THE FRENCH DOOR |
HISTOIRE DES CAROLINGIENS
CHAPITRE VI.DISSOLUTION DE L’EMPIRE.
Bien que chacun des trois
royaumes formés par le traité de Verdun ait son histoire particulière, l’empire
entier qu’ils composent a néanmoins encore pendant longtemps une histoire
générale Un grand nombre de faits politiques, beaucoup d’événements, de calamités
surtout se rapportent à l’une comme à l’autre des trois fractions. Les
historiens modernes se sont beaucoup occupés des causes du démembrement de
l’empire. On reconnaît en général, que sa durée devait nécessairement être
éphémère, comme celle de toutes les grandes monarchies créées par la force des
armes et la fortune d’un conquérant : car il faut infiniment plus de puissance
et de sagesse pour maintenir l’unité dans les États qui ont été fondés de cette
manière, que pour les constituer. Ces conditions de sagesse et de force nous
avons déjà dit comment elles firent défaut dès le commencement du règne de
Louis le Débonnaire; on voit clairement, à dater de cette époque, que la
monarchie va périr. Mais les savants se sont efforcés de préciser les causes de
sa décomposition. M. Guizot, entre autres, s’y est spécialement attaché, dans
ses Essais sur l'histoire de France et dans son Cours d’histoire
moderne.
Après avoir réfuté Augustin
Thierry, qui attribue le démembrement de l’empire à l’antagonisme des
nationalités, M. Guizot tâche d’expliquer ce fait par l’absence de tendances
unitaires chez les peuples que Charlemagne avait réunis. Il nous semble que
cette idée implique une certaine confusion de temps. Certes les peuples que
Charlemagne avait réunis devaient avoir des tendances plutôt divergentes qu’unitaires;
mais leurs tendances pesaient fort peu dans la balance de la politique. Ce
n’étaient pas les peuples qui étaient appelés à décider du sort de l’empire;
c’étaient les princes et les grands. Or, parmi ceux-ci la plupart étaient
d’origine commune, quoique établis dans des contrées différentes, et ils
devaient avoir un but commun. Si cependant l’assertion de M. Guizot était
vraie; s’il était démontré qu’il y eût chez eux, comme dans les peuples soumis
à leur domination, absence de tendances unitaires, il resterait à savoir par
quelles causes ces tendances auraient été anéanties : car il est constant que
l’idée d’unité dominait encore les esprits immédiatement après le traité de
Verdun. Une foule de circonstances le prouvent: ce sont d’abord les assemblées
tenues par les trois frères rois à Juts, Judiacum, près de Thionville, et à Meersen près de Maestricht; c’est, ensuite, le recours que prennent les
Gallo-Francs à Louis le Germanique, lorsque Charles le Chauve ne peut plus les
protéger. L’élévation de Charles le Gros sur le trône impérial démontre encore
que les nations autrefois réunies sous le sceptre de Charlemagne et de Louis le
Débonnaire se considéraient comme un seul peuple gouverné par plusieurs
chefs.
Les guerres des trois fils de
Louis ne furent entreprises également que pour rétablir l’unité politique. A
cela tendait non-seulement la politique de Lothaire, mais plus tard aussi celle
de Charles le Chauve. C’était, il est vrai, une politique d’égoïsme et de
convoitise; mais son but était la restauration du grand empire de leur aïeul et
de leur père. Les traités d’amitié et de fraternité que, de temps à autre, ils
conclurent entre eux, par exemple à Meersen, en 847, n’avaient pas non plus
d’autre but que la conservation de l’unité. Leurs tendances, au moins jusqu’à
certain point, devaient être celles de leurs leudes, puisque ceux-ci les
secondaient dans leurs entreprises et s’associaient à leurs serments d’alliance.
Il n’est donc pas exact de dire qu’il n’y avait plus de tendances unitaires ;
mais l’ambition de Charles le Chauve, qui passait toutes les bornes, l’entraîna
à se servir de moyens mal choisis ; et ses frères et neveux furent obligés de
le suivre dans cette voie. Non-seulement on employa de part et d’autre, la
fausseté, la corruption, la violence; mais on fit jouer un ressort dangereux
pour l’ordre monarchique même. Nous voulons parler de la féodalité naissante,
dont les rois croyaient pouvoir se faire un instrument, et qui devint pour eux
une cause d’abaissement et de faiblesse: car ils finirent par dépendre du bon
vouloir de leurs vassaux, et ceux-ci ne tardèrent pas à sentir que le pouvoir
n’était plus à la royauté, mais dans leurs propres mains. Le commencement de la
féodalité fut plutôt un effet qu’une cause de la décadence carolingienne; mais
les seigneurs féodaux achevèrent l’oeuvre,
lorsqu’ils se virent eux-mêmes consolidés.
M. Waitz, le plus récent des
auteurs qui ont écrit sur ce sujet, énumère et discute les faits qui, suivant
lui, ont occasionné la dissolution de l’empire. Il en trouve une première cause
générale dans le caractère toujours persistant de la royauté franque primitive.
Quoique fortifiée, cette royauté ne lui paraît pas avoir été suffisante pour
constituer et consolider un bon gouvernement et pour maintenir l’unité de la
monarchie carolingienne. Il indique comme deuxième cause le système de la
vassalité et des bénéfices, système qui rendit le chef de l’État dépendant du
bon vouloir, c’est-à-dire, de l’intérêt et de l’égoïsme des bénéficiers et des
vassaux. Il manquait, dit-il, au gouvernement de Charlemagne ce qu’il y avait
de bon dans le principe centralisateur et administratif des Romains. L’élément
politique romain était entièrement absorbé par l’élément germanique. L’unité et
l’ordre ne reposaient que sur la force de volonté de l’empereur, laquelle
était loin d’être despotique.
Cette appréciation peut être
exacte relativement aux pays conquis. La condition des Francs s’y était
considérablement modifiée; ces guerriers conquérants, mêlés à l’ancienne
aristocratie gallo-romaine, ne formaient plus un peuple libre, divisé par groupes,
délibérant sur les affaires publiques dans ses plaids locaux, et apportant au
roi ses dons annuels. Chaque individualité était devenue une puissance ou aspirait
à l’être. La royauté n’était plus un objet de vénération, mais un sujet d’envie
ou un instrument de fortune. Pour se maintenir dans ces conditions, nous sommes
portés à croire avec M. Waitz que la royauté germanique était insuffisante, et
que l’unité de l’empire exigeait un pouvoir plus fort; mais, relativement à
l’ancienne patrie des Francs, il serait peu juste de reprocher ù Charlemagne de
n’avoir pas fondé son gouvernement sur le principe centralisateur des Romains;
les instincts politiques de ce pays, qui tendaient à la fédération, ne furent
que trop contrariés par l’établissement de l’empire.
La fusion de l’Église et de
l’État, dit ensuite M. Waitz, loin de fortifier le pouvoir séculier ne fit que
l’affaiblir. L’Église tendait à l’absorption de l’État, ce qui lui était
d’autant plus facile qu’elle possédait une grande partie du territoire. On
oublie toujours ce que M. Guizot a si bien démontré que les évêques étaient les
représentants des populations gallo-romaines. La séparation de l’Église et de
l’État eût été, à cette époque, la rupture du lien qui unissait les deux
grandes fractions de l’empire. Comment Charlemagne parvint-il à former ce lien
et à l’empêcher de se briser? Ce fut en associant l’Église au gouvernement de
l’État. Qu'après cela l’absorption de l’État par l’Église ait été tentée avec
plus ou moins de succès par l’aristocratie ecclésiastique, c’était la
conséquence d’un ordre de choses inévitable, conséquence dont Charlemagne, tant
qu’il vécut, sut empêcher la réalisation.
M. Waitz signale encore comme
cause de la dissolution de l’empire les pouvoirs trop étendus accordés aux
fonctionnaires publics. Leur double qualité de possesseurs des terres qui leur
étaient concédées et de dépositaires des pouvoirs administratif et exécutif,
leur donnait un commandement absolu sur leurs administrés; les populations
dépendaient bien plus d’eux que du chef de l’État. Le lien entre celui-ci et le
peuple, qui ne le voyait que fort rarement, tendait à se relâcher de plus en
plus. Dans les pays d’immunité, on avait entièrement soustrait les habitants
au pouvoir du chef de l’État, en aliénant la juridiction aux possesseurs du
territoire : les habitants de ces pays n’étaient plus que les sujets de leurs
seigneurs. L’institution des missi dominici ne fut qu’un expédient, et ne
suffît pas pour maintenir l’ordre et pour assurer l’exécution des lois. Enfin
les assemblées nationales étaient mal organisées; leurs rapports avec le
pouvoir royal ou impérial étaient trop vagues et mal définis L
Malgré la suppression des
duchés, il y avait toujours des seigneurs trop puissants, à cause de la grande
étendue des pays gouvernés par les comtes. Dans les moments de crise et de perturbation,
ils se conduisaient en souverains, visant à l’indépendance. Il arriva même,
sous Louis le Débonnaire, par exemple, qu’ils firent la guerre avec succès au
chef de l’empire. Une autre cause de dissolution était l’antagonisme des
nationalités, qui se développa en conséquence de la séparation des pays
germaniques et gallo-romains, et de la formation des uns et des autres en États
distincts. Les moyens employés pour maintenir néanmoins l’unité de l’empire
n’étaient pas aussi forts que les tendances 1 une séparation complète. Enfin
les partages qui eurent lieu depuis 817, et les secousses que produisirent les
changements essayés par Louis le Débonnaire, achevèrent l’oeuvre de destruction, couronnée par le traité de Verdun.
Tel est le résumé des opinions
émises par M. Waitz sur les causes de la dissolution de l’empire. Suivant nous,
la première de toutes les causes politiques de ce désastre fut la loi
essentiellement défectueuse des successions. Cette loi fort ancienne, qui
autorisait le partage de la monarchie, aurait dû s’entendre dans le sens d’une
division gouvernementale et administrative, ne portant pas atteinte à l’unité;
mais elle fut appliquée de manière à diviser la souveraineté même. Il y avait
dans la société, depuis Louis le Débonnaire, deux forces qui se combattaient
incessamment: l’une, centripète, tendant vers l’unité, partait d’un bon principe,
mais elle était toujours exploitée par celui des rois qui croyait pouvoir
réaliser l’unité à son profit; l’autre, centrifuge, recevait son impulsion des
autres rois, qui voulaient être indépendants de celui qui portait la couronne
impériale. L’intérêt donnait à chacune de ces deux forces des partisans. Du
côté de la première se trouva toujours l’Église; l’unité était son grand
principe; elle y était tellement attachée, quelle finit par rétablir l’unité de
la société d’une autre manière, par la théocratie dite spirituelle et la
hiérarchie.
Après le traité de Verdun, le
mouvement de désorganisation prit le grand essor que l’on sait; il amena la destruction
non-seulement de l’un des royaumes que ce traité avait créés, mais de tous en
même temps. Cette destruction fut ce qu’on appellerait aujourd’hui la logique
des faits : car les progrès de la décadence de la monarchie étaient constants
et irrésistibles; les essais de restauration, quand ils n’avortaient pas, ne
pouvaient avoir que des résultats passagers. Il y avait une cause morale qui
favorisait essentiellement la marche progressive de la dissolution : c’était la
cupidité, commune à toutes les classes, cupidité qui elle-même n’était qu’un
effet naturel de l’état social.
Quand on considère l’état de
la société et de la civilisation dans la monarchie franque, depuis son origine,
on conçoit facilement que l’empire de Charlemagne ait dû finir, comme l’histoire
nous le montre, par une catastrophe. La population fut divisée dès le principe,
et par le fait de la conquête, en deux grandes catégories. La première se
composait des guerriers conquérants auxquels furent adjoints les Gallo-Romains
possesseurs de terres, Romani possessores, et
le clergé. Cette catégorie tout entière ne produisait rien. Elle diffère de la
seconde en ce que celle-ci vivait de travail matériel et devait en même temps
pourvoir à la subsistance des seigneurs tant laïques qu’ecclésiastiques. Les
hommes libres de l’un et de l’autre de ces ordres avaient besoin, pour jouir
d’une existence réellement libre et confortable, du travail de leurs sujets,
c’est-à-dire des serfs, des lètes et des tributaires de leurs domaines. Quant à
l’ancienne classe des hommes libres cultivant leurs terres et travaillant pour
faire subsister leurs familles, elle se maintint encore pendant quelque temps
dans les contrées germaniques, mais elle finit par disparaître partout. Il n’y
avait donc plus que des seigneurs et des esclaves, des riches et des pauvres.
La richesse, dans ce temps,
consistait dans la possession des terres et des hommes qui y étaient attachés.
Il n’y avait guère d’industrie ni de commerce un peu considérable. Les
seigneurs propriétaires étaient des consommateurs improductifs, la plupart
guerriers; d’autres ecclésiastiques, voués au service du culte et affranchis
par les lois mêmes de travaux matériels. Pour devenir riche, il fallait donc
acquérir des terres, mais par quels moyens? D’abord par la guerre : c’est par
elle, c’est-à-dire par la conquête, que les compagnons de Clovis et les
guerriers faisant partie des expéditions de ses fils acquirent leur fortune.
Ils devinrent seigneurs fonciers, en recevant leurs lots au partage des pays
conquis. Ceux d’entre eux qui avaient fait du butin en argent ou autres choses
de valeur, s’en servaient pour acheter des terres, ne fût-ce qu’un mansus. Plus on avait de territoire, plus on était
riche et considéré. Le désir d’avoir des possessions étendues devait être un
puissant stimulant pour les expéditions guerrières, car nous voyons que les
vocations ne manquaient jamais ù ces entreprises.
Il y eut des familles, comme
celles de saint Arnulphe et des Pépins, qui se trouvèrent ainsi possesseurs de latifundia, c’est-à-dire d’un grand nombre de villae, curtes, forestae, etc.,
tout comme ces anciens Romains dont les latifundia perdirent l’Italie.
Ces riches seigneurs formaient la classe des grands, avec les comtes et autres
fonctionnaires qui avaient la jouissance des domaines appartenant aux rois. Il
y en avait qui étaient propriétaires de villes, et qui y vivaient des
ressources que leur procuraient les redevances des artisans, serfs ou demi-libres. On conçoit du reste que cette classe d’hommes
libres aspirait à une vie aussi agréable et à une indépendance personnelle
aussi large que possible.
Une deuxième source de
richesse territoriale était celle des donations. Celle-ci parut d’abord
réservée à l’usage exclusif du clergé : les évêchés, les abbayes devinrent par
ce moyen de riches établissements fonciers, de véritables seigneuries. Mais les
guerres de famille entre les rois Mérovingiens eurent pour effet d’enrichir
aussi les partisans de ces rois, leurs leudes, par des actes de
libéralité. On a vu que les Mérovingiens, à force de donner, finirent par être
tout à fait pauvres; ils se laissèrent supplanter par les Optimates qu’ils avaient enrichis, et perdirent ainsi jusqu’à leur couronne. Charles
Martel et Pépin le Bref ne furent pas aussi imprudents; ils trouvèrent plus
convenable de donner à leurs guerriers la jouissance seulement, non de leurs
propres domaines, mais de terres qui appartenaient à l’Église. Quant à
Charlemagne, il fut toujours, par l’effet de ses conquêtes, dans le cas de
pouvoir enrichir ses fidèles soit par des donations d’alleux, soit par des
concessions de bénéfices. Ce genre de possession était presque aussi avantageux
que la pleine propriété, car il donnait tous les droits seigneuriaux, au moins
pendant la vie du gratifié.
Les guerres que Louis le
Débonnaire eut à soutenir contre ses fils, les guerres que ceux-ci se firent
entre eux, devinrent des sources de richesses pour ceux qui combattaient dans
les rangs du parti vainqueur, mais des causes de ruine pour les vaincus. Nous
savons, par exemple, que Charles le Chauve, pour s’attacher des partisans, se
dépouilla peu à peu de la majeure partie de ses domaines; mais d’autre part
nous savons aussi que le premier acte d’un roi victorieux était de priver les
vaincus de leurs bénéfices, sinon de confisquer leurs alleux. Aussi
voyons-nous que beaucoup d’hommes libres étaient peu fortunés, même pauvres. Obligés
de vivre sur les terres d’autrui, ils devenaient d’abord colons libres, mais
bientôt on les traitait à l’instar des serfs. La plupart se faisaient sujets
des monastères, en leur abandonnant leurs propriétés, qu’ils reprenaient à
titre de précarie.
La cupidité des chefs
militaires était si insatiable que Charlemagne, Louis le Débonnaire, ses fils
et petits-fils furent obligés de donner des abbayes en usufruit à leurs comtes et autres seigneurs pour les récompenser; ils les
firent abbés-comtes, abbacomites, malgré les
protestations et les récriminations de l’épiscopat. Il est certain que déjà à
l’époque du traité de Verdun, le territoire des trois royaumes était en majeure
partie dans les mains de grands seigneurs laïques et militaires et dans celles
des évêques et des abbés. Quant aux hommes simplement libres, ils avaient fait
leur temps, dit avec raison M. Himly, le système des alleux avait de plus en
plus fait place à celui des bénéfices. «Dans ce naufrage général de l’ordre de
choses primitif de la société franque, il n’était resté debout, outre la
royauté, que la double aristocratie du clergé et de la noblesse; qu’il voulût
ou non, c’était sur ces deux éléments qu’il fallait que Charlemagne constituât
son empire. Il le fit en effet, et toute son administration reposa sur l’emploi
simultané des évêques et des comtes. Partout et toujours, pendant son règne,
en administration, en justice, en ambassade, en guerre, ces deux immuables
serviteurs de la volonté impériale marchent côte à côte et agissent de concert.
Nous les trouvons comme missi, chargés d’examiner l’état des peuples,
d’entendre leurs plaintes, de vérifier leurs réclamations. Nous les retrouvons
comme membres des plaids, éclairant la décision de l’empereur de leurs lumières
et de leurs connaissances locales»
Cette importance donnée à la
double aristocratie- militaire et ecclésiastique ne servit qu’à affermir le
pouvoir des évêques et des leudes, et fit naître dans les esprits une
tendance qui devint bientôt générale et irrésistible vers le morcellement et la
décentralisation. La classe vulgaire des hommes libres, abstraction faite des
grands, était trop exiguë pour pouvoir soutenir les rois. Ceux-ci se trouvaient
par cela même dépendants des chefs militaires qui les suivaient lorsqu’il y avait
espoir de s’enrichir par des concessions bénéficiaires; mais cet espoir, sa
réalisation même, leur parurent bientôt insuffisants, ils voulurent conserver
ce qu’ils acquéraient ainsi, et le transmettre à leurs héritiers.
L’hérédité des bénéfices
s’introduisit peu à peu par la coutume, jusqu’à ce que Charles le Chauve (celui
des rois qui fut le plus dépendant de ses leudes à cause de ses entreprises
réitérées), se vit obligé de déclarer les comtés mêmes transmissibles aux
héritiers des comtes. En 877, le système féodal fut fait et consolidé pour
toujours dans le royaume occidental des Francs. Il s’acheva vers le même temps
dans la Lombardie, et puis successivement dans tous les royaumes issus de
l’empire carolingien.
Le partage de cet empire fut
lui-même, comme nous l’avons démontré, l’élément le plus actif de sa
dissolution. Un poète du neuvième siècle, Florus, l’a dit avec raison : Au lieu
d’un vrai et grand roi, l’on n’eut plus que des roitelets A Ces monarques, dont
la puissance s’affaiblissait de plus en plus, devaient tomber comme avaient
fait les Mérovingiens.
Il est assez inutile de
s’enquérir des autres causes qui ont pu contribuer à la décadence et à la chute
des Carolingiens. La marche naturelle et dissolvante du développement social,
telle que nous venons de la décrire, contient à elle seule la solution du problème.
Dans tous les cas, les autres causes n’ont pu être que secondaires. Telles
furent d’abord les invasions des peuples barbares; en second lieu les rivalités
des Carolingiens entre eux, et surtout l’ambition de Charles le Chauve,
toujours enclin à annexer à son royaume l’une ou l’autre partie des États de
ses frères. Cette dernière cause deviendra évidente par les récits des
événements qui amenèrent la chute de la dynastie. Jetons d’abord un coup d’œil
sur les invasions normandes.
2.
INVASIONS DES NORMANS.
Le tableau que nous venons de
tracer de la dissolution de l’empire serait incomplet, si nous omettions d’y
faire figurer les invasions des Normans. De toutes les entreprises de cette
nature tentées par les barbares, celles des hommes du Nord furent les plus
fréquentes et les plus terribles. Sous la dénomination de Normans on désigne en
général les Danois, les Suédois, les Norvégiens, tous les peuples Scandinaves.
C’est cette forte race d’hommes qui aujourd’hui encore fournit les marins les
plus robustes et les plus intrépides. Depuis longtemps déjà l’on avait vu les
pirates du Nord faire des excursions sur les côtes de la Gaule; mais ces
courses désordonnées commencèrent à prendre un caractère politique vers la fin
du règne de Charlemagne.
Les peuples de ces contrées
septentrionales avaient conçu une antipathie très-vive contre la religion
chrétienne que Charlemagne et Louis le Débonnaire avaient voulu leur faire
adopter, et surtout contre les prêtres chrétiens, qui avaient essayé de
s’introduire dans leur pays. Ce sentiment de haine, joint à la certitude de
trouver des richesses dans les couvents et les églises, explique le pillage et
la dévastation de tous les établissements religieux qu’ils rencontrèrent sur
leur passage.
Il faut se rappeler aussi
qu’un grand nombre de Saxons, poursuivis par les Francs, s’étaient enfuis vers
le Nord; Witikind lui-même, le chef illustre de cette
nation, avait cherché un refuge chez les Normans. Charlemagne, irrité par des
insurrections continuelles, qui avaient leur foyer dans le Jutland, se laissa
entraîner au-delà de l’Elbe et porta la guerre jusque sur le territoire danois.
A dater de cette époque, les princes du Nord semblent avoir pris la résolution
de se venger de cet empire qui menaçait d’embrasser l’Europe entière dans ses
limites. Ce qui n’était d’abord que piraterie, désir d’aventures et de lucre,
se transforma en hostilités implacables. Les Normans ou Danois n’attendirent
point que l’empire fût tombé en décomposition pour l’attaquer; ils commencèrent
à le battre en brèche lorsqu’il était encore dans toute sa force et sa
splendeur.
Nous ne nous occuperons pas
des premières expéditions que firent les pirates Normans sur les côtes de Flandre
et même sur les côtes méridionales de France; rien ne prouve que ces
expéditions particulières eussent un rapport direct avec les desseins des
princes danois. Cependant Charlemagne, dès l’année 800, y vit un symptôme de
danger assez grand, pour se mettre en mesure d'y résister. «Il partit d’Aix-la-Chapelle
vers le milieu de mars, dit Eginhard, parcourut les rivages de l’Océan
gallique, établit une flotte dans ces parages que les Normans infestaient alors
de leurs pirateries, et disposa des garnisons sur la côte...»
La suite des événements
prouva que ces précautions n’étaient pas inutiles. Godfrid, roi des Danois,
ayant tenté vainement, en 808, d’envahir par la voie de terre le pays des
Saxons, qui faisait partie de l’empire, prit le parti d’attaquer ce colosse par
les voies maritimes. Charlemagne, qui était à Aix-la-Chapelle, se disposait ù
aller faire une campagne contre lui, lorsqu’il apprit que les Normans avaient
abordé en Frise avec une flotte de deux cents vaisseaux et ravagé toutes les
îles du littoral; que leur armée s’était même avancée sur le continent et
qu’ils avaient livré aux Frisons trois combats; que, vainqueurs, ils avaient
imposé un tribut aux vaincus, et que déjà les Frisons avaient, comme
tributaires, payé cent livres d’argent; que, quant au roi Godfrid, il était
resté dans ses États.
Cette expédition est un
événement extrêmement grave dans l’histoire des Francs; les historiens n’y ont
pas attaché assez d’importance, nous semble-t-il. C’était au coeur même de l’empire que les Normans venaient porter la
guerre; ils se disposaient à marcher sur Aix-la-Chapelle. «Le roi Godfrid, dit
Eginhard, allait jusqu’à se promettre l’empire de toute la Germanie; il
regardait la Frise et la Saxe comme des provinces qui lui appartenaient. Déjà, après
avoir soumis les Abodrites ses voisins, il les avait
rendus ses tributaires et il disait même hautement qu’Aix-la-Chapelle, où le
roi tenait sa cour, le verrait bientôt arriver avec une armée formidable.
Quelque vaines que fussent ces menaces, ajoute le même auteur, on n’était pas
entièrement éloigné d’y croire, et l’on pensait même qu’il aurait tenté
quelque chose de semblable s’il n’eût été prévenu par une mort prématurée»
Ce qui prouve combien
l’invasion de la Frise par les Normans était sérieuse, c’est que Charlemagne
partit immédiatement d’Aix-la-Chapelle et passa de l’autre côté du Rhin, où il
attendit que ses troupes fussent arrivées. Lorsque son armée se trouva réunie,
il se porta à marches forcées sur l’Aller, dressa sou camp au confluent de cette
rivière avec le Weser, et attendit l’effet des menaces de Godfrid, qui se targuait
de vouloir combattre l’empereur en bataille rangée.
Cette affaire si grave se
termina d’une manière bien simple et bien imprévue, si l’on en croit les
chroniques. Godfrid fut assassiné par un des siens, et la flotte normande se
retira des côtes de Frise. Mais il est évident que nous ne savons pas tout. Une
pareille entreprise ne se dissipe pas ainsi comme un brouillard du matin. La
mort violente du roi Godfrid indique seule l’existence d’une intrigue
politique, dont on chercherait vainement aujourd’hui à ressaisir le fil. Ce qui
se passa après la mort de Godfrid le prouve également. Ce fut un de ses neveux
qui lui succéda au détriment de ses fils, qui furent exilés. Hemming, fils de
son frère, dit Eginhard, le remplaça sur le trône et fit la paix avec
l’empereur. Remarquons que la paix était arrêtée entre Charlemagne et Hemming,
lorsque des conférences furent ouvertes sur les bords de l’Eyder,
entre douze comtes de la nation des Francs et douze des principaux personnages
danois. Parmi ces derniers se trouvaient les frères de Hemming, et pas un des
fils de Godfrid. Il s’agissait, dans cette réunion, de confirmer la paix
suivant les formes usitées à cette époque, et d’en régler définitivement les
conditions.
Charlemagne, qui veillait à
la sécurité de l’empire avec autant d’intelligence que d’activité, continua les
préparatifs de défense qu’il avait commencés dès avant l’expédition de Godfrid.
Il avait ordonné, l’année précédente, de construire une flotte; voulant
l’inspecter lui-même, il se rendit à Boulogne, où les vaisseaux étaient
rassemblés. Il restaura le phare qui avait été autrefois établi dans ce port et
fit allumer au sommet un fanal nocturne. De là il se dirigea vers les bords de
l’Escaut, et vint à Gand, où il inspecta également les navires construits pour
la même flotte. Si l’on en croit les annales de Metz, Charlemagne aurait vu de
Gand les vaisseaux des Normans, et l’on en a conclu que cette ville devait être
à cette époque un port de mer. Bien certainement les eaux de l’Escaut étaient
alors beaucoup plus considérables qu’elles ne sont aujourd’hui, et l’effet de
la marée montante devait être plus sensible. Il n’est donc pas invraisemblable
que des pirates danois aient pu remonter le fleuve et se trouver en vue de
Gand, lorsque Charlemagne visita ce port; mais Eginhard, qui raconte aussi
cette visite de Charlemagne à Gand, n’en dit pas un mot; ce qui permet de
penser que, si le fait est vrai, il était considéré comme étant sans
importance.
Au reste, la paix avec le
nouveau roi des Danois était parfaitement établie et consolidée. Charlemagne,
en rentrant à Aix-la-Chapelle, y trouva les députés d’Hemming, qui vinrent à sa
rencontre, lui apporter les présents de leur maître . Mais peu de temps après,
le roi Hemming cessa d’exister. Il y eut alors en Danemark une guerre intestine
pour la succession au trône, entre les neveux du roi Godfrid et ceux du roi Heriold; ces derniers l’emportèrent. Heriold et Reginfrid, proclamés rois des Danois, envoyèrent
une ambassade à l’empereur, pour demander la paix et le prier de leur rendre
leur frère Hemming. L’empereur accéda à leur désir; il envoya quelques
personnages de distinction, choisis parmi les Francs et les Saxons, vers les
limites du pays des Normans. Les Danois, de leur côté, envoyèrent au lieu
désigné un nombre égal des principaux de leur nation; on prêta serment de part
et d’autre; la paix fut confirmée et le frère des rois danois leur fut rendu
par les Francs.
Heriold et Reginfrid ne régnèrent pas longtemps. Les fils du roi Godfrid, de celui qui avait
entrepris de faire la guerre à Charlemagne, s’étaient retirés en Suède. Ils
profilèrent d’un moment où les nouveaux rois s’étaient rendus avec une armée
dans le Westerfulde, la contrée la plus reculée de
leurs États, pour rentrer dans le royaume. Les habitants de toutes les parties
du Danemark accoururent en foule sous leurs drapeaux; ils marchèrent contre les
deux rois et n’eurent pas de peine à les chasser du pays.
L’année suivante, Heriold et Reginfrid rassemblèrent de nouvelles forces pour aller reconquérir la couronne qu’ils
avaient perdue. Reginfrid perdit la vie dans cette
entreprise; l’aîné des fils de Godfrid fut également tué.
Hériold, resté seul
prétendant, s’adressa à l’empereur pour lui demander des secours. Il se recommanda
entre ses mains, c’est-à-dire qu’il abdiqua son indépendance et devint le
fidèle du maître Charlemagne n’existait plus alors; mais sa politique lui
avait survécu, quoique avec des allures moins vives, moins décidées. Louis le
Débonnaire reçut l’acte de soumission du prince danois, et l’année suivante il
envoya une armée contre les Normans, pour le rétablir sur le trône de Danemark.
Cette armée parvint jusqu’à l’extrémité du Jutland; mais elle ne put atteindre
les fils de Godfrid, qui s’étaient retirés avec leurs troupes dans une des îles
Scandinaves, sous la protection d’une flotte de deux cents navires.
Cette guerre dura plusieurs
années. En 817, les fils de Godfrid, fatigués de la lutte, envoyèrent une
ambassade à l’empereur pour lui demander la paix, promettant de l’observer
fidèlement. Leur proposition fut rejetée, et l’on envoya de nouveaux secours à
Hériold. De leur côté, les Danois firent entrer leur flotte dans l’Elbe; elle
remonta le fleuve jusqu’au château d’Essefeld,
aujourd’hui Itzehoc, dans le Holstein, et ravagea
toute la rive de la Stoer. Se voyant dans l’impossibilité
de l’emporter par la force, Hériold eut recours à l’intrigue. Il s’entendit
avec deux des fils de Godfrid, pour partager l’autorité et expulser les deux
autres, qui occupaient le trône. Eginhard, qui fait mention de cette intrigue,
rapporte que, sur l’ordre de l’empereur, Hériold fut reconduit jusqu’à ses
vaisseaux, et qu’il se dirigea par mer vers son pays, dans l’espoir d’en
reprendre le gouvernement mais il ne dit pas quel fut le résultat de
l’expédition.
Il est vraisemblable qu’Hériold
commença par échouer dans son entreprise, car nous voyons, en 820, treize
vaisseaux de pirates, partis du pays du Nord, essayer de piller les côtes de
Flandre. Ils furent repoussés, dit Eginhard, par ceux qui tenaient garnison
dans le pays; cependant la négligence des gardes fut cause qu’ils brûlèrent
quelques chaumières et enlevèrent un peu de bétail. Ils firent les mêmes
tentatives à l’embouchure de la Seine, et sur les côtés de l’Aquitaine, où ils
ravagèrent entièrement le bourg de Bonin, dans file de ce nom. Ils retournèrent
dans leur pays, chargés d’un butin considérable .
Cependant un arrangement
intervint entre Hériold et les fils de Godfrid; il fut admis à partager
l’autorité avec eux, c’est-à-dire qu’ils lui cédèrent une partie de Jutland.
Eginhard attribue à cet arrangement la paix qui s’établit en 821; nous voyons
en effet que, l’année suivante, des ambassadeurs normans viennent, au nom d’Heriold et des fils de Godfrid, se
présenter à l’empereur, dans l’assemblée générale tenue à Francfort. Mais en
823, Hériold lui-même et seul se rend à l’assemblée de Compiègne pour
solliciter des secours contre les fils de Godfrid, qui menaçaient de le chasser
de ses États. La bonne harmonie était donc rompue, et il n’est pas difficile
d’en pénétrer la cause, quand on voit revenir en même temps du Danemark le
célèbre archevêque Ebbo, frère de lait de l’empereur Louis.
On s’était flatté
d’introduire le christianisme en Danemark, à la suite du prince qui s’était
soumis à la suzeraineté de l’empereur. Ebbo était allé à Rome, en 822, prendre
une commission du pape pour prêcher l’évangile aux Normans; il s’était ensuite
rendu dans le Jutland avec Hériold ; il avait converti et baptisé un certain
nombre d’habitants de ce pays. Mais les espérances qu’on avait fondées sur ses
prédications et sur la conversion de quelques-uns des Danois, ne tardèrent pas
à s’évanouir; la haine du christianisme se réveilla plus forte que jamais dans
la masse de la population; Ebbo fut chassé, et Hériold lui-même obligé de
prendre la fuite.
Cependant il ne paraît pas
que la guerre fût immédiatement reprise contre les fils de Godfrid. Leurs ambassadeurs
figurent à l’assemblée générale d’Aix-la-Chapelle en 825; Eginhard dit même que
l’empereur leur donna audience, et qu’au mois d’octobre suivant il fit
ratifier, sur la marche de leur territoire, la paix qu’ils avaient demandée.
L’année suivante, 826, nous retrouvons encore les ambassadeurs des fils de
Godfrid à l’assemblée d’Ingelheim; et cette fois
Eginhard dit qu’ils venaient demander à l’empereur un traité de paix et
d’alliance. La paix n’était donc pas définitivement conclue; mais il n’y avait
pas non plus d’hostilités flagrantes; on négociait. Il est remarquable que
pendant toute la durée de cette espèce d’amnistie, les chroniques ne font
mention d’aucun acte de piraterie exercé par les Normands sur les côtes de
l’empire; ce qui prouve bien qu’à peu d’exceptions près, les expéditions qu’on
a attribuées à des pirates normans, étaient, dans le
principe, des actions de guerre. Les pillages, les incendies, les excès de
toute espèce dont ces actions furent accompagnées n’en changent pas la nature.
La guerre ne se faisait pas autrement à cette époque; c’est ainsi qu’avaient
opéré Charlemagne et ses prédécesseurs, Charles Martel et autres. La seule
différence qui distingue, sous ce rapport, les Normans des Francs, c’est que
ceux-ci envahissaient par terre les pays voisins, tandis que les Normans y
venaient par mer.
Au mois d’octobre de cette
année 826, Hériold qui n’avait plus guère de chance de rentrer en Danemark, se
décida à embrasser le christianisme. Il se rendit à Mainz avec sa femme et une
suite nombreuse de Danois; ils y furent tous baptisés en grande pompe dans
l’église de Saint-Alban, comme nous l’avons déjà dit plus haut. A cette
occasion Hériold fut comblé de présents par l’empereur, qui lui donna le comté
de Rustringen, sur la rive gauche du Weser, dans la
Frise orientale. C’était une retraite que Louis le Débonnaire voulait lui
assurer, pour le cas où il ne parviendrait plus à remonter sur le trône du Danemark.
Plus tard Hériold eut, en outre, le gouvernement de Dorestadt, Wyk-te-Duurstede; son frère
Hemming eut celui de l’île de Walcheren, et son autre frère Roric,
le gouvernement du pays de Kennemar. Les trois frères
devaient défendre les côtes de cette partie de l’empire.
En 827, l’empereur alla tenir
une assemblée générale à Nimègue, tout exprès pour y recevoir Horik, l’un des fils de Godfrid, qui avait promis de s’y
présenter. Il espérait sans doute en obtenir un consentement à la
restauration d’Hériold; mais le prince danois ne vint pas, et l’on apprit que
les fils de Godfrid persistaient dans leur résolution de ne plus admettre
Hériold au partage du royaume. Cependant les négociations ne furent pas encore
rompues ; on se borna à les faire appuyer par des préparatifs menaçants. Au
printemps de l’an 828, les comtes de presque toute la Saxe se réunirent aux comtes des marches sur la frontière du Danemark; un traité
de paix fut conclu et même garanti par des otages; mais Hériold, soit qu’il fut
trop pressé d’agir, comme dit Eginhard, soit qu’il fut mécontent des clauses du
traité, porta le pillage et l’incendie dans quelques villages danois. A cette
nouvelle, les fils de Godfrid rassemblent des troupes à la hâte, s’avancent
dans la marche, et traversant l’Eider, attaquent à l’improviste les Francs et
les Saxons, campés sur les rives de ce fleuve, les chassent de leurs retranchements
et les mettent en fuite.
Après cet exploit, qui avait
été provoqué par la conduite d’Hériold, les fils de Godfrid s’empressèrent
d’envoyer une ambassade à l’empereur pour lui exposer les faits, et lui offrir
les réparations qu’il croirait juste d’exiger d’eux, protestant de leur désir
de conserver la paix avec les Francs. Aucune résolution ne fut prise. On a
déjà pu voir combien Louis le Débonnaire affectionnait la politique d’atermoiement;
mais l’année suivante, 829, on apprit que les Normans s’apprêtaient à envahir
les contrées de la Saxe situées au-delà de l’Elbe, et que l’armée qu’ils
avaient réunie dans ce but s’approchait des frontières. Alors l’alerte fut
donnée; l’empereur envoya des émissaires dans toutes les parties de ses États,
et ordonna à toute la nation des Francs de lui fournir des hommes d’armes,
annonçant qu’il traverserait le Rhin à Neuss, vers le milieu de juillet. Mais
on sut bientôt que cette prétendue invasion des Normans n’était qu’un vain
bruit, et la politique de Louis rentra dans son ornière.
Ici se termine la série des
renseignements donnés par Eginhard. Il est à regretter qu’elle n’aille pas plus
loin, car ces renseignements jettent un grand jour sur l’origine et la nature
des invasions normandes. On a trop généralisé, lorsqu’on a représenté ces
invasions comme n’ayant d’autre but que la piraterie; elles furent, en premier
lieu, une suite naturelle de la guerre entreprise par le roi Godfrid et
continuée par ses fils. Leur but était de jeter la terreur au sein de l’empire
et de le rendre incapable de poursuivre son mouvement d’extension vers le nord.
Que plus tard ces expéditions aient dégénéré en piraterie, on ne saurait guère
le contester; ce fut une conséquence des succès obtenus par les Normans, de
l’état de décomposition dans lequel tomba l’empire, et de cette circonstance
particulière que les rois Danois n’avaient pas entendu faire une guerre de
conquête, et qu’ils ne fondèrent point d’établissements dans la Gaule.
Après les Annales d’Eginhard,
nous n’avons plus pour nous guider que des chroniques d’abbayes, rapportant les
faits locaux avec exactitude, mais pleines d’erreurs et de fables sur les faits
généraux et surtout sur les choses politiques. Nous n’essayerons pas de les
suivre dans des détails dont l’importance relative est minime et qui d’ailleurs
ont été recueillis par Depping. Nous nous bornerons à
constater les principaux résultats des opérations de guerre proprement dites.
C’est en 830 seulement, après la rupture de toutes les négociations de
l’empereur avec les fils de Godfrid, que les hostilités commencent d’une
manière sérieuse. Les Normans descendent alors sur la côte de Frise et dans
l’île de Noirmoutier, vers l'embouchure de la Loire. En 841, ils entrent dans
la Seine; en 844, dans la Garonne.
Les premières expéditions des
Normans furent dirigées vers les pays gouvernés par Hériold et ses frères, ces
anciens ennemis de la famille de Godfrid. Ils vinrent débarquer, en 837, dans
l’île de Walcheren; Eginhard, comte du pagus, et Hemming, frère
d’Hériold, voulurent s’opposer à leur débarquement, mais l’un et l’autre furent
tués dans le combat. Les Normans ravagèrent le pays d’Utrecht, Dorestadt, Anvers et Witla,
La Brielle, à l’embouchure de la Meuse.
Ceux qui étaient descendus
dans l’île de Noirmoutier entrèrent dans la Loire ; ils prirent d’assaut la
ville de Nantes, et étendirent leurs ravages au loin, sans rencontrer
d’obstacles. Mais les Normans qui pénétrèrent dans la Garonne eurent à
combattre le duc de Gascogne, Tortile, qui marcha contre eux. La victoire resta
de leur côté, et Tortile fut mis en fuite. Ils parcoururent toute la Gascogne,
et poussèrent leurs excursions jusqu’à Tarbes et Toulouse. La première de ces
villes avait une forteresse, résidence des ducs de Bigorre; la ville était
d’ailleurs entourée de murs et de fossés; cela ne l’empêcha point d’être prise
et saccagée. Toulouse et Périgueux eurent le même sort. Les Normans remontèrent
le cours de la Charente jusqu’à Limoges; puis revenant dans la Garonne, ils
pillèrent Bordeaux de fond en comble et la livrèrent aux flammes.
C’est dans la Seine que se
passèrent les plus grands événements de cette époque. Déjà en 841 une flotte de
Normans était entrée dans ce fleuve, avait surpris et saccagé Rouen et détruit
tous les monastères établis sur les deux rives depuis Rouen jusqu’à la mer. En
845, cent vingt navires Nonvégiens, conduits par le
célèbre Ragner-Lodbrog, remontent le cours de la Seine
d’abord jusqu’à Charlevanne, et puis jusqu’à Paris.
Les troupes du roi viennent les attaquer dans le premier de ces lieux; elles
sont battues, et s’en vont couvrir l’abbaye de Saint-Denis, où Charles le
Chauve est fort heureux de trouver un refuge. Si l’on en croit Depping, cette abbaye était la place la plus forte du
royaume, et les faits viennent à l’appui de son assertion : car les Normans
prirent Paris, pillèrent la cité, ainsi que les monastères de Sainte-Geneviève
et de Saint-Germain, et ils ne firent aucune tentative contre Saint-Denis. Il
est vrai que le péril fut conjuré à prix d’argent. Le roi Charles entra en
négociation avec le chef des Normans, qui vint à Saint-Denis, accompagné de ses
lieutenants. Il fut convenu qu’on lui payerait une somme de sept mille livres
pesant d’argent, moyennant quoi il consentait à se retirer.
Quand Lodbrog rentra dans son pays, rapportant les dépouilles de la Neustrie, étalant des
débris du toit de Saint-Germain et jusqu’aux serrures des portes de Paris, il y
eut fête à la cour du roi Horik, ce qui prouve une
fois de plus qu’il y avait dans ces expéditions autre chose que de la
piraterie; que c’était, comme nous l’avons déjà dit, une guerre de puissance à
puissance. Les pirates ne prennent pas des villes d’assaut, ne livrent pas
des batailles, ne défont pas des armées. Cette lutte est d’ailleurs
caractérisée par un acte solennel, le conventus apud Marsnam : les rois
Francs réunis à Meersen, en 847, y décident qu’ils enverront des députés au roi Horik, pour lui demander la paix. On voit que depuis
Charlemagne les temps étaient bien changés. Horik ne
répondit à la proposition des petits-fils de ce grand homme, qu’en envoyant une
flotte dans l’Elbe pour déraciner le christianisme, brûler les églises bâties
par saint Anschaire et expulser les missionnaires chrétiens.
Les Normans qui participèrent
à la dévastation de la Gaule n’étaient pas tous sujets du roi Horik. Plusieurs expéditions eurent lieu sous le
commandement d’Hériold et des princes de sa famille, qui avaient été expulsés
du Danemark. Ces expéditions étaient parties des contrées maritimes que l’on
confond habituellement sous le nom de Frise. Cependant la Frise elle-même
paraît avoir été pillée et ravagée plusieurs fois pendant la période normande.
C’est une partie de l’histoire sur laquelle il règne une obscurité que Depping n’a pas réussi ù dissiper; mais de l’ensemble des
données historiques qu’il a recueillies on peut, nous semble-t-il, déduire les
faits suivants :
Hériold et son frère Roric, à qui Louis le Débonnaire avait cédé une partie de
la Frise, voulurent profiter du désordre général de l’empire, pour étendre
leur domination sur les contrées voisines, notamment sur le littoral de la
Flandre. Dès l’an 846, les abbayes de Saint-Pierre et de Saint-Bavon à Gand
furent menacées de leurs incursions, et les religieux durent chercher un refuge
à Saint-Omer, qui était une place fortifiée. Le monastère de Saint-Bavon fut
détruit et brûlé en 854. Ce sont probablement ces expéditions qui indisposèrent
contre la famille d’Hériold le roi Lothaire. Il la fit chasser du pays et remplacer
par des comtes francs. Hériold fut tué; mais Roric et
un fils d’Hériold, nommé Godfrid, parvinrent à armer quelques navires et à
rassembler des forces suffisantes pour rentrer dans leurs possessions. Cette
espèce de guerre civile fut nécessairement funeste aux habitants; Dorestadt, qui était la localité principale, fut prise et
reprise plusieurs fois; le pays entier fut ravagé.
Mais là ne se bornèrent point
les exploits des successeurs d’Hériold. Roric entre
dans la Loire, en 851 : Nantes est reprise et saccagée pour la seconde fois;
Angers succombe ensuite. Il va assiéger le Mans et envoie un gros détachement
contre Tours; cette ville n’est sauvée que par l’effet d’un débordement subit
de la Loire et du Cher. L’année suivante Godfrid entre dans la Seine; Lothaire
et Charles réunissent leurs forces pour le chasser, mais vainement; il y reste
jusqu’au mois de juin 853 et il n’en sort que pour aller rejoindre Roric dans la Loire. La dévastation s’étendit alors dans la
haute Bretagne, l’Anjou, le Maine, le Poitou, la Touraine. Nantes, Angers et
Tours furent livrées aux flammes.
Après la mort de Lothaire,
son fils Lothaire II, cédant à la nécessité, renonça, en faveur de Roric et de Godfrid, à la partie de la Frise qu’ils
occupaient, y compris sans doute les annexions qu’ils y avaient faites. Mais
alors revinrent les Normans, qui étaient toujours les ennemis de la famille
d’Hériold. Ils envahirent la Frise à leur tour; Dorestadt fut encore une fois saccagée; Utrecht et la province de Hollande eurent
également à souffrir de cette incursion. Ils allèrent ensuite porter la terreur
dans d’autres pays, sur les rives de la Seine ou de la Loire.
Cette concurrence entre les
Normans du Nord et les Normans de la Frise, qui se combattaient mutuellement,
jette une confusion étrange dans les récits des chroniqueurs. La confusion
augmente encore après la mort du roi Horik, qui fut
détrôné et tué, à ce qu’il paraît, par une faction ennemie. On ne distingue
plus, à dater de cette époque, le but politique de la guerre; les chefs des
diverses expéditions paraissent agir pour leur propre compte, abstraction faite
des intérêts de leur pays, et ne chercher qu’à acquérir des richesses; en un
mot la qualification de pirates, que l’histoire leur a donnée, devient une
vérité.
Nous ne pousserons pas plus
loin, pour le moment, le récit des expéditions normandes, le cadre de ce
mémoire ne nous permettant pas de nous étendre longuement sur ce qui est
étranger à l’histoire de la Belgique. Toutefois, nous aurons occasion de
revenir à ce sujet, lorsque nous parlerons de la grande invasion de l’an 879,
de l’occupation de notre pays, pendant plusieurs années, par les hommes du
Nord, et enfin de leur expulsion et de la bataille de Louvain de 891.
3.
GUERRES INTESTINES.
Nous avons indiqué comme
causes secondaires de la décadence de l’empire, outre les invasions des
Normans, les rivalités des fils de Louis le Débonnaire et surtout l’ambition
de Charles le Chauve. Il nous suffira d’exposer brièvement les faits pour faire
voir combien leur coïncidence avec les invasions normandes dût contribuer à la
catastrophe.
On se rappellera sans doute
qu’en 839, Louis le Débonnaire avait donné l’Aquitaine à son fils Charles, et
que la majorité des seigneurs du pays prêta serment au jeune roi. Mais les
fils de Pépin I(Pépin II et Charles) y avaient toujours leurs
partisans. A la mort de Louis, avant la bataille de Fontenai, Pépin avait
essayé de s’emparer de l’Aquitaine. Bien qu’il ne réussît pas tout à fait, il
demeura néanmoins en possession d’une partie du pays. Vainqueur de Charles le
Chauve au siège de Toulouse, en 844, il obtint de celui-ci, l’année suivante,
qu’il lui abandonnât le royaume d’Aquitaine, à l’exception du Poitou, de la
Saintonge et de l’Angoumois, que Charles fit gouverner par un duc.
Pépin s’étant rendu odieux
aux Aquitains, Charles est rappelé en 848, mais abandonné deux ans après. Pépin
rétabli s’associe aux Normans et même aux Sarrasins d’Espagne. Cela ne l’aide
guère à se consolider, car déjà en 852, les Aquitains retournent sous la domination
de Charles le Chauve. Pépin se réfugie alors auprès de Sanche, duc de Gascogne;
mais il est livré à son ennemi, qui le fait enfermer au couvent de Saint-Médard,
à Soissons. Son frère Charles avait subi le même sort dès l’an 848: retenu
d’abord à la cour de Lothaire d’où il s’était évadé, il avait été tonsuré et
enfermé à Corbie.
En 853, les Aquitains sont
déjà fatigués de Charles le Chauve; ils appellent Louis, fils du Germanique,
qu’ils abandonnent aussitôt. Les deux fils de Pépin I, échappés de
leur prison, reparaissent dans le pays, et y sont reçus favorablement; c’est en
vain que Charles veut les chasser. Cependant, en 855, les Aquitains reviennent
à lui, et reconnaissent pour roi son fils Charles; mais dans l’année même ils
rappellent Pépin, l’abandonnent de nouveau, recherchent encore une fois la
protection de Louis le Germanique, et voyant celle-ci leur faire défaut, ils
redemandent le fils de Charles qui, à peine restauré est supplanté par Pépin.
Après sept années de guerre,
en 860, Pépin est fait prisonnier et enfermé définitivement; il meurt en prison
peu de temps après. Le jeune Charles étant mort aussi, en 866, son père reprit
la couronne d’Aquitaine et la conserva; il eut le bonheur de transmettre le
royaume à son successeur naturel. Tous ces changements avaient fait naître dans
le pays un esprit d’anarchie qui en rendait le gouvernement fort difficile. Il
fut, dans la suite, administré par des comtes dits de Toulouse.
Outre ces luttes avec les
fils de son frère Pépin, Charles le Chauve eut encore des contestations et des
brouilles avec ses propres fils. D’abord, en 862, Louis et Charles, qui
s’étaient mariés sans son consentement, furent excités à la révolte par les
comtes d’Auvergne et de Bourges, parents de leurs femmes. Louis alla rejoindre
Salomon, roi de Bretagne et ennemi de son père; attaqué et battu par Robert le
Fort, il fit sa soumission dans l’année même. Charles implora et obtint son
pardon en 863. Une dissension plus grave éclata entre Charles le Chauve et son
fils Carloman, qu’il avait voué depuis son enfance à l’état ecclésiastique et
qui plus tard fut fait diacre malgré lui. Carloman, ordonné prêtre en 804 dans
la riche abbaye de Saint-Médard, devint abbé de ce monastère; mais son père le
chargea, en 868, de conduire une troupe de gens de guerre contre les Normans;
l’abbé prit goût à la vie militaire, il paraît même qu’il mena une vie assez
licencieuse.
Accusé, en 870, d’avoir
conspiré contre son père, il fut arrêté, destitué de ses bénéfices et enfermé à
Senlis. Mis en liberté, il s’enfuit et alla vivre de brgandage, tantôt,
paraît-il, en Belgique, tantôt en Lorraine. Lui et ses compagnons furent
excommuniés par les évêques de la province de Senlis, qui l’avaient ordonné
prêtre. Revenu auprès du roi, en 871, il fut de nouveau mis en prison à Senlis.
Alors le pape Adrien II intervint en sa faveur et écrivit au roi, pour
l’engager à le réintégrer dans ses charges et bénéfices jusqu’à ce qu’il eût
été jugé par le saint-siège; il défendit aux évêques
de l’excommunier. Mais ni le roi ni les évêques ne tinrent aucun compte de
cette intervention: dans un synode réuni en 873, Carloman fut dégradé de la
prêtrise, et dans un second synode il fut condamné à la peine de mort. Cette
condamnation ne reçut pas d’exécution; mais le roi, lui ayant fait arracher les
yeux, le fit détenir dans un couvent à Corbie. Délivré de prison par ses partisans
en 874, il s’enfuit chez son oncle Louis le Germanique, qui lui donna l’abbaye
d’Epternach, dans le diocèse de Trêves, aux
frontières de la Belgique. II y mourut peu de temps après.
Les dissensions des rois
Carolingiens entre eux, depuis l’an 843, furent en grande partie les effets de
la politique à la fois déloyale et insensée de Charles le Chauve. Insatiable de
conquêtes, évidemment poussé par le désir de réunir tout l’empire carolingien
sous son sceptre, il fit ce qu’avait fait longtemps son frère Lothaire.
Cependant plusieurs assemblées des trois frères eurent lieu dans le but de
conserver et de fortifier l’union entre eux, ainsi que l’unité de l’empire. La
première se tint à Juts près de Thionville en 844; il
y en eut deux autres à Meersen, en 847 et 851. Lothaire et Charles tinrent des
réunions à Coblence, en 848, et se jurèrent amitié, en 849, ù Péronne. Lothaire
fut parrain d’une fille de Charles, en 853, et eut à Liège, en 854, une
conférence avec ce dernier, qui s’était méfié des intentions de leur frère
Louis le Germanique. Enfin l’on connaît l’assemblée de Coblence où les trois
frères se réunirent en 860.
Ces démonstrations de
bienveillance mutuelle n’empêchèrent pas que Charles, au grand mécontentement
de Lothaire, ne donnât asile en 846 au comte Gislebert ou Gisalbert,
qui avait enlevé la fille de ce dernier, et plus tard à Teutberge, épouse
répudiée de Lothaire II. Baudouin Bras de Fer, fuyant avec Judith, chercha
également un refuge en Lotharingie; Carloman, fils de Charles le Chauve, en
trouva un près de Louis le Germanique (874). Il y eut des réconciliations
entre Lothaire II et Charles le Chauve; mais à peine le premier avait-il fermé
les yeux, que Charles occupa son royaume, qui revenait de droit à l’empereur
Louis II, et se fit couronner roi de Lotharingie (9 septembre 869). Il parvint
ensuite à annexer à ses États la partie du royaume de Provence qui avait appartenu
à Lothaire. Forcé de renoncer à la Lotharingie, il la partagea, le 8 août 870,
avec Louis le Germanique; mais six ans après il tenta de reprendre la part de
ce dernier à Louis de Saxe, fils du Germanique qui venait de décéder. Cette
entreprise lui devint funeste: son armée fut détruite par les Allemands près
d’Andernach; lui-même n’échappa à la mort ou à la captivité qu’en s’enfuyant à
Liège et de là à Antenai, dans le diocèse de Reims.
La reine Richilde, sa seconde femme, était restée au
palais d’Herstal, en attendant ses couches; mais, obligée de fuir également,
elle s’accoucha dans un bois et rejoignit son mari à Antenai.
Ce même esprit de cupidité
qui entraînait Charles le Chauve dans des guerres continuelles avec ses frères
et ses neveux, régnait parmi les grands du royaume, tant ecclésiastiques que
laïques. On comprend facilement qu’il devait y avoir une grande rivalité
entre les évêques et abbés, d’une part, et les vassaux militaires, de l’autre.
Une masse de biens ecclésiastiques se trouvait toujours en la possession de ces
derniers, malgré la sanction si solennelle et si souvent répétée de
l’inviolabilité du patrimoine de l’Église. Dans les plaids généraux il y avait
sans doute un parti clérical et un parti laïque ou féodal, et ce devait être
pour les rois une grande difficulté que de concilier les prétentions
réciproques de ces deux partis. Louis le Germanique semble avoir assez bien
réussi à Mainz en 851; ce que prouvent, suivant nous, les actes émanés de ce
prince. Mais l’entreprise était plus difficile dans le royaume de Charles le
Chauve, où en général le parti du clergé était plus influent que le parti
militaire.
La politique de Charles ne
fut pas toujours la même. En 844 et 846, il protégea l’Église, comme le
prouvent ses nombreuses donations, faites pendant ce laps de temps; cependant
la restitution des biens ecclésiastiques, si instamment demandée et si souvent
promise, ne devait pas être de son goût ni de celui des vassaux. Il embrassa
donc, au plaid d’Épernai, tenu en juin 846, le parti
de ces derniers, et les évêques virent rejeter la plupart de leurs demandes.
Mais il revint certainement, en 853, au premier parti. Le clergé était plus
riche que les vassaux, plus intelligent, et avait plus d’influence sur le
peuple. C’est là sans doute ce qui détermina le roi à passer du côté de
l’Église. Les vassaux furent peu satisfaits de ce changement; en Aquitaine,
une fraction de leur parti eut recours à Louis le Germanique, qui leur envoya
son fils, comme nous l’avons déjà dit plus haut.
Si l’on s’en rapporte à M. Luden, l’historien du peuple allemand, ce fut contre son
gré que Louis intervint dans les affaires des Aquitains, en 853. Son fils se
hâta d’ailleurs de terminer cette campagne et de ramener ses troupes dans leurs
foyers. M. Gfroerer est d’une opinion diamétralement opposée: suivant lui,
Louis excita les Aquitains, parmi lesquels il avait un parti, contre son frère
Charles, et ce fut de connivence avec lui qu’ils lui envoyèrent, en 853, la
députation aux voeux de laquelle il eut l’air de
céder. Louis était le plus perfide des trois frères, toujours d’après cet
auteur; c’était un roi aristocratique, chef d’une conspiration de nobles, dont
le but était de renverser ses deux frères et d’anéantir le traité de Verdun. M. Wenck a fait justice de ces accusations, en rappelant
que Louis le Germanique manifesta à l’égard de ses frères les meilleurs
sentiments, aux réunions de Juts et de Meersen, en
847 et 831; qu’il avait tenté, en 846 de réconcilier Charles avec Lothaire, qui
était irrité contre lui à cause de l’asile donné à Gisalbert,
ravisseur de sa fille L’opinion de M. Wenck est
conforme au témoignage de l’annaliste de Fulde.
L’appel fait à Louis le
Germanique par les Aquitains, en 833, et renouvelé par les Neustriens, en 838,
paraît avoir été une manifestation de cet antagonisme des deux aristocraties
que nous venons de signaler. Suivant les Annales de Fulde,
les députés des Neustriens demandèrent à Louis de secourir par sa présence un
peuple en danger et qui était dans un état d’angoisse. S’ils ne le voyaient pas
arriver promptement, et s’ils devaient renoncer à l’espoir qu’ils avaient mis
en lui pour leur délivrance, ils seraient forcés de demander aux païens, au
péril de toute la chrétienté, ces secours qu’ils n’auraient pu obtenir de leurs
seigneurs légitimes et orthodoxes. Us attestaient qu’ils ne pouvaient supporter
plus longtemps la tyrannie de Charles. Personne ne s’opposant aux païens du
dehors, ou ne les couvrant de son bouclier, ceux-ci pillaient, tuaient,
brûlaient, vendaient toutes les propriétés; et le peu qu’ils avaient laissé aux
Francs, Charles le détruisait avec un mélange de ruse et de cruauté. Dans tout
son peuple il ne restait plus personne qui ajoutât la moindre foi à ses
promesses ou à ses serments, personne qui se flattât encore de trouver aucune
bonté en lui.
Louis céda aux instances des
Neustriens qui l’avaient appelé à leur secours. Il partit après une conférence tenue
à Worms avec ses leudes en 858. Arrivé à Ponthion, il reçut l’hommage de la
plupart des grands du royaume, qui étaient venus à sa rencontre. Il fut
également reconnu à Orléans, puis à Attigny, même par une partie du clergé à la
tête de laquelle se tenait Wenilon, archevêque de
Sens. Il exerça momentanément la souveraineté, car on a de lui un diplôme daté
du 7 décembre 858, première année de son règne dans la France occidentale. Mais
à peine se fut-il emparé des rênes du gouvernement,
qu’on se mit à crier contre lui: ses troupes, disait-on, pillaient elles-mêmes
le pays, au lieu de le protéger. L’épiscopat surtout se montra fort mécontent
de cette invasion de Germains sous la conduite de Louis; il s’efforça d’exciter
l’antipathie du peuple contre l’étranger.
Louis le Germanique, abreuvé de
dégoûts, abandonna le pays à son triste sort; il se retira au mois de janvier
ou de février 859. Cette entreprise avortée lui valut les reproches de
l’empereur Louis II, et du pape. Les prélats du parti de Charles allèrent
jusqu’à le citer devant le jugement de l’Église à Metz. Un synode fut tenu dans
cette ville, les 28 mai et 1 juin 859; on y résolut, d’accord avec Charles et
Lothaire, d’envoyer une députation à Louis pour le blâmer. Les actes de ce
synode, imprimés en dernier lieu dans la collection de Pertz, sont écrits dans
un langage fort sévère, même irritant. Louis reçut la députation à Worms, et
dut souffrir que Hincmar, archevêque de Reims, lui adressât une réprimande
extrêmement violente.
La réconciliation des trois
frères eut lieu à Coblence en juin 860. Le clergé devint de nouveau tout-puissant;
le célèbre Hincmar, archevêque de Reims, l’homme le plus éminent de son siècle,
acquit une telle prépondérance que M. Michelet ne craint pas de l’appeler le
vrai roi de France. Un plaid général eut lieu à Piste en 862; Hincmar le
dirigea entièrement. Les synodes se succédèrent; Hincmar déploya une grande
activité, au nom de l’Église et au grand déplaisir du pape Nicolas I.
Dans la plupart des plaids généraux, on peut dire des synodes, qui furent tenus
depuis celui de Piste, on s’occupa, sinon exclusivement, au moins de
préférence, d’affaires ecclésiastiques. C’est ce qui eut lieu notamment à
Soissons, en 862; à Verberie, en 863; à Piste, en 864; à Soissons, en 866; à
Piste, en 869; à Attigny, en 874. Les tendances de l’aristocratie des abbés et
des évêques devaient conduire l’Europe, si elles n’avaient été contrariées par
l’aristocratie militaire, à un régime théocratique semblable à celui que les
Francs avaient trouvé établi dans la Gaule romaine. Sous ce rapport, les
invasions des Normans eurent des conséquences considérables, car elles aidèrent
au développement de la féodalité, et donnèrent un contre-poids à la théocratie,
en entretenant la concurrence de l’élément militaire.
On ne peut pas se dissimuler,
d’autre part, que c’est à l’esprit d’indépendance de l’aristocratie, plus qu’à
toute autre cause, qu’il faut attribuer la facilité avec laquelle les Normans
firent leurs trop nombreuses invasions dans le royaume occidental. Il est vrai
que la fleur des hommes de guerre avait été moissonnée dans les champs de
Fontenai; mais la génération nouvelle n’était pas dépourvue de valeur
militaire. Elle avait suivi Charles le Chauve dans ses expéditions contre les
Aquitains et contre ses frères et ses neveux. Ce qui empêchait les seigneurs
francs de se rallier autour du roi pour marcher contre les Normans, c’étaient
l’absence d’intérêt commun, le mépris de la royauté déchue et peut-être aussi
la crainte de la relever de sa déchéance. Ils savaient bien, à l’occasion, se
défendre isolément dans leurs châteaux, tout en laissant les Normans dévaster
les abbayes voisines et expulser les moines des domaines qu’ils espéraient
s’approprier. Si Charles le Chauve, au lieu de combattre les Normans fut
obligé de recourir à des offres d’argent pour les éloigner, c’est qu’il
s’agissait particulièrement de sauver les églises et les monastères, et que
l’aristocratie guerrière, loin de protéger ces établissements, enviait leurs
richesses.
En Belgique spécialement, les
invasions des hommes du Nord réagirent d’une manière directe et permanente sur
les destinées d’une partie du pays. Pour protéger la frontière septentrionale
de son royaume, Charles en donna la garde, en 863, au guerrier Baudouin,
bientôt surnommé Bras de Fer, qui avait enlevé sa fille Judith. Baudouin,
s’étant réconcilié avec Charles le Chauve, par l’intervention du pape Nicolas
I, fut établi en 870 comte ou marchio des pays situés entre la Somme, l’Escaut et la mer. Il devint le fondateur de
la dynastie si célèbre de nos comtes de Flandre. Sa nomination par Charles est
donc un des actes de ce Carolingien qui intéressent au plus haut point la
Belgique. Nous ne pouvons entrer ici dans les détails de cet événement, dont on
trouve le récit dans toutes les histoires de Flandre. Nous nous bornerons à
faire remarquer que si le pape intervint en faveur de Baudouin, ce fut
principalement parce qu’on craignait qu’il ne se liguât avec les Normans; ce
qui prouve tout à la fois combien les invasions normandes contribuèrent à
l’élévation de l’aristocratie guerrière, et combien peu celle-ci se croyait
solidaire des intérêts de l’Église. L’esprit de dissension régnait dans toutes
les classes de la société; il semble que ce soit le trait caractéristique de
l’époque.
La controverse agitée entre Dewez et Raepsaet, sur la
question de savoir si Baudouin fut le premier comte héréditaire de la Flandre,
nous paraît oiseuse: les fiefs des comtés et marquisats, comme on appelait les
comtés de frontières, étant devenus héréditaires en 877, celui de la Flandre
dut le devenir également. Au reste nous examinerons cette question dans le
paragraphe suivant.
4.
GOUVERNEMENT ET LÉGISLATION.
II est impossible que la
législation et les formes gouvernementales aient été étrangères au mouvement
qui entraînait l’empire des Francs vers sa ruine. Si l’on ne peut pas les
ranger au nombre des causés de la dissolution, elles n’en sont pas moins
intéressantes à étudier comme symptômes ou comme effets.
Les documents relatifs au
gouvernement et à la législation de l’empire, depuis 843, appartiennent presque
tous au royaume de Charles le Chauve. Ceux-ci sont assez nombreux; on en trouve
les textes fidèles dans l’édition des capitulaires publiée par M. Pertz. Les
actes de Lothaire sont au nombre de trois seulement: ce sont les synodes
d’Aix-la-Chapelle, de janvier et février 860, contenant le procès de Teutberge,
sa condamnation, et un synode de l’an 865, relatif à la réhabilitation de cette
princesse. De Louis le Germanique nous n’avons qu’un seul capitulaire en
vingt-cinq articles, qui fut publié à la suite d’un plaid ou plutôt d’un
synode, tenu à Mayence le 3 octobre 851. Outre ces documents propres à chaque
royaume en particulier, nous possédons un assez bon nombre d’actes communs soit
aux trois royaumes, soit à deux de ces États: ces documents sont ceux qu’on
appelle des actes de congrès.
L’objet le plus important des
capitulaires de Charles le Chauve, c’est le maintien de la paix intérieure, la
répression des actes de violence de toute espèce, tels que le rapt, le meurtre,
le brigandage, l’incendie, etc. Ses lois tendent, sous ce rapport, au même but
que les trêves de Dieu du onzième siècle, les paix des rois, ducs et comtes des
douzième et treizième siècles, et les statuts des villes et comtés, par
exemple, les keuren de la Flandre. Cette
analogie semble prouver que l’état social était au neuvième siècle aussi misérable
qu’il fut dans les siècles suivants. Les capitulaires qui jettent quelque jour
sur ce sujet sont: le Conventus Silvarensis, de l’an 853, et les instructions données
en même temps aux missi; les Capitula omnibus observanda de l’an 860, ceux du congrès de Coblence, a Confluentibus;
le grand édit de Piste de l’an 864; l’instruction des missi de l’an 865,
et le capitulaire de Kiersy, de l’an 873.
A propos des capitulaires de
l’an 860, nous devons relever une assertion de M. Kervyn de Lettenhove, qui ne nous paraît pas fondée. Cet
auteur semble dire que les Gildes de la Flandre furent condamnées par Charles
le Chauve, qui aurait renouvelé l’arrêt de proscription porté par Louis le
Débonnaire contre les conjurationes servorum in Mempisco et in Flandris. Il cite dans une note, mais pas
textuellement, l’article 6 d’un capitulaire de l’an 860, inséré dans le recueil
de Baluze et de Pertz. Cette disposition nous paraît
avoir une tout autre portée et s’adresser plutôt aux grands et aux hommes
puissants, qui se livraient à toutes sortes d’excès et de déprédations, qu’à
des associations de serfs. Il ne s’agit pas d’ailleurs de la Flandre dans cet
acte, mais de tout l’empire des Francs. On peut s’en convaincre en lisant avec
attention l’article 4 du capitulaire, dans Pertz, et en le comparant avec les
autres articles des capitulaires de cette année, qui ne font que dire et
répéter ce qui avait été convenu au congrès de Coblence.
M. Kervyn dit aussi que les Gildes saxonnes furent proscrites par Carloman, et il cite en
note une ligne de l’article 44 du capitulaire de Verneuil de l’an 884. S’il a
cru y trouver quelque rapport avec le capitulaire de Louis le Pieux qui défend
les conjurations des serfs dans la Flandre et le Mempiscus,
il nous paraît être encore tombé dans l’erreur. La disposition a eu sans doute
son application dans la Flandre, ce que semble démontrer l’emploi du mot gelda pour expliquer le mot collectae;
mais quand on lit le texte entier de l’article 14, on reconnaît sans peine
qu’il a un sens tout différent. Les Gildes qu’il défend de former sont des
associations ayant pour but de poursuivre les voleurs et les brigands, et
peut-être de leur appliquer une sorte de loi de Lynch, comme en Amérique. Ce
genre de poursuite est défendu; il est ordonné que toutes les causes seront
portées devant les ministres des comtes et des évêques, lesquels auront à
prendre contre le brigandage les mesures qu’ils jugeront prudentes et
raisonnables.
Quoique le système des lois
personnelles subsiste encore en France, sous le règne, de Charles le Chauve,
nous trouvons néanmoins que celui des lois territoriales commence à se
produire; car il est dit, dans l’édit de Piste, article 20: in illis regionibus in quibus secundum legem romanam judicantur judicia. Le même
édit contient aussi, à l’article 6, une définition rigoureusement exprimée de
la loi: Lex consensu popidi fit et constitutione regis.
Les dispositions de droit pénal, civil et de procédure, qu’on trouve dans les
quelques capitulaires qui ne s’occupent pas exclusivement d’affaires
ecclésiastiques ou politiques, nous font voir que Charles le Chauve voulut
maintenir et faire observer la législation de son père et de son aïeul, telle
qu’elle se trouve dans la collection d’Ansegise. Il
s’y rapporte fort souvent, et confirme tantôt un article, tantôt un autre de ce
code qu’il semble considérer comme la loi générale de l’empire.
La partie principale de la
législation est celle qui concerne les affaires ecclésiastiques. Il résulte des
capitulaires de Charles le Chauve, que le régime établi du temps de son père
fut continué sous son gouvernement. La sphère d’action du pouvoir spirituel
fut respectée; les comtes devaient exécuter les décisions des juges
ecclésiastiques, lorsqu’il y avait lieu; la législation canonique sur le
mariage ne subit point d’altération; le principe de l’élection libre des
évêques et des abbés resta également en vigueur, mais plutôt en théorie qu’en
pratique, de même que celui de l’inviolabilité des biens ecclésiastiques. De
fait, le roi Charles, autant que ses frères et ses neveux, continua 5 donner
des abbayes et même des évêchés à ses partisans, mais rarement à des laïques;
ceux-ci étaient, dans ce cas, soumis à l’obligation de se faire ordonner
prêtres. Bien des possessions de l’Église durent être conférées, à titre de précarie, aux guerriers qu’on voulait récompenser;
mais, d’autre part, les hommes puissants qu’on avait vaincus, fussent-ils même
de rois, étaient tonsurés et confinés dans des monastères.
Les rois se croyaient
toujours obligés d’exercer, de faire exercer une surveillance sur les moeurs du clergé et la discipline ecclésiastique; ils
chargeaient de ce soin les missi, dont un au moins était évêque ou abbé. En un
mot, l’ordre politico-ecclésiastique, tel qu’il avait été réglé sous
Charlemagne, n’était pas changé. Les papes mêmes avaient besoin du consentement
de l’empereur, sinon pour être élus, au moins pour être intronisés. Souvent les
conciles étaient en même temps des plaids nationaux; les capitulaires servaient
de sanction à leurs décrets. Les rois avaient donc toujours le droit de placet.
Les rapports entre l’Église et l’État n’avaient pas cessé d’être fondés sur ce
principe que l’Église est dans l’État, et non l’État dans l’Église: ce qui
n’empêche pas qu’on regardait les préceptes de la religion et de l’Église comme
sacrés, et le pouvoir spirituel en lui-même comme indépendant.
Mais un grand mouvement, qui
avait déjà commencé vers la fin du règne de Louis le Débonnaire, se manifesta
dans le sein de l’Église, par plusieurs tendances. Il s’agissait d’abord
d’affranchir l’Église, autant que possible, du pouvoir politique, et à cet
effet de réaliser le principe de l’inviolabilité des biens ecclésiastiques,
afin qu’il fût une vérité. Les hommes d’État qui dirigeaient les affaires de
l’Église voyaient bien que, malgré tous leurs efforts, l’empire carolingien,
qui déjà n’existait plus que de nom, allait se démembrer définitivement.
L’unité de l’Église ne pouvant plus s’appuyer sur l’unité de l’empire, ils songeaient
aux moyens de sauver la première en la rendant indépendante de la seconde. Il
fallait pour cela donner à l’organisation hiérarchique plus de solidité et au
centre de l’Église plus de puissance; il fallait aussi fortifier les dogmes
contre les tentatives des novateurs.
Les évêques, pour sauvegarder
leur indépendance, voulaient empêcher les synodes nationaux ou provinciaux de
prononcer leur déposition, et les archevêques, de les suspendre. Pendant la
lutte entre Louis le Débonnaire et ses fils (833-835), un certain nombre
d’évêques, et même d’archevêques, comme Ebbo et Agobard, avaient été condamnés
à perdre leurs bénéfices; il y en eut même qui furent incarcérés. Dorénavant,
le pape seul devait être considéré comme le grand protecteur des évêques et des
abbés, que les archevêques suspendaient volontiers. En diminuant le pouvoir
archiépiscopal, c’est-à-dire la juridiction métropolitaine, on l’empêchait de
se rendre indépendante, ce qui n’eût pas été sans danger pour l’unité. Au
reste, depuis des siècles toutes les grandes affaires devaient être jugées par
le pape. La loi du concile de Sardique de l’an 347,
qui attribuait à la juridiction du souverain pontife les causes majeures,
existait toujours ; il ne s’agissait que de la faire remettre en vigueur.
Le pouvoir des évêques, dans
leur administration diocésaine, était souvent contrarié par celui des
chorévêques, qui au fond étaient de simples curés, ayant cependant le droit de
conférer les ordres. Cette dignité ne s’accordant pas avec l’organisation
hiérarchique, telle qu’on se proposait de la régler, il y avait lieu de
l’abolir. On voulait rendre aussi difficile que possible les condamnations des
clercs, et ne pas admettre contre eux le témoignage des laïques. Il fallait
aussi une norme de procédure qui protégeât les évêques et les abbés contre les
actes de spoliation, de manière à empêcher la reconnaissance du fait accompli.
On formula à cet effet la règle spoliatus ante omnia restituendus,
et l’on menaça les spoliateurs de l’arme alors terrible de l’anathème.
Les germes de tous ces principes
canoniques existaient depuis longtemps, soit dans les décrets des conciles,
soit dans les lettres décrétales, si multipliées depuis le pape Siricius (384 à 397), auteur des plus anciennes lettres de
cette espèce que l’on connaisse. Depuis longtemps le droit canonique était
codifié dans diverses collections, notamment dans celle de Denys le Petit, de
la fin du cinquième siècle, augmentée et transcrite dans le célèbre Codex Hadrianus, que le pape Adrien avait donné à Charlemagne
en 774, et que celui-ci paraît avoir adopté, en 789, à Aix-la-Chapelle, comme
code ecclésiastique de l’empire. Un très-grand nombre d’articles
des capitulaires, ceux, par exemple, du capitulare ecclesiasticum de 789, ne sont que des
ordonnances d’exécution de ce droit. Il suffisait d’en assurer l’observation
rigoureuse, pour que l’indépendance de l’Église fut garantie. Si l’on parvenait
à donner force de loi à une collection canonique dans laquelle tous ces principes
seraient clairement et catégoriquement exprimés, on était sûr d’arriver au
grand but qui était dans les vœux de la majeure partie de l’épiscopat, sinon de
la généralité.
Cette collection fut faite et
publiée: c’est celle des fausses décrétales, plus connue sous le titre de
Collection pseudo-Isidorienne. Depuis plus de trois siècles, la science de
l’histoire et du droit ecclésiastiques s'est occupée de ce célèbre monument de
droit canon. Les fausses pièces qu’il contient ont fait, pendant mille ans,
partie de la législation reconnue de l’Église; aujourd’hui encore elles se
trouvent dans le Corpus juris canonici.
Il y a longtemps cependant que les savants théologiens les plus catholiques
reconnaissent que cette collection renferme près de trois cents décrétales ou
autres articles fabriqués; on ne nie plus l’existence de ces fausses lois,
c’est-à-dire la fausseté des articles altérés ou interposés; mais on a élevé à
leur égard diverses questions de la plus haute importance, sur lesquelles on
nous permettra de nous arrêter un moment.
On s’est demandé quand, où et
par qui les fausses décrétales avaient été rédigées; quel était le but de leur
fabrication, et quelle fut leur influence sur le développement du pouvoir
hiérarchique et sur la forme finale de la constitution de l’Église. Ces
questions font, depuis la fin du dernier siècle, le sujet d’un si grand nombre
d’écrits, qu’il ne nous est pas possible de rapporter ici les noms de tous les
auteurs qui s’en sont occupés. Nous ne citerons que les plus célèbres
jurisconsultes, tels qu’Eichhorn, Philipps, Walter, Richter; les historiens Luden et Gfroerer; les théologiens Moehler,
Theiner et Hefele. Très récemment, en 1860, un jeune
historien, M. Waitzsaecker, a publié dans la Revue historique de M. de Sybel à
Munich, une notice historique et littéraire de l’état actuel de la question
pseudo-Isidorienne. Il résulte de ses recherches, basées sur celles de ses
prédécesseurs, que les fausses décrétales n’ont pas été rédigées à Rome , et
que les papes n’ont eu connaissance du recueil qui les contient que vers l’an
865; qu’elles ont été faites dans l’empire franc; que l’époque probable de
leur rédaction est de 840 à 850, et que l’achèvement de la collection doit
avoir eu lieu entre 845 et 853.
Quant à l’auteur du recueil
et probablement des fausses pièces elles-mêmes, on l’avait cherché jusqu’en
dernier lieu à Mayence. On soupçonnait Benoît, le diacre ou le lévite, qui est
l’auteur de la continuation du Recueil des capitulaires, publié par Ansegise: car dans cette collection se trouvent
quelques-unes des fausses décrétales du pseudo-Isidore. Et comme Benoît dit
dans sa préface qu’il s’est servi de documents extraits des archives
archiépiscopales que l’archevêque Otgar, si compromis
en 833, lui avait communiqués, on en concluait que Benoît avait composé ou
réuni les fausses décrétales par ordre d’Otgar, qui
paraissait ainsi être le grand coupable. Mais déjà M. Philipps avait émis
quelques arguments pour prouver que l’auteur de l’oeuvre frauduleuse devait appartenir, non au royaume oriental, mais à celui de
l’occident de l’empire, et probablement à la province métropolitaine de Reims.
Cette opinion vient maintenant d’être exposée et appuyée sur des preuves assez
concluantes par M. Waitzsaecker, qui, ainsi que M. Philipps,
pense que l’évêque Rothad, de Soissons, est probablement
l’auteur des fausses décrétales et de la collection pseudo-Isidorienne. M. Gfroerer
lui associe l’archevêque Wenilon, de Sens, condamné
sur l’accusation de Charles le Chauve.
Il est certain que l’ouvrage
fut conçu et exécuté dans l’intérêt des évêques condamnés en 835, et spécialement
de l’archevêque Ebbo, de Reims, qui, restauré en 840, avait été de nouveau
démis de sa dignité. Nous ne pouvons pas reproduire tous les arguments
accumulés par M. Waitzsaecker en faveur de son
opinion; mais jusqu’ici elle nous semble préférable à toutes celles qu’on a
émises sur la question. L’auteur de la fraude voulait, par ce moyen, non-seulement faire réintégrer dans leur dignité les évêques destitués, mais
encore prévenir à jamais le renouvellement de pareilles procédures. Le pape seul,
d’après lui, aurait pu faire ce que les archevêques avaient fait, sur l’ordre
du roi.
Le moyen employé est
certainement blâmable: car on attribue, dans cette collection, à des papes même
du premier siècle, des décisions qui ne sont pas émanées d’eux, et qui n’ont pu
l’être, attendu que la papauté n’avait pas à cette époque la haute position
qu’elle obtint seulement depuis le concile de Sardique,
de l’an 347. On y trouve soixante et une lettres décrétales attribuées aux
papes, depuis Clément I, deuxième successeur de saint Pierre
jusqu'à Melchisédec, c’est-à-dire depuis l’an 77
jusqu’à 314, et trente-cinq fausses décrétales des temps postérieurs. Il y a, en
outre, dans ce recueil des décrets de conciles contenant des passages
falsifiés. Dans plusieurs on parle, comme de choses existantes au premier
siècle, de ce qui n’a commencé que deux ou trois siècles plus tard.
On comprend très-bien le but
de la collection pseudo-Isidorienne et les motifs de son auteur, qui sans doute
n’agissait pas isolément, mais de connivence avec d’autres plus intéressés que
lui. De tous les pouvoirs ecclésiastiques, sauf la puissance papale, nu seul
est traité favorablement dans le recueil: c’est celui des primates et par
conséquent le pouvoir des archevêques de Reims et de Mainz: ce qui prouve
bien qu’Ebbo et Otgar étaient de connivence avec
l’auteur, et ce qui semble indiquer en même temps que si la collection
pseudo-Isidorienne servit à consolider le pouvoir du pape, ce n’est pas
précisément dans ce but qu’elle avait été composée.
On explique facilement aussi
la raison pour laquelle l’auteur aima mieux insérer les fausses pièces dans un
recueil nouveau que dans la collection de Denys le Petit, qui était le code
canonique en vigueur dans l’empire. Le plus célèbre recueil de droit canon, à
côté de celui-ci, était la vraie collection Isidorienne, composée par l’évêque
Isidore de Séville au milieu du septième siècle, et augmentée postérieurement.
Peu connue au commencement, elle avait pénétré dans l’empire franc au neuvième
siècle; mais on n’en avait encore qu’un petit nombre d’exemplaires. En
remaniant le code d'Isidore, et en y plaçant les fausses pièces, on pouvait
facilement faire croire à leur authenticité; car la collection
pseudo-Isidorienne devait se confondre avec la collection vraie d’Isidore de
Séville. C’est ce qui arriva effectivement; des extraits du pseudo-Isidore
furent déjà produits en 857, au plaid de Kiersy. Cependant
le pape Nicolas I, à qui l’on avait cité, vers l’an 865, des
passages faux, n’eut garde de les reconnaître pour vrais. C’est plus tard qu’on
s’est appuyé, à Rome, sur cette collection, et ce sont les auteurs des recueils
postérieurs qui, en y plaçant les fausses pièces, alors réputées authentiques,
leur ont procuré la force de loi qu’elles ont encore dans le Corpus juris canonici.
La connaissance exacte de la
vraie collection Isidorienne ne date que de notre siècle; on la doit à un
savant de notre pays, à Laserna Santander, conservateur
de la bibliothèque de Bruxelles. Il possédait plusieurs manuscrits de ce
recueil, lesquels malheureusement, à sa mort, ont disparu; mais le
gouvernement espagnol a fait faire, en 1808 et 1821, une belle édition du
recueil d’Isidore, de sorte que tout le monde peut aujourd’hui le comparer avec
la compilation pseudo-Isidorienne. Celle-ci a été récemment (en 1833) publiée
de nouveau par M. Denzinger fils, professeur de
théologie à l’université de Wurzbourg, dans la collection patrologique de l’abbé Migne, vol. 130.
La dernière question à
laquelle la controverse sur les fausses décrétales a donné lieu est celle de
savoir si le pouvoir théocratique du Saint-Siège, et toute la constitution
hiérarchique de l’Église, telle qu’elle existait au moyen âge, fut l’oeuvre du pseudo-Isidore. On trouve encore un bon-nombre
d’auteurs qui sont de cet avis, et suivant lesquels on pourrait mettre en
question la légitimité de l’organisation de l’Église catholique. D’autre part,
M. Walter et les partisans des doctrines dites ultramontaines soutiennent que
la collection pseudo-Isidorienne n’a en rien contribué à fonder ou à consolider
le principe monarchique de l’Église; de sorte que la théocratie papale du moyen
âge se serait établie lors même que les fausses décrétales n’auraient jamais
existé.
Les deux opinions nous
semblent erronées. Ce que nous croyons fondé en vérité, c’est que les fausses
décrétales ont aidé à la consolidation de l’ordre hiérarchique du moyen âge,
ordre dont les fondements existaient longtemps avant la composition du recueil
pseudo-Isidorien. Telle est aussi l’opinion de M. Laurent: «Il n’y aurait pas
eu de fausses décrétales, dit-il, que la papauté n’en eût pas moins dominé le
moyen âge. Les décrétales hâtèrent seulement et consolidèrent une révolution
dont les germes existaient et se seraient développés sans elles»
Nous avons trouvé dans
l’histoire des Carolingiens de Gfroerer, une singulière assertion relative à
l’histoire des fausses décrétales. Cet auteur expose longuement, mais sans
l’appuyer de preuves décisives, que le clergé de l’empire franc fut scindé en
deux grandes fractions, l’une pseudo-Isidorienne, l’autre d’opinion contraire.
Il suppose de la part de la première un complot contre l’ordre établi, tant
ecclésiastique que politique; il y rattache le célèbre procès intenté au moine Godeschalck, à cause de sa théorie sur la prédestination,
condamnée par plusieurs conciles. Il fait même remonter l’origine de la scission
aux dernières années du huitième siècle. Ce système a été victorieusement
réfuté par M. Wenck, dans son ouvrage sur l’empire
franc depuis le traité de Verdun.
L’hérédité des fiefs, qui
date de la même époque, est encore un sujet qui a donné lieu à de vives
contestations. La question nous paraît cependant facile à résoudre, quand on
se rend compte des faits historiques et de la situation du moment.
Le dernier des fils de
Lothaire, l’empereur Louis II, étant mort sans enfant mâle, le 13 août 873, sa
succession revenait de droit à son oncle, Louis le Germanique, qui était le
frère puîné de Lothaire. Mais Charles le Chauve partit immédiatement pour
l’Italie, et se fit couronner empereur par le pape Jean VIII, le jour de Noël
873. Il revint ensuite dans la Gaule et lit connaître son élection à l’empire
par les évêques et seigneurs réunis à Ponthion au mois de juin 876. Louis le
Germanique, qui avait envoyé deux de ses fils en Italie pour lui disputer la
couronne impériale, mourut la même année, le 28 août; mais son fils aîné,
Carloman, à qui il avait cédé ses droits, envahit bientôt les domaines
italiens de l’empereur. Ce fut alors qu’eut lieu la célèbre assemblée de Kierzy, où fut sanctionnée, le 18 des calendes de juillet
877, l’hérédité des honneurs et des offices.
Avant d’entreprendre une
campagne au-delà des Alpes, Charles le Chauve voulut assurer, en son absence,
le maintien de son pouvoir et le repos de ses États. Il n’imagina rien de mieux
que de donner une entière satisfaction aux exigences des deux aristocraties,
militaire et ecclésiastique. Les premiers articles du capitulaire de Kierzy sont rédigés sous forme de propositions faites par
le roi à ses leudes et auxquelles ceux-ci ont répondu. Ainsi l’article 8 est
conçu en ces termes: «Si avant notre retour quelques honneurs viennent à
vaquer, comment en sera-t-il disposé?» La réponse des leudes ecclésiastiques,
qui suit immédiatement, est celle-ci: «Si pendant votre absence, un archevêque
vient à mourir, l’évêque voisin, d’accord avec le comte, administrera le
diocèse, jusqu’à ce que sa mort ait été portée à votre connaissance. Si un
évêque vient à mourir, l’archevêque déléguera un visiteur qui, d’accord avec le
comte, veillera à l’administration de l’Église, jusqu’à ce que la mort de cet
évêque parvienne à votre connaissance. Si un abbé ou une abbesse vient à mourir,
l’évêque dans la paroisse duquel se trouve le monastère surveillera cet
établissement avec le comte, jusqu’à ce que vous en ayez disposé autrement»
La réponse des leudes laïques
se trouve dans l’article suivant. Le roi, qui sans doute l’avait reçue, écrit
lui-même, en parlant à la première personne : «S’il vient à mourir un comte
dont le fils soit avec nous, que notre fils, conjointement avec nos autres
fidèles, choisisse parmi les amis et les proches du décédé quelqu’un qui, de
concert avec les officiers du comté et l’évêque, administre le comté, jusqu’à
ce que le fait nous soit annoncé. Si ce comte décédé a un fils encore petit,
que ce fils, conjointement avec les officiers du comté et l’évêque dans le
diocèse duquel il demeure, gouverne le comté jusqu’à ce que nous soyons
informés. Si le comte décédé n’a point de fils, que notre fils à nous, avec nos
leudes, désigne quelqu’un qui, conjointement avec les officiers du comté,
gouverne ce comté jusqu’à ce que nous en ordonnions. Et que personne ne se
fâche s’il nous plaît de donner ce même comté à quelque autre que celui qui
l’aura jusque-là administré. Il sera fait de même pour nos vassaux»
On a contesté la portée de
ces dispositions. Quelques interprètes soutiennent qu’elles n’ont rendu héréditaires
que les fiefs des seigneurs qui devaient faire partie de l’expédition. M.
Fauriel pense qu’elles ne contiennent rien qui puisse être pris pour une concession
de l’hérédité des offices, des dignités politiques. «Il y a plus, dit-il, le
contraire y est clairement énoncé : dans tous les cas prévus comme exigeant ou
comportant le remplacement provisoire d’un comte décédé, le roi se réserve
expressément la nomination définitive; et pour prévenir toute surprise, toute
incertitude à cet égard, il déclare et justifie d’avance la liberté qu’il se
réserve de nommer définitivement aux comtés vacants d’autres hommes que ceux
qui y auraient été nommés provisoirement»
Ces objections ne sont pas
tout à fait exactes. Si le roi se réserve la nomination définitive du comte
décédé, lorsque le fils de ce comte se trouve avec lui dans son expédition, ou
que ce fils est trop jeune pour gouverner lui-même le comté, c’est parce qu’il
ne veut pas qu’on profite de l’absence ou de la minorité de ce fils pour l’en
déposséder; et quand il se réserve de nommer définitivement aux comtés vacants
d’autres hommes que ceux qui y auraient été nommés provisoirement, cette
disposition ne s’applique qu’au cas où le comte décédé n’a point laissé de
fils.
Mais il est un autre document
qui nous semble ne laisser aucun doute sur la question. Les trente-trois
articles du capitulaire de Kierzy sont suivis, dans Baluze, d’un appendice en quatre articles, dans lesquels
Charles le Chauve lui-même a fait insérer les dispositions les plus importantes
en termes clairs et précis. Voici comment les articles précités sont rendus
dans ce texte: «S’il vient à mourir un comte de ce royaume, dont le fils soit
avec nous, que notre fils, conjointement avec nos fidèles, choisisse parmi les
plus amis et les plus proches du comte, quelque personne qui, de concert avec
les officiers du comté et avec l’évêque dans le diocèse duquel se trouvera le
comté vacant, administrera ce comté, jusqu’à ce que nous soyons informé du
fait, afin que nous fassions honneur au fils du comte décédé, qui se trouvera
avec nous, des honneurs de son père.
«Si le
comte défunt a un fils encore petit, que ce fils, conjointement avec les
officiers du comté et l’évêque du diocèse dans lequel est situé le comté,
administre le comté, jusqu’à ce que la nouvelle de la mort du comte nous
parvienne, et qu’en vertu de notre concession son fils soit honoré de ses
honneurs… Il en sera de même de nos vassaux»
Ce second texte ne laisse
aucun doute sur le sens de la disposition; on sait d’ailleurs que tous les
fiefs furent héréditaires à dater de cette époque. Il est donc certain que
Charles le Chauve, dans son capitulaire de Kierzy,
donna à la féodalité une base constitutionnelle qui demeura inébranlable
pendant plus de dix siècles; mais il laissa le trône sans autorité et sans
force. Lorsqu’il mourut, le 6 octobre 877, la royauté n’était plus qu’un vain
titre, servant à donner date aux actes publics, comme dit M. Borgnet.
CHAPITRE VIILE ROYAUME DE LOTHARINGIE.
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