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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. LIVRE III. CONVENTION NATIONALE. CHAPITRE 5

 

CONTINUATION DU PROCÈS DE LOUIS XVI.—SA DÉFENSE.—DÉBATS TUMULTUEUX A LA CONVENTION.—LES GIRONDINS PROPOSENT L'APPEL AU PEUPLE; OPINION DU DÉPUTÉ SALLE; DISCOURS DE ROBESPIERRE; DISCOURS DE VERGNIAUD.—POSITION DES QUESTIONS.—LOUIS XVI EST DÉCLARÉ COUPABLE ET CONDAMNÉ A MORT, SANS APPEL AU PEUPLE ET SANS SURSIS A L'EXÉCUTION.—DÉTAILS SUR LES DÉBATS ET LES VOTES ÉMIS.—ASSASSINAT DU DÉPUTÉ LEPELLETIER-SAINT-FARGEAU.—AGITATION DANS PARIS.—LOUIS XVI FAIT SES ADIEUX A SA FAMILLE; SES DERNIERS MOMENS DANS LA PRISON ET SUR L'ÉCHAFAUD.

 

Le temps accordé à Louis XVI pour préparer sa défense était à peine suffisant pour compulser les immenses matériaux sur lesquels elle devait être établie. Ses deux défenseurs demandèrent à s'en adjoindre un troisième, plus jeune et plus actif, qui rédigerait et prononcerait la défense, tandis qu'ils en chercheraient et prépareraient les moyens. Ce jeune adjoint était l'avocat Desèze, qui avait défendu Bezenval après le 14 juillet. La convention, ayant accordé la défense, ne refusa pas un nouveau conseil, et M. Desèze eut, comme Malesherbes et Tronchet, la faculté de pénétrer au Temple. Une commission y portait tous les jours les pièces, les montrait à Louis XVI, qui les recevait avec beaucoup de sang-froid, et comme si ce procès eût regardé un autre, disait un rapport de la commune. Il montrait aux commissaires la plus grande politesse, et leur faisait servir à manger quand les séances avaient été trop longues. Pendant qu'il s'occupait ainsi de son procès, il avait trouvé un moyen de correspondre avec sa famille. Il écrivait au moyen du papier et des plumes qu'on lui avait donnés pour travailler à sa défense, et les princesses traçaient leur réponse sur du papier avec des piqûres d'épingle. Quelquefois on pliait les billets dans des pelotons de fil, qu'un garçon de l'office, en servant les repas, jetait sous la table; quelquefois on les faisait descendre par une ficelle d'un étage à un autre. Les malheureux prisonniers se donnaient ainsi des nouvelles de leur santé, et trouvaient une grande consolation à apprendre qu'ils n'étaient point malades.

Enfin M. Desèze avait terminé sa défense en y travaillant nuit et jour. Le roi lui fit retrancher tout ce qui était trop oratoire, et voulut s'en tenir à la simple discussion des moyens qu'il avait à faire valoir. Le 26, à neuf heures et demie du matin, toute la force armée était en mouvement pour le conduire du Temple aux Feuillans, avec les mêmes précautions, et dans le même ordre que lors de sa première comparution. Monté dans la voiture du maire, il s'entretint avec lui pendant le trajet avec la même tranquillité que de coutume; on parla de Sénèque, de Tite-Live, des hôpitaux; il adressa même une plaisanterie assez fine à un des municipaux, qui avait dans la voiture le chapeau sur la tête. Arrivés aux Feuillans, il montra beaucoup de sollicitude pour ses défenseurs; il s'assit à leurs côtés dans l'assemblée, regarda avec beaucoup de calme les bancs où siégeaient ses accusateurs et ses juges, sembla rechercher sur leur visage l'impression que produisait la plaidoirie de M. Desèze, et plus d'une fois il s'entretint en souriant avec Tronchet et Malesherbes. L'assemblée accueillit sa défense avec un morne silence, et ne témoigna aucune improbation.

Le défenseur s'occupa d'abord des principes du droit, et en second lieu des faits imputés à Louis XVI. Bien que l'assemblée, en décidant que le roi serait jugé par elle, eût implicitement décrété que l'inviolabilité ne pouvait être invoquée, M. Desèze démontra fort bien que rien ne pouvait limiter la défense, et qu'elle demeurait entière, même après le décret; que par conséquent, si Louis jugeait l'inviolabilité soutenable, il avait le droit de la faire valoir. Il fut d'abord obligé de reconnaître la souveraineté du peuple; et, avec tous les défenseurs de la constitution de 1791, il soutint que la souveraineté, bien que maîtresse absolue, pouvait s'engager, qu'elle l'avait voulu à l'égard de Louis XVI, en stipulant l'inviolabilité; qu'elle n'avait pas voulu une chose absurde dans le système de la monarchie; que par conséquent l'engagement devait être exécuté; et que tous les crimes possibles, le roi en eût-il commis, ne pouvaient être punis que de la déchéance. Il dit que sans cela la constitution de 1791 serait un piège barbare tendu à Louis XVI, puisqu'on lui aurait promis avec l'intention secrète de ne pas tenir; que, si on refusait à Louis ses droits de roi, il fallait lui laisser au moins ceux de citoyen; et il demanda où étaient les formes conservatrices que tout citoyen avait droit de réclamer, telles que la distinction entre le jury d'accusation et celui de jugement, la faculté de récusation, la majorité des deux tiers, le vote secret, et le silence des juges pendant que leur opinion se formait. Il ajouta, avec une hardiesse qui ne rencontra qu'un silence absolu, qu'il cherchait partout des juges et ne trouvait que des accusateurs. Il passa ensuite à la discussion des faits, qu'il rangea sous deux divisions, ceux qui avaient précédé et ceux qui avaient suivi l'acceptation de l'acte constitutionnel. Les premiers étaient couverts par l'acceptation de cet acte, les autres par l'inviolabilité. Cependant il ne refusait pas de les discuter, et il le fit avec avantage, parce qu'on avait amassé une foule de faits insignifians, à défaut de la preuve précise des intelligences avec l'étranger; crime dont on était persuadé, mais dont la preuve positive manquait encore. Il repoussa victorieusement l'accusation d'avoir versé le sang français au 10 août. Dans ce jour, en effet, l'agresseur n'était pas Louis XVI, mais le peuple. Il était légitime que Louis XVI, attaqué, cherchât à se défendre, et qu'il prît les précautions nécessaires. Les magistrats eux-mêmes l'avaient approuvé, et avaient donné aux troupes l'ordre formel de repousser la force par la force. Malgré cela, disait M. Desèze, le roi n'avait pas voulu faire usage de cette autorisation, qu'il tenait et de la nature et de la loi, et il s'était retiré dans le sein du corps législatif pour éviter toute effusion de sang. Le combat qui avait suivi ne le regardait plus, devait même lui valoir des actions de grâces plutôt que des vengeances, puisque c'était sur un ordre de sa main que les Suisses avaient abandonné la défense du château et de leur vie. Il y avait donc une criante injustice à reprocher à Louis XVI d'avoir versé le sang français, et sur ce point il avait été irréprochable; il s'était montré au contraire plein de délicatesse et de vertu.

Le défenseur termina par ces mots si courts, si justes, et les seuls où il fût question des vertus de Louis XVI:

«Louis était monté sur le trône à vingt ans, et à vingt ans il donna sur le trône l'exemple des moeurs; il n'y porta aucune faiblesse coupable ni aucune passion corruptrice; il y fut économe, juste, sévère, et il s'y montra toujours l'ami constant du peuple. Le peuple désirait la destruction d'un impôt désastreux qui pesait sur lui, il le détruisit; le peuple demandait l'abolition de la servitude, il commença par l'abolir lui-même dans ses domaines; le peuple sollicitait des réformes dans la législation criminelle pour l'adoucissement du sort des accusés, il fit ces réformes; le peuple voulait que des milliers de Français, que la rigueur de nos usages avait privés jusqu'alors des droits qui appartiennent aux citoyens, acquissent ces droits ou les recouvrassent, il les en fit jouir par ses lois; le peuple voulut la liberté, et il la lui donna! Il vint même au-devant de lui par ses sacrifices, et cependant c'est au nom de ce même peuple qu'on demande aujourd'hui…. Citoyens, je n'achève pas … je m'arrête devant l'histoire: songez qu'elle jugera votre jugement, et que le sien sera celui des siècles!»

Louis XVI, prenant la parole immédiatement après son défenseur, prononça quelques mots qu'il avait écrits. «On vient, dit-il, de vous exposer mes moyens de défense; je ne les renouvellerai point; en vous parlant peut-être pour la dernière fois, je vous déclare que ma conscience ne me reproche rien, et que mes défenseurs vous ont dit la vérité.

«Je n'ai jamais craint que ma conduite fût examinée publiquement; mais mon coeur est déchiré de trouver dans l'acte d'accusation l'imputation d'avoir voulu faire répandre le sang du peuple, et surtout que les malheurs du 10 août me soient attribués!

«J'avoue que les preuves multipliées que j'avais données, dans tous les temps, de mon amour pour le peuple, et la manière dont je m'étais toujours conduit, me paraissaient devoir prouver que je ne craignais pas de m'exposer pour épargner son sang, et éloigner à jamais de moi une pareille imputation.»

Le président demande ensuite à Louis XVI s'il ne lui restait plus rien à dire pour sa défense. Louis XVI ayant déclaré qu'il a tout dit, le président lui annonce qu'il peut se retirer. Conduit dans une salle voisine avec ses défenseurs, il s'occupe avec sollicitude du jeune Desèze, qui paraît fatigué d'une longue plaidoirie. Ramené ensuite en voiture, il parle avec la même sérénité à ceux qui l'escortent, et arrive au Temple à cinq heures.

A peine avait-il quitté la convention, qu'un orage violent s'y était élevé. Les uns voulaient qu'on ouvrît la discussion; les autres, se plaignant des délais éternels qu'on apportait à la décision de ce procès, demandaient sur-le-champ l'appel nominal, en disant que dans tout tribunal, après avoir ouï l'accusé, on passait aux voix. Lanjuinais nourrissait depuis le commencement du procès une indignation que son caractère impétueux ne lui permettait plus de contenir. Il s'élance à la tribune, et au milieu des cris qu'excite sa présence, il demande non pas un délai pour la discussion, mais l'annulation même de la procédure; il s'écrie que le temps des hommes féroces est passé, qu'il ne faut pas déshonorer l'assemblée en lui faisant juger Louis XVI; que personne n'en a le droit en France, et que l'assemblée particulièrement n'a aucun titre pour le faire; que si elle veut agir comme corps politique, elle ne peut prendre que des mesures de sûreté contre le ci-devant roi; mais que si elle agit comme tribunal, elle est hors de tous les principes, car c'est faire juger le vaincu par le vainqueur lui-même, puisque la plupart des membres présens se sont déclarés les conspirateurs du 10 août. Au mot de conspirateurs, un tumulte épouvantable s'élève de toutes parts. On crie à l'ordre! à l'Abbaye! à bas de la tribune! Lanjumais veut en vain justifier le mot de conspirateurs, en disant qu'il doit être pris ici dans un sens favorable, et que le 10 août fut une conspiration glorieuse: il continue au milieu du bruit, et finit en déclarant qu'il aimerait mieux périr mille fois que de condamner, contre toutes les lois, le tyran même le plus abominable!

Une foule d'orateurs lui succèdent, et le tumulte ne fait que s'accroître. On ne veut plus rien entendre, on quitte sa place, on se mêle, on se forme par groupes, on s'injurie, on se menace, et le président est obligé de se couvrir. Après une heure d'agitation, le calme se rétablit enfin, et l'assemblée, adoptant l'avis de ceux qui demandaient la discussion sur le procès de Louis XVI, déclare que la discussion est ouverte, et qu'elle sera continuée, toutes affaires cessantes, jusqu'à ce que l'arrêt soit rendu.

La discussion est donc reprise le 27: la foule des orateurs déjà entendus reparaît à la tribune. Saint-Just s'y montre de nouveau. La présence de Louis XVI, humilié, vaincu, et serein encore dans l'infortune, a fait naître quelques objections dans son esprit; mais il répond à ces objections en appelant Louis un tyran modeste et souple, qui a opprimé avec modestie, qui se défend avec modestie, et contre la douceur insinueuse duquel il faut se prémunir avec le plus grand soin. Il a appelé les états-généraux, mais c'était pour humilier la noblesse et régner en divisant; aussi, quand il a vu la puissance des états s'élever si rapidement, il a voulu la détruire. Au 14 juillet, aux 5 et 6 octobre, on l'a vu amasser secrètement des moyens pour accabler le peuple; mais chaque fois que ses conspirations étaient déjouées par l'énergie nationale, il feignait de revenir lui-même, il montrait de sa défaite et de la victoire du peuple une joie hypocrite et qui n'était pas naturelle. Depuis, ne pouvant plus faire usage de la force, il corrompait les défenseurs de la liberté, il complotait avec l'étranger, il désespérait les ministres, dont l'un était obligé de lui écrire: Vos relations secrètes m'empêchent d'exécuter les lois, et je me retire. Enfin il avait employé tous les moyens de la plus profonde perfidie jusqu'au 10 août, et maintenant encore, il affectait une feinte douceur pour ébranler ses juges et leur échapper.

C'est ainsi que les incertitudes si naturelles de Louis XVI se peignaient dans un esprit violent, qui voyait une perfidie forte et calculée là où il n'y avait que faiblesse et regret du passé. D'autres orateurs succèdent à Saint-Just, et on attend avec impatience que les Girondins prennent la parole. Ils ne s'étaient pas prononcés encore, et il était temps qu'ils s'expliquassent. On a déjà vu quelles étaient et leurs incertitudes, et leurs dispositions à s'émouvoir, et leur penchant à excuser dans Louis XVI une résistance qu'ils étaient plus capables de comprendre que leurs adversaires. Vergniaud convint devant quelques amis de l'attendrissement qu'il éprouvait. Sans être aussi touchés peut-être, les autres étaient tous disposés à s'intéresser à la victime, et dans cette situation, ils imaginèrent un moyen qui décèle leur émotion et l'embarras de leur position: ce moyen était l'appel au peuple. Se décharger d'une responsabilité dangereuse, et rejeter sur la nation le reproche de barbarie si le roi était condamné, ou celui de royalisme s'il était absous, tel était le but des girondins, et c'était un acte de faiblesse. Puisqu'ils étaient touchés à la vue de la profonde infortune de Louis XVI, ils devaient avoir le courage de le défendre eux-mêmes, et ne devaient pas provoquer la guerre civile en renvoyant aux quarante-quatre mille sections qui partageaient la France une question qui allait infailliblement mettre tous les partis en présence, et soulever les passions les plus furieuses. Il fallait se saisir fortement de l'autorité, avoir le courage d'en user soi-même, sans se décharger sur la multitude d'un soin dont elle était incapable, et qui eût exposé le pays à une confusion épouvantable. Ici, les girondins donnèrent à leurs adversaires un avantage immense, en les autorisant à répandre qu'ils fomentaient la guerre civile, et en faisant suspecter leur courage et leur franchise. Aussi ne manqua-t-on pas de dire chez les jacobins que ceux qui voulaient absoudre Louis XVI étaient plus francs et plus estimables que ceux qui voulaient en appeler au peuple. Mais telle est l'ordinaire conduite des partis modérés; se conduisant ici comme aux 2 et 3 septembre, les girondins hésitaient à se compromettre pour un roi qu'ils regardaient comme un ennemi, et qui, dans leur persuasion, avait voulu les détruire par le fer étranger; cependant, émus à la vue de cet ennemi vaincu, ils essayaient de le défendre, ils s'indignaient de la violence commise à son égard, et ils faisaient assez pour se perdre eux-mêmes, sans faire assez pour le sauver.

Salles, celui de tous qui se prêtait le mieux aux imaginations de Louvet, et qui même le surpassait dans la supposition de complots imaginaires, Salles proposa et soutint le premier le système de l'appel au peuple, dans la séance du 27. Livrant à tout le blâme des républicains la conduite de Louis XVI, et avouant qu'elle méritait toute la sévérité qu'on pourrait déployer, il fit observer cependant que ce n'était point une vengeance, mais un grand acte de politique que l'assemblée devait exercer; il soutint donc que c'était sous le point de vue de l'intérêt public que la question devait être jugée. Or, dans les deux cas, de l'absolution et de la condamnation, il voyait des inconvéniens énormes. L'absolution serait une cause éternelle de discorde, et le roi deviendrait un point de ralliement de tous les partis. Le souvenir de ses attentats serait constamment rappelé à l'assemblée pour lui reprocher son indulgence: cette impunité serait un scandale public qui provoquerait peut-être des révoltes populaires, et qui servirait de prétexte à tous les agitateurs. Les hommes atroces qui avaient déjà bouleversé l'état par leurs crimes, ne manqueraient pas de s'autoriser de cet acte de clémence pour commettre de nouveaux attentats, comme ils s'étaient autorisés de la lenteur des tribunaux pour exécuter les massacres de septembre. De toutes parts, enfin, on accuserait la convention de n'avoir pas eu le courage de terminer tant d'agitations, et de fonder la république par un exemple énergique et terrible.

Condamné, le roi léguerait à sa famille toutes les prétentions de sa race, et les léguerait à des frères plus dangereux, parce qu'ils étaient moins déconsidérés par leur faiblesse. Le peuple, ne voyant plus les crimes, mais le supplice, viendrait peut-être à s'apitoyer sur le sort du roi, et les factieux trouveraient encore dans cette disposition un moyen de l'irriter contre la convention nationale. Les souverains de l'Europe gardaient un morne silence, dans l'attente d'un événement qu'ils espéraient devoir soulever une indignation générale, mais dès que la tête du roi serait tombée, tous, profitant de ce prétexte, fondraient à la fois sur la France pour la déchirer. Peut-être alors la France, aveuglée par ses souffrances, reprocherait à la convention un acte qui lui aurait valu une guerre cruelle et désastreuse.

Telle est, disait Salles, la funeste alternative offerte à la convention nationale. Dans une situation pareille, c'est à la nation elle-même à se décider, et à fixer son sort en fixant celui de Louis XVI. Le danger de la guerre civile est chimérique, car la guerre civile n'a pas éclaté en convoquant les assemblées primaires pour nommer une convention qui devait décider du sort de la France, et on ne paraît pas la redouter davantage dans une occasion tout aussi grave, puisqu'on défère à ces mêmes assemblées primaires la sanction de la constitution. On objecte vainement les longueurs et les difficultés d'une nouvelle délibération dans quarante-quatre mille assemblées; car il ne s'agit pas de délibérer, mais de choisir sans discussions entre les deux propositions présentées par la convention. On posera ainsi la question aux assemblées primaires: Louis XVI sera-t-il puni de mort, ou détenu jusqu'à la paix? Et elles répondront par ces mots: Détenu, ou Mis à mort. Avec des courriers extraordinaires, la réponse peut être arrivée en quinze jours des extrémités les plus éloignées de la France.

Cette opinion avait été écoutée avec des dispositions très diverses. Serres, député des Hautes-Alpes, se rétracte de sa première opinion, qui était pour le jugement, et demande l'appel au peuple. Barbaroux combat la justification de Louis XVI, sans prendre de conclusions, car il n'osait absoudre contre le voeu de ses commettans, ni condamner contre celui de ses amis. Buzot se prononce pour l'appel au peuple; toutefois il modifie l'opinion de Salles, et demande que la convention prenne elle-même l'initiative en votant pour la mort, et en n'exigeant des assemblées primaires que la simple sanction de ce jugement. Rabaut Saint-Étienne, ce ministre protestant déjà distingué par ses talens dans la constituante, s'indigne de cette cumulation de pouvoirs qu'exerce la convention. «Quant à moi, dit-il, je suis las de ma portion de despotisme; je suis fatigué, harcelé, bourrelé de la tyrannie que j'exerce pour ma part, et je soupire après le moment où vous aurez créé un tribunal qui me fasse perdre les formes et la contenance d'un tyran…. Vous cherchez des raisons politiques; ces raisons sont dans l'histoire…. Ce peuple de Londres, qui avait tant pressé le supplice du roi, fut le premier à maudire ses juges et à se prosterner devant son successeur. Lorsque Charles II monta sur le trône, la ville lui donna un superbe repas, le peuple se livra à la joie la plus extravagante, et il courut assister au supplice de ces mêmes juges que Charles immola depuis aux mânes de son père. Peuple de Paris, parlement de France, m'avez-vous entendu?…»

Faure demande le rapport de tous les décrets portant la mise en jugement. Le sombre Robespierre reparaît enfin tout plein de colère et d'amertume. «Lui aussi, dit-il, avait été touché et avait senti chanceler dans son coeur la vertu républicaine, en présence du coupable humilié devant la puissance souveraine. Mais la dernière preuve de dévouement qu'on devait à la patrie, c'était d'étouffer tout mouvement de sensibilité.» Il répète alors tout ce qui a été dit sur la compétence de la convention, sur les délais éternels apportés à la vengeance nationale, sur les ménagemens gardés envers le tyran, tandis qu'on attaque sans aucune espèce de réserve les plus chauds amis de la liberté; il prétend que cet appel au peuple n'est qu'une ressource semblable à celle qu'avait imaginée Guadet, en demandant le scrutin épuratoire; que cette ressource perfide avait pour but de remettre tout en question, et la députation actuelle, et le 10 août, et la république elle-même. Ramenant toujours la question à lui-même et à ses ennemis, il compare la situation actuelle à celle de juillet 1791, lorsqu'il s'agissait de juger Louis XVI pour sa fuite à Varennes. Robespierre y avait joué un rôle important. Il rappelle et ses dangers, et les efforts heureux de ses adversaires pour replacer Louis XVI sur le trône, et la fusillade du Champ-de-Mars qui s'en était suivie, et les périls que Louis XVI, replacé sur le trône, avait fait courir à la chose publique. Il signale perfidement ses adversaires d'aujourd'hui comme étant les mêmes que ses adversaires d'autrefois; il se présente comme exposé, et la France avec lui, au même danger qu'alors, et toujours par les intrigues de ces fripons qui s'appellent exclusivement les honnêtes gens. «Aujourd'hui, ajoute Robespierre, ils se taisent sur les plus grands intérêts de la patrie; ils s'abstiennent de prononcer leur opinion sur le dernier roi; mais leur sourde et pernicieuse activité produit tous les troubles qui agitent la patrie, et pour égarer la majorité saine, mais souvent trompée, ils poursuivent les plus chauds patriotes sous le titre de minorité factieuse. La minorité, s'écrie-t-il, se changea souvent en majorité, en éclairant les assemblées trompées. La vertu fut toujours en minorité sur la terre! Sans cela la terre serait-elle peuplée de tyrans et d'esclaves? Ils expirèrent sur un échafaud. Les Critias, les Anitus, les César, les Clodius, étaient de la majorité, mais Socrate était de la minorité, car il avala la ciguë; Caton était de la minorité, car il déchira ses entrailles.» Robespierre recommande ensuite le calme au peuple pour ôter tout prétexte à ses adversaires, qui présentent de simples applaudissemens donnés à ses députés fidèles comme une rébellion. «Peuple, s'écrie-t-il, garde tes applaudissemens, fuis le spectacle de nos débats! Loin de tes yeux nous n'en combattrons pas moins.» Il termine enfin en demandant que Louis XVI soit sur-le-champ déclaré coupable et condamné à mort.

Les orateurs se succèdent le 28, le 29, et jusqu'au 31. Vergniaud prend enfin la parole pour la première fois, et on écoute avec un empressement extraordinaire les girondins s'exprimant par la bouche de leur plus grand orateur, et rompant un silence dont Robespierre n'était pas le seul à les accuser.

Vergniaud développe d'abord le principe de la souveraineté du peuple, et distingue les cas où les représentans doivent s'adresser à elle. Il serait trop long, trop difficile de recourir à un grand peuple pour tous les actes législatifs; mais pour certains actes d'une haute importance, il en est tout autrement. La constitution, par exemple, a été d'avance destinée à la sanction nationale. Mais cet objet n'est pas le seul qui mérite une sanction extraordinaire. Le jugement de Louis a de si graves caractères, soit par la cumulation de pouvoirs qu'exerce l'assemblée, soit par l'inviolabilité qui avait été constitutionnellement accordée au monarque, soit enfin par les effets politiques qui doivent résulter d'une condamnation, qu'on ne saurait contester sa haute importance, et la nécessité de le soumettre au peuple lui-même. Après avoir développé ce système, Vergniaud, qui réfute particulièrement Robespierre, arrive enfin aux inconvéniens politiques de l'appel au peuple, et touche à toutes les grandes questions qui divisent les deux partis.

Il s'occupe d'abord des discordes qu'on redoute de voir éclater si on renvoie au peuple la sanction du jugement du roi. Il reproduit les raisons données par d'autres girondins, et soutient que si l'on ne craignait pas la guerre civile en réunissant les assemblées primaires pour sanctionner la constitution, il ne voyait pas pourquoi on la redouterait en les réunissant pour sanctionner le jugement du roi. Cette raison, souvent répétée, était de peu de valeur, car la constitution n'était pas la véritable question de la révolution, elle ne pouvait être que le règlement détaillé d'une institution déjà décrétée et consentie, la république. Mais la mort du roi étant une question formidable, il s'agissait de savoir si, en procédant par la voie de mort contre la royauté, la révolution romprait sans retour avec le passé, et marcherait par les vengeances et une énergie inexorable au but qu'elle se proposait. Or, si une question aussi terrible divisait déjà si fortement la convention et Paris, il y avait le plus grand danger à la proposer encore aux quarante-quatre mille sections du territoire français. Dans tous les théâtres, dans toutes les sociétés populaires, on disputait tumultueusement, et il fallait que la convention eût la force de décider elle-même la question, pour ne pas la livrer à la France, qui l'eût peut-être résolue par les armes.

Vergniaud, partageant à cet égard l'opinion de ses amis, soutient que la guerre civile n'est pas à craindre. Il dit que dans les départemens les agitateurs n'ont pas acquis la prépondérance qu'une lâche faiblesse leur a laissé usurper à Paris, qu'ils ont bien parcouru la surface de la république, mais qu'ils n'y ont trouvé partout que le mépris, et qu'on a donné le plus grand exemple d'obéissance à la loi, en respectant le sang impur qui coulait dans leurs veines. Il réfute ensuite les craintes qu'on a exprimées sur la véritable majorité qu'on a dit être composée d'intrigans, de royalistes, d'aristocrates; il s'élève contre cette orgueilleuse assertion que la vertu était en minorité sur la terre. «Citoyens, s'écrie-t-il, Catilina fut en minorité dans le sénat romain, et si cette minorité eût prévalu, c'en était fait de Rome, du sénat et de la liberté. Dans l'assemblée constituante, Maury, Cazalès, furent en minorité, et s'ils avaient prévalu, c'en était fait de vous! Les rois aussi sont en minorité sur la terre; et pour enchaîner les peuples, ils disent aussi que la vertu est en minorité! ils disent aussi que la majorité des peuples est composée d'intrigans auxquels il faut imposer silence par la terreur, si l'on veut préserver les empires d'un bouleversement général.»

Vergniaud demande si, pour faire une majorité conforme aux voeux de certains hommes, il faut employer le bannissement et la mort, changer la France en désert, et la livrer ainsi aux conceptions de quelques scélérats.

Après avoir vengé la majorité et la France, il se venge lui-même et ses amis, qu'il montre résistant toujours, et avec un égal courage, à tous les despotismes, celui de la cour et celui des brigands de septembre. Il les montre pendant la journée du 10 août, siégeant au bruit du canon du château, prononçant la déchéance avant la victoire du peuple, tandis, que ces Brutus, si pressés aujourd'hui d'égorger les tyrans abattus, cachaient leurs frayeurs dans les entrailles de la terre, et attendaient ainsi l'issue du combat incertain que la liberté livrait au despotisme.

Il rejette ensuite sur ses adversaires le reproche de provoquer à la guerre civile. «Oui, dit-il, ils veulent la guerre civile ceux qui, en prêchant l'assassinat contre les partisans de la tyrannie, appliquent ce nom à toutes les victimes que leur haine veut immoler; ceux qui appellent les poignards sur les représentais du peuple, et demandent la dissolution du gouvernement et de la convention; ceux qui veulent que la minorité devienne arbitre de la majorité, qu'elle puisse légitimer ses jugemens par des insurrections, et que les Catilina soient appelés à régner dans le sénat. Ils veulent la guerre civile, ceux qui prêchent ces maximes dans tous les lieux publics, et pervertissent le peuple en accusant la raison de feuillantisme, la justice de pusillanimité, et la sainte humanité de conspiration.

«La guerre civile, s'écrie l'orateur, pour avoir invoqué la souveraineté du peuple!… Cependant en juillet 1791 vous étiez plus modestes, vous ne vouliez pas la paralyser et régner à sa place. Vous faisiez courir une pétition pour consulter le peuple sur le jugement à rendre contre Louis revenu de Varennes! Alors vous vouliez de la souveraineté du peuple, et vous ne pensiez pas que l'invoquer pût exciter la guerre civile! Serait-ce qu'alors elle favorisait vos vues secrètes, et qu'aujourd'hui elle les contrarie?»

L'orateur passe ensuite à d'autres considérations. On a dit que l'assemblée devait montrer assez de grandeur et de courage pour faire exécuter elle-même son jugement sans s'appuyer de l'avis du peuple. «Du courage, dit-il, il en fallait pour attaquer Louis XVI dans sa toute-puissance; en faut-il tant pour envoyer au supplice Louis vaincu et désarmé? Un soldat cimbre entre dans la prison de Marius pour l'égorger; effrayé à l'aspect de la victime, il s'enfuit sans oser la frapper. Si ce soldat avait été membre d'un sénat, doutez-vous qu'il eût hésité à voter la mort d'un tyran? Quel courage trouvez-vous à faire un acte dont un lâche serait capable?»

Il parle encore d'un autre genre de courage, de celui qu'il faut déployer contre les puissances étrangères. «Puisqu'on parle continuellement, dit-il, d'un grand acte politique, il n'est pas inutile d'examiner la question sous ce rapport. Il n'est pas douteux que les puissances n'attendent ce dernier prétexte pour fondre toutes ensemble sur la France. On les vaincra sans doute; l'héroïsme des soldats français en est un sûr garant: mais ce sera un surcroît de dépenses, d'efforts de tout genre. Si la guerre force à de nouvelles émissions d'assignats, qui feront croître dans une proportion effrayante le prix des denrées de première nécessité; si elle porte de nouvelles et mortelles atteintes au commerce; si elle fait verser des torrens de sang sur le continent et sur les mers, quels si grands services aurez-vous rendus à l'humanité? Quelle reconnaissance vous devra la patrie pour avoir fait en son nom, et au mépris de sa souveraineté méconnue, un acte de vengeance devenu la cause ou seulement le prétexte d'événemens si calamiteux? J'écarte, s'écrie l'orateur, toute idée de revers, mais oserez-vous lui vanter vos services? Il n'y aura pas une famille qui n'ait à pleurer ou son père ou son fils; l'agriculture manquera bientôt de bras; les ateliers seront abandonnés; vos trésors écoulés appelleront de nouveaux impôts; le corps social, fatigué des assauts que lui livreront au dehors les ennemis armés, au dedans les factions soulevées, tombera dans une langueur mortelle. Craignez qu'au milieu de ces triomphes, la France ne ressemble à ces monumens fameux qui, dans l'Egypte, ont vaincu le temps: l'étranger qui passe s'étonne de leur grandeur; s'il veut y pénétrer, qu'y trouve-t-il? Des cendres inanimées, et le silence des tombeaux.»

Après ces craintes, il en est d'autres qui se présentent encore à l'esprit de Vergniaud; elles lui sont suggérées par l'histoire anglaise, et par la conduite de Cromwell, auteur principal, mais caché, de la mort de Charles Ier. Celui-ci, poussant toujours les peuples, d'abord contre le roi, puis contre le parlement lui-même, brisa ensuite son faible instrument, et s'assit au suprême pouvoir. «N'avez-vous pas, ajoute Vergniaud, n'avez-vous pas entendu, dans cette enceinte et ailleurs, des hommes crier: Si le pain est cher, la cause en est au Temple; si le numéraire est rare, si nos armées sont mal approvisionnées, la cause en est au Temple; si nous avons à souffrir chaque jour du spectacle de l'indigence, la cause en est au Temple!

«Ceux qui tiennent ce langage n'ignorent pas cependant que la cherté du pain, le défaut de circulation des subsistances, la mauvaise administration dans les armées, et l'indigence dont le spectacle nous afflige, tiennent à d'autres causes que celles du Temple. Quels sont donc leurs projets? Qui me garantira que ces mêmes hommes qui s'efforcent continuellement d'avilir la convention, et qui peut-être y auraient réussi si la majesté du peuple, qui réside en elle, pouvait dépendre de leurs perfidies; que ces mêmes hommes qui proclament partout qu'une nouvelle révolution est nécessaire; qui font déclarer telle ou telle section en état d'insurrection permanente; qui disent à la commune que, lorsque la convention a succédé à Louis, on n'a fait que changer de tyrans, et qu'il faut une autre journée du 10 août; que ces mêmes hommes qui ne parlent que de complots, de mort, de traîtres, de proscriptions; qui publient dans les assemblées de sections et dans leurs écrits qu'il faut nommer un défenseur à la république, qu'il n'y a qu'un chef qui puisse la sauver; qui me garantira, dis-je, que ces mêmes hommes ne crieront pas, après la mort de Louis, avec la plus grande violence: Si le pain est cher, la cause en est dans la convention; si le numéraire est rare, si nos armées sont mal approvisionnées, la cause en est dans la convention; si la machine du gouvernement se traîne avec peine, la cause en est dans la convention chargée de la diriger; si les calamités de la guerre se sont accrues par les déclarations de l'Angleterre et de l'Espagne, la cause en est dans la convention, qui a provoqué ces déclarations par la condamnation précipitée de Louis?

«Qui me garantira qu'à ces cris séditieux de la turbulence anarchique ne viendront pas se rallier l'aristocratie avide de vengeance, la misère avide de changement, et jusqu'à la pitié, que des préjugés invétérés auront excitée sur le sort de Louis? Qui me garantira que de cette tempête où l'on verra ressortir de leurs repaires les tueurs du 2 septembre, on ne vous présentera pas tout couvert de sang, et comme un libérateur, ce défenseur, ce chef qu'on dit être si nécessaire? un chef! ah! si telle était leur audace, il ne paraîtrait que pour être à l'instant percé de mille coups! Mais à quelles horreurs ne serait pas livré Paris! Paris, dont la postérité admirera le courage héroïque contre les rois, et ne concevra jamais l'ignominieux asservissement à une poignée de brigands, rebut de l'espèce humaine, qui s'agitent dans son sein et le déchirent en tous sens par les mouvemens convulsifs de leur ambition et de leur fureur! Qui pourrait habiter une cité où régneraient la terreur et la mort? Et vous, citoyens industrieux, dont le travail fait toute la richesse, et pour qui les moyens de travail seraient détruits; vous qui avez fait de si grands sacrifices à la révolution, et à qui on enlèverait les derniers moyens d'existence; vous dont les vertus, le patriotisme ardent et la bonne foi ont rendu la séduction si facile, que deviendriez-vous? quelles seraient vos ressources? quelles mains essuieraient vos larmes et porteraient des secours à vos familles désespérées?

«Irez-vous trouver ces faux amis, ces perfides flatteurs qui vous auraient précipités dans l'abîme? Ah! fuyez-les plutôt! redoutez leur réponse! je vais vous l'apprendre. Vous leur demanderiez du pain; ils vous diraient: Allez dans les carrières disputer à la terre quelques lambeaux, sanglans des victimes que vous avez égorgées! Ou: Voulez-vous du sang? Prenez, en voici! du sang et des cadavres, nous n'avons pas d'autre nourriture à vous offrir!… Vous frémissez, citoyens! O ma patrie, je demande acte à mon tour des efforts que je fais pour te sauver de cette crise déplorable!»

L'improvisation de Vergniaud avait produit sur ses auditeurs de tous les côtés une impression profonde et une admiration générale. Robespierre avait été atterré sous cette franche et entraînante éloquence. Cependant Vergniaud avait ébranlé, mais n'avait pas entraîné l'assemblée, qui hésitait entre les deux partis. Plusieurs orateurs furent successivement entendus pour ou contre l'appel au peuple. Brissot, Gensonné, Pétion, le soutinrent à leur tour. Enfin un orateur eut sur la question une influence décisive; ce fut Barrère. Par sa souplesse, son éloquence évasive et froide, il était le modèle et l'oracle du milieu. Il parla longuement sur le procès, l'envisagea sous tous les rapports, des faits, des lois et de la politique, et fournit des motifs de condamnation à tous les faibles qui ne demandaient que des raisons spécieuses pour céder. Sa médiocre argumentation servit de prétexte à tous ceux qui tremblaient, et dès cet instant le malheureux roi fut condamné. La discussion s'était prolongée jusqu'au 7 janvier 1793, et déjà personne ne voulait plus entendre cette éternelle répétition des mêmes faits et des mêmes raisonnements. La clôture fut prononcée sans opposition; mais la proposition d'un nouvel ajournement excita un soulèvement des plus violens, et fut enfin décidée par un décret qui fixa la position des questions, et l'appel nominal au 14 janvier.

Ce jour fatal arrivé, un concours extraordinaire de spectateurs entourait l'assemblée et remplissait les tribunes. Une foule d'orateurs se pressent pour proposer différentes manières de poser les questions. Enfin, après de longs débats, la convention renferme toutes les questions dans les trois suivantes:

Louis Capet est-il coupable de conspiration contre la liberté de la nation, et d'attentats contre la sûreté générale de l'état?

Le jugement, quel qu'il soit, sera-t-il envoyé à la sanction du peuple?

Quelle peine lui sera-t-il infligé?

Toute la journée du 14 avait été occupée à poser les questions. Celle du 15 fut réservée à l'appel nominal. L'assemblée décida d'abord que chaque membre prononcerait son vote à la tribune; que ce vote pourrait être motivé, et serait écrit et signé; que les absens sans cause seraient censurés, mais que ceux qui rentreraient pourraient émettre leur voeu, même après l'appel nominal. Enfin ce fatal appel commence sur la première question. Huit membres sont absens pour cause de maladie, vingt par commission de l'assemblée. Trente-sept, en motivant leurs votes de diverses manières, reconnaissent Louis XVI coupable, mais se déclarent incompétens pour prononcer un jugement, et ne demandent contre lui que des mesures de sûreté générale. Enfin six cent quatre-vingt-trois membres déclarent sans explication Louis XVI coupable. L'assemblée se composait de sept cent quarante-neuf membres.

Le président, au nom de la convention nationale, déclare Louis Capet coupable de conspiration contre la liberté de la nation, et d'attentats contre la sûreté générale de l'état.

L'appel nominal recommence sur la seconde question, celle de l'appel au peuple. Vingt-neuf membres sont absens. Quatre, lesquels sont Lafon, Waudelaincourt, Morisson et Lacroix, refusent de voter. Le nommé Noël se récuse. Onze donnent leur opinion avec différentes conditions. Deux cent quatre-vingt-un votent pour l'appel au peuple; quatre cent vingt-trois le rejettent. Le président déclare, au nom de la convention nationale, que le jugement de Louis Capet ne sera pas envoyé à la ratification du peuple.

La journée du 15 avait été absorbée tout entière par ces deux appels nominaux, la troisième fut renvoyée à la séance du lendemain.

L'agitation augmentait dans Paris à mesure que l'instant décisif s'approchait. Aux théâtres, des voix favorables à Louis XVI s'étaient fait entendre, à l'occasion de la pièce de l'Ami des lois. La commune avait ordonné la suspension de tous les spectacles, mais le conseil exécutif avait révoqué cette mesure comme attentatoire à la liberté de la presse, dans laquelle on comprenait la liberté du théâtre. Dans les prisons, il régnait une consternation profonde. On avait répandu que les épouvantables journées de septembre devaient s'y renouveler, et les prisonniers, leurs parens, assiégeaient les députés de supplications, pour qu'on les arrachât à la mort. Les jacobins, de leur côté, disaient que de toutes parts on conspirait pour soustraire Louis XVI au supplice, et pour rétablir la royauté. Leur colère, excitée par les délais et les obstacles, en devenait plus menaçante, et les deux partis s'effrayaient ainsi l'un l'autre, en se supposant des projets sinistres. La séance du 16 avait excité un concours encore plus considérable que les précédentes. C'était la séance décisive, car la déclaration de la culpabilité n'était rien si Louis XVI était condamné au simple bannissement, et le but de ceux qui voulaient son salut était rempli, puisque tout ce qu'ils pouvaient attendre dans le moment, c'était de l'arracher à l'échafaud. Les tribunes avaient été envahies de bonne heure par les jacobins, et leurs regards étaient fixés sur le bureau où chaque membre allait paraître pour déposer son vote. Une grande partie du jour est consacrée à des mesures d'ordre public, à appeler les ministres, à les entendre, à provoquer des explications de la part du maire, sur la clôture des barrières, qu'on disait avoir été fermées pendant la journée. La convention décrète qu'elles resteront ouvertes, et que les fédérés présens à Paris partageront avec les Parisiens le service de la ville et de tous les établissemens publics. Comme la journée était avancée, on décide que la séance sera permanente jusqu'à la fin de l'appel nominal. A l'instant où l'appel nominal allait commencer, on demande à fixer à quel nombre de voix l'arrêt doit être rendu. Lehardy propose les deux tiers des voix, comme dans les tribunaux criminels. Danton, qui venait d'arriver de Belgique, s'y oppose fortement, et requiert la simple majorité, c'est-à-dire la moitié des voix plus une. Lanjuinais s'expose à de nouveaux orages, en demandant qu'après tant de violations des formes de la justice, on observe au moins celle qui exige les deux tiers des suffrages. «Nous votons, s'écrie-t-il, sous le poignard et le canon des factieux!» A ces mots, de nombreux cris s'élèvent, et la convention termine le débat en déclarant que la forme de ses décrets est unique, et que, d'après cette forme, ils sont tous rendus à la simple majorité.

Il est sept heures et demie du soir, et l'appel nominal commence pour durer toute la nuit. Les uns prononcent simplement la mort; les autres se déclarent pour la détention et le bannissement à la paix; un certain nombre vote la mort avec une restriction, c'est d'examiner s'il ne serait pas convenable de surseoir à l'exécution. Mailhe était l'auteur de cette restriction, qui pouvait sauver Louis XVI, car le temps était tout ici, et un délai équivalait à une absolution. Un assez grand nombre de députés s'étaient rangés à cet avis. L'appel continue au milieu du tumulte. Dans ce moment, l'intérêt qu'avait inspiré Louis XVI était parvenu à son comble, et beaucoup de membres étaient arrivés avec l'intention de voter en sa faveur; mais d'autre part aussi, l'acharnement de ses ennemis s'était accru, et le peuple avait fini par identifier la cause de la république avec la mort du dernier roi, et regardait la république comme condamnée, et la royauté comme rétablie, si Louis XVI était sauvé. Effrayés de la fureur que soulevait cette conviction populaire, beaucoup de membres redoutaient la guerre civile, et, quoique fort émus du sort de Louis XVI, étaient épouvantés des suites d'un acquittement. Cette crainte devenait plus grande à la vue de l'assemblée et de la scène qui s'y passait. A mesure que chaque député montait l'escalier du bureau, on se taisait pour l'entendre, mais après son vote les mouvemens d'approbation et d'improbation s'élevaient aussitôt, et accompagnaient son retour. Les tribunes accueillaient par des murmures tout vote qui n'était point pour la mort; souvent elles adressaient à l'assemblée elle-même des gestes menaçans. Les députés y répondaient de l'intérieur de la salle, et il en résultait un échange tumultueux de menaces et de paroles injurieuses. Cette scène sombre et terrible avait ébranlé toutes les âmes et changé bien des résolutions. Lecointre de Versailles, dont le courage n'était point douteux, et qui n'avait cessé de gesticuler contre les tribunes, arrive au bureau, hésite, et laisse tomber de sa bouche le mot inattendu et terrible: La mort. Vergniaud, qui avait paru profondément touché du sort de Louis XVI, et qui avait déclaré à des amis que jamais il ne pourrait condamner ce malheureux prince, Vergniaud, à l'aspect de cette scène désordonnée, croit voir la guerre civile en France, et prononce un arrêt de mort, en y ajoutant néanmoins l'amendement de Mailhe. On l'interroge sur son changement d'opinion, et il répond qu'il a cru voir la guerre civile prête à éclater, et qu'il n'a pas osé mettre en balance la vie d'un individu avec le salut de la France.

Presque tous les girondins adoptèrent l'amendement de Mailhe. Un député dont le vote excita surtout une vive sensation, fut le duc d'Orléans. Obligé de se rendre supportable aux jacobins ou de périr, il prononça la mort de son parent, et retourna à sa place au milieu de l'agitation causée par son vote. Cette triste séance dura toute la nuit du 16, et toute la journée du 17, jusqu'à sept heures du soir. On attendait le recensement des voix avec une impatience extraordinaire. Les avenues étaient remplies d'une foule immense, au milieu de laquelle on se demandait de proche en proche le résultat du scrutin. Dans l'assemblée on était incertain encore, et on croyait avoir entendu les mots de réclusion ou de bannissement proférés aussi souvent que celui la mort. Suivant les uns, il manquait un suffrage pour la condamnation; suivant les autres, la majorité existait, mais elle n'était que d'une seule voix. De toutes parts enfin, on disait qu'un seul avis pouvait décider la question, et on regardait avec anxiété si un votant nouveau n'arrivait pas. En ce moment parait à la tribune un homme qui s'avance, avec peine, et dont la tête enveloppée annonce un malade. C'est Duchastel, député des Deux-Sèvres, qui s'est arraché de son lit pour venir donner son vote. A cette vue, des cris tumultueux s'élèvent. On prétend que des machinateurs sont allés le chercher pour sauver Louis XVI. On veut l'interroger, mais l'assemblée s'y refuse, et lui donne la faculté de voter en vertu de la décision qui admettait le suffrage après l'appel nominal. Duchastel monte avec fermeté à la tribune, et au milieu de l'attente universelle prononce le bannissement.

De nouveaux incidens se succèdent. Le ministre des affaires étrangères demande la parole pour communiquer une note du chevalier d'Ocariz, ambassadeur d'Espagne. Il offrait la neutralité de l'Espagne, et sa médiation auprès de toutes les puissances, si on laissait la vie à Louis XVI. Les montagnards impatiens prétendent que c'est un incident combiné pour faire naître de nouveaux obstacles, et demandent l'ordre du jour. Danton veut que sur-le-champ on déclare la guerre à l'Espagne. L'assemblée adopte l'ordre du jour. On annonce ensuite une nouvelle demande: ce sont les défenseurs de Louis XVI qui veulent paraître devant l'assemblée pour lui faire une communication. Nouveaux cris du côté de la Montagne. Robespierre prétend que toute défense est terminée, que les conseils n'ont plus rien à faire entendre à la convention, que l'arrêt est rendu, et qu'il faut prononcer. On décide que les défenseurs ne seront introduits qu'après la prononciation de l'arrêt.

Vergniaud présidait. «Citoyens, dit-il, je vais proclamer le résultat du scrutin. Vous garderez, je l'espère, un profond silence. Quand la justice a parlé, l'humanité doit avoir son tour.»

L'assemblée était composée de sept cent quarante-neuf membres: quinze étaient absens par commission, huit par maladie, cinq n'avaient pas voulu voter, ce qui réduisait le nombre des députés présens à sept cent vingt-un, et la majorité absolue à trois cent soixante-une voix. Deux cent quatre-vingt-six avaient voté pour la détention ou le bannissement avec différentes conditions. Deux avaient voté pour les fers; quarante-six pour la mort avec sursis, soit jusqu'à la paix, soit jusqu'à la ratification de la constitution. Vingt-six s'étaient prononcés pour la mort, mais, comme Mailhe, ils avaient demandé qu'il fût examiné s'il ne serait pas utile de surseoir à l'exécution. Leur vote était néanmoins indépendant de cette dernière clause. Trois cent soixante-un avaient voté pour la mort sans condition.

Le président, avec l'accent de la douleur, déclare au nom de la convention que la peine prononcée contre Louis Capet est la mort.

Dans ce moment, on introduit à la barre les défenseurs de Louis XVI. M. Desèze prend la parole, et dit qu'il est envoyé par son client pour interjeter appel auprès du peuple du jugement rendu par la convention. Il s'appuie sur le petit nombre de voix qui ont décidé la condamnation, et soutient que, puisque de tels doutes se sont élevés dans les esprits, il convient d'en référer à la nation elle-même. Tronchet ajoute que le code pénal ayant été suivi quant à la sévérité de la peine, on aurait dû le suivre au moins quant à l'humanité des formes; et que celle qui exige les deux tiers des voix n'aurait pas dû être négligée. Le vénérable Malesherbes parle à son tour, et, d'une voix entrecoupée par des sanglots: «Citoyens, dit-il, je n'ai pas l'habitude de la parole… Je vois avec douleur qu'on me refuse le temps de rallier mes idées sur la manière de compter les voix… J'ai beaucoup réfléchi autrefois sur ce sujet; j'ai beaucoup d'observations à vous communiquer… mais… Citoyens… pardonnez mon trouble… accordez-moi jusqu'à demain pour vous présenter mes idées.»

L'assemblée est émue à la vue des larmes et des cheveux blanchis de ce vénérable vieillard, «Citoyens, dit Vergniaud aux trois défenseurs, la convention a entendu vos réclamations; elles étaient pour vous un devoir sacré. Veut-on, ajoute-t-il en s'adressant à l'assemblée, décerner les honneurs de la séance aux défenseurs de Louis?»—Oui, oui, s'écrie-t-on à l'unanimité.

Robespierre prend aussitôt la parole, et rappelant le décret rendu contre l'appel au peuple, repousse la demande des défenseurs. Guadet veut que, sans admettre l'appel au peuple, on accorde vingt-quatre heures à Malesherbes. Merlin de Douai soutient qu'il n'y a rien à dire sur la manière de compter les voix, car, si le code pénal qu'on invoque exige les deux tiers des voix pour la déclaration du fait, il n'exige que la simple majorité pour l'application de la peine. Or, dans le cas actuel, la culpabilité a été déclarée à la presque unanimité des voix; et dès lors peu importe que pour la peine on n'ait obtenu que la simple majorité.

D'après ces diverses observations, la convention passe à l'ordre du jour sur les réclamations des défenseurs, déclare nul l'appel de Louis, et renvoie au lendemain la question du sursis. Le lendemain 18, on prétend que l'énumération des votes ne s'est pas faite exactement, et on demande qu'elle soit recommencée. Toute la journée se passe en contestations; enfin le calcul est reconnu exact, et on est obligé de remettre au jour suivant la question du sursis.

Le 19 enfin, on agite cette dernière question. C'était remettre en problème tout le procès, car un délai était pour Louis XVI la vie même. Aussi, après avoir épuisé toutes les raisons, en discutant la peine et l'appel, les girondins et ceux qui voulaient sauver Louis XVI ne savaient plus quels moyens employer; ils alléguèrent encore des raisons politiques; mais on leur répondit que si Louis XVI était mort, on s'armerait pour le venger; que s'il était vivant et détenu, on s'armerait encore pour le délivrer, et que par conséquent les résultats seraient les mêmes. Barrère prétendit qu'il était indigne de promener ainsi une tête dans les cours étrangères, et de stipuler la vie ou la mort d'un condamné comme un article de traité. Il ajouta que ce serait une cruauté pour Louis XVI lui-même, qui mourrait à chaque mouvement des armées. L'assemblée, fermant aussitôt la discussion, décida que chaque membre voterait par oui ou par non sans désemparer. Le 20 janvier à trois heures du matin, l'appel nominal est terminé, et le président déclare à la majorité de trois cent quatre-vingts voix sur trois cent dix, qu'il ne sera pas sursis à l'exécution de Louis Capet.

Dans cet instant il arrive une lettre de Kersaint. Ce député donne sa démission. Il ne peut plus, dit-il à l'assemblée, supporter la honte de s'asseoir dans son enceinte avec des hommes de sang, alors que leur avis, précédé de la terreur, l'emporte sur celui des gens de bien, alors que Marat l'emporte sur Pétion. Cette lettre cause une rumeur extraordinaire. Gensonné prend la parole et choisit cette occasion de se venger sur les septembriseurs du décret de mort qu'on venait de rendre. «Ce n'était rien, disait-il, que d'avoir puni les attentats de la tyrannie, si on ne punissait d'autres attentats plus redoutables. On n'avait rempli que la moitié de sa tâche, si on ne punissait pas les forfaits de septembre, et si on n'ordonnait pas une instruction contre leurs auteurs.» A cette proposition, la plus grande partie de l'assemblée se lève avec acclamation. Marat et Tallien s'opposent à ce mouvement. «Si vous punissez, s'écrient-ils, les auteurs de septembre punissez aussi les conspirateurs qui étaient retranchés au château dans la journée du 10 août.» Aussitôt l'assemblée, accueillant toutes ces demandes, ordonne au ministre de la justice de poursuivre tout à la fois les auteurs des brigandages commis dans les premiers jours de septembre, les individus trouvés les armes à la main dans le château pendant la nuit du 9 au 10, et les fonctionnaires qui avaient quitté leur poste pour venir à Paris conspirer avec la cour.

Louis XVI était définitivement condamné, aucun sursis ne pouvait différer le moment de la sentence, et tous les moyens imaginés pour reculer l'instant fatal étaient épuisés. Tous les membres du côté droit, les royalistes secrets comme les républicains, étaient également consternés et de cette sentence cruelle, et de l'ascendant que venait d'acquérir la Montagne. Dans Paris régnait une stupeur profonde; l'audace du nouveau gouvernement avait produit l'effet ordinaire de la force sur les masses; elle avait paralysé, réduit au silence le plus grand nombre, et excité seulement l'indignation de quelques âmes plus fortes. Il y avait encore quelques anciens serviteurs de Louis XVI, quelques jeunes seigneurs, quelques gardes-du-corps, qui se proposaient, dit-on, de voler au secours du monarque et de l'arracher au supplice. Mais se voir, s'entendre, se concerter au milieu de la terreur profonde des uns, et de la surveillance active des autres, était impraticable, et tout ce qui était possible, c'était de tenter quelques actes isolés de désespoir. Les jacobins, charmés de leur triomphe, en étaient cependant étonnés, et ils se recommandaient de se tenir serrés pendant les dernières vingt-quatre heures, d'envoyer des commissaires à toutes les autorités, à la commune, à l'état-major de la garde nationale, au département, au conseil exécutif, pour réveiller leur zèle, et assurer l'exécution de l'arrêt. Ils se disaient que cette exécution aurait lieu, qu'elle était infaillible; mais au soin qu'ils mettaient à le répéter, on voyait qu'ils n'y croyaient pas entièrement. Ce supplice d'un roi, au sein d'un pays, qui trois années auparavant était, par les moeurs, les usages et les lois, une monarchie absolue, paraissait encore douteux, et ne devenait croyable qu'après l'événement.

Le conseil exécutif était chargé de la douloureuse mission de faire exécuter la sentence. Tous les ministres étaient réunis dans la salle de leurs séances, frappés de consternation. Garat, comme ministre de la justice, était chargé du plus pénible de tous les rôles, celui d'aller signifier à Louis XVI les décrets de la convention. Il se rend au Temple, accompagné de Santerre, d'une députation de la commune et du tribunal criminel, et du secrétaire du conseil exécutif. Louis XVI attendait depuis quatre jours ses défenseurs, et demandait en vain à les voir. Le 20 janvier, à deux heures après midi, il les attendait encore, lorsque tout à coup il entend le bruit d'un cortège nombreux; il s'avance, il aperçoit les envoyés du conseil exécutif. Il s'arrête avec dignité sur la porte de sa chambre, et ne paraît point ému. Garat lui dit alors avec tristesse qu'il est chargé de lui communiquer les décrets de la convention. Grouvelle, secrétaire du conseil exécutif, en fait la lecture. Le premier déclare Louis XVI coupable d'attentat contre la sûreté générale de l'état; le second le condamne à mort; le troisième rejette tout appel au peuple; le quatrième enfin ordonne l'exécution sous vingt-quatre heures. Louis, promenant sur tous ceux qui l'entouraient un regard tranquille, prend l'arrêt des mains de Grouvelle, l'enferme dans sa poche, et lit à Garat une lettre dans laquelle il demandait à la convention trois jours pour se préparer à mourir, un confesseur pour l'assister dans ses derniers momens, la faculté de voir sa famille, et la permission pour elle de sortir de France. Garat prit la lettre en promettant d'aller la remettre de suite à la convention. Le roi lui donna en même temps l'adresse de l'ecclésiastique dont il désirait recevoir les derniers secours.

Louis XVI rentra avec beaucoup de calme, demanda à dîner, et mangea comme à l'ordinaire. On avait retiré les couteaux, et on refusait de les lui donner. «Me croit-on assez lâche, dit-il avec dignité, pour attenter à ma vie? je suis innocent, et je saurai mourir sans crainte.» Il fut obligé de se passer de couteau. Il acheva son repas, rentra dans son appartement, et attendit avec sang-froid la réponse à sa lettre.

La convention refusa le sursis, mais accorda toutes les autres demandes. Garat envoya chercher M. Edgeworth de Firmont, l'ecclésiastique dont Louis XVI avait fait choix; il le fit monter dans sa voiture, et le conduisit lui-même au Temple. Il arriva à six heures, et se présenta dans la grande tour accompagné de Santerre. Il apprit au roi que la convention lui permettait d'appeler un ministre du culte, et de voir sa famille sans témoins, mais qu'elle rejetait la demande d'un sursis.

Garat ajouta que M. Edgeworth était arrivé, qu'il était dans la salle du conseil, et qu'on allait l'introduire. Garat se retira, toujours plus surpris et plus touché de la tranquille magnanimité du prince.

A peine introduit auprès du roi, M. Edgeworth voulut se jeter à ses pieds, mais le roi le releva aussitôt, et versa avec lui des larmes d'attendrissement. Il lui demanda ensuite avec une vive curiosité des nouvelles du clergé de France, de plusieurs évêques, et surtout de l'archevêque de Paris, et le pria d'assurer ce dernier qu'il mourait fidèlement attaché à sa communion. Huit heures étant sonnées, il se leva, pria M. Edgeworth d'attendre, et sortit avec émotion, en disant qu'il allait voir sa famille. Les municipaux, ne voulant pas perdre de vue la personne du roi, même pendant qu'il serait avec sa famille, avaient décidé qu'il la verrait dans la salle à manger, qui était fermée par une porte vitrée, à travers la quelle on pouvait apercevoir tous ses mouvemens sans entendre ses paroles. Le roi s'y rendit, se fit placer de l'eau sur une table pour secourir les princesses, si elles en avaient besoin. Il se promenait avec anxiété, attendant le moment douloureux où paraîtraient les êtres qui lui étaient si chers. A huit heures et demie la porte s'ouvrit; la reine, tenant le dauphin par la main; madame Élisabeth, madame Royale; se précipitèrent dans les bras de Louis XVI, en poussant des sanglots. La porte fut fermée, et les municipaux, Cléry, M. Edgeworth, se placèrent devant le vitrage pour être témoins de cette entrevue déchirante. Ce ne fut pendant le premier moment qu'une scène de confusion et de désespoir. Les cris, les lamentations empêchaient de rien distinguer. Enfin les larmes tarirent, la conversation devint plus tranquille, et les princesses, tenant toujours le roi embrassé, lui parlèrent quelque temps à voix basse. Après un entretien assez long, mêlé de silences et d'abattement, il se leva pour se soustraire à cette situation douloureuse, et promit de les revoir le lendemain matin à huit heures. «Nous le promettez-vous? lui demandèrent avec instance les princesses.—Oui, oui,» répondit le roi avec douleur. Dans ce moment la reine l'avait saisi par le bras, madame Élisabeth par l'autre; madame Royale tenait son père embrassé par le milieu du corps, et le jeune prince était devant lui, donnant la main à sa mère et à sa tante. Au moment de sortir, madame Royale tomba évanouie; on l'emporta aussitôt, et le roi retourna auprès de M. Edgeworth, accablé de cette scène cruelle. Après quelques instans, il parvint à se remettre, et recouvra tout son calme.

M. Edgeworth lui offrit alors de lui dire la messe, qu'il n'avait pas entendue depuis longtemps. Après quelques difficultés, la commune consentit à cette cérémonie, et on fit demander à l'église voisine les ornemens nécessaires pour le lendemain matin. Le roi se coucha vers minuit, en recommandant à Cléry de l'éveiller avant cinq heures. M. Edgeworth se jeta sur un lit; Cléry resta debout près du chevet de son maître, contemplant le sommeil paisible dont il jouissait à la veille de l'échafaud.

Pendant que ceci se passait au Temple, une scène épouvantable avait eu lieu dans Paris. Quelques ames indignées fermentaient çà et là, tandis que la masse, ou indifférente ou terrifiée, demeurait immobile. Un garde-du-corps, nommé Pâris, avait résolu de venger la mort de Louis XVI sur l'un de ses juges. Lepelletier-Saint-Fargeau avait, comme beaucoup d'hommes de son rang, voté la mort, pour faire oublier sa naissance et sa fortune. Il avait excité plus d'indignation chez les royalistes, à cause même de la classe à laquelle il appartenait. Le 20 au soir, chez un restaurateur du Palais-Royal, on le montra au garde-du-corps Pâris, tandis qu'il se mettait à table. Le jeune homme, revêtu d'une grande houppelande, se présente et lui dit: «C'est toi, scélérat de Lepelletier, qui as voté la mort du roi?—Oui, répond celui-ci; mais je ne suis pas un scélérat, j'ai voté selon ma conscience.—Tiens, reprend Pâris, voilà pour ta récompense.» Et il lui enfonce son sabre dans le flanc: Lepelletier tombe, et Pâris disparaît sans qu'on ait le temps de s'emparer de sa personne.

La nouvelle de cet événement se répand aussitôt de toutes parts. On le dénonce à la convention, aux jacobins, à la commune; et cette nouvelle donne plus de consistance aux bruits d'une conspiration des royalistes, tendant à massacrer le côté gauche et à délivrer le roi au pied de l'échafaud. Les jacobins se déclarent en permanence, et envoient de nouveaux commissaires à toutes les autorités, à toutes les sections, pour réveiller le zèle et mettre la population entière sous les armes.

Le lendemain 21 janvier, cinq heures avaient sonné au Temple. Le roi s'éveille, appelle Cléry, lui demande l'heure, et s'habille avec beaucoup de calme. Il s'applaudit d'avoir retrouvé ses forces dans le sommeil. Cléry allume du feu, transporte une commode dont il fait un autel. M. Edgeworth se revêt des ornemens sacerdotaux, et commence à célébrer la messe; Cléry la sert, et le roi l'entend à genoux avec le plus grand recueillement. Il reçoit ensuite la communion des mains de M. Edgeworth, et après la messe, se relève plein de force, et attendant avec calme le moment d'aller à l'échafaud. Il demande des ciseaux pour couper ses cheveux lui-même, et se soustraire à cette humiliante opération faite par la main des bourreaux; mais la commune les lui refuse par défiance.

Dans ce moment, le tambour battait dans la capitale. Tous ceux qui faisaient partie des sections armées se rendaient à leur compagnie avec une complète soumission; ceux qu'aucune obligation n'appelait à figurer dans cette terrible journée, se cachaient chez eux. Les portes, les fenêtres étaient fermées, et chacun attendait chez soi la fin de ce triste événement. On disait que quatre ou cinq cents hommes dévoués devaient fondre sur la voiture, et enlever le roi. La convention, la commune, le conseil exécutif, les jacobins étaient en séance.

A huit heures du matin, Santerre, avec une députation de la commune, du département et du tribunal criminel, se rend au Temple. Louis XVI, en entendant le bruit, se lève et se dispose à partir. Il n'avait pas voulu revoir sa famille, pour ne pas renouveler la triste scène de la veille. Il charge Cléry de faire pour lui ses adieux à sa femme, à sa soeur et à ses enfans; il lui donne un cachet, des cheveux et divers bijoux, avec commission de les leur remettre. Il lui serre ensuite la main en le remerciant de ses services. Après cela, il s'adresse à l'un des municipaux en le priant de transmettre son testament à la commune. Ce municipal était un ancien prêtre, nommé Jaques Roux, qui lui répond brutalement qu'il est chargé de le conduire au supplice, et non de faire ses commissions. Un autre s'en charge, et Louis, se retournant vers le cortège, donne avec assurance le signal du départ.

Des officiers de gendarmerie étaient placés sur le devant de la voiture; le roi et M. Edgeworth étaient assis dans le fond. Pendant la route, qui fut assez longue, le roi lisait, dans le bréviaire de M. Edgeworth, les prières des agonisans, et les deux gendarmes étaient confondus de sa piété et de sa résignation tranquille. Ils avaient, dit-on, la commission de le frapper si la voiture était attaquée. Cependant aucune démonstration hostile n'eut lieu depuis le Temple jusqu'à la place de la Révolution. Une multitude armée bordait la haie: la voiture s'avançait lentement et au milieu d'un silence universel. Sur la place de la Révolution un grand espace avait été laissé vide autour de l'échafaud. Des canons environnaient cet espace; les fédérés les plus exaltés étaient placés autour de l'échafaud, et la vile populace, toujours prête à outrager le génie, la vertu, le malheur, quand on lui en donne le signal, se pressait derrière les rangs des fédérés, et donnait seule quelques signes extérieurs de satisfaction, tandis que partout on ensevelissait au fond de son coeur les sentimens qu'on éprouvait. A dix heures dix minutes, la voiture s'arrête. Louis XVI, se levant avec force, descend sur la place. Trois bourreaux se présentent; il les repousse et se déshabille lui-même. Mais voyant qu'ils voulaient lui lier les mains, il éprouve un mouvement d'indignation et semble prêt à se défendre. M. Edgeworth, dont toutes les paroles furent alors sublimes, lui adresse un dernier regard, et lui dit: «Souffrez cet outrage comme une dernière ressemblance avec le Dieu qui va être votre récompense.» A ces mots, la victime résignée et soumise se laisse lier et conduire à l'échafaud. Tout à coup Louis fait un pas, se sépare des bourreaux, et s'avance pour parler au peuple. «Français, dit-il d'une voix forte, je meurs innocent des crimes qu'on m'impute; je pardonne aux auteurs de ma mort, et je demande que mon sang ne retombe pas sur la France.» Il allait continuer, mais aussitôt l'ordre de battre est donné aux tambours; leur roulement couvre la voix du prince, les bourreaux s'en emparent, et M. Edgeworth lui dit ces paroles: Fils de saint Louis, montez au ciel! A peine le sang avait-il coulé, que des furieux y trempent leurs piques et leurs mouchoirs, se répandent dans Paris en criant vive la république! vive la nation! et vont jusqu'aux portes du Temple, montrer la brutale et fausse joie que la multitude manifeste, à la naissance, à l'avènement et à la chute de tous les princes.

 

 

LIVRE III . CONVENTION NATIONALE

CHAPITRE VI.

POSITION DES PARTIS APRÈS LA MORT DE LOUIS XVI.— CHANGEMENS DANS LE POUVOIR EXÉCUTIF. RETRAITE DE ROLAND; BEURNONVILLE EST NOMMÉ MINISTRE DE LA GUERRE, EN REMPLACEMENT DE PACHE.— SITUATION DE LA FRANCE A L'ÉGARD DES PUISSANCES ÉTRANGÈRES; RÔLE DE L'ANGLETERRE; POLITIQUE DE PITT.— ÉTAT DE NOS ARMÉES DANS LE NORD; ANARCHIE DANS LA BELGIQUE PAR SUITE DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE.— DUMOURIEZ VIENT ENCORE A PARIS; SON OPPOSITION AUX JACOBINS.— DEUXIÈME COALITION CONTRE LA FRANCE; PLAN DE DÉFENSE GÉNÉRALE PROPOSÉ PAR DUMOURIEZ.— LEVÉE DE TROIS CENT MILLE HOMMES.— INVASION DE LA HOLLANDE PAR DUMOURIEZ; DÉTAILS DES PLANS ET DES OPÉRATIONS MILITAIRES.— PACHE EST NOMMÉ MAIRE DE PARIS.— AGITATION DES PARTIS DANS LA CAPITALE; LEUR PHYSIONOMIE, LEUR LANGAGE ET LEURS IDÉES DANS LA COMMUNE, DANS LES JACOBINS ET DANS LES SECTIONS.— TROUBLES A PARIS A L'OCCASION DES SUBSISTANCES; PILLAGE DES BOUTIQUES DES ÉPICIERS. — CONTINUATION DE LA LUTTE DES GIRONDINS ET DES MONTAGNARDS; LEURS FORCES, LEURS MOYENS.— REVERS DE NOS ARMÉES DANS LE NORD.— DÉCRETS RÉVOLUTIONNAIRES POUR LA DÉFENSE DU PAYS.— ÉTABLISSEMENT DU TRIBUNAL CRIMINEL EXTRAORDINAIRE; ORAGEUSES DISCUSSIONS DANS L'ASSEMBLÉE A CE SUJET; ÉVÉNEMENT DE LA SOIRÉE DU 10 MARS; LE PROJET D'ATTAQUE. CONTRE LA CONVENTION ÉCHOUE.