des Armoriques, il respecta leurs propriétés; mais les faits éclairent mieux que les systèmes.

Clovis avait conquis par la force des armes le pays de Soissons et de Reims. Une autre partie des Armoriques s’était rangée sous sa loi par un traité; l’armée des Francs était peu nombreuse; les terres appartenant dans chaque cité au fisc, au domaine de l’empire, devinrent évidemment le domaine de Clovis. Les biens possédés par les compagnons de Syagrius vaincu étaient dévolus, ainsi que leurs maîtres, par le droit de la guerre, aux vainqueurs; ils suf­firent certainement pour récompenser et enrichir la faible tribu des Salions.

On sait que le roi des Francs, loin d’opprimer les Romains, se servit des armes de ceux qui voulaient le servir, et qu’il en admit plusieurs au rang de ses leudes et de ses ministres. Nous avons vu qu’Aurélien obtint de lui en bénéfice le château de Melun et le titre de comte. Tous les patriciens de la Gaule qui ne lui résistèrent pas, furent élevés au rang de ses convives, classe privilégiée par les dispositions de la loi salique.

Les évêques de la Gaule étaient presque tous Romains; loin de les dépouiller, il augmenta leurs domaines et leur donna des terres. Enfin, pour fondre peu à peu entièrement les Francs et les Romains, il employa tour à tour l'humiliation à l’égard de ceux qui restaient soumis aux coutumes de Rome, et la faveur pour les Gaulois qui s’agrégeaient aux Francs en adoptant la loi salique : quant à ceux qui s’opiniâtraient à lui opposer leurs armes, ils en étaient punis par le pillage, par la confiscation et par la servitude; l’Auvergne l’éprouva cruellement lorsqu’elle joignit ses troupes à celles des Visi­goths pour le combattre.

Après avoir ainsi étendu ses limites jusqu’à la Loire, Clovis porta ses armes dans la Bretagne. Grégoire dit qu’un de ses officiers assiégea Nantes; les Bretons prévinrent leur ruine par un traité. Il parait que depuis ce temps cette province presque indépendante demeura plutôt alliée que soumise, et resta gouvernée par ses propres chefs qui portèrent le titre de comtes et de ducs.

Bientôt un nouvel ennemi, plus formidable que tous ceux qui avaient été vaincus par Clovis, vint attaquer et ébranler sa puissance encore mal affermie. Les Allemands, peuples nombreux et guerriers, possédaient les contrées situées au nord de Genève, entre le lac de ce nom et le mont Jura. Jaloux des Bourguignons, des Goths et des Francs, et voulant partager avec eux les dépouilles de la Gaule, ils avaient franchi le Rhin, et s’étaient emparés d’une partie de l’Alsace; ils se réunirent aux Sueves, et firent une invasion dans la seconde Germanie, occupée alors par Sigebert, roi de Cologne, parent de Clovis, et chef des Francs ripuaires.

Ce prince appela Clovis à son secours; il y courut à la tête de ses Francs belliqueux et rencontrèrent les Allemands près de Tolbiac, aujourd’hui Zulpich, à cinq lieues de Cologne : là elles se livrèrent une bataille sanglante où la fortune parut longtemps indécise sur les destinées futures de la France.

On voyait des deux côtés les plus indomptables ennemis de l'empire combattre corps à corps sur ses derniers débris. Au milieu d’une sanglante mêlée, où chaque combattant se montrait décidé à perdre la vie plutôt que la victoire, Sigebert reçoit une profonde blessure dont il resta depuis toujours boiteux; ses compagnons l’enlèvent; leur retraite découvre le flanc de l’armée des Salions. Les Francs, pressés de toutes parts, commencent à plier; vainement Clovis, par des prodiges de force et de vaillance, cherche à les ramener au combat; pour la première fois sa voix cesse d’être écoutée, et la victoire lui échappe.

Aurélien alors le presse d’invoquer le dieu de Clotilde, qui peut seul le rendre vainqueur. Soudain le roi des Saliens, tournant ses regards vers le ciel, prononce ces paroles, citées par Grégoire de Tours : «Dieu des chrétiens, si vous secourez ceux qui vous implorent, si vous couronnez ceux qui placent en vous leur confiance, j’ai recours à votre pouvoir. Si vous m’accordez la victoire, je vous adorerai. J’ai vainement imploré mes dieux : ils me refusent leur protection , ou ils sont sans puissance. C’est vous aujourd’hui que j’invoque; donnez-moi tout ensemble le triomphe et la foi.»

Cette prière excite l’enthousiasme des légions gauloises; leur ardeur et leur exemple raniment le courage des Francs. Tous, réunis, retournent impétueusement à la charge; rien ne résiste à ce choc violent; les Allemands sont enfoncés; leur roi tombe percé de coups; les vaincus, consternés, jettent leurs armes, se soumettent et reconnaissent l’autorité de Clovis : il leur ordonna de retourner dans leurs foyers.

Dans la suite, il leur rendit leur indépendance; ceux qui voulurent rester dans la Gaule devinrent ses sujets et non ses esclaves. Ils durent cet adoucissement de leur sort au roi d’I­talie, dont ils implorèrent la protection.

Théodoric, aussi célèbre que Clovis par ses conquêtes, et supérieur à lui par ses lumières et par ses vertus, faisait oublier à Rome la chute de sa puissance et la honteuse déposition du dernier de ses empereurs. Il civilisait les Goths, les maintenait avec fermeté dans la soumission, respectait les lois romaines, rendait une ombre de liberté au sénat, s’éclairait des conseils de l’illustre et savant Cassiodore; et, à l’ombre de sa justice impartiale, les vainqueurs et les vaincus, étonnés de leur union, rendaient à l’Italie un repos et une sécurité que depuis un siècle la faiblesse des derniers Césars en avait bannis.

La révolution qui se préparait dans la Gaule n’échappait point au génie vaste et pénétrant de Théodoric; ses yeux étaient fixés sur Clovis; il craignit que ce jeune conquérant, vainqueur des Romains de l’Armorique, et déjà l’effroi de la Germanie, ne renversât la puissance des Visigoths, et qu’ensuite, nouveau Brennus, il ne vint encore avec les Gaulois épouvanter l’Italie.

Décidé à servir de digue à ce torrent, il employa tour à tour pour l’arrêter la persuasion et la force, et flatta son orgueil par des éloges en même temps qu’il se disposait à le combattre; il s’unit à lui par les liens du sang en épousant sa sœur Audeflède, donna sa fille à Alaric, roi des Ostrogoths, et résolut d’abandonner seulement la Bourgogne à l’ambition du roi des Francs, pourvu qu’il consentit à en partager avec lui les dépouilles.

Son premier soin fut de l’inviter, après la bataille de Tolbiac, à ne pas poursuivre sa vengeance contre les Allemands. Dans ce dessein il lui écrivit en ces termes : «L’alliance glorieuse qui m’unit à vous, m’engage à vous féliciter du nouvel éclat que la renommée trop longtemps stationnaire de la nation des Francs vient de recevoir par vos triomphes; votre main victorieuse a soumis les peuples allemands en terrassant leurs plus braves guerriers.

«Je désire que votre modération épargne les vaincus; leurs débris fatigués cherchent un asile sous la protection d’un prince qui vous est uni par les liens du sang. Pardonnez donc à ces infortunés que votre glaive épouvante, et qui se cachent dans nos frontières. N’est-ce pas un triomphe assez mémorable pour vous d’avoir tellement effrayé ces Allemands si longtemps indomptables, qu’ils vous demandent la vie comme un présent? Il doit vous suffire d’avoir vu l’orgueil de ce peuple abaissé devant vous, et son roi tombé sous vos coups. De ces innombrables guerriers les uns sont détruits par le fer; les autres soumis à l’esclavage. Daignez donc en épargner les faibles restes. C’est pour vous y inviter qu’en vous saluant avec l’affection et l’honneur qui vous sont dus, nous envoyons ‘a Votre Excellence des ambassadeurs qui, nous l’espérons, seront accueillis par vous avec votre amitié accoutumée. Nous nous flattons qu’ils jouiront dans vos Etats des droits de l’hospitalité, et obtiendront une réponse favorable.

«Ils sont chargés par nous de vous parler confidentiellement d’affaires qui vous intéressent, et qu’il vaut mieux traiter verbalement que par écrit. Nous avons choisi pour cette mission les hommes les plus capables de remplir nos vues et les vôtres; car nous avons ardemment souhaité vos triomphes; nous les regardons comme une partie de notre gloire; et tout ce qui peut vous arriver d'heureux sera considéré par nous comme  un avantage certain pour le royaume d’Italie.»

Clovis, soit par déférence pour Théodoric, soit qu’il fût alors occupé d'autres desseins, ne porta pas ses armes au-delà du Rhin; il revint près de Clotilde qui le pressa vivement de combler ses vœux, en abjurant le culte des idoles. Saint Remy, évêque de Reims, appelé par elle, seconda ses efforts, et instruisit le roi dans la foi chrétienne.

Ce prince hésitait pourtant encore; il craignait l’attachement de son peuple au culte antique; enfin, vaincu par les prières du pontife et de la reine, ou déterminé par l’utilité d’un changement qui devait affermir sa domination dans la Gaule, il rassemble les Francs, leur peint avec énergie la force du Dieu des armées, qui vient de lui donner la victoire. Les paroles d’un chef vainqueur furent toujours des lois pour les Francs; et, suivant leurs mœurs, Clotilde était sacrée pour eux dès qu’ils croyaient devoir un triomphe à la divinité qu’elle adorait.

A peine le roi a parlé que tous ces guerriers, frappant leur bouclier de leur hache, s’écrient avec enthousiasme: «Nous renonçons au culte des dieux périssables, et nous reconnaissons le Dieu éternel que Clotilde adore, et que l’évêque Remy nous annonce. »

Aussitôt tout se dispose pour répandre les eaux du baptême sur le prince et sur son armée : un large terrain forme un vaste baptistaire; les murs qui l’environnent sont couverts de toiles et d'étoffes richement brodées; les fonts sont préparés, les cierges allumés; l'encens parfume les airs.

Le nouveau Constantin (c’est ainsi que le nomme Grégoire de Tours, qui décrit pom­peusement cette fameuse cérémonie) s’appro­che avec respect du pontife chrétien. Remy, revêtu de ses habits pontificaux, avant de verser sur la tête de Clovis l’huile sainte, lui adresse ces paroles : «Fier Sicambre, humilie ton cœur, et courbe ta tète victorieuse devant l’Éternel; il t’écoute; jure-lui de l’adorer dans les temples que tu brûlais, et de livrer aux flammes les idoles que tu adorais. »

Clovis s’agenouille et prononce le serment, ainsi que ses deux sœurs Arboflêde et Teutchilde. Au même instant trois mille guerriers le répètent, et le même vœu est prononcé par une foule de femmes et d’enfants.

Puisque trois mille guerriers seulement furent baptisés dans ce jour célèbre, et qu’aucun auteur ne parle de la résistance du reste de la nation, il paraît évident que la tribu des Saliens était très peu nombreuse. Ce fait confirme l’opinion des historiens qui prétendent qu’après la défaite de Syagrius, Clovis devint plutôt maître des Armoriques par leur affection que par ses armes. Il lui eût été impossible de vaincre cent mille Allemands, s’il n'avait pas eu pour auxiliaires les milices de la Gaule et les légions romaines de l'Armorique; car les chefs des autres tribus de la nation ne durent pas élever ses forces au nombre de plus de vingt mille combattons.

La conversion et le baptême de Clovis achevèrent de lui concilier tous les Gaulois sur lesquels les évêques catholiques exerçaient une grande influence. Dès ce moment il put compter dans les États des princes visigoths et bourguignons sur des appuis secrets et nombreux.

Si la foi du belliqueux Clovis fut sincère, on doit croire au moins qu’elle était peu éclairée; les âpres mœurs des forêts de la Germanie luttaient encore en lui contre les lumières de la civilisation; et, au travers du voile blanc qui couvrait le néophyte chrétien, on voyait briller la hache et l’orgueil du Sicambre. Un jour saint Remy prêchait devant lui la passion; au moment où il parlait du supplice de Jésus-Christ, Clovis se lève impétueusement et s’écrie: «Où étions-nous, mes Francs et moi? nos francisques l’auraient sauvé.»

Vers le même temps saint Remy sacra le roi des Francs dans l’église de Reims. Ce fut à cette occasion que se répandit l’anecdote miraculeuse de la Sainte-Ampoule, accréditée jusqu’à nos jours par le récit d’Hincmar, archevêque de Reims dans le neuvième siècle.

Nous avons vu et nous aurons souvent l’occasion de nous apercevoir que l’histoire des premiers temps de la France a été écrite par des prêtres qui ont malheureusement cru qu’une fausse politique les autorisait à mêler des fraudes pieuses aux vérités de la religion. Au reste, c’est une habitude sacerdotale qui se reproduit dans tous les siècles et chez tous les peuples; l’esprit trouve facile de gouverner les hommes par des erreurs; le génie seul conçoit l’idée de les conduire par la raison : c’est ce qui fait que nous voyons plus de Numas que de Marc-Aurèles.

Hincmar nous raconte donc que, l’ecclésiastique qui devait apporter le saint chrême n’arrivant point à l’heure convenue, saint Remy, troublé par cet accident, invoqua le secours du ciel; aussitôt on vit paraître une colombe aussi blanche que la neige qui lui apporta une fiole ou ampoule pleine d’une huile dont l’odeur suave embauma l’air.

Depuis ce jour Clovis fut célébré par les catholiques comme le héros et le Machabée de l’Eglise. Eumène, prêtre romain, lui apporta dans le même temps une lettre du pape, ainsi conçue :

Anastase, évêque, à notre illustre et glorieux fils Clovis.

« Nous envoyons à Votre Sérénité le prêtre Eumène pour vous dire avec quelle satisfaction nous avons appris l’hommage que vous rendez au père des humains. Nous espérons que vos bonnes œuvres croîtront et se multiplieront sans cesse. Par-là vous comblerez notre félicité; vous serez notre véritable couronne; et vous étendrez la prospérité de l’Eglise, notre mère, qui vient heureusement de faire renaître un si grand roi en Jésus­Christ. Soyez donc à jamais l’instrument de ses triomphes, et devenez, notre illustre et glorieux fils, une colonne de fer pour elle, afin que de son côté clic vous conserve toujours dans ses voies, et qu’elle vous accorde la victoire sur vos ennemis. »

Depuis cette époque Clovis et ses successeurs ont toujours conserve le titre de fils aîné de l’Eglise. Le roi des Francs datait ainsi ses actes : La seizième année de notre règne et la première depuis notre baptême.

Ce fut peu de temps après la conversion des Francs que les évoques catholiques devinrent suspects aux Visigoths comme favorables à Clovis; ils enlevèrent Volusianus, évêque de Tours, à son siège, et l’exilèrent en Espagne.

Le roi des Francs soutint vivement la cause des persécutés contre les persécuteurs; ce qui donna naissance entre Alaric et Clovis à des différends que dans la suite les armes seules décidèrent. Mais, avant qu’ils en vinssent à une rupture ouverte, Clovis voulut encore se fortifier par de nouveaux agrandissements. II conclut une alliance offensive avec son beau-frère Théodoric, roi d’Italie, dans le dessein de reconquérir la Bourgogne. Par ce traité, signé en 502, il était convenu que le pays conquis serait partagé entre les Francs et les Ostrogoths, que les alliés entreraient en même temps en Bourgogne, et que le dernier arrivé paierait pour son retard une indemnité en argent.

Clovis connaissait la division qui régnait entre les princes bourguignons; son artificieuse politique en profita; et il sut par de magnifiques promesses déterminer Godésigile, frère de Gondebaud, à traiter directement avec lui, et à joindre, quand il en serait temps, ses armes à celles des Francs.

Gondebaud ne soupçonnait point la perfidie de son frère; mais, effrayé de l’orage qui le menaçait et de la puissance formidable de ses ennemis, il crut leur enlever des prétextes plausibles de guerre et de grands moyens de succès, en réconciliant les catholiques de ses États avec les ariens. Pour atteindre ce but il rassembla dans la ville de Lyon les évêques de l'un et de l’autre parti : «Si votre dogme , dit le roi de  Bourgogne aux catholiques, est le véritable, pourquoi n’employez-vous point votre influence pour désarmer Clovis qui se ligue avec mes ennemis dans le dessein de me détruire? la foi peut-elle s’accorder avec l'injustice? la religion avec la convoitise du bien d'autrui? la charité avec la soif du sang? »

Avitus lui répondit : «Nous ignorons les motifs politiques des rois; mais l’Écriture nous apprend que l'abandon de la loi divine entraîne souvent la ruine des États. Cessez d’être l’ennemi de Dieu, alors il vous favorisera; et, dès que vous serez réconcilié avec lui, vous vous verrez bientôt en paix avec les hommes. »

Ces paroles prouvent évidemment que le clergé catholique excitait partout Clovis à combattre les princes ariens, souhaitait sa domination, et favorisait ses armes. Déjà ses troupes étaient en marche; de leur côté les Ostrogoths avaient franchi les Alpes et menaçaient la Provence. Gondebaud rassembla son armée et appela Godésigile à son secours: le perfide feignit de vouloir partager ses périls; il s'empressa de le rejoindre; tous deux campèrent près de Dijon.

Bientôt les Francs parurent, et la bataille s’engagea : la victoire ne fut pas longtemps incertaine; car, au moment où Clovis attaquait de front le roi des Bourguignons, le traître Godésigile tomba sur son liane, et le mit en pleine déroute; Gondebaud prit la fuite et s’enferma dans Avignon; Clovis l’y assiégea. Tandis qu'il le tenait bloqué, Godésigile s’empara des États de son frère, se fit proclamer roi dans Vienne, sa capitale, et promit de céder aux Francs une partie de la Bourgogne.

Gondebaud se défendait vaillamment; mais le défaut de vivres devait rendre bientôt sa perte inévitable. Dans cette détresse il dut son salut au prudent artifice de son ministre Aridius. Ce Romain, feignant d’abandonner sa cause, alla trouver Clovis, dont il parvint à gagner promptement la confiance; lorsqu’il le vit favorablement disposé et d’ailleurs fatigué par plusieurs assauts inutiles, il lui dit : «Avignon est une ville trop forte pour que vous puissiez vous en emparer. Tandis que vous dévastez sans utilité un pays qui cessera de vous fournir des subsistances, vous laissez vos propres États exposés aux entreprises d’Alaric. Hâtez-vous de terminer cette guerre, en prenant un parti plus généreux et plus profitable. Imposez un tribut à Gondebaud, et à ce prix accordez-lui la paix. Que risquez-vous? s’il accepte ces conditions, il vous sera soumis et deviendra votre vassal ; s’il les refuse, vous continuerez le siège, et vous emploierez la force de vos armes pour le soumettre.»

Clovis se rendit à cet avis; le traité fut conclu. Gondebaud paya la première année du tribut exigé; mais, dès que le roi des Francs se fut éloigné, le roi de Bourgogne, violant sa foi, reprit les armes, et conduisit rapidement ses troupes à Vienne , dans l’espoir d’y surprendre son frère.

Godésigile, informé à temps de son projet, repoussa courageusement ses attaques; le siège fut alors converti en blocus. Bientôt la ville, affamée, se vit obligée, pour prolonger sa résistance, de chasser de ses remparts les bouches inutiles. Parmi ces exilés se trouvait un fontainier; cet homme, irrité de son bannissement, découvrit à Gondebaud un ancien canal par lequel ses troupes pénétrèrent la nuit dans les murs. Soudain les habitants voient les ennemis d’un côté escalader les remparts, et de l’autre remplir en foule les places et les rues; saisis de terreur, ils se sauvent dans leurs temples. Gondebaud les livra aux flammes; Godésigile y périt. Une troupe de Francs, qui servait sous ses ordres, conserva seule au milieu de ce désastre une héroïque intrépidité; leur courage les sauva; ils s’enfermèrent dans une tour et combattirent avec tant d'acharnement qu'ils lassèrent le vainqueur, le forcèrent à l’admi­ration et en obtinrent une capitulation honorable.

Pendant le cours de cette guerre Théodoric avait conquis dans le midi plusieurs cités; la paix le laissa maître de Marseille, de son territoire et de tout le pays situe entre la Méditerranée, la Durance , les Alpes et le Rhône. Gondebaud, corrigé par le malheur, se montra plus humain pour ses peuples, et leur donna un code connu sous le nom de loi gambette, dont les dispositions favorables aux Romains les garantissaient de l’oppression des ariens. Il recouvra la plus grande partie de son royaume, se réconcilia avec Clovis, dont il demeura le vassal, et termina pacifiquement un long règne dont le commencement avait été souillé par tant de crimes.

Dès que Théodoric se vit de nouveau possesseur de l’ancienne province romaine, il tint aux peuples reconquis un langage qui justifie les éloges prodigués à sa mémoire par les historiens de l’Italie : «Vous devez, leur disait-il, nous obéir non comme des captifs, mais comme des hommes libres; reprenez les coutumes romaines presque effacées de votre souvenir; renoncez aux mœurs, au langage, au costume des Barbares, et surtout à leur cruauté. Il ne convient point que sous notre règne, fondé sur la justice, les anciens Romains vivent dans leur patrie comme des étrangers. Déterminé par notre affection pour vous à nous occuper de tout ce qui peut vous être utile, nous avons choisi pour vous administrer Gemellus, personnage recommandable par ses talents et par ses vertus.» Votre prospérité sera le but de ses travaux. » Obéissez donc ses ordres comme aux nôtres.»

Le roi d’Italie, moins impétueux et plus éclairé que Clovis, retira seul les fruits de la guerre de Bourgogne, dont il partagea peu les périls; tous ses soins furent ensuite appliqués à prévenir la rupture prête à éclater entre le roi des Francs et celui des Visigoths; mais il ne put que la retarder.

Alaric continuait à persécuter les catholiques; Clovis embrassait leur cause; déjà ses menaces étaient suivies de violence; des deux côtés on courait aux armes. Théodoric, prévoyant la ruine de son gendre et redoutant l’accroissement des Francs, s’adressa d’abord à Alaric pour le calmer et le contenir : «Quoique vos aïeux, vainqueurs d’Attila, lui dit-il, vous aient transmis leur courage, n’exposez point témérairement aux chances de la guerre vos troupes amollies par une longue paix; on ne reprend pas facilement les habitudes militaires une fois perdues. Fermez l’oreille à vos passions; ce sont de mauvais conseillers; elles trompent sur le but qu’on se propose et sur les moyens de l’atteindre; la guerre est le dernier remède aux maux politiques. Attendez, pour tirer l’épée contre le roi des Francs, la réponse qu’il aura faite à l’offre de ma médiation. Vous n’êtes forcé à la vengeance par aucune injure personnelle, par aucune offense grave, ni par le meurtre d’aucun parent; il n’existe encore entre vous que des querelles de paroles qu’on peut même éteindre. Laissez-moi donc le temps de prévenir Clovis que, s’il vous attaque, je vous défendrai sans être retenu parles nœuds qui m’unissent à lui; peut-être craindra-t-il d’avoir à lutter seul contre deux nations belliqueuses. J’espère qu’il ne sera point sourd à ma voix. Les princes les plus fiers écoutent la voix de la justice, surtout quand elle leur parle, année d’un glaive redoutable.»

Dans le même temps il reprocha vivement à Clovis ses violences contre son gendre Alaric : «La plus grande joie, lui dit-il, que vous puissiez donner tous deux à vos ennemis communs, c’est de voir les Francs et les Visigoths se déchirer entre eux; chacun de vous est roi d’une puissante nation; si vous écoutez ceux qui vous animent l’un contre l’autre, vous ébranlerez mutuellement vos trônes, et vos peuples détesteront en vous cette impétuosité téméraire qui les aura précipités dans une guerre funeste. Votre ardeur impatiente abandonne trop promptement les voies conciliatrices; dans les querelles qui s’élèvent entre pareils, il est d’usage de prendre des arbitres; et comment d’ailleurs pouvez-vous regarder vos droits comme si évidens, quand vous voyez que nous doutons encore de leur justice? je suis déterminé à me déclarer contre celui de vous deux qui refusera de déférer à mes représentations pacifiques. Nos ambassadeurs près de Votre Excellence, ainsi que ceux que nous avons envoyés au roi notre gendre, ont ordre de tenter tous les moyens de vous réconcilier et d’empêcher les Francs et les Visigoths de s’entredétruire. Croyez que cet avis est dicté par une amitié sincère; on ne conseille pas ainsi ceux dont on envie  la prospérité.»

La fierté du roi des Francs s’irritait d’une remontrance sage mais menaçante. Alaric, plus docile, céda au conseil de son beau-père, et demanda à Clovis une entrevue; il l’obtint; elle eut lieu dans une île de la Loire, près d’Amboise; les deux rois conférèrent, dînèrent ensemble, et se promirent une amitié qui dura peu.

Alaric publia dans ce temps le code des Visigoths; et, paraissant alors revenir à un système de tolérance, il permit aux catholiques de rassembler dans la ville d’Agde un concile qui fut présidé par saint Césaire. Mais bientôt, entraîné par ses passions et par celles des ariens, il renouvela ses persécutions contre les catholiques, et mécontenta ses peuples en altérant les monnaies. Grégoire de Tours assure que la plupart des Gaulois soumis à son joug désiraient vivement alors les succès et la domination des Francs.

Quintianus, évêque de Rodez, fut arrêté et accusé d’avoir voulu livrer sa ville à Clovis. Celui-ci, considérant cette violence comme une injure ou plutôt comme un prétexte favorable, convoqua dans le champ de Mars l’assemblée des Francs.

«Jusqu’à quand, compagnons, dit-il, souffrirons-nous que les Visigoths nous bravent, nous insultent, et que les ariens, renversant les autels, oppriment les catholiques, et asservissent à nos yeux une si grande partie des Gaules? Tirons nos glaives; marchons contre eux; Dieu nous conduira et nous rendra maîtres de ces belles contrées qui nous attendent comme des libérateurs.»

A ces mots, l’approbation unanime des Francs belliqueux éclate au bruit du choc des framées et des francisques; la guerre est déclarée . Théodoric envoie une armée au secours de son gendre; Gondebaud s’unit à Clovis; Clodéric, fils de Sigebert, et les autres princes de sa famille joignent leurs tribus à celle des Salions; et tout se prépare pour la lutte définitive qui doit fixer le sort des Gaules, et donner leur empire aux Goths ou aux Francs.

Clovis marcha rapidement; arrivé près de Tours, il sut habilement se concilier l’esprit des peuples, en témoignant un grand respect pour la mémoire de l’évêque saint Martin, mort cent ans auparavant dans cette ville, et il défendit expressément à ses troupes de prendre dans la Touraine autre chose que de l'herbe et de l’eau. Un soldat fut arrêté pour avoir enlevé à une pauvre femme le foin enfermé dans sa grange; ce soldat, croyant son délit peu grave, dit en riant : «Quel crime ai-je commis? le roi nous a permis l’herbe; le foin n’est qu’une herbe en bottes.» L'inflexible Clovis lui fit trancher la tète; les Francs murmuraient contre un acte si cruel : «En vain, leur dit Clovis, vous comptez sur votre courage ; nos glaives seront sans force , nos armes sans  succès, si nous offensons l’illustre saint qui doit nous protéger.»

Dans les siècles d’ignorance, la superstition fut toujours un des plus puissants instruments de la politique : Clovis ne l’ignorait pas; voulant obtenir une sorte d’oracle pour exciter la confiance des Gaulois et enflammer le courage des Francs, il chargea quelques officiers de porter ses offrandes au tombeau de saint Martin, et de lui rapporter les premières paroles qu’ils auraient entendues dans ce lieu saint : «Dieu des chrétiens, s’écrie-t-il, si mon faible bras est destiné à renverser vos ennemis, faites connaître votre volonté à ceux qui entreront en mon nom dans l’église de Saint­ Martin»

Le roi fut obéi, et, lorsque ces envoyés pénétrèrent dans le temple, le chantre entonnait ce verset : «Seigneur, vous m’avez armé de courage dans les combats; vous avez fait tomber sous mes coups ceux qui s’étaient levés pour me frapper; vous avez confondu mes ennemis, et votre nom les a mis en fuite devant moi.» Cet oracle fortuit ou concerté remplit de joie et d’espoir l’armée des Francs.

Une croyance éclairée lutte presque toujours vainement contre une aveugle crédulité : les chrétiens de ce temps s’imaginaient encore lire religieusement leur destinée dans un verset prononcé au hasard, au moment où le concile d’Agde venait de leur défendre expressément de chercher aucun augure sur le tombeau des saints ou dans les livres sacrés : ainsi les mœurs bravent les lois, et l’ambition profite des fai­blesses humaines.

L’armée des Visigoths défendait les approches de Poitiers et le passage de la Vienne; Clovis perdit plusieurs jours sans pouvoir trouver un gué; enfin on lui en découvrit un. Alors voulant, comme autrefois Sertorius et Constantin, frapper les esprits par un prodige, et persuader au peuple qu’il était protégé par le ciel, il dit à ses guerriers qu’une biche, traversant à ses yeux la Vienne, venait de lui indiquer le passage qu’il cherchait, et qu’en même temps une lumière miraculeuse, s’éle­vant du clocher de l’église de Saint-Hilaire de Poitiers, et dardant ses rayons sur son camp, lui avait ainsi trace la route brillante de la victoire.

Aussitôt il mit son armée en marche, et lui défendît d’exercer aucune violence contre tous les Gaulois ou Romains qui ne se seraient point armés contre lui. Un maraudeur, pour avoir enfreint cet ordre, dit Grégoire de Tours, fut frappé de paralysie. On voit par tout ce récit que le roi des Francs avait des évoques pour conseillers et pour historiens, et qu’ainsi il ne manquait ni de partisans ni d’amis dans les villes soumises aux Visigoths.

Clovis passa la Vienne à l’endroit qui depuis fut nommé le pas de la biche; il franchit ensuite le Clain; dès qu’il parut, les Visigoths se retirèrent; Alaric voulait prudemment éviter tout combat avant l’arrivée des secours que lui envoyait Théodoric; mais ses guerriers turbulents, indignés d’une circonspection qu’ils taxaient de lâcheté, éclatèrent en murmures, se révoltèrent et le contraignirent de s’arrêter. Clovis l’atteignit dans la plaine de Vouillé à dix milles de Poitiers.

Les Visigoths ne voulaient d’abord combattre qu’à coups de trait, arme qui leur était plus familière qu’aux Francs; mais Clovis, les chargeant avec son impétuosité ordinaire, leur fit bientôt sentir le poids de sa terrible francisque. Cependant la mêlée entre ces deux peuples belliqueux fut sanglante, longue et opiniâtre. Clodéric partagea dans ce jour mé­morable les périls et la gloire du roi des Saliens.

La victoire était encore incertaine, lorsque Alaric et Clovis s’aperçurent, s’élancèrent l’un contre l’autre, et s’attaquèrent corps à corps. Le sort des deux nations dépendait du succès de cette lutte dont la Gaule était le prix. Enfin Alaric tomba sous la hache de Clovis : mais l’instant de son triomphe fut celui de son plus grand danger; deux guerriers visigoths, pour venger leur roi, se précipitèrent ensemble sur Clovis, et le frappèrent de leurs lances. Sa force résista au choc, sa cuirasse au fer, et la vitesse de son cheval le tira de péril.

Les Gaulois de l’Auvergne, commandés par Apollinaris, fils du célèbre Sidonius, luttèrent encore opiniâtrement contre la fortune; presque tous périrent sur le champ de bataille; et, lorsque leur intrépide colonne fut renversée, l’armée entière d’Alaric prit la fuite. Le talent de Clovis, comme celui de tous les hommes qui ont laissé de longues traces sur la terre, était de profiter rapidement d’un succès et de ne pas laissera l’ennemi le temps de se relever.

Thierry, le premier de ses fils, né d’une concubine, conquit l’Albigeois, le Rouergue et l'Auvergne. Dans celle même année, le roi des Francs conduisit son armée en Languedoc et assiégea Carcassonne. De son côté Gondebaud ravageait les provinces voisines de ses Etats. Cependant les Visigoths avaient proclamé roi, dans la ville de Narbonne, Gésalic, fils d’Alaric; mais ce prince ne sut inspirer ni de con­fiance à ses peuples, ni de crainte à ses ennemis; et sa conduite lui fit perdre l’afecction et la protection puissante de Théodoric. Les Bourguignons le battirent et le forcèrent à fuir en Espagne; de là il courut en Afrique pour engager les Vandales à embrasser sa cause; mal accueilli parmi eux, il revint se cacher en Aquitaine, y rassembla quelques partisans, rentra à leur tête en Espagne, se laissa battre de nouveau près de Barcelone, tomba dans les fers et mourut en prison. Amalaric, son fils, encore enfant, fut reconnu roi des Visigoths , sous la tutelle de Théodoric.

Jusqu’alors la fortune avait toujours favorisé Clovis; rien ne l’arrêtait dans sa course victorieuse : mais les Ostrogoths lui opposèrent une barrière plus forte, et le génie de Théodoric fit reculer le sien. Il se vit forcé à lever le siège de Carcassonne, vint passer l’hiver à Bordeaux, où il se fit apporter de Toulouse les trésors d'Alaric.

Clovis attaqua Angoulême, ville forte par sa position, et sans laquelle il lui eût été difficile de se maintenir dans ses conquêtes. Les évêques catholiques, dans leur enthousiasme, le comparaient à Josué; et, pour justifier cette comparaison, Grégoire de Tours dit qu’à la vue du héros chrétien les murailles de la ville s’écroulèrent comme celles de Jéricho. La fable est l’histoire des temps anciens; les peuples au berceau s’endorment au récit des contes qu’ils croient, et dont les prêtres profitent; et ces erreurs exercent sur leur destinée une plus puissante influence que la raison.

Cette même année, Clovis marcha contre Théodoric, et fit le siège d’Arles. Les ponts de cette ville, construits sur les deux bras du Rhône, furent l’objet et le théâtre d’opiniâtres et de sanglants combats; après plusieurs efforts inutiles, les Francs, renonçant à s’en emparer, passèrent le fleuve sur des bateaux.

La ville assiégée employa pour sa défense les catapultes, les balistes et toutes les antiques créations du génie d'Archimède. Tandis que la garnison fatiguait les assiégeants par de vigoureuses sorties, et détruisait leurs travaux, une émeute éclata dans Arles; l’évêque saint Césaire fut soupçonné d’avoir voulu livrer la ville à l’ennemi; mais on découvrit que le complot était tramé par des juifs.

Après un grand nombre de combats meurtriers, livrés sous les remparts d'Arles, la constance des assiégeants triompha du courage des Francs. Une nouvelle armée, accourant alors d'Italie, contraignit Clovis et Gondebaud à se retirer. Les Ostrogoths les poursuivirent et détruisirent leur arrière-garde. L’armée de Théodoric, profitant de cette défaite, étendit ses conquêtes et s’empara d’Avignon. Le roi d’Italie informa le sénat romain de ce triomphe, et en attribua le principal honneur à l’un de ses généraux, né parmi les Goths et nommé Tulum; le nom du vainqueur de Clovis ne doit pas rester dans l’oubli.

Théodoric remporta encore une victoire sur Clovis. Jornandes dit que le roi des Francs perdit trente mille hommes; mais il ne fait point connaître le lieu où cette bataille se livra. La paix fut conclue entre les deux rois: les Ostrogoths conservèrent le pays situé entre les Alpes, la Méditerranée, le Rhône et la Durance ; les Visigoths, Narbonne et son territoire; Clovis garda tout le reste de ses con­quêtes.

Ce fut après avoir signé ce traité que écrivit aux évêques la lettre suivante : « Vous êtes sans doute informés par la renommée des ordres que nous avons donnés en entrant sur le territoire des Visigoths, pour prescrire à nos guerriers de respecter tout ce qui appartient aux églises, aux communautés de vierges, aux veuves et aux clercs dévoués au service des autels. Nous avons interdit toute violence contre leurs personnes, et commandé qu’on rendit la liberté à tous ceux d’entre eux auxquels on aurait pu la ravir.

«Quant aux captifs laïcs que nous avons pris les armes à la main, et sur lesquels notre droit est incontestable, nous permettons que vous les placiez sous votre protection; et, sur la vue de vos lettres, leurs maîtres adouciront leur sort.

«A l’égard des captifs qui ne nous auraient point combattu, il a été ordonné de les rendre libres, dès qu’ils seraient honorés de votre recommandation : ainsi vous pouvez réclamer tous ceux qui auraient été détenus contre le droit des gens ; leurs fers tomberont, dès que nous aurons reconnu l’empreinte du sceau de votre anneau pastoral. Mais mon peuple vous conjure de n’accorder votre appui qu’à ceux qui en sont dignes, et de confirmer la justice de vos réclamations en prenant à témoin le nom de Dieu : c’est le seul moyen, au milieu de tant de rapports divers, d’empêcher que le juste ne soit confondu avec l’impie. Vénérables successeurs des apôtrès, je me recommande à vos prières. »

Clovis revint dans la ville de Tours, et prouva sa reconnaissance pour le clergé par les dons magnifiques qu’il fit à l’église de Saint-Martin : Licinius gouvernait alors le diocèse. Précédemment le roi avait offert à cette église un coursier qu’il montait le jour de la bataille de Vouillé; voulant alors le racheter, il envoya cent sous d’or à ceux qui le gardaient; mais ceux-ci surent tourner contre lui les armes de la superstition, dont il s’était servi pour dominer les peuples. Le cheval, dressé par eux à cette ruse, refusa de sortir du saint monastère. Clovis comprit facilement le mystère de cette résistance ; il envoya deux cents sous d’or à l’église, et le cheval marcha. «Il faut convenir, dit alors le roi, que saint Martin est un ami très utile; mais il vend un peu cher sa protection.» Le clergé, sous les règnes suivants, ne confirma que trop la vérité de ces paroles.

Ce fut à cette époque, selon le récit d’Hincmar, que Clovis reçut de l’empereur Anastase le diplôme qui lui conterait les titres de patrice, de consul et d’Auguste, soit pour conserver par ce don une apparence de souveraineté sur les Gaules, soit pour se concilier l’appui d’un rival redoutable, qu’il voulait opposer à Théodoric.

Clovis se revêtit, dans l’église de Saint-Martin, de la pourpre romaine et du manteau d’écarlate; ensuite, orné du diadème, il se rendit à cheval dans la cathédrale , et y jeta des pièces d’or et d’argent à la foule qui l’entourait.

Chef des Francs par sa naissance et par le consentement du peuple, protecteur du clergé catholique, maître de la plus grande partie de la Gaule par les armes, Clovis, par ces nouvelles dignités, joignit à son autorité victorieuse une autorité légale sur les Gaulois romains ; il affermit ainsi la puissance royale par le pouvoir des coutumes qui survivent longtemps à la chute des Etats et à la destruction des gouvernements.

L’auteur des Gestes dit que depuis ce jour les Romains le nommèrent Auguste, et s’adressèrent à lui, pour l’exécution de leurs lois, dans les mêmes formes dont ils se servaient avec les consuls.

En s’éloignant de l’ours, le roi vint à Paris, où il plaça, si nous en croyons Grégoire, le siège de sa monarchie : ce fut dans cette capitale qu’il établit son tribunal pour juger les Francs, et son prétoire pour donner audience aux Romains.

Clovis fut tout à la fois conquérant et législateur; son caractère le portait plus à la guerre qu’à la justice; mais sa situation nouvelle, la fusion de son peuple avec une nation qui jouissait d’une civilisation antique, le besoin de l’ordre pour conserver les conquêtes, et la nécessité de régler les rapports qui devaient exister entre les vainqueurs et les vaincus, obligèrent le roi des Francs à réformer en quelque sorte les coutumes guerrières, et à corriger la loi des Saliens connue sous le nom de pacte de la loi salique.

Probablement cette loi avait déjà subi quelques modifications depuis que Pharamond, Clodion, Mérovée et Childéric étaient entrés dans les Gaules, et s’étaient successivement établis dans la Toxandrie, dans le Tournaisis et sur les rives de la Somme et du Rhin.

Le texte de cette loi, dont on parla longtemps sans la connaître, et dont Hérold découvrit le premier un exemplaire dans le monastère de Fulde, renferme des dispositions si favorables au clergé catholique, en même temps qu’il contient des dispositions toutes germaines, que l’on doit en conclure avec certitude qu’elle fut modifiée depuis la conversion des Francs; ainsi l’époque de cette modification ne peut être antérieure au règne de Clovis; et, comme il est avéré que l’un de ses successeurs, Childebert, y fit de nouveaux changements, on peut croire qu’elle fut en grande partie l’ouvrage de Clovis.

Il est nécessaire de se faire une juste idée de cette loi, source sauvage de la législation française; elle expliquera beaucoup de faits postérieurs, et les faits valent mieux que les systèmes.

Nous savons par Eccard que plusieurs autours ont, depuis, donné diverses éditions de cette loi, avec des commentaires. Goldaste, Jérôme Bignon, Baluze, Chifflet, Vandelin ont multiplié les copies de ce monument, en l’enrichissant de gloses. Enfin on en a publié aussi un ancien exemplaire de Wolfenbuttel, écrit sous Pépin. Il est curieux et peut-être utile de connaître le prologue placé à la tête du plus ancien exemplaire : tout ce qui peint les mœurs est l’âme de l’histoire.

PROLOGUE DE LA LOI SALIQVE.

«La nation célèbre des Francs, formée par la volonté de Dieu, constante dans ses traités de paix, profonde dans ses délibérations, distinguée par la noblesse et la force du corps, remarquable par sa blancheur et par ses formes, audacieuse, prompte, âpre, convertie récemment à la foi catholique, enfin exempte d’hérésie, recherchant la clef des sciences lorsqu’elle était encore dans la barbarie, désirant la justice, mais conforme à ses mœurs, voulant maintenir et garder sa piété, a chargé les grands de cette même nation, qui en étaient alors les chefs, de rédiger  la loi salique.

Entre plusieurs de ces hommes elle en choisit quatre, Wisogaste, Bodogaste , Salogaste et Widogaste: ils se réunirent dans les lieux nommés Bodoghève, Saloghèvc et Widoghève, et y tinrent trois assemblées ou malles. Là, discutant avec soin les choses, leur origine, et traitant de chacune en particulier, ils ont rédigé le décret suivant.

Mais, après que Clovis le beau et le chevelu, par la faveur de Dieu, roi célèbre des Francs, eut le premier reçu le baptême catholique, tout ce qui cessa dans ce pacte de paraître convenable fut plus clairement corrigé et rédigé par les illustres rois Clovis, Childebert et Clotaire, qui publièrent ce décret.

Vive le Christ qui chérit les Francs! puisse-t-il tenir leur royaume sous sa garde, remplir leurs chefs de la lumière de sa grâce, protéger leur année, élever des monuments à leur foi! puisse enfin le seigneur Jésus­Christ leur donner des temps de paix, de joie, de félicité, et conduire ces dominateurs dans les voies de la piété!

C’est cette nation, puissante par sa force et son courage, qui, par de nombreux combats, a secoué le dur joug des Romains pesait sur sa tête; c’est elle qui, après avoir reconnu la sainteté du baptême, a somptueusement orné de pierres précieuses et d’or les corps des saints martyrs, que les Romains avaient défigurés par le feu, mutilés et mas­sacrés par le fer, ou jetés aux bêtes féroces qui les dévoraient.»

Tel était le langage de nos premiers aïeux : il prouve assez l’influence nouvelle et forte des évêques gaulois et romains dans le conseil des rois.

Trois siècles après, lorsque Charlemagne promulgua de nouveau la loi salique, il la fit précéder du prologue suivant : « Il a plu aux Francs et à leurs grands, et il a été convenu entre eux que, pour conserver l’amour de la paix intérieure, ils devaient couper toutes les racines des anciennes querelles et de tout ce qui pouvait les aigrir; ainsi, comme ils l’emportaient sur toutes les nations par la force de leurs bras, ils voulurent mériter la même prééminence par l’autorité des lois, et que toute action criminelle fût jugée selon la nature du délit; ils choisirent donc sur un grand nombre quatre hommes, Wisogaste, Bodogaste, Salogaste et Widogaste, habitons des lieux nommés Bodohaim, Salohaim et Widohaim, et situés au-delà du Rhin. Ceux­ ci s’assemblèrent dans trois malles, discutèrent soigneusement l’origine des causes et des délits, et exposèrent sur chacun d’eux le I jugement suivant.»

Nous ne parlerons que du texte de la première loi salique, telle quelle fut rédigée par les prédécesseurs de Clovis, modifiée par ce roi et corrigée par ses fils. Celle que promulgua Charlemagne, qui y ajouta trois titres, trouvera plus convenablement sa place au moment où nous peindrons ce grand monarque par ses actions et par ses lois.

Ce pacte contient soixante-douze titres; il suffira, pour en connaître l’esprit, d’en citer les conditions principales et celles qui donnent une idée des mœurs du temps; le reste ne serait que fastidieux et sans aucune utilité.

EXTRAIT DE LA LOI SALIQCE.

Le titre 1 condamne à 600 deniers d’amende celui qui, ajourné aux malles, c’est-à-dire appelé à l’assemblée par les lois souveraines, ne s’y est point présenté sans alléguer un empêchement légitime; même amende si, ayant ajourné un autre, il ne comparaît pas lui-même : un homme qui en ajourne un autre doit lui parler ou à sa famille, dans son domicile et devant témoins : celui qui est occupé de l’exécution d’un ordre du roi ne peut être ajourné.

Les titres 2 et suivants, jusqu’au 10 inclusivement, confirment les récits de tous les auteurs anciens, et prouvent que, dans la Germanie, la seule richesse des Francs consistait on troupeaux. Tous ces articles ordonnent des amendes graduées pour les vols de cochon, bœuf, mouton, chèvre, chien, oiseau, abeille, et arbres. On payait, pour un pourceau enlevé d’une étable, une composition de 1,800 deniers (45 sous), indépendamment du fredum, c’est-à-dire des frais de l’impôt du fisc; fred venait de friede, qui veut dire en langue germanique paix. Le même vol dans un champ n’attirait qu’une amende de 600 deniers; le vol du taureau du roi était puni par une amende de 90 sous.

Le titre 2 concerne le vol des esclaves enlevés à leur maître. Les amendes prescrites pour punir ces vols sont d’évidentes additions faites par les premiers Mérovingiens; car, en Germanie, on sait que les captifs étaient cultivateurs, serfs attachés à la glèbe et non point esclaves; les Francs n’eurent des esclaves que depuis leur entrée dans la Gaule; et, dans ce genre, ce furent les Romains et les Gaulois civilisés qui corrompirent les Barbares.

Nous voyons par les titres 12 et 13 une grande démarcation tracée par la justice de ce temps entre les hommes libres et les esclaves. Le vol commis par les premiers est puni d’une amende plus ou moins forte de 1,200 à 1,800 deniers; les esclaves, au contraire, reçoivent 120 coups de verge, à moins qu’ils ne rachètent leur dos par une amende, mais faible.

Dans le titre 14, le ravisseur libre d’une fille libre paie 1,200 deniers; si cette fille est sous la protection du roi, l’amende est de 2,000 deniers. Si un esclave du roi enlève une femme libre, il est puni de mort; une femme enlevée volontairement perd sa liberté. Le ravisseur de la fiancée d’un autre paie 2,000 deniers; s’il a attenté à sa pudeur, 8,000 deniers. Si un homme libre épouse une fille esclave d’un autre, il devient esclave lui-même. Si on épouse sa nièce ou sa belle-sœur, on paie 1,200 deniers; le mariage est dissous; les enfants ne peuvent hériter et sont réputés infâmes.

Le titre 15 est un des plus importants à citer, puisqu’il prouve, contre le système de l’abbé Dubos, à quel degré les vainqueurs tinrent les vaincus dans l’humiliation. «Si un Romain, dit la loi, a assailli et dépouillé un Franc, la composition sera de 2,500 deniers; mais, si un Franc a commis le même délit sur la personne d’un Romain, la composition de sera que de 1,200 deniers.

On remarque dans le titre 17 un grand respect des Francs pour les morts; car on peut juger de la gravité qu’ils attachaient au délit, par celle des peines qu’ils y appliquaient. Ils imposaient une amende de 4,000 deniers aux spoliateurs d’un mort, et de 8,000 à celui qui l’avait déterre. Le coupable était banni de la société; celui qui lui aurait donné asile devait payer une amende de 600 deniers.

Tout crime était expié par l’argent : on voit, dans le titre 19 de cet étrange code, un tarif détaillé suivant la gravité des blessures faites à un homme par un autre : « Si le sang coule jusqu’à terre, 600 deniers; s’il sort trois os  de la tête, 1,100 deniers; si la cervelle est mise à nu, 1,800. Celui qui aura frappé un homme à coups de poing lui paiera 560 deniers, et en outre 120 pour chaque coup.»

Au milieu de ces idées grossières et pour ainsi dire sanguinaires de justice, on aperçoit avec satisfaction quelques vues nobles et élevées. Le titre 20 punit les délateurs et les calomniateurs. S’ils ont accusé près du roi, faussement et pour une faute légère, un homme absent et innocent, ils paieront 2,800 deniers. Si le crime imputé emportait la peine capitale, le calomniateur paierait 8,000 deniers. On voit de plus, par ces dispositions, que certains crimes étaient déjà dans ce temps punis de mort, et qu’on évitait cette peine par l’amende.

On croyait alors aux maléfices; ils sont aussi rachetés, suivant la loi, par des amendes.

Le titre 22 rappelle la sévérité des mœurs germaines : «Si un homme libre, dit le législateur, serre la main ou le doigt à une femme libre, il paie 600 deniers; si c’est le bras, 1,200 deniers; le coude, 1,400; le sein, 1,800; tel était chez nos Sicambres le tarif de la pudeur.»

L’assassinat d’une jeune fille libre se rachetait par 8,000 deniers, celui d’une femme libre et mère par 24,000 deniers; mais, si elle ne pouvait plus avoir d’en fans, l’amende n’était plus que de 8,000 deniers. Ainsi ce code barbare tarife le meurtre selon la condition, l’âge et la fécondité.

L’adultère, commis par un ingénu avec une esclave, est puni par une amende de 600 deniers; si c’est avec une esclave du roi, l’amende sera double. Lorsqu’un esclave commet un adultère avec une femme de sa condition et par violence, si elle en meurt, il sera mutilé ou paiera 240 deniers; si elle n’est pas morte, il recevra 120 coups de verge ou paiera 120 deniers.

Les titres 31 et 32 tarifent hideu­sement les lacérations, les contusions, les doigts, les dents brisées, et ridiculement les injures. Pour avoir appelé un homme borgne, on paie 600 deniers; renard, 120; lièvre, 240; et 1,800 deniers si on appelle une femme prostituée; et si on reproche à un autre d’avoir abandonné son bouclier, 120 deniers, à moins qu’on ne prouvât la vérité de ces deux reproches.

On trouve dans le même titre la source de notre point d’honneur actuel : une injure regardée comme très grave était celle d’appeler un autre menteur; l’amende était de 600 deniers; il en était de même si on l’appelait délateur: ce dernier usage s’est malheureusement perdu.

Un peuple chasseur devait être sévère sur les droits de chasse : le vol d’un sanglier, lancé par les chiens d’un autre, coûtait 600 deniers. Dans le titre 34, on sait qu’un Franc qui aurait garrotté un Romain ne payait que la même amende de 600 deniers; mais elle était double pour un Romain qui aurait garrotté un Franc.

Le titre 42, relatif aux esclaves soupçonnés de vols, nous apprend que ces malheureux étaient soumis à la question. Mais ce qu’il faut surtout remarquer, c’est le titre 43 concernant les homicides commis sur la personne d’un homme libre, parce qu’il désigne avec précision les différentes conditions et les rangs distincts des peuples de la France à cette époque. Si l’homme assassiné est un Franc ou tout homme barbare vivant sous la loi salique, le coupable paiera une composition de 8,000 deniers; s’il est antrustion, c’est-à-dire, in truste dominica ou sous la foi et le patronage du roi, 24,000 deniers; s’il est Romain , convive du roi, 12,000 deniers; s’il est Romain, possesseur ou propriétaire, 4,000 deniers; s’il est Romain tributaire, 1,800.

Plusieurs auteurs ont vu là clairement l’existence séparée des nobles et des plébéiens; ils ont en quelque sorte raison. Cependant deux choses constituent la noblesse, les privilèges et l’hérédité. On voit que les premiers existaient incontestablement, mais non l’hérédité; elle ne vint que par la suite avec celle des bénéfices; jusque-là les privilèges n’étaient que personnels et à vie, au moins de droit; car, de fait, les en fans des privilégiés obtenaient nécessairement des préférences. Tacite même, qui, selon Montesquieu, abrégeait tout parce qu’il voyait tout, nous dit que les fils des chefs en Germanie étaient souvent nommés chefs eux-mêmes par leurs compagnons, presque au sortir de l’enfance; et il fallait bien qu’il y eût chez les Francs des familles notables et illustrées, puisqu’on parlant de Pharamond, nos anciens historiens conviennent que les Francs, ayant longtemps vécu sans avoir de rois, en nommèrent un lorsqu’ils passèrent le Rhin, et le choisirent dans l’une de leurs plus nobles familles.

Le titre 46 veut qu’une veuve ne se remarie qu’avec le consentement de sa famille, à laquelle celui qui l’épouse doit payer une certaine somme.

Le faux témoignage était puni par l’amende de 600 deniers.

Le titre 52 règle les formes que doit observer le comte avec ses assesseurs pour juger les débiteurs et leurs créanciers : il se termine par une disposition sévère et d’une exécution dfficile : «Si le comte, dit-il, refuse ou diffère de rendre justice sans cause légitime, il faut qu’il se rachète ou qu’il périsse.»

Celui qui affirmait une chose en justice était soumis à l’épreuve de l’eau bouillante, jugement de Dieu : le titre 55 l'en dispense, moyennant une somme proportionnée à la gravité de la cause. Cela s’appelait le rachat de la main.

Le titre 56 impose l’amende de 24,000 deniers pour la mort d’un comte; 12,000 pour celle d’un sagi baron ou juge inférieur, s’il est au service domestique du roi; et 24,000, si ce sagi baron est un homme libre. Il ne doit pas y avoir plus de trois sagi barons par chaque malloberge, c’cst-à-dire tribunal civil. On n’en appelait aux comtes que dans le cas de violation des lois.

L’Église ne devait pas être oubliée dans le code d’une nation qui commençait à donner au clergé la première place dans ses conseils. La mort d’un sous-diacre était punie par une amende de 12,000 deniers; celle d’un diacre, 16,000 deniers; d’un prêtre, 24,000; et d’un évêque, 56,000.

Les comtes étaient assistés par des assesseurs nommés rachinbourgs ou scabins, parce que ceux-ci étaient assis plus bas que le comte sur des escabeaux. S’ils refusaient de juger, ils payaient 120 deniers, et 600 s’ils ne jugeaient pas conformément à la loi.

Enfin le titre 72 et dernier concerne les aïeux ou biens propres et surtout acquis par voie d’héritage : c’est le plus fameux ; le voici textuellement : «Art.1. Si un homme meurt sans laisser d’en fans, que son père ou sa mère lui succède. Art. 2. S’il n’a ni père ni mère, que ses enfants ou ses sœurs héritent de lui. Art. 5. A défaut de ceux-ci, que ce  soient les sœurs de son père. Art. 4- A défaut de celles-ci, la sœur de sa mère. Art. 5. A défaut de cette dernière, les plus proches parons paternels. Art. 6. Mais qu’aucune portion de la terre salique ne passe en héritage aux femmes, et que tout l’héritage de la terre appartienne au male.»

Ce titre célèbre a été interprété de plusieurs manières opposées : on a cru y trouver l’exclusion des femmes à la succession au trône; c’était assimiler le royaume aux terres saliques. Mais on convient généralement aujourd’hui que la loi salique ne contient aucun article de droit public, et n’a rien statué à l’égard de la succession royale. Cette exclusion des femmes est fondée sur une hase plus durable que les lois, celle des mœurs et des coutumes de quatorze siècles.

On a différé de même sur la signification du nom de terres saliques : les uns l’ont, sans raison, appliqué aux bénéfices militaires, oubliant qu’ils étaient révocables; Hénault a réfuté cette opinion; d’autres plus justement n’appellent terres saliques que celles qui, suivant les coutumes germaines, étaient autour de la maison, nommée en tudesque sala, et ensuite aux terres possédées en propre et héréditairement par les Francs après la conquête des Gaules.

C’est ce que croit Montesquieu, et ce que le titre 72 de la loi indique lui-même, puisqu’il porte en tête ces mots de l’alleu, pour annoncer qu’il ne va parler que de biens propres et possédés héréditairement.

Dans la suite cette exclusion des femmes de l’héritage du manoir, appelée par Marculfe lui-même une coutume impie, fut modifiée; et l’on vit beaucoup de femmes hériter des terres cl même des fiefs.

Dans les forêts de la Germanie, les Francs, libres, égaux et fiers, sc vengeaient eux-mêmes des injures reçues : aussi, pour apaiser la famille offensée et échapper à son ressentiment, le coupable faisait une composition et payait une amende; le fredum était reçu par l’arbitre ou juge : telle était la première base du code des Saliens. Mais les rois, après la conquête, tout en conservant le fond de cette législation dans sa simplicité, se virent forcés, pour le maintien de l’ordre, d’appliquer à certains crimes la peine capitale, et plus tard d’emprunter aussi aux lois romaines la pro­scription, afin d’assigner un terme aux réclamations et aux réactions.

On conçoit facilement qu’une telle législation devait paraître suffisante et sans inconvénient aux yeux d’un peuple pauvre, libre et resserré sur un territoire peu étendu; mais, lorsque la conquête de la Gaule rendit les chefs des Francs riches, puissants et dominateurs d’une vaste contrée, on dut prévoir que ce code ou plutôt ce tarif des délits assurerait l’impunité de l’opulence et l’oppression de la pauvreté, puisque tout sénieur antrustion ou comte put dès-lors, au gré de ses passions, tuer, piller, opprimer, en payant une amende très modique relativement à sa fortune.

Quand la nation s’assemblait fréquemment, la force de la démocratie prévenait ces abus de pouvoir; mais les Francs, dispersés dans la Gaule, se réunirent rarement. Le conseil des rois remplaça faiblement les assemblées nationales; l’égalité disparut, et la tyrannie d’une aristocratie militaire ne tarda pas à naître et à croître sur les débris de la puissance des monarques et de la liberté des peuples.

Les temps où l’on éprouve le plus de maux sont ceux où l’on cherche le plus de remèdes; aussi ce fut à l’époque de la décadence, de la chute de l’empire romain et de l’invasion des Barbares, qu’on fit publier tout à la fois le plus grand nombre de codes.

Presque tous les dévastateurs de l’Occident cherchaient à bâtir sur des ruines: Alaric donna aux Visigoths le code rédigé par Théodose; les Francs reçurent les lois saliques et ripuaires; le roi de Bourgogne promulgua la loi gambette; tout le midi de la Gaule resta attaché aux lois romaines parce que la loi des Goths n’établissait point de distinction humiliante entre eux et les Romains; mais, dans tous les pays occupés par les Francs, leurs lois assurèrent tant de prérogatives à ceux qui les adoptaient, que peu à peu tous les Gaulois, vaincus par eux, abandonnèrent le droit romain pour devenir Francs. Cependant il s’écoula un assez long espace de temps avant que cette réunion fut générale; et jusque-là chacun resta le maître de choisir la loi sous laquelle il voulait vivre.

L’érudition peut vouloir connaître les légères différences qui existaient entre les lois saliques, ripuaires et bourguignonnes; il nous suffit de savoir que le principe en était le mê­me; et celle de Clovis, que nous venons de parcourir, nous donne une idée assez complète et une assez claire explication de l’esprit, des mœurs et des actes de ces temps reculés.

Clovis, comme on l’a vu, assura en France par ses lois, par ses dons et par sa déférence, la prééminence du clergé, dont l’assistance lui avait été si utile. De leur côté les évêques s’occupèrent, dans ces premiers moments, à étendre et à fortifier l’autorité du prince qui les protégeait contre les ariens. Le concile d’Orléans, assemblé la dernière année de son règne, reconnut formellement le droit attribué à nos rois de faire rentrer dans leurs mains les fruits de chaque évêché pendant sa vacance : ce droit, dont jouirent seuls les rois de France, porta le nom de droit de régale.

Clovis dut une juste célébrité à ses armes, à ses lois, à la grandeur de ses desseins, à sa rapidité dans l’exécution, à son courage dans les combats; mais une politique perfide souilla par des crimes atroces la fin d’un règne si long­temps glorieux. Nous voyons avec peine des évêques sinon justifier, du moins vouloir pallier ses sanguinaires perfidies.

Grégoire de Tours raconte froidement que ce roi, redoutant la jalousie des princes de sa famille qui gouvernaient alors les différentes tribus des Francs, et craignant qu’ils n’usurpassent son autorité, forma le projet, dans l’intérêt de la monarchie, de réunir sous son sceptre tous ces divers peuples qui pouvaient la déchirer par leurs querelles: les moyens les plus criminels lui parurent les plus prompts, les plus sûrs, et il n’hésita pas à les employer; ses émissaires persuadèrent à Clodéric que, s’il pouvait hâter la mort de son père Sigebert, roi de Cologne, prince affaibli par l’âge et par des blessures, la protection de Clovis lui assurerait le trône des Ripuaires. Clodéric tomba dans l’horrible piège qui lui était tendu.

Quelques assassins, subornés par lui, égorgèrent son père dans une forêt où il s’était retiré pour éviter l’approche du roi des Francs dont on l’avait menacé. Le parricide écrivit promptement à Clovis qu’il possédait les États de son père, dont il consentait â lui livrer les trésors.

Clovis lui répondit qu’il le remerciait, et qu’il le priait seulement de montrer à ses envoyés ce trésor qui, au reste, ne pouvait être mieux qu’entre ses mains. Quand ces officiers furent arrivés, Clodéric ouvrit devant eux le coffre qui contenait ses richesses; ils l’invitèrent à porter ses mains jusqu’au fond afin de les mettre à portée de mieux connaître ce qu’il contenait. Clodéric, pour les satisfaire, se courbe sur le coffre; alors l’un des envoyés lui abat la tête d’un coup de francisque.

Clovis, informé de cet événement, accourt avec rapidité, rassemble les Francs ripuaires, et leur dit : « Je marchais sur l’Escaut; Clodéric a répandu perfidement des bruits mensongers dans le dessein de vous persuader que je voulais attenter aux jours de son père; le lâche m’attribuait ses propres crimes. Sigebert, retiré dans la foret Buchovia pour s’éloigner de moi, est tombé sous le poignard des assassins payés par Clodéric : ce fils dénaturé a peu survécu à son parricide; au moment où il comptait ses richesses, des inconnus l’ont tué. Ces meurtres me sont étrangers; jamais mes mains ne se trempèrent dans le sang de mes proches : mais enfin le mal est arrivé; il faut y chercher un remède. Je vous offre le conseil salutaire de me  choisir pour votre roi, puisque la famille de Sigcbert est éteinte. Si vous y consentez, je jure de vous défendre au péril de mes jours contre tous vos ennemis.»

Les Ripuaires répondirent à ces paroles par de vives acclamations, par le choc de leurs boucliers; ils élevèrent Clovis sur un pavois, et le proclamèrent roi. C’est ainsi qu’il devint maître de leur vaste territoire, qui s’étendait de Châlons-sur-Marne jusqu’aux rives de la Fulde.

Clovis crut alors le moment propice pour se venger d’un autre prince franc, de Cararic, qui régnait sur les contrées de Boulogne, Saint-Omer, Bruges et Gand : c’était le même qui avait voulu autrefois le trahir à la bataille de Soissons. Il gagna d’abord plusieurs de ses leudes, et marcha ensuite contre lui.

Cararic et son fils ne purent lui opposer qu’une courte résistance; les traîtres qui les entouraient les livrèrent au roi des Francs. Il leur fit couper les cheveux; c’était la dégradation de ce temps : relégués tous deux dans un monastère, l’un fut ordonné prêtre, et l’autre diacre.

Quelque temps après, au moment où Cararic déplorait le plus amèrement sa destinée, son fils lui dit : «Consolez-vous; car, en nous dépouillant de cette longue chevelure, marque de notre dignité, on n’a fait que couper un feuillage qui repoussera bientôt. Puisse l’auteur de cet affront périr aussi promptement que nous verrons renaître notre chevelure!»

Clovis, informé de leur entretien, les fit massacrer, s’empara de leur trésor et fut re­connu roi par les Francs et par les Romains qui leur étaient soumis.

Le même Grégoire de Tours, trop partial pour Clovis et trop rigoureux pour ses victimes, poursuit ainsi sa narration : «Ragnacaire, dit-il, roi des Francs de Cambrai, déshonorait son rang et sa famille par ses débauches. Faron, son favori et son ministre, le gouvernait en flattant ses vices. Ce faible roi parlait de ce favori comme d’un égal et d’un associé à la royauté. L’abus qu’il faisait de son crédit indignait les Francs.»

Clovis, instruit de leurs dispositions, aigrit leur courroux, et parvint facilement à les séduire en leur promettant des bracelets d’or. Assuré de leur appui, il marcha contre Ragnacaire. Les lâches compagnons de ce malheureux prince, chargés par lui de reconnaître la troupe qui s’avançait, le trompèrent et lui firent croire que c’était une milice auxiliaire appelée par Faron.

Cette trahison l’empêcha de se mettre en défense. Clovis, survenant, le chargea brusquement et le mit en déroute. Il voulait se sauver; ses perfides compagnons l’enchaînèrent ainsi que son frère Richarius, et les menèrent à Clovis.

«Comment, dit le vainqueur à Ragnacairc, un prince de ma famille souffre-t-il lâchement qu’on l'enchaîne? Vous deviez périr plutôt que de le supporter.» A ces mots il lui fendit la tête d’un coup de francisque. Se tournant ensuite vers Richarius : «On n’auait pas, s’écria-t-il, enchaîné votre frère, si vous l’aviez défendu;» et aussitôt il le tua d’un coup de hache.

Les traîtres qui avaient sacrifié leurs princes se plaignirent alors à Clovis de la violation de ses promesses; car ils venaient de découvrir que les bracelets qu’on leur avait donnés n’étaient que de cuivre doré. «Une fausse monnaie, dit le roi, est le digne prix de ceux qui trahissent et vendent leurs chefs. Fuyez de ma présence, et félicitez-vous d’une clémence qui vous accorde la vie.» La morale prêchée par un meurtrier est peut-être encore un crime de plus; et c’était ce que l’évoque Grégoire aurait au moins pu dire.

Clovis fit encore périr un autre frère de Ragnacaire, nommé Regnomer, roi des Francs, établi dans le Maine. Ce fut, suivant les termes de Grégoire, par le meurtre de ces princes et de plusieurs autres rois, ses pares, dont il craignait les entreprises, qu’il parvint à établir son autorité dans toute la Gaule.

Quelque temps après, il se plaignit au milieu de l’assemblée générale des Francs d’être isolé et privé de toute famille : «Je me trouve, dit-il, comme étranger dans mes États; si j’éprouvais quelques revers, je ne pourrais avoir recours à aucune des personnes obligées par les liens du sang à me venger.»

Son panégyriste lui-même, loin de croire ses regrets sincères, les regardait comme une ruse pour découvrir s’il existait encore quelques individus de sa famille échappés à ses cruels soupçons.

Ce fut après tous ces meurtres, et probablement pour expier ses crimes, qu’il rassembla le concile d’Orléans : trente évêques s’y trouvèrent et soumirent leurs décrets à son approbation ; ils obtinrent ainsi de lui la confirmation du droit d’asile, qui autorisait les églises à ne point livrer aux lois les homicides, les voleurs et les adultères, à moins qu’on ne fit serment de ne les tuer ni de les mutiler. Il exempta aussi les évêques de la loi de prescription pour leurs biens et pour les terres cédées par eux. Il fonda alors plusieurs églises et plusieurs riches abbayes. Dans ces temps barbares souvent les rois des Francs parurent croire que la loi divine autorisait, comme la loi salique, à racheter les crimes par des dons et des amendes.

Clovis, après trente ans de règne, mourut à Paris, âgé de quarante-cinq ans, et fut enterré dans l’église de Saint-Pierre et de Saint-Paul, bâtie par Clotilde et par lui. Sainte Geneviève mourut la même année, et fut inhumée dans la même église, qui depuis porta et conserva sou nom.

Clotilde se retira quelques années après en Touraine, passa pieusement ses jours auprès du tombeau de saint Martin, dont elle s’éloigna rarement pour venir dans la capitale.

Grégoire de Tours, après nous avoir raconté les crimes du roi des Francs, termine en ces termes son tragique récit : «Les Etats et les trésors de Sigebert passèrent de cette sorte au pouvoir de Clovis : ainsi Dieu chaque jour, sous sa main puissante, faisait tomber les ennemis de ce monarque, et reculait les limites de son empire; car ce roi marchait dans les voies du Seigneur avec un cœur droit, avec une foi ferme et sincère; et ses actions trouvaient grâce devant lui»

L’histoire, plus sévère qu’un clergé trop reconnaissant, placera toujours Clovis au rang des grands capitaines, des politiques habiles, des conquérants célèbres, des illustres fondateurs d’empires; mais, en consacrant sa gloire, elle flétrira ses crimes, et gémira de l’aveuglement qui mit presque au rang des saints le meurtrier de tant de rois.