HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |
LIVRE TRENTE-SEPTIÈMETHEODORIC LE GRAND.
Les Goths s’ennuyaient de la paix. Peu accoutumés à manier
la charrue, ils avoient longtemps vécu aux dépens de l’empire, et le pillage
leur avait tenu lieu de la culture des terres. Resserrés depuis cinq ans
dans un coin de la Dace et de la Mœsie, ils languissaient
dans l’inaction et dans l’indigence. Que deviendrons-nous? disaient-ils; l’empereur
est notre ennemi naturel; la Thrace est notre magasin de vivres; c’est en la moissonnant
avec nos épées que nous avons subsisté. Maintenant notre prince est un des
généraux de l’empire; il est préfet de la Thrace, et s’est obligé à la
défendre; les honneurs de Théodoric font notre misère; on lui élève
des statues à Constantinople, et nous mourons ici de faim. Périssons, notre roi
a devenu consul romain, triomphera de notre perte. Ces murmures vinrent
aux oreilles de Théodoric; il résolut sur-le-champ de rompre avec Zénon.
Cet empereur, qui était plus à craindre à ceux qui l’avoient servi avec plus de
zèle, lui en donnait sans cesse occasion par les mauvais
desseins qu’il tramait contre les Goths et contre Théodoric lui-même. Le
roi des Goths se mit donc en campagne avec ses troupes : il brûla tout ce
qui se rencontrait sur son passage; et, ayant surpris la garnison de Sélymbrie, dont il se rendit maître, il s’avança
jusqu’au bourg de Melantias, à quatre lieues de
Constantinople. Il fit couper l’aqueduc qui fournissait de l’eau à la
ville, et demeura plusieurs jours en ce lieu, s’occupant de tous les
préparatifs d’un siège.
Zénon, qui se sentait peu de forces, et encore moins de
courage, crut qu’il était plus facile d’apaiser cet ennemi que de le vaincre.
II lui fit proposer une entrevue; et Théodoric, sans autre sûreté que la
timidité de l’empereur et la terreur qu’inspiraient ses troupes toutes
prêtes à forcer la ville, entra dans Constantinople, et se rendit au
palais. Il se défendit des reproches de Zénon par la nécessité où son
peuple était réduit : et comme l’empereur paraissait l’écouter avec bonté, et
l’invitait même a lui suggérer les moyens de procurer aux Goths une meilleure
fortune, « il ne vous en coûtera que des paroles, repartit Théodoric. L’Italie
appartenait à vos prédécesseurs : c’est le berceau de votre empire. Pourquoi
l’abandonnez-vous aux Turcilinges et aux Hérules? Permetlez-moi d’en faire la conquête : si je
réussis dans cette entreprise, vous en partagerez l’honneur, et je
tiendrai de vous mon nouveau domaine: si je péris, vous y gagnerez la
pension annuelle que vous vous êtes engagé à nous payer. Ne vous sera-t-il
pas plus glorieux de voir Rome entre les mains de votre fils que de
la laisser en proie a un tyran? » Cette proposition plut
à l’empereur; il éloignait de lui des alliés incommodes et presque
toujours ennemis; il espérait que les Alpes seraient le tombeau des Goths ; et
si, contre toute espérance, ils venaient à réussir, il ne croyait pas
perdre ses droits. Il conféra donc à Théodoric par une pragmatique la
possession de l’Italie, et lui en donna l’investiture en le couvrant d’un
voile, que Paul diacre appelle un voile sacré. Il lui recommanda le sénat et
le peuple romain.
Les auteurs ne s’accordent pas sur la nature de cette concession.
Les Romains ont prétendu que Zénon n’envoyait Théodoric en Italie que comme son
lieutenant pour la conquérir et la remettre à l’empereur après
la conquête; ou que, s’il en cédait le domaine, utile au roi des
Goths, ce n’était qu’une donation à vie, qui ne s’étendait pas à la postérité
de ce prince. Les Goths, au contraire, ont toujours soutenu que c’était
une cession absolue et perpétuelle. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’a près la
conquête, les empereurs d’Orient conservèrent sur l’Italie une apparence de
souveraineté. On les voit écrire au sénat de Rome, et le sénat, en
leur écrivant, reconnaît leur domaine suprême. Voici le commencement
d’une lettre du sénat à l’empereur Anastase, en 515: « Invincible
empereur, si la soumission aux ordres des souverains est ce qui leur plaît
davantage , vous seriez satisfait de la joie avec laquelle voire sénat a
reçu vos oracles sacrés. Nous y avons encore été engagés par notre maître l’invincible
roi Théodoric, votre fis, qui nous a ordonné de vous obéir; et nous
regardons comme le comble de vos bienfaits l’honneur que vous nous faites
de nous croire dignes de recevoir des ordres de votre part.» Ce langage
n’est-il pas celui de la soumission, et même de la plus basse servitude?
Théodoric se donna beaucoup de mouvement pour obtenir de l’empereur la
confirmation du titre de roi d’Italie, qui lui fut longtemps refusé par Anastase.
Il reste encore des inscriptions de monuments érigés en Italie sous son
règne, dans lesquelles le nom de Zénon Auguste est mis avant celui du roi
très-glorieux, Théodoric. Je serais porté à croire que Zénon, prince
inconsidéré et peu prévoyant, qui d’ailleurs doutait fort du succès de
l’entreprise, abandonna au hasard toutes les suites de cette concession;
et que Théodoric, devenu maître de l’Italie, sentant son indépendance
réelle, voulut bien, pour éviter d’être troublé dans sa possession,
condescendre à des formalités sans conséquence, et laisser les empereurs
se repaître de déférences chimériques. Il faisait nommer les consuls par le
sénat de Rome ; mais il donnait avis de leur élection à l’empereur, et lui
demandait son agrément. Ces ménagements n’empêchèrent pas le roi des Goths
de prendre les armes contre l’empereur, lorsqu’il s’y crut obligé, soit
pour soutenir son honneur, soit pour, défendre ses états. Ses successeurs
ont manifestement reconnu le domaine suprême des empereurs. On conserve de
leurs monnaies qui portent leur nom au revers de la tête de Justinien.
Théodoric, charmé du projet d’une si brillante expédition, retourna aussitôt à
Noves pour se disposer à quitter Mœsie. Il était
jaloux de voir que les Hérules, nation inconnue, se fussent rendus
maîtres de l’Italie, et qu’Odoacre y dominât tranquillement depuis dix
années, tandis que les Goths, qui en avoient été les premiers conquérants,
n’y avoient pas conservé un pouce de terre. C’était la conquête d’Alaric qu’il prétendit
recouvrer. Frédéric, fils du roi des Ruges, qui
s’était réfugié auprès de . lui après la défaite de son père, l’animait
encore contre Odoacre. Les Ruges habitaient
au-delà du Danube, vis-à-vis du Norique, dont ils occupaient une partie, et désolaient
le reste par des incursions continuelles. Odoacre marcha contre eux, les défit
dans une sanglante bataille, et emmena en Italie grand nombre de
prisonniers, entre lesquels était leur roi Féléthée,
nommé aussi Phéba ou Fava,
parent de Théodoric, et Gisa sa femme, princesse
arienne, et très-cruelle à l’égard des catholiques. Le vainqueur rentra
dans Ravenne avec toute la pompe d’un triomphe. Féléthée,
chargé de chaînes, marchait devant le char; il eut ensuite la
tête tranchée, selon l’ancien usage des Romains. Gisa fut enfermée dans une prison. Mais Frédéric leur fils, qui s’était échappé
de la défaite, étant revenu dans le pays, Odoacre envoya contre lui son
frère Onulphe avec une puissante armée; Frédéric
prit la fuite, et se retira auprès de Théodoric, qu’il pressa vivement de
passer au plus tôt en Italie.
L’année suivante (488) fut employée presque tout entière à
faire les préparatifs d’une si importante expédition. L’hiver était déjà venu
lorsque Théodoric se mit en chemin. Ce n’était point la marche d’une
armée, c’était une nation entière qui allait conquérir un nouvel établissement.
Les Goths, pleins de confiance dans la sagesse et dans la valeur de leur chef,
abandonnent avec des cris de joie les villes et les campagnes de la Dace
et de la Mœsi ; ils se rendent a Noves sous les
drapeaux de leur roi, et partent ensemble chargés de leurs armes, qui font
toute leur espérance, et suivis des vieillards, des femmes et des enfants, qu’ils
transportent sur des chariots avec leur bagage. Il y en eut cependant,
mais en petit nombre, qui, soit par attachement pour les pays de leur
naissance, soit par défiance du succès, n’accompagnèrent pas Théodoric.
Quelques-uns remontèrent vers le Bosphore cimmérien, où, sans bâtir ni ville,
ni villages, ils vivaient dispersés dans les campagnes, s’occupant de la
culture. Alliés fidèles des Romains , ils conservèrent dans ce climat fertile
la douceur de leur caractère sans rien perdre de leur bravoure. Du temps de
Justinien, ils étaient au nombre de trois mille, aussi bons soldats que
bons laboureurs, et toujours prêts à servir l’empire. Pour les mettre à
couvert d’insulte de la part des barbares voisins, Justinien fit fermer de
murailles les gorges des montagnes dont ils étaient environnés.
Je pourrais abandonner ici Théodoric, et me contenter de
marquer en un mot le succès de son entreprise. Mais si le détail où je vais
entrer sur ses actions guerrières et sur sa conduite politique est regardé
comme une disgression dans mon ouvrage, on la pardonnera sans peine à
l’importance de la matière; et j’espère même que le lecteur me saura gré
de le détourner pendant quelque temps de la vue de Zénon et de son
successeur pour fixer ses yeux sur un des princes les plus accomplis qui
furent jamais. D’ailleurs l’histoire des Goths en Italie a des rapports si
essentiels avec celle des empereurs, qu’elle en est presque inséparable. Pour
ne pas rompre le fil de ces événements, je les détacherai
de l’histoire de l’empire; et, après avoir raconté de suite les exploits
de Théodoric, je donnerai une idée de son gouvernement, excellent modèle d’une
monarchie douce, équitable, pleine de vigueur, et se soutenant
avec gloire, moins encore par ses forces que par les grandes qualités
du souverain.
Théodoric partit pendant l’hiver pour arriver en Italie
au commencement du printemps. Comme il manquait de vaisseaux pour traverser la
mer Adriatique, il prit la route de Sirmium. Les Goths, qui ne comptaient guère
que sur les moissons d’autrui, n’avoient pu emporter les provisions
nécessaires pour un voyage si long, et retardé encore par le passage des
rivières et par les incommodités de la saison. Après avoir, en peu
de jours, consumé leurs subsistances, ils se virent réduits à vivre
de pillage et de chasse; et ces deux ressources ne suffisant pas pour une
si nombreuse multitude, la famine se fit sentir, et causa la peste. Tel était
l’état de l’armée lorsque, arrivés à la rivière d’Ulca,
ils virent la rive ultérieure hérissée de piques et de javelots. C’étaient
les Gépides, qui, à la sollicitation d’Odoacre, venaient fermer le chemin
à Théodoric. Leur roi Trasilla, successeur d’Ardaric, se montrait sur le bord, à la tête de ses
soldats; et le passage semblait impossible. Cependant la faim et le désespoir
précipitèrent les Goths dans cette rivière fangeuse, où, se trouvant
engagés dans la vase et pouvant à peine se remuer, ils demeuraient exposés
à une grêle de traits. L’eau était teinte de leur sang; ils reculaient
déjà, et allaient prendre la fuite, lorsque Théodoric accourant aux bords
de la rivière : « Si vous voulez passer au travers des ennemis,
s’écria-t-il, que les plus braves me suivent; la valeur n’a pas besoin
d’une multitude de bras; peu acquièrent la victoire, tous en profitent : levez
vos étendards; je veux être connu des ennemis; je veux être en butte a
leurs traits, comme ils vont l’être âmes coups; qu’ils sachent à qui
ils doivent se rendre. » En même temps il demanda à boire, et s’élance
dans le fleuve. La vigueur de son cheval le porte en un moment à l’autre rive.
Tout tombe devant lui, on prend la fuit; il poursuit les ennemis avec
ardeur, d’abord presque seul, bientôt accompagné d’une troupe nombreuse.
Le roi des Gépides meurt en combattant; la nuit sauva les débris de leur
armée; on s’empara des magasins, et les Goths y trouvèrent abondamment de
quoi soulager leur faim et se nourrir pendant le reste du voyage. Un escadron
de Sarmates passa du côté du vainqueur et suivit sa fortune. Busa,
roi des Bulgares, ayant passé le Danube dans le même dessein que Trasilla, n’eut pas un sort plus heureux; il perdit la
vie dans la bataille. Après avoir surmonté tous ces obstacles, Théodoric
arriva dans la Vénétie au mois de mars 489.
L’Italie était tranquille sous la domination d’Odoacre, et
ne craignait rien tant qu’un libérateur. Elle avait réuni toutes ses forces
sous les étendards de ce prince, qui s’était avancé au bord du fleuve Sontius, aujourd’hui Sonzo, entre
Aquilée et les Alpes juliennes, pour défendre l’entrée de ses états. Il était
campé à la tête d’un pont, vis-a-vis de l’endroit où
est maintenant la ville de Goritz. Le fleuve était
profond, le camp bien palissadé, et plusieurs rois barbares étaient venus
joindre leurs troupes à celles d’Odoacre. Théodoric campa de l’autre côté, et
demeura quelques jours dans cette plaine fertile à refaire ses hommes et
ses chevaux. Dès qu’ils eurent repris vigueur, il brusqua le passage
du fleuve, livra bataille, défit Odoacre, et l’obligea de se sauver
dans son camp. Il se disposait à l’y forcer, lorsqu’Odoacre, n’espérant pas
tenir longtemps derrière des palissades contre un ennemi si vif et si
impétueux, sortit à la faveur de la nuit; et comme les villes d’alentour,
ruinées par Attila, ne pouvaient lui donner de retraite assurée, il gagna
Vérone, et s’y renferma. Le lendemain 28 de mars, Théodoric entra dans le
camp abandonné, et crut dès-lors prendre possession de l’Italie. C’est de ce
jour-là qu’il datait le commencement de son règne, dont l’histoire ne compte
les années que de la prise de Ravenne en 493.
Pour ne point laisser d’ennemis derrière lui, il envoya
sommer les villes du voisinage, qui se rendirent sans résistance. Il alla
ensuite chercher Odoacre; et, après quelques jours de marche, il arriva
pendant la Z nuit, et campa près de Vérone, résolu de
l’assiéger. Odoacre, ayant reçu de nouveaux renforts, avait rendu le
courage à ses soldats; et, pour leur montrer plus d’assurance, dès qu’il
aperçut au point du jour les pavillons de Théodoric, il sortit de la ville, et
marcha en diligence pour surprendre l’ennemi dans son camp. A son approche
les Goths, sans attendre l’ordre, courent aux armes; exercés depuis longtemps
à toutes les évolutions militaires, ils se rangent en bataille; les
trompettes sonnent la charge; on éveille Théodoric qui reposait dans sa
tente; sa femme et sa mère, qu’il conduisait avec lui, effrayées de cette
attaque imprévue, poussent des cris de désespoir. Il les rassure en
prenant ses armes; il vole à la tête des combattants, et trouve ses Goths
enfoncés et prêts à fuir. Sa présence les ranime, et porte la
terreur dans le cœur des soldats d’Odoacre; ceux-ci fuient à leur
tour; des bataillons entiers sont précipités dans l’Adige, et engloutis dans
ses eaux. Odoacre, après les plus grands efforts de valeur, est entraîné
dans Vérone par les fuyards. Les vainqueurs, acharnés à la poursuite,
y entrent pêle-mêle avec les vaincus ; et les habitants, saisis
d’effroi, se soumettent au roi des Goths, tandis qu’Odoacre traverse la
ville et s’enfuit par la porte opposée, avec le peu de troupes qui avoient
échappé au fer ennemi.
Dans cette extrémité, Odoacre courut à Rome, persuadé que
s’il conservait cette ville, l’empire de l’Italie n’était pas perdu pour
lui; mais il en trouva les portes fermées; et les habitants lui
déclarèrent du haut des murs qu’ils ne reconnaissaient pour maître que
celui envoyé par l’empereur. Irrité de cet affront, il fit le dégât dans les
environs, et regagna Ravenne, l’unique place où il pût se défendre. Cependant
Théodoric étendait sa conquête; il marcha vers Milan, où commandait Tufa, général des armées d’Odoacre. Dans la consternation
où étaient les habitants, que l’évêque Laurent exhortait à reconnaître
le bras de Dieu dans la défaite d’Odoacre, Tufa n’osa soutenir un siège; il se rendit avec ses troupes, et offrit de les
employer au service de Théodoric. Epiphane, évêque de Pavie, craignant pour son
troupeau, vint aussi rendre hommage au vainqueur. Ce prince le reçut
avec respect; et la première fois qu’il le vit: « Voici, dit-il
à ses officiers, le plus fort rempart de Pavie; cet homme dont l’extérieur
est si simple, n’a pas son semblable dans l’univers. C’est pour nous un grand
avantage de l’avoir vu. Nous pouvons lui confier nos femmes et nos enfants,
et ne songer qu’à la guerre. » Tufa ne s’était
livré à Théodoric que pour mieux servir Odoacre; il sut si bien s’insinuer dans
la confiance de son nouveau maître, que Théodoric lui laissa le
commandement des troupes avec lesquelles il s’était rendu. Il lui ordonna
même d’en prendre une partie pour aller réduire Faenza , qui n’était qu’à six
lieues de Ravenne. Plusieurs officiers de l’armée des Goths voulurent accompagner Tufa dans cette expédition, espérant profiter du
pillage. Odoacre, sur les avis secrets de son général, était venu s’enfermer
dans cette place comme pour la défendre: mais, dès que Tufa fut en présence, il remit entre les mains d’Odoacre et les troupes et les
officiers goths qui l’avoient suivi. Ils furent chargés de fers,
et conduits dans les prisons de Ravenne. Cette trahison inspira une
cruelle défiance à Théodoric; il fit massacrer tout le reste des soldats
de Tufa, qu’il avait repartis en divers
quartiers; et ayant rassemblé ses troupes affaiblies par deux batailles, il se
retira dans Pavie. C'était la place la plus forte de cette contrée; et
Théodoric y ajouta de nouvelles fortifications. Mais la ville était
trop petite pour loger commodément tant de soldats, qui, sans compter
leur famille, traînaient avec eux un grand nombre de prisonniers ; en
sorte que les habitants éprouvaient tous les jours des insultes et des mauvais traitements
de la part des Goths. Epiphane remédiait à tous ces maux; il nourrissait
les indigents, rachetait les prisonniers, prenait soin des blessés et des
malades, adoucissait par ses largesses la dureté des vainqueurs. Tant que
dura cette guerre il sut se maintenir entre les deux princes rivaux; et
malgré la haine qui animait les deux partis, il s’en fit également aimer
par l’universalité de son zèle et sa charité épiscopale.
Théodoric, pendant l’hiver qu’il passa dans Pavie, s’occupa des préparatifs de la campagne
suivante. Il se procura secours d’Alaric, roi des Visigoths, qui promit de
lui envoyer ses meilleures troupes dès que la saison aurait ouvert le
passage des Alpes. Mais Gondebaud, roi des Bourguignons, qui espérait
s’enrichir par le ravage, fut plus prompt à se mettre en mouvement.
Sous prétexte d’accourir au secours d’Odoacre, il passa
en Ligurie, pillant les villes et les campagnes, massacrant une partie des habitants,
réduisant l’autre en esclavage. Il entrait comme ami dans les villes, et
les traitait en ennemi. Enfin, chargé de butin, et traînant avec lui
une multitude de prisonniers, il repassa les Alpes, ne laissant aux deux
princes qui se disputaient la possession de cette contrée que des villes
désertes et des campagnes désolées. Les évêques jusqu’à ce
temps-là n’avoient secouru leur troupeau que par les armes spirituelles;
ils ne leur avoient ouvert d’autre asile que les églises. Ils commencèrent
alors à bâtir des forteresses et des châteaux pour mettre leurs peuples à
l’abri de la violence. Honorât, évêque de Novare, en donna l’exemple; et
dans la suite ces châteaux devinrent souvent des places de défense contre les
légitimes souverains.
Le retour de Tufa et la
retraite de Théodoric dans Pavie avaient ranimé les espérances d’Odoacre. Il se. rendit
à Crémone, et s’avança jusqu’à Milan , qu’il saccagea pour punir les habitants
d’avoir reçu Théodoric. L’évêque Laurent ressentit les effets de sa colère;
cependant ce prince, naturellement porté à la clémence, lui laissa la vie.
Ensuite il alla mettre le siège devant Pavie, où Théodoric se défendit
avec vigueur: Odoacre avait l’avantage du nombre des troupes; mais tout semblait conspirer
contre ce malheureux prince. Les pluies continuelles ruinaient ses travaux; la
division se mit dans son armée, et ses soldats étaient plus acharnés à
s’entretuer qu’à combattre les ennemis; ce qui le força de lever le siège.
En ce moment arriva le secours d’Alaric. Théodoric, se trouvant assez fort
pour tenir la campagne, se mit à la poursuite d’Odoacre. Les deux
armées se rencontrèrent au bord de l’Adda, le 11 août 490. Le combat
fut opiniâtre, et le carnage affreux de part et d’autre. Enfin Odoacre,
vaincu, s’enfuit à Ravenne, résolu de s’y défendre jusqu’à la mort, sans tenter
désormais la fortune des batailles. Cette victoire assurait à Théodoric la
conquête de tout le pays. Il envoya aussitôt à Zénon Festus Niger pour lui demander la permission de prendre le titre de roi d’Italie. Mais
Zénon, jaloux des succès de Théodoric, différa de jour en jour, et mourut
avant que d’avoir donné sa réponse.
Le vainqueur, de retour à Pavie , laissa sous la garde d’Epiphane,
sa mère, sa femme et sa sœur, avec les femmes, les enfants, les vieillards et
les bagages inutiles pour un siège. Il laissa dans la ville une garnison
de Ruges : c’était une nation féroc ; mais le saint évêque sut si bien les adoucir, que
trois ans après ils ne purent le quitter sans verser des larmes. Après ces
dispositions, Théodoric alla mettre le siège devant Ravenne. Plus il était
difficile d’attaquer cette ville environnée de fleuves et de marais, plus aussi
il était aisé d’en former le blocus. Théodoric, s’étant campé à trois milles,
ferma tous les Passages en partageant ses troupes en trois corps; il en
posta un dans un lieu nommé Pinetum, à cause
d’une forêt de pins; un autre près d’une maison de campagne des empereurs,
qu’on nommait le Petit-Palais, et le troisième à la tête d’un pont
appelé le pont Candidius, sur le
fleuve nommé Utis. Commè la ville était bien pourvue de vivres, et que le port, quoiqu’en
grande partie déjà bouché par les sables, donnait néanmoins encore
entrée à des barques légères, le siège dura deux ans et demi. Odoacre faisait
pendant la nuit de fréquentes sorties; et quoiqu’il fût toujours repoussé, il
ne rentrait guère dans la ville sans avoir signalé son courage et causé
quelque perte aux assiégeants. Le 15 de juillet, vers la fin de la
première année du siège, étant sorti de nuit à la tête des Hérules, il
vint attaquer le quartier du pont Candidius.
Il força les retranchements, et les Goths fuyaient devant lui, lorsque
Théodoric, qui campait à Pinetum,
accourant à toute bride, rendit le cœur à ses soldats, et repoussa les
ennemis dans la ville avec un grand carnage. Levila,
chef des Hérules, fut tué en passant l’Utis.
Théodoric, prévoyant que le siège serait long, donna ses
ordres pour le continuer avec sûreté; et, laissant devant Ravenne une
partie de ses troupes, il partit avec le reste, à dessein de réduire les
villes qui tenaient encore pour Odoacre. Il était le vingt-deuxième d’août
à Pavie; et il passa une année à soumettre les places des deux côtés
du Pô, dans toute la longueur de ce fleuve.
S’étant rendu maître de Rimini, il y trouva des barques
qu’il fit conduire à Ravenne pour fermer l’entrée du port, et ôter à la
ville toute communication avec la mer. Tout lui obéissait dans l’Emilie et
la Flaminie, à l’exception de Césène,
où commandait Libérius officier brave et fidèle. La terreur s’était
répandue jusqu’aux extrémités de l’Italie. Un grand nombre de villes, et Rome
elle-même, envoyèrent des députés au roi des Goths pour l’assurer de leur
soumission. Gondamond, roi des Vandales , successeur
de son oncle Huneric, regrettant la perte de la Sicile que Genséric avait
cédée à Odoacre, s'efforçait de la reconquérir. Les succès de
Théodoric arrêtèrent ses ravages: il lui demanda la paix, et
l’obtint en renonçant à ses prétentions.
Le siège continuait avec lenteur. Les assiégés et les assiégeants
étaient également fatigués. Depuis que le port était fermé , la famine se faisait
sentir dans la ville; elle s’accrut à un tel point, que le boisseau de blé
valoir six pièces d’or, et que les habitants furent réduits à manger les
cuirs et tout ce qu’une faim extrême peut transformer en aliment. Théodoric était
revenu devant Ravenne avec toute sa famille, le 20 d’août, au commencement
de la troisième année du siégé, et il pressait la ville avec une nouvelle
vigueur. Jean, évêque de Ravenne, après avoir longtemps exhorté Odoacre, lui
persuada enfin de traiter avec Théodoric, et se chargea de la négociation.
Après de longs débats, Odoacre se réduisit à céder Ravenne et toute l’Italie, à
condition qu’il partagerait avec Théodoric le titre de roi et les honneurs de
la royauté; il donna son fils Thélane en otage.
Cet accord fut conclu le 27 de février 493, et confirmé par le serment des
deux princes. Le cinquième de mars suivant, Théodoric entra dans Ravenne,
précédé de l’évêque et du clergé, qui étaient venus au-devant de lui,
portant les reliques des saints. Il prit aussitôt le titre de roi,
sans attendre l’agrément de l’empereur Anastase, que Festus Niger,
son agent, sollicitait à Constantinople. Anastase avait succédé à Zénon,
mort en 491. Odoacre fut d’abord traité avec amitié: il logeait avec
Théodoric dans le palais. Mais on ne vit jamais plus sensiblement
combien est violente et cruelle la jalousie de la souveraineté. Peu de
jours après, Théodoric ayant invité Odoacre à un repas, le tua de sa propre
main. Le fils, les parents, les principaux officiers de ce prince
infortuné furent massacrés le même jour avec leurs enfants; meurtre
barbare, que les auteurs favorables a Théodoric tâchent d’excuser en
disant qu’il avait découvert un complot formé contre sa vie. Mais des
écrivains qu’on ne peut soupçonner de partialité traitent ce forfait
d’assassinat commis contre la loi des serments. Il a fallu trente ans de
vertus et d’actions les plus éclatantes pour couvrir une tache
si noire, et les derniers temps de la vie de Théodoric présenteront encore
des cruautés. Héros accompli dans le cours d’un long règne, il le commença
et le finit comme un tyran. Une fin si tragique relève la mémoire
d’Odoacre. Ce conquérant, qui, de tous les princes de ce temps-là, était le
plus semblable à son vainqueur, paraît encore plus grand parce qu’il fut
malheureux.
Après la mort d’Odoacre, Théodoric n’eut plus besoin de tirer
l’épée. Toute l’Italie le reconnut pour maître. Libérius rendit Césène. La Rhétie, le Norique, la Dalmatie se rangèrent
sous ses lois. Les Siciliens et les Brutiens refusaient
seuls de lui obéir; mais Cassiodore, pour lors retiré sur ses terres à
l’extrémité méridionale de l’Italie, fit usage de son éloquence pour les
déterminer à se soumettre leur représentant qu’il y aurait de la folie à prétendre
se maintenir contre des forces qui avoient abattu Odoacre. Frédéric,
après avoir servi Théodoric pendant la guerre, était retourné dans ses
états avec les Ruges qui avoient gardé Pavie. Il
ne se vit pas plus tôt rétabli, qu’à l’imitation de son père, il se mit à
ravager le Norique. Théodoric envoya contre lui une armée qui le défit,
chassa les Ruges de la contrée, et les fit
passer en Italie pour repeupler les pays que la guerre avait désolés. Les
Hérules et les Turcilinges, soldats
d’Odoacre, ne pouvaient que donner de perpétuelles inquiétudes
: comme ils étaient en droit d’accuser Théodoric de parjure, nuls serments
n’étaient capables de l’assurer de leur fidélité. Il prit le parti de les
éloigner, et leur assigna pour demeure le pays qu’on nomme aujourd’hui le
Piémont. Il était resté en Germanie d’autres Hérules qui n’avoient pas
suivi Odoacre; Théodoric fit alliance avec eux en adoptant leur roi pour
son fils d’armes. A l’exemple d’Odoacre, il établit les Goths en leur donnant
le tiers de toutes les terres d’Italie; partage plus équitable que
celui des Visigoths, qui, dans les provinces conquises en Gaule et en
Espagne, n’avoient laissé que le tiers des fonds aux anciens habitants. Ce
fut alors que, du mélange de la langue romaine et des différends idiomes
germaniques se forma le jargon barbare qui a donné naissance à la langue
italienne, devenue ensuite, grâces aux heureux génies qui l’ont cultivée, une
des plus parfaites et des plus agréables de l’Europe. Telle fut en Italie
la fondation du royaume des Ostrogoths, qui ne subsista que soixante ans.
Comme Théodoric prévoyait que la jalousie des empereurs ne le laisserait pas
jouir paisiblement de sa conquête, il préféra le séjour de Ravenne à
celui de Rome, parce que le voisinage de la mer Adriatique le mettait
plus à portée de s’opposer à leurs entreprises. Je vais maintenant tracer
le portrait de ce grand prince, et faire connaître son gouvernement,
autant que les auteurs de ce temps-là, dans leurs ébauches confuses, peuvent
fournir de lumières sur un sujet digne d’être traité par les plus habiles
historiens.
Théodoric se nommait, dans la langue de sa nation, Diétérich, comme son père Théodémir s’était nommé Diethmar. Les auteurs
septentrionaux l’appellent Théodoric de Vérone, parce qu’ayant remporté près de
Vérone la victoire qui décida de son établissement en Italie, il aima cette
ville, y fit quelquefois sa demeure, et prit soin de l’embellir. Il avait le
teint vif et animé; un air majestueux , une taille avantageuse, le regard
serein. Il était terrible dans sa colère, doux et aimable dans la société.
Libéral et même magnifique, il n’estimait les richesses que pour les répandre à
propos. Aussi grand politique que grand capitaine, il chercha la paix et
sut faire la guerre. La plupart des écrivains ont avancé, sur la foi
d’un auteur anonyme, que Théodoric n’avait aucune teinture des lettres; qu’il
ne savait même ni lire ni écrire; qu’il se servait d’une lame d’or percée
à jour des cinq lettres Théod, et que,
passant la plume dans ces vides , il formait ainsi sa signature; ils
ajoutent, d’après Procope, qu’il ne voulait pas que les Goths
envoyassent leurs enfants aux écoles, disant « qu’ils ne verraient
jamais sans crainte la pointe d’une épée, s’ils avoient une
fois appris à trembler sous la férule ». Mais Procope
s’attache moins an vrai qu’au merveilleux; et le récit de l’anonyme est
visiblement copié d’après ce qu’on rapporte de l’empereur Justin, dont
l’ignorance n’est pas douteuse. Théophane dit au contraire que Théodoric était
fort, instruit, et que pendant les dix années qu’il avait passées à
Constantinople dans sa première jeunesse, il avait pris les leçons des
plus habiles maîtres : ce qui en effet est beaucoup plus conforme à un
génie actif, pénétrant et avide de gloire. Ce prince remit les arts en
vigueur: il fonda des prix pour ceux qui s’y distinguaient. Comme il
savait faire de grandes choses , il honorait ceux qui savaient les écrire et
les transmettre à la postérité. Il prit soin de faire instruire sa fille
Amalasonte et sa nièce Amalaberge. Son neveu
Théodat se livra sous ses yeux à l’étude des lettres et de la philosophie.
Ce fut la science qui procura la faveur de Théodoric et la dignité
de consul au célèbre Boèce. Dans la lettre que ce prince écrit à Vénantius, en lui conférant la charge de comte des
domestiques, il le loue de son attachement à l’étude : il dit que « les
lettres ajoutent un nouveau lustre à la plus haute naissance : que leur
suffrage rend un homme digne des plus grands honneurs. » Il l’exhorte
à continuer de les cultiver, pour mériter encore de nouvelles récompenses;
il tient le même langage dans plusieurs autres de ses lettres. C’était, à la
vérité, Cassiodore qui écrivait au nom de Théodoric; mais le secrétaire n’aurait-il
pas rendu le prince ridicule s’il eût mis des éloges si pompeux de la
littérature dans la bouche d’un prince ignorant? D’ailleurs les Goths étaient
fort éloignés de cette grossièreté, que Procope leur attribue. Dion
Cassius, qui avait composé une histoire générale des Goths, séduit apparemment
par la prévention qu’inspire à un historien l’amour de son propre ouvrage, allait
jusqu’à les comparer aux Grecs pour la science et la sagesse.
Le mauvais gouvernement des derniers empereurs avait fait
de l’Italie un théâtre de sanglantes révolutions. On peut dire que les
barbares, en s’en rendant les maitres, en avoient été les libérateurs. Elle commençait
à respirer sous Odoacre; sa tranquillité, devint plus assurée sous le
règne de Théodoric : elle se crut libre, parce qu’elle se vit gouvernée par des
lois. Les Goths ne traitèrent pas l'Italie comme les autres barbares avoient traité
leurs conquêtes : ils ne touchèrent pas à la condition des personnes. Théodoric
ne voulut pas régner en conquérant, mais en roi. Il honora le sénat; les
charges furent données aux plus dignes; il avançait les descendants des
maisons nobles, et comptait pour, services rendus à sa personne ceux que leurs
ancêtres a voient rendus à l’état. Il déclara que les naturels du pays lui seraient aussi
chers que ses anciens sujets, et qu’il ne donnerait de préférence qu’à
ceux qui seraient plus fidèles à observer les lois : « Nous détestons ,
dit-il, les oppresseurs ; ce n’est pas la force qui doit régner, c’est la
justice. Pourquoi établissons nous des tribunaux, si ce n’est pour
désarmer la violence? Vous êtes réunis sous le même empire; que vos cœurs
soient unis; les Goths doivent aimer les Romains comme leurs voisins et leurs frères
: et les Romains doivent chérir les Goths comme leurs défenseurs. »
Les Goths, après avoir reçu le tiers des fonds, prétendaient être exempts, et rejetaient
les taxes sur les Romains. Théodore les obligea de payer leur quote-part: « Ils
ont mauvaise grâce, disait-il, de vouloir s'affranchir des tributs; j'en paie
plus qu’eux : car je regarde comme un tribut les soulagements que je
dois à ceux qui sont dans l'indigence. » Il n’imposait sur
ses sujets que des taxes proportionnées à leurs forces; et, sans
examiner s’il était en droit de les exiger, il les recevait comme des présents.
Ayant appris que les sénateurs se dispensaient des contributions, et que
le fardeau des charges publiques retombait entièrement sur les
pauvres, il leur en fit une forte réprimande, et leur ordonna, par un
édit , de remplir leurs obligations, promettant de faire droit sur les
plaintes des pauvres, et même de les prévenir par une prompte justice. Il
fit fleurir le commerce, que les troubles précédents avoient
entièrement ruiné, et prit un soin particulier d’attirer en Italie les marchands
étrangers. Le trésor public, qu’il trouva vide, fut bientôt rempli par une
sage économie. L’abondance revint sous un gouvernement équitable; soixante
sacs de blé ne se vendaient le plus souvent qu’une pièce d’or. C’était
aussi le prix ordinaire de trente amphores de vin, c’est-à-dire. Il veillait avec
tant de soin à la sûreté publique, que la nuit comme le jour on pouvait
voyager sans crainte; les maisons de campagne étaient aussi assurées que
des forteresses, et les portes des villes furent inutiles pendant son
règne. Ce n’était que pour se donner un air d’autorité qu’Anastase recommandait
souvent à Théodoric de ménager le sénat, de suivre les lois des empereurs,
et de maintenir la concorde entre ses sujets. Cet empereur avait
lui-même plus besoin de ces avis que le roi des Goths.
Les lois romaines n’éprouvèrent d’autre changement que
d’être exécutées avec plus d’exactitude. « Notre dessein, dit ce prince
dans une de ses lettres, n'est pas de conquérir, mais de rendre les peuples
heureux. Notre triomphe est de faire régner sur eux leurs propres
lois. Quels fruits retireront-ils de notre conquête; que gagneront-ils à
être délivrés des barbares s’ils ne trouvent en nous que d’autres barbares
qui veuillent les assujettir a leurs usages et à leurs coutumes? Où la
justice tient le sceptre, les droits ne sont pas confondus. Le défenseur de
la liberté ne se propose pas de faire des esclaves. Que les autres conquérants
pillent ou détruisent les villes dont ils se sont rendus maîtres; pour
nous, notre intention est de traiter les vaincus de manière qu’ils
regrettent de n’avoir pas été vaincus plus tôt. Dans ces principes,
il laissa subsister les dispositions du droit romain; l’édit célèbre
qu’il publia en cent cinquante- quatre articles y est presque entièrement
conforme. Il prit l’habillement romain; il conserva les mêmes magistrats, et
ne fit aucun changement à la police ni à la division des provinces;
elles continuèrent d’avoir leurs consulaires, leurs correcteurs, leurs présidents,
qui étaient choisis d’entre les Romains. Il établit de plus dans chaque
ville et dans chaque bourg, grand ou petit, un comte ou magistrat
inférieur, afin d’épargner aux habitants la peine et la dépense de se
transporter au loin pour l’expédition des affaires courantes. Il permit
aux Goths de conserver leurs coutumes particulières. Mais, pour les objets
importants, tels que les successions, les contrats, les délits et les
peines, il voulut que les Goths mêmes fussent soumis à la loi romaine. Tel
était l’ordre judiciaire dans chaque lieu, le comte goth jugeait seul les
différends qui survenaient entre deux Goths; si la querelle était entre
un Goth et un Romain, le comte prenait un assesseur romain; si les deux
plaideurs étaient Romains, ils s’adressaient aux juges romains délégués dans
toutes les provinces. Il donnait toute son attention à choisir
des magistrats intègres et éclairés; s’il se trouvait trompé dans son
choix, il punissait sévèrement leurs injustices, sans épargner même les préfets
du prétoire. Rien ne lui paraissait plus indigne que d’abuser du pouvoir
pour opprimer les inférieurs, et ce crime était irrémissible. Il ne pardonnait
pas plus aux juges qui, soit par négligence, soit par une collusion criminelle,
différaient de rendre justice aux opprimés, et favorisaient ainsi
les injustes prétentions des personnes puissantes. On en rapporte un
exemple louable dans le principe, mais répréhensible par l’excès de sévérité.
Pendant qu’il était à Rome, une veuve vint se plaindre à lui de ce
qu’ayant depuis trois ans un procès contre un sénateur nommé Formus, elle n’avait pu encore obtenir de jugement.
Il fit aussitôt appeler les juges: « Si vous ne terminez demain cette
affaire, leur dit-il, je vous jugerai vous-mêmes. » Le lendemain, la
sentence fut rendue. La veuve étant venue remercier le prince un cierge
allumé à la main, selon la coutume de ce temps-là: « Où sont
les juges? » dit Théodoric. On les amena devant lui: « Et pourquoi,
leur dit-il avec indignation, avez-vous prolongé pendant trois ans une affaire
qui ne vous a coûté qu’un jour de discussion? » Après ce reproche,
il leur fit trancher la tête. Cet exemple mit en activité tous les
tribunaux. On lui attribue un jugement semblable à celui que l’empereur Claude
avait rendu dans une occasion pareille. Une femme mariée en
secondes noces refusait de reconnaître son fils du premier
lit. Théodoric, après avoir interrogé le jeune homme, demeura persuadé
qu’elle était véritablement sa mère ; et comme elle s’obstinait à le nier
: « Eh bien, dit-il, puisqu’il n’est pas votre fils, je casse votre second
mariage, et je vous ordonne de l’épouser. » La mère frémit d’horreur,
et avoua la vérité. La fureur des duels régnait en Pannonie; les diverses
colonies de Huns, de Suèves, de Gépides qui depuis longtemps se répandaient
dans ce pays, y avoient introduit celte coutume barbare, et les
procès civils se décidaient souvent par l’épée. Théodoric s’efforça d’étouffer
ce monstre naissant. En envoyant le comte Colossée pour gouverner la Pannonie de Sirmium , dont il venait de se rendre maître, il
lui ordonna de détruire cet usage, qu’il nomme abominable, et de
montrer que les Goths joignent l’humanité romaine à la valeur nationale : « Que
les contestations civiles, lui dit-il, ne nous soient pas aussi funestes
que les guerres ; à l’égard de nos compatriotes, les armes ne sont
faites que pour les défendre. Si l’indigence porte un malheureux à cet
excès de rage, retirez-le de la misère; perdez vous-même pour le conserver
: quoi qu’il vous en coûte, ce ne sera pas perdre que de gagner la vie
d’un homme. Inspirez à ces âmes féroces la douceur de notre nation;
et que par vos bons traitements ils s’accoutument a supporter la vie. » Ce
fut peut-être pour arrêter le cours des assassinats, que les derniers
troubles avoient rendus plus communs en Italie, qu’il défendit aux Romains
de porter aucune arme, pas même un couteau.
Sa sévérité dans l’exercice de la justice procédait d’un fonds
de bonté qui lui inspirait l’horreur des actions injustes. Il était
naturellement porté à pardonner. Loin de dépouiller ceux qui avoient combattu
pour Odoacre, il répandît sur eux ses bienfaits. Il est vrai qu’après
sa victoire il voulait d’abord ne donner la liberté romaine qu’à ceux
qui avoient suivi son parti, et tenir les autres dans une sorte
d’esclavage en leur ôtant le pouvoir de tester et de disposer de leurs
biens. Mais Epiphane de Pavie et Laurent de Milan n’eurent pas de peine à
le détourner de ce projet, et à obtenir de lui une amnistie générale.
Il favorisa le généreux dessein de ces deux prélats, qui, voyant leurs villes
ruinées en partie et presque dépeuplées par les fureurs de la guerre,
entreprirent de les rétablir lorsque la paix fut rendue. Leurs
exhortations et leurs aumônes rappelèrent leurs peuples dispersés. Milan et
Pavie recouvrèrent leur ancien lustre. La Ligurie avait été désolée par
l’irruption de Gondebaud; un nombre infini d’habitants de cette province;
traînés au-delà de Alpes, gémissaient dans l’esclavage. Théodoric, pour
les en délivrer, employa le ministère d’Epiphane. Ce prélat, respecté des
rois, engagea Gondebaud à renvoyer gratuitement ceux qu’il tenait en
sa possession; il paya la rançon des autres, qui étaient tombés en
partage aux soldats; et l’argent de Théodoric ne suffisant pas, il trouva
dans la charité d’une dame gauloise, nommé Syagria,
et dans celle d’Avitus, évêque de Vienne, de quoi satisfaire l’avidité des
Bourguignons. Il repassa les Alpes, suivi de cette multitude de
Liguriens délivrés, et la province fut repeuplée. Quelque
temps après, en 496, ce bon prélat mourut des fatigues qu’il avait
essuyées dans un voyage fait à Ravenne pendant l’hiver, pour solliciter la
diminution d’un impôt dont la Ligurie était surchargée. Il avait obtenu de
Théodoric la remise des deux tiers.
Depuis la. bataille de l’Adda, Festus Niger, député à la cour d’Orient, y avoi passé cinq ans à solliciter d’abord
Zénon et ensuite Anastase, de confirmer à Théodoric le titre de roi, et de lui
rendre les ornements impériaux qu’Odoacre avait envoyés à Constantinople. La négociation
avait été sans succès; et Festus était revenu à
Ravenne en 495. Il fut renvoyé deux ans après; et, sur la promesse qu’il donna
de lui-même, et sans y être autorisé par Théodoric, d’engager le pape à
recevoir l’hénotique de Zénon, ce qu’Anastase avait fort à cœur, il
obtint la faveur qu’il demandait. D’ailleurs Anastase avait alors sur les
bras la guerre d’Isaurie; et, sans renoncer au dessein secret qu’il avait formé
de dépouiller Théodoric, il feignit d’accepter les excuses que ce
prince lui faisait, de n’avoir pas attendu son agrément pour prendre
le titre de roi d’Italie.
Le nouveau monarque, voulant rétablir le calme dans Rome,
se rendit, l’année 5oo, dans cette ancienne capitale de l’empire. Son entrée
fut un triomphe. Le pape Symmaque, tout le sénat et une foule innombrable de peuple,
sortirent au-devant de lui, et le reçurent avec les plus vives démonstrations
de joie. Quoiqu'il fît profession de l'arianisme , il alla d'abord à l'église
de Saint-Pierre, d’où il se rendit au sénat. Le sénateur Boèce, l’homme le plus
éloquent de son siècle, prononça l’éloge du prince. Théodoric y répondit avec
les grâces qui lui étaient naturelles, en assurant cette auguste
compagnie qu’il se ferait toujours un devoir de maintenir sa dignité et
ses privilèges. II alla ensuite au lieu nommé la Palme-d’Or, près du grand Cirque, où il harangua le peuple, lui promettant d’observer
inviolablement les lois et les sages règlements des empereurs : il fit
graver cette promesse sur une table d’airain, qui fut affichée en
public. Il termina cette glorieuse journée par un splendide festin, auquel
furent admis tous les sénateurs. Le lendemain il distribua du blé au
peuple, et fonda pour les pauvres citoyens une distribution annuelle
de cent vingt mille boisseaux. Il assigna encore un fonds pour en
fournir tous les ans dix-huit mille à un hôpital voisin de l’église de
Saint-Pierre. Les jours suivants il assista aux jeux du Cirque, et visita
les divers quartiers de la ville, où, après tant de désastres, il restait
encore assez de merveilles pour lui donner une magnifique idée de la
grandeur romaine. Il admira surtout la place Trajane, le Capitole et les aqueducs.
Il donna ses soins à la conservation des anciens monuments; ce qui,
selon lui, n’était pas d’un moindre mérite que d’en construire de
nouveaux : « Nous devons, disait-il, à l'antiquité ces beaux ouvrages
: c'est les payer que de les rajeunir. » Ce fut pour les entretenir
qu’il ordonna que les provinces d’Italie fourniraient tous les ans des
matériaux de toute espèce à la ville de Rome, et que les particuliers laisseraient
prendre sur leurs terres les pierres inutiles et les marbres de démolition
qui pourraient servir à la réparation des murs. Il assigna pour ce même
objet deux cents livres d’or, à prendre tous les ans sur la caisse de
l’imposition des vins. Il rétablit les greniers publics, et ces vastes
souterrains qui aboutissent au Tibre, et qui, depuis Tarquin le superbe,
font encore l’admiration de l’univers. Pour consacrer la mémoire d’un
prince si bienfaisant, le sénat lui éleva une statue. Procope fournit ici
un trait singulier qui ne se trouve point ailleurs. Il dit que Théodoric,
voulant conserver une image de la majesté impériale, laissa subsister
dans le palais de Rome les soldats de la garde des
empereurs, qu’Odoacre apparemment n’a voit pas détruite. Ils étaient en
grand nombre, sous les différends noms de silentiaires, de domestiques,
de scholaires. Théodoric, sans les obliger à
aucun service, continua de leur faire payer leur solde, et ordonna que
cette pension alimentaire passerait à leurs fils et à leurs petits-fils. Il
ajoute que cet établissement fut aboli par Justinien. Pendant que Théodoric était
à Rome, il découvrit qu’un de ses comtes, nommé Odoin,
formait des desseins contre sa vie : il lui fit trancher la tête dans le
palais Sessorien, et retourna à Ravenne, après avoir fait à Rome un séjour de six mois. Les autres villes de
l’Italie ne furent pas oubliées. Il en fit relever les murailles. Ce que la
guerre ou le nombre des années avoi détruit, ce que la négligence des princes
avait laissé dépérir fut réparé avec solidité et magnificence. Ravenne,
Vérone, Pavie, furent ornées de palais, de portiques, de thermes, d’aqueducs,
d’amphithéâtres. L’Italie sortait de ses ruines; après un siècle de
désordres, de ravages et d’incendies, elle semblait renaître de ses
cendres avec son ancien éclat. Théodoric ne s’occupait pas moins de sa
sûreté que de sa splendeur : il élevait des forteresses pour servir de
barrière contre les barbares du nord. La plus célèbre fut celle de Véruca, qu’il fit bâtir au bord de l’Adige, sur un
rocher qui avait la forme d’une haute tour, plus large par le haut que par
le pied. Tant d’ouvrages ne coûtaient rien à ses peuples. Son économie, son
intelligence, et la fidélité des subalternes dans le recouvrement des deniers
publics, étaient un fonds inépuisable.
Il avait conquis l’Italie par les armes. Pour y rétablir le
bon ordre, il avait besoin de la paix. Environné de nations guerrières, il
résolut de les attacher à lui par des alliances. Il épousa Audeflède,
sœur de Clovis. Il avait déjà deux
filles d’une concubine; l’une, nommée Theudigothe,
fut femme d'Alaric, roi des Visigoths. Il donna l'autre, nommée Ostrogothe, à
Sigismond , fils de Gondebaud, roi des Bourguignons. Sa sœur Amalfride, veuve d’un seigneur de la nation, duquel elle avoit deux enfans, Théodat et Amalberge, fut demandée par Trasamond,
roi des Vandales. Théodoric fit partir cette princesse avec un magnifique
cortège. Il lui donna pour sa garde mille Goths, nobles de naissance, et pour
le service de sa maison cinq mille hommes, tous gens de guerre. La ville
et le promontoire de Lilybée en Sicile lui furent abandonnés pour sa dot.
Ce mariage fut heureux tant que Trasamond vécut;
mais Hildéric, son successeur, fit enfermer Amalfride et massacrer tousses Goths, sur le soupçon d’une
conjuration formée contre lui. Théodoric, qui vivait encore, ne
se croyant pas en état d’équiper une flotte assez puissante pour
porter la guerre en Afrique, laissa cette violence impunie. Amalfride mourut en prison, et les Goths soupçonnèrent
que ce n’était pas de mort naturelle. Athalaric, successeur de Théodoric,
en fit des reproches au roi des Vandales, le menaçant de la guerre, s’il
ne faisait satisfaction à la famille royale des Goths, et à la nation
entière. On ne voit dans l’histoire aucun effet de ces menaces. Amalberge, fille d’Amalfride et
nièce de Théodoric, fut mariée à Hermanfroi, roi
de Thuringe, L’éducation qu’elle avait reçue ne corrigea point
son caractère ambitieux et cruel. Elle porta Hermanfroi à dépouiller ses frères pour être seul maître de la Thuringe; et à manquer
de parole à Thierri, roi des Franks, qui l’avait aidé dans cette guerre, à
condition de partager la conquête. Par cette infidélité, Amalberge fut
cause de la mort de son mari, que Thierri fit périr, et se vit obligée de
se retirer en Italie, où elle passa le reste de ses jours dans
l’obscurité.
La princesse la plus illustre de la famille de Théodoric
fut Amalasonte, qu’il eut de son mariage avec Audeflède.
Elle hérita des vertus de son père; et, comparable elle-même aux plus grands
rois, elle soutint l’honneur de la nation pendant la minorité de son fils
Athalaric. Nous aurons occasion dans la suite de faire l’histoire de
cette princesse. Théodoric, qui n’avait point d’enfant mâle, ne voulut
point la marier à un roi, de peur d’asservir les Goths à un prince étranger, en
lui donnant droit à sa succession. Le mérite d’Eutharic, surnommé Cillica, qui vivait en Espagne à la cour des rois
Visigoths, détermina Théodoric en sa faveur. Eutharic, petit-fils de Bérimond, dont j’ai parlé, était de la race des Amales. Théodoric le fit venir à sa cour; et,
ayant reconnu par lui-même ce qu’il avait appris de la renommée, il lui
donna sa fille, et lui destina son trône. La valeur de ce prince, son
adresse dans les exercices militaires, son caractère franc, généreux,
libéral, lui gagnèrent bientôt le cœur des peuples et l’estime de
l’empereur Anastase, qui l’adopta pour son fils d’armes, comme il avait
déjà adopté Théodoric. Justin, successeur d’Anastase, leur fit à tous les deux
le même honneur, et accepta Eutharic pour collègue, la première fois
qu’il prit lui-même le consulat en 519. Eutharic, étant venu à Rome
pour y prendre possession de cette dignité, fut reçu avec la pompe qui convenait
à l’héritier présomptif de la couronne. Il signala son entrée par des
grâces et des largesses. Il donna au peuple romain , pendant plusieurs
jours, de magnifiques spectacles, où l’on vit un grand nombre d’animaux
jusqu’alors inconnus, que le roi des Vandales lui avait envoyés d’Afrique.
Symmaque, ambassadeur de Justin, et qui se trouva pour lors à Rome, fut
étonné de l’opulence et de la politesse des Goths, que les Romains
orientaux méprisaient encore comme barbares. Ce fut avec regret qu’on vit
partir Eutharic, lorsqu’il retourna à Ravenne, où il renouvela les
mêmes fêtes avec encore plus de splendeur. Mais les regrets furent
beaucoup plus vifs et plus sensibles quand on apprit, quelque temps après,
la mort de ce prince, qui faisait espérer un règne doux et glorieux.
La politique ordinaire des princes ambitieux est d’armer
les puissances étrangères les unes contre les autres pour profiter de leurs
divisions. Celle de Théodoric était plus noble et plus digne d’un grand
roi. Tandis qu’il faisait jouir ses peuples des douceurs de la paix, il travaillait
à la maintenir entres les autres princes; et, lorsqu’il ne pou voit calmer
leurs querelles, il savait en tirer avantage sans s’engager dans des
expéditions pénibles et onéreuses à ses sujets. En prenant le parti des
opprimés, il avait l’art de risquer peu et de gagner beaucoup; et par
sa réputation de justice et de sagesse il s’était rendu l’arbitre de
l’Europe. Après la bataille de Tolbiac, une partie des Allemands se
réfugia dans ses états; il leur assigna des terres en Italie, et les mit à
couvert des poursuites de Clovis. Il écrivit même à ce prince pour l’exhorter à
faire un usage modéré de la victoire, et à traiter avec humanité les
peuples vaincus. Lorsque les premières étincelles de division éclatèrent
entre Clovis et Alaric, Théodoric fit tous ses efforts pour les
réconcilier; il prit avec ces deux jeunes monarques le ton de l’autorité
paternelle; il leur écrivit des lettres pressantes; et, pour donner plus
de poids à sa médiation, il implora celle de tous les rois voisins. Il
invita Gondebaud et les rois des Hérules, des Varnes,
des Thuringiens, à se joindre à lui pour engager Clovis à rester en paix,
ou pour l’y contraindre par les armes. La fierté opiniâtre du roi des Francs
ayant rendu ses démarches inutiles, et sa valeur ayant bientôt décidé la
querelle par la défaite et la mort d’Alaric, Théodoric sauva les débris du
royaume des Visigoths en se chargeant de la tutelle de son
petit-fils Amalaric, fils d’Alaric et de Theudigothe.
Clovis s’était rendu maître de Toulouse, de Bordeaux, d’Angoulême
et de beaucoup d’autres villes; son fils Thierri assiégeai da ville d’Arles.
Théodoric envoya en Gaule le duc Ibas à la tête d’une
armée. Ce général fit relever le siège d’Arles, battit Thierri dans une
rencontre, se mit en possession de tout le pays entre les Alpes et
le Rhône, et envoya à Ravenne un grand nombre de prisonniers francs. Théodoric
mit garnison dans les villes; il attacha cette partie de la Gaule au royaume
des Ostrogoths, et recommanda aux gouverneurs de se comporter de manière que
les nouveaux sujets se félicitassent d’avoir changé de maître. Il s’empara de
Narbonne, d’où il chassa Gondebaud, qui s’y était établi à la faveur
des troubles. Il reprit Toulouse et toute la Septimanie, fit lever le
siège de Carcassonne; et, par ses conquêtes, qu’il étendit jusqu’aux
Pyrénées, il s’ouvrit un passage en Espagne. Amalaric s’y était retiré
après la mort de son père. Mais ce jeune prince, qui n’avait encore que
cinq ans, ne put empêcher Gésalic, fils naturel
d’Alaric, de se faire proclamer roi par une partie des Visigoths. Ibas reçut ordre de marcher contre l’usurpateur, qui,
manquant de courage, n’osa l’attendre à Barcelonne où
il faisait sa résidence, et s’enfuit en Afrique à la cour de Trasamond. Ce prince, beau-frère de Théodoric,
se laissa néanmoins attendrir par les larmes de Gésalic;
il lui donna une grande somme d’argent, avec laquelle le fugitif,
ayant repassé en Gaule, y leva une armée. Théodoric en fit des reproches à Trasamond; celui-ci s’excusa sur ce qu’il avait été
surpris par les artifices de l’usurpateur; et, pour donner plus de force à ses
raisons, il les accompagna de riches présents. Théodoric lui renvoya ses présents
sans rejeter ses excuses, et voulut bien, en considération de sa sœur, ne pas
rompre avec le roi des Vandales. Gésalic, à la
tête des troupes qu’il avait assemblées, rentra en Espagne, fut défait par Ibas à quatre lieues de Barcelonne,
s’enfuit au-delà des Pyrénées, et fut atteint près de la Durance et mis à
mort par ceux qui le poursuivaient. Depuis cette victoire,
Théodoric gouverna l’Espagne en maître absolu, quoiqu'il laissât à
son petit-fils le titre de roi. Il disposait des revenus, des charges, des
garnisons. Les actes se dataient des années de son règne. Il envoya un de ses
écuyers nommé Theudis pour faire les fonctions
de tuteur d’Amalaric; et cet officier s’acquit tant d’estime par sa
sagesse et par sa valeur, que Théodoric, qui en conçut de la
défiance, n’osa cependant le rappeler, et qu’après la mort du
jeune roi, Theudis fut élevé sur le trône, du consentement
unanime de la nation.
Je ne parle ici que des actions de Théodoric qui se bornent
à l’Occident, et qui n’ont aucun rapport aux affaires de l’empire: je
raconterai les autres dans l’histoire d’Anastase et de Justin. Depuis que
Théodoric se vit établi en Italie, il ne marcha plus à la tête de ses
armées. Tranquille en apparence dans Ravenne; mais toujours occupé,
toujours les yeux ouverts sur ses peuples et sur les états voisins, dont
sa politique faisait mouvoir les ressorts, il confiait ses armes à d’excellents
généraux qu’il avait formés, dont il connaissait le caractère, et
qu’il sa voit choisir selon la nature de l’entreprise. Aussi tous les
desseins de ce prince, conduits par sa prudence, exécutés par l’habileté de ses
capitaines et par la valeur de ses soldats, réussirent au gré de ses désirs.
Au milieu de la paix, il avait soin d’entretenir par de fréquents
exercices la vigueur de ses troupes. Ravenne présentait de toutes parts
l’image de la guerre. Tous les spectacles étaient militaires; c’était un
apprentissage des combats : mais il en avait banni la cruauté; on n’y voyait
point de gladiateurs. Une jeunesse guerrière et bien disciplinée apprenait à
trembler devant les lois, et à être intrépide devant les ennemis. Les Allemands
ayant fait des courses en Rhétie, il envoya des troupes qui les
allèrent chercher au-delà du Danube, les battirent, et firent
la conquête de la Souabe. Il réduisit ce pays en forme de province, y
établit des gouverneurs, et accoutuma ce peuple à l’obéissance par la douceur
du commandement. La dernière expédition de Théodoric en Occident
fut plus utile que brillante; elle caractérise un politique adroit,
et peut-être artificieux, qui, laissant aux autres tout le péril du
combat, sait retirer sa part de la victoire. Sigismond, roi des
Bourguignons, avait fait mourir son fils Sigéric, qu’il avait eu d’Ostrogothe,
fille de Théodoric. C’était à ce prince à demander raison de la mort de
son petit-fils. Il profita du ressentiment des fils de Clovis, que leur
mère Clotilde excitait à venger la mort de son père et de sa mère,
assassinés autrefois par ordre de Gondebaud, père de Sigismond. Théodoric
fit avec ces princes une alliance offensive, dont la condition était que
tous les alliés partageraient également la conquête; et que eux-mêmes qui
n’y auraient pas contribué par leurs armes seraient admis au partage, en
donnant aux autres une somme d’argent. Il fait aussitôt partir
une armée sous les ordres de Tolonic, un de ses
meilleurs généraux; mais il lui recommande de ralentir sa marche, et de ne
joindre les Francs qu’après la bataille. Sigismond est vaincu et fait
prisonnier. Tolonic arrive après la victoire, et
s’excuse sur la difficulté du passage des Alpes. Il compte aux princes
francs la somme convenue, et, en conséquence du traité, il prend
possession d’Apt, de Genève , de Carpentras, d’Avignon et de plusieurs
autres villes considérables. Ce fut là le premier avantage que la ruse
italienne remporta sur la valeur ingénue des Francs. C’était, dit
Cassiodore, vaincre sans combattre; mais on peut ajouter que c’était aussi
triompher sans gloire. Ce qui était bien plus honorable à Théodoric, c’est
qu’il avait le plus grand soin de dédommager les provinces des pertes que leur causait
le passage des troupes, soit en faisant rendre justice
aux particuliers dont les plaintes étaient bien fondées, soit en
soulageant le pays entier par des remises d’impositions. D’ailleurs ses soldats
observaient dans leurs marches la même discipline que s’ils eussent été
sous ses yeux; en sorte que ses armées n’étaient à craindre qu’aux
ennemis.
Il n’était pas indifférent sur le choix d’une religion;
et la chaleur avec laquelle il prit à la fin de sa vie la défense de
l’arianisme, que Justin voulait détruire, ne montre que trop qu’il était
attaché aux erreurs d’Arius. Mais il ne fut jamais persécuteur : « Nous
n'avons, di-soit-il, aucun empire sur la religion, parce qu’on ne peut
forcer la croyance.» Il avait même les apostats en horreur; et l’on raconte
qu’un de ses officiers, qui jusqu’alors avait professé la religion catholique,
ayant embrassé l’arianisme dans la vue de lui faire sa cour, il lui fit
couper la tête, apportant pour raison d’une si étrange sévérité, qu'un
homme traître à son Dieu ne pouvait être fidèle à son prince. Il conserva
aux Juifs les droite que leur avoient accordés les empereurs, leur
permettant d’entretenir leurs synagogues, mais non pas de les agrandir ni
d’en bâtir de nouvelles, et défendant aux ecclésiastiques de les troubler
dans la pratique de leurs cérémonies. Pendant qu’il était à Vérone, il
s’éleva une querelle entre les chrétiens, et les Juifs de Ravenne.
Les Juifs, prétendant qu’on avait baptisé par force quelques-uns d’entre
eux, enlevèrent plusieurs fois le pain destiné à la consécration et le jetèrent dans le fleuve. Les chrétiens,
pour s’en venger, mirent le feu aux synagogues.
Les Juifs coururent à Vérone; et, appuyés du
grand-chambellan , qui favorisait leur secte, ils portèrent leurs plaintes à
Théodoric. Le prince, irrité de ces violences, ordonna que les chrétiens
réparassent les synagogues à leurs dépens, et que ceux qui ne seraient pas
en état de payer leur part, fussent fouettés publiquement.
L’évêque Pierre fut chargé de recueillir l’argent, et Eutharic
de tenir la main à l’exécution. Par forme de représailles, Théodoric
fit abattre l’oratoire et l’autel de Saint-Etienne qui était aux portes de
Vérone. La colère fit alors perdre le respect qu’il portait aux églises
catholiques : il se faisait honneur de les décorer.
Mais il avait encore plus de respect pour les évêques recommandables
par leur vertu. C’était entre leurs mains qu’il déposit les libéralités
qu’il voulait répandre dans les provinces, croyant ne pouvoir choisir de
distributeurs plus fidèles et plus équitables. Trasamond, roi
des Vandales, arien comme lui, mais fanatique et persécuteur, avait
relégué en Sardaigne les évêques catholiques de ses états; et ces généreux
prélats se trouvaient réduits à une extrême misère. Théodoric leur
envoya d’abondantes aumônes, soulageant avec humanité les plus grands
adversaires de sa secte. Césaire, évêque d’Arles, injustement persécuté
par ses ennemis, fut conduit à Ravenne pour y être accusé devant le prince. A
la première vu de ce prélat, Théodoric, saisi d’une
secrète vénération, se leva, le salua avec respect, ne
s’entretint avec lui que de la conduite que les Goths tenaient
dans la Gaule, et de l’état de la ville d’Arles. L’ayant
ensuite congédié avec honneur : « C’est un ange plutôt
qu’un homme, dit-il à ses courtisans; où sont ses accusateurs? je les
ferai repentir des inquiétudes qu’ils lui ont suscitées. » Aucun d’eux
n’osa paraître. Il fit porter à l’hôtellerie de Césaire un bassin d’argent de
grand prix : c’était un dédommagement de l’insulte que le prélat avait reçue.
Après la levée du siège d’Arles, Césaire avait employé tout ce qu’il possédait
pour racheter, autant qu’il avait pu, de Francs et de Gaulois qui étaient tombés
entre les mains des Goths. Il s’en trouvait encore un grand nombre qu’on avait
transportés à Ravenne. Césaire vendit ce bassin précieux pour les délivrer d’esclavage:
trait de générosité, qui fit tant d’impression sur les Goths, que les
sénateurs et les personnes riches lui apportèrent à l’envi de grosses
sommes, le priant d’en faire l’usage que sa charité lui inspirait. Il
revint en Gaule accompagné d’une foule de prisonniers rachetés, et
rapportant la valeur de cent mille livres de notre monnaie : il se rendit
aussitôt à Carcassonne pour y délivrer le reste des Francs que l’on gardait
dans cette ville.
La conduite que tint Théodoric pendant le schisme qui
divisa l’Eglise romaine prouve la liberté qu’il laissait aux catholiques, et la
répugnance qu’il sentait à se mêler des affaires de religion. Ce ne fut qu’a la
prière des deux partis, et pour mettre fin aux troubles qui remplissaient Rome
de séditions et de carnage qu’il prit part a cette querelle, mais sans
entreprendre de la décider. Il ne fit usage de son autorité que pour
appuyer celle des évêques. Festus, revenu de
Constantinople en 498, voulait accomplir la promesse qu’il avait faite
à l’empereur d’engager le pape à souscrire l’hénotique de Zénon. Le
pape Anastase étant mort dans ce temps-là, Symmaque fut canoniquement élu pour
lui succéder. Mais Festus, ne le croyant pas
favorable à son dessein, avait formé une cabale contraire et répandu beaucoup
d’argent. Une partie du clergé et du peuple se déclara pour le prêtre
Laurent. Les deux partis prétendirent soutenir leur élection ; on prit les
armes, et le sang coula dans Rome pour décider quel serait celui dont
la principale fonction est de maintenir la paix dans l’Eglise. Enfin on
convint de part et d’autre de s’en rapporter à Théodoric. Ce prince, sans
vouloir entrer plus avant dans cette contestation, répondit qu’il fallait tenir
pour évêque de Rome celui qui comptait le plus de suffrages et qui avait
été élu le premier. Ce jugement donnait gain de cause à Symmaque; il se crut
tranquille; il assembla un concile qui défendit les brigues et
les violences qu’on avait déjà vues naître plusieurs fois à l’occasion de
l’élection des papes. Deux ans après, la sédition se réveille en faveur de
l’anti-pape. Théodoric ordonne aux évêques de s’assembler à Rome :
Symmaque est encore reconnu pour pape légitime; Laurent est
fait évêque de Nocère en Campanie, et le schisme
semble être entièrement éteint. L’arrivée de Théodoric à Rome achève
d’y rétablir la tranquillité. Symmaque fait tenir un concile où l’on
déclare nulle une ordonnance d’Odoacre, qui, pour la validité de l’élection des
papes, exigeait qu’elle fût confirmée par le prince. Théodoric ne paraît
pas offensé de cette atteinte portée à son autorité. Mais le feu de la discorde
n’était qu’assoupi; elle se ralluma en 5o3; les massacres recommencent;
on force les églises, les monastères; le faux zèle ne connaît rien de
sacré. On envoie à Ravenne des libelles et des accusateurs contre
Symmaque, qu’on noircit par les calomnies les plus atroces. Théodoric se laisse
prévenir; il exile Symmaque à Rimini; mais, quelques jours après, le
pape étant retourné à Rome sans ordre, le roi n’en témoigne aucun
ressentiment. Laurent y reparaît aussi, et la capitale du monde chrétien
devient un champ de bataille, où les deux factions se déchirent avec
fureur. Théodoric convoque un concile à Rome, du consentement de Symmaque,
qui demande d’être rétabli dans son siège avant que de se justifier; le
roi veut qu’il se justifie avant que d’être rétabli, et Symmaque y
consent. Le pape, après avoir assisté à la première session, étant en
chemin pour se rendre à la seconde, est attaqué par les séditieux au milieu des
rues de Rome : il sauve à peine sa vie, et refuse de s’exposer de
nouveau pour comparaître devant les évêques. Le concile se sépare, et
l’antipape dispute encore pendant quatre ans à Symmaque l’autorité pontificale.
Dans cet intervalle, Rome est le théâtre d’une guerre civile qui se renouvelle
à plusieurs reprises. Enfin, en 5o7, les évêques ont recours à Théodoric,
qui leur répondit que c'est leur devoir de pacifier les troubles de
l’Eglise; qu’à l’égard de Symmaque, ils peuvent prendre tel parti qu’ils
jugeront à propos, pourvu qu’ils fassent cesser une discorde si
scandaleuse. Les évêques déclarent Symmaque innocent et pape légitime; et le
prince prête son autorité pour faire exécuter la décision des évêques. Festus reçait ordre de
mettre Symmaque en possession de toutes les églises de Rome; il obéit à
regret, et donne à Laurent une retraite sur ses terres. Cet anti-pape
mourut peu de temps après; et ce ne fut que sa mort qui put
assurer la paix. Le schisme avait duré huit ans. Quoique Symmaque eût fait
déclarer par un concile que l’élection des papes serait entièrement
indépendante des souverains, l’ordonnance d’Odoacre continua cependant
d’être exécutée pendant près de deux siècles. Ce ne fut qu’en 684,
sous le pontificat de Benoît II, que Constantin IV Pogonate dispensa les papes d’obtenir l’agrément des empereurs.
Après avoir tracé le tableau du gouvernement de Théodoric,
il est à propos de faire connaître ceux dont la sagesse a secondé les
intentions de ce grand prince. Comme ils ont contribué à sa gloire, ils
méritent de la partager. Théodoric, invincible dans les combats, se laissait
vaincre par les bons conseils; il savait gré de la contradiction même, quand
elle était appuyée de la raison et de la justice. Celui qui se présente d’abord
comme le plus anciennement attaché au roi des Goths fut moins un ministre qu’un
favori, titre plus flatteur pendant la vi , mais moins honorable dans
l’histoire. Cependant la vertu d Artémidore et
le caractère de son maître lui rendent toute la considération que le nom de
favori pourrit lui ôter. Artémidore, Grec d’origine
et d’une naissance illustre, s’était lié d’amitié avec Théodoric, lorsque ce
prince vivait à la cour de Constantinople. Quoiqu’il fût allié de
l’empereur, et qu’il pût aspirer aux premières charges de l’empire, il
voulut suivre le roi des Goths en Italie; il était attaché à sa personne
plutôt qu’à sa dignité. Il ne se mêla jamais des affaires d’état; il bornait ses
soins à délasser le prince par les agréments de sa conversation, et à lui
procurer des plaisirs innocents, convive amusant, mais courtisan vertueux, et
vraiment zélé pour la gloire du souverain. On vit alors un favori profiter
de son crédit pour servir les gens de mérite, pour soulager les
malheureux, et n’en jamais abuser pour parler mal de personne; c’est
Théodoric lui-même qui lui rend ce témoignage. Comme ce prince connaissait dans Artémidore un heureux mélange de douceur et
de fermeté, il le crut propre à calmer les séditions qu’avait fait
naître le schisme de Laurent. If le nomma préfet de Rome; et quoique cette
charge donnât par elle-même la juridiction souveraine sur la ville et sur
les provinces qu’on nommait suburbicaires, Théodoric, pour
assurer davantage dans cette conjoncture critique l’autorité
du préfet, fit spécialement exprimer dans le brevet, qu’il chargeait Artimédore de protéger les citoyens tranquilles et de punir
les séditieux.
Festus Niger avait des talents moins agréables, mais plus solides. C’était un sénateur
des plus distingués de la ville de Rome. Aussitôt après la bataille de
Vérone, il sentit qu’Odoacre allait périr, et vint offrir
ses services à Théodoric, qui lui donna la charge de maître des
offices. Savant, vertueux, du moins en apparence, grave et parlant peu,
mais souple, pénétrant et adroit à faire parler les autres, Théodoric le
jugea propre aux négociations. Il l’employa avec succès à la cour de
Constantinople. Festus faisait profession de la
doctrine catholique; mais plus politique que religieux, il paraît par
l’histoire du schisme de Laurent qu’il était peu scrupuleux sur le choix des
moyens pour parvenir à ses fins. Aussi Théodoric l’occupa moins au-dedans
qu’au-dehors, et fit plus d’usage de ses talents que de ses conseils.
Il n’en fut pas ainsi de Libérius : vertueux sans
politique, il était perdu, s’il n’eût trouvé un vainqueur aussi généreux que
lui-même. Il servait Odoacre; et, loin de l’abandonner dans ses malheurs,
il lui demeura fidèle après que ce prince infortuné se fut
lui-même trahi en se livrant à son rival. Enfermé dans Césène, Libérius
ne cessa de défendre cette ville, quoique toute l’Italie se fût déjà
soumise à Théodoric; il ne la rendit qu’après la mort d Odoacre, et ne
voulut reconnaître de nouveau maître que lorsqu'il eut perdu le
premier. Un homme de ce caractère ne pouvait être malheureux, même
dans la disgrâce; le faire repentir de sa vertu, c’eût été un effort qui passait
le pouvoir du vainqueur. Ce fut un bonheur pour l’Italie, et pour
Théodoric même, que ce prince sentît le mérite d’une âme pareille à
la sienne; il sut gré à Libérius de sa généreuse résistance, et le fit préfet
du prétoire. La conduite du préfet justifia la confiance du roi. Aussi
fidèle à Théodoric qu’il lui avait été opposé, il se comporta dans cette
charge avec une intégrité à toute épreuve, augmentant les revenus publics sans
diminuer ceux des particuliers, et multipliant les richesses du prince
par l’économie, et par la simplicité et la fidélité du recouvrement.
Jamais, sous son ministère, les armées ne manquèrent de munitions de guerre et
de bouche, sans être à charge aux provinces. Il établit la
discipline parmi des barbares qui ne connaissaient que la force. Ce
fut lui dont le roi fit choix pour partager les terres entre les anciens habitants
et les Goths; et il sut mettre tant d’équité et de douceur dans ce
partage, que ce qui semblait devoir être une source de querelles et de
contestations devint le lien de la concorde des deux peuples. Les Italiens, en
cédant le tiers de leurs biens, crurent acheter des défenseurs pour le reste;
et les Goths se contentèrent de la part qui leur était assignée,
sans chicaner les anciens possesseurs. Il fut envoyé plusieurs fois
en Gaule pour rétablir cette province, où il exerça la charge de préfet du
prétoire sur la fin du règne de Théodoric, et au commencement de celui
d’Athalaric. Amalasonte le fit revenir à Ravenne pour profiter de ses
conseils. Elle le combla de faveurs.
La principale science de Théodoric était l’art de connoître les hommes. Il ne nomma guère de magistrats qui
n’aient justifié son choix; jamais il ne mit à la tête de ses armées de
général qui ne soit revenu victorieux. L’histoire nomme quatre généraux de
Théodoric; Ibas qui vainquit les Francs, et qui
soutint Amalaric en Espagne par la défaite de Gésalic; Pitzia et Herduic, qui
subjuguèrent les Gépides, défirent les troupes de l’empire et conquirent
la Pannonie, ainsi que je le raconterai dans la suite; et Tolonic ou Tolum, qui, étant plus jeune que les autres,
ne commanda les armées que vers la fin du règne de Théodoric. Ce dernier
mérite une attention particulière. Il sortait d’une des plus nobles
familles des Goths. Dès sa première jeunesse il fut reçu entre les
chambellans du prince, et se distingua par son zèle pour son maître, par
sa discrétion, et par l’étude qu’il faisait de la science militaire. En
5o5, il fit ses premières armes dans la guerre contre les Romains et les
Bulgares, et eut grande part à la victoire. Elevé dans le palais, il se
montra aussi infatigable que les guerriers les plus exercés. A son retour,
Théodoric le fit maître des offices, et l’admit à ses conseils. Il
le consultait sur les affaires les plus épineuses; et ce prince si
habile dans l’art du gouvernement trouvait encore des lumières dans la
pénétration de Tolonic et des ressources dans son
génie. Cet officier n’usa jamais de ces détours où les courtisans
s’enveloppent; ami de la vérité, il la présentoir au prince; il s’attachait
surtout à démasquer la colonie, et à détruire ses impostures. Son zèle, aussi
éclairé que sincère, le portait quelquefois à s’opposer aux volontés de son
maître, qui l’en aima davantage. Ayant épousé une femme de la race des Amales, il eut l’honneur de devenir l’allié de
Théodoric. Il partit avec Ibas pour combattre
les Francs; et, durant le siège d’Arles, il signala sa valeur à la défense
d’un pont que les ennemis attaquaient avec opiniâtreté; il les repoussa et
rentra dans la ville couvert de blessures et de gloire. Nous avons parlé
de la conduite qu’il tint pour partager avec les Francs les dépouilles des
Bourguignons sans exposer ses troupes. L’amour que lui portait Théodoric
parut dans une occasion très-périlleuse. Ils étaient tous deux sur la mer
Adriatique, près d’Aquilée, dans deux barques séparées. Une furieuse
tempête étant survenue, la barque du roi gagna le rivage; mais
celle de Tolonic coula à fond, et tous ceux
qu’elle portait ayant péri, il fut redevable de son salut à sa
vigueur extraordinaire; soutenant son fils d’une main et nageant de
l’autre, il toucha le bord dans le moment où Théodoric se jetait dans sa
barque, pour retourner, malgré la tempête, chercher son ami au milieu des
flots. Tolonic survécut ce bon prince, et reçut
d’Athalaric la dignité de patrice.
Il me reste à parler de Cassiodore, le modèle des
ministres qui ne font pas de la politique un art opposé à l’honneur et à
la vertu. Il naquit à Squillace, dans le pays
des Brutiens, vers l’an 470. Il se nommait Aurélius Cassiodorus Sénator. Sa famille, connue par ses grandes richesses,
avait déjà produit des hommes recommandables. Son aïeul avait sauvé la Sicile
de l’invasion des Vandales, et nous avons vu son père secrétaire d’état de
Valentinien III, et ambassadeur auprès d’Attila. Cassiodore était un
esprit profond et universel. Il sortit de ses études avec les talents de
tous les grands hommes dont il avait lu l’histoire, et capable de les
remplacer. Il n’avait pas encore dix-huit ans lorsque Odoacre le fit
intendant de son domaine : sa sagesse, son intelligence, l’élevèrent
bientôt à la charge d’intendant des finances. Ses vertus croissaient avec ses
honneurs. Après la mort d Odoacre, il se retira sur ses terres pour se
livrer entièrement à l’étude. Mais le service qu’il rendit à Théodoric, en
détournant par son éloquence les Siciliens et les Brutiens du dessein qu’ils avoient formé de se défendre contre les Goths, le
fit connaître à ce prince, qui lui donna le gouvernement de la
Lucanie et du pays des Brutiens. C’en était
assez pour rendre ces provinces heureuses : le gouverneur leur obtint
une diminution d’impôts, et rendit la perception du reste plus douce et
plus légère. Ses jugements étaient dictés par la plus exacte justice. Sa
réputation croissant tous les jours, Théodoric l’appela à la cour, et,
ayant reconnu ses talents, il le choisit pour son
secrétaire. Cassiodore s’acquitta de cette fonction pendant la
plus grande partie du règne de ce prince. Les lettres qu’il écrivit
au nom de Théodoric sont un trésor de saine politique; c’est l’âme de
Théodoric qui parle; mais la main du secrétaire se montre trop souvent; il
aime trop à faire parade de la science; il prête à un grand roi un
ton de déclamateur qui le dépare. A cet emploi honorable Théodoric ajouta la
dignité de questeur, dont les fonctions répondaient à celles de chancelier
parmi nous. Elles eurent encore plus d’étendue entre les mains
de Cassiodore. Il ne fut pas seulement l’organe du prince; on peut
dire qu’il le représentait dans toutes les parties du gouvernement; et,
sans porterie nom de premier ministre, qui n’était pas encore connu, il en eut
toute l’autorité. C’était un poste laborieux sous un prince vigilant
et infatigable, dont il fallait égaler la vigueur, l’activité, et
suivre ce coup-d’œil rapide qui pénétrait dans toutes les parties de
l’état. Néanmoins tant d’occupations n’épuisaient pas les forces de Cassiodore,
et ne remplissaient pas tous ses moments. Il en trouvait pour étudier
l’Ecriture sainte, où il puisait ses maximes de politique. Après avoir
partagé les travaux de son maître, il contribuait à son délassement; Théodoric aimait
à se reposer dans ses conversations aussi agréables que savantes.
Les fonctions de toutes les dignités se rassemblaient dans sa
personne; il était naturel de lui en conférer les titres; il fut maître
des offices, et enfin patrice. Le consulat n’était plus qu’une décoration; le
prince ne voulut pas qu’elle manquât à son ministre : il le nomma consul
en 514. Théodoric étant mort, Cassiodore servit avec le même zèle son
petit-fils qui lui succédait. Tant qu’Athalaric fut gouverné par sa mère
Amalasonte, il écouta les conseils de ce sage ministre; il lui conféra la
dignité suprême de préfet du prétoire; il lui donna même le commandement
des troupes qui gardaient les côtes de l’Italie, et le nouveau général,
supérieur à tous les emplois, porta dans celui-ci la capacité d’un homme
de guerre et la générosité d’un homme d’état. Il soulagea le
prince et les peuples en faisant subsister les troupes à ses
propres dépens. Les débauches et la mort d’Athalaric,
l’indigne traitement fait à Amalasonte, l’incapacité de Théodat, les
guerres, qui ne se terminèrent que par la destruction des Goths en Italie,
ne ralentirent pas le zèle de Cassiodore. Il continua de servir l’état tant
qu’il crut pouvoir retarder sa chute. Enfin, voyant que le désordre des
affaires redoit ses conseils inutiles, et qu’après un rôle si glorieux il
ne lui restait que d’être le spectateur de la ruine de ses maîtres, âgé de
soixante et dix ans, après plus de cinquante ans de travaux continuels, il
se retira à Squillace sa patrie, fit bâtir le
monastère de Viviers , et consacra le reste de ses jours à la prière, à la
conduite de ses moines et à des ouvrages utiles à la religion. On croit qu’il
vécut plus de cent ans. Outre les écrits que nous avons de lui, il avait
composé l’histoire des Goths en douze livres, dont la perte n’est point
réparée par l’abrégé qu’en a laissé Jornandès. Tel
fut ce personnage mémorable, qui mérita, ainsi que son maître, le surnom de
grand; ministre vraiment digne du roi qu’il servit, et qui peut encore par
ses écrits et par ses exemples éclairer les conseils des princes, et
y plaider la cause des peuples.
Ce n’est qu’à regret que je m’éloigne de Théodoric pour
retourner à Zénon, prince aussi méprisable que le roi des Goths est digne de
mémoire. On vit en ce temps-là l’idolâtrie terrassée faire en Orient
quelques faibles efforts pour se relever. Elle était bannie des temples,
mais elle régnait encore dans les écoles des philosophes; ceux-ci n’étaient
plus que des rêveurs mélancoliques, qui repaissaient leurs disciples de
chimères. Réduits à l’obscurité, ils prétendaient être les maîtres de la nature
par leur commerce avec les esprits; ils se vantaient d’ opérer des prodiges;
ils s’admiraient mutuellement ; ils écrivaient la vie et les miracles les uns
des autres : la cabale en faisait des héros. La grossièreté du paganisme,
entièrement corporel, subtilisée par Porphyre et par Jamblique, s’était
évanouie en fumée; il n’en restait plus que les vapeurs d’une sombre
métaphysique, qui tournoi la tête à d’orgueilleux mais imbéciles raisonneurs.
Proclus, qui enseignait à Athènes, Marin, son successeur, Isidore,
disciple de tous deux, et son historien Damascius, Héraïsque, Gésis, Agapius, Asclépiade, Ammonius, Erythræus, s’encensaient, se citaient sans cesse, et regardaient
en pitié tous les hommes, excepté leurs adeptes. Sévérien de Damas, sorti
de ces écoles, s’était fait un nom à Constantinople par l’universalité des
connaissances et des talents que ses admirateurs lui attribuaient. On dit même
que Zénon, ce qui n’a rien d’incroyable, lui avait offert la première
dignité de l’empire, s’il voulait se laisser baptiser. Sévérien préféra la
considération obscure, mais flatteuse, qu’il avait dans son parti : il forma
même un complot pour forcer l’empereur à rétablir l’idolâtrie, et peut-être
pour le détrôner, car le détail de cette conspiration est inconnu. On
sait seulement que Sévérien, autrefois ennemi mortel d’Aspar et de son
fils Ardabure, eut l’imprudence de faire part de son dessein à Erménaric, fils d’Aspar qui en instruisit Zénon, et
qu’il fut obligé de prendre la fuite pour éviter le dernier supplice. Héraïsque, autre fanatique de la même faction, fut vivement
poursuivi; mais Gésius, que sa réputation dans
la médecine avait rendu plus riche et plus puissant que les autres,
s’exposa lui-même pour le sauver: il le cacha dans sa maison; et, quelque
temps après, Héraïsque étant mort de maladie, Gésius, qui ne craignait plus rien pour son ami, et
fort peu pour lui-même, lui rendit publiquement les honneurs funèbres. Agapius, qui avait ouvert une école à Constantinople ,
et plusieurs autres de ces prétendus philosophes, furent pris et mis entre
les mains du préfet du prétoire, nommé Dioscore. On
ne sait quel fut leur sort. Il en coûta la vie à Zosime, sophiste de
Gaza ou d’Ascalon, que je ne crois pas le même que l’historien, quoique M.
de Valois semble le penser. Gésius, ayant
lui-même osé aspirer à l’empire sur la foi de deux astrologues, fut puni
de mort. Sa folle entreprise donna lieu à plusieurs épigrammes satiriques
que nous avons encore.
Cette cabale séditieuse méritait l’indignation du prince.
Mais Zénon, aussi peu sensé que ceux qu’il punissait, consultait lui-même leurs
semblables pour savoir quel serait son successeur. Comme il n’avait point d’enfans, il souhaitait fort de laisser le diadème à son frère
Longin, consul alors pour la seconde fois. Longin, loin d’être digne de
l’empire, déshonorait l’empereur par sa
stupidité et par ses débauches. Zénon, voyant les meilleures têtes de la cour
opposées au dessein qu’il avait de le nommer César, soupçonna quelque intrigue.
Pour s’en éclaircir, il s’adressa au comte Maurien,
grand astrologue, qui lui répondit que sa femme et sa couronne passeraient
après sa mort à un des silentiaires. Il est très vraisemblable que cet
astrologue était plus instruit que Zénon du commerce secret déjà
établi entre Ariadne et Anastase. Mais les
soupçons de l’empereur tombèrent sur le patrice Pélage. Il avait été silentiaire,
et c’était en effet l’homme de la cour le plus digne de la pourpre.
Vertueux, zélé pour la justice, assez généreux pour parler librement à Zénon ,
il tâchait d’adoucir cet esprit farouche, qui s’abandonnait à
sa cruauté naturelle depuis que la crainte d’Illus ne le retenait plus. C’était
ce même Pélage qui, onze ans auparavant, avait arrêté Théodoric le Louche
lorsqu’il venait attaquer Constantinople. Il joignit les talents à
la vertu; et, sans parler de plusieurs beaux ouvrages, il avait écrit
en vers l’histoire de l’empire depuis Auguste. Zénon ne lui pardonna pas tant
de mérite, et fut bien aise de se défaire d’un censeur. Il le fit arrêter,
sous prétexte que c’était un païen déguisé; il confisqua ses biens
sans aucune forme de justice, et l’envoya prisonnier à Panorme,
en Sicile. Ses gardes avoient ordre de l’étrangler dans la prison dès
qu’il y serait arrivé. On dit que Pélage, à la vue des bourreaux, levant
les mains au ciel, s'écria : « Dieu juste, vous connaissez mon
innocence, et vous voyez mon supplice; on me punit d'avoir tant de fois arrêté
la violence d’un tyran, et de l’avoir empêché de déshonorer le titre de
César en le donnant à son frère : Seigneur, armez votre justice
pour punir mes barbares meurtriers.» Ces paroles, sous le langage du
christianisme, respiraient les sentiments d’une vengeance toute païenne.
Le corps de Pélage fut jeté dans la mer. Arcadius, ancien préfet du
prétoire, ayant appris la mort d’un homme si estimable, ne put
retenir son indignation; il éclata en invectives contre
l’injustice et la cruauté de l’empereur, qui, en étant informé, le manda
au palais, et donna ordre de le tuer dès qu’il y serait entré. Arcadius, averti
de ce dessein, monta dans son char, comme pour se rendre auprès de
l’empereur; mais, quand il fut arrivé devant l’église de Sainte-Sophie, il
s’y réfugia, et ne voulut plus sortir de cet asile. Il évita ainsi une
mort certaine, et se vit quatre mois après délivré par celle de Zénon. Ce
prince fit encore mourir, sous divers prétextes, plusieurs
personnages illustres, et entre autres Cottaïs,
qui, joint avec Jean le Scythe, avait forcé Illus dans la forteresse de Papyre.
Zénon ne survécut Pélage que de quelques mois. Les auteurs
ne s’accordent pas sur le genre de sa mort. Les uns disent qu’il expira
dans les douleurs d’une cruelle. dysenterie, en répétant sans cesse le nom
de Pélage. Le récit des autres est plus tragique et moins vraisemblable. Ce
prince, disent-ils, était sujet a l’épilepsie; et ce terrible mal l’attaquait
surtout dans l’ivresse, dont il s’était fait une habitude. La nuit du 9 avril
491, après un excès de table, il tomba dans une syncope si violente, que ses
chambellans, après l’avoir dépouillé, le crurent mort et le laissèrent étendu
sur une planche. Au point du jour on lui jeta un linceul sur le corps, et Ariadne le fit porter promptement et sans pompe à la
sépulture des empereurs, où le tombeau fut fermé d’une grosse pierre. Elle y
posa des gardes , avec défense, sur peine de la vie, de laisser approcher
personne, ni d’ouvrir eux-mêmes le tombeau, quoi qu’il pût arriver. Ils obéirent,
et, malgré les cris lamentables de Zénon, qu’ils entendirent quelques heures
après, ils n’osèrent lui donner aucun secours. Le tombeau ayant été ouvert
après plusieurs jours, on trouva que ce misérable prince était mort dans
un excès de rage, en se déchirant les bras avec les dents. Ce récit ne se
trouve que dans les Grecs postérieurs; les anciens n’en ont rien dit.
Zénon avait régné seize ans et demi, depuis la mort du jeune Léon : il en
vécut 65. Son nom fut dans la suite effacé du catalogue des empereurs
catholiques par ordre de Justin, à la sollicitation du pape Hormisdas. Malgré
tous ses vices, la flatterie lui avait érigé des statues à Constantinople,
ainsi qu’à sa femme Ariadne. Il en avait aussi
dans Rome, Odoacre lui laissant volontiers ces honneurs, pourvu qu’il
ne prît sur lui aucune autorité. Aux bonnes actions de ce prince, qui ne sont
ni éclatantes, ni en grand nombre, on ajoute celles-ci qui méritent
à peine d’être rapportées. Il fit consacrer en l’honneur de la sainte
Vierge le temple du Dindymène, proche
de Cyzique, qu’on disait avoir été bâti par les Argonautes. Jean,
évêque de Colonie, dans la première Arménie, prélat depuis célèbre entre
les solitaires de Palestine, sous le nom de Silentieux,
s’étant venu plaindre de son beau-frère Pasinique,
gouverneur de la province, qui ne respectait pas le droit d’asile des
églises, obtint justice de Zénon à la prière d’Euphémius,
patriarche de Constantinople.
LIVRE TRENTE-HUITIEME. ANASTASE
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HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |