HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |
LIVRE DIX NEUVIÈMEVALENTINIEN, VALENS, GRATIEN
La révolte de Firme ne causait à Valentinien que de légères
inquiétudes. Il se reposait de la conservation de l’Afrique sur la capacité de
Théodose. Mais son frère Valens vivait dans de perpétuelles alarmes. Naturellement
cruel et avare, il avait jusqu’alors forcé son caractère. Enflé des médiocres
avantages qu’il venait de remporter sur les Perses, il crut n’avoir plus
besoin de se contraindre. Ses courtisans avides, qu’il avait su retenir
aussi-bien que ses vices, commencèrent à abuser de leur faveur pour ruiner les
familles les plus opulentes.
Ce prince, environné de flatteurs qui fermaient tout
accès aux plaintes et aux remontrances, plus obstiné dans sa colère lorsqu’elle
étroit moins raisonnable, crédule aux rapports secrets, incapable par paresse
d’examiner la vérité, et par orgueil de la reconnaitre, ne lançait plus que des
arrêts d’exils et de confiscations. Il se faisait un mérite d’être implacable,
et il répétait souvent que quiconque s’apaise aisément s’écarte aisément de
la justice. Plus de distinction entre l’innocent et le coupable. C’étroit
par la sentence de condamnation que les objets de sa colère apprenaient qu’ils étaient
soupçonnés; ils passaient en un instant, comme dans un songe, de l’opulence à
la mendicité. Le trésor du prince engloutissait toutes les fortunes pour les
verser ensuite sur ses favoris; et ses largesses ne le renvoient pas moins
odieux que ses rapines. Tant d’injustices excitèrent la haine; et la haine
publique produisit les attentats. Il se formait sans cesse des conspirations contre
Valens. Un jour qu’il dormait tranquillement, après son dîner, dans un de ses
jardins, entre Antioche et Séleucie, un de ses gardes, nommé Salluste, fut sur le
point de le tuer; et ce prince ne fut sauvé de ce péril et de plusieurs autres
que par les décrets de la Providence qui l’avait condamné à périr de la main
des Goths.
La même patience qui faisait naître contre lui tant de complots
excita quelques visionnaires à rechercher quel serait son successeur.
Fidustius, Irénée et Pergamius, tous trois d’un rang distingué, s’adressèrent
pour cet effet à deux devins célèbres, nommés Hilaire et Patrice. Je n’exposerai
pas ici les ridicules cérémonies que ces devins pratiquèrent, et dont on
prétend qu’ils firent eux-mêmes le détail dans leur interrogatoire. Il suffira de
dire qu’ayant gravé autour d’un bassin les caractères de l’alphabet grec, ils
suspendirent au-dessus un anneau enchanté, qui par ses vibrations diverses
marqua les lettres, dont l’assemblage formait la réponse de l’oracle. Elle étroit
conçue en vers héroïques, et signifiait que le successeur de Valens serait
un prince accompli; que leur curiosité leur serait funeste; mais que leurs meurtriers
éprouveraient eux-mêmes la vengeance des dieux, et périraient par le feu dans
les plaines de Mimas. Comme l’oracle ne s’étroit exprimé sur le prince
futur qu’en des termes généraux, on demanda quel était son nom. Alors l’anneau
ayant frappé successivement sur ces lettres THEOD, un des assistants s’écria
que les dieux désignaient Théodore. Tous les autres furent du même avis; et la
chose parut si évidente, qu’on s’en tint là sans pousser plus loin la
recherche. Il faut avouer que, si ce récit étroit vrai dans toutes ses circonstances,
jamais l’art magique n’aurait enfanté une prédiction plus juste ni plus
précise. C’est ce qui doit en faire douter. En effet, les auteurs ne
s’accordent pas sur le moyen qui fut employé. Les uns disent qu’on fit usage
de la nécromancie; quelques-uns racontent qu’on traça sur la terre un grand
cercle, autour duquel on marqua à distances égales les lettres de l’alphabet;
qu’on les couvrit ensuite de blé, et qu’un coq placé au centre du cercle avec
des cérémonies mystérieuses, alla choisir les grains de blé semés sur les
lettres que nous venons de dire.
Ce Théodore en faveur duquel on étroit si fortement
prévenu était né en Gaule; d’autres disent en Sicile, d’une famille ancienne et
illustre. Une éducation brillante avait perfectionné ses talents naturels, et
les grâces de l’extérieur y ajoutaient un nouvel éclat. Ferme et prudent,
bienfaisant et judicieux, modeste et savant dans les lettres, il était chéri du
peuple, respecté des grands, considéré de l’empereur; et, quoiqu’il ne tînt que
le second rang entre les secrétaires du prince, il était presque le seul qui
fût assez courageux pour lui parler avec franchise, et assez habile pour s’en
faire écouter. Eusérius, qui avait été vicaire d’Asie, et qui était dans le
secret de la consultation, l’instruisit des prétendus desseins du ciel sur sa
personne. Une tentation si délicate fit connaitre que sa vertu n’était pas à
l’épreuve de l’ambition. Théodore se sentit flatté, et aussitôt il devint
criminel. Il écrivit à Hilaire qu’il acceptait le présent des dieux, et qu’il n’attendait
que l’occasion de remplir sa destinée.
Il n’en eut pas le temps. La conspiration , où l’on avait
déjà engagé un grand nombre de personnes considérables fut découverte par un
accident imprévu. Fortunatien, intendant du domaine, poursuivit deux de ses
commis, coupables d’avoir détourné les deniers du prince. Procope, ardent
délateur, les accusa d’avoir voulu se tirer d’embarras en faisant périr
Fortunatien, et de s’être adressés pour cet effet à un empoisonneur nommé
Pallade, et à l’astrologue Héliodore. L’intendant du domaine fit aussitôt
saisir Héliodore et Pallade, et les mit entre les mains de Modeste, préfet du
prétoire. Dans les tourments de la question, ils s’écrièrent qu’on avait tort
d’employer tant de rigueurs pour éclaircir un fait si peu important; que, si on
voulait les écouter, ils révéleraient des secrets d’une toute autre
conséquence, et qui n’allaient à rien moins qu’au renversement général de
l’état. A cette parole on suspendit les tourments, on leur ordonna de dire ce
qu’ils savaient. Ils étaient instruits de la conspiration, et ils en exposèrent
toute l’histoire. On leur confronta Fidustius, qui avoua tout. Eusérius fut mis
en prison. On informa le prince de cette découverte. Les courtisans, et surtout
Modeste, s’empressaient à l’envi d’exagérer le péril et d’enflammer la colère
du souverain; et comme il paraissait dangereux de faire arrêter tant de
personnes, dont plusieurs avoient un grand crédit, le préfet, flatteur outré et
impudent, élevant sa voix : Et quel pouvoir, dit-il, peut résister à
l’empereur ? Il pourrait,
s’il l’avoit entrepris, faire descendre les astres du ciel, et les obliger de
comparaître à ses pieds. Cette hyperbole insensée ne révolta nullement l’imbécile
vanité de Valens.
On envoya en diligence à Constantinople pour enlever
Théodore, qu’une affaire particulière y avait rappelé. En attendant son retour,
on passait les jours et les nuits à interroger les complices qui se trouvaient
dans Antioche; et, sur leurs dépositions, on dépêchait de toutes parts, jusque
dans les provinces les plus éloignées, pour saisir les coupables et les
amener à la cour. Plusieurs d’entre eux étaient distingués par leur noblesse
et par leurs emplois. Les prisons publiques, et même les maisons particulières,
étaient remplies de criminels chargés de fers, tremblants pour eux-mêmes , et
plus encore pour leurs parents et leurs amis, dont ils ignoraient le sort.
Théodore arriva: comme on appréhendait quelque violence de ses partisans, on le
fit garder dans un château écarté sur le territoire d’Antioche. Sa disgrâce avait
du premier coup abattu son courage; et son âme, qui avait paru si ferme à la
cour, ne se trouva pas d’une trempe assez forte pour se soutenir à la vue
d’une mort prochaine qu’il avait méritée.
Valens forma un tribunal composé de grands officiers,
auxquels présidait le préfet du prétoire. On donnait alors la question aux
criminels dans la salle même de l’audience, en présence de tous les juges.
Quand les bourreaux eurent étalé à leurs yeux les instruments des diverses
tortures, on fit entrer Pergamius. C’était un homme éloquent et hardi. Mais,
sentant bien qu’il ne pouvait éviter la mort, au lieu de nier son crime et de
désavouer ses complices, il prit une voie toute contraire; et soit pour
effrayer Valens, soit pour prolonger sa vie, il n’attendit pas les
interrogations des juges qui paraissaient embarrassés, et dénonça des milliers
de complices, nommant avec une volubilité incroyable tout ce qu’il connaissait
de Romains dans toute l’étendue de l’empire : il demandait qu’on les fît tous
venir, et promettait de les convaincre. Une pareille déposition devenant
inutile par l’impossibilité d’en éclaircir la vérité, on lui imposa silence
pour lui prononcer son jugement, qui fut sur-le-champ exécuté. Après qu’on en
eut fait mourir plusieurs autres, que l’histoire ne nomme pas, on envoya
chercher dans la prison Salia, qui avait été peu de temps auparavant trésorier
général de la Thrace. Mais pendant que ses gardes le détachaient pour le faire
sortir du cachot, frappé d’effroi comme d’un coup de foudre, il expira entre
leurs bras. On introduisit ensuite Patrice et Hilaire; on leur ordonna de
faire le détail de leur procédé magique. Comme ils hésitaient d’abord, on leur
fit sentir les ongles de fer, et on les força ainsi d’exposer toutes les
circonstances de la consultation. Ils ajoutèrent, par amitié pour Théodore,
qu’il ignorait tout ce qui s’était passé. Ils furent mis à mort séparément.
Ces supplices n’étaient que le prélude de la principale
exécution. On fit enfin comparaître ensemble tous les conjurés distingués par
des emplois et des titres d’honneur A la tête des coupables était Théodore, portant
sur son visage tous les signes d’une profonde douleur. Ayant obtenu la
permission de parler, il en usa d’abord pour demander grâce par les plus
humbles supplications. Le président l’interrompit en lui disant qu’il était
question de réponses précises, et non pas de prières. Théodore déclara qu’ayant
appris d’Eusérius la prédiction qui faisait son crime, il avait plusieurs fois
voulu en informer l’empereur; mais que le même Eusérius l’en avait toujours
détourné, sous prétexte que cette prédiction n’annonçait qu’une destination
innocente, et qu’il parviendrait à l’empire par l’effet d’un accident
inévitable, auquel il n’aurait lui-même aucune part. Eusérius, appliqué à une
question cruelle, s’accordait parfaitement avec Théodore; mais la lettre écrite
à Hilaire les démentit tous deux. Tous les autres, entre lesquels étaient
Fidustius et Irénée, furent interrogés et convaincus. Eutrope, alors proconsul
d’Asie, le même dont nous avons un abrégé de l’histoire romaine, et dont saint
Grégoire de Nazianze parle avec éloge, quoiqu’il fût païen, avait été
injustement confondu avec les conjurés. L’envie attachée au mérite avait saisi
cette occasion de le perdre. Il fut redevable de sa conservation au philosophe
Pasiphile, qui résista constamment à toute la violence des tortures par
lesquelles on s’efforçait de lui arracher un faux témoignage. Un autre
philosophe, nommé Simonide, signala sa hardiesse: il était encore fort jeune,
mais déjà célèbre par l’austérité de ses mœurs. On l’accusait d’avoir été
instruit de toute l’intrigue par Fidustius. Il en convint, et ajouta qu’il savait
mourir, mais qu'il ne savait pas trahir un secret. Fidélité louable, si
elle n’eût pas été employée à favoriser un crime.
Le tribunal ayant envoyé toutes les dépositions à
l’empereur, le pria de prononcer sur la punition. Il condamna tous les accusés
à perdre la tête. Le seul Simonide, dont l’intrépidité lui parut une insulte,
fut destiné à un supplice plus rigoureux. Valens ordonna qu’il fût brûlé vif.
Ils furent tous exécutés dans la place publique d’Antioche, à la vue d’une
multitude innombrable, qui oublia leur crime pour s’attendrir sur leur
supplice. La haine qu’on avait conçue contre l’empereur leur tint lieu
d’apologie; et le peuple voulut croire qu’entre ceux qui périrent alors
l’avarice du prince avait enveloppé un grand nombre d’innocents. La constance
de Simonide rendit encore l’exécution plus odieuse. Il se laissa dévorer par
les flammes sans pousser aucun soupir, sans changer de contenance, et renouvela
le spectacle de cette effrayante fermeté dont le philosophe Pérégrin avait fait
volontairement parade sous le règne de Marc Aurèle. La femme de Théodore, qui égalait
son mari en noblesse, dépouillée de ses biens, fut réduite à vivre en
servitude, n’ayant sur les femmes nées dans l’esclavage que le triste privilège
de tirer des larmes à ceux qui, en la voyant, se rappelaient sa fortune passée.
Les bons princes sont sévères par nécessité, et indulgents
par caractère; leur penchant naturel les ramène promptement à ces sentiments de
douceur qui font autant leur félicité que celle de leurs sujets. Mais Valens
ne se lassa point de punir; il ouvrit son cœur à tous les soupçons, ses
oreilles à tous les délateurs; et, pendant quatre années, il ne cessa de
frapper, jusqu’à ce que les Goths, exécuteurs de la justice divine, l’appelèrent
lui-même au bruit de leurs armes, pour recevoir la punition de tant de
cruautés. Pallade et Héliodore , qui n’avoient évité le supplice qu’en
dénonçant les conjurés, s’autorisant du service qu’ils avoient rendu à
l’empereur, étaient devenus redoutables à tout l’empire. Maîtres de la vie des
plus grands seigneurs, ils les faisaient périr, ou comme complices de la
conjuration, ou comme coupables de magie, crime proscrit depuis longtemps,
mais devenu irrémissible depuis qu’il avait donné naissance au dernier complot.
Ils avoient imaginé un moyen infaillible de perdre ceux dont les richesses excitaient
leur envie. Après les avoir accusés, lorsqu’on allait, par ordre du prince,
saisir leurs papiers, ils y faisaient glisser des pièces qui emportaient une
condamnation inévitable. Ce cruel artifice fut répété tant de fois , et causa
la perte de tant d’innocents, que plusieurs familles brûlèrent tout ce qu’elles
avoient de papiers, aimant mieux perdre leurs titres que de s’exposer à périr
avec eux.
Héliodore était plus puissant et plus accrédité que
Pallade, parce qu’il était encore plus fourbe et plus méchant. Il avait été
vendeur de marée. Comme il passait par Corinthe, son hôte, qui avait un procès,
tomba malade, et le pria de se rendre pour lui à l’audience. Lorsqu’il eut
entendu les avocats, il se persuada qu’il réussirait dans cette profession: il
partagea son temps entre son commerce et l’étude des lois. La nature lui avait
donné l’impudence, et ce talent suppléa à tous les autres. Il trouva assez de
dupes pour faire une médiocre fortune. S’étant ensuite adonné à l’astrologie,
il s’attacha à la cour. Parvenu à la faveur du prince par la voie que nous
avons racontée, les courtisans le comblaient de présents, et il les payait en
accusations calomnieuses contre ceux qu’ils haïssaient. Sa table était
somptueuse; il entretenait dans sa maison plusieurs concubines, auxquelles
toutes les personnes en place se croyaient obligées de payer un tribut. Le
grand-chambellan lui rendit de fréquentes visites de la part de l’empereur.
Valens, qui se piquait d’éloquence jusque dans ces cruelles sentences qu’il prononçait
contre les innocents, s’adressait à Héliodore pour donner à son style le tour
et les grâces oratoires.
Ces deux scélérats firent périr plus de noblesse que n’en
aurait détruit une maladie contagieuse. Diogène, ancien gouverneur de Bithynie,
était noble, éloquent, chéri de tous par la douceur de ses mœurs, mais il était
riche; il fut mis à mort. Alypius, autrefois vicaire des préfets dans la
Grande-Bretagne, le même que Julien avait inutilement employé pour rebâtir le
temple de Jérusalem, s’était retiré de la cour et des affaires. La calomnie
vint l’arracher de sa retraite. On l’accusa de magie avec son fils Hiérocle,
dont la probité était connue. Le père fut condamné au bannissement, et le fils
à la mort. Comme on traînait celui-ci au supplice, tout le peuple d’Antioche
courut au palais de l’empereur, et obtint par ses cris la grâce de ce jeune
homme, qui n’avait besoin que de justice. Bassien, secrétaire de l’empereur, avait
consulté les devins sur la grossesse de sa femme; on l’accusa d’avoir eu un
objet de plus grande importance : les sollicitations empressées de ses païens
lui sauvèrent la vie, mais ne purent lui conserver ses biens. Eusèbe et Hypace,
frères de l’impératrice Eusébie, et beaux-frères de Constance, n’avoient pas
perdu depuis la mort de ce prince la considération qu’une si haute alliance
leur avait procurée. Héliodore les accusa d’avoir porté leurs vues jusqu'à
l’empire: il supposait une consultation de devins, et un voyage entrepris pour
exciter une révolte: il prétendait même qu’Eusèbe s’était fait préparer les ornements
impériaux. La colère de l’empereur s’alluma aussitôt, il ordonna l’information
la plus rigoureuse : sur la requête d’Héliodore, il fit venir des provinces les
plus éloignées une infinité de personnes. On mit en œuvre toutes les tortures;
et quoiqu’une si dangereuse procédure n’eût servi qu’à faire éclater
l’innocence d’Eusèbe et d’Hypace, l’accusateur ne perdit rien de son crédit, et
les accusés furent bannis. Il est vrai que cette injustice ne dura pas longtemps.
Ils regagnèrent Héliodore, et obtinrent leur rappel et la restitution de leurs
biens.
Peu de temps après, ce calomniateur abhorré de tout
l’empire, mais chéri de Valons, mourut de maladie, ou peut-être par l’effet
d’une vengeance secrète. Valens, inconsolable, lui fit préparer de magnifiques
funérailles. Il avait résolu de les honorer de sa présence; et il ne s’en
dispensa que sur les prières réitérées de sa cour, qui sentait mieux que lui
l’indécence de cette démarche; mais il voulut que les personnes titrées, et
nommément les deux beaux-frères de Constance, marchassent devant le convoi en
habit de deuil, la tète et les pieds nus, les bras croisés sur la poitrine. Cet
avilissement de ce qu’il y avait de plus respectable dans l’empire déshonorait
le prince sans honorer la mémoire de cet indigne favori: mais c’était le
caractère de Valens, ainsi que de toutes les âmes faibles, de se livrer sans
réserve à ceux qu’il aimait, et de n’observer à leur égard aucune règle de
bienséance et de justice. On en vit dans le même temps un autre exemple. Un
tribun, nommé Pollenlien, très-méchant, mais très-aimé du prince, avait ouvert
le ventre à une femme enceinte et vivante, pour évoquer les ombres des morts,
et les consulter sur le successeur de Valens. Le fait était avéré par la confession
même du coupable. L’empereur, qui venait de punir si rigoureusement cette curiosité
dans des circonstances beaucoup moins atroces, ne permit pas de condamner le
tribun; et, malgré l’indignation des juges, il le laissa dans la possession
paisible de ses biens et de son rang.
Socrate, et, d’après lui. Sozomène rapportent que Valens
ordonna de mettre à mort tous ceux dont nom commençait par les deux syllabes
THEOD, et que, pour éviter cette proscription, quantité de personnes changèrent
de nom. Cet ordre cruel aurait inondé de sang tous les états de Valens: rien
n’était plus commun que cette dénomination dans les noms d’étymologie grecque.
Aussi les auteurs les plus dignes de foi épargnent à Valens ce trait
d’inhumanité. Mais ils conviennent qu’il fit brûler tous les livres de magie,
et qu’il persécuta vivement les philosophes, dont la science n’était alors
qu’une cabale. Il en fut des livres comme des hommes; on en condamna aux
flammes un grand nombre d’innocents, et cet incendie fit périr beaucoup
d’ouvrages de littérature, de physique et de jurisprudence. Les délateurs poursuivaient
sans relâche les philosophes, et les livraient aux magistrats, qui les condamnaient
sans connaissance de cause. Il y en eut qui s’empoisonnèrent pour se soustraire
aux supplices. Libanius échappa à la haine de Valens; et si on veut l’en
croire, ce fut à la magie même qu’il fut redevable de n’être pas convaincu de
magie. Le nom de philosophe était devenu si funeste, qu’on en évitait avec soin
jusqu’à la moindre ressemblance dans les habits. Comme on faisait dans toutes
les provinces d’exactes recherches, on trouva entre les papiers d’un
particulier l’horoscope d’un nommé Valens; et quoique celui à qui ils appartenaient
alléguât pour sa défense qu’il avait eu un frère de ce nom, et qu’il était en
état de prouver que cet horoscope était celui de son frère, on le fit mourir
sans vouloir l’entendre. Ce qui n’était que folie et faiblesse d’esprit devint
un crime d’état. L’usage de ces remèdes extravagants, qui consistent en
certaines paroles et en pratiques bizarres et ridicules, fut puni de mort.
Festus, proconsul d’Asie, fit périr dans les plus horribles tourments Céranius
Egyptien, philosophe célèbre, parce que, dans une lettre latine écrite à sa
femme, il avait inséré du grec que Festus n’entendait pas.
Ce proconsul était né à Trente, d’une fort basse extraction.
Devenu avocat, il se lia d’une amitié étroite avec Maximin, qui exerçait alors
la même profession. Pendant que celui-ci s’avançait par ses intrigues à la cour
de Valentinien, Festus passa en Orient, et s’attacha au service de Valens. Il
fut gouverneur de Syrie, et secrétaire du prince pour l’expédition des brevets.
Dans ces deux emplois il se fit aimer par sa douceur, et mérita avec l’estime
publique la charge de proconsul d’Asie. Il était le premier à blâmer la
conduite injuste et cruelle de son ancien ami; mais la fortune de Maximin le
piqua de jalousie, et étouffa dans son cœur tout sentiment d’honneur et de
vertu. Voyant que ce méchant homme s’était élevé à la préfecture du prétoire à
force de répandre du sang , il crut devoir tenir la même route pour parvenir à
la même dignité. Changeant tout à coup de caractère, il devint violent,
injuste, inhumain; et tandis que l’Italie et la Gaule gémissaient sous le
gouvernement de Maximin, Festus, rival de ce tyran, désolait l’Asie par ses
cruautés et ses injustices. C’est à lui qu’on attribue un sommaire fort court
de l’histoire romaine, dédiée à l’empereur Valens, aussi-bien qu’une
description de la ville de Rome.
Entre les innocents qu’il fit mourir, on ne peut compter
le fameux Maxime, dont la mort ne parut injuste qu’aux zélés partisans de
l’idolâtrie. Dès le commencement du règne des deux empereurs, cet imposteur,
après avoir couru risque de la vie, avait obtenu la permission de retourner en
Asie. Quoiqu’il n’éprouvât que des disgrâces, il ne prit point de part à la
révolte de Procope, et il essuya même à ce sujet une nouvelle persécution de
la part des rebelles. Ennuyé d’une vie si misérable, il pria sa femme de lui
apporter du poison. Elle obéit; mais, l’ayant elle-même avalé en sa présence,
elle expira entre ses bras. Il aurait succombé à tant de malheurs, si Cléarque,
alors proconsul d’Asie, imbu de sa doctrine, ne se fût hautement déclaré son
protecteur. La faveur de ce magistrat lui rendit son repos et son ancienne
fortune. Il revint à Constantinople. Soupçonné d’être entré dans le complot de
Théodore, il avoua qu’il avait eu connaissance de l’oracle, mais qu’il aurait
cru déshonorer la philosophie s’il eût révélé le secret de ses amis. Il fut,
par ordre de l’empereur, transféré à Ephèse, sa patrie, où Festus lui fit trancher
la tête. Ainsi fut vengé le sang de tant de chrétiens que ce fanatique avait
fait couler sous le règne de Julien, son admirateur et son disciple. Mais la
religion chrétienne, instruite à ne se venger de ses plus mortels ennemis que
par des bienfaits, n’eut aucune part à ce supplice. Elle n’entrait pour rien
dans les conseils de l’ambitieux Festus, qui, cinq ans après, ayant embrassé
l’idolâtrie, sans qu’on en puisse deviner la raison, tomba mort en sortant d’un
temple.
Les soupçons de Valens, qui mettaient en deuil tant de
familles, ne furent pas moins funestes au roi d’Arménie. On persuada à l’empereur
que Para continuait d’entretenir des intelligences secrètes avec les Perses: on
lui dépeignit ce jeune prince comme un ingrat et un perfide. Ce rapport était
du moins hasardé. On avait lieu de croire que Para, qui ignorait l’art de
feindre, après avoir été quelque temps séduit par les artifices de Sapor, était
revenu de son erreur, et il paraissait rentré de bonne foi dans le parti des
Romains; mais il avait un ennemi mortel dans la personne de Térence, qui résidait
alors en Arménie de la part de l’empereur. Térence, dont les écrivains
ecclésiastiques font l’éloge, parce qu’il était fort attaché à la foi
catholique, était d’ailleurs un esprit sombre, dangereux, ardent à semer la
discorde. Appuyé du témoignage de quelques seigneurs arméniens qui voulaient
perdre leur prince parce qu’ils l’avoient offensé, il ne cessait d’écrire à la
cour, et de remettre sous les yeux la mort de Cylace et d’Artabane. Ces
impressions malignes firent leur effet sur Valens. Il manda le jeune monarque
pour conférer avec lui sur des affaires pressées et importantes. Para était
imprudent par caractère autant que par jeunesse, et jamais ses malheurs passés
ne purent l’instruire à la défiance. Il partit avec trois cents cavaliers; et,
étant arrivés à Tarse, il y fut retenu sous divers prétextes. On lui rendit
tous les honneurs dus à sa dignité; mais l’éloignement de la cour, et le
profond silence qu’on gardait sur des affaires qu’on lui avait annoncées comme
pressantes, commençaient à lui donner de l’inquiétude, lorsqu'il apprit par des
avis secrets que Térence sollicitait vivement l’empereur d’envoyer au plus tôt
un autre roi en Arménie. Ce général faisait entendre à Valens que la nation détestait
Para, et que, dans la crainte de retomber entre ses mains, elle était prête à
se donner aux Perses.
Le jeune roi ouvrit alors les yeux sur le péril qui le
menaçait. Il assembla ses trois cents cavaliers, tous bien moulés et pleins de
courage; et, se mettant à leur tête, ils sortit hardiment de la ville vers la
fin du jour. L’officier chargé de la garde des portes courut après lui à toute
bride, et l’ayant atteint à quelque distance, le conjura de revenir. Pour
toute réponse, on le menaça de le tuer, s’il ne se retirait à l’instant. Peu de
temps après, Para se voyant poursuivi par une grande troupe de cavaliers,
revint sur eux avec les plus braves de ses gens, et fit si bonne contenance,
qu’ils n’osèrent hasarder une action, et le laissèrent librement continuer sa
route. Après avoir marché deux jours et deux nuits par des chemins rudes et
difficiles, sans prendre de repos, ils arrivèrent au bord de l’Euphrate. Comme
ils ne trouvaient point de bateaux, et qu’ils ne pouvaient, sans s’exposer à
une perte certaine, entreprendre de traverser à la nage un fleuve si large et
si rapide, ils se crurent perdus sans ressource. Enfin on s’avisa d’un
expédient. Ce pays était un vignoble; on y trouva quantité d’outres, dont on se
servit pour soutenir des planches, sur lesquelles ils passèrent, tenant leurs
chevaux par la bride. Quelques-uns traversèrent le fleuve sur leurs chevaux
mêmes; et tous , avec un extrême danger, mais sans aucune perte, atteignirent
l’autre bord. Ils s’y reposèrent quelques moments, et reprirent leur route avec
encore plus de diligence.
Valens, averti de l’évasion de Para, avait sur-le-champ dépêché
le comte Daniel et Barzimer, tribun de la garde, avec mille hommes de cavalerie
légère. Comme le prince, ne connaissant pas le pays, perdit beaucoup de temps
dans des détours inutiles, ceux-ci gagnèrent les devants par des routes
abrégées. S’étant arrêtés dans un lieu où il n’y avait que deux passages
éloignés d’une lieue l’un de l’autre, ils se partagèrent sur ces deux chemins,
chacun avec leur troupe. Un heureux hasard sauva le roi d’Arménie. Un
voyageur, ayant aperçu les cavaliers postés sur ces deux routes, passa, pour
les éviter, au travers des buissons et des bruyères qui remplissaient
l’intervalle, et rencontra les Arméniens. On le conduisit au roi, qu’il
instruisit en secret de ce qu’il avait vu. Para le retint pour servir de guide;
et, sans faire connaitre à ses gens le danger où ils étaient, il envoya
séparément deux cavaliers, l’un à droite et l’autre à gauche, pour préparer
sur les deux chemins des logements et des vivres. Un moment après il partit
lui-même, guidé par le voyageur; et ayant fait passer ses gens à la file par
un sentier étroit et fourré, il laissa l’embuscade derrière lui. Les Romains,
s’étant saisis des deux cavaliers, l’attendirent inutilement aux deux passages
tout le reste du jour. Il eut le temps de gagner du pays, et arriva dans ses
états, où il fut reçu avec une extrême joie. Daniel et Barzimer retournèrent à
Antioche, couverts de confusion; et, pour se défendre des railleries dont on
les accablait, ils publièrent que Para était un enchanteur, et qu’il s’élit
rendu invisible lui et sa troupe. Ce conte absurde trouva croyance à la cour,
entêtée pour lors de magie et de sortilège.
Le roi d’Arménie, naturellement doux et paisible, dévora
sans se plaindre l’injure qu’il avait reçue. Il demeurait fidèle aux Romains.
Mais Valens ne pouvait lui pardonner de s’être affranchi d’un indigne
esclavage. Il se vengea par une horrible perfidie du mauvais succès de la
première. Le comte Trajan avait succédé à Térence. Celui-ci, à son retour
d’Armenie, fit une action qui serait digne d’un héros du christianisme, et qui
montre, entre mille exemples, que la méchanceté du caractère n’altère pas
toujours la pureté de la croyance. Valens, content des services de Térence,
l’invita à lui demander telle récompense qu’il désirerait. Le comte lui
présenta une requête par laquelle il ne demandait ni or, ni argent, ni aucune
dignité, mais seulement une église pour les catholiques. L’empereur, irrité, la
mit en pièces: Demandez-moi toute autre chose, lui dit-il, celle-ci
est la seule que je ne puisse vous accorder. Alors Térence, ramassant les
morceaux de sa requête: Prince, répondit-il, je me tiens pour
récompensé; celui qui juge les cœurs me tiendra compte de mon intention. Valens,
par des dépêches sécrétés, chargea le comte Trajan, qui avait succédé à
Térence, de se défaire d’un prince dont la patience augmentait sa honte : c’était
à force de crimes vouloir étouffer les remords. Trajan se prêta sans scrupule
à ce détestable ministère. Il fit sa cour au jeune prince : il entrait dans ses
parties de plaisir; il lui remettait souvent des lettres de l’empereur, par
lesquelles il paraissait que tous les nuages de défiance étaient dissipés;
enfin il l’invita à un festin. Le prince s’y rendit. Tout respirait le plaisir
et la joie. Trajan sortit au milieu du repas; et en sa place on vit entrer un
barbare, d’un regard effrayant, tenant en main une épée nue. Les convives, les
uns glacés d’effroi, les autres, complices de l’assassinat, demeurèrent
immobiles ou prirent la fuite. Para, ayant tiré son poignard, disputa quelque
temps sa vie, et tomba percé de coups. Ainsi périt ce prince trop crédule; et
ce meurtre, plus affreux dans ses circonstances que n’avait été celui de
Vithicabe, acheva de convaincre les nations étrangères que les Romains
n’avoient plus de caractère propre; et que, sous un méchant prince, ils ne
respectaient ni la foi des alliances, ni la majesté des rois, ni les droits
sacrés de l’hospitalité.
Sapor, accoutumé lui-même aux grands crimes, fut moins
indigné de la mort de Para qu’affligé de ce qu’elle détruisit ses espérances.
Il travaillait alors à regagner le roi d’Arménie. Il menaça d’abord de le
venger; mais, fatigué de tant de guerres, il prit la voie de la négociation, et
proposa à l’empereur de ruiner entièrement l’Arménie, qui n’était pour les deux
nations qu’un sujet éternel de querelle et de discorde. Si ce projet n’était
pas accepté, il demandait que Sauromace et les garnisons romaines sortissent de
l’Ibérie, et qu’Aspacure, qu’il avait établi roi de ce pays, en demeurât seul
possesseur. Valens répondit qu’il ne changerait rien au dispositions
précédentes, et qu’il était bien résolu de maintenir les deux royaumes dans l’état
où ils se trouvaient alors. Le roi de Perse récrivit que le seul moyen de
terminer toutes les disputes était de s’en tenir au traité de Jovien; et que,
pour en bien assurer les conditions, il fallait rassembler en présence des
deux princes tous les officiers qui en avoient été garants de part et d’autre.
Sapor ne cherchait qu’à fatiguer Valens par des chicanes : il n’ignorait pas
qu’il proposait l’impossible, et que la plupart de ceux qui avoient signé le
traité étaient morts depuis ce temps-là. L’empereur, pour mettre fin à toutes
ces répliques, envoya en Perse le comte Victor, général de la cavalerie, et
Urbice, duc de la Mésopotamie, avec une dernière réponse, dont il déclarait
qu’il ne se départirait pas; elle contenait en substance, que Sapor, qui se
vantait de justice et de désintéressement, manifestait son ambition et son
injustice par les desseins qu’il formait sur l’Arménie, après avoir protesté
aux Arméniens qu’il ne les troublerait jamais dans l'usage de leur liberté et
de leurs lois; que l’empereur allait retirer ses troupes de l’Ibérie; mais qu’il
n’abandonnerai pas la défense de Sauromace; et que, si Sapor inquiétait ce
prince, Païens saurait bien le forcer à respecter la protection de l’empire.
Cette déclaration était conforme à l’équité et à la majesté impériale. Mais les
envoyés passèrent leur pouvoir; et, sans y être autorisés par l’empereur, ils
acceptèrent en son nom la cession de quelques cantons île l’Arménie, que les
seigneurs du pays abandonnèrent aux Romains. Valens ne jugea pas à propos de
désavouer ses députés. Peu après leur retour à Antioche , arriva le suréna,
qui offrait au nom du roi de Perse de laisser à Valens la libre possession de
ces contrées, pourvu qu’il renonçât à la défense de l’Ibérie et du reste de
l’Arménie. Cet ambassadeur fut reçu avec magnificence; mais sa proposition fut
rejetée, et l’on se prépara à la guerre. Ces négociations avoient duré deux
ans. Valens devait entrer en Perse au commencement du printemps avec trois
armées: il prenait à sa solde des troupes auxiliaires de Goths. Sapor, plus
irrité que jamais, donna ordre à son général de reconquérir les contrées de
l’Arménie, dont Victor et Urbice s’étaient emparés, et d’attaquer vivement
Saoromace, dont les états étaient pour lors dépourvus de troupes romaines. Un
furieux orage menaçait l’Asie, lorsque les mouvements des Goths rappelèrent
Valens dans la Thrace, et le forcèrent de conclure avec Sapor une paix dont on
ignore les conditions.
Tandis que le meurtre du roi d’Arménie excitait l’horreur
de tout l’Orient, l’Occident fut témoin d’un forfait pareil dans toutes ses
circonstances. Le roi des Quades fut assassiné parce qu’il avait sujet de se
plaindre; et l’on reconnut par un nouvel exemple, que la table, dont les droits
sont sacrés jusque chez les nations sauvages, et qui fut toujours regardée
comme le centre de la confiance et de la sûreté, est pour cette raison même le
théâtre le plus souvent choisi par la perfidie. Valentinien, après avoir passé
l’hiver à Milan, était revenu à Trêves. Il s'occupait depuis longtemps à garnir
de forteresses la frontière de la Gaule, du côté de la Germanie, et à réparer
les fortifications des villes aux dépens de la province. Emporté par un trop
grand désir d’étendre les limites de l’empire, il ordonna de construire un fort
au-delà du Danube, sur un terrain qui appartenait aux Quades. Ces peuples,
alarmés de cette entreprise, députèrent à Valentinien, et obtinrent
d’Equitius, commandant d’Illyrie, et actuellement consul, que l’ouvrage
demeurât suspendu jusqu’à la décision de l’empereur. Le préfet Maximin, qui pouvait
tout à la cour, blâma fort cette condescendance d’Equitius, qu’il traitait de faiblesse:
il disait hautement que son fils Marcellien, tout jeune qu’il était, soutiendrait
mieux l’honneur et l’intérêt de l’empire, et qu’il saurait bien achever la
forteresse en dépit des barbares. Il fut écouté : son fils fut envoyé avec le
titre de duc de la Valérie ; et ce jeune homme, que le crédit de son père rendit
hautain et insolent, sans daigner rassurer les Quades, fit continuer les
travaux. Gabinius, roi de la nation, vint lui représenter avec douceur
l’injustice de cette usurpation. Marcellien feignit de se rendre à ses
remontrances; et, l’ayant invité à un repas, il le fit massacrer au sortir de
table. C’était la troisième tête couronnée qui tombait sous les coups de la
trahison depuis le commencement du règne des deux empereurs.
Cette insigne perfidie mit les Quades en fureur. Versant
des larmes de douleur et de rage, ils passent le Danube, égorgent les paysans,
occupés alors aux travaux de la moisson, et portent de toutes parts le ravage
et le massacre. La province était dégarnie de troupes; on en avait envoyé la
plus grande partie en Afrique avec Théodose. Il ne s’en fallut que d’un moment
qu’ils n’enlevassent la fille de Constance, qui traversait l’Illyrie pour aller
épouser Gratien dans la Gaule. Messala, gouverneur de la province, sauva ce
déshonneur à l’empire, et transporta promptement la princesse à Sirmium,
éloigné de près de dix lieues. Probe, préfet du prétoire, était pour lors dans
cette ville. Ce magistrat, peu accoutumé aux alarmes, prit d’abord l’épouvante il
se préparait à s’enfuir pendant la nuit. Mais, étant averti que tous les habitants
se disposaient à le suivre, et que la ville resterait déserte et ouverte aux
ennemis, il eut honte de sa lâcheté; et, s'étant rassuré, il fit nettoyer les
fossés, relever les murs abattus en plusieurs endroits, et construire les
ouvrages nécessaires. Quantité de matériaux qu’on avait amassés pour bâtir un
théâtre lui servirent à cet usage. Il rassembla les troupes dispersées dans les
postes voisins, et mit la ville en état de défense. Les barbares, peu instruits
dans l’art d’attaquer les places, et embarrassés de leur butin, n’osèrent
entreprendre un siège. Ils changèrent de route, et prirent celle de la
Valérie, pour y aller chercher Equitius, auquel ils attribuaient le massacre de
leur prince, parce qu’ils ne connaissaient pas Marcellien. Deux légions vinrent
à leur rencontre, celle de Pannonie et celle de Mœsie. Elles étaient en état de
vaincre, si elles se fussent réunies: mais la jalousie du premier rang,
qu’elles se disputaient, les tint séparées. Les barbares profitèrent de cette
mésintelligence: ils tombèrent d’abord sur la légion de Mœsie; et, lui ayant
passé sur le ventre avant qu’elle eût eu le temps de prendre les armes, ils
attaquèrent celle de Pannonie; elle fut taillée en pièce : il ne s’en sauva
qu’un petit nombre de soldats.
Théodose, fils de celui qui poursuivit Firme en Afrique,
et Thermantie, illustre Espagnole, commandait dans la Mœsie. Il était âgé de
vingt-huit ans. Déjà connu par la valeur qu’il avait montrée en plusieurs
guerres, sous le commandement de son père, il se fit alors cette haute
réputation qui l’éleva dans la suite à la dignité impériale. Les Sarmates,
animés par les Quades leurs voisins, se jetèrent en Mœsie: Théodose, à la tête
d’une poignée de nouvelles levées, n’ayant de ressource réelle que dans sa
bonne conduite et dans son courage, défit les ennemis autant de fois qu’il put
les joindre. Tantôt courant à leur rencontre jusqu’aux bords du Danube , il
servit lui-même de barrière à l'empire: tantôt, les attendant à des passages
dangereux et dans des forêts, il en fit un grand carnage Les Sarmates,
découragés par tant de pertes, eurent recours à la clémence du vainqueur, et
obtinrent la paix, qu’ils gardèrent tant qu’ils se souvinrent de leurs
défaites. Les Quades se retirèrent aussi, lorsqu’ils apprirent qu’il arrivait
des troupes de la Gaule pour défendre l’Illyrie.
Valentinien , après avoir ravagé quelques cantons
de l’Allemagne, bâtissait sur le Rhin un fort que les habitants appelèrent
ensuite Robur, et dont le terrain est aujourd’hui renfermé dans la ville
de Baie. Dès qu’il apprit, par une lettre de Probe, l’invasion des Quades en
Illyrie, il dépêcha le secrétaire Paternien pour s’instruire de tout sur les
lieux; et, en ayant reçu des nouvelles certaines, il voulait aller
sur-le-champ châtier l’audace de ces barbares. Comme on était à la fin de
l’automne, on lui représenta qu’on ne trouverait ni vivres ni fourrages, et que
les princes allemands, et surtout Macrien, le plus redoutable de tous, profiteraient
de son éloignement pour attaquer la Gaule. Il se rendit à ces raisons, et
résolut d’attendre le printemps. Mais, afin de ne laisser derrière lui aucun
sujet d’inquiétude, il voulut s’assurer de Macrien par un traité de paix, et
l’invita à une entrevue près de Mayence. Le roi allemand , glorieux de se voir
recherché , se rendit au bord du Rhin, et parut dans une contenance fière à la
tête de ses bataillons, qui faisaient retentir leurs boucliers en les frappant
de leurs épées. L’empereur, en cette occasion, sacrifia au désir de la paix la
prééminence de la majesté impériale. II rassembla un grand nombre de bateaux,
et, traversant le fleuve avec ses soldats rangés sous leurs enseignes, il
s’approcha de Macrien, qui l’attendait sur l’autre bord. Lorsqu’ils furent à
portée de s’entendre, et que les barbares eurent fait silence, les deux princes
entrèrent en conférence. Ils convinrent des articles de la paix, et la
confirmèrent par leur serment. Macrien, jusqu’alors si inquiet et si turbulent,
devint de ce moment un allié fidèle, et ne cessa, jusqu’à sa mort, de donner
des preuves de son attachement aux Romains. Quelques années après, s’étant engagé
trop avant dans le pays des Francs qu’il ravageait, il fut surpris, et tué dans
une embuscade que lui dressa Mellobaude, prince guerrier, qui régnait alors sur
cette nation. Après la conclusion du traité, Valentinien se retira à Trêves, où
il passa l’hiver.
Sur la fin de cette année les pluies continuelles firent déborder
le Tibre. Rome fut longtemps inondée. Il fallut porter en bateau des vivres aux
habitants, réfugiés dans les lieux les plus élevés de leurs maisons. Claude,
alors préfet, pourvut à tous leurs besoins avec une activité infatigable, et
maintint la tranquillité dans ce peuple mutin et séditieux, même ail milieu de
l’abondance. Ce magistrat fit construire un superbe portique près des bains
d’Agrippa; il le nomma le Portique du bon succès , boni eventûs,
à cause d’un temple voisin qui portait ce nom. Les païens adoraient sous ce
titre la divinité qui faisait prospérer les fruits de la terre.
Valentinien fit vers ce temps-là plusieurs lois utiles. Pour
soutenir les arts, qui s’affaiblissaient en même proportion que la gloire de
l’empire, il accorda aux peintres de grands privilèges. Il décida qu’en matière
de rapt, après cinq ans écoulés, on ne serait plus reçu à poursuivre le crime
ni à contester la légitimité du mariage ou celle des enfants qui en seraient
sortis. Il avait déjà ordonné que les juges ne prononceraient leurs sentences qu’après
les avoir écrites. Il ajouta que les sentences qui seraient prononcées de
mémoire, sans avoir été mises par écrit, n’auraient aucune autorité, et seraient
censées nulles, sans qu’il fût besoin d’en suspendre l’effet par un appel. Il
condamna au bannissement tous ceux qui, au mépris de la religion, formeraient
des assemblées illicites. Il déclara que ceux qui auraient été condamnés par
le jugement des évêques catholiques ne pourraient s’adresser à l’empereur pour
la révision de leur procès. Florent , évêque de Pouzzol, avait donné occasion à
ce rescrit : ayant été déposé à Rome par le pape et les évêques, il eut recours
à l'empereur; mais il n’en obtint d’autre réponse, sinon qu’après une condamnation
si canonique il n’était plus permis à Florent de poursuivre sa justification devant
aucun tribunal.
Auxence, le principal soutien de l’arianisme en Italie,
se maintint jusqu’à sa mort dans le siégé de Milan, quoiqu’il eût été deux ans
auparavant excommunié dans un concile de quatre-vingt-treize évêques, tenu à
Rome en conséquence d’un rescrit de l’empereur. Mais, dès qu’il fut mort,
Valentinien, qui était pour lors à Trêves, écrivit en ces termes aux évêques
assemblés à Milan : Choisissez un prélat qui, par sa vertu et par sa doctrine,
mérite que nous le respections nous-mêmes, et que nous recevions ses salutaires
corrections. Car, étant, comme nous le sommes, de faibles mortels, nous ne pouvons
éviter de faire des fautes. Les évêques prièrent l’empereur de désigner
lui-même celui qu’il croyait le plus capable. Il leur répondit que ce choix était
au-dessus de ses lumières, et qu’il réappartenait qu’à des hommes éclairés de
la grâce divine. Milan était rempli de troubles : la cabale arienne faisait
les derniers efforts pour placer sur le siège d’Auxence un prélat imbu des
mêmes erreurs. Ambroise, aussi distingué par la beauté de son génie et par la
pureté de ses mœurs que par sa noblesse et ses richesses, gouvernait alors la
Ligurie et l’Emilie. Instruit dans les lettres humaines, il avait d’abord
exercé à Rome la profession d’avocat, et était devenu assesseur de Probe préfet, d’Italie. Lorsqu’il avait été chargé
du gouvernement de la province, dont Milan était capitale, ce préfet, en lui
faisant ses adieux, lui avait dit : Gouvernez, non en magistrat, mais en évêque. Cette parole devint une prophétie. La contestation sur le choix de l’évêque,
s’échauffant de plus en plus, faisait craindre une sédition. Ambroise, obligé
par le devoir de sa charge de maintenir le bon ordre, vint à l’église, et fit
usage de son éloquence pour calmer les esprits, et les engager à choisir avec
discernement et sans tumulte celui qui devait être pour eux un ange de lumière
et de paix. Il parlait encore lorsque tous, d’une commune voix, catholiques et
ariens, s’écrièrent qu’ils demandaient Ambroise pour évêque. Ambroise, saisi
d’effroi, prit la fuite, et il n’oublia rien pour résister au désir du peuple.
Les évêques, qui approuvaient ce choix, s’adressèrent à l’empereur, parce que
les lois défendaient de recevoir dans le clergé ceux qui étaient engagés dans
des emplois civils. Valentinien fut flatté d’apprendre que les magistrats qu'il
choisissait fussent jugés dignes de l’épiscopat; et dans le transport de sa
joie : Seigneur, s’écria-t-il, grâces vous soient rendues de ce que
vous voulez bien commettre le salut des âmes à celui à qui je n’avois confié
que le soin des corps! L’autorité du prince, jointe aux instances des
prélats, à la persévérance du peuple, força enfin la modestie d’Ambroise. Il
fut baptisé, car il n’était encore que catéchumène, quoique âgé d’environ
trente-cinq ans. II reçut l’onction épiscopale le 7 de décembre; et, par le
crédit que lui procura auprès des empereurs l’élévation de son âme, soutenue
d’une éminente sainteté, son élection fut un événement aussi avantageux pour
l’état que pour l’Eglise. Dès les premiers jours de son épiscopat, on vit un
heureux présage de la généreuse liberté dont il ferait usage avec les princes,
et des égards que les princes auraient pour ses avis. Il se plaignit à
l’empereur de quelques abus qui s’étaient glissés dans la magistrature.
Valentinien lui répondit: Je connaissais votre franchise; elle ne m’a pas
empêché de vous donner mon suffrage. Continuez, comme la loi divine vous
l'ordonne, de nous avertir de nos erreurs.
L’année suivante se passa tout entière sans élection de nouveaux
consuls. Elle n’est désignée dans les fastes que par ces termes : Après le
troisième consulat de Gratien, ayant pour collègue Equitius. Il vaut mieux dire
qu’on en ignore la raison que de l’attribuer aux occupations de Valentinien ,
qui se préparait à tirer vengeance des Quades et des Sarmates. Le printemps
étant déjà avancé, le prince partit de Trêves. Il marchait en diligence vers la
Pannonie lorsqu’il rencontra des députés des Sarmates, qui, se prosternant à
ses pieds, le supplièrent d’épargner leur nation, lui protestant qu’il ne la trouverait
ni coupable, ni complice des excès dont il avait à se plaindre. Il leur répondit
qu'il s’éclaircirait de la vérité des faits sur les lieux mêmes, et que les
infracteurs des traités ne lui échapperaient pas. Il arriva bientôt à
Carnunte, ville de la haute Pannonie, alors déserte et presque ruinée, mais
située avantageusement pour arrêter les incursions des barbares. On croit que
c’est aujourd’hui Pétronel sur le Danube, entre Vienne et Hambourg. Il y
demeura trois mois à réparer les dommages que la province avait soufferts, et à
faire les dispositions nécessaires pour aller attaquer les ennemis dans leur
pays. On attendait de sa sévérité naturelle qu’il informât de la trahison faite
à Gabinius, et de la perfidie ou de la lâcheté des officiers chargés de garder
la frontière, qui avoient ouvert aux barbares l’entrée de la province. Mais,
selon sa coutume de traiter avec dureté les soldats et de pardonner tout à
leurs commandants il ne fit aucune recherche sur ces deux objets.
Il ne put cependant fermer les yeux sur le mauvais
gouvernement de Probe. Ce préfet du prétoire, jaloux de se conserver dans cette
suprême magistrature, suivit une politique tout-à-fait indigne de sa haute naissance.
Connaissant l’avidité du prince, au lieu de le ramener à des sentiments
d’humanité et de justice, il ne s’étudiait qu’à servir sa passion pour
l’argent. Financier impitoyable , il imaginait tous les jours de nouvelles
impositions. Ses vexations allèrent si loin, qu’entre les principaux habitants
des provinces de sa juridiction, plusieurs abandonnèrent le pays ; la plupart
déjà épuisés, et toujours poursuivis, n’eurent plus d’autre séjour que les
prisons : quelques-uns se pendirent de désespoir. Cette tyrannie excitait les
murmures de tout l’Occident. Valentinien était le seul qui n’en fût pas
instruit: content de l’argent qu’il recevait, il se mettait peu en peine des
moyens employés pour le recueillir. Cependant des injustices si criantes le
révoltèrent lui-même, lorsque les gémissements des peuples furent enfin parvenus
jusqu’à ses oreilles. Les provinces avoient, coutume d’envoyer au prince des
députés pour rendre témoignage de la bonne conduite des gouverneurs. Probe
ayant forcé la province d’Epire de se conformer à cet usage , elle députa à l’empereur,
lorsqu’il était à Carnunte, un philosophe cynique, nommé Iphiclès, autrefois
ami de Julien. Il se défendit d’abord d’accepter cette commission; mais on
l’obligea de partir. Il était connu de l’empereur, qui, après l’avoir entendu,
lui demanda si les louanges que la province donnait au préfet étaient bien
sincères: Prince, répondit-il, entre les extorsions qui nous font
gémir, l’éloge que Probe nous arrache n’est pas celle qui nous coûte le moins. Cette parole pénétra jusque dans le cœur de Valentinien. Il continua d’interroger
Iphiclès, et lui demanda des nouvelles de tous les Epirotes distingués qu’il connaissait.
Apprenant que les uns étaient allés chercher un domicile au-delà des mers, que
les autres s’étaient donné la mort, il entra dans une violente colère. Léon,
maître des offices, qui aspirait lui-même à la préfecture, et qui, s’il y fût
jamais parvenu, aurait fait regretter tous ses prédécesseurs, n’oubliait pas
d’aigrir le prince. Probe, qui se trouvait alors à la cour, essuya les plus
terribles menaces, et il ne devait s’attendre qu’à en ressentir les effets si Valentinien fût revenu de cette expédition.
Le préfet voulut regagner les bonnes grâces de l’empereur par de nouvelles iniquités,
couvertes d’une apparence de zèle. Le secrétaire Faustin, neveu de Juventius,
ancien préfet de la Gaule, fut cité au tribunal de Probe pour crime de magie.
Il s'en justifiait par des preuves du moins aussi fortes que les charges. Pour achever
de le perdre, on alléguait qu’un certain Nigrinus, le priant de lui procurer un
emploi dans le secrétariat, il lui avait répondu: Faites-moi empereur, et je
vous ferai secrétaire. La malignité sut donner un si mauvais tour à cette
plaisanterie innocente, qu’elle coûta la vie à Faustin et à Nigrinus.
Tout étant prêt pour entrer sur les terrés des Quades, l’empereur
fit partir Mérobaude et le comte Sébastien avec un détachement d’infanterie.
Ils avaient ordre de mettre tout à feu et à sang. Pour lui, afin d’embrasser
une plus grande étendue de pays, il alla passer le Danube sur un pont de
bateaux à Acincum, aujourd’hui Bude, capitale de la Hongrie. Ce prince était
brave de sa personne, et ne méprisait rien tant que les lâches et les timides.
Cependant, par une bizarrerie de tempérament, il ne pouvait s’empêcher de
pâlir toutes les fois qu’il voyait ou qu’il croyait voir l’ennemi. C’était même
un moyen dont ses courtisans se servaient dans l’occasion pour arrêter les emportements
de colère auxquels il était sujet. Dès qu’il entendait dire que les ennemis approchaient,
il changeait de couleur et se calmait aussitôt. Il n’en était pas moins hardi
à affronter le péril , et il s’attendait à trouver dans le pays des Quades de
quoi signaler sa valeur. Mais ils s’étaient retirés avec leurs familles sur les
montagnes, d’où ils considéraient avec frayeur les troupes romaines qui portaient
de toutes parts le ravage et l’incendie. On traversa le pays; on égorgea sans
distinction d’âge ni de sexe tous ceux qui n’avoient pas eu la précaution de
gagner les hauteurs; on brilla les habitations, et l’empereur revint à Acincum
sans avoir perdu un seul homme. On approchait de l’hiver. Il choisit, comme le
lieu le plus commode pour y passer cette saison, la ville de Sabarie, nommée à
présent Sarvar, sur le Raab. Mais, avant que de s’y retirer, il remonta le
Danube, et fit élever des redoutes, qu’il garnit de soldats pour assurer ses
quartiers, et défendre le passage du fleuve. S’étant arrêté à Bregetio, qu’on
croit être une ville nommée aujourd’hui Pannonie, sur le Danube, au-dessus de
Strigonie, il y passa quelques jours, pendant lesquels, s’il en faut croire
l’histoire superstitieuse de ce temps-là, plusieurs prodiges lui annoncèrent
une mort prochaine. Le jour qu’il mourut, comme il sortit de grand matin
l’esprit occupé d’un songe qu’il croyait funeste, son cheval s’étant cabré en
sorte qu’il ne put le monter, il s’emporta contre son écuyer, et donna ordre de
lui couper la main droite. Mais Céréal, chargé de cette cruelle exécution , la
différa avec beaucoup de risque pour lui-même; et la mort de l’empereur les
sauva tous deux. On ne manqua pas de regarder encore comme un pronostic de la
mort de Valentinien les tremblements de terre qui s’étaient fait sentir cette
année dans l’île de Crète, et dans toute la Grèce, où l’Attique seule en fut
exempte.
Les campagnes, déjà couvertes de glaces, ne fournissaient
plus de subsistances, et l’armée était sur le point de prendre ses quartiers,
lorsqu’on vit arriver une troupe de barbares mal vêtus, et dont l’extérieur n’avait
rien que de méprisable. C’était une députation des Quades. Equitius les ayant
introduits devant le prince, ils y parurent en tremblant, et dans la contenance
la plus humiliée. Ils demandaient le pardon du passé et la paix, protestant avec
serment que les chefs de la nation n’avoient point eu de part aux ravages dont
l’empereur poursuivait la vengeance; que les paysans, voisins du Danube,
voyant bâtir sur leurs terres une forteresse, avoient pris l'alarme, et s'étaient
joints aux Sarmates pour arrêter cette injuste entreprise. Valentinien,
choqué de ce reproche, leur demanda avec mépris qui ils étaient, et si les
Quades n’avoient pas d’autres députés à lui envoyer. Ils répondirent qu'ils étaient
les premiers de la nation, et qu'elle n'avait pu lui témoigner plus de respect
qu'en les députant eux-mêmes. Alors ce prince fier et emporté: Quel
malheur pour l'empire, s’écria-t-il, de m'avoir choisi pour souverain ,
puisque, sous mon règne, il devait être déshonoré par les insultes d'un peuple si
misérable! Il prononça ces paroles avec un si violent effort, qu’il se
rompit l’artère pulmonaire. Saisi d’une sueur mortelle, et vomissant le sang en
abondance, on le porta sur son lit. Ses chambellans, pour n’être pas soupçonnés
d’avoir accéléré sa mort, mandèrent promptement les officiers de l’armée. On
fut long-temps à trouver un de ses chirurgiens, parce qu’ils s’étaient
dispersés par son ordre pour panser les soldats, attaqués d’une maladie
épidémique. Enfin on lui ouvrit la veine, dont on ne put tirer une goutte de
sang. Le prince respirant à peine, mais plein de connaissance, sentant
approcher son dernier moment, témoignait par le mouvement de ses lèvres, par
des sons forcés et inarticulés, et par l’agitation de ses bras, qu’il voulait
parler. Mais il ne put former aucune parole: ses yeux enflammés s’éteignirent;
des taches livides se répandirent sur son visage; et, après une longue et
violente agonie, il expira le 17 de novembre, dans la cinquante-cinquième année
de son âge, après avoir régné douze ans moins cent jours. Il fut la dernière
victime de cette fougueuse colère, qui avait coûté la vie à un grand nombre de
ses sujets. Prince guerrier, politique, religieux; mais violent, hautain,
avare, sanguinaire, et trop loué peut-être par les auteurs chrétiens, qui, par
l’effet d’une prévention trop ordinaire, lui ont pardonné tous ses défauts pour
une seule vertu qui leur, était favorable. On embauma son corps; il fut porté
à Constantinople l’année suivante; mais il ne fut déposé que six ans après
dans la sépulture des empereurs. Outre Gratien, né de Sévéra, sa première femme,
il laissait quatre enfants qu’il avait eus de Justine: un fils du même nom que
lui, et trois filles, Justa, Grata et Galla; les deux premières ne furent pas
mariées : Galla fut la seconde femme de l’empereur Théodose.
L’armée, assemblée dans la ville d’Acincum, craignit que
les soldats gaulois, naturellement audacieux et turbulents, qui s’étaient plus
d’une fois rendus arbitres de l’empire, ne se hâtassent de nommer un empereur étranger
à la famille impériale. Ils étaient encore au-delà du Daunbe , bien avant dans
le pays des Quades, sous les ordres de Mérobaude et de Sébastien. On prit donc
le parti de rompre le pont qui communiquait aux terres des Quades, et de mander
Mérobaude, de la part de l’empereur, comme si ce prince eût été encore vivant. Mérobaude,
dont le nom fait croire qu’il tirait son origine des Francs, était affectionné,
et même allié par un mariage à la famille de Valentinien. Se doutant de la
vérité, ou peut-être en étant instruit par le courrier, il publia que
l’empereur lui donnait ordre de renvoyer les soldats gaulois avec le comte
Sébastien, pour veiller à la défense des bords du Rhin menacés par les
Allemands. Il était de la prudence d’éloigner Sébastien avant qu'on apprît la
nouvelle de la mort de l’empereur : non pas que ce comte donnât par lui-même
aucun soupçon ; mais il était estimé et chéri des troupes. Après avoir pris ces
précautions, Mérobaude s’étant promptement rendu à Acincum, proposa, de
concert avec le comte Equitius, de conférer le titre d’Auguste à Valentinien,
âgé de quatre ans, qui se trouvait alors à trente lieues de l’armée avec sa
mère Justine. Les esprits y étaient déjà disposés. Ainsi Céréal, oncle maternel
du jeune prince, partît sur l’heure et l’amena au camp. Ces démarches se firent
avec une si extrême diligence, que le 27 de novembre, dix jours après le décès
de l'empereur, son second fils fut proclamé Auguste selon les formes ordinaires.
Tous les auteurs, excepté la chronique d’Alexandrie, abrègent encore de cinq
jours cet intervalle, et placent la proclamation de Valentinien II au 22 de
novembre; ce qui me paroi incroyable. On peut conjecturer, par quelques traces
légères à peine marquées dans l’histoire, que l’armée romaine ne quitta ce pays
qu’après avoir remporté sur les Quades et les Sarmates un nouvel avantage, et
qu’on accorda la paix à ces peuples.
On s’attendait bien que Gratien aurait d’abord quelque
mécontentement qu’on lui eût donné un collègue sans le consulter. Mais on comptait
sur la bonté de son cœur, et l’on ne fut pas trompé. Il aima tendrement son
frère, qu’il regarda comme son fils, et prit soin de son éducation. Il le nomma
consul pour l’année suivante; et ce jeune prince fut collègue de Valens, qui
prit le consulat pour la cinquième fois. Quelques historiens disent que l’Occident
fut alors partagé entre les deux frères, et que Gratien laissa à Valentinien
l’Italie, l’Illyrie et l’Afrique; se réservant à lui-même la Gaule, l’Espagne
et la Grande-Bretagne. D’autres prétendent que ce partage ne se fit qu’après la
mort de Valens. Mais, selon l’opinion la mieux fondée, Gratien gouverna seul
tout l’Occident jusqu’à sa mort, qui arriva lorsque le jeune Valentien n’avait
pas encore douze ans accomplis. Il ne partagea donc avec son frère que le titre
et les honneurs du commandement, et non pas les provinces de l’empire.
La jeunesse de Gratien pouvait donner de l’inquiétude, si
ses bonnes qualités n’eussent rassuré les esprits. Il était né à Sirmium, le 18
d’avril de l’an 359. in Ainsi il n’était âgé que de seize ans et demi dans le temps
la mort de son père. Marié depuis un an à Constantie, fille de Constance, il n’avait
nul penchant à la débauche, et jamais il ne connut d’autre femme que la sienne.
Ausone, le meilleur poète de ce temps-là, avait été chargé de son éducation; et
le jeune prince, dès-lors honoré du titre d’Auguste, ne s’était distingué des enfants
ordinaires que par une soumission plus respectueuse. Son génie heureux et
docile avait aisément pris le goût des lettres: plus vertueux que son maître,
il n’avait appris de lui qu’à tourner agréablement des vers, à s’exprimer avec
grâce, à composer des discours. Bien fait de sa personne, il s’était donné aux
exercices du corps, il s’y était même livré avec passion. Il surpassait ceux
de son âge à la course, à la lutte, à tirer de l’arc, à lancer le javelot avec
force et avec adresse: personne ne savait mieux manier un cheval. Sobre,
frugal, dormant peu, c’était dans les exercices qu’il mettait tout son plaisir;
mais il y mit aussi toute sa gloire; et l’on reproche à ses instituteurs de ne
s’être pas appliqués à le former de bonne heure aux affaires d’état, et à lui
inspirer le goût des études politiques, qui conviennent à un souverain.
L’usage de la puissance absolue ne changea rien dans son
caractère, Il commençait toutes ses journées par la prière, et sa piété ne fut
jamais équivoque. Sa démarche était modeste, sa contenance réservée, ses
habits décents, mais sans luxe. Dans son conseil il montrait de l’intelligence
et une prudence naturelle; il ne manquait que de lumières. Il était prompt à
exécuter. Son éloquence avait de la force et de la douceur. Il avait trouvé le
palais plein d’alarme et de terreur, il en fit un séjour aimable. On n’y
entendit plus de gémissements; on n’y vit plus d’instruments de tortures. Il
rappela sa mère et un grand nombre d’exilés; il ouvrit les prisons à ceux que
la calomnie y tenait enfermés; il rendit les biens confisqués injustement, et
fit oublier la dureté du gouvernement de son père. Il remit ce qui restait à
payer pour les impositions des années précédentes, faisant publiquement brûler
les cédules des redevances. Il rendit à ses amis tous les devoirs de l’amitié
la plus tendre. Traitant ses soldats comme ses enfants, il allait visiter les
blessés, assistait à leurs pansements, faisait charger ses mulets de leurs
bagages, leur prêtait ses propres chevaux, les dédommageait de leurs pertes.
Toujours accessible, écoutant avec patience, rassurant par sa bonté ceux que sa
majesté intimidait, interrogeant lui-même ceux qui venaient lui porter leurs
plaintes, il faisait consister son bonheur à répandre des grâces et à
pardonner. Il n’eut que trop d’indulgence; et il ne vécut pas assez longtemps
pour apprendre qu’il est aussi nuisible aux états de ne pas châtier les crimes
que de ne pas récompenser les services. Il s’attacha à saint Ambroise; mais
tous ceux qui approchèrent de sa personne n’eurent pas les sentiments de cette
âme élevée et généreuse; et l’empire, sous un prince juste, humain, libéral,
ressentit encore quelquefois les tristes effets de l'iniquité, de la’ cruauté
et de l’avarice.
La première action de son règne fut la plus blâmable de
toutes. Pour en effacer l’horreur il aurait fallu à Gratien une vie plus longue
et des vertus plus éclatantes. Théodose avait été, sous le régné de Valentinien,
l’honneur et le soutien de l’état. Sa valeur venait de conserver l’Afrique, et
sa sagesse y avait rétabli la paix et le bon ordre. Tout l’empire célébrait ses
exploits. Lui seul n’en était pas ébloui; l’habitude des grandes actions lui
en cachait le prix; et, quoiqu’il fût sur tout autre sujet fort éloquent, rien
n’était plus simple et plus succinct que le compte qu’il rendit de ses
victoires. Il semblait ne mériter que des triomphes lorsqu’il reçut arrêt de
mort. La postérité ignore la cause d’un si étrange événement; et c’en est
assez pour faire trembler les sujets lorsqu’ils voient monter sur le trône un
prince encore jeune et sans expérience, quoique avec les plus excellentes
qualités. Tout ce que l’histoire nous apprend , c’est que ce guerrier
invincible succomba sous une intrigue de cour, et sous les coups meurtriers
d’une cruelle jalousie. Il fut exécuté à Carthage. Accoutumé à braver la mort,
il la vit approcher sans effroi, et la rendit par sa fermeté aussi glorieuse
sur l’échafaud qu’elle l’eût été sur un champ de bataille. Après avoir demandé
et reçu le baptême pour s’ouvrir l’entrée d’une vie immortelle, il présenta
lui-même sa tête à l’exécuteur. L’empire le pleura; on lui érigea dans la
suite des statues à Rome et dans les provinces; les païens l’honorèrent du
titre de divus; et Gratien lui-même semble n’avoir pas différé de
ressentir une douleur amère d’une si noire ingratitude. Le choix qu’il fit peu
de temps après de Théodose le fils pour l’associer à l’empire prouve autant ses
regrets qu’il justifie la mémoire du père. Le jeune Théodose, qui brillait déjà
d’une gloire personnelle, se déroba pour lors aux traits de l’envie : il se
retira en Espagne, où il avait pris naissance. Quelques auteurs épargnent à
Gratien une si atroce injustice; ils en chargent Valens : ce prince,
disent-ils, sacrifia Théodose à ses craintes : il le fit mourir avec tous ceux
dont le nom commençait par les quatre lettres fatales. Mais, outre qu’il est au
moins incertain que Valens ait fait périr personne pour une cause si frivole,
Théodose ne fut mis à mort que deux ans après cet oracle prétendu dont nous
avons parlé; et, ce qui est encore plus fort, il n’étoit pas sujet de Valens.
Carthage, où s’exécuta cette funeste tragédie, faisait partie de l’empire de
Gratien; et le jeune empereur n’était pas assez uni avec Valens pour se
prêter, par une si criminelle condescendance, aux alarmes chimériques de son
oncle.
Il est plus probable que ce fut le dernier effet de la méchanceté
de Maximin. Ce barbare, teint du sang de tant de familles illustres, après
avoir déshonoré le règne de Valentinien par des cruautés sans nombre, espérait noircir
des mêmes horreurs celui de Gratien. La jeunesse du prince augmentait encore sa
hardiesse et son insolence. Gratien ne tarda pas à le connaitre, et bientôt il
désarma sa fureur. Les esclaves et les affranchis étaient les instruments les
plus ordinaires que Maximin mettait en œuvre. Gratien ordonna que ceux qui oseraient
accuser leurs maîtres de tout autre crime que de celui de lèse-majesté seraient,
sans être entendus, brûlés vifs avec leurs libelles de dénonciation. Bientôt
après Maximin lui-même, convaincu de plusieurs crimes, eut la tête tranchée.
Simplice subit la même peine en Illyrie; et Doryphorien , autre ministre de
Maximin, après avoir été renfermé dans la prison de Rome, en fut tiré par le
conseil de la mère de l’empereur, pour expirer dans les plus rigoureuses
tortures. Après la punition de ces hommes sanguinaires, Gratien songea à
rassurer le sénat, qu’ils avoient tenu si longtemps dans des alarmes
continuelles: Il adressa à cette compagnie une lettre qui fut reçue avec joie:
elle contenait plusieurs règlements favorables; et, dès le commencement de
l’année suivante, il renouvela, par une loi expresse, un ancien privilège des
sénateurs, que Maximin n’avait jamais respecté; c’était qu’ils fussent exempts
des tourments de la question.
Le jeune prince, naturellement pieux, était entretenu dans
cette heureuse disposition par les conseils de Gracchus, qu’il honorait de sa
confiance, et qu’il éleva à la dignité de préfet de Rome vers la fin de cette
armée. On dit que Gracchus descendit de l’ancienne et illustre famille
Semproma, dont il portait le surnom. Plein de zèle pour le christianisme, il
profita de l’autorité que lui donnait sa charge pour affaiblir l’idolâtrie; il
détruisit un grand nombre d’idoles: mais sans user de violence, et sans donner
ouvertement atteinte à la liberté du culte dont les païens jouissaient encore.
L’empereur fit dès cette année et la suivante plusieurs lois avantageuses à l’Église.
Il ordonna que les contestations qui auraient pour objet les affaires de la
religion seraient décidées par l’évêque ou par le synode de la province, mais
que les juges ordinaires demeureraient saisis des causes civiles ou
criminelles. Il exempta des charges personnelles les prêtres et les ministres
inférieurs. Les donatistes avoient signalé leur zèle en faveur de Firme : ils
furent aussi les premiers hérétiques que l’empereur s’efforça de réprimer; il
leur ôta leurs églises; il déclara que les lieux où ils tiendraient leurs
assemblées seraient saisis au profit du fisc. Il étendit dans la suite cette
loi sur tous les hérétiques. Cependant, après la mort de Valens, étant à
Sirmium, il leur rendit la liberté de s’assembler, exceptant seulement les
sectateurs de Manès, d’Eunomius et de Phyotin; mais cette permission fut
bientôt révoquée. L’instruction publique a un rapport direct à la religion:
aussi Gratien s’occupait-il dans le même temps à soutenir l’une et l’autre.
L’étude des belles-lettres florissait alors dans la Gaule; il chargea le
préfet d’établir dans les principales cités des maîtres de rhétorique et de
grammaire latine et grecque, et d’avoir soin qu’on fit choix pour ces emplois
des personnes les plus capables. Il leur assigna sur le trésor des villes des appointements
considérables, qu’il voulut régler lui-même, ne s’en rapportant pas sur ce
point à la générosité des habitants; et comme Trêves était alors la ville
impériale, il y établit de plus fortes pensions pour les professeurs. La
décadence des arts se faisait sentir de plus en plus ; les Romains commençaient
ce que les Goths dévoient bientôt achever; ils détruisaient ou déshonoraient
les magnifiques monuments de l’ancienne architecture pour élever ou embellir
des édifices de mauvais goût; et Rome perdit tous les jours de son antique
majesté. Gratien ordonna aux magistrats de cette ville d'entretenir les
ouvrages de leurs ancêtres; et afin qu’ils eussent la facilité d’en construire
de nouveaux sans dégrader les anciens, il abolit en faveur des sénateurs les
droits imposés sur le transport et l’entrée des marbres qu’on tirait des
carrières de Macédoine et d’Illyrie.
L’Occident était en paix; et la négociation entamée Sapor
suspendit en Orient les hostilités sans faire cesser les inquiétudes. La Lycie
et la Pamphylie étaient les seules provinces qui ne jouissaient pas du repos.
Les Isaures y ravageaient les campagnes; et à l’approche des troupes romaines
ils se retiraient à l’ordinaire avec leur butin dans leurs montagnes
inaccessibles. Mais un peuple plus féroce que les barbares connus jusqu’alors,
portant l’effroi et le carnage, vint annoncer de nouveaux malheurs. Les Huns,
sortant des Palus-Méotides, poussèrent devant eux les nations qui habitaient au
nord du Danube; et ces fugitifs, renversés les uns sur les autres, se répandirent
sur les provinces romaines, et changèrent la face de l’empire. C’est un des
points les plus importants de notre histoire, de faire connaitre ce peuple
redoutable, que la main de Dieu conduisit d’une extrémité du monde à l’autre
pour châtier les crimes de la terre. Son origine, cachée dans les immenses
forêts de la Tartarie asiatique, est demeurée inconnue jusqu’à nos jours. M. de
Guignes, très-versé dans la littérature orientale, a découvert dans les
historiens1 chinois tout le détail de l’histoire des Huns. Guidé par ses
recherches , nous allons tracer une idée de cette nation faeuse, et recueillir
après lui dans les auteurs grecs et latins les traits qui la caractérisent.
L’Occident ne commença à connaitre les Huns qu’au moment
qu’ils se firent voir en Europe, après avoir passé le Tanaïs. On n’a pas suivi
plus loin la trace de leur origine; et la plupart des auteurs placent leur première
demeure à l’orient des Palus-Méotides. C’est pour cette raison que Procope les
confond avec les Scythes et les Massagètes, dont il y avait des peuplades
établies en-deçà comme au-delà de la mer Caspienne. Jornandes raconte
sérieusement que les Huns naquirent du commerce des diables avec des sorcières
que les Goths avaient reléguées dans les déserts de la Scythie. Les Chinois,
mieux instruits de l’histoire de ce peuple, avec lequel ils ont presque toujours
été en guerre, nous apprennent qu’il habitait au nord de la Chine. Ce sont les Annibi de Ptolémée. Ils s’étendaient d’occident en orient dans l’espace de cinq cents
lieues, depuis le fleuve Irtis jusqu’au pays des Tartares, nommés aujourd’hui
Mantchous. Ils occupaient trois cents lieues de pays du septentrion au midi,
étant bornés d’un côté par les monts Altaï, de l’autre par la grande muraille
de la Chipe et les montagnes du Thibet.
Les Huns étaient de tous les barbares les plus affreux à
voir. Ce n’était qu’une masse informe; et les Romains les comparaient à une
pièce de bois à peine dégrossie. Ils avoient la taille courte et ramassée, le
cou épais et rentrant dans les épaules, le dos courbé, la tête grosse et ronde,
le teint noir, les yeux petits et enfoncés, mais le regard vif et perçant. Ils
s’étudiaient encore à augmenter leur difformité naturelle. Dès que les enfants
mâles venaient au monde, les mères leur écrasaient le nez, afin de que le
casque put s’appliquer plus juste à leur visage; et les pères leur tailladaient
les joues, afin d’empêcher la barbe de croître. Cette opération cruelle rendit
leur visage défiguré de coutures et de cicatrices. Leur façon de vivre n’était
pas moins sauvage que leur figure. Ils ne mangeaient rien de cuit, et ne connaissaient
nulle espèce d’assaisonnement. Ils vivaient de racines crues, ou de la chair
des animaux un peu mortifiée entre la selle et le dos de leurs chevaux. Jamais
ils ne maniaient la charrue : les prisonniers qu’ils faisaient à la guerre cultivaient
la terre, et prenaient soin de leurs troupeaux. Ils n’habitaient ni maisons ni
cabanes; toute enceinte de murailles leur paroissait un sépulcre : ils ne se croyaient
pas en sûreté sous un toit. Accoutumés dès l’enfance à souffrir le froid, la faim,
la soif, ils changeaient fréquemment de demeure, ou, pour mieux dire, ils n’en
a voient aucune; errans dans les montagnes et dans les forêts, suivis de leurs
nombreux troupeaux; transportant avec eux toute leur famille dans des chariots
traînés par des bœufs, c’était là que leurs femmes, renfermées, s’occupaient à
filer ou à coudre des vêtements pour leurs maris, et à nourrir leurs enfants.
Ils s’habillaient de toile ou de peaux de martre, qu’ils laissaient pourrir sur
leur corps sans jamais s’en dépouiller. Ils portaient un casque, des bottines
de peau de bouc, et une chaussure si informe et si grossière, qu’elle les empêchait
de marcher librement: aussi n’étaient-ils pas propres à combattre à pied. Ils
ne quittaient presque jamais leurs chevaux, qui étaient petits et hideux, mais
légers et infatigables. Ils y passaient les jours et les nuits, tantôt montés
en cavaliers, tantôt assis à la manière des femmes. Ils n’en descendaient ni
pour manger, ni pour boire; et lorsqu’ils étaient pris de sommeil, se laissant
aller sur le cou de leur monture, ils y dormaient profondément. Ils tenaient à
cheval le conseil de la nation. Toutes les troupes de leur empire étaient
commandées par vingt-quatre officiers, qui étaient à la tête chacun de dix
mille cavaliers: ces corps se divisaient en escadrons de mille, de cent et de
dix hommes. Mais dans les combats ils n’observaient aucun ordre. Poussant des
cris affreux, ils s’abandonnaient sur l’ennemi; s’ils trouvaient trop de
résistance, ils se dispersaient bientôt, et revenaient à la charge avec la vitesse
des aigles et la fureur des lions, enfonçant et renversant tout se qui se rencontrait
sur leur passage. Leurs flèches étaient armées d’os pointus, aussi durs et
aussi meurtriers que le fer. Ils les lançaient avec autant d’adresse que de
force, en courant à tonte bride, et même en fuyant. Pour combattre de près, ils
portaient d’une main un cimeterre et de l’autre un filet, dont ils tâchaient
d'envelopper l’ennemi. Une de leurs familles avait le glorieux privilège de
porter le premier coup dans les batailles; il n’était permis à personne de
frapper l’ennemi qu’un cavalier de cette famille n’en eût donné l’exemple.
Leurs femmes ne craignaient ni les blessures, ni la mort ; et souvent, après
une défaite, on en trouva parmi les morts et les blessés. Dès que leurs en fans
pouvaient faire usage de leurs bras, on les armait d’un arc proportionné à leur
force assis sur des moutons, ils allaient tirer des oiseaux et faisaient la
guerre aux petits animaux. A mesure qu’ils avançaient en âge, ils s’accoutumaient
de plus en plus aux fatigues et aux périls de la chasse : enfin, lorsqu’ils se sentaient
assez forts, ils aboient dans les combats repaître de sang et de carnage leur
férocité naturelle. La guerre était pour eux l’unique moyen de se signaler:
les vieillards languissaient dans le mépris; la considération était attachée à
l’usage actuel des armes. Ces barbares, tout grossiers qu’ils étaient, ne manquaient
ni de pénétration, ni de finesse. Leur bonne foi était connue : ils ignoraient
l’art d’écrire; mais, en traitant avec eux, on n’a voit pas besoin d’autre
sûreté que de leur parole. D’ailleurs ils avoient au souverain degré tous les
vices de la barbarie; cruels, avides de l’or, quoiqu’il leur fût inutile;
impudiques, prenant autant de femmes qu’ils en pouvaient entretenir, sans aucun
égard aux degrés d’alliance ni de parenté : le fils épousait les femmes de son
père: adonnés à l’ivrognerie, avant même qu’ils eussent connu l’usage du vin,
ils s’enivraient d’un certain breuvage composé de lait de jument qu’ils faisaient
aigrir. Les Romains ont cru qu’ils n’avoient aucune religion, parce qu’on ne voyait
aucune idole qui fût l’objet de leur culte; mais, selon les auteurs chinois,
ils adoraient le ciel, la terre, les esprits et les ancêtres.
L’ancienneté de cette nation remonte aussi haut que l’empire
chinois. Elle était connue plus de deux mille ans avant Jésus-Christ. Huit
cents ans après, on la voit gouvernée par des princes, dont la succession est
ignorée jusque vers l’an 210 avant l’ère chrétienne. C’est à cette époque que
l’histoire commence à donner la suite des Tanjou: ce nom, qui dans la langue
des Huns signifiait fils du ciel, était le titre commun de leurs
monarques. Les Huns, divisés en diverses hordes, qui a voient chacune son chef,
mais réunis sous les ordres d’un même souverain, ne cessaient de faire des
courses sur les terres de leurs voisins. La Chine, pays riche et fertile, était
surtout exposée à leurs ravages. Ce fut pour les arrêter que les monarques
chinois firent construire cette fameuse muraille qui couvre la frontière
septentrionale de leurs états, dans l’espace de près de quatre cents lieues. On
retrouve dans l’ancienne histoire des Huns tout ce qui a servi à établir et à
étendre les plus puissants empires, de grandes vertus, et de plus grands
crimes. Les vertus y sont brutes et sauvages; les crimes sont plus étudiés et
plus réfléchis. Mété, le second de leurs monarques connus, s’étant rendu
redoutable par des forfaits, porta ses conquêtes depuis la Corée et la mer du
Japon jusqu’à la mer Caspienne. La grande Bukarie et la Tartarie occidentale obéissaient
à ses lois. Il avait assujetti vingt-six royaumes. Il fit plier la fierté
chinoise; et, à force d’injustices et de violences, il réduisit l’empereur de
la Chine à lui demander la paix, et à faire l’éloge de son humanité et de sa
justice. Ses successeurs régnèrent avec gloire pendant près de trois cents ans.
La gloire de cette nation consistait dans le succès de ses brigandages. Enfin
la discorde s’étant mise entre les Huns, ceux du midi, étant soutenus par les
Chinois et par les Tartares orientaux, forcèrent ceux du nord d’abandonner
leurs anciennes demeures. Les vaincus se retirèrent du côté de l’occident; et,
vers le commencement du second siècle de Fère chrétienne, ils vinrent s’établir
près des sources du Jaïk, dans le pays des Baskirs, que plusieurs historiens
ont nommé la grande Hongrie, parce qu’ils ont cru que les Huns en étaient
originaires. Là ils se réunirent à d’autres peuplades de leur nation que les
révolutions précédentes avoient déjà portées vers la Sibérie.
Ces pays avoient été anciennement occupés par les Alains;
et cette nation, qui contribua à la destruction de l’empire romain, mérite
aussi d’être connue. Les Alains tirent leur nom du mot alin, qui en
langue tartare signifie montagne, parce qu’ils habitaient les montagnes situées
au nord de la Sarmatie asiatique. C’était un peuple nomade, ainsi que les
autres Tartares. Environ quarante ans avant Jésus-Christ ils furent obligés de
céder les contrées du nord à une colonie de Huns révoltés, qui s’étaient
séparés du corps de la nation, et de se retirer vers les Palus-Méotides. Ils s’étaient
depuis longtemps rendus formidables. Tous les peuples barbares, jusqu’aux
sources du Gange, furent soumis aux Alains, et prirent leur nom. Procope les
appelle une nation gothique; les Chinois les confondent avec les Huns. En
effet, par l’étendue de leurs conquêtes ils approchaient fort près des sources
de l’Irtis, et les diverses hordes qui se détachaient de temps en temps de la
nation des Huns, se portant toujours du côté de l’occident, il devait se
former un mélange des deux peuples. Cependant la figure des Alains annonçait
une autre origine. Ils étaient connus des Romains dès le temps de Pompée. On
les vit plusieurs fois sous les premiers empereurs franchir les défilés du
Caucase, et faire des irruptions dans la Médie, dans l’Arménie, dans la
Cappadoce, d’où Arrien les chassa sous le règne d’Adrien. Du temps de Gordien
ils pénétrèrent jusque dans la Macédoine, et ce prince éprouva leur valeur dans
les campagnes de Philippes.
Les Alains étaient de haute stature et d’une belle physionomie.
Ils avoient les cheveux blonds, le regard plus fier que farouche. Quoique
légèrement armés et fort agiles, ils étaient toujours à cheval, et tenaient à
déshonneur de marcher à pied. Leur façon de vivre tenait beaucoup de celle des
Huns; mais ils étaient moins sauvages. Ecrans par troupes dans les déserts de
la Tartarie, ils ne connaissaient d’autre habitation que leurs chariots
couverts d’écorces d’arbres. Ils s’arrêtaient dans les lieux où ils trouvaient
des pâturages pour leurs troupeaux : rangeant leurs chariots en cercle, ils formaient
une vaste enceinte; c’était là leur ville; ils la transportaient ailleurs quand
les pâturages étaient consommés. Toujours les armes à la main, ils faisaient
leur occupation de la chasse, et leur divertissement de la guerre: ils y apportaient
plus d’intelligence et de discipline que les autres barbares. Mourir dans une
bataille, c’était le sort le plus digne d’envie : on méprisait comme des
lâches, et on chargeait d’opprobres ceux qui mouraient de vieillesse ou de
maladie. L’action la plus glorieuse était de tuer un ennemi; ils lui enlevaient
la peau avec la tête, et en faisaient une housse pour leurs chevaux. Ils adoraient
le dieu Mars, qu’ils représentaient par une épée plantée en terre. Ils prétendaient
connaitre l’avenir par le moyen de certaines baguettes enchantées. Tous étaient
nobles; ils n’avoient aucune idée de l’esclavage. Leurs chefs portaient le nom
de juges : on déférait cet honneur aux guerriers les plus expérimentés.
Les Huns établis dans le pays des Baskirs, pressés eux-mêmes
par de nouvelles peuplades qui véniel inonder la Tartarie occidentale,
descendirent vers le midi, traversèrent le Volga, et vinrent attaquer les
Alains. Après plusieurs sanglantes batailles, ceux-ci furent forcés d’abandonner
le pays. Les uns s’enfoncèrent dans les montagnes de la Circassie, où leur
postérité subsiste encore aujourd’hui : une partie passa le Tanaïs; et quelques-uns
s’arrêtèrent sur le bord occidental de ce fleuve; d’autres, après avoir erré
quelque temps, se fixèrent aux environs du Danube. Les Huns couvrirent de leurs
lentes les vastes plaines entre le Volga et le Tanaïs; et si l’on s’en rapporte
à Jornandès, bornés par les Palus-Méotides, ils ignoroient même qu’il y eût
au-delà aucune terre. Quelques-uns de leurs chasseurs, poursuivant une biche,
traversèrent après elle le palus, et furent étonnés de trouver un gué qui les
conduisit à l’autre bord. La vue d’un beau pays qu’ils découvrirent au-delà les
surprit encore davantage; et le rapport qu’ils en firent à la nation lui fit
prendre la même route. Selon d’autres auteurs, ce fut un bœuf piqué par un
taon, qui leur servit de guide. Zosime dit que le limon charrié par le Tanaïs avait
formé un banc au travers du Bosphore Cimmérien. Mais l’auteur de l’histoire des
Huns rejette avec raison les traditions fabuleuses. Les Huns ne furent guidés
que par la passion des conquêtes qui leur était naturelle; ils passèrent le
Tanaïs comme ils avoient passé le Volga, selon l’usage des peuples tartares,
qui traversent les plus grands fleuves à la nage en tenant la queue de leurs
chevaux, ou sur des ballons qu’ils forment avec leur bagage.
Les Alains et les autres barbares voisins du Tanaïs
furent les premiers qui éprouvèrent la fureur des Huns. Ceux qui échappèrent au
massacre se joignirent au vainqueur; et cette innombrable cavalerie vint, sous
les ordres d’un chef nommé Balamir, fondre sus les Ostrogot. Ermanaric, de la
race des Amales, régnait alors avec gloire. Les Goths le comparaient au grand
Alexandre; il avait étendu ses conquêtes du Pont-Euxin à la mer Baltique; et
une grande partie de la Scythie et de la Germanie était soumise à sa
domination. Agé de cent dix ans, il ne manquait encore ni de force ni de
courage. Mais il n’eut pas l’honneur de mourir en défendant sa couronne. Un
seigneur du pays des Rhoxolans, nation sujette à Ermanaric, s’étant joint aux
Huns, le prince, outré de colère, fit attacher la femme de ce déserteur à la
queue d’un cheval indompté qui la mit en pièces. Un frère de cette femme la
vengea en perçant Ermanaric d’un coup d’épée. Sa blessure le mettant hors
d’état de combattre les barbares, il se tua de désespoir. Vithimir, son
successeur, résista quelque temps; enfin il fut défait et tué dans une
bataille. Il laissait un fils encore enfant, nommé Vidéric, sous la tutelle
d’Alathée et de Saphrax, guerriers intrépides et expérimentés. Cependant,
pressés par les vainqueurs, ils prirent le parti de passer le Borysthène, et de
se retirer au-delà du Niester. Les Huns firent un horrible carnage; ils
n’épargnèrent ni les femmes ni les enfants; et tout ce qui n’avait pu se
dérober à leur fureur par une fuite précipitée périt sous le tranchant de leurs
cimeterres.
Athanaric, prince des Visigoths, était trop brave pour
prendre l’épouvante. Il résolut de les attendre de pied ferme; et, s’étant
retranché avantageusement sur le bord du Niester, il envoya Mundéric, avec
plusieurs autres capitaines, jusqu’à vingt milles de son camp, pour observer
les mouvements des ennemis, et lui en apporter des nouvelles. Pendant ce
temps-là il fit les dispositions de la bataille. Ses précautions furent
inutiles. Les Huns, ayant aperçu les cavaliers, jugèrent qu’il y avait plus
loin un corps plus considérable : ils attendirent la nuit; et laissant à côté
Mundéric qui se reposait avec sa troupe, comme si l’ennemi eût été fort
éloigné, ils gagnèrent le fleuve à la faveur de la lune, le passèrent à gué, et
tombèrent brusquement sur Athanaric avant le retour de ses coureurs. Le prince,
surpris de cette attaque imprévue, n’eut que le temps de se sauver sur des
montagnes de difficile accès, et laissa sur la place une partie de ses soldats.
Instruit par cette épreuve de ce qu’il avait à craindre d’un ennemi si
impétueux, il se cantonna entre le Danube et le Hiérassus, nommé aujourd’hui le
Pruth; et il s’enferma d’une muraille qui traversent d’un fleuve à l’autre. Les
Huns, dont la marche était ralentie par le butin dont ils s’étaient chargés,
lui laissèrent le temps d’achever cet ouvrage.
La terreur s'était répandue dans toute la nation des Goths.
L’extérieur affreux des Huns n’imprimait pas moins le frayeur que la cruauté de
leurs ravages. On publiait au loin que des monstres sortis des lacs et des déserts
de la Scythie venaient dévorer les peuples de l’Europe, et qu'ils désolaient
tout sur leur passage. Une discorde civile tenait alors les Visigoths divisés.
Une partie de la nation s’était séparée d’Athanaric, et avait choisi pour chefs
Alavif et Fritigerne. Il s’était livré des combats dans lesquels ces deux
capitaines, aidés de quelques secours des Romains, avoient remporté l’avantage.
La disette où se trouvait Athanaric, resserré entre deux fleuves, détacha
encore de lui un grand nombre de ses sujets. Quantité d’autres, que la crainte
rassemblait de toutes parts, se joignirent à eux, et tous s’étant réunis, ils
convinrent ensemble de se soustraire à la barbarie de leurs nouveaux ennemis.
La Thrace semblait leur offrir une retraite sûre et commode. C’était un pays
fertile, que le Danube, bordé de places fortes, défendait contre les incursions
étrangères. Ils se rendirent au bord de ce fleuve, sous la conduite d’Alavif et
de Fritigerne, au nombre de près de deux cent mille hommes propres à la guerre,
résolus d’abandonner les demeures où ils étaient établis depuis cent cinquante
ans.
VALENS, GRATIEN, VALENTINIEN II
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HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |