HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE . LIVRE III . CONVENTION NATIONALE. CHAPITRE XIV |
CONTINUATION DU SIÉGE DE LYON. PRISE DE CETTE VILLE. DÉCRET TERRIBLE CONTRE LES LYONNAIS RÉVOLTÉS.— PROGRÈS DE L'ART DE LA GUERRE; INFLUENCE DE CARNOT.— VICTOIRE DE WATIGNIES. DÉBLOCUS DE MAUBEUGE.— REPRISE DES OPÉRATIONS EN VENDÉE.— VICTOIRE DE COLLET. FUITE ET DISPERSION DES VENDÉENS AU DELA DE LA LOIRE.— MORT DE LA PLUPART DE LEURS PRINCIPAUX CHEFS.— ÉCHECS SUR LE RHIN. PERTE DES LIGNES DE WISSEMBOURG.
Chaque revers réveillait l'énergie révolutionnaire, et cette énergie ramenait les succès. Il en avait toujours été ainsi pendant cette campagne mémorable. Depuis la défaite de Nerwinde jusqu'au mois d'août, une série continuelle de désastres avait enfin provoqué des efforts désespérés. L'anéantissement du fédéralisme, la défense de Nantes, la victoire d'Hondschoote, le déblocus de Dunkerque, avaient été le résultat de ces efforts. De nouveaux revers à Menin, à Pirmasens, aux Pyrénées, à Torfou et Coron dans la Vendée, venaient d'exciter un nouveau redoublement d'énergie qui devait amener des succès décisifs sur tous les théâtres de la guerre. Le siége de Lyon était de toutes les opérations, celle dont on attendait la fin avec le plus d'impatience. Nous avons laissé Dubois-Crancé campé devant cette ville, avec cinq mille hommes de troupes réglées, et sept à huit mille réquisitionnaires. Il était menacé d'avoir bientôt sur ses derrières les Sardes que la faible armée des grandes-Alpes ne pouvait plus arrêter. Comme nous avons déjà dit, il s'était placé au Nord, entre la Saône et le Rhône, en présence des redoutes de la Croix-Rousse, et non sur les hauteurs de Sainte-Foy et de Fourvières, situées à l'ouest, et par lesquelles on aurait dû diriger la véritable attaque. Le motif de cette préférence était fondé sur plus d'une raison. Il importait avant tout de rester en communication avec la frontière des Alpes, où se trouvait le gros de l'armée républicaine, et d'où les Piémontais pouvaient venir au secours des Lyonnais. On avait encore l'avantage, dans cette position, d'occuper le cours supérieur des deux fleuves, et d'intercepter les vivres qui descendaient la Saône et le Rhône. Il est vrai que l'ouest restait ainsi ouvert aux Lyonnais, et qu'ils pouvaient faire des excursions continuelles vers Saint-Étienne et Montbrison: mais tous les jours on annonçait l'arrivée des contingens du Puy-de-Dôme, et une fois ces nouvelles réquisitions réunies, Dubois-Crancé pouvait achever le blocus du côté de l'ouest, et choisir alors le véritable point d'attaque. En attendant, il se contentait de serrer l'ennemi de près, de canonner la Croix-Rousse au nord, et de commencer ses lignes à l'est, devant le pont de la Guillotière. Le transport des munitions était difficile et lent; il fallait les faire venir de Grenoble, du fort Barraux, de Briançon, d'Embrun, et leur faire parcourir ainsi jusqu'à soixante lieues de montagnes. Ces charrois extraordinaires ne pouvaient avoir lieu que par voie de réquisition forcée et en mettant en mouvement cinq mille chevaux; car on avait à transporter devant Lyon quatorze mille bombes, trente-quatre mille boulets, trois cents milliers de poudre, huit cent mille cartouches, et cent trente bouches à feu. Dès les premiers jours du siége, on annonçait la marche des Piémontais qui débouchaient du petit Saint-Bernard et du Mont-Cénis. Kellermann partit aussitôt sur les pressantes instances du département de l'Isère, et laissa le général Dumuy pour le remplacer à Lyon. Du reste, Dumuy ne le remplaçait qu'en apparence, car Dubois-Crancé, représentant et ingénieur habile, dirigeait lui seul toutes les opérations du siége. Pour hâter la levée des réquisitions du Puy-de-Dôme, Dubois-Crancé détacha le général Nicolas avec un petit corps de cavalerie; mais celui-ci fut enlevé dans le Forez, et livré aux Lyonnais. Dubois-Crancé y envoya alors mille hommes de bonnes troupes, avec le représentant Javoques. La mission de celui-ci fut plus heureuse; Il contint les aristocrates de Montbrison et de Saint-Étienne, et fit lever environ sept à huit mille paysans, qu'il amena devant Lyon. Dubois-Crancé les plaça au pont d'Oullins, situé au nord-ouest de Lyon, et de manière à gêner les communications de la place avec le Forez. Il fit approcher le député Reverchon, qui, à Mâcon, avait réuni quelques mille réquisitionnaires, et le plaça sur le haut de la Saône tout à fait au nord. De cette manière, le blocus commençait à être un peu plus rigoureux; mais les opérations étaient lentes, et les attaques de vive force impossibles. Les fortifications de la Croix-Rousse, entre Rhône et Saône, devant lesquelles se trouvait le corps principal, ne pouvaient être emportées par un assaut. Du côté de l'est et de la rive gauche du Rhône, le pont Morand était défendu par une redoute en fer à cheval, très habilement construite. A l'ouest, les hauteurs décisives de Sainte-Foy et Fourvières ne pouvaient être enlevées que par une armée vigoureuse, et pour le moment il ne fallait songer qu'à intercepter les vivres, à serrer la ville, et à l'incendier. Depuis le commencement d'août jusqu'au milieu de septembre, Dubois-Crancé n'avait pu faire autre chose, et à Paris on se plaignait de ses lenteurs sans vouloir en apprécier les motifs. Cependant il avait causé de grands dommages à cette malheureuse cité. L'incendie avait dévoré la magnifique place de Bellecour, l'arsenal, le quartier Saint-Clair, le port du Temple, et avait endommagé surtout le bel édifice de l'hôpital, qui s'élève si majestueusement sur la rive du Rhône. Les Lyonnais n'en résistaient pas moins avec la plus grande opiniâtreté. On avait répandu parmi eux la nouvelle que cinquante mille Piémontais allaient déboucher sur leur ville; l'émigration les comblait de promesses, sans venir cependant se jeter au milieu d'eux, et ces braves commerçans, sincèrement républicains, étaient, par leur fausse position, réduits à désirer le secours funeste et honteux de l'émigration et de l'étranger. Leurs sentimens éclatèrent plus d'une fois d'une manière non équivoque. Précy ayant voulu arborer le drapeau blanc, en avait bientôt senti l'impossibilité. Un papier obsidional ayant été créé pour les besoins du siége, et des fleurs de lis se trouvant sur le filigrane de ce papier, il fallut le détruire et en fabriquer un autre. Ainsi les Lyonnais étaient républicains; mais la crainte des vengeances de la convention, et les fausses promesses de Marseille, de Bordeaux, de Caen, et surtout de l'émigration, les avaient entraînés dans un abîme de fautes et de malheurs. Tandis qu'ils se nourrissaient de l'espoir de voir arriver cinquante mille Sardes, la convention avait ordonné aux représentans Couthon, Maignet et Châteauneuf-Randon, de se rendre en Auvergne et dans les départemens environnans, pour y déterminer une levée eu masse, et Kellermann courait dans les vallées des Alpes au devant des Piémontais. Une belle occasion s'offrait encore ici aux Piémontais d'effectuer une tentative hardie et grande, qui n'aurait pu manquer d'être heureuse: c'était de réunir leurs principales forces sur le petit Saint-Bernard, et de déboucher sur Lyon avec cinquante mille hommes. On sait que les trois vallées de Sallenche, de la Tarentaise et de la Maurienne, adjacentes l'une à l'autre, tournent sur elles-mêmes comme une espèce de spirale, et que, partant du petit Saint-Bernard, elles s'ouvrent sur Genève, Chambéry, Lyon et Grenoble. De petits corps français étaient éparpillés dans ces vallées. Descendre rapidement par l'une d'elles, et venir se placer à leur ouverture, était un moyen assuré, d'après tous les principes de l'art, de faire tomber les détachemens engagés dans les montagnes, et de leur faire mettre bas les armes. On devait peu craindre l'attachement des Savoyards pour les Français; car les assignats et les réquisitions ne leur avaient encore fait connaître de la liberté que ses dépenses et ses rigueurs. Le duc de Montferrat, chargé de l'expédition, ne prit avec lui que vingt à vingt-cinq mille hommes, jeta un corps à sa droite, dans la vallée de Sallenche, descendit avec son corps principal dans la Tarentaise, et laissa le général Gordon parcourir la Maurienne avec l'aile gauche. Son mouvement, commencé le 14 août, dura jusqu'en septembre, tant il y mit de lenteur. Les Français, quoique très inférieurs eu nombre, opposèrent une résistance énergique, et firent durer la retraite pendant dix-huit jours. Arrivé à Moustier, le duc de Montferrat chercha à se lier avec Gordon, sur la chaîne du Grand-Loup, qui sépare les deux vallées de la Tarentaise et de la Maurienne, et ne songea nullement à marcher rapidement sur Conflans, point de réunion des vallées. Cette lenteur et ses vingt-cinq mille hommes prouvent assez s'il avait envie d'aller à Lyon. Pendant ce temps, Kellermann, accouru de Grenoble, avait fait lever les gardes nationales de l'Isère et des départemens environnans. Il avait ranimé les Savoyards qui commençaient à craindre les vengeances du gouvernement piémontais, et il était parvenu à réunir à peu près douze mille hommes. Alors il fit renforcer le corps de la vallée de Sallenche, et se porta vers Conflans, à l'issue des deux vallées de la Tarentaise et de la Maurienne. C'était vers le 10 septembre. Dans ce moment, l'ordre de marcher en avant arrivait au duc de Montferrat. Mais Kellermann prévint les Piémontais, osa les attaquer dans la position d'Espierre qu'ils avaient prise sur la chaîne du Grand-Loup, afin de communiquer entre les deux vallées. Ne pouvant aborder cette position de front, il la fit tourner par un corps détaché. Ce corps, formé de soldats à moitié nus, fit pourtant des efforts héroïques, et, à force de bras, éleva les canons sur des hauteurs presque inaccessibles. Tout à coup l'artillerie française tonna inopinément sur la tête des Piémontais, qui en furent épouvantés; Gordon se retira aussitôt dans la vallée de Maurienne sur Saint-Michel; le duc de Montferrat se reporta au milieu de la vallée de la Tarentaise. Kellermann, ayant fait inquiéter celui-ci sur ses flancs, l'obligea bientôt à remonter jusqu'à Saint-Maurice et à Saint-Germain, et enfin il le rejeta, le 4 octobre, au-delà des Alpes. Ainsi la campagne courte et heureuse qu'auraient pu faire les Piémontais en débouchant avec une masse double, et en descendant par une seule vallée sur Chambéry et Lyon, manqua ici par les mêmes raisons qui avaient fait manquer toutes les tentatives des coalisés, et qui avaient sauvé la France. Pendant que les Sardes étaient repoussés au-delà des Alpes, les trois députés envoyés dans le Puy-de-Dôme pour y déterminer une levée en masse, soulevaient les campagnes en prêchant une espèce de croisade, et en persuadant que Lyon, loin de défendre la cause républicaine, était le rendez-vous des factions de l'émigration et de l'étranger. Le paralytique Couthon, plein d'une activité que ses infirmités ne pouvaient ralentir, excita un mouvement général; il fit partir d'abord Maignet et Châteauneuf avec une première colonne de douze mille hommes, et resta en arrière pour en amener encore une de vingt-cinq mille, et pour faire les réquisitions de vivres nécessaires. Dubois-Crancé plaça les nouvelles levées du côté de l'ouest vers Sainte-Foy, et compléta ainsi le blocus. Il reçut en même temps un détachement de la garnison de Valenciennes, qui, d'après les traités, ne pouvait, comme celle de Mayence, servir que dans l'intérieur; il plaça des détachemens de troupes réglées en avant des troupes de réquisitions, de manière à former de bonnes têtes de colonnes. Son armée pouvait se composer alors de vingt-cinq mille réquisitionnaires, et de huit ou dix mille soldats aguerris. Le 24, à minuit, il fit enlever la redoute du pont d'Oullins, qui conduisait au pied des hauteurs de Sainte-Foy. Le lendemain, le général Doppet, Savoyard, qui s'était distingué sous Carteaux dans la guerre contre les Marseillais, arriva pour remplacer Kellermann. Celui-ci venait d'être destitué à cause de la tiédeur de son zèle, et on ne lui avait laissé quelques jours de commandement que pour lui donner le temps d'achever son expédition contre les Piémontais. Le général Doppet se concerta de suite avec Dubois-Crancé pour l'assaut des hauteurs de Sainte-Foy. Tous les préparatifs furent faits pour la nuit du 28 au 29 septembre. Des attaques simultanées furent dirigées au nord vers la Croix-Rousse, à l'est en face du pont Morand, au midi par le pont de la Mulatière, qui est placé au-dessous de la ville; au confluent de la Saône et du Rhône. L'attaque sérieuse dut avoir lieu par le pont d'Oullins sur Sainte-Foy. Elle ne commença que le 29, à cinq heures du matin, une heure ou deux après les trois autres. Doppet, enflammant ses soldats, se précipite avec eux sur une première redoute et les entraîne sur la seconde avec la plus grande vivacité. Le grand et le petit Sainte-Foy sont emportés. Pendant ce temps, la colonne chargée d'attaquer le pont de la Mulatière parvient à s'en emparer, et pénètre dans l'isthme à la pointe duquel se réunissent les deux fleuves. Elle allait s'introduire dans Lyon, lorsque Précy, accourant avec sa cavalerie, parvient à la repousser, et à sauver la place. De son côté, le chef d'artillerie Vaubois, qui avait dirigé sur le pont Morand une attaque des plus vives, pénétra dans la redoute en fer à cheval, mais il fut obligé de l'abandonner. De toutes ces attaques, une seule avait complètement réussi, mais c'était la principale, celle de Sainte-Foy. Il restait maintenant à passer des hauteurs de Sainte-Foy à celles de Fourvières, bien plus régulièrement retranchées, et bien plus difficiles à emporter. L'avis de Dubois-Crancé, qui agissait systématiquement, et en savant militaire, était de ne pas s'exposer aux chances d'un nouvel assaut, et voici ses raisons: il savait que les Lyonnais, réduits à manger de la farine de pois, n'avaient de vivres que pour quelques jours encore, et qu'ils allaient être obligés de se rendre. Il les avait trouvés très braves à la défense de la Mulatière et du pont Morand; il craignait qu'une attaque sur les hauteurs de Fourvières ne réussît pas, et qu'un échec ne désorganisât l'armée, et n'obligeât à lever le siége. «Ce qu'on peut faire, disait-il, de plus heureux pour des assiégés braves et désespérés, c'est de leur fournir l'occasion de se sauver par un combat. Laissons-les périr par l'effet de quelques jours de famine.» Couthon arrivait dans ce moment, 2 octobre, avec une nouvelle levée de vingt-cinq mille paysans de l'Auvergne. «J'arrive, écrivait-il, avec mes rochers de l'Auvergne, et je vais les précipiter dans le faubourg de Vaise.» Il trouva Dubois-Crancé au milieu d'une armée dont il était le chef absolu, où il avait établi les règles de la subordination militaire, et où il portait plus souvent son habit d'officier supérieur que celui de représentant du peuple. Couthon fut irrité de voir un représentant remplacer l'égalité par la hiérarchie militaire, et ne voulut pas surtout entendre parler de guerre régulière. «Je n'entends rien, dit-il, à la tactique; j'arrive avec le peuple; sa sainte colère emportera tout. Il faut inonder Lyon de nos masses, et l'emporter de vive force. D'ailleurs j'ai promis congé à mes paysans pour lundi, et il faut qu'ils aillent faire leurs vendanges.» On était alors au mardi. Dubois-Crancé, homme de métier, habitué aux troupes réglées, témoigna quelque mépris pour ces paysans confusément amassés et mal armés; il proposa de choisir parmi eux les plus jeunes, de les incorporer dans les bataillons déjà organisés, et de renvoyer les autres. Couthon ne voulut écouter aucun de ces conseils de prudence, et fit décider sur-le-champ qu'on attaquerait Lyon de vive force sur tous les points, avec les soixante mille hommes dont on disposait; car telle était maintenant la force de l'armée avec cette nouvelle levée. Il écrivit en même temps au comité de salut public pour faire révoquer Dubois-Crancé. L'attaque fut résolue dans le conseil de guerre pour le 8 octobre. La révocation de Dubois-Crancé et de son collègue Gauthier arriva dans l'intervalle. Les Lyonnais avaient une grande horreur de Dubois-Crancé, que depuis deux mois ils voyaient acharné contre leur ville, et ils disaient qu'ils ne voulaient pas se rendre à lui. Le 7, Couthon leur fit une dernière sommation, et leur écrivit que c'était lui, Couthon, et les représentans Maignet et Laporte que la convention chargeait de la poursuite du siége. Le feu fut suspendu jusqu'à quatre heures du soir, et recommença alors avec une extrême violence. On allait se préparer à l'assaut, quand une députation vint négocier au nom des Lyonnais. Il paraît que le but de cette négociation était de donner à Précy et à deux mille des habitans les plus compromis le temps de se sauver en colonne serrée. Ils profitèrent en effet de cet intervalle, et sortirent par le faubourg de Vaise pour se retirer vers la Suisse. Les pourparlers étaient à peine commencés, qu'une colonne républicaine pénétra jusqu'au faubourg Saint-Just. Il n'était plus temps de faire des conditions, et d'ailleurs la convention n'en voulait pas. Le 9, l'armée entra, ayant les représentans en tête. Les habitans s'étaient cachés, mais tous les montagnards persécutés sortirent en foule au devant de l'armée victorieuse, et lui composèrent une espèce de triomphe populaire. Le général Doppet fit observer la plus exacte discipline à ses troupes, et laissa aux représentans le soin d'exercer eux-mêmes sur cette ville infortunée les vengeances révolutionnaires. Pendant ce temps, Précy, avec ses deux mille fugitifs, marchait vers la Suisse. Mais Dubois-Crancé, prévoyant que ce serait là son unique ressource, avait depuis long-temps fait garder tous les passages. Les malheureux Lyonnais furent poursuivis, dispersés et tués par les paysans. Il n'y en eut que quatre-vingts qui, avec Précy, parvinrent à atteindre le territoire helvétique. A peine entré, Couthon réintégra l'ancienne municipalité montagnarde, et lui donna mission de chercher et de désigner les rebelles. Il chargea une commission populaire de les juger militairement. Il écrivit ensuite à Paris qu'il y avait à Lyon trois classes d'habitans: 1º les riches coupable; 2º les riches égoïstes, 3º les ouvriers ignorans, détachés de toute espèce de cause, et incapables de bien comme de mal. Il fallait guillotiner les premiers et détruire leurs maisons, faire contribuer les seconds de toute leur fortune, dépayser enfin les derniers, et les remplacer par une colonie républicaine. La prise de Lyon produisit à Paris la plus grande joie, et dédommagea des mauvaises nouvelles de la fin de septembre. Cependant, malgré le succès, on se plaignit des lenteurs de Dubois-Crancé, on lui imputa la fuite des Lyonnais par le faubourg de Vaise, fuite qui d'ailleurs n'en avait sauvé que quatre-vingts. Couthon surtout l'accusa de s'être fait général absolu dans son armée, de s'être plus souvent montré avec son costume d'officier supérieur qu'avec celui de représentant, d'avoir affiché la morgue d'un tacticien, d'avoir enfin voulu faire prévaloir le système des siéges réguliers sur celui des attaques en masse. Aussitôt une enquête fut faite par les jacobins contre Dubois-Crancé, dont l'activité et la vigueur avaient cependant rendu tant de services à Grenoble, dans le Midi et devant Lyon. En même temps, le comité de salut public prépara des décrets terribles, afin de rendre plus formidable et plus obéie l'autorité de la convention. Voici le décret qui fut présenté par Barrère et rendu sur-le-champ: «Art. 1er. Il sera nommé par la convention nationale, sur la présentation du comité de salut public, une commission de cinq représentans du peuple, qui se transporteront à Lyon sans délai, pour faire saisir et juger militairement tous les contre-révolutionnaires qui ont pris les armes dans cette ville. «2. Tous les Lyonnais seront désarmés; les armes seront données à ceux qui seront reconnus n'avoir point trempé dans la révolte, et aux défenseurs de la patrie. «3. La ville de Lyon sera détruite. «4. Il n'y sera conservé que la maison du pauvre, les manufactures, les ateliers des arts, les hôpitaux, les monuments publics et ceux de l'instruction. «5. Cette ville cessera de s'appeler Lyon. Elle s'appellera Commune-Affranchie. «6. Sur les débris de Lyon sera élevé un monument où seront lus ces mots: Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus !» La nouvelle de la prise de Lyon fut aussitôt annoncée aux deux armées du Nord et de la Vendée, où devaient se porter les coups décisifs, et une proclamation les invita à imiter l'armée de Lyon. On disait à l'armée du Nord: «L'étendard de la liberté flotte sur les murs de Lyon, et les purifie. Voilà le présage de la victoire; la victoire appartient au courage. Elle est à vous; frappez, exterminez les satellites des tyrans!.... La patrie vous regarde, la convention seconde votre généreux dévouement; encore quelques jours, les tyrans ne seront plus, et la république vous devra son bonheur et sa gloire!» On disait aux soldats de la Vendée: «Et vous aussi, braves soldats, vous remporterez une victoire; il y a assez long-temps que la Vendée fatigue la république; marchez, frappez, finissez! Tous nos ennemis doivent succomber à la fois: chaque armée va vaincre. Seriez-vous les derniers à moissonner des palmes, à mériter la gloire d'avoir exterminé les rebelles et sauvé la patrie?» Le comité, comme on voit, n'oubliait rien pour tirer le plus grand parti de la prise de Lyon. Cet événement, en effet, était de la plus haute importance. Il délivrait l'est de la France des derniers restes de l'insurrection, et ôtait toute espérance aux émigrés intrigant en Suisse, et aux Piémontais qui ne pouvaient compter à l'avenir sur aucune diversion. Il comprimait le Jura, assurait les derrières de l'armée du Rhin, permettait de porter devant Toulon et les Pyrénées des secours en hommes et en matériel devenus indispensables; il intimidait enfin toutes les villes qui avaient eu du penchant à s'insurger, et assurait leur soumission définitive. C'est au nord que le comité voulait déployer le plus d'énergie, et qu'il faisait aux généraux et aux soldats un devoir d'en montrer davantage. Tandis que Custine venait de porter sa tête sur l'échafaud, Houchard, pour n'avoir pas fait à Dunkerque tout ce qu'il aurait pu, était envoyé au tribunal révolutionnaire. Les derniers reproches adressés au comité, en septembre dernier, l'avaient obligé de renouveler tous les états-majors. Il venait de les recomposer entièrement, et d'élever aux plus hauts grades de simples officiers. Houchard, colonel au commencement de la campagne, et, avant qu'elle fût finie, devenu général en chef, et maintenant accusé devant le tribunal révolutionnaire; Hoche, simple officier au siége de Dunkerque, et promu aujourd'hui au commandement de l'armée de la Moselle; Jourdan, chef de bataillon, puis commandant au centre le jour d'Hondschoote, et enfin nommé général en chef de l'armée du Nord, étaient de frappans exemples des vicissitudes de la fortune dans ces armées républicaines. Ces promotions subites empêchaient que soldats, officiers, et généraux, eussent le temps de se connaître et de s'accorder de la confiance; mais elles donnaient une idée terrible de cette volonté qui frappait ainsi sur toutes les existences, non pas seulement dans le cas d'une trahison prouvée, mais seulement pour un soupçon, pour une insuffisance de zèle, pour une demi-victoire; et il en résultait un dévouement absolu de la part des armées, et des espérances sans bornes chez les génies assez hardis pour braver les dangereuses chances du généralat. C'est à cette époque qu'il faut rapporter les premiers progrès de l'art de la guerre. Sans doute, les principes de cet art avaient été connus et pratiqués de tous les temps par les capitaines qui joignaient l'audace d'esprit à l'audace de caractère. Tout récemment encore, Frédéric venait de donner l'exemple des plus belles combinaisons stratégiques. Mais dès que l'homme de génie disparaît pour faire place aux hommes ordinaires, l'art de la guerre retombe dans la circonspection et la routine. On combat éternellement pour la défense ou l'attaque d'une ligne, on devient habile à calculer les avantages d'un terrain, à y adapter chaque espèce d'arme; mais, avec tous ces moyens, on dispute pendant des années entières une province qu'un capitaine hardi pourrait gagner en une manoeuvre; et cette prudence de la médiocrité sacrifie plus de sang que la témérité du génie, car elle consomme les hommes sans résultats. Ainsi avaient fait les savans tacticiens de la coalition. A chaque bataillon ils en opposaient un autre; ils gardaient toutes les routes menacées par l'ennemi; et tandis qu'avec une marche hardie ils auraient pu détruire la révolution, ils n'osaient faire un pas, de peur de se découvrir. L'art de la guerre était à régénérer. Former une masse compacte, la remplir de confiance et d'audace, la porter promptement au-delà d'un fleuve, d'une chaîne de montagnes, et venir frapper un ennemi qui ne s'y attend pas, en divisant ses forces, en l'isolant de ses ressources, en lui prenant sa capitale, était un art difficile et grand qui exigeait du génie, et qui ne pouvait se développer qu'au milieu de la fermentation révolutionnaire. La révolution, en mettant en mouvement tous les esprits, prépara l'époque des grandes combinaisons militaires. D'abord elle suscita pour sa cause des masses d'hommes énormes, et bien autrement considérables que toutes celles qui furent jamais soulevées pour la cause des rois. Ensuite elle excita une impatience de succès extraordinaires, dégoûta des combats lents et méthodiques, et suggéra l'idée des irruptions soudaines et nombreuses sur un même point. De tous côtés on disait: il faut nous battre en masse. C'était le cri des soldats sur toutes les frontières, et des jacobins dans les clubs. Couthon, arrivant à Lyon, avait répondu à tous les raisonnemens de Dubois-Crancé, en disant qu'il fallait livrer l'assaut en masse. Enfin Barrère avait fait un rapport habile et profond, où il montrait que la cause de nos revers était dans les combats de détail. Ainsi, en formant des masses, en les remplissant d'audace, en les affranchissant de toute routine, en leur imprimant l'esprit et le courage des innovations, la révolution prépara la renaissance de la grande guerre. Ce changement ne pouvait pas s'opérer sans désordre. Des paysans, des ouvriers, transportés sur les champs de bataille, n'y apportaient le premier jour que l'ignorance, l'indiscipline et les terreurs paniques, effets naturels d'une mauvaise organisation. Les représentans, qui venaient souffler les passions révolutionnaires dans les camps, exigeaient souvent l'impossible, et commettaient des iniquités à l'égard de braves généraux. Dumouriez, Custine, Houchard, Brunet, Canclaux, Jourdan, périrent ou se retirèrent devant ce torrent; mais en un mois, ces ouvriers, d'abord jacobins déclamateurs, devenaient des soldats dociles et braves; ces représentans communiquaient une audace et une volonté extraordinaires aux armées; et, à force d'exigences et de changemens, ils finissaient par trouver les génies hardis qui convenaient aux circonstances. Enfin un homme vint régulariser ce grand mouvement: ce fut Carnot. Autrefois officier du génie, et depuis membre de la convention et du comité de salut public; partageant en quelque sorte son inviolabilité, il put impunément introduire de l'ordre dans des opérations trop décousues, et surtout leur imprimer un ensemble qu'avant lui aucun ministre n'eût été assez obéi pour leur imposer. L'une des principales causes de nos revers précédens, c'était la confusion qui accompagne une grande fermentation. Le comité établi et devenu irrésistible, et Carnot étant revêtu de toute la puissance de ce comité, on obéit à la pensée de l'homme sage qui, calculant sur l'ensemble, prescrivait des mouvemens parfaitement coordonnés entre eux, et tendant à un même but. Des généraux ne pouvaient plus, comme Dumouriez ou Custine avaient fait autrefois, agir chacun de leur côté, en attirant toute la guerre et tous les moyens à eux. Des représentans ne pouvaient plus ordonner ni contrarier des manoeuvres, ni modifier les ordres supérieurs. Il fallait obéir à la volonté suprême du comité, et se conformer au plan uniforme qu'il avait prescrit. Placé ainsi au centre, planant sur toutes les frontières, l'esprit de Carnot, en s'élevant, dut s'agrandir; il conçut des plans étendus, dans lesquels la prudence se conciliait avec la hardiesse. L'instruction envoyée à Houchard en est la preuve. Sans doute, ses plans avaient quelquefois l'inconvénient des plans formés dans des bureaux: quand ses ordres arrivaient, ils n'étaient ni toujours convenables aux lieux, ni exécutables dans le moment, mais ils rachetaient par l'ensemble l'inconvénient des détails, et nous assurèrent, l'année suivante, des triomphes universels. Carnot était accouru sur la frontière du Nord auprès de Jourdan. La résolution était prise d'attaquer hardiment l'ennemi, quoiqu'il parût formidable. Carnot demanda un plan au général pour juger ses vues et les concilier avec celles du comité, c'est-à-dire avec les siennes. Les coalisés, revenus de Dunkerque vers le milieu de la ligne, s'étaient réunis entre l'Escaut et la Meuse, et formaient là une masse redoutable qui pouvait porter des coups décisifs. Nous avons déjà fait connaître le théâtre de la guerre. Plusieurs lignes partagent l'espace compris entre la Meuse et la mer; c'est la Lys, la Scarpe, l'Escaut et la Sambre. Les alliés, en prenant Condé et Valenciennes, s'étaient assuré deux points importans sur l'Escaut. Le Quesnoy, dont ils venaient de s'emparer, leur donnait un appui entre l'Escaut et la Sambre; mais ils n'en avaient aucun sur la Sambre même. Ils songèrent à Maubeuge, qui, par sa position sur la Sambre, les aurait rendus à peu près maîtres de l'espace compris entre cette rivière et la Meuse. A l'ouverture de la campagne prochaine, Valenciennes et Maubeuge leur auraient fourni ainsi une base excellente d'opérations, et leur campagne de 1793 n'eût pas été entièrement inutile. Leur dernier projet consista donc à occuper Maubeuge. Du côté des Français, chez lesquels l'esprit de combinaison commençait à se développer, on imagina d'agir par Lille et Maubeuge, sur les deux ailes de l'ennemi, et, en le débordant ainsi sur ses deux flancs, on espéra de faire tomber son centre. On s'exposait, il est vrai, de cette manière, à essuyer tout son effort sur l'une ou sur l'autre des deux ailes, et on lui laissait tout l'avantage de sa masse; mais il y avait certainement moins de routine dans cette conception que dans les précédentes. Cependant le plus pressant était de secourir Maubeuge. Jourdan, laissant à peu près cinquante mille hommes dans les camps de Gavrelle, de Lille et de Cassel, pour former son aile gauche, réunissait à Guise le plus de monde possible. Il avait composé une masse d'environ quarante-cinq mille hommes, déjà organisés, et faisait enrégimenter en toute hâte les nouvelles levées provenant de la réquisition permanente. Cependant ces levées étaient dans un tel désordre, qu'il fallut laisser des détachemens de troupes de ligne pour les garder. Jourdan fixa donc à Guise le rendez-vous de toutes les recrues, et s'avança sur cinq colonnes au secours de Maubeuge. Déjà l'ennemi avait investi cette place. Comme celles de Valenciennes et de Lille, elle était soutenue par un camp retranché, placé sur la rive droite de la Sambre, du côté même par lequel s'avançaient les Français. Deux divisions, celles des généraux Desjardins et Mayer, gardaient le cours de la Sambre, l'une au-dessus, l'autre au-dessous de Maubeuge. L'ennemi, au lieu de s'avancer en deux masses serrées, et de refouler Desjardins sur Maubeuge, et de rejeter Mayer en arrière sur Charleroy, où il eût été perdu, passa la Sambre en petites masses, et laissa les deux divisions Desjardins et Mayer se rallier dans le camp retranché de Maubeuge. C'était fort bien d'avoir séparé Desjardins de Jourdan, et de l'avoir empêché ainsi de grossir l'armée active des Français; mais en laissant Mayer se réunir à Desjardins, on avait permis à ces deux généraux de former sous Maubeuge un corps de vingt mille hommes, qui pouvait sortir du rôle de simple garnison, surtout à l'approche de la grande armée de Jourdan. Cependant la difficulté de nourrir ce nombreux rassemblement était un inconvénient des plus graves pour Maubeuge, et pouvait, jusqu'à un certain point, excuser les généraux ennemis d'avoir permis la jonction. Le prince de Cobourg plaça les Hollandais, au nombre de douze mille, sur la rive gauche de la Sambre, et s'attacha à faire incendier les magasins de Maubeuge, pour augmenter la disette. Il porta le général Colloredo sur la rive droite, et le chargea d'investir le camp retranché. En avant de Colloredo, Clerfayt avec trois divisions forma le corps d'observation, et dut s'opposer à la marche de Jourdan. Les coalisés comptaient à peu près soixante-cinq mille hommes. Avec de l'audace et du génie, le prince de Cobourg aurait laissé quinze ou vingt mille hommes au plus pour contenir Maubeuge; il aurait marché ensuite avec quarante-cinq ou cinquante mille sur le général Jourdan, et l'aurait battu infailliblement; car, avec l'avantage de l'offensive, et à nombre égal, ses troupes devaient l'emporter sur les nôtres encore mal organisées. Au lieu d'adopter ce plan, le prince de Cobourg laissa environ trente-cinq mille hommes autour de la place, et resta en observation avec environ trente mille, dans les positions de Dourlers et Watignies. Dans cet état de choses, il n'était pas impossible au général Jourdan de percer sur un point la ligne occupée par le corps d'observation, de marcher sur Colloredo qui faisait l'investissement du camp retranché, de le mettre entre deux feux, et, après l'avoir accablé, de s'adjoindre l'armée entière de Maubeuge, de former avec elle une masse de soixante mille hommes, et de battre tous les coalisés placés sur la rive droite de la Sambre. Pour cela, il fallait diriger une seule attaque sur Watignies, point le plus faible; mais, en se portant exclusivement de ce côté, on laissait ouverte la route d'Avesnes qui aboutissait à Guise, où était notre base et le lieu de la réunion de tous les dépôts. Le général français préféra un plan plus prudent, mais moins fécond, et fit attaquer le corps d'observation sur quatre points, de manière à garder toujours la route d'Avesnes et de Guise. A sa gauche, il détacha la division Fromentin sur Saint-Waast, avec ordre de marcher entre la Sambre et la droite de l'ennemi. Le général Balland, avec plusieurs batteries, dut se placer au centre, en face de Dourlers, pour contenir Clerfayt par une forte canonnade. Le général Duquesnoy s'avança avec la droite sur Watignies, qui formait la gauche de l'ennemi, un peu en arrière de la position centrale de Dourlers. Ce point n'était occupé que par un faible corps. Une quatrième division, celle du général Beauregard, placée encore au-delà de la droite, dut seconder Duquesnoy dans son attaque sur Watignies. Ces divers mouvemens étaient peu liés, et ne portaient pas sur les points décisifs. Ils s'effectuèrent le 15 octobre au matin. Le général Fromentin s'empara de Saint-Waast; mais n'ayant pas pris la précaution de longer les bois pour se tenir à l'abri de la cavalerie, il fut assailli et rejeté dans le ravin de Saint-Rémy. Au centre, où l'on croyait Fromentin maître de Saint-Waast, et où l'on savait que la droite avait réussi à s'approcher de Watignies, on voulut passer outre, et au lieu de canonner Dourlers, on songea à s'en emparer. Il paraît que ce fut l'avis de Carnot, qui décida l'attaque malgré le général Jourdan. Notre infanterie se jeta dans le ravin qui la séparait de Dourlers, gravit le terrain sous un feu meurtrier, et arriva sur un plateau où elle avait en tête des batteries formidables, et en flanc une nombreuse cavalerie prête à la charger. Dans ce même instant, un nouveau corps, qui venait de contribuer à mettre Fromentin en déroute, menaçait encore de la déborder sur sa gauche. Le général Jourdan s'exposa au plus grand danger pour la maintenir; mais elle plia, se jeta en désordre dans le ravin, et très heureusement reprit ses positions sans avoir été poursuivie. Nous avions perdu près de mille hommes à cette tentative, et notre gauche sous Fromentin avait perdu son artillerie. Le général Duquesnoy, à la droite, avait seul réussi, en parvenant à s'approcher de Watignies. Après cette tentative, la position était mieux connue des Français. Ils sentirent que Dourlers était trop défendu pour diriger sur ce point l'attaque principale; que Watignies, à peine gardé par le général Trécy, et placé en arrière de Dourlers, était facile à emporter, et que ce village une fois occupé par le gros de nos forces, la position de Dourlers tombait nécessairement. Jourdan détacha donc six à sept mille hommes vers sa droite, pour renforcer le général Duquesnoy; il ordonna au général Beauregard, trop éloigné avec sa quatrième colonne, de se rabattre d'Eule sur Obrechies, de manière à opérer un effort concentrique sur Watignies, conjointement avec le général Duquesnoy; mais il persista à continuer sa démonstration sur le centre, et à faire marcher Fromentin vers la gauche, afin d'embrasser toujours le front entier de l'ennemi. Le lendemain 16, l'attaque commença. Notre infanterie débouchant par les trois villages de Dinant, Demichaux et Choisy, aborda Watignies. Les grenadiers autrichiens, qui liaient Watignies à Dourlers, furent rejetés dans les bois. La cavalerie ennemie fut contenue par l'artillerie légère disposée à propos, et Watignies fut emporté. Le général Beauregard, moins heureux, fut surpris par une brigade que les Autrichiens avaient détachée contre lui. Sa troupe, s'exagérant la force de l'ennemi, se débanda, et céda une partie du terrain. A Dourlers et Saint-Waast, on s'était contenu réciproquement; mais Watignies était occupé, et c'était l'essentiel. Jourdan, pour s'en assurer la possession, y renforça encore une fois sa droite de cinq ou six mille hommes. Cobourg, trop prompt à céder au danger, se retira, malgré le succès obtenu sur Beauregard, et malgré l'arrivée du duc d'York, qui venait à marches forcées de l'autre côté de la Sambre. Il est probable que la crainte de voir les Français s'unir aux vingt mille hommes du camp retranché, l'empêcha de persister à occuper la rive droite de la Sambre. Il est certain que si l'armée de Maubeuge, au bruit du canon de Watignies, eût attaqué le faible corps d'investissement, et tâché de marcher vers Jourdan, les coalisés auraient pu être accablés. Les soldats le demandaient à grands cris; mais le général Ferrand s'y opposa, et le général Chancel, qu'on crut à tort coupable de ce refus, fut envoyé au tribunal révolutionnaire. L'heureuse attaque de Watignies décida la levée du siége de Maubeuge, comme celle d'Hondschoote avait décidé la levée du siége de Dunkerque: elle fut appelée victoire de Watignies, et produisit sur les esprits la plus grande impression. Les coalisés se trouvaient ainsi concentrés entre l'Escaut et la Sambre. Le comité de salut public voulut aussitôt tirer parti de la victoire de Watignies, du découragement qu'elle avait jeté chez l'ennemi, de l'énergie qu'elle avait rendue à notre armée, et résolut de tenter un dernier effort qui, avant l'hiver, rejetât les coalisés hors du territoire, et les laissât avec le sentiment décourageant d'une campagne entièrement perdue. L'avis de Jourdan et de Carnot était opposé a celui du comité. Ils pensaient que les pluies, déjà très abondantes, le mauvais état des chemins, la fatigue des troupes, étaient des raisons suffisantes d'entrer dans les quartiers d'hiver, et ils conseillaient d'employer la mauvaise saison à discipliner et organiser l'armée. Cependant le comité insista pour qu'on délivrât le territoire, disant que dans cette saison une défaite ne pourrait pas avoir de grands résultats. D'après l'idée nouvellement imaginée d'agir sur les ailes, le comité ordonna de marcher par Maubeuge et Charleroi d'un côté, par Cysaing, Maulde et Tournay de l'autre, et d'envelopper ainsi l'ennemi sur le territoire qu'il avait envahi. L'arrêté fut signé le 22 octobre. Les ordres furent donnés en conséquence; l'armée des Ardennes dut se joindre à Jourdan; les garnisons des places fortes durent en sortir, et être remplacées par les nouvelles réquisitions. La guerre de la Vendée venait d'être reprise avec une nouvelle activité. On a vu que Canclaux s'était replié sur Nantes, et que les colonnes de la Haute-Vendée étaient rentrées à Angers et à Saumur. Avant que les nouveaux décrets qui confondaient les deux armées de la Rochelle et de Brest en une seule, et en conféraient le commandement au général Léchelle, fussent connus, Canclaux prépara un nouveau mouvement offensif. La garnison de Mayence était déjà réduite, par la guerre et les maladies, à neuf ou dix mille hommes. La division de Brest, battue sous Beysser, était presque désorganisée. Canclaux n'en résolut pas moins une marche très-hardie au centre de la Vendée, et en même temps il conjura Rossignol de le seconder avec son armée. Rossignol réunit aussitôt un conseil de guerre à Saumur, le 2 octobre, et fit décider que les colonnes de Saumur, de Thouars et de la Châtaigneraye, se réuniraient le 7 à Bressuire, et marcheraient de là à Châtillon, pour faire concourir leur attaque avec celle de Canclaux. Il prescrivit en même temps aux deux colonnes de Luçon et des Sables de garder la défensive, à cause de leurs derniers revers, et des dangers qui les menaçaient du côté de la Basse-Vendée. Pendant ce temps, Canclaux s'était avancé le 1er octobre jusqu'à Montaigu, poussant des reconnaissances jusqu'à Saint-Fulgent, pour tâcher de se lier par sa droite avec la colonne de Luçon, dans le cas où elle parviendrait à reprendre l'offensive. Enhardi par le succès de sa marche, il ordonna, le 6, à l'avant-garde, toujours commandée par Kléber, de se porter à Tiffauges. Quatre mille Mayençais rencontrèrent l'armée de d'Elbée et de Bonchamps à Saint-Simphorien, la mirent en déroute après un combat sanglant, et la repoussèrent fort loin. Dans la soirée même, arriva le décret qui destituait Canclaux, Aubert-Dubayet et Grouchy. Le mécontentement fut très-grand dans la colonne de Mayence, et Philippeaux, Gillet, Merlin et Rewbell, qui voyaient l'armée privée d'un excellent général au moment où elle était exposée au centre de la Vendée, en furent indignés. C'était sans doute une excellente mesure que de réunir le commandement de l'Ouest sur une seule tête, mais il fallait choisir un autre individu pour en supporter le fardeau. Léchelle était ignorant et lâche, dit Kléber dans ses mémoires, et ne se montra jamais une seule fois au feu. Simple officier dans l'armée de La Rochelle, on l'avança subitement, comme Rossignol, à cause de sa réputation de patriotisme, mais on ignorait que n'ayant ni l'esprit naturel de Rossignol, ni sa bravoure, il était aussi mauvais soldat que mauvais général. En attendant son arrivée, Kléber eut le commandement. On resta dans les mêmes positions entre Montaigu et Tiffauges. Léchelle arriva enfin le 8 octobre, et on tint un conseil de guerre en sa présence. On venait d'apprendre la marche des colonnes de Saumur, de Thouars et de la Châtaigneraye, sur Bressuire: il fut convenu alors qu'on persisterait à marcher sur Cholet, où l'on se joindrait aux trois colonnes réunies à Bressuire, et en même temps il fut ordonné au reste de la division de Luçon de s'avancer vers le rendez-vous général. Léchelle ne comprit rien aux raisonnemens des généraux, et approuva tout en disant: Il faut marcher majestueusement et en masse. Kléber replia sa carte avec mépris. Merlin dit qu'on avait choisi le plus ignorant des hommes pour l'envoyer à l'armée la plus compromise. Dès ce moment, Kléber fut chargé, par les représentans, de diriger seul les opérations, en se bornant, pour la forme, à en rendre compte à Léchelle. Celui-ci profita de cet arrangement pour se tenir à une grande distance du champ de bataille. Éloigné du danger, il haïssait les braves qui se battaient pour lui, mais du moins il les laissait se battre, quand et comme il leur plaisait. Dans ce moment, Charette, voyant les dangers qui menaçaient les chefs de la Haute-Vendée, se sépara d'eux, prétextant de fausses raisons de mécontentement, et il se rejeta sur la côte, avec le projet de s'emparer de l'île de Noirmoutiers. Il s'en rendit maître en effet, le 12, par une surprise et par la trahison du chef qui y commandait. Il était ainsi assuré de sauver sa division, et d'entrer en communication avec les Anglais; mais il laissait le parti de la Haute-Vendée exposé à une destruction presque inévitable. Dans l'intérêt de la cause commune, il avait bien mieux à faire: il pouvait attaquer la colonne de Mayence sur les derrières, et peut-être la détruire. Les chefs de la grande armée lui envoyèrent lettres sur lettres pour l'y engager; mais ils n'en reçurent jamais aucune réponse. Ces malheureux chefs de la Haute-Vendée étaient pressés de tous côtés. Les colonnes républicaines qui devaient se réunir à Bressuire s'y trouvaient à l'époque fixée, et elles s'étaient acheminées le 9 de Bressuire sur Châtillon. Sur la route, elles rencontrèrent l'armée de M. de Lescure, et la mirent en désordre. Westermann, réintégré dans son commandement, était toujours à l'avant-garde, à la têtes de quelques cents hommes. Il entra le premier dans Châtillon le 9 au soir. L'armée entière y pénétra le lendemain 10. Pendant ce mouvement, Lescure et Larochejacquelein avaient appelé à leur secours la grande armée, qui n'était pas loin d'eux; car, déjà très resserrés au centre de ce pays, ils combattaient à peu de distance les uns des autres. Tous les généraux réunis résolurent de se porter sur Châtillon. Ils se mirent en marche le 11. Westermann s'avançait déjà de Châtillon sur Mortagne, avec cinq cents hommes d'avant-garde. D'abord il ne crut pas avoir affaire à toute une armée, et ne demanda pas de grands secours à son général. Mais enveloppé tout à coup, il fut obligé de se replier rapidement, et rentra dans Châtillon avec sa troupe. Le désordre se mit alors dans la ville, et l'armée républicaine l'abandonna précipitamment. Westermann se réunissant au général en chef Chalbos, et groupant autour de lui quelques braves, arrêta la fuite, et se reporta même assez près de Châtillon. A l'entrée de la nuit, il dit à quelques-uns de ses soldats qui avaient fui: «Vous avez perdu votre honneur aujourd'hui, il faut le recouvrer.» Il prend aussitôt cent cavaliers, fait monter cent grenadiers en croupe, et la nuit, tandis que les Vendéens confondus dans Châtillon sont endormis ou pris de vin, il a l'audace d'y entrer, et de se jeter au milieu de toute une armée. Le désordre fut au comble, et le carnage effroyable. Les Vendéens, ne se reconnaissant pas, se battaient entre eux, et, au milieu d'une horrible confusion, femmes, enfans, vieillards, étaient égorgés. Westermann sortit à la pointe du jour avec les trente ou quarante soldats qui lui restaient, et alla rejoindre, à une lieue de la ville, le gros de l'armée. Le 12, un spectacle affreux vint frapper les Vendéens, ils sortirent eux-mêmes de Châtillon, inondé de sang et dévoré des flammes, et se portèrent du côté de Cholet où marchaient les Mayençais. Chalbos, après avoir rétabli l'ordre dans sa division, rentra le surlendemain 14 dans Châtillon, et se disposa à se porter de nouveau en avant, pour faire sa jonction avec l'armée de Nantes. Tous les chefs vendéens, d'Elbée, Bonchamps, Lescure, La Rochejaquelein, étaient réunis avec leurs forces aux environs de Cholet. Les Mayençais, qui s'étaient mis en marche le 14, s'en approchaient; la colonne de Châtillon n'en était plus qu'à peu de distance; et la division de Luçon, qu'on avait mandée, s'avançait aussi, et devait venir se placer entre les colonnes de Mayence et de Châtillon. On touchait donc au moment de la jonction générale. Le 15, l'armée de Mayence marchait en deux masses vers Mortagne, qui venait d'être évacué. Kléber, avec le corps de bataille, formait la gauche, et Beaupuy, la droite. Au même moment, la colonne de Luçon arrivait vers Mortagne, espérant trouver un bataillon de direction que Léchelle aurait dû faire placer sur sa route. Mais ce général, qui ne faisait rien, ne s'était pas même acquitté de ce soin accessoire. La colonne est aussitôt surprise par Lescure, et se trouve assaillie de tous côtés. Heureusement Beaupuy, qui était près d'elle par sa position vers Mortagne, accourt à son secours, et parvient à la dégager. Les Vendéens sont repoussés. Le malheureux Lescure reçoit une balle au-dessus du sourcil, et tombe dans les bras de ses soldats, qui l'emportent et prennent la fuite. La colonne de Luçon se réunit alors à celle de Beaupuy. Le jeune Marceau venait d'en prendre le commandement. A la gauche, et dans le même moment, Kléber soutenait un combat vers Saint-Christophe, et repoussait l'ennemi. Le 15 au soir, toutes les troupes républicaines bivouaquaient dans les champs devant Cholet, où les Vendéens s'étaient retirés. La division de Luçon était d'environ trois mille hommes, ce qui, avec la colonne de Mayence, faisait à peu près douze ou treize mille. Le lendemain matin 16, les Vendéens, après quelques coups de canon, évacuèrent Cholet, et se replièrent sur Beaupréau. Kléber y entra aussitôt, et, défendant le pillage sous peine de mort, y fit observer le plus grand ordre. La colonne de Luçon fit de même à Mortagne. Ainsi tous les historiens qui ont dit qu'on brûla Cholet et Mortagne ont commis une erreur ou avancé un mensonge. Kléber fit aussitôt toutes ses dispositions, car Léchelle était à deux lieues en arrière. La rivière de Moine passe devant Cholet; au-delà, se trouve un terrain montueux, inégal, formant un demi-cercle de hauteurs. A gauche de ce demi-cercle, se trouve le bois de Cholet; au centre de Cholet même, et à droite, un château élevé, Kléber plaça Beaupuy, avec l'avant-garde, en avant du bois; Haxo, avec la réserve des Mayençais, derrière l'avant-garde, et de manière à la soutenir; il rangea la colonne de Luçon, commandée par Marceau, au centre, et Vimeux, avec le reste des Mayençais, à la droite, sur les hauteurs. La colonne de Châtillon arriva dans la nuit du 16 au 17. Elle était à peu près de neuf ou dix mille hommes, ce qui portait les forces totales des républicains à vingt-deux mille environ. Le 17, au matin, on tint conseil. Kléber n'aimait pas sa position en avant de Cholet, parce qu'elle n'avait qu'une retraite, le pont de la rivière de Moine aboutissant à la ville. Il voulait qu'on marchât en avant pour tourner Beaupréau, et couper les Vendéens de la Loire. Les représentans combattirent son avis, parce que la colonne venue de Châtillon avait besoin d'un jour de repos. Pendant ce temps, les chefs vendéens délibéraient à Beaupréau, au milieu d'une horrible confusion. Les paysans traînaient avec eux leurs femmes, leurs enfans, leurs bestiaux, et formaient une émigration de plus de cent mille individus. La Rochejaquelein, d'Elbée, auraient voulu qu'on se fît tuer sur la rive gauche; mais Talmont, d'Autichamp, qui avaient une grande influence en Bretagne, désiraient impatiemment qu'on se transportât sur la rive droite. Bonchamps, qui voyait, dans une excursion vers les côtes du Nord, une grande entreprise, et qui avait, dit-on, un projet lié avec l'Angleterre, opinait pour passer la Loire. Cependant il était assez d'avis de tenter un dernier effort, et d'essayer une grande bataille devant Cholet. Avant d'engager le combat, il fit envoyer un détachement de quatre mille hommes à Varades, pour s'assurer un passage sur la Loire en cas de défaite. La bataille était résolue. Les Vendéens s'avancèrent, au nombre de quarante mille hommes, sur Cholet, le 15 octobre, à une heure après midi. Les généraux républicains ne s'attendaient pas à être attaqués, et venaient d'ordonner un jour de repos. Les Vendéens s'étaient formés en trois colonnes: l'une dirigée sur la gauche, où étaient Beaupuy et Haxo; l'autre sur le centre, commandé par Marceau; la troisième sur la droite, confiée à Vimeux. Les Vendéens marchaient en ligne et en rang, comme des troupes régulières. Tous les chefs blessés qui pouvaient supporter le cheval étaient au milieu de leurs paysans, et les soutenaient en ce jour qui devait décider de leur existence et de la possession de leurs foyers. Entre Beaupréau et la Loire, dans chaque commune qui leur restait, on célébrait la messe, et on invoquait le ciel pour cette cause si malheureuse et si menacée. Les Vendéens s'ébranlent, et joignent l'avant-garde de Beaupuy, placée, comme nous l'avons dit, dans une plaine en avant du bois de Cholet. Une partie d'entre eux s'avance en masse serrée, et charge à la manière des troupes de ligne; les autres s'éparpillent en tirailleurs pour tourner l'avant-garde, et même l'aile gauche, en pénétrant dans les bois de Cholet. Les républicains accablés sont forcés de plier; Beaupuy a deux chevaux tués sous lui; il tombe embarrassé par son éperon, et allait être pris, lorsqu'il se jette derrière un caisson, se saisit d'un troisième cheval, et va rejoindre sa colonne. Dans ce moment Kléber accourt vers l'aile menacée; il ordonne au centre et à la droite de ne pas se dégarnir, et mande à Chalbos de faire sortir de Cholet une de ses colonnes pour venir au secours de la gauche. Lui-même se place auprès d'Haxo, rétablit la confiance dans ses bataillons, et ramène au feu ceux qui avaient plié sous le grand nombre. Les Vendéens sont repoussés à leur tour, reviennent avec acharnement, et sont repoussés encore. Pendant ce temps, le combat s'engage au centre et à la droite avec la même fureur. A la droite, Vimeux est si bien placé, que tous les efforts de l'ennemi demeurent impuissans. Au centre, cependant, les Vendéens s'avancent avec plus d'avantage qu'aux deux ailes, et pénètrent dans l'enfoncement où se trouve le jeune Marceau. Kléber y accourt pour soutenir la colonne de Luçon, et, à l'instant même, une des divisions de Chalbos, qu'il avait demandée, sort de Cholet, au nombre de quatre mille hommes. Ce renfort était d'une grande importance dans ce moment; mais, à la vue de cette plaine en feu, cette division mal organisée, comme toutes celles de l'armée de La Rochelle, se débande et rentre en désordre dans Cholet. Kléber et Marceau restent au centre avec la seule colonne de Luçon. Le jeune Marceau, qui la commande, ne s'intimide pas; il laisse approcher l'ennemi à une portée de fusil, puis tout à coup démasque son artillerie, et, de son feu imprévu, arrête et accable les Vendéens. Ceux-ci résistent d'abord; ils se rallient, se serrent sous une pluie de mitraille; mais bientôt ils cèdent et fuient en désordre. Dans ce moment, leur déroute est générale au centre, à la droite et à la gauche; Beaupuy, avec son avant-garde ralliée, les poursuit à toute outrance. Les colonnes de Mayence et de Luçon étaient les seules qui eussent pris part à la bataille. Ainsi treize mille hommes en avaient battu quarante mille. De part et d'autre, on avait déployé la plus grande valeur; mais la régularité et la discipline décidèrent l'avantage en faveur des républicains. Marceau, Beaupuy, Merlin, qui pointait lui-même les pièces, avaient déployé le plus grand héroïsme; Kléber avait montré son coup d'oeil et sa vigueur accoutumés sur le champ de bataille. Du côté des Vendéens, d'Elbée, Bonchamps, après avoir fait des prodiges, avaient été blessés à mort; La Rochejaquelein restait seul de tous les chefs, et il n'avait rien oublié pour partager leurs glorieuses blessures. Le combat avait duré depuis deux heures jusqu'à six. L'obscurité régnait déjà de toutes parts; les Vendéens fuyaient en toute hâte, jetant leurs sabots sur les routes. Beaupuy les suivait à perte d'haleine. A Beaupuy s'était joint Westermann, qui, ne voulant pas partager l'inaction des troupes de Chalbos, avait pris un corps de cavalerie, et courait, à bride abattue, sur les fuyards. Après avoir poursuivi l'ennemi fort long-temps, Beaupuy et Westermann s'arrêtent, et songent à faire reposer leurs troupes. Cependant, disent-ils, nous trouverons plutôt du pain à Beaupréau qu'à Cholet, et ils osent marcher sur Beaupréau, où l'on supposait que les Vendéens s'étaient retirés en masse. Mais la fuite avait été si rapide, qu'une partie se trouvait déjà à Saint-Florent, sur les bords de la Loire. Le reste, à l'approche des républicains, évacue Beaupréau en désordre, et leur cède ce poste où ils auraient pu se défendre. Le lendemain matin, 18, l'armée entière marche de Cholet vers Beaupréau. Les avant-gardes de Beaupuy, placées sur la route de Saint-Florent, voient un grand nombre d'individus accourir en criant: Vive la république, vive Bonchamps! On les interroge, et ils répondent en proclamant Bonchamps comme leur libérateur. En effet, ce jeune héros, étendu sur un matelas, et près d'expirer d'un coup de feu dans le bas-ventre, avait demandé et obtenu la grâce de quatre mille prisonniers que les Vendéens traînaient à leur suite, et qu'ils voulaient fusiller; les prisonniers rejoignaient l'armée républicaine. Dans ce moment, quatre-vingt mille individus, femmes, enfans, vieillards, hommes armés, étaient au bord de la Loire, avec les débris de ce qu'ils possédaient, et se disputaient une vingtaine de barques pour passer à l'autre bord. Le conseil supérieur, composé des chefs qui étaient capables encore d'opiner, délibérait s'il fallait se séparer ou porter la guerre en Bretagne. Quelques-uns auraient voulu qu'on se dispersât dans la Vendée, et qu'on s'y cachât en attendant des temps meilleurs: La Rochejaquelein était du nombre, et il conseillait de se faire tuer sur la rive gauche plutôt que de passer sur la rive droite. Cependant l'avis contraire prévalut, et on se décida à rester réunis et à passer outre. Mais Bonchamps venait d'expirer, et personne n'était capable d'accomplir les projets qu'il avait formés sur la Bretagne. D'Elbée, mourant, était envoyé à Noirmoutiers; Lescure, blessé à mort, était transporté sur un brancard. Quatre-vingt mille individus quittaient leurs champs, allaient porter le ravage dans les champs voisins, et y chercher l'extermination, pour quel but, grand Dieu! pour une cause absurde et de toutes parts délaissée ou hypocritement défendue! Tandis que ces infortunés s'exposaient généreusement à tant de maux, la coalition songeait à peine à eux, les émigrés intriguaient dans les cours, quelques-uns seulement se battaient bravement sur le Rhin, mais dans les rangs des étrangers; et personne encore n'avait songé à envoyer ni un soldat ni un écu à cette malheureuse Vendée, déjà signalée par vingt combats héroïques, et aujourd'hui vaincue, fugitive et désolée. Les généraux républicains se réunirent à Beaupréau, et là on résolut de se diviser, et de se rendre partie à Nantes et partie à Angers, pour empêcher un coup de main sur ces deux places. L'avis des représentans, non partagé pourtant par Kléber, fut que la Vendée était détruite. La Vendée n'est plus, écrivirent-ils à la convention. On avait donné jusqu'au 20 octobre à l'armée pour en finir, et elle avait terminé le 18. L'armée du Nord avait, le même jour, gagné la bataille de Watignies, et avait terminé la campagne en débloquant Maubeuge. Ainsi, de toutes parts, la convention semblait n'avoir qu'à décréter la victoire pour l'assurer. L'enthousiasme fut au comble à Paris et dans toute la France, et on commença à croire qu'avant la fin de la saison la république serait victorieuse de tous les trônes conjurés contre elle. Un seul événement pouvait troubler cette joie, c'était la perte des lignes de Wissembourg sur le Rhin, qui avaient été forcées le 13 et le 15 octobre. Après l'échec de Pirmasens, nous avons laissé les Prussiens et les Autrichiens en présence des lignes de la Sarre et de la Lauter, et menaçant à chaque instant de les envahir. Les Prussiens, ayant inquiété les Français sur les bords de la Sarre, les obligèrent à se replier. Le corps des Vosges, rejeté au-delà d'Hornbach, se retira fort en arrière à Bitche, dans le centre des montagnes; l'armée de la Moselle, repoussée jusqu'à Sarreguemines, fut séparée du corps des Vosges et de l'armée du Rhin. Dans cette position, il devenait facile aux Prussiens, qui avaient, sur le revers occidental, dépassé la ligne commune de la Sarre et de la Lauter, de tourner les lignes de Wissembourg par leur extrême gauche. Alors ces lignes devaient tomber nécessairement. C'est ce qui arriva le 13 octobre. La Prusse et l'Autriche, que nous avons vues en désaccord, s'étaient enfin entendues, le roi de Prusse s'était rendu en Pologne, et avait laissé le commandement à Brunswick, avec ordre de se concerter avec Wurmser. Du 13 au 14 octobre, tandis que les Prussiens marchaient le long de la ligne des Vosges jusqu'à Bitche, bien au-delà de la hauteur de Wissembourg, Wurmser devait attaquer les lignes de la Lauter sur sept colonnes. La première, sous le prince de Waldeck, chargée de passer le Rhin à Seltz, et de tourner Lauterbourg, rencontra, dans la nature des lieux et le courage d'un demi-bataillon des Pyrénées, des obstacles invincibles; la seconde, bien qu'elle eût passé les lignes au-dessus de Lauterbourg, fut repoussée; les autres, après avoir obtenu au-dessus et autour de Wissembourg des avantages balancés par la résistance vigoureuse des Français, s'emparèrent cependant de Wissembourg. Nos troupes se retirèrent sur le poste du Geisberg, placé un peu en arrière de Wissembourg, et beaucoup plus difficile à emporter. On ne pouvait pas regarder encore les lignes de Wissembourg comme tout à fait perdues; mais la nouvelle de la marche des Prussiens sur le revers occidental, obligea le général français à se replier sur Hagueneau et sur les lignes de la Lauter, et à céder ainsi une partie du territoire aux coalisés. Sur ce point, la frontière était donc envahie; mais les succès du Nord et de la Vendée couvrirent l'effet de cette mauvaise nouvelle. On envoya Saint-Just et Lebas en Alsace, pour contenir les mouvemens que la noblesse alsacienne et les émigrés excitaient à Strasbourg. On dirigea de ce côté des levées nombreuses, et on se consola par la résolution de vaincre sur ce point comme sur tous les autres. Les craintes affreuses qu'on avait conçues dans le mois d'août, avant les victoires d'Hondschoote et de Watignies, avant la prise de Lyon et la retraite des Piémontais au-delà des Alpes, avant les succès de la Vendée, étaient dissipées. On voyait, dans ce moment, la frontière du Nord, la plus importante et la plus menacée, délivrée de l'ennemi, Lyon rendu à la république, la Vendée soumise, toute rébellion étouffée dans l'intérieur jusqu'à la frontière d'Italie, où la place de Toulon résistait encore, il est vrai, mais résistait seule. Encore un succès aux Pyrénées, à Toulon, au Rhin, et la république était complètement victorieuse; et ce triple succès ne semblait pas plus difficile à obtenir que les autres. Sans doute, la tâche n'était pas finie, mais elle pouvait l'être bientôt, en continuant les mêmes efforts et les mêmes moyens: on n'était pas encore entièrement rassuré, mais on ne se croyait plus en danger de mort prochaine. NOTES: [4] Décret du 18e jour du 1er mois de l'an IIe de la République. LIVRE III . CONVENTION NATIONALE
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