THE FRENCH DOOR |
HISTOIRE DES CAROLINGIENS
CHAPITRE CINQUIÈME.LOUIS LE DÉBONNAIRE ET SES FILS.1.
AVENEMENT DE LOUIS LE
DÉBONNAIRE.
Quelle que soit l’opinion
qu’on adopte sur la politique de Charlemagne, on doit reconnaître que la
monarchie carolingienne était, au jour de la mort de son glorieux fondateur, un
État bien constitué et convenablement organisé. Il s’était opéré une sorte de
fusion, d’une part, entre l’élément national germanique et l’élément
gallo-romain, de l’autre, entre ce qui restait de la civilisation romaine et le
principe chrétien hiérarchique. Vis-à-vis de l’étranger, l’empire
franco-romain, fondé sur l’alliance intime de l’Église et de l’État, était une
puissance imposante, supérieure à celle de tous les autres peuples et respectée
par eux. Les rapports internationaux étaient en général réglés par des traités;
au besoin, les armes toujours victorieuses des Francs servaient à les
maintenir. L’organisation intérieure, tant militaire que politique, civile,
ecclésiastique, était consolidée; on peut dire que tout marchait
régulièrement. Certes il y avait des abus, mais on possédait les moyens de les
connaître et d’y remédier. Il ne manquait pas aussi de tendances à la désunion
et à la révolte, mais la volonté inébranlable et l’activité sans bornes de
Charlemagne savaient les comprimer et tenir en respect toutes les velléités de
résistance.
Il aurait fallu une main
ferme, jointe à une intelligence supérieure, pour maintenir les affaires des
Francs dans cet état de prospérité, et pour faire avancer la civilisation
intellectuelle, morale et politique dont le génie de Charlemagne avait jeté
les bases. Malheureusement Louis, qu’on a surnommé le Débonnaire, n’avait pas
les qualités nécessaires à l’accomplissement de cette tâche. On le représente généralement
comme un prince doué d’un excellent cœur, aimant à joindre la clémence à la
justice, dominé au plus haut point par une ardeur religieuse qui le rendait
plus rigoureux pour lui-même qu’à l’égard des autres. De mœurs sévères, il
aimait la chasteté et la sobriété; il était si sérieux que ses sourires mêmes
passaient pour exceptionnels. Sans aucun doute, l’éducation qu’il avait reçue des ses plus jeunes années et son long séjour dans le midi
de la France, où dominaient les idées du christianisme espagnol, avaient
puissamment influé sur son esprit et son caractère; il ne lui restait presque
rien de sa nature germanique.
Louis n’aimait point la
guerre, bien qu’il fût robuste et parût constitué pour le métier des armes.
Enclin ù la vie contemplative, il avait une médiocre estime des choses
terrestres; il aurait volontiers suivi l’exemple de son grand-oncle, et se
serait fait moine. Il fut même sur le point de prendre cette résolution après
la mort de la reine Irmengarde; mais ses ministres, soucieux du sort de
l’empire, parvinrent à l’en dissuader. «A ne regarder que les dehors, dit M.
Himly, Louis était le digne fils de son père: de stature moyenne, mais robuste,
il avait les yeux grands et clairs, le teint fin, le nez long et droit, les
lèvres ni trop minces ni trop épaisses, la poitrine forte, les épaules larges
et les bras musculeux. Mais les apparences de virilité et d’énergie que
présentait sa noble prestance étaient trompeuses: un caractère indécis, faible
et mou se cachait sous cette enveloppe imposante; il y avait une âme de moine
dans ce corps de guerrier»
Louis le Débonnaire fut le
jouet tant de ses propres sentiments que de l’influence ou plutôt des intrigues
des personnes qui l’entouraient, et surtout de celles qu’il aimait. Parmi ces
dernières, sa seconde femme, Judith, l’irrésistible Judith, exerça sur son
esprit un tel prestige qu’elle fut accusée de l’avoir séduit par des
sortilèges. On le peint cependant comme fort instruit: il parlait trois
langues, le latin, le roman et le thiois, qui était le flamand et l’allemand de
l’époque. Il entendait aussi le grec, et l’on assure qu’il aimait la lecture
des auteurs latins, mais seulement des auteurs ecclésiastiques. Le thiois
paraît avoir été son langage habituel et familier; il le parlait avec sa première
femme Irmengarde qui était de la Hesbaie, et
peut-être aussi avec Judith, qui était de l’extrême frontière de la Bavière, du
côté de la Souabe.
Le caractère de Louis le
Débonnaire explique assez bien les premiers actes de son règne. Les armes des
hommes faibles sont, comme l’on sait, la méfiance, la dissimulation et la ruse.
Ces facultés, qui finissent souvent par être funestes à ceux qui les emploient,
nous les voyons se manifester dès l’avènement du fils de Charlemagne. Il était
à Doué en Poitou, lorsqu’il apprit la mort de son père. Au lieu de se rendre immédiatement
à Aix-la-Chapelle, il rallia autour de lui un certain nombre de partisans
armés, et puis il partit pour Herstal, en passant par Orléans, Paris et
Saint-Denis. Il nourrissait de la méfiance contre les anciens conseillers de
son père, notamment contre Wala, petit-fils de Charles Martel, qui était aussi
éminent comme homme politique que comme homme de guerre, et qui avait joui sous
Charlemagne de la plus haute faveur.
Cependant Wala étant venu à
sa rencontre, le nouvel empereur parut se rassurer; mais il ne voulut pas se
rendre à Aix-la-Chapelle avant que le palais fût purgé, et qu’on en eût expulsé
les amants de ses soeurs, qui avaient mené,
paraît-il, une vie assez licencieuse. Il chargea de cette commission Wala, Ingobert, Warnaire et Lambert.
Les deux premiers, sentant tout ce que cet ordre avait de délicat, ne se
hâtèrent point de l’exécuter; les deux autres y mirent tant de violence que Warnaire se fit tuer et Lambert blesser par un des
seigneurs qui avaient été signalés à leur justice. Lorsque Louis se rendit à
Aix-la-Chapelle, il était fort irrité des scènes qui venaient d’avoir lieu; il
fut sans pitié pour les coupables; il fit môme arracher les yeux à l’un d’eux
auquel il avait précédemment accordé son pardon.
Quant à ses soeurs, après leur avoir distribué la part de succession
qui leur revenait, il les lit enfermer dans des couvents, ainsi que les dames
du palais qui s’étaient compromises; il ne conserva pour le service de l’impératrice
que celles dont la réputation était restée intacte. Il assigna aussi des
monastères aux filles naturelles de Charlemagne; mais il garda dans son palais
ses trois frères bâtards, Drogon, Hugues et Thierry. Ceux-ci furent traités
avec bienveillance; Drogon devint plus tard un des hommes d’Etat les plus
illustres de son siècle: il fut l’ami inséparable de l’empereur.
Wala crut prudent de se
retirer; il alla prendre l’habit religieux au monastère de Corbie. Son frère
Adalhard, qui était abbé de ce monastère, voulut rester à la cour; il y fut
dépouillé de ses biens et de ses dignités, et envoyé en exil à Noirmoutiers. Sa soeur même, Gondrade, ne put échapper á la disgrâce de ses frères :
elle fut envoyée au monastère de Sainte-Radegonde. Tous trois étaient enfants
de Bernard, fils naturel de Charles-Martel.
Un autre membre de la famille
impériale, que Louis soupçonnait d’intentions hostiles, Bernard, fils naturel
de son frère Pépin, avait été fait roi d’Italie par Charlemagne. Il se
présenta à l’assemblée générale tenue à Aix-la-Chapelle en 814, et y prêta le
serment de fidélité comme vassal de l’empereur. Cette marque de déférence et de
soumission lui valut de n’être pas immédiatement privé de son royaume. Louis
accorda également à deux de ses fils, Lothaire et Pépin, le titre de roi; il
donna au premier le gouvernement de la Bavière, au second celui de l’Aquitaine.
Le troisième, du nom de Louis, était trop jeune pour exercer de hautes
fonctions politiques; il demeura à la cour jusqu’après le partage de l’an 817,
dont nous aurons à nous occuper bientôt.
Le premier soin de Louis le
Débonnaire fut de réformer les abus qu’il croyait s’être multipliés dans les
derniers temps du règne de son père. Des missi furent envoyés dans toutes
les provinces, pour faire des enquêtes sur les exactions des comtes et de
leurs lieutenants; ils devaient les contraindre à restituer les biens qu’ils
avaient usurpés. L’empereur voulut aussi réparer le mal fait aux Saxons et aux
Frisons, en leur rendant l’usage de leurs anciennes lois et rétablissant les
prérogatives dont Charlemagne avait privé les hommes libres L Cet acte de
justice fut en même temps un acte de haute politique: les Saxons en gardèrent à
Louis une reconnaissance profonde, et furent, pendant toute sa vie, les plus
fidèles défenseurs de sa personne.
2.
RELATIONS EXTÉRIEURES.
Les relations de l’empire
avec l’étranger étaient meilleures au commencement du règne de Louis qu’elles
ne le furent peu d’années après. Le respect des peuples étrangers que la
grandeur de Charlemagne avait acquis à la monarchie existait d’abord dans
toute sa force; les Wilses, les Sorabes, les Avares,
les Pannoniens se prétendaient tributaires de l’empire, pour capter la
bienveillance du nouveau souverain; les Arabes de Cordoue demandaient à
continuer la trêve que le vieil empereur leur avait accordée; les ducs de
Bénévent acquittaient, comme par le passé, leur tribut de sept mille sous d’or;
les Goths et les Angles voyaient toujours dans l’empereur d’Occident un
suzerain et un protecteur
Les rapports avec
Constantinople furent maintenus sur un pied de paix et d’amitié. Peu de temps
avant sa mort, Charlemagne avait envoyé une ambassade à l’empereur Michel. Ses
ambassadeurs revinrent avec ceux de l’empereur d’Orient; mais arrivés après le
décès de Charles, ceux-ci furent reçus par son fils. Louis les écouta avec
intérêt, les combla de présents, et les fit accompagner à leur retour par une
nouvelle ambassade franque, chargée d’exprimer à l’empereur Léon V, successeur
de Michel, ses sentiments d’amitié, et de renouveler avec lui le traité
d’alliance des deux empires. L’année suivante (815) les envoyés de Louis
rapportèrent le traité confirmé, bien que le Débonnaire n’eût pas accueilli la
demande de secours contre les Bulgares qui lui avait été adressée de Constantinople.
Une nouvelle ambassade arriva
d’Orient en 817, pour négocier la fixation des frontières des deux empires
dans la Dalmatie. Il y eut encore, en 823 et 827, des missions diplomatiques
pour resserrer l’union entre les deux monarques, ce qui n’empêcha point Louis
de recevoir gracieusement, déjà en 823, les ambassadeurs des Bulgares, qui
étaient alors les ennemis les plus dangereux et les plus redoutés du
Bas-Empire. Ces relations entre les cours d’Orient et d’Occident cessèrent
d’avoir lieu lorsque les deux empires ne confinèrent plus l’un à l’autre, et
qu’ils furent agités par des troubles intérieurs.
Les rapports des Francs avec
les Slaves de la Pannonie et les tribus que Charlemagne avait soumises dans la
Servie et le banat de Temeswar d’aujourd’hui, eurent
un caractère moins pacifique. Leur duc Liutwit,
mécontent du gouvernement impérial, souleva une partie de ces peuples; il
envahit même la Carinthie, la Carniole et la Dalmatie franque (Bosnie et
Croatie). Ce ne fut qua la troisième campagne qu’on parvint à le repousser. Il
alla mourir dans l’exil, en 823. Plus tard, de 827 à 829, on eut à combattre
les Bulgares dans ces mêmes contrées.
Les peuples slaves plus
septentrionaux soumis par Charlemagne, tels que les Abodrites,
les Wilses, les Bohèmes, les Moraves, les Sorabes,
reconnaissaient toujours l’espèce de suzeraineté des Francs. Ils fournirent
des secours militaires pour les expéditions qui eurent lieu contre les Danois
et contre les Bulgares. Cependant il y eut aussi de ce côté quelques défections,
celle des Abodrites, par exemple, en 817 et 822.
Les Normands, qui n’avaient
pas renoncé au paganisme, continuaient d’être les ennemis les plus acharnés
des Francs. Ils ne cessaient pas d’infester, comme pirates, les côtes de
l’empire, jusqu’en Espagne; ils attaquaient aussi, quand ils pouvaient le faire
avec avantage, la frontière septentrionale; ils y rencontraient les Saxons et
les Abodrites. Des dissensions intestines ayant
éclaté parmi les Danois, Louis saisit cette occasion pour intervenir et pour
propager le christianisme dans leur pays. D’accord avec Hériold, il y envoya,
dans ce but, en 822, son frère de lait, Ebbo, alors archevêque de Reims. Hériold,
qui avait besoin d’appui pour se maintenir, consentit même à se faire baptiser
avec sa famille, ce qui eut lieu en 826 de la manière la plus solennelle, dans
l’église de Saint-Alban à Mayence. Mais Hériold fut chassé de son pays l’année
suivante; il se retira, en 827, dans l’Oost-Frise, où
un refuge lui avait été assuré d’avance. Louis fit la paix avec le roi régnant.
Dans le
sud-ouest, il y eut d’autres guerres à soutenir contre les Bretons, les Gascons
et les Arabes d’Espagne. La Bretagne avait été définitivement soumise en 799;
mais après la mort de Charlemagne les Bretons se soulevèrent de nouveau. En 818
et 822, ils se donnèrent des rois qui l’un après l’autre furent tués. Ce ne fut
qu’en 824, que l’empereur, accompagné de son fils le roi Pépin d’Aquitaine,
porta la guerre dans ce pays, et le força à se soumettre. En 825, la Bretagne
se révolta de nouveau; elle fut alors occupée par les Francs, et reçut de la
main de l’empereur un duc appelé Nomenoë. Depuis
lors elle resta fidèle à l’empire, du moins pendant la vie de Louis.
Les Gascons, que Louis avait
subjugués lorsqu’il était encore roi d’Aquitaine, étaient toujours gouvernés
par quelque descendant de Waifre. Ils se révoltèrent en 816 et furent vaincus
en 818, par Pépin, fils de l’empereur. On leur donna alors pour gouverneurs
des ducs amovibles, d’origine étrangère au pays, et plusieurs comtes.
Il ne pouvait pas exister de
relations bienveillantes entre les Francs et les Sarrazins d’Espagne. Leur
haine mutuelle faisait incessamment éclater des guerres, qui n’étaient le plus
souvent que des algarades, c’est-à-dire des irruptions soudaines et
rapides, n’ayant d’autre but que de faire du butin. L’histoire de ces attaques
est assez confuse. M. Funck a ajouté à sa biographie
de Louis le Débonnaire un exposé historique des affaires franco-espagnoles; à
l’aide des sources, tant arabes que franques, dont il publie les principaux
passages, il a fait une chronique exacte de ce qui s’est passé entre les deux
peuples depuis 788 jusqu’à 822. Nous y apprenons qu’une espèce de paix avait
été conclue entre eux, en 810, à Aix-la-Chapelle, et confirmée en 812. Déjà en
799, une partie de l’Espagne avait été enlevée aux Arabes et constituée en
marquisat des Marches d’Espagne. Barcelone en était la capitale; son
gouverneur s’appelait Bera. En 814, l’émir Abderam II avait encore envoyé une ambassade à
Aix-la-Chapelle, pour féliciter le nouvel empereur; mais l’année suivante, une
flotte arabe attaqua les îles Baléares et la Sardaigne, qui venaient de se
mettre sous la protection des Francs. Cette attaque fut immédiatement suivie
d’une déclaration de guerre de la part de Louis.
La première expédition part
de la Marche d’Espagne; des victoires sont remportées en 816; c’est vainement
que l’émir cherche à obtenir la paix en 817. II y parvient en 819, mais à un
tel déplaisir de l’empereur, que Bera qui y avait
consenti est destitué et le traité mis à néant. Le marquisat fut alors réuni à
la Septimanie, et gouverné par le duc Bernard, favori de la seconde femme de Louis.
La guerre, reprise par les Francs, finit par leur être fatale: la Navarre,
qu’ils avaient conquise, fut perdue pour toujours; il ne leur resta qu’une
partie de la Catalogne, Louis avait envoyé deux de ses grands au secours de
Bernard: c’étaient Hugues, beau-père de son (ils Lothaire, et Matfried, comte
d’Orléans, l’un et l’autre ennemis du duc. Ils ne s’empressèrent pas d’arriver
sur le théâtre de la guerre et furent cause de la défaite essuyée par les
Francs. On les condamna comme coupables de haute trahison dans un placitum tenu à Aix-la-Chapelle en 828. Les guerres
intestines qui curent lieu ensuite, aussi bien chez les Arabes que chez les
Francs, firent cesser la lutte entre les deux nations pendant le reste du règne
de Louis le Débonnaire.
3.
GOUVERNEMENT ET LÉGISLATION.
Quelques auteurs ont émis des
doutes sur l’activité gouvernementale et administrative de Louis le Débonnaire: cependant les actes de son règne sont si nombreux que, pour la plupart, nous
devons nous borner à en faire une simple mention. On remarque d’abord les actes
spéciaux concernant les intérêts de tel monastère, de telle église, ou de telle
personne plus ou moins considérable. Ce sont des diplômes portant donation ou
restitution de biens, concession de privilèges, confirmation d’immunités, échanges,
etc. Il y en a un très grand nombre; ils datent depuis l’an 814 jusqu’à la mort
de Louis. On en a fait depuis longtemps des recueils; le dernier se trouve dans
les Regesta Carolorum du savant Boehmer, que nous avons déjà eu l’occasion
de citer.
Les actes principaux du règne
de Louis le Débonnaire, ceux qui concernent le gouvernement proprement dit de
ses vastes États, sont les capitulaires, sanctionnant les lois, les ordonnances
et autres dispositions générales émanées du pouvoir suprême de l’empereur. Ces
lois ou ordonnances furent presque toutes promulguées à la suite des plaids
généraux, qui semblent avoir été plus nombreux sous Louis que sous son
prédécesseur. Voici l’énumération de ces assemblées d’après MM. Funck et Boehmer :
1° Le 1er juillet
815, à Paderborn;
2° En juillet 817, à
Aix-la-Chapelle;
3° Le 4 décembre 818, dans la
même ville;
4° En juillet 819, à Ingelheim;
5° En janvier 820, au même
endroit;
6° Le 15 octobre 821, à
Thionville;
7° En août 822, à Attigny;
8° En mai 823, sur le Rhin;
9° Le 1er novembre
824, à Compiègne;
10° A Pâque 825, à
Aix-la-Chapelle;
11° Le 15 octobre 826, à Ingelheim;
12° En février 827, à
Aix-la-Chapelle;
13° En août 827, à Compiègne;
14° En février 828, à
Aix-la-Chapelle;
15° En juin 828, continuation
du placitum précédent, à Francfort, Ingelheim et Thionville;
16° En août 829, à Worms;
17° Le 1er octobre
830, à Nimègue;
18° Le 2 février 831, à
Aix-la-Chapelle;
19° La même année, à
Thionville;
20° Le 1er septembre 832, à Orléans;
21° Le 11 novembre 834, à
Attigny;
22° Le 2 février 833, à
Thionville;
23° En juin 833, à Crémieux,
près de Lyon;
24° En septembre 836;
25° En mai 837, à Thionville;
26° En juin 838, à Nimègue;
27° En septembre 838, à Kierzy;
28° En septembre 839, à
Châlons-sur-Saône.
Les affaires traitées dans
ces réunions étaient ou ecclésiastiques, civiles, politiques, ou mixtes; aussi
distingue-t-on trois espèces de capitulaires: les capitulaires ecclésiastiques,
les capitulaires mondains et les capitulaires généraux. Les assemblées
relatives aux affaires de l’Église étaient en même temps des conciles nationaux; elles sont énumérées dans la chronologie des conciles. Il y eut cependant
encore d’autres conciles, également nationaux, comme ceux qui furent tenus à
Paris et à Aix-la-Chapelle en 826; à Paris, en 829; à Mayence, la même année;
à Saint-Denis, en 832; à Compiègne, en 833; à Saint-Denis, en 834; à
Aix-la-Chapelle, en 836 et en 837; à Ingelheim, en
840. M. Hefele, professeur à l’université de Tubingue, a donné une analyse détaillée et critique des
actes de tous ces conciles nationaux, dans le quatrième volume de son histoire
des conciles, publié en 1860. Les textes se trouvent dans la grande collection
de Mansi et dans les Concilia Germaniae de Hartzheim.
Les plus remarquables de ces
assemblées sont celles dans lesquelles de grandes réformes ecclésiastiques
furent décrétées, et celles qui furent provoquées par la fameuse lutte de
Louis le Débonnaire et de ses fils, à la suite des changements introduits dans
le premier partage de l’empire. Il résulte des recherches de M. Hefele que la plupart des grandes réformes concernant l’Église
émanent de l’assemblée générale que Louis tint à Thionville en 817, et dans
laquelle le partage de l’empire fut réglé et plusieurs ordonnances politiques,
décrétées. Parmi les actes relatifs à ces réformes on rencontre en première
ligne les statuts organisant l’institution des chapitres de chanoines. Ils ont
pour titre Libri duo de régula canonicae vitae ils sont suivis d’un statut pour
les chanoinesses. Leur objet principal est de soumettre les chanoines à la vie
régulière, d’après la règle de Saint-Benoît; leurs dispositions ont été puisées
dans la constitution donnée en 760 par l’évêque Chrodegang de Metz au clergé de
sa cathédrale. On a cru longtemps que cet acte datait de l’an 816; mais il résulte
de la proclamation impériale de 817, intitulée Capitulare Aquisgranense generale qu’il fut publié avec les autres ordonnances, dont nous parlerons tout à
l’heure, au plaid de Thionville de l’an 817. Il contient une organisation
complète de l'institution des canonicats réguliers, et un petit code disciplinaire,
dans lequel on distingue cependant la vie claustrale des chanoines de celle des
moines. Cette ordonnance fut la base de l’institution jusqu’à la révolution
française; elle l’est même encore aujourd’hui dans les pays où cette
révolution n’a pas eu d'influence durable.
Le deuxième acte est la
réforme des monastères et de la vie monastique. Il consiste en quatre-vingts
articles et est imprimé dans Pertz, ainsi que dans Mansi. Ce n’est point par
l'empereur que furent rédigés ces deux premiers statuts, mais, à sa demande,
par les évêques. L’empereur les confirma, leur donna force de loi, et les
adressa, accompagnés d’une encyclique, aux archevêques et évêques qui
n’avaient pas assisté au concile.
Le troisième acte est publié
dans Pertz avec celte inscription : Haec capitula proprie ad episcupos vel ad ordines quoque ecclesiasticas pertinentia, quae non solum hi observare etiam sibi snbjectis vel commissis facienda docere debent. C’est
une véritable constitution hiérarchique de l’Église, en vingt-neuf articles,
contenant des dispositions d’une haute importance. On y proclame, entre
autres, l’inviolabilité des biens ecclésiastiques, et l’on défend à tous, même
aux princes, d’y toucher (art. 1). Cette constitution sanctionne aussi la
liberté des élections aux sièges épiscopaux, per clericos et populum (art. 2); elle règle le partage des offrandes faites aux
églises, de manière qu’une part doit être donnée aux pauvres. Pour les églises
riches, cette part est des deux tiers (art. 4). Elle défend l’ordination des
serfs sans le consentement de leurs maîtres (art. 5); elle prescrit la dotation
des églises paroissiales, indépendamment des dîmes auxquelles elles ont droit:
chaque presbytère doit avoir un mansus entier
(12 hectares), libre de toutes charges. Elle défend de mettre en gage les vases
sacrés des églises ; elle contient enfin une série de lois disciplinaires déjà
anciennes, applicables aux prêtres.
Un quatrième acte, intitulé Constitutio de servitio monasteriorum, détermine les charges imposées aux
abbayes. Il divise ces établissements en trois classes : la première, qui est
la plus imposée, comprend, au nombre de quatorze, les abbayes qui doivent
faire des dons et fournir des guerriers; la deuxième, celles, au nombre de
seize, qui doivent seulement faire des dons; enfin, la dernière, celles, au
nombre de dix-huit, qui ne doivent fournir ni dons ni soldats, mais seulement
faire des prières pour le salut de l’empereur ou de ses fils, et pour la
stabilité de l’empire.
Il n’y a qu’une abbaye de
Belgique qui soit mentionnée dans cette énumération, c’est celle de Stavelot;
elle appartient à la première classe. On peut en conclure que les autres
monastères de ce pays n’étaient tenus à aucune espèce de service.
Il faut enfin ranger parmi
les actes de 817, concernant les affaires ecclésiastiques ou religieuses, les
instructions données aux missi, puisqu’un des missi était nécessairement
ecclésiastique, et devait étendre son inspection sur les affaires de l’Église.
Les autres ordonnances arrêtées dans l’assemblée de 817 concernent les
affaires politiques et civiles.
Nous avons encore à
mentionner quelques ordonnances, concernant les affaires ecclésiastiques, qui
sont de dates moins anciennes. Celle de l’an 821, qui confirme le projet d’une
loi pénale pour réprimer les attentats contre les personnes ecclésiastiques,
fut proposée à l’empereur par l’assemblée tenue à Thionville. Dans le
capitulaire d’Attigny, de l’an 822, l’empereur ordonne qu’on s’occupe plus
soigneusement qu’on ne l’avait fait, jusque-là, des écoles; il s’y accuse
lui-même sous ce rapport. Il renouvelle ce commandement, parmi d’autres, dans
une Praelocutio ad episcopos et omnem populum, promulguée à Aix-la-Chapelle,
au mois de mai 825. D’autres ordres sont répétés dans les dix-huit articles
d’un capitulaire de 826, arrêté par l’assemblée tenue à Ingelheim.
Les décrets réformateurs émanés des synodes de Paris, Mayence, Lyon et
Toulouse, dans les années 828 et 829, n’ayant pas été confirmés par capitulaires
de l’empereur, bien que ces synodes eussent été tenus par ordre de Louis et de
Lothaire, nous n’avons pas à nous en occuper. Nous ne mentionnerons que celui
de Worms, de l’an 829, dans lequel ces décrets furent reproduits en majeure
partie et sanctionnés comme lois. C’est aussi au plaid de Worms que fut
approuvée la collection ou codification des capitulaires, divisée par ordre des
matières en quatre livres. Ce travail dû à Ansegise obtint par là en quelque sorte le caractère du code de l’empire. La législation
civile et politique n’a pas subi, sous Louis le Débonnaire, de grands
changements, mais seulement des corrections de détail. Ses ordonnances
embrassent toutes les matières: le droit public constitutionnel,
l’administration, la police, le droit civil, le droit pénal, la procédure, etc.
Il suffit, pour s’en faire une idée, de jeter les yeux sur les 74 articles du
quatrième livre de la collection d’Ansegise, qui
contient les capitulaires mondains de Louis le Débonnaire. Rien n’indique,
dans ces décrets, que Louis ait été guidé par un esprit hostile au droit germanique
et à l’ordre politique fondé par son père. Il veut, au contraire, le maintenir
et le fortifier; souvent il se rapporte aux capitulaires de Charlemagne, dont
il ordonne l’exécution rigoureuse. Un grand nombre d’articles de ses
capitulaires le disent expressément. Du reste, le pouvoir de l’empereur était
bien souverain, en ce sens que sa volonté officiellement manifestée faisait
loi; mais dans toutes les grandes affaires, les ordonnances impériales ou
royales n’étaient décrétées qu’après délibération avec les grands, ecclésiastiques
et laïques, réunis en assemblée générale.
Les actes les plus importants
du règne de Louis le Débonnaire sont les partages de l’empire, dont nous nous
occuperons incessamment; mais il y a quelques points essentiels du droit public
sur lesquels nous devons d’abord porter notre attention.
Le système des bénéfices et
de la vassalité paraît avoir fait des progrès; mais il est au fond le même que
nous l’avons vu sous Charlemagne. Ce serait une erreur de croire que déjà la
féodalité fût la base du droit public de l’empire. Le heerban est en vigueur comme sous Charlemagne; le service militaire vassalitique est encore à l’état d’exception. Même les châtelains (burggraven)
ne sont pas vassaux; la garde des châteaux incombe, comme charge publique, aux
seigneurs domiciliés dans leur voisinage. Ce n’est qu’à la fin du neuvième
siècle, que les fiefs de châtellenie, si nombreux en Belgique et surtout en
Flandre, où ils furent créés pour la défense du pays contre les Normands,
commencent à paraître.
Un autre point fort
intéressant à éclaircir, ce sont les rapports réciproques de l’Église et de
l’État, pendant le règne de Louis le Débonnaire. On pense assez généralement
que la soumission de l’État à l’Église était déjà effectuée; qu’elle était
quasi de droit, et que le pouvoir hiérarchi-autocratique
pesait sur le pouvoir impérial de telle sorte, que l’Église n’était plus dans
l’État, mais celui-ci dans l’Église. Nous croyons cette opinion tout à fait
erronée. Louis tenait peut-être plus encore que son père à sa dignité
impériale et à ses prérogatives. Il était imbu de l’idée de la souveraineté
personnelle, et considérait tout pouvoir comme soumis au sien. Aucune réforme
dans l’Église ne fut faite sans son consentement; la plupart le furent par ses
ordres. II exerçait ce qu’on appelle aujourd’hui le droit de placet; il
jugeait et punissait lui-même les évêques. Nous ne voyons pas que l’épiscopat
se soit élevé contre ce régime; il semblait l’accepter, tout en traitant l’empereur
comme soumis à la puissance spirituelle en sa qualité de chrétien et de fils
obéissant de l’Église.
Si Louis le Débonnaire se fit
sacrer et couronner de nouveau par le pape, en octobre 816, il ne se
considérait pas moins comme souverain, même de Rome, par droit de naissance. Il
y fit exercer la juridiction impériale d’abord par son neveu Bernard, et plus
tard par Lothaire, après qu’il l’eut adjoint à l’empire. Si l’élection du pape
ne devait pas être solennellement approuvée par lui, l’élu avait cependant
besoin de son consentement pour être intronisé. S’il fortifia le pouvoir
hiérarchique par ses lois et ordonnances, s’il donna à l’Église une sphère de
liberté assez étendue, s’il enrichit les évêchés et les monastères, quelquefois
outre mesure, il ne fit que préparer l’avenir; il jeta les bases du régime
déplorable qui devait nécessairement sortir de l’ordre des choses commencé
sous Charlemagne et développé sous son règne.
4.
DEs partages de La monarchie.
La fin du règne de Louis le
Débonnaire et les dernières années qui suivirent sa mort forment une des
périodes les plus importantes de l’histoire des Carolingiens: c’est celle des
partages de la monarchie, des troubles et des calamités publiques qui s’ensuivirent,
celle des malheurs qui frappèrent un prince aussi faible que dépourvu des
qualités qui font l’homme d’État. On peut y voir à la fois une lutte de
principes, d’intérêts et de sentiments. C’était un principe que le maintien de
l’unité de la monarchie, à laquelle étaient attachés les hommes les plus
éminents de l’époque, les premiers conseillers de l’empereur, tels que Wala et
Agobard, et généralement tous les évêques. Des intérêts trop réels séparaient,
d’une part, les trois fils aînés de Louis, qui se voyaient frustrés par les
partages postérieurs des avantages que leur avait fait l’acte de 817, de
l’autre, la deuxième femme de l’empereur, qui excitait son mari à favoriser
outre mesure son fils Charles. Enfin Louis le Débonnaire obéissait à un
sentiment, lorsque, par affection pour ce fils, il lui sacrifiait le sort de
ses autres enfants et son propre repos
Quand Louis monta sur le
trône de son père, en 814, trois fils étaient nos de son mariage avec
Irmengarde, Lothaire, Pépin et Louis. Leur mère vécut encore quatre années qu’elle
employa en intrigues de tous genres pour assurer à chacun de ses fils une part
de l’empire. Ses desseins furent favorisés, en 817, par un accident qui faillit
coûter la vie à l’empereur.
II y avait à
Aix-la-Chapelle, entre la basilique et le palais impérial, une galerie de bois
que Louis le Débonnaire traversait avec toute sa cour. Cette construction peu
solide et déjà ancienne céda sous leurs pas et tomba en ruine. Précipité du
haut de cette galerie sur le sol, avec toutes les personnes qui l’accompagnaient,
l’empereur en fut quitte pour quelques contusions mais l’événement fut
exploité par Irmengarde qui, lui représentant l’incertitude de la vie de ce monde, le détermina à régler dès lors sa
succession. Cependant quand il fallut mettre ce projet à exécution, l’influence
de la femme se trouva en présence de l’influence des ministres de l’empereur.
Depuis le rétablissement de l’empire d’Occident par Charlemagne, l’idée d’unité
avait fait de tels progrès qu’Agobard, archevêque de Lyon, dans une lettre
adressée à Louis, disait: «Plût à Dieu tout-puissant que tous les hommes réunis
sous le sceptre d’un seul roi, fussent gouvernés par une seule loi! Ce serait
le meilleur moyen de maintenir la concorde dans la cité de Dieu et l’équité
parmi les peuples». On comprend que des hommes pénétrés de cette idée ne
pouvaient pas se prêter sans réserve à la division de l’empire.
Une sorte de transaction fut
conclue. A l’assemblée tenue à Aix-la-Chapelle en 817, pendant un jeûne de
trois jours, on ouvrit des négociations, et l’on parvint à faire un arrangement
qui conciliait les vues de l’empereur et de l’impératrice avec celles des partisans
de l’unité. Il fut résolu que l’empire serait partagé entre les trois fils de
Louis, mais de telle manière que l’unité ne fût pas rompue. Dans le célèbre
acte de partage de l’an 817, l’empereur commence par annoncer qu’au grand plaid
de la nation, tenu à Aix-la-Chapelle au mois de juillet de cette année, ses fidèles,
en vertu d’une inspiration divine et soudaine, l’ont engagé, pendant qu’il se
trouvait en bonne santé et que la paix régnait partout, à assurer, ainsi
qu’avaient fait ses ancêtres, l'avenir de l’empire et de ses fils; que cette
admonition si respectueuse n’avait cependant fait naître ni dans son esprit, ni
dans l’esprit de ceux qui sont guidés par la sagesse, la pensée de rompre, pour
l’amour de ses fils et par un acte purement humain, l’unité de l’empire
cimentée par Dieu lui-même; qu’un pareil dessein serait une occasion de
scandale dans l’Église et une offense envers la puissance divine, par laquelle
tous les empires subsistent; que l’empereur avait jugé convenable d’ordonner un
jeûne de trois jours, des prières et des distributions d’aumônes, et qu’enfin
le quatrième jour ses intentions s’étaient trouvées conformes à celles de tout
son peuple.
Après ce préambule, Louis
déclare qu’avec l’assentiment de la nation, il s’est associé son bien-aimé fils
aîné Lothaire, comme collègue et successeur, et qu’il l’a couronné empereur.
Ses deux autres fils, Pépin et Louis, sont nommés rois; au premier il donne
l’Aquitaine, la Wasconie et toute la Marche de
Toulouse, ainsi que quatre comtés, Carcassonne, en Septimanie, Autun, Avallon
et Nevers, en Bourgogne; au second il adjuge la Bavière, les pays des Carinthiens,
des Bohèmes, des Avares et des Slaves, à l'Est de la Bavière; en outre, deux
villas royales, Luttraof et Ingoldestadt,
dans le pagus de Nortgau. Tout le reste de la
Gaule et de la Germanie, avec Rome et le royaume d’Italie, appartiendra à
Lothaire, chef de la monarchie franque.
Les rapports des trois frères
entre eux, leurs droits et leurs pouvoirs respectifs, le mode de successibilité
de leurs enfants, etc., sont réglés dans seize articles. Chacun sera souverain
dans ses États; toutefois les deux rois ne pourront se marier, ni faire la
guerre ou traiter de la paix, sans l'assentiment de l’empereur. Ils se rendront
tous les ans auprès de lui, pour lui apporter leur offrande, conférer sur les
affaires publiques et recevoir ses instructions. L’empereur est obligé de les
défendre contre leurs ennemis du dehors. Tous différends entre eux doivent
être jugés par lui et par l’assemblée générale. Si l’un ou l’autre vient à
mourir, en laissant plusieurs fils légitimes, le peuple choisira entre eux, et
il n’y aura pas de nouveau partage. S’il meurt sans enfants légitimes, sa part
sera dévolue à l’aîné de ses frères. La majorité des membres de la famille est
fixée d’après la loi ripuaire, c’est-à-dire à quinze ans accomplis.
Le principe qui domine dans
cet acte de partage, c'est la conservation de l’unité de l’empire. On voulait
atteindre ce but par la création d’un grand État composé des provinces formant
la monarchie primitive et des pays conquis, c’est-à-dire de l’Allemanie, de la Thuringe et du pays des Saxons, joints à
l’Austrasie, à la Neustrie et à la Bourgogne; et comme ce grand État devait
être l’empire, Rome et les territoires annexés en faisaient nécessairement
partie. Les royaumes de Pépin et de Louis avaient été longtemps des États
distincts, mais dépendants du royaume des Francs, notamment sous Waifre et
Tassilon. Ils reprirent ce caractère d’États satellites, s’il est permis de les
appeler ainsi; ce qui ne pouvait nuire en rien au système d’unité.
On paraissait d’autant plus
attaché à l’unité de l’empire qu’elle correspondait à l’unité de l’Église, avec
laquelle l’empire devait s’identifier. C’est donc aussi dans l’intérêt de
l’Église que ce principe fut proclamé et maintenu. Cela nous explique pourquoi
les évêques qui avaient concouru à l’acte de partage de 817, et qui le
confirmèrent par leurs serments réitérés en 821, tenaient tant à cette Divisio imperii, et comment ils devinrent, pour la
plupart du moins, les ennemis de Louis, lorsque plus tard il voulut modifier ce
partage ou le remplacer par un autre. Cependant M. Himly attribue ce grand acte
aux amis de Wala et au parti aristocratique dont il était le chef. Nous sommes
plutôt de l’avis de M. Fauriel, qui envisage la constitution de l’an 817 comme
l’oeuvre du haut clergé. Il l’attribue à l’influence
d’Agobard, archevêque de Lyon. Que Wala n’y fût pas étranger, c’est chose
possible, même probable; mais il n’agissait pas comme chef d’un prétendu parti
aristocratique; il agissait comme membre de l’Église et dans l’intérêt de
l’unité de l’Église, intimement liée à l’unité de l’empire. Il est certain, du
reste, que la charte de 817 reçut l’approbation du souverain pontife.
Une disposition de l’acte que
nous venons d’analyser excluait les bâtards de toute succession au trône de
leur père, et à défaut d’enfant légitime désignait pour successeur le frère
aîné du défunt. Bernhard, qui était petit-fils illégitime de Charlemagne et qui
avait hérité de la couronne d’Italie, se crut atteint par ce décret; il voulut
s’assurer la possession de son royaume, en demandant aux cités des serments
dans lesquels l’empereur n’était point nommé. Cette tentative
d’affranchissement parut d’abord avoir quelque chance. Non-seulement les
seigneurs lombards et les évêques de ce pays, mais encore d’autres grands de
l’empire étaient de son parti. Eginhard cite entre autres Eggidéon,
le plus intime des amis du prince; Reginard, son
chambellan; Reginaire, fils du comte Meginhaire, dont l’aïeul maternel avait autrefois conspiré
contre Charlemagne; Anselme, évêque de Milan; Wolfold,
évêque de Crémone, et Théodulf, évêque d’Orléans.
Louis le Débonnaire publia un
ban de guerre, rassembla à la hâte une armée formidable et se dirigea à marches
forcées vers l’Italie. Bernhard, voyant que chaque jour il était abandonné par
quelqu’un des siens, déposa les armes et vint à Châlons se livrer à l’empereur.
Tous ses partisans l’imitèrent. Revenu è Aix-la-Chapelle, Louis, peut-être à
l’instigation d’Irmengarde, les fit juger par le grand plaid des Francs, réuni
dans cette ville en 818. Tous furent condamnés à mort; mais l’empereur, voulant
faire preuve de clémence, décida qu’ils seraient seulement privés de la vue. Le
résultat fut le même pour Bernhard et son chambellan Reginard:
car ils moururent l’un et l’autre après l’opération. Bernhard n’était âgé que
de dix-neuf ans. Quant aux évêques, déposés par le décret du synode, ils furent
relégués dans des monastères; les autres conjurés, suivant leur degré de
culpabilité, furent ou punis de l'exil ou rasés et enfermés dans des couvents.
L’empereur saisit l’occasion de se débarrasser des craintes que lui inspiraient
les bâtards de Charlemagne. Il fit tonsurer ses trois frères naturels, Drogon,
Hugues et Thierry.
Ces actes de cruauté, qu’on
attribue avec quelque apparence de raison à l’influence d’Irmengarde, furent
cause de la première humiliation que s’imposa Louis le Débonnaire lorsqu’il fit
l’aveu public de ses péchés devant l’assemblée d’Attigny. Il avait la
conscience bourrelée de remords. Après la mort de sa femme Irmengarde, on crut
qu’il allait renoncer au monde et cacher sa douleur dans un couvent. Il fit
mieux, il s’efforça de réparer dans la mesure du possible le mal qu’il avait
fait.
Au mois d’octobre 821, une
assemblée générale des Francs fut tenue à Thionville. On y célébra avec
solennité le mariage de Lothaire, fils aîné de l’empereur, avec Irmengarde,
fille du comte Hugues. Le primicier Théodore et le surintendant Florus,
ambassadeurs du souverain pontife, s’y rendirent avec de riches présents. «La
singulière bonté du très-pieux empereur, dit Eginhard, brilla dans cette
assemblée; il en donna des preuves à l'occasion de ceux qui, avec son neveu
Bernhard, avaient conspiré en Italie contre sa personne et contre l’État. Les
ayant fait comparaître en sa présence, non-seulement il leur fit grâce de la
vie et leur épargna toute mutilation; mais il poussa la générosité jusqu’à leur
restituer tous les biens qui, en vertu de leur condamnation, avaient été
adjugés au fisc. Il fit aussi revenir Adalhard de l’Aquitaine, où il était
exilé, voulut qu’il fût, comme auparavant, abbé et supérieur du monastère de
Corbie, et pardonnant en môme temps à Bernhard, frère d’Adalhard, il le
réintégra dans le môme monastère»
Les dispositions de
l’empereur à la clémence et à la contrition ne connurent bientôt plus de bornes.
A l’assemblée tenue à Attigny l’année suivante, 822, il se réconcilia avec ses
frères illégitimes, en présence des évêques et de tous les grands du royaume;
puis il se rendit à l’église, où il confessa publiquement ses péchés et déclara
vouloir se soumettre à une pénitence pour avoir fait tonsurer malgré eux les
fils de son père, et pour les rigueurs exercées contre Bernhard, fils de son
frère Pépin, contre l’abbé Adalhard et Wala, frère de ce dernier. Ici encore
nous ne saurions être d’accord avec M. Himly, qui voit dans ces faits le
triomphe du parti aristocratique. Il nous paraît plus naturel de les attribuer
à la dévotion excessive et croissante de Louis le Débonnaire, ce qui prouve
bien plus l’influence du clergé que celle de l’aristocratie franque.
II est à remarquer que cette
sorte d’affaiblissement d’esprit ne se manifesta chez l’empereur qu’après la
mort de l’impératrice Irmengarde. Il eut alors, comme nous l’avons déjà dit,
l’idée d’abdiquer et de se retirer dans un monastère. Mais tout à coup une singulière
révolution s’opéra dans son esprit: les pensées pieuses firent place à des
pensées d’amour et de mariage. Il se fit présenter toutes les filles de ses comtes et choisit la plus belle pour en faire sa femme.
C’était Judith, fille du comte Huelpus ou Welf, de
l’extrême frontière de la Bavière vers la Souabe. «Judith était d’une beauté
ravissante, dit M. Himly, les pieux évêques de la cour de Louis sont unanimes
pour l’attester. Mais elle n’était pas belle seulement: gracieuse et enjouée, douce
et insinuante, elle réunissait toutes les qualités qui captivent le coeur des hommes; courageuse et sensée, instruite et
spirituelle, elle avait tout ce qui enchaîne les esprits»
A ces qualités aimables elle
en joignit bientôt une autre, qui eut les conséquences les plus funestes.
Devenue mère en 823, elle poussa l’amour maternel jusqu’au point de lui
sacrifier aveuglément son propre bonheur, celui de son époux et le repos de
l’empire. Charles était le nom de son fils, appelé dans l’histoire Charles le
Chauve. Il était venu au monde tardivement, après le partage des États de son
père; Judith voulut néanmoins qu’il eût une part de cette grande succession, et
même la plus belle des parts. Les grands politiques, les hommes d’État de
l’époque avaient déjà dû céder à la volonté d’Irmengarde; ils n’avaient sauvé
l’unité de l’empire que par un expédient plus ou moins heureux : ils allaient
avoir à lutter contre une femme autrement forte, autrement puissante et
autrement énergique que la première épouse de Louis.
Vers l’époque de la naissance
de Charles le Chauve, Lothaire, qui avait été nommé roi d’Italie en 820, fut
envoyé dans son royaume en qualité d’associé à l’empire. Wala, rentré en
grâce, et d’autres abbés furent nommés ses conseillers. Le pape Pascal
l’engagea à venir à Rome, où il le couronna empereur et Auguste, le jour de
Pâques, dans la basilique de Saint-Pierre. Les Romains, dont il était le
seigneur territorial, lui prêtèrent en 824 serment de fidélité. Il publia cette
année même une ordonnance devenue célèbre par son article 5, qui autorisait
chaque habitant à faire sa profession de loi, c’est-à-dire à déclarer la loi
selon laquelle il entendait vivre et être jugé. M. Himly considère cet acte
comme un traité entre le Saint-Siège et l’empire, dû à l’habileté diplomatique
de Wala. Il y était stipulé, suivant lui, que l’élection pontificale devait
appartenir aux Romains, mais n’être valable qu’après la confirmation impériale.
L’article 3, cité par M. Himly à l’appui de son assertion, ne paraît pas avoir
cette portée; il s’explique par les événements qui venaient d’agiter la
capitale de l’Église: à la mort de Pascal, deux papes avaient été élus, l’un
par le peuple, l’autre par la noblesse; l’article 3 semble avoir eu pour but
d’assurer le privilège de l’élection à ceux qui de toute ancienneté avaient
exercé ce droit, c’est-à-dire à la noblesse romaine, et d’exclure la plèbe. Il
n’y a là aucune stipulation qui concerne les droits de l’empire; l’acte en
général n’a d’autre objet que de régler les droits des Romains.
Mais revenons à Judith. C’est
vers Lothaire, qui était l’héritier présomptif de l’empire et qui déjà portait
la couronne impériale, qu’elle tourna d’abord ses vues. Elle le choisit pour
parrain et père spirituel de son enfant. Peu de temps après, elle sut si bien
le circonvenir qu’avec l’aide de Louis le Débonnaire, elle lui arracha le
serment de servir de tuteur et de défenseur à son jeune frère contre tous ses
ennemis, quel que fût d’ailleurs le royaume que son père lui assignerait.
Cependant Lothaire ne tarda point à se repentir de l’engagement qu’il avait
pris. Instigué par le comte Hugues, dont il avait épousé la fille, et par
Matfried, comte d’Orléans, il aurait voulu pouvoir reprendre sa parole. Il ne
s’en cachait point et l’on savait qu’il cherchait l’occasion de violer un
serment par lequel il ne se croyait pas lié.
Quand Judith eut acquis la
certitude qu’il en était ainsi, elle ne vit plus dans Lothaire et ses
conseillers que des ennemis de son fils Charles. Elle songea dès lors à lui
faire des partisans et à lui procurer un appui pour l’avenir parmi les
seigneurs les plus entreprenants et les plus valeureux. Celui qui fixa
particulièrement son attention fut Bernard, fils de Guillaume au Court-Nez et
filleul de Louis le Débonnaire; il avait été nommé duc de Septimanie après la
trahison du comte Bero, marquis de la frontière
espagnole. Ce jeune seigneur s’était distingué entre tous par sa bravoure et
son audace; seul il avait tenu les ennemis en échec derrière les murailles de
Barcelone, lorsqu’en 826 la Marche presque entière avait été soulevée par le
Goth Aïzon. Les comtes Hugues et Matfried, envoyés à
son secours, l’avaient laissé aux prises avec l’armée arabe et ne s’étaient
montrés qu’après que celle-ci eut opéré sa retraite sur Saragosse. La
résistance héroïque de Bernard avait porté au plus haut degré sa réputation
militaire, tandis que Matfried et Hugues, ces ennemis de Judith et de son fils,
accusés de trahison, avaient été condamnés par l’assemblée générale tenue à
Aix-la-Chapelle en 828.
Évidemment le duc de
Septimanie n’était pas un homme ordinaire; il était, comme on dit, d’une trempe
supérieure. Ses expéditions aventureuses contre les Arabes n’avaient fait que
développer le caractère qu’il tenait de la nature. C’était l’homme qui
convenait à Judith pour l’exécution de ses desseins. On a supposé que
l’alliance intime de cette princesse avec Bernard avait une autre cause; ses
ennemis l’ont accusée d’adultère, comme si l’amour maternel ne suffisait pas
pour expliquer cette liaison. «Judith voulait conquérir un royaume à son fils,
dit M. Himly; elle avait besoin d’un homme énergique et entreprenant pour
briser la résistance de l’aristocratie... Ses vues, en contractant cette
alliance, sont si simples et si naturelles, qu’il est inutile d’insister. Plus
ambitieuse pour son fils que pour elle-même, elle prodiguait tout ce que le
ciel lui avait donné de grâce et d’esprit pour lui acquérir une belle couronne.
C’était son amour maternel qui lui inspirait ses intrigues, comme il la
conduisit plus tard à commander des armées»
Du reste, avant d’appeler
Bernard à lui prêter le secours de son bras, Judith avait cherché à atteindre
son but par des voies moins violentes. Les donations, les concessions de
bénéfices étaient le grand moyen qu’on employait à cette époque pour se faire
des partisans. Les biens de l’Église, à défaut d’autres, servaient à cet usage.
On disait que Judith avait eu recours à ce moyen. Elle avait donné l’abbaye de
Chelles à sa mère; mais ce n’était pas là un acte politique. A l’assemblée
générale tenue à Aix-la-Chapelle en 828, on lui reprocha de disposer des
bénéfices ecclésiastiques en faveur de ses créatures et même de les donner à
des seigneurs laïques. Le mécontentement du clergé éclata dans les quatre
synodes qui furent réunis au mois de juin 829, et dans l’assemblée de Worms qui
eut lieu la même année au mois d’août. Ce fut cependant à cette assemblée
générale que l’acte de partage de l’an 817 fut modifié. On retrancha des
royaumes des trois frères, pour la donner à Charles, alors âgé de six ans,
toute l’Alémanie y compris l’Alsace, le pays des Grisons, la partie de l’Helvétie
qui y touche et la haute Bourgogne. Nous n’avons plus le texte de cet acte, mais
il est rapporté dans des chroniques dignes de foi, et son authenticité est
confirmée par les événements qui suivirent.
Si l’on en croit M. Himly,
cette sorte de remaniement de l’empire n’eut pas lieu à l’assemblée de Worms,
mais après la clôture de cette assemblée et par un coup d’État. Certes Judith,
qui marchait résolument vers son but, n’aurait pas reculé devant cette
nécessité. S’il n’avait pas été possible de faire modifier le partage de 817
par une assemblée régulière, elle n’aurait pas hésité à le faire modifier par
l’autorité de l'empereur; mais la vérité historique ne permet pas les
hypothèses. Un coup d’État, tel que le suppose M. Himly, aurait produit un
soulèvement immédiat. Il paraît, au contraire, que le pays demeura
parfaitement calme. Bernard, duc de Septimanie, fut nommé camérier de
l’empereur, et on lui donna des fonctions équivalentes à celles des anciens
maires du palais, c’est-à-dire qu’il devint la seconde personne de l’empire. Le
jeune Charles fut placé sous sa commendatio. Cet arrangement avait
l’approbation générale dans la partie germanique de l’empire, où régnait le
principe de l’égalité des droits entre tous les enfants. Les Saxons surtout,
qui étaient fort attachés à l’empereur Louis, y applaudissaient comme à un acte
de justice.
L’unité de la monarchie
venait donc d’éprouver un nouvel échec, et c’était la seconde femme de Louis le
Débonnaire qui lui avait porté ce coup. Le mal était-il irréparable, et
devait-on déjà désespérer de pouvoir ressouder cet empire, qui ne faisait
encore que commencer à se disjoindre? Malheureusement alors, bien plus encore
qu’aujourd’hui, les questions de personnes tenaient une grande place dans la
politique: on s’occupa bien plus des moyens de se venger de Judith et de
Bernard que du soin de consolider l’édifice social. Et cependant un homme
d’État se trouvait à la tête du parti de l’unité. Wala, petit-fils de Charles
Martel, ancien ministre de Charlemagne, en dernier lieu abbé de Corbie,
personnifiait en quelque sorte l’idée de l’unité politique et religieuse de la
monarchie franque, sous la double suprématie de l’empereur et du pape. On
l’avait entendu, à l’assemblée d’Aix-la-Chapelle, en 828, déclamer en termes
vagues contre le gouvernement de Louis le Débonnaire et contre les hommes
auxquels il confiait la direction des affaires publiques. Il contestait surtout
le pouvoir que s’attribuait l’empereur de disposer des dignités ecclésiastiques
et des biens de l’Église. On l’avait vu ensuite dicter, aux quatre synodes
réunis en 829, des propositions par lesquelles les évêques suppliaient respectueusement
l’empereur de ne pas courir à sa damnation éternelle, en persévérant dans la
voie dans laquelle il s’était engagé. Wala espérait sans doute agir, par ces
moyens, sur l’esprit faible et timoré de Louis, et l’empêcher d’accomplir
l’acte que déjà l’on prévoyait. Mais Judith l’emporta; son influence était
autrement puissante que celle de l’abbé de Corbie. L’acte si redouté fut
accompli; on foula aux pieds les stipulations du partage de 817; il ne fut plus
question de ces garanties de l’unité de la monarchie.
Néanmoins Wala ne se
regardait pas comme vaincu sans retour. Il songea sérieusement, au contraire, à
rétablir l’ordre de choses fondé par l’acte de 817, qui était, à proprement
parler, la constitution de l’empire. Les moyens qu’il mit en oeuvre ne furent pas tous également bien choisis; mais il
réussit pour un moment, et, sans une réaction de l’élément germanique pur, le
succès de son entreprise eût été décisif. Il organisa une conspiration parmi
les membres de l’aristocratie ecclésiastique et laïque. II n’eut pas de peine à
y affilier les trois princes impériaux du premier lit: Lothaire, qu’en avait
envoyé en Italie pour l’éloigner, Pépin, qui menait joyeuse vie en Aquitaine,
et Louis, qui était retenu au palais d’Aix-la-Chapelle. Les conjurés
s’efforcèrent de soulever l’opinion publique par la calomnie : on représenta
Judith comme une femme débauchée, entretenant un commerce honteux avec Bernard;
on fit courir le bruit qu’ils voulaient assassiner l’empereur et écraser
ensuite l’un après l’autre les princes impériaux et les leudes les plus
puissants; qu’en cas d’échec, ils se seraient réfugiés auprès des Arabes
d’Espagne.
Les événements qui suivirent
semblent démontrer que ces contes absurdes firent leur chemin et qu’ils
produisirent l’effet qu’on en attendait. Au printemps de l’année 830, Louis le
Débonnaire ayant résolu de faire une grande expédition contre les Bretons, convoqua
à Rennes le heerban des Francs. Aussitôt Wala
fit savoir à Pépin, roi d’Aquitaine, que sous prétexte de combattre les
Bretons, Bernard méditait une expédition contre lui, et ne songeait à rien
moins qu’à le tuer, après avoir au préalable assassiné son père. Soit que Pépin
crût ou ne crût pas à ces nouvelles alarmantes, toujours est-il qu’il promit
aux conjurés d’envahir la Neustrie au premier mouvement de révolte.
Cependant Louis le Débonnaire
s’embarqua avec sa femme et le duc Bernard, pour se rendre à Rennes, par la
voie de mer. Il s’était arrêté à l’abbaye de Sithiu,
lorsqu’il apprit que l’armée était en pleine insurrection, et qu’au lieu
d’aller au rendez-vous fixé, elle s’était concentrée sous les murs de Paris.
Déjà Pépin avait fait sa jonction avec les conjurés à Verberie, près de Senlis;
il amenait tous les grands qui, frappés de disgrâce, s’étaient réfugiés auprès
de lui : Hugues, Matfried, Hilduin, Josse d’Amboise, etc. Louis, le plus jeune
des trois frères, s’étant échappé d’Aix-la-Chapelle, ne tarda point à venir aussi
rejoindre les rebelles. On n’attendait plus que Lothaire.
Dans le manifeste que
publièrent les conjurés, il était dit qu’ils combattaient pour la fidélité due
au roi et à l’empire, pour le salut du peuple et de la patrie, pour
l’affermissement du royaume et la succession légitime au trône. En d’autres
termes, dit M. Himly, ils demandaient la mort ou l’exil de Bernard, l’éloignement
de Judith et la restauration du régime précèdent. Leurs voeux ne pouvaient manquer de s’accomplir; toute résistance était impossible. Louis
le Débonnaire permit à Bernard d’aller chercher un refuge dans sa ville de
Barcelone; Judith se retira au monastère de Sainte-Marie de Laon, d'où on la
fit bientôt transférer au monastère de Sainte-Radegonde à Poitiers. Ses deux
frères furent tonsurés et également enfermés dans un couvent.
L’empereur lui-même se rendit
à Compiègne, et s’y mit entre les mains de son fils Lothaire, qui venait
d’arriver d’Italie. Faisant de nécessité vertu, il déclara vouloir restaurer
l’empire tel qu’il l’avait autrefois ordonné et constitué, d’accord avec ses leudes.
Lothaire ne se contenta point de cette déclaration; il emmena son père à
Aix-la-Chapelle, et sans le dépouiller de la dignité impériale, il le fit
garder à vue par des moines, qui devaient l’engager à embrasser la vie
monastique. Mais à la diète d’automne, qui fut convoquée à Nimègue, et à
laquelle assistèrent tous les seigneurs germains et saxons, une forte réaction
s’opéra en faveur du vieil empereur. Lothaire en fut si effrayé, qu’il alla, en
fils repentant, se jeter aux pieds de son père pour lui demander pardon. Ses
anciens complices furent arrêtés; Wala fut renvoyé à Corbie, Hilduin exilé à
Paderborn.
L’année suivante (février
831), on traduisit devant la diète d’Aix-la-Chapelle tous ceux qui avaient pris
parti contre Louis le Débonnaire à Compiègne et à Nimègue. Ils furent condamnés
à la peine de mort; on se contenta de les exiler et de les dépouiller de leurs
biens. La même assemblée rétablit solennellement l’impératrice Judith dans son
titre et ses droits d’épouse; mais déjà depuis l’assemblée de Nimègue, elle
avait repris sa place et toute son influence à la cour impériale; et bien
qu’elle fût désormais privée de l’assistance de Bernard, elle n’en persistait
pas moins dans ses projets ambitieux en faveur de son fils Charles.
Nithard rapporte que
Lothaire, déchu de la dignité impériale, obtint à peine et conditionnellement
la permission de retourner à son royaume d’Italie, tandis que les États de
Pépin et de Louis furent agrandis. Il y eut donc un nouveau partage de l’empire.
C’est à cette époque probablement que se rapporte une charte de partage dont la
date est inconnue et que M. Pertz place à l’an 830 et Baluze à l’an 838. Il n’est aucunement question, dans cette charte, de la dignité
impériale, ni de la suzeraineté du frère aîné sur les royaumes de ses frères
puînés. Le nom même de Lothaire n’y est pas mentionné. Louis le Débonnaire
divise l’empire, sans y comprendre l’Italie, entre ses trois fils, Pépin, Louis
et Charles, et ne s’en réserve que le gouvernement supérieur. L’Aquitaine,
royaume de Pépin, est augmentée non-seulement de tous les pays situés entre la
Loire et la Seine, mais encore d’une bonne partie de la Neustrie et de la
Bourgogne ultra-séquanaise. A la Bavière, qui est le lot de Louis, on ajoute la
Thuringe, la Saxe, la Frise et la majeure partie de l’Austrasie, les Ardennes
avec Stavelot et Malmedy, la Hesbaie, le Brabant, la
Flandre et le pagus Mempiscus, le Melanthais, le Rainant, l’Ostrevant,
et le pays de Thérouanne, ainsi toute la Belgique, et de plus Boulogne, Quentavic, plusieurs pagi entre Cambrai et
Saint-Quentin et la Veromandie.
Charles obtient, outre son
apanage d’Allemanie, la Gothie,
la Provence et les comtés restés vacants de la Bourgogne, de la Neustrie et de
l’Austrasie. On lui donne, en outre, au coeur de la
France, Varennes près d’Auxonne, Chartres, Reims, Laon et le pays Mosellan avec
Trêves et Metz.
Ce nouvel acte de partage ne
contenait pas encore le dernier mot des avantages destinés au fils de Judith;
il n’avait même rien de définitif, car l’empereur se réservait formellement le
droit de le changer ou modifier à son gré. «Si quelqu’un de nos trois fils
susnommés, y était-il dit, désireux de plaire à Dieu d’abord et à nous ensuite,
se distingue par son obéissance et sa bonne volonté, et qu’il mérite par la
pureté de ses mœurs d’obtenir un accroissement de dignité et de puissance, nous
voulons qu’il demeure en notre pouvoir de prendre, sur la part de celui de ses
frères qui aura négligé de nous plaire, de quoi augmenter son royaume, sa
dignité et sa puissance, et de l’élever à la hauteur dont il se sera montré
digne par ses mérites»
Cette clause ne pouvait avoir
été dictée que par Judith, qui nourrissait l’espoir d’élever son fils Charles
au-dessus des autres enfants de Louis le Débonnaire. Les événements ne
tardèrent pas à le démontrer. Il était facile de prévoir que Pépin et Louis ne
seraient pas satisfaits de ce genre de royauté, qui les réduisait à la
condition de fonctionnaires amovibles. L’empereur avait fait venir Pépin à
Aix-la-Chapelle et voulait l’y retenir; dès les premiers jours de l’an 832, ce
jeune prince enfreignit l’ordre de son père et s’en retourna secrètement en
Aquitaine. L’occasion de sévir contre lui fut saisie avec empressement; on
convoqua aussitôt un plaid général à Orléans pour le juger. Lothaire devait y
venir d’Italie, et l’empereur entendait s’y faire accompagner par Louis le
Germanique. Mais celui-ci leva lui-même l’étendard de la révolte, et envahit l’Allemanie qui faisait partie du royaume de Charles.
L’empereur convoqua le heerban à Mayence, au
mois d’avril 832. Louis, qui était à Worms, se retira vers la Bavière; il fut
poursuivi jusqu’à Augsbourg, où, cédant à la supériorité des armes de son père,
il fit sa soumission et promit de ne plus se révolter. Il obtint sans peine le
pardon qu’il sollicitait.
Cependant l’expédition
d’Aquitaine n’était pas abandonnée. C’est de ce côté qu’étaient tournées les
vues de l’empereur et surtout celles de l’impératrice Judith. Le grand plaid
d’Orléans fut convoqué pour le mois de septembre. Pépin crut désarmer son père,
comme avait fait Louis, en venant en personne faire sa soumission; mais
l’empereur le fit arrêter et conduire à Trêves. Sans plus hésiter, il annexa le
royaume de Pépin à celui de Charles, et les Aquitains présents au plaid furent
invités à prêter serment d’obéissance à leur nouveau souverain.
Judith triomphait, comme bien
on pense; mais cette politique de femme, exclusivement fondée sur l’amour
maternel, était trop audacieusement imprévoyante pour conduire à de bonnes
fins. Il y avait presque de la puérilité à croire qu’elle ne soulèverait pas
des orages. Dès que les desseins de l’empereur et de sa femme ne furent plus
douteux pour personne, ils mirent en émoi non-seulement les trois frères, qui
se voyaient menacés dans leurs possessions, mais encore tous les partisans de
l’unité de l’empire et de l’Église. Agobard, archevêque de Lyon, écrivit à
Louis une lettre qui nous a été conservée, pour le conjurer de se rappeler les
serments inviolables prêtés en 817. Il lui reproche d’avoir tout renversé,
d'avoir omis le nom de son fils aîné dans les actes de l’empire, ce qui semble
être une allusion à la charte de partage dont nous avons parlé ci-dessus :
«Vous faites, dit-il, murmurer le peuple de tous ces serments divers que vous
exigez de lui». Pépin, qui s’était évadé de Trêves, et son frère Louis firent
ouvertement appel à la révolte ; ils étaient secondés par Wala, Elisachar, Matfried et tous ceux qui avaient été condamnés
à l’exil. On engagea Lothaire à se mettre à la tête du mouvement et à marcher
contre son père. Le pape lui-même fut sollicité de passer les Alpes, pour venir
appuyer de son autorité le principe de l’unité de l’Église et de l’État.
Au printemps de l’an 833, on
vit en effet le souverain pontife se mettre en route avec Lothaire, et venir se
joindre aux insurgés. Déjà Pépin et Louis avaient pris les armes. Les trois
frères et le pape firent leur jonction dans la plaine de Rothfeld,
vaste bruyère située entre le Rhin et les Vosges, près de Colmar. Louis le
Débonnaire, à la tête d’une armée considérable, marcha au-devant d’eux. Il
était accompagné d’un certain nombre d’évêques qui voyaient dans la démarche
du chef de l’Église une usurpation des droits de l’empire. Quand les deux
armées se trouvèrent en présence, le 24 juin 833, le pape Grégoire voulut
faire une dernière tentative de réconciliation; il alla trouver l’empereur
dans sa tente; on négocia pendant plusieurs jours, mais sans aboutir. Ces longs
pourparlers n’eurent d’autre résultat qu’une défection complète dans le camp de
Louis. A en croire les historiens du temps, les troupes de l’empereur
s’écoulèrent comme un torrent vers ses fils.
Au bout de trois jours, Louis
le Débonnaire se trouva seul dans son camp avec Judith, son fils Charles, le
fidèle Drogon et quelques comtes et évêques. Exposé aux insultes de la lie de
l’armée, lui-même demanda à être mis sous la protection de ses fils. On le
conduisit avec les siens dans la tente de Lothaire, où il fut immédiatement
séparé de Judith et de son fils. On envoya l’impératrice sous escorte à Tortose, en Italie, et le jeune Charles à l’abbaye de Prum en Ardenne. Dans une assemblée tumultueuse qui fut
tenue immédiatement, Lothaire déclara que l’empire étant tombé des mains de son
père par la volonté de Dieu, il était juste que lui, son héritier présomptif et
son associé au trône, le relevât. Il se fit en conséquence proclamer empereur
unique et souverain de toute la monarchie. Les places et les dignités de la
cour furent partagées entre les grands de son parti.
«Le désordre, dit M. Himly,
avait été intronisé avec Lothaire. Chacun des leudes puissants qui l’avaient
soutenu dans sa tentative, Hugues, Matfried, Lambert, prétendait à la première
place après lui, et, en attendant qu’ils se missent d’accord, ils partageaient
l’empire entre eux et leurs partisans... Le pape s’en retourna à Rome dégoûté
des intrigues mesquines qu’il avait vues, repentant peut-être de ce qu’il avait
fait lui-même» De leur côté Louis le Germanique et Pépin, dont les États
paraissent avoir été augmentés par un nouveau partage de l’empire, s’en
retournèrent chez eux. Lothaire emmena son père prisonnier dans l’intérieur de
la Gaule, et le fit provisoirement enfermer au couvent de Saint-Médard, à
Soissons.
La grande trahison était
consommée. Le Rothfeld reçut depuis lors le nom de Lügenfeld, champ du mensonge. On le montre encore aujourd’hui
aux voyageurs qui traversent la haute Alsace. Rien ne prospère, dit-on, dans
cette plaine désolée, toujours battue par les vents froids . Il restait à faire
déclarer Louis à jamais inhabile à régner. Comme il n’y avait pas de raison de
droit sur laquelle un plaid général pût motiver une semblable condamnation, on
prit une autre voie pour arriver au même but. Ce fut en soumettant le vaincu à
la grande pénitence de l’Église, qu’on le contraignit à se dépouiller de tous
les insignes et attributs du pouvoir. Un grand nombre d’évêques, ayant à leur
tête les archevêques Ebbo, de Reims, et Agobard, de Lyon, se prêtèrent à
l’exécution de cet acte blâmable.
L’histoire de ce triste drame
est assez connue : on amena Louis à Compiègne, où, en présence de Lothaire, d’un
nombre considérable de grands et du peuple entier, entouré des évêques coalisés
et d’autres ecclésiastiques, il fut étendu sur un cilice et obligé de se
prosterner devant l’autel et de lire à haute voix une formule qu’on lui avait
mise en main, contenant la confession de ses grands péchés. Il dut ensuite ôter
son ceinturon, signe de la vie militaire, et endosser la robe grise des
pénitents; après quoi on le reconduisit dans sa prison.
Lothaire, craignant que son
malheureux père ne fut délivré par un de ses fidèles, l’amena malgré lui de
Compiègne à Aix-la-Chapelle. Mais il ne jouit pas longtemps de son triomphe
sacrilège. L’opinion publique se souleva contre ce fils dénaturé; l’indignation
générale devint si menaçante, qu’Agobard, un des évêques qui avaient assisté au
drame de Compiègne, se crut obligé de publier un mémoire justificatif, dans
lequel sont reproduites toutes les vieilles calomnies répandues contre Judith
au temps de son alliance avec le duc Bernard. «La jeune femme de l’empereur, y
est-il dit, sentant son époux s’attiédir à son égard, chercha d’autres hommes
pour assouvir sa lasciveté, en secret d’abord, et puis en public; le peuple en
riait, les grands s’en affligeaient, tous ceux qui avaient quelque honneur
jugeaient la honte intolérable... »
Cette fois encore la réaction
vint du côté des populations germaniques de l’empire. Aux yeux des Francs,
l'humiliation infligée au fils de Charlemagne était une injure faite à la
nation. Le roi de Bavière, Louis, se vit entraîné par le mouvement qui se
faisait dans toute la Germanie. Il avait d’ailleurs épousé une soeur de Judith, qui ne devait pas être insensible aux
malheurs de l’impératrice. Ses deux oncles, l’évêque Drogon et l’abbé Hugues,
qui, toujours fidèles au chef de la dynastie, s’étaient retirés à sa cour,
eurent d’autant moins de peine à le déterminer à prendre parti pour son père,
qu’il était blessé des prétentions impérialistes de Lothaire. Il envoya
d’abord une ambassade à son frère aîné pour l’engager à montrer plus
d’humanité à l’égard de leur père commun; il eut ensuite une entrevue avec lui
à Mayence, mais ils se séparèrent plus brouillés que jamais. Hugues, abbé de
Saint-Quentin, fut alors chargé d’ouvrir des négociations avec Pépin, qui pas
plus que Louis le Germanique n’était disposé à souffrir la suprématie de
Lothaire. Bientôt les deux jeunes rois se trouvèrent d’accord pour délivrer
l’empereur prisonnier. Pépin se mit il la tête des Aquitains et des
Ultra-Séquaniens; Louis convoqua les Austrasiens et les Germains. Dès que Lothaire
fut informé de ces négociations, ne se jugeant plus en sûreté à Aix, il se
transporta à Saint-Denis, et y convoqua tous ses partisans; mais il lui arriva
ce qui était arrivé à Louis le Débonnaire à Rothfeld:
abandonné de ses leudes, il s’enfuit à travers la Bourgogne vers le
Rhône et laissa son père avec le jeune Charles à Saint-Denis. Il ne s’arrêta
qu’à Vienne en Dauphiné.
Louis le Débonnaire aurait pu
immédiatement reprendre les rênes du gouvernement; mais il n’y consentit
qu’après avoir été solennellement relevé de sa condamnation ecclésiastique par
les évêques présents à Saint-Denis. Il se rendit ensuite à Kiersy pour y tenir un plaid général. Ses deux fils, Pépin et Louis, étant venus l’y
rejoindre, il les remercia chaleureusement de ce qu’ils avaient fait pour sa
délivrance. Après cela il partit pour Aix-la-Chapelle, où il trouva Judith,
qui avait été également mise en liberté.
Mais bientôt Lothaire, ayant
repris les armes, marcha au secours de Lambert et Matfried, ses plus dévoués
partisans, qui avaient levé des troupes dans la Marche de Bretagne. Il prit et
saccagea la ville de Châlons-sur-Saône, se rendit à Orléans et fit sa jonction
avec ses leudes aux environs de Laval. Louis le Débonnaire convoqua le heerban des Francs à Langres, au mois d’août 834. A
la tête d’une armée considérable, composée de Francs et de Germains, il se mit
à la poursuite de Lothaire, qui s’était retiré sur Blois. Celui-ci n’évita une
bataille et une défaite certaine, qu’en faisant sa soumission et en promettant
de se retirer en Italie et de ne plus repasser les Alpes sans la permission de
son père.
L’année suivante (835), au
mois de février, une assemblée générale fut convoquée à Thionville, et dans un
synode détaché, tenu à Metz sous la présidence de Drogon, on annula
solennellement la sentence de Compiègne. Quarante-quatre évêques prirent part
à cet acte de réparation. Les auteurs de la sentence, et parmi eux Ebbo,
arrêté au moment où il essayait de fuir, furent condamnés à leur tour. L’archevêque
Ebbo déposa sa dignité, et lut lui-même à l’assemblée un écrit contenant l’aveu
de son crime. Agobard, l’évêque Bernhard, de Vienne, et Barthélémi,
de Narbonne, furent déposés par contumace. L’archevêque Otgar,
de Mayence, l’ami intime d’Ebbo, quoiqu’il fût bien compromis aussi, échappa à
la condamnation. Nous ne voyons aucun des évêques de Belgique parmi les
condamnés ou les déposés. Ils étaient sans doute restés fidèles à l’empereur,
leur souverain et compatriote. Dans la lutte des évêques précédents au concile
de Metz, nous trouvons les noms de l’évêque Erard de Liège et de Théodoric de
Cambrai.
Quelques condamnations comme
celles d’Agobard et de Bernhard de Vienne, furent encore prononcées au plaid de
Crémieux près de Lyon, en juin 835. La conduite de l’épiscopat fut sans doute
la cause du grand concile qui eut lieu immédiatement après, à Aix-la-Chapelle,
et du statut de réforme qui y fut décrété. D’après M. Pertz, l’affaire du
partage de l’empire ne fut pas reprise à Crémieux, comme le pensent avec Pithou
et d’autres, MM. Fauriel et Himly. L’avis de ces auteurs repose sur l’opinion
attaquée par M. Pertz, que l’acte du partage de 830 appartient à 835.Il est
certain, dans tous les cas, que Judith obtint de son époux, soit alors, soit
peu de temps après, qu’il déterminât encore une fois la part de son fils
Charles; mais cet acte fut bientôt remplacé, par un nouveau partage arrêté à
Worms, en 837.
D’après Wedekind, s’appuyant
sur Nithard et les annales de Prudentius, Louis le
Débonnaire donna alors à son fils Charles la majeure partie de la Belgique, le
pays situé entre la Meuse et la Seine jusqu’à la Bourgogne; toute la Frise,
donc aussi la Hollande d’aujourd’hui, et une partie de la Zélande; le long des
frontières des Saxons et des Ripuaires, les comtés de Moilla, Haettra, Hammolant et Masagonwi; les territoires de Verdun, Toul, Ornois ;
le pagus Bedensis, dans le Luxembourg; Biaise,
Perche, Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine; Brienne, Troyes, Auxerre, Lens, le Gatinois
français, Melun, Etampes, Chartres, Paris, et le territoire s’étendant le long
de la Seine depuis Paris jusqu’à la mer. Les évêques, abbés, comtes et vassaux
de ces pays jurèrent fidélité à leur nouveau seigneur.
Cependant Louis le Débonnaire
se faisait vieux, et Judith commençait à craindre que l’édifice qu’elle avait
eu tant de peine à édifier ne s’écroulât à la mort de son époux. Il était
urgent de trouver un appui pour son fils Charles. Elle revint à Lothaire, qui, ayant
déjà été couronné empereur, ne tarderait pas, le cas échéant, d’exercer la
puissance suprême dans l’empire. On l’invita plusieurs fois, notamment en 836
et 838, à des réunions où devait se trouver son père. Lothaire vint enfin, en
839, à un grand plaid tenu par Louis le Débonnaire à Worms, vers la fin de mai.
Un arrangement fut alors conclu; il était d’autant, plus facile à faire que le
roi Pépin d’Aquitaine venait de mourir (le 13 décembre 838), et qu’on était
résolu à ne pas permettre à ses fils de lui succéder.
Louis le Germanique, dans une
entrevue qu’il eut avec son père au château de Bodman , sur le lac de Constance, avait été obligé de se contenter de la Bavière et de
quelques pays annexés. Presque toute la monarchie restait donc à partager entre
Lothaire et Charles. L’empereur en fit deux parts, l’une orientale, l’autre
occidentale, comprenant le royaume d’Italie, et en laissa le choix à Lothaire.
La limite qui les séparait à partir de l’Italie, étant telle que Aosta, le pays de Valais (Wallis), le pays de Vaud jusqu’au
lac de Genève, et la rive droite du Rhône jusqu’à Lyon, étaient compris dans la
part orientale. De là, les frontières s’étendaient le long de la Saône
jusqu’aux limites de la Lorraine et de la Champagne, et puis le long de la
Meuse jusqu’à la mer. La Savoie, le Dauphiné et la Provence se trouvaient dans
la part occidentale. Lothaire choisit la part orientale. Toute la Belgique, à
l’ouest de la Meuse jusqu’à la mer, tombait donc dans le lot de Charles. Le
terrain aujourd’hui occupé par la ville de Liège était séparé en deux par la
Meuse; la rive droite ou quartier d’outre-Meuse appartenait à Lothaire, la rive gauche à Charles; ou, si l’on veut, la première
faisait partie de l’Allemagne, la seconde de la France.
Ce dernier partage excita la
colère de Louis le Germanique et des fils de Pépin; mais l’empereur se rendit
promptement maître de l’Aquitaine, dont les habitants jurèrent fidélité à
Charles, en septembre 839, au camp de Clermont. Lorsqu’ensuite il apprit
l’invasion de la Saxe et de la Thuringe par Louis, il marcha contre lui et le
refoula dans la Bavière; de là il partit pour Worms, où il avait invité son
fils Lothaire à une conférence. Mais étant tombé subitement malade, il se fit
transporter dans une île du Rhin vis-à-vis d’Ingelheim.
C’est là, sous une tente, qu’il expira, le 20 juin 840, entre les bras de son
fidèle Drogon. Il avait, avant de mourir, pardonné à son fils Louis et proclamé
Lothaire empereur, recommandant à sa protection Judith et Charles, et ordonnant
de lui remettre le sceptre, la couronne et le glaive, joyaux symboliques de la
puissance impériale.
Ainsi mourut le fils de
Charlemagne. Avec lui descendit dans la tombe, comme dit M. Himly, jusqu’au
fantôme de l’unité de l’empire: car depuis longtemps l’empire même n’existait
plus de fait. Le prestige du grand nom de Charlemagne était le seul lien qui
parût encore relier entre elles ses diverses parties. Aquitains, Gallo-Francs,
Germains, Italiens, tout en reconnaissant encore la suprématie nominale d’un
seul empereur, s’étaient instinctivement séparés les uns des autres. Peut-être
eut-il été heureux pour ces peuples que leur séparation fût définitive et que
des prétentions dynastiques ne vinssent plus remettre en question leurs nationalités.
5.
TRAITÉ DE VERDUN
Avant de nous occuper du
traité de Verdun, nous devons nécessairement rappeler les événements qui y
donnèrent lieu. À la mort de son père, Lothaire fit connaître ù la nation qu’il
avait pris possession du pouvoir impérial; qu’il punirait les rebelles et qu’il
récompenserait les fidèles. On le reconnut comme empereur dans toute la
monarchie. Un de ses premiers actes fut de rétablir son partisan Ebbo sur le
siège archiépiscopal de Reims; un synode fut assemblé à cet effet à Ingelheim, et l’absolution du prélat y fut prononcée.
Il était à prévoir que
Lothaire, depuis longtemps couronné empereur et confirmé de nouveau dans cette
dignité par son père au lit de mort, ne tarderait pas d’user de son autorité
impériale et de prétendre à l’égard de ses frères à la même suprématie que son
père avait exercée. On pouvait prévoir aussi qu’il ne laisserait pas à son
frère Charles tous les territoires qui, en 839, lui avaient été attribués avec
son propre consentement. Il lâcha de rassurer ce jeune prince par quelques
paroles bienveillantes, mais il l’engagea en même temps à ne rien entreprendre
contre les fils de feu son frère Pépin en Aquitaine, sans en avoir conféré avec
lui.
Cependant Louis de Bavière
avait déjà rassemblé ses troupes et occupé la plus grande partie de l’Allemagne.
En dernier lieu, il établit un camp près de Francfort. Lothaire, qui se voyait
devancé dans ses projets hostiles, partit d’Italie au mois d’août, s’arrêta à
Worms, et vint camper à l’embouchure du Mein; mais, loin de s’empresser à
livrer bataille, il conclut une trêve jusqu’au 11 novembre. Il voulait dans
l’intervalle tourner ses armes contre Charles; il laissait à Louis ses
conquêtes, espérant de pouvoir les reprendre après qu’il aurait écrasé son frère.
Mais Charles n’avait pas manqué de se prémunir militairement contre la
fourberie depuis longtemps connue de Lothaire. Laissant une partie de son armée
en Aquitaine, pour occuper Pépin II, il s’avança vers le nord. Lothaire
occupait déjà la Belgique, où il avait des partisans; il se hâta d’arriver sur
la Seine; ses vassaux du nord de la France se soumirent sans opposition; il
s’arrêta à Chartres.
De son côté, Charles était
arrivé à Orléans, de sorte que les deux frères se trouvaient peu éloignés l’un
de l’autre. Lothaire lui fit proposer une modification provisoire du dernier
partage: il lui aurait laissé l’Aquitaine, la Septimanie, la Provence et dix
comtés entre la Loire et la Seine; un traité définitif devait être conclu à
Attigny, le 8 mai 841 ; jusque-là, Louis le Germanique ne serait pas
attaqué. A peine cet arrangement fut-il préparé, et
accepté par les grands du parti de Charles, que les intrigues et les menées
déloyales de Lothaire en rendirent la conclusion impossible.
Louis semblait avoir fait de
grands progrès eu Germanie; il avait reçu les hommages des Allemans, des
Saxons, des Thuringiens et des Francs établis le long du Rhin. Il se trouvait
avec ses troupes à Worms. Lothaire revint à lui et marcha contre son armée avec
des forces imposantes. Les partisans de Louis soutinrent faiblement l’attaque;
il fut bientôt abandonné par le plus grand nombre d’entre eux, et dut se
réfugier de nouveau en Bavière. Lothaire, se voyant maître du terrain, retourna
à Aix-la-Chapelle pour y célébrer la Pâque; mais un corps d’observation
commandé par Adalbert comte de Metz, créé duc par lui, se porta dans la contrée
appelée encore aujourd’hui le Riess, qui forme la frontière entre la Souabe et
la Bavière, près de Nördlingen.
Charles s’était rendu le 7
mai à Attigny; il y attendit l’empereur jusqu’au 12. Celui-ci, au lieu de
venir, contracta contre lui une alliance avec Pépin II. Charles se hâta d’en
conclure une autre avec Louis le Germanique, qui attaqua Adalbert près de Nördlingen,
le battit et même le tua. Les armées des deux frères se rapprochèrent alors;
elles firent leur jonction sur la rive gauche de la Marne, près de Châlons.
Lothaire, d'un naturel peu
actif, voulait gagner du temps, pour voir arriver les secours de Pépin, qu’il
avait demandés. Afin de tromper ses frères, il leur fit faire diverses
propositions de paix; mais ils ne se laissèrent pas arrêter et s’avancèrent
contre lui. Au milieu du mois de juillet 841, ils se trouvaient à proximité de
l’armée de Lothaire, près d’Auxerre, sur l’Yonne (frontière septentrionale de
la Bourgogne). Entre le 21 et le 25 juillet, de nouvelles négociations furent
entamées, mais infructueusement. Pépin II n’étant pas encore arrivé, Lothaire
cherchait à différer la bataille. Son camp était près d’un village nommé Fontanetum, connu sous le nom français de Fontenai
et appelé aujourd’hui Fontenailles. C’est là que la bataille eut lieu, le 25 du
mois de juillet 841.
Nous croyons pouvoir passer
sous silence les détails de ce grand fait d’armes. La bataille de Fontenai a
été décrite par Nithard et par Agnellus, envoyé du
pape, qui tous deux y assistèrent, le premier en combattant lui-même dans
l’armée de Charles. Elle dura pendant quatorze heures, et eut pour résultat de
priver l’empire des Francs de ses meilleurs guerriers. Elle fut si meurtrière,
qu’on évalua le nombre des morts, du côté de Lothaire seulement, à quarante
mille. Malgré le secours de Pépin, l’empereur fut vaincu.
Les Austrasiens, qui
n’avaient pas renoncé au principe de l’unité de l’empire, étaient de son côté;
ils combattirent en descendants des soldats de Charles Martel et de
Charlemagne. On les vit rompre les lignes formidables des Germains de Louis,
qui formaient le centre de l’armée des deux rois, et ils les auraient taillés
en pièces, s’ils n’avaient été pris en flanc par les Aquitains, les Provençaux
et les Bourguignons de Charles. Ils succombèrent mais glorieusement sous le
nombre de leurs ennemis. Sur cet effroyable champ de bataille tombèrent les
forts, les expérimentés aux batailles, comme les appelle le poète Anghelbert.
Si la bataille de Fontenai ne
fut pas le Waterloo de 841, elle conduisit cependant, mais plus tard, à la
conclusion de la paix de Verdun. On espérait que le vaincu se soumettrait à ce
jugement de Dieu; il n’en fit rien. Lothaire s’enfuit à Aix-la-Chapelle, et, n’étant
pas poursuivi par les vainqueurs, il tâcha d’y rétablir ses forces. Il engagea
les Normands à lui prêter assistance, et fit exciter par son fils Lothaire les
paysans saxons à cette révolte contre leurs seigneurs, qui est connue sous le
nom de Stellinga. Cette sorte de conjuration
pour le rétablissement de la liberté fut comprimée plus tard et cruellement
traitée par Louis le Germanique, qui vint en aide aux seigneurs attaqués par
leurs sujets et serfs (servi et leti).
La conduite de Lothaire
obligea ses frères à renouveler et fortifier leur alliance. C’est ce qu’ils
firent à Strasbourg le 16 des calendes de mars, par des serments solennels
prêtés tant par eux que par leurs armées. Ces serments furent prononcés par
Louis et les troupes de Charles en langue romane, par Charles et les Germains,
en langue tudesque. Leur formule nous a été conservée par Nithard; c’est un des
monuments les plus précieux du wallon-français et du flamand-allemand de cette
époque
Charles, parcourant les pays
tombés en sa possession, vers la fin de l’année 841, était parvenu jusqu’en Hesbaie (on croit même à Liège), où il reçut l’hommage des Hasbaniens dont il avait su gagner l’affection.
Menacé par Lothaire, il rebroussa chemin, et fit ensuite sa jonction avec Louis
le Germanique aux environs de Strasbourg. C’est là que les serments furent
prêtés, au mois de mars 842. Ensuite les deux frères se mirent en marche avec
leurs armées vers le Bas-Rhin; arrivés à Coblence, ils traversèrent la Moselle.
La défense de ce passage avait été confiée à l’évêque Otger,
de Mayence, au comte Hatto et à Heriold le Danois, que Lothaire y avait postés avec quelques troupes; mais ils
s’enfuirent devant les forces supérieures des alliés. Lothaire lui-même se
trouvait au palais de Sintzig, sur la rive droite du
Rhin, près de Coblence. A leur approche, il se retira précipitamment vers
Aix-la-Chapelle, d’où il partit pour aller chercher un refuge sur le Rhône, dit
Nithard, sur la Marne, à Troyes, suivant d’autres auteurs.
Charles et Louis, revenus à
Coblence, étaient embarrassés de trouver une solution; ils crurent devoir la
demander à l’Eglise, c’est-à-dire aux évêques et au clergé, comme organes de la
volonté divine. Un jugement de Dieu, manifesté autrement que par la guerre et
les ordalies en usage, leur paraissait propre à terminer le grand procès entre
eux et leur frère aîné. Le synode réuni à cette fin demanda aux deux rois s’ils
voulaient gouverner d’après la volonté de Dieu et ne pas suivre les mauvais
errements de Lothaire. Ils en firent la promesse solennelle. Alors les évêques
déclarèrent que Lothaire, dénué de toute aptitude et de tout bon vouloir pour
le gouvernement de l’État, était déchu par jugement de Dieu. Ils autorisèrent
Louis et Charles à se partager tout l’empire, leur disant : «De par l’autorité
divine, nous vous avertissons, nous vous exhortons, nous vous enjoignons de
recevoir ce royaume, et de le gouverner selon la volonté de Dieu»
Aussitôt le partage fut
résolu, et l’exécution confiée à vingt-quatre arbitres. Louis, qui avait déjà
la majeure partie de l’Allemagne, y joignit la Frise et la France ripuaire
jusqu’à la Meuse; une ligne de frontières fut tracée des environs de Namur vers
l’Alsace; les pays situés au midi de cette ligne furent adjugés à Charles, qui
eut ainsi toute la partie de la France située en deçà de la Meuse. La Bourgogne
des deux côtés du Jura devait également lui appartenir.
Lothaire s’était retiré vers
l’Italie; mais il s’arrêta avec les siens près de Lyon. Les deux rois marchèrent
contre lui, pour le forcer à terminer la guerre. Ils n’étaient pas loin de
Verdun, lorsque Lothaire leur envoya un messager, chargé de leur dire qu’il
désirait la paix et un arrangement final. Il demandait la désignation d’un
endroit où des délégués des deux partis pussent se réunir et ouvrir des conférences.
Les rois, se méfiant de lui, répondirent qu’il n’avait qu’à leur envoyer ses
représentants. Ils étaient convenus entre eux de lui céder une partie des
territoires dont ils venaient de faire le partage. Lothaire leur députa trois
hommes choisis, pour déclarer à ses frères qu’il désirait sincèrement la paix,
et qu’il se contenterait d’un tiers de la monarchie: qu’il croyait pouvoir y
prétendre, puisque d’après la volonté de leur père il devait porter la couronne
impériale. L’Italie lui appartenant, comme la Bavière à Louis et l’Aquitaine à
Charles, il proposait de diviser le reste de l’empire, ou plutôt l’empire
lui-même, hors lesdits royaumes, en trois parts égales.
Les rois répondirent qu’ils
n’avaient jamais voulu autre chose, et qu’ils étaient prêts à s’entendre L
Après en avoir délibéré, ils offrirent à Lothaire tout le pays situé entre la
Meuse, la Saône et le Rhône, d’un côté, le Rhin et les Alpes de l’autre. S’il
refusait, les armes devaient décider. Cette part ne lui parut pas suffisante,
il demanda davantage. Les envoyés des rois crurent, sans cependant y être
autorisés, pouvoir lui offrir encore le pays situé entre la Meuse et la forêt
Charbonnière, plus la Provence, que Charles devrait lui rendre. Lothaire
accepta, et une trêve, basée sur ces propositions, fut conclue.
Au camp de Charles, à Mussy, on ne fut pas content de cet arrangement, mais sur
les instances d’Adalhard, frère de la mère de Charles, et l’homme le plus
influent de son conseil, Charles finit par y acquiescer. Une réunion des trois
frères eut lieu, le 5 juillet, à l’île d’Anille dans la Saône, près de Mâcon :
ils s’engagèrent par serment à diviser l’empire (sauf l’Italie, la Bavière et
l’Aquitaine) en trois parts égales, parmi lesquelles Lothaire pourrait choisir
celle qui lui conviendrait. On arrêta que chacun des trois frères pourrait
désigner quarante commissaires, qui se réuniraient le 1 octobre à
Metz, pour régler ce nouveau partage. Charles et Louis promirent de se trouver
pour lors à Worms.
En attendant, et sans doute
pour utiliser les loisirs que leur donnait la paix provisoire, Charles s’en
alla guerroyer en Aquitaine contre Pépin II; Louis, en Saxe, contre les Stelling; Lothaire, dans les Ardennes, contre ceux de ses
vassaux qui l’avaient abandonné. Ce dernier se trouvait à Thionville, à
l’époque fixée pour les conférences. Ses frères, qui étaient venus à Worms, refusèrent
d’envoyer leurs commissaires à Metz, ce lieu étant trop rapproché de
Thionville; ils proposèrent de convoquer la réunion à Worms; finalement ce fut
à Coblence qu’elle eut lieu, non le 1, mais le 19 octobre.
C’était un congrès
d’ambassadeurs. Ceux de Lothaire s’établirent sur la rive gauche du Rhin; ceux
des deux rois, sur la rive droite. Les séances furent tenues dans l’église de
Saint-Castor. Les envoyés de Charles et de Louis demandèrent à ceux de l’empereur
s’ils étaient porteurs d’une description statistique de l’empire, ce qu’ils
espéraient, vu qu’il y en avait une dans les archives impériales déjà du temps
de Charlemagne. Les envoyés de Lothaire répondirent qu’ils n’en avaient pas et
qu’ils ne croyaient pas en avoir besoin, un partage consciencieux pouvant être
arrêté sans cela. Les évêques, qui craignaient le renouvellement de la guerre,
se rangèrent de leur avis; mais les députés des rois ne voulurent pas continuer
les travaux, et proposèrent une prolongation de la trêve, afin qu’on pût des
deux côtés faire les études nécessaires pour terminer cette grande affaire en
pleine connaissance de cause. Lothaire y consentit; on se mit d’accord le 5
novembre; la reprise du congrès fut fixée au 13 juillet 843. Charles et Louis
retournèrent dans leurs pays respectifs.
Conformément à la convention
du 3 novembre, des commissaires furent envoyés dans tout l’empire, par chacun
des contractants, pour faire un relevé territorial exact des comtés, des
évêchés, des abbayes ainsi que des domaines royaux, et pour en déterminer la
valeur sous le rapport des revenus. Ils devaient se retrouver à Verdun, pour
procéder au grand œuvre du partage. Tout fut terminé au mois d’août. Les trois
frères vinrent en personne à Verdun; ils jurèrent de maintenir le partage
définitivement arrêté.
Malheureusement nous n’avons
plus de texte de ce traité si célèbre dans l’histoire de l’Europe; nous n’en
connaissons que ce qui est rapporté par Prudentius,
continuateur des annales de Saint-Bertin.
Les royaumes que chacun des
frères possédait sans contestation ne furent pas compris dans le partage:
savoir la Lombardie appartenant à Lothaire, l’Aquitaine à Charles, et la
Bavière à Louis. Bien qu’il conservât le titre d’empereur, Lothaire n’eut plus
aucun droit de suzeraineté sur les pays possédés par ses frères.
Cet acte, qui reçut son
exécution, est un des plus importants parmi ceux des Carolingiens qui
concernent la Belgique. C’est pourquoi nous avons rapporté avec tant de details les événements qui le produisirent. On voit que toute
la Belgique, hormis la Flandre et l’Artois, situés sur la rive gauche de
l’Escaut, fit partie de la Lotharingie, pour former plus tard le duché de Lothier: car c’étaient l’évêché (alors encore comté) de
Cambrai, le pays de Namur (Lommensis), le Hainaut, le
Brabant, le Limbourg, le Luxembourg, qui tombaient dans la part de Lothaire.
Indépendamment du partage qui
fut opéré à Verdun, on est autorisé à croire qu’il intervint entre les trois
frères une convention de rester unis, et d’exécuter, en vue de cette union,
les articles du partage de l’an 817, en tant qu’ils fussent encore applicables à
la situation Ainsi, il devait toujours exister un seul empire franc, divisé en
trois royaumes; l’un des rois devait porter la couronne impériale, soit dans la
lignée de Lothaire, soit dans celle de ses frères. On sait que bientôt ceux-ci
se la disputèrent, et que le but qu’on s’était proposé, de conserver l’union de
la monarchie, ne fut pas atteint. L’intégrité même du royaume du milieu ne fut
pas respectée plus tard : Louis le Germanique et Charles y portèrent atteinte
en 870.
Quand on examine le partage
de Verdun, on se demande quels ont pu être les motifs de ce mode de division,
dont on aurait dû apercevoir les vices. N’était-il pas à prévoir que le royaume
du milieu, si facile à écraser, ne pourrait pas résister aux attaques même d’un
seul de ses deux voisins? On a essayé plusieurs solutions de cette question.
On a attribué ce mode de partage à l’antagonisme des nations; mais, si la part
de Louis était entièrement germanique, et celle de Charles, sauf la Flandre,
toute gallo-franque, le royaume de Lothaire renfermait non-seulement les deux
éléments nationaux, mais en outre la nationalité lombardo-italienne. Cen était
donc pas le principe des nationalités qui avait prévalu. D’autres en ont
cherché les motifs dans l’intention d’assurer à chaque royaume des frontières
naturelles, marquées par des fleuves et des rivières. Il y a du vrai dans cette
supposition; mais elle ne contient pas toute la vérité. Nous croyons ne pas
nous tromper, en admettant que les copartageants furent déterminés par des
raisons de plus d’une espèce. Voici nos idées à ce sujet.
On était convenu de partager
l’empire en trois parts égales en rapports ou revenus; le partage de l’an 843
devait donc remplir cette condition. D’un autre côté Lothaire, étant empereur
et voulant le rester, devait tenir à la possession des deux capitales de
l’empire. L’une était Rome, siège du pouvoir spirituel suprême, de qui les
empereurs recevaient la couronne impériale; l’autre, Aix-la-Chapelle, capitale
politique créée par le fondateur de l’empire au centre de la monarchie et,
pour ainsi dire, dans la patrie de la famille carolingienne; le chef de cette
maison devait y attacher le plus grand prix. De ce point central l’empereur
pouvait avec facilité porter ses armes soit dans la Germanie, soit en France.
Il fallait donc nécessairement prolonger le territoire de Lothaire depuis
l’Italie qui lui appartenait, jusqu’au nord-ouest, et le rendre libre du côté
de la mer.
Cette longue bande de
territoire séparait les deux royaumes collatéraux, toujours disposés à
guerroyer l’un contre l’autre. Sans doute la crainte de voir écraser le
royaume du milieu n’existait pas: on devait croire que l’un des rois voisins
serait toujours intéressé à le maintenir, quand l’autre le menacerait. Il
avait, au surplus, ses frontières naturelles, étant situé entre le Rhin,
l’Escaut, la Saône et le Rhône. On ne s’en était départi qu’en donnant à Louis
le Germanique les territoires de l'archevêché de Mayence et des évêchés de Worms
et de Spire. La chronique de Reginon de Trêves
explique cette déviation d’un plan rationnel par la nécessité de comprendre des
vignobles dans la part de Louis. On avait déjà fait quelque chose de semblable,
en 842, dans les projets de partage entre les deux frères. Peut-être aussi
l’annexion des trois évêchés à la part de Louis fut-elle jugée nécessaire pour rendre les trois lots d’un rapport égal.
Nous croyons, avec Gfoerer, qu’on prit également pour base du partage, autant
que possible, la circonscription des diocèses. Il dut en être ainsi tout au
moins à l’égard des évêchés de la rive gauche du Rhin que nous venons de citer.
La province ecclésiastique de l’archevêché de Mayence comprenait une
très grande partie de l’Allemagne, s’étendant jusqu’aux confins de la Bavière
et embrassant la Pannonie avec le duché de Wurzbourg,
la Thuringe et une partie de la Saxe. Il aurait été fort difficile à l’archevêque
de Mayence d’exercer son pouvoir métropolitain sur la rive droite du Rhin,
dans la Germanie gouvernée par Louis, si le siège épiscopal avait été dans la
Lotharingie. Bien qu’il fût toujours partisan de Lothaire, il devait préférer
d’avoir Louis le Germanique pour souverain temporel; car autrement il risquait
de se voir remplacé dans les évêchés d’outre- Rhin par un autre archevêque,
dont la nomination aurait pu être facilement obtenue du pape.
La circonscription diocésaine
eut sans doute aussi quelque influence sur les assignations de territoires
faites à Lothaire en Belgique: car Liège faisait partie de la province
archiépiscopale de Cologne; une autre partie du pays relevait de celle de
Trêves; Cambrai cependant appartenait à la province de Reims, dans le royaume
de Charles.
Une autre question assez intéressante est celle de savoir à quelle influence il faut attribuer la conclusion de la paix. On est tenté de croire que les trois rois eux-mêmes devaient être fatigués de guerres. Mais Lothaire aurait certainement continué la lutte, s’il n’avait été sûr de parvenir plus facilement à une bonne fin par les négociations; et ses deux frères personnellement étaient toujours disposés au combat, pour le cas où leurs essais de pacification resteraient de nouveau sans effets. Le clergé, il est vrai, désirait ardemment la paix; la guerre lui paraissait aussi funeste et destructive pour l’Église que pour l’État; mais seul il n’était pas assez puissant ou assez influent pour forcer les princes à s’entendre. Il n’y a que les vassaux laïques qui aient pu obliger les rois à se réconcilier Ainsi que les généraux de Napoléon en 1813, ils devaient être las de ces combats si meurtriers; la crainte perpétuelle d’être vaincus et dépossédés par le vainqueur devait leur faire désirer finalement la possession sûre et tranquille de leurs comtés, de leurs fiefs et même de leurs seigneuries allodiales. Déjà plus d’une fois ils avaient été obligés à la défection: aujourd’hui soumis à Lothaire, ils se voyaient forcés le lendemain à reconnaître Charles ou Louis. Le repos et la stabilité étaient un besoin absolu, tant pour eux que pour les seigneurs ecclésiastiques, et pour les rois eux-mêmes. Il arriva donc, en 843, ce qui eut lieu en 1648, lorsque toute l’Europe, dégoûtée de trente ans de guerres, aspirait à la paix, telle quelle, qui fut définitivement conclue à Munster
CHAPITRE VI.DISSOLUTION DE L’EMPIRE.
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