HISTOIRE

DE LA DESTRUCTION

DU PAGANISME DANS L’OCCIDENT

PAR

A. BEUGNOT

TOME SECOND.

 

LIVRE NEUVIÈME.

HONORIUS.

 

CHAPITRE PREMIER.

Du paganisme sous l’administration de Stilicon.

 

Saint Augustin, épouvanté du spectacle qui frappe ses regards, s’écrie : «Encore des guerres! des guerres entre les nations pour l’empire; entre les sectes, entre les juifs, entre les païens, entre les chrétiens, entre les hérétiques; encore des guerres! Partout elles se multiplient : ici on se bat pour l’erreur, là pour la vérité.» Telle est en peu de mots toute l’his­toire du règne d’Honorius, époque durant laquelle la lutte entre les idées et celle entre les nations furent également violentes et décisives. Nous allons voir l’empire romain perdre en même temps ce qui lui restait de sa puissance et de ses anciennes institutions reli­gieuses.

Le nom d’Honorius ne sera jamais prononcé sans qu’on se rappelle la présence des barbares dans la ville éternelle, c’est-à-dire la ruine de l’empire; et cepen­dant personne ne fut plus que le second fils de Théo­dose innocent de cette grande catastrophe. Il eut, comme tant d’autres chefs d’état, le malheur de naître à une des époques où le fléau de Dieu s’appesantit sur les nations, et la part qu’il prit dans le naufrage commun ne fut pas la plus faible. Sans doute s’il eût été sage et courageux au lieu d’être inepte et timide, il aurait pu entourer de quelque gloire la ruine de son pays; mais la retarder d’un seul jour, je ne crois pas que cela eût été en son pouvoir.

Quand Théodose mourut, Arcadius avait quatorze ans et Honorius sept. Ces enfants reçurent de la main de leur père pour tuteurs, l’un Ruffin, l’autre Stilicon, personnages fameux, mais qu’il ne faut pas placer sur la même ligne, quoiqu’ils aient exercé un pouvoir sem­blable et reçu une mort pareille.

Les historiens anciens et modernes n’ont pas assez tenu compte d’abord de l’âge auquel ces princes arri­vèrent à l’empire, ensuite du caractère que la nature leur avait départi. Ils supposent qu’ils gouvernèrent l’empiré aussitôt après la mort de leur père; et ils n’in­sistent pas sur un fait qui s’applique à tout, c’est qu’à aucune époque de leur prétendue puissance Arcadius ni Honorius n’ont exercé la moindre influence sur les tristes destinées de l’empire. Leurs noms, mais leurs noms seuls restant attachés à une époque durant la­quelle la société romaine abandonnée par ses pilotes, jouet de mille passions contraires, avançait vers l’abîme sans qu’aucune volonté humaine put retarder son épouvantable chute. Stilicon jusqu’au dernier mo­ment de sa vie fut armé d’un pouvoir absolu; il rem­porta soit contre les ennemis de la patrie, soit contre les siens propres, de brillantes victoires; cependant quand il eut été assassiné par l’ordre ou par la permis­sion de son pupille, Rome ne se trouva ni plus ni moins en péril: elle marchait à sa perte, mais elle y marchait de son pas.

Stilicon professait le christianisme. Quand le con­traire aurait eu lieu, Théodose ne se serait pas privé par ce motif des services d’un homme qui devait en­tourer les aigles romaines du dernier reflet de leur ancien éclat; mais peut-être dans ce cas n’aurait-il pas consenti à le donner pour époux à sa nièce Sérena qu’il chérissait comme si elle eût été sa fille. Stilicon doit donc être sans aucun doute placé dans les rangs des chrétiens; «mais pour ce qu’on dit que c’était un homme de piété, implacable ennemi de l’idolâtrie, je ne sais si l’on en a de bonnes preuves.» Pour Ruffin, il était chrétien déclaré.

Théodose fut ravi aux Romains dont il devait être pour ainsi dire le dernier empereur à l'époque où il s’occu­pait dans sa sagesse à pacifier l’Italie et à effacer de ce pays les traces de l’insurrection païenne. Lorsqu’il sen­tit approcher la mort, il recommanda à Stilicon d’user de clémence envers les vaincus; on dit même que par son testament il avait prescrit au tuteur de son fils de publier une amnistie générale. Chez un prince habile à tirer parti de ses victoires, de si grands ménagement indiquent qu’il ne regardait pas une réaction religieuse comme facile et sans danger : l’événement justifia ses prévisions.

La guerre avait été si courte que l’armée d’Eugène existait presque entière : campée aux environs de Milan, elle se trouvait en face des légions victorieuses de Théodose. Les passions n’étaient pas encore assez affaiblies pour qu’un semblable rapprochement fût sans péril; aussi craignit-on un instant que les deux armées n’en vinssent encore une fois aux mains. Stilicon s’empressa de prévenir une collision en publiant l’amnistie prescrite par Théodose mourant.

Une loi du 11 des calendes de mars 395 sanctionne les actes passés durant l’usurpation d’Eugène. Le 15 des calendes de juin, une autre loi fut rendue : elle accordait un pardon général à tous ceux qui avaient pris parti pour le tyran, et défendait qu’ils fussent notés d’infamie ou flétris par un nom honteux. Cette loi commence ainsi : Fas est sequi nos paternœ dispositionis arbitrium. Le 15 des calendes de juillet, une troisième et dernière loi fut publiée, comme si les deux précédentes n’eussent pas suffit elle relevait une seconde fois de l’infamie tous les partisans d’Eugène; elle les rétablissait dans la jouissance du droit commun et dans leur ancienne qualité, sans toutefois qu’ils fus­sent autorisés, à se prévaloir des dignités données par Eugène. Souvent on voit les amnisties se changer en instruments de vengeance; on ne peut pas faire un re­proche semblable à celle que publia Stilicon, car sous son égide les chefs du paganisme eurent bientôt repris leurs anciennes positions.

Après Eugène et Arbogaste, le personnage le plus compromis était certainement Flavien : fauteur de guerre civile, adorateur zélé des dieux, adversaire pas­sionné des chrétiens, sa mémoire semblait, au défaut de sa personne, dévouée à une proscription dont sa race devait porter la peine. Cependant le fils est rétabli par Théodose dans les biens du père, et en 399 nous le voyons appelé à la préfecture de Rome, dignité qui lui avait été promise par Eugène. Symmaque, qui veillait sur les débris de son parti, s’empresse d’écrire à Stilicon pour lui témoigner la reconnaissance et la joie du sénat. Valerius Messala est préfet du prétoire d’Italie en 396; Flerentinus préfet de Rome en 397; Atticus consul en la même année; Longinianus inten­dant des largesses en 399. Tous ces personnages sont dévoués au paganisme; enfin le fils de Symmaque lui-même obtient, vers l’année 397, la préture. Ainsi l’aristocratie replacée au timon des affaires semble ga­rantie contre l’effet de ses propres fautes; elle peut sans crainte faire assassiner un empereur, troubler au gré de ses passions l’Occident, risquer une guerre malheureuse; car aussitôt qu’elle aura été vaincue, on lui prodiguera les bienfaits d’une triple amnistie, elle ressaisira toutes ses espérances et avec elles son crédit, ses dignités, ses richesses, et elle continuera de harceler le christianisme par des menaces et des injures : telle est sa destinée.

Les chefs de la nouvelle religion, éclairés par l’ex­périence, s’imposaient aussi des ménagements à l’égard d’un culte arrivé au dernier degré de faiblesse, mais qui pesait encore, comme on vient de le voir, dans la balance des intérêts politiques. Ils commandaient à leurs amis de ne point compromettre la victoire par les écarts d’un zèle irréfléchi: la prudence était encore nécessaire, au moins pour quelques moments. Pouvait-on prévoir la politique qui animerait l’esprit du nouveau règne, de ce règne destiné à devenir la proie du plus audacieux? Les clameurs des païens, celles des mani­chéens, les sourdes menées des hérétiques, les calomnies des juifs, ne pouvaient-elles pas ramener le pou­voir à l’ancien système de la tolérance, contre lequel les chrétiens avaient si longtemps protesté? Les lois ont enlevé aux pontifes leurs richesses, mais elles n’ont pu prescrire aux païens de se convertir; leurs temples ne sont-ils pas ouverts en Occident? n’y sacrifie-t-on plus? Les échecs éprouvés par l’ancien culte, si grands partisans de l’ancien culte si grands qu’ils soient, ne peuvent-ils pas être réparés? Suppo­sez Eugène vainqueur, et prévoyez ce qui serait ar­rivé.’ Telles étaient les idées, qui, au commencement du règne d’Honorius, préoccupaient les esprits les plus sages du christianisme.

Quant aux païens soit de Rome, soit des provinces, ils regardèrent la mort de Théodose comme une répa­ration suffisante de toutes les injures dont ce prince les avait abreuvés. Convaincus que les lois rendues contre eux sous son règne étaient mortes avec lui, ils reprirent leur assurance et continuèrent à poursuivre le christianisme d’accusations absurdes et à répandre parmi le peuple les plus folles illusions.

Dans les premières années du règne d’Honorius on entendait répéter : «Il ne pleut pas, c’est la faute des chrétiens»; ou bien : «Les chrétiens prêchent des erreurs; leur résurrection des morts est une folie.» «Quœrelas impias jaçtare non quiescunt», disait saint Augustin. Ils allèrent plus loin: à les entendre, un de leurs oracles avait déclaré que saint Pierre s’était servi de sortilèges pour faire adorer le Christ pendant trois cent soixante-cinq ans, et qu’après ce laps de temps le christianisme périrait. «O belle imagination, s’écrie saint Augustin, pour des gens qui se piquent  de science!» En plaçant la mort du fils de Dieu à l’année 33 de l’ère chrétienne, la ruine de la nouvelle religion devait donc arriver en 398. Cette prédiction circula dès le mois de mai avec une étonnante rapidité dans tout l’empire romain, et inspira aux païens une telle audace que la cour impériale crut devoir inter­venir afin de la réprimer. Une loi fut enfin rendue pour interdire en Occident tous les sacrifices. Comme cette loi ne nous est pas parvenue, je suis forcé pour prouver son existence d’entrer dans quelques développements.

Honorius étant à Ravenne en 399 adresse, le 4 des calendes de février, une loi à Macrobe proconsul d’Espagne, et à Proclianus vicaire des cinq provinces, qui commence en ces termes: Sicut sacrificia prohibemus, ita volumus.... Le 13 des calendes du mois de septembre suivant, il rendit une autre loi, dans laquelle on lit :«Ut profanos ritus jam salubri lege submovimus, ita...» Ainsi une loi antérieure à celle-ci avait interdit sacrificia et profanos ritus.

Quelle était la date de cette loi? jusqu’où s’éten­daient les prohibitions portées par elle? Voici deux questions auxquelles il faut répondre.

Saint Prosper, Tiro Prosper et Idace disent positive­ment que la ruine des temples et de l’idolâtrie eut lieu dans l’Occident en 399, et saint Augustin, dans un ouvrage écrit en l’année 400, fait allusion à des lois très-sévères rendues récemment contre les païens. On doit donc admettre que la loi contre les sacrifices fut publiée en l’année 398 , peu avant les deux lois de l’année suivante dont je viens de parler.

La date étant connue il reste à découvrir les dis­positions principales de cette loi.

Gratien et Valentinien II n’avaient prononcé aucune prohibition générale contre les cérémonies du culte ancien. A Rome, les rites publics ne pouvaient plus être célébrés, non que le législateur les eût interdits, mais parce que le trésor n’en payait plus les frais. Dans les provinces où le rituel romain n’était pas en vigueur, si une ville, une corporation, ou même un simple particulier, avait voulu subvenir aux frais du culte, rien n’aurait fait obstacle à l’accomplissement régulier des rites païens, et sans doute les choses ne se passaient pas différemment dans presque toutes, lés provinces d’Occident.

En tenant compte seulement de la première des deux lois de l’année 399, on voit que le prince prohiba gé­néralement tous les sacrifices soit privés soit publics, car les expressions dont elle se sert sont très-étendues : « Sicut sacrificia prohibemus»; mais les termes de la seconde loi sont différents: «Profanos ritus submovimus», c’est-à-dire nous avons aboli les rites profanes, les anciennes cérémonies publiques. Dans le Code Théodosien en effet, l’expression ritus ne désigne ja­mais les actes privés de piété, les domestica or privata sacra; au contraire elle s’applique à ce qu’il y avait dans les cérémonies publiques de plus élevé et de plus étendu, à ces mystères qui, selon l’expression de Zosime, embrassaient tout le genre humain

Achevons la lecture de la seconde des lois dont il est ici question, et nous serons encore affermis dans l’idée qu’Honorius n’avait pas interdit les sacrifices privés. L’empereur s’adresse à Apollodore proconsul d’Afrique, et s’exprime en ces termes : « Déjà nous avons aboli par une loi salutaire des rites profanes; mais nous  ne voulons pas qu’on interdise les fêtes, les réunions de citoyens, ni les témoignages de la publique allégresse (festos, conventus civium, et coummunem lœtitiam). C’est pourquoi nous favorisons, selon la vieille coutume ceux des plaisirs du, peuple qui ne sont souillés ni par des sacrifice, ni par quelque autre superstition condamnable, et les festins publics donnés à l’occasion des ’vœux». Puisque cette loi restrictive de la prohibition ne s’appliquait qu’aux cé­rémonies publiques, la loi prohibitive devait elle-même n’avoir rapport qu’à ce genre de cérémonies.

Si une opinion contraire à celle-ci venait à prévaloir, il faudrait la mettre d’accord avec les inscriptions que je vais présenter, inscriptions dont le caractère païen très prononcé prouve que les partisans de l’ancien culte jouis­saient individuellement d’une liberté religieuse entière, La première que je citerai est extraite du recueil de Gudi et conçue en ces termes:

IOVI STATORI FVL

GERATORI D. D

C. SILIVS PATRVINVS V. C

PRAEFEÇTVS VRB. EX V

SOL

Corsini place en l’année 397, mais il faut lire. 398, la préfecture de Patruinus.

L’authenticité de l’inscription a été non pas révoquée en doute, mais ouvertement dénié par M. Orelli. En admettant qu’elle soit un des fruits de la facilité dont Pirro Ligorio jouissait de rédiger de fausses inscriptions, il conviendrait cependant d’attaquer ce document à l’aide de preuves différentes de celles dont le savant antiquaire de Zurich a fait usagé.

M. Orelli pour démontrer la fausseté de l’inscription dit : Quasi vero tune temporis prœfecto urbi Joui Statori, etc., votum solvere licuisset! Nous connaissons l’état de la législation et la disposition des esprits au commencement du règne d’Honorius; or, quelle puis­sance aurait à cette époque empêché le préfet de la ville ou tout autre magistrat d’élever un autel à Ju­piter? Sacrifier dans ses foyers était encore une chose licite, et l’on aurait craint d’invoquer nominativement une divinité? Dira-t-on qu’en 397 un païen ne pouvait pas avoir été nommé préfet? Mais nous avons vu les prin­cipaux amis d’Eugène remis en placé après sa chute, et nous apercevrons pendant beaucoup d’années encore des partisans du culte-national revêtus d’emplois non moins importants que celui de préfet de Rome : ainsi cette objection, si elle était présentée, nous paraîtrait facile à repousser. L’inscription dé Patruinus peut être déclarée fausse, mais je crois que si l’on adoptait les motifs de rejet proposés par M. Orelli, on reviendrait à l’ancien système des écrivains ecclésiastiques : c’est-à-dire que l’on ne trouve ni en Occident ni en Orient la preuve de l’invocation publique des anciens dieux après le règne de Théodose; or, ce système me semble évidemment contraire à la vérité. Aussi longtemps que les lois et les mœurs autoriseront l’usage des invoca­tions païennes, nous devrons chercher ailleurs que dans le caractère païen d’une inscription des motifs de douter de son authenticité. L’opinion opposée forcerait de re­garder tous les monuments qu’il reste encore à citer comme enfantés par la fraude et par l’ignorance.

La seconde inscription païenne qui s’offre à nos re­gards appartient à Cœcina Decius Albinus, et elle est digne de fixer toute notre attention :

D. N. FL. ARCADIO

PIO FELICI VICTORI

AC TRIVMPATORI

SEMPER AVGVSTO

CAECINA DECIVS ALBINVS V. C

PRAEFEGTVS VRBIS VICE

SACRA IVDICANS

DEVOT VS NVMINI MAIESTATIQ

EIVS

Albinus géra la préfecture de la ville entre les années 393 et 398, cette inscription appartient donc au règne d’Honorius. Au premier aspect elle ne présente aucun signe certain de paganisme; mais Doni l’ayant copiée, non dans le recueil de Gruter mais, sur le monument même, remarque qu’elle fut tracée sur la face d’un autel; que d’un côté l’on voit un vase sacré et de l’autre une patère; il en conclut avec raison que cet autel était dédié aux dieux inférieurs ou supérieurs, et qu’on ne peut le placer parmi les autels votifs dédiés aux Augustes.

La famille Probus professait le christianisme depuis le règne de Constantin. Un des plus anciens monu­ments chrétiens est sans doute le sarcophage qui con­tenait les restes de S. Anicius Petronius Probus, proconsul d’Afrique sous Constance, quatre fois préfet du prétoire d’Italie, consul en 371, ainsi que ceux de son épouse Anicia Faltonia Proba. Ils eurent pour enfants les deux consuls S. Anicius Probinus, et S. Anicius Ermogenianus Olybrius, également célèbres par leur piété. N’est-il pas alors surprenant de voir cette famille adorer encore son Génie conservateur?

GENIO CONSER

VATORI DOM. ANIC. SACR

AVICIVS PROBINVS V. C

CONSVL ORDINARIVS

Cette inscription est de l’année 395.

En voici une dont la date doit être postérieure, puis­que le personnage que nous y voyons mentionné était consul en 4o6 et comte des largesses en 412 et en 414.

GENIO CONSERVATORI

ANICIANAE DOMVS

ANICIVS PROBVS V. C

VESTOR CANDIDATVS

D. D

Une famille aussi dévouée aux idées nouvelles que l’était la maison Anicia aurait dû, je ne dis pas s’abste­nir d’élever des autels à son bon Génie, mais briser tous les signes qui chez elle pouvaient rappeler des erreurs abjurées depuis près de cent ans; il n’en fut pas ainsi, parce que les Aniciens n’avaient pu entièrement désavouer le principe aristocratique, parce qu’ils se rap­pelaient qu’on les avait surnommés vera proles Romuli, et qu’ils regardaient leur gloire comme une propriété de la patrie. En élevant ou en laissant élever des autels à leur Génie conservateur, ils croyaient seulement émettre un vœu pour le maintien de la majesté et de la puissance d’une des plus illustres familles de Rome, et ne s’apercevaient pas qu’ils donnaient un témoignage de l’empire des idées païennes sur leurs mœurs. Plus on pénètre dans la connaissance des usages de ce siècle, plus on est autorisé à penser qu’il existait peu de véritables chrétiens parmi les nobles. Beaucoup d’entre eux croyaient avec ferveur toutes les vérités proclamées par les ministres de l’Evangile, ils remplissaient fidèlement les devoirs imposés par la nouvelle religion, ils signalaient en tous lieux leur mépris pour les idoles, mais ils restaient païens par leur manière de penser et de vivre. Le temps seul pou­vait établir l’harmonie entre la pensée et l’action, entre la foi et les mœurs.

L’inscription suivante est tracée en beaux caractères sur un autel de grande dimension ; la date correspond à l’année 4o5 :

DIS SALVTIFERIS

DEDICATA STILIKONE ET

ANTEMIO OSS. KAL. APR

Dans la série des préfets de la ville nous n’apercevons qu’un seul citoyen portant le nom d’Hilarius et il fut revetu de cette magistrature en l’année 4o8. L’inscription suivante peut, je crois, être regardée comme se rapportant à ce personnage :      

IOVI OPTIMO CAPITOLINO

SACRVM

M. NVMMIVS M. F. PAL. HILARIVS V. C

PRAEF. VRB. EX V. F. COER

PRO SALVTE RVMMIAE VAHALENAE

Le quatrième siècle vit plusieurs patriciens porter le nom de Catullinus : Aconius Catullinus fut consul en 349, un autre Catullinus est simplement qualifié vir consularis dans une loi du Code Théodosien datée de l’an 412; l’identité des qualifications nous autorise à attribuer à ce dernier l’inscription suivante  :

I. O. M.

ACO. CATVLLI

NVS VIR CONSV

 LARIS PRAESES

PRO SALVTE SVA

SVORVMQVE

OMNIVM POSVIT

Ainsi des hommages individuels peuvent encore être rendus aux anciens dieux. Remarquons que l’on n’a­perçoit plus sue les monuments l’énumération des dignités religieuses de ceux qui les ont élevés. Il n’est pas cependant douteux que des païens aussi obstinés que l’étaient Hilarius ou Catullinus n’eussent été précédem­ment revêtus de quelques pontificats; mais l’abolition des privilèges des pontifes et l’interdiction des cérémonies publiques avaient fait disparaître les anciens titres. Les deux dernières inscriptions nous révèlent donc la situation bizarre d’une religion privée de ses pontifes et conservant cependant encore une sorte de vie.

Fabretti et Muratori rapportent une longue in­scription dans laquelle Lucius Marius Quirinus Maximus Perpetuus Aurelianus, qui selon Muratori est le consul de l’an 400, se trouve qualifié Sacerdos Fetialis. M. Orelli n’exprime aucun doute sur l’authenticité de ce monument. Je suis peu disposé toutefois à croire qu’un païen se soit décoré de titres religieux à une époque où le pontificat païen n’existait plus, et surtout d’un titre aussi peu répandu que celui de Sacerdos Fetialis.

Les inscriptions qui viennent d’être mises sous les yeux du lecteur désignent les limites entre lesquelles était renfermée la loi d’Honorius; et nous apprennent que si cette loi s’étendait plus loin que nous ne le pensons, au moins elle ne fut pas exécutée: dans les deux cas l’effet était semblable. Les païens conti­nuèrent d’invoquer leurs dieux, de fréquenter leurs temples et de proclamer publiquement leurs erreurs. Cette heureuse et opiniâtre persistance ne doit pas être imputée à crime à l’empereur. Il marchait vers le but indiqué, mais il marchait lentement parce qu’il n’était point soutenu par les vœux de la majorité des citoyens. Constantin en se faisant chrétien à une épo­que. où la vérité ne comptait encore qu’un nombre de partisans très-restreint, plaça ses successeurs dans une situation difficile, et les condamna à faire usage d’un pouvoir qui sans cesse venait se heurter contre la puissance des mœurs nationales. Un souverain, si re­douté qu’on le suppose, quand il n’est pas soutenu, surtout dans les réformes religieuses, par l’opinion de la majorité de ses sujets, se trouve placé sur une pente glissante ; le parti le plus sage est de s’arrêter et d’at­tendre. Mais le christianisme ne permettait pas aux empereurs de temporiser, il les aiguillonnait continuellement; de là ces fausses mesures, ces inutiles menaces, ces lois rendues et révoquées dans la même journée; de là cette politique fausse, vacillante, contradictoire qui devait seulement cesser lors de l’invasion des bar­bares, c’est-à-dire à cette époque mémorable où tous les débris de la vieille civilisation forent brisés et jetés dans un nouveau moule.

 


CHAPITRE II

Invasion des Goths en Italie. — Mort de Stilicon.

 

La société ancienne et la société nouvelle luttaient depuis quatre siècles avec acharnement; le terrain était disputé pas à pas, et si la force réelle semblait inéga­lement distribuée, on reconnaissait de part et d’autre une même constance, une même inflexibilité, une vo­lonté aussi ferme de ne rien céder. Les incertitudes du combat se seraient prolongées longtemps encore si la Providence n’avait enfin donné le signal aux bar­bares : ils franchissent les barrières de l’empire romain, et l’arrêt rendu contre la vieille société va être exécuté.

Alaric, chef des Goths, rendit à Théodose d’impor­tants services soit en combattant contre les Huns, soit en lui fournissant des secours lors de la révolte d’Eu­gène. Mécontent de n’avoir obtenu pour prix de sa fidélité qu’un simple grade dans l’armée romaine et quelques possessions dans la Thrace, Alaric déclara la guerre à l’empire d’Occident, ravagea la Pannonie, la Macédoine, la Thessalie, et ne trouvant rien qui lui fît obstacle, il envahit la Grèce. Ses soldats détruisirent les plus beaux monuments païens de cette contrée.

Stilicon, apprenant l’état dans lequel se trouvaient les pays occupés par les Goths, résolut en 396 d’aller les défendre. Il transporta par mer une armée dans le Péloponnèse, remporta plusieurs avantages contre les barbares, et enfin les contraignit de se retirer sur une montagne de l’Arcadie où il lui aurait été facile, selon les historiens, de les faire périr; mais il les laissa gagner l’Épire où ils continuèrent leurs ravages. Bientôt Alaric reprit l’offensive, et l’empereur d’Orient désespérant d’arrêter ses progrès lui céda la souveraineté de l’Illyrie.

C’était sur l’Italie et particulièrement sur Rome qu’Alaric avait fixé ses regards. Sa première invasion dans cette contrée eut lieu en l’année 401. Les détails de cette expédition ne nous sont point parvenus. Les Goths quittèrent l’Italie dans la même année, mais ils y revinrent deux ans plus tard. Ce brusque retour plongea l’Occident dans l’épouvante en lui apprenant qu’il n’avait plus de barrières et que désormais son sort dépendait du caprice de ses ennemis.

Au milieu de la terreur que causait la manifestation d’une vérité aussi cruelle, l’esprit superstitieux des Romains reprit tout son empire; chrétiens et païens cherchaient dans l’emploi des moyens surnaturels un secours qu’ils auraient en vain demandé, à leur cou­rage.

Stilicon défit les Goths à Pollence près de Turin. Alaric tenta vainement de rappeler la victoire sous ses drapeaux et se décida à quitter l’Italie.


Ce succès inattendu plongea les Romains dans la plus vive joie. A la fin de l’année 403 Stilicon mena l’empereur à Rome, afin que l’on célébrât par des fêtes extraordinaires le retour de la fortune et rentrée de ce jeune prince dans son sixième consulat. Claudien fut chargé de chanter la gloire du vainqueur de Pollence.

Ces fêtes extraordinaires célébrées en l’année 404, époque présumée du retour des Jeux séculaires, cer­tains passages du poème de Claudien, et une exhortation adressée au peuple par saint Augustin et qui. correspond à la même époque, ont fait supposer à plusieurs écrivains que les Jeux séculaires furent pour la dernière fois fêtés en l’année 4o4. Divers critiques, et entre autres Tillemont, combattent avec chaleur cette opinion, en se fondant principalement sur la piété bien connue d’Honorius. La preuve la plus forte que l’on puisse alléguer en faveur de cette dernière opinion est encore le silence de Zosime et celui de Claudien. L’historien qui dans un autre endroit déplore avec tant de force la cessation de cis pieuses cérémo­nies n’aurait certainement pas manqué de rappeler leur célébration sous le, règne d’Honorions. Quant à Claudien, de telles fêtes lui eussent fourni un texte inépuisable d’allusions, de souvenirs, d’invocations, d’élans pompeux de piété; et dans son poème sur le sixième consulat d’Honorius, il mentionne de simples fêtes civiles et non des Jeux séculaires. Il faut d’ailleurs remarquer que ce sont les auteurs modernes qui on dit que ces jeux devaient revenir en l’année 404. Les Jeux séculaires se célébraient tous les cent, dû cent dix ans; et ils pouvaient aussi bien avoir lieu en 414 qu’en 404; et même si l’on se rappelle que les Romains s’atten­daient à les voir célébrer sous Constantin en l’année 314, on devrait dire qu’il était contraire aux règles de les redemander avant l’année 414 ou 424.

On a prétendu qu’en l’année 4o4, ainsi peu de temps après le départ d’Honorius, les sénateurs avaient en­voyé à Ravenne une députation pour obtenir la célébration des Jeux séculaires et les combats de gladiateurs. Cette démarche des sénateurs n’a rien qui puisse surprendre, mais je ne la vois indiquée dans aucun monument historique de cette époque. Ne serait-il pas d’ailleurs difficile d’admettre que les Romains, après avoir fêté si magnifiquement la présence de l’em­pereur dans leurs murs, eussent demandé peu de jours après et au nom de l’ancienne religion, à recommencer leurs jeux, leurs fêtes et leurs cérémonies?

Les historiens ecclésiastiques prétendent que les combats de gladiateurs furent abolis à Rome et dans tout l’empire en cette même année 404, à la suite du meurtre d’un religieux nommé Télémaque. Cet homme avait formé dans la solitude le projet de détourner les Romains de se livrer ou d’applaudir à ces combats affreux qui étaient même à cette époque condamnés avec force par les païens grecs. Il vint donc à Rome à l’époque où s’y trouvait Honorius, en pensant bien que l’occasion de commencer sa périlleuse mission ne lui manquerait pas. En effet, un jour où les gladiateurs préludaient à leurs combats, il descendit dans l’arène et s’efforça de les séparer: le peuple irrité se pré­cipita sur lui et le massacra. Les chrétiens deman­dèrent alors à l’empereur et obtinrent de son huma­nité la prohibition de ces atroces plaisirs. Tel est le récit des historiens chrétiens. La mort de Télémaque est sans doute un fait exact, très propre à faire con­naître l’esprit de la population romaine; mais l’aboli­tion des combats de gladiateurs en l’année 4o4 est une assertion dénuée de fondement. Salvien, qui écrivait après le règne d’Honorius, parle encore de ces jeux, ubi summum deliciarum genus est mori homine. Les combats de gladiateurs ne cessèrent que quand les œurs païennes eurent été en grande partie effacées, c’est-à-dire à une époque correspondante à peu près à l’établissement des Goths en Italie.

En l’année 405 Radgaise descend en Italie à la tête d’une armée de deux cent mille Goths: «Ce fut, dit Tillemont, un nouveau pas de la justice divine pour foire trembler les Romains.» Ce chef était idolâtre, et les chrétiens le représentent comme l’ennemi le plus cruel qu’ait eu l’empire. Il avait, disaient-ils, promis à ses dieux de leur faire une libation de tout le sang romain. Il avança jusqu’à Florence sans qu’aucune ar­mée se présentât pour arrêter sa marche. L’épouvante rentra dans Rome. On assure que la population païenne tenta un mouvement sinon en faveur de l’ennemi, au moins contre les chrétiens ; laissons parler saint Augustin :

«Les murailles de la ville étant menacées, les païens essayèrent de se soulever. Ils disaient que les Romains avaient devant eux un ennemi redoutable par le nom­bre de ses soldats et l’appui que ses dieux lui don­naient, tandis que Rome languissait sans soutien, qu’elle allait succomber parce qu’elle avait perdu ses dieux et ses rites sacrés : « Comment pourrions-nous « triompher de Radgaise? il a pour lui des dieux auxquels il sacrifie tous les jours, et nous en avons qui ne veulent pas qu’on leur sacrifié.» Partout on entend des plaintes et des blasphèmes. Le peuple charge le Christ de malédictions comme la cause des malheurs publics, On parle de rétablir les idoles, et de célébrer, les anciennes cérémonies. Les païens ne doutaient pas que Radgaise ne remît l’ancien culte en honneur, et le cœur des chrétiens était .rempli d’amertume». Ainsi les païens ne se bornent plus à répéter leur éternel Argument : Ecçe omnia. pereunt christanis temporibus; mais ils demandent positivement que l’on rende d’empire invulnérable en relevant les simulacres des dieux»

Si l’on pouvait douter qu’ils fussent sincères quand ils accusaient le çhristianisme de causer tous les maux dont l’empire était accablé, en écoutant saint Augustin pu abandonnerait une telle pensée pour ne considérer que ce fanatisme inexplicable, conseillant à une populations non de s’armer,  de fortifier ses murailles, d’en appeler à son courage ou au moins à son désespoir, mais de relever .es autels de ses dieux .

Stilicon réunit trente légions, marcha contre les Goths et les extermina près dé Florence. Paul Orose semble regretter que Dieu ait retardé la leçon, qu’il devait plus tard donner à cette ville impie.

Les victoires de Stilicon retardèrent à peine de quelques heures la ruine de l’empire. En 4o6, les Van­dales, les Suèves et les Alains passent le Rhin et ravagent la Gaule jusqu’au. Pyrénées. Bientôt les Bourguignons, les Quades, les Sarmates, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les, Allemands… sortent de leurs forêts pour venu prendre part au grand festin funèbre qui s’apprête. Un usurpateur se revêt de la pourpre en Angleterre, un autre en Espagne; partout éclatent les symptômes d’une dissolution générale. Stilicon ne retrouve plus, au milieu de ces affreuses conjonctures, son ancienne ardeur; pendant qu’il traite avec Alaric pour obtenir sa coopération dans une in­utile tentative en Illyrie, ses ennemis puissants auprès d’Honorius ourdissent contre lui une secrète trame. L’ordre de le mettre à mort est signé. Abandonné de tous ses partisans, devenu en horreur aux Romains pour qui il avait remporté naguère plusieurs grandes victoires, il ne sait pas tenir tête à l’orage, et se réfugie à Ravenne où il reçoit la mort le 13 août 408. Quelques considérations sur le caractère dissimulé de ce ministre et sur celui de son infatigable panégyriste Claudien seront l’objet du chapitre suivant.


CHAPITRE III.

Sur les opinions religieuses de Stilicon et de Claudien.

Peu d’hommes ont été jugés d’une manière aussi, uniforme que Stilicon, et cependant peu de jugements historiques semblent aussi empreints de passion que celui qui pèse sur sa mémoire. Les écrivains du Bas-Empire s’accordent, sauf un seul, à le représenter comme coupable de tous les crimes qu’il est possible à un homme puissant de commettre; ils l’accusent enfin d’avoir vendu l’empire aux barbares. Les malheurs de l’Italie donnèrent à cette dernière inculpation une telle vogue, que pendant longtemps il ne fut pas permis de prononcer le nom de ce ministre sans l’accompagner de malédictions.

Je viens de dire qu’un seul écrivain s’était éloigné de la ligne suivie par tous les autres: on comprend que je veux parler de Claudien. Dans quelle incer­titude l’historien moderne se trouve placé! D’un coté une foule d’écrivains chrétiens ou païens accablent Stilicon mort des plus cruels outrages, de l’autre Claudien tout seul prodigue à Stilicon vivant les hon­neurs de l’apothéose. Je m’estime heureux de n’avoir pas à résoudre un problème historique hérissé de dif­ficultés, et de pouvoir me renfermer dans l’examen de la politique suivie par Stilicon relativement au pa­ganisme.

Toutes les lois rendues sous le règne de ce ministre portent visiblement l’empreinte du cachet chrétien, et celles qui furent publiées contre les païens d’Afrique et dont il sera parlé ailleurs peuvent même être considérées comme un vrai triomphe pour le christianisme, car elles attaquaient l’ennemi retranché dans une po­sition formidable. Ces actes, témoignages historiques très importants, ne peuvent pas cependant être uni­quement attribués à Stilicon. L’honneur de les avoir conçus et proclamés appartient plutôt à la cour impériale au sein de laquelle l’esprit de prosélytisme dominait, bien plus que dans le cœur d’un homme dont la guerre et les intrigues de cour dévorèrent l’existence. Cherchons donc si dans la vie de Stilicon d’autres faits plus précis, plus directs ne peuvent pas fixer notre incertitude.

Stilicon se rendit coupable de deux sacrilèges à l’égard de l’ancienne religion: l’un était sans doute considérable, mais l’autre parut aux païens combler la mesure de tous les attentats commis contre leur culte.

Zosime, après avoir raconté la mort de Sérena causée par son mépris pour les dieux, ajoute: «On rapporte que Stilicon pour un acte d’impiété peu différent de celui-ci ne put pas se dérober aux secrets de la ven­geance. Il avait ordonné que les portes du Capitole recouvertes d’un or très épais fussent dépouillées de a cet ornement; les ouvriers en détachant les lames d’or, trouvèrent ces mots tracés sur les portes: Misero régi servantur. L’événement répondit à cette inscription, car la fin de Stilicon fut misérable et digne de pitié.» Voilà le premier sacrilège de Stilicon; son avarice lui fit porter une main coupable sur les or­nements sacrés du Capitole.

Les livres Sibyllins existaient encore et le crédit dont ils jouissaient près des païens ne paraissait pas devoir s’affaiblir de sitôt, lorsque Stilicon, cédant sans doute aux instigations des chrétiens, ordonna leur destruction. Pour savoir comment les païens jugèrent ce prétendu forfait et son auteur il faut laisser parler Rutilius Nuipatianus:

Quo magis est facinus diri Stilichonis acerbum,

Proditor arcani qui fuit imperii.

Romano generi dum militur esse superstes,

Crudelis Summis miscuit ima furor.

Damque timet, quidquid se feceraf ipse timeri,

Immisif Latiœ. burbara teks neci.

Visceribus nudis armatum condidit hostem

 Illatœ cladis liberiore dolo.

Ipsa satellitibus pellitis Roma petebat,

Et captiva prius, quam caperetur, erat,

Nec tantum Geticis grassatus proditor armis ,

Ante Sibyllinae fata cremavit opis.

Odimus Althaeam consumpti funere torris;

Niseum çrimen flere putantur aves.

At Stilicho œterni fatalia pignora regni,

Et plenas voluit praecipitare colas,

Omnia Tartarei cessent tormenta Neronis,

Consumât Stygias tristior ambra faces.

Hic immortalem, mortalem percutit ille;

Hic mundi matrem perculit, ille suam.

Il n’était pas un seul ami des idoles dans tout l’empire qui ne partageât ces sentiments d’une brûlante indignation. La destruction de l’autel de la Victoire, c’est-à-dire d’un monument vénérable mais peu ancien et sorti de la main des hommes, fit au cœur des païens une vive blessure; combien dut être pins douloureuse, plus profonde, plus éclatante, celle qu’ils reçurent quand ils virent précipiter dans les flammes fatalia pignara œterni regni!

Ces deux faits rapprochés des lois rendues sous l’administration de Stilicon et confirmés par l’opinion unanime des historiens ecclésiastiques, semblent ne pas permettre dé douter qu’il n’ait donné autant de marques dé son dévouement au christianisme, que de sa haine contre la religion nationale.

Voici cependant un historien dont le: témoignage très digne d’àttention va contredire ouvertement et peut-être même prévenir les conséquences que l’on pourrait tirer dés faits précédemment cités.

Paul Orose racontant la mort de Stilicon et la ruine de sa famille dit en parlant d’Eucher fils du ministre d’Honorius : Qui ad conciliandum sibi favorem paganorum, restitutione templorum et eversione ecclesiarum imbuturum se regni primordia minabatur.

Ainsi Stilicon approuve au moins la politique antipaïenne de la cour impériale; il porte une main sacri­lège sur le Capitole; il voue aux flammes le monument le plus précieux de la piété des Romains, et en même temps, afin de se concilier la faveur dès païens, il fait élever son fils dans leur religion; et cet enfant dressé au rôle qu’il doit jouer, répète que si jamais il devient empereur, la puissance du christianisme sera anéantie. Cette nouvelle accusation est intentée par un contem­porain et produite dans un livre qui ayant reçu l’approbation de saint Augustin, ne peut pas être regardé comme contenant sur des faits récents des allégations sans fondement. On ne doit donc pas révoquer en doute le fait cité par Orose, et il ne reste plus qu’à examiner s’il est, autant qu’il le paraît, en contradiction avec le caractère véritable de Stilicon et avec la disposition des esprits au cinquième siècle. On entrevoit sans doute de quel côté viendra la lumière propre à faire évanouir toutes ces oppositions apparentes.

Il existait dans l’empire beaucoup de gens dont la foi religieuse avait la flexibilité du roseau. Le souffle de l’intérêt personnel les faisait incliner tantôt vers tes idoles, tantôt vers la croix. Ces hommes méprisa­bles flétrirent par leurs intrigues les dernières années du règne de Constantin, et on les trouva aussi assi­dus à la cour de Constance qu’à celle de Julien. Leur nombre avait toujours été en augmentant depuis le milieu du quatrième siècle, et dans les premières années du cinquième il ne le cédait ni à celui des chré­tiens ni à celui des païens. Tout porte à croire que Stilicon appartenait à un parti dans les rangs duquel les ambitieux avaient leur place marquée.

Les historiens ecclésiastiques prétendent que toutes les machinations de Stilicon eurent pour but de conserver, pendant la vie d’Honorius, le pouvoir réel entre ses mains et de revêtir de la pourpre son fils quand le successeur de Valentinien II aurait terminé sa triste existence. Il serait mal aisé de rejeter une allé­gation appuyée sur les diverses circonstances de la vie de Stilicon, et qui d’ailleurs révèle une ambition naturelle chez un homme puissant comme l’était ce mi­nistre.

Pour faire réussir ses desseins il avait un égal besoin du parti chrétien et du parti païen. Il se chargea du soin de s’attacher le premier, laissant à son fils celui de conquérir l’amour du second en le leurrant de pro­messes qui sans doute ne devaient jamais être tenues. Dans cette voie où tant d’artifice était nécessaire, sa conduite, il faut en convenir, fut pleine d’habileté. Les chrétiens étaient les plus forts, les plus impatients, les moins disposés à se payer d’illusions : il leur donna le pouvoir du moment; les païens se nourrissaient de visions, de rêveries, d’espérances, ils se montraient sa­tisfaits pourvu qu’on leur permît de penser et de dire que tôt ou tard leurs autels seraient relevés: il offrit à ceux-ci le règne futur de son fils comme l’époque de la restauration des temples. Cet accommodement semble leur avoir convenu, car Stilicon fut renversé non par les défenseurs des idoles, mais par les chrétiens, qui avaient besoin d’amis plus sincères.

Le désir qui animait le ministre d’Honorius de con­server des intelligences dans le parti païen se trouve d’ailleurs révélé par les rapports intimes qui existaient entre lui et le célèbre poète Claudien.

Cet écrivain qui reçut du ciel une imagination ar­dente et dont le génie impétueux avait besoin pour s’épancher d’vue entière liberté, employa son talent d’une manière peu conforme à sa nature.

Le propre du génie poétique est de s’unir, pour les reproduire, à toutes des grandes impressions que les peuples éprouvent: l’enchaîner à des idées dépourvues de force, de vie, d'avenir, c’est de condamner à une perpétuelle enfance. Alors la pensée chrétienne agitait tout l’empire romain; elle préoccupait de mille ma­nières différentes les esprits et les consciences; elle faisait monter dans la chaire les hommes pourvus du talent de la parole; elle jetait dans la mêlée des luttes théologiques ceux qui brillaient par la sagacité, la finesse ou la force de leur esprit; les poètes trou­vaient en elle une source de nobles inspirations; elle exerçait enfin une attraction irrésistible sur quiconque portait en soi une étincelle de génie; car les Basile, les Chrysostôme, les Gregoire, les Ambroise, les Jérôme, les Augustin, les Prudence.... forent entraînés vers le christianisme autant peut-être par l’impulsion de leurs rares talents que par l’effet de leur conviction.

Claudien cependant sut échapper à cette loi de l’attraction chrétienne. Au service de quelle cause mit-il son génie poétique? au service de lancien culte, de ce système de croyances usées, de cette source tarie, de ce flambeau éteint, auquel lignorance ou la pas­sion attribuaient encore un reste de force. Il chante non pas une seule fois mais toujours, des dieux privés de leurs temples, de leurs autels, de leurs pontifes, publiquement honnis et méprisés, et qui m’entendent plus les accords qu’il fait monter vers les cieux.

Cette méprise du génie n’est pas un effet du ha­sard; elle résulte d’un principe qu’il importe de développer, car des erreurs des grands hommes comme celles des grands écrivains sont fécondes en leçons. La puissance des anciennes mœurs sent d’explication à la difficulté que nous cherchons à résoudre. Les païens formaient an sein de la grande société romaine une société particulière, très pauvre sous le rapport intel­lectuel,  mais  active, mais turbulente et encore pourvue d’une assez grande influence. Elle tendait à isoler ses intérêts de ceux-du reste de l’empire; et s’appliquait à vivre comme si le christianisme n’eût pas existé. Elle avait des couronnes pour ses flatteurs, des persécutions pour ses ennemis, et les empereurs tout en la détestant la ménageaient. Doit-on s’étonner dès lors quelle ait trouvé pour lui complaire et l’aduler des hommes de talent, gens à vues-étroites et fausses, assez éclairés pour comprendre qu’ils se trompaient, pas assez pour en convenir et changer de langage, des écrivains enfin tels que Claudien, Ammien Marcellin et quelques autres dont les noms sont connus? Il existait entre ces interprètes des anciennes idées et ceux des nouvelles autant de différence qu’entre les deux sources auxquelles ils allaient puiser. Les écri­vains chrétiens déclaraient hautement leurs principes, leurs intentions, et provoquaient sans cesse leurs adver­saires. Les païens au contraire croyaient donner une grande preuve d’habileté en ne tenant aucun compte des progrès du christianisme, et en ne le regardant que comme une tourmente passagère dont il serait fou de prendre souci. Ils étaient souvent, il faut en convenir, ramenés à la réalité des choses par de sévères leçons, mais ils n’en profitaient guère; leur situation fausse, leur aveuglement tantôt volontaire, tantôt réel, leurs contradictions choquantes, leur peu de bonne foi, n’apparaissent nulle part aussi bien que dans les ou­vrages dus au génie poétique de Claudien.

Claudien naquit et fut élevé à Alexandrie, ville illustrée par la science où toutes les opinions reli­gieuses et philosophiques étaient professées avec une égale liberté , et dans le sein de laquelle le christia­nisme réclamait simplement le droit d’être entendu et discuté. L’imagination remplie de toutes les idées païennes qui régnaient à Alexandrie, Claudien vient à Rome. Ces deux villes ne se ressemblaient par aucun point. Une dissimulation profonde dominait dans la capitale de l’Occident, chacun y déguisait son langage. La cour impériale amie si ardente des idées nouvelles flattait cependant les païens et fermait les yeux sur leurs coupables tentatives. De leur côté le sénat et l’a­ristocratie ne celaient pas avec moins de soin leurs ressentiments. S’adressent-ils à l’empereur, ils lui parlent comme s’il partageait encore leurs croyances, et les discours prononcées soit dans la Curie, soit au Capitole, indiquent une sécurité qui cependant ne régnait pas dans leurs âmes.

Jeune, plein d’enthousiasme, animé d’une foi sin­cère en la puissance de ses dieux, Claudien dut com­prendre difficilement l’emploi qui lui revenait dans cette espèce de comédie politique, alimentée si bien par l’esprit d’un siècle où la conviction et la, franchise étaient rares; mais des circonstances ignorées par nous le firent entrer très avant dans la confiance de l’homme éminent dont le caractère reproduisait avec une si grande fidélité les vices de la société qu’il gouvernait : sous les inspirations de Stilicon, Claudien se dispose à devenir l’organe officiel du parti païen.

Est-il dans l’histoire des lettres un spectacle plus étrange que celui offert alors par cet écrivain? Orose le qualifie gentilis pervicacissimus, saint Augustin, en parlant de lui dit poeta illorum, tout décèle en Clau­dien un païen fervent, sincère, convaincu. Il ne cesse pas de faire usage des allégories offertes par la my­thologie grecque, il puise à pleines mains dans cette mine d’erreurs; les dieux de l’Olympe occupent dans ses poèmes plus de place que les mortels dont il prétend célébrer la gloire; et néanmoins il ne lui échappe pas un mot qui puisse trahir l’intérêt plus ou moins grand qu’il prend à la lutte entre les deux religions. Il ne donne aucun témoignage de pitié à ces dieux dont les noms reviennent à tout moment sous sa plume; sa muse chante les événements du règne d’Honorius, et elle non oublie qu’un seul, c’est la consécration définitive des victoires remportées, par le christianisme.

Non seulement Claudien se tait sur une révolution religieuse dont tous les esprits sont préoccupés et qui blesse un si grand nombre d’intérêts, mais  il va plus loin; et selon la tactique de son parts, il décore l’image des empereurs chrétiens avec des emblèmes païens d’un tel caractère qu’il est difficile de comprendre comment cette profanation ne lassa point la patience des empereurs et ne reçut pas enfin sa récompense. Je citerai quelques exemples;

Théodose était, plus encore que Constantin, une personnification du christianisme: jamais il ne chancela dans la foi véritable; sa vieillesse ne ternit pas l’éclat de ses premières années, et ils  mourut au sortir d’un combat où il venait, de terrasser encore une fois les amis de Mammoa. Une auréole de gloire chré­tienne entourait donc son nom et le garantissait con­tre les éloges du paganisme. Cependant Claudien feint d’ignorer tout ce que l’empire connaît; avec une témé­rité inconcevable il transforme Théodose en dieu et lui fait tenir du haut de son céleste séjour un langages qui serait convenable dans la bouche de Jupiter, de Mars ou de Quirinus.

Claudien célèbre le troisième consulat d’Honorius et introduit dans son poème. Théodose qui, sentant ap­procher sa mort, confie ses enfants à Stilicon. A peine le vénérable empereur a terminé son discours, qu’il va prendre sa place dans la demeure des dieux.

C’est ainsi que le prince dont la ferveur chrétienne  avait assimilé le moindre acte du paganisme au crime de lèse-majesté se trouve transporté dans la région des étoiles, incertaines s’il daignera prendre place au milieu d’elles.

Je conçois que Claudien ait fait assister tous les dieux à la naissance d’Honorius, et chargé l’un d’eux de prédire au jeune héritier de la pourpre les plus bril­lantes destinées : cette fiction, extraordinaire sans doute dans la bouche d’un poète du quatrième siècle, n’excé­dait cependant pas le droit fondé sur un long usage; mais il affirme que les oracles et des signes célestes annoncèrent la naissance du fils de Théodose :

Quœ tune documenta futuri?

Quœ noces avium? quanti per inane volatus?

Quis vatum discursus erat? tibi corniger Ammon,

Et dudum taciti rupere silentia Delphi;

Te Persœ cecinere Magi ; te sensit Etruscus

Augur, et inspectis Babylonius horruit astris.

Chadeasi stupuere senes, Cumanaque rursus

Intonuit rupes, rabidœ délabra Sibyllœ.

Nec te progenitum Cybeleïus œre sonoro

Lustravit Corybas,

Ici le poète n’allègue plus des faits arrivés sur l’0lympe, dans la région des étoiles ; il rend la parole à des oracles qui de l’aveu commun avaient depuis long­temps perdu la voix. L’affirmation d’un acte précis, mais faux, prend la place des allégories païennes dont l’imagination du poète avait coutume de se re­paître. Qui donc voulait-il tromper? personne assu­rément; mais le parti païen croyait utile de dissimu­ler le silence de ses oracles, comme il dissimulait la destruction de ses autels.

Je ne multiplierai pas les citations. Ce que Claudien fait pour Théodose et Honorius il le recommence pour les principaux personnages chrétiens de son temps: Stilicon, son épouse Sérena, sa fille l’impé­ratrice Maria, Probinus et Olybrius, Mallius Théodorus dont saint Augustin loue la piété, et plusieurs autres partisans connus du christianisme, sont non pas célébrés par lui à l'aide d’images mythologiques et de formules païennes, mais placés dans de conti­nuels rapports avec les innombrables divinités de l’0lympe et transformés, pour ainsi dire, en héros de la fable.

La première pensée qui se présente quand on veut expliquer cette falsification de l’esprit du cinquième siècle et du caractère somme des croyances de tant de personnages célèbres, c’est que Claudien aura suivi les traditions reçues dans l’art poétique des anciens, sans avoir en aucune manière l’intention de blesser la religion dominante. Son exemple, peut-on dire, a été suivi jusque dans les siècles modernes par des poètes dont assurément l’amour pour la religion chrétienne n’était pas douteux. Il faut avant tout faire comprendre la différence des épo­ques. Sans doute, quand le christianisme eut achevé ses conquêtes, il put sans danger recueillir les ornements dont son rival s’était paré et s’en décorer lui-même; mais pendant le cinquième siècle, alors que la lutte se pro­longeait encore ardente et passionnée, quand le chris­tianisme avait’ pour ennemis d’abord les païens, puis ensuite une foule de chrétiens amis trop suspects de la vérité; quand du côté des chrétiens il existait un sentiment insurmontable de dégoût pour tout ce qui provenait de l’ancien culte, aucun poète né se serait approprié le système de fictions poétiques adopté par Claudien, à moins qu’il n’ait eu l’intention de faire un acte formel de paganisme.

Lorsque Claudien enivrait Rome du ses chants pro­fanes, un poète chrétien, Prudence, charmait ses frères d’Italie par des poèmes pleins d’onction et d’une suave harmonie. Lui aussi il traita un sujet non moins politique que religieux, car il réfuta la relation de Symmaque; lui aussi, il plaça dans le ciel l’empereur Théodose, mais dans le ciel des chrétiens où les princes ne sont pas transformés en étoiles. Si quelquefois il laisse tomber de sa plume les noms des divinités du paganisme, c’est afin: de saisir l’occasion de verser sur ces images du démons, des flots de sarcasmes et d’outrages.

Discede adulter Juppiter

Stupro sororis oblite.

Voilà, comme, il traite le genitor divum. de Claudien. Saint Paulin, qui dans ce temps publia plusieurs pièces de vers remarquables, ne se tient pas moins éloigné des idées païennes. Chacun des deux partis avait donc ses formes poétiques particulières et Claudien en célébrant la puissance des anciens dieux, avec une infatigable obstination, combattait pour le culte, national de la manière la plus propre à frapper l’imagination du peuple.

Une fois enrôlé sous les, bannières du paganisme romain, Claudien devait en adopter tous les principes et toutes les croyances: c’est en effet ce qu’il fit. Quoi­que né en Égypte, quoique formé par la civilisation grecque, il chanta Rome et Quirinus, avec plus d’enthousiasme qu’aucun poète italien connu.


Symmaque dans sa Relation fait apparaître Rome suppliante devant les empereurs et il lui prête un lan­gage simple et noble; le poète anime aussi cette divi­nité si chère à l’aristocratie païenne, mais il laisse l’o­rateur bien loin derrière lui.

Au début du poème de bello Gildonico, Rome craignant d’être tourmentée par la famine vient, de­mander à Jupiter de la préserver de cet affreux mal­heur en renversant Gildon, tyran d’Afrique. Le discours qu’elle prononce est moins un artifice poétique que la reproduction exacte des sentiments douloureux dont l’âme des païens était depuis longtemps oppressée.

La voilà cette Rome qu’ils s’obstinaient encore à nom­mer la ville de Mars, la ville chère aux dieux, vouée aux immortels; hier elle suppliait en faveur de ses autels, aujourd’hui elle tend la main et demande du pain à Jupiter!

Claudien conforma. Sa muse aux; craintes du parti, païen au point de la rendre quelquefois la lâche accusa­trice des guerriers qui avaient succombé en combattant pour la cause des idoles. Je conçois par beaucoup de raisons son silence sur les sacrilèges de Stilicon; mais quel sentiment put lui conseiller d’accabler de ses ou­trages la mémoire d’Eugène et celle d’Arbogaste, des deux malheureux défenseurs de sa propre religion?

Dans son poème sur le troisième consulat d’Honorius, Claudien publiant la gloire des dernières années du règne de Théodose est conduit à parler de la Volte d’Eugène; voici en quels termes il s’exprime:

Interea turbata fides, civila rursus

Bella tonant, dubiumque quatit discordia mundum.

Proh crimen superum! Longi proh dedecus oevi!

C’est ainsi qu’il parle d’un événement qui avait ramené au sein du sénat la statue de la Victoire, d’une entreprise à laquelle avaient pris part tous ceux qui l’écoutaient, l’applaudissaient, et sans doute le payaient.

La mort d’Arbogaste fut toute romaine; après avoir longtemps disputé la victoire à Théodose, il ne vou­lut pas survivre à sa défaite et se tua; mais le poète est inexorable:

At ferus inventer scelerum trajecerat àltum

Non uno mucrone latus, duplexque tepebat

Ensis, et ultrices in se converterat iras

Tandem justa manus.

Il faut bien en faire l’aveu :au fond du cœur des chefs païens régnait une sorte de bassesse ; ils fomen­taient des révoltes, et quand elles avaient été répri­mées, chacun désavouait les chefs de l’entreprise, insultait à leur mémoire et prodiguait au vainqueur les plus plates adulations. Le vertueux Symmaque lui même n’eut pas la force de s’élever au-dessus des faiblesses de son temps et de son parti, car on l’enten­dit rétracter son panégyrique de Maxime, et il versa des larmes de repentir. Claudien resté étranger à l’insurrection d’Eugène, ne pouvait pas même alléguer la peur pour excuse.

Je ne prolongerai pas davantage cet examen des écrits de Claudien considérés sous le point de vue re­ligieux. Cependant tous ses poèmes doivent avoir pour nous une grande importance historique, car à l’exception de celui De raptu Proserpinœ, ils furent revêtus de ce caractère d’actes publics qui appartient rarement à des écrits de ce genre. Ses Panégyriques, ses Eloges, ses Chants de victoire furent récités devant l’empereur, le sénat et les grands de l’état. Ce devait être pour les païens un bonheur exquis de l’écouter; accoutumés à n’entendre retentir dans le palais impé­rial que la voix du christianisme, leur cœur se dilatait en ces jours solennels où l’empereur entouré de ses officiers venait s’asseoir au sein de la Curie; alors Clau­dien s’avançait, et encouragé par les sentiments secrets du plus grand nombre de ses auditeurs, il élevait la voix et faisait couler à longs flots son enthousiasme païen.

L’aristocratie fut reconnaissante de ces preuves de dévouement si rares dans ce temps, et elle contraignit les empereurs, qu’elle voulut bien en cette circonstance qualifier doctissimi, à élever une statue dans le Forum de Trajan au poète dont le rôle était celui d’orateur lauréat du paganisme. Claudien, personnage politique autant qu’homme de lettres, fut revêtu du titre de Vir Clarissimus et de la charge de Tribun-Notaire. Rien ne manqua donc à sa gloire.


Mais sa fortune devait changer. Après la mort de Stilicon, Claudien effrayé s’enfuit de Rome et courut se réfugier à Alexandrie. L’ami du ministre d’Honorius, le poète chéri des païens, s’offre maintenant à nos re­gards comme un malheureux proscrit, demandant grâce pour lui et pour ses amis. Il ne renie pas ses anciennes affections; il se plaint seulement de l’excès d’infortunes qui l’accablent, et s’adresse en ces termes au préfet du prétoire Adrianus:

Usque adeo ne-tuœ producitur impêtus irœ?

Nullus tot finis lacrymis? subitisne favorem

Permutas odiis......   

Excessit jam poena modum: concede jacenti:

En adsum.

Le rôle qu’il venait de jouer dans Rome avait dû amasser sûr sa tête de nombreux ressentiments; et, si je m’étonne d’une chose, c’est que Claudien n’ait pas, comme tant d’autres citoyens, péri en expiation des bienfaits de Stilicon.

Il existait au sein du paganisme romain deux principes distincts: l’un politique, et Symmaque dans sa Relation le développe avec éloquence; l’autre religieux s’adressait à la conscience et aux sentiments pieux de la multitude; Claudien consacra sa muse à l’apologie de ce second principe qui n’aurait plus été compris s’il s’était présenté sous des formes graves et austères. Il fut donc non seulement un poète habile, mais un défenseur intelligent des anciennes croyances auxquelles ses chants redonnèrent un peu de la popularité que les intarissables railleries des chrétiens leur avaient fait perdre. Cette considération justifiera, je l’espère au moins, l’excursion que je viens de faire dans le do­maine de la littérature classique, surtout si l’on veut bien réfléchir qu’un des résultats de cette digression a été de nous montrer combien la situation du parti païen était fausse, et à combien de concessions, de fraudes et de mensonges ses apologistes se trouvaient condamnés.


CHAPITRE IV.

Continuation du règne d’Honorius. — Usurpation d’Attale.

 

L’artisan de la ruine de Stilicon se nommait Olympe. Il était maître des offices de la cour. Il hérita du pouvoir de son ennemi; mais le mépris qui s’attacha sans cesse à ses pas et la prompte punition qu’il reçut de ses crimes, ne permettent pas de lui assigner une grande part dans les événements de ce règne. Au lieu de suivre la politique équivoque de son prédécesseur dans les matières religieuses, il porta sans aucun mé­nagement tout le pouvoir du côté des chrétiens.

Le 17 des calendes, de décembre 4o8 une loi fut publiée contre le culte national; elle est d’autant plus digne de fixer l’attention, qu’elle semble destinée à rappeler et à corroborer toutes les anciennes lois ren­dues en haine du paganisme, et que quelques-unes de ces lois peuvent avoir échappé aux recherches des ré­dacteurs du Code Théodosien. Cette loi étant adressée à Curtius, préfet du prétoire d’Italie, on ne peut dire qu’elle fût simplement destinée à régir une province : son caractère était donc celui d’un édit général. Il faut en même temps reconnaître que la cour avait été mise sur la voie de cet acte important par une réclamation des pères de L’église d’Afrique contre les païens de leur province. Plus tard il sera rendu compte des causes et du but de cette démarche; en ce moment je dois me borner à analyser les différentes dispositions d’un acte qui apporta de graves changements dans la situation des païens d’Occident.

La loi commence par ces mots : Templorum detrahantur annonae et rem annonariam jubent, expensis devotissimorum militum profuturoe.

Gratien ravit au sacerdoce païen tous ses biens et Théodose déclara que le trésor ne solderait plus les sa­crifices, publics; cependant il restait encore dans le budget de l’état certaines allocations en faveur de l’an­cien culte, et c’est ce qu’on appelait Annona templorum, vectigalia templorum. Ces sommes servaient à payer les Epula sacra et les Jeux sacres, fêtes qui, comme nous l’avons vu, avaient été positivement main­tenues par Honorius. La politique de la cour impériale devenant chaque jour plus contraire à l’ancien culte, on abolit en ce qui avait été conservé en 399. L’empereur était d’autant, plus intéressé à supprimer l’Annone des temples, que cette somme était prélevée sur les tributs appartenants au trésor du prince. Ainsi à partir de l’année 408, l’ancien culte n’eut plus pour subsister que les dons et les offrandes des particuliers: elles suffirent longtemps dans les pro­vinces à ses besoins.

Simulacra, si qua etiam nunc in templis fanisque consistant, et quae alicubi ritu vel acceperint, vel açcipiunt paganorum, suis sedibus evellanlur, cum hoc repelita sciamus soepius sanctione decretum.

Les mots etiam nunc peuvent étonner, car la cour impériale devait savoir que Rome était encore remplie d’idoles, et même pressentir que sa loi n’amènerait pas leur ruine. Quant à ce qui est dit que d’anciens décrets avaient ordonné la destruction des simulacres, cette citation a rapport à une loi rendue précédemment pour la province d’Afrique.

Ædifîcia ipsa templorum quœ in civitatibus, vel oppidis, vel extra oppida tant, ad usum publicum vindicentur; arae locis omnibus destruantur; omnia que templa possessionibus nostris, ad usas accommodos transferantur; domini destruere cogantur.

Les sacrifices et les cérémonies publiques étant interdits, les temples devenaient des édifices désormais inutiles. Il convenait donc que l’autorité prit une dé­termination pour régler leur sort; cette décision était nécessaire, car dans les endroits où les chrétiens se trouvaient les plus forts, ils s’emparaient des choses précieuses conservées dans les temples, et même cédant aux excitations des moines ils appliquaient le marteau contre ces édifices. Sérena enlevant à une statue de Rhéa son collier pour s’en orner, nous offre la preuve d’un fait qui devait se reproduire presque partout. Le gouvernement sentit la nécessité d’opposer une digue à ce pillage. En 399, Honorius adressa à Macrobe et à Proclianus, magistrats provinciaux, cette loi dont  j’ai déjà parlé , dans laquelle il déclarait que son in­tention était publicorum operum ornementa servari, qu’en conséquence on devait s’opposer aux déprédations de ces gens qui prétendaient agir en vertu d’un rescript ou d’une loi.

Dans la même année Honorius prohibant les sacri­fices en Afrique renouvela la défense de renverser les temples.

La loi de l’an 408 fixa définitivement le sort des édifices sacrés que les deux précédentes lois laissaient incertain, et déclara qu’ils seraient appropriés à l’usage public, elle ne pouvait rien faire de plus propre à calmer la douleur des païens, puisque les temples dé­sormais affectés à divers usages publics se trouvaient par cela seul placés sous la surveillance des magistrats provinciaux et particulièrement des curies si dévouées a l’ancien culte. Cette disposition de la loi contribua à la conservation d’un nombre considérable de temples en Occident; plusieurs de ces édifices ne furent ni affectés à l’usage du public, ni transformés en églises, mais ils demeurèrent, pendant près de deux siècles, comme une vaine consolation laissée à des gens qui avaient perdu le droit d’exercer leur culte avant d’avoir abandonné leurs croyances.

Naguère Honorius qualifiait les festins sacrés communis lætitia, aujourd’hui il les nomme ritus sacrilegi. Cetté interdiction des témoignage de là commune allégresse avait été sollicitée par les pères du concile de Carthage; mais je me hâte d’ajouter qu’elle ne fut pas plus respectée en Afrique que dans Rome.

Jusqu’à présent les évêques et les pontifes ont été regardés comme les chefs de deux armées ennemies; ils ont combattu non pas avec la même force mais avec des droits égaux. Saint Ambroise et Symmaque dans le débat relatif à l’autel de la Victoire donnèrent la mesure de l’indépendance relative dont jouissaient ces deux, ordres de ministres: en 4o8 cet état de choses n’existait plus, et les évêques avaient le droit de réprimer toute tentative païenne qui aurait été contraire à la loi dont nous nous occupons. On peut sur ce seul point juger de tout le terrain perdu par le paganisme.

Ce dernier paragraphe nous apprend que la cour impériale comptait peu sur le zèle des magistrats, puis­qu’elle le stimulait par la crainte des amendes. Dés lois, si sévères qu’elles fussent, ne pouvaient pas, en effet, contraindre un gouverneur ami des idoles à les faire briser dans toute l’étendue de sa province: le désordre, où se trouvait l’empire ne lui fournissait que trop de moyens d’éluder l’exécution des ordres du souverain. Aussi les lois pénales de cette époque décernent-elles des peines ordinairement semblables contre l’auteur du délit et contre le magistrat qui ne l’a pas fait pour­suivre. Le législateur agissait sagement en prévoyant l’inaction des magistrats provinciaux, dont le plus grand nombre étaient païens ou hérétiques. L’année suivante l’empereur déclara que les magistrats con­vaincus de connivence avec les personnes qui par des violences troublaient l’exercice du culte chrétien, ou qui contredisaient publiquement les dogmes de la vraie religion, seraient destitués de leurs charges pour être ensuite plus sévèrement punis, et que les officiers municipaux subiraient la peine du bannissement et de la confiscation. Voilà les magistrats auxquels l’exécution de la loi de l’an 408 fut confiée.

Une loi peu ou point exécutée est cependant un acte dont l’historien doit tenir compte, car elle proclame toujours un principe, elle révèle l’intention du souve­rain, et par cela seul que l’on sait qu’elle est venue se heurter contre les mœurs publiques, on est plus à même de juger la situation de l’époque où elle fut rendue. La loi de l’an 408 déclara l’illégalité de tous les actes publics de l’ancien culte, elle compléta en principe l’entreprise des empereurs chrétiens, et sous ce point de vue elle doit tenir une grande place dans l’histoire de la chute du paganisme; quant à son effet positif, direct, immédiat, nous allons trouver dans Zosime la preuve qu’il ne pouvait être que très ineffi­cace.

Le 18 des calendes de décembre, c’est-à-dire le lendemain même du jour où fut publiée la loi précédente, Olympe affectant beaucoup de zèle pour le christia­nisme, fit rendre une loi qui excluait de toutes les charges du palais les ennemis de la communion catho­lique et ceux qui ne partageaient pas la foi du prince. C’était frapper les païens dans ce qu’ils avaient de plus précieux; mais on conçoit qu’à une époque où les premières charges de l’empire d’Occident étaient entre les mains des adversaires de la religion chrétienne, et où l’on voyait à la tête des armées des païens aussi re­doutables que Fravitta et Saül, Une telle mesure devait nécessairement avorter : c’est en effet ce qui arriva et voici comment.

La milice romaine était commandée par un étranger nommé Généride, dont Zosime fait beaucoup l’éloge. Aussitôt qu’il eut connaissance de la nouvelle loi, il déposa son ceinturon, signe du grade dont il était revêtu, et se retira chez lui. Honorius surpris de no plus le voir, lui fit demander pourquoi, étant au nombre de ses offi­ciers, il ne se rendait pas au palais. Pour toute réponse Généride rappela la loi qui venait d’être rendue, lempereur répondit quun grand nombre dofficiers placés, dans une position semblable à la sienne s’étaient sou­mis à cette loi, mais qu’il ne lui demandait pas de suivre leur exemple. Généride refusa d’accepter une faveur injurieuse envers les officiers qui pour une cause semblable avaient renoncé à leurs dignités. «Il ne perdit pas son grade, car l’empereur contraint par la pudeur autant que par la nécessité, révoqua la loi, accordant à chacun la faculté de conserver son opinion avec ses magistratures et ses commandements militaires.»


Dans l’empire d’Orient le célèbre Fravitta, quoique païen, conserva longtemps et fort heureusement pour les armes romaines, un commandement militaire, et fut même consul en l’année 4o1. Optatius, autre païen, gouvernait Constantinople en 404.

Le moment était mal choisi pour essayer l’intolérance, car Alaric fondit de nouveau sur l’Italie à la fin de 4o8, et vint mettre le siège devant Rome. La situation de cette ville était affreuse: la terreur et la famine ne secondaient que trop bien des efforts des Goths, et toute résistance sérieuse semblait impos­sible, Si nous croyons Zosime et quelques autres écrivains, il se passa dans Rome un fait extraordinaire. Je vais le rapporter tel qu’on le trouve dans l’historien grec, j’examinerai ensuite son authenticité.   

Pendant que les Romains attendaient avec anxiété le sort qui leur était réservé, des gens venus de l’Étrurie pénétrèrent dans la ville. Ces étrangers étaient sans doute des augures chassés de leur demeure par l’armée des Goths. Ils racontèrent qu’ils avaient sauvé te petite ville de Narni en consultant les dieux selon les anciens rites; que par ce moyen la fou­dre était tombée sur les barbares et les avait dispersés: ils offraient d’en faire autant à Rome. Le préfet de la ville, Pompeïanus, causa avec eux, et interrogea les livres pontificaux pour connaître la conduite qu’il de­vait tenir en cette grave circonstance. Quoique les Romains pensèrent qu’il fallait se conformer à l’avis donné par ces livres sacrés, Pompeïanus en référa à l’évêque Innocent Ier. Celui-ci, préférant le salut de la ville au triomphé de ses propres opinions, autorisa les Toscans à faire, mais en secret, tout ce qu’ils jugeraient convenable. Ils répondirent que le seul moyen d’obtenir quelque secours du ciel était de sacrifier publiquement et d’une manière conforme à tous les an­ciens usages, qu’il fallait que le sénat montât solennellement au Capitole, et que les sacrifices eussent lieu soit dans cet endroit, soit dans un forum de la ville. Aucun sénateur n’osant assister à ces cérémonies, les Toscans furent congédiés.

Le récit de Sozomènes diffère de celui de Zosime. Cet historien prétend que la nécessité de sacrifier au Capitole et dans les autres temples, était surtout proclamée par les sénateurs païens, et que les sacrifices eurent lieu.

«On s’efforça, dit Zosime, de conjurer la fureur des barbares par d’autres moyens. On leur offrit une rançon pour la ville, et ils l’acceptèrent; mais les exactions avaient tellement appauvri les citoyens, qu’il fut impossible de réunir par une capitation la somme nécessaire. Alors cet exécrable génie qui décidait des choses humaines poussa les magistrats à mettre le com­ble aux malheurs publics en dépouillant les statues des dieux de leurs ornements. Ces simulacres consacrés par des cérémonies religieuses avaient été ornés convenable­ment afin que le bonheur public fût assuré. Les rites étant abolis, ces statues restaient sans puissance et sans vie. Il fallait que tout ce qui était propre à faciliter là ruine de Rome arrivât. Ils ne se contentèrent pas de ravir aux statues leurs ornements, ils firent fondre celles qui étaient d’or ou d’argent. Dans le nombre il s’en trouvait une du Courage, que les Romains appel­lent Virtus; avec elle disparut de Rome tout ce qui restait encore d’honneur et de vertu. Les hommes exercés aux choses divines et aux rites nationaux an­noncèrent ce qui allait arriver.»

Tel est le récit de Zosime. Les commentateurs le traitent de fable; cependant je ne le regarde pas comme entièrement fabuleux. Je doute qu’innocent Ier ait autorisé les augures toscans à consulter secrètement les dieux, non parce qu’innocent était évêque, car on trouve dans l’histoire de ce siècle et du suivant les preuves de concessions non moins étranges faites par le christianisme à l’idolâtrie, mais parce que le carac­tère d’Innocent nous est connu, et qu’il proteste suffi­samment contre le récit de l’historien païen. Pour le surplus j’admets l’autorité de Zosime. Que voyons-nous? le parti païen renouvelle ce qu’il avait fait lors de l’invasion de Radgaise, il tente au milieu du mal­heur public de ranimer son culte, et cet essai risqué sous des auspices si funestes, il n’ose pas même le sou­tenir jusqu’au bout. Il appelle des augures de la Tos­cane, il leur fait débiter un conte ridicule, et quand il s’agit d’exécuter ce qu’ils demandent, il tremble et recule: tout cela est trop probable pour que Zosime l’ait inventé. Au reste sur plusieurs points Sozomènes est d’accord avec lui; il va même plus loin, puisqu’il affirme que les sacrifices furent célébrés.

Alaric ayant reçu l’argent promis se retira en Étrurie, laissant aux Romains un instant de répit. Honorius en profita pour opérer une révolution parmi les officiers de la cour impériale: elle fut favorable au parti païen. Olympe, après avoir eu les oreilles cou­pées, fut assommé. «Une fin si funeste, dit Tillemont n’a pas laissé de lui être bien favorable, si sa piété a été solide, puisqu’elle lui aura servi à ex­pier les fautes d’un état aussi dangereux qu’est celui de premier ministre.» Son autorité passa dans les mains du préfet du prétoire Jovius, homme éloquent, instruit et païen. La préfecture de Rome fut donnée, à Attalus (Flav. Priscus.) «Nous parlerons souvent de cet Attale, parce qu’Alaric en fera pour ainsi dire son jouets à la honte de l’empire et de tout ce que les vanités humaines ont de plus grand.» Il professait égale­ment la religion païenne, quoiqu’on l’ait dit tantôt catholique, tantôt arien. Dans tops les cas on peut répéter avec Tillemont: «Les ariens et les païens se promettaient tout de lui.» Généride fut nommé  général des troupes de la Rhétie, de la Norique, de la Dalmatie et de la Pannonie: ainsi le parti païen est redevenu maître de l’empire. La puissance romaine devait expirer entre ses bras.

On s’aperçut bientôt du retour de son influencée. Une loi fut rendue qui déclarait que. personne ne devait embrasser la religion chrétienne si ce n’était par un choix libre et volontaire. On a prétendu que, dans l’état où se trouvaient les choses, c’était casser tout ce avait été fait contre les païens. Je ne vois pas comment un pareil changement aurait pu résulter de  cette déclaration si bien d’accord avec l’esprit du chris­tianisme. La loi ne stipulait que pour l’avenir, et elle ne se proposait pas de réparer tous les échecs que l’ancien culte avait éprouvés, car il n’appartenait à personne de détruire l’œuvre du temps. Les païens se réservent la liberté de conscience, ils s’assurent du droit de ne point être violentés dans leurs croyances intimes, et cette mesure de prudence indique une résignation et une prévoyance qui ne leur étaient pas habituelles.

Alaric traitait continuellement avec la cour de Ravenne; mais aussitôt que les négociations prenaient un caractère qui lui déplaisait, il faisait mine de marcher sur Rome et de céder à cette voix secrète qui répétait sans cesse à ses oreilles: Perge et Romam destrue.

En 409 il met de nouveau le siège devant Rome. Je vais dire pourquoi il épargna encore cette fois la proie qui lui était dévolue.

Depuis le règne de Constantin, la conduite du parti païen avait été ce qu’elle devait être. Blessé dans ses croyances, attaqué dans ses prérogatives, il se défend par des moyens dont les lois et les mœurs de l’empire autorisent l’emploi. Il faut donc arriver au règne d’Honorius pour le voir déserter ses anciens errements et commettre contre l’honneur du nom romain, dont cependant il se disait l’unique gardien, un attentat que ne peuvent pallier ni son fanatisme, ni ses ressenti­ments, ni ses malheurs.

Lors du mouvement occasionné dans Rome par l’invasion de Radgaise, tout ce qui arriva fut d’accord avec la conduite antérieure des païens et avec les principes qui les avaient toujours dirigés. Convaincus que les maux de l’empire tiennent à l’oubli où sont tombés les rites sacrés, ils redemandent les sacrifices et chargent le christianisme de malédictions. Rien en cela ne peut surprendre, ils sont restés conséquents avec eux-mêmes. Mais voici une circonstance dans laquelle ils foulèrent aux pieds toutes leurs doctrines politiques en contractant une alliance honteuse avec les bar­bares.

 


CHAPITRE V.

Attale rend le pouvoir aux païens.

 

Priscus Attalus était, en l’année 409, préfet de la ville. Né dans l’Ionie, ce personnage. appartenait extérieurement au paganisme, mais dans le fait il ne ressentait pour l’une et l’autre des deux religions qu’une complète indifférence. Sur ce point il ressemblait à Eugène, à Eutrope, à Stilicon et à presque tous les hommes ambitieux de ce temps. Alaric, las des ter­giversations de la cour de Ravenne, et voyant qu’il ne pouvait amener Honorius à conclure avec lui un traité définitif, résolut de créer un nouvel empereur. Il vient camper sous les murs de Rome, et menace les habitants de la ruiner de fond en comble s’ils ne se décla­rent pas pour lui contre Honorius. Le sénat s’assemble, et après avoir délibéré sur l’état de la ville, consent à se soumettre. Alaric déclara qu’il nommait Attale empereur d’Occident: ce préfet, aussitôt qu’il avait vu Rome au pouvoir des Goths, s’était fait baptiser par Sigésaire évêque arien, et Alaric crut avec raison que cette nomination satisferait les deux partis opposés à la cour de Ravenne. Le sénat docile aux ordres du maître, ayant fait dresser un trône, y plaça le nouvel auguste, le revêtit, de la pourpre et lui mit la couronne sur la tête. Attale s’empressa de nommer ses offi­ciers, ou pour mieux dire de rendre le pouvoir au parti païen. La préfecture du prétoire est donnée à Lampadius, le païen le plus exalté de ce temps, et celle de la ville à Marcianus Tertullus fut désigné consul pour l’année suivante. Les deux premiers étaient d’anciens amis de Symmaque, qui peut-être pour son malheur vivait encore à cette époque. Après la dis­tribution des dignités, Attale, accompagné de ses gar­des, alla prendre, malgré des présages contraires, possession du palais. Le lendemain il vint au sénat et prononçai un discours long et étudié, dans lequel il promit de maintenir à la patrie l’intégrité de son ter­ritoire et même de replacer sous le joug des Romains d’Occident l’Égypte et l’Orient.

Tertullus renouvela toutes tes anciennes cérémonies, usitées pour l’entrée en fonctions des consols. Lé sénat s’étant selon l’usage assemblé le janvier, ce magistrat, entouré de la pompe consulaire, vint le haranguer. Nous ne connaissons de son discours que la première phrase, mai- elle suffit pour donner une idée du caractère de ce morceau d’éloquence: «Pères conscrpts, disait-il, je vous parle aujourd’hui en qualité de consul et de pontife : je possède déjà la première de ces dignités, j’y vais bientôt réunir l’autre...» On voit qu’il entrait dans les vues du parti de restaurer le sa­cerdoce : le temps lui manqua.

Selon Zosime, Rome s’abandonnait à la joie en  pensant qu’elle allait être gouvernée par de si habiles magistrats. Une seule famille, les Aniciens, ne parta­geait pas la commune allégresse, ce qui fait dire à l’historien païen qu’en général les riches supportent avec dépit la félicité publique: observation déplacée dans la bouche d’un défenseur du paganisme et par consé­quent de l’aristocratie.

L’empire d’Occident offrit alors  un spectacle dont on n’avait jamais eu l’idée ; à Ravenne, un empereur chrétien et une cour chrétienne; à Rome, un empe­reur païen et une cour païenne, mais de part et d’autre égale impossibilité dé se nuire, car l’épée d’Alaric séparait les deux partis et les tenait en respect. S’il y avait eu att fond de tout cela quelque chose de sérieux, on pourrait dîne que la lutte qui existait au sein de la société romaine ne s’était pas encore dessinée d’une ma­nière aussi nette.

Attale laisse ses partisans rouvrir dans Rome leurs temples, sacrifier aux dieux, consulter les présages, et accompagné de l’armée d’Alaric, il marche vers Ravenne. Honorius offre en tremblant de reconnaître Attale pour son collègue et de partager avec lui l’empire d’Occident; celui-ci excité par Jovius répond fièrement qu’il ne veut pas de partage, mais qu’il consent à laisser à Honorius la liberté de se retirer dans une île où il lui sera fait un traitement honorable. Trahi par ses courtisans, pressé pat l’armée des Goths, Honorius allait céder quand il reçut d’Orient un secours de six cohortes, à l’aide-duquel il put se fortifier dans Ravenne et attendre sans danger le résultât des événements qui se passaient en Afrique.

On comprend combien les païens de Rome devaient être heureux et fiers de voir enfin réalisées leurs con­stantes prédictions sur le retour des idoles; mais cette joie céda bien vite la place à un autre sentiment, car pendant le peu de temps que le pouvoir fut dans leurs mains, Rome éprouva deux effroyables calamités.

Héraclianus commandait en Afrique, et il ne tenait qu’à lui d’affamer la capitale. Alaric et son empereur comprirent qu’il fallait à tout prix s’emparer de cette province; mais, trompé par les augures, Attale se persuada qu’il suffisait d’envoyer contre Heraclianus une poignée de soldats. Constantin chargé de les conduire aborda avec confiance en Afrique, et fut en arrivant battu et tué. Heraclianus fit garder les ports et les rivages afin d’empêcher le transport des blés en Italie, et une famine effroyable se déclara dans Rome; à cette famine succéda une peste non moins cruelle, de sorte que la capitale éprouva en peu de mois une foule de maux qu’elle n’avait jamais connus sous le règne de ces empereurs chrétiens si constamment calomniés. Baronius dit avec raison : Quis, rogo , in has redegit angustias urbem, nisi gentilium faclio scelerata? En effet la ridicule présomption d’Attale était la seule, cause de tous ces maux : elle devait aussi amener sa perte.

Alaric persistait à vouloir faire conquérir l’Afrique par ses Goths; Attale ayant l’espoir de conserver l’empire et craignant de livrer cette province aux barbares, ne parlait que de traiter avec Heraclianus, ou que d'envoyer des Romains contre lui. Irrité de cette opiniâtreté injurieuse, Alaric fit venir Attale à Rimini, et, l’ayant conduit hors de la ville, il lui ôta à la vue de tout le peuple le diadème, le dépouilla de la pourpre, et renvoya tous ces ornements à l’empereur. Il voulut bien cependant ne pas l’abandonner et imposa à Honorius l’obligation de lui conserver la vie. Ainsi finit ce règne si court et si honteux; ainsi s’évanouirent les vaines espérances du parti païen. Honorius couvrit du voile de l’amnistie le scandale donné dans Rome par les partisans des idoles, et les choses reprirent leur cours naturel.

On vient de voir les amis exclusifs des institutions nationales, les défenseurs de l’autel de la Victoire, les preneurs de la gloire des temps passés, s’unir aux barbares pour placer sur le trône un prince adora­teur des faux dieux. Ou ils avaient renié leurs doc­trines politiques et religieuses, ou le fanatisme les aveuglait à ce point qu’ils ne comprirent pas que cette alliance était le plus grand de tous les crimes. Dans l’un comme dans l’autre cas, il faut reconnaître que l’aristocratie païenne, dépourvue d’hommes de ca­ractère et de talent, était désormais incapable soit de diriger l’état, soit de relever son culte, et que les temps, je ne dis pas de Julien, mais d’Eugène, étaient déjà loin.

Le règne d’Attale est le dernier fait de l'histoire ro­maine où l’influence du parti païen se révèle; c’est l’acte qui précéda immédiatement sa ruine. Sa chute suivit de près son parjure, et l’historien est dispensé de compatir à ses malheurs.

Alaric ne pouvant parvenir à conclure la paix avec la cour de Ravenne, s’abandonne enfin à sa destinée; il retourne vers Rome et l’emporte d’assaut le 28 août 410. Sans reproduire les détails de ce fatal événement, j’expliquerai l’influence qu’il exerça sur la constitution romaine, dernier soutien des croyances nationales.

Avant de dire adieu pour toujours à cette société que l’établissement des barbares en Italie va dissoudre, jetons encore sur elle un regard, et disons quels étaient la veille de sa mort ses idées, ses illusions et ses vices.

 


CHAPITRE VI.

Tableau de la société païenne à l’époque où Rome lut prise par les Goths,

Le règne de Théodose fut pour les païens un temps d’épreuves; durant ces seize années la fortune ne vint pas une seule fois à leur secours. Sous Honorius les plus cruelles déceptions se placèrent toujours devant eux et leurs tentatives échouèrent misérablement. La Providence prodiguait aux païens ses sévères leçons, mais ils n’en tenaient aucun compte. Tant de débites ne produisaient en eux qu’une vive irritation; et si leur manière d’agir variait selon les circonstances, leurs doctrines et leur langage restaient toujours les mêmes. Sans doute ils ne parlaient plus des Epula Thyestea, ni du promiscuuts concubitus, mais leur éternel odium generis humani était encore sous Honorius l’arsenal dans lequel ils allaient chercher leurs armes pour com­battre le christianisme. Je ne crois pas que l’on trouve dans l’histoire l’exemple d’un système religieux, phi­losophique ou politique, qui ait été plus inaccessible à toute modification, plus ami de l’immobilité apathique, que le fut le polythéisme romain à partir de la naissance du christianisme. Si j’entreprends de tracer le tableau de la société païenne à l’instant où Rome succomba, ce n’est pas que je me flatte de présenter la peinture de mœurs ou de pensées nouvelles, et de montrer des caractères différents de ceux que l’on connaît, c'est au contraire pour mieux constater ce que j’ai déjà dit de la fixité du paganisme, c’est afin de prouver que la société païenne déjà placée sous la main de la mort, n’abandonnait cependant aucune de ses doctrines ou plutôt de ses erreurs.

Je vais décrire non pas les divers accidents mais les causes secrètes de cette dernière et trop longue ré­sistance.

Presque un siècle s’est écoulé depuis le moment où les chrétiens ont été mis en possession du pouvoir et cependant nous ne pouvons pas dire qu’ils soient les maîtres de la société. Les principes de leur religion proclamés en Europe et en Asie avec une admirable éloquence ont été impuissants à modifier des mœurs qui s’obstinent à porter le joug du mensonge. Les pères de l’église prêchent aux fidèles la pratique des vertus évangéliques, la charité, le respect dû aux puissances; et néanmoins les révoltes et les assassinats ne de­viennent pas moins fréquents chez les Romains; car dans l’espace de cinquante ans nous avons vu quatre em­pereurs chrétiens périr de mort violente. On ne peut donc pas dire que l’histoire politique du quatrième siècle diffère de celle du troisième. Une religion nou­velle s’est établie, mais l’aspect général de la so­ciété est demeuré le même: la révolution religieuse ne s’est opérée qu’à la surface. Si les païens avaient été moins nombreux et s’ils ne s’étaient pas nourris de l’espérance de voir un jour leur culte renaître, cette persistance des anciennes mœurs eût été sans impor­tance. On aurait même pu la considérer comme une chose naturelle chez un peuple qui change de religion et croire que le temps ou les efforts du nouveau culte en triompheraient facilement; mais telle n’était pas la situation des païens. Puissants par le nombre, animés de préjugés inguérissables, de haines invétérées, et fer­mement convaincus que le pouvoir du christianisme reposait sur une base fragile, ils durent nécessairement tenir peu de compte des lois rendues contre leur reli­gion, et poursuivre, en se servant de la puissance des mœurs publiques, la guerre que depuis bientôt cent ans ils soutenaient contre les doctrines chrétiennes. Le paganisme va donc s’offrir à nos regards sous un aspect nouveau: il n’arme plus les légions pour sa défense, il ne fiait plus retentir ses plaintes dans l’enceinte du sénat ou dans celle du Capitole, il semble avoir également oublié son ancienne grandeur et les récentes in­jures qu’il a reçues; résigné en apparence à sa mauvaise fortune il s’applique par des menaces, par des ca­lomnies, et par une sorte de persécution exercée sur la conscience de ceux qui l’ont abandonné, à tracer autour de ses partisans un cercle qu’ils n’oseront pas franchir. L’école théurgique qui chassée d’Alexandrie se reformait peu à peu dans Athènes, faisait au chris­tianisme une guerre plus noble et plus loyale. Elle opposait à des idées d’autres idées, à des dogmes d’au­tres dogmes, et soutenait un combat intellectuel qui était plein de grandeur. Le paganisme romain avec ses préjugés et ses intérêts politiques était, au contraire, condamné, après avoir perdu le pouvoir, à fatiguer le christianisme par une lutte petite et mesquine, par cette résistance des mœurs qui se fait sentir partout et ne peut être saisie nulle part. C’est contre ce genre d’opposition si peu digne de leur génie qu’eu­rent à lutter deux hommes à jamais célèbres qui, comme deux flambeaux éclatants, éclairèrent à la fois la ruine de l’ancien culte et celle de l’empire d’Occident: je veux parier de saint Jérôme et de saint Augustin que la Providence semble avoir placés près du christianisme dans un moment où l’invasion des barbares allait faire éprouver à cette religion une crise périlleuse en apparence, mais qui devait assurer pour toujours, son triomphe.

Assis sur le siège épiscopal d’une petite ville de l’Afrique, Augustin dirigeait à lui seul l’église ortho­doxe. Jamais l’autorité du génie ne fut admise avec un assentiment moins contesté. Du fond de son cloître de Bethléem Jérôme s’appliquait à disjoindre les liens qui unissaient en un faisceau les membres de ce pa­tricial dévoué si aveuglément à l’ancien culte. Il se ser­vait, pour atteindre ce but, de la puissance que son imagination vive et brillante lui donnait sur les plus nobles et les plus vertueuses dames romaines. Le paga­nisme  moins faible peut-être sous le rapport de la pen­sée qu’il ne l’avait été dans le siècle précédent, n’opposait cependant aucun antagoniste à ces illustres représentants du génie chrétien. Il semblait confesser son infériorité; mais le talent n’est pas la seul arme dont se servent les partis: le paganisme en possédait d’autres, et l’on va voir si dans ses mains elles étaient redoutables:

«Videamus quemadmodum castra cœli et inferni dimicent, arma Christi et diaboli decertent»

Depuis le commencement de la lutte religieuse dont j’ai entrepris d’écrire l’histoire, les partisans de l’ancien culte avaient continuellement eu sur leurs adversaires une grande supériorité: ils étaient unis entre eux. Tou­jours ils se présentaient au combat comme une phalange épaisse que la même pensée ébranle et fait mouvoir; tandis que lés chrétiens fatiguaient l’empire par leurs interminables dissensions. Constantin avait dit, à la vérité: «On voit régner parmi nous une parfaite union, une tendre charité;» mais je ne crois pas qu’un autre esprit que le sien ait été frappé par ce spectacle touchant de l’union des fidèles. Cette supériorité des païens, la seule qu’ils aient jamais eue sur leurs ennemis, provenait moins de leur sagesse, que de la nature des intérêts pour lesquels ils combattaient. Plus l’issue de la lutte approchait, plus l’union des païens et la désunion des chrétiens prenaient d’accroissements; et enfin au cinquième siècle, saint Augustin se résignait, non sans douleur, à signaler aux fidèles la conduite des païens sur ce point comme un exemple digne d’être suivi :

«Ils ont, dit-il, beaucoup de dieux qui sont tous faux, nous en avons un seul qui est le véritable; or, ils restent unis et nous, nous ne pouvons pas sup­er porter la concorde. Bien plus! les païens révèrent une foule de dieux qui sont non seulement faux, mais ennemis déclarés les uns des autres. Hercule et Junon furent ennemis : ils avaient été mortels. Les païens leur élevèrent des temples à tous les deux; ils honorent l’un, ils honorent l’autre; ils vont vers Junon, ils vont vers Hercule. Ils vivent en paix sous des dieux qui se détestent. Mars et Vulcain se haïssent : les motifs, de la colère de ce dernier sont légitimés : l’infortuné! il a sur le cœur l’adultère de sa femme; cependant il ne va pas jusqu’à interdire à ses adorateurs l’entrée du temple de Mars; les païens révèrent l’un et l’autre. S’ils imitaient leurs dieux ils se détesteraient, tandis qu’ils se rendent paisiblement du temple de Mars à celui de Vulcain. C’est, j’en conviens, une grande indignité : cependant ils, ne craignent pas que le mari se fâche quand on vient chez lui en sortant de chez Mars le suborneur. Ils ont un cœur, et ils savent que les murs des temples ne peuvent pas être émus. O mon frère! reviens à l’unité. Nous honorons un seul Dieu et jamais nous n’avons vu la discorde régner entre le père et le fils.»

Saint Jérôme après avoir décrit les ravages des Huns ajoute: «A cette époque la discorde régnait parmi «nous, et la guerre domestique surpassait la guerre étrangère.»

Saint Augustin et saint Jérôme n’entendent parler que des hérésiarques qui alors troublaient l’église; cependant l’union n’existait même pas parmi les ortho­doxes, et ce désaccord tenait à des causes très graves. On a remarqué avec raison que la constitution de l’église après avoir été démocratique depuis les apôtres jusqu’à Constantin, devint ensuite aristocratique. Ce changement rendit plus facile l’établissement du christianisme dans l’Europe et consolida sa puissance en Asie; mais il ne put s’opérer sans blesser profondément les habitudes et les intérêts de ceux des fi­dèles qui, n’appartenant pas au clergé, se virent condam­nés à une complète nullité. Les richesses du clergé et son esprit dominateur devinrent des sujets habituels de plaintes et de reproches. Les païens qui formaient cette virorum catena gentilium dont parle saint Ambroise, exploitaient la jalousie des simples fidèles contre les évêques et les clercs, comme ils exploitaient l’esprit d’hérésie; et ils s’appliquaient à entretenir les mécontents chrétiens dans leurs mauvaises dispositions. D’au­tres armes furent employées contre les hommes qui don­naient à l’église l’exemple alors très rare d’une foi in­variable et d’une absence complète d’ambition.

Lorsque je n’étais encore parvenu qu’au règne de l’empereur Constance j’ai eu occasion de faire remar­quer la force des liens par lesquels la mauvaise no­blesse, comme dit saint Augustin, attachait aux autels des faux dieux quiconque lui appartenait par sa naissance, ses intérêts ou ses talents: à la fin du qua­trième siècle ces liens ne s’étaient pas encore relâchés.

L’histoire de ce temps fournit un exemple curieux de la tyrannie exercée par les païens contre les patri­ciens qui osaient concevoir la coupable pensée de rompre avec le siècle: je vais le citer.

Rome comptait au nombre de ses plus illustres sé­nateurs Pontius Meropius Paulinus. Ce personnage était redevable de l’influence qu’il exerçait autant à ses vertus et.à ses talents qu’à sa naissance et à ses richesses. Son père avait été préfet du prétoire des Gaules. Élevé par le poète Ausone, recommandé par lui à l’empereur Gratien, Paulinus fut consul subrogé en 378. On l’avait déjà vu gouverner la Campanie et remplir divers emplois importants en Italie, dans l’Espagne et dans les Gaules. Quelques entretiens avec saint Ambroise et avec d’autres évêques et des chagrins dont la source ne nous est pas connue lui donnèrent du dégoût pour ses dignités et firent naître dans son cœur la ferme résolution d’abandonner le paganisme. Il s’éloigna donc de Rome et peu après il reçut le baptême, probablement en 389.

Le bruit de cette conquête fut pour tous lés chré­tiens un signal de joie. Les évêques se félicitaient et rendaient à Dieu des actions de grâces. Saint Ambroise écrit à un évêque de ses amis, pour qu’il admire le courage avec lequel un homme de ce rang  confessait Jésus-Christ. Saint Augustin de son coté écrit à Paulinus que tous les chrétiens désormais ses frères, veulent le voir, lui parler afin de le mieux admirer. S’adressant à Licentius, il lui dit : « Va dans la Campanie ( Paulin habitait alors Nola), apprends à connaître ce saint serviteur de Dieu, Paulin, qui avec un cœur d’autant plus généreux qu’il est plus humble, a repoussé toutes les grandeurs de ce siècle pour porter, comme il le fait, le joug du Christ. »

Saint Jérôme, saint Martin, Sulpice Sévère, tous les chefs enfin du christianisme échangent les témoignages de leur joie et de leur surprise.

Si les chrétiens dissimulaient peu le bonheur qu’une semblable conversion leur faisait éprouver, le dépit des païens n’était pas mieux caché. Ils com­mencèrent par révoquer en doute la désertion de Pau­linus  elle leur paraissait impossible à croire: « Comment supposer, disaient-ils, qu’un homme de cette famille, de cette race, de ce caractère, doué d’une aussi grande éloquence ait abandonné le sénat en détournant la succession d’une noble maison?» Lorsque enfin il ne leur fut plus possible de douter, ils se répandirent en invectives contre Paulinus, qualifiant son ac­tion indignum facinus. Saint Ambroise avait prévu que la conversion de son ami causerait parmi les païens des cris de fureur: « Que diront-ils quand ils le sauront?»

Paulin devint odieux à ses parents, à ses amis, tous dévoués aux intérêts de l’ancienne religion. La procax et maledica lingua gentilium s’exerça sur lui; tout le monde l’abandonna. Ses clients, ses affranchis, ses esclaves mêmes regardèrent comme rompus les liens qui les unissaient à lui. Ainsi, parce qu’un sénateur illustre à tant de titres, s’était conforme au vœu des empereurs, aux lois de la république et au mouvement de sa conscience, il se trouvait tout à coup isolé au sein de cette société romaine dans laquelle les liens de famille et de caste établissaient entre les citoyens des relations si intimes et d’ordinaire si difficiles à rompre. Quatre-vingts ans après la conversion de Constantin, celle d’un sénateur avait encore le pouvoir de remuer le cœur des païens, et de produire dans Rome une vive sensation.

Ces injustices, ces dégoûts étaient impuissants sur l’âme de Paulin; il se sentait appelé par Dieu à prendre sa part du grand œuvre qui s’accomplissait par la main de quelques hommes choisis; il disait avec saint Augustin: «Si c’est une chose grande et belle que d’insrire ses dignités dans le livre de l’histoire, combien n’est-il pas plus glorieux et plus beau de se dis-tinguer par la pureté de son âme et de son cœur?» Il ne put cependant rester complètement insensible aux attaques répétées de ses anciens amis; il s’en plaignait avec cette résignation pleine de douceur qu’on trouve seulement dans les âmes qui ne savent pas haïr.

«Où sont-ils maintenant mes proches et mes parents? où sont mes anciens amis? où sont ceux avec qui je vivais autrefois? J’ai disparu de devant eux tous. Je suis devenu inconnu à mes frères, étranger aux enfants de ma mère. Mes amis et ceux qui étaient autrefois près de moi se sont éloignés; ils s’arrêtent aussi peu en ma présence qu’un fleuve qui coule rapidement, qu’un flot qui passe avec impétuosité. Il semble que je leur sois un sujet de confusion et qu’ils rougissent de venir à mo.» iSon frère même l’avait abandonné, et les gens du monde aboyaient contre lui par des paroles profanes et insensées; ils traitaient sa piété de folie.

Les reproches auxquels il se montra le plus sensible étaient ceux de son maître, de son ami, de ce poète cé­lébré qui jadis dirigeait ses pas. dans l’étude des lettres et dans la carrière des honneurs, d’Ausone enfin. . Aussitôt que le poète connaît le projet de Paulin, il se hâte de lui écrire pour le décider à quitter l’Espagne où il s’était retiré et à revenir, habiter Rome, sedes dignitatis senatoriœ. Il ne peut croire que son ami ensevelisse dans une petite ville de province ses talents et sa gloire, et qu’il se refuse à entretenir avec lui cette frivole correspondance qui en d’autres temps les avait charmés. Tels étaient les principaux d’entre les païens: ils ne comprenaient même pas cette agitation de l’esprit et du cœur qui tourmentait alors le monde, et ils croyaient si peu à la force de la conviction et à l’autorité de la conscience, qu’ils espéraient par des exhortations sans puissance ou par quelques faibles réprimandes, ramener aux autels du mensonge ceux qui les avaient désertés, comme si les justes se dévouaient au culte de la vérité par caprice ou par engouement.

Ausone prend tous les chemins qui semblent mener au cœur de Paulin, souvenirs d’un temps passé dans le bonheur, amour des lettres qui leur fut si long­temps commun, rien n’est oublié; enfin il l’interpelle avec autorité :

Ego sum tuus altor et ille

Prœceptor primus, primus largitor honorum,

Primus in Æonidum qui te collegia duxi.

A tout cela Paulin répondait: «Je veux quitter le monde et mes richesses, de peur que l’amour ou les soins de cette vie ne m’empêchent de me préparer au jugement redoutable de Jésus-Christ. Je ne me mets aucunement en peine de passer pour un esprit faible au jugement de ceux qui tiennent une autre conduite, pourvu que la mienne soit jugée par la souveraine sagesse.»

Le paganisme reconnut enfin qu’il n’avait plus au­cun pouvoir sur l’âme de Paulin et il cessa d’inutiles efforts.

Pammachius sénateur dont nous avons parlé pré­cédemment, Gracchus qui se prétendait issu de l’il­lustre famille de ce nom, C. Postumus Dârdanus qui fut préfet des Gaules et que saint Jérôme qualifie Christianorum nobilissimus, nobilium christianissimus, forment avec Paulinus les quatre plus célèbres défections que le paganisme éprouva dans ce temps. Nous ignorons les particularités de la conversion de ces trois derniers sénateurs: on ne sait pas si, comme l’évêque de Nola, ils eurent à lutter contre les ressentiments du parti païen. J’ai déjà dit que Gracchus pour mériter le baptême se mit à la tête de quelques chré­tiens ardents et alla saccager l’antre de Mithra, ce qui le rendit illustre dans la nouvelle religion comme il l’avait été par sa noblesse dans l’ancienne.

Longtemps après sa conversion, quand ses vertus l’avaient rendu une des puissances vivantes du christianisme, Paulin eut à soutenir et à consoler un néophyte, calomnié aussi parce qu’il avait abandonné les idoles. Cet homme se nommait Aper: il était riche, sage, éloquent, estimé pour sa prudence et pour son érudition. Il se lia avec Paulin dans le temps où l’un et l’autre ils appartenaient au monde; et encouragé par les conseils de son ami, il se fit baptiser en l’année 400.

Paulin lui écrit en ces termes:

«Je te félicite de ta persévérance, de ce que tu as repoussé cette sagesse que Dieu réprouve, et de ce que tu as mieux aimé vivre avec les modestes disciples du Christ qu’ave les sages du monde. Ils te haïssent tous, ce qui ne serait pas arrivé si tu n’étais un véritable disciple du Christ; car le monde ne hait que ceux qui lui sont étrangers ou ennemis. O heureuse disgrâce de déplaire avec le Christ! Craignons l’amour de ces gens auxquels on ne peut pas plaire avec lui. Très vénérable frère, ce n’est pas sans motifs que tu te glorifies et que tu te dis dans l’allégresse. Tu peux désormais te croire vraiment chrétien puisque ceux qui t’aimaient te détestent et que ceux qui te craignaient te méprisent. »

Aper fit de grands progrès dans la foi, il devint évêque de Tulle, et aujourd’hui l’église l’honore parmi les saints.

Nous connaissons les armes employées par le paga­nisme contre les déserteurs de sa cause. Il ne fallait rien moins qu’une grande force de caractère et un dédain complet de tous les intérêts du monde pour oser braver ce nouveau genre de persécution, exercé par l’ancien culte jusque dans l’asile secret de la famille. Le plébéien qui ne pouvait pas même prétendre aux honneurs de la calomnie entrait seul sans bruit dans la société chrétienne.

On ne peut pas affirmer que le dévouement de saint Paulin ait trouvé beaucoup d’imitateurs. Si un très petit nombre de patriciens abandonnèrent leurs di­gnités et leurs richesses pour se vouer au christianisme, une foule d’autres que l’espoir d’obtenir quelque faveur de l’aristocratie retenait sous le joug de l’erreur, continuèrent leurs menées contre une religion affaiblie déjà par ses propres dissensions. Nulle part on ne reconnaît aussi bien l’influence des mœurs anciennes sur l’esprit des hommes puissants de cette époque, que dans ce que je vais rapporter sur un jeune rejeton de l’aristo­cratie païenne nommé Licentius qui, après s’être aven­turé quelque temps dans les voies chrétiennes, finit par reprendre sa place au sein du paganisme.

Il était fils de Romanianus, personnage le plus con­sidérable de la ville de Tagaste en Afrique. Son père qui avait embrassé le christianisme et qui même s’était longtemps égaré dans les erreurs du donatisme, aban­donna le soin de son éducation à saint Augustin. L’il­lustre évêque d’Hippone aimait son élève avec la tendresse d’un père, et se plaisait à voir en lui un des futurs propagateurs de la foi. II accompagna saint Augustin dans son voyage à Milan, et nous le voyons au nombre de ces jeunes amis dés lettres et de la philosophie qui se réunissaient à Cassiciacum pour traiter sous la présidence du maître les questions les plus intéres­santes et les plus difficiles. Il revint ensuite en Afrique et prit complètement la conduite et le langage d’un chrétien.

Tout à coup les idées de Licentius furent bouleversées par la plus futile des causes, par un songe qui lui annonçait qu’un jour il serait consul et pontife païen. Il n’en fallut pas davantage pour faire avorter tous les fruits de cette éducation, objet de la sollicitude du génie le plus élevé de ce siècle. Licentius quitte aussitôt saint Augustin, court à Rome où d’après son rêve tant de gloire l’attendait, et bientôt il sent la pesanteur des chaînes que le paganisme fait porter à ses enfants. Il veut se justifier aux yeux de saint Augustin, et cherche dans je ne sais quel projet de mariage une explication de son absence:

Et nunc Romulidum sedes et inania tecti

Culmina, Bacchatasque domus, vanosque tumultus

Desererem, et totus semel in tua corde venirem,

Ni mens conjugio incumbens retineret euntem.

Crede meis, o docte, malis, veroque dolori,

Quod sine te nullos promittunt carbasa portas,

Erramuusque procul turbata per œqaora vitas.

Augustin ne s’attendait pas à une semblable jus­tification. En la lisant il ne peut retenir son cour­roux; il intime durement à son élève l’ordre de retenir son couroux; il intime durement à son élève de revenir et charge Paulin de tenter un dernier effort près de Licentius. Il fondait de grandes espérances sur la parole d’un homme qui avait fait au christia­nisme le sacrifice dé plus de dignités que le songe n’en promettait à Licentius. Paulin adressa au jeune am­bitieux une exhortation rédigée en beaux vers:  

Quare age rumpe moras, et vinola tenacia secti:

Nec metuas placidi mite jugum Domini.

Hoç tamen et repetens iterumquc iteriunque monebo

Ut fugias durae lubrica militiae.

Ailleurs il fait allusion à ce malheureux songe, source de tant de fautes :

«O mon fils ! tu recevras la couronne de grâce et a alors tu seras et consul et pontife ; non par l’effet des fantômes d’un songe, mais par celui de la vérité. Alors le Christ en révélant sa divine influence fera évanouir des images mensongères. Licentius, tu seras a vraiment consul et pontife si tu suis les enseignements apostoliques d’Augustin. »

Licentius ne préfera pas le pontificat promis par Paulin à celui annoncé par son rêve, et tout porte à croire qu’une fois rentré dans la société païenne il ne la quitta plus.

Nous venons de voir un homme que l’ambition seule avait ramené vers l’erreur: aucune pensée grave ne combattit dans son esprit l’influence des divins pré­ceptes du christianisme; l’intérêt personnel aiguil­lonné par une chimère eut assez de force pour replacer dans les rangs des païens l’élève chéri de saint Augus­tin. Hâtons-nous de le dire: tous les amis des faux dieux n’étaient pas sous l’empire d’idées aussi étroites.

Souvent des hommes éclairés et calmes en apparence s’offraient pour soutenir de nouveau contre les chefs de la nouvelle religion des discussions dépourvues, il est vrai, du mérite de la nouveauté, mais intéressantes cependant parce qu’elles ne manquaient pas de gra­vité, et que d’ailleurs, durant le quatrième siècle, les païens s’étaient obstinément refusés à entrer dans toute controverse sérieuse.

L’analyse d’une de ces discussions fera connaître le caractère des idées païennes à l’époque de la prise de Rome par les Goths. Cherchons donc si, depuis l’instant où Symmaque rédigea sa fameuse Profession de foi, l’esprit païen avait subi quelque changement notable.

La famille Volusiana était une des plus illustres de Rome; durant le quatrième siècle elle fournit abon­damment à l’état des préfets de la ville ou du prétoire, des proconsuls, des vicaires, etc... Il est superflu d’ajouter que cette maison puissante appuyait de tous ses efforts l’ancien culte.

Un de ses membres fut dans sa jeunesse envoyé en Afrique pour y exercer les fonctions dé proconsul. Saint Augustin occupait alors le siège d’Hippone, car les faits que je vais rapporter se passèrent en 412. L’espoir d’attirer dans le sein de l’église l’héritier de la puissance des Volusiens s’offrit à sa pensée; il devait espérer de réussir, car la mère de Volusien était elle-même chrétienne et faisait des vœux pour la conver­sion de son fils. Ce dernier abondait dans les doctrines néo-platoniciennes qu’on enseignait avec tant de bruit non plus à Alexandrie mais à Athènes; il vénérait Apollonius de Thyanes et Apulée comme des êtres surnaturels; il était enfin le disciple des philosophes éclectiques de ce temps. Un tribun-motaire nommé Marcellinus favorisait par des efforts continuels l’effet des enseignements d’Augustin. Le chef de l’église d’Occident adressa deux lettres à Volusien qui habitait Carthage, le pressant d’entamer avec lui une controverse: Scribe ut rescribam. Volusien répondit : il pro­diguait à Augustin les témoignages d’une grande vé­nération, il l’appelait vénérable père, homme de probité et de justice, homme digne de toute gloire. Il soumit à sa sagesse quelques doutes sur l’incarnation de Jésus Christ; Augustin s’empressa de les dissiper. Volusien cependant n’ouvrait pas son cœur; il évitait soigneusement de discuter avec Augustin les véritables raisons qui combattaient dans son esprit le triomphe des idées nouvelles. Ses illusions lui étaient trop chères pour qu’il ne craignît pas de les aventurer dans une polémique où il ne pouvait guère espérer la vic­toire. Cependant il fut plus confiant avec le tribun: les discussions devinrent fréquentes entre eux, et Marcellinus écrivait à saint Augustin. «J’ai, autant que me le permettent la faiblesse de mes moyens et la pauvreté de mon esprit, chaque jour une discussion avec Volusien. Encouragé par sa sainte mère, j’ai soin: de me présenter fréquemment chez lui sous prétexte de le saluer.» A la suite de ces nombreuses conférences, Marcellinus rédigea les trois principales questions qui y avaient été débattues et les fit passer à saint Augustin.

Les voici :   .

1° Aucune chose ne doit être changée avant qu’on ait prouvé qu’elle est mauvaise; ou bien, ce qui une fois a été fait avec raison ne doit aucunement être changé.

2° La prédication et les doctrines du Christ, desquelles résulte ce précepte que nous ne devons rendre à personne le mal pour le mal, ne conviennent nulle­ment aux mœurs de la république.

3° Sous le règne de quelques empereurs chrétiens il est arrivé beaucoup de maux à l’empire.

Volusien parlait enfin à cœur ouvert, il n’est que trop aisé de le voir : ce n’est plus la foi dans les mi­racles et dans l’incarnation de Jésus-Christ qui répu­gne à sa conscience; ce qui l’effraie, ce qui blesse ses sentiments secrets, ce sont les changements apportés par le christianisme dans la société romaine. Ainsi que Symmaque, ainsi que toute l’aristocratie, il repousse les nouvelles doctrines par des motifs politiques; il ne conteste point la pureté de la morale du chris­tianisme, ni la grandeur des dogmes de cette re­ligion; mais entre de tels avantages et le salut de la constitution le choix d’un Volusien ne peut être dou­teux.     

On a dû remarquer l’analogie qui existe entre ces trois propositions et la Relation de Symmaque; les idées sont semblables et à peine trouve-t-on dans les expres­sions quelque différence. Je ne crois donc pas m’être trompé quand j’ai dit que cette profession de foi  circula dans tout l’empire, et qu’elle devint le symbole fixe des croyances païennes-

«Ce qui une fois a été fait avec raison, dit Vo­lusien, ne doit pas être changé.» Ce principe d’im­muabilité se trouvait au fond du cœur de tous les partisans du paganisme. Nous connaissions déjà le more majorum; ce vieil axiome a retenti souvent à nos oreilles; maintes fois nous avons entendu les païens dire à leurs adversaires:

«Corrumpitis disciplinan, moresque generis humani pervertitis

Mais au commencement du cinquième siècle, quand la dernière heure de l’empiré romain allait sonner, quand les an­ciens éléments sociaux ne formaient plus, confondus avec les nouveaux, qu’un assemblage incohérent, rê­ver encore l’immobilité dès mœurs, des opinions et des institutions dé la patrie, n’était-ce pas poursuivre le plus bizarre fantôme?

Quand Volusien a émis l’opinion que la doctrine du Christ ne convenait pas aux mœurs de la république, on a pu croire que touchant au nœud de la dif­ficulté il allait essayer de le trancher; mais tous les païens en général, et particulièrement ceux de l’Occident, n’avaient sur le christianisme, prêché cependant depuis quatre cents ans, que les plus fausses idées; cette religion leur apparaissait comme un système philosophique, confus, bizarre, inapplicable, propre tout au plus à satisfaire l'avidité de quelques esprits malades; et les.efforts de Volusien n’aboutissent qu’à une misérable objection contre ce que la morale chré­tienne a de plus noble et de plus élevé. La résignation au malheur, l’humilité et le pardon des injures sont des principes que le patricien est hors d’état de com­prendre; et en effet il n’eût pas été possible de les in­troduire dans la politique de l’empire romain. «Eh quoi! disait Volusien, faudra-t-il donc se laisser prendre par l’ennemi? Ne pourrions-nous pas reporter le fléau de la guerre chez un peuple qui aurait dévasté les provinces romaines?» L’impossibilité de s’élever jusqu’à l’appréciation d’une morale universelle, l’habitude con­tractée par les païens de ne considérer les croyances chrétiennes que dans leur rapport immédiat avec l’état politique de l’empire, paraissent ici dans tout leur jour.

Quant à cette observation que sous plusieurs prin­ces chrétiens la patrie avait éprouvé de grands mal­heurs, je n’ajouterai rien à ce que j’ai dit, si ce n’est que cette allégation était devenue un argument puis­sant et habituel (generalis conquestio) dans la bouche des païens habiles à tirer parti du malheur des temps et de certaines propositions, évidemment destructives de la constitution romaine, que plusieurs çhefs de l’é­glise proclamaient encore dans ce temps.


Les objections de Volusien, puissantes à ses yeux comme à ceux de tous ses amis, trahissaient cependant l’impuissance des doctrines païennes, et il n’y a-pas jusqu’à l’embarras de ce patricien, jusqu’à sa crainte d’entamer la controverse, qui ne montrent combien la position des païens était difficile à défendre. D’où pro­venait, sinon de leur peu de confiance dans les dogmes de l’ancien culte, cette obstination à toujours trans­porter le débat sur un terrain où il ne pouvait pas réellement avoir lieu? On développe devant eux un système admirable de morale et les dogmes du plus pur spiritualisme, et ils répondent par des arguments puisés dans une politique étroite, dans l’intérêt du mo­ment ou dans des idées traditionnelles dont ils défendent même que l’on pèse le mérite; ils s’écrient que l’on attente! la constitution romaine, et que l’on fait cause commune avec les Goths ou les Vandales; tel est leur aveuglement, qu’ils ne s’aperçoivent pas des graves concessions qu’ils font au christianisme sur toutes les questions relatives au dogme; désormais ils admettent sans difficulté l’existence d’un Dieu unique dont toutes leurs autres divinités sont les ministres; Jésus-Christ est pour eux non plus un imposteur ou un magicien mais un homme excellentissimæ sapientiœ; ils con­cèdent beaucoup là où ils n’auraient rien dû accorder, et bataillent sur un terrain où le christianisme les suit par pitié.

On a dit que cette tendance d’ailleurs si faible des opi­nions païennes à se rapprocher des idées religieuses du christianisme les avait rendues moins extravagantes et moins pernicieuses: je crois qu’il faut seulement voir dans ce mouvement involontaire de l’erreur vers la vé­rité une preuve des progrès du christianisme et en même temps un témoignage du peu d’habileté des chefs de l’an­cien culte dans la défense de leurs premiers intérêts; y trouver le germe d’une amélioration religieuse, c’est à mon avis découvrir une cause qui a manqué d’effet.

Au reste, plus d’intelligence, d’adresse ou de ruse n’aurait pas sauvé l’erreur des anciens: son sort était décidé. Les païens de l’empire d’Orient et particulièrement les philosophes alexandrins, qui faisaient au christianisme une guerre purement dogmatique, entravaient et ralentissaient sa marche, mais ne l’arrêtaient pas. Dans leurs controverses avec les chefs de l’église importaient peut-être plus de passion et plus de violence que leurs frères d’Occident; ils discutaient l’essence même de la nouvelle religion et ne se faisaient pas un rempart des intérêts politiques de l’empire; s’ils, re­poussaient le christianisme, c’était parce que cette religion leur semblait fausse, mauvaise, et, sous tous les rapports, inférieure au culte hellénique; leur attitude dans ce mémorable combat était donc plus franche et plus naturelle que celle des païens d’Occident, et cependant elle n’eut pas pour eux de meilleurs effets.

Je croîs qu’il est nécessaire d’opposer à la discussion entre saint Augustin et Volusien un autre débat qui eut lieu en Syrie, à la même époque, entre deux Grecs, l’un chrétien l’autre païen, afin que l’on puisse juger, par ce rapprochement, combien étaient variés les points de vue sous lesquels les adversaires de la foi chrétienne considéraient le polythéisme.

Les Bollandistes ont inséré dans leur vaste recueil la vie d’un certain Alexandre, abbé à Constantinople, fondateur des couvents de moines Acemètes, quoique l’église n’ait point placé ce personnage au nombre de saints. Alexandre, a près avoir passé un assez grand nombre d’années dans la solitude, entreprit de prêcher l’Évangile. La seule circonstance qui nous soit connue de sa prédication est la conversion d’un gouverneur nommé Rabula et celle de tous les autres païens de là ville où il résidait. Cette Ville n’est pas nommée, mais elle appartenait à la Mésopotamie et se trouvait située à quatre journées de l’Euphrate.

Alexandre ayant ruiné et brûlé un temple d’idoles, Rabula irrité lui reproche ainsi cet acte de violence :

«Tu as renversé le temple de nos dieux, de nos maîtres. Ce n’est pas seulement le peuple, c’est nous tous que tu veux entraîner et rendre pareils à toi, c’est-à-dire sacrilèges et contempteurs des dieux. Dé­clare donc la vérité: quel est votre espoir, à vous au­tres chrétiens, qui en poussant si loin l’audace sem­blez mépriser votre vie ?

ALEXANDRE.

«Nous ne méprisons pas la vie ainsi que tu le prétends; mais en attendant la vie éternelle, nous apprenons à nous détacher de celle-là, parce qu’il nous a été dit: «Celui qui perdra sa vie en ce monde la retrouvera dans l’autre. »

rabula.

«Quelle est donc votre espérance? où irez-vous en quittant ce monde?

ALEXANDRE.

«Nous montrons par nos œuvres à ceux qui veulent connaître la vérité, la puissance de ces paroles, et nous ne recourons pas comme les ethniques à des fa­bles et à d’inutiles discours.

RABULA.

«Quant à moi je suis prêt à combattre toutes ces fo­lies, à l’aide desquelles non seulement tu portes le trouble parmi nous, mais tu ne cesses de couvrir nos dieux de mépris.

ALEXANDRE.

«Je vais te faire connaître la puissance de notre Dieu et les mystères de la foi.»

Alexandre ouvre alors les livres saints, et com­mence avec le païen une polémique qui dura sans interruption un jour et une nuit. Tout annonçait qu’elle serait favorable à la cause de la vérité, quand, à propos du miracle d’Élie qui fit descendre le feu du ciel sur la terre, Rabula se récrie:

RABULA.

«Toutes ces choses sont des mensonges et vos croyan­ces un tissu de fables. Je veux te donner un bon conseil: viens célébrer avec nous la fête du jour et offrir un sa­crifice aux dieux; ils sont pleins de douceur et ne te refuseront pas le pardon et l’impunité pour tout ce que tu as fait contre eux, car ta faute provient de ton ignorance.

ALEXANDRE.

«Si du temps d’Élie les dieux existaient, pourquoi ne se rendirent-ils pas aux prières des faux prophètes, et n’ont-ils pas fait descendre le feu sur leurs autels? Élie, serviteur de Dieu, était seul, cependant par la force divine il leur donna la mort à tous; et comme il avait demandé à Dieu qu’il ne plût pas, afin de punir l’obsti­nation des hommes, on ne vit pas pendant trois ans et six mois tomber une seule goutte d’eau; jusqu’à ce qu’enfin le Seigneur, ému lui-même de pitié pour la veuve, fléchit la sévérité de son serviteur et l’excita à l’indulgence, afin qu’il remplît son serment et lui adressât des prières en faveur des hommes.

RABULA.

« Si ces choses sont vraies, si tel est ton Dieu, s’il en­tend les prières de ses serviteurs, demande-lui de faire, en ce moment, descendre des flammes du ciel. S’il se rend à ta prière, je déclarerai qu’il n’y a point d’autre Dieu que celui des chrétiens, sinon les choses qui se trouvent dans vos livres sont fausses, car tu te dis ausdi le serviteur de Dieu. »


L’auteur de la Vie d’Alexandre raconte ensuite le miracle qui décida la conversion si longtemps disputée de Rabula.

On aperçoit facilement l’énorme différence qui existait entre Volusien et Rabula. Le patricien romain ne pouvait être converti qu’à la condition d’abandonner ses préjugés de naissance, ses intérêts de caste et toutes ses opinions politiques: cet abandon n’était pas une chose impossible, l’exemple de saint Paulin nous l’ap­prend; mais par combien de sentiments secrets et puissants ne devait-il pas être combattu? que pou­vaient en effet répondre les docteurs chrétiens à des questions puisées dans les doctrines politiques de l’em­pire romain et dans l’intérêt personnel? Comment soutenir qu’une religion nouvelle ne change pas en s’établissant les mœurs et les lois d’un état, qu’elle né blesse pas nécessairement une multitude d’idées, de passions et d’intérêts?

Les païens, qui à l’exemple de Rabula, consentaient à ouvrir les livres saints et à discuter les doctrines qui y sont contenues, étaient bientôt éclairés et convaincus. Ils se réveillaient, pour ainsi dire, et quelle qu’eût été leur haine contre les croyances nouvelles, ils s’étonnaient d’avoir pu sommeiller si longtemps dans les bras de l’erreur.

Remarquons, en outre, que les conversions obtenues en Orient provenant en général d’un examen attentif et d’une discussion approfondie, étaient beaucoup plus durables que celles opérées dans l’Occident. Ces dernières n’avaient trop souvent pour principe qu’un changement brusque et irréfléchi d’opinion; dès lors elles diraient peu de temps, ou bien si elles se prolongeaient, c’était aux dépens du christianisme.

Nous avons vu que les efforts de saint Augustin, près de Volusien échouèrent : la vanité du siècle l’em­porta. Saint Jérôme réussissait mieux dans ses tentatives contre l’aristocratie. Chez lui la prudence s’alliait, aux mouvements d’une âme pleine de chaleur. Il n’aspirait pas à des victoires promptes ou éclatantes, conquérir à la vérité une seule personne dans quelque famille illustre lui semblait un succès important; il attendait du temps les moyens de le rendre plus complet. Aucun docteur de ce temps n’a mieux que lui connu la puissance des mœurs romaines, et n’a su l’attaquer avec plus d’habileté.

Il a tracé le tableau séduisant d’une famille patricienne qui vouée au christianisme entoure de ses respects son vieux chef resté pontife des faux dieux. La paix qui règne dans cette sainte maison, la douceur de ce vieillard qui sourit aux chants chrétiens qu’il entend résonner autour de lui, sont représentées avec une ad­mirable simplicité.

Le pontife s’appelait Albinus. J’ai déjà eu occasion de parler de ce personnage dont la femme et les enfants avaient tous  la nouvelle religion. Parmi, ceux-ci nous ne connaissons que Læta. Saint Jérôme l’appelait sa très religieuse fille en Jésus-Christ; elle épousa Toxotius, fils de sainte Paula, et eut de lui une fille aussi nommée Paula dont elle attribuait la, naissance à un vœu qu’elle avait fait. Son mari qui longtemps avait marqué parmi les membres de l’aristo­cratie les plus contraires aux innovations étant mort, elle restait l’arbitre du sort de cet enfant: elle résolut donc de le vouer à Dieu, et s’adressa à saint Jérôme pour obtenir de lui les conseils nécessaires. Il lui écrivit sa célébré lettre De Institutione filiae. Le commencement de cette épître montre combien saint Jérôme était circonspect dans ses tentatives, modéré dans ses espérances et habile dans le choix de ses moyens d’influence:

« L’apôtre saint Paul, dit-il, récrivant aux Corinthiens et voulant asservir à la Sainte discipline une église encore grossière, entre autres recommandations leur adresse celle ci : «Si une femme a un époux infidèle et qu’il consente à habiter avec elle, il ne faut pas qu’elle le quitte. En effet, une femme fidèle sanctifie un homme infidèle et «une femme infidèle est sanctifiée par un homme fidèle, sans cela vos enfants seraient impurs et maintenant ils sont purifiés.» Si quelqu’un pense que les liens de la discipline seront relâchés par cette indulgence du maître, qu’il considère la maison de ton père, de cet homme si illustre et si instruit mais qui marche encore dans les ténèbres, alors il comprendra que le conseil de l’apôtre est utile afin de balancer par la douceur des fruits l’amertume de la racine, et pour faire produire à de faibles branches un baume délicieux. Tu est née d’un mariage mixte; de toi et de mon cher Toxotius est issue Paula. Qui aurait cru que la petite-fille du pontife Albinus naîtrait du vœu fait à un martyr, et que son grand-père sourirait un jour en l’entendant bégayer l’alléluia du Christ? Qui aurait pensé que ce vieillard nourrirait dans son sein la vierge de Dieu? Nos espérances sont grandes et sont heureuses ! Une sainte et fidèle maison sanctifie un homme infidèle. Il est déjà candidat de la foi celui qu’environne cette foule chrétienne d’enfants et de petits-enfants.  Pour moi, je crois que si Jupiter lui-même avait une telle famille, il finirait par croire en Jésus-Christ. Vous allez hausser les épaules, rire de ma lettre, m’appeler sot et insensé: votre mari en faisait autant avant de croire. On devient, on ne naît pas chrétien. Le Capitole couvert d’or languit dans la poussière; tous les  temples de Rome sont couverts de toiles d’araignées; la ville sort de ses fondements, les flots du peuple passent devant les temples de Rome à demi détruits et se portent vers les tombeaux des martyrs: si la prudence n’arrache pas la foi que la honte au moins l’obtienne. Laeta, ma très-religieuse fille en Jésus Christ, je vous dis cela pour que vous ne désespériez pas du salut de votre père; une conversion n’est jamais tardive.»

Saint Jérôme trace ensuite un plan d’éducation pour la jeune Paula et il n’oublie pas d’adresser à la mère cette recommandation:

«Quand elle apercevra son grand-père, qu’elle se jette sur son sein, qu’elle se suspende à son cou, et qu’elle chante malgré lui l’Alléluia.» Combien elle est habile cette conspi­ration ourdie en famille contre la conscience du vieux prêtre païen! N’était-il pas plus sage d’autoriser ces mariages mixtes, qui devaient en définitive tourner à l’avantage du christianisme, que de les blâmer comme le faisait saint Ambroise quand il s’écriait: Cave, christiane, Gentili aut Judœo filiam tuam tradere ?

Il est aisé de juger par la correspondance de saint Jérôme que pendant son séjour à Rome il était en relation avec une foule de dames appartenant toutes à l’aristocratie. Ses vertus, sa douceur, les grâces même de son génie, le rendaient un ennemi trop redoutable au paganisme, pour que les chefs de ce culte n’employassent pas contre lui leur arme ordinaire, c’est-à- dire la calomnie. Ils voulurent en l’abreuvant de dégoûts le contraindre à s’éloigner de Rome et ils dépas­sèrent même, en cette occasion, tout, ce que naguère ils avaient fait contre Paulin. Saint Jérôme fut publi­quement diffamé. On le traita de sorcier, de menteur, de débauché (lubricus); on alla jusqu’à le charger de l’infamie d’un, faux crime, dont jamais sa conduite n’avait donné lieu de le soupçonner et qui enveloppait aussi sainte Paula, belle-mère de Læta, sans que l’austé­rité de la vie d’une dame de cette qualité pût justifier son innocence. L’affaire fit tant de bruit qu’elle fat portée devant les magistrats. L’accusateur rétracta tout ce qu’il avait dit, mais ceux qui se réjouissaient du scandale ne s’arrêtèrent pas à son désaveu. Saint Jé­rôme quitta Rome.

La victoire des païens fut incomplète : ils pouvaient forcer saint Jérôme à déserter la citadelle de leur re­ligion mais non à garder le silence. Du sen de l’Orient où il s’était retiré il renoua par une correspondance active les liens qui attachaient à lui ses filles en Jésus Christ, et secondé par elles il jetait des germes de dissolution dans le cœur de cette aristocratie si fière de sa puissance et si attachée à ses erreurs.


Vers le commencement du cinquième siècle, la pro­pagation du christianisme dans les rangs élevés de la société rencontrait donc encore des obstacles nombreux, mais au moins les hommes puissants qui rom­paient avec l’erreur restaient fidèles à leur nouvelle croyance, et ils ne scandalisaient pas la société par des apostasies. Les familles sénatoriales qui avaient embrassé le christianisme donnaient à Rome l’exemple mal­heureusement trop rare de la piété et de toutes les vertus chrétiennes: il n’en était de même ni dans les rangs du peuple, ni dans ceux de la classe intermédiaire. La corruption des mœurs y avait fait de rapides progrès pendant les cinquante dernières années du quatrième siècle, et les choses en étaient venues à ce point que le choix d’une religion passait dans le peuple pour être l’acte le plus indifférent. On embrassait par intérêt, par curiosité , par mode la religion nouvelle, puis on l’abandonnait à la première occasion. Ce n’était pas à vrai dire de l’indifférence, car l’indifférence conseille à l’homme de rester dans la religion où il est né; c’était un athéisme complet, une dépravation révoltante, un mépris hautement déclaré pour ce qu’il y a de plus sacré. Combien de fois l’église, qui luttait mais sans succès contre les progrès du mal, n’eut-elle pas à regretter les trop faciles recrues qu’elle faisait dans les rangs inférieurs de la société! Des hommes honteusement ignorants, sans honneur, sans l’ombre de piété, accessibles seulement au plus vil intérêt, ve­naient souiller de leur présence l’assemblée des fidèles. Ce sont eux que les pères de l’église désignent sous les noms de mali christiani, ficti christiani.... et contre lesquels nous entendons si souvent leur voix éloquente retentir. Les hérétiques, les fauteurs de troubles et de séditions comptaient toujours sur ces hommes qui semblaient être entrés dans l’église pour la fatiguer par leur esprit turbulent, ou qui ne consentaient à rester fidèles à la foi véritable qu’à condition d’introduire dans les usages du culte chrétien une foule de super­stitions dont trop longtemps l’influence se fit sentir : le moindre signe du paganisme suffisait pour ramener à lui ces serviteurs de tous les partis.

Alors il était malheureusement trop commun de voir des hommes qui faisaient métier de passer sans difficulté d’une religion à l’autre autant de fois que leur intérêt le demandait. Le principe de cette cor­ruption inconcevable dans le sein d’une religion qui n’était pas encore complètement développée, remontait à une époque antérieure à celle dont nous nous occupons. Vainement les conciles et les empe­reurs luttèrent contre l’apostasie: la multitude des hérésies et les vices du temps la plaçaient au rang des actions légitimes.

Théodose commença en l’année 381 à prononcer une peine contre les apostat : il leur retira le droit de tester. En 383 il modifia la précédente loi relativement aux catéchumènes apostats ; mais le principe général maintenait tous les apostats absque jure romano. Valentinien II suivit l’exemple de son collègue en 383, et appliqua les dispositions précédemment indiquées aux chrétiens qui se faisaient juifs ou manichéens; l’apostasie, comme on voit, variait dans ses choix. Ou apprend par une loi de l’année 391 que la noblesse suivait l’esprit général de l’époque. Valentinien dé­cida que tout noble qui se rendrait apostat serait dé­gradé de façon qu’il ne comptât même pas in vulgi ignobilis parte. En396 Arcadius priva de nouveau du droit de tester les chrétiens qui se idolorum superstitione impiu maculagerint. On ne peut donc pas reprocher au pouvoir politique d’être resté indifférent aux progrès du mal. Il faut maintenant montrer com­bien les lois ont peu de force dans un temps semblable à celui dont nous parlons.

Un jour saint Augustin présenta à l’assemblée des fidèles d’Hippone un homme qui devait être célèbre parmi les renégats : né païen il avait embrassé le chris­tianisme, puis dégoûté il était retourné aux idoles, et exerçait là profession lucrative d’astrologue; il deman­dait à entrer de nouveau dans l’église, c’est-à-dire à changer une troisième fois de religion. Augustin ne dés­espérant pas d’intéresser son auditoire en faveur d’un tel personnage, parla en ces termes :

«Cet ancien chrétien, cet ancien fidèle effrayé par a la puissance de Dieu, revient au repentir. Aux jours de sa fidélité entraîné par l’ennemi il se fît astrologue; séduit il séduisait, trompé il trompait; il proféra beaucoup de mensonges contre Dieu qui a donné aux a hommes le pouvoir de faire le bien et de ne pas faire «le mal; il disait que ce n’est pas la volonté qui rend adultère mais Vénus, que c’est Mars qui rend homicide, que ce n’est pas Dieu qui inspire la justice mais Jupiter : il ajoutait encore plusieurs autres sacrilèges. Combien il escroqua d’argent à de soi-disant chrétiens! Combien de gens achetèrent de lui le men­er songe! Maintenant, si nous l’en croyons, if déteste l’erreur, il regrette la perte de plusieurs âmes; et se sentant saisi par le démon, il revient vers Dieu plein de repentir. Croyons, mes frères, que c’est la crainte qui a produit ce changement. Que dirons-nous? que peut-être il ne faut pas tant se réjouir de la conversion de cet astrologue ex-païen, puisqu’une fois converti il pourra solliciter la cléricature : il est pénitent, mes frères, et ne demande que miséricorde. Je le recommande à vos yeux et à vos cœurs. Que vos cœurs l’aiment, que vos yeux le surveillent. Reconnaissez-le bien, et partout où vous le rencontrerez, montrez-le à ceux de vos frères qui ne sont pas ici. Ce soin est aussi de la miséricorde, car il faut « craindre que son âme séductrice ne change et ne recommence ses attaques. Soyez sur vos gardes; sachez « ce qu’il dit, où il va, afin que votre témoignage k nous confirme dans la pensée qu’il est bien réellement converti. Il périssait, maintenant il est retrouvé. Il porte avec lui, pour qu’on les jette au feu, les livres qui l’ont brûlé; il veut se rafraîchir par les flammes qui vont les dévorer. Vous ne devez pas igno­rer, mes frères, qu’il a frappé à la porte de l’église avant Pâques; mais le métier qu’il faisait le rendant a suspect de mensonge et de fourberie, on l’ajourna et peu après il fut admis. Nous craignions de le laisser exposé à de nouvelles tentations. Priez pour lui le Christ. »

Socrate parle d’un sophiste de Constantinople nommé Écebole, qui se conformait avec une merveilleuse fa­cilité aux: divers changements de fortune du christia­nisme. Du vivant de Constance, il affecta la plus vive ardeur pour les croyances nouvelles : Julien étant monté sur le trône, il reprit son ancien dévouement pour les dieux; mais après la mort de ce prince, il pensa qu’il était bon de donner une grande publicité à son repentir; en conséquence il allait s’étendre' à la porte des églises et criait aux fidèles:

«Foulez-moi aux pieds comme un sel insipide.»

Socrate ajoute: «Ecebole resta ce qu’il avait toujours été, c’est-à-dire un homme léger et inconstant.» Saint Augustin aurait pu cer­tainement en dire autant de son astrologue. N’est-il pas surprenant de trouver encore l’apostasie puissante à une époque où il n’était pas permis à un homme sensé de croire au rétablissement de l’ancien culte? L’apparition de Julien dut bouleverser beaucoup d’esprits, ébranler bien des consciences et donner au triomphe du christianisme le caractère d’un fait transitoire; mais, à la fin du quatrième siècle, on ne pouvait abandonner l’église pour retourner aux idoles que par un sentiment qui devait inspirer une profonde pitié. Je comprends alors pourquoi saint Augustin con­sentit à solliciter les fidèles en faveur d’un misérable chargé déjà de trois apostasies: il voulait avant tout lui faire perdre le nom de païen, convaincu que celui qui consentait à ne plus sacrifier aux faux dieux devait en définitive appartenir à la véritable religion. Un néophyte pouvait, retenu par le vieux levain de toutes les passions païennes, rester plus ou moins de temps sur le seuil de l’église: tôt ou tard il devait le fran­chir. Les chefs de l’église regardèrent toujours comme une présomption favorable qu’un citoyen consentît à ne plus se dire païen; cette première victoire leur, sem­blait le présage assuré d’une véritable conversion, et ils recommandaient aux chrétiens de ne pas flétrir de l’épithète dangereuse de païens ceux de leurs frères qui auraient failli, mais de les appeler simplement pécheurs, ils s’efforçaient enfin de foire oublier le paga­nisme, et pour par venir à ce but ils défendaient même qu’on prononçât son nom.

L’ancien culte ne se contentait pas d’entraver les développements du christianisme par des attaques sourdes et déloyales, il viciait encore la discipline de l’église, car son empire sur les meurs des convertis était plutôt une tyrannie véritable qu’un reste naturel d’influence. On doit être surpris de la facilité avec laquelle il introduisit dans le sanctuaire du vrai Dieu son esprit superstitieux, sa morale relâchée et son goût pour le désordre. Com­bien l’église ressemblait peu alors, c’est-à-dire soixante-dix ans après la mort de Constantin, à ce qu’elle devait être et à ce qu’elle fut depuis! Vers la fin de sa vie, saint Jérôme forma, lui aussi, le projet d’écrire une Histoire Ecclésiastique, mais c’était afin de montrer que sous les princes chrétiens l’église avait toujours été en déclinant : Divitiis major, virtutibus minor; arrêt sévère sans doute et que la conscience de saint Jérôme dut rendre à regret, mais dont la justice est prouvée par tous les documents historiques de cette époque. Souvent ce chef illustre du christianisme, dont l’esprit était plutôt porté à l’enthousiasme qu’au décourage­ment, perdait toute énergie en réfléchissant à la situa­tion déplorable de l’église, et il déclarait, dans son accablement, qu’il ne se sentait plus la force d’écrire. Assez d’historiens ont représenté avec de vives cou­leurs le luxe excessif des évêques de ce temps, l’avidité, l’ignorance et l’inconduite des clercs; je me bornerai donc à choisir dans ce triste tableau les parties qui se rapportent à l’histoire du paganisme.

Toutes les pratiques de l’art divinatoire restaient dans la plus haute faveur près des chrétiens, quand depuis longtemps les hommes gravés, du parti païen ne montraient plus pour ces usages de l’idolâtrie qu’un respect de convention ou que du dédain. Ils juraient par les faux dieux, ils féraient le cinquième jour dédié à Jupiter, et prenaient part aux jeux, aux fêtes et aux festins sacrés des païens. Les cérémonies du christianisme n’avaient presque rien conservé de leur ancienne majesté. Il n’était pas rare d’entendre chanter des hymnes païens dans les solennités chré­tiennes, ni de voir les fidèles former, selon l’usage du paganisme, des danses devant les basiliques. Les choses ne se passaient pas avec plus de décence dans l’inté­rieur des églises: on s’y rendait pour y causer d’af­faires ou pour s’y divertir; le bruit y était si grand, les éclats de rire si bruyants, qu’on ne pouvait plus entendre la lecture des livres saints; les fidèles s’y dis­putaient, s’y battaient, quelquefois ils interpellaient l’officiant, le pressaient d’en finir, ou  le forçaient de chanter suivant leur goût. Saint Augustin était donc au­torisé à qualifier cette influence si puissante de l’ancien culte une persécution du démon, plus cachée et plus fine que n’était celle dont l’église primitive avait tant souffert.

Tous ces faits scandaleux sont attestés par l’évêque d’Hippone et par celui de Milan: on ne peut donc pas révoquer en doute leur authenticité; mais il est possible qu’on les regarde comme l’indice d’une cor­ruption particulière soit à l’église d’Afrique, soit à celle de Milan; je suis donc obligé de fournir des témoignages nouveaux pour montrer que faction funeste des mœurs païennes se faisait sentir dans toutes les pro­vinces.

Saint Gaudence, évêque de Brescia à l’époque où saint Augustin l’était d’Hippone, suivit l’exemple de son prédécesseur saint Philastre et combattit vigoureusement l’idolâtrie dans son diocèse. Voici l’extrait d’un de ses sermons:

«Vous, néophytes, qui êtes appelés au festin de cette Pâques mystique et salutaire, voyez comment vous conservez vos âmes pures de ces aliments que la superstition des gentils à souillés. Ce n’est pas assez pour le vrai chrétien de repousser loin de soi la nourriture empoisonnée des démons, il faut encore qu’il fuie toutes les abominations des gentils et toutes les fraudes des idolâtres, comme on fuit le poison vomi par le serpent du Diable. L’idolâtrie se compose des empoisonnements, des enchantements, des ligatures, des présages, des augures, des sorts, de toutes les vaines observations, et, en outre, de ces a fêtes nommées Parentales, par le moyen desquelles l’idolâtrie sait ranimer l’erreur. En effet les hommes cédant à leur gourmandise commencèrent par manger les mets qu’ils avaient préparés pour les morts; ensuite ils ne craignirent pas de célébrer en leur honneur des sacrifices sacrilèges quoiqu’il soit difficile de penser qu’ils remplissent un devoir envers leurs morts, ceux qui d’une main rendue tremblante par l’ivrognerie dressent des tables sur les sépulcres et disent d’une voix inintelligible : l'esprit a soif. Je a vous en supplie, prenez garde à ces choses, de peur que Dieu irrité ne livre aux fureurs de l’enfer ses cc contempteurs et ses ennemis qui ont refusé de porter son joug.»

Qui s’étonnera que de pareils chrétiens laissassent subsister et honorer dans leurs domaines les idoles, les autels et les temples du paganisme?

Saint Augustin, que je ne me lasse pas de citer parce qu’aucun docteur de ce temps ne reproduit aussi vivement la véritable pensée chrétienne, saint Augus­tin témoignait sa douleur de voir régner autour de lui un culte informe qui n’était ni le paganisme ni le christianisme: «Tel homme, dit-il, qui arrive chrétien à l’église s’en retourne païen.» Cependant, loin de se désespérer, il écrivait à la vierge Félicia: «Je t’engage à ne pas t’émouvoir trop vivement de tous ces scandales: ils furent prédits afin que quand ils a arriveraient nous nous rappelassions qu’ils avaient été annoncés, et que par conséquent nous n’en fussions pas blessés.» Les païens, pour qui cette cor­ruption hâtive n’était pas une chose prédite, se réjouissaient en considérant l’étendue de ses progrès. Ils ne voulaient pas croire à la durée d’un culte arrivé si vite à l’époque de sa décadence, et dans leur illusion ils répétaient ce mot célèbre: « Les chrétiens ne sont que pour un temps, après ils périront et les idoles reviendront.» N’est-il pas surprenant de voir cette religion qui, trahie, aveuglée, sapée de toutes parts, conserve encore dans son sein une idée d’avenir et s’écrie: Rediet quod erat antea?       On sait maintenant ce qu’était la société romaine. Cet édifice vacillant que le christianisme ne pouvait pas soutenir avait en un siècle usé le peu de force qui lui restait, et s’offrait sans défense à une foule d’ennemis pour qui il était un trop faible obstacle. Les citoyens préposés à sa garde n’avaient plus de con­fiance en eux-mêmes; partout circulaient de tristes rumeurs et de sinistres pronostics; partout éclataient ces signes trop évidents d’une prochaine catastrophe. Un même sentiment d’effroi avait réuni les païens et les chrétiens, parce que ces derniers ignoraient que le coup qui allait être frappé rendrait irrévocable le triomphe de leurs croyances.


 

CHAPITRE VII.

De la prise de Rome.

Les Romains croyaient que la ruine de Rome serait le signal de celle du mondes Lactance avait dans le siècle précédent exprimé cette pensée d’une manière prophétique : « Peut-on douter, dit-il, que quand la tête du monde sera frappée, ce qui doit arriver d’après les prédictions des sibylles, les choses humaines et la terre ne succombent. C’est en effet cette cite qui encore aujourd’hui soutient toutes choses. Prions, supplions le Dieu du ciel, si toutefois l’exécution de ses arrêts peut être suspendue, afin que le tyran abominable qui doit commettre ce crime affreux et étouffer la lumière dont l’extinction amènera la ruine du monde, ne vienne pas plus tôt que nous ne le pensons. »

Lactance se trompait en regardant la ruine de Rome comme le prélude de celle du monde. Chez lui le caractère romain dominait encore l’esprit chrétien. S’il en avait été différemment, il aurait sans peine reconnu que cette grande catastrophe devait faire périr seulement la société romaine que les païens appelaient le genre humain par une hyperbole patrio­tique dont trop d’événements malheureux procla­maient l’exagération; mais cette erreur de Lactance suf­fit pour faire comprendre l’autorité qu’exerçait encore sur tous les esprits ce nom si retentissant de Rome, jadis synonyme de force et de vertu. Aussi quelle douleur causa dans l’univers l’annonce d’un événement qui semblait impossible, ou que l’on reculait du moins jusqu’au moment où le monde épuisé tomberait sous le poids de sa vieillesse! Les habitants de l’Orient eux-mêmes ne regardaient Constantinople que comme la fille de Rome, et abjurant toute rivalité ils décernaient à celle-ci le titre de «la Tête» . La tête frappée, l’empire devait s’affaisser sous lui-même et périr. Cette pensée était universellement admise. Voyez en effet ce qui arriva.  

 «Je cherche à peindre, dit saint Jérôme, non pas les infortunes des malheureux, mais la fragilité des choses humaines. L’esprit a horreur de rap­peler les désastres de notre époque. Il y a vingt ans et plus que le sang romain ruissèle depuis Constantinople jusqu’aux Alpes Juliennes. La Scythie, la Thrace, la Macédoine, la Dardanie, la Dacie, la Thessalonique, l’Achaïe, l’Epire, la Dalmatie, les Pannonies, telles sont les contrées que le Goth , le Sarmate, le uüade, l’Alain, les Huns, les Vandales, les Marcomans pillent, ravagent et bouleversent. Combien de matrones, de vierges, de corps nobles et purs sont de­venus le jouet de ces bêtes féroces. Les évêques jetés dans les fers, les prêtres et les clercs massacrés, les églises renversées ou transformées en écuries, voilà ce que nous avons vu. Partout le deuil, les gémisse­ments et l’image de la mort. Le monde romain s’écroule, et cependant nous ne perdons pas courage.»

Celte désolation qui n’épargnait aucune province, aucune cité, aucun habitant de ce vaste empire, eut pour signal la ruine de la ville sacrée. Cette noble barrière, devant laquelle Alaric ému de pitié avait plu­sieurs fois reculé, ayant été renversée, le torrent n’avait plus pour ainsi dire la permission de s’arrêter: il fal­lait que tout fût englouti.

Tillemont intitule un de ses chapitres : Triomphe de Jésus-Christ dans le saccagement de Rome. Je ne sais si l’une des deux religions put trouver l’occasion de triompher au milieu de cet épouvantable désastre. Je vois les églises profanées et pillées, les vierges chrétiennes livrées à la fureur du soldat, l’épée des Goths se plongeant sans distinction dans le cœur de quiconque se présente devant elle, et j’ai peine à voir dans le bouleversement de Rome un autre triomphe que celui de la barbarie. Cet événement devait sans doute tourner à l’avantage du christianisme, mais après bien des années de malheurs, pendant la durée desquelles les chrétiens devaient, autant que leurs ad­versaires, verser des larmes de sang.

A la vérité saint Augustin et Orose citent un fait qui semble favorable à cette étrange opinion que le christianisme triompha dans la prise de Rome: Alaric, disent-ils, en laissant une liberté entière à la rage de ses soldats, avait cependant prescrit d’épargner les personnes qui se réfugieraient dans les églises dé Saint-Pierre et de Saint-Paul, et les païens accoururent en foule dans ces asiles; mais saint Augustin reconnaît que ces édifices furent choisis autant parce qu’ils étaient spacieux que parce qu’ils étaient sacrés. Sans doute le vainqueur qui ne voulait pas anéantir toute la population romaine ouvrit un asile au sein duquel les fugitifs furent admis sans distinction de sectes; mais comment voir dans cette digue opposées la rage des barbares un hommage rendu à la religion chrétienne? Le sac de Rome accabla également les chrétiens et les païens, toutefois avec cette différence que pour la re­ligion des uns ce désastre n’eut pas de suite funeste, et que pour celle des autres il en eut de mortelles: l’aristo­cratie frappée au cœur se dispersa, et avec elle s’éva­nouit tout l’avenir de l’ancien culte. On respecta, je le sais, pendant le pillage de la ville la personne des sénateurs, un seul fut tué et encore ce malheur n’eut-il d’autre cause qu’une méprise; mais ce ne sont pas des violences particulières qu’il importe d’apprécier, car leurs effets altèrent peu les principes d’une institution : il faut reporter plus haut notre vue.

Je vais montrer que la prise de Rome enleva aux patriciens toute leur influence religieuse, qu’elle les dépouilla de la portion considérable de pouvoir, dont ils jouissaient et des richesses que les siècles avaient accumulées dans leurs mains.

Si l’aristocratie parlait encore avec autorité aux Ro­mains dégénérés du quatrième siècle, c’est parce qu’elle passait pour être la sentinelle vigilante et courageuse posée près de la gloire et des intérêts de Rome. Elle disait et croyait elle-même qu’aussi longtemps que les destinées de l’empire seraient placées entre ses mains, les coups de la fortune ou ceux du temps seraient sans danger pour les institutions de la patrie. Cette conviction était répandue parmi un grand nombre de chrétiens, et régnait sur l’esprit de tous les païens comme un dogme politique. Quand la conquête de l’I­talie par les Goths et du reste de l’empire d’Occident par d’autres barbares, quand la prise de Rome eurent fait évanouir cette auréole de gloire qui brillait depuis douze siècles autour du patriciat, la réalité s’offrit aux regards de tous les Romains; chacun vit qu’il n’y avait que faiblesse, vanité, orgueil, là où l’on croyait que résidaient encore la force et le génie. Plus les mal­heurs publics étaient grands, plus on les reprocha aux patriciens; il leur fut désormais interdit de parler de l’éternité de Rome et des institutions nationales; ils n’osaient plus fixer leurs regards sur cette statue de la Victoire dont les débris étaient recouverts par les' cen­dres de la ville. Leur mission semblait donc accomplie, et ils se résignèrent, semblables à ces pontifes païens qui n’abandonnaient leurs temples que quand ils en avaient vu briser les idoles.

L’aristocratie tirait sans doute la plus grande partie de son influence du respect que les Romains portaient à leurs anciennes institutions, mais il faut aussi tenir compte de la supériorité que l’éducation et l’habitude du commandement donnaient à ses mem­bres. Si les barbares avaient passé sur l’Italie pour n’y plus revenir comme un torrent dévastateur, probablement les empereurs se seraient trouvés de nouveau dans la nécessité de conférer les premières charges de l’empire aux anciens nobles; mais les choses n’arrivèrent pas de cette sorte: les barbares avaient fixé leur domi­cile en Occident; Rome devait être prise et reprise en­core plusieurs fois, et le désordre s’établissait pour de longues années dans la malheureuse Italie. L’occasion de recourir aux lumières et au dévouement des patri­ciens ne se présenta plus, ou du moins s’offrit dans des cas si rares qu’il n’est pas permis d’en tirer une conséquence générale.

Ce n’était pas l’Italie seule qui pliait sous le poids des étrangers; les Gaules, l’Espagne et l’Afrique étaient également dévastées par eux. Les riches domaines dont l’aristocratie jouissait dans ces contrées n’envoyèrent plus leurs produits à Rome pour alimenter le luxe et le crédit des patriciens; à la vérité les nobles possé­daient des valeurs mobilières considérables, mais cette dernière ressource fut anéantie lors du pillage de la ville et du ravage de l’Italie. Alors réduits à un dénûment complet, ils préférèrent s’expatrier plutôt que de rester exposés aux violences des barbares et aux insultes de ceux qui naguère enviaient leur fortune et leur puissance.

L’Orient vit affluer dans son sein des bandes de fu­gitifs. Les chrétiens ne purent rester insensibles au spectacle qu’offraient de telles infortunes. Saint Jé­rôme écrivait à Eustochius en ces termes : « Qui eût jamais pensé que Rome élevée si haut par ses victoires périrait, et qu’après avoir été la mère elle deviendrait le sépulcre de ses peuples; que les rivages de l’Orient, de l’Égypte, de l’Afrique, naguère possessions de Rome la dominatrice, se couvriraient d’esclaves, et que chaque jour la sainte Bethléem recevrait dans ses murs une foule de personnes autrefois nobles et riches ( nobiles qomdam) qui viendraient pour y mendier? Nous né pouvons les secourir, mais nous les plaignons et nous mêlons nos larmes aux leurs.»

L’Afrique semblait tendre les bras à ces infortunés. Ceux qui purent dérober aux barbares une partie de leurs richesses s’y réfugièrent. Heraclianus, qui gouvernait cette province, profita du malheur dé ses compatriotes pond assouvir son avarice. Il faisait dépouiller as fugitifs et vendre aux marchands syriens les jeunes filles nobles. L’illustre Faltonia Proba, au­trefois la personne la plus riche et la plus considérée de Rome, abandonna à cet homme cruel tout ce qui lui restait pour sauver l’honneur de ses deux filles, Juliana et Demetriada.

Tous les réfugiés ne se maintenaient pas à la hauteur de leur infortune. Le plus grand nombre d’entre eux étonnaient les étrangers par leur insouciance. Ceux qui arrivèrent les premiers à Carthage coururent aussi­tôt au théâtre, et prenant part aux factions qui divi­saient les spectateurs, ils occasionnèrent dans la ville plus de désordre qu’on n’en avait jamais vu. Leurs cœurs autrefois si fiers et si cruels ne sont pas amollis, dit saint Jérôme; ils vendent leurs nippes et leurs haillons; quoique réduits en servitude, ils veulent posséder de l’or.»

Telle était cette aristocratie que nous voyons naguère. associée au plus puissant gouvernement qui ait existé. Chassée de son domicile, dépouillée de ses richesses, de sa gloire, de ses honneurs, réduite à mendier sa subsistance, ou à se vouer à l’esclavage, il ne lui fut même pas permis de périr dans les lieux témoins de son ancienne splendeur; elle alla, humble et suppliante, creuser son sépulcre dans des provinces éloignées où ses ancêtres n’avaient paru qu’en triom­phateurs. L’histoire offre peu d’exemples d’un revers de fortune aussi grand et aussi rapide.

Dans le temps où ces tristes événements arrivaient, les païens aigris par le malheur accréditèrent contre les chefs du christianisme un reproche qui devait, s’il été trouvé juste, exciter à l’égard de ces derniers un sentiment universel de réprobation : ils les accu­saient de s’être réjouis d’une catastrophe qui avait fait tressaillir d’horreur tout l’empire romain. Cette redoutable accusation mérite d’être pesée, car elle reposait sur un fait qui, s’il n’était pas vrai, n’était pas au moins entièrement invraisemblable.

Les chrétiens ne dissimulèrent jamais leur inimitié contre Rome, contre cette sentine de toutes les superstitions. Nous avons entendu Orose regretter qu’elle n’eût pas succombé lors de l’invasion de Radgaise ; je me contente d’ajouter que les chrétiens plaçaient un habitant de Rome et un barbare sur la même ligne. Quand la ville éternelle eut été souillée et que ses plus illustres citoyens se furent dispersés, les orateurs chrétiens trouvèrent dans le spectacle de tant de malheurs un texte fécond pour s’élever aux plus hautes considérations religieuses et morales. Moins empressés de plaindre des douleurs individuelles que de sonder ta profondeur des décrets du Dieu tout-puissant, ils ne craignirent pas de dire que la ruine de Rome était une leçon mémorable  qui éclairerait les hommes en leur apprenant à ne point placer la puissance et le bonheur dans cette vanité de siècle qu’un souffle de l’Eternel anéantit. Ils allèrent même jusqu’à comparer le sort de Rome avec celui de Sodome ou de Babylone la mère des impudicités et des abominations de la terre ; ils disaient : Urbs Roma Babyloniae suis sceleribus cpmparata, et à les croire, Dieu avait été beaucoup plus indulgent pour elle que pour ces deux autres villes. Enfin  ils demandaient si parmi les habitants de Rome, il s’en trouvait un seul qui pût se dire aussi malheureux, et aussi digue de pitié que Job l’avait été,

Cette manière élevée et toute religieuse d’envisager les faits, ces allusions au paroles des livres sacrés, ce dédain des misères humaines convenaient parfaitement aux chrétiens; mais pour les païens cé notait qu’un témoignage. frappant de l’indifférence des chefs de l’église en présence d’une infortune inouïe. Saint Augustin, fut attaqué avec violence; on le représenta comme l’allié des barbares et comme un fanatique impitoyable: il méritait cependant, aucun reproche. Il avait déploré, mais comme il convenait à un chrétien de le faire, les malheurs dé Rome. Il fut contraint de se défendre. «Loin de moi, disait-il, la pensée d’insulter aux misères de Rome; que Dieu l’éloigne de mon cœur et de ma conscience affligée. N’avions-nous pas dans son sein beaucoup de nos frères, n’en avons-nous pas encore? Qu’ai-je donc fait sinon d’accuser de mensonge ceux qui prétendent que nôtre Christ a causé la ruine de Rome et que des dieux de pierre et de bois l’auraient sauvée?»

Paul Orose, s’i! avait été accusé, aurait eu plus de peine à se défendre; car après avoir comparé l’incendie de Rome à celui de Sodome, il dit que Dieu con­duisit l’évêque Innocent Ier à Ravenne lors du siège de Rome, ainsi qu’il avait fait sortir Loth de Sodome, «afin qu’il ne vît pas la ruine d’un peuple pêcheur.» Ailleurs il dit: «L’ingrate Rome sait maintenant que la miséricorde détournée du jugement dé Dieu avait pour but, non de pardonner, mais dé punir l’audace dé l’idolâtrie.»

Saint Jérôme pleura avec effusion sur les malheurs de la patrie. Élevé dans la société romaine, convaincu qu’on pouvait encore la régénérer, il sentit vivement ce coup mortel qu’elle venait de recevoir, et dans le premier moment il ne songea pas à reporter vers le ciel lés larmes qu’il versait.

«Après avoir terminé, écrit-il à Eustochius, mes dix-huit livres de commentaires sur Isaïe, je désirais, o ma chère Éustochius, m’occuper d’Ézéchiel, ce que j’avais promis de faire à ta sainte mère Paula et à toi-même, afin, comme l’on dit, de donner le dernier coup de main à mon travail sur les prophètes; mais tout-à-coup j’apprends la mort de mon cher Pammaque, celle de Mélanie, la prise de Rome et la perte de plusieurs de nos frères et de nos sœurs. Je suis resté comme accablé sous le poids de la douleur, je n’ai pu jouir et nuit songer qu’au salut des autres. Je me a croyais captif dans la captivité des saints, et j’attendais  pour parler d’avoir reçu des nouvelles plus certaines. Je demeure suspendu entre l’espérance et le désespoir; je me déchire par les douleurs d’autrui, alors que l’éclatant flambeau du genre humain est éteint, alors que la tête de l’empire romain est coupée et que dans une seule ville le monde entier a succombé.»

Ce n’est pas le seul témoignage de pitié que saint Jérôme ait donné à cette cité malheureuse, qu’il honorait encore des noms les plus pompeux, tandis que ses frères la comparaient à Sodome.

La prise de Rome eut pour résultat de renverser une constitution politique qui seule pouvait encore prêter secours à l’ancien culte. «Il n’est point de région, dit saint Jérôme, qui n’ait des exilés romains.  En effet l’aristocratie n’existe plus; quelques noms illustres apparaîtront encore à de longs intervalles dans les fastes publics à côté de ceux des étrangers, mais les idées, les croyances et les intérêts qui unissaient entre eux les divers membres de cette caste, vont se perdre dans des mœurs nouvelles. L’antique alliance formée entre la religion et la constitution se trouve dissoute par la mort d’un de deux alliés : celle de l’autre ne se ferait pas attendre.

 


CHAPITRE VIII

Fin du règne d'Honorius.

 

Alaric survécut peu de tempe à l’accomplissement de sa mission. L’Italie épuisée par la secousse qu’elle venait d’éprouver demeura comme assoupie, pendant que le reste de l’Occident livré aux ravages des étran­gers et aux déchirements de la guerre civile , n’foirait plus que l’image du chaos.

Les païens profitèrent de cet instant de répit pour faire retentir dans Rome leurs blasphèmes ordinaires. Ils accusaient là religion nouvelle d’avoir amené la ruine de l’empire; ils rappelaient ironiquement la prétendue félicité annoncée si longtemps par elle; enfin leurs imprécations contre le Christ n’avaient plus de bornes et trouvaient même de l’écho parmi les chrétiens.

Le reproche adressé à la nouvelle religion d’occasionner les calamités publiques, commence à être usé pour nous, et je me borne à le mentionner ici une fois de plus. Ce qu’il importe d’apprécier, c’est la nature des promesses que le chefs du christianisme avaient tintes aux Romains.

La loi nouvelle n’annonçait pas seulement, aux hommes le bonheur dans la vie future, quelque chose de phis prochain ressortait aussi de ses promesses. Le christianisme disait à ceux qui souffraient de l’orga­nisation sociale que son triomphe serait suivi d’une réforme politique propre à rendre les hommes égaux, libres et heureux. On a souvent et avec raison remarqué que dans ses dogmes il y avait une partie théorique et une partie pratique, et qu’il fut toujours circonspect dans l’application de cette dernière. Mais si l’église ne mit pas à exécution les principes plus ou moins démo­cratiques contenus dans l’Evangile, elle ne put pas em­pêcher que ces principes eussent été proclamés, et que les païens ne s’en empirassent afin de montrer l’incompatibilité du christianisme avec une société régulière, et la vanité de toutes les promesses de bonheur faites par cette religion à ses enfants.

Depuis le régné de Constantin l’audace des bar­bares prend des développements effrayants pour la sûreté de l’empire, et cette progression de périls se ter­mine par la prise de Rome. Assurément il aurait été facile, même à un parti moins exalté que le parti païen, de tourner contre ses adversaires un fait aussi tristement évident que celui de la décadence de l’empire sous, lés princes chrétiens; et de transporter dans le domaine religieux une observation purement politique. Il faut comprendre tout ce qu’un citoyen romain devait offrir à cette époque, pour s’expliquer le crédit qu’obtinrent en tous lieux ces impiae querelæ répandues contre le Christ par les païens. Le christianisme était alors dirigé par des hommes qui ne reculèrent pas devant la tâche de défendre la cause des nouveautés en présence de Rome couchée dans, la poussière.

Saint Augustin, Orose et Salvien entreprirent dans dés temps et avec des talents différents, de répondre à une accusation qui, sans cesse reproduite, semblait ne devoir jamais perdre pour les païens le mérite de l’a-propos.

Je ne vais pas présenter au lecteur l’analyse de trois ouvrages suffisamment connus, et dont l’un surtout est placé au nombre des produits les plus beaux du génie chrétien: mon but est simplement de rechercher l’effet qu’ils produisirent lors de leur publication sur l’esprit des païens, et s’ils mirent enfin un terme à l’accusation favorite des ennemis de l’église.

Saint Augustin commença la Cité de Dieu en l’an­née 411.  Il en publia successivement les diverses parties et l’acheva en 417 peu avant sa mort. Ce mode de publication nuisit beaucoup à l’effet de l’ouvrage.

Dans les dix premiers livres  de la Cité de Dieu saint Augustin entreprend une nouvelle réfutation des traditions mythologiques. Cette réfutation est telle que devais la faire saint Augustin, c’est-à-dire vive et com­plète; mais elle reproduit en grande partie ce qui avait été dit par Origène, Tertullien, saint Cyprien, Minutius Félix, Arnobe, Lactance....; et les païens accoutumés à ce genre d’argumentation s’émurent fort peu des efforts du nouvel adversaire qui s’élevait contre te les trois premiers livres de la Cité de Dieu, j’appris «qu’on y préparait une réponse, et depuis l’on m’a averti qu’elle était prête, que ceux qui l’ont faite attendent l’occasion de pouvoir la publier sûrement. Je les avertis de ne pas souhaiter une chose qui ne leur pourrait être avantageuse. On se flotte aisément de répondre quand on n’est pas assez sage pour se taire.» Ainsi il existait encore des païens qui ne voulaient rien concéder sur ceux de leurs, dogmes les plus difficiles à défendre ni sur la mythologie homérique que Je plus grand nombre d’entre eux semblaient cependant avoir abandonnée. i Cette obstination à laquelle le système théogonique dés philosophes d’ Alexandrie était peu favorable, explique pourquoi saint Augustin crut nécessaire de publier une nouvelle critique dés traditions païennes: elle ne produisit pas plus d’effet que les pré­cédentes. «Il rient, disait-il, ceux contre : qui nous avons entrepris de défendre la Cité de Dieu.»

L’illustre docteur chrétien n’était pas encore arrivé au sujet même dé son ouvrage; ce n’est que dans le onzième livre qu’il commence à dessiner le plan de ses deux cités: dé celle de la terre et de celle de ciel, qui sont mêlées ici-bas et qui doivent un jour être séparées. Lés citoyens de l’une préfèrent leurs divinités au fon­dateur de l’autre, ne sachant pas qu’il est le Dieu des dieux; non des faux dieux, mais des dieux saints et pieux, qui préfèrent se soumettre eux mêmes à un seul que de s’en soumettre plusieurs, et adorer Dieu que d’être adorés au lieu de lui. Il est difficile que l’on ne soit pas frappé de la grandeur des idées développées par saint Augustin: quand il jette les basés de sa cité céleste; dont lés citoyens sont aussi, comme il le fait remarquer, soumis à des infortunes et à des douleurs terrestres, douleurs qui sont peu de chose pour eux, parce que leur vie véritable n’est pas celle qui s’accomplit ici-bas.

Plus on examine la Cité de Dieu, plus on reste convaincu que cet ouvrage dut exercer très-peu d’influence sur l’esprit des païens. Le spiritualisme élevé, la mysticité sainte mais obscure, et la haute philosophie qui y dominent, étaient des doctrines totalement étran­gères aux païens qui rabaissant  leur esprit à des considérations terrestres, voulaient qu’on leur prouvât, non pas que l’homme pour punition du péché originel est condamné à une vie de labeur, de tristesse et de larmes, mais que le christianisme n’avait ni divisé les Romains, ni affaibli l'empiré, ni causé les malheurs publics. Saint Ambroise répondant à lorateur Symmaque, avait en peu de mots essayé de fournir cette preuve: il né restait donc plus qu’à étendre, développer et ren­dre complète cette démonstration. Entraîné par son esprit fécond, préoccupé d'ailleurs beaucoup plus des intérêts de la société chrétienne que des clameurs d’une poignée d’opposants fanatiques, saint Augustin ou­blia le but qu’il se proposait d’atteindre, et, par un heureux écart de son génie, au lieu de répliquer aux païens, il dicta en faveur des fidèles un ouvrage qui dans tous les temps sera regardé malgré ses défauts comme une grande et magnifique explication d- la doctrine chrétienne. Ajoutons enfin que l’ouvrage de saint Augustin ayant été publié par parties détachées, les derniers livres virent le jour a une époque où les calomnies des païens s’étaient changées en des faibles murmures peu dignes de fixer l’attention et d’employer, les moments d’un évêque à la décision duquel étaient soumises toutes les affaires importantes de l’église d’Occident.

Soit que saint Augustin-comprît qu’il n’avait réellement pas répondu aux partisans de la vieille erreur; soit qu’il crût nécessaire que l’objection des païens fut envisagée sous plusieurs faces différentes, il chargea un de ses disciples, Paul Orose, de montrer que depuis l’origine du monde les hommes avaient été exposés à des malheurs égaux. Voici en quels termes Orose rappelle á son maître les motifs qui l’ont déterminé à publier  sa démonstration historique : «Tu m’as ordonné d’écrire contre la méchanceté menteuse de ceux, qui étrangers à la cité de Dieu sont appelés Païens (pagani), parce qu’ils habitent les villages  et les bourgs (pagi) ou bien Gentils, parce qu’ils ne songent qu’aux choses d’ici bas, et qui répandent d’abominables calomnies par cela seul que le Christ est reconnu et adoré comme Dieu , et que les idoles reçoivent moins d’hommages. Tu m’as prescrit de rechercher dans les histoires et les annales dont nous pouvons disposer les témoignages de tous les maux causés par la guerre, par les épidémies, par la «famine…» Orose n’eut point de peine à remplir la mission qu’il avait acceptée; et si l’on peut exprimer un regret, c’est qu’il n’ait pas apporté plus de critique dans le choix de ses preuves et plus d’art dans la dis­position dé ses matériaux. Cependant son ouvrage, tout imparfait qu’il est, me paraît écrit sous l’inspiration d’une idée juste et féconde. De tout temps le monde a été en proie à une foule de maux; les désastres qui fondent en ce moment sur les Romains sont terribles sans doute, mais ils ne le sont pas plus que ceux qui ont fait gémir tant de nations fameuses; voici une re­ligion qui apprend aux hommes à plier sous la loi d’une nécessité cruelle, et à supporter les misères de la vie humaine non pas seulement avec résignation, mais avec une sorte de volupté; adoptez la, et bientôt vous ne sentirez plus l’amertume de toutes les douleurs terres­tres qui vous assiègent: telle est, exprimée en peu de mots, la pensée d’Orose, pensée simple, vulgaire même, mais qui était de nature à frapper l’esprit de beaucoup de païens accessibles encore à l’influence de la raison.

 Salvien, prête de Marseille, qui écrivit son traité De la Providence vers l’année 440, c’est-à-dire quand déjà l’Afrique gémissait sous le joug des Vandales et que les maux de l’empire étaient portés  au comble, se trouvait dans une position bien plus délicat que ses deux prédécesseurs. De son temps ce n’étaient plus les païens seuls qui accusaient te christianisme d’avoir causé la ruine de la république: les chrétiens se plaignaient aussi; ils se plaignaient de n’avoir pour récompense dé leur prétendue piété que des malheurs dont l’étendue surpassait même toute prévision hu­maine. Ils demandaient avec dépit et colère si c’était ce qu’on leur avait promis, et faisaient retentir leurs blasphèmes contre un Dieu négligent et indifférent, qui ne secourait pas les bons; ne contenait pas les méchants, rendait les bons malheureux et les méchants heureux. Salvien prend la parole; à l’ vérité il s’adresse particulièrement aux mauvais chrétiens (infideles christiani), mais son raisonnements, ses durs reproches et ses brusques attaquess’appliquent aussi bien aux païens qu’aux chrétiens pervertis: les uns et les autres devaient reconnaître dans le tableau hideux qu’il traçait de la société romaine au cinquième siècle. Selon Salvien les malheurs de l’empire sont causés par la profonde corruption des citoyens; il ne voit dans l’église ou plutôt dans l’empire que des traîtres, des parjures, des assassins, des brigands, des ravisseurs, des adultères, des ivrognes..., et il ne s’étonne pas que le fléau de Dieu s’appesantisse sur des êtres aussi dégradés, sur des êtres qui n’ont plus même le sentiment de leur infor­tune et de leur abjection, car selon sa belle expression : populus romanus moritur et ridet. Il va plus loin : il compare chacune des nations barbares au peuple romain, et toujours il trouve que l’avantage est du côté des dévastateurs de l’empire: comment alors s’étonner si rien ne peut faire obstacle à leurs armes? Le livre, de Salvien n’était pas, il faut en convenir, de nature à faire beaucoup de partisans au christianisme; il mettait au jour cette triste vérité, que depuis le règne du premier empereur chrétien, l’église avait marché à pas redoublés vers un degré de corruption effrayant; mais il enseignait du moins qu’il ne faut pas mêler les choses, divines aux choses terrestres, ni attribuer aux religions un pouvoir plus grand que celui qu’elles possèdent. Il apprenait aux chrétiens comme aux païens que les états périssent quand chez eux la morale, l’honneur et le courage ne sont plus que de vains mots, quand on y voit les lois et la discipline militaire oubliées, quand les chefs sont sans intelligence, les sujets sans dévouement ni patriotisme, lorsque enfin le lien social est disjoint par la corruption. Donner en 440 cet enseignement aux Romains était sans doute prendre une peine superflue, mais Salvien dut croire utile de faire comprendre aux chrétiens qu’il ne leur était pas accordé de se placer, par une simple profession de foi, au-dessus de toutes les lois générales qui régissent le monde.

Tel est l’exposé de cette polémique, qui commencée contre les païens  finit par être dirigée contre les chrétiens. De ces trois écrivains un seul, Salvien, me semble avoir entrevu la vérité qui pouvait trancher ces trop longs débats; seul il a compris que l’invasion des barbares, en détruisant la civilisation romaine, donnerait naissance à une nouvelle société dont la première base serait le christianisme; mais cette vérité était trop effrayante pour que les Romains du cinquième siècle l’a cueillissent, et je ne vois pas en effet qu’elle ait fortement préoccupé l’esprit soit des chrétiens, soit des  païens. Ces derniers continuèrent à répéter qu’on ne répondait pas à leurs objections parce qu’on ne pouvait pas y répondre, que le christianisme propageait une  ridicule crédulité, que les apôtres avaient été des hommes grossiers, ignorants, hors d’état de comprendre la portée d’un système religieux. Ces attaques et une foule d’autres qu’il serait trop long de rapporter, parurent à deux écrivains chrétiens très-habiles, mériter encore l’honneur d’une réfutation. Quand on songe à tout  ce qui a été écrit contre les doctrines païennes, et à l’habileté des docteurs chrétiens qui se sont attachés à ruiner leur crédit, on comprend combien le temps donne de force même aux plus mauvaises religions.

Je lis que Rome se releva promptement du milieu de ses ruines, et qu’une administration prévoyante ramena dans ses murs de nombreux habitants. Honorius reçut en effet le titre de restaurateur de cette ville quondam désolata sed nunc gloriosior. Je suis toutefois peu disposé à admettre ce retour si prompt de prospérité : les plaies de Rome n’étaient pas de celles qui se guérissent en peu de jours. Si une administration active et intelligente contribua à réparer une partie des ravages causés par les barbares, on doit en rendre grâces aux débris de la malheureuse aristocratie, car nous apercevons, après l’année 410, plu sieurs patriciens amis de l’ancien culte, placés encore à la tête de l’administration de la ville: Rutilius Numatianus fut préfet en 413; Albinus, en 414; Symmaque le fils, en 418; et Volusianus géra la préfecture du prétoire d’Italie en 429. On a reconnu que les païens n’étaient pas moins habiles aux affaires publiques que les chrétiens; je crois qu’il eût été plus juste de dire que les patriciens se trouvaient, par leur éducation et les traditions conservées dans leurs familles, bien mieux préparés que leurs adversaires à prendre encore part à ce simulacre de gouvernement.

Les efforts de ces constants amis de la république ne pouvaient empêcher l’Italie de devenir chaque jour plus pauvre et moins peuplée. Des noms illustres, des mots pompeux ne déguisaient pas une misère et une décadence complètes et trop faciles à reconnaître. La loi du 6 juin 413 ordonne de rendre les terres ravagées par les barbares à leurs anciens propriétaires, si on peut les trouver ou bien à leurs héritiers; s’il ne se présente personne, on donnera les terres aux voisins ou à ceux qui les demanderont. Les citoyens qui daignaient ramasser les dépouilles de l’aristocratie étaient récompensés par une exemption d’impôts de deux ans: telle était à cette époque la situation de l’Italie.

La cour impériale s’efforçait de faire rentrer dans les villes ceux des habitants qui en avaient été chassés par la misère, et particulièrement les membres des corporations qui seuls pouvaient ranimer l’industrie au sein des cités pillées par les étrangers. Une loi rendue dans ce but, le 6 des calendes de décembre 412, nous apprend qu’il existait encore a cette époque des corporations dont l’office était d’intervenir dans des cérémonies de l’ancien culte. Le premier paragraphe de cette loi est ainsi conçu: Collegiatos et Vitutiarios et Nemesiacos, Signiferos, Cantabrarios et singularium urbium Corporatos, simili forma præcipimus revocari.

Les Collegiati et les Corporati étaient, nous le savons, les membres des corporations d’arts et métiers; je n’ai donc d’explications à donner que sur les Vitutiarii, les Nemesiaci, les Signiferi et les Cantabrarii.

Le mot vitutiarius ne se lit nulle part ailleurs que dans cette loi du Code Théodosien; il est par conséquent très difficile de lui assigner un sens positif. Godefroy, après avoir appelé au secours de son interprétation toutes les étymologies imaginables sans en pouvoir trouver une seule qui lui convienne, se décide à juger par analogie, et voyant les Vitutiarii assimilés aux Nemesiaci, il en conclut qu’ils donnaient, en l’honneur d’une divinité quelconque et à leurs frais, des spectacles au peuple. Peut-être cette divinité était elle Vitula qui, selon Hyllus cité par Macrobe, présidait à l’allégresse, car il ne serait pas étonnant que vitutiarii ait été écrit pour vitularii ou vituliarii.

La même incertitude n’existe pas sur le sens du mot Nemesiaci. Némésis était la déesse fille de la Fortune, la dispensatrice des sorts, la distributrice des châtiments et des récompenses, la vengeresse des crimes, la messagère de la justice. Les ministres de son culte n’avaient pas su garder la place élevée que d’aussi nobles attributions semblaient leur assigner. Au cinquième siècle ils n’étaient plus à vrai dire que des diseurs de bonne aventure. Ils réunissaient le peuple dans les carrefours, et se livraient devant lui à des danses bizarres et à des combats simulés. Ivres et armés d’une fourche, ils tournaient sur eux-mêmes, et feignant d’être animés d’un esprit divin, ils prédisaient l’avenir. Ainsi que les Galli, ils vivaient de ce qu’ils parvenaient à escroquer aux crédules habitants des campagnes.

Les Signiferi portaient, comme leur nom l’indique, les simulacres des dieux dans les processions et les cérémonies du culte païen. Quant aux Cantabrarii, ils portaient une sorte d’enseigne nommée Cantabru dont il est question dans l’Octavius de Minutius Félix.

Telles étaient les fonctions de ces quatre classes de pontifes du dernier ordre contre lesquelles Honorius rendit la loi de l’année 412.

Ce qu’il importe de remarquer en cette circonstance, c’est l’extrême précaution, la timidité avec laquelle l’empereur attaque les professions parasites que le pontificat païen traînait à sa suite. Puisque les rites profanes avaient été abolis, il devait sembler naturel d’interdire, sous des peines sévères, la faculté dont jouissaient les membres des corporations païennes de répandre dans les campagnes et les bourgades les plus dégoûtantes superstitions. Un seul d’entre eux suffisait pour corrompre une localité et empêcher le christianisme de s’y établir:

Incopriat cives unus detestabilis omnes

disait le poète chrétien Commodianus en parlant des Nemesiaci; mais la cour impériale ne pouvait pas encore se défendre d’une sorte de respect pour ce qu’elle appelait la commune allégresse, or, comme les quatre corporations dont nous parlons étaient préposées à l’entretien de cette jubilation publique, au lieu de les dis soudre et de défendre à ceux qui en faisaient partie d’exercer leurs fonctions n’importe en quel endroit, on se contenta de leur enjoindre de rentrer dans leurs villes natales, où ils pouvaient, en supposant qu’ils exécutas sent une injonction si facile à éluder, continuer d’exploiter à leur profit tous les sentiments contraires au christianisme.

En l’année 415, l’empereur rendit une nouvelle loi contre la religion païenne. Sans doute une loi d’Honorius publiée dans ce temps mérite à peine d’être remarquée; cependant, afin de ne rien omettre, je m’occuperai de cet acte quand l’occasion de parler de la province d’Afrique se présentera, car c’est pour cette province seulement que la loi fut rendue. Au reste elle ne put nulle part aggraver le sort du paganisme: partout il périssait, partout il perdait chaque jour des milliers de partisans , et le moment était venu où l’on pouvait presque se demander s’il existait encore réellement: «Où sont les prédictions des fanatiques, s’écrie saint Augustin, et les divinations des Pythons? où sont les augures, les auspices, les aruspices et les oracles des démons? Chaque jour on voit tomber dans les cités ces théâtres cavernes de honte, et ces professions publiques de crimes; chaque jour on voit s’écrouler ces forum et ces enceintes dans lesquelles les démons étaient adorés.» Parlant des païens et de leurs dieux, il dit: Tales deos habent ; mais il se reprend et ajoute: Vel potius habuerunt. Ainsi les hommes qui étaient dans la meilleure position pour apprécier le degré de force du paganisme tenaient ce culte pour anéanti, car ils ne pouvaient le reconnaître dans certaines habitudes créées par lui, ou dans des protestations individuelles qui, malgré leur nombre et leur retentissement, étaient insuffisantes pour le maintenir en possession de l’existence.


Honorius mourut en l’année 413, après avoir passé sur le trône vingt-huit ans. Cette période fut une époque désastreuse pour l’ancienne religion des Ro­mains: non que l’empereur ou ses ministres l’aient attaquée avec plus d’habileté et de vigueur que sous les règnes précédents, mais parce que le christianisme, sans compter sur les secours qu’il pouvait recevoir des circonstances et des hommes, développait ses éléments intérieurs de puissance et faisait chaque jour reculer un ennemi qui condamné depuis longtemps à mourir, voyait ses plus savantes combinaisons échouer, ses élans de cou­rage tourner contre lui, et toutes les armes qu’il sai­sissait se briser misérablement dans ses mains. Lors­que dans une société deux principes énergiques sont aux prises, les hommes disparaissent, ou du moins ils se présentent comme des instruments dont une volonté supérieure fait usage, sans avoir besoin de rechercher si ces hommes sont puissants ou faibles, intelligents ou aveugles; car ils concourent tous, et le plus sou­vent sans le savoir, à l’exécution de ses volontés. Le combat entre les deux religions fut sous le règne d’Honorius plus vif, plus animé, plus intéressant qu’il ne l’avait jamais été; non parce qu’Honorius, Stilicon, Olympe ou Attale y prirent part, mais parce que les principes que chaque parti portait dans son sein avaient atteint le moment de leur entier développement. Si un empereur encore plus débile qu’Honorius se fut assis sur le trône, si un usurpateur mille fois moins ridicule qu’Attale eût relevé la bannière du paganisme, les choses n’en auraient pas moins suivi le cours qu’elles ont eu, parce que l’esprit qui les dirigeait était placé plus haut que la terre.

 

CHAPITRE IX.

Topographie païenne de Rome sous Honorius.

Le P. Labbe joignit à l’édition qu’il donna en i65i de la Notitia dignitatum Imperii une description de Rome, semblable pour la forme à celles que S. Rufus et P. Victor nous ont laissées et dont j’ai fait usage en parlant du règne de Valentinien Ier. L’auteur de celte troisième description est demeuré inconnu. On croit qu’il vécut sous Honorius et postérieurement à la prise de Rome par les Goths ; en effet cette descrip­tion porte pour titre : Descriptio Urbis Romce, quœ aliquando desolata nunc gloriosior piissimo Impe- rio ( ou plutôt Imperatore') restaurata. Labbe pense qu’elle fut rédigée sous Honorius ou sous Valenti­nien III1 ; je suis porté à croire qu’elle le fut sous Ho­norius, qualifié on ne sait pourquoi par ses contem­porains restaurateur de la ville éternelle.

* p. 128.

Cette description porte le même cachet d’exactitude et d’authenticité que celles dont il a été parlé précé* demment; mais en montrant au milieu de Rome beau­coup d’édifices païens dans un temps où l’on devait les supposer renversés, elle excite naturellement chez nous une plus grande surprise. Comment en effet se peut-il qu’après le règne de Théodose, si funeste aux monuments païens, qu’après le sac de Rome qui avait dû amener la ruine de tant d’édifices qu’aucun bras ne défendait plus, on aperçoive encore une telle


quantité de temples ? Pourquoi le christianisme n’a- vait-il pas effacé au moins les dédicaces impies placées sur leurs frontons? J’expliquerai cette singularité quand j’aurai extrait de la description tout ce qui rappelle l’ancien culte national.

PREMIÈRE RÉGION.

Ædes Honoris et Virtutis.

Martis et Minervæ et Tempestatis. Camenæ et lacus Promethei.

Ædlculee X.

DEUXIÈME RÉGION.

Templum Claudii.

Arbor saneta.

Antrum Cyclopis.

Ædiculce Vil.

TROISIÈME RÉGION.

Æditulœ XII.

Cette région ne contenait autrefois qu’un seul tem­ple, et, comme on voit, elle l’avait perdu.

QUATRIÈME RÉGION.

Templum Pacis. ÆdesJovis Statoris.

Templum Romæ et Veneris.

Faustinæ.

Apollo Sandalarius Balnenm Daphnidis.


Area Vulcani.

ÆdUnte Vlll.

CINQUIÈME RÉGION.

Minerva Medica. Hercules Sullanus. Isis patricia.

Ætdùtidai XV.

SIXIÈME RÉGION.

Capitolium antiquum. Ædee Quirinis.

Templum Salutis et Serapis (?) — Flore.

Micula XTIl.

SEPTIÈME RÉGION.

Templaduo nova Spei et Fortunœ*. Templum Solis et Castra. Ædicula Capraria. Nympheum Jovis. Lacus Ganymedis.

Ædiculœ XV.

HUITIÈME RÉGION.

CAPITOLIUM.

Templum Çoncordiæ.

a Malgré l'épithète nova, il faut se garder de croire que ces temples avaient été construits postérieurement à l'époque où P. Victor écrivait, car il les désigne de h même manière.


Templum Saturai et Vespasiani. — Juliæ, Castorum, Vestæ.

Trajani.

Atrium Minerve.

Genium P. R. æneuni.

Atrium Caci.

Ædiculce XXIX.

NEUVIÈME RÉGION.

Ædes Herculis.

Pantheum.

Templum D. Antonini. Hadrianium.

Iseum et Serapeum.

Ædiculce XX K.

DIXIÈME RÉGION.

Ædes Matris Deum et Apollinis Rhamnusii.

Jovis Victoris. Fortuna respiciens. Lupercal.

Ædiculce XX. .

ONZIÈME RÉGION.

Templum Mercurii. Ædes Ditis patris. Apollo Cælispex a.

* Le Régionaire cite, comme on le voit, plusieurs simulacres païens, et cependant Tillemont, s'autorisant d'un passage du ro5e sermon de saint Au­gustin, dit, IV, 5i8, que toutes les statues avaient été renversées à Rome dès avant la défaite de Radagaise, c’est-à-dire avant Tan 406 et avant qu'elles le fussent en Afrique. Je Ihontrerai que cent ans après la mort de saint Au­gustin il existait encore un assez grand nombre de statues païennes à Rome.


CHAPITRE IX.

i37 Hercules Olivarins.

Ædîcula XIX.

DOUZIÈME RÉGION.

Ædes bon» Deæ Subsaxanæ. Fortuna Mammosa.

Isis Athenodoria.

Ædicula XVII.

TREIZIÈME RÉGION.

Templum Dianæ et Minervæ. Nymphéa tria.

Ædicula XV 11.

QUATORZIÈME RÉGION.

Templum Fortis Fortune.

Hercules Cubans. Balneum Dianæ.

Ædicula teptuaginta octo.

Une des dix basiliques citées par le régionaire porte le titre de Basilique de Neptune.

Il faut considérer cette description de Rome dans son ensemble et non dans ses détails, car ils sont sou­vent défectueux. Par exemple, elle énumère deux cent quatre-vingt-dix-neuf édicules, c’est-à-dire cent seize de plus que sous le règne de Valentinien ; d’où nous devrions conclure que, pendant la portion de temps comprise entre le règne de ce princé et la fin de celui d’Honorius, on construisit à Rome cent seize chapelles dédiées aux dieux Lares : ce qui n’est


pas possible. L’erreur est d’autant plus facile à recon­naître qu’elle porte uniquement sur le nombre d’édi­cules' attribuées à la 14e région dite Transtibérine. Cette région possédait, sous le règne de Valentinien, vingt-deux vici et autant d’édicules, mais le regio- naire d’Honorius lui en donne soixante-dix-huit. Cette faute est si grossière que nous devons l’attribuer à la méprise d’un copiste. L’indication des édicules exis­tantes dans les autres régions montre que ces chapelles avaient subi le sort commun à tous les édifices païens, et que leur nombre était considérablement diminué depuis cinquante ans ; cependant l’ancien culte domi­nait encore extérieurement dans la capitale dont l’as­pect restait païen en dépit des progrès ou plutôt de la victoire du christianisme.

Dix ans avant la prise de Rome, Prudence parlant des Génies, c’est-à-dire précisément de ces lares Com- pitales auxquels les édicules étaient dédiées, dit1 :

v. 443-446.

Quamquam cur Genium Romæ mihiunum ? Quum portis, domibus, tbermis^ stabulis soleatis Adsignare suos Genios? perque omnia membra Urbù, perque tocos^ Geniorum millia multa Fingere, ne propria vaeet an galas nullus ab umbra?

Au témoignage de ce poète chrétien qui avoue que l’on rencontrait par milliers dans Rome les images des génies protecteurs, des lares familiers, et de tout ce qu’il appelle fumosa avorum numina^ ajoutons celui de saint Jérôme. Il nous apprend que les Romains, sous prétexte d’éclairer l’entrée de leurs demeures, mais en effet pour flatter leurs penchants superstitieux, entretenaient pendant la nuit des cierges et des lan-


CHAPITRE IX.  I 3g

ternes allumés devant les statues des dieux tutélaires. (tutelce simulacrurri), placées comme on le sait sous le vestibule* de chaque maison1; on a donc raison de 1 ni, 418. dire que pendant le jour comme pendant la nuit l’as­pect de Rome devait être celui d’une cité où l’ancien culte dominait.

A la vérité cette ville formait exception. Saint Au** gustîn, parlant des temples de l’Afrique, dit1 : « Voyex * n> ®7*4* « dans quel état sont les temples des idoles : les uns « sont détruits, les autres languissent sans réparations; « ceux-ci sont fermés, ceux-là ont reçu une nouvelle « destination. Quant aux idoles et aux puissances de « ce siècle, on les détruit, on les brise, on les brûle ou « bien on les cache. » Cela était vrai en général : les moines n’éprouvaient plus d’entraves dans leurs tu­multueuses expéditions contre les édifices de l’ancien culte, et en beaucoup d’endroits des dédicaces chré­tiennes recouvraient les anciennes inscriptions païennes placées sur le fronton des temples. A Rome il en fut différemment : les simulacres et les édifices païens y restèrent encore, pendant près de deux siècles, placés sous l’égide d’un sentiment vague de respect dont les Romains pouvaient difficilement se rendre compte, et que les docteurs chrétiens combattaient avec force mais en vain*. On ferma les temples, on ne les détruisit pas; les statues ne furent plus honorées, mais un grand nombre restèrent encore debout.

Saint Jérôme en parlant du Capitole n’indique pas qu’il fut devenu l’objet des outrages du cuite victorieux,

a Saint Jérôme disait,, t. I, p. 55ü e .* Squaiet Capitol'cum: templa. Jovis et cterùnonia co/tciderunt, cur vûcafahtm r/iw 'vida tpiul fia vifcwtt ?

" IV, a p. p. aa8.

* V. 4a-55.

il dit seulement squalet Capitolium*; et je ne sais pas même si à l’époque où saint Jérome s’exprimait ainsi on pouvait dire du Capitole qu’il languissait dans la saleté, au moins ce n’est pas à beaucoup près l’idée que cherche à nous en donner Claudien. Le poète chante en l’année 4o4 Ie sixième consulat d’Honorius et le séjour de l’empereur à Rome; il représente ce prince habitant le mont Palatin , et considérant de ce point élevé les temples et les monuments glorieux qui décoraient le Forum et le Capitole 3 :

Attollens apicem subjectis regia rostris Tôt circum delubra videt, tatitisque Deorum Cingitur excubüs, Jùvat infra tecta Tonantis Cernere Tatpeïa pendentes rupe Gigantas, Cadatasque fores mediisque volantia signa Nubibus, et densum stipantibus cethera templis} Æraque vestitis numerosa puppe columnis Consita, subnixasque jugis immanibus cédés, Naturam cumulante manu ; spoliisque micantes Innûmeros arc us. Actes stupet igné metalli, ' Et circumfuso trepidans obtunditur auro. Agnoscisne tuos, Princeps venerande, Penates? Hcec sunt, quœ primis olim miratus in annis, Pâtre pio monstrante, petis,

1 Ces pénates du prince chrétien, ces temples magni­fiques que son père lui avait appris à admirer, per­dirent sans doute de leur éclat après les profa­nations de Stilicon et le pillage de la ville par lès barbares. Cependant les véritables ennemis des tem­ples étaient les chrétiens, parce qu’en attaquant ces édifices ils obéissaient à un sentiment différent de la cupidité, et faisaient au cœur des païens une bien plus profonde blessure que les barbares, dont la main avide


CHAPITRE IX*

14l

se portait également sur les temples et sur les églises. Les témoignages de Claudien et du régionaire mon­trent que les principaux édifices sacrés de Rome con­servaient encore, à la fin du règne d’Honorius, leur ancien aspect; on doit s’en étonner quand on songe que ces monuments ne servaient plus aux usages de l’ancien culte, et que l’aversion qu’ils inspirèrent si long-temps aux chrétiens avait fait place à un sen­timent différent, puisque saint Augustin disait à cette époque1 : «Lorsque les temples, les idoles, les bois »n,*68d. « sacrés sont affectés au culte du vrai Dieu', il arrive « pour ces choses ce qui a lieu quand des hommes im- « pies et sacrilèges se convertissent à notre religion. » Il faut croire que des considérations puissantes empê­chaient les chrétiens de se livrer, comme ils auraient désiré pouvoir le faire, à une dévastation régulière des édifices sacrés de Rome, semblable à celle des tem­ples de l’Égypte et dé la Syrie. Je dirai ailleurs avec plus de détails quels étaient ces motifs et dans quels sentiments ils avaient pris naissance.


CHAPITRE X.

État du paganisme dans les provinces.

Plus nous avançons, plus les difficultés pour dé­terminer l’état de l’ancien culte dans les provinces d’Occident deviennent nombreuses. Les inscriptions ont disparu, les historiens ne sont préoccupés que de l’invasion des peuples du Nord et les docteurs chrétiens semblent avoir oublié leurs anciens adversaires. Quel­ques traits généraux, un petit nombre de faits parti­culiers, voilà tout ce qu’il est possible de produire. Quiconque connaît l’histoire de ce temps peut dire si je cherche à éluder une difficulté.

J’ai montré que la fureur des barbares s’était di­rigée aussi bien contre le nouveau que contre l’ancien culte ; mais les résultats de cette aveugle fureur étaient différents : une église pillée, saccagée, détruite se re­levait quand le flot avait passé; un temple païen restait ce que les dévastations des barbares l’avaient fait. Au­cune main ne venait écarter les cendres pour re­construire sur les vieilles fondations un nouvel édifice. I Les temples d’Éleusis incendiés par Alaric restèrent un monceau de ruines, tandis que peu d’années suf­firent aux chrétiens de Rome pour effacer de leurs églises les traces du passage des Goths.

A l’espèce d’indifférence que les barbares montrèrent dans le commencement de leur invasion pour les cultes établis au sein de leurs conquêtes succéda bientôt un

CRAT1TBE X.

l43 sentiment opposé. Le christianisme animé d’un ardent prosélytisme n’eut pas de' peine à s’emparer de leur esprit. Quant au paganisme, quelle recrue pouvait-il faire dans les rangs des barbares, lui qui offrait à ces peuples des superstitions usées qui certes ne va­laient pas mieux que les leurs? En quoi le culte d’Odin était-il inférieur à celui de Cybèle ou de Mithraa ? Les barbares n’accordèrent aucune protection à l’ancienne religion romaine. Ceux d’entre eux qui n’embrassèrent pas le christianisme, tels que les Allemands et une partie des Hérules, conservèrent leur religion natio- [*] nale; les Vandales, les Gotbs, les Wisigoths, les Huns et les Bourguignons qui se firent ariens, ne semblent t pas seulement s’être aperçus que le culte hellénique existât. On ne pourrait pas, je crois, citer l’exemple . d’un seul barbare qui ait quitté sa religion nationale | pour se vouer au paganisme grec ou romain.

Lorsque j’ai recherché l’état du paganisme dans les provinces d’Occident sous le règne de Valentinien 1er, j’ai regardé le paganisme comme la généralité et le christianisme comme l’exception. On conçoit que main­tenant le rapport doit changer et que le paganisme ne peut plus être regardé que comme l’exception. Ainsi,


144      LIVRE JX. QPEORIÜS.

au lieu de montrer le christianisme conquérant peu à peu FOccident aux dépens de l’ancien culte, j’indiquerai les lieux où le paganisme donnait encore signe de vie. Cette nouvelle méthode aura pour résultat de rape­tisser l’idée que l’on peut avoir gardée de l’état de la religion romaine ; mais sans parler du silence des histo­riens qui force d’en agir ainsi, je dirai que l’on court bien plus de chances de se tromper en augmentant l’influence probable du paganisme à cette époque qu’en la diminuant; non que l’on puisse toutefois s’é-

> Catheme-        t> j t

rinon.Hym. crier avec Prudence* : xn, v. 301.

Gaudete, quidquid gentium est Judæa, Roma et Græcia, Ægypte, Thrax, Persa, Scjtha, Rex wius ornnes possidet.

Ce sont là de ces vagues assertions communes chez les poètes, mais qui ne jouissent d’aucune autorité sous le rapport historique.

L’Étrurie produisait encore des augures et des de­vins : c’est de ce pays que Zosime fait venir les arus- pices qui offrirent le secours de leur art aux Romains assiégés par Alaric. Nous voyons cette province gou­vernée au milieu du quatrième siècle par Lachanius, père du poète Rutilius et païen comme lui. Ce person­nage qui devint préfet du prétoire, laissa dans cette contrée un grand renom de sagesse, et son fils ne 595. craignit pas de direa :

Famam Lachanii veneratur numinis instar.

La partie de l’ancienne religion relative à l’art di­vinatoire fut conservée avec soin par la population des


CHAPITRE X<

>45 ptovincfes, non moins crédule et plus ignorante que celle de la capitale. La fontaine d’Apon était consultée par les habitants superstitieux de la Vénétie1. « ^7- Eldyîiîavi. « demus, lit-on dans Macrobe[†] *apud Antiuni promo- « vere simulacra Fortunaruni ad danda responsa. » Les environs de Rome étaient habités par des po­pulations très-attachées au paganisme.

'Claiidian.

» Sat. 1.1. c. XXÏ1I, p. 3tr.

Ostie était devenue chrétienne; mais à deux pas de ses murs, dans File Sacrée, un temple dédié à Castor et Pollux continuait de recevoir les hommages des païens.

:

3 Macrob. Sat. I, 16.

Junon était toujours adorée A Laurentum3.

Les fêtes et les traditions locales florissaient dans les campagnes de l’Italie comme dons celles de toutes les autres provinces de l’empire d'Occident. Quant aux pays de montagnes, les superstitions an­ciennes y régnaient sans contradiction. Je vais mon­trer qu’aller les y attaquer c’était marcher à une mort certaine.

Vers la fin du quatrième siècle l’idolâtrie dominait dans l’extrémité septentrionale de l’Italie; Saturne y était toujours en honneur;'et nous devons d’autant plus en être surpris, que la ville de Milan, si influente sur cette portion de Fltalie, commençait à abandonner les pratiques de l’ancienne erreur, et à faire sentir autour d’elle une action contraire à celle que jadis elle avait exercée*. Saint Vigilius, qui fut nommé


évêque de Trente en l’année 385, trouva , disent les «G. Tarte- légendes, peu de chrétiens dans son diocèse, mais en roui. Mem. laissa beaucoup après lui

alla vita e A dix lieues de Trente, au nord-ouest, le long de la santisiân- rivière appelée actuellement la Noce, se trouve un can* ed AÎesMn0 ton nomm^ autrefois Anaunia, aujourd’hui ValdiNon, dro. verona dont les coteaux en amphithéâtre étaient couverts de Acta7Mnct. villages où Saturne et Diane recevaient les hommages M*P 4iVII*‘de tous ks Habitants. Saint Vigile-forma le projet de s.Gaudentii répandre les lumières du christianisme dans ce repaire Opp. p. 191. _ 1 ....                 r

de païens et y envoya trois missionnaires, Sisinnus, Martyrus et Alexander. Martyrus et Alexander étaient d’anciens païens convertis.

‘ lues missionnaires se conduisirent avec une grande prudence, cherchant, avant toute chose, à se concilier l’affection des hommes grossiers panni lesquels ils de­vaient vivre. Pendant plusieurs années ils n’éprouvèrent de leur part aucun mauvais traitement, et crûrent pou­voir enfin construire une petite église dans le village de Manthon. Comme elle se remplissait de néophytes, Si- sinnus, le chef de la mission, se hasarda à prêcher contre les idoles. Ses discours pleins de force excitèrent bientôt la fureur des païens, qui se réunissant au son des trompes, tombaient à l’improviste* sur les ipission- jnaires; ceux-ci n’échappaient à la mort qu’ep n’oppo- s&nt aucune résistance; mais le moment approchait où la résignation devait cesser d’être pour eux un rempart.

Le 29 mai, les païens avaient coutume de célébrer les fêtes nommées Ambarvalia, restées en usage dans tout FÔccident, et de faire ce qu’on appelait la Lustra- des villages. Une victime ornée de fleurs était conduite en grande pômpe autour des champs, afin


CMAWTRJi X.

147 d’obtenir du ciel dq riches moissons, et Ton chantait des hymnes en l’honneur de Saturne. Les païens trou» yèrent bon de fprcer un habitant, nouveau chrétien, à fournir la victime; les missionnaires encouragèrent le chrétien à ne pas se rendre à cette injonction. Les habn tants voyant les missionnaires au milieu d’eux, voulurent qu’ils prissent part à la fête, et ils se dirigèrent vers l’é­glise avec tous les signes de leur superstition ; la querelle alors s’engagea plus vivement et Sisinnus frappé d’abord d’un coup de ces cors dont ion faisait usage dans la cérémonie /reçut en outre plusieurs coups de hache. . Le lendemain, à la pointe du jour, les paysans armés allèrent démolir l’église; Sisinpus respirait encore, ils s’emparent. de sa personne et par une barbare ddrir sion lui attachent une clochette au cou, et le traînent par les pieds autour de leurs champs. Martyrus surpris dans Un jardin ou il cachait fut massacré. Alexander, le plus jeune des trois, était réservé pour un autre supplice ; il vit jeter dans les flamme* les corps de. ses compagnons et refusant obstinément de sacrifier a Saturne, il alla bientôt les rejoindre. :

Les auteurs de ces assassinats furent: dénoncés à l’empereur, mais telle était la timidité ou 1$ mauvais vouloir des magistrats provinciaux à l’égard des excès commis quelquefois par Ica païens , que ceux-ci ne .re* çureut pas la juste punition due à leurs forfaits. Les légendaires prétendent que les évêques demandèrent et obtinrent leur grâce ; cette assertion est probable, mont un moyen de dissimuler l’influence conservée par les païens même dans de très-mauvais cas. Quant à saint Vigile, qui fut l’historien du'martyre de ses mis­sionnaires , il ne lui échappe pas un seul reproche

10.


x contre les auteurs de leur mort; il semblé préoccupé uniquement du bonheur et de là gloire réservés aux trois victimes du fanatisme païen. Son récit commence 1 tor? an?C en ,CCB termesr : « Fumosa gentilitas contra vâporem Mail. p. 43. ajideiy zelo diaboli9 flamma furoris incalttU.... » et respire partout le plus vif enthousiasme. Un sort pareil à celui de 6es envoyés l’attendait.

Il voulut renverser une statue dé Saturne qui trouvait dans la vallée de Randenne, près du lac dé Garda ; cette statue de bronze recevait de très-grands honneurs de tous les habitants du pays. Arrivé à Ran­denne avec trois compagnons, Vigile appelle à son aide tous les chrétiens qu’il peut trouver î ses mesurés prises il se rend sur la place où était la statue, et bientôt ce simulacre cédant à ses efforts est renversé^ brisé et jeté dans le torrent de la Sa rca : Vigile monté sur le pié­destal adresse une chaleureuse allocution aux témoins dé sa victoire. Cependant les païens avertis de ce qui se‘passe se sont réunis, ils entourent l’évêque, l’arra­chent de sa nouvelle tribune et l’assomment à coups de sandales. Vigile périt en l’année ^o3. Je ne vois pas que sa mort ait été plus vengée que celle de ses mis­sionnaires B.

. Sans doute de tels faits sont rares dans l’histoire de ce temps, mais quelque restreint que soit leur nombre, ils suffisent pour nous faire apprécier le caractère cruel des paysans italiens, près desquels, comme on le voit, les lumières du christianisme étaient alors sans puissance.

Les traditions païennes vivaient encore dans le midi

* Maffei a voulu jeter quelques doutes sur l’authenticité de ces actes Ve- /•o». lllustr. 1 p. p. 211 ; mais ses objections n'ont pas été admises. V. La- bus., Fasti délia chiesa, VI, 606, et Tartarotti. loc. laud.

de l’Italie; l’esprit hellénique, qui avait présidé à la civilisation de cette contrée, semble s’y être conservé même après la conquête des barbares.

Il existait à’ Reggio ùne statue qu’on prétendait en­chantée. Iæs anciens l’avaient consacrée pour empêchet la descente des ennemis en Sicile et les éruptions de l’Etna. Pour indiqiier cette consécration on entretenait toujours de l’eau dans l’un de ses pieds et du feu dans l’autre. Ce simulacre subsistait éncore vers l’an 4*o» forsqUe Alaric voulut passer en Sicile ; peu après il fut détruit par Asdépius, intendant des terres possédées par Placidie. et par Constance dans cette île. Nous n’avons du resté sur l’état du paganisme en Sicile que des;données très-vagues; mais la lenteur avec laquelle le christianisme s’y. répandait nous autorise, à penser que les. anciennes idées y avaient conservé beaucoüp de force. . J’ajouterai cependant qu’à partir , du règne de i Bulletin. Théodose,. ,lea inscriptions chrétiennes deviennent plus nombreuses dans ce pays'.                                    r<>sp- arch-

* J  inn

l’île d’Elbe*. La Sardaigne et la Corse.obéissaient à ^"^3^5. l’ancien culte et Hercule recevait les adorations des

3 Grævius, Thésaurus,

L’état religieux des Gaules n’avait point éprouvé L3LV»P-58* depuis le milieu du dernier siècle de changement no­table; le paganisme romain était si solidement établi dans ce pays, que les coups qui lui étaient portés en Italie avaient peu de retentissement au-delà des Alpes. On aperçoit dans l’histoire ecclésiastique de cette épo­que beaucoup d’évêques, de moines et de missionnaires marchant avec ardeur sur les traces de saint Martin, c’est-à-dire renversant les idoles > coupant les bois sacrés


LIVRE IX. HONORIUS.

iSo et changeant les temples en églises ; mais leurs efforts pour modifier les mœurs païennes ne paraissent pas avoir eu de succès.

> Tanner. , Bibliolb.

É ri tan. Hiberni. p. 522.

*ï*. 153.

Des causes inconnues ranimèrent le druidisme Vers le Commencement du cinquième siècle. L’Archi-Draide Merlin remplit de ses prophéties les forêts de la grande et de la petite Bretagne; les peuples s’émurent à Sa voix, et après sa mort ils le révérèrent moins comme un des ministres de leur religion que comme un être surnaturel, appelé par leurs dieux au partage de la puissance céleste. Merlin joùe un grand rôle par ses enchantements dans les romans dont les héros sont le roi Arthur et les chevalièrs de la table ronde; toute* fois l’histoire de sa vie étant fabuleuse, je ne puis indi­quer la cause ni les résultats de l’agitation éprouvée plar le druidisme pendant le cinquième siècle et qui, selon les historiens de la Bretagne, se prolongea jusque dans le septième * ; maïs il est aisé de montrer que ce culte était pour ses ministres'une source de crédit <et de puissance dans dès provinces très-civilisées de la Gaule, ét où le christianisme avait cependant fait de grands progrès.

Ausoue s’adressant à un rhéteur nommé Attius da­tera lui dit3 :

Tu Bajocassis stirpe Druidarum satus , Si fama non failli fidem >

Beleni sacratum ducis e templo genus : Et inde vobis nomina

Tibi Paterœ ; sic ministros nnncnpant dpolUntxris mystici.

Ailleurs, en parlant des grammairiens de Bordeaux,

CHAPITRE X.    î51’

il s’exprime en ces termes sur Phtebicius père de Patera[‡]:             «  «p. tes.

jfttec reticebo eenèm

NwiIm Phœbùùtm:

Qui Beleni œdituus

. Nil opis inde tulit.

Sed tamen, ut placiium,   ,

Stirpe sâtus Druidum

Qentis Arémoricæ9

Burdigaice catAedram Nati opéra obùruùt.

Le fils de Patera, Attius Tiro Delphidius, reçoit aussi sa part dans les éloges cTAusone; mais il est célébré seulement comme poète païen3:                             >p.i 56.

Sertum coronce prasferens Qlympiùs9

Puer celebrasti Jovem.

C’est à la bonne fortune qui nous a conservé les poésies d’Ausone, que nous sommes redevables de ces renseignements sur une famille sans doute peu célèbre hors de la ville où elle résidait*. Ce qui avait lieu dans la maison Patera devait reproduire au sein de plusieurs autres, et les observations que l’on peut faire sur cette famille sont susceptibles d’être généralisées.

Appartenir à une race druidique, stirps Druidaruni, était encore au quatrième siècle un honneur, puis­que le poète place au premier rang des louanges qu’il décerne à Phæbicius et à son fils de descendre d’une pareille race. Certainement Ausone n’aurait pas en Italie


exalté avec plus de pompe une de ces illustres familles

1 ServiuS.             r 1   11     v       v

Æneickkv, troyennes, sur lesquelles Varron avait écrit un livre*.

» Orelli. t. n° 1968.

v- 704. Belenus était la divinité principale de quelques can­tons gaulois, et occupait dans la mythologie celtique la place réservée au Soleil ou à Apollon dans la re­ligion romaine, aussi trouve-t-on sur les inscriptions 1.1, Apollini Beleno *. Sans doute le culte de ce dieu n’était pas tombé dans le mépris, puisque le vieux Phæbicius exerçait les fonctions üœdituils Beleni, c’est-à-dire de sacristain du temple de Belenus.

Nous sommes le plus souvent forcés de prendre pour point de départ de nos conclusions des faits peu précis : les historiens de cette époque ne nous offrent rien de mieux; mais quand un écrivain du quatrième siècle sort des généralités pour décrire les mœurs des par­ticuliers, leurs intérêts, leur situation privée, à l’in­stant même nous voyons apparaître l’ancienne religion, et nous la trouvons toujours beaucoup plus puissante que nous n’étions disposés à le penser.

Le christianisme s’était depuis cinquante ans pro­pagé avec suçcè$ dans les Gaules, un nombre infini de temples et de statues avaient été détruits ; mais les Gaulois portaient dans les nouvelles croyances leur esprit turbulent et léger. Les hérésiarques pullulaient parmi eux et le père de l’église qui fait cette obser­vation , dit3 : Multo pejores ludœi et hœretici quam p. 146a w. Ethnici. Je ne sais donc s’il est permis de célébrer les conquêtes faites par l’Evangile dans les Gaules à la fin du quatrième siècle.

3 Hieron. III, a p.

On ne possède aucun renseignement sur la situation du paganisme en Espagne. On sait seulement que jus­qu’à l’année 3g8 les pontifes jouirent dans ce pays de

CHAPITRE. X.   l53

l’immunité des collations etparticulièrenient de celle de * c**1- Th- » la glèbe1. Dès l’àn 4°9 les Vandales avaient envahi cette * i.\o. province ; les Alains et lés Suèves y pénétrèrent aüssi. iy v™ pE6a. Ces peuples étaient ariens du idolâtrés, et ils s’aban­donnèrent à toute leur hainé contre les chrétiens or­thodoxes de l’Espagne; ils ruinaient les églises, tuaient les serviteurs de Dieu, profanaient les sépulcres et les ossements, des saints, et ravageaient les cimetières. Les chefs de l’église d’Espagne craignirent qu’à une époque où la conviction religieuse était si fragile, de pareilles persécutions fissent chanceler beaucoup de chrétiens ét ne les entraînassent dans la voie des pécheurs; ris se réunirent donc à Braga en l’année 4 ta» prirent di­verses mesures pour prévenir le mal qu’ils redoutaient : je ne puis dire si elles, furent efficaces \   . *Coarii<

, i .                  1 t. n, col.

On voit combien Pous sortîmes pauvres en docu- a9Os. ménta relatifs à l’état religieux des provinces de l’em* pire (TOccident. Si nous passons en Afrique, cette pénurie sera remplacée par l’abondance; là on trouve une.multitude de renseignements précis, exacts, au- thentiques, qui font connaître l’état des' païens dans cette province, mieux que l’on ne connaît»leur situation même à Rome. Hâtons - nous d’ajouter que nous sommes redevables à saint Augustin de la> lumière qui va être projetée sur une partie de notre tableau, destinée sans lui à rester comme les autres dans l’obscurité.

Parmi les témoignages qui seront fournis, beaucoup se rapportent uniquement à l’Afriquè’; il en est aussi qui ont un caractère plus général, et qui au besoin peuvent servir à caractériser l’esprit païen dans tout le reste de l’Occident et particulièrement à Rome : ceci


s’explique par les rapports quiexistaitent «itre la capi­tale l’empire et celle de l’Afrique plus encore que par le caractère uniforme des idées païennes.

La belle et riche contrée qui s’étendait depuis les bornes de l’océan Atlantique jusqu’aux confins de la Pentapble Libyenne était chargée de nourrir la popu­lation de Rome. On ne peut se foire une juste idée des moyens que les empereurs mirent en usage pour développer dans cette province les éléments de prospé­rité que la nature avait semés sur son sol. Pour ém- Soiinus péch®1* toute concurrence, ils ne craignirent pas d’éta- Poiyhist. biir ün ravage périodique dans les contrées voisines4. Thnge. de Certes ils dépassèrent le but qu’ils se proposaient d’at> histoJSj.1, teindre, puisqu’ils finirent par mettre Rome dans une S8*»p-3d4. dépendance absolue de l’Afrique*.

On conçoit aisément les conséquences de la politi­que du sénat et des empereurs : les émigrations des Romains en Afrique et les établissements agricoles que la noblesse y fonda firent de ce pays non pas une simple colonie, mais une succursale semblable à la métropole par ses idées, ses mœurs et ses intérêts. On pensait, on pariait, on agissait à Carthage comme à Rome1*, et les rapports entre ces deux cités étaient si faciles, si avantageux et dès lors si fréquents, qu’un

a Le moindre mouvement séditieux dans cette province faisait trembler les RomaîUs qui craignaient de ne plus voir arriver les blés. Claudien, en par* lant de la révolte de Gildon, dit (V, 17) :

Exitii jeun Borna t'imens, et fessa negatis Frugibus            

Duce tantas urbes, lalitiarum lùterarum artifices* Borna atque Carthago. Aug. Il, 98 c. Ruiilius Numatianus, en s’adressant à Rome, parle ainsi de l’Afrique :

Sole suo dives, sed magis imbre tuo. (L. I, v. x|8.)


événement ne pouvait arriver dans l’une des deux sans retentir à l’instant même dans l’autbe.                        , Rnfug Fe>

L’Afrique fut divisée par César en six provinces *, et *!“• Brevi»- 1            1          1       num. n. Æoa.

L Afrique fut divisée par César en six provinces et ,!w- Brev,a- 1      £ J 1»      .       Il     . num» P- 4oa

sur la nn de 1 empire on en ajouta une nouvelle aux six > Notitia anciennes \ Un proconsul , un vicaire r deux ducs, deux dip°’6™P*

consulaires et deiuç présidents formaient la tête de

térêt à Ce que le gouvernement d’un pays dans lequel étaient situés ses principaux domaines ne sortît pas de ses mains ; ausâi voyons-nOus les noms Les plut illustres inscrits dans la liste dès proconsuls etmêmè des vicaires d’Afrique. Je dirai, sans remonter plus haut que l’époque prisé pour point de départ de cet recherches, qu’on aperçoit parmi les proconsuls des personnages tels qu’Aconius Catullinus, Probianus, Proculus, Olybrius, Probinùs, Flavien, Symmaque, Hesperius, Apollodore   et parmi les vicaires, Pe*

tronius, flavien, Titianus3;.^.. L’aristocratie, regar* ^5^’“

dant F Afrique comme son fief, la gouvernait en coi quence.

VI,333, 336.

Lé christianisme marchait avec lenteur en Afrique,et jusqu’au cinquième siècle, Fégfise de cette province dut son illustration nibins à son propre mérite qu’aux ta* lents de deux hommes qui nous sont connus. Les païens étaient nombreux, éloignés de la cour impériale , et comme ils voyaient presque toujours à la tête du gouver­nement de la province un magistrat qui partageait leurs sentiments, ils se montraient non les adversaires mais les persécuteurs du christianisme. Les empereurs chré­tiens antérieurs à Honoriûs n’essayèrent même pas de faire cesser cet état de choses, et l’inaction de Théo­dose en présence d’un tel scandale est de nature à surprendre : il faut croire que l’aristocratie trouva le moyen d’annuler lès effets quela volonté bien con­nue de ce prince aurait pu avoir.

Parmi les causes de la puissance du paganisme en Afrique, il ne faut pas oùblier les divisions qui là comme ailleurs et peubétré.plus qu’ailleurs, affaiblis­saient le christianisme. Le schisme de Douât prit nais­sance dans cette province au commencement du cin­quième siècle; il ravit à Féglise une partie de ses forces, et confirtna les païens dans la conviction que le christianisme devait passer rapidement [§].

A Rome, lancien culte s’était ennobli par son al­liance avec la constitution de lempire,et en respectant leà obligations qiie son rôle tout politique lui impo­sait. A Carthage, il restait dans son véritable carac­tère, se.montrait tel qu’il.était, repousbaht loin.de lui toïkte préoccupétion de l’avenir, et n’apportant dans ses rapports avec le christianisme ni sang-froid ni dignité.* Ntilie part en Occident, les magiciens, les arus- pi ces, les astrologues ou les devins n’étaient ni plus nombreux ni mieux payés; riulle part la -superstition né tourmentait aussi tyranniquement les mœurs. J’ai montré ailleurs que les chrétiens d’Afrique n’avaient pas encore rompu avec les usages païens dans lesquels ils avaient été élevésb ; cet attachement pour les anciennes


superstitions fournissait aux»païens d’Afriqtie l'objection suivante : Quare nos relinquamus deos^.qüos christ tiajii nobiscum colunt1 ? Que le paganisme prenne ’Aug.X, donc courage; il lui reste encore line contrée où le 9 feu sacré de l’erreur ne s’éteindra pas de sitôt. Malgré toute sa puissance en Afrique, l’ancien culte ne pou* vait pas cependant prétendre à l’inviolabilité; et le mo* ment est venu où la vérité, victorieuse à peu près par* tout, va passer les mers pour aller combattre l’ennemi dans sa rétraite<

L’honneur d’avoir sinon détruit le paganisme en Afrique, au.moins commencé sa ruine, appartient né* cessairement aux ministres d’Honorius 2.               >ld.n,M5.

Il est digne de remarque que sur les cinq lois contre le paganisme attribuées à ce prince,. trois aient été rendues pour la. province d’Afrique. En faisant con­naître les dispositions de ces lois et les circonstances qui ont accompagné, précédé, ou suivi Jeur, publication; nous donnerons une idée de la vigueur dé l’attaque di­rigée contre les anciens dieux en Afrique, au comment cernent du cinquième siècle.

On se rappelle qu’upe loi fut rendue en 398 pour interdire en Occident les actes extérieurs du cplté païen et ordonner la clôture des temples. Tillemont

« mure des mots comme ceux-ci : Est-ce que le Christ n'était pas un homme? « n'est-il pas vrai qu'il fut crucifié ? Quod ibi bibù in ecclesia vomû, » Les chrétiens répondaient par une argutie; ils disaient qu’ils ne mangeaient pas dans un temple des faux dieux, mais dans celui du Génie de Carthage, et que h statue de ce Génie n'était en définitif qu'une simple pierre. Cette pierre » répliquait saint Augustin, passe pour une divinité, puisqu’on a dressé devant elle un autel, etc      X, 9. On voit que ce Père de l'Église avait

raison de dire : Pleraque in Africa Eccfesiœ membra pigriara tant, II,. a c.


croit que celte loi fut faite à la adlicitatioQ des chré* ’   tiens d’Afrique et de leurs évêques*.

, En attendant le résultat de leurs démarches , tes évêques excitaient dans le cœur des fidèles la haine des païens, afin de montrer à la cour impériale que l’exé­cution de ses volontés ne rencontrerait en Afrique aucune opposition. Aurelius évêque de Carthage semble avoir porté à un haut degré d’exaltation l’esprit des chrétiens de cette ville.

Il y avait à Carthage une statue d’Hercule avec lie titre de Dieu dans l’inscription. Un nouveau magistrat permit aux, païens de la redorer; Cette restauration : i > déplut aux chrétiens qui, autorisés par des magistrats de leur religion, enlevèrent, à la » statue sa barhe do­rée. Quelques jours après, saint Augustin fut, pen­dant qu’il prêchait,, interrompu par le peuple qui de* mandait que l’on abolît entièrement la superstition du paganisme,, et que l’on mît Carthage au niveau de Rome, où Hercule, ni les autres dieux romains né* taient plus honorés. Aurelius avait poussé le peuple Mém^îii’à faire cette démarche3. Augustin donna des éloges 3ao- au zple des assistants, les engagea de a eu rapporter à la piété des évêques * et leur fit espérer un heureux succès de leurç sollicita tiens puisque Die# avait prédit la destruction entière de l’idolâtrie, et l’avait déjà ac­complie en plusieurs endroits et . à Rome même ;æs espérances ne furent pas déçues.

Quelques chroniqueurs de cette époque parlent d’une mission qui fut confiée.à deux comtes, l’un nom* Jovius ou Jovinianus, l’autre Gaudèritius\ et qui

* O dernîet eut pour fils le fameux Aëtnis.


CBA.PITRK X.

i59 consistait à surveiller soit dans tout l’Occident, soit dans les. provinces les plus dévouées, au paganisme, l’exécution de la loi de 3g8. On doit préférer aux as- sertions peuconcordantes des chroniqueurs Fautorité'df r                                                       1 Civit. Dei.

saint Augustin qui dit simplement* : < Gaudenbus et i. xvin, Jovius, intendants des largesses de l’empereur Hono- 5i' rius, ruinèrent à Carthage, le 19* de mars, les tem­ples des faux dieux et brisèrent leurs idoles. » Je crois donc que la missioïi des deux comtes se rapportait seulement'à l’Afrique. Quand on considère l’empire dés anciennes croyances sur les habitants de cette province, op conçoit que la cour impériale ait cru devoir employer des moyens particuliers pour y ruiner l’idolâtrie.

Baronius rapporte à ce temps-ci et comme une suite de la mission de Jove et de.Gaudence, oe que l’auteur du livre du Promuses dit être arrivé touchant le temple de Céleste sous Honorïus et avant l’an 4oi ’ ; je ipe bornerais à mentionner la transformation en église.de ce monument de la piété païenne, si je n’a­percevais dans le récit des faits qui l’accompagnèrent un moyen de constater l’état où se trouvaient alors les édifices païens dans la plupart des villes de pro­vince.

Céleste avait à Carthage un temple magnifique, au­tour duquel étaient placés plusieurs autres temples moins grands et dédiés à tous les dieux *. Cette sorte de ville sacrée occupait un espace de près de deux milles f. et une haute muraille l’environnait. Depuis une

a Aux yeux des Romains la déesse tutélaire 4e Carthage était Junon, qu'ils appelaient en cette circonstance Céleste ; les Grecs la nommaient Astarté. Beaucoup d’écrivains anciens, fet particulièrement saint Augustin, Font prise pear Vénus (Yénus-Uiwaie). VIH, 454 A •


1 l. ni c. 38.

«époque que nous ne connaissons pas ët qtii probable­ment est le milieu du règne de Théodose, les portes de l’enceinte demeuraient fermées, en sorte qu’au dedans comme au dehors des épines et des ronces d’une prodigieuse hauteur avaient fini par croître et s’étendre. Les païens répétaient que ces buissons ser­vaient d’abri à une multitude de dragons et de ser­pents, gardiens du temple et chargés d’en défendre l’entrée aux profanateurs. L’évêque Âurelius forma le dessein d’établir dans ce temple le culte du vrai Dieu. Les .fidèles eurent bientôt déblayé les approches de l’enceinte, et les portes s’ouvrirent à > la foule, attirée sur les lieux par la curiosité. L’aqteur du livre des Promesses se trouvait avec plusieurs de ses amis parmi les assistants. Il décrit fort bien la surprise de Ces jeunes gens qui couraient çà et là,. faisaient retentir leurs, cris sous ces portiques si. long-temps silencieux, et témoignaient tour à tour de l’admiration et du dé­dain pour ces magnifiques édifices témoins de la piété

leurs

Le culte chrétien fut’établi dans l’ancien temple de Céleste. L’évêque Aurelius plaça la chaire épiscopale sur le lion qui autrefois soutenait la déesse, et la pa­role divine se fit entendre dans le lieu même où tant de faux oracles avaient été publiés. Cette consécration n’empêcha pas le temple d’être démoli plus tard.

' La victoire si peu contestée du Dieu des chrétiens dans upe ville où les amis dès idoles étaient en grand nombre doit étonner, mais il ne faut pas croire qu’ils aient montré partout autant de résignation.

A Suffecte, colonie romaine, une statue d’Herçule ayant été abattue et brisée, les païens se jetèrent sur

; CHAPITRE X.

>61 les chrétiens et- en massacrèrent soixante; saint Au­gustin écrivit la lettre suivante aux principaux habi­tants de Sq/fecte* :                                     «11,369 <•.

• «Votre cruauté imprévue et le crime trop fameux de « votre barbarie ont ébranlé la terre, afin que l’homi- « eide retentisse et que . le sang reluise sur le pavé dé « vos temples et .dans vos places publiques. Chez vous « les lois romaines sont méprisées et la terreur des ju- «.gements est foulée aux pieds; on n’a pour les empe- « reurs ni respect ni crainte. Chez vous le sang innocent « de soixante de nos frères a été versé, et si quelqu’un « d’entre vous a.frappé plusieurs de ces malheureuses ' .           1

« victimes, vous lui décernez des éloges et vous lé placez « à la tête de la curie. Mais venons à l’affaire princi- « pale : vous nous redemandez votre Hercule : nous vous « le rendrons ; n’avons-nous pas des pierres, des mar­te bres variés, du bronze et des ouvriers en grand nom- « bre? Votre dieu certainement sera sculpté, tourné et «doré en. peu d’instants. De plus on le peindra en « rouge, afin que vos cérémonies puissent être célébrées « conformément aux rites. Puisque vous redemandez « votre Hercule * nous n’avons qu’à nous cotiser et qu’à « acheter.chez l’puvrier. un dieu pour votre usage; « mais à votre tour rendez-nous ceux de nos frères, que « vous avez assassinés, rendez-nous ces vies que vous « avez interrompues : alors nous serons quittes. »

De telles séditions qui sans doute n’éclatèrent pas seulement à Suffecte avaient de trop graves résultats pour qu’elles n’attirassent pas l’attention, de la cour impériale; il importait que l’Afrique , à peine remisé du trouble causé par la révolte de Gildon, ne se précipitât pas dans, les excès toujours si grands des discordes reli-

II.

Il


gieUsea. Elle adressa donc à Apollodore proconsul d’A­frique une loi datéedumois de septembre 899, destinée à calmer les alarmes des païens, en autorisant les jeux » v. p. xa. et les Epula sacra1. Peu de jours auparavant, Honbrius > Cod. Th., avait défendu aux chrétiens de détruire les temples *M. 1 l’iS.10 ka k*$urè de ces dieux documents montre que l’empe­

reur pensait non à favoriser les païens, mais è prévenir tout conflit entre eux et les chrétiens.

Ces lois déplurent aux évêques et particulièrement au bouillant Aurelius. Il décida le concile assemblé à rum, t n, Carthage le 27 mai de l’an ïpo3, à réclamer contre ^1097!’ «dles. Voici quelles étaient les demandes de l’assem­blée :

i° Détruire dans toute l’étendue de l’Afrique ce qui reste d’idoles, attendu que l’erreur est encore pleine de force {wiget} dans les pays voisins de la mer et dans divers autres endroits ;

; 20 Renverser ces temples qui , étant située dansdes lieux retirés oii dans les champs, ne servent pas à l’or­nement public;

3° Interdire les festins sacres, source de* scandale pour les chrétiens que l’on force à y assister;

         ' 4° Défendre qu’on célèbre les jeux publiés, oiTqh’on donne des représentations théâtrales les dimanches et les autres jours fêtés par l’église*.

         Ædàt inticitii refais vacaas, nortranM bénéficia sanctibhuni, delquis

conetur evertere.      . . ,.  ’ j •

1* Quia sancti Paschas octavarum die populi ad circum magis quant ad Ec_ clesiam conveniurit. Vainement saint Anguétin s’efforçait de détourner le peuple d’aller au théâtre; vainement 11 lui disait : Crqs.idi kabe^t,td audi- vin^us, mare in theatro : nos habeamus portyrq in Çhristo. VIII, d. Le vieux goût des Romains pour les circenses remportait toujours.

LeS exhertatitfàs des chéfe de Pâgtise étaient doutant pliis nétessaires <pi’à


Les vœux‘exprimés par le concile d? Afrique ne fa» rent exaucés, comme nous l’avons vu, qu’eu l’an» née 4071 : car Stilicon prenait plutôt conseil de sa 'V. p. 49. prudence que du zèle pieux des évêqués.

Le paganisme ne pouvait pas être renversé brusque» ment, ainsi que lé souhaitaient les chrétiens ; sa des» truction s’opérait en quelque sorte pièce à pièce, et les empereurs, pour atteindre le but vers lequel ils mar­chaient depuis un siècle, étaient tenus de faire aux anciennes mœurs de perpétuelles concessions. Ainsi, dans la faême année où le concile demandait que les jeux pqblics et les festins1 sacrés ; füsiênt les uns limités, les autres inteidïtsy ïk cour impériale rendait une loi portant que si un citoyeri avait été pOritife. dé sà pro­vince , ses' enfants ne pourraient pas être chargés mal­gré euk des mêmes fonctions, et que lon chérchêrait «quelque autre personne pour les remplir *. Lexistence J despontificats provinciaux n’était donc pas tellement ••l66- précaire que l’enipereur dût croire süpérflii de régu­lariser leur mode de transmission. A cette époque les jeux tas festins. sacrés entraînaient lés pontifes dqtls dlès'dépensés si fortes quon jugea équitable de 'ne plus rendre leurs. fonctions nécessairement héré­ditaires.-'

lies pàïens restèrent tranquilles jusqu’à l’année 4o8, eede évoqué ®n ne représentait dans les théâtres qtid des pièces dont L'in* trigue était puisée dans la mythologie grecque. « En comparaison d’un, si « horrible désordre, dit saint Augustin en parlant des cérémonies de Cybèle, « Cirlt* Vu, M<h,;qtfefsôdt led larcïrisMercure,'les débauches de Vénus, «‘les adultère et les impudieités des ancrés dieux.que nous prouverions jiar « les livres des païens, si on ne. les représentait pas tous les jours sur les « théâtres? * C’est ainsi, dit saint Jérôme, qu’au.théâtre un même acteur re- présente Hércnfe, VÎShirëcm Cybêfle. » f. IV, fep.', 553,


mais à celte époque ils montrèrent que l'esprit de sé­dition était assoupi mais non éteint chez eux. Ils signa­lèrent son réveil par des actes semblables à ceux dont naguère les habitants de Suffecte avaient été effrayés.

On venait de publier dans la Numidie la loi géné­rale de 407 contre le culte proscrit : les habitants d’une colonie appelée Galama n’en tinrent aucun compte, et le 1er juin 4o8, ils célébrèrent une de leurs solennités, sans que personne se mît en devoir de les en empê­cher. Ils poussèrent l’insolence jusqu’à faire passer les troupes de danseurs {petulanlissima lurba saltantium) dans la rue et devant la porte même de l’église, ce qui ne s'était pas fait du temps de Julien. Les clercs ayant voulu s’opposer à ce scandale, des pierres furent jetées contre l’église. Au bout de huit jours, l’évêque crut devoir signifier à l’ordre des magistrats les lois nouvellement rendues, et comme ils se mettaient en devoir de les faire exécuter, les païens assaillirent de nouveau l’église avec des pierres. Le lendemain les prê­tres demandèrent que leurs réquisitions fussent insé­rées dans les actes publics, mais publica jura negata sunt : telle était à cette époque la conduite des ma­gistrats. Ce n’était encore de la part des païens qu’un prélude : ils reviennent une troisième fois contre l’église, et finissent enfin par y pénétrer et y met­tre le feu ainsi qu’aux maisons de ceux qui les des­servaient; un moine s’offrant à eux ils le tuent; les autres fuient ou se cachent. L’évêque même du fond de sa retraite entendait les cris de ceux qui le cher­chaient pour le mettre à mort, et qui disaient qu’ils n’auraient rien fait s’il leur échappait. Un monastère dont les biens servaient à l’entretien des pauvres fut


CHAPITRE X.

165 entièrement pillé. Dans les temps de persécution on n’avait pas déployé contre les chrétiens plus d’achar­nement.

Ce qu’il faut observer c’est que les principaux ha­bitants, ceux qui formaient la curie, encouragèrent sous main cette sédition ; car saint Augustin dit que pendant toute sa durée, c’est-à-dire depuis quatre ou cinq heures du soir jusque très-avant dans la nuit, on ne vit qu’une seule personne, et encore était-ce un étranger, faire quelques efforts pour arracher des mains du peuple les serviteurs de Dieu ou les choses saintes qui avaient été pillées. On ne voit pas sans étonnement que plusieurs chrétiens prirent part à la dévastation de l’église1.  1 Aug. n,

Cette affaire fit beaucoup de bruit en Afrique. Un païen de Calama, nommé Nectarius, homme sage et considéré, s’efforça d’obtenir de saint Augustin Foubli des crimes commis par ses frères’. Possidius Févêque de Calama se rendit à la cour pour solliciter la puni- JTiUemonf tion des coupables : ses démarches ne réussirent pas\ Mém. xui, Je ne sais si Févêque d’Hippone avait raison de dire 4; 4 Pagani persecutiones ab imperatoribus patiuntur.

Il est probable que Possidius en arrivant à Ravenne trouva la cour encore tout émue de la mort de Stilir con, et qu’il reconnut que le moment n’était* pas favo­rable pour entretenir l’empereur et obtenir vengeance de tous les crimes des païens ^Afrique.

La chute de Stilicon, sous quelque aspect qu’on la considérât, ne pouvait produire rien de favorable aux intérêts de l’ancien, culte: c’est ainsi que pensèrent les. païens de Rome et de l’Italie ; mais ceux de l’Afrique n’étaient pas gens à voir les choses aussi froidement,


et la mort du ministre d’Horioriiis fut pour eux lé si­gnal d’une insurrection générale. Si leurs excès en cette circonstance ne sont susceptibles d’aucune exn cuse, cependant le raisonnement qui les porta à cette nouvelle levée de boucliers n’était pas entièrement faux. Ils entendent proférer en tous lieux des impré» cations contre 1* mémoire d’un traître qui conspirait avec les Qoths et qui. voulait usurper la couronne? pendant de trop longues années il a, prostitué la pourpre impériale en imposait la plus honteuse ser­vitude au fils de Théodose; sa mort misérable est la juste réçpmpepse de tous ses forfaits, et la proscription plane sur la tête de quiconque a été l’un des instru­ments de sa tyrannie. Les païens d’Afrique joignent leurs voix à toutes ces voix accusatrices, seulement ils ajoutent une chose, savoir, que les lois rendues contre eux du vivant,de l’infâme ministre doivénfmourir avec lui, comme publiées par sa seule autorité, à l’insu «ü même contre la volonté de l’empereur. Tenant donc pour abolies toutes les lojs qui pesaient sur eux, ils s’abandonnent sans crainte à leur haine contre le christianisme.

Nous ne connaissons pas les provinces de l’Afrique qui eurent le plus à souffrir de leur audace, nous sa­vons seulement que deux évêques furent tués, plusieurs autres arrachés de leurs demeures du des églises et tourmentés de divers supplices. La dérision se. mêlait d’oydinaire à ces scènes de violence, et les magistrats, loin de faire des efforts pour arrêter le désordre , ne prirent pas seulement la peine d’en donner avis, à la cpur impériale. On concevra la situation dans laquelle se trouvait l’Afrique,quand on saura que les donatiates, aussi intéressés que les païens à croire à l’abrogation des lois rendues par Stilicon, s’étaient insurgés de leur côté et faisaient cause, commune avec les partisans de l’ancien culte pour persécuter les chrétiens.

Les évêques assemblés CnVoyèi'püt une députation à la cour pour lui donner avis de cette révolte des païens et des hérétiques. Saint Augustin seconda de tous ses moyens les démarches des envoyés, il demandait une déclaration positive par laquelle l’empereur annonçât ( jd que les lois rendues sous, le ministère de Stilicon n’é-p. »45, »«8. trient, point abrogées'. Il existe une Joi du «4 no_ Mém”xni, vembre 4oS* adressée à Donat. proconsul d’Afrique^        6

qui commande de punir) selon h rigueur des lois et 1- 44. même:du Ôeruier supplice, ceux qui entreprendraient quelque chose contre la religion catholique, mais elle spmble dirigée contre les donatistes et ne fait aucune mention des païens : rien dans les écrits de saint Awt gnstip n’autorise à penser que les instigateurs de Iq révolte aient reçu le châtiment, qile méritaient leuiq crimes. L’impunité devenant. droit, oncampresd que l’obstination et l’audace des païens he devaient pas diminuer. L’insurrection ne s’arrêta donc que quand leurs ressentiments eurent été assoüvis. Au mois de janvier de l’année suivante, cette déclaration si vive* mept .demandée par les évêques d’Afrique fut enfin rendue3. 11 y est fort peu question des païens, et sa ’W. 46. teneur rend probable l’idée que les magistrats avaient réellement cru à l’abrogation des lois antérieures*.

* Sirmond cite une loi qui prescrit des poursuites contre les auteurs des» désordres commis en Afrique, sans toutefois qiton puisse les frapper de mort, et cette loi est datée de Tan 4 xa. Tillemont pense que la date véritable est 409. En admettant l’autbenlicité de cette loi, il faut reconnaître que les coupable^ durent avoir le temps d'échapper au châtiment. V. Sirm. p. 45, Till., p. 477,


Nous avons rapporté assez de faits et des faits assest caractéristiques pour que l’esprit des païens d’Afrique soit désormais complètement connu. Ces obstinés défen­seurs des faux dieux ne pensaient pas différemment sur leur religion que les gentils de Rome ou de l’Italie, mais éloignés du siège de l’empire et du foyer de l’influence chrétienne, enhardis par leur nombre et par les dissen­tions des chrétiens, ils mettaient sans cesse la main à l’œuvre pour relever leurs dieux et punir les téméraires qui les-avaient renversés. Aucune de cog grandes idées qui préoccupaient l’esprit de la noblesse romaine n’a­vait cours en Afrique, car dans ce pays la population n’était armée qu’en feveur des mœurs anciennes que le christianisme blessait et de superstitions dont le cré­dit à cette époque est inexplicable ; pour découvrir en Occident quelque chose d’analogue à cette manière de penser et d’agir, il faut fixer ses regards sur les cam­pagnes de la Gaule, là on trouve un même attachement pour les usages du paganisme soutenu par des vio­lences non moins condamnables.

Les efforts de saint Augustin contribuèrent à mo­difier sensiblement l’esprit de l’Afrique. Quand on songe que ce grand évêque vivait quatre cents ans après la publication du christianisme et que sa vie se passa dans une guerre continuelle, soit contre les hérétiques, soit contre les païens, que jamais il ne lui fut permis de se reposer en contemplant avec calme son ou­vrage, on admire cette conviction dont l’énergie était placée hors des atteintes du découragement. Combien ne lui fallait-il pas de dévouement pour entreprendre la conversion de ces hommes auxquels il était plus aisé de faire accepter le baptême qu’un genre de vie diffé-


CHAPITRE X.

169 rent de celui qu’ils avaient suivi jusque-là ! Rieù n’est plus touchant que les détails de cette vie tout aposto­lique. Les païens emploient les sarcasmes cbntre saint Augustin : il ne s’en émeut pas et remarque seulement que dans l’année où il écrit les rieurs sont moins nombreux qùe l’année précédente[**]. Un jour il reçut une lettre qui lui était adressée par les magistrats de Madaure, ville païenne. La subscription portait: Patri Augustine in Domino œtemam salutem*. 11 croit que Madaure a déserté les idoles, il interroge vivement l’envoyé, se hâte d’ouvrir la lettre, mais reconnaît bien­tôt son erreur et verse des larmes. Cette pénible décep­tion lui fournit le sujet d’une réponse pleine d’éloquence et de tendresse. Je pourrais multiplier ces citations si je ne craignais de trop étendre ce chapitre*,

> Cod. Th.

1.16, t. io

1. ao.

' En 4f Honorius; publia bue loi eontre lès pontifes du paganisme ’. Cette loi étàit rendue plus particulière-, ment pont la province d’Afrique, où, Corinne où va le

« la foudre; Sanaës à Junon, à Minerve, à. Vénus et à Vesta; et, ô honte! à « tons les dieux immortels l’archi-martyr Natophàuion ? Lucitas lui-même n^a «ipas, un Culte inférieur, non pjps qu?nne foule 4’aufrés, dont fanons aussi « détestables aux dieux qu’aux hommes ne finissent pas. Ces gens ayant la « conscience de leurs crimes abominables , trouvèrent enfin sous Papparence « d*une mort gidriepse, et pn Comblant par des forfait? nouveaux lâ mesure « dp? anciens, une fipdjgpe de     Fapl-il fqfa remarquer quq leuçs

« tombeaux sont honorés par des insensés qpi négligent les temples et les « mânes des ancêtres ? En telle sorte que les présages du poète indigné « trouvent réalisés :

' t » .*Ivqite Dwn tempes jurwtit /lama per ambrai

« H mn semble que non» soyons revenus aux temps dé ta bataille d*Aétium, <^ .les monstres de F^gypfe o£reni lancer contre fa diepx.<fa Jfanafateuiq « traits impuissants. Mais, o le plus sage des hommes ! je te supplie de mettre « de côté le pouvoir de ta faconde qui te rend illustré entre tous, les argu- « ments de Chrysippe dont tu te servais pour combattre, et même de renoncer « quelque-peu à l’emploi de oette dialectique, qui par Peflbrt dé sa subtilité « cherche à ne laisser rien de certain dans les esprits, afin de démontrer la « chose même qui est .en question, savoir - quèlest oé dieu que vous autres «. chrétiens revendiques pdrtrvous seuls < et qiri sole» veps est présent et voue « voit jusque* 4|um fa. faux tes plus secret?d Nous< par de pieüte» prière* «;noqs; invoquonenoa dibi» publiquemedt Ÿ ap grand jeuryun! su et au vu de «; tout le mpnde; août noua les rendons propices par de suaves imm<dations, « etpous tâchons que cela sait<eenpi»et:approuré parttowafa hommes. Quant «émoi riéuX ét utâmnev jelne retire du combat, et je m’applique eette sen- «f lénce du rhéteur de Mantoue ; juaqaemque vokiptaù. Je ne doute pas, « o hqmme excellent et qui cependant as dévié de mon culte. ! que cette lettre « dérobée per quelqu’un* ne périsse dans tes fifaimea du de toute autre naa- « nièce; s’il ep est ainsi ce sera un malheur pour le papier et nbn pour mes « pensées que je tiendrai toujours à h disposition des hommes religieux» Que « les dieux te conservent, ues dieux en qui nous tous qui peuplons la terre «neusadprens unaniateineiiit, mais de mille manières différentes, leur père « commun qui est aussi oelui do tous lea mortels. »

Saint Augustin ne crut pas devoir répondre autrement que par des raille­ries aux objections d’un homme qu’il désespérait de éonvainerq.

la lettre du vieux habitant de Madaure nous fait connaître la différente qui existait entre un païen de Rome et un païen de la prqviuce> Aucune idée politique ne préoccupe Maxime; sa manière dq penser ne rappelle ni


r7r voir, les ministre» du culte païen exerçaient encore leuta fonctions, bn dépit toiites les lors rendues eôiWre eufc pat la coup d’OccWenf.            » '> "

« JToUs .ordonner d’employer la contrainte eontre a les ministre» de la superstition païenne qui avapt les* » calendes de novembre ne seront pas sortis de Carthage? « et rentrés dans leurs villes natales. Que tous les Sa» « eerdotaux de l’Afrique se regardent comme soulnis au* « même ordre s’ils neqrâttent; pas les métropoles^ et s’il» «ne retournent dans leurs propres cités. Nous ordon^ « no ns, conformément aux décrets dû divin G ratien , de « réunir a nos domaines tous les biens que Iferreur de» « anciens afifecta jadis aux choses sacrées, de façon que « les usurpateurs de ces biens soient tenus de restituer « les fruits perçus, à partir du jour’où il a été défendu « de placer les dépenses de l’exécrable superstition au « nombre des dépenses publiques. Nous voulons toutefois « que les biens donnés soit par la générosité de nos pré-» « dérôsse^rs soit par notre majesté, dans quelque paya « qu’ils soient situés, et à quelques personne» qu’ils aient « été donnés, restent à jamais réunis au patrimoine ded « donataires. Ces ordres seront exéeùtés jion seulemënt « ep Afrique, mais dans toutes les régions de notre em« « pire. Là religion chrétienne sera misé, sans obstacle, (f en possession de toutes les choses que nous avons ai-» « tribuéea.par de nombreuses constitutions à la vénéra*

                    . i t

celle de Symmaque, ni celle de -Volusien ; le respect des traditions et l’amoqr de la société telle que l’ancien culte l’avait faite, n’apparaissent pas dans ses discours où l’on trouve des idées dogmatiques plus arrêtées et surtout l'indice de passions plus vives, plus haineuses, que dans aucun document émané d'un membre de l’aristocratie ronu^ae, Vue tfjje lettre rend faciles à wne^ voir toutes les violence» commise» par la popq|ace païenne de L’Afrique contre les chrétiens.  •• « ble église. L’erreur ayant été abolie, il est juste de « décharger notre épargne des dépense^ de la supersti- « tion si justement proscrite, et d’y verser le produit des « biens qui ont été la propriété des Frediani\ des Den~ a drophorii*, et de toutes les professions de la gentilité « quels que soient leurs noms, et qui servaient au paie- « ment des festins sacrés ou des autres frais du culte. Les « objets sacrés qui autrefois trompaient les hommes se- « ront retirés des bains et des lieux publics, afin qu’ils « ne puissent plus séduire les passants. Nous proscrivons « les Chiliarches et les Centeniers ou ceux qui se mêlent « de distribuer le peuple en compagnies. Quiconque « aura reçu volontairement ce titre, ou souffert même à «contre-cœur d’être associé à d’aussi coupables entre- « prises, sera puni de la peine capitale.»

Cette loi est le résumé exact et en quelque sorte historique de tout ce qui avait été fait par les empe­reurs chrétiens contre l’ancienne religion ; elle s’efforce de mettre quelque ordre dans le partage des riches dépouilles du clergé païen, et consomme la ruine de toutes les anciennes institutions religieuses.

La cour impériale espérait beaucoup de l’injoùction adressée aux-pontifes de rentrer dans leurs villes na­tales, car nous l’avons déjà vue recourir à cette mesure comme à un moyen très-efficace : c’était à la fois satis­faire aux réclamations des curies, et détruire sans violence l’empire que les pontifes avaient su prendre dans des localités ou ils habitaient depuis de longues années.

* On ignore ce qu'étaient ces ministres. On croit qu'ils portaient dans les cérémonies les statues de certaines divinités. Godefroy, Vf, p. 826.

Prêtres de Bacchus ou de Silvain qui, dans les fêtes, portaient sur leurs épaules des troncs d'arbres ,* comme leur nom l’indique. Id.


Jusqu’à son dernier paragraphe la loi prescrit mais ne menace pas; aucune peine n’est prononcée contre ceux qui oseraient contrevenir aux ordres du souverain : tout-à-coup elle change de langage, et prononce contre certains délinquants la peine la plus redoutable. Quelles étaient donc ces fonctions si sévèrement mises au bah de la province, ces fonctions qui attiraient le glaive de la justice sur la tête du citoyen qui les avait acceptées vel invitum ?

Les expressions Chüiarcha et Centenarius indi­quent des officiers chargés de commander à des com­pagnies de mille ou de cent hommes; on pourrait donc croire qu’elles désignent de simples grades militaires. Mais il est question ici d’une division du peuple en compagnies, division dont le but était de soutenir les intérêts du paganisme; car s’il se fût agi d’une association civile ou militaire, ce n’eût pas été une loi dirigée contre l’ancien culte qui l’aurait dissoute. La peine contre les délinquants est si forte qu’il fout regarder ces associations comme ayant pris une grande importance et mis souvent en péril la tranquillité de l’Afrique. Leur existence occulte sert à expliquer laudace du parti païen, ses fréquentes insurrections et limpunité dont il jouissait quand il avait couvert cette province du sang des chrétiens. Le pouvoir im­périal en dissolvant ces dangereuses associations re­tira aux païens dAfrique un de leurs principaux moyens dinfluence.

En effet, après l’année 4*5 leur audace et leur nombre décroissent sensiblement. Ils disputent encore contre les docteurs chrétiens, ils s’obstinent, ils con­testent, mais ils ne sont plus redoutables. « Us n’ont


LIVRÉ ix. hoborius.

174 .« pas voulu abahdoader le» idoles, les. idoles leeaüan-

*        r. vni, «donnent1. « Saint. Augustin témoigne sa.joie-de voir

leur ,nombre diminuer*; mais Salvien tient peu de compte de ces vaines conversions pii projette ses regards aib-delà.eL n’est frappé que de là déplorable corruption dnùt tous les membres.de l’église africaine sont infectés.

*        P- 'S8- «i Les; peuples barbares, dit*il2, faisaient résonner leurs

armes .autour- des murs de Cirthe et de Carthage t ét cependant l’église de Carthage délirait dans les orques et délectait dans les théâtres.* .,.<•            ;

En lanüée 4a0 .1es païèns firerit courir, le.bruit que là déesse Céleste venait dannoncer, par. un oraole que Jet templeb :de la via ,Cœlesti& seraient bientôt rendus alix. anciens rites. Le tribun Ursun profita dé- cette occasion pbur fairb raser les temples..qui existaient de^rædict ,ePco,re ® Carthage.-et pàrticuliènement celui die Céleste3, c. 38. U est.probable que.peu..aprèsisa! transformation en église ce temple fâmeux avait été abandonné par les chrétiens. .      -   t j .   • >

Un désastre commun allait envdopper les déux re<- ligionst Si l’Afriiqtie fut-envahie par les barbares plus -tard que. Ie<; autres pàvties de l’empire d’Occident ,«!llè paya bien cheriœ faible.avantage, Quatre-vingtmiHe Vandales conduits par .Geiuériei iaonldènént l’Afrique an l’année ^28» pillant. Ravageant,.massacrant tout ce qui se préæntait, devant eux, et. ilsieiurent bientôt fait de cette.riche contrée un monceau de raines. Du

. Ja-MiiMaHidMsejHiteil, 5^ 68g>&)ietrptarl«M <l'Hippttie, ^uStdutle « Kpopde s^it avecjDpi, ç’nt qu’il y a.dam cçU? ville beaucoup de maiaan» u dans lesquelles on. ne trouve pas un seul païen; et si on cherchait bien on «ttfe* dééoijvrirWt’’ jhts une* mhidon od lês chrétiens ne strient en plus grand

! €HA»ITXX X. •. .

:>75 arônbre, infiuv de villes et. d’églisesqûi y. florissaient^ à peine en restait-il, trois un ân après l’invasion : belles de Carthage, d’Hipponb etdeÇirthe!. L’histoire atgaurdé le souvenir de tous lés mauX: déversés ' par Geiisénic sûr eétte >églièe infortunée », elle fais le long récit des jjer- sécqtioM inouïes qui FaccaMèeetitj, irfais elle p« dit pus quedansleur foreûr les Vandales .aient: invoqué il’aide des païens :i le pagûnisriie res tait enfoui sous les décos»- bresdèT Afrique[††]. -,            A

Il rbsqlte >de>de bhapitre >êt .de tout cé.qui « étéÆt relativement au règne d’Honorius, une vérité qu’ri .im­porte de proclamer parce qu’elle doit détruire une erreur très-accréditée.

Encore aujourd’hui les historiens regardent le règne de Constantin comme l’époque de la ruine des tem­ples païens en Occident. Les antiquaires fixent habi­tuellement à l’année 331 la destruction des édifices païens ou leur conversion en églises ’. Cette tradition dSrinrtîû est erronée. Les lois de Constantin n’eurent aucun ÀA^cl,?,^

Ann. i834, effet immédiat dans l’empire d’Occident; celles d’Ho-n«netni, norius rendues à une époque où le christianisme avait p*43 autant gagné d’influence que le paganisme en avait perdu, confiées à l’exécution de prêtres ardents et dé­voués ou de magistrats partisans en général de la nouvelle religion, reçurent une exécution prompte et rigoureuse, sinon partout au moins dans les provinces où le christianisme dominait. Alors on vit fermer, vendre, démolir ou changer en églises les anciens édifices sacrés du paganisme. Si donc une date pré-

1^6     LIVRE tX. HOWORIÜS.

cise est nécessaire j et Ton comprendra sans peine combien l’usage d’une règle absolue en semblable ma­tière peut causer de méprises, je pense qu’il faut aban­donner l’année. 331, et fixer à l’année 4<>8 l’époque de la destruction ou de la conversion en églises des tepiples païens de l’Occident. je ne sais si mes pro­testations contre une erreur consacrée seront entendues, mais je suis convaincu qu’elles le méritent, parce qu’elles s’appuient moins encore sur l'appréciation d’une loi écrite quê sur l’examen de beaucoup de faits concordants.


CHAPITRE XL

Des conciles.

Ces graves assemblées au sein desquelles lês repré­sentants de l’église venaient délibérer sur les dogmes, les intérêts et l’avenir de la religion, exercèrent-elles une influence directe sur la ruine de l’idolâtrie en Occident ? Telle est la question qui va être examinée dans ce chapitre.

Avant le règne de Constantin les conciles étaient des réunions illégales et qui n’avaient lieu que par la to­lérance des princes ou des magistrats; elles cherchaient à défendre l’église et non à attaquer le paganisme, et leur réserve dans la décision de toutes les matières qui pouvaient toucher aux intérêts de la religion na­tionale doit être remarquée. La conversion de Cons­tantin agrandit beaucoup le pouvoir des conciles, car celles de ces assemblées qui furent appelées œcuméni­ques devinrent de véritables assemblées législatives, contre les empiètements desquelles les empereurs eu- rent souvent besoin de se tenir en garde1.  uv, £ na.

Cependant aussi long-temps que la. liberté des cultes 451’. ’ fut maintenue, les conciles comprenant ce que la po­sition des princes chrétiens avait de délicat, s’abstin­rent de toute provocation contre la religion nationale. Ils ne demandèrent pas à Gratien de refuser la robe pontificale, ni à Théodose de confisquer la solde des sacrifices, ni à Honorius d’interdire les rites publics :


assurés du triomphe, ils se tenaient derrière le pouvoir politique et cherchaient à consolider ses conquêtes.

Depuis le commencement du règne de Constantin jusqu’à la fin de celui de Théodose un très-grand nom­bre de conciles s’assemblèrent ; je n’en vois cependant que trois qui aient porté leurs regards vers l’ancien culte, et encore ne décidèrent-ils que des choses qui étaient de leur juridiction.

Le premier concile d’Arles, tenu en 314/renouvela la défense adressée par le concile d’Elvire aux jeunes filles chrétiennes d’épouser des païens sous peine d’être ru^Gani» exclues de la communion1. Cette prohibition resta œil. t. I, sans

p. 100. . z

Le concile de Laodicée, assemblé en 367, défend aux chrétiens de recevoir les présents que les païens >Fleury, envoyaient à leurs amis à certaines époques9.

xvn, ia. Le concjie Valence, réuni en 374, condamne les chrétiens qui auront sacrifié aux idoles à faire péni- 3Concilior.        i       *      *

1.11, p. 905, tence jusqu a leur mort<

can. 3. Quand les empereurs eurent changé de politique et déclaré une guerre ouverte au polythéisme, alors les conciles intervinrent pour développer les principes adoptés par le pouvoir politique. La loi défendait les sacrifices et l’entrée des temples ; ils voulurent à leur tour expulser des consciences les erreurs enfantées par le paganisme. A partir du règne d’Honorius, les conciles prennent donc l’attitude d’un ennemi ardent à compléter sa victoire.

Le troisième concile de Carthâge, tenu 397, ren- 4i<L 1.11» dit plusieurs décrets qui méritent d’être examinés < col. XI10.

* Cependant on ne peut pas dire comme M. Stuffken, p. 69 : Christiano- ru* aim Pagtmt nupti* htud illicite fiterunt.


Le dix-huitième porte qu’on n’ordohnera évêques, prêtres ou diacres, que ceux qui auront converti au christianisme tous les habitants de la maison où ils demeurent. Ainsi la foi, les lumières et la vertu ne suffisent pas pour arriver aux dignités du sacerdoce, il faut .encore que l’aspirant apporte à l’église son tribut de prosélytisme : l’obstination d’un voisin pou­vait renverser les plus légitimes espérances.

Les enfants des évêques et des clercs ne doivent pas contracter de mariage avec les païens; il leur est également défendu de fréquenter les théâtres.

Le quatrième concile de Carthage défend aux évê­ques de lire les livres écrits parles païens1.

Ces dispositions méritent d’autant plus de fixer l’at­tention des historiens qu elles font connaître la vraie politique des conciles. Elle consistait à séparer sous le rapport des mœurs et des usages la société chrétienne de l’ancienne société romaine. L’entreprise était diffi­cile : elle ne réussit qu’en partie, et je crois que sans l’invasion des barbares elle aurait échoué.

Le concile d’Afrique tenu en 398 alla plus loin que les précédents, car il demanda aux empereurs l’aboli­tion de tous les restes de l’idolâtrie2 : le caractère audacieux des païens d’Afrique autorisait, ainsi qu’il a été dit, une semblable demande.

Le septième concile de Carthage refusa aux païens le droit d’intenter une accusation publique contre les clércs3. ‘En cette occasion les partisans de l’ancien culte sont placés sur la même ligne que les esclaves, les juifs, les comédiens et les personnes notées d’in­famie.

Telles sont les seules dispositions qui, dans les ca-

> Concil. t. Il, col.

1201, can. x5.

a Id. coL xsx5, can. x.

3 Id. col. 1604.

can. a.


l8u      LIVRE IX. H ON (JRI U S.

nous des conciles tenus depuis Constantin jusqu’à Ho- no ri us, se rapportent aux païens. Sans doute elles sont loin de former une législation complète. Ces assem­blées , au sein desquelles le véritable esprit chrétien s’était réfugié pour échapper à la corruption générale, ne possédaient pas le droit d’agir directement contre les partisans de l’ancien culte; elles ne pouvaient que supplier les empereurs d’ordonner ou de défendre, et trop souvent la cour impériale se montrait mal dispo­sée ou indifférente à leur égard.


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CHAPITRE XII.

De Rutilius Numatianus.

Rome a été souillée par la présence, des barbares; l’exécution de l’arrêt prononcé contre l’empire roinain est commencée; il nous importe de connaître, ce que les païens pensaient dans ces tristes, conjonctures de leur ancienne gloire, de leur religion et enfin de l’avenir du monde. Se berçaient-ils encore de leurs vieilles illu­sions ? croyaient-ils que la ville éternelle n’avait suc­combé que par la colère, des dieux justement irrités? ou bien, éclairés par une cruelle leçon, leurs esprits s’ouvraient-ils enfin à la lumière?

Un écrit échappé à la plume élégante de Rutilius Numatianus nous mettra sur la voie qui conduit à la solution de ces questions. C’est, j’en fais l’aveu, se montrer très-exigeant que de demander à un poème où est contenu le simple récit d’un voyage sans inté­rêt, des lumières sur un doute qui semble ne pou­voir être résolu que par des témoignages clairs et nombreux; mais on sait combien est défavorable la position des écrivains modernes qui veulent réunir, comparer et juger les opinions des païens du cin­quième siècle; réduits le plus souvent à des conjec­tures d’autant plus périlleuses qu’elles sont tirées du sein d’ouvrages dictés par le christianisme, ils ne doivent négliger aucun écrit présenté par un païen, fût-il même en apparence plutôt léger et futile que sérieux. Les opinions qui couvaient au fond du cœur des païens se révèlent souvent par un mot, et ce mot il convient de le recueillir.

Rutilius fut préfet de Rome en 4*3; j’ajouterai ’TiUemoht, qu’auparavant il avait été maître des offices, et qu’on Ie cro^ né à Poitiers1. Uni par l’affection aux plus cé- raire de lèbres sénateurs païens, une amitié plus intime l’atta- France, t. 2,       r r

p. 70. chait a Rufius Venerius Volusianus. Il voulut, en 417 ou 420, aller visiter les propriétés qu’il possédait dans les Gaules et s’embarqua au port de Rome : c’est ce voyage qui fait le sujet d’un petit poeme en deux livres dont je vais m’occuper.

Je demandais, en commençant ce chapitre, si les païens conservaient encore leur vieux culte pour cette Rome que les barbares venaient de profaner : les pre­miers vers du poème de Rutilius montrent que la pa­trie, dépouillée de Son ancienne pureté, était encore pour eux un objet de vénération. Rutilius justifie de l’avoir quittée un seul moment, et fait remarquer la promptitude de son retour. Rome est juste et géné­reuse, elle accorde aux étrangers les mêmes faveurs qu’à ses propres enfants:

Ordinis imperio, coUegaramqtie frauntur;

Et partem Genü, quern Ttenerantur.habent, Quale per œtherios mundani verticis axes a L j v     Connubium summi credimus esse Dei\

Selon là tradition il compare toujours, comme on le voit, Rome cette Babylone, cette Sodome des chré­tiens , à la demeure des dieux.

Rutilius n’osànt pas attaquer ouvertement la vraie religion s’en prend au judaïsme, et plus à son aise, il répand sur ce culte des invectives dont il pensait bien


qu’une part considérable reviendra au christianisme. Il définit Je juif ‘ :      *v-384-

Humants animal dissociale cibis,

La nation juive* :       >v. 389.

Radix stullitice : cuifrigida sabbata cordi,

Sed cor frigidius relligione sua est.

Il termine par ces regrets son invective 3 :                                      3 . 395-

jftque utinam nunquam Judcea s ubac ta fuisse t

Pompeii beltis, imperioque Titil Latius excita pestis contagia serpunt, Pïctoresque sues natio vicia premit.

Ici l’allusion est claire : Contagia excisas pestis se rapporte au ‘christianisme que certains païens s’obsti­naient à regarder comme une secte du judaïsme. Je suis surpris que le commentateur de Rutilius, Wems- 4Poet® La- dorff4, veuille ne voir dans ce poète qu’un homme - mina- content de ce que les empereurs et particulièrement p* 34. ’ Honorius accordaient aux juifs de trop grands privi­lèges. Ce savant insiste beaucoup sur ce que Rutilius n’a rien dit contre la religion chrétienne. Ignorait-il donc l’art des insinuations ? Je doute cependant que l’on puisse appeler de ce nom la qualification de radix stultitiœ. Le rang que Rutilius occupait lui imposait des ^ménagements, et l’on va voir s’il a toujours eu le talent d’en garder*

La vie monastique était alors dans sa plus grande vogue eu Occident. Le christianisme établissait par* tout, contre l’orage qui commençait, des abris pour la civilisation. Pilote éclairé, saint Jérome ne cessait de prêcher aux fidèles la fondation des monastères;


c’est dans le moment même où il écrivait à Paulinus sa lettre De institutione monachi, et à la vierge Eustochius celle De custodia virginitatis, que Rutilius voyant dans Pile de Capraria des moines les insulte de la ma- iL_.i,v.44i. nière suivante :

Jpsi se monachos Graio cognomine dicunt, Quod soli nullo vivere teste volunt. Mitnera fortunœ metuunt, dum damna verentur. Quisquam sponte miser, ne miser esse queat? Queenam perversi rabies tam slulta cerebri, Dum mala formides, nee bona passe poli? Sive suas repetuntex fato ergastula paenas ; Tristia seu nigro viscera felle tument.

Cette sortie ne lui suffit pas ; il rencontre dans File de Gorgone un homme qu’il avait autrefois connu, et qui depuis s’était voué à la vie solitaire. Voici comme aL.i,v.5i8. il qualifie cette conduite que l’église admiraita :

Perditus hic vivo funere civis erat. Noster enim nuper,juvenis majoribus amplis, Nec censu infçrior, conjugiove minor, Impulsus furiis, homines divosque reliquit, Et turpem latebram credulus exsul amat. Infeïix putat illuvie cœlestia pasci; Seque premit lassts sœvior ipse Deis. Nunc, rogo, deterior Circœis secta venenis ? Tune mutabantur corpora, nunc animi.

A la vérité Eunape va plus loin que notre poète, car il dit que les moines n’ont des hommes que le vi­sage r et que leur manière de vivre est celle des pour- 5T.i,p.44.ceau*3 s n’existe-t-il pas cependant une grande confor­mité d’opinion entre le sénateur romain et le rhéteur grec ? L’aversion pour les institutions du christianisme n’est-elle pas aussi forte chez l’un que chez l’autre?


Cependant Wernsdorff ne voit encore !à rien qui ait rapport au christianisme1 : «Chrittianœ religioni,Aït‘\\, « nihil adversum dixit Rutilius; » puis il se livre à des déclamations philosophiques sur la vie monastique, déclamations très-convenables au siècle pour lequel il écrivait, mais qui, appliquées au cinquième, sont dif­ficiles à comprendre. Quand Rutilius dit d’un homme qui a cédé aux enseignements du christianisme et s’est retiré du monde, qu’il fut inspiré par les Furies, ce n’est pas, avouons-le, ne rien dire contre le christia* nisme.

Si nous joignons à tous ces témoignages d’obstina­tion païenne les déclamations contre Stilicon à propos de la destruction des livres sibyllins*nous aurons

a Je ne sais pourquoi Wernsdorff a entrepris dans son VIIIe Excursm de justifier Stilicon des accusations portées contre lui par le poète Rutilius. La destruction des livres sibyllins ne peut surprendre de la part dLun homme qui avait dépouillé le Capitole de ses ornements, et qui selon le besoin des circonstances frappa le paganisme et le christianisme avec une indifférence égale.

La plus forte preuve de Wernsdorff consiste à dire que Zosime ne men­tionne pas un fait aussi remarquable. Zosime n'a pas, dans son Abrégé, ra­conté tout ce qui arriva sous Honorius, et son silence ne peut prévaloir sur le témoignage positif d'un contemporain de Stilicon, d’un homme qui sous l’administration de ce ministre avait pris part au maniement des affaires.

Wernsdorff pense que les livres sacrés furent brûlés en exécution d’uue loi rendue par Honorius, sans doute à la suite de toutes les fausses prédictions sur la chute du christianisme répandues par les paiens en 398 : cela est as­sez probable. Cette explication toutefois ne constitue pas Rutilius en .faute; car il est justifié par cette observation, que tous les actes d’Hono- rius eurent réellement Stilicon pour auteur. RutiJias était en position de sa­voir comment les choses se passaient à la cour impériale, il dirigea donc ses attaques contre le véritable auteur de ce qu’il regardait comme un sacrilège.

Quant à la loi qui aurait été rendue, on n’en trouve nulle trace, et je doute qu’elle ait jamais été publiée. Il ne faut pas attribuer au pouvoir légis­latif une influence plus grande que celle dont il jouissait réellement alors, et surtout ne pas croire que les empereurs ne pouvaient rien faire qu’à l’aide des réuni assez de témoignages pour pouvoir dire que Ru­tilius , désespérant du succès de sr cause « abandonnait des ménagements inutiles et donnait un libre cours à ses passions. Ce changement fut général parmi les païens, et si le temps avait épargné tous les écrits pu­bliés alors dans l’empire, nous en trouverions plus d’un qui ressembleraient à celui de Rutilius.

» T. IV, p. 35.

» V. p. 3o.

lois. La puissance absolue des Augustes donnait à l’expression de leur vo­lonté le caractère d’une loi. Gratien en refusant la robe pontificale détruisit lé souverain pontificat : il ne se donna pas la peine de promulguer un édit sur ce sujet. Le paganisme périt en Occident moins par l’effet de lois écrites que par des actes individuels. Les choses ne se passèrent pas tout à fait ainsi en Orient, où le paganisme plus religieux que politique dépendait moins des circonstances, et par conséquent plaçait ses adversaires dans la nécessité d’employer quelquefois contre lui des moyens violents.


99999999999999999999999999999999999999

CHAPITRÉ XIII.

De la population païenne de l’empire romain

En commençant ce chapitre je crois devoir déclarer que je n’ai nullement la prétention de résoudre un des problèmes les plus difficiles de l’histoire ancienne, pro­blème que je suis même porté à regarder comme inso­luble ; mais j’ai pensé que, dans un ouvrage où rien de ce qui se rapporte à l’état des païens aux quatrième et cinquième siècles ne doit être omis, je ne pouvais me dispenser de faire quelques tentatives pour appro­cher autant que possible de la vérité, et pour prouver par l’inutilité de mes efforts la difficulté du sujet.

Nous ignorons absolument à quel nombre s’élevait la population de l’empire romain pendant le quatrième siècle, à plus forte raison devons-nous être dans l’in­certitude relativement à la proportion existante entre la population païenne et la population chrétienne» Notre ignorance sur ce point est d’autant plus natu­relle que certainement les chefs de l’empire, malgré toutes les améliorations.introduites dans le régime in­térieur de l’état par Dioclétien, ne devaient guère être plus instruits que nous ne le sommes. Pouvait-on tenir un compte exact de tous les changements de religion qui s’opéraient ou au grand jour ou dans le secret des familles'? Savait-on, dans un pays où l’on changeait


>P. aix a.

’C. 37. p. 3o.

de foi quolidie , combien parmi les convertis il y avait de gens qui persévéraient dans leurs croyances nou­velles, combien qui revenaient aux idoles? Jamais calcul n’aurait été* plus incertain, jamais recherche de statistique n’aurait reposé sur une base plus fragile.

Les chrétiens néanmoins ne tinrent aucun compte de cette incertitude, et dès le deuxième siècle, ils dé­clarèrent hardiment qu’ils formaient la majorité des citoyens de l’empire. Je ne rechercherai pas le but que les chefs de l’église se proposaient d’atteindre en pro­clamant un fait dont il était si facile de prouver le peu de fondement ; je me bornerai à montrer que cette étrange assertion fut soutenue par des hommes dont la voix était à juste titre puissante parmi les chrétiens.

Saint Justin martyr, qui mourut vers l’an 167, s’é­crie dans son dialogue avec le juif Tryphon ’ : « 11 n’est point de peuple parmi les Grecs, ni parmi les bar­bares, ni dans aucune race d’hommes, quels que soient son nom et son caractère, quelque ignorant qu’il puisse être dans les arts ou dans l’agriculture, qu’il habite des tentes ou des chariots nomades, il n’est point de peuple, disons-nous, qui n’adresse au nom de Jésus crucifié des prières au père et au créa­teur de l’univers. »

Tout le monde connaît le passage de V Apologétique, où Tertullien représente les chrétiens remplissant les bourgs, les campagnes, les îles, et pouvant, s’ils se re­tiraient en quelque autre pays, laisser l’empire romain dans une affreuse solitude3. Jamais orateur n’employa une plus excessive hyperbole.

Origène, contemporain de Tertullien, reconnaît au contraire que la multitude de fidèles était peu considé­rable, comparée à celle de idolâtres1.

« Contra Celsum, 1. VIII,

Eusèbe reprit et développa l’assertion de Tertullien. Dans tous ses écrits il ne considère les partisans de l’ancien culte que comme une petite poignée de fa­natiques, témoignant par leur nombre restreint des rapides et glorieux progrès de la vérité. Il était plus excusable dans son exagération que Tertullien, car pendant le cours du troisième siècle, le nombre des chrétiens avait beaucoup grandi, mais pas assez ce­pendant pour qu’il fût permis de ne plus tenir qu’un faible compte des païens.

Sous les premiers princes chrétiens l’église ayant intérêt à ce que le principe de la tolérance reli­gieuse fût aboli, ne cessa de répéter que les chré­tiens étaient incomparablement plus nombreux que leurs adversaires. Les pères de l’église d’Orient insistè­rent cependant beaucoup moins sur ce point que ceux de l’église d’Occident, quoique les païens fussent plus puissants dans cette dernière contrée que dans la pre­mière.

En admettant comme base du calcul le témoignage de Tertullien ou seulement celui d’Eusèbe, on devait arriver à cette conclusion, savoir, qu’il n’exsitait plus, pour ainsi dire, de païens dans l’empire à l’époque du règne d’Honorius ; cependant les pères de l’église la­tine n’osèrent pas aller jusque là, et au risque d’ébran­ler l’autorité de leurs prédécesseurs, ils avouèrent que le parti païen existait encore, mais faible et très-peu nombreux.

Saint Augustin représente souvent l’église comme


remplissant le monde entier : Toto terraruni orbe diffusa, exceptis Romanis et adhucpaucis Occiden-

         n, 143^. taUbus'*.

         iv, 5$o e. Saint Ambroise disait3: Ex omni gante, ex omni

conditione adoptantur quotidie milita senum, milita juvenum, miltia parvulorum, et effectibus gratice christianœ etiam ipsa qttibus mundus atteritur arma famulantur.

Saint Jérôme est, en général, peu enclin à exagérer le nombre et la puissance des chrétiens, il juge avec beaucoup d’impartialité la situation des deux religions, et ne fait, par exemple, aucune difficulté de recon­naître que les Gaules et la Bretagne étaient, à l’époque ÎIV> »gP» où il écrivait, encore sous le joug du paganisme3.

Ainsi, au commencement du cinquième siècle, les chefs de l’église, tout en célébrant le triomphe décisif de leur cause, admettaient implicitement l’existence d’un nombre assez considérable de païens.

Les historiens ecclésiastiques qui écrivirent sous le règne de Théodose II, reproduisirent, pour les quatre premiers siècles de l’église, les assertions les plus exa­gérées en tout genre qu’ils trouvèrent dans les histo­riens antérieurs ou qu’ils reçureht par voie de tradition. L’hyperbole de Tertullien devint pour eux une des données du problème, mais contrariés par l’ensemble des faits, ils tombent souvent dans de surprenantes contradictions.

L’erreur relative au nombre' des chrétiens s’établil donc dans l’histoire comme une vérité reconnue, et il faut arriver aux temps modernes pour apercevoir la a Le titre de Servut Dei Ecckùte catholicœ toto orbe diffusât ne fut pris ha* bituellemenl par les clercs qu’à partir du milieu du cinquième siècle.

’9* critique faisant pénétrer quelques lueurs de lumière dans les éléments de ce problème si difficile à résoudre. Tillemont cite le mot de Tertullien sans l’accom­pagner d’aucune observation, d’où l’on peut conclure qu’il n’était pas éloigné d’admettre l’opinion de ce père de l’église africaine*.

D t                        t. III, p. ii 5,

Selon l’historien Lebeau, sous Dioclétien la multi- 8o5. tude des chrétiens pouvait balancer les forces de tout l’empire®.     »T.i,p.i5.

Spanheim est à ma connaissance le premier savant moderne qui ait entrevu et signalé l’erreur de ces éva­luations. En traitant du règne de Julien il dit3 : Gen- opp?pnrf. tiles tamen numéro longe adhuc prcevalebant. p* ’•

. Mosheim en parlant du règne de Constantin dit qu’à cette époque muliitudine ac numéro deorum cultores 4 Rebuj chrislianis longe superiores fuisse^.    ch^^nte

Labasfie, dans son quatrième Mémoire sur le sou- p. 979- verain pontificat des empereurs romains, n’accorde à la religion chrétienne que le douzième ou peut-être le vingtième de la population totale de l’empire sous ^e $Ae>d règne de Constantin3. Gibbon adopte cette dernière inscript, évaluation et s’efforce de l’appuyer sur quelques cal­culs6.

5          Acad, des

t.XV,p". 77.

6          Hist. de la Décad.t.IU, p. I2i-i3a.

7 P. 73.

M. Stuffken admet qu’au commencement du règne de Théodôsé magna GentiUum supererat multitudo 7, et qu’à la fin de ce règne ingentem Pqganorum mul- titudinem superfuisse*.

8 P. 95.

« Le seul fait que nous voudrions établir, dit l’auteur d’une Histoire de l’église chrétienne publiée récem­ment 9, est celui qu’au moment où Constantin embrassa la cause des chrétiens, les païens formaient encoee<une notable minorité dans l’empire, et qu’en évaluant à

9 Matter.

1.1, p. 120.

une trentaine de millions les diverses populations qu'il gouverna, le cinquième au plus . professait le chris- tianisme quand il publia son édit de tolérance. »

Le même auteur nous apprend qu'un rapport pré­senté à la société biblique d'Angleterre fixe à cinq millions le nombre des chrétiens à la fin du troisième * id. p. Ï19. siècle 1 ; ce chiffre est plus élevé que celui résultant des calculs de Labastie et de Gibbon.

Je 11e pense pas que l’on puisse commettre une erreur grave en admettant ces évaluations; cependant, je ne me crois pas, pour ma part , autorisé à me déclarer en faveur de l'une plutôt que de l'autre. Il me semble au contraire que le meilleur moyen d’arriver à un résultat vrai, est de ne point sortir des généralités et de se contenter d'une évaluation approximative. Je vais donc simplement prouver que pendant le cinquième siècle le nombre des païens était encore très •consi­dérable. On comprend' les conséquences de cette dé­monstration relativement aux quatre siècles qui pré­cèdent celui dont nous nous occupons.

Lorsque saint Augustin disait que de son temps les idoles n'avaient plus pour adorateurs que les habitants de Rome et quelques occidentaux, il s'abandonnait à l'empire des illusions, ou il raisonnait d'après des ren­seignements très-peu exacts; Les Gaules, la Germanie et la Grande-Bretagne étaient des provinces païennes dans lesquelles le christianisme commençait, il est vrai, à se répandre, mais difficilement et avec une grande lenteur. S'il avait plus de succès en Espagne, certes il n'y dominait pas. Les villes de l'Italie appar­tenaient sans doute au christianisme, mais dans le nord comme dans le midi de cette contrée, les cam-


193 pagnes et les pays de montagnes persistaient obstiné­ment dans leur attachement aux anciennes croyances. La Sicile ne fut réellement conquise par le christia­nisme que vers la fin du cinquième siècle. Quant à l’A­frique, il est certain que les chrétiens y étaient en minorité. Tous ces faits, je me borne à les énoncer, parce que la vérité des uns a déjà été démontrée et que, celle des autres te sera plus tard. Je le demande maintenatit, comment croire que l’ancien culte n’avait plus pont défenseurs que tes Romains et un petit nombre d’Occidentaux ? Si les partisan^ de l’er­reur eussent formé une faible minorité, comment aurait-on pu , ainsi qtfe 1e dit saint Ambroise , en convertir tous les jours des milliers ? Une si énorme soustraction ne s’opérait pas, sans doute , sur un nombre imperceptible, tel que celui indiqué par saint Augustin.

Prouvons que tous > les écrivains chrétiens ne comptaient pasteurs adversaires de la même manière que l’évêque d’Hippone.

Salvien oppose aux Francs connus pour leur facilité à sie parjurer, les chrétiens dont la parole n’est pas

* 1                    '      .1     .       ,       r . ,            ,'DeGtiber-

plus siure, et il ajoute t Çuid mirum hoc barbari nati.iv, ita credtm^qui legem et&eamw$ciunt,curnmajoré'87 fcre Ramàtii nominis pôrtio ita existimet, quœ peo* carc novit? Voici dôno tes chrétiens qui, opposés aux barbares et aux païens par un écrivain posté­rieur à 6aintAugustin, ne sont plus que major fère Rommi honlüus partie. Le prêtre de Marseille n’ose pas affirmer qu’ils soient supérieurs par le nombre aux païens; dans son opinion les deux religions ont à peu près la meme quantité de partisans, ou bien si te

II.              i3 *


christianisme l’emporte, c’est de très peu, major fere.

L’auteur d’un livre De vera et falsa pœnilentia, faussement attribué à saint Augustin, mais écrit pen­dant qu’il vivait, blâme les gens qui par cela seul qu’ils sont chrétiens se regardent comme assurés de leur salut et ne font rien pour le mériter : « Putant Ang. Opp.        .                    .  - ,   ,

iv,5i3c. nemm, ajoute-t-il, omnes chrislianos paucos esse « in multitudinegentiumet judœorum'. «L’écrivain chrétien ne dit pas que ce calcul soit faux, il cherche seulement *à prémunir les chrétiens négligents contre les conséquences qu’ils veulent en déduire, car ils ajou­taient: n-Quare etsi omnes salvantur credentes,pau- « corum tamen est- eiectio in tanta multitudine. » Ainsi les païens et les juifs sont tanta multitudo, lorsque les chrétiens ne sont plus que paMci. Re­marquons que l’auteur anonyme nous présente ee fait non comme une observation qui lui est propre, mais bien comme une objection habituellement employée par les mauvais chrétiens pour excuser leur insou­ciance.

L’assertion de saint Augustin est donc peu fondée relativement à l’Occident; quant à l’Orient, elle me paraît l’être beaucoup moins encore. En effet il n’ad­met pas qu’il y ait de païens dans cette partie de l’em­pire ; Romani etpauci Occidentales, tels sont les seuls amis des idoles qu’il aperçoive.

Il est naturel de porter nos regards sur la capitale de l'empire d’Orient et de rechercher s’il existait en-

a Cantium a évidemment ici le sens de Gentiüum; car si Gentium s’appli­quait à toutes les nations en général, les Juifs auraient été compris dans cette dénomination, et l'auteur se serait cru dispensé de les citer nominativement. core des païens dans cette cité fondée, dit-on, selon dçs vues purement chrétiennes.

Saint Jean Çhrysostôme monta sur le siège épiscopal de Constantinople en l’année 398. A peine installé, il s’occupe de régler les dépenses de son église, et cher­che à faire tourner au profit des pauvres des sommes . jusque-là mal employées. Il met sous les yeux des riches plusieurs calculs, et dit1 que si tous les païens >Opp.t.ix, vendaient leurs-biens, on obtiendrait certainement un, deux, peut-être trois millions de livres d’or, < car il « y a bien cent mille chrétiens dans cette ville ; le reste < se compose de juifs et de païens ( xa* &lo « vœv xai lou^aluv.) »

p.®3.

Selon Sozomènes, Constantinople, en l’çm- portait sur Borne par ses richesses comme par sa po­pulation Zosime confirme cette assertion3. Qn peut donc donner à la capitale de l’Orient environ quatre cent'mille habitants j car, au commencement du cinr quiéme siècle,, Rome elle-même n’ayait pas pne popu­lation moindre; et nous arrivons à cette conclusion, que dans la capitale de l’Asie', dans-cette ville fondée sous l’inspiration d’idées anti-païennes, les chrétiens ne formaient pas le quart de la popula­tion totale 4.

«II, a. 3 n, 36.

4 Cf. Muller If 34 if» Sluiïken, p. 100.

Si de Constantinople nous passons à Antioche,. jp.us trouvons, il est vrai, moins.de païens, mais nous ç# apercevons $açoj*e. Selon, sajnt Jean Çhrysostôme, la multitude des fidèles, surpassait dans cette ville le nombre des juifs et des païens. Cependant les chré­tiens ne formaient encore que la plus, grande partie de la population, -co «X4ov tV       5.

5 T. I, p. Î9’>

Il est aisé fie voir., malgré tout ce que disent les .his-

, i3.


196      LIVRÉ IX. ItONdhtüS.

toriens ecblésiastiquèsy que lefe païens étaient plus nombreux à Alexandrie que les Chrétiens ;• Car dans les combats qu’ils livraient les uns aux autres l’a- Vantage restait toujours aux premiers, et les chrétiens ne reprenaient le: dessus qu’au moyen de l’intervention ’Stuffken, des soldats1.

P  Gaza était une ville purement païenne, ün chambel-

’ ' ’ lan de la cour impériâlé, sollicité par Porphyre évêque de Gaza, prie l’impératrice Eudoxie d’obtenir d’Arca- diùs la permission de renverser les temples de cette ville. Arcadius répond qu’il ne peut y consentir, pàrcé que la destruction des temples ferait fuir les païens et ttrum.aT" que Gaza resterait dépeuplée3.        -

fe|‘4Pj_^2 ’ **• Le paganisme aboli dans la Basse-Égypte par Théo- do$e maintint dans la Haute jusquë vers le milieu 3utr^ne, du sixième siècle5.

P  On voit donc qu’en Orient le nombre des païens

était encore très-considérable, et qu’il n’est pas per­mis d’admettre la proposition absolue de saint Au­gustin.

' Si de l’examen du petit nombre de faits que les écri­vains fournissent bn s’élève à la considération générale de l’époque , on acquiert la conviction que le parti païen formait dans les deux empires une secte aussi redou- '’’ ' table par le nombre de ses soutiens que par son opi­niâtreté. Comment concevoir que les conciles, les em­pereurs et les plus célèbres 'docteurs chrétiens se se­raient coalisés contre quelques fanatiques qui auraient été dignes tout au plus de leur dédain ? Saint Augustin l’écrivait apparemment pas sa Cité de Dieu pour les .    „ habitants de Rome ni pour quelques Occidentaux.

Si nous pénétrons dans ^intérieur des familles, nous

CHAPITRE Xlll.

>97 y aper#eyqn% qqe diversité $le eroyancps religieuses e| une sorte de lutte intestine qui établissent çfeir^neiU la force numérique des païens»     •,.■■■: i

Tertullien avait dU dans le sens figuré : Fiiwt MHl nascuntur chrtàiani/ saint Jérôme s'empare, cqeuuw nous l’avpns vu1, de ce mot, mais, il I emploie au ;po- sitif ; il énonce en parlant à Læta un fait dont cette illustre dame trouvait dans sa propre famille deux preuves sensibles, puisque son père était encore ppqtife des idoles, et qpe son mari axait été longrtemps remar­qué parmi les plus ardents détracteurs du christia­nisme. Si, au cinquième siècle, on ne naissait pas chré­tien , ç’est-à-dire si le christianisme n’était pas encore assez profondément enraciné pour se transmettre san^ difficulté du père au fils, si enfin l’église comptait air tentivement les conversions qu’elle obtenait, elfe n’a­vait donc pas. atteint le but de ses. efforts, car la lutte durait toujours : il faut qu’il y ait .guerre pour que |’o* calcule les pertes de l’ennemi,. ,        -,. H

« p. 95.

Le principe posé par saint Jérome trouve dans l’histoire de nombreuses applications*, et en y ré­fléchissant on conçoit qu’il ne pouvait guère en être autrement. Constantin imprima à la destruction du paganisme un mouvement rapide, mais il ne put, par l’effet de sa seule volonté , changer les idées de ses contemporains, renouveler leurs mœurs et anéantir brusquement tous leurs préjugés. Cette œuvre apparte­nait au temps ; il fallait les efforts de plus d’un siècle

.* Saint Paulin, saint Aper, saint Hilaire, sainte Olympiade, saint Hono­rât, saint Martyr, saint Alexandre et peut-être même saint Jean Chrysos- tôme appartenaient à des familles païennes.

Ïg8      LIVÀE IX. BONÔftlUS.

pour conduire le christianisme à être véritablement la religion universelle.

Les recherches auxquelles je dois encore me livrer prouveront qu’il existait au commencement du cin­quième siècle un noriibre considérable de païens ré­pandus dans toutes les provinces de l’empire romain. Quand la victoire du christianisme ne fut plus dou­teuse, quand cette religion maîtresse du présent fut assurée de l’avenir, alors ses chefs considérèrent froi* dement les passions, les erreurs et le nombre de ses adversaires; ils crurent inutile d’enhardir les chrétiens en diminuant arbitrairement la puissance de leurs en­nemis, et la réalité fut publiée parce qu’elle n’avait plus rien de décourageant. Il est assez curieux de re­marquer que les écrivains et les orateurs chrétiens des cinquième et sixième siècles semblent, dans leurs écrits et dans leurs discours, accorder au paganisme plus de force réelle et un plus grand nombre de partisans que leurs prédécesseurs du quatrième siècle.


LIVRE DIXIÈME.

VALENTINIEN III.

------       —i aHH'W"" 

CHAPITRE PREMIER.

Considérations générales.

L’histoire dé la destruction du. paganisme en Oc­cident se divise en trois époques dont les limites sont faciles à reconnaître : la première comprend les règnes de Constantin, dé Constance, de Julien, de Jd- vien et de Valentinien. Pendant sa durée les empé-t reure chrétiens-s’appliquèrent'à faire régner datlsieuts états une liberté complète des culteis, moins par res­pect pour le principe de la tolérance religieuse, qu’âfin de diminuer- l’étdndue des prérogatives dont jouissait l’ancien culte national et les périls d’une si grave tran­sition. La seconde période est remplie par les règnes de Graiien-, de-Théodose et d’Honorius. Assurés dtf triomphe', ces princes rejettent les ménagements gardés par leurs prédécesseurs; et après avoir détrôné ,1e paganisme, ils le réduisent à ne plus avoir d’autre asile que la eouseience individuelle. La troisième pé­riode commence au règne de Valentinien III, et se prolonge jusqu’à celui de Charlemagne : pendant sa

200     <JVBE HL VALENTINIEN 111.

longue durée on admire les efforts des souverains , des conciles, des papes et-des évêques pour détruire une multitude d’usages K décrites et de superstitions ré­pandus dans toute l’Europé par la- religion des Ro­mains. Deux de ces époques viennent d’être décrites. On a vu le principe de la liberté des cultes implanté dans l’empire romain se développer graduellement et amener enfin la chute, d’upe, religion, que sa vieillesse et les attaques du christianisme avaient sans doute fort affaiblie, mais qui cependant régnait encore par les mœurs sur un nombre très- considérable de citoyens. La politique des premiers empereurs chrétiens, d’abord timide et circonspecte, puis plus décidée et enfin ou­vertement hostile, est dans ses diverses phases un véritable, modèle d’habileté. Refuser à cette politique si bieu appropriée au caractère des époques, le mérite d’avoir décidé te triomphe des doctrines chrétiennes ; supposer que . ces doctrines auraient pu devenir aussi prompteiftept dominantes sans son secours j ce serait méconnaître tes obstacles que suscitent toujours À la propagation . de Ja vérité Jpa préjugés t. l’igno^ raqce et la crainte du changement. Si? Constantin et Théodose avaient été ennemis de la vraie religion autant qu’ils le furent de la fausse, le christianisme n’en serait pas moins parvenu àu degré de< grandeur que hientàt noüSr le verrons atteindre, taiais il aurait eu encore hien de$ jours funestes à traverser.;,d’autres Dioclétien. ,et plus,, d’un Julien se seraient sans doute présentés sinon pour ^fréter, au moins pour ralentir ses; progrès, Constantin et ses successeurs ont hâté de plusieurs ; siècles la ruiné du paganisme: cette vérité çst incontestable* Maiâicé grand événement était dans

CHAPfTBB V !   .       fcOf

les décrets de la Providence long-temps* avant le fils de .Constance Chlore eût déserté les'autels dbÿ faux dieux. La lutté religieuse dont nôus venons'de décrire Jes deux premières époques témoigne claire­ment que. l’ancien culte disposait seulement de^ce reste de force dont jouissent, presque jusqu’à l’irtstarit de leur mort, les religions qui ont, pendant une lon­gue suite de siècles, dominé des nations puissances: Si j’insiste sur cette vérité, que les premiers1 empereurs chrétiens ont renversé une religion déjà affai­blie par sa corruption et sa vieillesse, ce n’est pas qué je prétende diminuer la grandeur des services rendu» par ces p inces à la cause de la vérité ; mais on a émis sur ce sujet des opinions si étranges, si complè­tement fausses, qu’il était de mon devoir de saisir l’occasion de les exposer et de les combattre.

Un écrivain, qui a exercé quelque autorité dans les discussions théologiques du dix-septième siècle, mais qui, bien que protestant, connaissait assezpeu oudé-* naturait l histoire des premiers siècles de l’église, Jurieq prétend que sans le* empereurs chrétiens le paganisme existeraitencorea^/bz/n/’Àrz/. Si cette pernicieuse erreur était restée cachée dans des ouvrages que personne ne fit plus, je n’aurais certes pas pris la peine de' l’exhu** mer; mais ce que je meserais interdit de faire, Bayle l’a fait, et en plaçant le;paradoxe de Jurieu dans son Dictionnaire historiquer, il lui a dopné une publicité « v® Maho- durable contre laquelle il m’est commandé de <ré-meL note °’ clamer.

« Peut-on nier, dit le ministre protestant2, que le 2 Droits des « paganisme est tombé dans le monde par l’autorité rams, « des empereurs romains? On peut assurer sans témc- p


«rite que le.paganisnie serait encore debout et que « les trois quarts de l'Europe seraient encore païens, si « Constantin et ses successeurs n'avaient employé leur « autorité pour l’abolir. »

. Cette idée lui paraissait si juste, si bien prouvée et > Tableau 8* u conte8table, qu’il la reproduisit dans un autre du Mcinia- ouvrage, où il dit1 : « Sans l’autorité des empereurs, * il est indubitable que les temples deJupiter et de Mars «.seraient encore debout. ».

. J’ai déjà eu , dans le cours de cet ouvrage, bien des fois l’occasion de montrer que le paganisme, au çom- mencement du quatrième sièclé, avait une existence purement factice, qu’il tirait cé qui lui restait de force de l’habitude, ét que la possession faisait toute sa puissance. Ses plus chauds partisans lui restaient fidèles, moins par ud sentiment véritable de piété que pâr haine contre le christianisme; ét les dééots païens, tels que l’empereur Julien et Symmaqué, tom­baient dans le décduragementquand ils considéraient le peu de foi réeilë de ceux dès. citoyens de l’empirequi semblaient partager leurs illusions. Où donc l’ancien culte, si décrié dans l’esprit même dé ses défenseurs, au­rait-il puisé cette vitalité nécessaire pour parcourir h longue carrière qui restait ouverte devant lui .si Con­stantin n’eût pas abjuré? Ce prince, en se convertis* sant, multiplia les périld qui pressaient le paganisme, ' mais il ne les fit pas naître ; et s’il ne s’était point con­verti, aurait-il pu empêcher que les croyances hellé­niques et les rites nationaux eussent perdu leur empire sur les consciences, et fussent par conséquent destinés à une. destruction plus Ou moins prompte ?

Lorsqu’une religion porte en elle-même sçs prin-


CHAPITRE I.

îo3 capes de vie, elle révèle sa puissance en dépit des lois et des princès. L’histoire même de la destruction du paganisme offre une application frappante de cëtte vérité. L’ancien'culte,qui ne fut défendu par les clas­ses élevées de la société que dans des vues d’intérêt , était puissant dans les campagnes; là il trouvait des con­victions sincères, un dévouement complet, et du fana­tisme au besoin : aussi lés lois des princes chrétiens et les efforts infatigables de l’église, furent, pendant plu­sieurs siècles, insuffisants pour déraciner du cœur des paysans l’amour des superstitions païennes. Si toutes les classes de la société avaient été autant que celle des habitants des campagnes attachées, aux anciennes er­reurs, ces erreurs seraient maintenues malgré Constantin et malgré Théodose. Beaucoup de causés concoururent à renverser le culte romain ; mais - là première de toutes, celle qui fit naître les autres, fut la décrépitude de cette religion.

La ruine des institutions religieuses du paganisme ne fut donc pas une œuvre très-difficilé à accom­plir, et le succès de l’entreprise n’a pas été un mo ment incertain; la durée de la résistance ne dut même pas excéder de beaucoup les prévisions des princes chrétiens. Lorsque Gratien dépouilla le sacer­doce , quand Honorius ferma les temples, il y eut de l’agitation dans l’empire et beaucoup de plaintes, mais en définitive le sacerdoce resta, dépouillé et les temples demeurèrent fermés. Quand s’est agi de répandre le christianisme dans les campagnes, au milieu d’une population grossière, cruelle et pleine d’un amour sauvage pour ses dieux,' alors la conscience et les mœurs firent 'résistante , et on he parvint à les

?q4      LIVRE X. VALENTINIEN 111.

dompter qu’en usant des plus/grande, ménagements. Pour, traverser,je culte' extérieur des Romains,' ce > Lactent de culte damnatus qefujitate1, il ne fallait que,de la dé- Mort. c. ii. cphabifeté; L’assertion de Jurieuest donc# SQüs quqlque aspect qu’on l’envisage, ünfe hérésie fiia^ torique très-condftmtiable. 1

Le règne, de Valentinien III est le point de départ d’une lutte nouvelle entre; le; christianisme et l’ido- latrie. Le paganisme considéré comme institution religieuse> et ayant à ce titre# des temples, un sacerdoce et des richesses, n’existe plus. Cependant pii trouve encore partout des païens; et telle est l’pbstination de ces derniers partisans de l’ancienne erreur qu’ils sont déterminés à ne tenir aucun compte de tout ce qui a été fait contre leur religion depuis le règne de Constantin jusqu’à celui d’Honorius.. On 3 dépouillé les temples et les pontifes : ils se passeront de temples et de pontifes et mettront le pouvoir politique dans le cas de déclarer la guerre aux consciences, guerre dangereuse que celui-ci aura la sagesse de ne pas entreprendre. Qn voit combien une religion si af­faiblie et sj corrompue qu’on la suppose est habile à se métamorphoserai par quels moyens variés elle sait s’at­tacher au* mœurs, c’est-à-dire à l’élément soçial qui se prête Je moins aux modifications.; $aint Augustin a eu raison de dire que le paganisme ne pouvait être détruit qjïe lentement, peu à ;peu, paulatun atque alterna- 3iii, 7 «. tim\ Cette vérité ressort de tout ce que j’ai dit, elle ressortira davantage encore de ce qui me. reste à dire.

Pendant tout l’espace de temps embrassé par le règne de. Valentinien III;, c’est-à-dire depuis l’année jusqu’à l’an Zp5, l’ancien culte se montre à nous

CHAPtTAÉ I.

uo5 sous deux aspects différents : dans CeHgins éndrôits il se condamne à une existence secrète; en d’autres il persiste à sfr montrer au grand j$ur, et Ue fait'pas âüx circonstances et aûx lois rendues contre lui la plus légère concession.

“ A Rome et dans les autres grandes villes , lé paga­nisme placé sbùS la surveillance des magistrats, et continuellement exposé aux attaques des chrétiens, se retire dans l’intérieur des familles, il devient pour ainsi dire ésotérique. Saint Augustin parlait des par­tisans de ce nouveau paganisme lorsqu’il disait1 : « Quand ils veulent sacrifier, ils cherchent un endroit « pour se cacher. » Ils se cachaient, mais ils sacrifiaient; ce qui montre que les lois des empereurs comman­daient -aux actes extérieurs et non aux consciences, qu’en un mot elles avaient, comme on l’a déjà dit, devancé les mœurs. Cette situation humble et embar­rassée de la religion païenne était-elle contraire à la nature de ce culte ? Le paganisme avait-il besoin du grand jour pour respirer et pour vivre? Je vais répon­dre à ces questions.

T.rv, p. 167 a.

L’essence primitive du paganisme était purement cé­rémonielle. Ce culte imposait à ses sectateurs non dés doctrines mais des actes extérieurs. On s’appliqua d’au­tant plus à les multiplier qu’ils n’établissaient entre les hommes qu’un lien assez faible ; ainsi il y eut des cé­rémonies publiques auxquelles le peuple et les magis­trats prenaient part, et qui paraissaient ordonnées dans Une pensée politique plus que dans une intention reli­gieuse. En assistant à ces fêtes solennelles, le.citoyen témoignait de son amour pour la patrie, car il deman­dait aux dieux une seule" chose, d’aügmenter la


gloire de la république. Ce culte patriotique, quelque noble qu’il fût, ne pouvait pas suffire aux Romains, car l’homme ne vit pas seulement sur la place pu­blique, il est citoyen par circonstance, il est homme partout et toujours. Un culte privé qui se célébrait dans l’intérieur des familles s’établit donc. On trans­forma le foyer domestique, en un autel sacré dont le père était le pontife; et les sentiments les plus purs, ceux qui sont nécessaires au bonheur de l’homme, les seuls qui le rendent vraiment sociable, trouvèrent leur ' sanction dans un culte secret qui échappait par sa na­ture à l’influence du pouvoir et aux règlements de la société. II n’était donné qu’aux affections particulières et aux mœurs privées d’influer sur son existence. Ce culte embrassait un grand nombre de divinités, mais à leur tête se placent les Lares et les Pénates, dieux que l’on a eu tort de prendre pour de simples gardiens du domicile, car leur caractère noble et élevé comprend les attributs de la Providence, et pourrait presque servir « Religions ® d’élément à un système religieux. « Où des

del’Antiq. «hommes habitent ensemble, dit Creuser1, un génie tie,’p.4tG « invisible est présent. Ce lien si cher qui nous attache «au pays natal, ce sentiment.sacré qui fait battre « notre cmur au nom de patrie, sont l’un et l’autre «sous la protection d’un Génie. La maison paternelle . « et ses doux souvenirs,.ce toit tutélaire qui nous a vus « naître et à l’abri duquel’ nous nous sommes élevés, « cette douce habitude, cette familiarité confiante que « nous avons avec les lieux , connus dès'notre enfance, « cette paisible jouissance des biens.que nous tenons « de nos pères, toutes ces idées et leurs moindres « nuances sont renfermées dans le mot Lor, signifiant


CHAPITRE I.

QO7 « maître et seigneur, ou, comme on dirait ici, pro- « tecteur de la famille.

« Cette notion des Lares, comme celle des Pénates, «avait pénétré fort avant dans les croyances religieuses «des Romains. 11 y avait cette différence entre les uns «et les autres, que tandis que les Lares passaient pour «les protecteurs du foyer domestique, les gardiens et «les conservateurs des biens de la famille, les Pénates «étaient les puissances cachées d’où découlaient ces «biens et toutes les prospérités de la maison.

« Les Pénates privés étaient honorés dans l’intérieur «de la maison, sur le foyer où le feu brûlait pour eux «comme pour Vesta, comprise elle-même au nombre «des Pénates.... Les Pénates sont les dieux par qui «nous respirons; qui régissent notre vie physique et «les lois les plus intimes de notre existence; qui nous «accordent la nourriture, le revenu, l’avoir, quiéten- «dent sur toute l’enceinte du domaine leur influence «féconde; qui allument la flamme du foyer et par elle «nous prodiguent lesbiens de la plus douce aisance. »

Le culte des Lares et des Pénates était donc une sorte de religion; car les attributs de la divinité se trouvaient personnifiés dans ces dieux domestiques, qui garantissaient aux hommes le triple bienfait d’une famille, d’un foyer et d’une patrie, c’est-à-dire la réu­nion des seuls biens que la .créature puisse, dans ses prières, demander au Créateur *. Les autres divini­tés du paganisme ne représentaient sous des formes variées, agrandies ou appropriées aux traditions na-

a De Diis qttoque Romanorum propriu, id est , Penatibus.... Macrob. Set. III, 4. Cf. Denys d'Halicarnasse. Anf, Rom. 1.1, c. 58.


» Oral. IV, p. 49 c-

’ Servies Æneid. 1, J v. 335,

tfonales, que cette seule et grande pensée qui avait donné naissance au culte des Pénates.

Pendant le quatrième siècle, les partisans éclairés de l’ancien culte regardaient les cérémonies extérieures comme un accessoire plutôt politique que religieux, et très-inférieur en moralité au culte saint et pur de la famille, Themistiust après avoir parié des païens qui faisaient de longs pèlerinages de dévotion, ajoute1 : « Je ne ctois pas moins dignes de louanges ceux qui « remplissent dans l’intérieur de leurs foyers les rites « et les cérémonies sacrés des dieux. » Les néoplato­niciens avaient même condamné les sacrifices, san­glants qui n’étaient réellement d’étroite observance qu’à Rome \ Au reste, le mot sacrÿfcium n’entraînait pas toujours l’idée d’une immolation car on sacrifiait (sacrifâat&r) à Vénus de Papbœdans l’île de Chypre en lui offrant de l’encens et des .fleura \ Les princes ’chrétièna d’Ocdufont, quand ils rendaient des fois contre les sacrifices, n’entendaient parler que des im­molations de victimes.

. a Théodosg comprenant rûnÿortance 4e ce paganisme secret, avaitditen 39a ( Cod. Th. VI, 272 ),: « NuUus..„, 'sel secretiorepiaculo, Larem igné,

*         mera Geninm, Penates nidore veneratus, accendat hmuna, imponat fhura,

«4Cfrla: rieprariM:* Teilea étaient en. effet les «érémouÎM du coite de te famille.     . *

Saint Augustin n’a pas négligé de constater cette transformation du paga­nisme1: '« Cùr,'ego inqtiam, et nunctüliâ clancidofilent qtué vtdperpeMo deUte* vd(tepf^wapwduntür*J Contré hop dicium>cst>iWKiomnm

« non fieù. Sa^ra enim illa9 inquit, non fiunt quee ponùficalibus conecripta « sunt libris..... Si quid autem nunc prohibitorum sacrificiorum fit occulte atque «Otitito, non estilU pontificaÜ sacrificiorum generi compecandumi sed in eo

*         deputandum quod etiam nocturno fit tempore, cum hœc omnia illicita ipsis « pontificalibus libris certum sit prohibera atque damnari, » III, 321 b.

I«s loû readuesdi Orient contre le pçanMCMéwlériqne wm nombreuses et très-sévères.

Le culte national pouvait donc prolonger son exis­tence par ce moyen détourné. Toutefois, le caractère des païens nous est assez connu pour que nous puis­sions prévoir que la religion dépouillée de son prestige de puissance et dé richesses, rendue pauvre et timide, n’exercera sur les esprits qu’uné influence peu durable. Il faut qu’un peuple ait un grand fonda de moralité pour que le culte domestique , ce culte qui n’admet ni temples dorés, ni cérémonies pompeuses, ni hiérar­chie sacerdotale, puisse satisfaire aux besoins de son âme ou à ceux de son imagination : tel n’était pas le peuple romain pendant le cinquième siècle. Le carac­tère nouveau que revêtit le paganisme à cette époque, fut pour ce culte non un principe de régénération, mais une voie pour passer avec moins de douleurs de l’agonie à la mort. Cette facilité à se métamorphoser et à prendre le rôle le mieux approprié aux circon­stances montre combien cette religion avait été pour­vue d’éléments de vie et qu’un publiciste de nos jours a eu raison de dire que le polythéisme romain peut être considéré comme le polythéisme porté à son plus haut point de perfectionI.

1 Benjamin Constant, t. I, p. 5i.

Dans les cités du second ordre, dans les villages et surtout dans les campagnes, les lois contre l’ancien culte étaient restées inefficaces» Là l’encens fumait sur les autels, et les sacrifices avaient lieu selon le rite païen; là on rencontrait encore des pontifes revêtus de leurs insignes et célébrant publiquement les mystères des faux dieux, et le villageois dédaignait de s’enfermer dans sa demeure pour témoigner de son attachement aux vieilles pratiques nationales. Si nous calculons approximativement le nombre auquel s’élevaient les

n.             14*


habitants des campagnes, nous nous formerons une idée assez précise de la force réelle du parti païen, et il sera dès lors facile de comprendre pourquoi les écri­vains chrétiens de ce temps parlent si souvent des Gentils et les représentent comme formant encore une agrégation redoutable*.

Entrons dans l’analyse des faits qui se rapportent àu règne de Valentinien, et mettons^les ai relation avec le sujet qui nous occupe.

a On ne peut pas douter qu'au commencement du cinquième siècle les ha­bitants des campagnes ne fussent, en Occident, restés fidèles au paganisme; mais cette vérité étant plutôt sous*entendue que elairemeut indiquée par les écrivains chrétiens, je vais l’appuyer sur un témoignage positif. Nous possé­dons un petit poème bucolique, intitulé De mortibus boum, dont l’auteur, Endelechius, vivait certainement dans la première moitié du cinquième siècle. Ce poème, souvent imprimé et commenté, vient de l’être de nouveau et avec beaucoup de soin par M. Piper, à Gœttingue, ip-8*. Le sujet choisi par Endelechius est très-simple : trois bergers causent entre eux sur les ma­ladies qui attaquent les bœufs ; l’un de ces bergers qui est chrétien dit que le plus sûr moyen de garantir ces animaux contre la peste est de placer entre leurs cornes

Signum, guod perhibent esse crucis Dei, Magnis gui colitur solus in urbibus.       (V. 106, p. i3o.)

Ainsi, pour ce poète chrétien, le Christ n’était que le dieu des grandes villes.


CHAPITRE II.

État des païens sous le règne de Valentinien III.

Honorius étant mort, un officier de l’empire, nommé Jean, s’empara de la pourpre. Cet aventurier n’avait pas même eu l’honneur d'être porté au trône par les soldats, il tenait son pouvoir de la populace de Rome. Théodose II, qui gouvernait encore l’Orient, excité par Placidie sœur d’Honorius,* marcha contre Jean, lui arracha sa pourpre et en revêtit le jeune Valentinien, fils de cette même Placidie et de Constance IP.

On sait .vaguement que pendant son règne Jean, montra des dispositions peu favorables au christia­nisme. Il avait été un des fauteurs de l’entreprise d’Attale, et il reçut même de ce ridicule empereur la charge de Primicier des notaires. Il n’est pas défendu de penser que les idées de cet usurpateur inclinaient vers les idoles; rien n’indique cependant qu’il ait fa­vorisé leurs adorateurs.

Honorius comparé à Valentinien III était un héros. Le fils de Placidie laissa régner sous son nom tantôt sa mère, tantôt le célèbre Aëtius, et s’effaça de la scène du monde encore plus que son prédécesseur.

Le 9 juillet 4^5, Placidie rendit une loi1 en vertu T Append. de laquelle les païens ne pouvaient plus être admis niad

a C’est de ce Constance, général sous le règne d’Honorius puis empereur, qu’il est dit dans une inscription : Rabidos contra fluctus gentesque nefandas, Constant! mnrum nominis opposuit (Muratori, p. 692, n° 3). Je ne sais qui de Constance ou des barbares dut éprouver le plus de surprise en lisant ce témoignage de l’admiration des Romains.

dans le barreau, ni aux emplois militaires, et qui leur interdisait de posséder des esclaves chrétiens.

Les lois semblables à celle-ci étaient si souvent violées le lendemain de leur promulgation, que je puis regarder comme superflu de faire observer que Rufius Venerius Volusianus,partisan si zélé de l’ancien culte qu’il ne consentit pas à l’abandonner avant l’instant «Tiliemont, sa mort, fut nommé préfet du prétoire en 429ia. Je citerai une seconde exception : en l’année 4^9, l’armée romaine, chargée de faire lever le siège mis devant Arles par les Goths sous les ordres de Théo- doric, avait pour général Littoriu6 qui s’était illustré par une belle victoire ; mais qui succomba misérable­ment pour avoir, dans une circonstance décisive, ac- ’Baronins. cordé trop de foi aruspicium responsis*. La cause de Anmiâg, s® défaite et de sa mort excita la juste indignation des S 16,17,18. chrétiens.

Cette infraction à une loi récente doit d’autant moins

• surprendre que, dans l’Orient où les lois contre les amis des idoles étaient inexorables, Théodose II ne pouvait parvenir à exclure les païens des charges pu­bliques. Plutôt que d’avouer son impuissance et que de reconnaître l’énergie des mœurs païennes, il dé­clarait dans ses lois qu’il n’existait plus de païens en Orient : Pagani si supersunt.... Paganos qui super- |3sunt> quanquam jam nullos esse credamus *............................................

. 1. aa. ’ Cependant il y en avait encore dans son palais et de très-puissants b.

a V. Tiliemont, Mêm. Eccl., XIV, 249, sur la conversion tardive de ce personnage, qui paraît être le même que celui dont nous avons rapporté la discussion avec saint Augustin. V. p. 8a.

b Le commandement de llle de Chypre fut donné à cette époque à un païen nommé Cyfus (Evagrius, III, 19) qui de là s'éleva aux premiers hon-


1. 63.

Te 4 août de la même année, une loi fut rendue contre tous les ennemis de l’église Cette loi est adres-1 l. 16^, t. 5, sée à Georgius, proconsul d’Afrique. « Nous proscri- «vons les superstitions des gentils, faisait-on dire à « l’empereur. Que les auteurs, fauteurs et adhérents de S la superstition sacrilège soient frappés de proscrip- « tion, afin qu’à défaut de la raison, la terreur les éloigne « de l’erreur perfide. » Sans doute cette loi ne fut pas non plus exécutée. Que signifie cette peine de la déporta­tion prononcée contre une multitude de païens répan­dus dans tous les pays de l’Europe ? Cependant nous devons tenir compte de cet édit, car il établit en droit la criminalité des actes publics et privés du culte païen. Honorius les avait prohibés, mais sans joindre à sa prohibition une sanction pénale, Valentinien prononce la déportation. Honorius attaqua les actes et non les auteurs de ces actes; Valentinien non seulement in­terdit les actes, mais punit encore les auteurs. Les lois prohibitives suivaient donc une progression naturelle, et il ne leur manquait que d’être en rapport avec les mœursa.

Une loi du 7 avril 4^6*, décide que les chrétiens ’id-M» qui sacrifieraient aux idoles (quinomen christianita- ’7neurs : il fut chef des deux milices, préfet du Prétoire, consul désigné, pré­fet de Constantinople, patrice et consul ordinaire en 441. On voit que Baronius a eu raison de dire de lui : Ethnicus homo fuit, sed natura dezter- rimus. Ann. 441, § 1, Tillemont. Hist. VI, 87.

a A la vérité saint Augustin parle à deux reprises différentes de lois qui dé­fendaient les sacrifices sub terrore capitali II, 68 b, VII, 9 c. Mais il s'exprime d'une manière vague et ne précise pas celui des deux empires où ces lois avaient été promulguées. En écrivant à Vincent, il cherche à lui faire com­prendre que la force doit être employée pour réprimer les hérésies; dans son ouvrage contre la lettre de Parmeniaruu, il prouve que c'est la cause et non la peine qui fait le martyre, et que des païens qui auraient été frappés en vertu des lois récentes ne pourraient pas prétendre à la palme glorieuse. On


tis induti sacrificia fecerint) seraient privés du droit de donner quoi que ce soit entre vifs ou par acte de •dernière volonté, qu’on pourrait les accuser même après leur mort et faire casser leurs testaments.

On a vu précédemment que les chrétiens étaient en­traînés par une force irrésistible vers les superstitions païennes, mais il était difficile de supposer que cet at­trait fât assez puissant pour les ramener à sacrifier aux idoles et à abdiquer par ce seul fait leur titre de chrétiens.

Il faut aller chercher le commentaire de cette loi au

sein des écrits de plusieurs chrétiens de ce temps, et l’on verra combien la société chrétienne, animée de l’esprit païen le plus corrompu, offrait un spectacle à la fois bizarre et effrayant.

Le pape saint Léon nous apprend que beaucoup de chrétiens adoraient sur les lieux élevés le soleil levant; d’autres, en montant les degrés du maître-autel de la .basilique de Saint-Pierre, se retournaient et s’incli­naient vers le soleil levant; ils se livraient à ces actes de

superstition partim vitio ignorantiœ, partim pagani- vetei1. tair. tatis spiritu l. L’ignorance et l’attachement aux usages V11Zl’ du paganiéme, tels étaient alors les traits saillants du caractère de la. multitude chrétiennea.

Ce même pontife écrit à Rusticus, évêque de Nar­bonne, pour régler la pénitence qui doit être imposée

conçoit que dans Fun et Vautre cas Augustin pouvait appuyer son raisonne­ment sur les lois rendues en Orient. Je pense d'autant plus qu'il en fut ainsi que Fesprit de la législation d’Honorius, l’absence complète de poursuites et ‘le silence des écrivains latins de ce temps confirment la pensée qu'aucune loi n'avait en Occident prononcé la peine de mort contre les sacrifices des païens. ' "Nous sommes encore redevables à saint Léon d’un renseignement pré­cieux. Il nous apprend que les dévots païens pratiquaient le jeûne comme du teinpS du pape saint Sirice. F. io5o*e. ‘1


.                       ,   . . CHAPITRE II.    »l5

aux chrétiens.coupables d’avoir adoré les idoles, par­ticipé aux festins sacrés des païens, ou mangé des viandes provenant d’immolations                                     'id.it 14.

On a par erreur attribué à saint Léon un livre inti- tulé. De caslitale, dans lequel se trouvent plusieurs détails intéressants, sur l’ancienne religion. L’auteur, après avoir décrit les superstitions restées eii hod- neur parmi les chrétiens, s’exprime ainsi1 : « Tem~ ’Id- «’ * iporibus nostris auctore ^diabolo sic vitiatà sont « omnia, ut pene nihil sit qttod absque idololatria « transigatur. » N’est-ce pas la même idée, que Salvien exprimait si énergiquement3 : Vbique Datmon ! Cette I^j>ub^ église si glorieuse, si puissante, si pure dans lès écrits des historiens ecclésiastiques, où donc est-elle, puis­que partout le démon, partout la marque de l’idolâtrie?

Saint Pierre Ghrysologüe, qui fut évêque de Ravenne en l’année 43q, s’élève dans son cènt cinquante-ciU» quième sermon contre l’habitude des chrétiens de pren­dre part aux fêtés païennes qui marquaient le retour . des calendes de janvier. Il conçoit bien que l’adultéré adore, Vénus,que l’homme cruel honore Mars; mais il ne peut se rendre compte de la faiblesse de ces prétendus chrétiens qui ne peuvent résister au charme des fêtes païennes. Ces pervers adorateurs du Christ répon­daient : « «Von sont heec sacrilegiorutn étudia, vota « sunthcec jocorum, noviiatis lœlitia non vetiutatis « er/w.» Ils n’apercevaient pas les liens qui attachaient leurs idées et leurs mœurs au paganisme, et qu’ils étaient chrétiens seulement par le nom : « Nemo cum « serpente securus ludit; quis de impietate ludit? « De sacrïlegio quis jocatur? répondait le prudent évêque de Ravenne    abîh. Max.

Le mal eût été moins grand si l’influence du paga- VU963

ai6      LIVRE X. VALENTINIEN III. »

nisme se fiât fait sentir seulement dans les actes de la vie privée; alors on aurait pu croire, malgré tant de protestations individuelles, que la société, considérée dans son ensemble et dans sa partie extérieure, était réellement chrétienne. A Salvien s’écriant que le paga­nisme apparaît en tous lieux, que l’on honore Minerve dans les gymnases, Vénus dans les théâtres, Neptune dans les cirques, Mars dans les arènes, Mercure dans bp. 136. palestres1, on aurait répondu que ces hommages détournés étaient involontaires et qu’il fallait voir eu eux moins des actes de religion que des témoignages naturels de l’empire des mœurs anciennes ; mais com­ment faire admettre une semblable excuse en présence d’actes publics et positifs de paganisme auxquels tant de citoyens se livraient.

Sous le règne de Valentinien III les consuls étaient choisis parmi les chrétiens, et cependant numquid non eonsulibus etpulli adhucgentilium sacritegiorum more » p. iaa. pascuntur, et volantispennce auguria quœruntur1 a ?

Ces tributspayés aux souvenirs de l’ancien culte n’étaient pas les seuls qui souillassent l’entrée des consuls en fonctions, car Salvien ajoute : Acpene orùniafiuntquæ etiam illi quondam paganiveteres frivola atque trri- denda duxerunt. Les motspene omnia ont un sens très- étendu ; cependant je ne veux pas en conclure que les cônsuls, fidèles encore aux traditions, sacrifiaient deux jeunes taureaux dans le temple de Jupiter Optimus Maximus&n Capitole ; mais cette immolation exceptée, toutes les autres solennités, telles que le pompeux

* Claudien, en parlant de la prise de possession du consulat par Stilicon, avait dit (Z Cotu. II, 363):

Solennibus urnam    ?

CenuMtet tujpàciis, avibusque inoepta tecUndak

CHAPITRE II.

317 cortège montant au Capitole, l’encens brûlé dans les temples, les chants et les jeux,'et enfin la consultation des poulets sacrés, avaient lieu sans causer âüc.uh seau-; dale aux chrétiens. *

Presque partout le paganisme révèle sa préséhee. Ce n’est plus cette religion puissante qui jadis régnait sut la société, dictait des lois, fondait des institutions et semblait l’esprit même de l’empire, mais elle domine encore sur les mœurs, elle règle les pensées, elle dirige les actions des citoyens, et quoique désarmée, quoique proscrite; on l’aperçoit en tous lieux; tantôt elle marche à visage découvert, tantôt elle usurpe le nom et les in-* signes du christianisme : elle parait décidée à prendre tons les caractères; à jouer tous les rôles, plutôt que de’ confesser sa défaite.

Je laisse $ penser si les lois de Valentinien III pou­vaient paralyser l’action puissante qu’exerçait sur une nation corrompue la religion la plus habile à flatter leë mauvais penchants du cœur humain. C’était beaucoup, mais ce n’était pas tout d’avoir brisé les idoles* puisd que les sentiments qui autrefois communiquaient taht de force* à ces vains simulacres vivaient encore au sein de la société, et protestaient à tout moment contre la qualification de chrétienne que le pouvoir politiquë lui donnait^     

Justement étonnés de reconnaître encore une si • grande énergie dans les débris mutilés du paganisme, . nous devons chercher si la conduite des chrétien^ était aussi prudente ët aussi habile que l’exigeait lâ situation embarrassante et agitée dans laquelle trou* vait la société.

Le christianisme ne craignait pas de heurter queL


quefois des sentiments que la prudence lui conseillait de ménager, parce qu’ils étaient placés sous la sauve­garde des idées anciennes, et que d’ailleurs leur direc­tion n’avait rien de contraire à la morale. Je citerai particulièrement la violation des.anciennes,sépultures, délit que de nos jours l’àmoür dé la science parait avoir légitimé j mais qui, dans cinquième siècle, était uti véritable attentat contre ce qu’il y a de plus véné­rable au monde.

> Baronius. Annal.

Ann. 447 » S *7-

Les chrétiens faisaient aux tombeaux des païens une guerre non moins acharnée que du temps des fils de Constantin, et leurs violences cherchaient vainement à se cacher sous l’égide d’un: motif pieux : les sépul­tures païennes, décorées des emblèmes de l’ancien culte, servaient aux sacrifices secrets, et à des festins sacrés que les chrétiens ne dédaignaient pas de par­tager*. Outragés dans leurs croyances, accablés par te spectacle des temples fermés, démolis ou profanés, tes païens venaient exhaler près des tombeaux de leurs pères la douleur qui oppressait leurs âmes et adresser aux dieux d’inutiles prières. Les chrétiens incriminèrent oes visites nocturnes; ils les représen­tèrent comme des conciliabules impies!,: dans lesquels la foi nouvelle était maudite, et, sous prétexte de les empêcher, ils dévastaient et pillaient les sépulcres païens1. :

, Acemotif, qu’explique au moins, s’il ne le justifie pas, le sentiment religieux exalté, il en faut joindre un autre beaucoup moins noble et dont: l’influence était géné­rale: je veux parler de la cupidité. Depuis long-temps

. . . . ;

Permciosus error increvit, dit saint Augustin, X, 701 b, en parlant de ces fèbtins où assistaient les Chrétiens.         


CHAPITRE II.

ai9 les chrétiens ne se faisaient aucun scrupule d’ensevelir leurs morts dans des tombeaux qui, ayant été préparés pour des païens, portaient les signes du culte nâtio pal et même des invocations aux anciennes divinités t; quelques coupe de marteau suffisaient pour purifier ces tombeaux, sur lesquels on laissait d’ordinaire subsister l’inscription nus mabtibvs*.

Valentinien III agit donc dans le véritable intérêt du christianisme quand il prononça des peines sévères contre les auteurs des profanations. Les chrétiens de son temps le blâmèrent, et il a été sur ce point attaqué aussi par un historien moderne très-recommandable1; Xeut’ mais sa conduite n’a pas, à mon avis, besoin d’apolo- a35- gie. Dans une loi datée du a 3 mars 447a il s’élève avec » Leges no- force contre les démolisseurs, et fait de ces gens avi* vl*’ des une peinture qui ne manque pas d’éloquence: ®UPPL

a Voici comment Marangoni, qui s’efforce de détruire l’importance des emprunts faits au paganisme par la religion chrétienne, s’exprime sur ce su­jet : « Essendo semmati, per cosi dire, i sôntuosi sepolcri de* Geétlli * pér le « 'pubhliche'viè, e campagne ; é ville fuori delle città* i nostri Cristianii «spesso avendo bisogno di materiali per ricuoprire le tombe de’cimiterj, « corné più acconcio lo'ro veniva, si prevalevano d’ogni sorta marmo cbe « prettdei^ pôtetseTO da quelle profane febbriche, aile qiiaü di adornàmetito « servivano : peroiô il P. Mabillone nella sua Epist. 55. d& SS, Jgtiat, rapporfo « a questp p^oposito alcuni versidi un antico poeta : In eos qui, GentUium sepul- * dira effodlunt pretextu martyrum sepeliendorum. » Les vers dont parle Mâ- nmgoni sont des vers grecs qui furent remis à Mabïlon par Boivin {dnateoa*

р. 558). Ils nous apprennent que des chrétiens faisaient métier de vendre des tombeaux païens et qu’ils n’apportaient pas dans çe commerce beaucoup de délicatesse, puisqu’ils vendaient deux et trois fois le même tombeau. L’aotèur se révolta contre la pensée que* l’on peut placer le corps d’un prêtre chrétien dans un tombeau profane, etc.... Il aurait pu, peut-être avec plus de motifs, se récrier contre la conservation dans les cérémonies funèbres des chrétiens, de tous les usages adoptés par l’ancien culte, tels que les embau­mements, l’encens, les torches, les psalmodiés, les offrandes, les sacrifices et les repas. August. Confess, IX, 12. Martenne. de dnt. eccles, ritib. 1. III,

с.              14.      '


« Ferro âccincti, dit-il, vexant sepultos et obliti Nu­it minis cœlo ac sidenibus résidéntis, cinerum conta- « gione pollulas sacris altaribus manus infemnt. * il accuse, comme on le voit, les prêtres de ce crime, et ordonne de dégrader et de bannir à perpétuité ceux qui seraient reconnus coupables, fussent-ils évêques, parce que le rang élevé du.coupable rend le crime plus grave. Quant aux laïquès, ceux qui portent un titre ho­norifique seront déclarés infâmes et l’on confisquera la moitié de leurs biens ; les autres citoyens seront punis du dernier supplice. La loi est terminée par ces paroles: « Innocenter viventibus gratnbatio , pax sepultisl*

Je ne terminerai pas ce que je dois dire sur la lé­gislation de ce temps sans noter un changement assez grave en apparence, qui fut opéré dans la législation religieuse de l’Occident.

> Clotsius. P- »-i9-

Les lois rendues dans l’Orient défendaient sous peine de mort les sacrifices ; ces lois furent insérées dans le Code Théodosien avec d’autres actes beaucoup moins sévères publiés en Occident. Aussitôt que la compilation de ce code fut achevée, Théodose II, par un édit du i5 février Z|38, déclara qu’à partir du Ier janvier suivant il aurait autorité dans l’empire d’O- rient; en même temps il en adressa une copie à la cour impériale d’Occident, afin que de son coté elle lui donnât force de loi dans ses états. Le procès-verbal de son approbation par le sénat de Rome et de sa promul­gation en 44^ a été retrouvé et publié récemmentia. Il

a Ce précieux document nous apprend que le sénat avait, dans ses délibé­rations, conservé les anciens usages païens. Ainsi, parmi toutes les exclama* tions à l'aide desquelles les sénateurs faisaient connaître leur vote, nous n'en apercevons pas qui aient rapport à la religion chrétienne ; car celles-ci Deus


résulta de cette adoption que les païens d’Oçcident se trouvèrent en droit soumis aux peines prononcées contre leurs frères d’Asie. Le changement était donc sous le rapport légal très-grave ; mais ils s’en inquiétèrent peu et ils avaient raison, car nous n’apercevons pas la moindre trace d’actions judiciaires intentées dans cet empire contre les amis des idoles, tandis qu’en Orient les poursuites de ce genre étaient fréquentes et pleines d’acharnement*. Je devais indiquer cette inutile tentative du pouvoir politique, afin de mon­trer combien il est facile aux mœurs d’abroger les lois les plus importantes, afin aussi de constater l’im­possibilité ou se trouvaient les empereurs d’arriver, par le moyen des lois au but que le christianisme ne cessait de leur montrer.

Jusqu’à présent on n’a trouvé aucune inscription qui constate l’accomplissement de cérémonies païennes pendant la durée du règne de Valentinien III. Les mm nobu dédit! Deux vosnobis xervet! pouvaient convenir à un païen. L’ac­clamation, Consulis oracuïu ! dont le sens n’est pas très-clair, paraît une for­mule païenne. V. p. n, i5.

a Un philosophe païen de la ville dTÉgès en Cilicie, nommé Isocasius, vint s’établir à Antioche. La considération dont il jouissait l'élëva à la dignité de questeur. S’étant ensuite rendu à Constantinople, il fut accusé d’avoir sacrifié aux dieux et tramé des complots en faveur de l’idolâtrie qu’il voulait rétablir. L’empereur Léon le fit arrêter et conduire à Chalcédoine pour y être jugé par le gouverneur de la Bithynie. Le premier médecin de la cour, ami d’Iso- casius, parla en sa faveur à Léon et obtint qu’il serait ramené à Constanti­nople pour être soumis au jugement du sénat et du préfet du prétoire. Le jour fixé pour le jugement étant arrivé, le sénat se réunit dans le Zeuxippe. Le peuple ravi de i’altitude noble et des réponses dii philosophe prit parti pour lui, l’arracha des mains des gardes et le porta à la grande église où , chose étrange, Isocasius fut instruit des principes du christianisme et reçut le baptême. L’empereur lui pardonna et le renvoya dans sa patrie. Ceci se passa en 467. Zonaras, t. II, p. 49. Cedrenus, 1.1, p. 349.

hommes qui alors sacrifiaient n’appartenaient pàs à cette classe élevée qui, dans le siècle préçédent, char­geait le marbre de transmettre à là postérité le sou­venir de sa fastueuse piété; Les sacrifices, pendant le cinquième siècle, avaient lieu dans les villages, dans les campagnes, dans les lieux retirés , et de pauvres paysans ne songeaient guère à faire bruit de leur dé­votion.

x Miscella- nea. p. 99.

>P. 742, n® 507.

Cependant nous possédons une inscription qui, par son étendue, le caractère réligieux dont elle est rêvé* tue et l’époque où elle fut tracée, mérite plus qu’au­cune autre de fixer notre attention. Spon * et Fabretti31 l’ont publiée et commentée, mais sans faire remarquer l’importance qu’elle pouvait avoir , dans l’histoire des derniers moments du paganisme :

R. F ES T VS V.C. DE SE AD DEAM N O RTT AM FESTVS MVSONI SVBOLES PROLESQVE AVIENI VNDE TVI LATICES TRAXERVNT CAESIA NOMEN N O RT IA TE VENEROR LARE CRETUS VVLSINIENSI

ROMAM HABITANS GE MIN O PROCONS VLIS AVCTtS HONORE CAR MIN A MVLTA SE RENS VITAM INSONS INTEGER AEWM CONIVGIO LAETÜS PLACIDAE NV MER OQ VE ÉREQVENTI NATORVM EX V LT AN S VIVAX ET SPIBJTVS OLLIS CETERA COMPOSITA FATORVM LEGS TRAHENTVR

SANCTO PATRI FILIVS PLAC1DUS

IBIS IN OPTATAS SEDES NAM IVPPITER AETHRAM PANDIT FESTE TIBI CANDIDVS VT VENIAS

ÎAMQ VEN1S TENDIT DEXTRAS CHORVS INDE DEORVM ET TOTO TIBI IAM PLAVDITVR ECCE POLO

Cette inscription est composée de deux parties très-


•r

CHAP1TXK M.  aa3

distinctes. : dans la première, Rufus Pestes témoigne de sa dévotion pour la déesse Nortia, cite les honneurs qu’il a reçus pendant sa vje, parie de sa noblesse, de . son heureux mariage, etc.; dans la seconde, le fils de Festus fait l’apothéose de son • père.

Quoiqu’il existe dans l’histoire de ce siècle plusieurs personnages du nom de Festus, nous n’aprons aucune peine à détermina* celui dont il est ici question.

R. Festus qui s’adresse à la déesse Nortià, t/est-à^ -dire à la Fortune, naquit à Vulnisium ( ZtoZrëtat}, il était fils d’Aviénuset descendait de Musonius, il.avait été deux fois proconsul ; ainsi on ne doit pas le con­fondre avec le Su- Rufus Festus, qui fut, il est vrai j gouverneur de Syrie et proconsul d’Asie sous Valen­tinien I", et auquel nous sommes redevables de deux écrits historiques, puisque Ammien Marcellin dit1 que xxix, a. ce dernier était né à Trente;      1       '

Il existait vers l’an 4oo un poète latin nommé Rufus Festus Avienus,qui traduisit \es Phénomènes d'Àratus, le Periegesis deDenys, et qui fit unç.wÉ&tiop en. vers de quarante-deux fables d’Ésope*. Or notre Fwtus déclare dans son épitaphe qu’il est prolèi Avieni; une pareille identité de noms suffît pour que nous regardions Festus cômtne le fils du poète Avienus. Or Avienus vivait au commencement du cinquième siècle, et Mawobe le fait intervenir dans ses Saturnales ; eu admettant qu’il soit mort vers l’an 4^^^t que son fils

- * H. Chttegieter , '.ceMte'êt ttilo FUMi Ariani, établit ttde distiitetiitn entre Arimtua JMiltiu, et cherche i pronver qufe les quarant&deux fables sont l’ouvrage d’un Avianus qui vivait au troisième siècle ; mais Werhsdôrff critique cette distinction que l’analogie dn Style de ies divetees compositions fait repousser.


Festus lui ait survécu environ vingt ans/nous par­venons à ce résultat, que l’inscription citée doit avoir pour date une époque voisine du milieu du cinquième siècle. Ces noms de Placida et de Pkicidus, portés par l’épouse et par le'fils de Festus indiquent assez que Placide Valentinien régnait alors, et que l’on prenait son prénom par. le même motif qui avait fait prendre dans le siècle précédent par tant de citoyens celui de Flavius.

Je ne regarde pas comme impossible de trouver quelques inscriptions païennes d’une date postérieure à la première moitié du cinquième siècle[‡‡]; mais je ne crains pas d’annoncer que dans ces inscriptions le ca­ractère païen sera tellement voilé, que son existence pourra souvent être contestée, et qu’on le reconnaîtra moins aux véritables attributs païens qu’à l’exclu­sion de la forme chrétienneb. D’ailleurs le seul culte,


¥

celui <JeJHitbi’a, qui aurait pu,e» vertu dejs# gcgftde popularité, empreindre son cachet spr lesmqpuments, cessa , sel<m :Vau-Dalç, d’exister vers cette époque1. Quant:à celui de la, Mère'des dieux, saint Jean-Çhpy- sostôme: en faisant abattre dans la Phrygie tous les lemples.de cette déesse vers.’l’aï» 4O1, lui avait porté un coup mortel’.

i De Sacr. Taur. p. 7.

> Proclus. OratioXXr p. 568 L

L’ancienne religion disparaît au milieu, du désordre dans lequel l’Qceident est plongé. L’histoire concentre ses regards sur Attila qui à ,1m-seul remplit la:scène du méndé,' et les faibles intérêts d’une religion se dé- battant çontte, la iuiiort ne -bout pas dignes de fixer ses regards..- • 

Je. ne trouve- dans la vie d’Attila .qu’un seul fait

IJac. tant urna duos tcïuueddiqwèfrcrtrit. .

. QuQSuna Lacfysis mersit acevfa die,   , , .

. . (Muratori, 1. 4o6, n° a), était certainement païen. -        -     

L’inscription n. m. cor. evtxchiae trouvée à Aix en Provence a été,.dit M. Saint-Vincens (Sfe'mt sur Vancienne cité d’Jix, p. 18), regardée comme païenne et attribuée au septième siècle.

On-a découvert en t8o8 à Limoges plusieurs inscriptions. Quatorze d’entre eUes portaient 4e sigle D. M., et quoiqu’elles ne continssent aucune invqça- tion plus particulière aux anciennes diviuités, elles parurent i Millin être des inscriptions païennes et appartenir au cinquième ou au sixième siècle. L’in ­scription suivante représente assez bien la forma employée par les pâïens de ce temps dans leurs inscriptions funéraires: .   - t

ARTIS GRAMATICES

, DOCTOR MORVMQ

MAGIST1R

. . ,       RLAXSIAHVS BXTVRRX

. MVgARVM SEMPER AMTOR .

BIC XACET AETERNI      *

• DÊVWTVS MEMBRA SOPORE.   • » >

Milliô, tatfte à M! Juge de Saint-Martin sur quelques biscript. décou- nrtts dLiiwges^u,                                 .(-

n.                i5

È*6     I-IVRE X. VAtBïrTHnEJf III.

qui ait rapport au vujet dont nous nous occupons t je vais 4e mentionner.

• Là religion dès Scythes était «ample : ils adoraient Marc”’ noe épée nue-enfoncée dans la terre1. Cèsymbole'iong- l xxi, c. a. temps vénéré fut perdu. Un pâtre voyant « 4e ses génisses blessée suivit la trace dn sang, et ayant trouvé une épée dont la pointe sortait 4e terre, il vint la présenter i Attila. Ce chef s’empressa de tirer parti de 'cette circonstance ai simple et fit répandre le bruit quW avait retrouvé l’ancienne épée ncytinqœ; mais tomme il importait de frapper awssi bien l’esprit des Romains que celui de ses soldats, il appela oeSte épée le glaive de Mars, disant que ce dieu avait Concédé lé drbit -de victoire : fier Marris'glàdàxm po- testatem sibi concessam esse bellorum'*. Si le sou­venir de Mars n’avait pas encore été assez puissant pour remuer l'esprit des Romains, "certes Attila n’eût pas fait cet appel à une religion qui n’était ,pas la sienne.

Valentinien fut assassiné en 455- « H expia, dit »vi,254. TiUenaant3, par l'épée le crime que son épée avait commis. H ensevelit avec Int la gkrire de la maison du grand ThéoHose et de tout le nom romain dans l’Oooidewt, dont l’empire se démembra de toutes parte après sa mort, jusqu’à ce qu’il périt entièrement pen d’années après. »

L’ancien culte ayant transporté le siège de son in­fluence de Rome dans les provinces, je terminerai par quelques recherches sur leur état religieux le chapitre consacré au règne de Valentinien II.

Quoique les Gaules fussent soumises aux Francs esclaves de l’idolâtrie, ces provinces devenaient «dé plus


CHÀPiTAE II.

«7 eu phm accessibles aux missionnaires de 1« vérité. Les deux métropoles Arles et Vienne sont les foyers d’où s'échappent les rayons de la civiiisaüion chrétienne qui éclairent peu à peu toute la Gaule .Narbonaise, mais dans le nord, Trêves, ville très-opulente, naguère mé­tropole de toute la Gaule et siège,du prétoire, défend obstinément^ cause de l’ancien culte.

,Saint Hilaire, évêque d’Arles, bâtissait des églises, et pour les orner il prenait avec la permission du préfet les .marbres et les autres urnementsdu théâtre, ravi.de dépouiller nn lieu de désordre pour enrichir le temple du Seigneur *. Les statues païennes qui décoraient le « Tiliemont, théâtre furent brisées et enfouies sous les décombres. Mxv,^‘ U y avait à Vienne, vers le milieu du cinquième siè­cle, un prêtre nommé Sévère,.né, disait-on, dans l’Inde, qui avait .cojvrertidans cette ville un grand nombre de païens et détruit un temple consacré à cent idoles, sans doute un Panthéon*.  F^*3-

Rustique à Narbonne, Eucher à Lyon, Germain à p. 34. ’ Auxerre, Orens cher les Vôtres Arécomiques, Nama- cius et Eparçius dans l’Auvergne, répandaient avec ardeur les doctrines du christianisme. Leurs efforts montrent combien l’idoiâtrie avait encore de partisans dans les provinces *. _

a Cœlius Sedulius, prêtre écossais qui vivait sous le règne de Vâlenliiiien, vers Fan 43o, parle en ces'termes des idolâtres :

Heu miseri qui fana colunt, qui corde sinistro Relügiosa sibi sculpunt simulachra, suumque Factoremfugiunt ) etquœ fecere verentur! Quis furorgst, tpice tanta animosdementia ludit, Ut 'vofacrem, turpemque. bovçm, tortitmqueÂraconem0 'Semihominemque canem supplex homo promis adoret ? dit alii solem, ceecatis mentibus acti

a.


« P. 15a.

>Id.

Ils avaient à lutter contre une corruption excessive. En pariant des habitants de l’Aquitaine et de la No- vempopulanie, Salvien ditx : Nusquam improbior w- luptas, nusquam inquinattor vita, nusquam cor- ruptior disciplina. Cet écrivain ajoute que dans les Gaules la perversité ou l’attachement au paganisme était en rapport avec l’opulence des villes ou la ri­chesse des pays3. Tout confirme la justesse de cette remarque.

Ce qu’il dit sur Trêves fait connaître l’esprit qiii animait les grandes cités gauloises, autrefois colonies romaines.

Augusta Trevirorum avait par son importance et par ses richesses excité la cupidité des barbares ; ils l’assiégèrent et la priréht quatre foi§. On peut lire dans Salvien les preuves d’abrutissement, car c’est le

Affirmant rerum esse patrem, quia rite videtur Clara serenatis infundere lumina terris Et totum luslrare'polum...........

Hic laticem colit > iste Lares» : sed jungere sacris Non audent inimica suis ne lite propinqua Aut rogus exiguas desiccet fortior undas, Aut validés tenues morianturfontlbus ignés. Arboreis alius ponit radicibus aras Instit'uitque dapes t et ramos flebilis oral Utnatos, charamque domum, dilectaque rura Conjugiéquefidem t famulos, censumque gubement Nonnulli veuerantur olus, mollesqueper hortos Numina sicca rigant, verique hac or te videntur Transplantatorum cultores esse deorum. Plura referre pudet, sanctoque in carminé longum. Jam satis humanis erroribus addita monstra Risimus, aut taies potius deflevimus actus.

*  Bibl. Maxim. VI, p. 461 f.

On ne peut donc pas dire que l’idolâtrie fût éteinte en Occident, puisqu’un poète chrétien croyait encore devoir mettre en évidence ses vices et ses dangers.

CHAPITBB II-

mot, que les habitants donnèrent dans ces tristes mo­ments, et quelque dur que soit le langage de l’écrivain chrétien, nous devons y ajouter foi, car Salvien place ses accusations sous la sanction de ces mots : Quod ipse vidi atque sustinui1.

139,14a.

1 i44.

A peine l’orage était-il passé que les. Tréviriens demandèrent aux empereurs de leur rendre les jeux du cirque, comme une compensation suffisante de tous les maux qu’ils venaient de subir. Salvien leur reproche avec une vive éloquence cet te. inconcevable folie, il leur demande où ils fieront célébrer les jeux, si ce sera sur les cendres et sur les ossements de leurs concitoyens.; il termine ainsi en s’adressant à Trêves * 1 Lugent cuncta et tu lœtus insuper iUecebris fiagitio- sissimis Deum provocas , et superstitionibus pessimis iram ejus irritas. Les païens vaincus sont partout les mêmes; les jeux, les festins et toutes les folies de la gentilité, voilà ce qu’à Trêves comme à Carthage ils demandent pour guérir leurs blessures.

Remarquons que c’est l’aristocratie de Trêves [pauci nobiles} qui découvrit ce remède si convenable aux maux de la ville» Dans les cités de province comme dans la capitale, la noblesse se trouve toujours placée en première ligne parmi les défenseurs des anciennes superstitions ; et l’on sait que celle des Gaules obte­nait par ses richesses, et surtout par son habileté dans le maniement des affaires publiques, la première place après l’aristocratie romaine®.

a L’auteur de la Vie de saint Amator, évêque d’Auxerre au commencement du cinquième siècle, Acta Sanct. Z. Mail. t. I, p. 53, rapporte une anecdote que je ne dois pas négliger de faire connaître. Il y avait à Auxerre un païen nommé Héraclius, homme puissant et riche (opibus copiosis opulentiorj, et


1 Constant, p. 1066.

> Concil. Galliæ Coh lect. t. I, col. 563.

Lés chefs de Féglrse n’obtenaient pas en général beaucoup cPappui du clergé des h Gaule. Saint Hilaire rencontrait dans ses rangs peu d’imitateurs dte son zèle. Célestin ï" écrivant en Vannée 4aS aux évêques delà Narbonaise et de la Viennoise, sepiamt aveC une juste douleur de l’esprit superstitieux dés prêtres goulots et de l’igfrorance des fidèles Les décrets rendus contre Fancien Culte étaient exécutés avec une extrême ité- gfigeiicë; lés idoles restaient debout et les sacrifices avaient toujours lieu publiquement. Foin* faire cesser un état de choses si préjudiciable aux intérêts de la religion, lé deuxième concile d’Arles se décida à dé­clarer coupable de sacrilège font évêque dans le dio­cèse duquel lés païens allumeraient des feux ou ado­reraient les arbres, les fontaines et tes pierres*. Cette responsabilité imposée- ank évêques était sans doute exorbitante, car il ne dépendait pas d’eux deehan- gér tes mœurs des Gaulois et dés faire que ces peu­ples , dont la grossièreté; était si grande, devinssent tout-à-coup les ennemis déclarés de l’aneienne erreur ; mais il fallait cependant réveiller dé leur torpeur cette foule d’évêqués insouciants qui laissaient dans leurs diocèses les débris du paganisme se raffermir. Quoique qttVÿ quoique frès-atftftbé à tateien culte, permit à soh épouse Paifedm d’o»- brasder le ch/isüanisme. Cette femme n’avait pas en changeant de religion abandonné ses habitudes païennes, et un joui* qu'elle devait prendre part à h communion des fidèles, elle se présenta dans l’église parée de ms bijoM et couverte de vêtements magnifiques. Amator, simple diacre à cette époque, lui adressa de durs reproches et lui ordonna de sortir de l’église. Pallacfia ulcérée-résolut d’obtenir vengeance. Elle déchira sa robe, se meurtrit le visage et s’offrant en cet état aux regards de son mari, elle lui dit : « Voyez quel trai- « tement m'ont fait subir les diacres de l’église. » Héraclius Indigné se prépa­rait à punir Amator quand Dieu qui veillait sur le saint, dit le légendaire, frappa Héraclius de paralysie.


GMAteTite n. aji

saint Hilaire se. félicite d# voir chaque jow left gentils abandonner leiu’s fables impies et les.autel? de» dé*) iboos'j je croisque les effort» des conciles, des.papes, >p. «>arf et des év&jne&nobtinrent à cette époque que de, très- foibées résultats.

Après a^oir caractérisé eu peu de Wt? Ite vjcçp de l’église d’Espagne, $alvi#p, en suivant, U marche des. Vandales, porte te» rcgarthven l’Afrique. O* eut, étonné quQ soo. iaidiguaftiou trouve, pour flétrir les. vices..des.habitants de cette province, dçq expressions, nouvelles., Il gçus apprend que U déesse Céleste était- euoorç adorée non seulqnçnt,. par les. païens, ce qui. lui?eu»ble natuçeLj.maj» perdes chrétien», qui, après avoir sacrjfié . eu sop honneur, ne. craigtuûqnt. pas. d’aUqi: prendre- part ajux cérémonies du culte chrétien.. Cette profanation, devait être teès-wâtée. £ Carthage* car il s’adresse à lui-même cette question : Quis ergo illi idolo non inilialus, quis non a stirpe ipsa forsitan ac natwitate devotus * ? Un autre écrivain de ce temps *p- *»7- rapporte que dans une ville de la Mauritanie on avait trouvé des idoles cachées dans des cavernes3. Enfin*TMém?n*’ on célébrait encore pendant là* nuit des fêtes païennes p^g’ nommées Nocturnes^.     - iiî.

J’ai assez parlé de l’Afcique et de l’empire que le polythéisme exerçait dans son sein pour qu’il me soit interdit de revenir sur ce sujet. Quiconque voudra se former une idée du degré de perversité auquel peut descendre la nature humaine devra lire le septième livre de l’ouvrage deSalvien. Ce livre, comme les sept autres, semble dicté par une vive irritation; l’auteur est im­puissant à conserver le calme qui lui est nécessaire comme ministre de la parole divine, et il s’abandonne


tout entier aux sentiments d’horreur que la corruption des néophytes lui fait éprouver; A travers ces éclats de 1 ’ colère, on voit briller cette pensée, triste sans- doute mais: si vraie, et que seul entre tous les Pères de cette époque Salvien a eu le mérite de concevoir : c’est-à-dire que le christianisme était impuissant à sauver la société de sa ruine, et que la régénération de l’Europe devait être le résultat de Pinvasion de ces' peuplades toutes sauvages, presque toutes idolâtres, dont les flots cou­vraient déjà la plus grande partie de l’empire. Quand7 Salvien compare les Romains aux Vandales, aux Goths, aux Francs ou aux Huns, et qu’il les trouve inférieurs à ces barbares, il indiqué que la race ro­maine corrompue et dégradée a besoin, pour être rajeunie, de mêler son sang à celui de ces peuples vierges que le Nord précipite sur POecidenL


OeOOQOQQ00Q0QO0OO«O00Q0O0OOO9QOCO9OQQO

CHAPITRE III.

; Martyre de sainte Julie.

Lors de la conquête de l’Afrique par les Vandales,. les plus nobles familles de ce pays furent réduites fen esclavage et'vendues comme des troupeaux de bés*. tianx, Une jeune fille de Gdrthagenommée Julie, issue, d’im sang illustre rmodèle de vertu et de: piété, eut le» sort réservé à ses pareilles : arrachée?>jdes bras de aies., parents, elle fut traînée par les barbares au marché et vendue à un négociant syrien nonimé Eusèbe, homme; auquel l’humanité n’était pas étrangère et qui montrait. beaucoup d’attachement pour l’ancien culte. Conduite en Orient, Julie toucha son maître par une résignation et un courage que l’excès de son malheur aurait pu lui faire abandonner1.

Acta SS. m maii p. 168.

Eusèbe voulant trafiquer dans les .Gaules, chargea un navire de marchandises précieuses, y monta avec plusieurs de ses esclaves et avec Julie, et fit voile pour Marseille. Arrivé à la hauteur de la Corse, il lui plut de toucher àù calp nord de cette île. L’ancre ayant été jetée, il descendit à terre, au moment même où un . certain Félix,, homme fort riche et le premier d’entre les nombreux païens de l’île*, immolait aux dieux un

a Major inter turbas immolanùum. Les Actes l'appellent Félix Saxo, et le P. Papenbrock explique ce dernier mot en disant que Saxo veut dire que Félix était gouverneur de Sagonia, ville importante de la Corse. Il est plus naturel de regarder ce mot comme un nom propre.

taureau avec toute la pompe des sacrifices et entouré d’une foule de païens des deux sexes. Eusèbe ravi de voir que l’on célébrait en ce lieu les rites de sa religion prit part avec toute sa suite à œlte cérémonie*. Julie resta seule dans le vaisseau et pendant que ses compa­gnons se livraient aux excès accoutumés en pareille circonstance, elle soupirait et demandait à Dieu de retirer ces malheureux do leur aveuglement. .

Félix averti que;tout l’équÂpaget n’airait pas*.assisté à', la fôte r en demanda ht motif à Ena3be> « Pourquoi,- «Int dit-il, tous ceux qui t’accompagnent ne ^outrils «>pas. venteau sacrifice offerts . dieux ?'J’«Aten<h. «dire qu’il y a. dans- ton vaisseau une* jeune fiUe qui «. tourne en ridicule) nos cérémonies. a -Bitsèbe ré­pondit r «. Lat jeune fiUe restée don» le vaisseau est «-bonne*, sage, teèsottentive à son devoirr mais elle. «4st chrétienne, et, quelques effort» que j’aie faits, U. «.ne m’a pats été possible de la détacher de sa reügiou. «Si sa. fidélité ne me ht résidait pas précieuse, elle re- « cevrait en cette occasion un châtiment! sévère. »

Félix demanda au marchand de lui vendre Jolie ; ayant éprouvé un refus,. il recourut à la rus® Eusèbe convié 1 un banquet splendide est exeitéà boire autre mesure; bientôt assoupi par l’irresae , il s’endort. Alors Félix fait amener Julie et lui promet la. liberté si elle consent b quitter sa religion. Cette sainte vierge do Jésus-Christ rejette avec horreur une telle.proposition.. Félix passe de cette offre à des actes dé violence; Julie est frappée de verges et tourmentée de mille manières, mais son courage ne faiblit pas; Félix s’abandonnant

Videns rfttts saerificimm ibidem a fegQHH bnpondi, dtatm pneeeps' Eusebius cum suis omnibus, ad stterifieMdta* descendit, M*                                      <


CHAPItMEI».   ï35

à mi fiirear, ordonne qàteite soit cremifiéeet Jrfié rend l’âme en protestant de sa Confiance en Dien qni lui tiendra compte d’une vie passée tout entière dans les fermes et dans les tourments. Cet événement dert avoir lieu entre tes années 44° et 44^- L’église a placé Jolie an nombre des martyrs, et eRe honore- ses vertos et son courage le ns mai.

Les hagiographes admettent l’authenticité des actes de la passio» de sainte Jufie; en effet' ils ont été té-1 digés vers l’année 55<y, et' peuvent, pàr cdÉséqttétrtJ être regardés comme l’œuvre dés[§§]contemporains". '

11 ne-tant pas conclure de ce fait isolé que partout' le paganisme respirait la vengeance et qo’H1 rêvât en­core te retour des snppdîees; cependant il est difficile d’expliquer ta situation d'esprit d’un homme qtri, àtf ttwiiea du cinquième siècle, profite de impunité as­surée par le désordre publie, pour rendre une pauvre jeune fille victime de son fanatisme. Il y avait encore & cette époque un nombre très-considérable de païens dans Pempire d’occident, mais ils vivaient isolés les uns des autres et sans obéir à une inspiration conr- rtrtme. La ruine de Rome avait détruit l’apparence d'unité qui autrefois existait dans l’ancien culte, et Fou peut dire qu’après ce grand1 événement il y eut des

236     LIVRE X.; VALENTINIEN III.

païens mais plus de religion pâïenne. Dès lors chaque partisan des idoles ne fut plus dirigé que par ses pro­pres idées et par ses habitudes. En général l’indifférence, la haine du changement, une sorte de paresse d’esprit semblent avoir retenu sous les bannières des faux, dieux, beaucoup de Romains. Des passions plus fortes agis-, saient sur l’esprit de quelques autres, et ceux-là pou­vaient bien comme Félix profiter d’une occasion .favo­rable. pour venger sur quelques chrétiens isolés les attentats commis contre lepr religion. I?a mort de Julie n’en dpit pas moins .être regardée comme un fait ex­ceptionnel qui prouvç plutôt. Ig cruauté insensée d’un hpmme qu$ l’esprit frénétique d’un parti. <

Nous avons suivi avec attention lçs mouvements din vers de l’anciep culte pendant les trente années du règne de Placide Valentinien, et nous pouvons préciser sa position , à cette époque. L’agrégation païenne est dissoute, Rome n’est plus la tête de la superstition, le Capitole ne rappelle .aux Romains que leur honte et leur misère, l’esprit païen déserte la ville éternelle et se transporte dans les provinces, où l’ignorance lui prçmet encore un règne de longue durée, il renonce à toutes les .grandes pensées qui autrefois avaient sou­tenu et ennobli son existence, il déchire ses lettres de noblesse, et se rabaisse afin de pouvoir être compris par les populations grossières, ignorantes, sauvages, au sein desquelles il se résigne à vivre déchu, avili, digne de pitié sinon de mépris. Il trouvera cependant encore les moyens de nuire à là propagation et à l’af­fermissement des doctrines chrétiennes : Inquietare «Saiiust. victoriam suprema victis solatia1,

Jugurth.

CHAPITRE’ IV.’

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CHAPITRE IV.

Merobaudis.

PpNbAîrr tout le quatrième siècle, les païens regar­dèrent comme une. chose utile de mettre dans leurs discours et' dans leurs écrits de la réserve et de feindre même Vignbrance dès progrès du christianisme; après la raii>e des tetnplës, après la prise de Rome, cetté politique n’avait plus aucun sens ; Fa-propos de cette comédie était* passé et ils pouvaient parler à cœur ou- vert : c’est ce qu’ils firent.

Si les cloîtres du moyen âge n’avaient pas exercé une censure implacable sur les -écrits dirigés contre le christianisme, les preuves lie manqueraient pas pour montrer combien, à cette époque, les sentiments païens.s’exhalaient avec violence. Le hasard a fait re­trouver, dans ces dernières années, les lambeaux d’un ouvrage de Merobaudis, où ce digne émule sinon d’Eunape et de Zosime, au moins d’Ammien, et de Rutilius, revêt des ornements de la poésie les antipa­thies et les haines païennes. Je vais rendre compte de ces fragments de poème, car rien de ce qui a rapport aux idées des païens d’Occident ne doit nous rester étranger.

Flavius Merobaudis avait servi avec distinction en Es­pagne sous le règne de Placide Valentinien. Nous n’avons pas à nous occuper de ses succès militaires, il en obtint d’autres qui doivent seuls fixer notre attention : il était

a38     LIVRE &<; VALEOTIMEN III.

poète, et en l’année 435 sa statue fut placée dans le forum de Trajan; honneur très-grand, mais que les écrivains païens briguaient seuls. La base de cette statue était ornée' d’une langue inscription eu forme de panégyrique. On y lit, par exemple : Ideo illi cessit in prœmium non verbena vilis, nec otiosa hedera, honor capitis Heliconius, sed imago œre » Niebnhr. formata, quo rariexempli wros, seu ùi castrÿ pro- optirpos vatum, afXiqudtas honarabal'1. P- vu. Avant que Niebubr .eût publié quelques fragments des poésies de Merobaudis, on était «réduit à mentionner cet écrivain dans le •catalogue des au te ursdu cinqmème siècle, sans pouvoir porter sur sein mérite et sur la nature de ses écrits, aucun jugement. On.le disait *u» poète célèbre, parce que ses euuteiüpprains l’avaient ainsi qualifié i aujourd’hui an Je-connaît d’wte manière peu plus prétwv

Méeabaudev homme puissant., clariasûne, général des troupes romaines <eu .Espagne, gendre de <eet Astu- riusqui fut cnnsuj etpatriee, Mérobaudeétait païen*,

Niebuhr, étonné de-trouver dans les tauvres de.Mérobaude une élégie sur le baptême du fils d’Aëtius, fait les observations suivantes : « Neque illis «Smpedior de Christian» rçligfoitis mjrstertis jtie cakere videfstr. âfawf «tMriw nwfoÿ.tfOMMfc F' et VL, grariftta.j ewenMto

«priscam fidem vite timide profitentes, perpaucisfurioüt exceptis, gui edjp « suo ïuque ad capitis pcrïcùlum indùlgerent, ita caute de relus nostrœ réti- vçieuiàs laqui, ut? <ptid xare smuerint, aqpedtguotcatur e aâpte id **• utq» *2it dulitatum ,sit ciÿus rdigionie fuemt Procopius ( p. xtu). » Ce système nous conduirait à attribuer à Claudien le Carmen Paschale qu’oo joint ordi­nairement à ses œuvres, et à Ausone les louanges de J.-C. qui* se -trouvent placées 4m se» f&pbéœémdes (p. -97)., œ<pie leaeommeutateinrs ne font plus depuis long-temps.. Il ne paraît naturel d’admettreque les copistes ont travaillé sur le texte de Mérobaude, comme ils Pavaient fait sur les poésies 4FAusone et de Claudien.

J^iebhbr 40 forme;, à nm ans, -una idée'peuV^re ewgérée des 4WS**

leMAPCTAZ IV.

»3g fft cetferagplfe wffit pour prouver quelteltoistfe®elu- siort né recevaient pas phns d esécutian sous ce ràgoe que «)ib .U ^jréoédlpnt. Merebaude semble.«rair pro­clamé "hautement ses affectif» iêt «es regrets. H doaua jJUtAiquemeat cours à ses larmes; et ceWe piété païenne qiri riidta ses poésies causa sans doute leur perte. Les copistes du moyen âge essayèrent de purifier ses écrite, en plaçant au milieu d’eux quelques poésies chrétieo «es:; mécontents sans doute de l’effet produit par un contraste qui rendait Faftératitei trop visible, il| passè­rent la plume sur tous les écrite du poète païen : Fart «mo­derne a pu seul en faire revivre une très-faible partie.

Cherchons à donner une idée' non du talent mais des opinions religieuses de Mérobaude.

Dans le Carmen , le poète célèbre la naissance du fik d’Aëtius : .

«P. 5.

Peter Ûisttiïir, adtulitque partum

>JüU)inatmmmï pr&tâtàmiornri Ut spebus timidis diu negatus* Et civù dominât futurut urbi, JfafelaM Miregùim Quinmi Et primat Latü dotnas wderes; Proies Matàa, Martioe Pénates

Peut-on raécoaiMwtre l'influence de Itaprât païen

que couraient les ’païens'Cn Occident penAsttt le cinquième et le sixième siècle. Il parle de peine <fe mort; cependant wons oroi» passé en revue toutes les lois proclamées ewtre ltaerrôe public dti culte pa*en4 en avons- nous trouvé une seule qui^rtAt cette terrible sanction? A la vérité. les lois pénales de l’Orient furent.déclarées exécutoires en Occident; mais les mœurs opposèrent toujours une barrière à la naturalisation de ces lois étrangères, et certes l’insolence des païens (TAfrique proteste assez baul contre l’espèce de terreur que Niebuhfr prifete aux païens d'occident.


dans ce culte de Home et dans ces. épithtyes <jfti au­raient paru impies à un chrétien ?                          . .• -  < •. *

- Mérohaude semble avoir été pour Aëtius œ que Claudien fut pour Stilieon. IL composa un poème es l’honneur de ee second et « inutile vainqueur des bar» bafes, qui périt de h main 4u prince qu’il avait sauvé, .sort réservé à tous ceux qui alors rendaient de-trop grands: services à leur patrie.

Le poésie de Mérobaude commence par une magni­fique peinture, de la . paix dont l’empire. était censé ‘P. ». jouir scius.l’administration d’Aëtius1 :

Ipse pater Maoors, Latii Jatalis origo9 . Festa ducis socii trucibus non inpedit artnis. Tela Dei, cuïtusqué silent; etc.,,.

Une divinité, sans doute la Discorde, s’indigne, selon l’usage des poèmes épiques r de cette félicité du genre humain; elle va- trouver Bellone, la reveille et aP. 14. lui adresse ce discours :

Quis miseros , Germana, tibi sopor obruit anus Face sub immensa? quoniam tua peetora,.. Mersit iniqua quies9 inopes ttta cldssioa....

Indue mortales habitus, tege casside vultus : fJrge traces in belia globos, Scythicasque pharetras Egerat ignotis Tanais bacchatus in oris.

Æratas prosterne domus, et operta metalÜs Culmina, quæ toto Latii conspeximus orbe. Una omnes in tela ruant : gravis ardeat auro Balte us : auratas circumdenl tela faretrœ : Jurea crispatis insidat lamna lupatis : Includanfrgemmœ chalybemijerroque micantes Fulgens aura lis facibus lux induql entes.

CHAPITRE IV.

aZ|1

Àfo?iâr nulla luôs valeant arcere furores :

ROma, igsique tremantjurialia murmura rege*.

Tum superos terris atque hospita numina peliez

. Romanos pppulare deos, et nuHus in aris Pestas exotatee fotus strue palleat ignis. •fiisi irtstructa dolis palatin celsa subïbo ; Majorum morec, et pectoraprisca fiigabo Funditus : atque simul, nullo discrimine rerum z Spernantur fortes, nec sit reverentia justis, Attica neglecto pereat facundia Phœbo ;

Indignis contingat honos et pondéra rerum Non virtus, sed>casas agat, tristisque cupido: Pectoribus sasvi demens furor asstuetauri: Omniaque hase sine mente Jouis, sine numine summo.

Ici se trouve une lacune de plus de cent vers.

Le poète'représente ensuite les Romains qui, voyant leurs affaires désespérées, tournent les yeux vers - tius, comme vers le seul général capable de sauver l’empire.

Voici donc un poète éminent par son talent, par sa gloire et par le rang qu’il occupe dans l’état, qui ne craint pas d’attribuer tous les maux de la patrie à l’abandon du culte des dieux. Symmaque annonce que la ruine de l’empire suivra de près celle des autels du paganisme; Mérobaude, alors que cette ruine est con­sommée, regarde la source des malheurs publics comme assez évidente pour pouvoir en faire un thème poéti­que. Mais le chantre d’Aëtius va bien plus loin que le vieux pontife; car, il ne faut pas s’y tromper, cette déesse qui yient reveiller Bellone assoupie n’est autre que le christianisme; et quand le poète l’appelle cru- délit Enjro, il dissimule sous un voile injurieux ce qu’il n’ose pas dire hautement.

II.              16


Si la Discorde ne représente point ici. là Religion chrétienne, pourquoi le poète lui fait-il dire ;

Tum superos terris atque hospita numina 'pelle :                           Palatia celsa subibo > Majorum mores etpectora prisca fugabo       v

Funditus ?

Les menaces contre le culte de Vesta et contre celui d’Apollon ne seraient pas convenablement placées dans la bouche d’une divinité de l’Olympe. Comment la Discorde proposerait-elle à Bellone d’éteindre le feu de Vesta , et d’abolir ce qu’elle nomme facundia al- tica ? Cette divinité ennemie du repos des humains, qui attise avec tant de soin la vengeance et la haine, n’est autre, quel que soit le nom que le poète lui ait donné, que le christianisme. Le païen, détracteur obligé dès époques chrétiennes, se révèle tout entier dans les deux vers suivants :

Indignis contingat hoaos et pondéra re^um Non virtus, sed casas agat^ tristisque cupido.

Quelle cause produira cette corruption générale? ûmniaque hœc sine mente Pools, sine numine summo.

Je ne crois donc, pas que Ton puissé douter des senti­ments du poète apologiste d’Aêtius. 11 savait que beau­coup de citoyens nourrissaient des regrets pour le culte des anciens dieux, et regardaient lé christianisme comme le principe de tous les maux dont l’empire était accablé ; il voulut faire battre encore une fois le cœur de tous ces partisans de l’erreur passée, et traduisit eh beaux vers leurs vieilles passions ët leuF douleur. Plus courageux que Claudien, parce qu’il vivait dans ilh


CHAPITRE IV.  ^43

temps où les païens n’avaient pas besoin de garder des ménagements, il couvrit la religion qu’il attaquait d’un nuage si léger que personne dans l’empire ne dut se méprendre sur ses véritables intentions. L’opinion païenne avait encore alors quelque poids, car Méro- baude vit, comme le chantre de Stilicon, sa statue se dresser dans le forum de Trajan : c’était le seul hon­neur que le paganisme pouvait promettre aux poètes qui consentaient à défendre sa cause.


LIVRE ONZIÈME.

CHAPITRE UNIQUE. Dernière tentative des païens.

Les événements se pressent avec une si grande ra­pidité que je me bornerai à les mentionner.

Valentinien III est assassiné par un sénateur nommé Maxime, dont il avait déshonoré l’épouse. Maxime prend malgré elle en mariage Eudoxie, veuve de Va­lentinien. Celle-ci indignée de cet outrage cherche à se venger et appelle les Vandales au sein de l’Italie. Leur chef Genséric s’empare de Rome et la livre au pillage durant quatorze jours. Il dépouille le temple de Ju­piter Capitolin de ses derniers ornements et de la moitié de sa toiture, qui était de bronze doré et passait pour un ouvrage d’une grande magnificence1. Un nombre considérable de statues, vers lesquelles les païens dirigeaient secrètement leurs prières, sont em­barquées pour l’Afrique, mais une tempête fait périr ce précieux butin. Il n’y avait plus nulle part sur la terre de sûreté pour les dieux.

1 Procop. de Bello Vandalico.

1,5.

Avitus, nommé empereur par les Visigoths, est dé­gradé par le sénat à l’instigation d’un barbare nommé


Photiiis. p. 1048. Hengel. p. 3a.

> Tiliemont vi, 339.

Riçimer, qui fait couronner Majorien, ancien com­pagnon d’armes d’Aëtius; mais il s’en dégoûte promp­tement et le remplace par Libius Sévère.

Majorien ^vait pu plupipurs qompétitpurs : l’un d’eux fixera notre attention.

Au milieu de ce désordre universel tout était permis : les vœux les plus insensés avaient une chance de suc­cès. Il n’est donc pas surprenant que les païens aient profité du tumulte pour essayer de replacer sur le trône et ensuite au sein de la société leur religion proscrite. Un peu avant la iport d’Avitus, de jeunes nobles conspirèrent sous la direction d’un vieillard nommé Pæonius, pour porter à l’empire Marcellinus, général distingué et partisan du paganisme 1 *. Nou? ne con­naissons aucune particqlarité de cptte entreprise qui échoua. Marcellinus se rendit plus m*d indépendant en Dalmatie; personne q’osa entreprendre de l’aller combattre. Je puis «dope dire qu’il y eut alors, c’est-à- dire eq 4^a > une province de l’empire oh |e culte an­cien fut réfablj; car un prince qui avait dans ce temps le courage d’ëtrq païen devait, avoir celui de le pa­raître. Je* regrette dq ne ppuvoir rien ajouter dp plus.

A la mort de Sévère, J’Ocçident resta environ deux années sans çmpereur : lq patrice Ricimer ep tenait liep. Cependant l’Italip réclamait un souverain; on lui açporda Antfyemius, fils de Procope et parent,, djsait- on, de l’empereur Julien9. Sidonius Apollinaris loue . a Sidonius parie de Promus en ees termes : « Çuuque de espeutido « diademate conjuratio Marcelliana coqueretur, nobilium juventuti signiferw* « sesein faction* prœbuerat. L. I, ep. ir. Suidas, qui fait de ce personnage les plus grands éloges, dit qu'il était très-vené dans la science divinatoire,


LIVRE XI.

*47 avec effusion cet empereur, et l’histoire paraît .confir­mer le panégyrique du poète. Il est un point fort im­portant dans la vie de ce prince qu’il faut examiner, car c’est le seul qui se rattache au sujet que je traité.

Anthémius était-il païen ? Fut-il porté au trône par une conspiration des partisans de l’ancienne religion ? '

Telles sont les deux questions auxquelles je vais ré­pondre.

L’opimon qui voit dans Anthémius un adorateur des faux dieux ne s’appuie que sur un seul témoignage, celui fourni par Damascius qui vivait un siècle après Anthémius*, et encore ne connaissons-nous les faits rapportés par Damascius que d’après l’extrait fort suc­cinct que nous en a transmis Photius.

Damascius affirmait qu’Anthème était païen ( flûtirvé" çccpoç )1, qu’il avait formé avec un nommé Sévère, et ’ à. la suite de plusieurs conseils secrets, le projet de ré­tablir l’ancien culte : Photius n’ajoute rien de plus.

Les historiens ecclésiastiques de l’époque moderne ont rejeté complètement l’assertion de Damascius, se fondant autant sur l’aspect général du règne d’Anthe- mius que sur le silence des écrivains contemporains.

Fleury ne fait même pas allusion aux desseins pré­sumés d’Anthemius. Tillemont les repousse avec plus de force qu’aucun historien : « Pour le reste, dit-ila , ’Vi, 343. « de ce qu’ajoute DamasCe, ce serait une injuste té- « mépté de le croire sur la parole d’un Seul païen, et « il nous suffit qu’il n’en paraisse rien du tout dans * swôn!d « la vie d’Anthènie. « Le P. $irmond3, Le Beau4 et 4Ç. yy P- ».

a TiHemont, en parlant des événements de l’année 467, appelle cependant Damascius un écrivain païen de ce temps-là, VI > 342.

LIVBE XIr

plusieurs écrivains du même temps partagent cette opinion.

Au contraire des historiens plus récents admettent presque sans discussion le fait reproché à Anthemius.

« L’indifférence ou la faveur d’Anthemius, dit Gib- p.419.’ «bon1, ranimait jusqu’à l’espoir du faible reste des « païens.»

>Études.    «Anthemius, dit M. de Chateaubriand2, donna

Hp.t a3x’ a une <tertttère palpitation au cœur des vieux belle- i< nistes : il inclinait aux idoles. »

On ne peut détruire l’incertitude causée par des opinions aussi divergentes qu’en recherchant si les cir­constances du règne d’Anthemius s’opposent en effet à ce que ce prince soit regardé comme ayant été par-4 tisan du paganisme .* quand les documents précis vien­nent à manquer, l’historien doit recourir à l’esprit général d’une époque pour apprécier la probabilité de certains faits.

L’idée que nous devons nous former du caractère des païensde leurs espérances et de leur nombre au mi-4 lieu du cinquième siècle rend au moins vraisemblable quelque tentative de leur part en faveur de l’ancien* culte. Tant de regrets comprimés r de si grands inté­rêts foulés aux pieds, des mœurs puissantes contra­riées dans leur direction, des opinions philosophiques anti-chrétiennes que l’Orient s’efforçait d’acclimater dans l’Ocçident, devaient tôt ou tard frire effort pour venger de longues et cruelles injures. L’église affaiblie par ses divisions, la corruption générale des mœurs et les révolutions continuelles de l’ordre politique, semblait avoir abandonné à d’autres mains la direction de la société.


La conjuration de la jeunesse romaine en faveur de Marcellin prouve que le parti païen d’Occident ne s’a­gitait pas moins que celui d’Orient. Ils différaient sans doute sur la manière de considérer le paganisme; mais l’un et l’autre nourrissaient, dans un temps où tout était possible, l’espérance de le replacer sur le trône : une tentative pour arriver à ce but ne peut- donc pas surprendre.

Le sénat était à la tête de ceux qui demandèrent à Léon , empereur d’Orient, qu’on leur donnât Authe- igidonius mius pour souverain1 : si le paganisme comptait en- core quelques amis puissants, ne devaient-ils pas se trouver dans le sénat?

Avec qui Antbemius déclaré auguste par Léon se présente-t-il en Italie? Avec ce Marcellin que son atta­chement pour le paganisme nous a fait connaître, et avec un hérétique, macédonien, nommé Philothée, qui prétendait introduire dans Rome la tolérance des cultes.- Etrange cortège pour un prince sincèrement dévoué au christianisme !

Damascius nous apprend qu’Anthémius avait com­ploté avec Sévère le rétablissement de l’exécraAZe religion païenne. Ce confident était un philosophe d’Alexandrie, homme fort savant mais bizarre, et qui vivait au milieu des livres et des rêveurs de tous' les pays; enfin il était néoplatonicien, c’est-à-dire 1 très-peu propre à conduire les .affaires publiques1, p.1041. Cependant Anthémius ne craignit pas de le nommer consul en 470, et puis après patrice. Comment expli­quer une élévation si peu naturelle et si rapide, si ce n’est en disant que Sévère et Anthémius étaient unis par les liens d’une étroite amitié? Pouvons-nous

concevoir l’existence de pareils sentiments chez des hommes qui n’eussent pas mis en commun leurs pen­sées religieuses ? Les opinions de Sévère semblent si étranges, si peu concordantes avec les idées reçues, qu’il fallait nécessairement en être le partisan pour s’avouer à la face de l’empire le protecteur et l’ami de l’homme qui les répandait avec une si grande per­sistance.

Photius aurait contredit ouvertement l’assertion de Damascius s’il l’avait crue mal fondée; or, après avoir parlé de la conjuration païenne d’Anthemius et de Sévère, il dit quelques mots de celle tramée en Orient par Léonce et par Pamprepius , et dont le but >p. io5o. fut semblable; il termine ainsi1 : « Je n’ai pas d’em- «pressement à avancer un fait dont la vérité est « douteuse, et dont le souvenir peut exciter les pas- « sionsa. » Ce n*est pas en ces termes que l’on combat une erreur palpable ou un mensonge évident, et les ménagements de Photius semblent plutôt indiquer qu’il veut dissimuler des faits dont le souvenir irritait encore les esprits.

On possède un large médaillon d’Anthemius, qui porte au revers la figure d’Hercule vainqueur du lion deNémée’b. Le retour, même accidentel, des sym- impp. m, boles païens sur les monnaies est un fait remar- .6a9quable, car ils en avaient été exclus à une époque où . on les tolérait encore sur les monuments publics.

a Oùx eipuijrpo'Ôufxo; irpxqjAX , xxi    sic dtanOetxv, xxl irpoxcipov

ttç çûlxirextatxoouvw*

h Voici la description de ce médaillon contçrniate donnée par M. Mionnet (II, 306) os. bkraclxos. Hercule nu, debout, la main droite sur sa

massue et portant sur la gauche un enfant assis sur la dépouille du lion et qui lui tend les bras ; à l’exergue ahdrza.


LIVRE XI.

a5i . Si je me décide, à regarder comme suffisamment prouvé je dessein d’Anthémius, je m'abstiendrai d’en tirer des conclusions exagérées. Il me serait facile de tracer d’imagination un tableau curieux. Je montrerai? les païens rouvrant lqurs temples, faisant couler le saiig des génisses autour des autels de Jupiter, et se ven­geant sur les chrétiens d’une oppression supportée avep une faqsse résignation. Dans 'qn. pareil tableau, il fqut le dire, tous les traits seraient miens, câr l’histoire ne m’en aurait pas fourni l’esquisse^ An- tbemius ne fut point un partisan avoué des idqles, i| ne chercha pas à continuer le rôle jôpé par Julien, par Eugène ou par. Attale; mais les faits précédemment cités autorisent à penser que pendant son séjour en Orient il avait eu des relatiohs avec les païens et qu’il leur donpa de légitimes espérances. Pourquoi ne fu­rent-elles pas réalisées? c’est ce que le silence dés historiens ne nous permet pas de dire.

Il est curieux de voir le polythéisme oriental venant au secours de son frère d’Occident ét lui envoyant un empereur regardé comme favorable à leurs communs intérêts. Naguère le polythéisme occidental puisait ses principes de vie à Rome, aujourd’hui il tourne ses re­gards vers d’autres contrées, et demande secours à cette philosophie grecque dont les présents lui avaient été si funestes, et qui en présence du christianisme vainqueur ne pouvait pas lui refuser son appui.

En -admettant qu’Anthemiüs fût un adepte des néo­platoniciens, on concevra facilement que placé à la tête de l’empiée d’Occident, il dut reconnaître ayéc promptitude l’impossibilité oq il serait de favoriser dans ses états une religion alliée désormais à des

LIVRE XI.

doctrines philosophiques étrangères à l’Occident, ou qui y étaient jugées avec une extrême défaveur. Ranimer l’ancien paganisme politique n’était plus possible, acclimater en Italie le paganisme de Por­phyre , de Jamblique et de Proclus le semblait moins encore.

Il existait des païens en Occident ; ils avaient leurs autels, leurs temples et leurs pontifes, ils sacrifiaient et sans en faire mystère; mais ils appartenaient en majeure partie à la classe villageoise; aucune idée politique ou même religieuse ne les préoccupait, ils obéissaient simplement à la coutume, et leur foi païenne devait opposer peu de résistance à la propagation des lumières d? l’Evangile. Nous devons cependant consta­ter letat de ce genre de paganisme, non qu’il oc­cupe une grande place dans l’histoire de la religion des Romains, mais parce que sa longévité tenace donne la' certitude d’un fait souvent proclamé par nous dans Cet ouvrage, savoir, que le paganisme a joui jusqu’à son dernier soupir de la ptiis entière liberté en Occident.

Il est inutile de'songer à établir d’une manière précise la situation du paganisme dans les diverses localités de l’Italie ou de toute autre province de l’empire d’Oc- Cident. Quand l’abondance des matériaux permettrait d’entreprendre ces recherches minutieuses, on en serait détourné par la considération que tous les faits re­cueillis se ressembleraient beaucoup entre eux, car la différence des mœurs et dii langage n’influait pas assez fortement sur les débris de l’ancien culte, pour leur imprimer un caractère varié selon les lieux. Connais­sant la situation du paganisme dans une localité, on peut en conclure son état dans toute la province et


arriver ainsi à des résultats généraux après avoir pris pour point de départ des faits particuliers. Je vais suivre cette méthode ; elle est indiquée autant par la disette de documents que par la nature même de cet ouvrage.

La ville de Turin (4ugusta Taurinorum) et son diocèse vont pour quelques instants fixer notre at­tention.

L’établissement d’une colonie à Turin avait eu pour effet de donner à la prospérité de cette cité de grands développements et d’y enraciner les mœurs et les croyances de la mère patrie. Turin éleva une co-. lonne à l’empereur Julien \ et cette protestation païenne n’est pas du nombre de celles qui doivent passer in­aperçues.

> Gudi. p. 95, n° S.

Vers le milieu du cinquième siècle saint Maxime était évêque de Turin. Les sermons, les homélies et les traités qu’il a laissés proclament son zèle infatigable à com­battre les erreurs, les pratiques superstitieuses et la corruption transmises par l’ancien culte aux partisans du nouveau, autant que son habileté à continuer l’an­cien débat entre les deux religions. Ceux de ses écrits qui ont rapport au paganisme se divisent donc en deux classes : i° écrits contre les païens ; a° écrits contre les mauvais chrétiens. Je vais suivre cette division dans l’examen des ouvrages de saint Maxime.

L’évêque de Turin publia un traité Contra pa* ganos. La première impression que l’on éprouve après avoir lu ce livre est celui d’une grande surprise. Com­ment en effet Maxime put-il croire nécessaire de re­commencer au milieu du cinquième siècle une polé­mique daus laquelle ses prédécesseurs avaient employé

1 P. 72a,

»P. 77.

3 Id.

et usé tous les arguments imaginables ? Était-il encore utile de montrer aux païens que le culte de Vénué était impudique, celui de Mars barbare, celui de Cy- bèle insensé? Oui sans doute cette discussion était en­core utile, nécessaire, puisque Maxime, c’est-à-dire le chef d’une des premières églises de l’Italie, croyait devoir l’entreprendre dé nouveau, et qu’il n’était pas homme à prodiguer les efforts de son esprit contre des erreurs mortes et des vices éteints. L’entêtement et le fanatisme des païens survivaient à la chuté des idoles et à la ruine des temples. Cela est si vrai que saint Maxime combattant le dogtne du destin, disait1 aux païens : « Pourquoi adorez-vous vos dieux et vos «déesses? pourqüoi immolez-vous aux idoles? pour-* « quoi ces prières, cet encens, ces victimes et ces of- d frandes portés, aux temples, si tout est décidé et écrit «à l’avance?» L’anbien culte subsistait donc encore, puisque fôutès les conditions de son existence sont énumérées dans cette courte citation.

L’apathique indifférence des çhrétiens explique cette opposition si vive ét si heureuse de leurs ennemis. Quand saint Maxime cherchait à piquer l’abdeur d’un chré­tien en lui montrant une idole objet de scandale et de hohte pour tout fils de l’église, ce chrétien répondait: Nescio, non jussù Un autre disait : Causa mea non est; ou bien : Non me tangit*. Pour réveiller de leur torpeur ces prétendus amis du Christ, il leur rappelle le martyre récent des missionnaires de l’Anaunie, ce martyre dont, sous des princes chrétiens, l’église avait été indignée. «Un décret impérial, ajoute-t-il vint « ensuite nous apprendre ce que nous devions faire. « Des princes véritablement chrétiens promulguent des


LIVBE XI.

a55 « lois en faveur de la religion ; mais leurs magistrats « ne s’embarrassent pas même de les faire connaître; « en sorte que le prince est absous et que l’exécuteur « de ses ordres reste accusé. » Ceci est la justification formelle de l’opinion que j’ai émise à propos des lois contre les païens insérées dans le Code de Tbéodose: ces lois étaient nombreuses ; cependant elles venaient expirer devant l’indifférence ou les secrets sentiments de l’officier chargé de leur application ; lui aussi il disait : 2Von me tangit.

Après avoir montré qu’il existait encore des païfens en Italie, que ces païens sacrifiaient aux dieux et fré­quentaient les temples, je vais examiner l’état des faux chrétiens, auxiliaires puissants des païens et dont cinquante ans auparavant saint Ambroise et saint Augustin avaient attaqué avec tant de vigueur les vices et l’impiété : occupons-nous en premier lieu de ceui qui habitaient la ville de Turin.

Il n’est pas de coutume païenne contre laquelle Maxime s’élève avec plus de force que la célébration des Calendes de janvier. Dans sa cent troisiènie homélie il s’exprime en ces termes1 : « La plupart des habitants , p « encore fidèles aux folles coutumes de l’ancienne su-> « perstition, considèrent le jour des calendes comme « l’époque d’une joie excessive. Ils semblent courifo « après le plaisir, afin de rendre ensuite leur tristesse « plus grande; car ils affectent une telle débauche, ils «boivent et ils mangent avec une telle incontinence^ « que celui qui toute l’année a été chaste et tempérant ,• «devient ce jour-là ivrogne et crapuleux; et s’il en « faisait moins, il dirait qu’il a perdu son temps, parce « qu’il ne comprend pas que c’est son âme qu’il a

« perdue pendant ces fériés. 11 se lève de grand matin « et va au-devant de chacun avec de petits présents « appelés étrennes, et voulant saluer ses amis il leur a fait un cadeau avant de leur souhaiter le bonjour. « Les lèvres se pressent, les mains se serrent, non pour « faire échange de témoignages d’amitié, mais pour .« obtenir que les politesses de l’avarice soient payées. « C’est ainsi qu’ils embrassent à la fois et rançonnent « un ami.... Ils ajoutent encore d’autres fautes à toutes « celles dont nous venons de parler; ainsi ils rentrent « chez eux portant à la main des rameaux, comme s’ils « venaient de prendre les augures, et retournent à « l’auberge chargés des présents qu’ils ont recueillis ; «ils ne comprennent pas, les misérables, qu’ils ren- « trent accablés non de cadeaux mais de péchés. »

Toutes les cérémonies instituées en l’honneur de Janus avaient été conservées, sauf cependant l’immo­lation des génisses blanches dont Maxime ne fait au­cune mention, et qui était de rigueur dans les rites anciens de Janus ; mais les vœux, les étrennes, les repas et l’usage des rameaux d’oliviers provenaient directement de l’ancienne superstition, et si l’on rap­prochait du discours de Maxime la sortie non moins » De idola- animée de Tertullien sur le même sujet1, on aurait tria. p. 94. <(jc |a peine à comprendre que ces deux écrivains élo­quents aient vécu à des époques et dans des climats si éloignés. Plusieurs fois encore l’occasion se présentera de faire remarquer l’attachement des peuples de l’Oc- cident pour un usage qui fut attaqué continuellemeût par l’église, et auquel on s’efforça de substituer une fête chrétienne *, dont la gravité et la noblesse n’ont

‘ La fête de la Circoncision célébrée le premier jour du mois de janvier

LIVRE XL

jamais pu. détruire complètement les vieux restes du culte de Janus..

Portons tlos regards hors des murs de Turin, nous y apercevrons les signes d’une superstition encore plus fortement empreinte du caractère païen, et qui, ali­mentée par des mœurs grossières, semblait prémunie contre toutes les attaques du christianisme.

Dans sa quatre-vingt-seizième homélie ayant pour titfe : Sur la nécessité denlever les idoles des propriétés particulières, Maxime /adresse aux habitants des cam* pagnes voisines de Turin et leur dit1 : a Je vous avais 1 p- 655- « déjà avertis, ô mes frères, de purifier, comme doivent a le faire des hommes pieux et saints, vos propriétés de « la souillure des idoles, et d’enlever de vos champs « tout ce qui rappelle l’erreur des gentils. Il ne vous « est pas permis à vous qui portez le Christ dàns vos «cœurs, d’avoir l’Antéchrist dans vos habitations. «Pendant que vous adorez Dieu à l’église, vos gens « honorent le démon dans des lieux consacrés (fanis'). <ç Qu’on ne pense pas pouvoir se justifier en disant : « Je ne Vai pas ordonné. Quiconque sait qu’il se com» « met des sacrilèges sur sa terre et ne s’y oppose pas, « est pour ainsi dire censé les avoir commandés ; en « se taisant, en ne blâmant pas, il a donné son consen- « tement au sacrificateur. Ainsi, mon frère, quand tu « sais que tort paysan sacrifie, si tu n’y mets pas obstacle

semble avoir été instituée pour remplacer les fêtes de Janus. On ne tonnait pas poailiyemmt l’époque où elle fut établie. Le plus ancien document qqi en fasse menlion est le 17e canon du concile tenu à Tours en 567; les Pères de ce concile parlent de la Circoncision comme d’une cérémonie établie déjà depuis long-temps.

IL               17


« tu pèche», non pour avoir* fourni las moyens, mais «pour avoir permis.... Lorsque le paysan immole,le « maître est souillé. Si vous entrez dans le temple « {ceUa \ qu’y trouvez-vous? des autels ruinés et des « charbons éteints : sacrifice digne du démon, car un « Dieu mort est honoré par des objets sans vie. Dans « les champs ce sont des autels de bois et des statue? «de pierre : chose naturelle, puisqu’on peut, pour « prier des dieux insensibles, se servir d’autels qui « pourrissent. Si tu rencontres de bonne heure un « paysan ivre, apprends, car on le dit, que c’est un « Dianatkus ou un Aruspice. En effet, un dieu fou a « d’ordinaire un pontife insensé. Ce ministre se prépare « en buvant à recevoir les coups de sa déesse; le mal- « heureux espère que le vio le rendra insensible à son « infortune. Il y a peut-être dans sa conduite moins « d’intempérance encore que de calcul. : il croit que < l’ivrognerie diminuera la douleur causée par ses «plaies. C’est un poutife(vo/ej) insensé celui qui « croit affermir la piété par la cruauté. Combien il « doit être doux à l’égard des autres dieux, celui qui « est si barbare envers ses ministres ? Je vais esquisser a en peu de mots le portrait de ce pontife : il a la tête «hérissée de faux cheveux, sa poitrine.est nue, ses « épaules sont à demi couvertes par le pallium. Pré- « paré au combat, il porte, comme les gladiateurs, un « glaive à la main ; mais il est bien plus à plaindre que « le gladiateur, car celui-ci combat contre un adver- « saire, et loi c’est contre sa propre personne qu’il est « armé ; la fureur de l’un est dirigée contre un anta- « goniste, celle de l’autre le porte à déchirer ses pro-

LIVRE XI.

259 « près membres; celui-là est excité à la eruautë pat le « LswûtaVcelui-ei par le nom qu’il porte.'Je vous le « demande, reconnaissez-vous dans cet homme ainsi «vêtu, ainsi dégouttant de sang, un pontife ou un « gladiateur? Le crime public des combats humains a « été aboli par la piété des princes : conformez-vous « donc aux lois du christianisme et chassez de vos de<* « meures ces gladiateurs insensés. »   -

Ainsi l’idolâtrie des habitants des campagnes ne consistait pas, comme on aurait pu le penser, eh quelques hommages stériles rendus à des lieux et à des objets autrefois consacrés-; elle Allait beaucoup plps loin, puisque nous apercevons ici des temples, des autels, des victimes, des offrandes, et des prêtres encore fidèlès aux plus cruelles prescriptions de leur religion.

Maxime en traçant le portrait hideux duZMmdlfe«X, nous apprend que le culte de Diane léguait toujours dans les pays couverts de forêts. 11 y avait pris un ca­ractère sauVngB et cruel qu’il conserva jusqu’à une époque très-éioignée de œiie dont il est question. IÀ voix éloquente des missionnaires chrétiens et tes ordres des souverains restèrent trop longtemps sans efficacité contre un culte qui prenait son appui dans le mystère dont.il était entouré, et dans le caractère extravagant de ses cérémonies.

Il faut enfin remarquer que saint Maxime hedétxftïee pas les adorateurs de Diane et les aruspices comme des coupables que les lois condamnent et que le magistrat doit frapper, il engage seulement les propriétaires, d’abord à se mettre en défense contre les atteintes de l’idolâtrie, puis à faire tous leurs efforts pour détourner

4 Chef des gladiateurs.


les colons ruraux de sacrifier aux dieux et de se livrer à toutes Jes superstitions ridicules ou repoussantes qu’il décrit.

Maxime éleva la voix contre les autres pratiques superstitieuses que jadis saint Gaudenîce; saint Am* broise, saint Augustin et Salvien avaient attaquées avec une si grande ardeur. Ainsi, sa cent unième ho* mélie nous apprend que l’usage de pousser des cris pqur secourir la lune en travail était encore très-ré­pandu, et le saint évêque parle énergiquement adversus eos qui putarent lujiam decœlo magonèm carmt- >p. 337. nibus poste deduci'.' Ces vers des mages auxquels étajt.attribuée une si merveilleuse puissance, étaient des conjurations colportées par les devins dont l’an­cien crédit sur l’esprit des paysans n’avait rien perdu de sa force.

Saint Maxime ne nouslfait connaître que de simples débris de l’ancien Culte. Ces débris ont cependant encore une forme si bieu'caractérisée, qu’ils rappellent à notre esprit, non pas une portion quelconque du paganisme, mais dette religion tout entière. Le feu sacré a été conservé au sein des forêtsydans les campagnes; là op aperçoit det pontifes, des aruspices, des sacrifices, des idoles et des temples^ Bientôt ces débris encore reconnaissables vont se transformer eh de vagues su­perstitions.


LIVRE DOUZIÈME

' ET DERNIER.

EXTJNÇTION ÇOMPLÈTE DU PAGANISME EN OCCIDENT.

------ iiirrn B8QQP IBW» *     r—

CHAPITRE PREMIER.

Considérations préliminaires.

L’idée fondamentale du christianisme était une idée neuve, forte , et indépendante dé toutes celles qui Tayaient précédée. Cependant les hommes qui l’é­tendirent; et la développèrent ayant été formés à l’école païenne/ne purent résister au désir de ratta­cher le système chrétien aux systèmes antérieurs : saint Justin, saint'Clément, Athénagore, Tatien, Origfene, Synésius... regardèrent la philosophie paâenne comme une préparation au christianisme. C’était faire à l’es­prit des temps anciens une large, concession/mais iis crurent dissimuler ses. inconvénients en maintenant dans toute sa pureté la forme du culte chrétien, en repoussant avec dédain les usages et les cérémonies du polythéismes Quand-le christianisme devint la reli* gidn . dominante;, ses docteurs comprirent qu’ils «al* laient être forcés de céder également* suf 4a forJnesex*


térieure du culte, et qu’ils ne seraient pas assez forts pour contraindre cette multitude de païens qui embrassaient le christianisme avec une sorte d’enthou­siasme irréfléchi et peu durable , à oublier lin système d’actes, de cérémonies et de fêtes, dont l’empire sur leurs idées et leurs mœurs était immense. L’église admit donc dans sa discipline beaucoup d’usages évi­demment païens; elle s’appliqua tans doute à les puri­fier, mais elle ne put jamais faire disparaître l’em­preinte de leur cachet primitif.

Cet esprit nouveau du christianisme, cet éclectisme qui s’étendait jusqu’aux choses matérielles, ont donné lieu, dans les temps modernes, à des discussions passion­nées. On a condamné les emprunts fa|tsà l’ancienne re­ligion comme ayant été conseillés aux chrétiens du qua­trième et du cinquième siècle par ce vieux reste d’amour pour l’idolâtrie qui couvait encore dans le fond de leurs âmes. 11 fut facile aux modernes réformateurs de flétrir d’un blâmé injuste la conduite des chefs de l’église; iis auraient dû cependant reconnaître que l’intérêt principal: du christianisme était d’enlever à Ecrreur le plus. grand nombre de ses .partisans, et qu’il lui était impossible d’atteindre ce but sans * nager aux amis obstinés des feux dieux une voie facile pour passer du temple à l’église* Quand on songe que, malgré ces concessions, la ruine dû paganisme ne s’o-

plus de deux siècles il fallut livrer dans toute l’Europe une fouie de* combats particuliers contre une erreur qui, sans, cesse terrassée, se redressait sans cesse, on dempreed que l’qsprit modérateur des chefe de l’église était de là véritable sagesse.

Saint Jean Chrysostôme dit4 que le démon , s'étant aperçu qu’il ne gagnait rien sur les chrétiens en les portant directement à l’idolâtrie, prenait un' chemin détourné pour les séduire. Si le démon, c’est-à-dire l’es­prit païen, changeait son plan d’attaque, l’église devait à son tour modifier son' système de défense, et ne point affecter une inflexibilité qui aurait éloigné d’elle-une foule d’hommes dont la conscience flottait incertaine entre le mensonge et la vérité.

* Homel. VIII.

Dès le commencement du cinquième siècle, des es­prits hautains, des chrétiens qui faisaient étalage de la rigidité de leurs vertus et qui déjà criaient à la profanation des choses saintes, se mirent à prêcher une prétendue réforme; ils rappelaient les fidèles à la doctrine des apôtres, ils redemandaient ce qu’ils nom­maient le véritable christianisme. Un prêtre espagnol, Vigilance, soutint sur ce sujet une lutte animée contre saint Jérome. Il ne voulait pas que l’on adorât les saints, qu’on plaçât des flambeaux sur leurs sépulcres : il flétrissait, comme une source de scandale, lés veilles dans les basiliques des martyrs et plusieurs autres usa­ges qui étaient puisés à la vérité dans l’ancien culte8. On peut juger par la chaleur avec laquelle saint Jérome réfuta les doctrines de cet hérésiarque, de l’importance qu’il attachait à ces usages. Il pressentait que la doc­trine chrétienne aurait pour mission de se plier aux mœurs de toutes les époques, et de ne lutter contre elles que quand elles tendraient à se dépraver. Loin de vouloir priver les Romains de certaines pratiques céré-

* Ces fêtes des Martyrs étaient une bien large concession faite aux mœurs anciennes, Car tout ce qui se passait pendant leur durée était peu édifiant. Muller, t. II, p. i6 Sqq.


monielles qui leur étaient chères et dont l’infiueHce sur le dogme thrétien n’avait rien de dangereux , il prenait hautement leur défense, et toute l’église l’ap­prouvait.

Si saint Jérome et saint Augustin avaient partagé les sentiments dé Vigilance, auraient-ils eu la force nécessaire pour s’opposer avec succès à l’introduction de plusieurs1 usages païens dans^les cérécaonies chré­tiennes? je ne le crois pas. Après, la chute de Rome, des populations,entières passèrent: sous les- éténdards chrétiens ; mais elles y passèrent aveé leur bagage de croyances insensées et de pratiques superstitieuses. L’é­glise ne pouvait pas repousser cette foule de soi-disant chrétiens, .et encore, moins les sommer de déposer sur- le-champ toutes leurs.anciennes erreurs : elle fit donc des concessions aux circonstances, concessions qui n’étaient pas complètement volontaires. On peut aussi bien les regarder comme le résultat d’tm calcul , plan de sagesse de la part des chefs de l’église, jque comme la conséquence de cette sorte d’irryptipn faite au conv- mencement du cinquième siècle dans le sein de la .so­ciété chrétienne, par des populations qui, malgré leur

46. Kist. p. 57, ôi.

> g.Bonnet, abjuration , étaient païennes par leurs mœurs, leurs p’ *46 45’ goûts, leqrs préjugés et leur ignorance1*. :

et recherchons si l’on était en droit de dire quelles attaquaient la pureté des dogmes chrétiens.

a Ces transactions étaient temporaires : l’église les révoquait aussitôt qu elle croyait pouvoir te faire sans inconvénient. Elle itttia vivement contre tes Ca* lendes de janvier après avoir pendant long-temps fermé les yeux sur ces fêtes; et quand elle vit qu'elle ne réussissait pas, elle prit le. parti de trans­porter le commencement de l’année du ier janvier au. jour de Pâques, afin de rompre habitudes païennes.                                  } .

les Romains avaient puisé datas leur religion une passion excessive pour les fêtes publiques. Il ne. leur était pas possible de concevoir un culte privé de l’àp- pareil pompeux des cérémonies. Pour,eux les lon­gues. processions, les chants hannonieùx , l’éclat des costumés, la lumière des flambeaux, l’odeur de l’en* cens, étaient la partie essentielle dé.la religion. Le christianisme, loin de contrarièr une disposition qui demandait seulement à être dirigéeavec plus de sagesse, adopta une partie du système cérémoniel de l’ancien culte. Il changea le but des cérémonies, il les purifia de leur vieille souillure, mais il conserva l’époque où plusieurs d’entre elles étaient célébrées.:C’est ainsi que la multitude trouva dans la nouvelle religion autant que dans l’ancienne les moyens de satisfaire sa passion ' dominante*.

'a Les Saturnales et plusieurs autres fêtes se célébraient aux calendes de jan­vier; la Nativité; fut fixée à la même époque. Les Lu percales, prétendue! fêtes de purification, avaient Ueu durant les calendes de février; la Purification chrétienne fut placée au a février. La fête d1 Auguste célébrée aux calendes d’août fut remplacée par celle de Saint-Pierre-ès-Iiens fixée au premier jour de ce mois. Les habitants des campagnes, toujours tremblants pour le sort de leurs moissons, s'obstinaient à célébrer les Ambarvalia ; -saint Mamert établit vers le milieu du cinquième siècle les Rogations qui dans leur forme diffèrent peu des Ambarvales. En comparant le calendrier chrétien an ca­lendrier païen, il est impossible que Ton ne soit pas frappé de la concordance existante entre l’un et l'autre ; or cette concordance la regardera-t-on comme le fruit du hasard ? C’est principalement dans les usages particuliers des églises que l’on trouve, les traces de cet esprit de concession dont le christia­nisme fut animé pendant les premiers siècles de son établissement. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, je dirai qu’à Catane les païens fêtaient Cérès après, l’époque de la moisson; l’église de celte ville consentit à receler jus­qu’au même temps la fête de la Visitation qui partout ailleurs se célèbre le a juillet. F. Aprile Cnwologia Universale di Sicilia, p. 6o<. Je renvoie le lecteur qui voudrait approfondir .ce: sujet à l’ouvrage de Marangoni, ouvrage très-intéressant, quoique l'auteur, dont le but était de répondre aux protes­tants qui trouvaient dans ces concessions un motif pour attaquer la discipline


Les néophytes portaient aux temples païens usures- pect involontaire. Ils n’avaient pu passer tout à coup de la vénération au mépris- pour les monuments de la piété de leurs ancêtres, et, en montant les degrés de l’église, ils jetaient un regard d’intérêt sur ees temples naguère éclatants de magnificence, aujourd’hui délais­sés. Le christianisme comprit la puissance de ce sen­timent et voulut se l’approprier; désormais il con­sentit à établir les solennités de son culte dans des édifices que pendant long-temps il avait dédaignés*. Telle fut son attention à ne point blesser les habitudes païennes, que souvent il respecta jusqu’aux noms por­tés par ces édifices sacrés** En un mot, sa politique qui, depuis le règne de Constantin, avait toujours eu pour but de faciliter la conversion des païens, prit, à partir de la ruine de Rome, un caractère plus pro­noncé, et ce système d’utiles concessions devint général dans toutes les églises de l’Europe. On ne peut douter que ses résultats n’aient été favorables à la propagation des idées chrétiennes.

Il faut aussi attribuer à une cause spéciale l’af&i- blissement rapide des doctrines païennes en Occident, et cette cause si puissante, je la mettrai dans son jour de l'église, se soit efforcé de rompre U relation évidente qui existe entre certaines fêtes chrétiennes et les fêtes du paganisme.

a À Rome il existe encore aujourd'hui plusieurs églises qui sont d'anciens temples païens, et trente-neuf qui ont été élevées sur les fondations de tem­ples. Marangoni, p. o56-a68. Il n’est aucun pays de i*Europe où Fon ne trouve de pareils exemples. Il faut remarquer que presque toutes ces transformations eurent lieu i partir de la fin du cinquième siècle.

b Quatre églises de Rome portent des dénominations païennes, ce sont: S. Marie sopra Minerve, S. Maria Aventina, S. Lorenio in Matuta et S. Ste- fano del Caceo. A Sienne le temple de Qmrinus devint l’égKse de saint- Quiricus.


CHAPITJ&E I.

467 véritable, en évitant soigneusement de mêler à un sujet de eette importance toute considération étrangère , Wth?à l’objet de mes recherches                   Codex

J     e                    nouum vêtus

Prononcer le nom de Nestorius c’est rappeler le Ecci. roman, souvenir d’un de ces hommes dont les erreurs sont p9°’ devenues pour l’église une cause de dissensions passa­gères, mais aussi de victoires éclatantes.

. Nestorius, patriarche de Constantinople, après avoir long-temps soutenu la foi orthodoxe, vint échouer con­tre un sujet devenu pour tant de théologiens un écueil redoutable : je veux parler de la nature de Jésus- Christ. Nestorius distinguait dans le fils de Dieu deux natures, Tune divine, l’autre humaine, et il soute­nait que la vierge Marie n’était pas la mère du Dieu ( Osotoxoc ), mais la mère de l’homme ( dvOpmKoraxoç )• Cette doctrine, qui était une forme nouvelle et plus hardie donnée à l’arianisme, se répandit dans les deux empires, et trouva beaucoup de partisans au sein des monastères d’Égypte. Plusieurs moines ne pouvaient presque plus souffrir que Jésus-Christ fût reconnu pour Dieu, et iis voyaient seulement en lui un in­strument de la Divinité ou un vase qui la portait ( ôao<popoc ).

Le célèbre saint Cyrille, évêque d’Alexandrie, écrivit une lettre à ces religieux pour les rappeler au respect des traditions établies dans l’église, sinon par les apô­tres qui, en parlant de. la sainte Vierge, ne se sont jamais servis des mots mère de Dieu, au moins par les Pères leurs successeurs. La querelle devint générale et violente; partout les fidèles en venaient aux mains. Nestorius effrayé sembla vouloir reculer à l’aspect de la, tempête qu’il avait soulevée. *J’ai trouvé, disait-il,


« l’église en proie aux divisions : les: uns appelaient la « sainte Vierge seulement mère de Dieu, les autres «seulement mère dun homme; pour les réunir, je « l’ai nommée mère de Christ. Soyez donc en repos « sur cette affaire et persuadé que j’ai toujours les « mêmes sentiments sur la vraie foi. » Mais son obsti­nation et les passions de ses adhérents ne lui permi­rent pas d’aller plus loin que cette fausse rétractation. Le besoin d’un concilë général se fit Sentir : l’empe­reur .Théodose II ordonna ., en 43o, sa réunion à Ephèse. Le st juin 431, deux cents évêques con­damnèrent Nestorius-, et déclarèrent que la Vierge Marie devait être honorée comme mère de Dieu. Cette décision fut admise, malgré quelques vaines protêt* tâtions, par l’église universelle.

Les Pères du concile d’Éphèàe n’eurent jamais la pensée d’établir dans l’église des .dogmes ou ûn culte nouveaux. Pour eux la Vierge Marie avait toujours été la mère de Dieu, et s’ils le déclaraient avec so­lennité , c’était afin de répondre aux attaques de Nés* torius, et pour mettre à l’abri de toute incertitude une croyance jusque-là incontestée. Mais ces* grandes assemblées du christianisme, malgré le motif particu­lier qui les réunissait, étaient toujours le produit de quelque nécessité générale de la société; chrétien ne, et leurs décrets avaient des résultats qui; dépassaient Souvent les prévisions des chefs de l’église. .     »

Si je suis éloigné de croire qu’il soit permis4 de peser au poids de la balance humaine les dogmes du cbris- tianisme, je ne peuse pas non plus qu’il soit‘interdit de rechercher, entre ces dogmes quels sônt ceux*<jui ont le plus contribué à détacher les païens1 dp leurs erreurs.

Nous avons plusieurs fois pénétré dans la conscience des chefs du pagpnisme, et toujours nous y avons vu régner des idées et! des intérês politiques. Ces intérêts, si puissants ? sur l'esprit des patriciens , exerçaient un très?faible empire sur celui des habitants des cam­pagnes. En effet,, quel intérêt les agriculteurs, les artisans et( les prolétaires avaient-ils à ce que la constitution romaine'fut maintenue intacte, à ce que le . sénat conservât ses droits, à ce que l’aristocratie nevît point ses privilèges, ses honneurs et ses riches­ses menacés? Destinés, sous quelque religion que ce fût, à une vie de labeurs et de privations, ils pou­vaient choisir entre le' paganisme et le christianisme ; mais certainement ce choix serait resté pur de tout intérêt personnel. U faut donc aller chercher à une autre source le principe de l’attachement obstiné que la population inférieure des villes et celle des campa- gnesmontraient pour lés pratiques d’un culte dont l’exis* teqce était depuis un siècle si misérable.

Je né reviendrai pas sûr ce qui a été dit relativement à la tyrannie de l’hahitilde : on sait qu’elle est plus vio* lente quatid elle domine des esprits peu éclairés. Mais j’indiquerai une autre cause de l’obstination des païens qui reposait au moins sur une opération de l’esprit, sur un jugement, et qui était par conséquent plus digne de fixer l’attention de l’église que ce respect de la coutume contre lequel les armes du raisonnement sont impuissantes.

’ En pénétrant dans une âme corrompue et affaiblie par l’idolâtrie, les dogmes du christianisme devaient dans lé premier moment y répandre une sorte de ter­reur. Comment les païens, accoutumés à leurs dieux


suborneurs et à leurs déesses prostituées, n’auraient- iis pas frémi quand ils entendaient pour la première fois retentir la voix du Dieu jüstè, mais inexorable rémunérateur du bien et du mal ? Un culte grave, solennel, dont les cérémonies étaient une excitation constante et directe à la pratique de toutes les vertus » ne devait-il pas sembler un joug insupportable à des hommes accoutumés à trouver dans leurs rites sacrés «

une occasion légitime de donner cours à tous les genres de débauche? I<a crainte d’être forcés de soumettre leur vie aux règles d’une morale trop austère, et d’a- baisser leur tête devant un Dieu dont la grandeur les effrayait, retint pendant bien des années une multi­tude de païens hors de l’église.

S’il entrait dans les desseins de la Providence de tem­pérer les dogmes sévères du christianisme par la con­sécration de quelques idées douces* tendres, conso­lantes , appropriées par cela même à la nature fragile de l’homme, il est évident que ces idées, quelle que fut leur forme, devaient contribuer à détacher les der­niers païens de leurs erreurs : le culte de Marie, mère de Dieu, semble avoir été le moyen dont la Providence s’est servie pour compléter le christianisme.

Après le concile d’Ëphèse, les églises d’Orient et d’Occident offrirent à l’adoration des fidèles la Vierge Marie, sortie victorieuse d’une attaque violente. Les peuples furent comme éblouis par l’image de cette mère divine réunissant dans sa personne les deux sen­timents les plus doux de la nature, la pudeur de la vierge et l’amour de la mère, emblème de douceur, de résignation et de tout ce que la vertu présente de subli­me; qui pleure avec les malheureux, intercède pour les

' coupables et iae se moatrejaarôsque comme la messagère du pardon ou du bon secours. Ils àccuteiLlirent ce euite nouveau avec un enthousiasme quelquefois trop grandi, puisque, pour beaucoup de chrétiens , ce culte, devint le christianisme tout entier. Les païens n’essayèrent pas même de défendre leurs autels contre les progrès du culte de la mère de Dieu, ils ouvrirent à Marie des temples qu’ils avaient tenus fermés à Jésus-Christ, et s’avouèrent vaincus[***]. A la vérité ils mêlaient souvent

à l’adoration de Marie ces idées païennes, ces vaines pratiques, ces superstitions ridicules, dont ils ne sem­blaient pas pouvoir se séparer, mais l’église s’applau­dissait cependant de les voir entrer dans son sein, parce qu’elle savait bien qu’il lui serait facile avec l’aide du temps de purger de son alliage un culte dont l’essence était la pureté même.

Ainsi quelques prudentes concessions faites tempo­rairement aux mœurs païennes et l’influence exercée par le culte de la Vierge, tels sont les deux éléments de force dont l’église se servit pour vaincre la résistance


-dea.derniers-païens, résistance assez molle en Italie, mais qui au-delà des Âlpes' était encore inspirée par la fureur; quant aux lois des princes, il ne faut plus en ternir compte *.

•»

• M. âtuflken remarque que cinquante années après la mort de l’empereur Valens il n’existait plus que de faibles restes de la superstition ; observation juste pour l’Orient; mais je ne m’explique pas pourquoi il ajoute, p. rei : Haud ego ille sum qui negem, non ipsam religiotùs prœstantiam multumfecisse adhanc mutationem ajferendam ; sed negarisimul nequiltplus adhuc fecisse leges, quas Theodosius tulit, quasque hune imitati suntfilii nepotesque servave- runt. C’est, à mon av», exagérer l’influence des lois. Elles renversèrent sans doute la puissance extérieure du paganisme; mais elles ne détruisirent pas les croyances; celles-ci. ne succombèrent réellement que sous les coups répétés de h religion chrétienne. L’opinion de M. Stuffken ressemble beaucoup su paradoxe de Jurieu.


CHAPITRE il.

CHAPITRE II.

Célébration des Lupercates.

Les contrats passés entre la vérité et l’erreur ne devaient être que temporaires; ils validaient l’union de choses si antipathiques, que les chefs de la nouvelle religion auraient été coupables de ne pas saisir l’oc­casion favorable de les déchirer. Quand ils voulaient combattre les restes du paganisme, les Pères de l’église avaient pour adversaires à la fois les païens et les chré­tiens; dès lors une lutte s’établissait, lutte dans laquelle le principe religieux s’effaçait toujours pour laisser voir aux prises deux civilisations opposées. Ce qui sem­blait mis en question était donc bien moins le poly­théisme et le christianisme que les mœurs anciennes et les mœurs nouvelles, éternelles ennemies qui après une guerre de quatre siècles combattaient encore avec leur ancienne ardeur.

L’histoire ecclésiastique du cinquième siècle contient le récit d’une discussion très-animée qui eut lieu sur ce sujet entre le souverain pontife Gélase Ier et le parti pagano-chrétien, parti dont nous connaissons déjà l’influence et dont nous allons bientôt connaître lés doctrines.

Gélaae fut élu pape le a mars 49a> c’est-à-dire à une époque où l’aecusation intentée contré, le chris­tianisme d’avoir causé la ruine de l’empire romain reprenait toute son aigreur. L’historien Zosime déve- n.       18


loppait celte thèse dans un livre qui nous est parvenu incomplet et qui ressemble moins à une histoire qu’à un acte d’accusation dressé contre le christianisme. Les païens d’Occident, gehs petx éclairés, qe Élisaient pas de livres, mais ils ne cessaient de propager contre la religion du Ghrist les calomnies les plus insensées.

Gélase indigné de voir que des chrétiens s’unissaient aux païens pour célébrer pendant le mois de février tes Lupercales et toutes tes fêtes do purification qui atateht lieu dans ce même mois, voulut eh l’année 4^3 foirfe .interdire ces cérémonies païennes-, dartmt tes*- qwettea-la'pudeur publique* était offensée. La Vcâx aaiMtricextes. païens et celle des chrétiens retentic-dims fiomecd Si l’Italie, disaient-ils,est4ivrée airfl&m-<te& «hMladiee épidémiques, c’est patce quUn fifadoreptefe « tedieu Februus'; ut l’on veut encorequ® les Lupuh- « cales ne soient * plus célébrées 1 »Oh conçoit quede telle? pensées-ntent eu coûts parmi 1®peuplera* twftr- prendra -plus‘ difficilement- qu’ma ‘homme- paûstanl, qu*nn*sénateur nommé AndromachufcjSe soit-présenté eotnmmte défenseur officieux des cérémonies puïpMMt du mois de février. Malgré les révoterttens-qubsyvaûmk rempli la durée du cinquième sièeteetthtogéie. ca­ractère de toutes tes instrtutians romahmfcyiè sénat cte Moine conservait daws- sonsein/tnais ‘9digneügtm«st cachés, lés germes du fanatisme païen j quelq»es-uns éclatèrenten cette Circonstance. -*.                               0.,.i

Andromachus publia sa défense des Luperoâtea: «lie-ne -nbus est' point .parvenue et nous deVous la re­gretter. Il eût été intéressant de comparer Sytqmaque


CHAPITRE II.

375 plaidant pour l’autel de U Vietoire et Andromaque défendant les Lupercalesplus.de cent ans après, quoique la situation de ces deux sénateurs ait été diffé- rentesur un point essentiel, puisque Andromaque ne pa­raît pas avoir pris la défense des fêtes païennes au notn des païens ,-mais. bien en faveur de ceux des chrétiens qui prétendaient avoir le. droit de les célébrer. <Nous possédons la réponse de Géiase’ et elle suffit pou» ‘Baronîm.

.  »,  1          , ,, .   . /    Annal.t.Vl,

feire.conaaitre.Ie.terratn.sur lequel s étaient plueé&ces p. 5m. feux chrétiens, champions obstinés- et inoonséqocnts del’héritàge d’erreurs qu’ils avaient reçu de léms pêrefc L’évêque de. fionae comihence par.signalerles dan« gers de h superstition; il flétrit du nomd’zztùzZfiéreile mélange des rites chrétiens et des pratiques paûtaaies, etdemande pourquoi tant de personnes s’empressent de célébrer les Lupercales et de.fêter.le. dieu Febmur. «C’est, répond-il, afin de sauver les peuples de là.peste « et de la guerre, et pour garantir les femmes-de .la sté- « rilité. Mais; alors ces mauxne devraient plus exister, « l’empire devrait être plu» peuplé quejauiàis; et qui « ne sait qji’il n’y » plus enquelquesorte un séul.lîabitant « dans l’Étrurie et:dans. FÉmilienne? Powquos Castor «et Pollux .dont vous n’avez point voulu abandonner « le cuite, n’ont-ils pas rendu la mer favorable afin que * lés blés arrivassentà Rome? Lorsque lempéreur Au- « theraws1 vint en «cqtte ville., assurément lesLupercalies «se célébraient 1 partout: n’ayon»nous pa» eu Àigéfeir « de ht peste ?-qua se passe-d-il-en Afrique et dfMjs fes « Gaules? d’où vient la stérilité? les Lupercahiat oUi, le6 « Bnpierdalesj ou bien notée corruption j les supplices, «fesihonaieidea, lesr.:ad«lltèees,. les vidlorees^>dâs -,wi- « ntitiés,EambitiaB,l’avarice, le. parjure,. les feux té-


« moignages, l’oppression des malheureux, l’abandon «où se trouve le bon droit, la faveur qui entoure « l’injustice, la perversité inouïe en toutes choses; enfin, « et ce qui est pis, le mensonge envers Dieu, le sacri- « lége et cet art magique odieux même aux païens : « voilà les véritables causes de toutes nos misères. « N’accusons pas les Lupercales , qui pour votre salut « ont été presque partout interdites. »

Gélase remonte à l’origine de ces fêtes et discute les motifs qui les ont fait établir ; il prouve sans peine que l’empire romain n’a pas été une seule fois garanti par ce spécifique contre la peste. Quant à la stéri­lité des femmes, il objecte que l’Orient, où les Lu­percales n’ont jamais existé, possède une nombreuse population , tandis que les Gaules et l’Afrique, pro­vinces restées également étrangères à ces cérémonies, sont désertes. L’argument tiré de la dépopulation de l’empire n’a donc aucun poids.

Le pontife examine ensuite une à une toutes les raisons alléguées par Andromaque.

« Le mal, dites-vous, est de supprimer les Luper- « cales dans les endroits où elles ont été établies ; mais « les Gaulois se sont emparés du Capitole, les guerres « civiles ont plongé la république dans un abîme de « maux ; Alaric suivi de ses hordes barbares a souillé «Rome par sa présence; de nos jours Anthemius et « Ricimer ont porté au comble les maux de la patrie : « et cependant à ces époques vos Lupercales étaient « célébrées.

« Autrefois les nobles et les matrones présidaient à « ces fêtes, on les voyait se livrer dans une hideuse <r nudité à ces cérémonies dégoûtantes. Aujourd’hui


CHAPITRE II.

a77 « qui prend part aux Lupercales ? quelques misérables « dont vous-mêmes rougissez. Si ces cérémonies sont « bonnes et utiles, pourquoi ne les accomplissez-vous «pas à la manière de vos ancêtres*? Dépouillez-vous « donc de vos vêtements, courez à travers les rues, « remplissez ponctuellement les rites de ces pieuses « fêtes. Pourquoi des scrupules si la patrie doit retirer « tant de profit de votre dévotion ? reconnaissez plu- « tôt qu’une religion dont on rougit ne saurait être « utile. Apprenez, au moins par votre honte, que « vous commettez un crime public, au lieu d’accomplir « un acte de piété.

« Vous prétendez qu’il faut respecter jusqu’à l’image « des choses saintes, qu’on ne doit pas rompre avec des « usages reçus depuis tant de siècles. Allez plus loin, « plaidez maintenant pour vos autels. La superstition « païenne a été proscrite depuis long-temps, demandez « néanmoins à sacrifier dans les temples, à célébrer « vos rites profanes dans le Capitole; car il serait « moins déraisonnable de défendre avec obstination « une religion tout entière qu’une seule de ses oéré- « monies.

« Vous ajoutez que les Lupercales ont été fêtées de- « puis l’établissement du christianisme. Cela ne prouve « qu’une seule chose, savoir que le bien se fait gra- « duellement. On a souffert aussi les sacrifices, s’en- « suit-il qu’on n’ait pas dû les abolir? Chaque évêque «a supprimé en divers temps plusieurs superstitions « méprisables ou criminelles. On ne guérit pas toutes « les maladies à la fois, on commence par les plus

a Le more majorum reparait deux fois dans ce discours ; mais l’orateur ne remploie qu’ironiquement.


< dangereuses j dé peur que le corps n’ait pas h force «de supporter les remèdes.    r; :n . ' •

' •'« Qu’aùçun baptisé, que nui chrétien ne prenne -part * à' ces'fêtes; qu’elles ne soient* célébrées*qtfé par les -« païens qui en bette circonstance’fëmp'lissent un devoir « de leur religion*. Grôyez-vdüS flotte qü’tiri tel exemple â ne soit pas lassez daiigéréuxP'Quant à moi; je pensé a qu’il l’est et jVi pouvoir» pour’le 'dîre.* J’ôbéie'àhx h mouvements dé ma conscience. ‘Que céux qui mépri- « sent mes avis descendent dans lé leur. veux penser « que mes» prédécesseurs- n’ont? pas -négligé leurs dé- « voirs, et qu’ils se sont adressés aux empereurs pour « faire détruire ces abus : on be lès a pas écoutés et « l’empiré s’etr est ressenti. Après tout je n’ai à tendre a compte que de môii administration, et je veux pouvoir « lé faire un jour sans rémbrds.'»  ’’ ’

Ainsi donc les pàîéns étaient maintenus ctenÿ le droit dé-fêter leurs Jjupereales. Lès• lois cdntrë 1&‘fêtes païennes tendues par Honorius ’n’âvàîént paS été mises à éxécdtibh dans la câpitalei Batoriibs ditqüë le sénat • id. prohiba ’ lés Lupercales d’une' manière absolue * ; Je ne sais pas sur quelle autorité il fonde cette assertion. Le langage dit papé'est positif : Que'lès'pàïèiïs fêtent les ’LüpeMales ! C’éSt ainsi que Constantin avait dit aux partisans du même cülte : .dites égorger dès victimes. Â’Une distance de plus de céht Cinquante ibs,' nous mtb il vote la-même politique exprimée par deÉ paroles SémblablëS: La ‘liberté deS'cnltes, qui avait' tué le pa- 'ganishie,, étaitèn'cbrè offerte eti 4^3 "à q'uêiqües-ùns des partisans de l’ancien culte, sinon comme une faveur

* Nullus bepùzaUis, nullus christiania hoc cokhret, sed soit pagani quo­rum ritus est exequantur.


au moins comme une consolation. Quand, nous voyons uq évoque aussi-éçlairé que l’était Gélasft reapettenJa liberté.despaïens et reconnaître leur dfoit d-impiété, nqus ne pouvons qu’admirer cette religion qui, .par­venue à lasuprême puissance ,combat: avec- ,lg&>Mtlles armqs.de la .persuasion des-adversaires qui, aqg jours de leurpoqvoir, avaient employé contre elfe la terroit* des* Supplices, J’ai dans «et ouvrage indiqué les rapports que les deux jeligions eurent l’une ayeç; l’autre peu-' dantla durée du quatrième et du cinquième siècle*, a-t-oq vu une seule -fofe le-christianisme* solliciter çoqtre un ennemi souvent imprudent/-je ne dis pas des bûchers et des tortures, mais de simples lçfe pénales? et quapd ,1a Jutte est finie, quand il ne l’agit plus que de purger la société de quelques débris de paganisme dédaignés.par le.,plus grand nombre des païens, le.christianisme s’arrête eq présence d’un principe qu’il a accepté et auquel il est toujours resté fidèle.  ,

Plusieurs autres faits résultent, de l’écrit de Gélase: ainsi,. par exemple,. nous voyons que-Jes Lupercales n’étaient plus célébrées que par le rebut de la popu­lation, les nobles n’y prenaient auçuqe part.. Aqdror mqçhus et d’autres personnages puissants défendaient çes usages par une sorte de point d’iionpeur, et parce qu’étant issus d’anciennes familles païennes, ils se re­gardaient comme les patrons des vieilles coutumes, mais ils refrisaient de paraître parmi les Loperei^ Tel était alors le paganisme : ses défenseurs eni l’approuvant par leurs paroles le désavouaient par leur conduite.

. Sans pouvoir indiquer l’époque précise les Lu- pegcales cessèrent d’être célébrées à Rome, on est


1 Maran- goni. c. 26,

P- 99-

d’accord pour représenter la procession qui a lieu peu* dant la fête de la Purification de la Sainte Vierge, et dans laquelle les assistants portent des cierges allu­més , fête qui par ce motif est nommée Chandeleur> comme ayant été établie afin de tenir lieu des Luper- cales pour lesquelles le peuple montrait un si grand attachement. Au lieu d’une cérémonie bouffonne et indécente, on plaça une fête qui, en satisfaisant la passion des Romains pour les solennités, rappelait à leur esprit des pensées nobles et pures. La Chande5- leur fut établie postérieurement au pontificat de Gé- lase, d’où nous devons induire que les Lupercales n’ont point été généralement abolies par ce pontife et qu’il a seulement défendu aux chrétiens d’y prendre part1.

Le sénat saisit cette occasion pour réformer plu­sieurs usages païens, moins scandaleux sans doute que les Lupercales, mais trop opposés cependant à l’esprit du christianisme pour être plus long-temps tolérés. On célébrait dans le Cirque, en l’honneur des nou­veaux consuls, des fêtes empreintes de paganisme; il fut décidé que les fonds alloués pour cette dépense seraient 3Baronius. employés à des œuvres de charité2'. Le sénat n’osa pas 1 ’ compléter sa réforme, et, par exemple, abolir les au­tres vestiges de paganisme qui apparaissaient dans Ta cérémonie de l’installation des consuls, ni interdire les fêtes, si fécondes en scandalesque Fon célébrait aux calendes de janvier. Géiase avait raison de dire que plusieurs maladies ne se guérissent pas à la fois.

On a remarqué dans l’extrait que j’ai donné de son mémoire cette phrase : « Castor et Pollux dont vous « riavez pas voulu quitter le culte. » Une autre auto-

rite propve en effet l’existence du «culte des Dioscures aux environs de Rome. Dans l’île formée par la mer et les deux bras du Tibre et que l’on appelait File Sacrée, se trouvait un temple dédié à Castor et Pol- lux. C’est dans ce temple que depuis des -siècles les Romains allaient demander à leurs dieux des vents favo­rables à l’arrivage des vaisseaux chargés du blé de l’A­frique. L’auteur d’un des trois extraits de géographie que l’on réunit sous le titre de Cosmographie d'É- 1 Biographie thicus.) et qui vivait dans le milieu du sixième siècle1, '”?iTc"e,lSz ,     *    .         .       .    >      . XIII, <20.

en décrivant le cours du Tibre dit : «Insulam facit in- « ter portum urbis et Ostiam civitatem : ubi populus «romanus cum urbis prœfecto vel consule, Casto- « rum célèbrandorum causa, egreditur solertmitate « jucunda a. »                 » p. 7 »<*.

Suidas parle d’une autre fête nômmée Maïume ( Maioù|zaç Tvavvfyüjnç ) qui se célébrait à Rome au mois de mai3. Le peuple se rendait à Ostie, et les premiers 3r 11, de la ville ( toc -rcpwra Tïfc     ) se livraient à

la joie en se poussant les uns les autres dans les eaux de la mer ; mais Suidas ne dit pas que cette fête eût rapport au culte des Dioscures, et il laisse entendre qu’elle n’existait plus de son temps. Cependant la solemnilas jucunda d’Éthicus paraît assez analogue aux jeux décrits par Suidas.

Beaucoup d’autres traces de l’ancien culte subsis­taient à Rome et dans les provinces. L’occasion de les faire rémarquer se présentera bientôt.


CHAPITRE III.

L’exercice de l’auciee culte est .interdit en Italie sous peine de _ .       mort.

- lu nation des Goths se distingua entre toutes eelfo qui prirent part à la destriiction de rempireronaajâj par les qflforts quelle fil pour* unir sas idées, ses mœurs et ses intérêt à w dep peup|e$ que la victoire lui avait )ivrés« TWôdoritf paraît moins dans l’histoire comme ün chef de barbares que comme le continua* teur de la politique des Césars. «Il n’est rien* 4ieait->l « Cassiodor. eçflMâ Romains * qu£ je déflire* vous voir cmMO^ver anæ.p.i p|us yehgieftsemwt que h disciphoe'de vpsanceteœ, <afin que sous mon règne vous augmentiez ee qui « dans les temps anciens vous a toujours paru digne «de louanges.» Nous voyons en effet renaître, à Té* poquede Théodoric, cette habitude de louer à tout propos les, temps anciens et dedépréçier en leur hon- 1 id.p. 8. neur le siècle présent2.

, Cette restauration des vieilles i^ées d?vmt sembler favorable aux faibles restes du paganisme qui persis­taient encore dansî leur résistance ; .mais l’intention de • Tfeéodoric n’était pas de leur prêter appui > car. son amour pour l’arianisme ne lui inspira ni douceur ni tolérance envers les païens.

L’édit de ce prince contient un article ainsi conçu3

Leg. ant. « Si quelqu’un est surpris sacrifiant d’après le rite P2 « païen , si des devins ( arioli ) ou des nécromanciens


CHAP1TM 111.

^83 4 (       ) sônt détôtyverfc, pa les convaincra de

« ieilrs crimes ef iis seront justement condamnés? <à w mort. Les aateurS des machinations coupables appe- h lés malfaisants ( malefài), s’ilssontd’ùhraÉng dis- « tingué, seront condamnés à un exil perpétuel ; ceux «d’une classe plus humble subiront la peine capi- « taie. »

On aperçoit facilement l’effet d’une telle loi. L’état légal des païens d’Italie est changé ; l’ancien système de tolérance, fondé par Constantin et suivi par ses suc­cesseurs, fait place à une prohibition absolue, appuyée sur la pénalité la plus forte*. Ce qu’aucun empereur romain n’avait osé faire, un prince goth l’exécute sans balancer. Les païens Sltalie sont enfin placés dans une situation aussi défavorable que celle où, depuis deux siècles, se trouvent leurs frères d’Orient.

La loi de Théodoric fut-elle une simple menace, ou bien reçut-elle son exécution ? Je répéterai pour les temps contemporains de Théodoric ou qui lui sont postérieurs ce que j’ai dit pour les siècles précédents, savoir que l’on n’aperçoit pas la trace d’une seule action judiciaire intentée en Italie contre les païens pour cause de religion. Cependant il ne faut pas con­clure de cette absence de toute répression que les païens méprisèrent les lois de Théodoric; à aucune époque ils ne furent partisans du martyre, et si nous ne voyons pas les magistrats appliquer la peine, nous n’a-

a On ne doit pas regarder ce qui est dit ici comme opposé à ce que noua avons avancé relativement à la loi rendue par Valentinien III en 426 et dont il a été parié p. ai3. Cette loi ne s’adressait pas spécialement aux païens, elle avait pour but de réprimer toutes les sectes ennemies de l’Église catholique et ne prononçait d’ailleurs qu’une peine inexécutable.

□84     LIVRE XII.

percevons point non plus les païens commettre le crime, ou du moins les sacrifices deviennent si rares qu’il est permis de ne plus en tenir compte et de rendre hom­mage à l’efficacité des mesures vigoureuses prises par Théodoric contre Fancien culte.

Je vais indiquer une de ces exceptions, la seule dont l’histoire de l’Italie ait conservé le souvenir.


CHAPITRE IV.

Destruction du temple d’Apollon au Mont-Cassin.

«Je ne sais, dit Baronius, par quelle incurie des « évêques endormis, alors que l’idolâtrie était depuis « long-temps entièrement détruite dans le monde dire­ct tien, elle poussait encore de profondes racines sur a le Mont-Cassin.»

La surprise de Baronius aurait cessé s’il se fût rap­pelé qu’à cette même époque on sacrifiait publique­ment dans les Gaules, dans la Bretagne et en Allema­gne, et que l’idolâtrie n’avait été réellement déracinée qu’en Italie. Toutefois l’ancien culte poursuivi par Théodoric se réfugia au sommet du Mont-Cassin, comme pour mieux embrasser d’un seul coup d’œil les vastes domaines que le christianisme venait de lui ravir. Là une multitude insensée adorait encore Apollon; autour du temple de ce dieu était un bois sacré où des sacrifices avaient lieu[†††].

Saint Benoît, pieux cénobite, chassé de sa retraite de Subiaco par des persécutions, se dirigea vers le Mont-Cassin, averti sans doute qu’il y avait en ce lieu quelque ennemi à combattre et à vaincre. Il prêcha l’Évangile aux païens, renversa la statue du dieu, et


fit couper le bois sacré qui était près du temple. Les païens avaient une grande vénération pour ces bois, dans lesquels ils croyaient que l’âme des héros habi-

aLrâctTi, tait1, et les missionnaires ne négligeaient pas d’or- v. 441. donner leur destruction.

Benoît changea le temple d’Apollon en une cha­pelle dédiée à saint Martin, patron des destructeurs d’idoles, et en fit élever une autre sous l’invocation de saint Jean, à l’endroit même où avait été Fautel d’Apollon : tels sont les commencements de ce célèbre monastère cassinien, dont les rameaux s’étendirent sur toute l’Europe, et y ranimèrent la culture des lettres et la civilisation mourante..

La fortune s’est plu à illustrer par trois faits à ja­mais mémorables cette petite montagne de la Campa­nie , qui n’avait pas jusqu’au sixième siècle fixé une seule fois les regards de l’histoire : le Mont-Gassin reçut le dernier soupir du culte païen en Italie ; il vit fonder sur sa cime un monastère qui devint le chef-lieu de tous les autres en Occident; enfin, c’est au milieu de ses rochers que les lettres, fuyant éperdues devant la bar­barie, vinrent cacher les écrits d’Homère, d’Aristote, de Platon, d’Hérodote, de Virgile, de Tacite, de Tite-Live et d’Horace , c’est-à-dire le génie même de l’antiquité.

Muratori pense que l’idolâtrie éteinte à Cassinum

contraire à l’idée que l’histoire nous donne de ce peu­ple, car les ariens détestaient l’idolâtrie autant, que les chrétiens. Je crois plutôt que le culte d’Apollon maintint jusqu’en 5a() sur le Mont-Gassin par insou­ciance des évêques et l’iguorance des habitants. Le peu


CHAPITRE IV.  387

d’opposition qu’éprouva saint Benoît montre qu’Apol­lon aurait pu être terrassé long-temps avant. Attribuer la conservation du temple de ce dieu à des motifs pui­sés dans la nature élevée du. culte d’Apollon et au rang qu’il occupait dans la mythologie païenne, ce serait grandît* beaucoup trop un fait qui est purement acci­dentel.


CHAPITRE V.

Restes de paganisme mentionnés par l’historien Procope.

J’ai recueilli dans les divers écrivains des cinquième et sixième siècles tous les indices qui. pouvaient ré­véler la situation de l’ancien culte, à une époque sur laquelle les documents historiques sont rares et incom­plets. Mes recherches ne m’ont pas toujours conduit à des résultats satisfaisants. Chaque fait que je consta­tais m’autorisait à en supposer plusieurs autres non moins curieux ; mais le dédain des historiens pour une religion renversée et le peu de souci qu’ils prenaient des protestations d’un petit nombre de païens nulle­ment redoutables, s’opposaient à ce que je changeasse ces suppositions en certitude. Ainsi, par exemple, quand je montrais les magistrats romains du sixième siècle se rendant au temple de Castor et de Pollux pour invoquer les dieux, je pensais bien qu’une par­ticularité aussi remarquable ne pouvait pas demeurer isolée, et qu’au tour de ce fait il devait en exister beau­coup d’autrçs de même nature. Si je ne l’ai pas déclaré, si je n’ai pas insisté sur une analogie qu’appuyait l’or­dre naturel des choses, c’est que l’histoire s’écrit avec des faits et non avec des inductions. J’aurais été d’au­tant plus excusable si je m’étais écarté de cette règle, que, parvenu au milieu du sixième siècle, je trouve un historien qui, plus habile que ceux du siècle pré­cédent, mieux instruit des faits relatifs aux mœurs,

CHAPITRE V.

289 aux croyances et à l’état des peuples de l’Italie, repré- sente le paganisme sous un jour nouveau /et nous apprend qu’il conservait, non pas comme culte public mais comme tradition religieuse et secrète, une no­table influence sur l’esprit du peuple. S’il nous eût été donné de lire l’histoire du cinquième siècle dans des historiens semblables à Procope, les différentes parties de cet ouvrage auraient été sans doute mieux disposées et les faits certains plus également partagés entre cha­cune d’elles.

Procope naquit au commencement du sixième siècle, et mourut vers l’an 565 ; secrétaire de Bélisaire, il le suivit dans ses guerres d’Asie, d’Afrique et d’Italie, il vit beaucoup de grandes choses, les vit bien et les rapporta fidèlement.

Les érudits modernes ont agité la question de savoir s’il était païen; on trouve à la* vérité dans ses écrits des sentiments qui dénotent aussi bien un païen qu’un chrétien. Le nom de Procope doit, à mon avis, augmenter cette liste de sceptiques à laquelle chaque siècle apporte trop fidèlement son tribut. VHistoire de la Guerre gothique, le seul de ses ouvrages qui fixera nos regards, semble écrit sous l’influence des souvenirs de l’ancien culte*.

Lorsque les Goths viennent demander à Bélisaire la paix, ils lui rappellent la douceur de leur domina­tion en Italie : « Pour ce qui a rapport, disent-ils 1 , « à la religion , à la foi, nous avons voulu que la li­ft berté des Romains fût si entière que personne en «Italie ne changeât de religion, soit librement, soit « par contrainte. Aucun tort n’a été fait à ceux des « Goths qui ont abandonné leur culte, et nous accor- II.  19

1 De Bello Gothico.

1. Il, c. 6.


« dons les plus grands honneurs aux temples des Ro- « mains. »

Sans doute les Goths parlaient en cette occasion de l’arianisme qu’ils professaient avec ferveur ; ils se jus­tifiaient du reproche d’avoir persécuté les orthodoxes de l’Italie ; mais le principe proclamé par eux a trop de généralité pour qu’il soit interdit de croire que les païens en aient retiré quelque avantage. Ne voyons- nous pas long-temps après la mort de Théodoric fleurir en Italie une foule de traditions païennes auxquelles les peuples s’empressaient de rendre hommage,comme ils auraient pu le faire si le paganisme eût été vivant? Qui croirait, par exemple, si le témoignage de Procope nous manquait j qu’au milieu du sixième siècle les livres sibyllins jouissaient encore du privilège de diriger 1 l. ï, c. 7. l’esprit superstitieux de la multitude1 ?

Les Romains venaient d’éprouver un échec ea Dal- matie : deux de leurs généraux, Mundus et son filsMau- rice, avaient été tués. Ce fait était très-naturel, mai» les Romains se rappelèrent que l’oracle de la. sibylle avait dit autrefois : Africa capta mundus cum note peribit. L’Afrique ayant été enlevée aux Vandales, si l’on admet qu’en se servant du mot mundus l’ora­cle avait voulu indiquer non le monde mais bien le général Mundus, on voit que la prédiction était vérifiée en tous points. Admirons la foi des Romains dans ces livres sibyllins, dont la dernière publication, remontait à une époque antérieure à celle dont nous nous occupons de près de sept cents années, et jugeons par là de l’énergie vivace des croyances païennes*.

a L’oracle dont parle ici Procope ne peut avoir été tiré des faux livres si­byllins rédigés par les chrétiens : ces livres vuinpul peu de cours dans FOcci-


Je continue de peindre l’esprit païen d’un siècle chrétien, et je laisse parler Procope ’ :                                    L.i, c. 24.

« Sur ces entrefaites il arriva à Naples ce que je vais « rapporter. On voyait dans le forum de cette ville une «image de Théodoric, roi des Goths. Elle était faite « avec de petites pierres, toutes à peu près de diffé- « rentes couleurs*. Du vivant de Théodoric ces pierres «s’étant tout à coup disjointes, la tête de la figure « tomba : peu après Théodoric mourut. Huit ans s’é- « taient écoulés quand les pierres qui figuraient le « Ventre se détachèrent subitement : alors Atalaric, « petit-fils de Théodoric, cessa de vivre; plus tard enfin « celles qui composaient le bas-ventre tombèrent aussi, « et Amalasonthe, fille de Théodoric, périt. Les Goths « mirent ensuite le siège devant Home; alors l’on vit « se détacher les autres parties de la figure depuis les « hanches jusqu'aux pieds, et l’image disparut totale- « ment de la muraille. Les Romains, tirant de ce der- « nier accident un présage, disaient que l’armée de «l’empereur serait victorieuse, car, selon eux, les « pieds dé Théodoric étaient les Goths auxquels il « avait commandé; leur espoir prenait en conséquence « plus de force. Les patriciens de Rome rappelaient « certains oracles dé la sibylle, desquels il résultait que « les affaires de Rome iraient mal jusqu’au mois' de « juillet, que cette époque était fixée pouria nommâtién « d’un empereur qui saurait garantir la ville contre la « terreur des Gètes; car les Goths, disent «ils, sont la

dent. H' «fit probable qtf avstât 1» destruction dés véritables liih*és sibyllins ; les païens en avaient ou tiré des copies ou fait quelques extraits : ces copies ou ces extraits conservèrent le souvenir des oracles rendus par les sibylles.

a On voit qu’il est ici question d’une mosaïque grossière.


LIVRE XII.

« nation gétique. L’oracle était ainsi conçu : Au cin- « quième mois, que Rome ne craigne rien des Gètes. « Ils prétendaient que le cinquième mois était le mois « de juillet, les uns, parce que le siège avait commencé « dans les premiers jours de mars, à partir duquel le « mois de juillet est en effet le cinquième ; les autres * « parce qu’avant le règne de Numa .les Romains divi- « saient l’année en dix mois, dont le premier était celui « de mars, d’où il résultait que le mois de juillet était « appelé le cinquième ou Quinttlis, »

Voilà assurément la superstition du bon temps. Re­marquons que les patriciens romains sont encore les soutiens de la foi dans les présages : les mêmes per­sonnes combattent toujours pour les mêmes erreurs. Naguère Andromaque plaidait en faveur des Luper­cales ; aujourd’hui les nobles devisent sur les livres des sibylles et y cherchent l’explication des événements dont ils sont les témoins et les victimes.

Un pronostic plus insigne que la destruction du portrait de Théodoric annonça aux Romains l’éléva­tion de l’eunuque Narsès. Procope nous donne sur ce «L.iv,c.21. sujet les détails suivants1. Est-il nécessaire d’ajouter qu’il les tenait d’un sénateur ?

« Ce sénateur disait que, pendant le règne d’Atala- « rie, dont la mère était fille de Théodoric, un troupeau « de bœufs, ramené de la campagne de Rome, traver­te sait un soir le forum de la Paix : on appelle ainsi cette « place parce que le temple de la Paix, autrefois frappé « par la foudre, y est situé; dans ce forum se trouve une « vieille fontaine surmontée d’un bœuf en bronze*....

a II s’agit probablement ici de la fameuse vache en bronse de Miron. A la vérité cet ouvrage précieux était placé dans le JForum Bocuiumj mais le tem-

CHAPITRE V.

2g3 « Le sénateur ajoutait qu’un taureau châtré, qui faisait « partie du troupeau, l’abandonna, et qu’ayant escaladé « la fontaine, il vint se poser sur le bœuf d’airain. Un « passant, né en Etrurie et d’une tournure fort agreste, « se mit à faire des conjectures sur cette singularité « (car les Etrusques sont encore aujourd’hui adonnés à « la divination). Il disait qu’il arriverait un temps où « le maître de Rome serait mis en fuite par un eunuque. « On rit beaucoup et du Toscan et de ses prédictions, « car il y a des gens qui ont pour habitude de repousser « les pronostics et qu’aucune preuve ne peut convaincre, « parce que l’événement n’étant pas encore venu con­te firmer ces pronostics, ils les tiennent moins pour des « paroles sérieuses que pour des fables ridicules. Au- « jourd’hui tout le monde, convaincu par ce qui s’est « passé, admire ce présage. »

Au milieu du sixième siècle, l’Étrurie dépeuplée à la suite des ravages qu’elle avait subis, modifiée dans ses usages par les progrès du christianisme et par les invasions répétées des barbares, entretenait en­core dans son sein le feu sacré de l’art divinatoire, et un simple paysan de ce pays pouvait par ses prédic­tions donner à penser aux plus habiles de Rome. La puissance des mœurs anciennes se révèle ici d’une ma­nière sensible.

On vient de voir le temple de la Paix mentionné simplement, sans que l’historien ait employé aucune expression qui puisse faire croire que cet édifice eût été dévasté ou approprié à un usage civil conformé­ment, à la loi d’Honorius. Voici 'un témoignage de pie de la Paix ne se trouvait pas fort éloigné de ce forum qui, au temps de Procope, pouvait être confondu avec celui de la Paix.


Procope r qui va donner sur les temples païens de Rome une idée différente de celle, que sans doute ou s’était formée.

Après avoir discouru sur l’origine du Palladium, U dit que les Romains prétendaient ignorer l’endroit où il avait été cache.

l.i,c.i5. a jjs njoatrejrt seulement, ajoute-t-il1, son image « faite en pierre, et placée de nos jours dans le temple « de la Fortune, pour tenir lieu du simulacre en bronze n de Pallas. Elle est en plein air et dans la partie du « temple qui regarde l’Orient. La déesse est revêtue du « costume guerrier ; elle tient la lance levée comme si « elle marchait au combat, et porte la longue tunique «(taZarâ). Ses traits ne rappellent pas les Minerve « faites par les Grecs ; mais ils sont parfaitement sem- a blables à ceux des Minerve que faisaient les anciens « Égyptiens. »

Ce passage de Procope donne lieu à plusieurs ré­flexions , mais avant tout il faut répondre à cette ques­tion : peut-on révoquer en doute le témoignage de l’historien ? Je ne vois pas quel serait le principe de ce doute. Procope, en discutant une question assez peu importante, $e trouve conduit à parler du simulacre de Pallas qui existait de son temps à Rome ; il le décrit ' comme s’il l’avait encore sous les yeux, il désigne l’en­droit où il est, il dépeint le costumé de la déesse et le caractère donné par l’artiste à la figure ; son langage porte visiblement le cachet de la bonne foi, et l’on chercherait en vain les motifs que cet historien aurait pu avoir pour si bien revêtir un mensonge des apparen­ces de la vérité. Admettons que Procope ait dit vrai, et tirons quelques conséquences de son récit.

L’ancien Palladium était placé dans le temple de Vesta et confié à la garde des vierges de cette déesse. Il n’existait plus au temps de Procope, du moins on ignorait l’endroit où il avait été déposé. Les Byzantins prétendaient que Constantin s’en était emparé, et qu’il l’avait fait enfouir dans le forum qui portait son nom à Constantinople1 ; mais cette assertion manque de fon­dement. Certes, le Palladium était encore à Rome lors du débat relatif à l’autel de la Victoire, car dans le cas contraire Symmaque et saint Ambroise auraient dans leurs discours fait allusion à la destruction d’un mo­nument révéré à si juste titre par les païens : saint Ambroise, afin de montrer l’inutilité du pontificat des vestales; Symmaque, pour étendre le texte de ses do­léances : ni l’ün ni l’autre n’en ont parlé.

«Id.

S’il m’est permis de hasarder ici quelques conjec­tures , je dirai qu’après là suppression du pontificat des vestales, le Palladium dut disparaître, non sous les coups des chrétiens, car les écrivains ecclésiastiques auraient fait beaucoup de bruit de cette destruction, mais par les soins pieux de quelque païen. Ainsi retiré de son sanctuaire, le Palladium ne reparut plus ; et pen­dant environ deux siècles, il ne fut question ni de ce simulacre, ni de tout autre exécuté sur son modèle.

Renonçons maintenant à une argumentation con­jecturale, et, guidés par Procope, constatons des faits certains.

Du vivant de cet historiena, les païens jouissaient d’une grande sécurité, et avaient assez de foi dans leurs anciennes erreurs pour concevoir le projet de re­placer le Palladium dans un temple, afin sans doute a firtç Si xai 6 t*>             kp«.


de pouvoir 1 y adorer. Malgré le malheur des temps et le triomphe des chrétiens, ce projet est exécuté, un nouveau Palladium est confectionné. Il ne res­semble pas précisément à l’ancien : dans celui-ci le type grec dominait, dans l’autre le type égyptien. Procope.note cette différence, et donne une exacte description du costume et de l’attitude de la nouvelle statue de Minerve, qui devait rappeler celles de la déesse Neïth, la Minerve de Sais, le type primitif de XAthène des Grecs.

Est-ce dans un temple à demi ruiné et fermé depuis long-temps que quelques fanatiques païens ont été cacher leur Palladium ? nullement : ils le montrent ( àeixvuouaiv), ils l’indiquent aux curieux et aux étran­gers , car Procope était l’un et l’autre. A la vérité ils n’ont pu le replacer, conformément aux rites, dans un temple de Vesta; mais cette infraction aux prescriptions religieuses était de faible conséquence, puisqu’ils avaient trouvé dans VÆdes Fortunœ une chapelle tournée vers l’Orient et à ciel ouvert, c’est-à-dire qui réunissait les deux conditions imposées aux temples de Vesta.

Le Palladium n’était pas le seul monument qui re­portât le souvenir des Romains vers ces siècles où l’ancien culte jetait les fondements de leur puissance. Procope nous apprend encore que de son temps on 1 id. iv, 22. voyait à Rome le vaisseau d’Énée , «objet, dit-il « placé très-haut dans iopinion publique. » L’histo­rien donne une description minutieuse de ce monu­ment, dont les Romains, s’ils n’avaient pas été sous le joug de la superstition païenne, auraient facilement reconnu l’origine fabuleuse.

En examinant ces différents faits, non pas isolé-


CIIIPITHE V.

*97 ment, mais avec toutes les circonstances qui ont dû leur donner naissance, on parvient nécessairement à cette conclusion, savoir que le paganisme avait con­servé dans Rome beaucoup d’inffuence , ou bien qu’a- près sa défaite il s y était ranimé à une époque diffi­cile à indiquer, et par des moyens qui échappent à notre investigation. Cette conclusion paraîtra encore plus juste quand j’aurai achevé d’extraire de l’Histbire de Procope tout ce qui se rapporte à ce sujet.

J’ai fait voir, d’après la Topographie païenne de Rome sous le règne d"Ho norias, qu’il existait encore dans cette ville, au commencement du cinquième siècle, une grande quantité de temples païens et de chapelles dédiées aux Dieux Lares. Procope révèle l’existence de plusieurs de ces monuments et montre qu’ils n’avaient pas reçu de nouvelles destinations, mais que, simplement fermés comme si un jour ils eussent dû se rouvrir, ils semblaient attendre que le sort du paganisme fût décidé d’une manière complète et irrévocable.

« Dans ce temps, dit l’historien de Bélisaire1, quelques 1L. i, c. a5. « habitants de Rome essayèrent secrètement d’ouvrir le « temple de Janus en faisant effort contre les portes. Ce « Janus fut le premier des anciens dieux que les Romains « dans leur langue appellent Pénates. Il a un Ædes dans c< le forum, devant, la Curie, un peu au-dessus des « Tria fata : c’est le nom que les Romains avaient « coutume de donner aux Parques. Cette chapelle est « toute de bronze, d’une .forme carrée, et ses dimensions « sont telles qu’elle suffît à peine pour contenir la statue « du dieu. Celle-ci est également de bronze et sa hau- « teur est d’environ cinq coudées; elle représente l’image


« d’un homme. Cependant ia tâte a deux visages, l’un « tourné vers l’orient, l’autre vers l’occident ; de a chaque côté est une porte de bronze. Jadis les Ro- « mains les tenaient fermées quand ils jouissaient de « la paix et ouvertes quand ils Élisaient la guerre; mais « ayant embrassé le christianisme, comme ils s’y dé- « vouèrent avec autant d’ardeur que personne, ils n’ou- a vrirent plus désormais ces portés. Pendant le siège «quelques Romains amis, comme je le pense, de « l’ancienne superstition, essayèrent en secret de les « ouvrir ; mais ils ne purent exécuter entièrement leur « dessein, ils se bornèrent à pousser les portes de ma- a nière qu’elles fussent moins exactement fermées qu’au- « paravant. Les auteurs de ce crime se cachèrent, et au « milieu du désordre qui régnait'alors aucune recherche « n’eut lieu. On doit d’autant moins s’en étonner, que « ce fiait ne vint pas à la connaissance des magistrats et « qu’il transpira même fort peu dans le public. »

Ainsi, Rome comptait encore parmi ses habitants des gens pleins de foi dans une des plus anciennes su­perstitions du paganisme romain, qui tombée en dé­suétude long-temps avant le triomphe de la foi chré­tienne, se ranime à une époque où rien de ce qui pouvait la soutenir n’existait plus. Le nombre de ces amis de l’ancienne religion est assurément bien peu considérable : la déclaration de Procope en fait foi ; mais convenons au moins que ces derniers partisans de l’erreur ont une étonnante mémoire, et qu’ils n’ou­blient aucune des pratiques superstitieuses des temps

Procope a mentionné deux temples, l’un dédié à la Paix et l’autre à la Fortune, puis la chapelle en'bronze


CHAPITRE V.    299

de Janus. L’existence de ces trois monuments nous autorise à supposer celle de plusieurs autres tem­ples, œde& ou cÊdicidœ. Comment donc expliquer ce respect pour les édifices d’un culte proscrit, respect qui allait jusqu’à contenir la cupidité en présence d’une chapelle sinon entièrement en bronze, au moins recouverte dans toutes ses parties avec ce métal ? On ne peut rendre cojnpte de ce fait singulier qu’en se rap­pelant l’influence des anciennes idées païennes sur l’esprit de la population de Rome, influence dont l’énergie est suffisamment démontrée par tout ce que vient de ré­véler Procope. Cet historien rend hommage au respect des habitants de Rome pour les monuments et les sta­tues de leur ville, il dit que sur ce point ils sont supé­rieurs à tout autre peuple, et admire leur empressement à effacer les traces du passage des barbares 1 ; mais Pro- 1JV, ax cope ne recherche pas le principe de ce sentiment ni la part plus ou moins grande que les anciennes croyances pouvaient prendre à sa conservation : essayons de suppléer au silence de l’historien.

Le choix de l’emplacement d’un temple, la consé­cration de cet emplacement, l’élévation et la disposition de l’édifice étaient autant d’actes religieux d’une haute importance, dans lesquels intervenaient le souverain pontife et le collège des augures. Un temple était-il détruit, qn devait le reconstruire sur un plan exacte­ment semblable à celui dont on avait primitivement fait usage; tout changement, toute amélioration étaient pro- hibés. De là provint l’impossibilité où l’on fut de soumet­tre à un alignement les édifices sacrés du forum. Chacun dés temples de Rome rattachait son origine à quelque fait éclatant de l’histoire nationale. Ces idées deconsécra-

tion religieuse, ces souvenirs de l’ancienne gloire, par­laient encore à l’imagination des Romains du sixième siècle. Sans doute les églises recevaient seules leurs prières, et ils ne regardaient les temples que comme des tombeaux, mais ces tombeaux ils les vénéraient,ils ne souffraient pas qu’on les profanât et ils ne reconnais­saient qu’au temps seul le droit de les détruire.

Il paraît, et ceci n’ést pas moins diçne de remarque, que ce sentiment de respect couvrait meme" les idoles : les statues de Pallas, de Janus et des Parques qui sont mentionnées par Procope, nous le font croire. Le Pan­théon d’Agrippa ne fut transformé en église et dédié à la Sainte-Vierge que dans le septième1 siècle, par les soins du ^dL^^onxïàceWzAblatisidololatriœ sordibus^ 1    dit Paul Diacre1 a. L’empire des idées païennes se faisait

iv, 37. jour presque partout; ainsi, une médaille de ce temps reproduit le mythe de Romqlus et Rémus allaités par >EckheL la louve, avec l’ancienne inscription Irwieta Roma\ L’on sait que la louve en bronze du Capitole resta jusqu’au seizième siècle dans l’église de San-Teodoro, ^Marango- ancæn temple de Romulus^.

ni. p. 239.   r.

Marangoni s’est efforcé de prouver que le christia­nisme en adoptant librement certaines formes païennes les avait purifiées, et que l’on ne devait pas voir dans leur perpétuité un indice de l’influence exercée par l’ancien culte sur l’enfance du nouveau. 11 cite un diptyque en ivoire où l’on vbit représentés un cru-

a II faut observer que dans plusieurs temples païens convertis en églises, les restes d’idolâtrie ne furent pas tous enlevés. Marangoni cite une foule d'autels païens qui, à l’époque où il vivait, étaient encore placés dans les églises et servaient aux cérémonies du culte chrétien. P. 165-179 188-199.


CHAPITRE V.    3oi

eifix et au-dessous la louve allaitant les fondateurs de Rome, avec l’inscription : romvlvs et remvlvsalvpa nvtriti 1 ; il croit qüe cette représentation a eu pour * P. «4. but de rappeler le triomphe de la croix sur le paganisme romain. Ce symbolisme, je le sais, n’aurait paseu dans les siècles modernes un sens différent, mais peu bon croire que l’église en eût approuvé l’emploi, à une époque où il existait encore des adorateurs de Romulus, et des hommes qui espéraient pouvoir un jour redresser ses idoles renversées? De semblables représentations moitié païennes, moitié chrétiennes, doivent être considérées, quand elles appartiennent aux temps du Bas-Empire, comme des témoignages de la continuation de ce combat entre les idées nouvelles et les idées anciennes, dont le théâtre avait été transporté au sein même de l’église.

Gardons-nous de penser que le respect pour les dé­bris de l’ancien culte .fût un sentiment particulier à la ville de Rome, il s’étendait jusque dans les pro­vinces italiennes, où les efforts de Théodoric n’avaient pu parvenir à l’étouffer. A Bénévënt, par exemple, on conservait précieusement et l’on montrait aux dévots païens les prétendues dents du sanglier de Calidon, apportées, disait la légende, par Diomède lorsque, après la ruine de Troie, il vint fonder cette ville. « Elles « y sont encore conservées, dit Procope2, on peut les »i, 15. a y voir. »

Telles sont les lumières fournies par le confident de Bélisaire sur le sujet de nos recherches. En se rappelant les faits contenus dans son histoire, en tirant de ces faits des conclusions qui ne sont aucu- nement forcées, on est conduit à reconnaître qu’il existait en Italie un nombre assez grand d’individus


sur l’esprit desquels les croyances païennes étaient en­core puissantes. Forcés le plus souvent de dissimuler leurs sentiments, ils entretenaient.dans la solitude du foyer domestique le principe d’où découlaient tant de frivoles espérances. Les temps letir paraissaient* ils moins contraires, le christianisme se reiachait-il de sa surveillance, les événements politiques détour­naient-ils l’attention des magistrats, alors ils risquaient quelque tentative publique en faveur de leurs dieux. La restauration du Palladium de Vesta, fait très-grave et sur lequel malheureusement nous possédons peu de détails, eut lieu saps doute dans de telles circon­stances. La situation de ce culte, qui a encore des secta­teurs mais plus de ministres, plus d’autels, plus de tem* pies, rend difficile la détermination précise de l’époque où les divinités païennes cessèrent d’être invoquées no­minativement dans l’empire romain. Souvent j’ai cru le moment arrivé de terminer ces recherches, tout sem­blait dire que le paganisme n’existait plus; subitement un fait isolé, une voix qui retentissait, une protestation individuelle, une tentative folle et imprévue m’ont an­noncé que la pensée païenne fermentait encore au fond de quelques âmes. Une religion ne meurt pas à jour et heure fixes; si elle doit périr, si tel est l’arrêt du destin, elle consume peu à peu ses forces dans une lutte mal­heureuse et toujours de moins en moins retentissante. L’instant précis où cette lutte fut terminée devient donc difficile à fixer. Sans doute les dernières années du sixième siècle virent balayer du sol de l’Italie pres­que tous les débris de l’ancien culte; je vais toutefois montrer, en mettant sous les yeux du lecteur des ex­traits de la correspondance du pape saint Grégoire,


CHAPITKB V.

3o3 combien il était difficile d’obtenir un succès complet dans cette réforme morale contre laquelle faisait effort une obstination dont l’énergie est difficile à concevoir.

a Nous avons appris, écrit ce célèbre pontife à a Agnellus évêque de Terracine x, que dans votre ’ep/Js? « diocèse quelques hommes, on çougit de le répéter ! « rendent un culte aux arbres et font beaucoup d’autres « choses contre la foi chrétienne.... » 11 s’agit cepen­dant foi d’un pays voisin de Borne et que les historiens représentent comme ayant adopté le christianisme dès le commencement du cinquième siècle.

Il écrit à Pierre, évêque de la Corse* : « 11 convient ’                            

« de ramener à la foi par une pénitence de* quelques « jours ceux qui par faiblesse ou par contrainte sont « revenu&aux idoles— Je vous fais passer cinquante sous « pour acheter des vêtements que vous distribuerez aux « personnes qui recevront le baptême a

Saint Grégoire recommande habituellement aux évêques, d’employer à. l’égard des païens beaucoup de douceur3, et il ne s’éloigne de ce sage principe que dans une lettre adressée à Januarius, évêque de Sais daigne4; il l’engage.à sévir contre les païens, les arus- pâces et les sorciers ; s’ils sont esclaves, il veut qu’on les fustige et qu’on les mette à la torture ; s’ils sont libres, un simple emprisonnement doit être prononcé contre eux. La situation religieuse de cette île réclamait à la vérité l’emploi de moyens rigoureux; car les païens y jouissaient d’une liberté complète pour l’exercice de leur culte, et le gouverneur, qui était chrétien, se bor­nait à percevoir un impôt sur les sacrifices et n’y met- Ordînis s tait obstacle que quand ce droit n’était pas acquitté 5. Benedicti.

3L.I, ep. 35.

4L. II, p.<>S â 6.

5 Acta. SS.

t. I,p. 449.

Voilà, je ne dis pas l’insouciance, mais la complicité des magistrats chrétiens mise dans tout son jour.

Le pontife étendit ses soins bien au-delà des pro­vinces italiennes et gauloises. Nous possédons une lettre écrite par lui à Édelbert, roi des Anglais, pour l’engager à combattre l’idolâtrie dans ses états, et à ren- 1 xFep'76 verser les temples et les simulacres des païens ia.

L’état de la Grande-Bretagne méritait de fixer l’at­tention des souverains pontifes, car on voyait régner dans ce pays non pas seulement des coutumes super­stitieuses qui, par malheur, existaient alors dans tous les états de l’Europe, mais des restes encore recon­naissables de druidisme. Les Scots, les Pietés et les Saxons en conquérant l’Angleterre y détruisirent les vestiges du culte romain qui n’avaient été que faible­ment attaqués par le christianisme; mais les débris du druidisme surent mieux leur résister, et sans doute les coutumes superstitieuses contre lesquelles les pontifes »Horsiey’s réclamaient l’aide des missionnaires, étaient un mélange tiqrrities’of confus des usages du druidisme et de ceux du culte ^4 *75. d®8 conquérants?. Gildas le Sage les appelle portenta 3DeExcidio diabolica 3, et dit qu’elles l’emportaient par leur Britanmæ.    '       r,

Bibüoih. nombre sur les superstitions égyptiennes. « Nous en Max. pair.

1 VJV   *      avant d’être évêque de Rome, traversait le forum de cette ville

P* 70    ’ un jour où la foule se pressait autour de marchands étrangers nouvellement

arrivés. Il fut frappé de la blancheur du teint, de l’éclat des yeux et de la. chevelure blonde de jeunes enfants exposés en vente, et demanda de quel pays ils étaient ; on lui répondit qu’ils venaient de l’île de Bretagne. « Ces in­et solaires sont-ils chrétiens ou païens? » ajouta-t-il ; sur la réponse qu’on lui fit qu’ils étaient païens, il s’écria : « ô douleur ! quoi! d’aussi beaux visages « appartiennent à l’auteur des ténèbres, et des fronts si gracieux cachent une « âme malheureuse et privée des joies intérieures! » Il forma dès ce moment et n’abandonna plus le projet de répandre le christianisme en Angleterre. Acta ord, S. Bened, t. I, p. 3gr.


« voyons quelques-unes avec horreur, ajoute-b-il, sub- « sister encore sous des traits déformés, et infester « comme autrefois les déserts et les masures aban- <k donnés.» Tel était l’aveuglement obstiné contre lequel Grégoire engageait le roi des Anglais à sévir. Je ne m’arrêterai pas.davantage sur un sujet dont les rapports avec l’histoire de la religion des Romains sont au moins très-indirects, et je terminerai ce chapitre en jetant un coup d’œil sur la situation des païens d’Orient. On va voir combien elle ressemblait peu à celle de leurs frères d’Occident.

En Asie les lois rendues précédemment contre les enfants des Hellènes ( ÉXXtjvwv ), car c’est ainsi qu’on nommait les païens, n’étaient pas comme en Occident tombées dans l’oubli; au reste ces lois pouvaient passer pour inutiles, car le fanatisme des chrétiens se suffisait à lui-même. Les païens qui res­taient, malgré le péril, fidèles à leurs croyances, se cachaient pour célébrer leurs mystères et dissimu­laient soigneusement leur religion. En l’année 561, on découvrit à Constantinople plusieurs de ces mal­heureux qui vivaient dans l’ombre et pratiquaient en secret leurs superstitions : ils furent arrêtés; on brûla leurs livres et les images de leurs divinités au milieu' de la place nommée Cynegium, et ils subirent eux-mêmes le supplice réservé aux crimes ignominieux, c’est-à-dire qu’après leur avoir coupé les pieds et les mains, on les promena nus et sur des- chameaux à travers les rues de la ville1. Le paganisme 1 Maiala.

A       . .        x       . Chronicon.

ne pouvait pas etre poursuivi d une maniéré aussi 2ap.p.a38. cruelle dans l’empire d’Occident, par la raison que les peuples barbares qui avaient envahi et conquis cette

IT.

20


partie de ’Fettipire étant ou idolâtres ou ariens, ren­dirent par le seul fait de leur présente floûtOéactfon des chrétiens Contre les païens impossible. H faut croire aussi que la tradition de douceur et d’éqtrité établie de­puis si long-temps au sein de l’église d’Qccident, aurait prévenu l’explosion d’ün zèle aveugle, si le fanatisme des Orientaux s’était fait par malheur dés prosélytes dans nos contrées.


J

CHAPITRE VL ;

Des vestiges de paganisme conservés dans les G aides.               

( ,L’xNV4SiQff des.peuples du Nord vint ranimer l’iifoi latrie daps l’Europe méridionale, et le dpçistiafljsme > victorieux des religions grecque, romain# et égyptienne, eut à, combattre urç ennemi dont il n’avait même. pas; soupçonné l’existence. Quand, pour la première fois^ op fixe son ^attention, stur l’histoire religieuse du cin- qpième siècle et que l’on voit cette multitude (Je no­tions barbares apporter dans nos contrées les images de Thor, d’Odin, de Frigga, de Freya, et les opposer à celle du Christ, on est disposé à croire que la lut,tq çntre deux systèmes religieux complètement difféi[eqt& et qui n’avaient jamais eu l’un avec l’autre #ucun poipt/ de contact, va commencer avec violence; mais bientôt on reconnaît; que cette prévision est erronée et qi^’il n’y a pas eu véritablement lutte entre jes deu^ relit- gipns,, puisque le culte des barbare^ n’a opposé au christianisme que cette résistance qui naît dé jà sçulq force de d’habitude.                ,

• ' -i   .               .        ’ J • . '      .'I .‘I r      1

Il est d’ailleurs probable que le culte Scandinave était déjà, très-affaibli avant lepoqu# des invasions^, car les idées chrétiennes se répandirent avec line faci­lité surprenante chez , les Goths dès le règne de. l’empe-, reur Gallien. Les belliqueux Visigoths leurs compa­triotes adoptèrent universellement la religion des chrétiens, et cet exemple fut suivi par les Bourgui­gnons dans la Gaule, par les Suèves en Espagne, par les Vandales en Afrique, par les Ostrogoths en Pan­nonie et par les différentes bandes de mercenaires, qui plus tard placèrent Odoacre sur le trône d’Italie. On comprend sans peine que l’organisation si puis­sante du clergé chrétien suffit pour faire prédominer le christianisme chez des peuples qui, autant qu’on peut en juger, manquaient d’institutions religieuses.

Les Francs et les Saxons persévéraient seuls dans leurs croyances, et l’on est forcé de reconnaître que la religion du Nord était aussi puissante sur l’esprit de ces deux nations qu’elle était faible chez les au­tres péuples dont je viens de parler; mais il ne nous est pas possible d’indiquer la cause de cette différence.

La conquête de la Gaule par les Francs et de la Grande-Bretagne par les Saxons eut donc pour résul­tat d’y ranimer tous les germes d’idolâtrie qui avaient pu échapper à l’action du christianisme.

Glovis reçut le baptême en l’année 496. Ce fait im­portant détermina sans doute la ruine du culte Scan­dinave dans la Gaule; mais ses conséquences ne de­vaient se faire sentir qu’insensiblement, car le chef des Francs n’avait ni le pouvoir ni l’intention de violenter la conscience, non pas de ses sujets, mais des barbares qui combattaient sous ses ordres. Aussi les supersti­tions importées de la Germanie continuèrent-elles à se répandre dans toutes les parties de la Gaule occupées par les Francs, et à y féconder les principes d’erreur qui y avaient été déposés antérieurement. Nulle part en Europe on ne voyait plus que dans cette contrée


les croyances, les pratiques et les rites idolâtres eu honneur ; nulle part la population ne montrait moins de disposition à passer, dans un temps même éloigné, sous les bannières du christianisme.

Au milieu de ces révolutions d’états et de mœurs que devenaient les vieux débris du culte des Romains ? Résistaient-ils encore, ou bien avaient-ils disparu au sein de cette grande rénovation morale de l’Europe ? Je répondrai sans doute à ces questions ; mais ma réponse ne sera ni aussi précise, ni aussi satisfaisante que la grande quantité de documents historiques mis à notre disposition autorise à penser qu’elle devrait l’être. Je vais faire comprendre les motifs de cette contra-' diction.

J’ai dit précédemment1 que les Romains avaient porté leurs armes et leur religion dans des provinces où régnait le culte des Germains. On sait que s^eloq leur usage les vainqueurs, au lieu de renverser les autels du peuple vaincu, se contentèrent de donner les noms de leurs propres divinités à ceux des dieux étrangers dont le caractère et les attributs se prêtaient le mieux à cette sorte de métamorphose. Odin devint Mercure; Thor, Jupiter; et Frigga, Vénus. Si les peu­ples des deux Germanies, de l’Helvétie et de quelques provinces septentrionales de la Gaule eussent, après leur réunion à l’empire romain, cessé tous leurs rapn ports avec les nations de la Germanie; si les mœurs x les idées et les croyances romaines avaient poussé de profondes racines au milieu d’eux, certes, après un laps de quelques siècles, Odin et Thor auraient perdu leur ancien caractère Scandinave pour devenir vérita-. blement Mercure et Jupiter; il n’en fut pas ainsi, car

P.SqS.


3io      liVm lii*

Divers écrits, t. Il p. J5o.

les inscriptions nous font voir qué^mêïne au quatrième rièélé, lé cuïteMtfrcifr^Wôdail était bien plus un culte étranger qu’un édité romain. Le ’têftips c’avait pas opéré une fusion entre dètix principes Sinon op­posés 9 an moins très-distincts. « Les ïtowiains eurent « le dehors, dit Fâbbé 'LébeuF le céebr fut pour les * druides. »

’ Cependant les Romains; peu aèeoutumés à cette résistance d’une religion étrangère j h’én tinrent aucun compte, et crurënt que leur culte était établi dans les provinces dont je parle, dé la niême manière et aussi solidement qu’il î’étâit eh Espagne: ou éü Afrique. Le clergé chrétien hérita de cétte erreur ,- quoique Finva- sion des Francs fût de nature à lui en faire compren­dre Fétendue. En effet les Francs/ quand ils franchi­rent lé Rhin au cinquième siècle , rapportèrent dans lés Gaules l’image primitive et pure d’Ôdin, et lés Gallo-Romaîhs,qui Savaient jamais entièrement aban­donné leurs ânciénhes croyances germaines., revinrent avec empressement au culte national, et dépouillèrent les dieux Scandinaves des déguisements qui leur avaient été imposés par une nation dont l’empire n’existait pfusi. Il y eut donc, après l’invasion, dans toute la partie de la Gaule située en deçà dé la Loire j tin re­tour très-prononcé vers l’idôlâtrie, et même une foiilë de pratiques superstitieuses, jiisque-là étran­gères à ces contrées, s’y établirent et y prospérèrent. L’histoire de Grégoire de Tours nous montre à quel point le christianisme avait été défiguré par cette importation des erreurs propres aux peuples de la Germanie.

Les prêtres chrétiens déploraient' la corruption

chawïaa vi.    31,1

des mœurs et de là religion, mais ils np jugeaient pas mieux que précédemment la nature ,du ma). Phxs fa- miliarisés awc la mythologie gréco-romaine qu’avec là théogonie Scandinave, ils crurent qup les Francs étaient courbés squs Je joug de l’idolâtrie rpmaine ; et parce qu’on avait, dans les temps antérieurs, appelé Odin Mercure et Thor Jupiter .1, ils ne balancèrent pas, à deluor** considérer les soldats de Clovis comme des adorateurs dp Jupiter et du Mercure des Romains. Je vais citer quelques exemples de cette méprise*

Grégoire de Tours met dans la bouche de Clotilde, quand elle cherche à convertir Clovis au christianisme,, le discours suivanta Les dieux que vous adorez >l. n, « ne-sont rien , puisqu’ils ne peuvent se secourir eux- * 3l" « mêmes, ni secourir les autres; car ils sont de pierre.,. « de ou de quelque métal. Les noms que vous «.lpur ayez donnés sont des noms d’hommes et non de «dieux ; pomme Saturne qui, dit-on, pour ne pas être « çhwsé du trône, s’échappa par la fuite; comme Ju- « piter lui-même, honteusement souillé de tous les « vices, qui a déshonoré tant de maris, outragé des « femmes de .sa prppre famille, et qui n’a pu s’abste- « nirdu çoncubinage avec sa sçpur, puisqu’elle disait: « Jp spis . la femipe et la sœur de Jupiter. Qu’ont pu «Mars.et Vénus?» Ainsi Grégoire de Tours n’a pas seulement confondu les noms des divinités, il a supposé que Clotilde s’aventura avec son époux dans une dis­cussion sur la mythologie grecque. Son erreur est d’autant plus surprenante que, dans un autre en-’ droit de. son histoire, il dit que les Francs adoraient les forêts, les eaux, les oiseaux, les bêtes sauvages, et qu’ils leur offraient des sacrifices3. L’évêque de

3fa      LIVRE RH.

Tours n’avait.donc sur Fidolâtrié des peuples avec les­quels il vivait que des idées contradictoires.

Les prêtres chrétiens des septième, huitième et

neuvième siècles, et particulièrement ceux qui racon­tèrent les missions entreprises au-delà du Rhin, com­mirent la même erreur, et, le plus souvent, ils ont confondu Thor avec Jupiter^ et Odin avec Mercure. Pour eux aussi il nexitait en Europe quune seule ido­lâtrie , et cette idolâtrie était née dans la Grèce. On comprend combien une telle méprise si souvent repro­duite doit jeter dincertitude sur les recherches dont le but est de déterminer la situation où se trouvaient dans la Gaule les restes de la religion romaine.

11 ne faut cependant pas croire qu’aux époques dont je viens de parler la confusion des deui systèmes reli­gieux fût générale chez les chrétiens; car il paraît que pour quelques clercs plus instruits les noms de Jupiter et de Mercurius n’étaient que la traduction etf langue latine des mots germains de Thunaer et de Vuoden, équivalents de Thor et dOdin.

1 Baluze, ' Un concile, tenu à Lestines en 74^ prohibait sacra Jovis et Mercurii, On peut donc croire que les dé­crets de cette assemblée, qui sont rédigés en langue latine, s’adressaient uniquement aux partisans dès dieux romains ; mais, après âvbif publié divers canons, le concile drêssa en langue vulgaire, c’est-à-dire ger­maine , une formule d’abjuration destinée pour le peu- » Coletti. pie , et dans laquelle i au lieu de Jupiter et de Mercure, Coiiect. con- nous lisons Thunaer eude Uuoden *. cilior.t.VIU,      ai     h i .

{>.278. Un prêtre anglo-saxon, prêchant sur lantechnst, disait3 : « Qualis eral Hercules ille gigas et Âpolio, P- « qtiem illi prœclarum deum finxcrunt ; Thor item

CHÀWTRE VI.

3<3 « et Qden. quos ethnici hommes mqgnopere cele- « brant.n Ici la différence entre les deux mythologie» est clairement indiquée : l’une n’existe plus, l’autre existe encore.

Enfin Aëlfric,dans ses Gloses écrites avant l’an 1000, > Dueange, disait1 : « Allanus Voden quce voxsaxonica ^oda- [‡‡‡]’ *8®* « mun sive Mercurium signifùeat. »

Ainsi, pour plusieurs chrétiens du moyen âge, le mot Mercurius était la traduction en langue latine de celui de Codent sans cependant que pour eux ces deux divinités fussent identiques ; mais soit que Mer- cure jst Odin aient été confondus l’un avec l’autre, soit qu’en appelant Odin Mercure, les légendaires aient su qu’Odin n’était pas Mercure, l’embarras est toujours le même pour nous, car la méprise ayant eu lieu une fois peut s’être, reproduite plusieurs, et en lisant un document en langue latine, dans lequel nous trouverons le mot Mercurius., nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que l’auteur a peut-être voulu dési- gaer le premier des dieux de la mythologie Scandinave.

Une considération diminuera pour les écrivains modernes les chances d’erreurs, c’est que la confusion des noms ne semble avoir eu lieu que pour Thor et Ju­piter, Odin et Mercure*, Frigga et Vénus. On ne. voit pas en effet que les clercs aient donné des noms greics à Freya, à Freyr, ni aux autres divinités de l’olympe Scan­dinave. Leurs notions sur cette mythologie ne s’éten-


dent pas au-delà de 4a connaissance des déftommations (TÔdin, <Je Thor et de Frigga[§§§].           

' L’eiamen dés localités sous le rapport religieux est le seul moyen de vaincre la difficulté dont nous nous oécupôfcs ; je naperçois pas dautre guide dansce genre de recherches. Le culte des Romains na pu s’établir que dans des contrées où ils avaient porté leurs armes et répandu leurs coutumes. On ne doit donc pas ad­mettre la persistance des débris de la religion romaine datas des province^ où lon. sait que lé druidisme ou le culte Scandinave ôrtt toujours dominé. Évidemment dans ces localités le mot Jupiter indiquera le Thor des Scandinaves, et Mercurius Odim

‘ Servons-nous * de Tunique moyen de critique qui nous est offert, et cherchons à déterminer en quoi consistaient les débris du ; culte des Romains dans les Gaules pendant les sixième, septième et huitième siè* des. Je parlerai d’abord de l’in vocation positive des divinités et des rites de leur culte ; je m’occuperai en- suitè dès usages superstitieux provenant de ce culte, . mais qui n’én dépendaient pas absolument.

. " ’ .     ;             '       . zi ,

. *er; Sixième siècle. . )

II est facile de prouver que' la plus grande partie dey divinités gréco-romàinês étaient encore, à cette épo» que, l’objet d’un culte véritable dans toutes les parties de1 la Gaule où les aigles romaines avaient été plantées.

Grégoire de Tours va nous fournir la preuve de


CHAPITRÉE <VI.

Il5 l’invocation 0e ces divinités dans les1 provinces méri­dionales Üe la Gaulé, provinces oùja cmlisatiohro-' mâtine « avait poussé ' de -fortes râdttes» Li’historien, racontant la vie de saint Nicet, évêque de Trêves depuis jus(lu’à l’année 566,; s’exprime en ces ter­mes 1 «!Un homme portant une épaisse chevelure èi? «>. unis longue barbe se présenta devant lui*, et s’étaht 1 prosterné aiix pieds du saint, fl lui dit : « Seigneur, « c’est par Votre secours que j’ai été sauvé du danger « que jecouraîs sür la mer. » Nicet ne voulant pas qu’if lui attribuât ce mérite : « Raconte-moi, répondit*il, «cbmmentDieu t’a tiré dti péril, car je n’ai pas te « pouvoir de sauver quelqu’un; à Alors l’étranger re*. prit : « Je m’embarquai, il y a peu de temps,pourl’Ita- « lie avec un gtand nombre de païens. J’étais réelle* « ment seul de chrétien dans cette foule de paysans | « (rusticorum multitudo}. Une tempête1 s'éleva; je « me mis. alors à invoquer* le nom de Dieu et à'demàn- œderd'être sauvé par votre intercession. Les païens’ « invoquaient leurs dieux; Piïn priait Jupiter; Vautre " ‘ j

« Mercure ; oelui-là Minerve, celui-ci Vénus. Comme! <: « nous étions'à l’instant de périr, je m’écriai iN^nvo-- <t quez’ pas ces dieux ; ils sont non des dieux, mais des « démons^ Si vous voulez être sauvés ^invoquez Nicet,' « afin qu’il obtienne votre salut de la miséricorde divine.1 « Alors ils s’écrièrent tous d’une seule voix : Dieu de « Nieet , secourez^nous ! Tout à coup la mer s’est « apaisée, le vent est tombé, le soleil a reparu, et « nous sommes arrivés heureusement au terme de notre « voyage. J’ai fait vœu de ne point couper mes che- « veux avant de m’être jeté à vos genoux. »

Dans cette circonstance, l’historien ne s’est pas

trompé sur la nature des dieux invoqués, et ces paysans, s’embarquant dans, quelque'port de' la Méditerranée pour l’Italie, ne pouvaient être que des idolâtres romains[****].

Diane était également invoquée dans ces contrées, car GkMjTv’o l’auteur de la Vie de saint Césaire évêque d’Arles, dit1 : Dianum. Dœmonium quod rustici Dianum vacant. Le culte de Diane s’était renforcé d’une foule de pratiques superstitieuses relatives aux forêts et à la chasse, que les Francs avaient apportées dans la Gaule. Je parlerai ailleurs avec plus de détails du culte de cette divi­nité, qui paraît avoir été la dernière dont le nom fut prononcé dans l’Occident.

Si des provinces méridionales de la Gaule nous noüs transportons dans les contrées, du centre, nous trouvons encore dans ces dernières les preuves de l’existence du culte romain.

Le deuxième concile de Tours, tenu en 566, fulmine contre les partisans de l’ancienne erreur ( sequipedas *C^n?1!2'' erroris antiqui) a, et en s’adressant aux fidèles, il prend F- «Sa. la peine de leur expliquer ce qu’était Janus : Homo 3Lebeuf       fuit-, rex quidem, seddeus esse non potuit.

Diver» Ailleurs il est appelé maledictus Janus3. C’était donc I’ bien du Janus romain que les Pères de ce concile entendaient parler, et ici aucune confusion n’a eu lieu.

Félix fut évêque de Nantes depuis l’an 55o jusqu’à


CHAPITRE VI.

317 Fanée 583. Près de sa résidence était une ville riche et très-peuplée nommée Herbaditta (les Herbauges), et dont les habitants conservaient pour le paganisme un attachement très-prononcé. Félix gémissait d’être con­traint de vivre si près de ce foyer d’impiété. Un jour ' il appela un de ses prêtres, nommé Martin de Ver- tou, et lui dit1 : «Vois, mon très-cher frère, combien, Aeta ss. ’ «encore de nos jours, le vieux ennemi du genre hu- L I»P-- a main conserve de puissance. Nous devrions rougir

        de n’avoir pas déjà extirpé ces restes du culte pro- «fane. Partout le nom du Christ retentit; partout « on annonce les richesses de la gloire divine : et nous,

        dans notre indifférence, nous souffrons que sous nos . « yeux le siège du démon reste inviolable! » Il ordonne aussitôt à Martin de se diriger vers Herbaditta, et lui trace le plan de conduite qu’il doit suivre. Martin, que le légendaire compare à Jonas se rendant à Ninive, s’embarque sur la Loire, et arrive'bientôt dans les lieux où son courage et son éloquence doivent se dé- ployer. Félix ne l’avait pas trompé : c’est dans une ville toute païenne qu’il pénètre. Il y voit une statue dorée de Jupiter et d’autres simulacres soit en bronze, soit en marbre, de Mercure, de Vénus, de Diane et d’Her- cule. Ses prédications furent- sans effet, et il sortit, couvert d’outrages, de cette ville qu’il maudit, et dont

la punition, selon l’historien, ne se fit pas attendre a. > id. p. 373.

Les noms de Jupiter et de Mercure, qui apparais­sent dans la série des dieux adorés à Herbadilla, font naître de légitimes soupçons; cependant il ne faut pas oublier que Nantes ( Condivincum ou Nannetes ), à cause de. son grand commerce, de ses richesses et de la fertilité du territoire environnant, avait reçu des

3,8

Rotfafos. Ile ntwiiïQEildejfretagike., «tétaitdevenu la Jieu.d’up'deileurs plu» importante établissementsdans pettepontrée; I] n’est donc. pas impossible que leur rebgion &e soit.établie .au sein d’un .paya où , j’en conviens .cependant, le druidisme, dominait.

.. Samson, regardé comme Je premier évêque deDol, .détruisit, vers l’a> 565, Je» superstition» druidiques " ' qui s’étaitmt maintenues- dans l’île de Rhé, et son histo­rien ajoute qu’il vit en Bretagne des hommes arfor/inr 1 Mabillon ; . , »  . n

Acta, 1,177. tetf swwm       *•

Grégoire, de: Tour» nous apprend que de sontgmps il existai- une statue de, Diane.; sur Je territoire de Trpves , ville dont l'attachement; au culte des Romains >v.p.«9. nous;qst connu

3 L- VJU> « Dans notre mute nous arrivâmes , dit-il à Ivois*. Là nous, trouvâmes le dipere Vulfilaïc, qui nous con­duisit à ,soq: monastère, oit nous fûmes reçus avec beaucoup:de bienvedtance. Pendant notre séjour dans ce lieu, nous le priâmes d’avoir la bonté de nous ra­conter-quelque chose- de son entrée en religion et COmtneut-i) était arrivé qux fonctions ecclésiastiques, car il était; Lombard de naissance. » Vujfilaïç cède.à se»; instances, ut fait ainsi, l’his.toim. ,de.’ su vip. ;« Je me « ne^dis sur le territoire .de Trèyçfs e.t j’y cpqstruisis « de. me? propres main$ ;sur eçtte montagne: la petitc ,j,. « demeure que vous voypz.j’ytrouvaâunsimulaçre de «Diane que les gêna du lieu^.eneprejnfidolçSj ado- « raient çommc. une,divinité-.»,TJoqs,Jpj demandâmes ensuite ayec instance, ajoute Grégoire, de;npus dire comment il avait.renversé le.simulacre, dg la montagne; il repriten ces termes: «.MéiUQUrritUEeétfût.un peu.de aBoung situé dans le grand duché de LuMmbcnng.*

VI.       3^9

« pain et d’hcrjbp et que petite quantité d’eau ; ma,is il «. .commençai vpnir vers moi, Jbewcpup de gens, des yit « lages voisins, Je leur prêchais çpntinneljçment que «Diane n’ejpstait pas, que Je simulacre et les .autres .«.objets auxquels i|s pensaient devoir adresser un culte « n’étaient absolument rien. Je leur répétais aussi qqe « ces cantiques qu’ils avaient, coutume de chanter enbu- « vaut et au milieu de leurs débauches étaient indignés « de la divinité.... Je priais bien souvent le Seigneur « qu’il daignât renverser le simulacre et arracher ces « peuples à leurs erreurs. La miséricorde du Seigneur « fléchit enfin ces esprits grossiers et les disposa, ,prê- « tant Pareille à mes;paroles, à quitter leurs idoles et à « suivre le Seigneur. J’assemblai quelques-uns d’entre « eux afin de réussir, avec leur secours, à renverser ce « simulacre immense que je ne pouvais détruire par « ma seule force. J’avais déjà brisé le? autres ido|es, e.qe qui était plus facile. Beaucoup de gens se réunirent « autour de la statue de Diane ; ils y jetèrent des cordes « et commencèrent à la tirer ; mais tous leurs, efforts <k ne pouvaient parvenir à l’ébranler. Alors je me jeudis « à la basilique, je me prosternai à terre et je suppliai fl.ayeo des. larmes la miséricorde divine de détruire « pair la puissance du ciel ce que l’effort terrestre, ne « pouvait suffire à renverser. Après mon oraisoa je « sortis de U, basilique et vins retrouver les ouvriers; «jpprisJa corda et aussitôt que nous recommepçâmçs " «à tirer, dès Je premier coup, l’idole tomba; on lft

« brisa ensuite et.avec des maillets de fier on la réduisit « en poudre. ».    .       <

L’entrevue de Grégoire de Tours et de Vulfil^uc eut

3ao      LIVRE ÏIL

lieu sous le règne de Childébert II, c’est-à-dire entre les années 5y5 et 596 : on peut alors calculer l’époque où la statue de Diane fut brisée, et nous ne pouvons pas commettre une grande erreur en disant qu’elle succomba cinquante ans après la ruine de celle d’Apol­lon au mont Cassin.

Le dieu Terme était honoré dans les provinces du 1Vccntre de la Gaule1 ; et le culte des Mânes n’y comptait «id* pas un nombre moins grand de partisans1.

Si l’on se rappelle les noms des divinités gréco- romaines que je viens de désigner, on verra que le polythéisme romain existait encore et d’une manière à peu près complète dans les Gaules pendant le sixième siècle. Sans doute ces débris du culte ancien ne for­maient pas une religion, car le mot de religion con­tient surtout l’idée d’une association d’individus unis dans le but d’honorer la Divinité d’une certaine manière, et les païens de la Gaule n’étaient attachés les uns aux autres par aucun lien. Chacun d’eux persévérait dans ses erreurs par le mouvement de sa propre volonté, et sans s’inquiéter de savoir si ces erreurs étaient ou n’é­taient pas partagées par ses parents, ses amis ou ses compatriotes. C’était même cet état d’isolement et cette absence de conviction réfléchie qui rendaient difficile la tâche du christianisme, car il fallait que les mision- naires chrétiens s’adressassent pour ainsi dire à chaque païen en particulier afin d’obtenir de lui qu’il renonçât à ses erreurs. Cependant il est juste de dire que la persévérance des païens, quoique appuyée principale­ment sur l’ignorance, s’alimentait aussi à une source qui nous est connue, à ce sentiment de reconnaissance


pdur les dieux fondateurs de la prospérité des temps passés, qui à Rome et dans le sénat fit battre tant de nobles cœurs.

Quand saint Colomban, célèbre missionnaire du sixième siècle, voulut renverser trois idoles que les païens de Brégentz avaient replacées dans un oratoire dédié à sainte Aurélie, ils lui dirent ées mots remar­quables 1 : « Ce sont les anciens dieux, les gardiens 1 Mabillon, « vénérables. de ce lieu, par la faveur, desquels nos^'J^1’ « personnes et nos biens ont été conservés jusqu’à ce « jour. » Ce langage n’était-il pas celui des Prétextât et des Symmaque ?

Recherchons maintenant les cérémonies et les pra­tiques issues du culte romain qui s’étaient maintenues dans les Gaules en dépit des conciles, des évêques et des missionnaires.

On conçoit que je dois avant tout porter l’attention du lecteur sur les Calendes de janvier; car ces fêtes étaient en si grande faveur pendant le cinquième siècle qu’il n’est pas naturel de supposer que leur crédit se soit affaibli pendant le sixième. En effet, nous voyons que les Calendes de cette époque* ramenaient çes actes publics de licence et de superstition contre lesquels Ambroise, Augustin et Maxime s’élevaient avec une si grànde chaleur.

Isidore de Séville répétant pour ainsi direjes propres paroles de saint Augustin, s’exprimait ainsi9 : « L’église off. 1.1, a institué le jeûne des Calendes de janvier à cause de c'41 ‘ l’erreur des gentils. Janus était un roi des païens qui donna son nom à ce mois. Des hommes insensés l’ho- norèrent comme un Dieu, transmirent son culte à leur postérité et consacrèrent par des représentations théâ-

11.

Ltvmr xft.

traies et par des actes de débauche te jour dès Calendes de janvier. Aujourd’hui des misérables et/ qui pis est, des chrétiens se déguisent en bêtes féroces et prennent des figures monstrueuses ; d'autres ste travestissent en femmes et énervent leurs traits virils. Plusieurs, tou* jours fidèles aux anciennes coutumes de la superstition ? profanent ce même jour en prenant les augures. Les cris des danseurs y leurs applaudissements retentissent en tous lieux ; et, ce qui est encore plus honteux, des personnes de sexes différents forment des chœurs; privées de leur raison, échauffées par lé vin elles se mêlent les unes avec les autres. Les saints Pères consi­dérant qu’en ce jour la plus grande partie du genre humain s’abandonnait au sacrilège et à la luxure, éta­blirent dans le monde entier et au sein de chaque église un jeûne public. »

L’église alla plus loin y elle ordonna de chanter des litanies spéciales ad calcandam gèntilium wnsuetw- dinem; et afin de rompre les habitudes enracinées par le paganisme, elle transporta te premier jour de l’année à la fête de Pâques; mais ses efforts demeu­rèrent sans Succès.

-Recueil L’abbé Lebeuf a dit1 : « Il faut distinguer plusieurs p. 296. ’ degrés de folie dans les Calendes de janvier, et il faut en faire une différence selon les siècles» Dans les siècles les plus voisins du règne de l’idolâtrie, ces folies étaient 1. ,0 bien plus excessives qu’elles ne furent dans le sixième et le septième siècle» Les chrétiens n’étaient plus alors si attachés^aux abominations du paganisme.... » J’avoue que je ne suis pas autant frappé de oètte amélioration morale des habitants de la Gaulé que le docte anti­quaire, et je «trouve que les écrivains du sixième siècle

cq^pi^Rçvi.     3^3

avaient rai&m quand ils qualifiaient las Calendes abo~ mineMis. cwmuetudç ‘a. R“ vffet !es actes supersti-» * Mabiiion, tiens qui, selon w\nt Augustin ou selon l’auteur dnA*to*II,*‘ sermon De Tetnpwe attribué peut-être à tort à ce Pèçe. de l’église, souillaient cette fête, sont absolument sern-i blables à ceux qui .furqnt plusieurs fois condamnés pqr (, les conciles et|e$ docteurs du sixième siècle. N pus apercevons -toujours ces déguisements appelés Cer* ttvluf, Hityiulus ou f^ejula, ces. danses lascives, çqs festins dé$ordonBés..qui étaient l’essenqç.des anciennes Calendes, Sans doute ep plusieurs endroits des pra? tiques druidiques tplles que le Gui de Fan neuf* nom­mé par un savant allemand die druidischen n.çtya}i.r-

gebrâuçhts* t étaient venues se joindre à la fête ro- 4 ’****• rpaine, mms cette adjonction n avait pas eu pour effet de purifier çqtte defnièfe, qpi resta ap sixjème siècle qu’plie avait été pendant le quatrième et le çin,- qqième, c'est-à-dire une époque de licence pour les amis do la superstition, quel que fut du reste son caractère ou Son origine; ajoutons que ce mélange n'autorisait pas les légfridftiFÇ* à donner le nom gépérique AeÇalea^es dejunvier ^ centaines fêtes celtiques ou germain.es qui .se célébraient au commencement de l’année. Cette mé­prise était une conséquence du système appellatif qu’ils avaient adopté.

Lee Calendes n’étaient ppS |a seule fête qui dans la Gaule rappelât l’existence de l’ancien culte des Ro­mains.

Paps les provinces méridionales on fêtait le jeudi riWHPp dédié à Jupiter3.     JGdha..

, Les païens célébraient,, le ? a. février, les Ferqlia en t-V.^toSu l’bopncvr. des morts et les Tçrminalia ep l’honneur

ai.


du dieu Termfe. Dans les Feralia 9s déposaient sur les tombeaux des viandes et donnaient des festins auxquels les chrétiens prenaient part. Les Tetminalia n'étaient souillés par aucun acte répréhensible, puisqu'on se bornait pendant leur durée à charger de fruits et de » id.v,85i. fleurs les bornes qui séparaient les héritages1.

Les fêtes dé Bacchus continuèrent pendant toute la durée de ce siècle à être célébrées dans la Gaule ; mais il faut reconnaître que le caractère religieux de ces fêtes avait presque totalement disparu ; elles n’existaient plus que comme une occasion fournie aux paysans de déployer, à l’époque des vendanges, leur goût pour «Académ. üne ;oie licencieusè et grossière3.

des lnscnpt. J        ü

Liu,p. a6î.   Les pratiques de l’art divinatoire étant communes à

toutes les idolâtries qui avaient régné dans les Gaules, je ne les décrirai pas avec détail ; je dirai seulement que les actes superstitieux à l’aide desquels les Ro­mains se flattaient soit de lire dans l’avenir, soit d’in­fluer sur les décrets de la Providence étaient pendant le sixième siècle en faveur dans les Gaules, que les princes exerçaient eux-mêmes 'publiquement la divi­nation , et enfin qu’à aucune époque l’empire de cette J   science ridicule n’avait été mieux assuré et plus gé-

de France,          r B

tni.p. ii. néral3.

Je vais analyser les lois rendues par l’autorité spi­rituelle ou temporelle contre les partisans de l’ancien culte romain et achever de faire connaître ce qui con­stituait les vestiges de ce culte.

Childehert I, fils de Clovis, combàttit l’idolâtrie avec 4lx.LoH- zèle : c’est sous son règne qu’elle succomba dans Paris4, neau. lÿist.  ..      , n                           ,

de Paris, Le recueil de Baluze commence par une loi de ce XIT’ prince datée de l’an 554 et qui a ; pour titre De abo-


CHAP1THE VI.

3*5 tendis idolatrice reliquiis*. « Quiconque, y est-il dit, * i, 5. n’aura pas, après un premier avertissement, fait dispa­raître de son champ les simulacres et les idoles dédiés par les hommes au déinan, au aura empêché les prêtres de . les détruire , dbsmera des répondants et restera à notre disposition. s .Ghildebert se plaint ensuite , de plusieurs sacritégds habituels au peuple, mais qui pro­venaient de la corruption des mœurs et non de l’ancien culte rOiriain ; et1 il prononce des peines contre ceux    

qui s’en rendraient coupables; Lé législateur ne dis­tingué plusentré les divers débris d’idolâtrie qui étaient épârs sUt lé >spl dei la. Gaule, il' voit seulement des idoles dédiéesau.déhîon. Ain», tous ces restes d’idolâtrie coihinejuçàient à perdre leur caractère de nationalité, où plutôt, conformément à une opinion adoptée par le» pères de. l’église du quatrième siècle, ils étaient rattachés à l’idée générique du démon qui semblait comprendre l’idolâtrie tout entière. Cependant les conciles, dan» lesquels siégeaient des hommes, plus éclairés que ceux qui composaient le conseil du prince, désignaient quelquefois avec précision Fancienne ido­lâtrie romaine.

Le deuxième Concile d’Orléans.réuni en 533 excom­munie les chrétiens qui retourneraient aux idoles et feraient.usage.de viandes provenant de victimes im­molée» ’•                                     «Concil.IV,

Le deuxième, concile de Tours tenu en 566 interdit I,79‘ la célébration des Calendes, des Feralia et des Ter- mirtalia^.  3id.v,85r.

Le pape saint Grégoire, si ardent à poursuivre les restes de l’idolâtrie, écrivait en 568 à Brunehaut, reine des Francs 4: « Vous devez aussi contraindre avec <t. ii, p. g38 d.


« modération vos sujets à se soumettre à la discipline « de l’église, en sorte qu’ils n’immolent plus aux idoles, « qu’ils n’adorent plus les arbres et qu’ils n’étalent plus « en public les têtes des animaux dont ils ont fait des « sacrifices impies. Nous sommes même informés que «plusieurs chrétiens qui accourent aux églises con- « douent cependant, chose abominable! de rendre un « culte aux-démons. »

« Concii. Le Synode d’Auxerre tenu en 5851 défend de fêter t, V, p. ç56.        [††††] /     

les Calendes, de.se déguiser en vaches ou en cerfs, de se donner dés étrennes, d’acquitter des vœux à des buissons, à des arbres, à des fontaines, de faire des pieds de bois ou des figures entières d’hommes pour placer sur les chemins, de consulter les sorciers et les devins, de s’arrêtér aux augures ou aux sorts du bois ou du pain, et aux prétendus forts des saints, de former des danses dans les églises, d’y faire chanter les filles, et d’y préparer des festins.

En 58g le premier concile de Narbonne défendit de >id.p.io3t. fêter le jeudi comme un jour dédié à Jupiter3*; mais cette défense s’adressait aux chrétiens.

Je suis parvenu à démontrer que pendant toute la durée du sixième siècle, l’état du culte romain dans les Gaules ne différa pas essentiellement de ce qu’il avait été pendant les cinquante dernières années du cinquième. Cette conclusion n’aura rien de surprenant quand on saura que le moine Jonas ne craignait pas d’avouer que de son temps la force de la religion était


CHKPITB» VI.

3&7 à peu près détruite dains J». Gauk à cause de h nér gligence des évêques1. Sans doute vers le milieu du ,A^tll^t’ sixième siècle ou vit apparaître use foulé de mission-' naires remplis de courage et de lumières, et il suffira, pour foire connaître le mérite élevé de ces ardents pro­pagateurs de la foi, de citer saint GoJomban, saint Gall, saint Valéry, saint Agile.... Mais tous ils dirigèrent l’effort de leur zèle contre le culte d’Odin encore puisr sent chez; les Francs, comme sd l’intérieur de la Gaule ne renfermait pas d’autres restes d’idolâtrie également dignes de leur attention. Le jugement sévère de Jonas est conforme à l’idée que nous donnent de ce siècle les autres documents historiques; ils nous montrent un clergé nombreux, actif, plein de zèle et de piété, mais impuissant à dominer .une société dont les convictions flottent incertaines et qui est tourmentée par une cor*, ruption profonde. Grégoire de Tours rapporte une longue discussion qu’il eut avec un personnage nommé A,gila'j envoyé d’Ëuvichjlde près de Childeric; or, cet Agila déclarait que toutes les religions lui semblaient également bonnes et que, selon l’occasion, il entrait indifféremment dans un temple ou .dans une église pour faire sa prière a. Combien la transformation des 1 Hi»t. v, moeurs fut lente et difficile à opérer ,en Occident !                                       4S

§ a. Septième siècle.

Lies témoignages historiques relatifs à la propagation du christianisme sont, pour ce siècle, très-nombreux, mais encore moins précis relativement au paganisme romain que ceux du siècle précédent. Les hagiographies parlent sans cesse de Verrorgent ilium et des fana agne&- maisih n’essaient même pas de faire .connaître en


quoi consistait cette error, ni quels dieux on adorait dans ces fana; cependant quelques-uns d’entre eux ayant apporté dans leur langage un peu plus de précision, il me sera facile de prouver que le souvenir des divinités romaines vivait encore chez les habitants de la Gaule* Il résulte de la légende de saint Romain, évêque de Rouen pendant une partie de ce siècle, que Vénus avait un temple dans le faubourg de 'la ville. Voici la des- > Marienne cription que nous en a laissée le poète historien de The^urus sa|nt Romain > :

nov. III, i656, b.

In medio castri patet area more theatri, Quo fanum Feneris titulus spurcœ mulieris Falso frequentatur, scorti species veneratur. .

Ce temple ne demeurait pas comme un simple débris de l’antiquité ; il était fréquenté et on y adorait encore nominativement Vénus.

Trois autres temples dédiés à Jupiter, à Mercure et à Apollon existaient hors de la ville. Saint Romain les fit détruire.

On a souvent cité un sermon de saint Éloy, évêque de Noyon mort en 65g, qui est dirigé non seulement contre les païena, mais contre tous ceux des chrétiens dont l’attachement aux usages du paganisme scanda­lisait l’église. 11 résulte de divers passages de ce discours que les habitants de l’ancienne Belgique adoraient en­core Neptune, Orcus, Diane, Hercule, Minerve et Ginescus (génie loeal): « Que les gens, dit le saint*, l‘l66  * SGnt OCCUS à faire de la toile, ou à teindre, ou

« à un travail quelconque, ne nomment pas Minerve, « ni aucune autre méchante personne. » La nature de ce document et la précision avec laquelle sont dési-


CHAPITK1 VI.

3*9 gnées dés divinités qui n’avaient pas leurs analogues dans la mythologie séandinave, nous autorisent à penser que saint Éloy parlait effectivement des dieux romains.

Les Calendes de janvier, le Ÿetula, le Cervula, en un mot toutes les fêtes païennes que j’ai indiquées pré­cédemment étaient en usagez.                                       «id.

Le concile de Reims tenu en 6a5a, prononça peines contre les chrétiens qui mangeaient des viandes prévenant d’immolations et qui prenaient part aux festins des païens. Ainsi, des sacrifices avaient encore lieu. au septième siècle; mais il ne nous est pas pos­sible de préciser davantage cette assertion et de dire si un tel acte d’idolâtrie était le fait des partisans de l’ancien culte romain ou celui des sectateurs d’Odin. Je le répète, ces deux idolâtries se présentent l’une et l’autre avec des dehors semblables, soit parce que Us bagiographes n’ont pas su les distinguer, soit, ce qui n’est pas impossible, parce qu’elles avaient en plusieurs endroits fini par se confondre.

Le christianisme poursuit sa tâche ; il renverse les idoles, il .éclaire leurs grossiers adorateurs et fait - nétrer la lumière divine dans tous les lieux où naguère la civilisation romaine avait été portée. Ce n’est plus pour lui qu’une œuvre de patience, car presque nulle part il ne rencontre une véritable opposition, une opposition fondée sur des doctrines, ou même sur des intérêts. La puissance de l’habitude seule retarde ses progrès, mais elle cède aux efforts répétés de ces missionnaires qui briguent l’honneur d’aller détruire un temple, un autel, une statue. Au milieu de ces longs et pénibles travaux quelquefois il s’arrête et à la manière dont il

. LIVRC MI.

célèbre Min inumphe, on. reconnaît combien l’ennemi qu’il a terrassé lui semblait redoutable *•

§ 3. Huitième siècle. •

> Baluze, I, i46.

1 Id. i5o.

On n’aperçoit plus à cette époque aucune cérémonie véritable de l’ancien culte romain. Les princes caoio- viàgiensne se contentent pas >de prêter l’appui de leur autorité aux oonciles, aux synodes et aux évêques, ils publient des lois et des décrets contre les actes que l’on qualifiait alors de pàganice1 et -de superititianes ; mais U <eat facile -de voir que ces expressions désignaient les nombreux débris du culte des Francs. A la vérité on lit à la suite des canons du synode tenu à Lectines en jjft un Indicuku mpérstitianum et paganiantm qui semble mentionner l’existence du coite de Jupiter et de celui deMercune^car l’article B est ainsi conçu : De souris Jwù vel Meœurü, et l’qrtide 20 porte : De fttiis qwe ftàiwnt Jovi *pel Mercurio*. On a plu­sieurs fois observé que .le synode de Lestines ayant par ses décrets pourvu à l’administration spirituelle de la Jhuringe, contrée où jamais le culte des Romains

,rDrepaniusTlorus, poète gaulois Au septième siècle, après avoir célébré tairtéréuMmieb du coïté chnétina, s'écrié aéoc Sertés

Nan tie Idasif Mnwlantur Dindyma Gellïs9 Attica nec Gratis nuribus 'vigilatur Eleusis, Orgia Thebarius vel agit nocturna Citheron.

Ailleurs il revient sur le même sujet, comme si 1a ruine du paganisme n’é- Jaàtpas airçz^elairement constatée.

aune Costalii siceetur fontis areha, Aoniumque nemus fistula rutila sanet : 'Laurus Apollinece marcescat denique silvœ, £umtfuatu» baacis alba ligugtra codant;

t   Piclrices Cbritti v^geant per seculaj>alma^

( Bibl. Max. pair. 669 /. 670 4.)

CHAPITRE VI.

33i n’avait été établi, n’a pu désigner, en servant des noms de Jupiter et de Mercure, que Thor et OdinT.

J’en dirai autant de la superstition qui portait les 5- habitants des campagnes à croire que certaines sor­cières couraient à cheval pendant la mïit à travers les airs pour servir d’escorte à Diane3. Cette croyance >Indicilias populaire, dont je parlerai bientôt avec plus de détails, ®rt- 3o* quelle que soit son origine, ne constituait pas au hui­tième siècle; un acte formel de paganisme romain. .

Il résulte de ce qui vient d’être dit dans ce chapitre que la racé gallo-romaine , là seule qui pût encore rester attachée aux autels des anciens dieux romains, s’était, après ùne longue résistance, donnée au chris­tianisme, et que les seuls partisans de l’idolâtrie dans les Gaules étaient quelques-uns des descendants de ces peuples barbares qui, après avoir parcouru et ra­vagé tant de fois cette contrée, y avaient enfin établi leurs foyers , leurs mœurs et leurs croyances. Mais si l'idolâtrie ny exerçait plus qu’une faible influence, l’es­prit de superstition y était au contraire plein de force, et oh ne peut hier * provînt à la fois du culte des Ro­mains et du culte dès barbarés : lés actes par lesquels ii se révélait dénotent assez ciairement cette double origine.

Je vais montrer ce que Charlemagne fit contre ces vieux restes de l’ancienne civilisation, ensuite je les abandonnerai ; car l’histoire* peu intéressante de leur résistance obstinée aux progrès dii christianisme ou à ceux de la raison nous conduirait de siècle en siècle jusqu’à l’époque actuelle.


33»     UVRE XII.

. .

CHAPITRE VIL

Lois de Charlemagne contre l’idolâtrie.

. Avec Charlemagne reparaît en Occident un prin­cipe de civilisation qui depuis la chute de l’empire ro­main y était resté inconnu; je veux parler d’une autorité suprême dont chaicun accepte avec docilité les inspi­rations élevées et puissantes. La pensée d’un homme de génieva, à elle seule, animer cet empire qui se compose cependant d’éléments variés ou contraires. Des peuples dont les croyances, les mçeurs et le langage n’offrent que des contrastes ; renonçant à leurs caractères parti­culiers , se rangeront-avec docilité sous le même joug, et l’Europe entrera dans une voie qui doit conduire ses enfants, à ne plus former qu’une grande et puissante famille.

. Pour arriver à sonbut,; pour, briser les mœurs pri­mitives dès peuplades' guerrières qui lui étaient sou­mises,Charlemagne devait; avant tout pourvoir à ce que l’anarchie ne régnât plus dans le domaine reli­gieux et empêcher que les débris des cultes romain, druidique et scandipave De vinssent contrarier les dé­veloppements du christianisme et ceux de la civilisation qü’il portait avec lui. A cette pensée se joignit chez l’empereur d’Occident une piété {dus vive qu’éclairée qui lui conseilla trop souvent des actes de barbarie dont le souvenir fait encore frémir..

Les lois contre les idolâtres Saxons et celles contre

CHAPITRE V<ï.

335 les païens de la Gaule font voir que l'Opposition des , premiers au christianisme était plus forte que celle des 'seconds, car l’empereur la réprime par des lois beau­coup plus redoutables*

Le capitulaire De parlibus Saxoniœ prononça la peine de mort contre les Saxotis qui refusaient lé baptême, et faisaient des sacrifiées ou des actes de sor­cellerie ;et même contre ceux qui, selon leur coutume nationale, brûlaient les morts au lieu de les enterrer,

Charlemagne fit exécuter cette loi avec une bar­bare rigidité ; et Ton sait que dans une seule circon­stance, en 782, quatre mille cinq cents ou plutôt cinq mille quatre cents adorateurs d’Odin furent par ses ordres passés au fil dé l’épée. Il n’entre pas dans mon plan de décrire le dévouement aveugle des Saxons pour les dieux de leurs pères, ni les sentiments d’exé­cration qu’ils vouèrent aux Francs et à leur chef*. On conçoit que rien de semblable ne pouvait avoir lieu en-deçà du Rhin. Là aucun bras n’était plus armé pour la défense des anciens dieux, et il s’agissait dans leS Gaules non de détruire l’idolâtrie mais d’effacer les traces de son passage. Éclairer et instruire le peuple j diriger les efforts des prêtres et l’ardeur des missionnaires et prononcer quelques peines modérées contre une obstination irréfléchie, tels étaient les seuls moyens dont l’emploi fût conseillé par la sagesse : ce sont aussi les seuls que"Charlemagne ait mis en usage.

Baluxe, I,aSa.

“Après ce massacre, les Saxons, pour obtenir l’appuid’Odin, rédigèrent une formule d’invocation dont voici la* teneur: « Grand et saint Odin! dé- «4itte-ttous, ainsi qae noire seigneur Witekind, ainsi que nos héros, de ce «barbare Karel. Malheur à ce bourfeau! Je.te donnerai un bufle, deux « agneaux et les dépouilles ; je t’immolerai les prisonniers sur ta sainte mon- « tagne d’Artisberka. » Magnusen, p. 33o.


Sa législation contre les psfciM de U Gaule se. divise en deux parties : dans h- première il indique, aux évêques les superstitions qu'ils doivent plus particu­lièrement combattre ; dans la seconde il prononce des peines contre les coupable». Examinons ce système législatif dans ses détails.

En l’année 769, peu après son avènement au trône, Charlemagne publie un capitulaire dont le deuxième article est ainsi conçu : « Que les prêtreqne versent « le sang ni des chrétiens ni des païens. » 11 renouvelle ensuite l’article du. capitulaire de Lestipea précé­demment cité et y ajoute une disposition pleine de sa­gesse , savoir que chaque évêque fera une fois l’an la visite de son diocèse, afin d’instruire le peuple et de se ' livrer à la recherche et à la destruction de ce qu’il > ia col. 191. appelle spurcitiœ gentàlium *. L’esprit de la législation religieuse de Charlemagne as trouve tout entier dans cette première loi : il transforme chaque évêque en missionnaire, et lui impose, l’obligation de balayer hors de son diocèse toutes les ordures de paganisme qui le souillaient encore. L’empereur comprenant que c’était par la prédication..et par les.travaux aposté liques que l’on pouvait parvenir à réformer, les mœurs publiques, cherchait, à multiplier le nombre des mis- sionnaires et non à augmenter le gple de ceux qui existaient; car, nous devons le reconnaître, les mû* sionnaires du huitième siècle, n’étaient nullement infé­rieurs à ceux du siècle précédent. Saint Boniface ( Winefried), secondé par Saint Burchard, commença vers l’année 78a sa célèbre mission en Allemagne et expia par une mort 'Cruelle les succès qu’il avait ob-

CKAPITHX VII.

335 tenu»*. Saint Wüebrord et saint Swibert changèrent dans la.Frise, et en l’espace de deux ansx quarante^ isurî»*.i. deux temples païens en églisesCharlemagne n’avait donc qu’à rendre générale dans tous les diocèses cettec.ix,$ i3. guerre contre les superstitions païennes et c?est ce qu’il fit.

* Saim Boaiface dâtoa >rin«iptaas>eni ta game «ur débris <te laacienne religion germaine ; mais ces superstitions ressemblaient beaucoup à celles qui provenaient du culte des Romains, et les unes comme les autres devaient être combattues par les mêmes moyens. Dans les commencements de sa mission, Seniface, effrayé de la grandeur de sa tâche, et meertain sur la direction qu’il devait donner à ses efforts, consulta Daniel, évêque de Winchester, prélat renommé pour sa sagesse, et qui lui-même avait guerroyé avec succès contre l’idolâtrie dans la Grande-Bretagne. Daniel traça pour Boniface nn plan de conduite qui révèle dans son auteur une grande sagacité, et qui nous fournit de précieux renseignements sur les pensées des défenseurs obstinés de toutes les superstitions païennes. Voici les instructions données par Daniel (Mabillon. Annal, ord. S. Benedict. t. II, p. 74).

i° Il ne faut pas entreprendre de démontrer aux païens que les généalo­gies de leurs dieux sont fausses. On doit au contraire admettre tout ce qu’ils disent sur ce point; mais conclure de ce que ces dieux sont nés de mariages enfre hommes et femmes, qu’ils o<t eu un QmmnencemeDt,qu^ilsne sont pas éternels.

a0 Demander aux païens si le monde a eu un commencement ; qui com­mandait aux hommes avant la naissance des dieux, et ai le premier dieu a été engendré; quand et par qui2

3° Les dieux engendrent-ils encore ?

4à Quel est le plus puissant d’entre eux?

5e Quel .est leur nombre?

6° fin quoi les sacrifices peuvent-ils contribuer au. bonheur des dieux?   ,,

Quand on aura conduit les païens à reconnaître la fausseté de leurs      1

croyances sur la Divinité, alors on imprimera A la discussion une direction plus élevée et l’on mettra en parallèle la pureté des dogmes, chrétiens avec . l’incohérence, la folie et l'immoralité des fables,du paganisme.

Il faudra enfin faire comprendre aux païens que leur nombre est très-petit et qu’il 'va toujours en diminuant, ce qui prouve que* les jours de leur reli­gion aon& comptés* >,

Il est évident qu’en argumentant de celte manière contre le? païens, an devait, si la bonne foi exerçait sur eux quelque empire, les amener à une complète abjuration de leurs erreurs •


Dans le capitulaire d’Aix-la-Chapelle, publié en * id. col. l’année 789K, il prescrit de poursuivre les enchanteurs et les sorciers. « Quant aux arbres, ajoute-t-il, aux «pierres, et aux fontaines où certains insensés atta- « chont des lumières et font d’au très, actes de ce genre, « nous voulons que partout où cet usage absurde et « exécrable à Dieu sera trouvé en vigueur,il soit aboli.»

En 794 9 il ordonna de couper les arbres et les luci >id. col. ou bois sacrés, dernier asile de l’esprit païen*.

a7°’ Il existe un recueil de lois publiées par Charle­magne et par Louis-le-Débonnaire à diverses époques de leur règne. Ce recueil intitulé: Capitula Regum et Episcoporum maximeque NobiUum omnium Fran- corum ad reprimendas neophytorum quasi fidelium adinventiones, est, comme l’on sait, l’ouvrage du moine Angésise.

Voici les dispositions de ce code qui sont appli­cables aux païens :

«Si dans une paroisse les infidèles allument des « flambeaux {faculas ), adorent les arbres, les fontaines « ou les pierres, le prêtre, s’il néglige de combattre ces « habitudes, sera déclaré sacrilège. Le seigneur du lieu « ou les auteurs de ces actes seront privés de la corn- «munion, si après un avertissement ils n’ont pas ^id.coL « voulu s’amender3.» Il est recommandé aux évêques T O94.        .   1

de déraciner les usages superstitieux pratiqués dans 5/0’X, Ie* enterrements^.

ses. Parlons maintenant des peines prononcées contre les coupables. Les païens, ne,pourront intenter une accusation, donner un bien en emphytéose à un chré- 5       t*ei1 ou en tenir un de lui Cette clause pénale n’a

aucun rapport avec le délit qu’elle prétend reprimer ; mais il faut remarquer qu’elle est prononcée acciden­tellement : le législateur énumère les classes de per­sonnes qui,'à raison de leur indignité, ne doivent pas jouir du droit commun d’intenter une action; il nomme les repris de justice, les esclaves, les histrions, les hé­rétiques, les juifs, et il leur adjoint les païens, moins dans l’espoir de réprimer par cette peine leurs supersti­tions , que pour tracer sur leur front une marque de ré­probation : c’est ainsi que dans une autre loi il plaça sur la même ligne les incestueux et les païens : séparer entiè­rement ces derniers de la société, telle fut son intention.

Quant à l’interdiction de donner ou de tenir un bien en emphytéose, elle avait pour but de prévenir l’éta­blissement de rapports trop intimes entre les chrétiens et les païen»;* mais elle fut prononcée plutôt contre les mahométans que contre les derniers partisans du culte des Romains.

Les sacrifices et les festins sur les tombeaux avaient*

encore lieu. Les chrétiens qui prenaient part à ces festins ou mangeaient des viandes provenant d’immo-. lations, devaient se purifier de cette souillure par le jeûne ou l’imposition des mains plusieurs fois répétée, «afin que s’abstenant ab idolothylis9 ils puissent « participer aux sacrements du Christ1. »

’ Col. 85o. Capitul. i. T,

c. 197.

Je pourrais peut-être me dispenser d’ajouter que c. io3; l.VI, Charlemagne poursuivit avec une grande rigueur toutes les pratiques de l’art divinatoire, qu’il ^appelle un héri- tage détestable du paganisme3 *. Sur ce point il n’ob­tint pas de meilleurs résultats que ses prédécesseurs.

» Id. 1. V, c. a 15.

a Le nombre des professions créées par Fart divinatoire n'avait pas dimi­nué depuis le règne de Valentinien Ier, car Charlemagne désigne dans ses lois les Magi, sfrioli, Venefici, Divbii, Incantatores, Somniorum conjectow

II.


Ces dispositions législatives sont las seules sur les­quelles il importe de fixer notre attention.

Ni dans les lois, ni dans les canons-, ni dans les.do­cuments historiques de cette époque on ne trouve la preuve de l’existence d’une véritable cérémonie du culte romain. Sans doute les dispositions légales, qui dans le recueil d’Angésise proscrivent les sacrifices et les festins sacrés, pouvaient avoir en vue les sacrifices et les epula sacra des partisans de ce culte; mais on n’a aucun motif d’assurer que telle ait été en effet l’in­tention du législateur. Nulle part nous ne trouvons h preuve de l’invocation d’une divinité gréco-romaine, nulle part nous ne voyons les adorateurs d’une ou de ' plusieurs de ces divinités clairement indiqués ; les noms même de Jupiter et de Mercure, quelle que»soit l’incer­titude qui existe sur les dieux que ces noms désignaient, n’étant plus prononcés par la loi, on doit en conclure que le souvenir du culte des Romains s’effaçait de la mémoire des prêtres chrétiens. Le moment est donc venu de déclarer le paganisme romain complètement mort

Je dois cependant noter une exception apparente à cette assertion si formelle que nous ne lisons plus nulle part le témoignage de linvocation dune divinité gréco4N>maine. U est certain que sous le règne des premiers successeurs de Charlemagne et même que tohue, n, jusquau quatorzième siècle1, Diane fut l’objet d’une espèce de culte. Quelle était cette Diane? quel était ce culte? voilà ce qu’il faut examiner.

Dans un Capitulaire de Louis-le-Débonnaire de l’an v^Dianum* ®^7.nous lisons ’ : « Il ne fhut pas oublier que quelques femmes scélérates retournant vers Satan et séduites


CHAPITRE Vil. 339

perles illusions et les fantômes des démons, croient et disent que montées sur des animaux et en société de Diane déesse des païens et d’une innombrable mul­titude de femmes, elles parcourent pendant le silence d’une nuit tranquille des espaces immenses; qu’elles obéissent à Diane comme à leur maîtresse, et que pen­dant certaines nuits elles sont appelées pour la servir. Plût au ciel que ces misérables périssent seules dans leur perfidie, et qu’elles n’entraînassent pas à leur suite un grand nombre de personnes dans la mort de l’in­fidélité ! car une multitude innombrable trompée par cette fausse croyance et lui accordant une foi trop grande, dévie de la foi véritable pour revenir à l’er­reur des païens. »

On a dit que cette loi n’était que la reproduction d’un décret du pape Damase inséré par Gratien dans $a collection1 et cité par saint Augustin dans son Qu'­traité De l’esprit et de l’âme*; mais les critiques ont »T. ui, sans peine reconnu que le décret de Damase et le traité d’Augustin étaient également controuvés, et ap­partenaient à des époques postérieures à celles où vivaient ces deux personnages. Il n’y a donc aucune raison pour ne pas regarder le capitulaire de Louis 1er comme un document original, et destiné à combattre une eroyance superstitieuse qui, à mon avis, avait été importée dans les Gaules par les Francs.

En effet, on n’aperçoit dans la mythologie gréco- romaine rien qui ressemble à ces courses nocturnes et mystérieuses dune multitude innombrable de femmes entourant et servant un être supérieur soit Diane, soit tout autre ; et au contraire une supersti­tion analogue existait dans la religion du Nord.

33.


Je ne parle pas. ici des chasses aériennes et noc- «Magnusen. turnes d’Odin escorté par les Ases1, mais des courses

P375' de ces femmes que l’on désignait sous le nom de Troll dont l’acception était si étendue.

Les peuples du Nord donnaient ce nom à toutes les *id.p. 475. formes que le mauvais Génie pouvait revêtir®, et particulièrement aux sorcières, aux femmes qui par des moyens magiques se procuraient l’appui des dé­mons , qui couraient dans l’air pendant la nuit, ou qui, pour nuire aux hommes, prenaient la forme d’animaux. Trollkona était la protectrice et la com­pagne de ces sorcières. C’est elle qui un jour se présenta à Hédin prince norvégien, montée sur un loup qu’elle conduisait avec des serpents au lieu de guides, et qui 3p, 4?4. lui promit de l’accompagner3. Ces croyances étaient populaires dans toutes les régions où dominait le culte d’Odin, et quand l’idolâtrie régnait encore en Islande, Geirrida fut publiquement accusée comme sorcière 4p-C7- noctivaga {gveldrida)4.

Les Francs apportèrent dans les Gaules l’idée de ces courses aériennes et nocturnes, et celles des co­mices et des festins. célébrés par les démons et les sorcières sur des montagnes; car je le répète, rien de semblable ne se trouvait ni dans la religion drui­dique ni dans la religion romaine. Ces idées fructi­fièrent dans cette contrée, parce que depuis un temps ancien le druidisme avait attribué aux femmes inspirées une sorle de pouvoir surnaturel. Les prêtres chré­tiens, conformément à un usage que nous connaissons, entendant parler deTrollkona, c’est-à-dire d’une déesse qui habitait les forêts et les parcourait montée sur un loup, ne crurent pas pouvoir lui donner un nom plus convenable que celui de Diane.


Le capitulaire de Louis-le-Déhonnaire ne doit donc pas nous décider à établir une exception à ce qui a été dit précédemment, et je répéterai qu’après le septième siècle, aucune divinité romaine, pas plus Diane que toute autre*, ne fut nominativement in* voquée en Occident.

Je ne prétends pas dire cependant que toutes les traces de l’ancienne religion furent effacées, qu’une civili­sation entièrement neuve s’établit en Europe, et que rien, hormis les annales historiques, ne l'appelât plus les idées, les croyances, les erreurs et les mœurs qui autrefois avaient dominé dans cette partie du monde : ce n’est pas ainsi que se régit la société hu­maine, elle se modifie et se transforme perpétuelle­ment ; son aspect change quelquefois avec lenteur et par degrés, quelquefois avec une étonnante rapidité. Souvent elle se trouve dans une situation si extraor­dinaire qu’elle croit elle-même avoir rompu avec son passé; cependant, au milieu de ces métamorphoses successives, elle conserve toujours le souvenir de ce qu’elle à été antérieurement, et ce souvenir est si puissant, il se reproduit si souvent et avec tant d’é­nergie, qu’on est porté à se demander si ce qui a in­flué vivement sur les mœurs d’une société à quelque

a L’assemblée de Magdebourg qui fut tenue en 4110 adressa une longue exhortation aux évêques de la Saxe et de la Lorraine pour les engager à com­battre les superstitions qui régnaient dans leurs contrées ; elle entre dans de grands détails et cherche à leur faire comprendre le caractère des démons qui étaient encore alors en honneur chez le peuple. Il en est un nommé Pripelaga dont elle dit : Pripelaga, ut aiunt, Priapus est et Beelphegor impudicus. Can- ciani, t. III, p. 88. On conçoit qu'on, ne peut induire, ni de cette citation, ni d'auctme autre semblable, que l’idée du Priape romain se fût conservée jusqu’au douzième siècle dans ces provinces.

époque que ce soit peut jamais être complètement effacé.

Les croyances religieuses et le langage sont les deux principes de civilisation qui résistent le mieux à l’action du temps et au changement des idées; ils sont modifiés, altérés, corrompus ; mais on n’a pas encore remarqué qu’ils aient été quelque part détruits d’une manière absolue.

Si toute civilisation lègue à celle qui lui succède une partie de ses éléments, aucune n’a dû laisser après elle un héritage plus riche que la civilisation romaine, car elle reposait sur de larges bases et elle avait pro­fondément pénétré dans les mœurs. Le christianisme ne négligea rien pour que les peuples de l’Europe ré­pudiassent cet héritage, mais ses efforts furent en partie impuissants, et une multitude de croyances ab­surdes, de pratiques ridicules et d’erreurs dangereuses issues clairement du culte romain s’enracinèrent dans la société chrétienne et y existent encore aujourd’hui» Quand on réfléchit à combien de siècles et de révo­lutions de tout genre elles ont eu l’art de résister, on se laisse aller à la pensée affligeante qu’elles vivront aussi long-temps que la société elle-même.

Rechercher ces débris de l’ancienne religion au mi­lieu de tout ce qui compose notre civilisation moderne, les décrire, les expliquer, les rattacher les uns aux autres est un travail fatigant et difficile. Beaucoup de savants l’ont entrepris, aucun ne l’a achevé, et on le conçoit, car les classes les moins éclairées de la so­ciété étant celles qui conservent le plus soigneusement les vieilles erreurs et les anciennes croyances, il ne subsiste plus du culte romain que ce qui était le mieux


C0ATITRK VII.

343 approprié à leur intelligence grossière., cest-à-dire la foi dans les sortilèges et la divination, la crainte des esprits et des fées, un respect instinctif pour les arbres, les eaux et les pierres, enfin le goût pour certaines fêtes licencieuses. Si Ton met de côté l’origine de ces vestiges d’une société qui n’est plus, mais qui néanmoins nous intéresse à un haut degré, on ne trouvera, sous quelque aspect qu’on les considère, rien qui puisse donner matière à de graves et utiles considérations. Je m’applaudis donc de pouvoir terminer ici mes re­cherches , car je craindrais, si j’étais forcé de les pro­longer, que le lecteur en me suivant dans des investi­gations d’un ordre inférieur n’oubliât que le paganisme avait autrefois appelé à sa défense de grandes idées et de nobles caractères.


APPENDICE.

Sur la statue de Jupiter au mont Saint-Bernard.

Si les faits contenus dans la légende de saint Bernard étaient incontestables, il faudrait dire qu’une statue de Jupiter recevait encore dans l’Occident des hom­mages publics à la fin du dixième siècle : une par­ticularité aussi surprenante, accréditée d’ailleurs par une tradition ancienne et très-populaire, mérité de fixer notre attention.

Augusta Prœloria , aujourd’hui Aoste, était le point de jonction de deux routes qui traversaient les Hautes-Alpes; l’une tournant à l’ouest coupait les Alpes-Grecques par la montagne appelée Columna Jouis ( Colonne Joux ), et établissait la communication entre la vallée d’Aoste et la Haute-Tarentaise : on appelle aujourd’hui ce passage le Col du petit Saint-Bernard. L’autre voie traversait les Alpes-Pennines et descendait dans le Bas-Valais par un col étroit et difficile, nommé Mons Jouis (Mont-Joux), aujourd’hui le grand Sain t-Bernard.

Au premier de ces passages se trouvait une colonne consacrée à Jupiter*; sur le Mons Jouis était un an- a On suppose que cette statue était de porphyre et qu’elle portait une es- carboucle appelée rail de Jupiter. Il existe encore aujourd'hui au petit Saint- Bernard ou Col de Joux une colonne que la tradition prétend être celle de Jupiter, elle est en marbre cipolin, à grandes veines blanches et vertes. D’après les proportions de cette colonne, elle doit être enfoncée en terre d’un mètre environ ; le chapiteau manque et l’astragale a été presque entièrement


APPENDICE.

345 cien temple païen également dédié à Jupiter Penninus.

Le savant Rivaz, auteur valaisan, rapporte que Constantin II fît abattrç la statue de Jupiter, et qu’il la remplaça par une colonne milliaire, qui se trouve encore dans le village de Saint-Pierre1. Si l’on admet ’Ebel. Ma- les divers récits des légendaires, Constantin n’aurait voyageur en point fait détruire cette statue, ou s’il l’a réellement Su1Îô8.11renversée, plus tard elle fut rétablie.

Jupiter n’y était plus honoré au dixième siècle selon les rites anciens; il avait pour adorateurs desoauvages et des brigands fanatiques, habiles dans l’art de mettre à contribution la crédulité et l’effroi des pèlerins. Le temple de Mont-Joux était, dit-on, le centre de pra* tiques monstrueuses. L’âpreté des lieux, l’inclémence des éléments, la barbarie des montagnards du voi­sinage , tout concourait à fermer aux voyageurs cette barrière des Alpes. Ceux qui échappaient à la violence de la tempête, aux rigueurs du. froid, ou à la cruauté des brigands, descendaient a la cité d’Aoste à demi morts de fatigue et de terreur, et Élisaient un tableau effrayant des dangers qu’ils avaient courus et. des malheurs de leurs compagnons précipités dans les abîmes, ou victimes de certain monstre qu’on croyait sorti de l’enfer. Cet état de choses reposait bien plus , comme on le voit, sur la terreur inspirée par le brigandage que sur la piété païenne; mais cependant ce temple, cette statue, cette colonne, détruit. Sur cette colonne se trouvait probablement une statue, car on a profité des tenons et des entailles qui la soutenaient pour y fixer une croix. IL me seudde plus naturel deregarder cette colonne comme étant celle qui fut élevée par les Romains, que d'y voir, ainsi que le fout plusieurs.savants italiens, un monument religieux des anciens Celtes. Cambry, p. 264.


semblent indiquer que le culte barbare de Pœninus était h source des désordres qui se passaient en ces lieux.

L’honneur d’avoir attaqué et détruit ce dernier asile du paganisme appartient, ajoute-t-on, à saint Bernard de Menthon, né en cp3, dans le voisinage d’Annecy, d’une des plus illustres maisons de Savoie; et qui fut élu vers l’an g56 archidiacre de l’église d’Aoste*.

« Acta. SS. J un. II, 1077.

Habitant un pays infecté par tant de superstitions condamnables, doué de beaucoup de courage et de persévérance, saint Bernard étendit ses travaux apos­toliques dans les diocèses de Novare, de Sion en Va­lais, de la Tarentaise et de Genève; mais on ne connaît ni l’époque précise, ni les détails de ces différentes missions ; ceux qui appartiennent à son expédition contre le Jupiter du Mont-Joux nous ont été conservés par un de ses contemporains, que je vais laisser parler *.

« Le diable, ennemi qui toujours rugit, qui toujours veille pour le triomphe du mal avec une grande at­tention, s’efforçait, à l’aide de cette statue profane que rendaient redoutable les paroles infernales des bavards, d’entraîner vers l’enfer la chrétienté ddht afors la puissance grandissait. Les habitants de ces

•Un grand nombre d’hagiograpbes ont écrit la rie de ce saint. Elle se trouve dans le recueil des Bollandistes, Juin, H, 1077; dans Godescard, art Saint Bernard, Juin, t. V; dans Massa, Diario de* Senti. Buthod, le docteur Franç. Bernard, Grillet, Viot, D. Alberto Doglio.... ont ensuite donné par* timdièretnent la vie de saint Bernard. L'ouvrage du docteur Bernard intitulé du héro3 des Jlpes, et celui de Buthod, Kita maravigliosa delgran son Bemardo, sentent tout à fait le roman. M. l'abbé Dépommier a publié ré­cemment une notice historique sur saint Bernard de Menthon dans le L M, p. 017, des Mém. de la société acad. de Sawk. Ces divers écrits reposent tous sur la chronique fort courte de Richard de Val disère, chanoine d'Aoste et Mcaesaeur du saint dans l'archidiaeomrt, qui se trouve datft la collection des Bollandistes.


APPENDICE.

347 lieux croyaient , dans leur illusion > pouvoir, à l’aide de ses fraudes, guérir ou éviter les maladies qu’il en­voyait ; et, qui pis est, quand une troupe de voyageurs passait par cet endroit, le démon retenait, quel que fût leur nombre, un chrétien sur dix, et en l’asservissant par la terreur de l’idolâtrie, il s’empressait de le faire périr. Sa demeure était au sein des froides cavernes des montagnes éloignées de plus de vingt stades de toute maison habitée. On comprend dès lors combien il était difficile de porter remède à la foule de gens que ses mensonges avaient trompés. Bernard, élevé à la très*sainte dignité de l’archidiaconat d’Aoste, homme plein de modestie et de piété, frémit en considérant cet obstacle suscité au salut des hommes. 11 adressa ses prières à saint Nicolas, qui paraissant devant lui en habit de voyageur lui tint ce langage : « O Bernard ! gra- « Vissons ces montagnes, franchissons ces affreux prê­te cipices, mettons en fuite les démons, réduisons en « poussière cette statue de Jupiter et cette colonne qui « porte l’escarboucle de la statue, objets de trouble « pour les chrétiens. Ensuite nous fonderons en ce lieu « un hospice et un couvent de chanoines réguliers. « Tu te feras accompagner de neuf personnes et tu « n’auras rien à redouter du démon. Tu lieras le cou « de la statue avec une corde et tu la briseras. Tu a conjureras les démons, tu les. garrotteras'et tu les « précipiteras dans le chaos des montagnes : jusqu’au «jour de leur jugement ils ne pourront plus nuire à « personne. »

« Bernard brûlant du désir de commencer son expé­dition, gravit les montagnes lui dixième, tenant dans sa main le bourdon, symbole de la victoire : l’usage


dans ce temps était que l’archidiacre d’Aoste le portât dans les offices divins. Il passe devant la statue pour voir si le diable tentera de lever sa dîme accoutumée et de le faire périr, puis il attache au cou de la statue son étole devenue , pour ainsi dire, une chaîne de fer; il fait les conjurations accoutumées, et ordonne au démon de se retirer dans un cahos affreux, dans les profondeurs des abîmes tartaréens des monts Malethts (Malethorum'), situés entre les trois diocèses d’Aoste, de Genève et de Sion, d’y rester à jamais caché et enfermé par des nuages épais, en attendant, sans nuire à personne, le jour de son jugement. Il met en morceaux d’abord la statue, puis la colonne de l’es- carboucle appelée l’œil de la statue, afin que ces objets ne fussent plus dangereux pour personne. »

« Bernard retourna promptement à son église et ayant célébré la messe, il annonça qu’avec l’aide de Dieu il avait mis en fuite le démon, et détruit la sta­tue, ainsi que la colonne de l’escarboucle. »

Une seconde Vie de saint Bernard, mais sans nom d’auteur, est placée dans le Recueil des Bollandistes : elle parle de l’établissement des deux monastères, et garde un silence complet sur la destruction des mo­numents païens*.

Tel est le récit de Richard de Val d’Isère, source

a Josias Simler, dans ses Vallesiœ descriptionis libri duo. Cap. de Feragris, parie ainsi de la destruction de l’idolâtrie sur le Mont-Joux : Domesticis mo­numents proditum est, in hoc monte idolum fuisse, quod petentibus responsa dederit.... Posteaquam vero Salassi et Peragri ad agnitionem Chrisli 'venere, Bernardus ex dugusta Prœtoria sacerdos, pias et sanctce 'vitas homo, idolum dejecii, et canobium eo loco in usum peregrinorum instituù; ab eo deinde nomen Mons accepit. Fulgus nugatur dœmonem qui responsa dederit, ab ea in horrendum specum hujus montis quibusdam adjurationibus comptdsum> Ulic, quasi carcere quodam detineri.

unique de la tradition aujourd’hui existante. Mon­trons le degré de confiance qu’il mérite.

Une grave méprise de l’historien apparaît au premier aspect : selon Richard, la colonne et le temple étaient situés au même passage; ear il ne parle que d’une seule expédition de saint Bernard, tandis que l’on sait que ces deux anciens monuments étaient placés à une très-grande distance l’un de l’autre, et qu’après avoir détruit le temple, Bernard devait redescendre à Aoste, pour de là se rendre au col de Joux et abattre la co­lonne.

J’ajoute, mais sans vouloir tirer une preuve positivé de ce que je vais dire, que d’après une opinion assez accréditée parmi les savants, la statue, loin d’avoir saint Ber- été brisée par Bernard, existait encore dans le siècle dernier au couvent du mont Saint-Bernard. Viot l’y * HisVdc la

J maison

dessina ; Guichenon * et D. Martin 3 ont reproduit son royale de image sans révoquer en doute son authenticité. Toute-1.in, c. 4, fois je ne crois pas que l’existence seule de cette îReli^ôn

Pour croire qu’un temple et une statue de Jupiter aient pu subsister encore et recevoir des hommages en l’année 96a, il faut d’abord admettre que le christia­nisme n’avait pas pénétré dans le lieu où étaient le temple et la statue, ce qui amènera cette autre consé­quence, que cet endroit faisait partie d’une région éloignée de tout établissement chrétien et peu fré­quentée; or, chacune de ces deux propositions est également inapplicable au grand et au petit Saint- Bernard.

Le christianisme pénétra de très-bonne heure dans


le Valais. Le massacre de la légion thébaine exécuté à Agaunum (Saint-Maurice) en 3oa, par l’ordre de Maximien, attira sur cette contrée les regards et l’in­térêt de tous les chrétiens, et en l’année 515 Sigismond, roi de Bourgogne, fonda la célèbre abbaye de Saint- Maurice, Sanclorum martyrum Aguunensium. Sion est le siège d’un des plus anciens évêchés de la Suisse, car celui qui existait à Octodurum ( Martigny ) depuis le quatrième siècle, fut transporté dès le sixième à Sien. Enfin, on a trouvé dans cette dernière ville *   *’ une *nscr*Pton chrétienne du temps de Gratien Si

nous fixons maintenant notre attention sur Aoste, nous voyons que cette ville fut érigée en évêché pen- «HxîL n, daut Je septième siècle®, et que les rapports entre les prêtres de la Tarentaise et ceux du Valais devaient être fréquents, puisque pendant long-temps l’évêque de $ion reconnut pour métropolitain l’archevêque de Mputiers. Les passages du grand et du petit Saint- Bernard servaient donc de communication à deux provinces éclairées de bonne heure par le christianisme et à deux sièges épiscopaux très-anciens.

Prétendre que ces deux passages, qui sous les Ro­mains furent les voies habituelles de communication entre les Gaules et l’Italie, cessèrent tout à coup au moyen âge d’être fréquentés, c’est soutenir une opi­nion que tous les faits contredisent : il suffit pour le prouver de rappeler qu’en l’année £>47, une armée de lombards passa le grand Saint-Bernard : cette ar­mée chrétienne n’aurait certainement pas respecté un temple de Jupiter. Comment donc supposer que des restes de paganisme, aussi défigurés qu’on voudra le penser, aient subsisté jusqu’en 962 dans des provinces


très4réquentées et où le christianisme était établi de­puis près de six siècles ?

Mais une preuve, aussi formelle qu’on peut le dé­sirer, terminera sur ce point toute discussion. Saint Bernard fonda, dit-on, le couvent du Mont-Joux en 962, or, les annales des évêques de Lausanne font mention de ce couvent dès l’année 83a1, et nous ap- 1 Ebel-n» .                                  1     171.

prenons même qu’un évêque de cette ville nommé Hartman avait été aumônier du couvent en l’an 85o

*Debcea de OU environ a. la Suisse,

Je pense donc que la tradition relative à saint Ber- 11 ’ nard de Menthon est en tous points erronée, et qu’il convient d’admettre avec Rivaz, auteur fort instruit sur tout ce qui avait rapport à l’histoire de son pays, que Constantin II fit abattre la statue de Jupiter en l’année 33g et la remplaça par cette co- 3Haner lonne milliaire dont il a été parlé3. Quant à la vie Helvetien

*  tinter der

de saint Bernard, insérée dans le Recueil des Bollan- Rômern. 1, distes, il faut la regarder, non comme l’ouvrage du a85’ successeur de ce saint dans l’archidiaconat d’Aoste, mais comme l’œuvre de quelque moine piémontais du moyen âge, admirateur enthousiaste et peu éclairé des vertus de saint Bernard.


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TABLE

DES L1VHES ET DES ’ CHAPITRES CONTENUS DANS LE SECOND

VOLUME.

W 000             

LIVRE NEUVIÈME.

HONORIUS.

Chap. Ier. Du paganisme sous l'administration de Stilicon.     Page ;

II.                                                                           Invasion des Goths. — Mort de Stilicon.       20

m. Sur les opinions religieuses de Stilicon et de Claudien.          28

IV.     Continuation du règne d'Honorius. — Usurpation d'Attalc. 48

V.                                                                            Attale rend le pouvoir aux païens.                       6l

VI.     Tableau de la société païenne à l’époque où Rome fut prise par

les Goths.         67

VU. De la prise de Rome.  107

VIII.                                                                              Fin du règne d'Honorius.                                 119

IX.                                                                          Topographie païenne de Rome sous Honorius. i33

X.                                                                            État du paganisme dans les provinces.                  142

XI.                                                                          Des conciles.   177

XII.                                                                        De Rutilius Numatianus.                                    r8i

XIII.                                                                      De la population païenne de l’empire romain.   187

LIVRE DIXIÈME.

VALENTINIEN III.

Chap. Ier. Considérations générales.                                199

II.                                                                           État des païens sous le règne de Valentinien III.   211

III.                                                                                 Martyre de sainte Julie.                                23a

” IV. Merobaudis.      a36

LIVRE ONZIEME.


LIVRE DOUZIÈME BT DERNIER.

EXTINCTION COMPLÈTE DU PAGANISME EN OCCIDENT.

Cmap. 1er. Considérations préliminaires.                                          251

II.                                                                                              Célébration des Lupercales.                      273

III.     L'exercice de l'ancien culte est interdit en Italie sous peine de

mort.     282

IV.                                                                                            Destruction du temple d'Apollon au Mont-Cassin.       285

V.       Restes de paganisme mentionnés par l'historien Procope. «88

VI.                                                                                            Des vestiges de paganisme conservés dans des Gaules.    307

$           1.   Sixième siècle.       314

$           2.   Septième siècle.     327

$           3.   Huitième siècle.     33o

Cm ap. VII. Lois      de        Charlemagne contre l'idolâtrie.          332

Appendice. De la destruction de la statue de Jupiter au mont Saint- Bernard.      344

Table alphabétique des matières contenues dans les deux volumes. 353


ERRATA.

PREMIER VOLUME.

P. 1x6, ligue io, au lieu de Domitifen, lisez Dioclétien.

19a, ligne 4» au lieu de en 3a6, lisez en 36a.

272. Supprimez les points qui terminent les lignes 5 et 15.

335, ligne 17, au lieu de mirotvraïxos , lisez minotvrano s.

* DEUXIÈME VOLUME.

P. 44, ligne 9, au lieu de civila, lisez civilia.

X07, ligne 9, au lieu de succombent., lisez succombent?

116, ligne 16, au lieu de pêcheur, Usez pécheur.

156, ligne 8, au lieu de cinquième, lisez quatrième.

172, ligne 4, au lieu de Dendrophorii, lisez Dendrophori.

2o3, ligne 28, au Ueu de quand s’est agi, Usez quand il s’est agi.

257, ligne 3 de la note, au lieu de 567, lisez 566.

292, note a, au lieu de Miron, Usez Myron.

3or, ligne 22, au Ueu de Calidon, lisez Calydon.



[*] Je sois étonné que M. N. C. Kist, p. 98, ait dit en parlant des barbares: « Qued si pristina Christèanas religionù societatis ipu simplicUas intagm mansisset, gentilium prqfecto splendorem ac magnÿicentiam unice fuissent admirati, in Christianos despexissent prorsus. » C’est par la pureté des dogmes du christianisme, par le mystère de ses cérémonies, par le zèle de ses prêtres et non par le luxe des évêques, que les barbares ont été séduits; or ces moyens de séduction appartenaient bien plus à l’église primitive qu’à l’église du cinquième siècle. Si le christianisme avait été impuissant sur l’esprit des barbares, je ne puis dire ee qui serait arrivé; mais je suis plutôt disposé à croire que les autels des dieux Scandinaves auraient remplacé ceux de Jupiter.

[†] Quand non» réfléchissons qu’uue statue d’Hercuk resta exposée aux re­gards des fidèles dans la basilique Ambrosienne, jusques vers le milieu du moyen âge, nous comprenons que les idées païennes avaient cependant con­servé de l'influence dans Milan devenue chrétienne, puisque le simulacres n’y avaient pas été brisés. Landulphup, Hist. Mediola»., t. V, p, 481.

II.                                                                                   îo

[‡] Cependant saint Jérôme écrivant à Hebidia, fille de Delphidius, fait de grands éloges du père et dp l’aïeul de cette dame. IV, rôfi m.

[§] * Lés Donatistês étaient de si mauvais chréHenB qu’ils admiraient et conï- blaient d’éloges l’empereur Julien. Aug. VII, 10 d,,

b A tous les faits curieux que j’ai cités dans le chap. ier de ce livre, j’en ajouterai nn nouveau :'les chrétiens allaient dans les temples païens de Carthage prendre leur part des festjns publics qçi s’y .donnaient, et saint Augustin les gourmande sévèrement. « Que dit-on à ces mauvaises tables ? « Des discours impies corrompent de bonnes mœurs. Vous ne pouvez pas m parler de l’évangile, mais vous enteüdefc parler des idoles. La foule mur-

[**] lUud ecio quod isti irrùoru nottri, pcucioree siàti hoc aono quam/ue- rintpriori omo. III, 3a4 h.

b Je céderai cependant au désir de citer une lettre curieuse adressée, vers l'an 3go, par un païen de Madaure, nommé Maxime, à saint Augustin. II, 58. Cette lettre est ainsi conçue : « Désirant ardemment jouir de ton en~ «tretien et de la sagesse de ta parole, dont tu t'es dernièrement servi pour « m'attaquer avec tant d'esprit, mais en respectant la charité, j’ai pris le parti «de te rendre la pareille, afin que tu ne qualifies pas mon süence derepen- « tir. Si tu regardes ce que je vais dire comme la preuve de l’aflâiblissement « de mon esprit, je te demande de ne pas au moins me refuser de m'entendre « avec une oreille amie. La Grèce raconte sur une autorité incertaine que le « mont Olympe sert d'habitation aux dieux; quant à nous, nous voyons avec « satisfaction le Forum des divinités tutélaires de notre ville rempli de monde. « Est-il un homme assez aveugle, assez, fou pour oser nier qu'il existe un Dieu « suprême, sans commencement, sans postérité, père magnifique et sublime « de la nature ? Nous invoquons par des expressions différentes sa puissance « répandue dans le monde entier, parce que nous ignorons sqn véritable « nom. Dieu, telle est la dénomination admise par toutes les religions. Il «en résulte que quand nous poursuivons de nos supplications variées, «chacun, pour ainsi dire, de ses membres, nous paraissons l'adorer tout «entier. Je ne puis dissimuler l'impatience que me cause une atràsi grande « erreur. Qui peut supporter que l'on préfère Mygdon à Jupiter vibrant

[††] Les Barbares achevèrent de détruire les monuments païens de Carthage. En 43 g ils renversèrent ÏÆdes Memoriæ, les théâtres et la Fia Ccdestù. Victor Vitensis 1.1, p. 4-

[‡‡] Les éditeurs du recueil d’inscriptions db Marquard Gudi Ont inséré dons leur collection., p. ao,no 5 9 une langue inscription de l’an455 dans laquelle un Auguré nommé Pretextatus et un Trîbbà Voluptuaire appelé Fuscus, dé­clarent qu’ils se sont livrés à une foule d’actes publies de paganisme / tels que Taurobole, Çriobole, construction d’autels; mais ce monument révèle son origine par plusieurs fautes grossières.

Jè critiquerai également une inscription citée d’après Mtfratori et Maffei par M. OreHi, I, 336, n° ax33, de laquelle il résulte qu’Anicins Açilius Aginatius Faustus, préfet de la ville, fit restaurer une statue de Minerve ( simvlackvm MiiŒRBAK ) brisée dans un incendie. Muratori croit que ce Faustus fut préfet en l’année 425; d’autres critiques pensent qu’il est ici question de Faustus, consul en 433; dans l’un et l’autte cas l’inscription doit être rejetée. En effet, si un particulier pouvait, en 4^5, restaurer une statue païenne, un préfet de la ville n’aurait pas osé le faire, ou s’il l’avait fait, il se serait gardé de le dire dans une pompeuse inscription. C’est donc à cause du titre de xqx.. fbakf. vasi qui se lit dssts l’inscription qpe nous la repous­sons, et non pour le fait qu’elle mentionne. < -

b Le père qui sur la tombe de ses enfants traçait en 44a l’inscriptiou suivante :

[§§] Le P. Papenbrock & contesté leur authenticité, maie sur un seul inotif t savoir qu'il n'existait plus de païens en Corse à l'époque indiquée par le martyre de sainte Julie. Cette objection est détruite par les lettres du pape an* Grégoire, qn nous apptennent que l'frblferie n'était pas encore dé­truite dans la Corse au sixième siècle. Papenbrock croit que la mort de Julie eut lieu au sixième ou septième siècle, et qu'elle fut l'œuvre non des païens4 mais des Vandales ou des Sarrazins. On ne peut admettre cette opinion» sans rejeter tout ce qui, dans les Àcft», se rapporte au sacrifiée paie» célébré par Félix. Est-il permis de morceler ainsi un récit pour en admettre une partie et pour rejeter l'autre? id. p. 167.

[***] Entre une multitude de preuves, j’en choisis une seule, pour montrer avec quelle facilité le culte de Marie balaya devant lui les débris de paga­nisme qui couvraient encore l’Europe.

Malgré la prédication de saint Hilarion la Sicile était restée fidèle à l’an­cien culte. Après le concile d’Éphèse nous voyons ses huit plus beaux temples païens devenir, en un espace de temps très-court, des églises sous l’invoca­tion de la Vierge. Ces temples étaient : iw le temple de Minerve à Syracuse ;

le temple de Vénus et de Saturne à Messine; 3° le temple de Vénus Éry- cine sur le mont Eryx ; il passait pour avoir été bâti par Éüée ; 4° le temple de Phalaris à Agrigente ; 5° le temple de Vulcain près du mont Etna ; 6° le Panthéon à Catane ; 70 le temple de Cérès dans la même ville ; 8° le Sépulcre de Slésichore. V. Aprile, Cronologia universale délia Sicilia, p. 60 f. Les annales ecclésiastiques <le chaque pays fournissent des témoignages sem­blables.

[†††] Ubi vehutissimum fanwn fuit, dit Léon d’Ostie (Muratori. Script. liai. t. IV, p. aoo)., ut quo ex antiquorum more gentilium a itulto rusticorum populo Apollo colebatur. Circumquaque etiam in cultu dœmonum luci succre- verant, in qiùbus adhuc eodem tempore infideiïum insana multitudo Sacrijiciù jacriletfu ifuudabat.

[‡‡‡] Un vieux scoliaste cité par Magnusen, p. 333, dit que le dieu Odin était appelé par les Suèves P notant, et par les Latins Mars. En s’éloignant de l’opinion qui dominait de son temps, le scoliaste indiquait exactement le vé­ritable caractère d’Odin ; car cette divinité ressemblait à Mars beaucoup plus qu’à Mercure.

[§§§] Etes lard die fui mieux connue, car Orderic Vital parie de Freya (1. IV). Magnnsen dit, p. 644, que dans une ancienne traduction de l’Histoire de Tmnf qn langue islandaise, Junon est appelée Sif, Vénus jRneyw, Saturne Frejrr, etc... Rien de pareil ne se trouve dans nos légendes du moyen âge.

[****] fl existait dans les Pyrénées un temple fort célèbre dédié à Vénus. Le port Vendre» (portiu Kenerù) tire son nom d’un temple semblable; c’était là que débarquaient tous ceux qui venaient par mer des côtes d’Italie. Il n’est donc pas surprenant que dans ces contrées il y ait eu long-temps des partisans des anciens dieux. V. Mercure </e France, ann. 1719, p. 1064.

[††††] Le concile tenu à Brags en $79 et composé des évêques des deux pro- vinces de Braga et de Lugo, ordonna aux évêques d’assembler le peuple pendant leurs visites pastorales et de lui recommander particulièrement de fuir l’idolAtiie. Concii, t. V, p. 894.