HISTOIRE
DE LA
DESTRUCTION
DU PAGANISME DANS L’OCCIDENT
PAR
A. BEUGNOT
TOME SECOND.
LIVRE NEUVIÈME.
HONORIUS.
CHAPITRE PREMIER.
Du paganisme
sous l’administration de Stilicon.
Saint
Augustin, épouvanté du spectacle qui frappe ses regards, s’écrie :
«Encore des guerres! des guerres entre les nations pour l’empire; entre les
sectes, entre les juifs, entre les païens, entre les chrétiens, entre les
hérétiques; encore des guerres! Partout elles se multiplient : ici on se bat
pour l’erreur, là pour la vérité.» Telle est en peu de mots toute l’histoire
du règne d’Honorius, époque durant laquelle la lutte entre les idées et celle
entre les nations furent également violentes et décisives. Nous allons voir
l’empire romain perdre en même temps ce qui lui restait de sa puissance et de
ses anciennes institutions religieuses.
Le nom d’Honorius ne sera
jamais prononcé sans qu’on se rappelle la présence des barbares dans la ville
éternelle, c’est-à-dire la ruine de l’empire; et cependant personne ne fut
plus que le second fils de Théodose innocent de cette grande catastrophe. Il
eut, comme tant d’autres chefs d’état, le malheur de naître à une des époques
où le fléau de Dieu s’appesantit sur les nations, et la part qu’il prit dans le
naufrage commun ne fut pas la plus faible. Sans doute s’il eût été sage et
courageux au lieu d’être inepte et timide, il aurait pu entourer de quelque
gloire la ruine de son pays; mais la retarder d’un seul jour, je ne crois pas
que cela eût été en son pouvoir.
Quand Théodose mourut, Arcadius
avait quatorze ans et Honorius sept. Ces enfants reçurent de la main de leur
père pour tuteurs, l’un Ruffin, l’autre Stilicon, personnages fameux, mais
qu’il ne faut pas placer sur la même ligne, quoiqu’ils aient exercé un pouvoir
semblable et reçu une mort pareille.
Les historiens anciens et
modernes n’ont pas assez tenu compte d’abord de l’âge auquel ces princes arrivèrent
à l’empire, ensuite du caractère que la nature leur avait départi. Ils
supposent qu’ils gouvernèrent l’empiré aussitôt après la mort de leur père; et
ils n’insistent pas sur un fait qui s’applique à tout, c’est qu’à aucune
époque de leur prétendue puissance Arcadius ni Honorius n’ont exercé la moindre
influence sur les tristes destinées de l’empire. Leurs noms, mais leurs noms
seuls restant attachés à une époque durant laquelle la société romaine
abandonnée par ses pilotes, jouet de mille passions contraires, avançait vers
l’abîme sans qu’aucune volonté humaine put retarder son épouvantable chute.
Stilicon jusqu’au dernier moment de sa vie fut armé d’un pouvoir absolu; il
remporta soit contre les ennemis de la patrie, soit contre les siens propres,
de brillantes victoires; cependant quand il eut été assassiné par l’ordre ou
par la permission de son pupille, Rome ne se trouva ni plus ni moins en péril:
elle marchait à sa perte, mais elle y marchait de son pas.
Stilicon professait le
christianisme. Quand le contraire aurait eu lieu, Théodose ne se serait pas
privé par ce motif des services d’un homme qui devait entourer les aigles
romaines du dernier reflet de leur ancien éclat; mais peut-être dans ce cas
n’aurait-il pas consenti à le donner pour époux à sa nièce Sérena
qu’il chérissait comme si elle eût été sa fille. Stilicon doit donc être sans
aucun doute placé dans les rangs des chrétiens; «mais pour ce qu’on dit que
c’était un homme de piété, implacable ennemi de l’idolâtrie, je ne sais si l’on
en a de bonnes preuves.» Pour Ruffin, il était chrétien déclaré.
Théodose fut ravi aux Romains
dont il devait être pour ainsi dire le dernier empereur à l'époque où il s’occupait
dans sa sagesse à pacifier l’Italie et à effacer de ce pays les traces de
l’insurrection païenne. Lorsqu’il sentit approcher la mort, il recommanda à
Stilicon d’user de clémence envers les vaincus; on dit même que par son
testament il avait prescrit au tuteur de son fils de publier une amnistie
générale. Chez un prince habile à tirer parti de ses victoires, de si grands
ménagement
indiquent qu’il ne regardait pas une réaction religieuse comme facile et sans
danger : l’événement justifia ses prévisions.
La guerre avait été si courte
que l’armée d’Eugène existait presque entière : campée aux environs de Milan,
elle se trouvait en face des légions victorieuses de Théodose. Les passions
n’étaient pas encore assez affaiblies pour qu’un semblable rapprochement fût
sans péril; aussi craignit-on un instant que les deux armées n’en vinssent
encore une fois aux mains. Stilicon s’empressa de prévenir une collision en
publiant l’amnistie prescrite par Théodose mourant.
Une loi
du 11 des calendes de mars 395 sanctionne les actes passés durant l’usurpation
d’Eugène. Le 15 des calendes de juin, une autre loi fut rendue : elle accordait
un pardon général à tous ceux qui avaient pris parti pour le tyran, et
défendait qu’ils fussent notés d’infamie ou flétris par un nom honteux. Cette
loi commence ainsi : Fas est sequi nos paternœ dispositionis arbitrium. Le 15 des calendes de juillet, une troisième
et dernière loi fut publiée, comme si les deux précédentes n’eussent pas suffit
elle relevait une seconde fois de l’infamie tous les partisans d’Eugène; elle
les rétablissait dans la jouissance du droit commun et dans leur ancienne
qualité, sans toutefois qu’ils fussent autorisés, à se prévaloir des dignités
données par Eugène. Souvent on voit les amnisties se changer en instruments de
vengeance; on ne peut pas faire un reproche semblable à celle que publia
Stilicon, car sous son égide les chefs du paganisme eurent bientôt repris leurs
anciennes positions.
Après Eugène et Arbogaste, le
personnage le plus compromis était certainement Flavien : fauteur de guerre
civile, adorateur zélé des dieux, adversaire passionné des chrétiens, sa
mémoire semblait, au défaut de sa personne, dévouée à une proscription dont sa
race devait porter la peine. Cependant le fils est rétabli par Théodose dans
les biens du père, et en 399 nous le voyons appelé à la préfecture de Rome,
dignité qui lui avait été promise par Eugène. Symmaque, qui veillait sur les
débris de son parti, s’empresse d’écrire à Stilicon pour lui témoigner la
reconnaissance et la joie du sénat. Valerius Messala est préfet du prétoire
d’Italie en 396; Flerentinus préfet de Rome en 397;
Atticus consul en la même année; Longinianus intendant
des largesses en 399. Tous ces personnages sont dévoués au paganisme; enfin le
fils de Symmaque lui-même obtient, vers l’année 397, la préture. Ainsi
l’aristocratie replacée au timon des affaires semble garantie contre l’effet
de ses propres fautes; elle peut sans crainte faire assassiner un empereur,
troubler au gré de ses passions l’Occident, risquer une guerre malheureuse; car
aussitôt qu’elle aura été vaincue, on lui prodiguera les bienfaits d’une triple
amnistie, elle ressaisira toutes ses espérances et avec elles son crédit, ses
dignités, ses richesses, et elle continuera de harceler le christianisme par
des menaces et des injures : telle est sa destinée.
Les chefs de la nouvelle
religion, éclairés par l’expérience, s’imposaient aussi des ménagements à
l’égard d’un culte arrivé au dernier degré de faiblesse, mais qui pesait
encore, comme on vient de le voir, dans la balance des intérêts politiques. Ils
commandaient à leurs amis de ne point compromettre la victoire par les écarts
d’un zèle irréfléchi: la prudence était encore nécessaire, au moins pour
quelques moments. Pouvait-on prévoir la politique qui animerait l’esprit du
nouveau règne, de ce règne destiné à devenir la proie du plus audacieux? Les
clameurs des païens, celles des manichéens, les sourdes menées des hérétiques,
les calomnies des juifs, ne pouvaient-elles pas ramener le pouvoir à l’ancien
système de la tolérance, contre lequel les chrétiens avaient si longtemps
protesté? Les lois ont enlevé aux pontifes leurs richesses, mais elles n’ont pu
prescrire aux païens de se convertir; leurs temples ne sont-ils pas ouverts en
Occident? n’y sacrifie-t-on plus? Les échecs éprouvés par l’ancien culte, si
grands partisans de l’ancien culte si grands qu’ils soient, ne peuvent-ils pas
être réparés? Supposez Eugène vainqueur, et prévoyez ce qui serait arrivé.’
Telles étaient les idées, qui, au commencement du règne d’Honorius,
préoccupaient les esprits les plus sages du christianisme.
Quant aux païens soit de Rome,
soit des provinces, ils regardèrent la mort de Théodose comme une réparation
suffisante de toutes les injures dont ce prince les avait abreuvés. Convaincus
que les lois rendues contre eux sous son règne étaient mortes avec lui, ils
reprirent leur assurance et continuèrent à poursuivre le christianisme
d’accusations absurdes et à répandre parmi le peuple les plus folles illusions.
Dans les premières années du
règne d’Honorius on entendait répéter : «Il ne pleut pas, c’est la faute des
chrétiens»; ou bien : «Les chrétiens prêchent des erreurs; leur résurrection
des morts est une folie.» «Quœrelas impias jaçtare non quiescunt», disait saint Augustin. Ils allèrent
plus loin: à les entendre, un de leurs oracles avait déclaré que saint Pierre
s’était servi de sortilèges pour faire adorer le Christ pendant trois cent
soixante-cinq ans, et qu’après ce laps de temps le christianisme périrait. «O
belle imagination, s’écrie saint Augustin, pour des gens qui se piquent de science!» En plaçant la mort du fils de
Dieu à l’année 33 de l’ère chrétienne, la ruine de la nouvelle religion devait
donc arriver en 398. Cette prédiction circula dès le mois de mai avec une
étonnante rapidité dans tout l’empire romain, et inspira aux païens une telle
audace que la cour impériale crut devoir intervenir afin de la réprimer. Une
loi fut enfin rendue pour interdire en Occident tous les sacrifices. Comme
cette loi ne nous est pas parvenue, je suis forcé pour prouver son existence
d’entrer dans quelques développements.
Honorius étant à Ravenne en 399
adresse, le 4 des calendes de février, une loi à Macrobe proconsul d’Espagne,
et à Proclianus vicaire des cinq provinces, qui
commence en ces termes: Sicut sacrificia prohibemus, ita volumus.... Le 13 des calendes du mois de septembre
suivant, il rendit une autre loi, dans laquelle on lit :«Ut profanos ritus jam salubri lege submovimus, ita...» Ainsi une loi antérieure à celle-ci avait
interdit sacrificia et profanos ritus.
Quelle était la date de cette
loi? jusqu’où s’étendaient les prohibitions portées par elle? Voici deux
questions auxquelles il faut répondre.
Saint Prosper, Tiro Prosper et Idace disent positivement que la ruine des
temples et de l’idolâtrie eut lieu dans l’Occident en 399, et saint Augustin,
dans un ouvrage écrit en l’année 400, fait allusion à des lois très-sévères
rendues récemment contre les païens. On doit donc admettre que la loi contre les
sacrifices fut publiée en l’année 398 , peu avant les deux lois de l’année
suivante dont je viens de parler.
La date étant connue il reste à
découvrir les dispositions principales de cette loi.
Gratien et Valentinien II
n’avaient prononcé aucune prohibition générale contre les cérémonies du culte
ancien. A Rome, les rites publics ne pouvaient plus être célébrés, non que le
législateur les eût interdits, mais parce que le trésor n’en payait plus les
frais. Dans les provinces où le rituel romain n’était pas en vigueur, si une
ville, une corporation, ou même un simple particulier, avait voulu subvenir aux
frais du culte, rien n’aurait fait obstacle à l’accomplissement régulier des
rites païens, et sans doute les choses ne se passaient pas différemment dans
presque toutes, lés provinces d’Occident.
En
tenant compte seulement de la première des deux lois de l’année 399, on voit
que le prince prohiba généralement tous les sacrifices soit privés soit
publics, car les expressions dont elle se sert sont très-étendues : « Sicut sacrificia prohibemus»;
mais les termes de la seconde loi sont différents: «Profanos
ritus submovimus»,
c’est-à-dire nous avons aboli les rites profanes, les anciennes cérémonies
publiques. Dans le Code Théodosien en effet, l’expression ritus
ne désigne jamais les actes privés de piété, les domestica
or privata sacra; au contraire elle s’applique à
ce qu’il y avait dans les cérémonies publiques de plus élevé et de plus étendu,
à ces mystères qui, selon l’expression de Zosime, embrassaient tout le genre
humain
Achevons la lecture de la
seconde des lois dont il est ici question, et nous serons encore affermis dans
l’idée qu’Honorius n’avait pas interdit les sacrifices privés. L’empereur
s’adresse à Apollodore proconsul d’Afrique, et s’exprime en ces termes : « Déjà
nous avons aboli par une loi salutaire des rites profanes; mais nous ne voulons pas qu’on interdise les fêtes, les
réunions de citoyens, ni les témoignages de la publique allégresse (festos, conventus
civium, et coummunem lœtitiam). C’est pourquoi nous favorisons, selon la
vieille coutume ceux des plaisirs du, peuple qui ne sont souillés ni par des
sacrifice, ni par quelque autre superstition condamnable, et les festins
publics donnés à l’occasion des ’vœux». Puisque cette loi restrictive de la
prohibition ne s’appliquait qu’aux cérémonies publiques, la loi prohibitive
devait elle-même n’avoir rapport qu’à ce genre de cérémonies.
Si une opinion contraire à
celle-ci venait à prévaloir, il faudrait la mettre d’accord avec les
inscriptions que je vais présenter, inscriptions dont le caractère païen très
prononcé prouve que les partisans de l’ancien culte jouissaient
individuellement d’une liberté religieuse entière, La première que je citerai
est extraite du recueil de Gudi et conçue en ces
termes:
IOVI
STATORI FVL
GERATORI D. D
C. SILIVS PATRVINVS V. C
PRAEFEÇTVS
VRB. EX V
SOL
Corsini
place en l’année 397, mais il faut lire. 398, la préfecture de Patruinus.
L’authenticité de l’inscription
a été non pas révoquée en doute, mais ouvertement dénié par M. Orelli. En admettant qu’elle soit un des fruits de la
facilité dont Pirro Ligorio
jouissait de rédiger de fausses inscriptions, il conviendrait cependant
d’attaquer ce document à l’aide de preuves différentes de celles dont le savant
antiquaire de Zurich a fait usagé.
M. Orelli
pour démontrer la fausseté de l’inscription dit : Quasi vero
tune temporis prœfecto urbi
Joui Statori, etc., votum solvere licuisset! Nous
connaissons l’état de la législation et la disposition des esprits au
commencement du règne d’Honorius; or, quelle puissance aurait à cette époque
empêché le préfet de la ville ou tout autre magistrat d’élever un autel à Jupiter?
Sacrifier dans ses foyers était encore une chose licite, et l’on aurait craint
d’invoquer nominativement une divinité? Dira-t-on qu’en 397 un païen ne pouvait
pas avoir été nommé préfet? Mais nous avons vu les principaux amis d’Eugène
remis en placé après sa chute, et nous apercevrons pendant beaucoup d’années
encore des partisans du culte-national revêtus d’emplois non moins importants
que celui de préfet de Rome : ainsi cette objection, si elle était présentée, nous
paraîtrait facile à repousser. L’inscription dé Patruinus
peut être déclarée fausse, mais je crois que si l’on adoptait les motifs de
rejet proposés par M. Orelli, on reviendrait à
l’ancien système des écrivains ecclésiastiques : c’est-à-dire que l’on ne
trouve ni en Occident ni en Orient la preuve de l’invocation publique des
anciens dieux après le règne de Théodose; or, ce système me semble évidemment
contraire à la vérité. Aussi longtemps que les lois et les mœurs autoriseront
l’usage des invocations païennes, nous devrons chercher ailleurs que dans le
caractère païen d’une inscription des motifs de douter de son authenticité.
L’opinion opposée forcerait de regarder tous les monuments qu’il reste encore
à citer comme enfantés par la fraude et par l’ignorance.
La seconde inscription païenne
qui s’offre à nos regards appartient à Cœcina
Decius Albinus, et elle est digne de fixer toute notre attention :
D. N. FL.
ARCADIO
PIO FELICI
VICTORI
AC
TRIVMPATORI
SEMPER
AVGVSTO
CAECINA
DECIVS ALBINVS V. C
PRAEFEGTVS
VRBIS VICE
SACRA
IVDICANS
DEVOT VS
NVMINI MAIESTATIQ
EIVS
Albinus géra la préfecture de
la ville entre les années 393 et 398, cette inscription appartient donc au
règne d’Honorius. Au premier aspect elle ne présente aucun signe certain de
paganisme; mais Doni l’ayant copiée, non dans le
recueil de Gruter mais, sur le monument même, remarque qu’elle fut tracée sur
la face d’un autel; que d’un côté l’on voit un vase sacré et de l’autre une
patère; il en conclut avec raison que cet autel était dédié aux dieux inférieurs
ou supérieurs, et qu’on ne peut le placer parmi les autels votifs dédiés aux
Augustes.
La famille Probus professait le
christianisme depuis le règne de Constantin. Un des plus anciens monuments
chrétiens est sans doute le sarcophage qui contenait les restes de S. Anicius Petronius Probus, proconsul d’Afrique sous
Constance, quatre fois préfet du prétoire d’Italie, consul en 371, ainsi que
ceux de son épouse Anicia Faltonia Proba. Ils eurent
pour enfants les deux consuls S. Anicius Probinus, et S. Anicius Ermogenianus Olybrius, également célèbres par leur piété.
N’est-il pas alors surprenant de voir cette famille adorer encore son Génie
conservateur?
GENIO
CONSER
VATORI
DOM. ANIC. SACR
AVICIVS PROBINVS V. C
CONSVL
ORDINARIVS
Cette inscription est de
l’année 395.
En voici une dont la date doit
être postérieure, puisque le personnage que nous y voyons mentionné était
consul en 4o6 et comte des largesses en 412 et en 414.
GENIO
CONSERVATORI
ANICIANAE
DOMVS
ANICIVS
PROBVS V. C
VESTOR CANDIDATVS
D. D
Une famille aussi dévouée aux
idées nouvelles que l’était la maison Anicia aurait dû, je ne dis pas s’abstenir
d’élever des autels à son bon Génie, mais briser tous les signes qui chez elle
pouvaient rappeler des erreurs abjurées depuis près de cent ans; il n’en fut
pas ainsi, parce que les Aniciens n’avaient pu entièrement désavouer le
principe aristocratique, parce qu’ils se rappelaient qu’on les avait surnommés
vera proles Romuli, et qu’ils regardaient leur gloire comme une
propriété de la patrie. En élevant ou en laissant élever des autels à leur Génie
conservateur, ils croyaient seulement émettre un vœu pour le maintien de la
majesté et de la puissance d’une des plus illustres familles de Rome, et ne
s’apercevaient pas qu’ils donnaient un témoignage de l’empire des idées
païennes sur leurs mœurs. Plus on pénètre dans la connaissance des usages de ce
siècle, plus on est autorisé à penser qu’il existait peu de véritables
chrétiens parmi les nobles. Beaucoup d’entre eux croyaient avec ferveur toutes
les vérités proclamées par les ministres de l’Evangile, ils remplissaient
fidèlement les devoirs imposés par la nouvelle religion, ils signalaient en
tous lieux leur mépris pour les idoles, mais ils restaient païens par leur
manière de penser et de vivre. Le temps seul pouvait établir l’harmonie entre
la pensée et l’action, entre la foi et les mœurs.
L’inscription suivante est
tracée en beaux caractères sur un autel de grande dimension ; la date
correspond à l’année 4o5 :
DIS SALVTIFERIS
DEDICATA
STILIKONE ET
ANTEMIO
OSS. KAL. APR
Dans la série des préfets de la
ville nous n’apercevons qu’un seul citoyen portant le nom d’Hilarius
et il fut revetu de cette magistrature en l’année
4o8. L’inscription suivante peut, je crois, être regardée comme se rapportant à
ce personnage :
IOVI OPTIMO CAPITOLINO
SACRVM
M. NVMMIVS
M. F. PAL. HILARIVS V. C
PRAEF.
VRB. EX V. F. COER
PRO SALVTE
RVMMIAE VAHALENAE
Le quatrième siècle vit
plusieurs patriciens porter le nom de Catullinus : Aconius Catullinus fut consul en
349, un autre Catullinus est simplement qualifié vir consularis dans
une loi du Code Théodosien datée de l’an 412; l’identité des qualifications
nous autorise à attribuer à ce dernier l’inscription suivante :
I. O. M.
ACO.
CATVLLI
NVS VIR
CONSV
LARIS PRAESES
PRO SALVTE SVA
SVORVMQVE
OMNIVM POSVIT
Ainsi des hommages individuels
peuvent encore être rendus aux anciens dieux. Remarquons que l’on n’aperçoit
plus sue les monuments
l’énumération des dignités religieuses de ceux qui les ont élevés. Il n’est pas
cependant douteux que des païens aussi obstinés que l’étaient Hilarius ou Catullinus n’eussent
été précédemment revêtus de quelques pontificats; mais l’abolition des
privilèges des pontifes et l’interdiction des cérémonies publiques avaient fait
disparaître les anciens titres. Les deux dernières inscriptions nous révèlent
donc la situation bizarre d’une religion privée de ses pontifes et conservant
cependant encore une sorte de vie.
Fabretti
et Muratori rapportent une longue inscription dans laquelle Lucius Marius
Quirinus Maximus Perpetuus Aurelianus, qui selon
Muratori est le consul de l’an 400, se trouve qualifié Sacerdos
Fetialis. M. Orelli
n’exprime aucun doute sur l’authenticité de ce monument. Je suis peu disposé
toutefois à croire qu’un païen se soit décoré de titres religieux à une époque
où le pontificat païen n’existait plus, et surtout d’un titre aussi peu répandu
que celui de Sacerdos Fetialis.
Les inscriptions qui viennent
d’être mises sous les yeux du lecteur désignent les limites entre lesquelles
était renfermée la loi d’Honorius; et nous apprennent que si cette loi
s’étendait plus loin que nous ne le pensons, au moins elle ne fut pas exécutée:
dans les deux cas l’effet était semblable. Les païens continuèrent d’invoquer
leurs dieux, de fréquenter leurs temples et de proclamer publiquement leurs
erreurs. Cette heureuse et opiniâtre persistance ne doit pas être imputée à
crime à l’empereur. Il marchait vers le but indiqué, mais il marchait lentement
parce qu’il n’était point soutenu par les vœux de la majorité des citoyens.
Constantin en se faisant chrétien à une époque. où la vérité ne comptait
encore qu’un nombre de partisans très-restreint, plaça ses successeurs dans une
situation difficile, et les condamna à faire usage d’un pouvoir qui sans cesse
venait se heurter contre la puissance des mœurs nationales. Un souverain, si redouté
qu’on le suppose, quand il n’est pas soutenu, surtout dans les réformes
religieuses, par l’opinion de la majorité de ses sujets, se trouve placé sur
une pente glissante ; le parti le plus sage est de s’arrêter et d’attendre.
Mais le christianisme ne permettait pas aux empereurs de temporiser, il les
aiguillonnait continuellement; de là ces fausses mesures, ces inutiles menaces,
ces lois rendues et révoquées dans la même journée; de là cette politique
fausse, vacillante, contradictoire qui devait seulement cesser lors de
l’invasion des barbares, c’est-à-dire à cette époque mémorable où tous les
débris de la vieille civilisation forent brisés et jetés dans un nouveau moule.
Invasion des
Goths en Italie. — Mort de Stilicon.
La
société ancienne et la société nouvelle luttaient depuis quatre siècles avec
acharnement; le terrain était disputé pas à pas, et si la force réelle semblait
inégalement distribuée, on reconnaissait de part et d’autre une même
constance, une même inflexibilité, une volonté aussi ferme de ne rien céder.
Les incertitudes du combat se seraient prolongées longtemps encore si la
Providence n’avait enfin donné le signal aux barbares : ils franchissent les
barrières de l’empire romain, et l’arrêt rendu contre la vieille société va
être exécuté.
Alaric, chef des Goths, rendit
à Théodose d’importants services soit en combattant contre les Huns, soit en
lui fournissant des secours lors de la révolte d’Eugène. Mécontent de n’avoir
obtenu pour prix de sa fidélité qu’un simple grade dans l’armée romaine et
quelques possessions dans la Thrace, Alaric déclara la guerre à l’empire
d’Occident, ravagea la Pannonie, la Macédoine, la Thessalie, et ne trouvant rien
qui lui fît obstacle, il envahit la Grèce. Ses soldats détruisirent les plus
beaux monuments païens de cette contrée.
Stilicon, apprenant l’état dans
lequel se trouvaient les pays occupés par les Goths, résolut en 396 d’aller les
défendre. Il transporta par mer une armée dans le Péloponnèse, remporta
plusieurs avantages contre les barbares, et enfin les contraignit de se retirer
sur une montagne de l’Arcadie où il lui aurait été facile, selon les
historiens, de les faire périr; mais il les laissa gagner l’Épire où ils
continuèrent leurs ravages. Bientôt Alaric reprit l’offensive, et l’empereur
d’Orient désespérant d’arrêter ses progrès lui céda la souveraineté de
l’Illyrie.
C’était sur l’Italie et
particulièrement sur Rome qu’Alaric avait fixé ses regards. Sa première
invasion dans cette contrée eut lieu en l’année 401. Les détails de cette
expédition ne nous sont point parvenus. Les Goths quittèrent l’Italie dans la
même année, mais ils y revinrent deux ans plus tard. Ce brusque retour plongea
l’Occident dans l’épouvante en lui apprenant qu’il n’avait plus de barrières et
que désormais son sort dépendait du caprice de ses ennemis.
Au milieu de la terreur que
causait la manifestation d’une vérité aussi cruelle, l’esprit superstitieux des
Romains reprit tout son empire; chrétiens et païens cherchaient dans l’emploi
des moyens surnaturels un secours qu’ils auraient en vain demandé, à leur courage.
Stilicon défit les Goths à Pollence près de Turin. Alaric tenta vainement de rappeler
la victoire sous ses drapeaux et se décida à quitter l’Italie.
Ce succès inattendu plongea les
Romains dans la plus vive joie. A la fin de l’année 403 Stilicon mena
l’empereur à Rome, afin que l’on célébrât par des fêtes extraordinaires le
retour de la fortune et rentrée de ce jeune prince dans son sixième consulat.
Claudien fut chargé de chanter la gloire du vainqueur de Pollence.
Ces fêtes extraordinaires
célébrées en l’année 404, époque présumée du retour des Jeux séculaires,
certains passages du poème de Claudien, et une exhortation adressée au peuple
par saint Augustin et qui. correspond à la même
époque,
ont fait supposer à
plusieurs écrivains que les Jeux séculaires furent pour la dernière fois fêtés
en l’année 4o4. Divers critiques, et entre autres Tillemont, combattent avec
chaleur cette opinion, en se fondant principalement sur la piété bien connue
d’Honorius. La preuve la plus forte que l’on puisse alléguer en faveur de cette
dernière opinion est encore le silence de Zosime et celui de Claudien.
L’historien qui dans un autre endroit déplore avec tant de force la cessation
de cis pieuses cérémonies n’aurait certainement pas manqué de rappeler leur
célébration sous le, règne d’Honorions. Quant à Claudien, de telles fêtes lui
eussent fourni un texte inépuisable d’allusions, de souvenirs, d’invocations,
d’élans pompeux de piété; et dans son poème sur le sixième consulat d’Honorius,
il mentionne de simples fêtes civiles et non des Jeux séculaires. Il faut
d’ailleurs remarquer que ce sont les auteurs modernes qui on dit que ces jeux
devaient revenir en l’année 404. Les Jeux séculaires se célébraient tous les
cent, dû cent dix ans; et ils pouvaient aussi bien avoir lieu en 414 qu’en 404;
et même si l’on se rappelle que les Romains s’attendaient à les voir célébrer
sous Constantin en l’année 314, on devrait dire qu’il était contraire aux
règles de les redemander avant l’année 414 ou 424.
On a prétendu qu’en l’année
4o4, ainsi peu de temps après le départ d’Honorius, les sénateurs avaient envoyé
à Ravenne une députation pour obtenir la célébration des Jeux séculaires et les
combats de gladiateurs. Cette démarche des sénateurs n’a rien qui puisse
surprendre, mais je ne la vois indiquée dans aucun monument historique de cette
époque. Ne serait-il pas d’ailleurs difficile d’admettre que les Romains, après
avoir fêté si magnifiquement la présence de l’empereur dans leurs murs,
eussent demandé peu de jours après et au nom de l’ancienne religion, à
recommencer leurs jeux, leurs fêtes et leurs cérémonies?
Les historiens ecclésiastiques
prétendent que les combats de gladiateurs furent abolis à Rome et dans tout
l’empire en cette même année 404, à la suite du meurtre d’un religieux nommé
Télémaque. Cet homme avait formé dans la solitude le projet de détourner les
Romains de se livrer ou d’applaudir à ces combats affreux qui étaient même à
cette époque condamnés avec force par les païens grecs. Il vint donc à Rome à
l’époque où s’y trouvait Honorius, en pensant bien que l’occasion de commencer
sa périlleuse mission ne lui manquerait pas. En effet, un jour où les
gladiateurs préludaient à leurs combats, il descendit dans l’arène et s’efforça
de les séparer: le peuple irrité se précipita sur lui et le massacra. Les
chrétiens demandèrent alors à l’empereur et obtinrent de son humanité la
prohibition de ces atroces plaisirs. Tel est le récit des historiens chrétiens.
La mort de Télémaque est sans doute un fait exact, très propre à faire connaître
l’esprit de la population romaine; mais l’abolition des combats de gladiateurs
en l’année 4o4 est une assertion dénuée de fondement. Salvien, qui écrivait
après le règne d’Honorius, parle encore de ces jeux, ubi
summum deliciarum genus est
mori homine. Les combats de gladiateurs ne
cessèrent que quand les œurs païennes eurent été en
grande partie effacées, c’est-à-dire à une époque correspondante à peu près à
l’établissement des Goths en Italie.
En l’année 405 Radgaise descend
en Italie à la tête d’une armée de deux cent mille Goths: «Ce fut, dit
Tillemont, un nouveau pas de la justice divine pour foire trembler les
Romains.» Ce chef était idolâtre, et les chrétiens le représentent comme
l’ennemi le plus cruel qu’ait eu l’empire. Il avait, disaient-ils, promis à ses
dieux de leur faire une libation de tout le sang romain. Il avança jusqu’à
Florence sans qu’aucune armée se présentât pour arrêter sa marche. L’épouvante
rentra dans Rome. On assure que la population païenne tenta un mouvement sinon
en faveur de l’ennemi, au moins contre les chrétiens ; laissons parler
saint Augustin :
«Les murailles de la ville
étant menacées, les païens essayèrent de se soulever. Ils disaient que les
Romains avaient devant eux un ennemi redoutable par le nombre de ses soldats
et l’appui que ses dieux lui donnaient, tandis que Rome languissait sans
soutien, qu’elle allait succomber parce qu’elle avait perdu ses dieux et ses
rites sacrés : « Comment pourrions-nous « triompher de Radgaise? il a pour lui
des dieux auxquels il sacrifie tous les jours, et nous en avons qui ne veulent
pas qu’on leur sacrifié.» Partout on entend des plaintes et des blasphèmes. Le
peuple charge le Christ de malédictions comme la cause des malheurs publics, On
parle de rétablir les idoles, et de célébrer, les anciennes cérémonies. Les
païens ne doutaient pas que Radgaise ne remît l’ancien culte en honneur, et le
cœur des chrétiens était .rempli d’amertume». Ainsi les païens ne se bornent
plus à répéter leur éternel Argument : Ecçe
omnia. pereunt christanis temporibus; mais
ils demandent positivement que l’on rende d’empire invulnérable en relevant les
simulacres des dieux»
Si l’on
pouvait douter qu’ils fussent sincères quand ils accusaient le çhristianisme de causer tous les maux dont l’empire était
accablé, en écoutant saint Augustin pu abandonnerait une telle pensée pour ne
considérer que ce fanatisme inexplicable, conseillant à une populations non de
s’armer, de fortifier ses murailles,
d’en appeler à son courage ou au moins à son désespoir, mais de relever .es
autels de ses dieux .
Stilicon réunit trente légions,
marcha contre les Goths et les extermina près dé Florence. Paul Orose semble regretter
que Dieu ait retardé la leçon, qu’il devait plus tard donner à cette ville
impie.
Les
victoires de Stilicon retardèrent à peine de quelques heures la ruine de
l’empire. En 4o6, les Vandales, les Suèves et les Alains passent le Rhin et
ravagent la Gaule jusqu’au. Pyrénées. Bientôt les Bourguignons, les Quades, les
Sarmates, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les, Allemands… sortent de
leurs forêts pour venu prendre part au grand festin funèbre qui s’apprête. Un
usurpateur se revêt de la pourpre en Angleterre, un autre en Espagne; partout
éclatent les symptômes d’une dissolution générale. Stilicon ne retrouve plus,
au milieu de ces affreuses conjonctures, son ancienne ardeur; pendant qu’il
traite avec Alaric pour obtenir sa coopération dans une inutile tentative en
Illyrie, ses ennemis puissants auprès d’Honorius ourdissent contre lui une
secrète trame. L’ordre de le mettre à mort est signé. Abandonné de tous ses
partisans, devenu en horreur aux Romains pour qui il avait remporté naguère
plusieurs grandes victoires, il ne sait pas tenir tête à l’orage, et se réfugie
à Ravenne où il reçoit la mort le 13 août 408. Quelques considérations sur le
caractère dissimulé de ce ministre et sur celui de son infatigable panégyriste
Claudien seront l’objet du chapitre suivant.
Sur les
opinions religieuses de Stilicon et de Claudien.
Peu
d’hommes ont été jugés d’une manière aussi, uniforme que Stilicon, et cependant
peu de jugements historiques semblent aussi empreints de passion que celui qui
pèse sur sa mémoire. Les écrivains du Bas-Empire s’accordent, sauf un seul, à
le représenter comme coupable de tous les crimes qu’il est possible à un homme
puissant de commettre; ils l’accusent enfin d’avoir vendu l’empire aux
barbares. Les malheurs de l’Italie donnèrent à cette dernière inculpation une
telle vogue, que pendant longtemps il ne fut pas permis de prononcer le nom de
ce ministre sans l’accompagner de malédictions.
Je viens de dire qu’un seul
écrivain s’était éloigné de la ligne suivie par tous les autres: on comprend
que je veux parler de Claudien. Dans quelle incertitude l’historien moderne se
trouve placé! D’un coté une foule d’écrivains chrétiens ou païens accablent
Stilicon mort des plus cruels outrages, de l’autre Claudien tout seul prodigue
à Stilicon vivant les honneurs de l’apothéose. Je m’estime heureux de n’avoir
pas à résoudre un problème historique hérissé de difficultés, et de pouvoir me
renfermer dans l’examen de la politique suivie par Stilicon relativement au paganisme.
Toutes les lois rendues sous le
règne de ce ministre portent visiblement l’empreinte du cachet chrétien, et
celles qui furent publiées contre les païens d’Afrique et dont il sera parlé
ailleurs peuvent même être considérées comme un vrai triomphe pour le
christianisme, car elles attaquaient l’ennemi retranché dans une position
formidable. Ces actes, témoignages historiques très importants, ne peuvent pas
cependant être uniquement attribués à Stilicon. L’honneur de les avoir conçus
et proclamés appartient plutôt à la cour impériale au sein de laquelle l’esprit
de prosélytisme dominait, bien plus que dans le cœur d’un homme dont la guerre
et les intrigues de cour dévorèrent l’existence. Cherchons donc si dans la vie
de Stilicon d’autres faits plus précis, plus directs ne peuvent pas fixer notre
incertitude.
Stilicon se rendit coupable de
deux sacrilèges à l’égard de l’ancienne religion: l’un était sans doute
considérable, mais l’autre parut aux païens combler la mesure de tous les
attentats commis contre leur culte.
Zosime, après avoir raconté la
mort de Sérena causée par son mépris pour les dieux, ajoute:
«On rapporte que Stilicon pour un acte d’impiété peu différent de celui-ci ne
put pas se dérober aux secrets de la vengeance. Il avait ordonné que les
portes du Capitole recouvertes d’un or très épais fussent dépouillées de a cet
ornement; les ouvriers en détachant les lames d’or, trouvèrent ces mots tracés
sur les portes: Misero régi servantur. L’événement répondit à cette inscription,
car la fin de Stilicon fut misérable et digne de pitié.» Voilà le premier
sacrilège de Stilicon; son avarice lui fit porter une main coupable sur les ornements
sacrés du Capitole.
Les livres Sibyllins existaient
encore et le crédit dont ils jouissaient près des païens ne paraissait pas
devoir s’affaiblir de sitôt, lorsque Stilicon, cédant sans doute aux
instigations des chrétiens, ordonna leur destruction. Pour savoir comment les païens
jugèrent ce prétendu forfait et son auteur il faut laisser parler Rutilius Nuipatianus:
Quo magis
est facinus diri Stilichonis acerbum,
Proditor
arcani qui fuit imperii.
Romano
generi dum militur esse superstes,
Crudelis Summis miscuit ima furor.
Damque timet, quidquid
se feceraf ipse timeri,
Immisif Latiœ. burbara teks neci.
Visceribus nudis armatum condidit
hostem
Illatœ cladis liberiore dolo.
Ipsa satellitibus pellitis
Roma petebat,
Et captiva
prius, quam caperetur, erat,
Nec tantum
Geticis grassatus proditor armis ,
Ante Sibyllinae fata cremavit opis.
Odimus Althaeam consumpti funere torris;
Niseum çrimen flere putantur
aves.
At Stilicho œterni
fatalia pignora regni,
Et plenas
voluit praecipitare colas,
Omnia
Tartarei cessent tormenta Neronis,
Consumât
Stygias tristior ambra faces.
Hic immortalem,
mortalem percutit ille;
Hic mundi
matrem perculit, ille suam.
Il n’était pas un seul ami des
idoles dans tout l’empire qui ne partageât ces sentiments d’une brûlante
indignation. La destruction de l’autel de la Victoire, c’est-à-dire d’un
monument vénérable mais peu ancien et sorti de la main des hommes, fit au cœur
des païens une vive blessure; combien dut être pins douloureuse, plus profonde,
plus éclatante, celle qu’ils reçurent quand ils virent précipiter dans les
flammes fatalia pignara
œterni regni!
Ces deux faits rapprochés des
lois rendues sous l’administration de Stilicon et confirmés par l’opinion
unanime des historiens ecclésiastiques, semblent ne pas permettre dé douter
qu’il n’ait donné autant de marques dé son dévouement au christianisme, que de
sa haine contre la religion nationale.
Voici cependant un historien
dont le: témoignage très digne d’àttention
va contredire ouvertement et peut-être même prévenir les conséquences que l’on
pourrait tirer dés faits précédemment cités.
Paul Orose racontant la mort de
Stilicon et la ruine de sa famille dit en parlant d’Eucher
fils du ministre d’Honorius : Qui ad conciliandum sibi favorem paganorum, restitutione templorum et
eversione ecclesiarum
imbuturum se regni
primordia minabatur.
Ainsi Stilicon approuve au
moins la politique antipaïenne de la cour impériale; il porte une main sacrilège
sur le Capitole; il voue aux flammes le monument le plus précieux de la piété
des Romains, et en même temps, afin de se concilier la faveur dès païens, il
fait élever son fils dans leur religion; et cet enfant dressé au rôle qu’il
doit jouer, répète que si jamais il devient empereur, la puissance du
christianisme sera anéantie. Cette nouvelle accusation est intentée par un
contemporain et produite dans un livre qui ayant reçu l’approbation de saint
Augustin, ne peut pas être regardé comme contenant sur des faits récents des
allégations sans fondement. On ne doit donc pas révoquer en doute le fait cité
par Orose, et il ne reste plus qu’à examiner s’il est, autant qu’il le paraît,
en contradiction avec le caractère véritable de Stilicon et avec la disposition
des esprits au cinquième siècle. On entrevoit sans doute de quel côté viendra
la lumière propre à faire évanouir toutes ces oppositions apparentes.
Il existait dans l’empire
beaucoup de gens dont la foi religieuse avait la flexibilité du roseau. Le
souffle de l’intérêt personnel les faisait incliner tantôt vers tes idoles,
tantôt vers la croix. Ces hommes méprisables flétrirent par leurs intrigues
les dernières années du règne de Constantin, et on les trouva aussi assidus à
la cour de Constance qu’à celle de Julien. Leur nombre avait toujours été en
augmentant depuis le milieu du quatrième siècle, et dans les premières années
du cinquième il ne le cédait ni à celui des chrétiens ni à celui des païens.
Tout porte à croire que Stilicon appartenait à un parti dans les rangs duquel
les ambitieux avaient leur place marquée.
Les historiens ecclésiastiques
prétendent que toutes les machinations de Stilicon eurent pour but de
conserver, pendant la vie d’Honorius, le pouvoir réel entre ses mains et de
revêtir de la pourpre son fils quand le successeur de Valentinien II aurait terminé
sa triste existence. Il serait mal aisé de rejeter une allégation appuyée sur
les diverses circonstances de la vie de Stilicon, et qui d’ailleurs révèle une
ambition naturelle chez un homme puissant comme l’était ce ministre.
Pour faire réussir ses desseins
il avait un égal besoin du parti chrétien et du parti païen. Il se chargea du
soin de s’attacher le premier, laissant à son fils celui de conquérir l’amour
du second en le leurrant de promesses qui sans doute ne devaient jamais être
tenues. Dans cette voie où tant d’artifice était nécessaire, sa conduite, il
faut en convenir, fut pleine d’habileté. Les chrétiens étaient les plus forts,
les plus impatients, les moins disposés à se payer d’illusions : il leur donna
le pouvoir du moment; les païens se nourrissaient de visions, de rêveries,
d’espérances, ils se montraient satisfaits pourvu qu’on leur permît de penser
et de dire que tôt ou tard leurs autels seraient relevés: il offrit à ceux-ci
le règne futur de son fils comme l’époque de la restauration des temples. Cet
accommodement semble leur avoir convenu, car Stilicon fut renversé non par les
défenseurs des idoles, mais par les chrétiens, qui avaient besoin d’amis plus
sincères.
Le désir qui animait le
ministre d’Honorius de conserver des intelligences dans le parti païen se
trouve d’ailleurs révélé par les rapports intimes qui existaient entre lui et
le célèbre poète Claudien.
Cet écrivain qui reçut du ciel une
imagination ardente et dont le génie impétueux avait besoin pour s’épancher
d’vue entière liberté, employa son talent d’une manière peu conforme à sa
nature.
Le propre du génie poétique est
de s’unir, pour les reproduire, à toutes des grandes impressions que les
peuples éprouvent: l’enchaîner à des idées dépourvues de force, de vie,
d'avenir, c’est de condamner à une perpétuelle enfance. Alors la pensée chrétienne
agitait tout l’empire romain; elle préoccupait de mille manières différentes
les esprits et les consciences; elle faisait monter dans la chaire les hommes
pourvus du talent de la parole; elle jetait dans la mêlée des luttes
théologiques ceux qui brillaient par la sagacité, la finesse ou la force de
leur esprit; les poètes trouvaient en elle une source de nobles inspirations;
elle exerçait enfin une attraction irrésistible sur quiconque portait en soi
une étincelle de génie; car les Basile, les Chrysostôme, les Gregoire, les Ambroise, les Jérôme, les Augustin, les
Prudence.... forent entraînés vers le christianisme autant peut-être par
l’impulsion de leurs rares talents que par l’effet de leur conviction.
Claudien cependant sut échapper à cette loi de l’attraction chrétienne. Au service de quelle
cause mit-il son génie poétique? au service de l’ancien culte, de ce système de croyances usées, de cette source tarie, de
ce flambeau éteint,
auquel l’ignorance
ou la passion attribuaient encore un reste de force. Il chante non pas une
seule fois mais toujours, des dieux privés de leurs temples, de leurs autels,
de leurs pontifes, publiquement honnis et méprisés, et qui m’entendent plus les
accords qu’il fait monter vers les cieux.
Cette méprise du génie n’est
pas un effet du hasard; elle résulte d’un principe qu’il importe de
développer, car des erreurs des grands hommes comme celles des grands écrivains
sont fécondes en leçons. La puissance des anciennes mœurs sent d’explication à
la difficulté que nous cherchons à résoudre. Les païens formaient an sein de la
grande société romaine une société particulière, très pauvre sous le rapport
intellectuel, mais active, mais turbulente et encore pourvue
d’une assez grande influence. Elle tendait à isoler ses intérêts de ceux-du
reste de l’empire; et s’appliquait à vivre comme si le christianisme n’eût pas
existé. Elle avait des couronnes pour ses flatteurs, des persécutions pour ses
ennemis, et les empereurs tout en la détestant la ménageaient. Doit-on
s’étonner dès lors quelle ait trouvé pour lui complaire et l’aduler des hommes
de talent, gens à vues-étroites et fausses, assez éclairés pour comprendre
qu’ils se trompaient, pas assez pour en convenir et changer de langage, des
écrivains enfin tels que Claudien, Ammien Marcellin et quelques autres dont les
noms sont connus? Il existait entre ces interprètes des anciennes idées et ceux
des nouvelles autant de différence qu’entre les deux sources auxquelles ils
allaient puiser. Les écrivains chrétiens déclaraient hautement leurs
principes, leurs intentions, et provoquaient sans cesse leurs adversaires. Les
païens au contraire croyaient donner une grande preuve d’habileté en ne tenant
aucun compte des progrès du christianisme, et en ne le regardant que comme une
tourmente passagère dont il serait fou de prendre souci. Ils étaient souvent,
il faut en convenir, ramenés à la réalité des choses par de sévères leçons,
mais ils n’en profitaient guère; leur situation fausse, leur aveuglement tantôt
volontaire, tantôt réel, leurs contradictions choquantes, leur peu de bonne
foi, n’apparaissent nulle part aussi bien que dans les ouvrages dus au génie
poétique de Claudien.
Claudien naquit et fut élevé à
Alexandrie, ville illustrée par la science où toutes les opinions religieuses
et philosophiques étaient professées avec une égale liberté , et dans le sein
de laquelle le christianisme réclamait simplement le droit d’être entendu et
discuté. L’imagination remplie de toutes les idées païennes qui régnaient à
Alexandrie, Claudien vient à Rome. Ces deux villes ne se ressemblaient par
aucun point. Une dissimulation profonde dominait dans la capitale de
l’Occident, chacun y déguisait son langage. La cour impériale amie si ardente
des idées nouvelles flattait cependant les païens et fermait les yeux sur leurs
coupables tentatives. De leur côté le sénat et l’aristocratie ne celaient pas
avec moins de soin leurs ressentiments. S’adressent-ils à l’empereur, ils lui
parlent comme s’il partageait encore leurs croyances, et les discours
prononcées soit dans la Curie, soit au Capitole, indiquent une sécurité qui cependant
ne régnait pas dans leurs âmes.
Jeune, plein d’enthousiasme,
animé d’une foi sincère en la puissance de ses dieux, Claudien dut comprendre
difficilement l’emploi qui lui revenait dans cette espèce de comédie politique,
alimentée si bien par l’esprit d’un siècle où la conviction et la, franchise
étaient rares; mais des circonstances ignorées par nous le firent entrer très
avant dans la confiance de l’homme éminent dont le caractère reproduisait avec
une si grande fidélité les vices de la société qu’il gouvernait : sous les
inspirations de Stilicon, Claudien se dispose à devenir l’organe officiel du
parti païen.
Est-il dans l’histoire des
lettres un spectacle plus étrange que celui offert alors par cet écrivain?
Orose le qualifie gentilis pervicacissimus, saint Augustin, en parlant de lui dit poeta illorum,
tout décèle en Claudien un païen fervent, sincère, convaincu. Il ne cesse pas
de faire usage des allégories offertes par la mythologie grecque, il puise à
pleines mains dans cette mine d’erreurs; les dieux de l’Olympe occupent dans
ses poèmes plus de place que les mortels dont il prétend célébrer la gloire; et
néanmoins il ne lui échappe pas un mot qui puisse trahir l’intérêt plus ou
moins grand qu’il prend à la lutte entre les deux religions. Il ne donne aucun
témoignage de pitié à ces dieux dont les noms reviennent à tout moment sous sa
plume; sa muse chante les événements du règne d’Honorius, et elle non oublie
qu’un seul, c’est la consécration définitive des victoires remportées, par le
christianisme.
Non seulement Claudien se tait
sur une révolution religieuse dont tous les esprits sont préoccupés et qui
blesse un si grand nombre d’intérêts, mais
il va plus loin; et selon la tactique de son parts, il décore l’image
des empereurs chrétiens avec des emblèmes païens d’un tel caractère qu’il est
difficile de comprendre comment cette profanation ne lassa point la patience
des empereurs et ne reçut pas enfin sa récompense. Je citerai quelques
exemples;
Théodose était, plus encore que
Constantin, une personnification du christianisme: jamais il ne chancela dans
la foi véritable; sa vieillesse ne ternit pas l’éclat de ses premières années,
et ils mourut au sortir d’un combat où
il venait, de terrasser encore une fois les amis de Mammoa.
Une auréole de gloire chrétienne entourait donc son nom et le garantissait contre
les éloges du paganisme. Cependant Claudien feint d’ignorer tout ce que
l’empire connaît; avec une témérité inconcevable il transforme Théodose en
dieu et lui fait tenir du haut de son céleste séjour un langages qui serait
convenable dans la bouche de Jupiter, de Mars ou de Quirinus.
Claudien
célèbre le troisième consulat d’Honorius et introduit dans son poème. Théodose
qui, sentant approcher sa mort, confie ses enfants à Stilicon. A peine le
vénérable empereur a terminé son discours, qu’il va prendre sa place dans la
demeure des dieux.
C’est ainsi que le prince dont
la ferveur chrétienne avait assimilé le
moindre acte du paganisme au crime de lèse-majesté se trouve transporté dans la
région des étoiles, incertaines s’il daignera prendre place au milieu d’elles.
Je conçois que Claudien ait
fait assister tous les dieux à la naissance d’Honorius, et chargé l’un d’eux de
prédire au jeune héritier de la pourpre les plus brillantes destinées : cette
fiction, extraordinaire sans doute dans la bouche d’un poète du quatrième
siècle, n’excédait cependant pas le droit fondé sur un long usage; mais il
affirme que les oracles et des signes célestes annoncèrent la naissance du fils
de Théodose :
Quœ tune documenta futuri?
Quœ noces avium? quanti per inane volatus?
Quis vatum discursus erat? tibi corniger
Ammon,
Et dudum taciti rupere silentia Delphi;
Te Persœ cecinere Magi ; te sensit Etruscus
Augur,
et inspectis Babylonius horruit astris.
Chadeasi
stupuere senes, Cumanaque rursus
Intonuit
rupes, rabidœ délabra Sibyllœ.
Nec te progenitum
Cybeleïus œre sonoro
Lustravit
Corybas,
Ici le poète n’allègue plus des
faits arrivés sur l’0lympe, dans la région des étoiles ; il rend la parole à
des oracles qui de l’aveu commun avaient depuis longtemps perdu la voix.
L’affirmation d’un acte précis, mais faux, prend la place des allégories
païennes dont l’imagination du poète avait coutume de se repaître. Qui donc
voulait-il tromper? personne assurément; mais le parti païen croyait utile de
dissimuler le silence de ses oracles, comme il dissimulait la destruction de
ses autels.
Je ne multiplierai pas les
citations. Ce que Claudien fait pour Théodose et Honorius il le recommence pour
les principaux personnages chrétiens de son temps: Stilicon, son épouse Sérena, sa fille l’impératrice Maria, Probinus
et Olybrius, Mallius Théodorus
dont saint Augustin loue la piété, et plusieurs autres partisans connus du
christianisme, sont non pas célébrés par lui à l'aide d’images mythologiques et
de formules païennes, mais placés dans de continuels rapports avec les
innombrables divinités de l’0lympe et transformés, pour ainsi dire, en héros de
la fable.
La première pensée qui se
présente quand on veut expliquer cette falsification de l’esprit du cinquième
siècle et du caractère somme des croyances de tant de personnages célèbres,
c’est que Claudien aura suivi les traditions reçues dans l’art poétique des
anciens, sans avoir en aucune manière l’intention de blesser la religion
dominante. Son exemple, peut-on dire, a été suivi jusque dans les siècles
modernes par des poètes dont assurément l’amour pour la religion chrétienne
n’était pas douteux. Il faut avant tout faire comprendre la différence des époques.
Sans doute, quand le christianisme eut achevé ses conquêtes, il put sans danger
recueillir les ornements dont son rival s’était paré et s’en décorer lui-même;
mais pendant le cinquième siècle, alors que la lutte se prolongeait encore
ardente et passionnée, quand le christianisme avait’ pour ennemis d’abord les
païens, puis ensuite une foule de chrétiens amis trop suspects de la vérité;
quand du côté des chrétiens il existait un sentiment insurmontable de dégoût
pour tout ce qui provenait de l’ancien culte, aucun poète né se serait
approprié le système de fictions poétiques adopté par Claudien, à moins qu’il
n’ait eu l’intention de faire un acte formel de paganisme.
Lorsque Claudien enivrait Rome
du ses chants profanes, un poète chrétien, Prudence, charmait ses frères
d’Italie par des poèmes pleins d’onction et d’une suave harmonie. Lui aussi il
traita un sujet non moins politique que religieux, car il réfuta la relation de
Symmaque; lui aussi, il plaça dans le ciel l’empereur Théodose, mais dans le
ciel des chrétiens où les princes ne sont pas transformés en étoiles. Si
quelquefois il laisse tomber de sa plume les noms des divinités du paganisme,
c’est afin: de saisir l’occasion de verser sur ces images du démons, des flots
de sarcasmes et d’outrages.
Discede
adulter Juppiter
Stupro
sororis oblite.
Voilà, comme, il traite le genitor divum. de
Claudien. Saint Paulin, qui dans ce temps publia plusieurs pièces de vers
remarquables, ne se tient pas moins éloigné des idées païennes. Chacun des deux
partis avait donc ses formes poétiques particulières et Claudien en célébrant
la puissance des anciens dieux, avec une infatigable obstination, combattait
pour le culte, national de la manière la plus propre à frapper l’imagination du
peuple.
Une fois enrôlé sous les,
bannières du paganisme romain, Claudien devait en adopter tous les principes et
toutes les croyances: c’est en effet ce qu’il fit. Quoique né en Égypte,
quoique formé par la civilisation grecque, il chanta Rome et Quirinus, avec
plus d’enthousiasme qu’aucun poète italien connu.
Symmaque dans sa Relation fait
apparaître Rome suppliante devant les empereurs et il lui prête un langage
simple et noble; le poète anime aussi cette divinité si chère à l’aristocratie
païenne, mais il laisse l’orateur bien loin derrière lui.
Au début du poème de bello Gildonico, Rome
craignant d’être tourmentée par la famine vient, demander à Jupiter de la
préserver de cet affreux malheur en renversant Gildon, tyran d’Afrique. Le
discours qu’elle prononce est moins un artifice poétique que la reproduction
exacte des sentiments douloureux dont l’âme des païens était depuis longtemps
oppressée.
La voilà cette Rome qu’ils
s’obstinaient encore à nommer la ville de Mars, la ville chère aux dieux,
vouée aux immortels; hier elle suppliait en faveur de ses autels,
aujourd’hui elle tend la main et demande du pain à Jupiter!
Claudien conforma. Sa muse aux;
craintes du parti, païen au point de la rendre quelquefois la lâche accusatrice
des guerriers qui avaient succombé en combattant pour la cause des idoles. Je
conçois par beaucoup
de raisons son silence sur les sacrilèges de Stilicon; mais
quel sentiment put lui conseiller d’accabler de ses outrages la mémoire
d’Eugène et celle d’Arbogaste, des deux malheureux défenseurs de sa propre
religion?
Dans son poème sur le troisième
consulat d’Honorius, Claudien publiant la gloire des dernières années du règne
de Théodose est conduit à parler de la réVolte
d’Eugène; voici en quels termes il s’exprime:
Interea
turbata fides, civila rursus
Bella tonant,
dubiumque quatit discordia mundum.
Proh
crimen superum! Longi proh dedecus
oevi!
C’est ainsi qu’il parle d’un événement
qui avait ramené au sein du sénat la statue de la Victoire, d’une entreprise à
laquelle avaient pris part tous ceux qui l’écoutaient, l’applaudissaient, et
sans doute le payaient.
La mort d’Arbogaste fut toute
romaine; après avoir longtemps disputé la victoire à Théodose, il ne voulut
pas survivre à sa défaite et se tua; mais le poète est inexorable:
At ferus inventer
scelerum trajecerat àltum
Non uno
mucrone latus, duplexque tepebat
Ensis,
et ultrices in se converterat
iras
Tandem justa
manus.
Il faut bien en faire l’aveu
:au fond du cœur des chefs païens régnait une sorte de bassesse ; ils fomentaient
des révoltes, et quand elles avaient été réprimées, chacun désavouait les
chefs de l’entreprise, insultait à leur mémoire et prodiguait au vainqueur les
plus plates adulations. Le vertueux Symmaque lui même n’eut pas la force de
s’élever au-dessus des faiblesses de son temps et de son parti, car on l’entendit
rétracter son panégyrique de Maxime, et il versa des larmes de repentir.
Claudien resté étranger à l’insurrection d’Eugène, ne pouvait pas même alléguer
la peur pour excuse.
Je ne prolongerai pas davantage
cet examen des écrits de Claudien considérés sous le point de vue religieux.
Cependant tous ses poèmes doivent avoir pour nous une grande importance
historique, car à l’exception de celui De raptu Proserpinœ, ils furent revêtus de ce caractère d’actes
publics qui appartient rarement à des écrits de ce genre. Ses Panégyriques, ses
Eloges, ses Chants de victoire furent récités devant l’empereur, le sénat et
les grands de l’état. Ce devait être pour les païens un bonheur exquis de
l’écouter; accoutumés à n’entendre retentir dans le palais impérial que la
voix du christianisme, leur cœur se dilatait en ces jours solennels où
l’empereur entouré de ses officiers venait s’asseoir au sein de la Curie; alors
Claudien s’avançait, et encouragé par les sentiments secrets du plus grand
nombre de ses auditeurs, il élevait la voix et faisait couler à longs flots son
enthousiasme païen.
L’aristocratie fut
reconnaissante de ces preuves de dévouement si rares dans ce temps, et elle
contraignit les empereurs, qu’elle voulut bien en cette circonstance qualifier doctissimi, à élever une statue dans le Forum
de Trajan au poète dont le rôle était celui d’orateur lauréat du paganisme.
Claudien, personnage politique autant qu’homme de lettres, fut revêtu du titre
de Vir Clarissimus et de la charge de Tribun-Notaire. Rien ne manqua
donc à sa gloire.
Mais sa fortune devait changer.
Après la mort de Stilicon, Claudien effrayé s’enfuit de Rome et courut se
réfugier à Alexandrie. L’ami du ministre d’Honorius, le poète chéri des païens,
s’offre maintenant à nos regards comme un malheureux proscrit, demandant grâce
pour lui et pour ses amis. Il ne renie pas ses anciennes affections; il se
plaint seulement de l’excès d’infortunes qui l’accablent, et s’adresse en ces
termes au préfet du prétoire Adrianus:
Usque adeo
ne-tuœ producitur impêtus irœ?
Nullus tot
finis lacrymis? subitisne
favorem
Permutas odiis......
Excessit
jam poena modum: concede jacenti:
En adsum.
Le rôle qu’il venait de jouer
dans Rome avait dû amasser sûr sa tête de nombreux ressentiments; et, si je
m’étonne d’une chose, c’est que Claudien n’ait pas, comme tant d’autres
citoyens, péri en expiation des bienfaits de Stilicon.
Il existait au sein du
paganisme romain deux principes distincts: l’un politique, et Symmaque dans sa
Relation le développe avec éloquence; l’autre religieux s’adressait à la
conscience et aux sentiments pieux de la multitude; Claudien consacra sa muse à
l’apologie de ce second principe qui n’aurait plus été compris s’il s’était
présenté sous des formes graves et austères. Il fut donc non seulement un poète
habile, mais un défenseur intelligent des anciennes croyances auxquelles ses
chants redonnèrent un peu de la popularité que les intarissables railleries des
chrétiens leur avaient fait perdre. Cette considération justifiera, je l’espère
au moins, l’excursion que je viens de faire dans le domaine de la littérature
classique, surtout si l’on veut bien réfléchir qu’un des résultats de cette
digression a été de nous montrer combien la situation du parti païen était
fausse, et à combien de concessions, de fraudes et de mensonges ses apologistes
se trouvaient condamnés.
Continuation
du règne d’Honorius. — Usurpation d’Attale.
L’artisan
de la ruine de Stilicon se nommait Olympe. Il était maître des offices de la
cour. Il hérita du pouvoir de son ennemi; mais le mépris qui s’attacha sans
cesse à ses pas et la prompte punition qu’il reçut de ses crimes, ne permettent
pas de lui assigner une grande part dans les événements de ce règne. Au lieu de
suivre la politique équivoque de son prédécesseur dans les matières
religieuses, il porta sans aucun ménagement tout le pouvoir du côté des
chrétiens.
Le 17 des calendes, de décembre
4o8 une loi fut publiée contre le culte national; elle est d’autant plus digne
de fixer l’attention, qu’elle semble destinée à rappeler et à corroborer toutes
les anciennes lois rendues en haine du paganisme, et que quelques-unes de ces
lois peuvent avoir échappé aux recherches des rédacteurs du Code Théodosien.
Cette loi étant adressée à Curtius, préfet du prétoire d’Italie, on ne peut
dire qu’elle fût simplement destinée à régir une province : son caractère était
donc celui d’un édit général. Il faut en même temps reconnaître que la cour
avait été mise sur la voie de cet acte important par une réclamation des pères
de L’église d’Afrique contre les païens de leur province. Plus tard il sera
rendu compte des causes et du but de cette démarche; en ce moment je dois me
borner à analyser les différentes dispositions d’un acte qui apporta de graves
changements dans la situation des païens d’Occident.
La loi commence par ces mots : Templorum detrahantur annonae et rem annonariam jubent, expensis devotissimorum militum profuturoe.
Gratien ravit au sacerdoce païen
tous ses biens et Théodose déclara que le trésor ne solderait plus les sacrifices,
publics; cependant il restait encore dans le budget de l’état certaines
allocations en faveur de l’ancien culte, et c’est ce qu’on appelait Annona templorum, vectigalia templorum. Ces
sommes servaient à payer les Epula sacra
et les Jeux sacres, fêtes qui, comme nous l’avons vu, avaient été positivement
maintenues par Honorius. La politique de la cour impériale devenant chaque
jour plus contraire à l’ancien culte, on abolit en ce qui avait été conservé en
399. L’empereur était d’autant, plus intéressé à supprimer l’Annone des
temples, que cette somme était prélevée sur les tributs appartenants
au trésor du prince. Ainsi à partir de l’année 408, l’ancien culte n’eut plus
pour subsister que les dons et les offrandes des particuliers: elles suffirent
longtemps dans les provinces à ses besoins.
Simulacra,
si qua etiam nunc in templis
fanisque consistant, et quae
alicubi ritu vel acceperint, vel açcipiunt paganorum,
suis sedibus evellanlur,
cum hoc repelita sciamus
soepius sanctione decretum.
Les mots etiam
nunc peuvent étonner, car la cour impériale devait savoir que Rome était
encore remplie d’idoles, et même pressentir que sa loi n’amènerait pas leur
ruine. Quant à ce qui est dit que d’anciens décrets avaient ordonné la
destruction des simulacres, cette citation a rapport à une loi rendue
précédemment pour la province d’Afrique.
Ædifîcia
ipsa templorum quœ in civitatibus, vel oppidis, vel
extra oppida tant, ad usum publicum vindicentur; arae locis omnibus destruantur; omnia que templa possessionibus nostris, ad usas accommodos transferantur; domini destruere cogantur.
Les sacrifices et les
cérémonies publiques étant interdits, les temples devenaient des édifices
désormais inutiles. Il convenait donc que l’autorité prit une détermination
pour régler leur sort; cette décision était nécessaire, car dans les endroits
où les chrétiens se trouvaient les plus forts, ils s’emparaient des choses
précieuses conservées dans les temples, et même cédant aux excitations des
moines ils appliquaient le marteau contre ces édifices. Sérena
enlevant à une statue de Rhéa son collier pour s’en orner, nous offre la preuve
d’un fait qui devait se reproduire presque partout. Le gouvernement sentit la
nécessité d’opposer une digue à ce pillage. En 399, Honorius adressa à Macrobe
et à Proclianus, magistrats provinciaux, cette loi
dont j’ai déjà parlé , dans laquelle il
déclarait que son intention était publicorum
operum ornementa servari, qu’en
conséquence on devait s’opposer aux déprédations de ces gens qui prétendaient
agir en vertu d’un rescript ou d’une loi.
Dans la même année Honorius
prohibant les sacrifices en Afrique renouvela la défense de renverser les
temples.
La loi
de l’an 408 fixa définitivement le sort des édifices sacrés que les deux
précédentes lois laissaient incertain, et déclara qu’ils seraient appropriés à
l’usage public, elle ne pouvait rien faire de plus propre à calmer la douleur
des païens, puisque les temples désormais affectés à divers usages publics se
trouvaient par cela seul placés sous la surveillance des magistrats provinciaux
et particulièrement des curies si dévouées a l’ancien culte. Cette disposition
de la loi contribua à la conservation d’un nombre considérable de temples en
Occident; plusieurs de ces édifices ne furent ni affectés à l’usage du public,
ni transformés en églises, mais ils demeurèrent, pendant près de deux siècles,
comme une vaine consolation laissée à des gens qui avaient perdu le droit
d’exercer leur culte avant d’avoir abandonné leurs croyances.
Naguère Honorius qualifiait les
festins sacrés communis lætitia,
aujourd’hui il les nomme ritus sacrilegi. Cetté interdiction
des témoignage de là commune allégresse avait été sollicitée par les
pères du concile de Carthage; mais je me hâte d’ajouter qu’elle ne fut pas plus
respectée en Afrique que dans Rome.
Jusqu’à présent les évêques et
les pontifes ont été regardés comme les chefs de deux armées ennemies; ils ont
combattu non pas avec la même force mais avec des droits égaux. Saint Ambroise
et Symmaque dans le débat relatif à l’autel de la Victoire donnèrent la mesure
de l’indépendance relative dont jouissaient ces deux, ordres de ministres: en
4o8 cet état de choses n’existait plus, et les évêques avaient le droit de
réprimer toute tentative païenne qui aurait été contraire à la loi dont nous
nous occupons. On peut sur ce seul point juger de tout le terrain perdu par le
paganisme.
Ce dernier paragraphe nous
apprend que la cour impériale comptait peu sur le zèle des magistrats, puisqu’elle
le stimulait par la crainte des amendes. Dés lois, si sévères qu’elles fussent,
ne pouvaient pas, en effet, contraindre un gouverneur ami des idoles à les
faire briser dans toute l’étendue de sa province: le désordre, où se trouvait
l’empire ne lui fournissait que trop de moyens d’éluder l’exécution des ordres
du souverain. Aussi les lois pénales de cette époque décernent-elles des peines
ordinairement semblables contre l’auteur du délit et contre le magistrat qui ne
l’a pas fait poursuivre. Le législateur agissait sagement en prévoyant
l’inaction des magistrats provinciaux, dont le plus grand nombre étaient païens
ou hérétiques. L’année suivante l’empereur déclara que les magistrats convaincus
de connivence avec les personnes qui par des violences troublaient l’exercice
du culte chrétien, ou qui contredisaient publiquement les dogmes de la vraie
religion, seraient destitués de leurs charges pour être ensuite plus sévèrement
punis, et que les officiers municipaux subiraient la peine du bannissement et
de la confiscation. Voilà les magistrats auxquels l’exécution de la loi de l’an
408 fut confiée.
Une loi peu ou point exécutée
est cependant un acte dont l’historien doit tenir compte, car elle proclame
toujours un principe, elle révèle l’intention du souverain, et par cela seul
que l’on sait qu’elle est venue se heurter contre les mœurs publiques, on est
plus à même de juger la situation de l’époque où elle fut rendue. La loi de
l’an 408 déclara l’illégalité de tous les actes publics de l’ancien culte, elle
compléta en principe l’entreprise des empereurs chrétiens, et sous ce point de
vue elle doit tenir une grande place dans l’histoire de la chute du paganisme;
quant à son effet positif, direct, immédiat, nous allons trouver dans Zosime la
preuve qu’il ne pouvait être que très inefficace.
Le 18 des calendes de décembre,
c’est-à-dire le lendemain même du jour où fut publiée la loi précédente, Olympe
affectant beaucoup de zèle pour le christianisme, fit rendre une loi qui
excluait de toutes les charges du palais les ennemis de la communion catholique
et ceux qui ne partageaient pas la foi du prince. C’était frapper les païens
dans ce qu’ils avaient de plus précieux; mais on conçoit qu’à une époque où les
premières charges de l’empire d’Occident étaient entre les mains des
adversaires de la religion chrétienne, et où l’on voyait à la tête des armées
des païens aussi redoutables que Fravitta et Saül,
Une telle mesure devait nécessairement avorter : c’est en effet ce qui arriva
et voici comment.
La
milice romaine était commandée par un étranger nommé Généride, dont Zosime fait
beaucoup l’éloge. Aussitôt qu’il eut connaissance de la nouvelle loi, il déposa
son ceinturon, signe du grade dont il était revêtu,
et se retira chez lui. Honorius surpris de no plus le voir, lui fit demander
pourquoi, étant au
nombre de ses officiers, il ne se rendait pas au palais. Pour toute réponse Généride rappela la loi qui venait d’être rendue, l’empereur répondit qu’un grand nombre d’officiers placés, dans une position semblable à la sienne s’étaient soumis à cette loi, mais qu’il ne lui
demandait pas de suivre leur exemple. Généride refusa d’accepter une faveur
injurieuse envers les officiers qui pour une cause semblable avaient renoncé à
leurs dignités. «Il ne perdit pas son grade, car l’empereur contraint par la
pudeur autant que par la nécessité, révoqua la loi, accordant à chacun la
faculté de conserver son opinion avec ses magistratures et ses commandements
militaires.»
Dans
l’empire d’Orient le célèbre Fravitta, quoique païen,
conserva longtemps et fort heureusement pour les armes romaines, un
commandement militaire, et fut même consul en l’année 4o1. Optatius,
autre païen, gouvernait Constantinople en 404.
Le
moment était mal choisi pour essayer l’intolérance, car Alaric fondit de
nouveau sur l’Italie à la fin de 4o8, et vint mettre le siège devant Rome. La
situation de cette ville était affreuse: la terreur et la famine ne secondaient
que trop bien des efforts des Goths, et toute résistance sérieuse semblait
impossible, Si nous croyons Zosime et quelques autres écrivains, il se passa
dans Rome un fait extraordinaire. Je vais le rapporter tel qu’on le trouve dans
l’historien grec, j’examinerai ensuite son authenticité.
Pendant que les Romains
attendaient avec anxiété le sort qui leur était réservé, des gens venus de
l’Étrurie pénétrèrent dans la ville. Ces étrangers étaient sans doute des
augures chassés de leur demeure par l’armée des Goths. Ils racontèrent qu’ils
avaient sauvé te petite ville de Narni en consultant les dieux selon les
anciens rites; que par ce moyen la foudre était tombée sur les barbares et les
avait dispersés: ils offraient d’en faire autant à Rome. Le préfet de la ville,
Pompeïanus, causa avec eux, et interrogea les livres
pontificaux pour connaître la conduite qu’il devait tenir en cette grave
circonstance. Quoique les Romains pensèrent qu’il fallait se conformer à l’avis
donné par ces livres sacrés, Pompeïanus en référa à
l’évêque Innocent Ier. Celui-ci, préférant le salut de la ville au
triomphé de ses propres opinions, autorisa les Toscans à faire, mais en secret,
tout ce qu’ils jugeraient convenable. Ils répondirent que le seul moyen
d’obtenir quelque secours du ciel était de sacrifier publiquement et d’une
manière conforme à tous les anciens usages, qu’il fallait que le sénat montât
solennellement au Capitole, et que les sacrifices eussent lieu soit dans cet
endroit, soit dans un forum de la ville. Aucun sénateur n’osant assister à ces
cérémonies, les Toscans furent congédiés.
Le récit de Sozomènes
diffère de celui de Zosime. Cet historien prétend que la nécessité de sacrifier
au Capitole et dans les autres temples, était surtout proclamée par les
sénateurs païens, et que les sacrifices eurent lieu.
«On s’efforça, dit Zosime, de
conjurer la fureur des barbares par d’autres moyens. On leur offrit une rançon
pour la ville, et ils l’acceptèrent; mais les exactions avaient tellement
appauvri les citoyens, qu’il fut impossible de réunir par une capitation la
somme nécessaire. Alors cet exécrable génie qui décidait des choses humaines
poussa les magistrats à mettre le comble aux malheurs publics en dépouillant
les statues des dieux de leurs ornements. Ces simulacres consacrés par des
cérémonies religieuses avaient été ornés convenablement afin que le bonheur
public fût assuré. Les rites étant abolis, ces statues restaient sans puissance
et sans vie. Il fallait que tout ce qui était propre à faciliter là ruine de
Rome arrivât. Ils ne se contentèrent pas de ravir aux statues leurs ornements,
ils firent fondre celles qui étaient d’or ou d’argent. Dans le nombre il s’en
trouvait une du Courage, que les Romains appellent Virtus; avec elle
disparut de Rome tout ce qui restait encore d’honneur et de vertu. Les hommes
exercés aux choses divines et aux rites nationaux annoncèrent ce qui allait
arriver.»
Tel est le récit de Zosime. Les
commentateurs le traitent de fable; cependant je ne le regarde pas comme
entièrement fabuleux. Je doute qu’innocent Ier ait autorisé les
augures toscans à consulter secrètement les dieux, non parce qu’innocent était
évêque, car on trouve dans l’histoire de ce siècle et du suivant les preuves de
concessions non moins étranges faites par le christianisme à l’idolâtrie, mais
parce que le caractère d’Innocent nous est connu, et qu’il proteste suffisamment
contre le récit de l’historien païen. Pour le surplus j’admets l’autorité de
Zosime. Que voyons-nous? le parti païen renouvelle ce qu’il avait fait lors de
l’invasion de Radgaise, il tente au milieu du malheur public de ranimer son
culte, et cet essai risqué sous des auspices si funestes, il n’ose pas même le
soutenir jusqu’au bout. Il appelle des augures de la Toscane, il leur fait
débiter un conte ridicule, et quand il s’agit d’exécuter ce qu’ils demandent,
il tremble et recule: tout cela est trop probable pour que Zosime l’ait
inventé. Au reste sur plusieurs points Sozomènes est
d’accord avec lui; il va même plus loin, puisqu’il affirme que les sacrifices
furent célébrés.
Alaric ayant reçu l’argent
promis se retira en Étrurie, laissant aux Romains un instant de répit. Honorius
en profita pour opérer une révolution parmi les officiers de la cour impériale:
elle fut favorable au parti païen. Olympe, après avoir eu les oreilles coupées,
fut assommé. «Une fin si funeste, dit Tillemont n’a pas laissé de lui être bien
favorable, si sa piété a été solide, puisqu’elle lui aura servi à expier les
fautes d’un état aussi dangereux qu’est celui de premier ministre.» Son
autorité passa dans les mains du préfet du prétoire Jovius, homme éloquent,
instruit et païen. La préfecture de Rome fut donnée, à Attalus (Flav. Priscus.) «Nous parlerons souvent de cet Attale,
parce qu’Alaric en fera pour ainsi dire son jouets à la honte de l’empire et de
tout ce que les vanités humaines ont de plus grand.» Il professait également
la religion païenne, quoiqu’on l’ait dit tantôt catholique, tantôt arien. Dans
tops les cas on peut répéter avec Tillemont: «Les ariens
et les païens se promettaient tout de lui.» Généride fut nommé général des troupes de la Rhétie, de la
Norique, de la Dalmatie et de la Pannonie: ainsi le parti païen est redevenu
maître de l’empire. La puissance romaine devait expirer entre ses bras.
On s’aperçut bientôt du retour
de son influencée. Une loi fut rendue qui déclarait que. personne ne devait
embrasser la religion chrétienne si ce n’était par un choix libre et
volontaire. On a prétendu que, dans l’état où se trouvaient les choses, c’était
casser tout ce avait été fait contre les païens. Je ne vois pas comment un
pareil changement aurait pu résulter de cette déclaration si bien d’accord avec
l’esprit du christianisme. La loi ne stipulait que pour l’avenir, et elle ne
se proposait pas de réparer tous les échecs que l’ancien culte avait éprouvés,
car il n’appartenait à personne de détruire l’œuvre du temps. Les païens se
réservent la liberté de conscience, ils s’assurent du droit de ne point être
violentés dans leurs croyances intimes, et cette mesure de prudence indique une
résignation et une prévoyance qui ne leur étaient pas habituelles.
Alaric traitait continuellement
avec la cour de Ravenne; mais aussitôt que les négociations prenaient un
caractère qui lui déplaisait, il faisait mine de marcher sur Rome et de céder à
cette voix secrète qui répétait sans cesse à ses oreilles: Perge
et Romam destrue.
En 409 il met de nouveau le
siège devant Rome. Je vais dire pourquoi il épargna encore cette fois la proie
qui lui était dévolue.
Depuis le règne de Constantin,
la conduite du parti païen avait été ce qu’elle devait être. Blessé dans ses
croyances, attaqué dans ses prérogatives, il se défend par des moyens dont les
lois et les mœurs de l’empire autorisent l’emploi. Il faut donc arriver au
règne d’Honorius pour le voir déserter ses anciens errements et commettre
contre l’honneur du nom romain, dont cependant il se disait l’unique gardien,
un attentat que ne peuvent pallier ni son fanatisme, ni ses ressentiments, ni
ses malheurs.
Lors du mouvement occasionné
dans Rome par l’invasion de Radgaise, tout ce qui arriva fut d’accord avec la
conduite antérieure des païens et avec les principes qui les avaient toujours
dirigés. Convaincus que les maux de l’empire tiennent à l’oubli où sont tombés
les rites sacrés, ils redemandent les sacrifices et chargent le christianisme
de malédictions. Rien en cela ne peut surprendre, ils sont restés conséquents
avec eux-mêmes. Mais voici une circonstance dans laquelle ils foulèrent aux
pieds toutes leurs doctrines politiques en contractant une alliance honteuse
avec les barbares.
Attale rend
le pouvoir aux païens.
Priscus Attalus était, en
l’année 409, préfet de la ville. Né dans l’Ionie, ce personnage. appartenait
extérieurement au paganisme, mais dans le fait il ne ressentait pour l’une et
l’autre des deux religions qu’une complète indifférence. Sur ce point il ressemblait
à Eugène, à Eutrope, à Stilicon et à presque tous les hommes ambitieux de ce
temps. Alaric, las des tergiversations de la cour de Ravenne, et voyant qu’il
ne pouvait amener Honorius à conclure avec lui un traité définitif, résolut de
créer un nouvel empereur. Il vient camper sous les murs de Rome, et menace les
habitants de la ruiner de fond en comble s’ils ne se déclarent pas pour lui
contre Honorius. Le sénat s’assemble, et après avoir délibéré sur l’état de la
ville, consent à se soumettre. Alaric déclara qu’il nommait Attale empereur
d’Occident: ce préfet, aussitôt qu’il avait vu Rome au pouvoir des Goths,
s’était fait baptiser par Sigésaire évêque arien, et
Alaric crut avec raison que cette nomination satisferait les deux partis
opposés à la cour de Ravenne. Le sénat docile aux ordres du maître, ayant fait
dresser un trône, y plaça le nouvel auguste, le revêtit, de la pourpre et lui
mit la couronne sur la tête. Attale s’empressa de nommer ses officiers, ou
pour mieux dire de rendre le pouvoir au parti païen. La préfecture du prétoire
est donnée à Lampadius, le païen le plus exalté de ce temps, et celle de la
ville à Marcianus Tertullus fut désigné consul pour
l’année suivante. Les deux premiers étaient d’anciens amis de Symmaque, qui
peut-être pour son malheur vivait encore à cette époque. Après la distribution
des dignités, Attale, accompagné de ses gardes, alla prendre, malgré des
présages contraires, possession du palais. Le lendemain il vint au sénat et
prononçai un discours long et étudié, dans lequel il promit de maintenir à la
patrie l’intégrité de son territoire et même de replacer sous le joug des
Romains d’Occident l’Égypte et l’Orient.
Tertullus renouvela toutes tes
anciennes cérémonies, usitées pour l’entrée en fonctions des consols. Lé sénat
s’étant selon l’usage assemblé
le janvier, ce
magistrat, entouré de la
pompe consulaire, vint le haranguer. Nous ne connaissons de son discours que la
première
phrase, mai- elle suffit pour donner une idée du caractère de ce morceau d’éloquence: «Pères conscrpts,
disait-il, je vous parle aujourd’hui en qualité de consul et de pontife : je
possède déjà la première de ces dignités, j’y vais bientôt réunir l’autre...»
On voit qu’il entrait dans les vues du parti de restaurer le sacerdoce : le
temps lui manqua.
Selon Zosime, Rome
s’abandonnait à la joie en pensant
qu’elle allait être gouvernée par de si habiles magistrats. Une seule famille,
les Aniciens, ne partageait pas la commune allégresse, ce qui fait dire à
l’historien païen qu’en général les riches supportent avec dépit la félicité
publique: observation déplacée dans la bouche d’un défenseur du paganisme et
par conséquent de l’aristocratie.
L’empire d’Occident offrit
alors un spectacle dont on n’avait
jamais eu l’idée ; à Ravenne, un empereur chrétien et une cour chrétienne;
à Rome, un empereur païen et une cour païenne, mais de part et d’autre égale
impossibilité dé se nuire, car l’épée d’Alaric séparait les deux partis et les
tenait en respect. S’il y avait eu att fond de tout cela quelque chose de
sérieux, on pourrait dîne que la lutte qui existait au sein de la société
romaine ne s’était pas encore dessinée d’une manière aussi nette.
Attale laisse ses partisans
rouvrir dans Rome leurs temples, sacrifier aux dieux, consulter les présages,
et accompagné de l’armée d’Alaric, il marche vers Ravenne. Honorius offre en
tremblant de reconnaître Attale pour son collègue et de partager avec lui
l’empire d’Occident; celui-ci excité par Jovius répond fièrement qu’il ne veut
pas de partage, mais qu’il consent à laisser à Honorius la liberté de se
retirer dans une île où il lui sera fait un traitement honorable. Trahi par ses
courtisans, pressé pat l’armée des Goths, Honorius allait céder quand il reçut
d’Orient un secours de six cohortes, à l’aide-duquel il put se fortifier dans
Ravenne et attendre sans danger le résultât des événements qui se passaient en
Afrique.
On comprend combien les païens
de Rome devaient être heureux et fiers de voir enfin réalisées leurs constantes
prédictions sur le retour des idoles; mais cette joie céda bien vite la place à
un autre sentiment, car pendant le peu de temps que le pouvoir fut dans leurs
mains, Rome éprouva deux effroyables calamités.
Héraclianus
commandait en Afrique, et il ne tenait qu’à lui d’affamer la capitale. Alaric
et son empereur comprirent qu’il fallait à tout prix s’emparer de cette
province; mais, trompé par les augures, Attale se persuada qu’il suffisait
d’envoyer contre Heraclianus une poignée de soldats.
Constantin chargé de les conduire aborda avec confiance en Afrique, et fut en
arrivant battu et tué. Heraclianus fit garder les
ports et les rivages afin d’empêcher le transport des blés en Italie, et une
famine effroyable se déclara dans Rome; à cette famine succéda une peste non
moins cruelle, de sorte que la capitale éprouva en peu de mois une foule de
maux qu’elle n’avait jamais connus sous le règne de ces empereurs chrétiens si
constamment calomniés. Baronius dit avec raison : Quis,
rogo , in has redegit angustias urbem, nisi gentilium faclio scelerata? En effet la
ridicule présomption d’Attale était la seule, cause de tous ces maux : elle
devait aussi amener sa perte.
Alaric persistait à vouloir
faire conquérir l’Afrique par ses Goths; Attale ayant l’espoir de conserver
l’empire et craignant de livrer cette province aux barbares, ne parlait que de
traiter avec Heraclianus, ou que d'envoyer des Romains contre lui. Irrité de cette
opiniâtreté injurieuse, Alaric fit venir Attale à Rimini, et, l’ayant conduit
hors de la ville, il lui ôta à la vue de tout le peuple le diadème, le
dépouilla de la pourpre, et renvoya tous ces ornements à l’empereur. Il voulut
bien cependant ne pas l’abandonner et imposa à Honorius l’obligation de lui
conserver la vie. Ainsi finit ce règne si court et si honteux; ainsi
s’évanouirent les vaines espérances du parti païen. Honorius couvrit du voile
de l’amnistie le scandale donné dans Rome par les partisans des idoles, et les
choses reprirent leur cours naturel.
On vient de voir les amis
exclusifs des institutions nationales, les défenseurs de l’autel de la
Victoire, les preneurs de la gloire des temps passés, s’unir aux barbares pour
placer sur le trône un prince adorateur des faux dieux. Ou ils avaient renié
leurs doctrines politiques et religieuses, ou le fanatisme les aveuglait à ce
point qu’ils ne comprirent pas que cette alliance était le plus grand de tous
les crimes. Dans l’un comme dans l’autre cas, il faut reconnaître que
l’aristocratie païenne, dépourvue d’hommes de caractère et de talent, était
désormais incapable soit de diriger l’état, soit de relever son culte, et que
les temps, je ne dis pas de Julien, mais d’Eugène, étaient déjà loin.
Le règne d’Attale est le
dernier fait de l'histoire romaine où l’influence du parti païen se révèle;
c’est l’acte qui précéda immédiatement sa ruine. Sa chute suivit de près son
parjure, et l’historien est dispensé de compatir à ses malheurs.
Alaric ne pouvant parvenir à
conclure la paix avec la cour de Ravenne, s’abandonne enfin à sa destinée; il
retourne vers Rome et l’emporte d’assaut le 28 août 410. Sans reproduire les
détails de ce fatal événement, j’expliquerai l’influence qu’il exerça sur la
constitution romaine, dernier soutien des croyances nationales.
Avant de dire adieu pour
toujours à cette société que l’établissement des barbares en Italie va
dissoudre, jetons encore sur elle un regard, et disons quels étaient la veille
de sa mort ses idées, ses illusions et ses vices.
Tableau de la
société païenne à l’époque où Rome lut prise par les Goths,
Le
règne de Théodose fut pour les païens un temps d’épreuves; durant ces seize
années la fortune ne vint pas une seule fois à leur secours. Sous Honorius les
plus cruelles déceptions se placèrent toujours devant eux et leurs tentatives
échouèrent misérablement. La Providence prodiguait aux païens ses sévères
leçons, mais ils n’en tenaient aucun compte. Tant de débites ne
produisaient en eux qu’une vive irritation; et si leur manière d’agir variait
selon les circonstances, leurs doctrines et leur langage restaient toujours les
mêmes. Sans doute ils ne parlaient plus des Epula
Thyestea, ni du promiscuuts
concubitus, mais leur éternel odium
generis humani était encore sous Honorius
l’arsenal dans lequel ils allaient chercher leurs armes pour combattre le
christianisme. Je ne crois pas que l’on trouve dans l’histoire l’exemple d’un
système religieux, philosophique ou politique, qui ait été plus inaccessible à
toute modification, plus ami de l’immobilité apathique, que le fut le
polythéisme romain à partir de la naissance du christianisme. Si j’entreprends
de tracer le tableau de la société païenne à l’instant où Rome succomba, ce
n’est pas que je me flatte de présenter la peinture de mœurs ou de pensées
nouvelles, et de montrer des caractères différents de ceux que l’on connaît,
c'est au contraire pour mieux constater ce que j’ai déjà dit de la fixité du
paganisme, c’est afin de prouver que la société païenne déjà placée sous la
main de la mort, n’abandonnait cependant aucune de ses doctrines ou plutôt de
ses erreurs.
Je vais décrire non pas les
divers accidents mais les causes secrètes de cette dernière et trop longue résistance.
Presque un siècle s’est écoulé
depuis le moment où les chrétiens ont été mis en possession du pouvoir et
cependant nous ne pouvons pas dire qu’ils soient les maîtres de la société. Les
principes de leur religion proclamés en Europe et en Asie avec une admirable
éloquence ont été impuissants à modifier des mœurs qui s’obstinent à porter le
joug du mensonge. Les pères de l’église prêchent aux fidèles la pratique des
vertus évangéliques, la charité, le respect dû aux puissances; et néanmoins les
révoltes et les assassinats ne deviennent pas moins fréquents chez les
Romains; car dans l’espace de cinquante ans nous avons vu quatre empereurs
chrétiens périr de mort violente. On ne peut donc pas dire que l’histoire
politique du quatrième siècle diffère de celle du troisième. Une religion nouvelle
s’est établie, mais l’aspect général de la société est demeuré le même: la
révolution religieuse ne s’est opérée qu’à la surface. Si les païens avaient
été moins nombreux et s’ils ne s’étaient pas nourris de l’espérance de voir un
jour leur culte renaître, cette persistance des anciennes mœurs eût été sans
importance. On aurait même pu la considérer comme une chose naturelle chez un
peuple qui change de religion et croire que le temps ou les efforts du nouveau
culte en triompheraient facilement; mais telle n’était pas la situation des
païens. Puissants par le nombre, animés de préjugés inguérissables, de haines
invétérées, et fermement convaincus que le pouvoir du christianisme reposait
sur une base fragile, ils durent nécessairement tenir peu de compte des lois
rendues contre leur religion, et poursuivre, en se servant de la puissance des
mœurs publiques, la guerre que depuis bientôt cent ans ils soutenaient contre
les doctrines chrétiennes. Le paganisme va donc s’offrir à nos regards sous un
aspect nouveau: il n’arme plus les légions pour sa défense, il ne fiait plus
retentir ses plaintes dans l’enceinte du sénat ou dans celle du Capitole, il
semble avoir également oublié son ancienne grandeur et les récentes injures qu’il
a reçues; résigné en apparence à sa mauvaise fortune il s’applique par des
menaces, par des calomnies, et par une sorte de persécution exercée sur la
conscience de ceux qui l’ont abandonné, à tracer autour de ses partisans un
cercle qu’ils n’oseront pas franchir. L’école théurgique qui chassée
d’Alexandrie se reformait peu à peu dans Athènes, faisait au christianisme une
guerre plus noble et plus loyale. Elle opposait à des idées d’autres idées, à
des dogmes d’autres dogmes, et soutenait un combat intellectuel qui était
plein de grandeur. Le paganisme romain avec ses préjugés et ses intérêts
politiques était, au contraire, condamné, après avoir perdu le pouvoir, à
fatiguer le christianisme par une lutte petite et mesquine, par cette
résistance des mœurs qui se fait sentir partout et ne peut être saisie nulle
part. C’est contre ce genre d’opposition si peu digne de leur génie qu’eurent
à lutter deux hommes à jamais célèbres qui, comme deux flambeaux éclatants,
éclairèrent à la fois la ruine de l’ancien culte et celle de l’empire
d’Occident: je veux parier de saint Jérôme et de saint Augustin que la
Providence semble avoir placés près du christianisme dans un moment où
l’invasion des barbares allait faire éprouver à cette religion une crise
périlleuse en apparence, mais qui devait assurer pour toujours, son triomphe.
Assis sur le siège épiscopal
d’une petite ville de l’Afrique, Augustin dirigeait à lui seul l’église orthodoxe.
Jamais l’autorité du génie ne fut admise avec un assentiment moins contesté. Du
fond de son cloître de Bethléem Jérôme s’appliquait à disjoindre les liens qui
unissaient en un faisceau les membres de ce patricial dévoué si aveuglément à
l’ancien culte. Il se servait, pour atteindre ce but, de la puissance que son
imagination vive et brillante lui donnait sur les plus nobles et les plus
vertueuses dames romaines. Le paganisme
moins faible peut-être sous le rapport de la pensée qu’il ne l’avait
été dans le siècle précédent, n’opposait cependant aucun antagoniste à ces
illustres représentants du génie chrétien. Il semblait confesser son
infériorité; mais le talent n’est pas la seul arme dont se servent les partis:
le paganisme en possédait d’autres, et l’on va voir si dans ses mains elles
étaient redoutables:
«Videamus
quemadmodum castra cœli et inferni dimicent, arma Christi et
diaboli decertent»
Depuis le commencement de la
lutte religieuse dont j’ai entrepris d’écrire l’histoire, les partisans de
l’ancien culte avaient continuellement eu sur leurs adversaires une grande
supériorité: ils étaient unis entre eux. Toujours ils se présentaient au
combat comme une phalange épaisse que la même pensée ébranle et fait mouvoir;
tandis que lés chrétiens fatiguaient l’empire par leurs interminables
dissensions. Constantin avait dit, à la vérité: «On voit régner parmi nous une
parfaite union, une tendre charité;» mais je ne crois pas qu’un autre esprit
que le sien ait été frappé par ce spectacle touchant de l’union des fidèles.
Cette supériorité des païens, la seule qu’ils aient jamais eue sur leurs
ennemis, provenait moins de leur sagesse, que de la nature des intérêts pour
lesquels ils combattaient. Plus l’issue de la lutte approchait, plus l’union
des païens et la désunion des chrétiens prenaient d’accroissements; et enfin au
cinquième siècle, saint Augustin se résignait, non sans douleur, à signaler aux
fidèles la conduite des païens sur ce point comme un exemple digne d’être suivi
:
«Ils ont, dit-il, beaucoup de
dieux qui sont tous faux, nous en avons un seul qui est le véritable; or, ils
restent unis et nous, nous ne pouvons pas super porter la concorde. Bien plus!
les païens révèrent une foule de dieux qui sont non seulement faux, mais
ennemis déclarés les uns des autres. Hercule et Junon furent ennemis : ils
avaient été mortels. Les païens leur élevèrent des temples à tous les deux; ils
honorent l’un, ils honorent l’autre; ils vont vers Junon, ils vont vers
Hercule. Ils vivent en paix sous des dieux qui se détestent. Mars et Vulcain se
haïssent : les motifs, de la colère de ce dernier sont légitimés : l’infortuné!
il a sur le cœur l’adultère de sa femme; cependant il ne va pas jusqu’à
interdire à ses adorateurs l’entrée du temple de Mars; les païens révèrent l’un
et l’autre. S’ils imitaient leurs dieux ils se détesteraient, tandis qu’ils se
rendent paisiblement du temple de Mars à celui de Vulcain. C’est, j’en
conviens, une grande indignité : cependant ils, ne craignent pas que le mari se
fâche quand on vient chez lui en sortant de chez Mars le suborneur. Ils ont un
cœur, et ils savent que les murs des temples ne peuvent pas être émus. O mon
frère! reviens à l’unité. Nous honorons un seul Dieu et jamais nous n’avons vu
la discorde régner entre le père et le fils.»
Saint Jérôme après avoir décrit
les ravages des Huns ajoute: «A cette époque la discorde régnait parmi «nous,
et la guerre domestique surpassait la guerre étrangère.»
Saint Augustin et saint Jérôme
n’entendent parler que des hérésiarques qui alors troublaient l’église;
cependant l’union n’existait même pas parmi les orthodoxes, et ce désaccord
tenait à des causes très graves. On a remarqué avec raison que la constitution
de l’église après avoir été démocratique depuis les apôtres jusqu’à Constantin,
devint ensuite aristocratique. Ce changement rendit plus facile l’établissement
du christianisme dans l’Europe et consolida sa puissance en Asie; mais il ne
put s’opérer sans blesser profondément les habitudes et les intérêts de ceux
des fidèles qui, n’appartenant pas au clergé, se virent condamnés à une
complète nullité. Les richesses du clergé et son esprit dominateur devinrent
des sujets habituels de plaintes et de reproches. Les païens qui formaient
cette virorum catena
gentilium dont parle saint Ambroise, exploitaient
la jalousie des simples fidèles contre les évêques et les clercs, comme ils
exploitaient l’esprit d’hérésie; et ils s’appliquaient à entretenir les mécontents
chrétiens dans leurs mauvaises dispositions. D’autres armes furent employées
contre les hommes qui donnaient à l’église l’exemple alors très rare d’une foi
invariable et d’une absence complète d’ambition.
Lorsque je n’étais encore
parvenu qu’au règne de l’empereur Constance j’ai eu occasion de faire remarquer
la force des liens par lesquels la mauvaise noblesse, comme dit saint
Augustin, attachait aux autels des faux dieux quiconque lui appartenait par sa
naissance, ses intérêts ou ses talents: à la fin du quatrième siècle ces liens
ne s’étaient pas encore relâchés.
L’histoire de ce temps fournit
un exemple curieux de la tyrannie exercée par les païens contre les patriciens
qui osaient concevoir la coupable pensée de rompre avec le siècle: je vais le
citer.
Rome comptait au nombre de ses
plus illustres sénateurs Pontius Meropius
Paulinus. Ce personnage était redevable de l’influence qu’il exerçait autant à
ses vertus et.à ses talents qu’à sa naissance et à
ses richesses. Son père avait été préfet du prétoire des Gaules. Élevé par le
poète Ausone, recommandé par lui à l’empereur Gratien, Paulinus fut consul
subrogé en 378. On l’avait déjà vu gouverner la Campanie et remplir divers
emplois importants en Italie, dans l’Espagne et dans les Gaules. Quelques
entretiens avec saint Ambroise et avec d’autres évêques et des chagrins dont la
source ne nous est pas connue lui donnèrent du dégoût pour ses dignités et
firent naître dans son cœur la ferme résolution d’abandonner le paganisme. Il
s’éloigna donc de Rome et peu après il reçut le baptême, probablement en 389.
Le bruit de cette conquête fut
pour tous lés chrétiens un signal de joie. Les évêques se félicitaient et
rendaient à Dieu des actions de grâces. Saint Ambroise écrit à un évêque de ses
amis, pour qu’il admire le courage avec lequel un homme de ce rang confessait Jésus-Christ. Saint Augustin de
son coté écrit à Paulinus que tous les chrétiens désormais ses frères, veulent
le voir, lui parler afin de le mieux admirer. S’adressant à Licentius,
il lui dit : « Va dans la Campanie ( Paulin habitait alors Nola), apprends à
connaître ce saint serviteur de Dieu, Paulin, qui avec un cœur d’autant plus
généreux qu’il est plus humble, a repoussé toutes les grandeurs de ce siècle
pour porter, comme il le fait, le joug du Christ. »
Saint Jérôme, saint Martin,
Sulpice Sévère, tous les chefs enfin du christianisme échangent les témoignages
de leur joie et de leur surprise.
Si les chrétiens dissimulaient
peu le bonheur qu’une semblable conversion leur faisait éprouver, le dépit des
païens n’était pas mieux caché. Ils commencèrent par révoquer en doute la
désertion de Paulinus elle leur
paraissait impossible à croire: « Comment supposer, disaient-ils, qu’un homme
de cette famille, de cette race, de ce caractère, doué d’une aussi grande
éloquence ait abandonné le sénat en détournant la succession d’une noble
maison?» Lorsque enfin il ne leur fut plus possible de douter, ils se
répandirent en invectives contre Paulinus, qualifiant son action indignum facinus.
Saint Ambroise avait prévu que la conversion de son ami causerait parmi les
païens des cris de fureur: « Que diront-ils quand ils le sauront?»
Paulin devint odieux à ses
parents, à ses amis, tous dévoués aux intérêts de l’ancienne religion. La procax et maledica
lingua gentilium s’exerça sur lui;
tout le monde l’abandonna. Ses clients, ses affranchis, ses esclaves mêmes
regardèrent comme rompus les liens qui les unissaient à lui. Ainsi, parce qu’un
sénateur illustre à tant de titres, s’était conforme au vœu des empereurs, aux
lois de la république et au mouvement de sa conscience, il se trouvait tout à
coup isolé au sein de cette société romaine dans laquelle les liens de famille
et de caste établissaient entre les citoyens des relations si intimes et
d’ordinaire si difficiles à rompre. Quatre-vingts ans après la conversion de
Constantin, celle d’un sénateur avait encore le pouvoir de remuer le cœur des
païens, et de produire dans Rome une vive sensation.
Ces injustices, ces dégoûts étaient
impuissants sur l’âme de Paulin; il se sentait appelé par Dieu à prendre sa
part du grand œuvre qui s’accomplissait par la main de quelques hommes choisis;
il disait avec saint Augustin: «Si c’est une chose grande et belle que d’insrire ses dignités dans le livre de l’histoire, combien
n’est-il pas plus glorieux et plus beau de se dis-tinguer
par la pureté de son âme et de son cœur?» Il ne put cependant rester
complètement insensible aux attaques répétées de ses anciens amis; il s’en
plaignait avec cette résignation pleine de douceur qu’on trouve seulement dans
les âmes qui ne savent pas haïr.
«Où sont-ils maintenant mes
proches et mes parents? où sont mes anciens amis? où sont ceux avec qui je
vivais autrefois? J’ai disparu de devant eux tous. Je suis devenu inconnu à mes
frères, étranger aux enfants de ma mère. Mes amis et ceux qui étaient autrefois
près de moi se sont éloignés; ils s’arrêtent aussi peu en ma présence qu’un
fleuve qui coule rapidement, qu’un flot qui passe avec impétuosité. Il semble
que je leur sois un sujet de confusion et qu’ils rougissent de venir à mo.» iSon frère même l’avait abandonné, et les gens du monde aboyaient
contre lui par des paroles profanes et insensées; ils traitaient sa piété de
folie.
Les reproches auxquels il se
montra le plus sensible étaient ceux de son maître, de son ami, de ce poète célébré
qui jadis dirigeait ses pas. dans l’étude des lettres et dans la carrière des
honneurs, d’Ausone enfin. . Aussitôt que le poète connaît le projet de Paulin,
il se hâte de lui écrire pour le décider à quitter l’Espagne où il s’était
retiré et à revenir, habiter Rome, sedes dignitatis senatoriœ. Il ne
peut croire que son ami ensevelisse dans une petite ville de province ses
talents et sa gloire, et qu’il se refuse à entretenir avec lui cette frivole
correspondance qui en d’autres temps les avait charmés. Tels étaient les
principaux d’entre les païens: ils ne comprenaient même pas cette agitation de
l’esprit et du cœur qui tourmentait alors le monde, et ils croyaient si peu à
la force de la conviction et à l’autorité de la conscience, qu’ils espéraient
par des exhortations sans puissance ou par quelques faibles réprimandes,
ramener aux autels du mensonge ceux qui les avaient désertés, comme si les justes
se dévouaient au culte de la vérité par caprice ou par engouement.
Ausone prend tous les chemins
qui semblent mener au cœur de Paulin, souvenirs d’un temps passé dans le
bonheur, amour des lettres qui leur fut si longtemps commun, rien n’est
oublié; enfin il l’interpelle avec autorité :
Ego sum
tuus altor et ille
Prœceptor
primus, primus largitor honorum,
Primus in
Æonidum qui te collegia duxi.
A tout cela Paulin répondait:
«Je veux quitter le monde et mes richesses, de peur que l’amour ou les soins de
cette vie ne m’empêchent de me préparer au jugement redoutable de Jésus-Christ.
Je ne me mets aucunement en peine de passer pour un esprit faible au jugement
de ceux qui tiennent une autre conduite, pourvu que la mienne soit jugée par la
souveraine sagesse.»
Le paganisme reconnut enfin
qu’il n’avait plus aucun pouvoir sur l’âme de Paulin et il cessa d’inutiles
efforts.
Pammachius sénateur dont nous
avons parlé précédemment, Gracchus qui se prétendait issu de l’illustre
famille de ce nom, C. Postumus Dârdanus qui fut
préfet des Gaules et que saint Jérôme qualifie Christianorum
nobilissimus, nobilium christianissimus,
forment avec Paulinus les quatre plus célèbres défections que le paganisme
éprouva dans ce temps. Nous ignorons les particularités de la conversion de ces
trois derniers sénateurs: on ne sait pas si, comme l’évêque de Nola, ils eurent
à lutter contre les ressentiments du parti païen. J’ai déjà dit que Gracchus
pour mériter le baptême se mit à la tête de quelques chrétiens ardents et alla
saccager l’antre de Mithra, ce qui le rendit illustre dans la nouvelle religion
comme il l’avait été par sa noblesse dans l’ancienne.
Longtemps après sa conversion,
quand ses vertus l’avaient rendu une des puissances vivantes du christianisme,
Paulin eut à soutenir et à consoler un néophyte, calomnié aussi parce qu’il
avait abandonné les idoles. Cet homme se nommait Aper:
il était riche, sage, éloquent, estimé pour sa prudence et pour son érudition.
Il se lia avec Paulin dans le temps où l’un et l’autre ils appartenaient au
monde; et encouragé par les conseils de son ami, il se fit baptiser en l’année
400.
Paulin lui écrit en ces termes:
«Je te félicite de ta
persévérance, de ce que tu as repoussé cette sagesse que Dieu réprouve, et de
ce que tu as mieux aimé vivre avec les modestes disciples du Christ qu’ave les
sages du monde. Ils te haïssent tous, ce qui ne serait pas arrivé si tu n’étais
un véritable disciple du Christ; car le monde ne hait que ceux qui lui sont
étrangers ou ennemis. O heureuse disgrâce de déplaire avec le Christ! Craignons
l’amour de ces gens auxquels on ne peut pas plaire avec lui. Très vénérable
frère, ce n’est pas sans motifs que tu te glorifies et que tu te dis dans
l’allégresse. Tu peux désormais te croire vraiment chrétien puisque ceux qui
t’aimaient te détestent et que ceux qui te craignaient te méprisent. »
Aper
fit de grands progrès dans la foi, il devint évêque de Tulle, et aujourd’hui
l’église l’honore parmi les saints.
Nous connaissons les armes
employées par le paganisme contre les déserteurs de sa cause. Il ne fallait
rien moins qu’une grande force de caractère et un dédain complet de tous les
intérêts du monde pour oser braver ce nouveau genre de persécution, exercé par
l’ancien culte jusque dans l’asile secret de la famille. Le plébéien qui ne
pouvait pas même prétendre aux honneurs de la calomnie entrait seul sans bruit
dans la société chrétienne.
On ne peut pas affirmer que le
dévouement de saint Paulin ait trouvé beaucoup d’imitateurs. Si un très petit
nombre de patriciens abandonnèrent leurs dignités et leurs richesses pour se
vouer au christianisme, une foule d’autres que l’espoir d’obtenir quelque
faveur de l’aristocratie retenait sous le joug de l’erreur, continuèrent leurs
menées contre une religion affaiblie déjà par ses propres dissensions. Nulle
part on ne reconnaît aussi bien l’influence des mœurs anciennes sur l’esprit
des hommes puissants de cette époque, que dans ce que je vais rapporter sur un
jeune rejeton de l’aristocratie païenne nommé Licentius
qui, après s’être aventuré quelque temps dans les voies chrétiennes, finit par
reprendre sa place au sein du paganisme.
Il était fils de Romanianus, personnage le plus considérable de la ville de
Tagaste en Afrique. Son père qui avait embrassé le
christianisme et qui même s’était longtemps égaré dans les erreurs du
donatisme, abandonna le soin de son éducation à saint Augustin. L’illustre
évêque d’Hippone aimait son élève avec la tendresse d’un père, et se plaisait à
voir en lui un des futurs propagateurs de la foi. II accompagna saint Augustin
dans son voyage à Milan, et nous le voyons au nombre de ces jeunes amis dés lettres
et de la philosophie qui se réunissaient à Cassiciacum
pour traiter sous la présidence du maître les questions les plus intéressantes
et les plus difficiles. Il revint ensuite en Afrique et prit complètement la
conduite et le langage d’un chrétien.
Tout à coup les idées de Licentius furent bouleversées par la plus futile des
causes, par un songe qui lui annonçait qu’un jour il serait consul et pontife
païen. Il n’en fallut pas davantage pour faire avorter tous les fruits de cette
éducation, objet de la sollicitude du génie le plus élevé de ce siècle. Licentius quitte aussitôt saint Augustin, court à Rome où
d’après son rêve tant de gloire l’attendait, et bientôt il sent la pesanteur
des chaînes que le paganisme fait porter à ses enfants. Il veut se justifier
aux yeux de saint Augustin, et cherche dans je ne sais quel projet de mariage
une explication de son absence:
Et nunc Romulidum
sedes et inania tecti
Culmina, Bacchatasque
domus, vanosque tumultus
Desererem,
et totus semel in tua corde venirem,
Ni mens conjugio
incumbens retineret euntem.
Crede
meis, o docte, malis, veroque
dolori,
Quod sine te nullos promittunt carbasa portas,
Erramuusque procul turbata per œqaora vitas.
Augustin ne s’attendait pas à
une semblable justification. En la lisant il ne peut retenir son courroux; il
intime durement à son élève l’ordre de retenir son couroux;
il intime durement à son élève de revenir et charge Paulin de tenter un dernier
effort près de Licentius. Il fondait de grandes
espérances sur la parole d’un homme qui avait fait au christianisme le
sacrifice dé plus de dignités que le songe n’en promettait à Licentius. Paulin adressa au jeune ambitieux une
exhortation rédigée en beaux vers:
Quare
age rumpe moras, et vinola tenacia secti:
Nec metuas
placidi mite jugum Domini.
Hoç
tamen et repetens iterumquc iteriunque monebo
Ut fugias
durae lubrica militiae.
Ailleurs
il fait allusion à ce malheureux songe, source de tant de fautes :
«O mon fils ! tu recevras
la couronne de grâce et a alors tu seras et consul et pontife ; non par l’effet
des fantômes d’un songe, mais par celui de la vérité. Alors le Christ en
révélant sa divine influence fera évanouir des images mensongères. Licentius, tu seras a vraiment consul et pontife si tu suis
les enseignements apostoliques d’Augustin. »
Licentius
ne préfera pas le pontificat promis par Paulin à
celui annoncé par son rêve, et tout porte à croire qu’une fois rentré dans la
société païenne il ne la quitta plus.
Nous venons de voir un homme
que l’ambition seule avait ramené vers l’erreur: aucune pensée grave ne
combattit dans son esprit l’influence des divins préceptes du christianisme;
l’intérêt personnel aiguillonné par une chimère eut assez de force pour
replacer dans les rangs des païens l’élève chéri de saint Augustin.
Hâtons-nous de le dire: tous les amis des faux dieux n’étaient pas sous
l’empire d’idées aussi étroites.
Souvent des hommes éclairés et
calmes en apparence s’offraient pour soutenir de nouveau contre les chefs de la
nouvelle religion des discussions dépourvues, il est vrai, du mérite de la
nouveauté, mais intéressantes cependant parce qu’elles ne manquaient pas de gravité,
et que d’ailleurs, durant le quatrième siècle, les païens s’étaient obstinément
refusés à entrer dans toute controverse sérieuse.
L’analyse d’une de ces
discussions fera connaître le caractère des idées païennes à l’époque de la
prise de Rome par les Goths. Cherchons donc si, depuis l’instant où Symmaque
rédigea sa fameuse Profession de foi, l’esprit païen avait subi quelque
changement notable.
La famille Volusiana
était une des plus illustres de Rome; durant le quatrième siècle elle fournit
abondamment à l’état des préfets de la ville ou du prétoire, des proconsuls,
des vicaires, etc... Il est superflu d’ajouter que cette maison puissante
appuyait de tous ses efforts l’ancien culte.
Un de ses membres fut dans sa
jeunesse envoyé en Afrique pour y exercer les fonctions dé proconsul. Saint
Augustin occupait alors le siège d’Hippone, car les faits que je vais rapporter
se passèrent en 412. L’espoir d’attirer dans le sein de l’église l’héritier de
la puissance des Volusiens s’offrit à sa pensée; il
devait espérer de réussir, car la mère de Volusien était elle-même chrétienne
et faisait des vœux pour la conversion de son fils. Ce dernier abondait dans
les doctrines néo-platoniciennes qu’on enseignait avec tant de bruit non plus à
Alexandrie mais à Athènes; il vénérait Apollonius de Thyanes
et Apulée comme des êtres surnaturels; il était enfin le disciple des
philosophes éclectiques de ce temps. Un tribun-motaire
nommé Marcellinus favorisait par des efforts continuels l’effet des
enseignements d’Augustin. Le chef de l’église d’Occident adressa deux lettres à
Volusien qui habitait Carthage, le pressant d’entamer avec lui une controverse:
Scribe ut rescribam. Volusien répondit : il
prodiguait à Augustin les témoignages d’une grande vénération, il l’appelait vénérable
père, homme de probité et de justice, homme digne de toute gloire. Il
soumit à sa sagesse quelques doutes sur l’incarnation de Jésus Christ; Augustin
s’empressa de les dissiper. Volusien cependant n’ouvrait pas son cœur; il
évitait soigneusement de discuter avec Augustin les véritables raisons qui
combattaient dans son esprit le triomphe des idées nouvelles. Ses illusions lui
étaient trop chères pour qu’il ne craignît pas de les aventurer dans une
polémique où il ne pouvait guère espérer la victoire. Cependant il fut plus
confiant avec le tribun: les discussions devinrent fréquentes entre eux, et
Marcellinus écrivait à saint Augustin. «J’ai, autant que me le permettent la
faiblesse de mes moyens et la pauvreté de mon esprit, chaque jour une discussion
avec Volusien. Encouragé par sa sainte mère, j’ai soin: de me présenter
fréquemment chez lui sous prétexte de le saluer.» A la suite de ces nombreuses
conférences, Marcellinus rédigea les trois principales questions qui y avaient
été débattues et les fit passer à saint Augustin.
Les
voici : .
1°
Aucune chose ne doit être changée avant qu’on ait prouvé qu’elle est mauvaise;
ou bien, ce qui une fois a été fait avec raison ne doit aucunement être changé.
2° La prédication et les doctrines
du Christ, desquelles résulte ce précepte que nous ne devons rendre à personne
le mal pour le mal, ne conviennent nullement aux mœurs de la république.
3° Sous le règne de quelques
empereurs chrétiens il est arrivé beaucoup de maux à l’empire.
Volusien
parlait enfin à cœur ouvert, il n’est que trop aisé de le voir : ce n’est plus
la foi dans les miracles et dans l’incarnation de Jésus-Christ qui répugne à
sa conscience; ce qui l’effraie, ce qui blesse ses sentiments secrets, ce sont
les changements apportés par le christianisme dans la société romaine. Ainsi
que Symmaque, ainsi que toute l’aristocratie, il repousse les nouvelles
doctrines par des motifs politiques; il ne conteste point la pureté de la
morale du christianisme, ni la grandeur des dogmes de cette religion; mais
entre de tels avantages et le salut de la constitution le choix d’un Volusien
ne peut être douteux.
On a dû remarquer l’analogie
qui existe entre ces trois propositions et la Relation de Symmaque; les idées
sont semblables et à peine trouve-t-on dans les expressions quelque
différence. Je ne crois donc pas m’être trompé quand j’ai dit que cette
profession de foi circula dans tout
l’empire, et qu’elle devint le symbole fixe des croyances païennes-
«Ce qui une fois a été fait
avec raison, dit Volusien, ne doit pas être changé.» Ce principe d’immuabilité
se trouvait au fond du cœur de tous les partisans du paganisme. Nous
connaissions déjà le more majorum; ce vieil axiome a retenti souvent à
nos oreilles; maintes fois nous avons entendu les païens dire à leurs
adversaires:
«Corrumpitis
disciplinan, moresque generis humani
pervertitis.»
Mais au commencement du
cinquième siècle, quand la dernière heure de l’empiré romain allait sonner,
quand les anciens éléments sociaux ne formaient plus, confondus avec les
nouveaux, qu’un assemblage incohérent, rêver encore l’immobilité dès mœurs,
des opinions et des institutions dé la patrie, n’était-ce pas poursuivre le
plus bizarre fantôme?
Quand Volusien a émis l’opinion
que la doctrine du Christ ne convenait pas aux mœurs de la république, on a pu
croire que touchant au nœud de la difficulté il allait essayer de le trancher;
mais tous les païens en général, et particulièrement ceux de l’Occident,
n’avaient sur le christianisme, prêché cependant depuis quatre cents ans, que
les plus fausses idées; cette religion leur apparaissait comme un système
philosophique, confus, bizarre, inapplicable, propre tout au plus à satisfaire
l'avidité de quelques esprits malades; et les.efforts
de Volusien n’aboutissent qu’à une misérable
objection contre ce que la morale chrétienne a de plus noble et de plus élevé.
La résignation au malheur, l’humilité et le pardon des injures sont des
principes que le patricien est hors d’état de comprendre; et en effet il n’eût
pas été possible de les introduire dans la politique de l’empire romain. «Eh
quoi! disait Volusien, faudra-t-il donc se laisser prendre par l’ennemi? Ne
pourrions-nous pas reporter le fléau de la guerre chez un peuple qui aurait
dévasté les provinces romaines?» L’impossibilité de s’élever jusqu’à
l’appréciation d’une morale universelle, l’habitude contractée par les païens
de ne considérer les croyances chrétiennes que dans leur rapport immédiat avec
l’état politique de l’empire, paraissent ici dans tout leur jour.
Quant à cette observation que
sous plusieurs princes chrétiens la patrie avait éprouvé de grands malheurs,
je n’ajouterai rien à ce que j’ai dit, si ce n’est que cette allégation était
devenue un argument puissant et habituel (generalis
conquestio) dans la bouche des païens habiles à
tirer parti du malheur des temps et de certaines propositions, évidemment
destructives de la constitution romaine, que plusieurs çhefs
de l’église proclamaient encore dans ce temps.
Les objections de Volusien,
puissantes à ses yeux comme à ceux de tous ses amis, trahissaient cependant
l’impuissance des doctrines païennes, et il n’y a-pas jusqu’à l’embarras de ce
patricien, jusqu’à sa crainte d’entamer la controverse, qui ne montrent combien
la position des païens était difficile à défendre. D’où provenait, sinon de
leur peu de confiance dans les dogmes de l’ancien culte, cette obstination à
toujours transporter le débat sur un terrain où il ne pouvait pas réellement
avoir lieu? On développe devant eux un système admirable de morale et les
dogmes du plus pur spiritualisme, et ils répondent par des arguments puisés
dans une politique étroite, dans l’intérêt du moment ou dans des idées
traditionnelles dont ils défendent même que l’on pèse le mérite; ils s’écrient
que l’on attente! la constitution romaine, et que l’on fait cause commune avec
les Goths ou les Vandales; tel est leur aveuglement, qu’ils ne s’aperçoivent
pas des graves concessions qu’ils font au christianisme sur toutes les questions
relatives au dogme; désormais ils admettent sans difficulté l’existence d’un
Dieu unique dont toutes leurs autres divinités sont les ministres; Jésus-Christ
est pour eux non plus un imposteur ou un magicien mais un homme excellentissimæ sapientiœ;
ils concèdent beaucoup là où ils n’auraient rien dû accorder, et bataillent
sur un terrain où le christianisme les suit par pitié.
On a dit que cette tendance d’ailleurs
si faible des opinions païennes à se rapprocher des idées religieuses du
christianisme les avait rendues moins extravagantes et moins pernicieuses: je
crois qu’il faut seulement voir dans ce mouvement involontaire de l’erreur vers
la vérité une preuve des progrès du christianisme et en même temps un
témoignage du peu d’habileté des chefs de l’ancien culte dans la défense de
leurs premiers intérêts; y trouver le germe d’une amélioration religieuse,
c’est à mon avis découvrir une cause qui a manqué d’effet.
Au reste, plus d’intelligence,
d’adresse ou de ruse n’aurait pas sauvé l’erreur des anciens: son sort était
décidé. Les païens de l’empire d’Orient et particulièrement les philosophes
alexandrins, qui faisaient au christianisme une guerre purement dogmatique,
entravaient et ralentissaient sa marche, mais ne l’arrêtaient pas. Dans leurs
controverses avec les chefs de l’église importaient peut-être plus de passion
et plus de violence que leurs frères d’Occident; ils discutaient l’essence même
de la nouvelle religion et ne se faisaient pas un rempart des intérêts
politiques de l’empire; s’ils, repoussaient le christianisme, c’était parce
que cette religion leur semblait fausse, mauvaise, et, sous tous les rapports,
inférieure au culte hellénique; leur attitude dans ce mémorable combat était
donc plus franche et plus naturelle que celle des païens d’Occident, et
cependant elle n’eut pas pour eux de meilleurs effets.
Je croîs qu’il est nécessaire
d’opposer à la discussion entre saint Augustin et Volusien un autre débat qui
eut lieu en Syrie, à la même époque, entre deux Grecs, l’un chrétien l’autre
païen, afin que l’on puisse juger, par ce rapprochement, combien étaient variés
les points de vue sous lesquels les adversaires de la foi chrétienne
considéraient le polythéisme.
Les Bollandistes ont inséré
dans leur vaste recueil la vie d’un certain Alexandre, abbé à Constantinople,
fondateur des couvents de moines Acemètes, quoique
l’église n’ait point placé ce personnage au nombre de saints. Alexandre, a près
avoir passé un assez grand nombre d’années dans la solitude, entreprit de
prêcher l’Évangile. La seule circonstance qui nous soit connue de sa
prédication est la conversion d’un gouverneur nommé Rabula
et celle de tous les autres païens de là ville où il résidait. Cette Ville
n’est pas nommée, mais elle appartenait à la Mésopotamie et se trouvait située
à quatre journées de l’Euphrate.
Alexandre ayant ruiné et brûlé
un temple d’idoles, Rabula irrité lui reproche ainsi
cet acte de violence :
«Tu as renversé le temple de
nos dieux, de nos maîtres. Ce n’est pas seulement le peuple, c’est nous tous
que tu veux entraîner et rendre pareils à toi, c’est-à-dire sacrilèges et
contempteurs des dieux. Déclare donc la vérité: quel est votre espoir, à vous
autres chrétiens, qui en poussant si loin l’audace semblez mépriser votre vie
?
ALEXANDRE.
«Nous ne méprisons pas la vie
ainsi que tu le prétends; mais en attendant la vie éternelle, nous apprenons à
nous détacher de celle-là, parce qu’il nous a été dit: «Celui qui perdra sa vie
en ce monde la retrouvera dans l’autre. »
rabula.
«Quelle est donc votre
espérance? où irez-vous en quittant ce monde?
ALEXANDRE.
«Nous montrons par nos œuvres à
ceux qui veulent connaître la vérité, la puissance de ces paroles, et nous ne
recourons pas comme les ethniques à des fables et à d’inutiles discours.
RABULA.
«Quant à moi je suis prêt à
combattre toutes ces folies, à l’aide desquelles non seulement tu portes le
trouble parmi nous, mais tu ne cesses de couvrir nos dieux de mépris.
ALEXANDRE.
«Je vais te faire connaître la
puissance de notre Dieu et les mystères de la foi.»
Alexandre ouvre alors les
livres saints, et commence avec le païen une polémique qui dura sans
interruption un jour et une nuit. Tout annonçait qu’elle serait favorable à la
cause de la vérité, quand, à propos du miracle d’Élie qui fit descendre le feu
du ciel sur la terre, Rabula se récrie:
RABULA.
«Toutes ces choses sont des mensonges
et vos croyances un tissu de fables. Je veux te donner un bon conseil: viens
célébrer avec nous la fête du jour et offrir un sacrifice aux dieux; ils sont
pleins de douceur et ne te refuseront pas le pardon et l’impunité pour tout ce
que tu as fait contre eux, car ta faute provient de ton ignorance.
ALEXANDRE.
«Si du temps d’Élie les dieux
existaient, pourquoi ne se rendirent-ils pas aux prières des faux prophètes, et
n’ont-ils pas fait descendre le feu sur leurs autels? Élie, serviteur de Dieu,
était seul, cependant par la force divine il leur donna la mort à tous; et
comme il avait demandé à Dieu qu’il ne plût pas, afin de punir l’obstination
des hommes, on ne vit pas pendant trois ans et six mois tomber une seule goutte
d’eau; jusqu’à ce qu’enfin le Seigneur, ému lui-même de pitié pour la veuve,
fléchit la sévérité de son serviteur et l’excita à l’indulgence, afin qu’il
remplît son serment et lui adressât des prières en faveur des hommes.
RABULA.
« Si ces choses sont vraies, si
tel est ton Dieu, s’il entend les prières de ses serviteurs, demande-lui de
faire, en ce moment, descendre des flammes du ciel. S’il se rend à ta prière,
je déclarerai qu’il n’y a point d’autre Dieu que celui des chrétiens, sinon les
choses qui se trouvent dans vos livres sont fausses, car tu te dis ausdi le serviteur de Dieu. »
L’auteur
de la Vie d’Alexandre raconte ensuite le miracle qui décida la
conversion si longtemps disputée de Rabula.
On
aperçoit facilement l’énorme différence qui existait entre Volusien
et Rabula. Le patricien romain ne pouvait être
converti qu’à la condition d’abandonner ses préjugés de naissance, ses intérêts
de caste et toutes ses opinions politiques: cet abandon n’était pas une chose
impossible, l’exemple de saint Paulin nous l’apprend; mais par combien de
sentiments secrets et puissants ne devait-il pas être combattu? que pouvaient
en effet répondre les docteurs chrétiens à des questions puisées dans les
doctrines politiques de l’empire romain et dans l’intérêt personnel? Comment
soutenir qu’une religion nouvelle ne change pas en s’établissant les mœurs et
les lois d’un état, qu’elle né blesse pas nécessairement une multitude d’idées,
de passions et d’intérêts?
Les païens, qui à l’exemple de Rabula, consentaient à ouvrir les livres saints et à
discuter les doctrines qui y sont contenues, étaient bientôt éclairés et
convaincus. Ils se réveillaient, pour ainsi dire, et quelle qu’eût été leur
haine contre les croyances nouvelles, ils s’étonnaient d’avoir pu sommeiller si
longtemps dans les bras de l’erreur.
Remarquons, en outre, que les
conversions obtenues en Orient provenant en général d’un examen attentif et
d’une discussion approfondie, étaient beaucoup plus durables que celles opérées
dans l’Occident. Ces dernières n’avaient trop souvent pour principe qu’un
changement brusque et irréfléchi d’opinion; dès lors elles diraient peu de
temps, ou bien si elles se prolongeaient, c’était aux dépens du christianisme.
Nous avons vu que les efforts
de saint Augustin, près de Volusien échouèrent : la vanité du siècle l’emporta.
Saint Jérôme réussissait mieux dans ses tentatives contre l’aristocratie. Chez
lui la prudence s’alliait, aux mouvements d’une âme pleine de chaleur. Il
n’aspirait pas à des victoires promptes ou éclatantes, conquérir à la vérité
une seule personne dans quelque famille illustre lui semblait un succès
important; il attendait du temps les moyens de le rendre plus complet. Aucun
docteur de ce temps n’a mieux que lui connu la puissance des mœurs romaines, et
n’a su l’attaquer avec plus d’habileté.
Il a tracé le tableau séduisant
d’une famille patricienne qui vouée au christianisme entoure de ses respects
son vieux chef resté pontife des faux dieux. La paix qui règne dans cette
sainte maison, la douceur de ce vieillard qui sourit aux chants chrétiens qu’il
entend résonner autour de lui, sont représentées avec une admirable
simplicité.
Le pontife s’appelait Albinus. J’ai
déjà eu occasion de parler de ce personnage dont la femme et les enfants
avaient tous la nouvelle religion.
Parmi, ceux-ci nous ne connaissons que Læta. Saint
Jérôme l’appelait sa très religieuse fille en Jésus-Christ; elle épousa Toxotius, fils de sainte Paula, et eut de lui une fille
aussi nommée Paula dont elle attribuait la, naissance à un vœu qu’elle avait
fait. Son mari qui longtemps avait marqué parmi les membres de l’aristocratie
les plus contraires aux innovations étant mort, elle restait l’arbitre du sort
de cet enfant: elle résolut donc de le vouer à Dieu, et s’adressa à saint
Jérôme pour obtenir de lui les conseils nécessaires. Il lui écrivit sa célébré
lettre De Institutione filiae.
Le commencement de cette épître montre combien saint Jérôme était circonspect
dans ses tentatives, modéré dans ses espérances et habile dans le choix de ses
moyens d’influence:
« L’apôtre saint Paul, dit-il,
récrivant aux Corinthiens et voulant asservir à la Sainte discipline une église
encore grossière, entre autres recommandations leur adresse celle ci : «Si une
femme a un époux infidèle et qu’il consente à habiter avec elle, il ne faut pas
qu’elle le quitte. En effet, une femme fidèle sanctifie un homme infidèle et
«une femme infidèle est sanctifiée par un homme fidèle, sans cela vos enfants
seraient impurs et maintenant ils sont purifiés.» Si quelqu’un pense que les
liens de la discipline seront relâchés par cette indulgence du maître, qu’il
considère la maison de ton père, de cet homme si illustre et si instruit mais
qui marche encore dans les ténèbres, alors il comprendra que le conseil de
l’apôtre est utile afin de balancer par la douceur des fruits l’amertume de la
racine, et pour faire produire à de faibles branches un baume délicieux. Tu est
née d’un mariage mixte; de toi et de mon cher Toxotius
est issue Paula. Qui aurait cru que la petite-fille du pontife Albinus naîtrait
du vœu fait à un martyr, et que son grand-père sourirait un jour en l’entendant
bégayer l’alléluia du Christ? Qui aurait pensé que ce vieillard
nourrirait dans son sein la vierge de Dieu? Nos espérances sont grandes et sont
heureuses ! Une sainte et fidèle maison sanctifie un homme infidèle. Il
est déjà candidat de la foi celui qu’environne cette foule chrétienne d’enfants
et de petits-enfants. Pour moi, je crois
que si Jupiter lui-même avait une telle famille, il finirait par croire en
Jésus-Christ. Vous allez hausser les épaules, rire de ma lettre, m’appeler sot
et insensé: votre mari en faisait autant avant de croire. On devient, on ne
naît pas chrétien. Le Capitole couvert d’or languit dans la poussière; tous
les temples de Rome sont couverts de
toiles d’araignées; la ville sort de ses fondements, les flots du peuple
passent devant les temples de Rome à demi détruits et se portent vers les
tombeaux des martyrs: si la prudence n’arrache pas la foi que la honte au moins
l’obtienne. Laeta, ma très-religieuse fille en Jésus
Christ, je vous dis cela pour que vous ne désespériez pas du salut de votre
père; une conversion n’est jamais tardive.»
Saint Jérôme trace ensuite un
plan d’éducation pour la jeune Paula et il n’oublie pas d’adresser à la mère
cette recommandation:
«Quand elle apercevra son
grand-père, qu’elle se jette sur son sein, qu’elle se suspende à son cou, et
qu’elle chante malgré lui l’Alléluia.» Combien elle est habile cette
conspiration ourdie en famille contre la conscience du vieux prêtre païen!
N’était-il pas plus sage d’autoriser ces mariages mixtes, qui devaient en
définitive tourner à l’avantage du christianisme, que de les blâmer comme le
faisait saint Ambroise quand il s’écriait: Cave, christiane,
Gentili aut Judœo filiam tuam
tradere ?
Il est aisé de juger par
la correspondance de saint Jérôme que pendant son séjour à Rome il était en
relation avec une foule de dames appartenant toutes à l’aristocratie. Ses
vertus, sa douceur, les grâces même de son génie, le rendaient un ennemi trop
redoutable au paganisme, pour que les chefs de ce culte n’employassent pas
contre lui leur arme ordinaire, c’est-à- dire la calomnie. Ils voulurent en
l’abreuvant de dégoûts le contraindre à s’éloigner de Rome et ils dépassèrent
même, en cette occasion, tout, ce que naguère ils avaient fait contre Paulin.
Saint Jérôme fut publiquement diffamé. On le traita de sorcier, de menteur, de
débauché (lubricus); on alla jusqu’à le
charger de l’infamie d’un, faux crime, dont jamais sa conduite n’avait donné
lieu de le soupçonner et qui enveloppait aussi sainte Paula, belle-mère de Læta, sans que l’austérité de la vie d’une dame de cette
qualité pût justifier son innocence. L’affaire fit tant de bruit qu’elle fat
portée devant les magistrats. L’accusateur rétracta tout ce qu’il avait dit,
mais ceux qui se réjouissaient du scandale ne s’arrêtèrent pas à son désaveu.
Saint Jérôme quitta Rome.
La victoire des païens fut
incomplète : ils pouvaient forcer saint Jérôme à déserter la citadelle de leur
religion mais non à garder le silence. Du sen de l’Orient où il s’était retiré
il renoua par une correspondance active les liens qui attachaient à lui ses
filles en Jésus Christ, et secondé par elles il jetait des germes de
dissolution dans le cœur de cette aristocratie si fière de sa puissance et si
attachée à ses erreurs.
Vers le commencement du
cinquième siècle, la propagation du christianisme dans les rangs élevés de la
société rencontrait donc encore des obstacles nombreux, mais au moins les
hommes puissants qui rompaient avec l’erreur restaient fidèles à leur nouvelle
croyance, et ils ne scandalisaient pas la société par des apostasies. Les
familles sénatoriales qui avaient embrassé le christianisme donnaient à Rome
l’exemple malheureusement trop rare de la piété et de toutes les vertus
chrétiennes: il n’en était de même ni dans les rangs du peuple, ni dans ceux de
la classe intermédiaire. La corruption des mœurs y avait fait de rapides
progrès pendant les cinquante dernières années du quatrième siècle, et les
choses en étaient venues à ce point que le choix d’une religion passait dans le
peuple pour être l’acte le plus indifférent. On embrassait par intérêt, par
curiosité , par mode la religion nouvelle, puis on l’abandonnait à la première
occasion. Ce n’était pas à vrai dire de l’indifférence, car l’indifférence conseille
à l’homme de rester dans la religion où il est né; c’était un athéisme complet,
une dépravation révoltante, un mépris hautement déclaré pour ce qu’il y a de
plus sacré. Combien de fois l’église, qui luttait mais sans succès contre les
progrès du mal, n’eut-elle pas à regretter les trop faciles recrues qu’elle
faisait dans les rangs inférieurs de la société! Des hommes honteusement
ignorants, sans honneur, sans l’ombre de piété, accessibles seulement au plus
vil intérêt, venaient souiller de leur présence l’assemblée des fidèles. Ce
sont eux que les pères de l’église désignent sous les noms de mali christiani, ficti christiani.... et contre lesquels nous entendons si
souvent leur voix éloquente retentir. Les hérétiques, les fauteurs de troubles
et de séditions comptaient toujours sur ces hommes qui semblaient être entrés
dans l’église pour la fatiguer par leur esprit turbulent, ou qui ne
consentaient à rester fidèles à la foi véritable qu’à condition d’introduire
dans les usages du culte chrétien une foule de superstitions dont trop
longtemps l’influence se fit sentir : le moindre signe du paganisme suffisait
pour ramener à lui ces serviteurs de tous les partis.
Alors il était malheureusement
trop commun de voir des hommes qui faisaient métier de passer sans difficulté
d’une religion à l’autre autant de fois que leur intérêt le demandait. Le
principe de cette corruption inconcevable dans le sein d’une religion qui
n’était pas encore complètement développée, remontait à une époque antérieure à
celle dont nous nous occupons. Vainement les conciles et les empereurs
luttèrent contre l’apostasie: la multitude des hérésies et les vices du temps
la plaçaient au rang des actions légitimes.
Théodose commença en l’année
381 à prononcer une peine contre les apostat : il leur retira le droit de
tester. En 383 il modifia la précédente loi relativement aux catéchumènes
apostats ; mais le principe général maintenait tous les apostats absque jure romano. Valentinien II suivit
l’exemple de son collègue en 383, et appliqua les dispositions précédemment
indiquées aux chrétiens qui se faisaient juifs ou manichéens; l’apostasie,
comme on voit, variait dans ses choix. Ou apprend par une loi de l’année 391 que
la noblesse suivait l’esprit général de l’époque. Valentinien décida que tout
noble qui se rendrait apostat serait dégradé de façon qu’il ne comptât même
pas in vulgi ignobilis
parte. En396 Arcadius priva de nouveau du droit de tester les chrétiens qui
se idolorum superstitione impiu maculagerint. On ne
peut donc pas reprocher au pouvoir politique d’être resté indifférent aux
progrès du mal. Il faut maintenant montrer combien les lois ont peu de force
dans un temps semblable à celui dont nous parlons.
Un jour
saint Augustin présenta à l’assemblée des fidèles d’Hippone un homme qui devait
être célèbre parmi les renégats : né païen il avait embrassé le christianisme,
puis dégoûté il était retourné aux idoles, et exerçait là profession lucrative
d’astrologue; il demandait à entrer de nouveau dans l’église, c’est-à-dire à
changer une troisième fois de religion. Augustin ne désespérant pas
d’intéresser son auditoire en faveur d’un tel personnage, parla en ces termes :
«Cet ancien chrétien, cet
ancien fidèle effrayé par a la puissance de Dieu, revient au repentir. Aux
jours de sa fidélité entraîné par l’ennemi il se fît astrologue; séduit il
séduisait, trompé il trompait; il proféra beaucoup de mensonges contre Dieu qui
a donné aux a hommes le pouvoir de faire le bien et de ne pas faire «le mal; il
disait que ce n’est pas la volonté qui rend adultère mais Vénus, que c’est Mars
qui rend homicide, que ce n’est pas Dieu qui inspire la justice mais Jupiter :
il ajoutait encore plusieurs autres sacrilèges. Combien il escroqua d’argent à
de soi-disant chrétiens! Combien de gens achetèrent de lui le mener songe!
Maintenant, si nous l’en croyons, if déteste l’erreur, il regrette la perte de
plusieurs âmes; et se sentant saisi par le démon, il revient vers Dieu plein de
repentir. Croyons, mes frères, que c’est la crainte qui a produit ce
changement. Que dirons-nous? que peut-être il ne faut pas tant se réjouir de la
conversion de cet astrologue ex-païen, puisqu’une fois converti il pourra
solliciter la cléricature : il est pénitent, mes frères, et ne demande que
miséricorde. Je le recommande à vos yeux et à vos cœurs. Que vos cœurs
l’aiment, que vos yeux le surveillent. Reconnaissez-le bien, et partout où vous
le rencontrerez, montrez-le à ceux de vos frères qui ne sont pas ici. Ce soin
est aussi de la miséricorde, car il faut « craindre que son âme séductrice ne
change et ne recommence ses attaques. Soyez sur vos gardes; sachez « ce qu’il
dit, où il va, afin que votre témoignage k
nous confirme dans la pensée qu’il est bien réellement converti. Il périssait,
maintenant il est retrouvé. Il porte avec lui, pour qu’on les jette au feu, les
livres qui l’ont brûlé; il veut se rafraîchir par les flammes qui vont les
dévorer. Vous ne devez pas ignorer, mes frères, qu’il a frappé à la porte de
l’église avant Pâques; mais le métier qu’il faisait le rendant a suspect de
mensonge et de fourberie, on l’ajourna et peu après il fut admis. Nous
craignions de le laisser exposé à de nouvelles tentations. Priez pour lui le
Christ. »
Socrate parle d’un sophiste de
Constantinople nommé Écebole, qui se conformait avec
une merveilleuse facilité aux: divers changements de fortune du
christianisme. Du vivant de Constance, il affecta la plus vive ardeur pour les
croyances nouvelles : Julien étant monté sur le trône, il reprit son ancien
dévouement pour les dieux; mais après la mort de ce prince, il pensa qu’il
était bon de donner une grande publicité à son repentir; en conséquence il
allait s’étendre' à la porte des églises et criait aux fidèles:
«Foulez-moi aux pieds comme un
sel insipide.»
Socrate ajoute: «Ecebole resta ce qu’il avait toujours été, c’est-à-dire un
homme léger et inconstant.» Saint Augustin aurait pu certainement en dire
autant de son astrologue. N’est-il pas surprenant de trouver encore l’apostasie
puissante à une époque où il n’était pas permis à un homme sensé de croire au
rétablissement de l’ancien culte? L’apparition de Julien dut bouleverser beaucoup
d’esprits, ébranler bien des consciences et donner au triomphe du christianisme
le caractère d’un fait transitoire; mais, à la fin du quatrième siècle, on ne
pouvait abandonner l’église pour retourner aux idoles que par un sentiment qui
devait inspirer une profonde pitié. Je comprends alors pourquoi saint Augustin
consentit à solliciter les fidèles en faveur d’un misérable chargé déjà de
trois apostasies: il voulait avant tout lui faire perdre le nom de païen,
convaincu que celui qui consentait à ne plus sacrifier aux faux dieux devait en
définitive appartenir à la véritable religion. Un néophyte pouvait, retenu par
le vieux levain de toutes les passions païennes, rester plus ou moins de temps
sur le seuil de l’église: tôt ou tard il devait le franchir. Les chefs de
l’église regardèrent toujours comme une présomption favorable qu’un citoyen
consentît à ne plus se dire païen; cette première victoire leur, semblait le
présage assuré d’une véritable conversion, et ils recommandaient aux chrétiens
de ne pas flétrir de l’épithète dangereuse de païens ceux de leurs
frères qui auraient failli, mais de les appeler simplement pécheurs, ils
s’efforçaient enfin de foire oublier le paganisme, et pour par venir à ce but
ils défendaient même qu’on prononçât son nom.
L’ancien culte ne se contentait
pas d’entraver les développements du christianisme par des attaques sourdes et
déloyales, il viciait encore la discipline de l’église, car son empire sur les
meurs des convertis était plutôt une tyrannie véritable qu’un reste naturel
d’influence. On doit être surpris de la facilité avec laquelle il introduisit
dans le sanctuaire du vrai Dieu son esprit superstitieux, sa morale relâchée et
son goût pour le désordre. Combien l’église ressemblait peu alors,
c’est-à-dire soixante-dix ans après la mort de Constantin, à ce qu’elle devait
être et à ce qu’elle fut depuis! Vers la fin de sa vie, saint Jérôme forma, lui
aussi, le projet d’écrire une Histoire Ecclésiastique, mais c’était afin de
montrer que sous les princes chrétiens l’église avait toujours été en déclinant
: Divitiis major, virtutibus
minor; arrêt sévère sans doute et que la conscience de saint Jérôme dut
rendre à regret, mais dont la justice est prouvée par tous les documents
historiques de cette époque. Souvent ce chef illustre du christianisme, dont
l’esprit était plutôt porté à l’enthousiasme qu’au découragement, perdait
toute énergie en réfléchissant à la situation déplorable de l’église, et il
déclarait, dans son accablement, qu’il ne se sentait plus la force d’écrire.
Assez d’historiens ont représenté avec de vives couleurs le luxe excessif des
évêques de ce temps, l’avidité, l’ignorance et l’inconduite des clercs; je me
bornerai donc à choisir dans ce triste tableau les parties qui se rapportent à l’histoire
du paganisme.
Toutes les pratiques de l’art
divinatoire restaient dans la plus haute faveur près des chrétiens, quand
depuis longtemps les hommes gravés, du parti païen ne montraient plus pour ces
usages de l’idolâtrie qu’un respect de convention ou que du dédain. Ils
juraient par les faux dieux, ils féraient le cinquième jour dédié à Jupiter, et
prenaient part aux jeux, aux fêtes et aux festins sacrés des païens. Les
cérémonies du christianisme n’avaient presque rien conservé de leur ancienne
majesté. Il n’était pas rare d’entendre chanter des hymnes païens dans les
solennités chrétiennes, ni de voir les fidèles former, selon l’usage du
paganisme, des danses devant les basiliques. Les choses ne se passaient pas
avec plus de décence dans l’intérieur des églises: on s’y rendait pour y causer
d’affaires ou pour s’y divertir; le bruit y était si grand, les éclats de rire
si bruyants, qu’on ne pouvait plus entendre la lecture des livres saints; les
fidèles s’y disputaient, s’y battaient, quelquefois ils interpellaient
l’officiant, le pressaient d’en finir, ou
le forçaient de chanter suivant leur goût. Saint Augustin était donc autorisé
à qualifier cette influence si puissante de l’ancien culte une persécution du
démon, plus cachée et plus fine que n’était celle dont l’église primitive avait
tant souffert.
Tous ces faits scandaleux sont
attestés par l’évêque d’Hippone et par celui de Milan: on ne peut donc pas
révoquer en doute leur authenticité; mais il est possible qu’on les regarde
comme l’indice d’une corruption particulière soit à l’église d’Afrique, soit à
celle de Milan; je suis donc obligé de fournir des témoignages nouveaux pour
montrer que faction funeste des mœurs païennes se faisait sentir dans toutes
les provinces.
Saint Gaudence, évêque de
Brescia à l’époque où saint Augustin l’était d’Hippone, suivit l’exemple de son
prédécesseur saint Philastre et combattit vigoureusement
l’idolâtrie dans son diocèse. Voici l’extrait d’un de ses sermons:
«Vous, néophytes, qui êtes
appelés au festin de cette Pâques mystique et salutaire, voyez comment vous conservez
vos âmes pures de ces aliments que la superstition des gentils à souillés. Ce
n’est pas assez pour le vrai chrétien de repousser loin de soi la nourriture
empoisonnée des démons, il faut encore qu’il fuie toutes les abominations des
gentils et toutes les fraudes des idolâtres, comme on fuit le poison vomi par
le serpent du Diable. L’idolâtrie se compose des empoisonnements, des
enchantements, des ligatures, des présages, des augures, des sorts, de toutes
les vaines observations, et, en outre, de ces a fêtes nommées Parentales,
par le moyen desquelles l’idolâtrie sait ranimer l’erreur. En effet les hommes cédant
à leur gourmandise commencèrent par manger les mets qu’ils avaient préparés
pour les morts; ensuite ils ne craignirent pas de célébrer en leur honneur des sacrifices sacrilèges quoiqu’il soit difficile de penser qu’ils remplissent
un devoir envers leurs morts, ceux qui d’une main rendue tremblante par l’ivrognerie
dressent des tables sur les sépulcres et disent d’une voix inintelligible : l'esprit
a soif. Je a vous en supplie, prenez garde à ces choses, de peur que Dieu
irrité ne livre aux fureurs de l’enfer ses cc contempteurs et ses ennemis qui
ont refusé de porter son joug.»
Qui
s’étonnera que de pareils chrétiens laissassent subsister et honorer dans leurs
domaines les idoles, les autels et les temples du paganisme?
Saint Augustin, que je ne me
lasse pas de citer parce qu’aucun docteur de ce temps ne reproduit aussi
vivement la véritable pensée chrétienne, saint Augustin témoignait sa douleur
de voir régner autour de lui un culte informe qui n’était ni le paganisme ni le
christianisme: «Tel homme, dit-il, qui arrive chrétien à l’église s’en retourne
païen.» Cependant, loin de se désespérer, il écrivait à la vierge Félicia: «Je t’engage
à ne pas t’émouvoir trop vivement de tous ces scandales: ils furent prédits
afin que quand ils a arriveraient nous nous rappelassions qu’ils avaient été
annoncés, et que par conséquent nous n’en fussions pas blessés.» Les païens,
pour qui cette corruption hâtive n’était pas une chose prédite, se réjouissaient
en considérant l’étendue de ses progrès. Ils ne voulaient pas croire à la durée
d’un culte arrivé si vite à l’époque de sa décadence, et dans leur illusion ils
répétaient ce mot célèbre: « Les chrétiens ne sont que pour un temps, après ils
périront et les idoles reviendront.» N’est-il pas surprenant de voir cette
religion qui, trahie, aveuglée, sapée de toutes parts, conserve encore dans son
sein une idée d’avenir et s’écrie: Rediet
quod erat antea? On
sait maintenant ce qu’était la société romaine. Cet édifice vacillant que le
christianisme ne pouvait pas soutenir avait en un siècle usé le peu de force
qui lui restait, et s’offrait sans défense à une foule d’ennemis pour qui il
était un trop faible obstacle. Les citoyens préposés à sa garde n’avaient plus
de confiance en eux-mêmes; partout circulaient de tristes rumeurs et de
sinistres pronostics; partout éclataient ces signes trop évidents d’une
prochaine catastrophe. Un même sentiment d’effroi avait réuni les païens et les
chrétiens, parce que ces derniers ignoraient que le coup qui allait être frappé
rendrait irrévocable le triomphe de leurs croyances.
De la prise
de Rome.
Les Romains croyaient que la
ruine de Rome serait le signal de celle du mondes Lactance avait dans le siècle
précédent exprimé cette pensée d’une manière prophétique : « Peut-on douter,
dit-il, que quand la tête du monde sera frappée, ce qui doit arriver d’après
les prédictions des sibylles, les choses humaines et la terre ne succombent.
C’est en effet cette cite qui encore aujourd’hui soutient toutes choses.
Prions, supplions le Dieu du ciel, si toutefois l’exécution de ses arrêts peut
être suspendue, afin que le tyran abominable qui doit commettre ce crime
affreux et étouffer la lumière dont l’extinction amènera la ruine du monde, ne
vienne pas plus tôt que nous ne le pensons. »
Lactance se trompait en
regardant la ruine de Rome comme le prélude de celle du monde. Chez lui le
caractère romain dominait encore l’esprit chrétien. S’il en avait été
différemment, il aurait sans peine reconnu que cette grande catastrophe devait
faire périr seulement la société romaine que les païens appelaient le genre
humain par une hyperbole patriotique dont trop d’événements malheureux
proclamaient l’exagération; mais cette erreur de Lactance suffit pour faire
comprendre l’autorité qu’exerçait encore sur tous les esprits ce nom si
retentissant de Rome, jadis synonyme de force et de vertu.
Aussi quelle douleur causa dans l’univers l’annonce d’un événement qui semblait
impossible, ou que l’on reculait du moins jusqu’au moment où le monde épuisé
tomberait sous le poids de sa vieillesse! Les habitants de l’Orient eux-mêmes
ne regardaient Constantinople que comme la fille de Rome, et abjurant toute
rivalité ils décernaient à celle-ci le titre de «la Tête» . La tête frappée, l’empire devait s’affaisser sous
lui-même et périr. Cette pensée était universellement admise. Voyez en effet ce
qui arriva.
«Je cherche à peindre, dit saint Jérôme, non pas
les infortunes des malheureux, mais la fragilité des choses humaines. L’esprit
a horreur de rappeler les désastres de notre époque. Il y a vingt ans et plus
que le sang romain ruissèle depuis Constantinople jusqu’aux Alpes Juliennes. La
Scythie, la Thrace, la Macédoine, la Dardanie, la
Dacie, la Thessalonique, l’Achaïe, l’Epire, la Dalmatie, les Pannonies, telles sont les contrées que le Goth , le
Sarmate, le uüade, l’Alain, les Huns, les Vandales,
les Marcomans pillent, ravagent et bouleversent. Combien de matrones, de
vierges, de corps nobles et purs sont devenus le jouet de ces bêtes féroces.
Les évêques jetés dans les fers, les prêtres et les clercs massacrés, les
églises renversées ou transformées en écuries, voilà ce que nous avons vu.
Partout le deuil, les gémissements et l’image de la mort. Le monde romain s’écroule,
et cependant nous ne perdons pas courage.»
Celte désolation qui
n’épargnait aucune province, aucune cité, aucun habitant de ce vaste empire,
eut pour signal la ruine de la ville sacrée. Cette noble barrière, devant
laquelle Alaric ému de pitié avait plusieurs fois reculé, ayant été renversée,
le torrent n’avait plus pour ainsi dire la permission de s’arrêter: il fallait
que tout fût englouti.
Tillemont intitule un de ses
chapitres : Triomphe de Jésus-Christ dans le saccagement de Rome.
Je ne sais si l’une des deux religions put trouver l’occasion de triompher au
milieu de cet épouvantable désastre. Je vois les églises profanées et pillées,
les vierges chrétiennes livrées à la fureur du soldat, l’épée des Goths se
plongeant sans distinction dans le cœur de quiconque se présente devant elle,
et j’ai peine à voir dans le bouleversement de Rome un autre triomphe que celui
de la barbarie. Cet événement devait sans doute tourner à l’avantage du
christianisme, mais après bien des années de malheurs, pendant la durée
desquelles les chrétiens devaient, autant que leurs adversaires, verser des
larmes de sang.
A la vérité saint Augustin et
Orose citent un fait qui semble favorable à cette étrange opinion que le
christianisme triompha dans la prise de Rome: Alaric, disent-ils, en laissant
une liberté entière à la rage de ses soldats, avait cependant prescrit
d’épargner les personnes qui se réfugieraient dans les églises dé Saint-Pierre
et de Saint-Paul, et les païens accoururent en foule dans ces asiles; mais
saint Augustin reconnaît que ces édifices furent choisis autant parce qu’ils
étaient spacieux que parce qu’ils étaient sacrés. Sans doute le vainqueur qui
ne voulait pas anéantir toute la population romaine ouvrit un asile au sein
duquel les fugitifs furent admis sans distinction de sectes; mais comment voir
dans cette digue opposées la rage des barbares un hommage rendu à la religion
chrétienne? Le sac de Rome accabla également les chrétiens et les païens,
toutefois avec cette différence que pour la religion des uns ce désastre n’eut
pas de suite funeste, et que pour celle des autres il en eut de mortelles:
l’aristocratie frappée au cœur se dispersa, et avec elle s’évanouit tout
l’avenir de l’ancien culte. On respecta, je le sais, pendant le pillage de la ville
la personne des sénateurs, un seul fut tué et encore ce malheur n’eut-il
d’autre cause qu’une méprise; mais ce ne sont pas des violences particulières
qu’il importe d’apprécier, car leurs effets altèrent peu les principes d’une
institution : il faut reporter plus haut notre vue.
Je vais montrer que la prise de
Rome enleva aux patriciens toute leur influence religieuse, qu’elle les
dépouilla de la portion considérable de pouvoir, dont ils jouissaient et des
richesses que les siècles avaient accumulées dans leurs mains.
Si l’aristocratie parlait
encore avec autorité aux Romains dégénérés du quatrième siècle, c’est parce
qu’elle passait pour être la sentinelle vigilante et courageuse posée près de
la gloire et des intérêts de Rome. Elle disait et croyait elle-même qu’aussi
longtemps que les destinées de l’empire seraient placées entre ses mains, les
coups de la fortune ou ceux du temps seraient sans danger pour les institutions
de la patrie. Cette conviction était répandue parmi un grand nombre de
chrétiens, et régnait sur l’esprit de tous les païens comme un dogme politique.
Quand la conquête de l’Italie par les Goths et du reste de l’empire d’Occident
par d’autres barbares, quand la prise de Rome eurent fait évanouir cette
auréole de gloire qui brillait depuis douze siècles autour du patriciat, la réalité
s’offrit aux regards de tous les Romains; chacun vit qu’il n’y avait que
faiblesse, vanité, orgueil, là où l’on croyait que résidaient encore la force
et le génie. Plus les malheurs publics étaient grands, plus on les reprocha
aux patriciens; il leur fut désormais interdit de parler de l’éternité de Rome
et des institutions nationales; ils n’osaient plus fixer leurs regards sur
cette statue de la Victoire dont les débris étaient recouverts par les' cendres
de la ville. Leur mission semblait donc accomplie, et ils se résignèrent,
semblables à ces pontifes païens qui n’abandonnaient leurs temples que quand
ils en avaient vu briser les idoles.
L’aristocratie tirait sans
doute la plus grande partie de son influence du respect que les Romains
portaient à leurs anciennes institutions, mais il faut aussi tenir compte de la
supériorité que l’éducation et l’habitude du commandement donnaient à ses membres.
Si les barbares avaient passé sur l’Italie pour n’y plus revenir comme un
torrent dévastateur, probablement les empereurs se seraient trouvés de nouveau
dans la nécessité de conférer les premières charges de l’empire aux anciens
nobles; mais les choses n’arrivèrent pas de cette sorte: les barbares avaient
fixé leur domicile en Occident; Rome devait être prise et reprise encore
plusieurs fois, et le désordre s’établissait pour de longues années dans la
malheureuse Italie. L’occasion de recourir aux lumières et au dévouement des
patriciens ne se présenta plus, ou du moins s’offrit dans des cas si rares
qu’il n’est pas permis d’en tirer une conséquence générale.
Ce n’était pas l’Italie seule
qui pliait sous le poids des étrangers; les Gaules, l’Espagne et l’Afrique
étaient également dévastées par eux. Les riches domaines dont l’aristocratie
jouissait dans ces contrées n’envoyèrent plus leurs produits à Rome pour
alimenter le luxe et le crédit des patriciens; à la vérité les nobles possédaient
des valeurs mobilières considérables, mais cette dernière ressource fut
anéantie lors du pillage de la ville et du ravage de l’Italie. Alors réduits à
un dénûment complet, ils préférèrent s’expatrier plutôt que de rester exposés
aux violences des barbares et aux insultes de ceux qui naguère enviaient leur
fortune et leur puissance.
L’Orient vit affluer dans son
sein des bandes de fugitifs. Les chrétiens ne purent rester insensibles au
spectacle qu’offraient de telles infortunes. Saint Jérôme écrivait à Eustochius en ces termes : « Qui eût jamais pensé que Rome
élevée si haut par ses victoires périrait, et qu’après avoir été la mère elle
deviendrait le sépulcre de ses peuples; que les rivages de l’Orient, de l’Égypte,
de l’Afrique, naguère possessions de Rome la dominatrice, se couvriraient
d’esclaves, et que chaque jour la sainte Bethléem recevrait dans ses murs une
foule de personnes autrefois nobles et riches ( nobiles
qomdam) qui viendraient pour y mendier? Nous né
pouvons les secourir, mais nous les plaignons et nous mêlons nos larmes aux
leurs.»
L’Afrique
semblait tendre les bras à ces infortunés. Ceux qui purent dérober aux barbares
une partie de leurs richesses s’y réfugièrent. Heraclianus,
qui gouvernait cette province, profita du malheur dé ses compatriotes pond
assouvir son avarice.
Il faisait dépouiller as fugitifs et vendre aux marchands
syriens les jeunes filles nobles. L’illustre Faltonia
Proba, autrefois la personne la plus riche et la plus considérée de Rome, abandonna
à cet homme cruel tout ce qui lui restait pour sauver l’honneur de ses deux
filles, Juliana et Demetriada.
Tous les réfugiés ne se maintenaient
pas à la hauteur de leur infortune. Le plus grand nombre d’entre eux étonnaient
les étrangers par leur insouciance. Ceux qui arrivèrent les premiers à Carthage
coururent aussitôt au théâtre, et prenant part aux factions qui divisaient les
spectateurs, ils occasionnèrent dans la ville plus de désordre
qu’on n’en avait jamais vu. Leurs cœurs autrefois si fiers et si cruels ne sont
pas amollis, dit saint Jérôme; ils vendent leurs nippes et leurs haillons;
quoique réduits en servitude, ils veulent posséder de l’or.»
Telle était cette aristocratie
que nous voyons naguère. associée au plus puissant gouvernement qui ait existé.
Chassée de son domicile, dépouillée de ses richesses, de sa gloire, de ses
honneurs, réduite à mendier sa subsistance, ou à se vouer à l’esclavage, il ne
lui fut même pas permis de périr dans les lieux témoins de son ancienne
splendeur; elle alla, humble et suppliante, creuser son sépulcre dans des
provinces éloignées où ses ancêtres n’avaient paru qu’en triomphateurs. L’histoire
offre peu d’exemples d’un revers de fortune aussi grand et aussi rapide.
Dans le temps où ces tristes
événements arrivaient, les païens aigris par le malheur accréditèrent contre les
chefs du christianisme un reproche qui devait, s’il été trouvé juste, exciter à
l’égard de ces derniers un sentiment universel de réprobation : ils les accusaient
de s’être réjouis d’une catastrophe qui avait fait tressaillir d’horreur tout
l’empire romain. Cette redoutable accusation mérite d’être pesée, car elle reposait
sur un fait qui, s’il n’était pas vrai, n’était pas au moins entièrement
invraisemblable.
Les chrétiens ne dissimulèrent
jamais leur inimitié contre Rome, contre cette sentine de toutes les superstitions.
Nous avons entendu Orose regretter qu’elle n’eût pas succombé lors de
l’invasion de Radgaise ; je me contente d’ajouter que les chrétiens
plaçaient un habitant de Rome et un barbare sur la même ligne. Quand la ville
éternelle eut été souillée et que ses plus illustres citoyens se furent
dispersés, les orateurs chrétiens trouvèrent dans le spectacle de tant de
malheurs un texte fécond pour s’élever aux plus hautes considérations
religieuses et morales. Moins empressés de plaindre des douleurs individuelles que
de sonder ta profondeur des décrets du Dieu tout-puissant, ils ne craignirent
pas de dire que la ruine de Rome était une leçon mémorable qui éclairerait les hommes en leur apprenant à
ne point placer la puissance et le bonheur dans cette vanité de siècle qu’un souffle
de l’Eternel anéantit. Ils allèrent même jusqu’à comparer le sort de Rome avec
celui de Sodome ou de Babylone la mère des impudicités et des abominations de
la terre ; ils disaient : Urbs Roma
Babyloniae suis sceleribus cpmparata, et à les croire, Dieu avait été beaucoup
plus indulgent pour elle que pour ces deux autres villes. Enfin ils demandaient si parmi les habitants de
Rome, il s’en trouvait un seul qui pût se dire aussi malheureux, et aussi digue
de pitié que Job l’avait été,
Cette manière
élevée et toute religieuse d’envisager les faits, ces allusions au paroles des
livres sacrés, ce dédain des misères humaines convenaient parfaitement aux
chrétiens; mais pour les païens cé notait qu’un témoignage. frappant de l’indifférence
des chefs de l’église en présence d’une infortune inouïe. Saint Augustin, fut
attaqué avec violence; on le représenta comme l’allié des barbares et comme un
fanatique impitoyable: il méritait cependant, aucun reproche. Il avait déploré,
mais comme il convenait à un chrétien de le faire, les malheurs dé Rome. Il fut
contraint de se défendre. «Loin de moi, disait-il, la pensée d’insulter aux
misères de Rome; que Dieu l’éloigne de mon cœur et de ma conscience affligée. N’avions-nous
pas dans son sein beaucoup de nos frères, n’en avons-nous pas encore? Qu’ai-je
donc fait sinon d’accuser de mensonge ceux qui prétendent que nôtre Christ a causé
la ruine de Rome et que des dieux de pierre et de bois l’auraient sauvée?»
Paul Orose,
s’i! avait été accusé, aurait eu plus de peine à se défendre; car après avoir
comparé l’incendie de Rome à celui de Sodome, il dit que Dieu conduisit
l’évêque Innocent Ier à Ravenne lors du siège de Rome, ainsi qu’il avait
fait sortir Loth de Sodome, «afin qu’il ne vît pas la ruine d’un peuple
pêcheur.» Ailleurs il dit: «L’ingrate Rome sait maintenant que la miséricorde
détournée du jugement dé Dieu avait pour but, non de pardonner, mais dé punir
l’audace dé l’idolâtrie.»
Saint Jérôme pleura avec
effusion sur les malheurs de la patrie. Élevé dans la société romaine,
convaincu qu’on pouvait encore la régénérer, il sentit vivement ce coup mortel
qu’elle venait de recevoir, et dans le premier moment il ne songea pas à
reporter vers le ciel lés larmes qu’il versait.
«Après
avoir terminé, écrit-il à Eustochius, mes dix-huit
livres de commentaires sur Isaïe, je désirais, o ma chère Éustochius,
m’occuper d’Ézéchiel, ce que j’avais promis de faire à ta sainte mère Paula et
à toi-même, afin, comme l’on dit, de donner le dernier coup de main à mon
travail sur les prophètes; mais tout-à-coup j’apprends la mort de mon cher Pammaque, celle de Mélanie, la prise de Rome et la perte de
plusieurs de nos frères et de nos sœurs. Je suis resté comme accablé sous le
poids de la douleur, je n’ai pu jouir et nuit songer qu’au salut des autres. Je
me a croyais captif dans la captivité des saints, et j’attendais pour parler d’avoir reçu des nouvelles plus
certaines. Je demeure suspendu entre l’espérance et le désespoir; je me déchire
par les douleurs d’autrui, alors que l’éclatant flambeau du genre humain est
éteint, alors que la tête de l’empire romain est coupée et que dans une seule
ville le monde entier a succombé.»
Ce
n’est pas le seul témoignage de pitié que saint Jérôme ait donné à cette cité
malheureuse, qu’il honorait encore des noms les plus pompeux, tandis que ses
frères la comparaient à Sodome.
La prise de Rome eut pour résultat
de renverser une constitution politique qui seule pouvait encore prêter secours
à l’ancien culte. «Il n’est point de région, dit saint Jérôme, qui n’ait des
exilés romains. En effet l’aristocratie
n’existe plus; quelques noms illustres apparaîtront encore à de longs
intervalles dans les fastes publics à côté de ceux des étrangers, mais les
idées, les croyances et les intérêts qui unissaient entre eux les divers
membres de cette caste, vont se perdre dans des mœurs nouvelles. L’antique
alliance formée entre la religion et la constitution se trouve dissoute par la
mort d’un de deux alliés : celle de l’autre ne se ferait pas attendre.
CHAPITRE VIII
Fin du règne d'Honorius.
Alaric
survécut peu de tempe à l’accomplissement de sa mission. L’Italie épuisée par la
secousse qu’elle venait d’éprouver demeura comme assoupie, pendant que le reste
de l’Occident livré aux ravages des étrangers et aux déchirements de la guerre
civile , n’foirait plus que l’image du chaos.
Les païens profitèrent de cet instant
de répit pour faire retentir dans Rome leurs blasphèmes ordinaires. Ils accusaient
là religion nouvelle d’avoir amené la ruine de l’empire; ils rappelaient ironiquement
la prétendue félicité annoncée si longtemps par elle; enfin leurs imprécations
contre le Christ n’avaient plus de bornes et trouvaient même de l’écho parmi
les chrétiens.
Le reproche adressé à la
nouvelle religion d’occasionner les calamités publiques, commence à être usé
pour nous, et je me borne à le mentionner ici une fois de plus. Ce qu’il
importe d’apprécier, c’est la nature des promesses que le chefs du
christianisme avaient tintes aux Romains.
La loi nouvelle n’annonçait pas
seulement, aux hommes le bonheur dans la vie future, quelque chose de phis
prochain ressortait aussi de ses promesses. Le christianisme disait à ceux qui
souffraient de l’organisation sociale que son triomphe serait suivi d’une
réforme politique propre à rendre les hommes égaux, libres et heureux. On a
souvent et avec raison remarqué que dans ses dogmes il y avait une partie
théorique et une partie pratique, et qu’il fut toujours circonspect dans
l’application de cette dernière. Mais si l’église ne mit pas à exécution les
principes plus ou moins démocratiques contenus dans l’Evangile, elle ne put
pas empêcher que ces principes eussent été proclamés, et que les païens ne
s’en empirassent afin de montrer l’incompatibilité du christianisme avec une
société régulière, et la vanité de toutes les promesses de bonheur faites par
cette religion à ses enfants.
Depuis
le régné de Constantin l’audace des barbares prend des développements
effrayants pour la sûreté de l’empire, et cette progression de périls se termine
par la prise de Rome. Assurément il aurait été facile, même à un parti moins exalté
que le parti païen, de tourner contre ses adversaires un fait aussi tristement
évident que celui de la décadence de l’empire sous, lés princes chrétiens; et de
transporter dans le domaine religieux une observation purement politique. Il
faut comprendre tout ce qu’un citoyen romain devait offrir à cette époque, pour
s’expliquer le crédit qu’obtinrent en tous lieux ces impiae
querelæ répandues contre le Christ par les
païens. Le christianisme était alors dirigé par des hommes qui ne reculèrent
pas devant la tâche de défendre la cause des nouveautés en présence de Rome
couchée dans, la poussière.
Saint
Augustin, Orose et Salvien entreprirent dans dés temps et avec des talents
différents, de répondre à une accusation qui, sans cesse reproduite, semblait
ne devoir jamais perdre pour les païens le mérite de l’a-propos.
Je
ne vais pas présenter au lecteur l’analyse de trois ouvrages suffisamment
connus, et dont l’un surtout est placé au nombre des produits les plus beaux du
génie chrétien: mon but est simplement de rechercher l’effet qu’ils
produisirent lors de leur publication sur l’esprit des païens, et s’ils mirent
enfin un terme à l’accusation favorite des ennemis de l’église.
Saint
Augustin commença la Cité de Dieu en l’année 411. Il en publia successivement les diverses parties
et l’acheva en 417 peu avant sa mort. Ce mode de publication nuisit beaucoup à
l’effet de l’ouvrage.
Dans les dix premiers livres de la Cité de Dieu saint
Augustin entreprend une nouvelle réfutation des traditions mythologiques. Cette
réfutation est telle que devais la faire saint Augustin, c’est-à-dire vive et
complète; mais elle reproduit en grande partie ce qui avait été dit par Origène,
Tertullien, saint Cyprien, Minutius Félix, Arnobe,
Lactance....; et les païens accoutumés à ce genre d’argumentation s’émurent
fort peu des efforts du nouvel adversaire qui s’élevait contre te les trois
premiers livres de la Cité de Dieu, j’appris «qu’on y préparait
une réponse, et depuis l’on m’a averti qu’elle était prête, que ceux qui l’ont
faite attendent l’occasion de pouvoir la publier sûrement. Je les avertis de ne
pas souhaiter une chose qui ne leur pourrait être avantageuse. On se flotte
aisément de répondre quand on n’est pas assez sage pour se taire.» Ainsi il
existait encore des païens qui ne voulaient rien concéder sur ceux de leurs,
dogmes les plus difficiles à défendre ni sur la mythologie homérique que Je
plus grand nombre d’entre eux semblaient cependant avoir abandonnée. i Cette obstination
à laquelle le système théogonique dés philosophes d’ Alexandrie était peu
favorable, explique pourquoi saint Augustin crut nécessaire de publier une
nouvelle critique dés traditions païennes: elle ne produisit pas plus d’effet
que les précédentes. «Il rient, disait-il, ceux contre : qui nous avons
entrepris de défendre la Cité de Dieu.»
L’illustre docteur chrétien
n’était pas encore arrivé au sujet même dé son ouvrage; ce n’est que dans le onzième
livre qu’il commence à dessiner le plan de ses deux cités: dé celle de la terre
et de celle de ciel, qui sont mêlées ici-bas et qui doivent un jour être séparées.
Lés citoyens de l’une préfèrent leurs divinités au fondateur de l’autre, ne
sachant pas qu’il est le Dieu des dieux; non des faux dieux, mais des dieux
saints et pieux, qui préfèrent se soumettre eux mêmes à un seul que de s’en
soumettre plusieurs, et adorer Dieu que d’être adorés au lieu de lui. Il est difficile
que l’on ne soit pas frappé de la grandeur des idées développées par saint
Augustin: quand il jette les basés de sa cité céleste; dont lés citoyens sont
aussi, comme il le fait remarquer, soumis à des infortunes et à des douleurs terrestres,
douleurs qui sont peu de chose pour eux, parce que leur vie véritable n’est pas
celle qui s’accomplit ici-bas.
Plus on examine la Cité de
Dieu, plus on reste convaincu que cet ouvrage dut exercer très-peu d’influence
sur l’esprit des païens. Le spiritualisme élevé, la mysticité sainte mais
obscure, et la haute philosophie qui y dominent, étaient des doctrines totalement
étrangères aux païens qui rabaissant leur esprit à des considérations terrestres, voulaient
qu’on leur prouvât, non pas que l’homme pour punition du péché originel est condamné
à une vie de labeur, de tristesse et de larmes, mais que le christianisme n’avait
ni divisé les
Romains, ni affaibli l'empiré,
ni causé les
malheurs publics. Saint Ambroise répondant
à l’orateur Symmaque, avait en peu de mots essayé de fournir cette preuve: il né restait donc plus qu’à étendre, développer et rendre complète cette démonstration. Entraîné
par son esprit fécond, préoccupé d'ailleurs
beaucoup plus des intérêts de la société chrétienne que des clameurs d’une poignée d’opposants
fanatiques, saint Augustin oublia le but qu’il se proposait d’atteindre, et,
par un heureux écart de son génie, au lieu de répliquer aux païens, il dicta en faveur des fidèles un ouvrage qui dans tous les temps sera regardé malgré ses défauts comme une grande et magnifique
explication d- la doctrine chrétienne. Ajoutons enfin que l’ouvrage de saint Augustin
ayant été publié par parties détachées, les derniers livres virent le jour a une
époque où les calomnies des païens s’étaient changées en des faibles murmures
peu dignes de fixer l’attention et d’employer, les moments d’un évêque à la décision
duquel étaient soumises toutes les affaires importantes de l’église d’Occident.
Soit que saint Augustin-comprît
qu’il n’avait réellement pas répondu aux partisans de la vieille erreur; soit qu’il
crût nécessaire que l’objection des païens fut envisagée sous plusieurs faces
différentes, il chargea un de ses disciples, Paul Orose, de montrer que depuis
l’origine du monde les hommes avaient été exposés à des malheurs égaux. Voici en
quels termes Orose rappelle á son maître les motifs qui l’ont déterminé à publier
sa démonstration historique : «Tu m’as
ordonné d’écrire contre la méchanceté menteuse de ceux, qui étrangers à la cité
de Dieu sont appelés Païens (pagani), parce
qu’ils habitent les villages et les bourgs
(pagi) ou bien Gentils, parce qu’ils ne songent qu’aux choses
d’ici bas, et qui répandent d’abominables calomnies par cela seul que le Christ
est reconnu et adoré comme Dieu , et que les idoles reçoivent moins d’hommages.
Tu m’as prescrit de rechercher dans les histoires et les annales dont nous pouvons
disposer les témoignages de tous les maux causés par la guerre, par les
épidémies, par la «famine…» Orose n’eut point de peine à remplir la mission
qu’il avait acceptée; et si l’on peut exprimer un regret, c’est qu’il n’ait pas
apporté plus de critique dans le choix de ses preuves et plus d’art dans la disposition
dé ses matériaux. Cependant son ouvrage, tout imparfait qu’il est, me paraît
écrit sous l’inspiration d’une idée juste et féconde. De tout temps le monde a
été en proie à une foule de maux; les désastres qui fondent en ce moment sur
les Romains sont terribles sans doute, mais ils ne le sont pas plus que ceux
qui ont fait gémir tant de nations fameuses; voici une religion qui apprend
aux hommes à plier sous la loi d’une nécessité cruelle, et à supporter les
misères de la vie humaine non pas seulement avec résignation, mais avec une
sorte de volupté; adoptez la, et bientôt vous ne sentirez plus l’amertume de
toutes les douleurs terrestres qui vous assiègent: telle est, exprimée en peu
de mots, la pensée d’Orose, pensée simple, vulgaire même, mais qui était de
nature à frapper l’esprit de beaucoup de païens accessibles encore à l’influence de la
raison.
Salvien, prête de Marseille, qui écrivit son
traité De la Providence vers l’année 440, c’est-à-dire quand déjà l’Afrique
gémissait sous le joug des Vandales et que les maux de l’empire étaient portés au comble, se trouvait dans une position bien
plus délicat que ses deux prédécesseurs. De son temps ce n’étaient plus les
païens seuls qui accusaient te christianisme d’avoir causé la ruine de la
république: les chrétiens se plaignaient aussi; ils se plaignaient de n’avoir
pour récompense dé leur prétendue piété que des malheurs dont l’étendue
surpassait même toute prévision humaine. Ils demandaient avec dépit et colère si
c’était ce qu’on leur avait promis, et faisaient retentir leurs blasphèmes
contre un Dieu négligent et indifférent, qui ne secourait pas les bons; ne
contenait pas les méchants, rendait les bons malheureux et les méchants heureux.
Salvien prend la parole; à l’ vérité il s’adresse particulièrement aux mauvais
chrétiens (infideles christiani),
mais son raisonnements, ses durs reproches et ses brusques attaquess’appliquent aussi bien aux païens qu’aux chrétiens
pervertis: les uns et les autres devaient reconnaître dans le tableau hideux qu’il
traçait de la société romaine au cinquième siècle. Selon Salvien les malheurs
de l’empire sont causés par la profonde corruption des citoyens; il ne voit
dans l’église ou plutôt dans l’empire que des traîtres, des parjures, des
assassins, des brigands, des ravisseurs, des adultères, des ivrognes..., et il
ne s’étonne pas que le fléau de Dieu s’appesantisse sur des êtres aussi
dégradés, sur des êtres qui n’ont plus même le sentiment de leur infortune et
de leur abjection, car selon sa belle expression : populus
romanus moritur et ridet. Il va plus loin : il compare chacune des nations
barbares au peuple romain, et toujours il trouve que l’avantage est du côté des
dévastateurs de l’empire: comment alors s’étonner si rien ne peut faire
obstacle à leurs armes? Le livre, de Salvien n’était pas, il faut en convenir,
de nature à faire beaucoup de partisans au christianisme; il mettait au jour
cette triste vérité, que depuis le règne du premier empereur chrétien, l’église
avait marché à pas redoublés vers un degré de corruption effrayant; mais il
enseignait du moins qu’il ne faut pas mêler les choses, divines aux choses
terrestres, ni attribuer aux religions un pouvoir plus grand que celui qu’elles
possèdent. Il apprenait aux chrétiens comme aux païens que les états périssent
quand chez eux la morale, l’honneur et le courage ne sont plus que de vains
mots, quand on y voit les lois et la discipline militaire oubliées, quand les
chefs sont sans intelligence, les sujets sans dévouement ni patriotisme,
lorsque enfin le lien social est disjoint par la corruption. Donner en 440 cet
enseignement aux Romains était sans doute prendre une peine superflue, mais
Salvien dut croire utile de faire comprendre aux chrétiens qu’il ne leur était
pas accordé de se placer, par une simple profession de foi, au-dessus de toutes
les lois générales qui régissent le monde.
Tel est l’exposé de cette
polémique, qui commencée contre les païens finit par être dirigée contre les chrétiens.
De ces trois écrivains un seul, Salvien, me semble avoir entrevu la vérité qui
pouvait trancher ces trop longs débats; seul il a compris que l’invasion des
barbares, en détruisant la civilisation romaine, donnerait naissance à une
nouvelle société dont la première base serait le christianisme; mais cette
vérité était trop effrayante pour que les Romains du cinquième siècle l’a cueillissent,
et je ne vois pas en effet qu’elle ait fortement préoccupé l’esprit soit des
chrétiens, soit des païens. Ces derniers
continuèrent à répéter qu’on ne répondait pas à leurs objections parce qu’on ne
pouvait pas y répondre, que le christianisme propageait une ridicule crédulité, que les apôtres avaient
été des hommes grossiers, ignorants, hors d’état de comprendre la portée d’un
système religieux. Ces attaques et une foule d’autres qu’il serait trop long de
rapporter, parurent à deux écrivains chrétiens très-habiles, mériter encore
l’honneur d’une réfutation. Quand on songe à tout ce qui a été écrit contre les doctrines
païennes, et à l’habileté des docteurs chrétiens qui se sont attachés à ruiner
leur crédit, on comprend combien le temps donne de force même aux plus
mauvaises religions.
Je lis que Rome se releva
promptement du milieu de ses ruines, et qu’une administration prévoyante ramena
dans ses murs de nombreux habitants. Honorius reçut en effet le titre de
restaurateur de cette ville quondam désolata sed nunc gloriosior. Je suis toutefois peu disposé à admettre ce
retour si prompt de prospérité : les plaies de Rome n’étaient pas de celles qui
se guérissent en peu de jours. Si une administration active et intelligente
contribua à réparer une partie des ravages causés par les barbares, on doit en
rendre grâces aux débris de la malheureuse aristocratie, car nous apercevons,
après l’année 410, plu sieurs patriciens amis de l’ancien culte, placés encore
à la tête de l’administration de la ville: Rutilius Numatianus
fut préfet en 413; Albinus, en 414; Symmaque le fils, en 418; et Volusianus
géra la préfecture du prétoire d’Italie en 429. On a reconnu que les païens
n’étaient pas moins habiles aux affaires publiques que les chrétiens; je crois
qu’il eût été plus juste de dire que les patriciens se trouvaient, par leur éducation
et les traditions conservées dans leurs familles, bien mieux préparés que leurs
adversaires à prendre encore part à ce simulacre de gouvernement.
Les efforts de ces constants amis
de la république ne pouvaient empêcher l’Italie de devenir chaque jour plus
pauvre et moins peuplée. Des noms illustres, des mots pompeux ne déguisaient
pas une misère et une décadence complètes et trop faciles à reconnaître. La loi
du 6 juin 413 ordonne de rendre les terres ravagées par les barbares à leurs
anciens propriétaires, si on peut les trouver ou bien à leurs héritiers; s’il
ne se présente personne, on donnera les terres aux voisins ou à ceux qui les
demanderont. Les citoyens qui daignaient ramasser les dépouilles de
l’aristocratie étaient récompensés par une exemption d’impôts de deux ans:
telle était à cette époque la situation de l’Italie.
La cour impériale s’efforçait
de faire rentrer dans les villes ceux des habitants qui en avaient été chassés
par la misère, et particulièrement les membres des corporations qui seuls
pouvaient ranimer l’industrie au sein des cités pillées par les étrangers. Une
loi rendue dans ce but, le 6 des calendes de décembre 412, nous apprend qu’il
existait encore a cette époque des corporations dont l’office était
d’intervenir dans des cérémonies de l’ancien culte. Le premier paragraphe de
cette loi est ainsi conçu: Collegiatos et Vitutiarios et Nemesiacos, Signiferos, Cantabrarios et singularium urbium Corporatos, simili forma præcipimus
revocari.
Les Collegiati
et les Corporati étaient, nous le savons, les
membres des corporations d’arts et métiers; je n’ai donc d’explications à
donner que sur les Vitutiarii, les Nemesiaci, les Signiferi
et les Cantabrarii.
Le mot vitutiarius
ne se lit nulle part ailleurs que dans cette loi du Code Théodosien; il est par
conséquent très difficile de lui assigner un sens positif. Godefroy, après
avoir appelé au secours de son interprétation toutes les étymologies
imaginables sans en pouvoir trouver une seule qui lui convienne, se décide à
juger par analogie, et voyant les Vitutiarii
assimilés aux Nemesiaci, il en conclut qu’ils
donnaient, en l’honneur d’une divinité quelconque et à leurs frais, des
spectacles au peuple. Peut-être cette divinité était elle Vitula qui,
selon Hyllus cité par Macrobe, présidait à
l’allégresse, car il ne serait pas étonnant que vitutiarii
ait été écrit pour vitularii ou vituliarii.
La même incertitude n’existe
pas sur le sens du mot Nemesiaci. Némésis
était la déesse fille de la Fortune, la dispensatrice des sorts, la
distributrice des châtiments et des récompenses, la vengeresse des crimes, la
messagère de la justice. Les ministres de son culte n’avaient pas su garder la
place élevée que d’aussi nobles attributions semblaient leur assigner. Au cinquième
siècle ils n’étaient plus à vrai dire que des diseurs de bonne aventure. Ils
réunissaient le peuple dans les carrefours, et se livraient devant lui à des
danses bizarres et à des combats simulés. Ivres et armés d’une fourche, ils
tournaient sur eux-mêmes, et feignant d’être animés d’un esprit divin, ils
prédisaient l’avenir. Ainsi que les Galli, ils vivaient de ce qu’ils parvenaient
à escroquer aux crédules habitants des campagnes.
Les Signiferi
portaient, comme leur nom l’indique, les simulacres des dieux dans les
processions et les cérémonies du culte païen. Quant aux Cantabrarii,
ils portaient une sorte d’enseigne nommée Cantabru
dont il est question dans l’Octavius de Minutius Félix.
Telles étaient les fonctions de
ces quatre classes de pontifes du dernier ordre contre lesquelles Honorius
rendit la loi de l’année 412.
Ce qu’il importe de remarquer
en cette circonstance, c’est l’extrême précaution, la timidité avec laquelle
l’empereur attaque les professions parasites que le pontificat païen traînait à
sa suite. Puisque les rites profanes avaient été abolis, il devait sembler naturel
d’interdire, sous des peines sévères, la faculté dont jouissaient les membres
des corporations païennes de répandre dans les campagnes et les bourgades les
plus dégoûtantes superstitions. Un seul d’entre eux suffisait pour corrompre
une localité et empêcher le christianisme de s’y établir:
Incopriat
cives unus detestabilis omnes
disait le poète chrétien Commodianus en parlant des Nemesiaci;
mais la cour impériale ne pouvait pas encore se défendre d’une sorte de respect
pour ce qu’elle appelait la commune allégresse, or, comme les quatre corporations
dont nous parlons étaient préposées à l’entretien de cette jubilation publique,
au lieu de les dis soudre et de défendre à ceux qui en faisaient partie
d’exercer leurs fonctions n’importe en quel endroit, on se contenta de leur
enjoindre de rentrer dans leurs villes natales, où ils pouvaient, en supposant
qu’ils exécutas sent une injonction si facile à éluder, continuer d’exploiter à
leur profit tous les sentiments contraires au christianisme.
En l’année 415, l’empereur
rendit une nouvelle loi contre la religion païenne. Sans doute une loi d’Honorius
publiée dans ce temps mérite à peine d’être remarquée; cependant, afin de ne
rien omettre, je m’occuperai de cet acte quand l’occasion de parler de la
province d’Afrique se présentera, car c’est pour cette province seulement que
la loi fut rendue. Au reste elle ne put nulle part aggraver le sort du paganisme:
partout il périssait, partout il perdait chaque jour des milliers de partisans
, et le moment était venu où l’on pouvait presque se demander s’il existait
encore réellement: «Où sont les prédictions des fanatiques, s’écrie saint Augustin,
et les divinations des Pythons? où sont les augures, les auspices, les
aruspices et les oracles des démons? Chaque jour on voit tomber dans les cités
ces théâtres cavernes de honte, et ces professions publiques de crimes; chaque jour
on voit s’écrouler ces forum et ces enceintes dans lesquelles les démons
étaient adorés.» Parlant des païens et de leurs dieux, il dit: Tales deos habent ; mais il se
reprend et ajoute: Vel potius habuerunt.
Ainsi les hommes qui étaient dans la meilleure position pour apprécier le degré
de force du paganisme tenaient ce culte pour anéanti, car ils ne pouvaient le
reconnaître dans certaines habitudes créées par lui, ou dans des protestations
individuelles qui, malgré leur nombre et leur retentissement, étaient insuffisantes
pour le maintenir en possession de l’existence.
Honorius mourut en l’année 413,
après avoir passé sur le trône vingt-huit ans. Cette période fut une époque
désastreuse pour l’ancienne religion des Romains: non que l’empereur ou ses
ministres l’aient attaquée avec plus d’habileté et de vigueur que sous les
règnes précédents, mais parce que le christianisme, sans compter sur les
secours qu’il pouvait recevoir des circonstances et des hommes, développait ses
éléments intérieurs de puissance et faisait chaque jour reculer un ennemi qui
condamné depuis longtemps à mourir, voyait ses plus savantes combinaisons
échouer, ses élans de courage tourner contre lui, et toutes les armes qu’il
saisissait se briser misérablement dans ses mains. Lorsque dans une société
deux principes énergiques sont aux prises, les hommes disparaissent, ou du moins
ils se présentent comme des instruments dont une volonté supérieure fait usage,
sans avoir besoin de rechercher si ces hommes sont puissants ou faibles,
intelligents ou aveugles; car ils concourent tous, et le plus souvent sans le
savoir, à l’exécution de ses volontés. Le combat entre les deux religions fut
sous le règne d’Honorius plus vif, plus animé, plus intéressant qu’il ne l’avait
jamais été; non parce qu’Honorius, Stilicon, Olympe ou Attale y prirent part,
mais parce que les principes que chaque parti portait dans son sein avaient
atteint le moment de leur entier développement. Si un empereur encore plus
débile qu’Honorius se fut assis sur le trône, si un usurpateur mille fois moins
ridicule qu’Attale eût relevé la bannière du paganisme, les choses n’en
auraient pas moins suivi le cours qu’elles ont eu, parce que l’esprit qui les
dirigeait était placé plus haut que la terre.
Topographie
païenne de Rome sous Honorius.
Le
P. Labbe joignit à l’édition qu’il donna en i65i de la Notitia
dignitatum Imperii une description de Rome,
semblable pour la forme à celles que S. Rufus et P. Victor nous ont laissées et
dont j’ai fait usage en parlant du règne de Valentinien Ier.
L’auteur de celte troisième description est demeuré inconnu. On croit qu’il
vécut sous Honorius et postérieurement à la prise de Rome par les Goths ; en
effet cette description porte pour titre : Descriptio
Urbis Romce, quœ aliquando desolata
nunc gloriosior piissimo
Impe- rio ( ou plutôt Imperatore') restaurata. Labbe pense qu’elle fut rédigée sous
Honorius ou sous Valentinien III1 ; je suis porté à croire qu’elle
le fut sous Honorius, qualifié on ne sait pourquoi par ses contemporains restaurateur
de la ville éternelle.
*
p. 128.
Cette description porte le même
cachet d’exactitude et d’authenticité que celles dont il a été parlé précé* demment; mais en montrant
au milieu de Rome beaucoup d’édifices païens dans un temps où l’on devait les
supposer renversés, elle excite naturellement chez nous une plus grande
surprise. Comment en effet se peut-il qu’après le règne de Théodose, si funeste
aux monuments païens, qu’après le sac de Rome qui avait dû amener la ruine de
tant d’édifices qu’aucun bras ne défendait plus, on aperçoive encore une telle
quantité de temples ? Pourquoi
le christianisme n’a- vait-il pas effacé au moins les
dédicaces impies placées sur leurs frontons? J’expliquerai cette singularité
quand j’aurai extrait de la description tout ce qui rappelle l’ancien culte
national.
PREMIÈRE RÉGION.
Ædes Honoris et Virtutis.
— Martis et Minervæ et Tempestatis. Camenæ et lacus Promethei.
Ædlculee
X.
DEUXIÈME RÉGION.
Templum Claudii.
Arbor saneta.
Antrum Cyclopis.
Ædiculce
Vil.
TROISIÈME RÉGION.
Æditulœ
XII.
Cette région ne contenait
autrefois qu’un seul temple, et, comme on voit, elle l’avait perdu.
QUATRIÈME RÉGION.
Templum Pacis. ÆdesJovis Statoris.
Templum Romæ et Veneris.
— Faustinæ.
Apollo Sandalarius Balnenm Daphnidis.
Area Vulcani.
ÆdUnte
Vlll.
CINQUIÈME RÉGION.
Minerva
Medica. Hercules Sullanus. Isis patricia.
Ætdùtidai
XV.
SIXIÈME RÉGION.
Capitolium antiquum. Ædee Quirinis.
Templum Salutis et Serapis (?) — Flore.
Micula
XTIl.
SEPTIÈME RÉGION.
Templaduo nova Spei et Fortunœ*. Templum Solis et Castra. Ædicula Capraria. Nympheum Jovis. Lacus
Ganymedis.
Ædiculœ
XV.
HUITIÈME RÉGION.
CAPITOLIUM.
Templum Çoncordiæ.
a Malgré l'épithète nova, il faut se garder de croire que ces temples avaient été
construits postérieurement à l'époque où P. Victor écrivait, car il les désigne
de h même manière.
Templum Saturai et Vespasiani. — Juliæ, Castorum, Vestæ.
— Trajani.
Atrium
Minerve.
Genium P. R. æneuni.
Atrium Caci.
Ædiculce
XXIX.
NEUVIÈME RÉGION.
Ædes Herculis.
Pantheum.
Templum D. Antonini. Hadrianium.
Iseum et Serapeum.
Ædiculce
XX K.
DIXIÈME RÉGION.
Ædes Matris Deum et Apollinis Rhamnusii.
— Jovis Victoris. Fortuna respiciens. Lupercal.
Ædiculce
XX. .
ONZIÈME RÉGION.
Templum Mercurii. Ædes Ditis patris. Apollo Cælispex a.
* Le Régionaire
cite, comme on le voit, plusieurs simulacres païens, et cependant Tillemont,
s'autorisant d'un passage du ro5e sermon de saint Augustin, dit,
IV, 5i8, que toutes les statues avaient été renversées à Rome dès avant la
défaite de Radagaise, c’est-à-dire avant Tan 406 et
avant qu'elles le fussent en Afrique. Je Ihontrerai
que cent ans après la mort de saint Augustin il existait encore un assez grand
nombre de statues païennes à Rome.
CHAPITRE
IX.
i37 Hercules Olivarins.
Ædîcula
XIX.
DOUZIÈME RÉGION.
Ædes bon» Deæ Subsaxanæ. Fortuna Mammosa.
Isis Athenodoria.
Ædicula
XVII.
TREIZIÈME RÉGION.
Templum Dianæ et Minervæ. Nymphéa tria.
Ædicula
XV 11.
QUATORZIÈME RÉGION.
Templum Fortis
Fortune.
Hercules Cubans. Balneum Dianæ.
Ædicula
teptuaginta octo.
Une des dix basiliques citées
par le régionaire porte le titre de Basilique de
Neptune.
Il faut considérer cette
description de Rome dans son ensemble et non dans ses détails, car ils sont souvent
défectueux. Par exemple, elle énumère deux cent quatre-vingt-dix-neuf édicules,
c’est-à-dire cent seize de plus que sous le règne de Valentinien ; d’où nous
devrions conclure que, pendant la portion de temps comprise entre le règne de
ce princé et la fin de celui d’Honorius, on
construisit à Rome cent seize chapelles dédiées aux dieux Lares : ce qui n’est
pas possible. L’erreur est
d’autant plus facile à reconnaître qu’elle porte uniquement sur le nombre
d’édicules' attribuées à la 14e région dite Transtibérine.
Cette région possédait, sous le règne de Valentinien, vingt-deux vici et autant d’édicules, mais le regio- naire d’Honorius lui en
donne soixante-dix-huit. Cette faute est si grossière que nous devons
l’attribuer à la méprise d’un copiste. L’indication des édicules existantes
dans les autres régions montre que ces chapelles avaient subi le sort commun à
tous les édifices païens, et que leur nombre était considérablement diminué
depuis cinquante ans ; cependant l’ancien culte dominait encore extérieurement
dans la capitale dont l’aspect restait païen en dépit des progrès ou plutôt de
la victoire du christianisme.
Dix ans avant la prise de Rome,
Prudence parlant des Génies, c’est-à-dire précisément de ces lares Com- pitales auxquels les édicules étaient dédiées, dit1
:
v.
443-446.
Quamquam
cur Genium Romæ mihiunum ? Quum portis, domibus, tbermis^ stabulis soleatis
Adsignare suos Genios? perque omnia membra Urbù, perque tocos^ Geniorum millia
multa Fingere, ne propria vaeet an galas nullus ab umbra?
Au témoignage de ce poète
chrétien qui avoue que l’on rencontrait par milliers dans Rome les images des
génies protecteurs, des lares familiers, et de tout ce qu’il appelle fumosa avorum numina^ ajoutons celui de saint Jérôme. Il nous apprend
que les Romains, sous prétexte d’éclairer l’entrée de leurs demeures, mais en
effet pour flatter leurs penchants superstitieux, entretenaient pendant la nuit
des cierges et des lan-
CHAPITRE
IX. I 3g
ternes allumés devant les
statues des dieux tutélaires. (tutelce simulacrurri), placées comme on le sait sous le
vestibule* de chaque maison1; on a donc raison de 1 ni,
418. dire que pendant le jour comme pendant la nuit l’aspect de Rome devait
être celui d’une cité où l’ancien culte dominait.
A la vérité cette ville formait
exception. Saint Au** gustîn, parlant des temples de
l’Afrique, dit1 : « Voyex * n>
®7*4* « dans quel état sont les temples des idoles : les uns « sont
détruits, les autres languissent sans réparations; « ceux-ci sont fermés,
ceux-là ont reçu une nouvelle « destination. Quant aux idoles et aux puissances
de « ce siècle, on les détruit, on les brise, on les brûle ou « bien on les
cache. » Cela était vrai en général : les moines n’éprouvaient plus d’entraves
dans leurs tumultueuses expéditions contre les édifices de l’ancien culte, et
en beaucoup d’endroits des dédicaces chrétiennes recouvraient les anciennes
inscriptions païennes placées sur le fronton des temples. A Rome il en fut
différemment : les simulacres et les édifices païens y restèrent encore,
pendant près de deux siècles, placés sous l’égide d’un sentiment vague de
respect dont les Romains pouvaient difficilement se rendre compte, et que les
docteurs chrétiens combattaient avec force mais en vain*. On ferma les temples,
on ne les détruisit pas; les statues ne furent plus honorées, mais un grand
nombre restèrent encore debout.
Saint Jérôme en parlant du
Capitole n’indique pas qu’il fut devenu l’objet des outrages du cuite
victorieux,
a
Saint Jérôme disait,, t. I, p. 55ü e .* Squaiet Capitol'cum: templa. Jovis et cterùnonia co/tciderunt, cur
vûcafahtm r/iw 'vida
tpiul fia vifcwtt
?
" IV, a p. p. aa8.
* V. 4a-55.
il dit seulement squalet Capitolium*;
et je ne sais pas même si à l’époque où saint Jérome
s’exprimait ainsi on pouvait dire du Capitole qu’il languissait dans la
saleté, au moins ce n’est pas à beaucoup près l’idée que cherche à nous en
donner Claudien. Le poète chante en l’année 4o4 Ie
sixième consulat d’Honorius et le séjour de l’empereur à Rome; il représente ce
prince habitant le mont Palatin , et considérant de ce point élevé les temples
et les monuments glorieux qui décoraient le Forum et le Capitole 3 :
Attollens
apicem subjectis regia rostris Tôt circum delubra videt, tatitisque Deorum Cingitur excubüs, Jùvat infra tecta Tonantis Cernere Tatpeïa pendentes rupe Gigantas, Cadatasque fores mediisque volantia signa Nubibus, et densum stipantibus cethera templis} Æraque vestitis numerosa puppe columnis Consita, subnixasque jugis immanibus cédés, Naturam cumulante manu ; spoliisque micantes Innûmeros arc us. Actes stupet igné metalli, ' Et circumfuso trepidans obtunditur auro. Agnoscisne tuos, Princeps venerande, Penates? Hcec sunt,
quœ primis olim miratus in annis, Pâtre pio monstrante, petis,
1
Ces pénates du prince chrétien, ces temples magnifiques que son père lui avait
appris à admirer, perdirent sans doute de leur éclat après les profanations
de Stilicon et le pillage de la ville par lès barbares. Cependant les
véritables ennemis des temples étaient les chrétiens, parce qu’en attaquant
ces édifices ils obéissaient à un sentiment différent de la cupidité, et
faisaient au cœur des païens une bien plus profonde blessure que les barbares,
dont la main avide
CHAPITRE IX*
14l
se portait également sur les
temples et sur les églises. Les témoignages de Claudien et du régionaire montrent que les principaux édifices sacrés de
Rome conservaient encore, à la fin du règne d’Honorius, leur ancien aspect; on
doit s’en étonner quand on songe que ces monuments ne servaient plus aux usages
de l’ancien culte, et que l’aversion qu’ils inspirèrent si long-temps
aux chrétiens avait fait place à un sentiment différent, puisque saint
Augustin disait à cette époque1 : «Lorsque les temples, les idoles,
les bois »n,*68d. « sacrés sont affectés au culte du vrai Dieu', il
arrive « pour ces choses ce qui a lieu quand des hommes im-
« pies et sacrilèges se convertissent à notre religion. » Il faut croire que
des considérations puissantes empêchaient les chrétiens de se livrer, comme
ils auraient désiré pouvoir le faire, à une dévastation régulière des édifices
sacrés de Rome, semblable à celle des temples de l’Égypte et dé la Syrie. Je
dirai ailleurs avec plus de détails quels étaient ces motifs et dans quels
sentiments ils avaient pris naissance.
État du
paganisme dans les provinces.
Plus
nous avançons, plus les difficultés pour déterminer l’état de l’ancien culte
dans les provinces d’Occident deviennent nombreuses. Les inscriptions ont
disparu, les historiens ne sont préoccupés que de l’invasion des peuples du
Nord et les docteurs chrétiens semblent avoir oublié leurs anciens adversaires.
Quelques traits généraux, un petit nombre de faits particuliers, voilà tout
ce qu’il est possible de produire. Quiconque connaît l’histoire de ce temps
peut dire si je cherche à éluder une difficulté.
J’ai montré que la fureur des
barbares s’était dirigée aussi bien contre le nouveau que contre l’ancien
culte ; mais les résultats de cette aveugle fureur étaient différents : une
église pillée, saccagée, détruite se relevait quand le flot avait passé; un
temple païen restait ce que les dévastations des barbares l’avaient fait. Aucune
main ne venait écarter les cendres pour reconstruire sur les vieilles
fondations un nouvel édifice. I Les temples d’Éleusis incendiés par Alaric
restèrent un monceau de ruines, tandis que peu d’années suffirent aux
chrétiens de Rome pour effacer de leurs églises les traces du passage des
Goths.
A l’espèce d’indifférence que
les barbares montrèrent dans le commencement de leur invasion pour les cultes
établis au sein de leurs conquêtes succéda bientôt un
CRAT1TBE X.
l43 sentiment opposé. Le christianisme
animé d’un ardent prosélytisme n’eut pas de' peine à s’emparer de leur esprit.
Quant au paganisme, quelle recrue pouvait-il faire dans les rangs des barbares,
lui qui offrait à ces peuples des superstitions usées qui certes ne valaient
pas mieux que les leurs? En quoi le culte d’Odin était-il inférieur à celui de
Cybèle ou de Mithraa ? Les barbares
n’accordèrent aucune protection à l’ancienne religion romaine. Ceux d’entre eux
qui n’embrassèrent pas le christianisme, tels que les Allemands et une partie
des Hérules, conservèrent leur religion natio- [*]
nale; les Vandales, les Gotbs,
les Wisigoths, les Huns et les Bourguignons qui se firent ariens, ne semblent t
pas seulement s’être aperçus que le culte hellénique existât. On ne
pourrait pas, je crois, citer l’exemple . d’un seul barbare qui ait quitté sa
religion nationale | pour se vouer au paganisme grec ou romain.
Lorsque j’ai recherché l’état
du paganisme dans les provinces d’Occident sous le règne de Valentinien 1er,
j’ai regardé le paganisme comme la généralité et le christianisme comme
l’exception. On conçoit que maintenant le rapport doit changer et que le
paganisme ne peut plus être regardé que comme l’exception. Ainsi,
144 LIVRE JX. QPEORIÜS.
au lieu de montrer le
christianisme conquérant peu à peu FOccident aux
dépens de l’ancien culte, j’indiquerai les lieux où le paganisme donnait encore
signe de vie. Cette nouvelle méthode aura pour résultat de rapetisser l’idée
que l’on peut avoir gardée de l’état de la religion romaine ; mais sans parler
du silence des historiens qui force d’en agir ainsi, je dirai que l’on court
bien plus de chances de se tromper en augmentant l’influence probable du
paganisme à cette époque qu’en la diminuant; non que l’on puisse toutefois s’é-
> Catheme- t> j t
rinon.Hym.
crier avec Prudence* : xn, v. 301.
Gaudete,
quidquid gentium est Judæa, Roma et Græcia, Ægypte, Thrax, Persa, Scjtha,
Rex wius ornnes possidet.
Ce sont là de ces vagues assertions
communes chez les poètes, mais qui ne jouissent d’aucune autorité sous le
rapport historique.
L’Étrurie produisait encore des
augures et des devins : c’est de ce pays que Zosime fait venir les arus- pices qui offrirent le
secours de leur art aux Romains assiégés par Alaric. Nous voyons cette province
gouvernée au milieu du quatrième siècle par Lachanius,
père du poète Rutilius et païen comme lui. Ce personnage qui devint préfet du
prétoire, laissa dans cette contrée un grand renom de sagesse, et son fils ne 595.
craignit pas de direa :
Famam
Lachanii veneratur numinis instar.
La partie de l’ancienne
religion relative à l’art divinatoire fut conservée avec soin par la
population des
CHAPITRE X<
>45 ptovincfes,
non moins crédule et plus ignorante que celle de la capitale. La fontaine d’Apon était consultée par les habitants superstitieux de la
Vénétie1. « ^7- Eldyîiîavi. « demus, lit-on dans Macrobe[†] *apud Antiuni promo- « vere simulacra Fortunaruni ad danda responsa. » Les environs de Rome étaient
habités par des populations très-attachées au paganisme.
'Claiidian.
» Sat.
1.1. c. XXÏ1I, p. 3tr.
Ostie était devenue chrétienne;
mais à deux pas de ses murs, dans File Sacrée, un temple dédié à Castor et
Pollux continuait de recevoir les hommages des païens.
:
3
Macrob. Sat. I, 16.
Junon était toujours adorée A
Laurentum3.
Les fêtes et les traditions locales
florissaient dans les campagnes de l’Italie comme dons celles de toutes les
autres provinces de l’empire d'Occident. Quant aux pays de montagnes, les
superstitions anciennes y régnaient sans contradiction. Je vais montrer
qu’aller les y attaquer c’était marcher à une mort certaine.
Vers la fin du quatrième siècle
l’idolâtrie dominait dans l’extrémité septentrionale de l’Italie; Saturne y
était toujours en honneur;'et nous devons d’autant
plus en être surpris, que la ville de Milan, si influente sur cette portion de Fltalie, commençait à abandonner les pratiques de
l’ancienne erreur, et à faire sentir autour d’elle une action contraire à celle
que jadis elle avait exercée*. Saint Vigilius, qui
fut nommé
évêque de Trente en l’année
385, trouva , disent les «G. Tarte- légendes, peu de chrétiens dans son
diocèse, mais en roui. Mem. laissa beaucoup après lui
alla
vita e A dix lieues de Trente, au nord-ouest, le long
de la santisiân- rivière appelée actuellement la
Noce, se trouve un can* ed AÎesMn0 ton nomm^ autrefois Anaunia,
aujourd’hui ValdiNon, dro. verona dont les coteaux en
amphithéâtre étaient couverts de Acta7Mnct. villages où Saturne et
Diane recevaient les hommages M*P 4iVII*‘de tous
ks Habitants. Saint Vigile-forma le projet de s.Gaudentii répandre les lumières du christianisme dans ce
repaire Opp. p. 191. _ 1 .... r
de païens et y envoya trois
missionnaires, Sisinnus, Martyrus
et Alexander. Martyrus et Alexander étaient d’anciens
païens convertis.
‘ lues missionnaires se
conduisirent avec une grande prudence, cherchant, avant toute chose, à se
concilier l’affection des hommes grossiers panni
lesquels ils devaient vivre. Pendant plusieurs années ils n’éprouvèrent de
leur part aucun mauvais traitement, et crûrent pouvoir enfin construire une
petite église dans le village de Manthon. Comme elle
se remplissait de néophytes, Si- sinnus, le chef de
la mission, se hasarda à prêcher contre les idoles. Ses discours pleins de
force excitèrent bientôt la fureur des païens, qui se réunissant au son des
trompes, tombaient à l’improviste* sur les ipission- jnaires; ceux-ci n’échappaient à la mort qu’ep n’oppo- s&nt
aucune résistance; mais le moment approchait où la résignation devait cesser
d’être pour eux un rempart.
Le 29 mai, les païens avaient
coutume de célébrer les fêtes nommées Ambarvalia,
restées en usage dans tout FÔccident, et de faire ce
qu’on appelait la Lustra- des villages. Une victime ornée de fleurs
était conduite en grande pômpe autour des champs,
afin
CMAWTRJi
X.
147 d’obtenir du ciel dq riches moissons, et Ton chantait des hymnes en l’honneur
de Saturne. Les païens trou» yèrent bon de fprcer un habitant, nouveau chrétien, à fournir la victime;
les missionnaires encouragèrent le chrétien à ne pas se rendre à cette
injonction. Les habn tants
voyant les missionnaires au milieu d’eux, voulurent qu’ils prissent part à la
fête, et ils se dirigèrent vers l’église avec tous les signes de leur
superstition ; la querelle alors s’engagea plus vivement et Sisinnus
frappé d’abord d’un coup de ces cors dont ion faisait usage dans la cérémonie
/reçut en outre plusieurs coups de hache. . Le lendemain, à la pointe du jour,
les paysans armés allèrent démolir l’église; Sisinpus
respirait encore, ils s’emparent. de sa personne et par une barbare ddrir sion lui attachent une
clochette au cou, et le traînent par les pieds autour de leurs champs. Martyrus surpris dans Un jardin ou il aè
cachait fut massacré. Alexander, le plus jeune des trois, était réservé pour un
autre supplice ; il vit jeter dans les flamme* les corps de. ses compagnons et
refusant obstinément de sacrifier a Saturne, il alla bientôt les rejoindre. :
Les auteurs de ces assassinats
furent: dénoncés à l’empereur, mais telle était la timidité ou 1$ mauvais
vouloir des magistrats provinciaux à l’égard des excès commis quelquefois par
Ica païens , que ceux-ci ne .re* çureut pas la juste
punition due à leurs forfaits. Les légendaires prétendent que les évêques
demandèrent et obtinrent leur grâce ; cette assertion est probable, mont un
moyen de dissimuler l’influence conservée par les païens même dans de
très-mauvais cas. Quant à saint Vigile, qui fut l’historien du'martyre
de ses missionnaires , il ne lui échappe pas un seul reproche
10.
x
contre les auteurs de leur mort; il semblé préoccupé uniquement du bonheur et
de là gloire réservés aux trois victimes du fanatisme païen. Son récit commence
1 tor? an?C
en ,CCB termesr : « Fumosa gentilitas
contra vâporem Mail. p. 43. ajideiy
zelo diaboli9 flamma
furoris incalttU.... »
et respire partout le plus vif enthousiasme. Un sort pareil à celui de 6es
envoyés l’attendait.
Il voulut renverser une statue
dé Saturne qui sé trouvait dans la vallée de Randenne, près du lac dé Garda ; cette statue de bronze
recevait de très-grands honneurs de tous les habitants du pays. Arrivé à Randenne avec trois compagnons, Vigile appelle à son aide
tous les chrétiens qu’il peut trouver î
ses mesurés prises il se rend sur la place où était la statue, et bientôt ce
simulacre cédant à ses efforts est renversé^ brisé et jeté dans le torrent de
la Sa rca : Vigile monté sur le piédestal adresse une
chaleureuse allocution aux témoins dé sa victoire. Cependant les païens avertis
de ce qui se‘passe se sont réunis, ils entourent
l’évêque, l’arrachent de sa nouvelle tribune et l’assomment à coups de
sandales. Vigile périt en l’année ^o3. Je ne vois pas que sa mort ait été plus
vengée que celle de ses missionnaires B.
. Sans doute de tels faits sont
rares dans l’histoire de ce temps, mais quelque restreint que soit leur nombre,
ils suffisent pour nous faire apprécier le caractère cruel des paysans
italiens, près desquels, comme on le voit, les lumières du christianisme
étaient alors sans puissance.
Les traditions païennes
vivaient encore dans le midi
* Maffei a voulu jeter quelques
doutes sur l’authenticité de ces actes Ve- /•o». lllustr.
1 p. p. 211 ; mais ses objections n'ont pas été admises. V. La- bus., Fasti délia chiesa,
VI, 606, et Tartarotti. loc. laud.
de l’Italie; l’esprit
hellénique, qui avait présidé à la civilisation de cette contrée, semble s’y
être conservé même après la conquête des barbares.
Il
existait à’ Reggio ùne
statue qu’on prétendait enchantée. Iæs anciens l’avaient consacrée pour empêchet la descente des ennemis en Sicile et les éruptions
de l’Etna. Pour indiqiier cette consécration on
entretenait toujours de l’eau dans l’un de ses pieds et du feu dans l’autre. Ce
simulacre subsistait éncore vers l’an 4*o» forsqUe Alaric voulut passer en Sicile ; peu après il fut
détruit par Asdépius, intendant des terres possédées
par Placidie. et par Constance dans cette île. Nous n’avons du resté sur l’état
du paganisme en Sicile que des;données
très-vagues; mais la lenteur avec laquelle le christianisme s’y. répandait nous
autorise, à penser que les. anciennes idées y avaient conservé beaucoüp de force. . J’ajouterai cependant qu’à partir , du
règne de i Bulletin. Théodose,. ,lea inscriptions
chrétiennes deviennent plus nombreuses dans ce pays'. r<>sp- arch-
* J inn
l’île d’Elbe*. La Sardaigne et
la Corse.obéissaient à ^"^3^5. l’ancien culte et
Hercule recevait les adorations des
3 Grævius,
Thésaurus,
L’état religieux des Gaules
n’avait point éprouvé L3LV»P-5’8* depuis le
milieu du dernier siècle de changement notable; le paganisme romain était si
solidement établi dans ce pays, que les coups qui lui étaient portés en Italie
avaient peu de retentissement au-delà des Alpes. On aperçoit dans l’histoire
ecclésiastique de cette époque beaucoup d’évêques, de moines et de
missionnaires marchant avec ardeur sur les traces de saint Martin, c’est-à-dire
renversant les idoles > coupant les bois sacrés
LIVRE IX. HONORIUS.
iSo
et changeant les temples en églises ; mais leurs efforts pour modifier les
mœurs païennes ne paraissent pas avoir eu de succès.
> Tanner. , Bibliolb.
É ri tan. Hiberni.
p. 522.
*ï*. 153.
Des causes inconnues ranimèrent
le druidisme Vers le Commencement du cinquième siècle. L’Archi-Draide Merlin remplit de ses prophéties les forêts de la
grande et de la petite Bretagne; les peuples s’émurent à Sa voix, et après sa
mort ils le révérèrent moins comme un des ministres de leur religion que comme
un être surnaturel, appelé par leurs dieux au partage de la puissance céleste.
Merlin joùe un grand rôle par ses enchantements dans
les romans dont les héros sont le roi Arthur et les chevalièrs
de la table ronde; toute* fois l’histoire de sa vie étant fabuleuse, je ne puis
indiquer la cause ni les résultats de l’agitation éprouvée plar
le druidisme pendant le cinquième siècle et qui, selon les historiens de la
Bretagne, se prolongea jusque dans le septième * ; maïs il est aisé de montrer
que ce culte était pour ses ministres'une source de
crédit <et de puissance dans dès provinces très-civilisées de la Gaule, ét où le christianisme avait cependant fait de grands
progrès.
Ausoue
s’adressant à un rhéteur nommé Attius datera lui dit3
:
Tu Bajocassis
stirpe Druidarum satus , Si fama non failli fidem >
Beleni
sacratum ducis e templo genus : Et inde vobis nomina
Tibi
Paterœ ; sic ministros nnncnpant dpolUntxris mystici.
Ailleurs, en parlant des
grammairiens de Bordeaux,
CHAPITRE
X. î51’
il
s’exprime en ces termes sur Phtebicius père de Patera[‡]: « «p. tes.
jfttec reticebo eenèm
NwiIm
Phœbùùtm:
Qui Beleni
œdituus
. Nil opis
inde tulit.
Sed tamen, ut placiium, ,
Stirpe
sâtus Druidum
Qentis
Arémoricæ9
Burdigaice
catAedram Nati opéra obùruùt.
Le fils
de Patera, Attius Tiro Delphidius, reçoit aussi sa
part dans les éloges cTAusone; mais il est célébré
seulement comme poète païen3: >p.i 56.
Sertum
coronce prasferens Qlympiùs9
Puer
celebrasti Jovem.
C’est à la bonne fortune qui
nous a conservé les poésies d’Ausone, que nous sommes redevables de ces
renseignements sur une famille sans doute peu célèbre hors de la ville où elle
résidait*. Ce qui avait lieu dans la maison Patera
devait sé reproduire au sein de plusieurs autres, et
les observations que l’on peut faire sur cette famille sont susceptibles d’être
généralisées.
Appartenir à une race
druidique, stirps Druidaruni,
était encore au quatrième siècle un honneur, puisque le poète place au
premier rang des louanges qu’il décerne à Phæbicius
et à son fils de descendre d’une pareille race. Certainement Ausone n’aurait
pas en Italie
exalté avec plus de pompe une
de ces illustres familles
1
ServiuS. r
1 11 v v
Æneickkv,
troyennes, sur lesquelles Varron avait écrit un livre*.
» Orelli.
t. n° 1968.
v-
704. Belenus était la divinité principale de quelques
cantons gaulois, et occupait dans la mythologie celtique la place réservée au
Soleil ou à Apollon dans la religion romaine, aussi trouve-t-on sur les
inscriptions 1.1, Apollini Beleno *. Sans doute le culte de ce dieu n’était pas
tombé dans le mépris, puisque le vieux Phæbicius
exerçait les fonctions üœdituils Beleni, c’est-à-dire de sacristain du temple de Belenus.
Nous sommes le plus souvent
forcés de prendre pour point de départ de nos conclusions des faits peu précis
: les historiens de cette époque ne nous offrent rien de mieux; mais quand un
écrivain du quatrième siècle sort des généralités pour décrire les mœurs des
particuliers, leurs intérêts, leur situation privée, à l’instant même nous
voyons apparaître l’ancienne religion, et nous la trouvons toujours beaucoup
plus puissante que nous n’étions disposés à le penser.
Le christianisme s’était depuis
cinquante ans propagé avec suçcè$ dans les Gaules,
un nombre infini de temples et de statues avaient été détruits ; mais les
Gaulois portaient dans les nouvelles croyances leur esprit turbulent et léger.
Les hérésiarques pullulaient parmi eux et le père de l’église qui fait cette
observation , dit3 : Multo pejores ludœi et hœretici quam p. 146a w. Ethnici. Je ne sais donc s’il est permis de
célébrer les conquêtes faites par l’Evangile dans les Gaules à la fin du
quatrième siècle.
3 Hieron.
III, a p.
On ne possède aucun
renseignement sur la situation du paganisme en Espagne. On sait seulement que
jusqu’à l’année 3g8 les pontifes jouirent dans ce pays de
CHAPITRE.
X. l53
l’immunité
des collations etparticulièrenient de celle de
* c**1- Th- » la glèbe1. Dès l’àn
4°9 les Vandales avaient envahi cette * i.\o. province ; les Alains
et lés Suèves y pénétrèrent aüssi. iy v™ pE6a. Ces peuples
étaient ariens du idolâtrés, et ils s’abandonnèrent à toute leur hainé contre les chrétiens orthodoxes de l’Espagne; ils
ruinaient les églises, tuaient les serviteurs de Dieu, profanaient les
sépulcres et les ossements, des saints, et ravageaient les cimetières. Les
chefs de l’église d’Espagne craignirent qu’à une époque où la conviction
religieuse était si fragile, de pareilles persécutions fissent chanceler
beaucoup de chrétiens ét ne les entraînassent dans la
voie des pécheurs; ris se réunirent donc à Braga en l’année 4 ta» prirent diverses
mesures pour prévenir le mal qu’ils redoutaient : je ne puis dire si elles,
furent efficaces \ . *Coarii<
, i . 1 t. n, col.
On voit combien Pous sortîmes pauvres en docu- a9Os. ménta relatifs à l’état religieux des provinces de l’em* pire (TOccident. Si nous
passons en Afrique, cette pénurie sera remplacée par l’abondance; là on trouve une.multitude de renseignements précis, exacts, au- thentiques, qui font connaître l’état des' païens dans
cette province, mieux que l’on ne connaît»leur
situation même à Rome. Hâtons - nous d’ajouter que nous sommes redevables à
saint Augustin de la> lumière qui va être projetée sur une partie de notre
tableau, destinée sans lui à rester comme les autres dans l’obscurité.
Parmi les témoignages qui
seront fournis, beaucoup se rapportent uniquement à l’Afriquè’;
il en est aussi qui ont un caractère plus général, et qui au besoin peuvent
servir à caractériser l’esprit païen dans tout le reste de l’Occident et
particulièrement à Rome : ceci
s’explique par les rapports quiexistaitent «itre la capitale
l’empire et celle de l’Afrique plus encore que par le caractère uniforme des
idées païennes.
La belle et riche contrée qui
s’étendait depuis les bornes de l’océan Atlantique jusqu’aux confins de la Pentapble Libyenne était chargée de nourrir la population
de Rome. On ne peut se foire une juste idée des moyens que les empereurs mirent
en usage pour développer dans cette province les éléments de prospérité que la
nature avait semés sur son sol. Pour ém- ■
Soiinus péch®1* toute
concurrence, ils ne craignirent pas d’éta- Poiyhist. biir ün ravage périodique dans les contrées voisines4.
Thnge. de Certes ils dépassèrent le but qu’ils se proposaient
d’at> histoJSj.1, teindre, puisqu’ils finirent par mettre Rome dans une S8*»p-3d4. dépendance absolue
de l’Afrique*.
On conçoit aisément les
conséquences de la politique du sénat et des empereurs : les émigrations des
Romains en Afrique et les établissements agricoles que la noblesse y fonda
firent de ce pays non pas une simple colonie, mais une succursale semblable à
la métropole par ses idées, ses mœurs et ses intérêts. On pensait, on pariait,
on agissait à Carthage comme à Rome1*, et les rapports entre ces
deux cités étaient si faciles, si avantageux et dès lors si fréquents, qu’un
a
Le moindre mouvement séditieux dans cette province faisait trembler les RomaîUs qui craignaient de ne plus voir arriver les blés.
Claudien, en par* lant de la révolte de Gildon, dit
(V, 17) :
Exitii jeun Borna t'imens, et fessa negatis Frugibus
Duce
tantas urbes, lalitiarum lùterarum artifices* Borna atque Carthago. Aug.
Il, 98 c. Ruiilius Numatianus,
en s’adressant à Rome, parle ainsi de l’Afrique :
Sole
suo dives, sed magis imbre tuo. (L.
I, v. x|8.)
événement
ne pouvait arriver dans l’une des deux sans retentir à l’instant même dans l’autbe. ,
Rnfug Fe>
L’Afrique
fut divisée par César en six provinces *, et *!“• Brevi»-
1 1 1 num. n. Æoa.
L
Afrique fut divisée par César en six provinces et ,!w- Brev,a- 1 £
J 1» . Il . num» P- 4oa‘
sur la nn
de 1 empire on en ajouta une nouvelle aux six > Notitia
anciennes \ Un proconsul , un vicaire r deux ducs, deux dip°’6™P*
consulaires et deiuç présidents
formaient la tête de
térêt à Ce que le gouvernement d’un
pays dans lequel étaient situés ses principaux domaines ne sortît pas de ses
mains ; ausâi voyons-nOus
les noms Les plut illustres inscrits dans la liste dès proconsuls etmêmè des vicaires d’Afrique. Je dirai, sans remonter plus
haut que l’époque prisé pour point de départ de cet recherches, qu’on aperçoit
parmi les proconsuls des personnages tels qu’Aconius Catullinus, Probianus, Proculus,
Olybrius, Probinùs, Flavien, Symmaque, Hesperius, Apollodore
et parmi les vicaires, Pe*
tronius,
flavien, Titianus3;.^.. L’aristocratie, regar*
^5^’“
dant
F Afrique comme son fief, la gouvernait en coi quence.
VI,333, 336.
Lé christianisme marchait avec
lenteur en Afrique,et jusqu’au cinquième siècle, Fégfise de cette province dut son illustration nibins à son propre mérite qu’aux ta* lents de deux hommes
qui nous sont connus. Les païens étaient nombreux, éloignés de la cour
impériale , et comme ils voyaient presque toujours à la tête du gouvernement
de la province un magistrat qui partageait leurs sentiments, ils se montraient
non les adversaires mais les persécuteurs du christianisme. Les empereurs chrétiens
antérieurs à Honoriûs n’essayèrent même pas de faire
cesser cet état de choses, et l’inaction de Théodose en présence d’un tel
scandale est de nature à surprendre : il faut croire que l’aristocratie trouva
le moyen d’annuler lès effets quela volonté bien connue
de ce prince aurait pu avoir.
Parmi les causes de la
puissance du paganisme en Afrique, il ne faut pas oùblier
les divisions qui là comme ailleurs et peubétré.plus
qu’ailleurs, affaiblissaient le christianisme. Le schisme de Douât prit naissance dans cette province au commencement
du cinquième siècle; il ravit à Féglise une partie
de ses forces, et confirtna les païens dans la
conviction que le christianisme devait passer rapidement [§].
■A Rome, l’ancien culte s’était ennobli par son alliance avec la
constitution de l’empire,et
en respectant leà
obligations qiie son rôle tout politique lui imposait. A
Carthage, il restait dans son véritable caractère, se.montrait
tel qu’il.était, repousbaht
loin.de lui
toïkte préoccupétion de
l’avenir, et n’apportant dans ses rapports avec le christianisme ni sang-froid
ni dignité.* Ntilie part en Occident, les magiciens,
les arus- pi ces, les astrologues ou les devins
n’étaient ni plus nombreux ni mieux payés; riulle
part la -superstition né tourmentait aussi tyranniquement les mœurs. J’ai
montré ailleurs que les chrétiens d’Afrique n’avaient pas encore rompu avec les
usages païens dans lesquels ils avaient été élevésb
; cet attachement pour les anciennes
superstitions fournissait aux»païens d’Afriqtie l'objection
suivante : Quare nos relinquamus
deos^.qüos christ tiajii nobiscum colunt1
? Que le paganisme prenne ’Aug.X, donc courage;
il lui reste encore line contrée où le 9 feu sacré de l’erreur ne
s’éteindra pas de sitôt. Malgré toute sa puissance en Afrique, l’ancien culte
ne pou* vait pas cependant prétendre à
l’inviolabilité; et le mo* ment est venu où la vérité, victorieuse à peu près
par* tout, va passer les mers pour aller combattre l’ennemi dans sa rétraite<
L’honneur
d’avoir sinon détruit le paganisme en Afrique, au.moins
commencé sa ruine, appartient né* cessairement aux
ministres d’Honorius 2. >ld.n,M5.
Il est digne de remarque que
sur les cinq lois contre le paganisme attribuées à ce prince,. trois aient été
rendues pour la. province d’Afrique. En faisant connaître les dispositions de
ces lois et les circonstances qui ont accompagné, précédé, ou suivi Jeur, publication; nous donnerons une idée de la vigueur dé
l’attaque dirigée contre les anciens dieux en Afrique, au comment cernent du
cinquième siècle.
On se rappelle qu’upe loi fut rendue en 398 pour interdire en Occident les
actes extérieurs du cplté païen et ordonner la
clôture des temples. Tillemont
«
mure des mots comme ceux-ci : Est-ce que le Christ n'était pas un homme? «
n'est-il pas vrai qu'il fut crucifié ? Quod ibi bibù in ecclesia vomû, » Les chrétiens répondaient par une argutie; ils
disaient qu’ils ne mangeaient pas dans un temple des faux dieux, mais dans
celui du Génie de Carthage, et que h statue de ce Génie n'était en définitif
qu'une simple pierre. Cette pierre » répliquait saint Augustin, passe pour une
divinité, puisqu’on a dressé devant elle un autel, etc X, 9. On voit que ce Père de l'Église avait
raison de dire : Pleraque in Africa Eccfesiœ membra pigriara tant,
II,. a c.
croit
que celte loi fut faite à la adlicitatioQ des chré* ’ tiens
d’Afrique et de leurs évêques*.
, En attendant le résultat de leurs
démarches , tes évêques excitaient dans le cœur des fidèles la haine des
païens, afin de montrer à la cour impériale que l’exécution de ses volontés ne
rencontrerait en Afrique aucune opposition. Aurelius évêque de Carthage semble
avoir porté à un haut degré d’exaltation l’esprit des chrétiens de cette ville.
Il y avait à Carthage une
statue d’Hercule avec lie titre de Dieu dans l’inscription. Un nouveau
magistrat permit aux, païens de la redorer; Cette restauration : i > déplut
aux chrétiens qui, autorisés par des magistrats de leur religion, enlevèrent, à
la » statue sa barhe dorée. Quelques jours après,
saint Augustin fut, pendant qu’il prêchait,, interrompu par le peuple qui de*
mandait que l’on abolît entièrement la superstition du paganisme,, et que l’on
mît Carthage au niveau de Rome, où Hercule, ni les autres dieux romains né* taient plus honorés. Aurelius avait poussé le peuple Mém^îii’à faire cette démarche3. Augustin donna
des éloges 3ao- au zple des assistants,
les engagea de a eu rapporter à la piété des évêques * et leur fit espérer un
heureux succès de leurç sollicita tiens puisque Die#
avait prédit la destruction entière de l’idolâtrie, et l’avait déjà accomplie
en plusieurs endroits et . à Rome même ;æs espérances
ne furent pas déçues.
Quelques chroniqueurs de cette
époque parlent d’une mission qui fut confiée.à deux
comtes, l’un nom* mé Jovius ou Jovinianus,
l’autre Gaudèritius\ et qui
* O dernîet
eut pour fils le fameux Aëtnis.
CBA.PITRK X.
i59 consistait
à surveiller soit dans tout l’Occident, soit dans les. provinces les plus
dévouées, au paganisme, l’exécution de la loi de 3g8. On doit préférer aux as- sertions peuconcordantes des
chroniqueurs Fautorité'df r 1
Civit. Dei.
saint Augustin qui dit
simplement* : < Gaudenbus et i. xvin, Jovius, intendants des largesses de l’empereur Hono- 5i' rius,
ruinèrent à Carthage, le 19* de mars, les temples des faux dieux et brisèrent
leurs idoles. » Je crois donc que la missioïi des
deux comtes se rapportait seulement'à l’Afrique.
Quand on considère l’empire dés anciennes croyances sur les habitants de cette
province, op conçoit que la cour impériale ait cru devoir employer des moyens
particuliers pour y ruiner l’idolâtrie.
Baronius rapporte à ce temps-ci
et comme une suite de la mission de Jove et de.Gaudence,
oe que l’auteur du livre du Promuses
dit être arrivé touchant le temple de Céleste sous Honorïus
et avant l’an 4oi ’ ; je ipe bornerais à mentionner
la transformation en église.de ce monument de la piété païenne, si je n’apercevais
dans le récit des faits qui l’accompagnèrent un moyen de constater l’état où se
trouvaient alors les édifices païens dans la plupart des villes de province.
Céleste avait à Carthage un
temple magnifique, autour duquel étaient placés plusieurs autres temples moins
grands et dédiés à tous les dieux *. Cette sorte de ville sacrée occupait un
espace de près de deux milles f. et une haute muraille l’environnait.
Depuis une
a
Aux yeux des Romains la déesse tutélaire 4e Carthage était Junon, qu'ils
appelaient en cette circonstance Céleste ; les Grecs la nommaient Astarté.
Beaucoup d’écrivains anciens, fet particulièrement
saint Augustin, Font prise pear Vénus (Yénus-Uiwaie). VIH, 454 A •
1 l. ni c. 38.
«époque que nous ne connaissons
pas ët qtii probablement
est le milieu du règne de Théodose, les portes de l’enceinte demeuraient
fermées, en sorte qu’au dedans comme au dehors des épines et des ronces d’une
prodigieuse hauteur avaient fini par croître et s’étendre. Les païens
répétaient que ces buissons servaient d’abri à une multitude de dragons et de
serpents, gardiens du temple et chargés d’en défendre l’entrée aux
profanateurs. L’évêque Âurelius forma le dessein
d’établir dans ce temple le culte du vrai Dieu. Les .fidèles eurent bientôt
déblayé les approches de l’enceinte, et les portes s’ouvrirent à > la foule,
attirée sur les lieux par la curiosité. L’aqteur du
livre des Promesses se trouvait avec plusieurs de ses amis parmi les
assistants. Il décrit fort bien la surprise de Ces jeunes gens qui couraient çà
et là,. faisaient retentir leurs, cris sous ces portiques si. long-temps silencieux, et témoignaient tour à tour de
l’admiration et du dédain pour ces magnifiques édifices témoins de la piété
leurs
Le culte chrétien fut’établi dans l’ancien temple de Céleste. L’évêque
Aurelius plaça la chaire épiscopale sur le lion qui autrefois soutenait la
déesse, et la parole divine se fit entendre dans le lieu même où tant de faux
oracles avaient été publiés. Cette consécration n’empêcha pas le temple d’être
démoli plus tard.
' La victoire si peu contestée
du Dieu des chrétiens dans upe ville où les amis dès
idoles étaient en grand nombre doit étonner, mais il ne faut pas croire qu’ils
aient montré partout autant de résignation.
A Suffecte, colonie romaine,
une statue d’Herçule ayant été abattue et brisée, les
païens se jetèrent sur
; CHAPITRE X.
>61
les chrétiens et- en massacrèrent soixante; saint Augustin écrivit la lettre
suivante aux principaux habitants de Sq/fecte* : «11,369
<•.
•
«Votre cruauté imprévue et le crime trop fameux de « votre barbarie ont ébranlé
la terre, afin que l’homi- « eide
retentisse et que . le sang reluise sur le pavé dé « vos temples et .dans vos
places publiques. Chez vous « les lois romaines sont méprisées et la terreur
des ju- «.gements est
foulée aux pieds; on n’a pour les empe- « reurs ni respect ni crainte. Chez vous le sang innocent «
de soixante de nos frères a été versé, et si quelqu’un « d’entre vous a.frappé plusieurs de ces malheureuses ' . 1
« victimes, vous lui décernez
des éloges et vous lé placez « à la tête de la curie. Mais venons à l’affaire princi- « pale : vous nous redemandez votre Hercule : nous
vous « le rendrons ; n’avons-nous pas des pierres, des marte bres variés, du bronze et des ouvriers en grand nom- « bre? Votre dieu certainement sera sculpté, tourné et «doré
en. peu d’instants. De plus on le peindra en « rouge, afin que vos cérémonies
puissent être célébrées « conformément aux rites. Puisque vous redemandez «
votre Hercule * nous n’avons qu’à nous cotiser et qu’à « acheter.chez
l’puvrier. un dieu pour votre usage; « mais à votre
tour rendez-nous ceux de nos frères, que « vous avez assassinés, rendez-nous
ces vies que vous « avez interrompues : alors nous serons quittes. »
De telles séditions qui sans
doute n’éclatèrent pas seulement à Suffecte avaient de trop graves résultats
pour qu’elles n’attirassent pas l’attention, de la cour impériale; il importait
que l’Afrique , à peine remisé du trouble causé par la révolte de Gildon, ne se
précipitât pas dans, les excès toujours si grands des discordes reli-
II.
Il
gieUsea.
Elle adressa donc à Apollodore proconsul d’Afrique une loi datéedumois
de septembre 899, destinée à calmer les alarmes des païens, en autorisant les
jeux » v. p. xa. et les Epula
sacra1. Peu de jours auparavant, Honbrius
> Cod. Th., avait défendu aux chrétiens de détruire les temples *M.
1 l’iS.10’ ka k*$urè de ces dieux documents montre que l’empe
reur
pensait non à favoriser les païens, mais è prévenir tout conflit entre eux et
les chrétiens.
Ces lois déplurent aux évêques
et particulièrement au bouillant Aurelius. Il décida le concile assemblé à rum, t n, Carthage le 27 mai de l’an ïpo3, à
réclamer contre ^1097!’ «dles. Voici quelles étaient
les demandes de l’assemblée :
i° Détruire dans toute l’étendue
de l’Afrique ce qui reste d’idoles, attendu que l’erreur est encore pleine de
force {wiget} dans les pays voisins de la mer
et dans divers autres endroits ;
;
20 Renverser ces temples qui , étant située dansdes
lieux retirés oii dans les champs, ne servent pas à
l’ornement public;
3° Interdire les festins
sacres, source de* scandale pour les chrétiens que l’on force à y assister;
■
' 4°
Défendre qu’on célèbre les jeux publiés, oiTqh’on
donne des représentations théâtrales les dimanches et les autres jours fêtés
par l’église*.
■
• Ædàt inticitii refais vacaas, nortranM bénéficia sanctibhuni, delquis
conetur evertere. . . ,. ’
j •
1* Quia sancti
Paschas octavarum die
populi ad circum magis
quant ad Ec_ clesiam conveniurit. Vainement saint Anguétin
s’efforçait de détourner le peuple d’aller au théâtre; vainement 11 lui disait
: Crqs.idi kabe^t,td
audi- vin^us, mare in theatro : nos habeamus portyrq in Çhristo. VIII, d.
Le vieux goût des Romains pour les circenses
remportait toujours.
LeS
exhertatitfàs des chéfe de Pâgtise étaient doutant pliis nétessaires <pi’à
Les vœux‘exprimés
par le concile d? Afrique ne fa» rent
exaucés, comme nous l’avons vu, qu’eu l’an» ■née 4071 : car
Stilicon prenait plutôt conseil de sa 'V. p. 49. prudence que du zèle pieux des
évêqués.
Le paganisme ne pouvait pas
être renversé brusque» ment, ainsi que lé souhaitaient les chrétiens ; sa des» truction s’opérait en quelque sorte pièce à pièce, et les
empereurs, pour atteindre le but vers lequel ils marchaient depuis un siècle,
étaient tenus de faire aux anciennes mœurs de perpétuelles concessions. Ainsi,
dans la faême année où le concile demandait que les
jeux pqblics et les festins1 sacrés ;
füsiênt les ■ uns limités, les autres inteidïtsy ïk
cour impériale
rendait une loi portant que si un citoyeri avait été pOritife. dé sà province , ses' enfants
ne pourraient pas être
chargés malgré euk
des mêmes
fonctions, et que l’on
chérchêrait «quelque autre personne pour les remplir *.
L’existence
J • des‘pontificats
provinciaux n’était
donc pas tellement ••l66-
précaire que l’enipereur dût croire süpérflii de régulariser leur mode de transmission. A
cette époque les jeux ■ tas festins. sacrés entraînaient
lés
pontifes dqtls dlès'dépensés
si fortes qu’on
jugea équitable de 'ne plus ■ rendre leurs. fonctions nécessairement héréditaires.-'
lies pàïens
restèrent tranquilles jusqu’à l’année 4o8, eede
évoqué ®n ne représentait dans les théâtres qtid des
pièces dont L'in* trigue était puisée dans la
mythologie grecque. « En comparaison d’un, si « horrible désordre, dit saint
Augustin en parlant des cérémonies de Cybèle, « Cirlt*
Vu, M<h,;qtfefsôdt led larcïris dé Mercure,'les débauches de Vénus, «‘les adultère et les impudieités des ancrés dieux.que
nous prouverions jiar « les livres des païens, si on
ne. les représentait pas tous les jours sur les « théâtres? * C’est ainsi, dit
saint Jérôme, qu’au.théâtre un même acteur re-
présente Hércnfe, VÎShirëcm
Cybêfle. » f. IV, fep.', 553,
mais à celte époque ils
montrèrent que l'esprit de sédition était assoupi mais non éteint chez eux. Ils
signalèrent son réveil par des actes semblables à ceux dont naguère les
habitants de Suffecte avaient été effrayés.
On venait de publier dans la
Numidie la loi générale de 407 contre le culte proscrit : les habitants d’une
colonie appelée Galama n’en tinrent aucun compte, et
le 1er juin 4o8, ils célébrèrent une de leurs solennités, sans que
personne se mît en devoir de les en empêcher. Ils poussèrent l’insolence
jusqu’à faire passer les troupes de danseurs {petulanlissima
lurba saltantium) dans
la rue et devant la porte même de l’église, ce qui ne s'était pas fait du
temps de Julien. Les clercs ayant voulu s’opposer à ce scandale, des
pierres furent jetées contre l’église. Au bout de huit jours, l’évêque crut
devoir signifier à l’ordre des magistrats les lois nouvellement rendues, et
comme ils se mettaient en devoir de les faire exécuter, les païens assaillirent
de nouveau l’église avec des pierres. Le lendemain les prêtres demandèrent que
leurs réquisitions fussent insérées dans les actes publics, mais publica
jura negata sunt :
telle était à cette époque la conduite des magistrats. Ce n’était encore de la
part des païens qu’un prélude : ils reviennent une troisième fois contre
l’église, et finissent enfin par y pénétrer et y mettre le feu ainsi qu’aux
maisons de ceux qui les desservaient; un moine s’offrant à eux ils le tuent;
les autres fuient ou se cachent. L’évêque même du fond de sa retraite entendait
les cris de ceux qui le cherchaient pour le mettre à mort, et qui disaient
qu’ils n’auraient rien fait s’il leur échappait. Un monastère dont les biens
servaient à l’entretien des pauvres fut
CHAPITRE X.
165 entièrement pillé. Dans les
temps de persécution on n’avait pas déployé contre les chrétiens plus d’acharnement.
Ce
qu’il faut observer c’est que les principaux habitants, ceux qui formaient la
curie, encouragèrent sous main cette sédition ; car saint Augustin dit que
pendant toute sa durée, c’est-à-dire depuis quatre ou cinq heures du soir
jusque très-avant dans la nuit, on ne vit qu’une seule personne, et encore
était-ce un étranger, faire quelques efforts pour arracher des mains du peuple
les serviteurs de Dieu ou les choses saintes qui avaient été pillées. On ne
voit pas sans étonnement que plusieurs chrétiens prirent part à la dévastation
de l’église1. 1
Aug. n,
Cette affaire fit beaucoup de
bruit en Afrique. Un païen de Calama, nommé Nectarius, homme sage et considéré,
s’efforça d’obtenir de saint Augustin Foubli des
crimes commis par ses frères’. Possidius Févêque de Calama se rendit à la cour pour solliciter la
puni- JTiUemonf tion des coupables : ses démarches ne réussirent pas\ Mém. xui, Je ne sais si Févêque
d’Hippone avait raison de dire 4; 4 Pagani
persecutiones ab imperatoribus
patiuntur.
Il est probable que Possidius en arrivant à Ravenne trouva la cour encore tout
émue de la mort de Stilir con, et qu’il reconnut que
le moment n’était* pas favorable pour entretenir l’empereur et obtenir
vengeance de tous les crimes des païens ^Afrique.
La chute de Stilicon, sous
quelque aspect qu’on la considérât, ne pouvait produire rien de favorable aux
intérêts de l’ancien, culte: c’est ainsi que pensèrent les. païens de Rome et
de l’Italie ; mais ceux de l’Afrique n’étaient pas gens à voir les choses aussi
froidement,
et la mort du ministre d’Horioriiis fut pour eux lé signal d’une insurrection
générale. Si leurs excès en cette circonstance ne sont susceptibles d’aucune exn cuse, cependant le
raisonnement qui les porta à cette nouvelle levée de boucliers n’était pas
entièrement faux. Ils entendent proférer en tous lieux des impré»
cations contre 1* mémoire d’un traître qui conspirait avec les Qoths et qui. voulait usurper la couronne? pendant de trop
longues années il a, prostitué la pourpre impériale en imposait la plus
honteuse servitude au fils de Théodose; sa mort misérable est la juste réçpmpepse de tous ses forfaits, et la proscription plane
sur la tête de quiconque a été l’un des instruments de sa tyrannie. Les païens
d’Afrique joignent leurs voix à toutes ces voix accusatrices, seulement ils
ajoutent une chose, savoir, que les lois rendues contre eux du vivant,de l’infâme ministre doivénfmourir
avec lui, comme publiées par sa seule autorité, à l’insu «ü même contre la
volonté de l’empereur. Tenant donc pour abolies toutes les lojs
qui pesaient sur eux, ils s’abandonnent sans crainte à leur haine contre le
christianisme.
Nous ne connaissons pas les
provinces de l’Afrique qui eurent le plus à souffrir de leur audace, nous savons
seulement que deux évêques furent tués, plusieurs autres arrachés de leurs
demeures du des églises et tourmentés de divers supplices. La dérision se.
mêlait d’oydinaire à ces scènes de violence, et les
magistrats, loin de faire des efforts pour arrêter le désordre , ne prirent pas
seulement la peine d’en donner avis, à la cpur
impériale. On concevra la situation dans laquelle se trouvait l’Afrique,quand on saura que les donatiates,
aussi intéressés que les païens à croire à l’abrogation des lois rendues par
Stilicon, s’étaient insurgés de leur côté et faisaient cause, commune avec les
partisans de l’ancien culte pour persécuter les chrétiens.
Les
évêques assemblés CnVoyèi'püt une députation à la
cour pour lui donner avis de cette révolte des païens et des hérétiques. Saint
Augustin seconda de tous ses moyens les démarches des envoyés, il demandait une
déclaration positive par laquelle l’empereur annonçât ( jd que les lois rendues sous, le ministère de
Stilicon n’é-p. »45, »«8. trient, point abrogées'. Il existe une Joi du «4 no_ Mém”xni,
vembre 4oS* adressée à Donat. proconsul d’Afrique^ 6
qui commande de punir) selon h
rigueur des lois et 1- 44. même:du Ôeruier supplice, ceux qui entreprendraient quelque chose
contre la religion catholique, mais elle spmble
dirigée contre les donatistes et ne fait aucune mention des païens : rien dans
les écrits de saint Awt gnstip
n’autorise à penser que les instigateurs de Iq
révolte aient reçu le châtiment, qile méritaient leuiq crimes. L’impunité devenant. Uû
droit, oncampresd que l’obstination et l’audace des
païens he devaient pas diminuer. L’insurrection ne
s’arrêta donc que quand leurs ressentiments eurent été assoüvis.
Au mois de janvier de l’année suivante, cette déclaration si vive* mept .demandée par les évêques d’Afrique fut enfin rendue3.
11 y est fort peu question des païens, et sa ’W. 46. teneur rend probable
l’idée que les magistrats avaient réellement cru à l’abrogation des lois
antérieures*.
* Sirmond
cite une loi qui prescrit des poursuites contre les auteurs des» désordres
commis en Afrique, sans toutefois qiton puisse les
frapper de mort, et cette loi est datée de Tan 4 xa.
Tillemont pense que la date véritable est 409. En admettant l’autbenlicité de cette loi, il faut reconnaître que les
coupable^ durent avoir le temps d'échapper au châtiment. V. Sirm.
p. 45, Till., p. 477,
Nous avons rapporté assez de
faits et des faits assest caractéristiques pour que
l’esprit des païens d’Afrique soit désormais complètement connu. Ces obstinés
défenseurs des faux dieux ne pensaient pas différemment sur leur religion que
les gentils de Rome ou de l’Italie, mais éloignés du siège de l’empire et du
foyer de l’influence chrétienne, enhardis par leur nombre et par les dissentions
des chrétiens, ils mettaient sans cesse la main à l’œuvre pour relever leurs
dieux et punir les téméraires qui les-avaient renversés. Aucune de cog grandes idées qui préoccupaient l’esprit de la noblesse
romaine n’avait cours en Afrique, car dans ce pays la population n’était armée
qu’en feveur des mœurs anciennes que le christianisme
blessait et de superstitions dont le crédit à cette époque est inexplicable ;
pour découvrir en Occident quelque chose d’analogue à cette manière de penser
et d’agir, il faut fixer ses regards sur les campagnes de la Gaule, là on
trouve un même attachement pour les usages du paganisme soutenu par des violences
non moins condamnables.
Les efforts de saint Augustin
contribuèrent à modifier sensiblement l’esprit de l’Afrique. Quand on songe
que ce grand évêque vivait quatre cents ans après la publication du
christianisme et que sa vie se passa dans une guerre continuelle, soit contre
les hérétiques, soit contre les païens, que jamais il ne lui fut permis de se
reposer en contemplant avec calme son ouvrage, on admire cette conviction dont
l’énergie était placée hors des atteintes du découragement. Combien ne lui
fallait-il pas de dévouement pour entreprendre la conversion de ces hommes
auxquels il était plus aisé de faire accepter le baptême qu’un genre de vie diffé-
CHAPITRE X.
169 rent
de celui qu’ils avaient suivi jusque-là ! Rieù n’est
plus touchant que les détails de cette vie tout apostolique. Les païens
emploient les sarcasmes cbntre saint Augustin : il ne
s’en émeut pas et remarque seulement que dans l’année où il écrit les rieurs
sont moins nombreux qùe l’année précédente[**].
Un jour il reçut une lettre qui lui était adressée par les magistrats de
Madaure, ville païenne. La subscription portait: Patri
Augustine in Domino œtemam salutem*.
11 croit que Madaure a déserté les idoles, il interroge vivement l’envoyé, se
hâte d’ouvrir la lettre, mais reconnaît bientôt son erreur et verse des
larmes. Cette pénible déception lui fournit le sujet d’une réponse pleine
d’éloquence et de tendresse. Je pourrais multiplier ces citations si je ne
craignais de trop étendre ce chapitre*,
>
Cod. Th.
1.16,
t. io
1.
ao.
' En 4f Honorius;
publia bue loi eontre lès pontifes du paganisme ’.
Cette loi étàit rendue plus particulière-, ment pont
la province d’Afrique, où, Corinne où va le
« la
foudre; Sanaës à Junon, à Minerve, à. Vénus et à
Vesta; et, ô honte! à « tons les dieux immortels l’archi-martyr Natophàuion ? Lucitas lui-même n^a «ipas, un Culte inférieur,
non pjps qu?nne
foule 4’aufrés, dont fanons aussi « détestables aux dieux qu’aux hommes ne
finissent pas. Ces gens ayant la « conscience de leurs crimes abominables ,
trouvèrent enfin sous Papparence « d*une mort gidriepse, et pn Comblant par des
forfait? nouveaux lâ mesure « dp? anciens, une fipdjgpe de Fapl-il fqfa remarquer quq leuçs
« tombeaux sont honorés par des
insensés qpi négligent les temples et les « mânes des
ancêtres ? En telle sorte que les présages du poète indigné sé
« trouvent réalisés :
' t » ■
.*Ivqite Dwn tempes jurwtit /lama per ambrai
« H mn semble que non» soyons
revenus aux temps dé ta bataille d*Aétium, <^qù .les monstres de F^gypfe o£reni lancer contre fa diepx.<fa
Jfanafateuiq « traits impuissants. Mais, o le plus
sage des hommes ! je te supplie de mettre « de côté le pouvoir de ta faconde
qui te rend illustré entre tous, les argu- « ments de Chrysippe dont tu te servais pour combattre, et
même de renoncer « quelque-peu à l’emploi de oette
dialectique, qui par Peflbrt dé sa subtilité «
cherche à ne laisser rien de certain dans les esprits, afin de démontrer la «
chose même qui est .en question, savoir - quèlest oé
dieu que vous autres «. chrétiens revendiques pdrtrvous
seuls < et qiri sole» veps
est présent et voue « voit jusque* 4|um
fa. faux tes plus secret?d Nous< par de pieüte» prière* «;noqs;
invoquonenoa dibi» publiquemedt Ÿ ap
grand jeuryun! su et au vu de
«; tout le mpnde; août noua les rendons propices par
de suaves imm<dations, « etpous
tâchons que cela sait<eenpi»et:approuré parttowafa hommes. Quant «émoi riéuX
ét utâmnev jelne retire du combat, et je m’applique eette sen- «f lénce du rhéteur de
Mantoue ; juaqaemque vokiptaù.
Je ne doute pas, « o hqmme excellent et qui cependant
as dévié de mon culte. ! que cette lettre « dérobée per quelqu’un* ne périsse
dans tes fifaimea du de toute autre naa- « nièce; s’il ep est ainsi ce
sera un malheur pour le papier et nbn pour mes «
pensées que je tiendrai toujours à h disposition des hommes religieux» Que «
les dieux te conservent, ues dieux en qui nous tous
qui peuplons la terre «neusadprens unaniateineiiit, mais de mille manières différentes, leur
père « commun qui est aussi oelui do tous lea mortels. »
Saint Augustin ne crut pas
devoir répondre autrement que par des railleries aux objections d’un homme
qu’il désespérait de éonvainerq.
la lettre du vieux habitant de
Madaure nous fait connaître la différente qui existait entre un païen de Rome
et un païen de la prqviuce> Aucune idée politique
ne préoccupe Maxime; sa manière dq penser ne rappelle
ni
r7r
voir, les ministre» du culte païen exerçaient encore leuta
fonctions, bn dépit dè toiites les lors rendues eôiWre eufc pat la coup d’OccWenf. » '> "
« JToUs
.ordonner d’employer la contrainte eontre a les
ministre» de la superstition païenne qui avapt les* »
calendes de novembre ne seront pas sortis de Carthage? « et rentrés dans leurs
villes natales. Que tous les Sa» « eerdotaux de
l’Afrique se regardent comme soulnis au* « même ordre
s’ils neqrâttent; pas les métropoles^ et s’il» «ne
retournent dans leurs propres cités. Nous ordon^ « no ns, conformément aux
décrets dû divin G ratien , de « réunir a nos
domaines tous les biens que Iferreur de» « anciens afifecta jadis aux choses sacrées, de façon que « les
usurpateurs de ces biens soient tenus de restituer « les fruits perçus, à
partir du jour’où il a été défendu « de placer les
dépenses de l’exécrable superstition au « nombre des dépenses publiques. Nous
voulons toutefois « que les biens donnés soit par la générosité de nos pré-» « dérôsse^rs soit par notre majesté, dans quelque paya «
qu’ils soient situés, et à quelques personne» qu’ils aient « été donnés,
restent à jamais réunis au patrimoine ded « donataires.
Ces ordres seront exéeùtés jion
seulemënt « ep Afrique,
mais dans toutes les régions de notre em« « pire. Là
religion chrétienne sera misé, sans obstacle, (f en possession de toutes les
choses que nous avons ai-» « tribuéea.par de
nombreuses constitutions à la vénéra*
■ . i t
celle
de Symmaque, ni celle de -Volusien ; le respect des traditions et l’amoqr de la société telle que l’ancien culte l’avait faite,
n’apparaissent pas dans ses discours où l’on trouve des idées dogmatiques plus
arrêtées et surtout l'indice de passions plus vives, plus haineuses, que dans
aucun document émané d'un membre de l’aristocratie ronu^ae,
Vue tfjje lettre rend faciles à wne^
voir toutes les violence» commise» par la popq|ace
païenne de L’Afrique contre les chrétiens. ••
« ble
église. L’erreur ayant été abolie, il est juste de « décharger notre épargne
des dépense^ de la supersti- « tion
si justement proscrite, et d’y verser le produit des « biens qui ont été la
propriété des Frediani\ des Den~ a drophorii*, et de toutes les professions de la gentilité « quels que
soient leurs noms, et qui servaient au paie- « ment des festins sacrés ou des
autres frais du culte. Les « objets sacrés qui autrefois trompaient les hommes
se- « ront retirés des bains et des lieux publics,
afin qu’ils « ne puissent plus séduire les passants. Nous proscrivons « les Chiliarches et les Centeniers ou ceux qui se mêlent « de
distribuer le peuple en compagnies. Quiconque « aura reçu volontairement ce
titre, ou souffert même à «contre-cœur d’être associé à d’aussi coupables
entre- « prises, sera puni de la peine capitale.»
Cette loi est le résumé exact et
en quelque sorte historique de tout ce qui avait été fait par les empereurs
chrétiens contre l’ancienne religion ; elle s’efforce de mettre quelque ordre
dans le partage des riches dépouilles du clergé païen, et consomme la ruine de
toutes les anciennes institutions religieuses.
La cour impériale espérait
beaucoup de l’injoùction adressée aux-pontifes de
rentrer dans leurs villes natales, car nous l’avons déjà vue recourir à cette
mesure comme à un moyen très-efficace : c’était à la fois satisfaire aux
réclamations des curies, et détruire sans violence l’empire que les pontifes
avaient su prendre dans des localités ou ils habitaient depuis de longues
années.
* On ignore ce qu'étaient ces
ministres. On croit qu'ils portaient dans les cérémonies les statues de
certaines divinités. Godefroy, Vf, p. 826.
Prêtres de Bacchus ou de
Silvain qui, dans les fêtes, portaient sur leurs épaules des troncs d'arbres ,*
comme leur nom l’indique. Id.
Jusqu’à son dernier paragraphe
la loi prescrit mais ne menace pas; aucune peine n’est prononcée contre ceux
qui oseraient contrevenir aux ordres du souverain : tout-à-coup elle change de
langage, et prononce contre certains délinquants la peine la plus redoutable.
Quelles étaient donc ces fonctions si sévèrement mises au bah de la province,
ces fonctions qui attiraient le glaive de la justice sur la tête du citoyen qui
les avait acceptées vel invitum
?
Les expressions Chüiarcha et Centenarius
indiquent des officiers chargés de commander à des compagnies de mille ou de
cent hommes; on pourrait donc croire qu’elles désignent de simples grades
militaires. Mais il est question ici d’une division du peuple en compagnies,
division dont le but était de soutenir les intérêts du paganisme; car s’il se
fût agi d’une association civile ou militaire, ce n’eût pas été une loi dirigée
contre l’ancien culte qui l’aurait dissoute. La peine contre les délinquants
est si forte qu’il fout regarder ces associations comme ayant pris une grande
importance et mis souvent en péril la tranquillité de l’Afrique. Leur ■
existence occulte sert à
expliquer l’audace
du parti païen, ses
fréquentes
insurrections et l’impunité dont il jouissait quand il
avait couvert cette province du sang des chrétiens. Le pouvoir impérial en dissolvant ces dangereuses
associations retira aux païens
d’Afrique
un de leurs principaux moyens d’influence.
En effet, après l’année 4*5
leur audace et leur nombre décroissent sensiblement. Ils disputent encore
contre les docteurs chrétiens, ils s’obstinent, ils contestent, mais ils ne
sont plus redoutables. « Us n’ont
LIVRÉ ix. hoborius.
174 .« pas voulu abahdoader le» idoles, les. idoles leeaüan-
*
r. vni, «donnent1. « Saint. Augustin témoigne sa.joie-de voir
leur ,nombre diminuer*; mais
Salvien tient peu de compte de ces vaines conversions pii
projette ses regards aib-delà.eL n’est frappé que de
là déplorable corruption dnùt tous les membres.de l’église
africaine sont infectés.
*
P- 'S8-
«i Les; peuples barbares, dit*il2, faisaient résonner leurs
armes
.autour- des murs de Cirthe et de Carthage t
ét cependant l’église de Carthage délirait dans les
orques et aé délectait dans les théâtres.* .,.<•■ • ■ ;
■
En l’anüée 4a0
.1es païèns
firerit courir, le.bruit
que là déesse Céleste venait d’annoncer, par. un oraole
que Jet templeb :de la via ,Cœlesti&
seraient bientôt rendus alix. anciens rites. Le
tribun Ursun profita dé- cette occasion pbur fairb raser les temples..qui existaient de^rædict
,ePco,re
® Carthage.-et pàrticuliènement celui die Céleste3,
c. 38. U est.probable que.peu..aprèsisa!
transformation en église ce temple fâmeux avait été
abandonné par les chrétiens. . ■
- t j . •
> ■
Un désastre commun allait envdopper les déux re<- ligionst Si l’Afriiqtie
fut-envahie par les barbares plus -tard que. Ie<;
autres pàvties de l’empire d’Occident ,«!llè paya bien cheriœ faible.avantage, Quatre-vingtmiHe
Vandales conduits par .Geiuériei iaonldènént
l’Afrique an l’année ^28» pillant. Ravageant,.massacrant
tout ce qui se préæntait, devant eux, et. ilsieiurent bientôt fait de cette.riche
contrée un monceau de raines. Du
. Ja-MiiMaHidMsejHiteil,
5^ 68g>&)ietrptarl«M <l'Hippttie, ^uStdutle « Kpopde s^it avecjDpi,
ç’nt qu’il y a.dam cçU?
ville beaucoup de maiaan» u dans lesquelles on. ne
trouve pas un seul païen; et si on cherchait bien on «ttfe*
dééoijvrirWt’’ jhts une* mhidon od lês
chrétiens ne strient en plus grand
! €HA»ITXX X. •. .
:>75
arônbre, infiuv de
villes et. d’églisesqûi y. florissaient^ à peine en
restait-il, trois un ân après l’invasion : belles de
Carthage, d’Hipponb etdeÇirthe!.
L’histoire atgaurdé le souvenir de tous
lés mauX: déversés ' par Geiisénic sûr eétte >églièe infortunée », elle fais le long récit des jjer- sécqtioM inouïes qui FaccaMèeetitj, irfais elle p« dit
pus quedansleur foreûr les
Vandales .aient: invoqué il’aide des païens :i le pagûnisriie res tait enfoui sous
les décos»- bresdèT Afrique[††].
-, ■ A
Il rbsqlte
>de>de bhapitre >êt
.de tout cé.qui « étéÆt relativement
au règne d’Honorius, une vérité qu’ri .importe de proclamer parce qu’elle doit
détruire une erreur très-accréditée.
Encore aujourd’hui les
historiens regardent le règne de Constantin comme l’époque de la ruine des temples
païens en Occident. Les antiquaires fixent habituellement à l’année 331 la
destruction des édifices païens ou leur conversion en églises ’. Cette
tradition dSrinrtîû est erronée. Les lois de
Constantin n’eurent aucun ÀA^cl,?,^
Ann. i834, effet immédiat dans
l’empire d’Occident; celles d’Ho-n«netni, norius rendues à une époque où le christianisme avait p*43
autant gagné d’influence que le paganisme en avait perdu, confiées à
l’exécution de prêtres ardents et dévoués ou de magistrats partisans en
général de la nouvelle religion, reçurent une exécution prompte et rigoureuse,
sinon partout au moins dans les provinces où le christianisme dominait. Alors
on vit fermer, vendre, démolir ou changer en églises les anciens édifices
sacrés du paganisme. Si donc une date pré-
1^6 LIVRE tX.
HOWORIÜS.
cise
est nécessaire j et Ton comprendra sans peine combien l’usage d’une règle
absolue en semblable matière peut causer de méprises, je pense qu’il faut abandonner
l’année. 331, et fixer à l’année 4<>8 l’époque de la destruction ou de la
conversion en églises des tepiples païens de
l’Occident. je ne sais si mes protestations contre une erreur consacrée seront
entendues, mais je suis convaincu qu’elles le méritent, parce qu’elles
s’appuient moins encore sur l'appréciation d’une loi écrite quê
sur l’examen de beaucoup de faits concordants.
Des conciles.
Ces
graves assemblées au sein desquelles lês représentants
de l’église venaient délibérer sur les dogmes, les intérêts et l’avenir de la
religion, exercèrent-elles une influence directe sur la ruine de l’idolâtrie en
Occident ? Telle est la question qui va être examinée dans ce chapitre.
Avant
le règne de Constantin les conciles étaient des réunions illégales et qui
n’avaient lieu que par la tolérance des princes ou des magistrats; elles
cherchaient à défendre l’église et non à attaquer le paganisme, et leur réserve
dans la décision de toutes les matières qui pouvaient toucher aux intérêts de
la religion nationale doit être remarquée. La conversion de Constantin
agrandit beaucoup le pouvoir des conciles, car celles de ces assemblées qui
furent appelées œcuméniques devinrent de véritables assemblées législatives,
contre les empiètements desquelles les empereurs eu- rent
souvent besoin de se tenir en garde1. uv, £ na.
Cependant aussi long-temps que la. liberté des cultes 451’. ’ fut
maintenue, les conciles comprenant ce que la position des princes chrétiens
avait de délicat, s’abstinrent de toute provocation contre la religion
nationale. Ils ne demandèrent pas à Gratien de refuser la robe pontificale, ni
à Théodose de confisquer la solde des sacrifices, ni à Honorius d’interdire les
rites publics :
assurés du triomphe, ils se
tenaient derrière le pouvoir politique et cherchaient à consolider ses
conquêtes.
Depuis le commencement du règne
de Constantin jusqu’à la fin de celui de Théodose un très-grand nombre de
conciles s’assemblèrent ; je n’en vois cependant que trois qui aient porté
leurs regards vers l’ancien culte, et encore ne décidèrent-ils que des choses
qui étaient de leur juridiction.
Le premier concile d’Arles,
tenu en 314/renouvela la défense adressée par le concile d’Elvire aux jeunes
filles chrétiennes d’épouser des païens sous peine d’être ru^Gani»
exclues de la communion1. Cette prohibition resta œil. t. I, sans
p. 100. . z
Le concile de Laodicée, assemblé
en 367, défend aux chrétiens de recevoir les présents que les païens
>Fleury, envoyaient à leurs amis à certaines époques9.
xvn, ia.
Le concjie
Valence, réuni en 374, condamne les chrétiens qui auront sacrifié aux idoles à
faire péni- 3Concilior. • i * *
1.11, p. 905, tence jusqu a leur mort<
can. 3. Quand les empereurs
eurent changé de politique et déclaré une guerre ouverte au polythéisme, alors
les conciles intervinrent pour développer les principes adoptés par le pouvoir
politique. La loi défendait les sacrifices et l’entrée des temples ; ils
voulurent à leur tour expulser des consciences les erreurs enfantées par le
paganisme. A partir du règne d’Honorius, les conciles prennent donc l’attitude
d’un ennemi ardent à compléter sa victoire.
Le troisième concile de Carthâge, tenu eü 397, ren- 4i<L 1.11» dit plusieurs décrets qui méritent
d’être examinés < col. XI10.
* Cependant on ne peut pas dire
comme M. Stuffken, p. 69 : Christiano-
ru* aim Pagtmt nupti* htud illicite fiterunt.
Le dix-huitième porte qu’on n’ordohnera évêques, prêtres ou diacres, que ceux qui auront
converti au christianisme tous les habitants de la maison où ils demeurent.
Ainsi la foi, les lumières et la vertu ne suffisent pas pour arriver aux
dignités du sacerdoce, il faut .encore que l’aspirant apporte à l’église son
tribut de prosélytisme : l’obstination d’un voisin pouvait renverser les plus
légitimes espérances.
Les enfants des évêques et des
clercs ne doivent pas contracter de mariage avec les païens; il leur est
également défendu de fréquenter les théâtres.
Le quatrième concile de
Carthage défend aux évêques de lire les livres écrits parles païens1.
Ces dispositions méritent
d’autant plus de fixer l’attention des historiens qu
elles font connaître la vraie politique des conciles. Elle consistait à séparer
sous le rapport des mœurs et des usages la société chrétienne de l’ancienne
société romaine. L’entreprise était difficile : elle ne réussit qu’en partie,
et je crois que sans l’invasion des barbares elle aurait échoué.
Le concile d’Afrique tenu en
398 alla plus loin que les précédents, car il demanda aux empereurs l’abolition
de tous les restes de l’idolâtrie2 : le caractère audacieux des
païens d’Afrique autorisait, ainsi qu’il a été dit, une semblable demande.
Le septième concile de Carthage
refusa aux païens le droit d’intenter une accusation publique contre les clércs3.
‘En cette occasion les partisans de l’ancien culte sont placés sur la même
ligne que les esclaves, les juifs, les comédiens et les personnes notées d’infamie.
Telles sont les seules
dispositions qui, dans les ca-
>
Concil. t. Il, col.
1201, can.
x5.
a
Id. coL xsx5, can. x.
3
Id. col. 1604.
can.
a.
l8u LIVRE IX. H
ON (JRI U S.
nous des conciles tenus depuis
Constantin jusqu’à Ho- no ri us, se rapportent aux païens. Sans doute elles
sont loin de former une législation complète. Ces assemblées , au sein
desquelles le véritable esprit chrétien s’était réfugié pour échapper à la
corruption générale, ne possédaient pas le droit d’agir directement contre les
partisans de l’ancien culte; elles ne pouvaient que supplier les empereurs
d’ordonner ou de défendre, et trop souvent la cour impériale se montrait mal
disposée ou indifférente à leur égard.
eoooooooQOQooo9oooooo9oettoo«9oocQoootto
De Rutilius Numatianus.
Rome
a été souillée par la présence, des barbares; l’exécution de l’arrêt prononcé
contre l’empire roinain est commencée; il nous
importe de connaître, ce que les païens pensaient dans ces tristes,
conjonctures de leur ancienne gloire, de leur religion et enfin de l’avenir du
monde. Se berçaient-ils encore de leurs vieilles illusions ? croyaient-ils que
la ville éternelle n’avait succombé que par la colère, des dieux justement
irrités? ou bien, éclairés par une cruelle leçon, leurs esprits s’ouvraient-ils
enfin à la lumière?
Un écrit échappé à la plume
élégante de Rutilius Numatianus nous mettra sur la
voie qui conduit à la solution de ces questions. C’est, j’en fais l’aveu, se
montrer très-exigeant que de demander à un poème où est contenu le simple récit
d’un voyage sans intérêt, des lumières sur un doute qui semble ne pouvoir
être résolu que par des témoignages clairs et nombreux; mais on sait combien
est défavorable la position des écrivains modernes qui veulent réunir, comparer
et juger les opinions des païens du cinquième siècle; réduits le plus souvent
à des conjectures d’autant plus périlleuses qu’elles sont tirées du sein
d’ouvrages dictés par le christianisme, ils ne doivent négliger aucun écrit
présenté par un païen, fût-il même en apparence
plutôt léger et futile que sérieux. Les opinions qui couvaient au fond du cœur
des païens se révèlent souvent par un mot, et ce mot il convient de le
recueillir.
Rutilius
fut préfet de Rome en 4*3; j’ajouterai ’TiUemoht,
qu’auparavant il avait été maître des offices, et qu’on Ie
cro^ né à Poitiers1. Uni
par l’affection aux plus cé- raire de lèbres
sénateurs païens, une amitié plus intime l’atta-
France, t. 2, r r
p. 70. chait
a Rufius Venerius
Volusianus. Il voulut, en 417 ou 420, aller visiter les propriétés qu’il
possédait dans les Gaules et s’embarqua au port de Rome : c’est ce voyage qui
fait le sujet d’un petit poeme en deux livres dont je
vais m’occuper.
Je demandais, en commençant ce
chapitre, si les païens conservaient encore leur vieux culte pour cette Rome
que les barbares venaient de profaner : les premiers vers du poème de Rutilius
montrent que la patrie, dépouillée de Son ancienne pureté, était encore pour
eux un objet de vénération. Rutilius sé justifie de
l’avoir quittée un seul moment, et fait remarquer la promptitude de son retour.
Rome est juste et généreuse, elle accorde aux étrangers les mêmes faveurs qu’à
ses propres enfants:
Ordinis
imperio, coUegaramqtie frauntur;
Et partem Genü, quern
Ttenerantur.habent, Quale per œtherios
mundani verticis axes a L j v Connubium summi
credimus esse Dei\
Selon là tradition il compare
toujours, comme on le voit, Rome cette Babylone, cette Sodome des chrétiens ,
à la demeure des dieux.
Rutilius n’osànt
pas attaquer ouvertement la vraie religion s’en prend au judaïsme, et plus à
son aise, il répand sur ce culte des invectives dont il pensait bien
qu’une
part considérable reviendra au christianisme. Il définit Je juif ‘ : *v-384-
Humants
animal dissociale cibis,
La
nation juive* : >v. 389.
Radix stullitice : cuifrigida sabbata cordi,
Sed cor frigidius
relligione sua est.
Il
termine par ces regrets son invective 3 : 3 ▼.
395-
jftque utinam
nunquam Judcea s ubac ta fuisse t
Pompeii
beltis, imperioque Titil Latius excita pestis
contagia serpunt, Pïctoresque
sues natio vicia premit.
Ici l’allusion est claire : Contagia
excisas pestis se rapporte au ‘christianisme que certains païens s’obstinaient
à regarder comme une secte du judaïsme. Je suis surpris que le commentateur de
Rutilius, Wems- 4Poet® La- dorff4, veuille
ne voir dans ce poète qu’un homme mé- mina-
content de ce que les empereurs et particulièrement p* 34. ’ Honorius
accordaient aux juifs de trop grands privilèges. Ce savant insiste beaucoup
sur ce que Rutilius n’a rien dit contre la religion chrétienne. Ignorait-il
donc l’art des insinuations ? Je doute cependant que l’on puisse appeler de ce
nom la qualification de radix stultitiœ. Le rang que Rutilius occupait lui imposait
des ^ménagements, et l’on va voir s’il a toujours eu le talent d’en garder*
La vie monastique était alors
dans sa plus grande vogue eu Occident. Le christianisme établissait par* tout,
contre l’orage qui commençait, des abris pour la civilisation. Pilote éclairé,
saint Jérome ne cessait de prêcher aux fidèles la
fondation des monastères;
c’est dans le moment même où il
écrivait à Paulinus sa lettre De institutione monachi, et à la vierge Eustochius
celle De custodia virginitatis,
que Rutilius voyant dans Pile de Capraria des moines
les insulte de la ma- iL_.i,v.44i.
nière suivante :
Jpsi se monachos Graio cognomine dicunt, Quod soli nullo vivere
teste volunt. Mitnera fortunœ metuunt, dum damna verentur. Quisquam sponte miser, ne miser esse queat? Queenam perversi rabies tam slulta cerebri, Dum mala formides, nee bona passe poli? Sive suas repetuntex fato ergastula paenas ; Tristia seu
nigro viscera felle tument.
Cette sortie ne lui suffit pas
; il rencontre dans File de Gorgone un homme qu’il avait autrefois connu, et
qui depuis s’était voué à la vie solitaire. Voici comme aL.i,v.5i8.
il qualifie cette conduite que l’église admiraita
:
Perditus
hic vivo funere civis erat.
Noster enim nuper,juvenis majoribus amplis, Nec censu infçrior, conjugiove minor, Impulsus furiis, homines divosque reliquit, Et turpem latebram credulus exsul amat. Infeïix
putat illuvie cœlestia pasci; Seque premit lassts
sœvior ipse Deis. Nunc, rogo, deterior Circœis secta venenis ? Tune mutabantur corpora, nunc animi.
A la vérité Eunape
va plus loin que notre poète, car il dit que les moines n’ont des hommes que le
visage r et que leur manière de vivre est celle des pour-
5T.i,p.44.ceau*3 s n’existe-t-il pas cependant une grande conformité d’opinion
entre le sénateur romain et le rhéteur grec ? L’aversion pour les institutions
du christianisme n’est-elle pas aussi forte chez l’un que chez l’autre?
Cependant Wernsdorff
ne voit encore !à rien qui ait rapport au christianisme1 : «Chrittianœ religioni,Aït‘\\, «
nihil adversum dixit Rutilius; » puis il se livre
à des déclamations philosophiques sur la vie monastique, déclamations
très-convenables au siècle pour lequel il écrivait, mais qui, appliquées au
cinquième, sont difficiles à comprendre. Quand Rutilius dit d’un homme qui a
cédé aux enseignements du christianisme et s’est retiré du monde, qu’il fut
inspiré par les Furies, ce n’est pas, avouons-le, ne rien dire contre le christia* nisme.
Si nous joignons à tous ces
témoignages d’obstination païenne les déclamations contre Stilicon à propos de
la destruction des livres sibyllins*nous aurons
a
Je ne sais pourquoi Wernsdorff a entrepris dans son
VIIIe Excursm de justifier Stilicon
des accusations portées contre lui par le poète Rutilius. La destruction des
livres sibyllins ne peut surprendre de la part dLun
homme qui avait dépouillé le Capitole de ses ornements, et qui selon le besoin
des circonstances frappa le paganisme et le christianisme avec une indifférence
égale.
La plus forte preuve de Wernsdorff consiste à dire que Zosime ne mentionne pas un
fait aussi remarquable. Zosime n'a pas, dans son Abrégé, raconté tout ce qui
arriva sous Honorius, et son silence ne peut prévaloir sur le témoignage
positif d'un contemporain de Stilicon, d’un homme qui sous l’administration de
ce ministre avait pris part au maniement des affaires.
Wernsdorff
pense que les livres sacrés furent brûlés en exécution d’uue
loi rendue par Honorius, sans doute à la suite de toutes les fausses
prédictions sur la chute du christianisme répandues par les paiens
en 398 : cela est assez probable. Cette explication toutefois ne constitue pas
Rutilius en .faute; car il est justifié par cette observation, que tous les
actes d’Hono- rius eurent
réellement Stilicon pour auteur. RutiJias était en
position de savoir comment les choses se passaient à la cour impériale, il
dirigea donc ses attaques contre le véritable auteur de ce qu’il regardait
comme un sacrilège.
Quant à la loi qui aurait été
rendue, on n’en trouve nulle trace, et je doute qu’elle ait jamais été publiée.
Il ne faut pas attribuer au pouvoir législatif une influence plus grande que
celle dont il jouissait réellement alors, et surtout ne pas croire que les
empereurs ne pouvaient rien faire qu’à l’aide des réuni assez de témoignages pour pouvoir dire que Rutilius
, désespérant du succès de sr cause « abandonnait des
ménagements inutiles et donnait un libre cours à ses passions. Ce changement
fut général parmi les païens, et si le temps avait épargné tous les écrits publiés
alors dans l’empire, nous en trouverions plus d’un qui ressembleraient à celui
de Rutilius.
» T. IV, p. 35.
» V. p. 3o.
lois. La puissance absolue des
Augustes donnait à l’expression de leur volonté le caractère d’une loi.
Gratien en refusant la robe pontificale détruisit lé souverain pontificat : il
ne se donna pas la peine de promulguer un édit sur ce sujet. Le paganisme périt
en Occident moins par l’effet de lois écrites que par des actes individuels.
Les choses ne se passèrent pas tout à fait ainsi en Orient, où le paganisme
plus religieux que politique dépendait moins des circonstances, et par
conséquent plaçait ses adversaires dans la nécessité d’employer quelquefois
contre lui des moyens violents.
99999999999999999999999999999999999999
De la population
païenne de l’empire romain
En
commençant ce chapitre je crois devoir déclarer que je n’ai nullement la
prétention de résoudre un des problèmes les plus difficiles de l’histoire
ancienne, problème que je suis même porté à regarder comme insoluble ; mais
j’ai pensé que, dans un ouvrage où rien de ce qui se rapporte à l’état des
païens aux quatrième et cinquième siècles ne doit être omis, je ne pouvais me
dispenser de faire quelques tentatives pour approcher autant que possible de
la vérité, et pour prouver par l’inutilité de mes efforts la difficulté du
sujet.
Nous ignorons absolument à quel
nombre s’élevait la population de l’empire romain pendant le quatrième siècle,
à plus forte raison devons-nous être dans l’incertitude relativement à la
proportion existante entre la population païenne et la population chrétienne»
Notre ignorance sur ce point est d’autant plus naturelle que certainement les
chefs de l’empire, malgré toutes les améliorations.introduites
dans le régime intérieur de l’état par Dioclétien, ne devaient guère être plus
instruits que nous ne le sommes. Pouvait-on tenir un compte exact de tous les
changements de religion qui s’opéraient ou au grand jour ou dans le secret des
familles'? Savait-on, dans un pays où l’on changeait
>P. aix
a.
’C. 37. p. 3o.
de foi quolidie
, combien parmi les convertis il y avait de gens qui persévéraient dans
leurs croyances nouvelles, combien qui revenaient aux idoles? Jamais calcul
n’aurait été* plus incertain, jamais recherche de statistique n’aurait reposé
sur une base plus fragile.
Les chrétiens néanmoins ne
tinrent aucun compte de cette incertitude, et dès le deuxième siècle, ils déclarèrent
hardiment qu’ils formaient la majorité des citoyens de l’empire. Je ne
rechercherai pas le but que les chefs de l’église se proposaient d’atteindre en
proclamant un fait dont il était si facile de prouver le peu de fondement ; je
me bornerai à montrer que cette étrange assertion fut soutenue par des hommes
dont la voix était à juste titre puissante parmi les chrétiens.
Saint Justin martyr, qui mourut
vers l’an 167, s’écrie dans son dialogue avec le juif Tryphon ’ : « 11 n’est
point de peuple parmi les Grecs, ni parmi les barbares, ni dans aucune race
d’hommes, quels que soient son nom et son caractère, quelque ignorant qu’il
puisse être dans les arts ou dans l’agriculture, qu’il habite des tentes ou des
chariots nomades, il n’est point de peuple, disons-nous, qui n’adresse au nom
de Jésus crucifié des prières au père et au créateur de l’univers. »
Tout le monde connaît le
passage de V Apologétique, où Tertullien représente les chrétiens
remplissant les bourgs, les campagnes, les îles, et pouvant, s’ils se retiraient
en quelque autre pays, laisser l’empire romain dans une affreuse solitude3.
Jamais orateur n’employa une plus excessive hyperbole.
Origène, contemporain de
Tertullien, reconnaît au contraire que la multitude de fidèles était peu
considérable, comparée à celle de idolâtres1.
« Contra Celsum,
1. VIII,
Eusèbe reprit et développa
l’assertion de Tertullien. Dans tous ses écrits il ne considère les partisans
de l’ancien culte que comme une petite poignée de fanatiques, témoignant par
leur nombre restreint des rapides et glorieux progrès de la vérité. Il était
plus excusable dans son exagération que Tertullien, car pendant le cours du
troisième siècle, le nombre des chrétiens avait beaucoup grandi, mais pas assez
cependant pour qu’il fût permis de ne plus tenir qu’un faible compte des
païens.
Sous les premiers princes
chrétiens l’église ayant intérêt à ce que le principe de la tolérance religieuse
fût aboli, ne cessa de répéter que les chrétiens étaient incomparablement plus
nombreux que leurs adversaires. Les pères de l’église d’Orient insistèrent
cependant beaucoup moins sur ce point que ceux de l’église d’Occident, quoique
les païens fussent plus puissants dans cette dernière contrée que dans la première.
En admettant comme base du calcul
le témoignage de Tertullien ou seulement celui d’Eusèbe, on devait arriver à
cette conclusion, savoir, qu’il n’exsitait plus, pour
ainsi dire, de païens dans l’empire à l’époque du règne d’Honorius ; cependant
les pères de l’église latine n’osèrent pas aller jusque là, et au risque
d’ébranler l’autorité de leurs prédécesseurs, ils avouèrent que le parti païen
existait encore, mais faible et très-peu nombreux.
Saint Augustin représente
souvent l’église comme
remplissant le monde entier : Toto
terraruni orbe diffusa, exceptis
Romanis et adhucpaucis Occiden-
•
n,
143^. taUbus'*.
•
iv, 5$o
e. Saint Ambroise disait3: Ex omni gante, ex omni
conditione
adoptantur quotidie milita senum, milita juvenum, miltia parvulorum, et effectibus gratice christianœ etiam ipsa qttibus mundus
atteritur arma famulantur.
Saint Jérôme est, en général,
peu enclin à exagérer le nombre et la puissance des chrétiens, il juge avec
beaucoup d’impartialité la situation des deux religions, et ne fait, par
exemple, aucune difficulté de reconnaître que les Gaules et la Bretagne
étaient, à l’époque ÎIV> »gP»
où il écrivait, encore sous le joug du paganisme3.
Ainsi, au commencement du
cinquième siècle, les chefs de l’église, tout en célébrant le triomphe décisif
de leur cause, admettaient implicitement l’existence d’un nombre assez
considérable de païens.
Les historiens ecclésiastiques
qui écrivirent sous le règne de Théodose II, reproduisirent, pour les quatre
premiers siècles de l’église, les assertions les plus exagérées en tout genre
qu’ils trouvèrent dans les historiens antérieurs ou qu’ils reçureht
par voie de tradition. L’hyperbole de Tertullien devint pour eux une des
données du problème, mais contrariés par l’ensemble des faits, ils tombent
souvent dans de surprenantes contradictions.
L’erreur relative au nombre'
des chrétiens s’établil donc dans l’histoire comme
une vérité reconnue, et il faut arriver aux temps modernes pour apercevoir la a
Le titre de Servut Dei Ecckùte
catholicœ toto orbe diffusât ne fut pris ha* bituellemenl par les clercs qu’à partir du milieu du
cinquième siècle.
’9* critique faisant pénétrer
quelques lueurs de lumière dans les éléments de ce problème si difficile à
résoudre. Tillemont cite le mot de Tertullien sans l’accompagner d’aucune
observation, d’où l’on peut conclure qu’il n’était pas éloigné d’admettre
l’opinion de ce père de l’église africaine*.
D
t t.
III, p. ii 5,
Selon
l’historien Lebeau, sous Dioclétien la multi- 8o5. tude
des chrétiens pouvait balancer les forces de tout l’empire®. »T.i,p.i5.
Spanheim
est à ma connaissance le premier savant moderne qui ait entrevu et signalé
l’erreur de ces évaluations. En traitant du règne de Julien il dit3
: Gen- opp?pnrf.
tiles tamen
numéro longe adhuc prcevalebant. p* ’•
. Mosheim en parlant du règne de Constantin dit qu’à cette
époque muliitudine ac
numéro deorum cultores 4
Rebuj chrislianis
longe superiores fuisse^. ch^^nte
Labasfie,
dans son quatrième Mémoire sur le sou- p. 979- verain
pontificat des empereurs romains, n’accorde à la religion chrétienne que le
douzième ou peut-être le vingtième de la population totale de l’empire sous ^e
$Ae>d règne de Constantin3.
Gibbon adopte cette dernière inscript, évaluation et
s’efforce de l’appuyer sur quelques calculs6.
5
Acad,
des
t.XV,p".
77.
6
Hist. de la Décad.t.IU, p. I2i-i3a.
7 P. 73.
M. Stuffken
admet qu’au commencement du règne de Théodôsé magna
GentiUum supererat multitudo 7, et qu’à la fin de ce règne ingentem Pqganorum mul- titudinem superfuisse*.
8
P. 95.
« Le seul fait que nous
voudrions établir, dit l’auteur d’une Histoire de l’église chrétienne
publiée récemment 9, est celui qu’au moment où Constantin embrassa la cause
des chrétiens, les païens formaient encoee<une
notable minorité dans l’empire, et qu’en évaluant à
9 Matter.
1.1, p. 120.
une trentaine de millions les
diverses populations qu'il gouverna, le cinquième au plus . professait le chris- tianisme quand il publia
son édit de tolérance. »
Le même auteur nous apprend
qu'un rapport présenté à la société biblique d'Angleterre fixe à cinq millions
le nombre des chrétiens à la fin du troisième * id. p. Ï19. siècle
1 ; ce chiffre est plus élevé que celui résultant des calculs de Labastie et de Gibbon.
Je 11e pense pas que l’on
puisse commettre une erreur grave en admettant ces évaluations; cependant, je
ne me crois pas, pour ma part , autorisé à me déclarer en faveur de l'une
plutôt que de l'autre. Il me semble au contraire que le meilleur moyen d’arriver
à un résultat vrai, est de ne point sortir des généralités et de se contenter
d'une évaluation approximative. Je vais donc simplement prouver que pendant le
cinquième siècle le nombre des païens était encore très •considérable.
On comprend' les conséquences de cette démonstration relativement aux quatre
siècles qui précèdent celui dont nous nous occupons.
Lorsque saint Augustin disait
que de son temps les idoles n'avaient plus pour adorateurs que les habitants de
Rome et quelques occidentaux, il s'abandonnait à l'empire des illusions, ou il
raisonnait d'après des renseignements très-peu exacts; Les Gaules, la Germanie
et la Grande-Bretagne étaient des provinces païennes dans lesquelles le
christianisme commençait, il est vrai, à se répandre, mais difficilement et
avec une grande lenteur. S'il avait plus de succès en Espagne, certes il n'y
dominait pas. Les villes de l'Italie appartenaient sans doute au
christianisme, mais dans le nord comme dans le midi de cette contrée, les cam-
193 pagnes et les pays de
montagnes persistaient obstinément dans leur attachement aux anciennes
croyances. La Sicile ne fut réellement conquise par le christianisme que vers
la fin du cinquième siècle. Quant à l’Afrique, il est certain que les
chrétiens y étaient en minorité. Tous ces faits, je me borne à les énoncer,
parce que la vérité des uns a déjà été démontrée et que, celle des autres te
sera plus tard. Je le demande maintenatit, comment
croire que l’ancien culte n’avait plus pont défenseurs que tes Romains et un
petit nombre d’Occidentaux ? Si les partisan^ de l’erreur eussent formé une
faible minorité, comment aurait-on pu , ainsi qtfe 1e
dit saint Ambroise , en convertir tous les jours des milliers ? Une si énorme
soustraction ne s’opérait pas, sans doute , sur un nombre imperceptible, tel
que celui indiqué par saint Augustin.
Prouvons que tous > les
écrivains chrétiens ne comptaient pasteurs adversaires de la même manière que
l’évêque d’Hippone.
Salvien oppose aux Francs
connus pour leur facilité à sie parjurer, les
chrétiens dont la parole n’est pas
* 1 ♦ ' .1 . , r
. , ,'DeGtiber-
plus siure,
et il ajoute t Çuid mirum
hoc barbari nati.iv, ita credtm^qui
legem et&eamw$ciunt,curnmajoré'87 fcre
Ramàtii nominis pôrtio ita existimet,
quœ peo* carc sê novit?
Voici dôno tes chrétiens qui, opposés aux barbares et
aux païens par un écrivain postérieur à 6aintAugustin, ne sont plus que major
fère Rommi honlüus partie. Le prêtre de Marseille n’ose pas
affirmer qu’ils soient supérieurs par le nombre aux païens; dans son opinion
les deux religions ont à peu près la meme quantité de
partisans, ou bien si te
II. i3 *
christianisme l’emporte, c’est
de très peu, major fere.
L’auteur d’un livre De vera et
falsa pœnilentia, faussement
attribué à saint Augustin, mais écrit pendant qu’il vivait, blâme les gens qui
par cela seul qu’ils sont chrétiens se regardent comme assurés de leur salut et
ne font rien pour le mériter : « Putant Ang.
Opp. . . - , ,
iv,5i3c. nemm,
ajoute-t-il, omnes chrislianos
paucos esse « in multitudinegentiumet
judœorum'. «L’écrivain chrétien ne dit pas que ce
calcul soit faux, il cherche seulement *à prémunir les chrétiens négligents
contre les conséquences qu’ils veulent en déduire, car ils ajoutaient: n-Quare etsi omnes
salvantur credentes,pau- « corum tamen est- eiectio in tanta multitudine. » Ainsi les païens et les juifs sont tanta multitudo, lorsque
les chrétiens ne sont plus que paMci.
Remarquons que l’auteur anonyme nous présente ee
fait non comme une observation qui lui est propre, mais bien comme une
objection habituellement employée par les mauvais chrétiens pour excuser leur
insouciance.
L’assertion de saint Augustin
est donc peu fondée relativement à l’Occident; quant à l’Orient, elle me paraît
l’être beaucoup moins encore. En effet il n’admet pas qu’il y ait de païens
dans cette partie de l’empire ; Romani etpauci
Occidentales, tels sont les seuls amis des idoles qu’il aperçoive.
Il est naturel de porter nos
regards sur la capitale de l'empire d’Orient et de rechercher s’il existait en-
a
Cantium a évidemment ici le sens de Gentiüum; car si Gentium
s’appliquait à toutes les nations en général, les Juifs auraient été compris
dans cette dénomination, et l'auteur se serait cru dispensé de les citer
nominativement. core des païens dans cette cité fondée, dit-on, selon dçs vues purement chrétiennes.
Saint Jean Çhrysostôme
monta sur le siège épiscopal de Constantinople en l’année 398. A peine
installé, il s’occupe de régler les dépenses de son église, et cherche à faire
tourner au profit des pauvres des sommes . jusque-là mal employées. Il met sous
les yeux des riches plusieurs calculs, et dit1 que si tous les
païens >Opp.t.ix, vendaient leurs-biens, on
obtiendrait certainement un, deux, peut-être trois millions de livres d’or,
< car il « y a bien cent mille chrétiens dans cette ville ; le reste < se
compose de juifs et de païens (và xa*
&lo « vœv xai lou^aluv.) »
p.®3.
Selon Sozomènes,
Constantinople, en l’çm- portait sur Borne par ses
richesses comme par sa population Zosime confirme cette assertion3.
Qn peut donc donner à la capitale de l’Orient environ
quatre cent'mille habitants j car, au commencement du
cinr quiéme siècle,, Rome
elle-même n’ayait pas pne
population moindre; et nous arrivons à cette conclusion, que dans la capitale
de l’Asie', dans-cette ville fondée sous l’inspiration d’idées anti-païennes, les chrétiens ne formaient pas le quart de
la population totale 4.
«II,
a. 3 n, 36.
4
Cf. Muller If 34 if» Sluiïken, p. 100.
Si de
Constantinople nous passons à Antioche,. jp.us trouvons, il est vrai, moins.de païens,
mais nous ç# apercevons $açoj*e. Selon, sajnt Jean Çhrysostôme, la
multitude des fidèles, surpassait dans cette ville le nombre des juifs et des
païens. Cependant les chrétiens ne formaient encore que la plus, grande partie
de la population, -co «X4ov tV)î 5.
5 T. I, p. Î9’>
Il est aisé fie voir., malgré
tout ce que disent les .his-
, i3.
196 LIVRÉ IX. ItONdhtüS.
toriens
ecblésiastiquèsy que lefe
païens étaient plus nombreux à Alexandrie que les Chrétiens ;• Car dans les
combats qu’ils sê livraient les uns aux autres l’a- Vantage restait toujours aux premiers, et les chrétiens ne
reprenaient le: dessus qu’au moyen de l’intervention ’Stuffken, des soldats1.
P Gaza était une ville purement païenne, ün chambel-
’ ' ’ lan de la cour impériâlé,
sollicité par Porphyre évêque de Gaza, prie l’impératrice Eudoxie d’obtenir d’Arca- diùs la permission de
renverser les temples de cette ville. Arcadius répond qu’il ne peut y
consentir, pàrcé que la destruction des temples
ferait fuir les païens et ttrum.aT" que Gaza
resterait dépeuplée3. -
fe|‘4Pj_^2
’ **• Le paganisme aboli dans la Basse-Égypte par Théo- do$e
së maintint dans la Haute jusquë
vers le milieu 3utr^ne, du sixième siècle5.
P On voit donc qu’en Orient le nombre des païens
était encore très-considérable,
et qu’il n’est pas permis d’admettre la proposition absolue de saint Augustin.
' Si de
l’examen du petit nombre de faits que les écrivains fournissent bn s’élève à la considération générale de l’époque , on
acquiert la conviction que le parti païen formait dans les deux empires une
secte aussi redou- '’’ ' table par le nombre de ses
soutiens que par son opiniâtreté. Comment concevoir que les conciles, les empereurs
et les plus célèbres 'docteurs chrétiens se seraient coalisés contre quelques
fanatiques qui auraient été dignes tout au plus de leur dédain ? Saint Augustin
l’écrivait apparemment pas sa Cité de Dieu pour les . „ habitants de Rome ni pour quelques
Occidentaux.
Si nous pénétrons dans
^intérieur des familles, nous
CHAPITRE Xlll.
>97
y aper#eyqn% qqe diversité $le eroyancps
religieuses e| une sorte de lutte intestine qui établissent çfeir^neiU
la force numérique des païens» •,.■■■:
i
Tertullien
avait dU dans le sens figuré : Fiiwt
MHl nascuntur chrtàiani/ saint Jérôme s'empare, cqeuuw nous l’avpns vu1, de
ce mot, mais, il I emploie au ;po- sitif ;
il énonce en parlant à Læta un fait dont cette
illustre dame trouvait dans sa propre famille deux preuves sensibles, puisque
son père était encore ppqtife des idoles, et qpe son mari axait été longrtemps
remarqué parmi les plus ardents détracteurs du christianisme. Si, au
cinquième siècle, on ne naissait pas chrétien , ç’est-à-dire si le
christianisme n’était pas encore assez profondément enraciné pour se
transmettre san^ difficulté du père au fils, si enfin l’église comptait air tentivement les conversions qu’elle obtenait, elfe n’avait
donc pas. atteint le but de ses. efforts, car la lutte durait toujours : il
faut qu’il y ait .guerre pour que |’o* calcule les pertes de l’ennemi,. , -,. H
« p. 95.
Le principe posé par saint Jérome trouve dans l’histoire de nombreuses applications*,
et en y réfléchissant on conçoit qu’il ne pouvait guère en être autrement.
Constantin imprima à la destruction du paganisme un mouvement rapide, mais il
ne put, par l’effet de sa seule volonté , changer les idées de ses
contemporains, renouveler leurs mœurs et anéantir brusquement tous leurs
préjugés. Cette œuvre appartenait au temps ; il fallait les efforts de plus
d’un siècle
.* Saint Paulin, saint Aper, saint Hilaire, sainte Olympiade, saint Honorât,
saint Martyr, saint Alexandre et peut-être même saint Jean Chrysos-
tôme appartenaient à des familles païennes.
Ïg8 LIVÀE IX. BONÔftlUS.
pour conduire le christianisme
à être véritablement la religion universelle.
Les recherches auxquelles je
dois encore me livrer prouveront qu’il existait au commencement du cinquième
siècle un noriibre considérable de païens répandus
dans toutes les provinces de l’empire romain. Quand la victoire du
christianisme ne fut plus douteuse, quand cette religion maîtresse du présent
fut assurée de l’avenir, alors ses chefs considérèrent froi*
dement les passions, les erreurs et le nombre de ses
adversaires; ils crurent inutile d’enhardir les chrétiens en diminuant
arbitrairement la puissance de leurs ennemis, et la réalité fut publiée parce
qu’elle n’avait plus rien de décourageant. Il est assez curieux de remarquer
que les écrivains et les orateurs chrétiens des cinquième et sixième siècles
semblent, dans leurs écrits et dans leurs discours, accorder au paganisme plus
de force réelle et un plus grand nombre de partisans que leurs prédécesseurs du
quatrième siècle.
LIVRE DIXIÈME.
VALENTINIEN III.
—------ —i
aHH'W""
CHAPITRE PREMIER.
Considérations
générales.
L’histoire
dé la destruction du. paganisme en Occident se divise en trois époques dont
les limites sont faciles à reconnaître : la première comprend les règnes de
Constantin, dé Constance, de Julien, de Jd- vien et de Valentinien. Pendant sa durée les empé-t reure chrétiens-s’appliquèrent'à faire régner datlsieuts
états une liberté complète des culteis, moins par respect
pour le principe de la tolérance religieuse, qu’âfin
de diminuer- l’étdndue des prérogatives dont
jouissait l’ancien culte national et les périls d’une si grave transition. La
seconde période est remplie par les règnes de Graiien-,
de-Théodose et d’Honorius. Assurés dtf triomphe', ces
princes rejettent les ménagements gardés par leurs prédécesseurs; et après
avoir détrôné ,1e paganisme, ils le réduisent à ne plus avoir d’autre asile que
la eouseience individuelle. La troisième période
commence au règne de Valentinien III, et se prolonge jusqu’à celui de
Charlemagne : pendant sa
200 <JVBE HL VALENTINIEN 111.
longue durée on admire les
efforts des souverains , des conciles, des papes et-des évêques pour détruire
une multitude d’usages K décrites et de superstitions répandus dans
toute l’Europé par la- religion des Romains. Deux de
ces époques viennent d’être décrites. On a vu le principe de la liberté des
cultes implanté dans l’empire romain se développer graduellement et amener
enfin la chute, d’upe, religion, que sa vieillesse et
les attaques du christianisme avaient sans doute fort affaiblie, mais qui cependant
régnait encore par les mœurs sur un nombre très- considérable de citoyens. La
politique des premiers empereurs chrétiens, d’abord timide et circonspecte,
puis plus décidée et enfin ouvertement hostile, est dans ses diverses phases
un véritable, modèle d’habileté. Refuser à cette politique si bieu appropriée au caractère des époques, le mérite d’avoir
décidé te triomphe des doctrines chrétiennes ; supposer que . ces doctrines
auraient pu devenir aussi prompteiftept dominantes
sans son secours j ce serait méconnaître tes obstacles que suscitent toujours À
la propagation . de Ja vérité Jpa
préjugés t. l’igno^ raqce
et la crainte du changement. Si? Constantin et Théodose avaient été ennemis de
la vraie religion autant qu’ils le furent de la fausse, le christianisme n’en
serait pas moins parvenu àu degré de< grandeur que
hientàt noüSr le verrons
atteindre, taiais il aurait eu encore hien de$ jours funestes à traverser.;,d’autres
Dioclétien. ,et plus,, d’un Julien se seraient sans doute présentés sinon pour
^fréter, au moins pour ralentir ses; progrès, Constantin et ses successeurs ont
hâté de plusieurs ; siècles la ruiné du paganisme: cette vérité çst incontestable* Maiâicé grand
événement était dans
CHAPfTBB V ! . fcOf
les décrets de la Providence long-temps* avant le fils de .Constance Chlore eût déserté les'autels dbÿ faux dieux. La
lutté religieuse dont nôus venons'de
décrire Jes deux premières époques témoigne clairement
que. l’ancien culte disposait seulement de^ce reste
de force dont jouissent, presque jusqu’à l’irtstarit
de leur mort, les religions qui ont, pendant une longue suite de siècles,
dominé des nations puissances: Si j’insiste sur cette vérité, que les premiers1
em*» pereurs chrétiens ont
renversé une religion déjà affaiblie par sa corruption et sa vieillesse, ce
n’est pas qué je prétende diminuer la grandeur des
services rendu» par ces p inces à la cause de la vérité
; mais on a émis sur ce sujet des opinions si étranges, si complètement
fausses, qu’il était de mon devoir de saisir l’occasion de les exposer et de
les combattre.
Un écrivain, qui a exercé
quelque autorité dans les discussions théologiques du dix-septième siècle, mais
qui, bien que protestant, connaissait assezpeu oudé-* naturait l histoire des
premiers siècles de l’église, Jurieq prétend que sans
le* empereurs chrétiens le paganisme existeraitencorea^/bz/n/’Àrz/. Si cette pernicieuse
erreur était restée cachée dans des ouvrages que personne ne fit plus, je
n’aurais certes pas pris la peine de' l’exhu** mer;
mais ce que je meserais interdit de faire, Bayle l’a
fait, et en plaçant le;paradoxe de Jurieu dans son Dictionnaire
historiquer,
il lui a dopné une publicité « v® Maho-
durable contre laquelle il m’est commandé de <ré-meL
note °’ clamer.
« Peut-on nier, dit le ministre
protestant2, que le 2 Droits des « paganisme est tombé
dans le monde par l’autorité rams, « des empereurs romains? On peut assurer
sans témc- p‘
«rite que le.paganisnie
serait encore debout et que « les trois quarts de l'Europe seraient encore
païens, si « Constantin et ses successeurs n'avaient employé leur « autorité
pour l’abolir. »
. Cette idée
lui paraissait si juste, si bien prouvée et > Tableau 8* P®u conte8table, qu’il la reproduisit
dans un autre du Mcinia- ouvrage, où il dit1
: « Sans l’autorité des empereurs, * il est indubitable que les temples deJupiter et de Mars «.seraient encore debout. ».
. J’ai déjà eu , dans le cours
de cet ouvrage, bien des fois l’occasion de montrer que le paganisme, au çom- mencement du quatrième sièclé, avait une existence purement factice, qu’il tirait
cé qui lui restait de force de l’habitude, ét que la
possession faisait toute sa puissance. Ses plus chauds partisans lui restaient
fidèles, moins par ud sentiment véritable de piété que pâr
haine contre le christianisme; ét les dééots païens, tels que l’empereur Julien et Symmaqué, tombaient dans le décduragementquand
ils considéraient le peu de foi réeilë de ceux dès.
citoyens de l’empirequi semblaient partager leurs
illusions. Où donc l’ancien culte, si décrié dans l’esprit même dé ses
défenseurs, aurait-il puisé cette vitalité nécessaire pour parcourir h longue
carrière qui restait ouverte devant lui .si Constantin n’eût pas abjuré? Ce
prince, en se convertis* sant, multiplia les périld qui pressaient le paganisme, ' mais il ne les fit
pas naître ; et s’il ne s’était point converti, aurait-il pu empêcher que les
croyances helléniques et les rites nationaux eussent perdu leur empire sur les
consciences, et fussent par conséquent destinés à une. destruction plus Ou
moins prompte ?
Lorsqu’une religion porte en
elle-même sçs prin-
CHAPITRE I.
îo3 capes de vie, elle révèle
sa puissance en dépit des lois et des princès.
L’histoire même de la destruction du paganisme offre une application frappante
de cëtte vérité. L’ancien'culte,qui
ne fut défendu par les classes élevées de la société que dans des vues
d’intérêt , était puissant dans les campagnes; là il trouvait des convictions
sincères, un dévouement complet, et du fanatisme au besoin : aussi lés lois
des princes chrétiens et les efforts infatigables de l’église, furent, pendant
plusieurs siècles, insuffisants pour déraciner du cœur des paysans l’amour des
superstitions païennes. Si toutes les classes de la société avaient été autant
que celle des habitants des campagnes attachées, aux anciennes erreurs, ces
erreurs sé seraient maintenues malgré Constantin et
malgré Théodose. Beaucoup de causés concoururent à renverser le culte romain ;
mais - là première de toutes, celle qui fit naître les autres, fut la
décrépitude de cette religion.
La ruine des institutions
religieuses du paganisme ne fut donc pas une œuvre très-difficilé
à accomplir, et le succès de l’entreprise n’a pas été un mo ment incertain; la
durée de la résistance ne dut même pas excéder de beaucoup les prévisions des
princes chrétiens. Lorsque Gratien dépouilla le sacerdoce , quand Honorius
ferma les temples, il y eut de l’agitation dans l’empire et beaucoup de
plaintes, mais en définitive le sacerdoce resta, dépouillé et les temples
demeurèrent fermés. Quand s’est agi de répandre le christianisme dans les
campagnes, au milieu d’une population grossière, cruelle et pleine d’un amour
sauvage pour ses dieux,' alors la conscience et les mœurs firent 'résistante ,
et on he parvint à les
?q4 LIVRE
X. VALENTINIEN 111.
dompter
qu’en usant des plus/grande, ménagements. Pour, traverser,je
culte' extérieur des Romains,' ce > Lactent de
culte damnatus qefujitate1,
il ne fallait que,de la dé- Mort. c. ii. c—phabifeté; L’assertion de Jurieuest
donc# SQüs quqlque aspect
qu’on l’envisage, ünfe hérésie fiia^
torique très-condftmtiable. 1
Le règne, de Valentinien III
est le point de départ d’une lutte nouvelle entre; le; christianisme et l’ido-
latrie. Le paganisme considéré comme institution religieuse> et ayant à ce
titre# des temples, un sacerdoce et des richesses, n’existe plus. Cependant pii trouve encore partout des païens; et telle est l’pbstination de ces derniers partisans de l’ancienne erreur
qu’ils sont déterminés à ne tenir aucun compte de tout ce qui a été fait contre
leur religion depuis le règne de Constantin jusqu’à celui d’Honorius.. On 3
dépouillé les temples et les pontifes : ils se passeront de temples et de
pontifes et mettront le pouvoir politique dans le cas de déclarer la guerre aux
consciences, guerre dangereuse que celui-ci aura la sagesse de ne pas
entreprendre. Qn voit combien une religion si affaiblie
et sj corrompue qu’on la suppose est habile à se
métamorphoserai par quels moyens variés elle sait s’attacher au* mœurs,
c’est-à-dire à l’élément soçial qui se prête Je moins
aux modifications.; $aint Augustin a eu raison de
dire que le paganisme ne pouvait être détruit qjïe
lentement, peu à ;peu, paulatun atque alterna- 3iii, 7 «. tim\
Cette vérité ressort de tout ce que j’ai dit, elle ressortira davantage encore
de ce qui me. reste à dire.
Pendant tout l’espace de temps
embrassé par le règne de. Valentinien III;, c’est-à-dire depuis l’année jusqu’à
l’an Zp5, l’ancien culte se montre à nous
CHAPtTAÉ I.
uo5 sous deux aspects
différents : dans CeHgins éndrôits
il se condamne à une existence secrète; en d’autres il persiste à sfr montrer au grand j$ur, et Ue fait'pas âüx
circonstances et aûx lois rendues contre lui la plus
légère concession.
“ A Rome et dans les autres
grandes villes , lé paganisme placé sbùS la
surveillance des magistrats, et continuellement exposé aux attaques des
chrétiens, se retire dans l’intérieur des familles, il devient pour ainsi dire ésotérique.
Saint Augustin parlait des partisans de ce nouveau paganisme lorsqu’il disait1
: « Quand ils veulent sacrifier, ils cherchent un endroit « pour se cacher. »
Ils se cachaient, mais ils sacrifiaient; ce qui montre que les lois des
empereurs commandaient -aux actes extérieurs et non aux consciences, qu’en un
mot elles avaient, comme on l’a déjà dit, devancé les mœurs. Cette situation
humble et embarrassée de la religion païenne était-elle contraire à la nature
de ce culte ? Le paganisme avait-il besoin du grand jour pour respirer et pour
vivre? Je vais répondre à ces questions.
’T.rv,
p. 167 a.
L’essence primitive du
paganisme était purement cérémonielle. Ce culte imposait à ses sectateurs non
dés doctrines mais des actes extérieurs. On s’appliqua d’autant plus à les
multiplier qu’ils n’établissaient entre les hommes qu’un lien assez faible ;
ainsi il y eut des cérémonies publiques auxquelles le peuple et les magistrats
prenaient part, et qui paraissaient ordonnées dans Une pensée politique plus
que dans une intention religieuse. En assistant à ces fêtes solennelles, le.citoyen témoignait de son amour pour la patrie, car il
demandait aux dieux une seule" chose, d’aügmenter
la
gloire de
la république. Ce culte patriotique, quelque noble qu’il fût, ne pouvait pas
suffire aux Romains, car l’homme ne vit pas seulement sur la place publique,
il est citoyen par circonstance, il est homme partout et toujours. Un culte
privé qui se célébrait dans l’intérieur des familles s’établit donc. On transforma
le foyer domestique, en un autel sacré dont le père était le pontife; et les
sentiments les plus purs, ceux qui sont nécessaires au bonheur de l’homme, les
seuls qui le rendent vraiment sociable, trouvèrent leur ' sanction dans un
culte secret qui échappait par sa nature à l’influence du pouvoir et aux
règlements de la société. II n’était donné qu’aux affections particulières et
aux mœurs privées d’influer sur son existence. Ce culte embrassait un grand
nombre de divinités, mais à leur tête se placent les Lares et les Pénates,
dieux que l’on a eu tort de prendre pour de simples gardiens du domicile, car
leur caractère noble et élevé comprend les attributs de la Providence, et
pourrait presque servir « Religions ® d’élément
à un système religieux. « Où des
del’Antiq.
«hommes habitent ensemble, dit Creuser1, un génie tie,’p.4tG «
invisible est présent. Ce lien si cher qui nous attache «au pays natal, ce sentiment.sacré qui fait battre « notre cmur
au nom de patrie, sont l’un et l’autre «sous la protection d’un Génie. La
maison paternelle . « et ses doux souvenirs,.ce toit
tutélaire qui nous a vus « naître et à l’abri duquel’ nous nous sommes élevés,
« cette douce habitude, cette familiarité confiante que « nous avons avec les
lieux , connus dès'notre enfance, « cette paisible
jouissance des biens.que nous tenons « de nos pères,
toutes ces idées et leurs moindres « nuances sont renfermées dans le mot Lor, signifiant
CHAPITRE I.
QO7 « maître et seigneur,
ou, comme on dirait ici, pro- « tecteur de la famille.
« Cette notion des Lares, comme
celle des Pénates, «avait pénétré fort avant dans les croyances religieuses
«des Romains. 11 y avait cette différence entre les uns «et les autres, que
tandis que les Lares passaient pour «les protecteurs du foyer domestique, les
gardiens et «les conservateurs des biens de la famille, les Pénates «étaient
les puissances cachées d’où découlaient ces «biens et toutes les prospérités de
la maison.
« Les Pénates privés étaient
honorés dans l’intérieur «de la maison, sur le foyer où le feu brûlait pour eux
«comme pour Vesta, comprise elle-même au nombre «des Pénates.... Les Pénates
sont les dieux par qui «nous respirons; qui régissent notre vie physique et
«les lois les plus intimes de notre existence; qui nous «accordent la
nourriture, le revenu, l’avoir, quiéten- «dent sur
toute l’enceinte du domaine leur influence «féconde; qui allument la flamme du
foyer et par elle «nous prodiguent lesbiens de la plus douce aisance. »
Le culte des Lares et des
Pénates était donc une sorte de religion; car les attributs de la divinité se
trouvaient personnifiés dans ces dieux domestiques, qui garantissaient aux
hommes le triple bienfait d’une famille, d’un foyer et d’une patrie, c’est-à-dire
la réunion des seuls biens que la .créature puisse, dans ses prières, demander
au Créateur *. Les autres divinités du paganisme ne représentaient sous des
formes variées, agrandies ou appropriées aux traditions na-
a
De Diis qttoque Romanorum propriu, id est , Penatibus....
Macrob. Set. III, 4. Cf. Denys
d'Halicarnasse. Anf, Rom. 1.1, c. 58.
»
Oral. IV, p. 49 c-
’ Servies Æneid.
1, J v. 335,
tfonales,
que cette seule et grande pensée qui avait donné naissance au culte des
Pénates.
Pendant le quatrième siècle, les
partisans éclairés de l’ancien culte regardaient les cérémonies extérieures
comme un accessoire plutôt politique que religieux, et très-inférieur en
moralité au culte saint et pur de la famille, Themistiust
après avoir parié des païens qui faisaient de longs pèlerinages de dévotion,
ajoute1 : « Je ne ctois pas moins dignes
de louanges ceux qui « remplissent dans l’intérieur de leurs foyers les rites «
et les cérémonies sacrés des dieux. » Les néoplatoniciens avaient même
condamné les sacrifices, sanglants qui n’étaient réellement d’étroite
observance qu’à Rome \ Au reste, le mot sacrÿfcium
n’entraînait pas toujours l’idée d’une immolation car on sacrifiait (sacrifâat&r) à Vénus de Papbœdans
l’île de Chypre en lui offrant de l’encens et des .fleura \ Les princes ’chrétièna d’Ocdufont, quand ils
rendaient des fois contre les sacrifices, n’entendaient parler que des immolations
de victimes.
. a Théodosg comprenant rûnÿortance
4e ce paganisme secret, avaitditen 39a ( Cod. Th. VI,
272 ),: « NuUus..„, 'sel secretiorepiaculo,
Larem igné,
*
mera
Geninm, Penates nidore veneratus, accendat hmuna, imponat fhura,
«4Cfrla: rieprariM:* Teilea étaient en. effet les «érémouÎM
du coite de te famille. . *
Saint Augustin n’a pas négligé
de constater cette transformation du paganisme1: '« Cùr,'ego inqtiam, et nunctüliâ clancidofilent qtué vtdperpeMo deUte* vd(tepf^wapwduntür*J
Contré hop dicium>cst>iWKiomnm
« non fieù. Sa^ra enim
illa9 inquit, non fiunt
quee ponùficalibus conecripta « sunt libris..... Si quid autem nunc prohibitorum sacrificiorum fit
occulte atque «Otitito, non
estilU pontificaÜ sacrificiorum generi compecandumi sed in eo
*
deputandum
quod etiam nocturno fit tempore, cum hœc omnia illicita ipsis « pontificalibus libris certum sit
prohibera atque damnari,
» III, 321 b.
I«s
loû readuesdi Orient contre
le pçanMCMéwlériqne wm
nombreuses et très-sévères.
Le culte national pouvait donc prolonger
son existence par ce moyen détourné. Toutefois, le caractère des païens nous
est assez connu pour que nous puissions prévoir que la religion dépouillée de
son prestige de puissance et dé richesses, rendue pauvre et timide, n’exercera
sur les esprits qu’uné influence peu durable. Il faut
qu’un peuple ait un grand fonda de moralité pour que le culte domestique , ce
culte qui n’admet ni temples dorés, ni cérémonies pompeuses, ni hiérarchie
sacerdotale, puisse satisfaire aux besoins de son âme ou à ceux de son
imagination : tel n’était pas le peuple romain pendant le cinquième siècle. Le
caractère nouveau que revêtit le paganisme à cette époque, fut pour ce culte
non un principe de régénération, mais une voie pour passer avec moins de
douleurs de l’agonie à la mort. Cette facilité à se métamorphoser et à prendre
le rôle le mieux approprié aux circonstances montre combien cette religion
avait été pourvue d’éléments de vie et qu’un publiciste de nos jours a eu
raison de dire que le polythéisme romain peut être considéré comme le
polythéisme porté à son plus haut point de perfectionI.
1 Benjamin Constant, t. I, p. 5i.
Dans les cités du second ordre,
dans les villages et surtout dans les campagnes, les lois contre l’ancien culte
étaient restées inefficaces» Là l’encens fumait sur les autels, et les
sacrifices avaient lieu selon le rite païen; là on rencontrait encore des
pontifes revêtus de leurs insignes et célébrant publiquement les mystères des
faux dieux, et le villageois dédaignait de s’enfermer dans sa demeure pour
témoigner de son attachement aux vieilles pratiques nationales. Si nous
calculons approximativement le nombre auquel s’élevaient les
n. 14*
habitants des campagnes, nous
nous formerons une idée assez précise de la force réelle du parti païen, et il
sera dès lors facile de comprendre pourquoi les écrivains chrétiens de ce
temps parlent si souvent des Gentils et les représentent comme formant encore
une agrégation redoutable*.
Entrons dans l’analyse des
faits qui se rapportent àu règne de Valentinien, et mettons^les ai relation avec le sujet qui nous occupe.
a
On ne peut pas douter qu'au commencement du cinquième siècle les habitants des
campagnes ne fussent, en Occident, restés fidèles au paganisme; mais cette
vérité étant plutôt sous*entendue que elairemeut
indiquée par les écrivains chrétiens, je vais l’appuyer sur un témoignage
positif. Nous possédons un petit poème bucolique, intitulé De mortibus
boum, dont l’auteur, Endelechius, vivait
certainement dans la première moitié du cinquième siècle. Ce poème, souvent
imprimé et commenté, vient de l’être de nouveau et avec beaucoup de soin par M.
Piper, à Gœttingue, ip-8*. Le sujet choisi par Endelechius
est très-simple : trois bergers causent entre eux sur les maladies qui
attaquent les bœufs ; l’un de ces bergers qui est chrétien dit que le plus sûr
moyen de garantir ces animaux contre la peste est de placer entre leurs cornes
Signum, guod
perhibent esse crucis Dei, Magnis gui colitur solus in urbibus. (V. 106, p. i3o.)
Ainsi, pour ce poète chrétien,
le Christ n’était que le dieu des grandes villes.
État des
païens sous le règne de Valentinien III.
Honorius étant mort, un officier
de l’empire, nommé Jean, s’empara de la pourpre. Cet aventurier n’avait pas
même eu l’honneur d'être porté au trône par les soldats, il tenait son pouvoir
de la populace de Rome. Théodose II, qui gouvernait encore l’Orient, excité par
Placidie sœur d’Honorius,* marcha contre Jean, lui arracha sa pourpre et en
revêtit le jeune Valentinien, fils de cette même Placidie et de Constance IP.
On sait .vaguement que pendant
son règne Jean, montra des dispositions peu favorables au christianisme. Il
avait été un des fauteurs de l’entreprise d’Attale, et il reçut même de ce
ridicule empereur la charge de Primicier des notaires. Il n’est pas défendu de
penser que les idées de cet usurpateur inclinaient vers les idoles; rien
n’indique cependant qu’il ait favorisé leurs adorateurs.
Honorius comparé à Valentinien
III était un héros. Le fils de Placidie laissa régner sous son nom tantôt sa
mère, tantôt le célèbre Aëtius, et s’effaça de la
scène du monde encore plus que son prédécesseur.
Le 9 juillet 4^5, Placidie
rendit une loi1 en vertu T Append. de laquelle les païens
ne pouvaient plus être admis niad
a
C’est de ce Constance, général sous le règne d’Honorius puis empereur, qu’il
est dit dans une inscription : Rabidos
contra fluctus gentesque nefandas, Constant! mnrum nominis opposuit (Muratori,
p. 692, n° 3). Je ne sais qui de Constance ou des barbares dut éprouver le plus
de surprise en lisant ce témoignage de l’admiration des Romains.
dans le barreau, ni aux emplois
militaires, et qui leur interdisait de posséder des esclaves chrétiens.
Les lois semblables à celle-ci
étaient si souvent violées le lendemain de leur promulgation, que je puis
regarder comme superflu de faire observer que Rufius Venerius Volusianus,partisan si zélé
de l’ancien culte qu’il ne consentit pas à l’abandonner avant l’instant «Tiliemont, sa mort, fut nommé préfet du prétoire en 429ia.
Je citerai une seconde exception : en l’année 4^9, l’armée romaine, chargée de
faire lever le siège mis devant Arles par les Goths sous les ordres de Théo-
doric, avait pour général Littoriu6 qui s’était illustré par une belle victoire
; mais qui succomba misérablement pour avoir, dans une circonstance décisive, ac- ’Baronins. cordé trop de foi aruspicium responsis*.
La cause de Anmiâg, s® défaite et de sa mort excita
la juste indignation des S 16,17,18. chrétiens.
Cette infraction à une loi
récente doit d’autant moins
•
surprendre que, dans l’Orient où les lois contre les amis des idoles étaient
inexorables, Théodose II ne pouvait parvenir à exclure les païens des charges
publiques. Plutôt que d’avouer son impuissance et que de reconnaître l’énergie
des mœurs païennes, il déclarait dans ses lois qu’il n’existait plus de païens
en Orient : Pagani si supersunt....
Paganos qui super- |3sunt>
quanquam jam nullos esse credamus *............................................
. 1. aa. ’
Cependant il y en avait encore dans son palais et de très-puissants b.
a
V. Tiliemont, Mêm.
Eccl., XIV, 249, sur la conversion tardive de ce
personnage, qui paraît être le même que celui dont nous avons rapporté la
discussion avec saint Augustin. V. p. 8a.
b
Le commandement de llle de Chypre fut donné à cette
époque à un païen nommé Cyfus (Evagrius, III, 19) qui
de là s'éleva aux premiers hon-
1. 63.
Te 4 août de la même année, une
loi fut rendue contre tous les ennemis de l’église Cette loi est adres-1
l. 16^, t. 5, sée
à Georgius, proconsul d’Afrique. « Nous proscri- «vons les superstitions
des gentils, faisait-on dire à « l’empereur. Que les auteurs, fauteurs et
adhérents de S la superstition sacrilège soient frappés de proscrip- « tion, afin qu’à
défaut de la raison, la terreur les éloigne « de l’erreur perfide. » Sans doute
cette loi ne fut pas non plus exécutée. Que signifie cette peine de la déportation
prononcée contre une multitude de païens répandus dans tous les pays de
l’Europe ? Cependant nous devons tenir compte de cet édit, car il établit en
droit la criminalité des actes publics et privés du culte païen. Honorius les
avait prohibés, mais sans joindre à sa prohibition une sanction pénale, Valentinien
prononce la déportation. Honorius attaqua les actes et non les auteurs de ces
actes; Valentinien non seulement interdit les actes, mais punit encore les
auteurs. Les lois prohibitives suivaient donc une progression naturelle, et il
ne leur manquait que d’être en rapport avec les mœursa.
Une loi du 7 avril 4^6*, décide
que les chrétiens ’id-M» qui sacrifieraient aux idoles (quinomen
christianita- ’7’ neurs
: il fut chef des deux milices, préfet du Prétoire, consul désigné, préfet de
Constantinople, patrice et consul ordinaire en 441. On voit que Baronius a eu
raison de dire de lui : Ethnicus homo fuit,
sed natura dezter- rimus. Ann. 441, § 1, Tillemont. Hist.
VI, 87.
a
A la vérité saint Augustin parle à deux reprises
différentes de lois qui défendaient les sacrifices sub
terrore capitali II, 68
b, VII, 9 c. Mais il s'exprime d'une manière vague et ne précise pas
celui des deux empires où ces lois avaient été promulguées. En écrivant à
Vincent, il cherche à lui faire comprendre que la force doit être employée
pour réprimer les hérésies; dans son ouvrage contre la lettre de Parmeniaruu, il prouve que c'est la cause et non la
peine qui fait le martyre, et que des païens qui auraient été frappés en vertu
des lois récentes ne pourraient pas prétendre à la palme glorieuse. On
tis
induti sacrificia fecerint)
seraient privés du droit de donner quoi que ce soit entre vifs ou par acte de
•dernière volonté, qu’on pourrait les accuser même après leur mort et faire
casser leurs testaments.
On a vu précédemment que les
chrétiens étaient entraînés par une force irrésistible vers les superstitions
païennes, mais il était difficile de supposer que cet attrait fât assez puissant pour les ramener à sacrifier aux idoles
et à abdiquer par ce seul fait leur titre de chrétiens.
Il faut aller chercher le
commentaire de cette loi au
sein des écrits de plusieurs
chrétiens de ce temps, et l’on verra combien la société chrétienne, animée de
l’esprit païen le plus corrompu, offrait un spectacle à la fois bizarre et
effrayant.
Le pape saint Léon nous apprend
que beaucoup de chrétiens adoraient sur les lieux élevés le soleil levant;
d’autres, en montant les degrés du maître-autel de la .basilique de
Saint-Pierre, se retournaient et s’inclinaient vers le soleil levant; ils se
livraient à ces actes de
superstition partim vitio ignorantiœ, partim pagani- vetei1. tair.
tatis spiritu l.
L’ignorance et l’attachement aux usages V11’ Zl’
du paganiéme, tels étaient alors les traits saillants
du caractère de la. multitude chrétiennea.
Ce même pontife écrit à
Rusticus, évêque de Narbonne, pour régler la pénitence qui doit être imposée
conçoit que dans Fun et Vautre
cas Augustin pouvait appuyer son raisonnement sur les lois rendues en Orient.
Je pense d'autant plus qu'il en fut ainsi que Fesprit
de la législation d’Honorius, l’absence complète de poursuites et ‘le silence
des écrivains latins de ce temps confirment la pensée qu'aucune loi n'avait en
Occident prononcé la peine de mort contre les sacrifices des païens. '
"Nous sommes encore redevables à saint Léon d’un renseignement précieux.
Il nous apprend que les dévots païens pratiquaient le jeûne comme du teinpS du pape saint Sirice. F. io5o*e. ‘1
. , . . CHAPITRE II. »l5
aux chrétiens.coupables d’avoir adoré les idoles, participé
aux festins sacrés des païens, ou mangé des viandes provenant d’immolations 'id.it 14.
On a par erreur attribué à
saint Léon un livre inti- tulé. De caslitale, dans lequel se trouvent plusieurs détails
intéressants, sur l’ancienne religion. L’auteur, après avoir décrit les
superstitions restées eii hod-
neur parmi les chrétiens, s’exprime ainsi1
: « Tem~ ’Id- «’♦ *• iporibus
nostris auctore ^diabolo
sic vitiatà
sont « omnia, ut pene nihil sit qttod absque
idololatria « transigatur.
»
N’est-ce pas la même idée, que Salvien exprimait si énergiquement3 :
Vbique Datmon !
Cette I^j>ub€^
église si glorieuse, si puissante, si pure dans lès écrits des historiens
ecclésiastiques, où donc est-elle, puisque partout le démon, partout la marque
de l’idolâtrie?
Saint
Pierre Ghrysologüe, qui fut évêque de Ravenne en
l’année 43q, s’élève dans son cènt cinquante-ciU» quième sermon contre l’habitude des chrétiens de prendre
part aux fêtés païennes qui marquaient le retour . des calendes de janvier. Il
conçoit bien que l’adultéré adore, Vénus,que l’homme
cruel honore Mars; mais il ne peut se rendre compte de la faiblesse de ces
prétendus chrétiens qui ne peuvent résister au charme des fêtes païennes. Ces
pervers adorateurs du Christ répondaient : « «Von sont heec
sacrilegiorutn étudia, vota « sunthcec
jocorum, noviiatis lœlitia non vetiutatis «
er/w.» Ils n’apercevaient pas les liens qui attachaient leurs idées et leurs
mœurs au paganisme, et qu’ils étaient chrétiens seulement par le nom : « Nemo
cum « serpente securus ludit;
quis de impietate ludit? «■ De sacrïlegio quis
jocatur? répondait le prudent
évêque de Ravenne abîh. Max.
Le mal eût été moins grand si
l’influence du paga- VU’963
ai6 LIVRE X. VALENTINIEN III. »
nisme
se fiât fait sentir seulement dans les actes de la vie privée; alors on aurait
pu croire, malgré tant de protestations individuelles, que la société,
considérée dans son ensemble et dans sa partie extérieure, était réellement
chrétienne. A Salvien s’écriant que le paganisme apparaît en tous lieux, que
l’on honore Minerve dans les gymnases, Vénus dans les théâtres, Neptune dans
les cirques, Mars dans les arènes, Mercure dans bp. 136. palestres1, on aurait
répondu que ces hommages détournés étaient involontaires et qu’il fallait voir
eu eux moins des actes de religion que des témoignages naturels de l’empire des
mœurs anciennes ; mais comment faire admettre une semblable excuse en présence
d’actes publics et positifs de paganisme auxquels tant de citoyens se
livraient.
Sous le règne de Valentinien
III les consuls étaient choisis parmi les chrétiens, et cependant numquid non eonsulibus etpulli adhucgentilium sacritegiorum more » p. iaa. pascuntur, et volantispennce
auguria quœruntur1 a ?
Ces tributspayés
aux souvenirs de l’ancien culte n’étaient pas les seuls qui souillassent
l’entrée des consuls en fonctions, car Salvien ajoute : Acpene
orùniafiuntquæ etiam illi quondam paganiveteres
frivola atque trri- denda duxerunt.
Les motspene omnia
ont un sens très- étendu ; cependant je ne veux pas en conclure que les cônsuls, fidèles encore aux traditions, sacrifiaient deux
jeunes taureaux dans le temple de Jupiter Optimus Maximus&n
Capitole ; mais cette immolation exceptée, toutes les autres solennités, telles
que le pompeux
* Claudien, en parlant de la
prise de possession du consulat par Stilicon, avait dit (Z Cotu.
II, 363):
Solennibus urnam ?
CenuMtet
tujpàciis, avibusque inoepta tecUndak
CHAPITRE II.
317 cortège montant au
Capitole, l’encens brûlé dans les temples, les chants et les jeux,'et enfin la consultation des poulets sacrés, avaient
lieu sans causer âüc.uh seau-; dale
aux chrétiens. *
Presque partout le paganisme
révèle sa préséhee. Ce n’est plus cette religion
puissante qui jadis régnait sut la société, dictait des lois, fondait des
institutions et semblait l’esprit même de l’empire, mais elle domine encore sur
les mœurs, elle règle les pensées, elle dirige les actions des citoyens, et
quoique désarmée, quoique proscrite; on l’aperçoit en tous lieux; tantôt elle
marche à visage découvert, tantôt elle usurpe le nom et les in-* signes du
christianisme : elle parait décidée à prendre tons les caractères; à jouer tous
les rôles, plutôt que de’ confesser sa défaite.
Je
laisse $ penser si les lois de Valentinien III pouvaient paralyser l’action
puissante qu’exerçait sur une nation corrompue la religion la plus habile à
flatter leë mauvais penchants du cœur humain. C’était
beaucoup, mais ce n’était pas tout d’avoir brisé les idoles* puisd que les sentiments qui autrefois communiquaient taht de force* à ces vains simulacres vivaient encore au
sein de la société, et protestaient à tout moment contre la qualification de
chrétienne que le pouvoir politiquë lui donnait^ •
Justement étonnés de reconnaître
encore une si • grande énergie dans les débris mutilés du paganisme, . nous
devons chercher si la conduite des chrétien^ était aussi prudente ët aussi habile que l’exigeait lâ situation embarrassante
et agitée dans laquelle së trou* vait
la société.
Le christianisme ne craignait
pas de heurter queL
quefois
des sentiments que la prudence lui conseillait de ménager, parce qu’ils étaient
placés sous la sauvegarde des idées anciennes, et que d’ailleurs leur direction
n’avait rien de contraire à la morale. Je citerai particulièrement la violation
des.anciennes,sépultures, délit que de nos jours l’àmoür dé la science parait avoir légitimé j mais qui, dans lè cinquième siècle, était uti
véritable attentat contre ce qu’il y a de plus vénérable au monde.
> Baronius. Annal.
Ann. 447 » S *7-
Les chrétiens faisaient aux
tombeaux des païens une guerre non moins acharnée que du temps des fils de
Constantin, et leurs violences cherchaient vainement à se cacher sous l’égide
d’un: motif pieux : les sépultures païennes, décorées des emblèmes
de l’ancien culte, servaient aux sacrifices secrets, et à des festins sacrés
que les chrétiens ne dédaignaient pas de partager*. Outragés dans leurs
croyances, accablés par te spectacle des temples fermés, démolis ou profanés,
tes païens venaient exhaler près des tombeaux de leurs pères la douleur qui
oppressait leurs âmes et adresser aux dieux d’inutiles prières. Les chrétiens
incriminèrent oes visites nocturnes; ils les représentèrent
comme des conciliabules impies!,: dans lesquels la foi nouvelle était maudite,
et, sous prétexte de les empêcher, ils dévastaient et pillaient les sépulcres
païens1. :
, Acemotif,
qu’explique au moins, s’il ne le justifie pas, le sentiment religieux exalté,
il en faut joindre un autre beaucoup moins noble et dont: l’influence était
générale: je veux parler de la cupidité. Depuis long-temps
. . . . ; •
■
Permciosus error increvit, dit saint Augustin, X, 701 b,
en parlant de ces fèbtins où assistaient les
Chrétiens. ‘ ‘
CHAPITRE II.
ai9 les chrétiens ne
se faisaient aucun scrupule d’ensevelir leurs morts dans des tombeaux qui,
ayant été préparés pour des païens, portaient les signes du culte nâtio pal et même des invocations aux anciennes divinités
t; quelques coupe de marteau suffisaient pour purifier ces tombeaux, sur
lesquels on laissait d’ordinaire subsister l’inscription nus mabtibvs*.
Valentinien III agit donc dans
le véritable intérêt du christianisme quand il prononça des peines sévères
contre les auteurs des profanations. Les chrétiens de son temps le blâmèrent,
et il a été sur ce point attaqué aussi par un historien moderne très-recommandable1;
X™e™ut’ mais sa
conduite n’a pas, à mon avis, besoin d’apolo- a35-
gie. Dans une loi datée du a 3 mars 447a
il s’élève avec » Leges no- force contre les
démolisseurs, et fait de ces gens avi* vl*’ des une peinture qui ne manque pas
d’éloquence: ®UPPL
a Voici comment
Marangoni, qui s’efforce de détruire
l’importance des emprunts faits au paganisme par la religion chrétienne, s’exprime sur ce sujet : « Essendo
semmati, per cosi dire, i sôntuosi
sepolcri de* Geétlli * pér
le « 'pubhliche'viè, e campagne ; é
ville fuori delle città* i nostri Cristianii «spesso
avendo bisogno di materiali per ricuoprire le tombe de’cimiterj, « corné più acconcio
lo'ro veniva, si prevalevano d’ogni sorta dî marmo cbe « prettdei^ pôtetseTO da quelle
profane febbriche, aile qiiaü di adornàmetito « servivano
: peroiô il P. Mabillone
nella sua Epist. 55. d& SS, Jgtiat, rapporfo « a questp p^oposito alcuni versidi un antico poeta : In eos
qui, GentUium sepul- * dira
effodlunt pretextu martyrum sepeliendorum. » Les
vers dont parle Mâ- nmgoni sont des vers grecs qui
furent remis à Mabïlon par Boivin {dnateoa*
р. 558). Ils nous apprennent que des chrétiens
faisaient métier de vendre des tombeaux païens et qu’ils n’apportaient pas dans
çe commerce beaucoup de délicatesse, puisqu’ils
vendaient deux et trois fois le même tombeau. L’aotèur
se révolta contre la pensée que* l’on peut placer le corps d’un prêtre chrétien
dans un tombeau profane, etc.... Il aurait pu, peut-être avec plus de motifs,
se récrier contre la conservation dans les cérémonies funèbres des chrétiens,
de tous les usages adoptés par l’ancien culte, tels que les embaumements,
l’encens, les torches, les psalmodiés, les offrandes, les sacrifices et les
repas. August. Confess, IX, 12. Martenne. de dnt. eccles, ritib. 1. III,
с. 14. '
« Ferro âccincti, dit-il, vexant sepultos et obliti Nuit minis cœlo ac
sidenibus résidéntis, cinerum conta- « gione pollulas sacris altaribus manus infemnt. * il accuse,
comme on le voit, les prêtres de ce crime, et ordonne de dégrader et de bannir
à perpétuité ceux qui seraient reconnus coupables, fussent-ils évêques, parce
que le rang élevé du.coupable rend le crime plus
grave. Quant aux laïquès, ceux qui portent un titre
honorifique seront déclarés infâmes et l’on confisquera la moitié de leurs
biens ; les autres citoyens seront punis du dernier supplice. La loi est
terminée par ces paroles: « Innocenter viventibus gratnbatio , pax sepultisl*
Je ne terminerai pas ce que je
dois dire sur la législation de ce temps sans noter un changement assez grave
en apparence, qui fut opéré dans la législation religieuse de l’Occident.
> Clotsius.
P- »-i9-
Les lois rendues dans l’Orient
défendaient sous peine de mort les sacrifices ; ces lois furent insérées dans
le Code Théodosien avec d’autres actes beaucoup moins sévères publiés en
Occident. Aussitôt que la compilation de ce code fut achevée, Théodose II, par
un édit du i5 février Z|38, déclara qu’à partir du Ier janvier
suivant il aurait autorité dans l’empire d’O- rient; en même temps il en
adressa une copie à la cour impériale d’Occident, afin que de son coté elle lui
donnât force de loi dans ses états. Le procès-verbal de son approbation par le
sénat de Rome et de sa promulgation en 44^ a été retrouvé et publié
récemmentia. Il
a
Ce précieux document nous apprend que le sénat avait, dans ses délibérations,
conservé les anciens usages païens. Ainsi, parmi toutes les exclama* tions à l'aide desquelles les sénateurs faisaient connaître
leur vote, nous n'en apercevons pas qui aient rapport à la religion chrétienne
; car celles-ci Deus
résulta
de cette adoption que les païens d’Oçcident se
trouvèrent en droit soumis aux peines prononcées contre leurs frères d’Asie. Le
changement était donc sous le rapport légal très-grave ; mais ils s’en
inquiétèrent peu et ils avaient raison, car nous n’apercevons pas la moindre
trace d’actions judiciaires intentées dans cet empire contre les amis des
idoles, tandis qu’en Orient les poursuites de ce genre étaient fréquentes et
pleines d’acharnement*. Je devais indiquer cette inutile tentative du pouvoir politique,
afin de montrer combien il est facile aux mœurs d’abroger les lois les plus
importantes, afin aussi de constater l’impossibilité ou se trouvaient les
empereurs d’arriver, par le moyen des lois au but que le christianisme ne
cessait de leur montrer.
Jusqu’à présent on n’a trouvé
aucune inscription qui constate l’accomplissement de cérémonies païennes
pendant la durée du règne de Valentinien III. Les mm
nobu dédit! Deux vosnobis xervet! pouvaient convenir à un païen.
L’acclamation, Consulis oracuïu ! dont le sens n’est pas très-clair, paraît une
formule païenne. V. p. n, i5.
a
Un philosophe païen de la ville dTÉgès en Cilicie,
nommé Isocasius, vint s’établir à Antioche. La
considération dont il jouissait l'élëva à la dignité
de questeur. S’étant ensuite rendu à Constantinople, il fut accusé d’avoir
sacrifié aux dieux et tramé des complots en faveur de l’idolâtrie qu’il voulait
rétablir. L’empereur Léon le fit arrêter et conduire à Chalcédoine pour y être
jugé par le gouverneur de la Bithynie. Le premier médecin de la cour, ami
d’Iso- casius, parla en sa faveur à Léon et obtint
qu’il serait ramené à Constantinople pour être soumis au jugement du sénat et
du préfet du prétoire. Le jour fixé pour le jugement étant arrivé, le sénat se
réunit dans le Zeuxippe. Le peuple ravi de i’altitude
noble et des réponses dii philosophe prit parti pour lui, l’arracha des mains
des gardes et le porta à la grande église où , chose étrange, Isocasius fut instruit des principes du christianisme et
reçut le baptême. L’empereur lui pardonna et le renvoya dans sa patrie. Ceci se
passa en 467. Zonaras, t. II, p. 49. Cedrenus, 1.1, p. 349.
hommes qui alors sacrifiaient
n’appartenaient pàs à cette classe élevée qui, dans
le siècle préçédent, chargeait le marbre de
transmettre à là postérité le souvenir de sa fastueuse piété; Les sacrifices,
pendant le cinquième siècle, avaient lieu dans les villages, dans les
campagnes, dans les lieux retirés , et de pauvres paysans ne songeaient guère à
faire bruit de leur dévotion.
x Miscella- nea.
p. 99.
>P.
742, n® 507.
Cependant nous possédons une
inscription qui, par son étendue, le caractère réligieux
dont elle est rêvé* tue et l’époque où elle fut tracée, mérite plus qu’aucune
autre de fixer notre attention. Spon * et Fabretti31
l’ont publiée et commentée, mais sans faire remarquer l’importance
qu’elle pouvait avoir , dans l’histoire des derniers moments du paganisme :
R. F ES T VS V.C. DE SE AD DEAM
N O RTT AM FESTVS MVSONI SVBOLES PROLESQVE AVIENI VNDE TVI LATICES TRAXERVNT
CAESIA NOMEN N O RT IA TE VENEROR LARE CRETUS VVLSINIENSI
ROMAM HABITANS GE MIN O PROCONS
VLIS AVCTtS HONORE CAR MIN A MVLTA SE RENS VITAM
INSONS INTEGER AEWM CONIVGIO LAETÜS PLACIDAE NV MER OQ VE ÉREQVENTI NATORVM EX
V LT AN S VIVAX ET SPIBJTVS OLLIS CETERA COMPOSITA FATORVM LEGS TRAHENTVR
SANCTO PATRI FILIVS PLAC1DUS
IBIS IN OPTATAS SEDES NAM
IVPPITER AETHRAM PANDIT FESTE TIBI CANDIDVS VT VENIAS
ÎAMQ VEN1S TENDIT DEXTRAS
CHORVS INDE DEORVM ET TOTO TIBI IAM PLAVDITVR ECCE POLO
Cette inscription est composée
de deux parties très-
•r
CHAP1TXK M. aa3
distinctes. : dans la première,
Rufus Pestes témoigne de sa dévotion pour la déesse Nortia,
cite les honneurs qu’il a reçus pendant sa vje, parie
de sa noblesse, de . son heureux mariage, etc.; dans la seconde, le fils de
Festus fait l’apothéose de son • père.
Quoiqu’il existe dans
l’histoire de ce siècle plusieurs personnages du nom de Festus, nous n’aprons
aucune peine à détermina* celui dont il est ici question.
R.
Festus qui s’adresse à la déesse Nortià, t/est-à^
-dire à la Fortune, naquit à Vulnisium ( ZtoZrëtat}, il était fils d’Aviénuset
descendait de Musonius, il.avait été deux fois
proconsul ; ainsi on ne doit pas le confondre avec le Su- Rufus Festus, qui
fut, il est vrai j gouverneur de Syrie et proconsul d’Asie sous Valentinien
I", et auquel nous sommes redevables de deux écrits historiques, puisque
Ammien Marcellin dit1 que ■ xxix, a. ce dernier était né à Trente; 1 '
Il existait vers l’an 4oo un
poète latin nommé Rufus Festus Avienus,qui traduisit \es
Phénomènes d'Àratus, le Periegesis deDenys, et qui fit unç.wÉ&tiop
en. vers de quarante-deux fables d’Ésope*. Or notre Fwtus
déclare dans son épitaphe qu’il est prolèi Avieni; une pareille identité de noms suffît pour que
nous regardions Festus cômtne le fils du poète
Avienus. Or Avienus vivait au commencement du cinquième siècle, et Mawobe le fait intervenir dans ses Saturnales ; eu
admettant qu’il soit mort vers l’an 4^^^t que son fils
- * H. Chttegieter
, Dè'.ceMte'êt ttilo FUMi Ariani,
établit ttde distiitetiitn
entre Arimtua JMiltiu,
et cherche i pronver qufe
les quarant&deux fables sont l’ouvrage d’un Avianus qui vivait au troisième siècle ; mais Werhsdôrff critique cette distinction que l’analogie dn Style de ies divetees compositions fait repousser.
Festus lui ait survécu environ
vingt ans/nous parvenons à ce résultat, que l’inscription citée doit avoir
pour date une époque voisine du milieu du cinquième siècle. Ces noms de Placida et de Pkicidus,
portés par l’épouse et par le'fils de Festus
indiquent assez que Placide Valentinien régnait alors, et que l’on prenait son
prénom par. le même motif qui avait fait prendre dans le siècle précédent par
tant de citoyens celui de Flavius.
Je ne regarde pas comme
impossible de trouver quelques inscriptions païennes d’une date postérieure à
la première moitié du cinquième siècle[‡‡];
mais je ne crains pas d’annoncer que dans ces inscriptions le caractère païen
sera tellement voilé, que son existence pourra souvent être contestée, et qu’on
le reconnaîtra moins aux véritables attributs païens qu’à l’exclusion de la
forme chrétienneb. D’ailleurs le seul
culte,
¥
celui <JeJHitbi’a,
qui aurait pu,e» vertu dejs#
gcgftde popularité, empreindre son cachet spr lesmqpuments, cessa ,
sel<m :Vau-Dalç, d’exister vers cette
époque1. Quant:à celui de la, Mère'des dieux, saint Jean-Çhpy- sostôme: en faisant abattre dans la Phrygie tous les lemples.de cette
déesse vers.’l’aï» 4O1, lui avait porté un
coup mortel’.
i De Sacr.
Taur. p. 7.
> Proclus. OratioXXr p. 568 L
L’ancienne
religion disparaît au milieu, du désordre dans lequel l’Qceident
est plongé. L’histoire concentre ses regards sur Attila qui à ,1m-seul remplit la:scène du méndé,' et
les faibles intérêts d’une religion se dé- battant çontte,
la iuiiort ne -bout pas dignes de fixer ses
regards..- • •
Je. ne trouve- dans la vie
d’Attila .qu’un seul fait
IJac.
tant urna duos tcïuueddiqwèfrcrtrit.
.
. QuQSuna Lacfysis
mersit acevfa die, , , .
. . (Muratori, 1. 4o6, n° a), était
certainement païen. - • - ’
L’inscription n. m. cor. evtxchiae
trouvée à Aix en Provence a été,.dit M. Saint-Vincens
(Sfe'mt sur Vancienne
cité d’Jix, p. 18), regardée comme païenne et
attribuée au septième siècle.
On-a
découvert en t8o8 à Limoges
plusieurs inscriptions. Quatorze d’entre eUes
portaient 4e sigle D. M., et quoiqu’elles ne continssent aucune invqça- tion plus particulière
aux anciennes diviuités, elles parurent i Millin être des inscriptions païennes et appartenir au
cinquième ou au sixième siècle. L’in scription
suivante représente assez bien la forma employée par les pâïens
de ce temps dans leurs inscriptions funéraires: . - t
ARTIS GRAMATICES
, DOCTOR MORVMQ
MAGIST1R
. . , RLAXSIAHVS
BXTVRRX
. MVgARVM SEMPER AMTOR .
BIC XACET AETERNI *
• DÊVWTVS MEMBRA SOPORE. • » >
Milliô, tatfte
à M! Juge de Saint-Martin sur quelques biscript. décou- nrtts dLiiwges^u, .(-
n. i5
È*6 I-IVRE X. VAtBïrTHnEJf III.
qui ait rapport au vujet dont nous nous ■occupons t je vais 4e
mentionner.
• Là religion dès Scythes ■était «ample : ils adoraient Marc”’ noe
épée nue-enfoncée dans la terre1. Cèsymbole'iong-
l xxi, c. a. temps vénéré fut perdu. Un pâtre voyant «nè
4e ses génisses blessée suivit la trace dn sang, et
ayant trouvé une épée dont la pointe sortait 4e terre, il vint la présenter i
Attila. Ce chef s’empressa de tirer parti de 'cette circonstance ai simple et
fit répandre le bruit quW avait retrouvé l’ancienne
épée ncytinqœ; mais tomme il importait de frapper awssi bien l’esprit des Romains que celui de ses soldats,
il appela oeSte épée le glaive de Mars, disant
que ce dieu kû avait Concédé lé drbit
-de victoire : fier Marris'glàdàxm po- testatem sibi concessam
esse bellorum'*. Si le souvenir de Mars n’avait
pas encore été assez puissant pour remuer l'esprit des Romains, "certes
Attila n’eût pas fait cet appel à une religion qui n’était ,pas la sienne.
Valentinien fut assassiné en
455- « H expia, dit »vi,254.
TiUenaant3, par l'épée le crime que son épée avait commis. H
ensevelit avec Int la gkrire de la maison du grand ThéoHose et de tout le nom romain dans l’Oooidewt, dont l’empire se démembra de toutes parte après
sa mort, jusqu’à ce qu’il périt entièrement pen
d’années après. »
L’ancien culte ayant transporté
le siège de son influence de Rome dans les provinces, je terminerai par
quelques recherches sur leur état religieux le chapitre consacré au règne de
Valentinien II.
Quoique les Gaules fussent
soumises aux Francs esclaves de l’idolâtrie, ces provinces devenaient «dé plus
CHÀPiTAE
II.
«7 eu phm
accessibles aux missionnaires de 1« vérité. Les deux métropoles Arles et Vienne
sont les foyers d’où s'échappent les rayons de la civiiisaüion
chrétienne qui éclairent peu à peu toute la Gaule .Narbonaise,
mais dans le nord, Trêves, ville très-opulente, naguère métropole de toute la
Gaule et siège,du prétoire, défend obstinément^ cause
de l’ancien culte.
,Saint
Hilaire, évêque d’Arles, bâtissait des églises, et pour les orner il prenait
avec la permission du préfet les .marbres et les autres urnementsdu
théâtre, ravi.de dépouiller
nn lieu de désordre pour enrichir le temple du
Seigneur *. Les statues païennes qui décoraient le « Tiliemont,
théâtre furent brisées et enfouies sous les décombres. Mxv,^‘
U y avait à Vienne, vers le milieu du cinquième siècle, un prêtre nommé Sévère,.né, disait-on, dans l’Inde, qui avait .cojvrertidans cette ville un grand nombre de païens et
détruit un temple consacré à cent idoles, ■ sans
doute un Panthéon*. F^*3-
Rustique à Narbonne, Eucher à Lyon, Germain à p. 34. ’ Auxerre, Orens cher les
Vôtres Arécomiques, Nama- cius
et Eparçius dans l’Auvergne, répandaient avec ardeur
les doctrines du christianisme. Leurs efforts montrent combien l’idoiâtrie avait ■encore de partisans dans les
provinces *. _
a
Cœlius Sedulius, prêtre
écossais qui vivait sous le règne de Vâlenliiiien,
vers Fan 43o, parle en ces'termes des idolâtres :
Heu miseri
qui fana colunt, qui corde sinistro
Relügiosa sibi sculpunt simulachra, suumque Factoremfugiunt ) etquœ fecere verentur!
Quis furorgst, tpice tanta animosdementia
ludit, Ut 'vofacrem, turpemque. bovçm,
tortitmqueÂraconem0 'Semihominemque canem supplex homo promis adoret ? dit alii solem, ceecatis mentibus acti
a.
« P. 15a.
>Id.
Ils avaient à lutter contre une
corruption excessive. En pariant des habitants de l’Aquitaine et de la No- vempopulanie, Salvien ditx
: Nusquam improbior
w- luptas, nusquam
inquinattor vita, nusquam cor- ruptior disciplina.
Cet écrivain ajoute que dans les Gaules la perversité ou l’attachement au
paganisme était en rapport avec l’opulence des villes ou la richesse des pays3.
Tout confirme la justesse de cette remarque.
Ce qu’il dit sur Trêves fait
connaître l’esprit qiii animait les grandes cités
gauloises, autrefois colonies romaines.
Augusta Trevirorum avait par son importance et
par ses richesses excité la cupidité des barbares ; ils l’assiégèrent et la priréht quatre foi§. On peut lire dans Salvien les preuves
d’abrutissement, car c’est le
Affirmant
rerum esse patrem, quia rite videtur Clara serenatis infundere lumina terris Et
totum luslrare'polum...........
Hic
laticem colit > iste Lares» : sed jungere sacris Non audent inimica suis ne
lite propinqua Aut rogus exiguas desiccet fortior undas, Aut validés tenues
morianturfontlbus ignés. Arboreis alius ponit radicibus aras Instit'uitque
dapes t et ramos flebilis oral Utnatos, charamque domum, dilectaque
rura Conjugiéquefidem t famulos, censumque gubement Nonnulli
veuerantur olus, mollesqueper hortos Numina sicca rigant, verique hac or te
videntur Transplantatorum cultores esse deorum. Plura referre pudet, sanctoque
in carminé longum. Jam satis humanis erroribus addita monstra Risimus, aut
taies potius deflevimus actus.
* Bibl. Maxim.
VI, p. 461 f.
On ne peut donc pas dire que
l’idolâtrie fût éteinte en Occident, puisqu’un poète chrétien croyait encore devoir
mettre en évidence ses vices et ses dangers.
CHAPITBB II-
mot, que les habitants
donnèrent dans ces tristes moments, et quelque dur que soit le langage de
l’écrivain chrétien, nous devons y ajouter foi, car Salvien place ses
accusations sous la sanction de ces mots : Quod ipse
vidi atque sustinui1.
139,14a.
1 i44.
A peine l’orage était-il passé
que les. Tréviriens demandèrent aux empereurs de leur
rendre les jeux du cirque, comme une compensation suffisante de tous les maux
qu’ils venaient de subir. Salvien leur reproche avec une vive éloquence cet te.
inconcevable folie, il leur demande où ils fieront célébrer les jeux, si ce
sera sur les cendres et sur les ossements de leurs concitoyens.; il termine
ainsi en s’adressant à Trêves * 1 Lugent cuncta et
tu lœtus insuper iUecebris fiagitio- sissimis Deum provocas , et superstitionibus pessimis iram ejus irritas. Les païens
vaincus sont partout les mêmes; les jeux, les festins et toutes les folies de
la gentilité, voilà ce qu’à Trêves comme à Carthage ils demandent pour guérir
leurs blessures.
Remarquons que c’est
l’aristocratie de Trêves [pauci nobiles} qui
découvrit ce remède si convenable aux maux de la ville» Dans les cités de
province comme dans la capitale, la noblesse se trouve toujours placée en
première ligne parmi les défenseurs des anciennes superstitions ; et l’on sait
que celle des Gaules obtenait par ses richesses, et surtout par son habileté
dans le maniement des affaires publiques, la première place après
l’aristocratie romaine®.
a
L’auteur de la Vie de saint Amator, évêque d’Auxerre
au commencement du cinquième siècle, Acta Sanct.
Z. Mail. t. I, p. 53, rapporte une anecdote que je ne dois pas négliger
de faire connaître. Il y avait à Auxerre un païen nommé Héraclius, homme
puissant et riche (opibus copiosis
opulentiorj, et
1
Constant, p. 1066.
> Concil.
Galliæ Coh lect. t. I, col. 563.
Lés chefs de Féglrse n’obtenaient pas en général beaucoup cPappui du clergé des h Gaule. Saint Hilaire rencontrait
dans ses rangs peu d’imitateurs dte son zèle.
Célestin ï" écrivant en Vannée 4aS aux évêques delà Narbonaise
et de la Viennoise, sepiamt aveC
une juste douleur de l’esprit superstitieux dés prêtres goulots et de l’igfrorance des fidèles Les décrets rendus contre Fancien Culte étaient exécutés avec une extrême ité- gfigeiicë; lés idoles
restaient debout et les sacrifices avaient toujours lieu publiquement. Foin*
faire cesser un état de choses si préjudiciable aux intérêts de la religion, lé
deuxième concile d’Arles se décida à déclarer coupable de sacrilège font
évêque dans le diocèse duquel lés païens allumeraient des feux ou adoreraient
les arbres, les fontaines et tes pierres*. Cette responsabilité imposée- ank évêques était sans doute exorbitante, car il ne
dépendait pas d’eux deehan- gér
tes mœurs des Gaulois et dés faire que ces peuples , dont la grossièreté;
était si grande, devinssent tout-à-coup les ennemis déclarés de l’aneienne erreur ; mais il fallait cependant réveiller dé
leur torpeur cette foule d’évêqués insouciants qui
laissaient dans leurs diocèses les débris du paganisme se raffermir. Quoique qttVÿ quoique frès-atftftbé à tateien culte, permit à soh
épouse Paifedm d’o»- brasder
le ch/isüanisme. Cette
femme n’avait pas en changeant de religion abandonné ses habitudes païennes, et
un joui* qu'elle devait prendre part à h communion des fidèles, elle se
présenta dans l’église parée de ms
bijoM et couverte de vêtements magnifiques. Amator, simple diacre à cette époque, lui adressa de durs
reproches et lui ordonna de sortir de l’église. Pallacfia
ulcérée-résolut d’obtenir vengeance. Elle déchira sa robe, se meurtrit le
visage et s’offrant en cet état aux regards de son mari, elle lui dit : « Voyez
quel trai- « tement m'ont
fait subir les diacres de l’église. » Héraclius Indigné se préparait à punir Amator quand Dieu qui veillait sur le saint, dit le
légendaire, frappa Héraclius de paralysie.
GMAteTite n. aji
saint Hilaire se. félicite d#
voir chaque jow left gentils
abandonner leiu’s fables impies et les.autel? de» dé*) iboos'j je croisque
les effort» des conciles, des.papes, >p. «>arf et des év&jne&nobtinrent
à cette époque que de, très- foibées résultats.
Après a^oir caractérisé eu peu de Wt?
Ite vjcçp de l’église d’Espagne, $alvi#p,
en suivant, U marche des. Vandales, porte te» rcgarthven
l’Afrique. O* eut, étonné quQ soo.
iaidiguaftiou trouve, pour flétrir les. vices..des.habitants de cette province, dçq
expressions, nouvelles., Il gçus apprend que U déesse
Céleste était- euoorç adorée non seulqnçnt,.
par les. païens, ce qui. lui?eu»ble natuçeLj.maj» perdes chrétien», qui, après avoir sacrjfié . eu sop honneur, ne. craigtuûqnt. pas. d’aUqi:
prendre- part ajux cérémonies du culte chrétien..
Cette profanation, devait être teès-wâtée. £
Carthage* car il s’adresse à lui-même cette question : Quis
ergo illi idolo non inilialus, quis non a stirpe ipsa forsitan
ac natwitate devotus * ? Un autre écrivain de ce temps *p-
*»7- rapporte que dans une ville de la Mauritanie on avait trouvé des idoles
cachées dans des cavernes3. Enfin*TMém?n*’
on célébrait encore pendant là* nuit des fêtes païennes p^g’
nommées Nocturnes^. - iiî.
J’ai assez parlé de l’Afcique et de l’empire que le polythéisme exerçait dans son
sein pour qu’il me soit interdit de revenir sur ce sujet. Quiconque voudra se
former une idée du degré de perversité auquel peut descendre la nature humaine
devra lire le septième livre de l’ouvrage deSalvien.
Ce livre, comme les sept autres, semble dicté par une vive irritation; l’auteur
est impuissant à conserver le calme qui lui est nécessaire comme ministre de
la parole divine, et il s’abandonne
tout entier aux sentiments
d’horreur que la corruption des néophytes lui fait éprouver; A travers ces
éclats de 1 ’ colère, on voit briller cette pensée, triste sans-
doute mais: si vraie, et que seul entre tous les Pères de cette
époque Salvien a eu le mérite de concevoir : c’est-à-dire que le christianisme
était impuissant à sauver la société de sa ruine, et que la régénération de
l’Europe devait être le résultat de Pinvasion de ces'
peuplades toutes sauvages, presque toutes idolâtres, dont les flots couvraient
déjà la plus grande partie de l’empire. Quand7 Salvien compare les
Romains aux Vandales, aux Goths, aux Francs ou aux Huns, et qu’il les trouve
inférieurs à ces barbares, il indiqué que la race romaine corrompue et
dégradée a besoin, pour être rajeunie, de mêler son sang à celui de ces peuples
vierges que le Nord précipite sur POecidenL
OeOOQOQQ00Q0QO0OO«O00Q0O0OOO9QOCO9OQQO
; Martyre de
sainte Julie.
Lors
de la conquête de l’Afrique par les Vandales,. les plus nobles familles de ce
pays furent réduites fen esclavage et'vendues comme des troupeaux de bés*.
tianx, Une jeune fille de Gdrthagenommée
Julie, issue, d’im sang illustre rmodèle
de vertu et de: piété, eut le» sort réservé à ses pareilles : arrachée?>jdes bras de aies., parents, elle fut traînée par les
barbares au marché et vendue à un négociant syrien nonimé
Eusèbe, homme; auquel l’humanité n’était pas étrangère et qui montrait.
beaucoup d’attachement pour l’ancien culte. Conduite en Orient, Julie toucha
son maître par une résignation et un courage que l’excès de son malheur aurait
pu lui faire abandonner1.
Acta SS. m maii p. 168.
Eusèbe voulant trafiquer dans
les .Gaules, chargea un navire de marchandises précieuses, y monta avec
plusieurs de ses esclaves et avec Julie, et fit voile pour Marseille. Arrivé à
la hauteur de la Corse, il lui plut de toucher àù calp nord de cette île. L’ancre ayant été jetée, il
descendit à terre, au moment même où un . certain Félix,, homme fort riche et
le premier d’entre les nombreux païens de l’île*, immolait aux dieux un
a
Major inter turbas immolanùum.
Les Actes l'appellent Félix Saxo, et le P. Papenbrock
explique ce dernier mot en disant que Saxo veut dire que Félix était
gouverneur de Sagonia, ville importante de la Corse.
Il est plus naturel de regarder ce mot comme un nom propre.
taureau avec toute la pompe des
sacrifices et entouré d’une foule de païens des deux sexes. Eusèbe ravi de voir
que l’on célébrait en ce lieu les rites de sa religion prit part avec toute sa
suite à œlte cérémonie*. Julie resta seule dans le
vaisseau et pendant que ses compagnons se livraient aux excès accoutumés en
pareille circonstance, elle soupirait et demandait à Dieu de retirer ces
malheureux do leur aveuglement. .
Félix averti que;tout l’équÂpaget n’airait
pas*.assisté à', la fôte r en demanda ht motif à Ena3be> « Pourquoi,- «Int dit-il, tous ceux
qui t’accompagnent ne ^outrils «>pas. venteau
sacrifice offerts nœ. dieux ?'J’«Aten<h.
«dire qu’il y a. dans- ton vaisseau une* jeune fiUe
qui «. tourne en ridicule) nos cérémonies. a -Bitsèbe
répondit r «. Lat jeune fiUe
restée don» le vaisseau est «-bonne*, sage, teèsottentive
à son devoirr mais elle. «4st chrétienne,
et, quelques effort» que j’aie faits, U. «.ne m’a pats été possible de la
détacher de sa reügiou. «Si sa. fidélité ne me ht résidait pas précieuse, elle re- « cevrait
en cette occasion un châtiment! sévère. »
Félix demanda au marchand de
lui vendre Jolie ; ayant éprouvé un refus,. il recourut à la rus® Eusèbe convié
1 un banquet splendide est exeitéà boire autre
mesure; bientôt assoupi par l’irresae , il s’endort.
Alors Félix fait amener Julie et lui promet la. liberté si elle consent b
quitter sa religion. Cette sainte vierge do Jésus-Christ rejette avec horreur
une telle.proposition.. Félix passe de cette offre à
des actes dé violence; Julie est frappée de verges et tourmentée de mille
manières, mais son courage ne faiblit pas; Félix s’abandonnant
• Videns rfttts saerificimm
ibidem a fegQHH bnpondi, dtatm
pneeeps' Eusebius cum suis omnibus, ad stterifieMdta*
descendit,
M* <
CHAPItMEI». ï35
à mi fiirear, ordonne qàteite soit cremifiéeet Jrfié rend l’âme en protestant de sa Confiance en Dien qni lui tiendra compte d’une vie passée tout entière dans
les fermes et dans les tourments. Cet événement dert
avoir lieu entre tes années 44° et 44^- L’église a placé Jolie an nombre des
martyrs, et eRe honore- ses vertos
et son courage le ns mai.
Les hagiographes admettent
l’authenticité des actes de la passio» de sainte Jufie; en effet' ils ont été té-1 digés vers l’année 55<y, et' peuvent, pàr cdÉséqttétrtJ être regardés
comme l’œuvre dés[§§]contemporains".
'
11 ne-tant pas conclure de ce
fait isolé que partout' le paganisme respirait la vengeance et qo’H1
rêvât encore te retour des snppdîees; cependant il
est difficile d’expliquer ta situation d'esprit d’un homme qtri,
àtf ttwiiea du cinquième
siècle, profite de impunité assurée par le désordre publie, pour rendre une
pauvre jeune fille victime de son fanatisme. Il y avait encore & cette
époque un nombre très-considérable de païens dans Pempire
d’occident, mais ils vivaient isolés les uns des autres et sans obéir à une
inspiration conr- rtrtme.
La ruine de Rome avait détruit l’apparence d'unité qui autrefois existait dans
l’ancien culte, et Fou peut dire qu’après ce grand1 événement il y
eut des
236 LIVRE X.; VALENTINIEN III.
païens mais plus de religion pâïenne. Dès lors chaque partisan des idoles ne fut plus
dirigé que par ses propres idées et par ses habitudes. En général
l’indifférence, la haine du changement, une sorte de paresse d’esprit semblent
avoir retenu sous les bannières des faux, dieux, beaucoup de Romains. Des
passions plus fortes agis-, saient sur l’esprit de
quelques autres, et ceux-là pouvaient bien comme Félix profiter d’une occasion
.favorable. pour venger sur quelques chrétiens isolés les attentats commis
contre lepr religion. I?a
mort de Julie n’en dpit pas moins .être regardée
comme un fait exceptionnel qui prouvç plutôt. Ig cruauté insensée d’un hpmme qu$ l’esprit frénétique d’un parti. <
Nous avons suivi avec attention
lçs mouvements din vers de
l’anciep culte pendant les trente années du règne de
Placide Valentinien, et nous pouvons préciser sa position , à cette époque.
L’agrégation païenne est dissoute, Rome n’est plus la tête de la
superstition, le Capitole ne rappelle .aux Romains que leur honte et leur
misère, l’esprit païen déserte la ville éternelle et se transporte dans les
provinces, où l’ignorance lui prçmet encore un règne
de longue durée, il renonce à toutes les .grandes pensées qui autrefois avaient
soutenu et ennobli son existence, il déchire ses lettres de noblesse, et se
rabaisse afin de pouvoir être compris par les populations grossières,
ignorantes, sauvages, au sein desquelles il se résigne à vivre déchu, avili,
digne de pitié sinon de mépris. Il trouvera cependant encore les moyens de
nuire à là propagation et à l’affermissement des doctrines chrétiennes : Inquietare «Saiiust.
victoriam suprema
victis solatia1,
Jugurth.
CHAPITRE’ IV.’
•••OOOOOOO90OOO«OOO0OOOO9OOO««OO«OOaOO»OO«Q«
Merobaudis.
PpNbAîrr
tout le quatrième siècle, les païens regardèrent comme une. chose utile de
mettre dans leurs discours et' dans leurs écrits de la réserve et de feindre
même Vignbrance dès progrès du christianisme; après
la raii>e des tetnplës,
après la prise de Rome, cetté politique n’avait plus
aucun sens ; Fa-propos de cette comédie était* passé
et ils pouvaient parler à cœur ou- vert : c’est ce qu’ils firent.
Si les cloîtres du moyen âge
n’avaient pas exercé une censure implacable sur les -écrits dirigés contre le
christianisme, les preuves lie manqueraient pas pour montrer combien, à cette
époque, les sentiments païens.s’exhalaient avec
violence. Le hasard a fait retrouver, dans ces dernières années, les lambeaux
d’un ouvrage de Merobaudis, où ce digne émule sinon
d’Eunape et de Zosime, au moins d’Ammien, et de
Rutilius, revêt des ornements de la poésie les antipathies et les haines
païennes. Je vais rendre compte de ces fragments de poème, car rien de ce qui a
rapport aux idées des païens d’Occident ne doit nous rester étranger.
Flavius Merobaudis
avait servi avec distinction en Espagne sous le règne de Placide Valentinien.
Nous n’avons pas à nous occuper de ses succès militaires, il en obtint d’autres
qui doivent seuls fixer notre attention : il était
a38 LIVRE &<; VALEOTIMEN III.
poète, et en l’année 435 sa
statue fut placée dans le forum de Trajan; honneur très-grand, mais que les
écrivains païens briguaient seuls. La base de cette statue était ornée' d’une
langue inscription eu forme de panégyrique. On y lit, par exemple : Ideo illi cessit in prœmium non verbena vilis, nec otiosa hedera, honor capitis Heliconius,
sed imago œre » Niebnhr. formata, quo rariexempli
wros, seu ùi castrÿ pro- optirpos vatum, afXiqudtas honarabal'1. P- vu. Avant que Niebubr .eût publié quelques fragments des poésies de Merobaudis, on était «réduit à mentionner cet écrivain dans
le •catalogue des au te ursdu cinqmème
siècle, sans pouvoir porter sur sein mérite et sur la nature de ses écrits,
aucun jugement. On.le disait *u» poète célèbre, parce
que ses euuteiüpprains l’avaient ainsi qualifié i
aujourd’hui an Je-connaît d’wte manière peu plus prétwv
Méeabaudev
homme puissant., clariasûne, général des troupes
romaines <eu .Espagne, gendre de <eet Astu- riusqui fut cnnsuj etpatriee, Mérobaudeétait païen*,
•Niebuhr, étonné de-trouver dans les tauvres
de.Mérobaude une élégie sur le baptême du fils d’Aëtius, fait les observations suivantes : « Neque illis «Smpedior de Christian» rçligfoitis
mjrstertis jtie cakere videfstr. âfawf «tMriw nwfoÿ.tfOMMfc F' et VL,
grariftta.j ewenMto
«priscam
fidem vite timide profitentes,
perpaucisfurioüt exceptis,
gui edjp « suo ïuque ad capitis pcrïcùlum indùlgerent, ita caute de relus nostrœ réti- vçieuiàs
laqui, ut? <ptid xare smuerint, aqpedtguotcatur e aâpte id **• utq» *2it dulitatum ,sit ciÿus rdigionie
fuemt Procopius
( p. xtu). » Ce système nous conduirait à attribuer à
Claudien le Carmen Paschale qu’oo joint ordinairement à ses œuvres, et à Ausone les
louanges de J.-C. qui* se -trouvent placées 4m se» f&pbéœémdes
(p. -97)., œ<pie leaeommeutateinrs ne font plus
depuis long-temps.. Il ne paraît naturel d’admettreque les copistes ont travaillé sur le texte de
Mérobaude, comme ils Pavaient fait sur les poésies 4FAusone et de Claudien.
J^iebhbr 40 forme;, à
nm ans, -una idée'peuV^re ewgérée des 4WS**
leMAPCTAZ
IV.
»3g fft
cetferagplfe wffit pour
prouver quelteltoistfe®elu- siort
né recevaient pas phns d esécutian
sous ce ràgoe que «)ib .U ^jréoédlpnt. Merebaude semble.«rair proclamé
"hautement ses affectif» iêt «es regrets. H doaua jJUtAiquemeat cours à ses
larmes; et ceWe piété païenne qiri
riidta ses poésies causa sans doute leur perte. Les
copistes du moyen âge essayèrent de purifier ses écrite, en plaçant au milieu
d’eux quelques poésies chrétieo «es:; mécontents sans
doute de l’effet produit par un contraste qui rendait Faftératitei
trop visible, il| passèrent la plume sur tous les écrite du poète païen : Fart
«moderne a pu seul en faire revivre une très-faible partie.
Cherchons à donner une idée'
non du talent mais des opinions religieuses de Mérobaude.
Dans le Carmen , le
poète célèbre la naissance du fik d’Aëtius : .
«P. 5.
Peter Ûisttiïir, adtulitque
partum
■ >JüU)inatmmmï pr&tâtàmiornri ■ Ut spebus
timidis diu negatus* Et civù dominât
futurut urbi, JfafelaM Miregùim Quinmi
Et primat Latü dotnas wderes; Proies Matàa, Martioe Pénates
Peut-on raécoaiMwtre
l'influence de Itaprât païen
que couraient les ’païens'Cn Occident penAsttt le
cinquième et le sixième siècle. Il parle de peine <fe
mort; cependant wons oroi» passé en revue toutes les
lois proclamées ewtre ltaerrôe
public dti culte pa*en4
en avons- nous trouvé une seule qui^rtAt cette
terrible sanction? A la vérité. les lois pénales de l’Orient furent.déclarées exécutoires en Occident; mais les mœurs
opposèrent toujours une barrière à la naturalisation de ces lois étrangères, et
certes l’insolence des païens (TAfrique proteste
assez baul contre l’espèce de terreur que Niebuhfr prifete aux païens
d'occident.
dans
ce culte de Home et dans ces. épithtyes <jfti auraient paru impies à un chrétien ? . .• - < •. *
- Mérohaude
semble avoir été pour Aëtius œ que Claudien
fut pour Stilieon. IL composa un poème es l’honneur
de ee second et « inutile vainqueur des bar» bafes, qui périt de h main 4u prince qu’il avait sauvé,
.sort réservé à tous ceux qui alors rendaient de-trop ■grands:
services à leur
patrie.
Le poésie de Mérobaude commence
par une magnifique peinture, de la . paix dont l’empire. était censé ‘P. ».
jouir scius.l’administration d’Aëtius1 :
Ipse
pater Maoors, Latii Jatalis origo9 . Festa
ducis socii trucibus non inpedit artnis. Tela Dei, cuïtusqué
silent; etc.,,.
Une divinité, sans doute la
Discorde, s’indigne, selon l’usage des poèmes épiques r de cette
félicité du genre humain; elle va- trouver Bellone, la reveille
et aP. 14. lui adresse ce discours :
Quis miseros
, Germana, tibi sopor obruit anus Face sub immensa? quoniam tua peetora,..
Mersit iniqua quies9 inopes ttta cldssioa....
Indue
mortales habitus, tege casside vultus : fJrge traces in belia globos,
Scythicasque pharetras Egerat ignotis Tanais bacchatus in oris.
Æratas
prosterne domus, et operta metalÜs Culmina, quæ toto Latii conspeximus orbe.
Una omnes in tela ruant : gravis ardeat auro Balte us : auratas circumdenl tela
faretrœ : Jurea crispatis insidat lamna lupatis : Includanfrgemmœ
chalybemijerroque micantes Fulgens aura lis facibus lux induql entes.
CHAPITRE
IV.
aZ|1
Àfo?iâr nulla luôs valeant arcere furores :
ROma,
igsique tremantjurialia murmura rege*.
Tum
superos terris atque hospita numina peliez
. Romanos pppulare
deos, et nuHus in aris Pestas exotatee fotus strue palleat ignis. •fiisi
irtstructa dolis palatin celsa subïbo ; Majorum morec, et pectoraprisca fiigabo
Funditus : atque simul, nullo discrimine rerum z Spernantur fortes, nec sit
reverentia justis, Attica neglecto pereat facundia Phœbo ;
Indignis
contingat honos et pondéra rerum Non virtus, sed>casas agat, tristisque
cupido: Pectoribus sasvi demens furor asstuetauri: Omniaque hase sine mente
Jouis, sine numine summo.
Ici se trouve une lacune de
plus de cent vers.
Le poète'représente
ensuite les Romains qui, voyant leurs affaires désespérées, tournent les yeux
vers Aë- tius, comme vers
le seul général capable de sauver l’empire.
Voici donc un poète éminent par
son talent, par sa gloire et par le rang qu’il occupe dans l’état, qui ne
craint pas d’attribuer tous les maux de la patrie à l’abandon du culte des
dieux. Symmaque annonce que la ruine de l’empire suivra de près celle des
autels du paganisme; Mérobaude, alors que cette ruine est consommée, regarde
la source des malheurs publics comme assez évidente pour pouvoir en faire un
thème poétique. Mais le chantre d’Aëtius va bien
plus loin que le vieux pontife; car, il ne faut pas s’y tromper, cette déesse
qui yient reveiller Bellone
assoupie n’est autre que le christianisme; et quand le poète l’appelle cru-
délit Enjro, il dissimule sous un voile injurieux
ce qu’il n’ose pas dire hautement.
II. 16
Si la Discorde ne représente
point ici. là Religion chrétienne, pourquoi le poète lui fait-il dire ;
Tum superos terris atque hospita numina 'pelle : Palatia celsa subibo
> Majorum mores etpectora prisca fugabo v
Funditus
?
Les menaces contre le culte de
Vesta et contre celui d’Apollon ne seraient pas convenablement placées dans la
bouche d’une divinité de l’Olympe. Comment la Discorde proposerait-elle à
Bellone d’éteindre le feu de Vesta , et d’abolir ce qu’elle nomme facundia al- tica ?
Cette divinité ennemie du repos des humains, qui attise avec tant de soin la
vengeance et la haine, n’est autre, quel que soit le nom que le poète lui ait
donné, que le christianisme. Le païen, détracteur obligé dès époques
chrétiennes, se révèle tout entier dans les deux vers suivants :
Indignis
contingat hoaos et pondéra re^um Non virtus, sed casas agat^ tristisque cupido.
Quelle cause
produira cette corruption générale? ûmniaque
hœc sine mente Pools, sine numine
summo.
Je ne crois donc, pas que Ton puissé douter des sentiments du poète apologiste d’Aêtius. 11 savait que beaucoup de citoyens nourrissaient
des regrets pour le culte des anciens dieux, et regardaient lé christianisme
comme le principe de tous les maux dont l’empire était accablé ; il voulut
faire battre encore une fois le cœur de tous ces partisans de l’erreur passée,
et traduisit eh beaux vers leurs vieilles passions ët
leuF douleur. Plus courageux que Claudien, parce
qu’il vivait dans ilh
CHAPITRE
IV. ^43
temps où les païens n’avaient
pas besoin de garder des ménagements, il couvrit la religion qu’il attaquait
d’un nuage si léger que personne dans l’empire ne dut se méprendre sur ses
véritables intentions. L’opinion païenne avait encore alors quelque poids, car Méro- baude vit, comme le chantre
de Stilicon, sa statue se dresser dans le forum de Trajan : c’était le seul honneur
que le paganisme pouvait promettre aux poètes qui consentaient à défendre sa
cause.
LIVRE ONZIÈME.
CHAPITRE
UNIQUE. Dernière tentative des païens.
Les
événements se pressent avec une si grande rapidité que je me bornerai à les
mentionner.
Valentinien III est assassiné
par un sénateur nommé Maxime, dont il avait déshonoré l’épouse. Maxime prend
malgré elle en mariage Eudoxie, veuve de Valentinien. Celle-ci indignée de cet
outrage cherche à se venger et appelle les Vandales au sein de l’Italie. Leur
chef Genséric s’empare de Rome et la livre au pillage durant quatorze jours. Il
dépouille le temple de Jupiter Capitolin de ses derniers ornements et de la
moitié de sa toiture, qui était de bronze doré et passait pour un ouvrage d’une
grande magnificence1. Un nombre considérable de statues, vers
lesquelles les païens dirigeaient secrètement leurs prières, sont embarquées
pour l’Afrique, mais une tempête fait périr ce précieux butin. Il n’y avait
plus nulle part sur la terre de sûreté pour les dieux.
1
Procop. de Bello Vandalico.
1,5.
Avitus, nommé empereur par les
Visigoths, est dégradé par le sénat à l’instigation d’un barbare nommé
■ Photiiis. p. 1048. Hengel. p. 3a.
> Tiliemont
vi, 339.
Riçimer,
qui fait couronner Majorien, ancien compagnon d’armes d’Aëtius;
mais il s’en dégoûte promptement et le remplace par Libius
Sévère.
Majorien ^vait
pu plupipurs qompétitpurs :
l’un d’eux fixera notre attention.
Au milieu de ce désordre
universel tout était permis : les vœux les plus insensés avaient une chance de
succès. Il n’est donc pas surprenant que les païens aient profité du tumulte
pour essayer de replacer sur le trône et ensuite au sein de la société leur
religion proscrite. Un peu avant la iport d’Avitus,
de jeunes nobles conspirèrent sous la direction d’un vieillard nommé Pæonius, pour porter à l’empire Marcellinus, général
distingué et partisan du paganisme 1 *. Nou? ne connaissons aucune particqlarité de cptte entreprise
qui échoua. Marcellinus se rendit plus m*d indépendant en Dalmatie; personne q’osa entreprendre de l’aller combattre. Je puis «dope dire
qu’il y eut alors, c’est-à- dire eq 4^a > une province de l’empire oh |e
culte ancien fut réfablj; car un prince qui avait
dans ce temps le courage d’ëtrq païen devait, avoir
celui de le paraître. Je* regrette dq ne ppuvoir rien ajouter dp plus.
A la mort de Sévère, J’Ocçident resta environ deux années sans çmpereur
: lq patrice Ricimer ep
tenait liep. Cependant l’Italip
réclamait un souverain; on lui açporda Antfyemius, fils de Procope et parent,, djsait-
on, de l’empereur Julien9. Sidonius Apollinaris
loue . a Sidonius parie de Promus en ees
termes : « Çuuque de espeutido
« diademate conjuratio Marcelliana coqueretur, nobilium juventuti signiferw* « sesein faction* prœbuerat. L. I, ep. ir. Suidas, qui fait de ce
personnage les plus grands éloges, dit qu'il était très-vené dans la science
divinatoire,
LIVRE XI.
*47 avec effusion cet empereur,
et l’histoire paraît .confirmer le panégyrique du poète. Il est un point fort
important dans la vie de ce prince qu’il faut examiner, car c’est le seul qui
se rattache au sujet que je traité.
Anthémius était-il païen ?
Fut-il porté au trône par une conspiration des partisans de l’ancienne religion
? '
Telles sont les deux questions
auxquelles je vais répondre.
L’opimon
qui voit dans Anthémius un adorateur des faux dieux ne s’appuie que sur un seul
témoignage, celui fourni par Damascius qui vivait un
siècle après Anthémius*, et encore ne connaissons-nous les faits rapportés par Damascius que d’après l’extrait fort succinct que nous en
a transmis Photius.
Damascius
affirmait qu’Anthème était païen ( flûtirvé" çccpoç )1, qu’il avait formé avec un nommé
Sévère, et ’ à. la suite de plusieurs conseils secrets, le projet de rétablir
l’ancien culte : Photius n’ajoute rien de plus.
Les historiens ecclésiastiques
de l’époque moderne ont rejeté complètement l’assertion de Damascius,
se fondant autant sur l’aspect général du règne d’Anthe-
mius que sur le silence des écrivains contemporains.
Fleury ne fait même pas
allusion aux desseins présumés d’Anthemius. Tillemont les repousse avec plus
de force qu’aucun historien : « Pour le reste, dit-ila
, ’Vi, 343. « de ce qu’ajoute DamasCe, ce serait une
injuste té- « mépté de le croire sur la parole d’un
Seul païen, et « il nous suffit qu’il n’en paraisse rien du tout dans * swôn!d « la vie d’Anthènie.
« Le P. $irmond3, Le Beau4 et 4Ç. yy
P- ».
a
TiHemont, en parlant des événements de l’année 467,
appelle cependant Damascius un écrivain païen de
ce temps-là, VI > 342.
LIVBE XIr
plusieurs écrivains du même
temps partagent cette opinion.
Au contraire des historiens
plus récents admettent presque sans discussion le fait reproché à Anthemius.
« L’indifférence ou la faveur
d’Anthemius, dit Gib- p.419.’ «bon1,
ranimait jusqu’à l’espoir du faible reste des « païens.»
>Études. «Anthemius, dit M. de Chateaubriand2,
donna
Hp.t
a3x’ a une <tertttère
palpitation au cœur des vieux belle- i< nistes :
il inclinait aux idoles. »
On ne peut détruire
l’incertitude causée par des opinions aussi divergentes qu’en recherchant si
les circonstances du règne d’Anthemius s’opposent en effet à ce que ce prince
soit regardé comme ayant été par-4 tisan
du paganisme .* quand les documents précis viennent à manquer, l’historien
doit recourir à l’esprit général d’une époque pour apprécier la probabilité de
certains faits.
L’idée que nous devons nous
former du caractère des païensde leurs espérances et
de leur nombre au mi-4 lieu du cinquième siècle rend au moins
vraisemblable quelque tentative de leur part en faveur de l’ancien* culte. Tant
de regrets comprimés r de si grands intérêts foulés aux pieds, des
mœurs puissantes contrariées dans leur direction, des opinions philosophiques
anti-chrétiennes que l’Orient s’efforçait d’acclimater dans l’Ocçident, devaient tôt ou tard frire effort pour venger de
longues et cruelles injures. L’église affaiblie par ses divisions, la
corruption générale des mœurs et les révolutions continuelles de l’ordre
politique, semblait avoir abandonné à d’autres mains la direction de la
société.
La conjuration de la jeunesse
romaine en faveur de Marcellin prouve que le parti païen d’Occident ne s’agitait
pas moins que celui d’Orient. Ils différaient sans doute sur la manière de
considérer le paganisme; mais l’un et l’autre nourrissaient, dans un temps où
tout était possible, l’espérance de le replacer sur le trône : une tentative
pour arriver à ce but ne peut- donc pas surprendre.
Le sénat était à la tête de
ceux qui demandèrent à Léon , empereur d’Orient, qu’on leur donnât Authe- igidonius mius pour souverain1
: si le paganisme comptait en- core quelques amis
puissants, ne devaient-ils pas se trouver dans le sénat?
Avec qui Antbemius
déclaré auguste par Léon se présente-t-il en Italie? Avec ce Marcellin que son
attachement pour le paganisme nous a fait connaître, et avec un hérétique,
macédonien, nommé Philothée, qui prétendait
introduire dans Rome la tolérance des cultes.- Etrange cortège pour un prince
sincèrement dévoué au christianisme !
Damascius
nous apprend qu’Anthémius avait comploté avec Sévère le rétablissement de l’exécraAZe religion païenne. Ce confident était un
philosophe d’Alexandrie, homme fort savant mais bizarre, et qui vivait au
milieu des livres et des rêveurs de tous' les pays; enfin il était
néoplatonicien, c’est-à-dire 1 très-peu propre à conduire les
.affaires publiques1, p.1041. Cependant Anthémius ne craignit pas de
le nommer consul en 470, et puis après patrice. Comment expliquer une
élévation si peu naturelle et si rapide, si ce n’est en disant que Sévère et
Anthémius étaient unis par les liens d’une étroite amitié? Pouvons-nous
concevoir l’existence de
pareils sentiments chez des hommes qui n’eussent pas mis en commun leurs pensées
religieuses ? Les opinions de Sévère semblent si étranges, si peu concordantes
avec les idées reçues, qu’il fallait nécessairement en être le partisan pour
s’avouer à la face de l’empire le protecteur et l’ami de l’homme qui les
répandait avec une si grande persistance.
Photius aurait contredit
ouvertement l’assertion de Damascius s’il l’avait
crue mal fondée; or, après avoir parlé de la conjuration païenne d’Anthemius et
de Sévère, il dit quelques mots de celle tramée en Orient par Léonce et par
Pamprepius , et dont le but >p. io5o. fut semblable; il termine ainsi1
: « Je n’ai pas d’em- «pressement à avancer un fait
dont la vérité est « douteuse, et dont le souvenir peut exciter les pas- « sionsa. » Ce n*est pas en ces termes que l’on
combat une erreur palpable ou un mensonge évident, et les ménagements de
Photius semblent plutôt indiquer qu’il veut dissimuler des faits dont le
souvenir irritait encore les esprits.
On possède un large médaillon
d’Anthemius, qui porte au revers la figure d’Hercule vainqueur du lion deNémée’b. Le retour, même accidentel, des sym- impp. m, boles
païens sur les monnaies est un fait remar- .6a9’
quable, car ils en avaient été exclus à une époque où
. on les tolérait encore sur les monuments publics.
a
Oùx eipui ‘jrpo'Ôufxo; irpxqjAX , xxi sic dtanOetxv, xxl irpoxcipov
ttç
çûlxirextatxoouvw*
h
Voici la description de ce médaillon contçrniate
donnée par M. Mionnet (II, 306) os. bkraclxos.
Hercule nu, debout, la main droite sur sa
massue et portant sur la gauche
un enfant assis sur la dépouille du lion et qui lui tend les bras ; à l’exergue
ahdrza.
LIVRE XI.
a5i . Si je me décide, à
regarder comme suffisamment prouvé je dessein d’Anthémius, je m'abstiendrai
d’en tirer des conclusions exagérées. Il me serait facile de tracer
d’imagination un tableau curieux. Je montrerai? les païens rouvrant lqurs temples, faisant couler le saiig
des génisses autour des autels de Jupiter, et se vengeant sur les chrétiens
d’une oppression supportée avep une faqsse résignation. Dans 'qn.
pareil tableau, il fqut le dire, tous les traits
seraient miens, câr l’histoire ne m’en aurait pas
fourni l’esquisse^ An- tbemius ne fut point un
partisan avoué des idqles, i| ne chercha pas à
continuer le rôle jôpé par Julien, par Eugène ou par.
Attale; mais les faits précédemment cités autorisent à penser que pendant son
séjour en Orient il avait eu des relatiohs avec les
païens et qu’il leur donpa de légitimes espérances.
Pourquoi ne furent-elles pas réalisées? c’est ce que le silence dés historiens
ne nous permet pas de dire.
Il est curieux de voir le
polythéisme oriental venant au secours de son frère d’Occident ét lui envoyant un empereur regardé comme favorable à leurs
communs intérêts. Naguère le polythéisme occidental puisait ses principes de
vie à Rome, aujourd’hui il tourne ses regards vers d’autres contrées, et
demande secours à cette philosophie grecque dont les présents lui avaient été
si funestes, et qui en présence du christianisme vainqueur ne pouvait pas lui
refuser son appui.
En -admettant qu’Anthemiüs fût un adepte des néoplatoniciens, on concevra
facilement que placé à la tête de l’empiée
d’Occident, il dut reconnaître ayéc promptitude
l’impossibilité oq il serait de favoriser dans ses
états une religion alliée désormais à des
LIVRE XI.
doctrines philosophiques
étrangères à l’Occident, ou qui y étaient jugées avec une extrême défaveur.
Ranimer l’ancien paganisme politique n’était plus possible, acclimater en
Italie le paganisme de Porphyre , de Jamblique et de Proclus le semblait moins
encore.
Il existait des païens en
Occident ; ils avaient leurs autels, leurs temples et leurs pontifes, ils
sacrifiaient et sans en faire mystère; mais ils appartenaient en majeure partie
à la classe villageoise; aucune idée politique ou même religieuse ne les préoccupait,
ils obéissaient simplement à la coutume, et leur foi païenne devait opposer peu
de résistance à la propagation des lumières d? l’Evangile. Nous devons
cependant constater letat de ce genre de paganisme,
non qu’il occupe une grande place dans l’histoire de la religion des Romains,
mais parce que sa longévité tenace donne la' certitude d’un fait souvent
proclamé par nous dans Cet ouvrage, savoir, que le paganisme a joui jusqu’à son
dernier soupir de la ptiis entière liberté en
Occident.
Il est inutile de'songer à établir d’une manière précise la situation du
paganisme dans les diverses localités de l’Italie ou de toute autre province de
l’empire d’Oc- Cident. Quand l’abondance des
matériaux permettrait d’entreprendre ces recherches minutieuses, on en serait
détourné par la considération que tous les faits recueillis se ressembleraient
beaucoup entre eux, car la différence des mœurs et dii langage n’influait pas
assez fortement sur les débris de l’ancien culte, pour leur imprimer un caractère
varié selon les lieux. Connaissant la situation du paganisme dans une
localité, on peut en conclure son état dans toute la province et
arriver ainsi à des résultats généraux
après avoir pris pour point de départ des faits particuliers. Je vais suivre
cette méthode ; elle est indiquée autant par la disette de documents que par la
nature même de cet ouvrage.
La ville de Turin (4ugusta Taurinorum) et son diocèse vont pour quelques instants
fixer notre attention.
L’établissement d’une colonie à
Turin avait eu pour effet de donner à la prospérité de cette cité de grands
développements et d’y enraciner les mœurs et les croyances de la mère patrie.
Turin éleva une co-. lonne
à l’empereur Julien \ et cette protestation païenne n’est pas du nombre de
celles qui doivent passer inaperçues.
> Gudi.
p. 95, n° S.
Vers le milieu du cinquième
siècle saint Maxime était évêque de Turin. Les sermons, les homélies et les
traités qu’il a laissés proclament son zèle infatigable à combattre les
erreurs, les pratiques superstitieuses et la corruption transmises par l’ancien
culte aux partisans du nouveau, autant que son habileté à continuer l’ancien
débat entre les deux religions. Ceux de ses écrits qui ont rapport au paganisme
se divisent donc en deux classes : i° écrits contre les païens ; a° écrits
contre les mauvais chrétiens. Je vais suivre cette division dans l’examen des
ouvrages de saint Maxime.
L’évêque de Turin publia un
traité Contra pa* ganos.
La première impression que l’on éprouve après avoir lu ce livre est celui d’une
grande surprise. Comment en effet Maxime put-il
croire nécessaire de recommencer au milieu du cinquième siècle une polémique daus laquelle ses prédécesseurs avaient employé
1
P. 72a,
»P. 77.
3 Id.
et usé tous les arguments
imaginables ? Était-il encore utile de montrer aux païens que le culte de Vénué était impudique, celui de Mars barbare, celui de Cy- bèle insensé? Oui sans doute
cette discussion était encore utile, nécessaire, puisque Maxime, c’est-à-dire
le chef d’une des premières églises de l’Italie, croyait devoir l’entreprendre
dé nouveau, et qu’il n’était pas homme à prodiguer les efforts de son esprit
contre des erreurs mortes et des vices éteints. L’entêtement et le fanatisme
des païens survivaient à la chuté des idoles et à la ruine des temples. Cela
est si vrai que saint Maxime combattant le dogtne du
destin, disait1 aux païens : « Pourquoi adorez-vous vos dieux et vos
«déesses? pourqüoi immolez-vous aux idoles? pour-* «
quoi ces prières, cet encens, ces victimes et ces of- d frandes
portés, aux temples, si tout est décidé et écrit «à l’avance?» L’anbien culte subsistait donc encore, puisque fôutès les conditions de son existence sont énumérées dans
cette courte citation.
L’apathique indifférence des çhrétiens explique cette opposition si vive ét si heureuse de leurs ennemis. Quand saint Maxime
cherchait à piquer l’abdeur d’un chrétien en lui
montrant une idole objet de scandale et de hohte pour
tout fils de l’église, ce chrétien répondait: Nescio,
non jussù Un autre disait : Causa mea non est;
ou bien : Non me tangit*. Pour réveiller de
leur torpeur ces prétendus amis du Christ, il leur rappelle le martyre récent
des missionnaires de l’Anaunie, ce martyre dont, sous
des princes chrétiens, l’église avait été indignée. «Un décret impérial,
ajoute-t-il vint « ensuite nous apprendre ce que nous devions faire. « Des
princes véritablement chrétiens promulguent des
LIVBE XI.
a55 « lois en faveur de la
religion ; mais leurs magistrats « ne s’embarrassent pas même de les faire
connaître; « en sorte que le prince est absous et que l’exécuteur « de ses
ordres reste accusé. » Ceci est la justification formelle de l’opinion que j’ai
émise à propos des lois contre les païens insérées dans le Code de Tbéodose: ces lois étaient nombreuses ; cependant elles
venaient expirer devant l’indifférence ou les secrets sentiments de l’officier
chargé de leur application ; lui aussi il disait : 2Von me tangit.
Après avoir montré qu’il
existait encore des païfens en Italie, que ces païens
sacrifiaient aux dieux et fréquentaient les temples, je vais examiner l’état
des faux chrétiens, auxiliaires puissants des païens et dont cinquante ans
auparavant saint Ambroise et saint Augustin avaient attaqué avec tant de
vigueur les vices et l’impiété : occupons-nous en premier lieu de ceui qui habitaient la ville de Turin.
Il n’est pas de coutume païenne
contre laquelle Maxime s’élève avec plus de force que la célébration des
Calendes de janvier. Dans sa cent troisiènie homélie
il s’exprime en ces termes1 : « La plupart des habitants , p «
encore fidèles aux folles coutumes de l’ancienne su-> « perstition,
considèrent le jour des calendes comme « l’époque d’une joie excessive. Ils
semblent courifo « après le plaisir, afin de rendre
ensuite leur tristesse « plus grande; car ils affectent une telle débauche, ils
«boivent et ils mangent avec une telle incontinence^ « que celui qui toute
l’année a été chaste et tempérant ,• «devient ce jour-là ivrogne et crapuleux;
et s’il en « faisait moins, il dirait qu’il a perdu son temps, parce « qu’il ne
comprend pas que c’est son âme qu’il a
« perdue pendant ces fériés. 11
se lève de grand matin « et va au-devant de chacun avec de petits présents «
appelés étrennes, et voulant saluer ses amis il leur a fait un cadeau
avant de leur souhaiter le bonjour. « Les lèvres se pressent, les mains se
serrent, non pour « faire échange de témoignages d’amitié, mais pour .« obtenir
que les politesses de l’avarice soient payées. « C’est ainsi qu’ils embrassent
à la fois et rançonnent « un ami.... Ils ajoutent encore d’autres fautes à
toutes « celles dont nous venons de parler; ainsi ils rentrent « chez eux
portant à la main des rameaux, comme s’ils « venaient de prendre les augures,
et retournent à « l’auberge chargés des présents qu’ils ont recueillis ; «ils
ne comprennent pas, les misérables, qu’ils ren- « trent accablés non de cadeaux mais de péchés. »
Toutes les cérémonies
instituées en l’honneur de Janus avaient été conservées, sauf cependant l’immolation
des génisses blanches dont Maxime ne fait aucune mention, et qui était de
rigueur dans les rites anciens de Janus ; mais les vœux, les étrennes, les
repas et l’usage des rameaux d’oliviers provenaient directement de l’ancienne
superstition, et si l’on rapprochait du discours de Maxime la sortie non moins
» De idola- animée de Tertullien sur le même sujet1,
on aurait tria. p. 94. <(jc
|a peine à comprendre que ces deux écrivains éloquents aient vécu à
des époques et dans des climats si éloignés. Plusieurs fois encore l’occasion
se présentera de faire remarquer l’attachement des peuples de l’Oc- cident pour un usage qui fut attaqué continuellemeût
par l’église, et auquel on s’efforça de substituer une fête chrétienne *, dont
la gravité et la noblesse n’ont
‘ La fête de la Circoncision
célébrée le premier jour du mois de janvier
LIVRE XL
jamais pu. détruire
complètement les vieux restes du culte de Janus..
Portons tlos
regards hors des murs de Turin, nous y apercevrons les signes d’une
superstition encore plus fortement empreinte du caractère païen, et qui, alimentée
par des mœurs grossières, semblait prémunie contre toutes les attaques du
christianisme.
Dans sa quatre-vingt-seizième
homélie ayant pour titfe : Sur la nécessité denlever les idoles des propriétés particulières,
Maxime /adresse aux habitants des cam* pagnes voisines de Turin et leur dit1
: a Je vous avais 1 p- 655- « déjà avertis, ô mes frères,
de purifier, comme doivent a le faire des hommes pieux et saints, vos
propriétés de « la souillure des idoles, et d’enlever de vos champs « tout ce
qui rappelle l’erreur des gentils. Il ne vous « est pas permis à vous qui portez
le Christ dàns vos «cœurs, d’avoir l’Antéchrist dans
vos habitations. «Pendant que vous adorez Dieu à l’église, vos gens « honorent
le démon dans des lieux consacrés (fanis'). <ç
Qu’on ne pense pas pouvoir se justifier en disant : « Je ne Vai pas ordonné.
Quiconque sait qu’il se com» « met des sacrilèges sur sa terre et ne s’y oppose
pas, « est pour ainsi dire censé les avoir commandés ; en « se taisant, en ne
blâmant pas, il a donné son consen- « tement au sacrificateur. Ainsi, mon frère, quand tu « sais
que tort paysan sacrifie, si tu n’y mets pas obstacle
semble avoir été instituée pour
remplacer les fêtes de Janus. On ne tonnait pas poailiyemmt
l’époque où elle fut établie. Le plus ancien document qqi
en fasse menlion est le 17e canon du
concile tenu à Tours en 567; les Pères de ce concile parlent de la Circoncision
comme d’une cérémonie établie déjà depuis long-temps.
IL 17
« tu pèche», non pour avoir*
fourni las moyens, mais «pour avoir permis.... Lorsque le paysan immole,le « maître est souillé. Si vous entrez dans le
temple « {ceUa \ qu’y trouvez-vous? des autels
ruinés et des « charbons éteints : sacrifice digne du démon, car un « Dieu mort
est honoré par des objets sans vie. Dans « les champs ce sont des autels de
bois et des statue? «de pierre : chose naturelle, puisqu’on peut, pour « prier
des dieux insensibles, se servir d’autels qui « pourrissent. Si tu rencontres
de bonne heure un « paysan ivre, apprends, car on le dit, que c’est un « Dianatkus ou un Aruspice. En effet, un dieu fou a «
d’ordinaire un pontife insensé. Ce ministre se prépare « en buvant à recevoir
les coups de sa déesse; le mal- « heureux espère que le vio
le rendra insensible à son « infortune. Il y a peut-être dans sa conduite moins
« d’intempérance encore que de calcul. : il croit que < l’ivrognerie
diminuera la douleur causée par ses «plaies. C’est un poutife(vo/ej) insensé celui qui « croit affermir la piété par la
cruauté. Combien il « doit être doux à l’égard des autres dieux, celui qui «
est si barbare envers ses ministres ? Je vais esquisser a en peu de mots le
portrait de ce pontife : il a la tête «hérissée de faux cheveux, sa poitrine.est nue, ses « épaules sont à demi couvertes par
le pallium. Pré- « paré au combat, il porte, comme les gladiateurs, un « glaive
à la main ; mais il est bien plus à plaindre que « le gladiateur, car celui-ci
combat contre un adver- « saire,
et loi c’est contre sa propre personne qu’il est « armé ; la fureur de l’un est
dirigée contre un anta- « goniste,
celle de l’autre le porte à déchirer ses pro-
LIVRE XI.
259 «
près membres; celui-là est excité à la eruautë pat le
« LswûtaVcelui-ei par le nom qu’il porte.'Je vous le « demande, reconnaissez-vous dans cet
homme ainsi «vêtu, ainsi dégouttant de sang, un pontife ou un « gladiateur? Le
crime public des combats humains a « été aboli par la piété des princes :
conformez-vous « donc aux lois du christianisme et chassez de vos de<* «
meures ces gladiateurs insensés. » -
Ainsi l’idolâtrie des habitants
des campagnes ne consistait pas, comme on aurait pu le penser, eh quelques
hommages stériles rendus à des lieux et à des objets autrefois consacrés-; elle
Allait beaucoup plps loin, puisque nous apercevons
ici des temples, des autels, des victimes, des offrandes, et des prêtres encore
fidèlès aux plus cruelles prescriptions de leur
religion.
Maxime en traçant le portrait
hideux duZMmdlfe«X, nous apprend que le culte de
Diane léguait toujours dans les pays couverts de forêts. 11 y avait pris un caractère
sauVngB et cruel qu’il conserva jusqu’à une époque
très-éioignée de œiie dont
il est question. IÀ voix éloquente des missionnaires chrétiens et tes ordres
des souverains restèrent trop longtemps sans efficacité contre un culte qui
prenait son appui dans le mystère dont.il était entouré, et dans le
caractère extravagant de ses cérémonies.
Il faut enfin remarquer que
saint Maxime hedétxftïee pas les adorateurs de Diane
et les aruspices comme des coupables que les lois condamnent et que le
magistrat doit frapper, il engage seulement les propriétaires, d’abord à se
mettre en défense contre les atteintes de l’idolâtrie, puis à faire tous leurs
efforts pour détourner
4
Chef des gladiateurs.
les colons ruraux de sacrifier
aux dieux et de se livrer à toutes Jes superstitions
ridicules ou repoussantes qu’il décrit.
Maxime éleva la voix contre les
autres pratiques superstitieuses que jadis saint Gaudenîce;
saint Am* broise, saint Augustin et Salvien avaient
attaquées avec une si grande ardeur. Ainsi, sa cent unième ho* mélie nous apprend que l’usage de pousser des cris pqur secourir la lune en travail était encore très-répandu,
et le saint évêque parle énergiquement adversus
eos qui putarent lujiam decœlo magonèm
carmt- >p. 337. nibus
poste deduci'.' Ces vers des mages auxquels étajt.attribuée une si merveilleuse puissance, étaient des
conjurations colportées par les devins dont l’ancien crédit sur l’esprit des
paysans n’avait rien perdu de sa force.
Saint Maxime ne nouslfait connaître que de simples débris de l’ancien
Culte. Ces débris ont cependant encore une forme si bieu'caractérisée,
qu’ils rappellent à notre esprit, non pas une portion quelconque du paganisme,
mais dette religion tout entière. Le feu sacré a été conservé au sein des forêtsydans les campagnes; là op aperçoit det pontifes, des aruspices, des sacrifices, des idoles et
des temples^ Bientôt ces débris encore reconnaissables vont se transformer eh
de vagues superstitions.
LIVRE DOUZIÈME
' ET DERNIER.
EXTJNÇTION
ÇOMPLÈTE DU PAGANISME EN OCCIDENT.
------ iiirrn B8QQP IBW» * r—
CHAPITRE PREMIER.
Considérations
préliminaires.
L’idée
fondamentale du christianisme était une idée neuve, forte , et indépendante dé
toutes celles qui Tayaient précédée. Cependant les
hommes qui l’étendirent; et la développèrent ayant été formés à l’école
païenne/ne purent résister au désir de rattacher le système chrétien aux
systèmes antérieurs : saint Justin, saint'Clément,
Athénagore, Tatien, Origfene, Synésius... regardèrent
la philosophie paâenne comme une préparation au
christianisme. C’était faire à l’esprit des temps anciens une large, concession/mais
iis crurent dissimuler ses. inconvénients en
maintenant dans toute sa pureté la forme du culte chrétien, en repoussant avec
dédain les usages et les cérémonies du polythéismes Quand-le christianisme
devint la reli* gidn .
dominante;, ses docteurs comprirent qu’ils «al* laient être forcés de céder
également* suf
4a forJnesex*
térieure
du culte, et qu’ils ne seraient pas assez forts pour contraindre cette
multitude de païens qui embrassaient le christianisme avec une sorte d’enthousiasme
irréfléchi et peu durable , à oublier lin système d’actes, de cérémonies et de
fêtes, dont l’empire sur leurs idées et leurs mœurs était immense. L’église
admit donc dans sa discipline beaucoup d’usages évidemment païens; elle
s’appliqua tans doute à les purifier, mais elle ne put jamais faire
disparaître l’empreinte de leur cachet primitif.
Cet esprit nouveau du
christianisme, cet éclectisme qui s’étendait jusqu’aux choses matérielles, ont
donné lieu, dans les temps modernes, à des discussions passionnées. On a
condamné les emprunts fa|tsà l’ancienne religion
comme ayant été conseillés aux chrétiens du quatrième et du cinquième siècle
par ce vieux reste d’amour pour l’idolâtrie qui couvait encore dans le fond de
leurs âmes. 11 fut facile aux modernes réformateurs de flétrir d’un blâmé
injuste la conduite des chefs de l’église; iis
auraient dû cependant reconnaître que l’intérêt principal: du christianisme
était d’enlever à Ecrreur le plus. grand nombre de
ses .partisans, et qu’il lui était impossible d’atteindre ce but sans mé* nager aux amis obstinés des feux dieux une voie facile
pour passer du temple à l’église* Quand on songe que, malgré ces concessions,
la ruine dû paganisme ne s’o-
plus de deux siècles il fallut
livrer dans toute l’Europe une fouie de* combats particuliers contre une erreur
qui, sans, cesse terrassée, se redressait sans cesse, on dempreed
que l’qsprit modérateur des chefe
de l’église était de là véritable sagesse.
Saint Jean Chrysostôme dit4
que le démon , s'étant aperçu qu’il ne gagnait rien sur les chrétiens en les
portant directement à l’idolâtrie, prenait un' chemin détourné pour les
séduire. Si le démon, c’est-à-dire l’esprit païen, changeait son plan
d’attaque, l’église devait à son tour modifier son' système de défense, et ne
point affecter une inflexibilité qui aurait éloigné d’elle-une foule d’hommes
dont la conscience flottait incertaine entre le mensonge et la vérité.
* Homel.
VIII.
Dès le commencement du
cinquième siècle, des esprits hautains, des chrétiens qui faisaient étalage de
la rigidité de leurs vertus et qui déjà criaient à la profanation des choses
saintes, se mirent à prêcher une prétendue réforme; ils rappelaient les fidèles
à la doctrine des apôtres, ils redemandaient ce qu’ils nommaient le véritable
christianisme. Un prêtre espagnol, Vigilance, soutint sur ce sujet une lutte
animée contre saint Jérome. Il ne voulait pas que
l’on adorât les saints, qu’on plaçât des flambeaux sur leurs sépulcres : il
flétrissait, comme une source de scandale, lés veilles dans les basiliques des
martyrs et plusieurs autres usages qui étaient puisés à la vérité dans
l’ancien culte8. On peut juger par la chaleur avec laquelle saint Jérome réfuta les doctrines de cet hérésiarque, de
l’importance qu’il attachait à ces usages. Il pressentait que la doctrine
chrétienne aurait pour mission de se plier aux mœurs de toutes les époques, et
de ne lutter contre elles que quand elles tendraient à se dépraver. Loin de
vouloir priver les Romains de certaines pratiques céré-
* Ces fêtes des Martyrs étaient
une bien large concession faite aux mœurs anciennes, Car tout ce qui se passait
pendant leur durée était peu édifiant. Muller, t. II, p. i6 Sqq.
monielles
qui leur étaient chères et dont l’infiueHce sur le
dogme thrétien n’avait rien de dangereux , il prenait
hautement leur défense, et toute l’église l’approuvait.
Si saint Jérome
et saint Augustin avaient partagé les sentiments dé Vigilance, auraient-ils eu
la force nécessaire pour s’opposer avec succès à l’introduction de plusieurs1
usages païens dans^les cérécaonies
chrétiennes? je ne le crois pas. Après, la chute de Rome, des populations,entières passèrent: sous les- éténdards chrétiens ; mais elles y passèrent aveé leur bagage de croyances insensées et de pratiques
superstitieuses. L’église ne pouvait pas repousser cette foule de soi-disant
chrétiens, .et encore, moins les sommer de déposer sur- le-champ toutes leurs.anciennes erreurs : elle fit donc des concessions aux
circonstances, concessions qui n’étaient pas complètement volontaires. On peut
aussi bien les regarder comme le résultat d’tm calcul
, plan de sagesse de la part des chefs de l’église, jque
comme la conséquence de cette sorte d’irryptipn faite
au conv- mencement du
cinquième siècle dans le sein de la .société chrétienne, par des populations
qui, malgré leur
46. Kist.
p. 57, ôi.
> g.Bonnet,
abjuration , étaient païennes par leurs mœurs, leurs p’ *46 45’
goûts, leqrs préjugés et leur ignorance1*.
:
et recherchons si l’on était en droit de dire quelles
attaquaient la pureté des dogmes chrétiens.
a
Ces transactions étaient temporaires : l’église les révoquait aussitôt qu elle croyait pouvoir te faire sans inconvénient. Elle itttia vivement contre tes Ca* lendes
de janvier après avoir pendant long-temps fermé les
yeux sur ces fêtes; et quand elle vit qu'elle ne réussissait pas, elle prit le.
parti de transporter le commencement de l’année du ier
janvier au. jour de Pâques, afin de rompre habitudes païennes. } .
les Romains avaient puisé datas
leur religion une passion excessive pour les fêtes publiques. Il ne. leur était
pas possible de concevoir un culte privé de l’àp-
pareil pompeux des cérémonies. Pour,eux les longues.
processions, les chants hannonieùx , l’éclat des
costumés, la lumière des flambeaux, l’odeur de l’en* cens, étaient la partie
essentielle dé.la religion. Le christianisme, loin de contrarièr
une disposition qui demandait seulement à être dirigéeavec
plus de sagesse, adopta une partie du système cérémoniel de l’ancien culte. Il
changea le but des cérémonies, il les purifia de leur vieille souillure, mais
il conserva l’époque où plusieurs d’entre elles étaient célébrées.:C’est
ainsi que la multitude trouva dans la nouvelle religion autant que dans
l’ancienne les moyens de satisfaire sa passion ' dominante*.
'a Les Saturnales et
plusieurs autres fêtes se célébraient aux calendes de janvier; la Nativité;
fut fixée à la même époque. Les Lu percales, prétendue! fêtes de purification,
avaient Ueu durant les calendes de février; la
Purification chrétienne fut placée au a février. La fête d1 Auguste
célébrée aux calendes d’août fut remplacée par celle de Saint-Pierre-ès-Iiens fixée au premier jour de ce mois. Les habitants des
campagnes, toujours tremblants pour le sort de leurs moissons, s'obstinaient à
célébrer les Ambarvalia ; -saint Mamert
établit vers le milieu du cinquième siècle les Rogations qui dans leur forme
diffèrent peu des Ambarvales. En comparant le calendrier chrétien an calendrier
païen, il est impossible que Ton ne soit pas frappé de la concordance existante
entre l’un et l'autre ; or cette concordance la regardera-t-on comme le fruit
du hasard ? C’est principalement dans les usages particuliers des églises que
l’on trouve, les traces de cet esprit de concession dont le christianisme fut
animé pendant les premiers siècles de son établissement. Ainsi, pour ne citer
qu’un exemple, je dirai qu’à Catane les païens fêtaient Cérès après, l’époque
de la moisson; l’église de celte ville consentit à receler jusqu’au même temps
la fête de la Visitation qui partout ailleurs se célèbre le a juillet. F. Aprile Cnwologia Universale di Sicilia, p.
6o<. Je renvoie le lecteur qui voudrait approfondir .ce: sujet à l’ouvrage
de Marangoni, ouvrage très-intéressant, quoique
l'auteur, dont le but était de répondre aux protestants qui trouvaient dans
ces concessions un motif pour attaquer la discipline
Les néophytes portaient aux
temples païens usures- pect involontaire. Ils
n’avaient pu passer tout à coup de la vénération au mépris- pour les monuments
de la piété de leurs ancêtres, et, en montant les degrés de l’église, ils
jetaient un regard d’intérêt sur ees temples naguère
éclatants de magnificence, aujourd’hui délaissés. Le christianisme comprit la
puissance de ce sentiment et voulut se l’approprier; désormais il consentit à
établir les solennités de son culte dans des édifices que pendant long-temps il avait dédaignés*. Telle fut son attention à
ne point blesser les habitudes païennes, que souvent il respecta jusqu’aux noms
portés par ces édifices sacrés** En un mot, sa politique qui, depuis le règne
de Constantin, avait toujours eu pour but de faciliter la conversion des
païens, prit, à partir de la ruine de Rome, un caractère plus prononcé, et ce
système d’utiles concessions devint général dans toutes les églises de
l’Europe. On ne peut douter que ses résultats n’aient été favorables à la propagation
des idées chrétiennes.
Il faut aussi attribuer à une
cause spéciale l’af&i- blissement
rapide des doctrines païennes en Occident, et cette cause si puissante, je la
mettrai dans son jour de l'église, se soit efforcé de rompre U relation
évidente qui existe entre certaines fêtes chrétiennes et les fêtes du
paganisme.
a
À Rome il existe encore aujourd'hui plusieurs églises qui sont d'anciens
temples païens, et trente-neuf qui ont été élevées sur les fondations de temples.
Marangoni, p. o56-a68. Il n’est aucun pays de
i*Europe où Fon ne trouve de pareils exemples. Il faut remarquer que presque
toutes ces transformations eurent lieu i partir de la fin du cinquième siècle.
b
Quatre églises de Rome portent des dénominations païennes, ce sont: S. Marie
sopra Minerve, S. Maria Aventina, S. Lorenio in Matuta et S. Ste- fano del Caceo. A Sienne le
temple de Qmrinus devint l’égKse
de saint- Quiricus.
CHAPITJ&E I.
467
véritable, en évitant soigneusement de mêler à un sujet de eette
importance toute considération étrangère , Wth?„
à l’objet de mes recherches Codex
J e nouum vêtus
Prononcer le nom de Nestorius
c’est rappeler le Ecci. roman, souvenir d’un de ces
hommes dont les erreurs sont p‘9°’ devenues pour l’église
une cause de dissensions passagères, mais aussi de victoires éclatantes.
. Nestorius, patriarche de
Constantinople, après avoir long-temps soutenu la foi
orthodoxe, vint échouer contre un sujet devenu pour tant de théologiens un
écueil redoutable : je veux parler de la nature de Jésus- Christ. Nestorius
distinguait dans le fils de Dieu deux natures, Tune divine, l’autre humaine, et
il soutenait que la vierge Marie n’était pas la mère du Dieu ( Osotoxoc ),
mais la mère de l’homme ( dvOpmKoraxoç )• Cette
doctrine, qui était une forme nouvelle et plus hardie donnée à l’arianisme, se
répandit dans les deux empires, et trouva beaucoup de partisans au sein des
monastères d’Égypte. Plusieurs moines ne pouvaient presque plus souffrir que
Jésus-Christ fût reconnu pour Dieu, et iis voyaient
seulement en lui un instrument de la Divinité ou un vase qui la portait ( ôao<popoc ).
Le célèbre saint Cyrille,
évêque d’Alexandrie, écrivit une lettre à ces religieux pour les rappeler au
respect des traditions établies dans l’église, sinon par les apôtres qui, en
parlant de. la sainte Vierge, ne se sont jamais servis des mots mère de
Dieu, au moins par les Pères leurs successeurs. La querelle devint générale
et violente; partout les fidèles en venaient aux mains. Nestorius effrayé
sembla vouloir reculer à l’aspect de la, tempête qu’il avait soulevée. *J’ai
trouvé, disait-il,
« l’église en proie aux
divisions : les: uns appelaient la « sainte Vierge seulement mère
de Dieu, les autres «seulement mère dun homme;
pour les réunir, je « l’ai nommée mère de Christ. Soyez donc en repos «
sur cette affaire et persuadé que j’ai toujours les « mêmes sentiments sur la
vraie foi. » Mais son obstination et les passions de ses adhérents ne lui
permirent pas d’aller plus loin que cette fausse rétractation. Le besoin d’un concilë général se fit Sentir : l’empereur .Théodose II
ordonna ., en 43o, sa réunion à Ephèse. Le st juin 431, deux cents évêques condamnèrent
Nestorius-, et déclarèrent que la Vierge Marie devait être honorée comme mère
de Dieu. Cette décision fut admise, malgré quelques vaines protêt* tâtions,
par l’église universelle.
Les
Pères du concile d’Éphèàe n’eurent jamais la pensée
d’établir dans l’église des .dogmes ou ûn culte
nouveaux. Pour eux la Vierge Marie avait toujours été la mère de Dieu, et s’ils
le déclaraient avec solennité , c’était afin de répondre aux attaques de Nés* torius, et pour mettre à l’abri de toute incertitude une
croyance jusque-là incontestée. Mais ces* grandes assemblées du christianisme,
malgré le motif particulier qui les réunissait, étaient toujours le produit de
quelque nécessité générale de la société; chrétien ne, et leurs décrets avaient
des résultats qui; dépassaient Souvent les prévisions des chefs de l’église. . »
Si je suis éloigné de croire
qu’il soit permis4 de peser au poids de la balance humaine les
dogmes du cbris- tianisme,
je ne peuse pas non plus qu’il soit‘interdit
de rechercher, entre ces dogmes quels sônt ceux*<jui ont le plus contribué à détacher les païens1
dp leurs erreurs.
Nous avons plusieurs fois
pénétré dans la conscience des chefs du pagpnisme, et
toujours nous y avons vu régner des idées et! des intérês
politiques. Ces intérêts, si puissants ? sur l'esprit des patriciens ,
exerçaient un très?faible empire sur celui des
habitants des campagnes. En effet,, quel intérêt les agriculteurs, les
artisans et( les prolétaires avaient-ils à ce que la constitution romaine'fut maintenue intacte, à ce que le . sénat
conservât ses droits, à ce que l’aristocratie nevît
point ses privilèges, ses honneurs et ses richesses menacés? Destinés, sous
quelque religion que ce fût, à une vie de labeurs et de privations, ils pouvaient
choisir entre le' paganisme et le christianisme ; mais certainement ce choix
serait resté pur de tout intérêt personnel. U faut donc aller chercher à une
autre source le principe de l’attachement obstiné que la population inférieure
des villes et celle des campa- gnesmontraient pour
lés pratiques d’un culte dont l’exis* teqce était depuis un siècle si misérable.
Je né reviendrai pas sûr ce qui
a été dit relativement à la tyrannie de l’hahitilde :
on sait qu’elle est plus vio* lente quatid elle domine des esprits peu éclairés. Mais
j’indiquerai une autre cause de l’obstination des païens qui reposait au moins
sur une opération de l’esprit, sur un jugement, et qui était par conséquent
plus digne de fixer l’attention de l’église que ce respect de la coutume contre
lequel les armes du raisonnement sont impuissantes.
’ En pénétrant dans une âme
corrompue et affaiblie par l’idolâtrie, les dogmes du christianisme devaient
dans lé premier moment y répandre une sorte de terreur. Comment les païens,
accoutumés à leurs dieux
suborneurs et à leurs déesses
prostituées, n’auraient- iis pas frémi quand ils entendaient
pour la première fois retentir la voix du Dieu jüstè,
mais inexorable rémunérateur du bien et du mal ? Un culte grave, solennel, dont
les cérémonies étaient une excitation constante et directe à la pratique de
toutes les vertus » ne devait-il pas sembler un joug insupportable à des hommes
accoutumés à trouver dans leurs rites sacrés «
une occasion légitime de donner
cours à tous les genres de débauche? I<a crainte d’être forcés de soumettre
leur vie aux règles d’une morale trop austère, et d’a- baisser leur tête devant
un Dieu dont la grandeur les effrayait, retint pendant bien des années une
multitude de païens hors de l’église.
S’il entrait dans les desseins
de la Providence de tempérer les dogmes sévères du christianisme par la consécration
de quelques idées douces* tendres, consolantes , appropriées par cela même à
la nature fragile de l’homme, il est évident que ces idées, quelle que fut leur
forme, devaient contribuer à détacher les derniers païens de leurs erreurs :
le culte de Marie, mère de Dieu, semble avoir été le moyen dont la Providence
s’est servie pour compléter le christianisme.
Après le concile d’Ëphèse, les églises d’Orient et d’Occident offrirent à
l’adoration des fidèles la Vierge Marie, sortie victorieuse d’une attaque
violente. Les peuples furent comme éblouis par l’image de cette mère divine
réunissant dans sa personne les deux sentiments les plus doux de la nature, la
pudeur de la vierge et l’amour de la mère, emblème de douceur, de résignation
et de tout ce que la vertu présente de sublime; qui pleure avec les
malheureux, intercède pour les
' coupables et iae se moatrejaarôsque comme la
messagère du pardon ou du bon secours. Ils àccuteiLlirent
ce euite nouveau avec un enthousiasme quelquefois
trop grandi, puisque, pour beaucoup de chrétiens , ce culte, devint le
christianisme tout entier. Les païens n’essayèrent pas même de défendre leurs
autels contre les progrès du culte de la mère de Dieu, ils ouvrirent à Marie
des temples qu’ils avaient tenus fermés à Jésus-Christ, et s’avouèrent vaincus[***].
A la vérité ils mêlaient souvent
à l’adoration de Marie ces
idées païennes, ces vaines pratiques, ces superstitions ridicules, dont ils ne semblaient
pas pouvoir se séparer, mais l’église s’applaudissait cependant de les voir
entrer dans son sein, parce qu’elle savait bien qu’il lui serait facile avec
l’aide du temps de purger de son alliage un culte dont l’essence était la
pureté même.
Ainsi quelques prudentes
concessions faites temporairement aux mœurs païennes et l’influence exercée
par le culte de la Vierge, tels sont les deux éléments de force dont l’église
se servit pour vaincre la résistance
-dea.derniers-païens,
résistance assez molle en Italie, mais qui au-delà des Âlpes'
était encore inspirée par la fureur; quant aux lois des princes, il ne faut
plus en ternir compte *.
•»
• M. âtuflken
remarque que cinquante années après la mort de l’empereur Valens il n’existait
plus que de faibles restes de la superstition ; observation juste pour
l’Orient; mais je ne m’explique pas pourquoi il ajoute, p. rei : Haud ego ille sum qui negem, non ipsam religiotùs prœstantiam multumfecisse adhanc mutationem ajferendam ; sed negarisimul nequiltplus adhuc fecisse leges, quas Theodosius tulit, quasque hune imitati suntfilii nepotesque servave- runt. C’est, à mon av», exagérer l’influence des lois.
Elles renversèrent sans doute la puissance extérieure du paganisme; mais elles
ne détruisirent pas les croyances; celles-ci. ne succombèrent réellement que
sous les coups répétés de h religion chrétienne. L’opinion de M. Stuffken ressemble beaucoup su paradoxe de Jurieu.
CHAPITRE il.
Célébration
des Lupercates.
Les
contrats passés entre la vérité et l’erreur ne devaient être que temporaires;
ils validaient l’union de choses si antipathiques, que les chefs de la nouvelle
religion auraient été coupables de ne pas saisir l’occasion favorable de les
déchirer. Quand ils voulaient combattre les restes du paganisme, les Pères de
l’église avaient pour adversaires à la fois les païens et les chrétiens; dès
lors une lutte s’établissait, lutte dans laquelle le principe religieux
s’effaçait toujours pour laisser voir aux prises deux civilisations opposées.
Ce qui semblait mis en question était donc bien moins le polythéisme et le
christianisme que les mœurs anciennes et les mœurs nouvelles, éternelles
ennemies qui après une guerre de quatre siècles combattaient encore avec leur
ancienne ardeur.
L’histoire ecclésiastique du
cinquième siècle contient le récit d’une discussion très-animée qui eut lieu
sur ce sujet entre le souverain pontife Gélase Ier et le parti
pagano-chrétien, parti dont nous connaissons déjà l’influence et dont nous
allons bientôt connaître lés doctrines.
Gélaae fut élu pape le a mars 49a>
c’est-à-dire à une époque où l’aecusation intentée
contré, le christianisme d’avoir causé la ruine de l’empire romain reprenait
toute son aigreur. L’historien Zosime déve- n. 18
loppait
celte thèse dans un livre qui nous est parvenu incomplet et qui ressemble moins
à une histoire qu’à un acte d’accusation dressé contre le christianisme. Les
païens d’Occident, gehs petx
éclairés, qe Élisaient pas de livres, mais ils ne
cessaient de propager contre la religion du Ghrist
les calomnies les plus insensées.
Gélase
indigné de voir que des chrétiens s’unissaient aux païens pour célébrer pendant
le mois de février tes Lupercales et toutes tes fêtes do purification qui atateht lieu dans ce même mois, voulut eh l’année 4^3 foirfe .interdire ces cérémonies païennes-, dartmt tes*- qwettea-la'pudeur
publique* était offensée. La Vcâx aaiMtricextes.
païens et celle des chrétiens retentic-dims fiomecd Si l’Italie, disaient-ils,est4ivrée airfl&m-<te& «hMladiee
épidémiques, c’est patce quUn
fifadoreptefe « tedieu Februus'; ut l’on veut encorequ®
les Lupuh- « cales ne soient * plus célébrées 1 »Oh
conçoit quede telle? pensées-ntent
eu coûts parmi 1®peuplera* twftr- prendra -plus‘
difficilement- qu’ma ‘homme- paûstanl, qu*nn*sénateur nommé AndromachufcjSe soit-présenté eotnmmte
défenseur officieux des cérémonies puïpMMt du mois de
février. Malgré les révoterttens-qubsyvaûmk rempli la
durée du cinquième sièeteetthtogéie. caractère de
toutes tes instrtutians romahmfcyiè
sénat cte Moine conservait daws-
sonsein/tnais ‘9digneügtm«st
cachés, lés germes du fanatisme païen j quelq»es-uns éclatèrenten cette Circonstance. -*. 0.,.i
Andromachus
publia sa défense des Luperoâtea: «lie-ne -nbus est' point .parvenue et nous deVous
la regretter. Il eût été intéressant de comparer Sytqmaque
CHAPITRE II.
375 plaidant pour l’autel de U Vietoire et Andromaque défendant les Lupercalesplus.de cent
ans après, quoique la situation de ces deux sénateurs ait été diffé- rentesur un point
essentiel, puisque Andromaque ne paraît pas avoir pris la défense des fêtes
païennes au notn des païens ,-mais. bien en faveur de
ceux des chrétiens qui prétendaient avoir le. droit de les célébrer. <Nous
possédons la réponse de Géiase’ et elle suffit pou» ‘Baronîm.
. », 1 ,
,, . . / Annal.t.Vl,
feire.conaaitre.Ie.terratn.sur lequel
s étaient plueé&ces p. 5m.
feux chrétiens, champions obstinés- et inoonséqocnts del’héritàge
d’erreurs qu’ils avaient reçu de léms pêrefc L’évêque de. fionae comihence par.signalerles dan« gers de h superstition; il flétrit du nomd’zztùzZfiéreile
mélange des rites chrétiens et des pratiques paûtaaies,
etdemande pourquoi tant de personnes s’empressent de
célébrer les Lupercales et de.fêter.le. dieu Febmur. «C’est, répond-il, afin de sauver les
peuples de là.peste « et de la guerre, et pour
garantir les femmes-de .la sté- « rilité. Mais; alors
ces mauxne devraient plus exister, « l’empire devrait
être plu» peuplé quejauiàis; et qui « ne sait qji’il n’y » plus enquelquesorte
un séul.lîabitant « dans l’Étrurie et:dans. FÉmilienne? Powquos Castor «et Pollux .dont vous n’avez point voulu
abandonner « le cuite, n’ont-ils pas rendu la mer favorable afin que * lés blés
arrivassentà Rome? Lorsque lempéreur
Au- « theraws1 vint en «cqtte ville.,
assurément lesLupercalies «se célébraient 1 partout:
n’ayon»nous pa» eu Àigéfeir « de ht peste ?-qua se
passe-d-il-en Afrique et dfMjs fes
« Gaules? d’où vient la stérilité? les Lupercahiat oUi, le6 « Bnpierdalesj ou bien
notée corruption j les supplices, «fesihonaieidea, lesr.:ad«lltèees,. les vidlorees^>dâs -,wi- « ntitiés,EambitiaB,l’avarice,
le. parjure,. les feux té-
« moignages,
l’oppression des malheureux, l’abandon «où se trouve le bon droit, la faveur
qui entoure « l’injustice, la perversité inouïe en toutes choses; enfin, « et
ce qui est pis, le mensonge envers Dieu, le sacri- « lége et cet art magique odieux même aux païens : « voilà
les véritables causes de toutes nos misères. « N’accusons pas les Lupercales ,
qui pour votre salut « ont été presque partout interdites. »
Gélase remonte à l’origine de
ces fêtes et discute les motifs qui les ont fait établir ; il prouve sans peine
que l’empire romain n’a pas été une seule fois garanti par ce spécifique contre
la peste. Quant à la stérilité des femmes, il objecte que l’Orient, où les Lupercales
n’ont jamais existé, possède une nombreuse population , tandis que les Gaules
et l’Afrique, provinces restées également étrangères à ces cérémonies, sont
désertes. L’argument tiré de la dépopulation de l’empire n’a donc aucun poids.
Le pontife examine ensuite une
à une toutes les raisons alléguées par Andromaque.
« Le mal, dites-vous, est de
supprimer les Luper- « cales dans les endroits où
elles ont été établies ; mais « les Gaulois se sont emparés du Capitole, les
guerres « civiles ont plongé la république dans un abîme de « maux ; Alaric
suivi de ses hordes barbares a souillé «Rome par sa présence; de nos jours
Anthemius et « Ricimer ont porté au comble les maux de la patrie : « et
cependant à ces époques vos Lupercales étaient « célébrées.
« Autrefois les nobles et les
matrones présidaient à « ces fêtes, on les voyait se livrer dans une hideuse
<r nudité à ces cérémonies dégoûtantes. Aujourd’hui
CHAPITRE II.
a77
« qui prend part aux Lupercales ? quelques misérables « dont vous-mêmes
rougissez. Si ces cérémonies sont « bonnes et utiles, pourquoi ne les
accomplissez-vous «pas à la manière de vos ancêtres*? Dépouillez-vous « donc de
vos vêtements, courez à travers les rues, « remplissez ponctuellement les rites
de ces pieuses « fêtes. Pourquoi des scrupules si la patrie doit retirer « tant
de profit de votre dévotion ? reconnaissez plu- « tôt qu’une religion dont on
rougit ne saurait être « utile. Apprenez, au moins par votre honte, que « vous
commettez un crime public, au lieu d’accomplir « un acte de piété.
« Vous prétendez qu’il faut
respecter jusqu’à l’image « des choses saintes, qu’on ne doit pas rompre avec
des « usages reçus depuis tant de siècles. Allez plus loin, « plaidez
maintenant pour vos autels. La superstition « païenne a été proscrite depuis long-temps, demandez « néanmoins à sacrifier dans les
temples, à célébrer « vos rites profanes dans le Capitole; car il serait «
moins déraisonnable de défendre avec obstination « une religion tout entière
qu’une seule de ses oéré- « monies.
« Vous ajoutez que les
Lupercales ont été fêtées de- « puis l’établissement du christianisme. Cela ne
prouve « qu’une seule chose, savoir que le bien se fait gra-
« duellement. On a souffert aussi les sacrifices,
s’en- « suit-il qu’on n’ait pas dû les abolir? Chaque évêque «a supprimé en
divers temps plusieurs superstitions « méprisables ou criminelles. On ne guérit
pas toutes « les maladies à la fois, on commence par les plus
a
Le more majorum reparait deux fois dans ce discours ; mais l’orateur ne
remploie qu’ironiquement.
<
dangereuses j dé peur que le corps n’ait pas h force «de supporter les remèdes. r; :n . ' •
' •'«
Qu’aùçun baptisé, que nui chrétien ne prenne -part *
à' ces'fêtes; qu’elles ne soient* célébrées*qtfé par les -« païens qui en bette circonstance’fëmp'lissent
un devoir « de leur religion*. Grôyez-vdüS flotte qü’tiri tel exemple â ne soit pas lassez daiigéréuxP'Quant à moi; je pensé a qu’il l’est et jVi pouvoir» pour’le 'dîre.* J’ôbéie'àhx h mouvements dé ma conscience. ‘Que céux qui mépri- « sent mes avis
descendent dans lé leur. Jé veux penser « que mes»
prédécesseurs- n’ont? pas -négligé leurs dé- « voirs,
et qu’ils se sont adressés aux empereurs pour « faire détruire ces abus : on be lès a pas écoutés et « l’empiré s’etr
est ressenti. Après tout je n’ai à tendre a compte que de môii
administration, et je veux pouvoir « lé faire un jour sans rémbrds.'» ’’ ’
Ainsi donc les pàîéns étaient maintenus ctenÿ le
droit dé-fêter leurs Jjupereales. Lès• lois cdntrë 1&‘fêtes païennes tendues par Honorius ’n’âvàîént paS été mises à éxécdtibh dans la câpitalei Batoriibs ditqüë le sénat • id.
prohiba ’ lés Lupercales d’une' manière absolue * ; Je ne sais pas sur quelle
autorité il fonde cette assertion. Le langage dit papé'est
positif : Que'lès'pàïèiïs fêtent les ’LüpeMales ! C’éSt ainsi que
Constantin avait dit aux partisans du même cülte : .dites
égorger dès victimes. Â’Une distance de plus de céht Cinquante ibs,' nous mtb il vote la-même politique exprimée par deÉ paroles SémblablëS: La
‘liberté deS'cnltes, qui avait' tué le pa- 'ganishie,, étaitèn'cbrè offerte eti
4^3 "à q'uêiqües-ùns des partisans de l’ancien
culte, sinon comme une faveur
* Nullus
bepùzaUis, nullus
christiania hoc cokhret, sed
soit pagani quorum ritus
est exequantur.
au
moins comme une consolation. Quand, nous voyons uq
évoque aussi-éçlairé que l’était Gélasft
reapettenJa liberté.despaïens
et reconnaître leur dfoit d-impiété,
nqus ne pouvons qu’admirer cette religion qui, .parvenue
à lasuprême puissance ,combat: avec- ,lg&>Mtlles armqs.de la .persuasion des-adversaires
qui, aqg jours de leurpoqvoir,
avaient employé contre elfe la terroit* des*
Supplices, J’ai dans «et ouvrage indiqué les rapports que les deux jeligions eurent l’une ayeç;
l’autre peu-' dantla durée du quatrième et du
cinquième siècle*, a-t-oq vu une seule -fofe le-christianisme* solliciter çoqtre
un ennemi souvent imprudent/-je ne dis pas des bûchers et des tortures, mais de
simples lçfe pénales? et quapd
,1a Jutte est finie, quand il ne l’agit plus que de
purger la société de quelques débris de paganisme dédaignés.par
le.,plus grand nombre des païens, le.christianisme
s’arrête eq présence d’un principe qu’il a accepté et auquel il est toujours
resté fidèle. ,
Plusieurs autres faits
résultent, de l’écrit de Gélase: ainsi,. par exemple,. nous voyons que-Jes Lupercales n’étaient plus célébrées que par le rebut de
la population, les nobles n’y prenaient auçuqe
part.. Aqdror mqçhus et
d’autres personnages puissants défendaient çes usages
par une sorte de point d’iionpeur, et parce qu’étant
issus d’anciennes familles païennes, ils se regardaient comme les
patrons des vieilles coutumes, mais ils refrisaient de paraître parmi les Loperei^ Tel était alors le paganisme : ses
défenseurs eni l’approuvant par leurs paroles le
désavouaient par leur conduite.
. Sans pouvoir indiquer
l’époque précise qù
les Lu- pegcales cessèrent d’être célébrées à Rome,
on est
1
Maran- goni. c. 26,
P- 99-
d’accord pour représenter la
procession qui a lieu peu* dant la fête de la
Purification de la Sainte Vierge, et dans laquelle les assistants portent des
cierges allumés , fête qui par ce motif est nommée Chandeleur> comme
ayant été établie afin de tenir lieu des Luper- cales
pour lesquelles le peuple montrait un si grand attachement. Au lieu d’une
cérémonie bouffonne et indécente, on plaça une fête qui, en satisfaisant la
passion des Romains pour les solennités, rappelait à leur esprit des pensées
nobles et pures. La Chande5- leur fut établie postérieurement au
pontificat de Gé- lase, d’où nous devons induire que les Lupercales n’ont point
été généralement abolies par ce pontife et qu’il a seulement défendu aux
chrétiens d’y prendre part1.
Le sénat saisit cette occasion
pour réformer plusieurs usages païens, moins scandaleux sans doute que les
Lupercales, mais trop opposés cependant à l’esprit du christianisme pour être
plus long-temps tolérés. On célébrait dans le Cirque,
en l’honneur des nouveaux consuls, des fêtes empreintes de paganisme; il fut
décidé que les fonds alloués pour cette dépense seraient 3Baronius. employés à
des œuvres de charité2'. Le sénat n’osa pas 1 ’ compléter
sa réforme, et, par exemple, abolir les autres vestiges de paganisme qui
apparaissaient dans Ta cérémonie de l’installation des consuls, ni interdire
les fêtes, si fécondes en scandalesque Fon célébrait
aux calendes de janvier. Géiase avait raison de dire
que plusieurs maladies ne se guérissent pas à la fois.
On a remarqué dans l’extrait
que j’ai donné de son mémoire cette phrase : « Castor et Pollux dont vous « riavez pas voulu quitter le culte. » Une autre auto-
rite propve en effet l’existence
du «culte des Dioscures aux environs de Rome. Dans l’île formée par la mer et
les deux bras du Tibre et que l’on appelait File Sacrée, se trouvait un temple
dédié à Castor et Pol- lux. C’est dans ce temple que depuis des -siècles les
Romains allaient demander à leurs dieux des vents favorables à l’arrivage des
vaisseaux chargés du blé de l’Afrique. L’auteur d’un des trois extraits de
géographie que l’on réunit sous le titre de Cosmographie d'É- 1
Biographie thicus.) et qui vivait dans
le milieu du sixième siècle1, '”?iTc"e,lS’
z , * . . . > . XIII, <20.
en décrivant
le cours du Tibre dit : «Insulam facit in- « ter portum urbis et Ostiam civitatem : ubi populus «romanus cum urbis prœfecto vel consule, Casto- « rum célèbrandorum causa, egreditur solertmitate « jucunda a. » » p. 7 »<*.
Suidas parle d’une autre fête nômmée Maïume ( Maioù|zaç Tvavvfyüjnç ) qui se
célébrait à Rome au mois de mai3. Le peuple se rendait à Ostie, et
les premiers 3r 11, de la ville ( oî toc -rcpwra Tïfc ) se
livraient à
la joie en se poussant les uns
les autres dans les eaux de la mer ; mais Suidas ne
dit pas que cette fête eût rapport au culte des Dioscures, et il laisse
entendre qu’elle n’existait plus de son temps. Cependant la solemnilas
jucunda d’Éthicus
paraît assez analogue aux jeux décrits par Suidas.
Beaucoup d’autres traces de
l’ancien culte subsistaient à Rome et dans les provinces. L’occasion de les
faire rémarquer se présentera bientôt.
L’exercice
de l’auciee culte est .interdit en Italie sous peine
de _ . mort.
- lu nation des Goths se
distingua entre toutes eelfo qui prirent part à la destriiction de rempireronaajâj
par les qflforts quelle fil pour* unir sas idées, ses
mœurs et ses intérêt à w dep peup|e$
que la victoire lui avait )ivrés« TWôdoritf paraît
moins dans l’histoire comme ün chef de barbares que
comme le continua* teur de la politique des Césars.
«Il n’est rien* 4ieait->l « Cassiodor. eçflMâ Romains * qu£ je déflire* vous voir cmMO^ver anæ.p.i p|us yehgieftsemwt que h disciphoe'de vpsanceteœ, <afin que sous mon règne vous augmentiez ee qui « dans les temps anciens vous a toujours paru digne
«de louanges.» Nous voyons en effet renaître, à Té* poquede
Théodoric, cette habitude de louer à tout propos les, temps anciens et dedépréçier en leur hon- 1 id.p.
8. neur le siècle présent2.
, Cette restauration des
vieilles i^ées d?vmt
sembler favorable aux faibles restes du paganisme qui persistaient encore dansî leur résistance ; .mais l’intention de • Tfeéodoric n’était pas de leur prêter appui > car. son
amour pour l’arianisme ne lui inspira ni douceur ni tolérance envers les
païens.
L’édit de ce prince contient un
article ainsi conçu3
Leg. ant. « Si quelqu’un est surpris sacrifiant d’après le rite P’2 « païen , si des devins ( arioli
) ou des nécromanciens
CHAP1TM 111.
^83 4 ( ) sônt détôtyverfc, pa les convaincra de
« ieilrs
crimes ef iis seront
justement condamnés? <à w mort. Les aateurS des
machinations coupables appe- h lés malfaisants ( malefài), s’ilssontd’ùhraÉng
dis- « tingué, seront condamnés à un exil perpétuel ;
ceux «d’une classe plus humble subiront la peine capi-
« taie. »
On aperçoit facilement l’effet
d’une telle loi. L’état légal des païens d’Italie est changé ; l’ancien système
de tolérance, fondé par Constantin et suivi par ses successeurs, fait place à
une prohibition absolue, appuyée sur la pénalité la plus forte*. Ce qu’aucun
empereur romain n’avait osé faire, un prince goth l’exécute sans balancer. Les
païens Sltalie sont enfin placés dans une situation
aussi défavorable que celle où, depuis deux siècles, se trouvent leurs frères
d’Orient.
La loi de Théodoric fut-elle une simple menace, ou bien reçut-elle son
exécution ? Je répéterai pour les temps contemporains de Théodoric ou qui lui
sont postérieurs ce que j’ai dit pour les siècles précédents, savoir que l’on
n’aperçoit pas la trace d’une seule action judiciaire intentée en Italie contre
les païens pour cause de religion. Cependant il ne faut pas conclure de cette
absence de toute répression que les païens méprisèrent les lois de Théodoric; à
aucune époque ils ne furent partisans du martyre, et si nous ne voyons pas les
magistrats appliquer la peine, nous n’a-
a
On ne doit pas regarder ce qui est dit ici comme opposé à ce que noua avons
avancé relativement à la loi rendue par Valentinien III en 426 et dont il a été
parié p. ai3. Cette loi ne s’adressait pas spécialement aux païens, elle avait
pour but de réprimer toutes les sectes ennemies de l’Église catholique et ne
prononçait d’ailleurs qu’une peine inexécutable.
□84 LIVRE XII.
percevons point non plus les
païens commettre le crime, ou du moins les sacrifices deviennent si rares qu’il
est permis de ne plus en tenir compte et de rendre hommage à l’efficacité des
mesures vigoureuses prises par Théodoric contre Fancien
culte.
Je vais indiquer une de ces
exceptions, la seule dont l’histoire de l’Italie ait conservé le souvenir.
Destruction du
temple d’Apollon au Mont-Cassin.
«Je
ne sais, dit Baronius, par quelle incurie des « évêques endormis, alors que
l’idolâtrie était depuis « long-temps entièrement
détruite dans le monde direct tien, elle poussait encore de profondes racines
sur a le Mont-Cassin.»
La surprise de Baronius aurait
cessé s’il se fût rappelé qu’à cette même époque on sacrifiait publiquement
dans les Gaules, dans la Bretagne et en Allemagne, et que l’idolâtrie n’avait
été réellement déracinée qu’en Italie. Toutefois l’ancien culte poursuivi par
Théodoric se réfugia au sommet du Mont-Cassin, comme pour mieux embrasser d’un
seul coup d’œil les vastes domaines que le christianisme venait de lui ravir.
Là une multitude insensée adorait encore Apollon; autour du temple de ce dieu
était un bois sacré où des sacrifices avaient lieu[†††].
Saint Benoît, pieux cénobite,
chassé de sa retraite de Subiaco par des persécutions, se dirigea vers le
Mont-Cassin, averti sans doute qu’il y avait en ce lieu quelque ennemi à
combattre et à vaincre. Il prêcha l’Évangile aux païens, renversa la statue du
dieu, et
fit couper le bois sacré qui
était près du temple. Les païens avaient une grande vénération pour ces bois,
dans lesquels ils croyaient que l’âme des héros habi-
aLrâctTi,
tait1, et les missionnaires ne négligeaient pas d’or- v. 441. donner
leur destruction.
Benoît changea le temple
d’Apollon en une chapelle dédiée à saint Martin, patron des destructeurs
d’idoles, et en fit élever une autre sous l’invocation de saint Jean, à
l’endroit même où avait été Fautel d’Apollon : tels
sont les commencements de ce célèbre monastère cassinien, dont les rameaux
s’étendirent sur toute l’Europe, et y ranimèrent la culture des lettres et la
civilisation mourante..
La fortune s’est plu à
illustrer par trois faits à jamais mémorables cette petite montagne de la
Campanie , qui n’avait pas jusqu’au sixième siècle fixé une seule fois les
regards de l’histoire : le Mont-Gassin reçut le dernier soupir du culte païen
en Italie ; il vit fonder sur sa cime un monastère qui devint le chef-lieu de
tous les autres en Occident; enfin, c’est au milieu de ses rochers que les
lettres, fuyant éperdues devant la barbarie, vinrent cacher les écrits
d’Homère, d’Aristote, de Platon, d’Hérodote, de Virgile, de Tacite, de
Tite-Live et d’Horace , c’est-à-dire le génie même de l’antiquité.
Muratori pense que l’idolâtrie
éteinte à Cassinum
contraire à l’idée que
l’histoire nous donne de ce peuple, car les ariens détestaient l’idolâtrie
autant, que les chrétiens. Je crois plutôt que le culte d’Apollon sé maintint jusqu’en 5a() sur le Mont-Gassin par insouciance
des évêques et l’iguorance des habitants. Le peu
CHAPITRE
IV. 387
d’opposition qu’éprouva saint
Benoît montre qu’Apollon aurait pu être terrassé long-temps
avant. Attribuer la conservation du temple de ce dieu à des motifs puisés dans
la nature élevée du. culte d’Apollon et au rang qu’il occupait dans la
mythologie païenne, ce serait grandît* beaucoup trop un fait qui est purement
accidentel.
Restes de
paganisme mentionnés par l’historien Procope.
J’ai
recueilli dans les divers écrivains des cinquième et sixième siècles tous les
indices qui. pouvaient révéler la situation de l’ancien culte, à une époque
sur laquelle les documents historiques sont rares et incomplets. Mes
recherches ne m’ont pas toujours conduit à des résultats satisfaisants. Chaque
fait que je constatais m’autorisait à en supposer plusieurs autres non moins
curieux ; mais le dédain des historiens pour une religion renversée et le peu
de souci qu’ils prenaient des protestations d’un petit nombre de païens nullement
redoutables, s’opposaient à ce que je changeasse ces suppositions en certitude.
Ainsi, par exemple, quand je montrais les magistrats romains du sixième siècle
se rendant au temple de Castor et de Pollux pour invoquer les dieux, je pensais
bien qu’une particularité aussi remarquable ne pouvait pas demeurer isolée, et
qu’au tour de ce fait il devait en exister beaucoup d’autrçs
de même nature. Si je ne l’ai pas déclaré, si je n’ai pas insisté sur une
analogie qu’appuyait l’ordre naturel des choses, c’est que l’histoire s’écrit
avec des faits et non avec des inductions. J’aurais été d’autant plus
excusable si je m’étais écarté de cette règle, que, parvenu au milieu du
sixième siècle, je trouve un historien qui, plus habile que ceux du siècle précédent,
mieux instruit des faits relatifs aux mœurs,
CHAPITRE V.
289 aux croyances et à l’état
des peuples de l’Italie, repré- sente le paganisme
sous un jour nouveau /et nous apprend qu’il conservait, non pas comme culte
public mais comme tradition religieuse et secrète, une notable influence sur
l’esprit du peuple. S’il nous eût été donné de lire l’histoire du cinquième
siècle dans des historiens semblables à Procope, les différentes parties de cet
ouvrage auraient été sans doute mieux disposées et les faits certains plus également
partagés entre chacune d’elles.
Procope naquit au commencement
du sixième siècle, et mourut vers l’an 565 ; secrétaire de Bélisaire, il le
suivit dans ses guerres d’Asie, d’Afrique et d’Italie, il vit beaucoup de
grandes choses, les vit bien et les rapporta fidèlement.
Les érudits modernes ont agité
la question de savoir s’il était païen; on trouve à la* vérité dans ses écrits
des sentiments qui dénotent aussi bien un païen qu’un chrétien. Le nom de
Procope doit, à mon avis, augmenter cette liste de sceptiques à laquelle chaque
siècle apporte trop fidèlement son tribut. VHistoire
de la Guerre gothique, le seul de ses ouvrages qui fixera nos regards,
semble écrit sous l’influence des souvenirs de l’ancien culte*.
Lorsque
les Goths viennent demander à Bélisaire la paix, ils lui rappellent la douceur
de leur domination en Italie : « Pour ce qui a rapport, disent-ils 1
, « à la religion , à la foi, nous avons voulu que la lift berté
des Romains fût si entière que personne en «Italie ne changeât de religion,
soit librement, soit « par contrainte. Aucun tort n’a été fait à ceux des «
Goths qui ont abandonné leur culte, et nous accor-
II. 19
1 De Bello Gothico.
1. Il, c.
6.
« dons les plus grands honneurs
aux temples des Ro- « mains. »
Sans doute les Goths parlaient
en cette occasion de l’arianisme qu’ils professaient avec ferveur ; ils se justifiaient
du reproche d’avoir persécuté les orthodoxes de l’Italie ; mais le principe
proclamé par eux a trop de généralité pour qu’il soit interdit de croire que
les païens en aient retiré quelque avantage. Ne voyons- nous pas long-temps après la mort de Théodoric fleurir en Italie une
foule de traditions païennes auxquelles les peuples s’empressaient de rendre hommage,comme ils auraient pu le faire si le paganisme eût
été vivant? Qui croirait, par exemple, si le témoignage de Procope nous
manquait j qu’au milieu du sixième siècle les livres sibyllins jouissaient
encore du privilège de diriger 1 l.
ï, c. 7. l’esprit superstitieux de la multitude1 ?
Les Romains venaient d’éprouver
un échec ea Dal- matie : deux de leurs généraux, Mundus et son filsMau- rice, avaient été tués. Ce fait était très-naturel, mai»
les Romains se rappelèrent que l’oracle de la. sibylle avait dit autrefois : Africa capta mundus cum
note peribit. L’Afrique ayant été enlevée aux
Vandales, si l’on admet qu’en se servant du mot mundus
l’oracle avait voulu indiquer non le monde mais bien le général Mundus, on voit que la prédiction était
vérifiée en tous points. Admirons la foi des Romains dans ces livres sibyllins,
dont la dernière publication, remontait à une époque antérieure à celle dont
nous nous occupons de près de sept cents années, et jugeons par là de l’énergie
vivace des croyances païennes*.
a
L’oracle dont parle ici Procope ne peut avoir été tiré des faux livres sibyllins
rédigés par les chrétiens : ces livres vuinpul peu de
cours dans FOcci-
Je
continue de peindre l’esprit païen d’un siècle chrétien, et je laisse parler
Procope ’ : ’L.i, c. 24.
« Sur ces entrefaites il arriva
à Naples ce que je vais « rapporter. On voyait dans le forum de cette ville une
«image de Théodoric, roi des Goths. Elle était faite « avec de petites pierres,
toutes à peu près de diffé- « rentes couleurs*. Du
vivant de Théodoric ces pierres «s’étant tout à coup disjointes, la tête de la
figure « tomba : peu après Théodoric mourut. Huit ans s’é- « taient écoulés quand les pierres qui figuraient le « Ventre
se détachèrent subitement : alors Atalaric, «
petit-fils de Théodoric, cessa de vivre; plus tard enfin « celles qui
composaient le bas-ventre tombèrent aussi, « et Amalasonthe,
fille de Théodoric, périt. Les Goths « mirent ensuite le siège devant Home;
alors l’on vit « se détacher les autres parties de la figure depuis les «
hanches jusqu'aux pieds, et l’image disparut totale- « ment de la muraille. Les
Romains, tirant de ce der- « nier accident un présage, disaient que l’armée de
«l’empereur serait victorieuse, car, selon eux, les « pieds dé Théodoric
étaient les Goths auxquels il « avait commandé; leur espoir prenait en
conséquence « plus de force. Les patriciens de Rome rappelaient « certains
oracles dé la sibylle, desquels il résultait que « les affaires de Rome iraient
mal jusqu’au mois' de « juillet, que cette époque était fixée pouria nommâtién « d’un empereur
qui saurait garantir la ville contre la « terreur des Gètes; car les Goths,
disent «ils, sont la
dent. H' «fit probable qtf avstât 1» destruction dés
véritables liih*és
sibyllins ; les païens en avaient ou tiré des copies ou fait quelques extraits
: ces copies ou ces extraits conservèrent le souvenir des oracles rendus par
les sibylles.
a
On voit qu’il est ici question d’une mosaïque grossière.
LIVRE XII.
« nation gétique. L’oracle
était ainsi conçu : Au cin- « quième
mois, que Rome ne craigne rien des Gètes. « Ils prétendaient que le cinquième
mois était le mois « de juillet, les uns, parce que le siège avait commencé «
dans les premiers jours de mars, à partir duquel le « mois de juillet est en
effet le cinquième ; les autres * « parce qu’avant le règne de Numa .les
Romains divi- « saient
l’année en dix mois, dont le premier était celui « de mars, d’où il résultait
que le mois de juillet était « appelé le cinquième ou Quinttlis,
»
Voilà assurément la
superstition du bon temps. Remarquons que les patriciens romains sont encore
les soutiens de la foi dans les présages : les mêmes personnes combattent
toujours pour les mêmes erreurs. Naguère Andromaque plaidait en faveur des
Lupercales ; aujourd’hui les nobles devisent sur les livres des sibylles et y
cherchent l’explication des événements dont ils sont les témoins et les
victimes.
Un pronostic plus insigne que
la destruction du portrait de Théodoric annonça aux Romains l’élévation de
l’eunuque Narsès. Procope nous donne sur ce «L.iv,c.21. sujet les détails
suivants1. Est-il nécessaire d’ajouter qu’il les tenait d’un
sénateur ?
« Ce sénateur disait que,
pendant le règne d’Atala- « rie, dont la mère était fille de Théodoric, un
troupeau « de bœufs, ramené de la campagne de Rome, traverte
sait un soir le forum de la Paix : on appelle ainsi cette « place parce que le
temple de la Paix, autrefois frappé « par la foudre, y est situé; dans ce forum
se trouve une « vieille fontaine surmontée d’un bœuf en bronze*....
a
II s’agit probablement ici de la fameuse vache en bronse
de Miron. A la vérité cet ouvrage précieux était placé dans le JForum Bocuiumj
mais le tem-
CHAPITRE V.
2g3 « Le sénateur ajoutait
qu’un taureau châtré, qui faisait « partie du troupeau, l’abandonna, et
qu’ayant escaladé « la fontaine, il vint se poser sur le bœuf d’airain. Un «
passant, né en Etrurie et d’une tournure fort agreste, « se mit à faire des conjectures
sur cette singularité « (car les Etrusques sont encore aujourd’hui adonnés à «
la divination). Il disait qu’il arriverait un temps où « le maître de Rome
serait mis en fuite par un eunuque. « On rit beaucoup et du Toscan et de ses
prédictions, « car il y a des gens qui ont pour habitude de repousser « les
pronostics et qu’aucune preuve ne peut convaincre, « parce que l’événement
n’étant pas encore venu conte firmer ces pronostics,
ils les tiennent moins pour des « paroles sérieuses que pour des fables
ridicules. Au- « jourd’hui tout le monde, convaincu par ce qui s’est « passé,
admire ce présage. »
Au milieu du sixième siècle,
l’Étrurie dépeuplée à la suite des ravages qu’elle avait subis, modifiée dans
ses usages par les progrès du christianisme et par les invasions répétées des
barbares, entretenait encore dans son sein le feu sacré de l’art divinatoire,
et un simple paysan de ce pays pouvait par ses prédictions donner à penser aux
plus habiles de Rome. La puissance des mœurs anciennes se révèle ici d’une manière
sensible.
On vient de voir le temple de
la Paix mentionné simplement, sans que l’historien ait employé aucune
expression qui puisse faire croire que cet édifice eût été dévasté ou approprié
à un usage civil conformément, à la loi d’Honorius. Voici 'un témoignage de
pie de la Paix ne se trouvait pas fort éloigné de ce forum qui, au temps de
Procope, pouvait être confondu avec celui de la Paix.
Procope r qui va
donner sur les temples païens de Rome une idée différente de celle, que sans
doute ou s’était formée.
Après avoir discouru sur
l’origine du Palladium, U dit que les Romains prétendaient ignorer l’endroit où
il avait été cache.
l.i,c.i5.
a jjs njoatrejrt seulement, ajoute-t-il1, son image «
faite en pierre, et placée de nos jours dans le temple « de la Fortune, pour
tenir lieu du simulacre en bronze n de Pallas. Elle est en plein air et
dans la partie du « temple qui regarde l’Orient. La déesse est revêtue du «
costume guerrier ; elle tient la lance levée comme si « elle marchait au
combat, et porte la longue tunique «(taZarâ). Ses
traits ne rappellent pas les Minerve « faites par les Grecs ; mais ils sont
parfaitement sem- a blables
à ceux des Minerve que faisaient les anciens « Égyptiens. »
Ce passage de Procope donne
lieu à plusieurs réflexions , mais avant tout il faut répondre à cette question
: peut-on révoquer en doute le témoignage de l’historien ? Je ne vois pas quel
serait le principe de ce doute. Procope, en discutant une question assez peu
importante, $e trouve conduit à parler du simulacre de Pallas qui existait de
son temps à Rome ; il le décrit ' comme s’il l’avait encore sous les yeux, il
désigne l’endroit où il est, il dépeint le costumé de la déesse et le
caractère donné par l’artiste à la figure ; son langage porte visiblement le
cachet de la bonne foi, et l’on chercherait en vain les motifs que cet
historien aurait pu avoir pour si bien revêtir un mensonge des apparences de
la vérité. Admettons que Procope ait dit vrai, et tirons quelques conséquences
de son récit.
L’ancien Palladium était placé
dans le temple de Vesta et confié à la garde des vierges de cette déesse. Il
n’existait plus au temps de Procope, du moins on ignorait l’endroit où il avait
été déposé. Les Byzantins prétendaient que Constantin s’en était emparé, et
qu’il l’avait fait enfouir dans le forum qui portait son nom à Constantinople1
; mais cette assertion manque de fondement. Certes, le Palladium était encore
à Rome lors du débat relatif à l’autel de la Victoire, car dans le cas
contraire Symmaque et saint Ambroise auraient dans leurs discours fait allusion
à la destruction d’un monument révéré à si juste titre par les païens : saint
Ambroise, afin de montrer l’inutilité du pontificat des vestales; Symmaque,
pour étendre le texte de ses doléances : ni l’ün ni
l’autre n’en ont parlé.
«Id.
S’il m’est permis de hasarder
ici quelques conjectures , je dirai qu’après là suppression du pontificat des
vestales, le Palladium dut disparaître, non sous les coups des chrétiens, car
les écrivains ecclésiastiques auraient fait beaucoup de bruit de cette
destruction, mais par les soins pieux de quelque païen. Ainsi retiré de son
sanctuaire, le Palladium ne reparut plus ; et pendant environ deux siècles, il
ne fut question ni de ce simulacre, ni de tout autre exécuté sur son modèle.
Renonçons maintenant à une
argumentation conjecturale, et, guidés par Procope, constatons des faits
certains.
Du
vivant de cet historiena, les païens
jouissaient d’une grande sécurité, et avaient assez de foi dans leurs anciennes
erreurs pour concevoir le projet de replacer le Palladium dans un temple, afin
sans doute a firtç Si xai iç 6 t*> kp«.
de pouvoir 1 y adorer. Malgré
le malheur des temps et le triomphe des chrétiens, ce projet est exécuté, un
nouveau Palladium est confectionné. Il ne ressemble pas précisément à l’ancien
: dans celui-ci le type grec dominait, dans l’autre le type égyptien. Procope.note cette différence, et donne une exacte
description du costume et de l’attitude de la nouvelle statue de Minerve, qui
devait rappeler celles de la déesse Neïth, la Minerve
de Sais, le type primitif de XAthène des
Grecs.
Est-ce dans un temple à demi
ruiné et fermé depuis long-temps que quelques
fanatiques païens ont été cacher leur Palladium ? nullement : ils le
montrent ( àeixvuouaiv), ils l’indiquent aux
curieux et aux étrangers , car Procope était l’un et l’autre. A la vérité ils
n’ont pu le replacer, conformément aux rites, dans un temple de Vesta; mais
cette infraction aux prescriptions religieuses était de faible conséquence,
puisqu’ils avaient trouvé dans VÆdes Fortunœ une chapelle tournée vers l’Orient et à ciel ouvert,
c’est-à-dire qui réunissait les deux conditions imposées aux temples de Vesta.
Le Palladium n’était pas le
seul monument qui reportât le souvenir des Romains vers ces siècles où
l’ancien culte jetait les fondements de leur puissance. Procope nous apprend
encore que de son temps on 1 id. iv, 22. voyait à Rome le
vaisseau d’Énée , «objet, dit-il « placé très-haut dans iopinion publique. » L’historien donne une description
minutieuse de ce monument, dont les Romains, s’ils n’avaient pas été sous le
joug de la superstition païenne, auraient facilement reconnu l’origine
fabuleuse.
En examinant ces différents
faits, non pas isolé-
CIIIPITHE V.
*97 ment, mais avec toutes les circonstances
qui ont dû leur donner naissance, on parvient nécessairement à cette
conclusion, savoir que le paganisme avait conservé dans Rome beaucoup d’inffuence , ou bien qu’a- près sa défaite il s y était
ranimé à une époque difficile à indiquer, et par des moyens qui échappent à
notre investigation. Cette conclusion paraîtra encore plus juste quand j’aurai
achevé d’extraire de l’Histbire de Procope tout ce
qui se rapporte à ce sujet.
J’ai fait voir, d’après la
Topographie païenne de Rome sous le règne d"Ho
norias, qu’il existait encore dans cette ville, au commencement du
cinquième siècle, une grande quantité de temples païens et de chapelles dédiées
aux Dieux Lares. Procope révèle l’existence de plusieurs de ces monuments et
montre qu’ils n’avaient pas reçu de nouvelles destinations, mais que,
simplement fermés comme si un jour ils eussent dû se rouvrir, ils semblaient
attendre que le sort du paganisme fût décidé d’une manière complète et
irrévocable.
« Dans ce temps, dit
l’historien de Bélisaire1, quelques 1L. i, c. a5. «
habitants de Rome essayèrent secrètement d’ouvrir le « temple de Janus en
faisant effort contre les portes. Ce « Janus fut le premier des anciens dieux
que les Romains « dans leur langue appellent Pénates. Il a un Ædes dans c< le forum, devant, la Curie, un peu
au-dessus des « Tria fata : c’est le nom que
les Romains avaient « coutume de donner aux Parques. Cette chapelle est « toute
de bronze, d’une .forme carrée, et ses dimensions « sont telles qu’elle suffît
à peine pour contenir la statue « du dieu. Celle-ci est également de bronze et
sa hau- « teur est
d’environ cinq coudées; elle représente l’image
« d’un homme. Cependant ia tâte a deux visages, l’un « tourné vers l’orient,
l’autre vers l’occident ; de a chaque côté est une porte de bronze. Jadis les
Ro- « mains les tenaient fermées quand ils jouissaient de « la paix et ouvertes
quand ils Élisaient la guerre; mais « ayant embrassé le christianisme, comme
ils s’y dé- « vouèrent avec autant d’ardeur que personne, ils n’ou- a vrirent plus désormais ces portés. Pendant le siège
«quelques Romains amis, comme je le pense, de « l’ancienne superstition, essayèrent
en secret de les « ouvrir ; mais ils ne purent exécuter entièrement leur «
dessein, ils se bornèrent à pousser les portes de ma- a nière
qu’elles fussent moins exactement fermées qu’au- « paravant.
Les auteurs de ce crime se cachèrent, et au « milieu du désordre qui régnait'alors aucune recherche « n’eut lieu. On doit
d’autant moins s’en étonner, que « ce fiait ne vint pas à la connaissance des
magistrats et « qu’il transpira même fort peu dans le public. »
Ainsi, Rome comptait encore
parmi ses habitants des gens pleins de foi dans une des plus anciennes superstitions
du paganisme romain, qui tombée en désuétude long-temps
avant le triomphe de la foi chrétienne, se ranime à une époque où rien de ce
qui pouvait la soutenir n’existait plus. Le nombre de ces amis de l’ancienne
religion est assurément bien peu considérable : la déclaration de Procope en
fait foi ; mais convenons au moins que ces derniers partisans de l’erreur ont
une étonnante mémoire, et qu’ils n’oublient aucune des pratiques
superstitieuses des temps
Procope a mentionné deux
temples, l’un dédié à la Paix et l’autre à la Fortune, puis la chapelle en'bronze
CHAPITRE
V. 299
de Janus. L’existence de ces
trois monuments nous autorise à supposer celle de plusieurs autres temples, œde& ou cÊdicidœ.
Comment donc expliquer ce respect pour les édifices d’un culte proscrit,
respect qui allait jusqu’à contenir la cupidité en présence d’une chapelle
sinon entièrement en bronze, au moins recouverte dans toutes ses parties avec
ce métal ? On ne peut rendre cojnpte de ce fait
singulier qu’en se rappelant l’influence des anciennes idées païennes sur
l’esprit de la population de Rome, influence dont l’énergie est suffisamment
démontrée par tout ce que vient de révéler Procope. Cet historien rend hommage
au respect des habitants de Rome pour les monuments et les statues de leur
ville, il dit que sur ce point ils sont supérieurs à tout autre peuple, et
admire leur empressement à effacer les traces du passage des barbares 1
; mais Pro- 1JV, ax cope
ne recherche pas le principe de ce sentiment ni la part plus ou moins grande
que les anciennes croyances pouvaient prendre à sa conservation : essayons de
suppléer au silence de l’historien.
Le choix de l’emplacement d’un
temple, la consécration de cet emplacement, l’élévation et la disposition de
l’édifice étaient autant d’actes religieux d’une haute importance, dans
lesquels intervenaient le souverain pontife et le collège des augures. Un
temple était-il détruit, qn devait le reconstruire
sur un plan exactement semblable à celui dont on avait primitivement fait
usage; tout changement, toute amélioration étaient pro- hibés.
De là provint l’impossibilité où l’on fut de soumettre à un alignement les
édifices sacrés du forum. Chacun dés temples de Rome rattachait son origine à
quelque fait éclatant de l’histoire nationale. Ces idées deconsécra-
tion
religieuse, ces souvenirs de l’ancienne gloire, parlaient encore à
l’imagination des Romains du sixième siècle. Sans doute les églises recevaient
seules leurs prières, et ils ne regardaient les temples que comme des tombeaux,
mais ces tombeaux ils les vénéraient,ils ne
souffraient pas qu’on les profanât et ils ne reconnaissaient qu’au temps seul
le droit de les détruire.
Il
paraît, et ceci n’ést pas moins diçne
de remarque, que ce sentiment de respect couvrait meme"
les idoles : les statues de Pallas, de Janus et des Parques qui sont
mentionnées par Procope, nous le font croire. Le Panthéon d’Agrippa ne fut
transformé en église et dédié à la Sainte-Vierge que dans le septième1
siècle, par les soins du ^dL^^onxïàceWzAblatisidololatriœ
sordibus^ 1 dit Paul Diacre1 a. L’empire des idées païennes se
faisait
iv, 37. jour presque partout;
ainsi, une médaille de ce temps reproduit le mythe de Romqlus
et Rémus allaités par >EckheL la louve, avec
l’ancienne inscription Irwieta Roma\ L’on
sait que la louve en bronze du Capitole resta jusqu’au seizième siècle dans
l’église de San-Teodoro, ^Marango-
ancæn temple de Romulus^.
ni. p.
239. r.
Marangoni
s’est efforcé de prouver que le christianisme en adoptant librement certaines
formes païennes les avait purifiées, et que l’on ne devait pas voir dans leur
perpétuité un indice de l’influence exercée par l’ancien culte sur l’enfance du
nouveau. 11 cite un diptyque en ivoire où l’on vbit
représentés un cru-
a
II faut observer que dans plusieurs temples païens convertis en églises, les
restes d’idolâtrie ne furent pas tous enlevés. Marangoni
cite une foule d'autels païens qui, à l’époque où il vivait, étaient encore
placés dans les églises et servaient aux cérémonies du culte chrétien. P.
165-179 188-199.
CHAPITRE
V. 3oi
eifix
et au-dessous la louve allaitant les fondateurs de Rome, avec l’inscription : romvlvs et remvlvsalvpa nvtriti 1 ; il croit qüe
cette représentation a eu pour * P. «4. but de rappeler le triomphe de la croix
sur le paganisme romain. Ce symbolisme, je le sais, n’aurait paseu dans les siècles modernes un sens différent, mais peu
bon croire que l’église en eût approuvé l’emploi, à une époque où il existait
encore des adorateurs de Romulus, et des hommes qui espéraient pouvoir un jour
redresser ses idoles renversées? De semblables représentations moitié païennes,
moitié chrétiennes, doivent être considérées, quand elles appartiennent aux
temps du Bas-Empire, comme des témoignages de la continuation de ce combat
entre les idées nouvelles et les idées anciennes, dont le théâtre avait été
transporté au sein même de l’église.
Gardons-nous de penser que le
respect pour les débris de l’ancien culte .fût un sentiment particulier à la
ville de Rome, il s’étendait jusque dans les provinces italiennes, où les
efforts de Théodoric n’avaient pu parvenir à l’étouffer. A Bénévënt,
par exemple, on conservait précieusement et l’on montrait aux dévots païens les
prétendues dents du sanglier de Calidon, apportées,
disait la légende, par Diomède lorsque, après la ruine de Troie, il vint fonder
cette ville. « Elles « y sont encore conservées, dit Procope2, on
peut les »i, 15. a y voir. »
Telles sont les lumières
fournies par le confident de Bélisaire sur le sujet de nos recherches. En se
rappelant les faits contenus dans son histoire, en tirant de ces faits des
conclusions qui ne sont aucu- nement
forcées, on est conduit à reconnaître qu’il existait en Italie un nombre assez
grand d’individus
sur l’esprit desquels les
croyances païennes étaient encore puissantes. Forcés le plus souvent de
dissimuler leurs sentiments, ils entretenaient.dans
la solitude du foyer domestique le principe d’où découlaient tant de frivoles
espérances. Les temps letir paraissaient* ils moins
contraires, le christianisme se reiachait-il de sa
surveillance, les événements politiques détournaient-ils l’attention des
magistrats, alors ils risquaient quelque tentative publique en faveur de leurs
dieux. La restauration du Palladium de Vesta, fait très-grave et sur lequel
malheureusement nous possédons peu de détails, eut lieu saps
doute dans de telles circonstances. La situation de ce culte, qui a encore des
sectateurs mais plus de ministres, plus d’autels, plus de tem* pies, rend
difficile la détermination précise de l’époque où les divinités païennes
cessèrent d’être invoquées nominativement dans l’empire romain. Souvent j’ai
cru le moment arrivé de terminer ces recherches, tout semblait dire que le
paganisme n’existait plus; subitement un fait isolé, une voix qui retentissait,
une protestation individuelle, une tentative folle et imprévue m’ont annoncé
que la pensée païenne fermentait encore au fond de quelques âmes. Une religion
ne meurt pas à jour et heure fixes; si elle doit périr, si tel est l’arrêt du
destin, elle consume peu à peu ses forces dans une lutte malheureuse et
toujours de moins en moins retentissante. L’instant précis où cette lutte fut
terminée devient donc difficile à fixer. Sans doute les dernières années du
sixième siècle virent balayer du sol de l’Italie presque tous les débris de
l’ancien culte; je vais toutefois montrer, en mettant sous les yeux du lecteur
des extraits de la correspondance du pape saint Grégoire,
CHAPITKB V.
3o3 combien il était difficile
d’obtenir un succès complet dans cette réforme morale contre laquelle faisait
effort une obstination dont l’énergie est difficile à concevoir.
a Nous avons appris, écrit ce
célèbre pontife à a Agnellus évêque de Terracine x, que dans votre ’ep/Js? « diocèse quelques hommes,
on çougit de le répéter ! « rendent un culte aux
arbres et font beaucoup d’autres « choses contre la foi chrétienne.... » 11
s’agit cependant foi d’un pays voisin de Borne et que les historiens
représentent comme ayant adopté le christianisme dès le commencement du
cinquième siècle.
Il
écrit à Pierre, évêque de la Corse* : « 11 convient ’ ’
« de ramener à la foi par une
pénitence de* quelques « jours ceux qui par faiblesse ou par contrainte sont « revenu&aux idoles— Je vous fais passer cinquante sous «
pour acheter des vêtements que vous distribuerez aux « personnes qui recevront
le baptême a
Saint Grégoire recommande
habituellement aux évêques, d’employer à. l’égard des païens beaucoup de
douceur3, et il ne s’éloigne de ce sage principe que dans une lettre
adressée à Januarius, évêque de Sais daigne4; il l’engage.à
sévir contre les païens, les arus- pâces et les sorciers ; s’ils sont esclaves, il veut qu’on
les fustige et qu’on les mette à la torture ; s’ils sont libres, un simple
emprisonnement doit être prononcé contre eux. La situation religieuse de cette
île réclamait à la vérité l’emploi de moyens rigoureux; car les païens y
jouissaient d’une liberté complète pour l’exercice de leur culte, et le
gouverneur, qui était chrétien, se bornait à percevoir un impôt sur les
sacrifices et n’y met- Ordînis s tait
obstacle que quand ce droit n’était pas acquitté 5. Benedicti.
3L.I,
ep. 35.
4L.
II, p.<>S â 6.
5
Acta. SS.
t. I,p.
449.
Voilà, je ne dis pas
l’insouciance, mais la complicité des magistrats chrétiens mise dans tout son
jour.
Le pontife étendit ses soins
bien au-delà des provinces italiennes et gauloises. Nous possédons une lettre
écrite par lui à Édelbert, roi des Anglais, pour
l’engager à combattre l’idolâtrie dans ses états, et à ren-
1 xFep'76 verser les temples et les simulacres des païens
ia.
L’état
de la Grande-Bretagne méritait de fixer l’attention des souverains pontifes,
car on voyait régner dans ce pays non pas seulement des coutumes superstitieuses
qui, par malheur, existaient alors dans tous les états de l’Europe, mais des
restes encore reconnaissables de druidisme. Les Scots, les Pietés
et les Saxons en conquérant l’Angleterre y détruisirent les vestiges du culte
romain qui n’avaient été que faiblement attaqués par le christianisme; mais
les débris du druidisme surent mieux leur résister, et sans doute les coutumes
superstitieuses contre lesquelles les pontifes »Horsiey’s
réclamaient l’aide des missionnaires, étaient un mélange tiqrrities’of
confus des usages du druidisme et de ceux du culte ^4 *75. d®8
conquérants?. Gildas le Sage les appelle portenta
3DeExcidio diabolica 3,
et dit qu’elles l’emportaient par leur Britanmæ. ' r,
Bibüoih.
nombre sur les superstitions égyptiennes. « Nous en Max. pair.
1
VJV * ’
avant d’être évêque de Rome, traversait le forum de cette ville
P* 70 ’ un jour où la foule se pressait autour de marchands
étrangers nouvellement
arrivés. Il fut frappé de la
blancheur du teint, de l’éclat des yeux et de la. chevelure blonde de jeunes
enfants exposés en vente, et demanda de quel pays ils étaient ; on lui répondit
qu’ils venaient de l’île de Bretagne. « Ces inet
solaires sont-ils chrétiens ou païens? » ajouta-t-il ; sur la réponse qu’on lui
fit qu’ils étaient païens, il s’écria : « ô douleur ! quoi! d’aussi beaux
visages « appartiennent à l’auteur des ténèbres, et des fronts si gracieux
cachent une « âme malheureuse et privée des joies intérieures! » Il forma dès
ce moment et n’abandonna plus le projet de répandre le christianisme en
Angleterre. Acta ord, S. Bened, t. I, p. 3gr.
« voyons quelques-unes avec
horreur, ajoute-b-il, sub- « sister
encore sous des traits déformés, et infester « comme autrefois les déserts et
les masures aban- <k
donnés.» Tel était l’aveuglement obstiné contre lequel Grégoire engageait le
roi des Anglais à sévir. Je ne m’arrêterai pas.davantage
sur un sujet dont les rapports avec l’histoire de la religion des Romains sont
au moins très-indirects, et je terminerai ce chapitre en jetant un coup d’œil
sur la situation des païens d’Orient. On va voir combien elle ressemblait peu à
celle de leurs frères d’Occident.
En Asie les lois rendues
précédemment contre les enfants des Hellènes ( ÉXXtjvwv ), car c’est ainsi qu’on
nommait les païens, n’étaient pas comme en Occident tombées dans l’oubli; au
reste ces lois pouvaient passer pour inutiles, car le fanatisme des chrétiens
se suffisait à lui-même. Les païens qui restaient, malgré le péril, fidèles à
leurs croyances, se cachaient pour célébrer leurs mystères et dissimulaient
soigneusement leur religion. En l’année 561, on découvrit à Constantinople
plusieurs de ces malheureux qui vivaient dans l’ombre et pratiquaient en
secret leurs superstitions : ils furent arrêtés; on brûla leurs livres et les
images de leurs divinités au milieu' de la place nommée Cynegium,
et ils subirent eux-mêmes le supplice réservé aux crimes ignominieux,
c’est-à-dire qu’après leur avoir coupé les pieds et les mains, on les promena
nus et sur des- chameaux à travers les rues de la ville1. Le
paganisme 1 Maiala.
A . . x . Chronicon.
ne pouvait pas etre poursuivi d une maniéré aussi 2ap.p.a38.
cruelle dans l’empire d’Occident, par la raison que les peuples barbares qui
avaient envahi et conquis cette
IT.
20
partie de ’Fettipire
étant ou idolâtres ou ariens, rendirent par le seul fait de leur présente floûtOéactfon des chrétiens Contre les païens impossible. H
faut croire aussi que la tradition de douceur et d’éqtrité
établie depuis si long-temps au sein de l’église d’Qccident, aurait prévenu l’explosion d’ün
zèle aveugle, si le fanatisme des Orientaux s’était fait par malheur dés
prosélytes dans nos contrées.
J
Des
vestiges de paganisme conservés dans les G aides. ‘
(
,L’xNV4SiQff des.peuples du Nord vint ranimer l’iifoi latrie daps l’Europe
méridionale, et le dpçistiafljsme > victorieux des
religions grecque, romain# et égyptienne, eut à, combattre urç
ennemi dont il n’avait même. pas; soupçonné l’existence. Quand, pour la
première fois^ op fixe son ^attention, stur
l’histoire religieuse du cin- qpième
siècle et que l’on voit cette multitude (Je notions barbares apporter dans nos
contrées les images de Thor, d’Odin, de Frigga, de Freya, et les opposer à
celle du Christ, on est disposé à croire que la lut,tq
çntre deux systèmes religieux complètement difféi[eqt& et qui n’avaient
jamais eu l’un avec l’autre #ucun poipt/ de contact,
va commencer avec violence; mais bientôt on reconnaît; que cette prévision est
erronée et qi^’il n’y a pas eu véritablement lutte
entre jes deu^ relit- gipns,, puisque le culte des barbare^ n’a opposé au
christianisme que cette résistance qui naît dé jà sçulq
force de d’habitude. ,
• ' -i . . • ’
J • . ' .'I .‘I r 1
Il est d’ailleurs probable que
le culte Scandinave était déjà, très-affaibli avant lepoqu#
des invasions^, car les idées chrétiennes se répandirent avec line facilité
surprenante chez , les Goths dès le règne de. l’empe-,
reur Gallien. Les belliqueux Visigoths leurs compatriotes
adoptèrent universellement la religion des chrétiens, et cet exemple fut suivi
par les Bourguignons dans la Gaule, par les Suèves en Espagne, par les
Vandales en Afrique, par les Ostrogoths en Pannonie et par les différentes bandes
de mercenaires, qui plus tard placèrent Odoacre sur le trône d’Italie. On
comprend sans peine que l’organisation si puissante du clergé chrétien suffit
pour faire prédominer le christianisme chez des peuples qui, autant qu’on peut
en juger, manquaient d’institutions religieuses.
Les Francs et les Saxons
persévéraient seuls dans leurs croyances, et l’on est forcé de reconnaître que
la religion du Nord était aussi puissante sur l’esprit de ces deux nations
qu’elle était faible chez les autres péuples dont je
viens de parler; mais il ne nous est pas possible d’indiquer la cause de cette
différence.
La conquête de la Gaule par les
Francs et de la Grande-Bretagne par les Saxons eut donc pour résultat d’y
ranimer tous les germes d’idolâtrie qui avaient pu échapper à l’action du
christianisme.
Glovis
reçut le baptême en l’année 496. Ce fait important détermina sans doute la
ruine du culte Scandinave dans la Gaule; mais ses conséquences ne devaient se
faire sentir qu’insensiblement, car le chef des Francs n’avait ni le pouvoir ni
l’intention de violenter la conscience, non pas de ses sujets, mais des
barbares qui combattaient sous ses ordres. Aussi les superstitions importées
de la Germanie continuèrent-elles à se répandre dans toutes les parties de la
Gaule occupées par les Francs, et à y féconder les principes d’erreur qui y
avaient été déposés antérieurement. Nulle part en Europe on ne voyait plus que
dans cette contrée
les croyances, les pratiques et
les rites idolâtres eu honneur ; nulle part la population ne montrait moins de
disposition à passer, dans un temps même éloigné, sous les bannières du
christianisme.
Au milieu de ces révolutions
d’états et de mœurs que devenaient les vieux débris du culte des Romains ?
Résistaient-ils encore, ou bien avaient-ils disparu au sein de cette grande
rénovation morale de l’Europe ? Je répondrai sans doute à ces questions ; mais
ma réponse ne sera ni aussi précise, ni aussi satisfaisante que la grande
quantité de documents historiques mis à notre disposition autorise à penser
qu’elle devrait l’être. Je vais faire comprendre les motifs de cette contra-'
diction.
J’ai dit précédemment1
que les Romains avaient porté leurs armes et leur religion dans des provinces
où régnait le culte des Germains. On sait que s^eloq
leur usage les vainqueurs, au lieu de renverser les autels du peuple vaincu, se
contentèrent de donner les noms de leurs propres divinités à ceux des dieux
étrangers dont le caractère et les attributs se prêtaient le mieux à cette
sorte de métamorphose. Odin devint Mercure; Thor, Jupiter; et Frigga, Vénus. Si
les peuples des deux Germanies, de l’Helvétie et de
quelques provinces septentrionales de la Gaule eussent, après leur réunion à
l’empire romain, cessé tous leurs rapn ports avec les
nations de la Germanie; si les mœurs x les idées et les croyances
romaines avaient poussé de profondes racines au milieu d’eux, certes, après un
laps de quelques siècles, Odin et Thor auraient perdu leur ancien caractère
Scandinave pour devenir vérita-. blement
Mercure et Jupiter; il n’en fut pas ainsi, car
P.SqS.
3io liVm lii*
■ Divers écrits, t. Il p. J5o.
les inscriptions nous font voir
qué^mêïne au quatrième rièélé,
lé cuïte dé Mtfrcifr^Wôdail
était bien plus un culte étranger qu’un édité romain. Le ’têftips
c’avait pas opéré une fusion entre dètix principes
Sinon opposés 9 an moins très-distincts. « Les ïtowiains
eurent « le dehors, dit Fâbbé 'LébeuF
le céebr fut pour les * druides. »
’ Cependant les Romains; peu aèeoutumés à cette résistance d’une religion étrangère j h’én tinrent aucun compte, et crurënt
que leur culte était établi dans les provinces dont je parle, dé la niême manière et aussi solidement qu’il î’étâit
eh Espagne: ou éü Afrique. Le clergé
chrétien hérita de cétte erreur ,- quoique Finva- sion des Francs fût de
nature à lui en faire comprendre Fétendue. En effet
les Francs/ quand ils franchirent lé Rhin au cinquième siècle , rapportèrent
dans lés Gaules l’image primitive et pure d’Ôdin, et
lés Gallo-Romaîhs,qui Savaient jamais entièrement
abandonné leurs ânciénhes croyances germaines.,
revinrent avec empressement au culte national, et dépouillèrent les dieux
Scandinaves des déguisements qui leur avaient été imposés par une nation dont
l’empire n’existait pfusi. Il y eut donc, après
l’invasion, dans toute la partie de la Gaule située en deçà dé la Loire j
tin retour très-prononcé vers l’idôlâtrie, et même
une foiilë de pratiques superstitieuses, jiisque-là étrangères à ces contrées, s’y établirent et y
prospérèrent. L’histoire de Grégoire de Tours nous montre à quel point le
christianisme avait été défiguré par cette importation des erreurs propres aux
peuples de la Germanie.
Les prêtres chrétiens
déploraient' la corruption
chawïaa vi. 31,1
des mœurs et de là religion,
mais ils np jugeaient pas mieux que précédemment la
nature ,du ma). Phxs fa- miliarisés
awc la mythologie gréco-romaine qu’avec là théogonie
Scandinave, ils crurent qup les Francs étaient
courbés squs
Je joug de l’idolâtrie rpmaine ; et parce qu’on
avait, dans les temps antérieurs, appelé Odin Mercure et Thor Jupiter .1,
ils ne balancèrent pas, à deluor** considérer les
soldats de Clovis comme des adorateurs dp Jupiter et
du Mercure des Romains. Je vais citer quelques exemples de cette méprise*
Grégoire de Tours met dans la
bouche de Clotilde, quand elle cherche à convertir Clovis au christianisme,, le
discours suivanta Les dieux que vous
adorez >l. n, « ne-sont rien ,
puisqu’ils ne peuvent se secourir eux- * 3l" « mêmes, ni
secourir les autres; car ils sont de pierre.,. « de ou de quelque métal. Les
noms que vous «.lpur ayez donnés sont des noms
d’hommes et non de «dieux ; pomme Saturne qui, dit-on, pour ne pas être « çhwsé du trône, s’échappa par la fuite; comme Ju- « piter lui-même, honteusement souillé de tous les « vices,
qui a déshonoré tant de maris, outragé des « femmes de .sa prppre
famille, et qui n’a pu s’abste- « nirdu
çoncubinage avec sa sçpur,
puisqu’elle disait: « Jp spis . la femipe et la sœur de Jupiter. Qu’ont pu «Mars.et Vénus?»
Ainsi Grégoire de Tours n’a pas seulement confondu les noms des divinités, il a
supposé que Clotilde s’aventura avec son époux dans une discussion sur la
mythologie grecque. Son erreur est d’autant plus surprenante que, dans un autre
en-’ droit de. son histoire, il dit que les Francs adoraient les forêts, les
eaux, les oiseaux, les bêtes sauvages, et qu’ils leur offraient des sacrifices3.
L’évêque de
3fa LIVRE RH.
Tours n’avait.donc
sur Fidolâtrié des peuples avec lesquels il vivait
que des idées contradictoires.
Les prêtres chrétiens des
septième, huitième et
♦ neuvième siècles, et particulièrement ceux qui racontèrent les missions entreprises au-delà du Rhin, commirent la même erreur, et, le plus souvent,
ils ont confondu Thor avec Jupiter^ et Odin avec Mercure. Pour eux aussi il n’exitait
en Europe qu’une
seule idolâtrie ,
et cette idolâtrie était née dans la Grèce. On comprend combien une telle méprise si souvent reproduite
doit jeter d’incertitude
sur les recherches dont le but est de déterminer la situation où se trouvaient dans la Gaule les restes de
la religion romaine.
11 ne faut cependant pas croire
qu’aux époques dont je viens de parler la confusion des deui
systèmes religieux fût générale chez les chrétiens; car il paraît que pour
quelques clercs plus instruits les noms de Jupiter et de Mercurius
n’étaient que la traduction etf langue latine des
mots germains de Thunaer et de Vuoden, équivalents de Thor et dOdin.
1
Baluze, ' Un concile, tenu à Lestines
en 74^ prohibait sacra Jovis et Mercurii, On peut donc croire que les décrets de cette
assemblée, qui sont rédigés en langue latine, s’adressaient uniquement aux
partisans dès dieux romains ; mais, après âvbif
publié divers canons, le concile drêssa en langue
vulgaire, c’est-à-dire germaine , une formule d’abjuration destinée pour le
peu- » Coletti. pie , et dans laquelle i
au lieu de Jupiter et de Mercure, Coiiect. con- nous
lisons Thunaer eude
Uuoden *. cilior.t.VIU, ai h i .
{>.278. Un prêtre
anglo-saxon, prêchant sur lantechnst, disait3
: « Qualis eral
Hercules ille gigas et Âpolio, P- « qtiem illi prœclarum
deum finxcrunt ; Thor item
CHÀWTRE VI.
3<3 « et Qden. quos ethnici
hommes mqgnopere cele- « brant.n Ici la différence entre les deux mythologie»
est clairement indiquée : l’une n’existe plus, l’autre existe encore.
Enfin Aëlfric,dans
ses Gloses écrites avant l’an 1000, > Dueange,
disait1 : « Allanus Voden quce voxsaxonica
^oda- [‡‡‡]’
*8®* « mun sive Mercurium signifùeat. »
Ainsi, pour plusieurs chrétiens
du moyen âge, le mot Mercurius était la traduction en langue latine de
celui de Codent sans cependant que pour eux ces deux divinités fussent
identiques ; mais soit que Mer- cure jst Odin aient
été confondus l’un avec l’autre, soit qu’en appelant Odin Mercure, les
légendaires aient su qu’Odin n’était pas Mercure, l’embarras est toujours le
même pour nous, car la méprise ayant eu lieu une fois peut s’être, reproduite
plusieurs, et en lisant un document en langue latine, dans lequel nous
trouverons le mot Mercurius., nous ne pouvons pas nous empêcher de
penser que l’auteur a peut-être voulu dési- gaer le
premier des dieux de la mythologie Scandinave.
Une considération diminuera
pour les écrivains modernes les chances d’erreurs, c’est que la confusion des
noms ne semble avoir eu lieu que pour Thor et Jupiter, Odin et Mercure*,
Frigga et Vénus. On ne. voit pas en effet que les clercs aient donné des noms greics à Freya, à Freyr, ni aux autres divinités de
l’olympe Scandinave. Leurs notions sur cette mythologie ne s’éten-
dent
pas au-delà de 4a connaissance des déftommations (TÔdin, <Je Thor et de Frigga[§§§]. •
' L’eiamen
dés localités sous le rapport religieux est le seul moyen de vaincre la
difficulté dont nous nous ■ oécupôfcs ; je n’aperçois pas d’autre guide dansce
genre de recherches. Le culte des Romains n’a pu s’établir que dans des contrées où ils avaient porté leurs armes et répandu leurs coutumes. On ne doit donc pas
admettre la persistance des débris
de la religion romaine datas des province^ où l’on. sait que lé
druidisme ou le culte Scandinave ôrtt
toujours dominé. Évidemment dans ces localités le mot Jupiter
indiquera le Thor des Scandinaves, et Mercurius Odim
‘ Servons-nous * de Tunique
moyen de critique qui nous est offert, et cherchons à déterminer en quoi
consistaient les débris du ; culte des Romains dans les Gaules
pendant les sixième, septième et huitième siè* des.
Je parlerai d’abord de l’in vocation positive des divinités et des rites de
leur culte ; je m’occuperai en- suitè dès usages
superstitieux provenant de ce culte, . mais qui n’én
dépendaient pas absolument.
. " ’ . ; ” ' .
zi ,
. *er; Sixième siècle. ■ . )
II est facile de prouver que'
la plus grande partie dey divinités gréco-romàinês
étaient encore, à cette épo» que, l’objet d’un culte
véritable dans toutes les parties de1 la Gaule où les aigles
romaines avaient été plantées.
Grégoire de Tours va nous
fournir la preuve de
CHAPITRÉE <VI.
Il5
l’invocation 0e ces divinités dans les1 provinces méridionales Üe la Gaulé, provinces oùja cmlisatiohro-' mâtine « avait poussé ' de -fortes râdttes» Li’historien, racontant
la vie de saint Nicet, évêque de Trêves depuis jus(lu’à l’année 566,; s’exprime en ces
termes 1 «!Un homme portant une épaisse chevelure èi? «>. unis longue barbe se présenta devant lui*, et s’étaht 1 prosterné aiix
pieds du saint, fl lui dit : « Seigneur, « c’est par
Votre secours que j’ai été sauvé du danger « que jecouraîs
sür la mer. » Nicet ne voulant pas qu’if lui
attribuât ce mérite : « Raconte-moi, répondit*il, «cbmmentDieu
t’a tiré dti péril, car je n’ai pas te « pouvoir de
sauver quelqu’un; à Alors l’étranger re*. prit : « Je m’embarquai, il y a peu
de temps,pourl’Ita- « lie avec un gtand
nombre de païens. J’étais réelle* « ment seul de chrétien dans cette foule de
paysans | « (rusticorum multitudo}.
Une tempête1 s'éleva; je « me mis. alors à invoquer* le nom de Dieu
et à'demàn- œderd'être
sauvé par votre intercession. Les païens’ « invoquaient leurs dieux; Piïn priait Jupiter; Vautre " ‘ ‘ j
« Mercure ; oelui-là
Minerve, celui-ci Vénus. Comme! <: « nous étions'à
l’instant de périr, je m’écriai iN^nvo-- <t quez’
pas ces dieux ; ils sont non des dieux, mais des « démons^ Si vous voulez être
sauvés ^invoquez Nicet,' « afin qu’il obtienne votre salut de la miséricorde
divine.1 « Alors ils s’écrièrent tous d’une seule voix : Dieu de « Nieet , secourez^nous ! Tout à
coup la mer s’est « apaisée, le vent est tombé, le soleil a reparu, et « nous
sommes arrivés heureusement au terme de notre « voyage. J’ai fait vœu de ne
point couper mes che- « veux avant de m’être jeté à
vos genoux. »
Dans cette circonstance,
l’historien ne s’est pas
trompé sur la nature des dieux
invoqués, et ces paysans, s’embarquant dans, quelque'port
de' la Méditerranée pour l’Italie, ne pouvaient être que des idolâtres romains[****].
Diane était également invoquée
dans ces contrées, car GkMjTv’o l’auteur de la Vie
de saint Césaire évêque d’Arles, dit1 : Dianum.
Dœmonium quod rustici
Dianum vacant. Le culte de Diane s’était renforcé
d’une foule de pratiques superstitieuses relatives aux forêts et à la chasse,
que les Francs avaient apportées dans la Gaule. Je parlerai ailleurs avec plus
de détails du culte de cette divinité, qui paraît avoir été la dernière dont
le nom fut prononcé dans l’Occident.
Si des provinces méridionales
de la Gaule nous noüs transportons dans les contrées,
du centre, nous trouvons encore dans ces dernières les preuves de l’existence
du culte romain.
Le
deuxième concile de Tours, tenu en 566, fulmine contre les partisans de
l’ancienne erreur ( sequipedas *C^n?1!2''
erroris antiqui)
a, et en s’adressant aux fidèles, il prend F- «Sa. la peine de leur
expliquer ce qu’était Janus : Homo 3Lebeuf fuit-, rex quidem, seddeus esse non potuit.
Diver»
Ailleurs il est appelé maledictus Janus3.
C’était donc I’ bien du Janus romain que les Pères de ce
concile entendaient parler, et ici aucune confusion n’a eu lieu.
Félix fut évêque de Nantes
depuis l’an 55o jusqu’à
CHAPITRE VI.
317 Fanée 583. Près de sa
résidence était une ville riche et très-peuplée nommée Herbaditta
(les Herbauges), et dont les habitants conservaient pour le paganisme un
attachement très-prononcé. Félix gémissait d’être contraint de vivre si près
de ce foyer d’impiété. Un jour ' il appela un de ses prêtres, nommé Martin de
Ver- tou, et lui dit1 : «Vois, mon
très-cher frère, combien, Aeta ss.
’ «encore de nos jours, le vieux ennemi du genre hu- L I»P-Wî- a main conserve de puissance. Nous devrions
rougir
■
de n’avoir
pas déjà extirpé ces restes du culte pro- «fane. Partout le nom du Christ
retentit; partout « on annonce les richesses de la gloire divine : et nous,
■
dans
notre indifférence, nous souffrons que sous nos . « yeux le siège du démon
reste inviolable! » Il ordonne aussitôt à Martin de se diriger vers Herbaditta, et lui trace le plan de conduite qu’il doit
suivre. Martin, que le légendaire compare à Jonas se rendant à Ninive,
s’embarque sur la Loire, et arrive'bientôt dans les
lieux où son courage et son éloquence doivent se dé- ployer. Félix ne l’avait
pas trompé : c’est dans une ville toute païenne qu’il pénètre. Il y voit une
statue dorée de Jupiter et d’autres simulacres soit en bronze, soit en marbre,
de Mercure, de Vénus, de Diane et d’Her- cule. Ses prédications furent- sans
effet, et il sortit, couvert d’outrages, de cette ville qu’il maudit, et dont
la punition, selon l’historien,
ne se fit pas attendre a. > id. p. 373.
Les noms de Jupiter et de
Mercure, qui apparaissent dans la série des dieux adorés à Herbadilla,
font naître de légitimes soupçons; cependant il ne faut pas oublier que Nantes
( Condivincum ou Nannetes
), à cause de. son grand commerce, de ses richesses et de la fertilité du
territoire environnant, avait reçu des
3,8
Rotfafos.
Ile ntwiiïQEilde là jfretagike.,
«tétaitdevenu la Jieu.d’up'deileurs
plu» importante établissementsdans pettepontrée; I] n’est donc. pas impossible que leur rebgion &e soit.établie .au
sein d’un .paya où , j’en conviens .cependant, le druidisme, dominait.
..
Samson, regardé comme Je premier évêque deDol,
.détruisit, vers l’a> 565, Je» superstition» druidiques " ' qui s’étaitmt maintenues- dans l’île de Rhé, et son historien
ajoute qu’il vit en Bretagne des hommes arfor/inr 1 Mabillon ; . , » . n •
Acta,
1,177. tetf swwm *•
Grégoire, de: Tour» nous
apprend que de sontgmps il existai- une statue de,
Diane.; sur Je territoire de Trpves , ville dont
l'attachement; au culte des Romains >v.p.«9. nous;qst
connu
3 L-
VJU> ■ « Dans notre mute nous arrivâmes , dit-il à Ivois*.
Là nous,
trouvâmes le dipere Vulfilaïc, qui nous conduisit à ,soq:
monastère, oit nous fûmes reçus avec beaucoup:de bienvedtance. Pendant
notre séjour dans ce lieu, nous le priâmes d’avoir la bonté de nous raconter-quelque
chose- de son entrée en religion et COmtneut-i) était
arrivé qux fonctions ecclésiastiques, car il était;
Lombard de naissance. » Vujfilaïç cède.à
se»; instances, ut fait ainsi, l’his.toim. ,de.’ su
vip. ;« Je me « ne^dis sur le territoire .de Trèyçfs e.t j’y cpqstruisis
« de. me? propres main$ ;sur eçtte
montagne: la petitc ,j,. « demeure que vous voypz.j’ytrouvaâunsimulaçre de «Diane que les gêna du
lieu^.eneprejnfidolçSj ado- « raient çommc. une,divinité-.»,TJoqs,Jpj demandâmes
ensuite ayec instance, ajoute Grégoire, de;npus dire comment il avait.renversé
le.simulacre, dg la montagne; il repriten ces termes: «.MéiUQUrritUEeétfût.un
peu.de aBoung
situé dans le grand duché de LuMmbcnng.*
VI. 3^9
« pain et d’hcrjbp
et que petite quantité d’eau ; ma,is il «. .commençai
vpnir vers moi, Jbewcpup de
gens, des yit « lages
voisins, Je leur prêchais çpntinneljçment que
«Diane n’ejpstait pas, que Je simulacre et les
.autres .«.objets auxquels i|s pensaient devoir
adresser un culte « n’étaient absolument rien. Je leur répétais aussi qqe « ces
cantiques qu’ils avaient, coutume de chanter enbu- «
vaut et au milieu de leurs débauches étaient indignés « de la divinité.... Je
priais bien souvent le Seigneur « qu’il daignât renverser le simulacre et
arracher ces « peuples à leurs erreurs. La miséricorde du Seigneur « fléchit
enfin ces esprits grossiers et les disposa, ,prê- «
tant Pareille à mes;paroles, à quitter leurs idoles
et à « suivre le Seigneur. J’assemblai quelques-uns d’entre « eux afin de
réussir, avec leur secours, à renverser ce « simulacre immense que je ne
pouvais détruire par « ma seule force. J’avais déjà brisé le? autres ido|es, e.qe qui était plus
facile. Beaucoup de gens se réunirent « autour de la statue de Diane ; ils y
jetèrent des cordes « et commencèrent à la tirer ; mais tous leurs, efforts <k ne pouvaient parvenir à
l’ébranler. Alors je me jeudis « à la basilique, je me prosternai à terre et je
suppliai fl.ayeo des. larmes la miséricorde divine de
détruire « pair la puissance du ciel ce que l’effort terrestre, ne « pouvait
suffire à renverser. Après mon oraisoa je « sortis de
U, basilique et vins retrouver les ouvriers; «jpprisJa
corda et aussitôt que nous recommepçâmçs " «à
tirer, dès Je premier coup, l’idole tomba; on lft
«
brisa ensuite et.avec des maillets de fier on la
réduisit « en poudre. ». . <
L’entrevue de Grégoire de Tours
et de Vulfil^uc eut
3ao LIVRE ÏIL
lieu sous le règne de Childébert II, c’est-à-dire entre les années 5y5 et 596 :
on peut alors calculer l’époque où la statue de Diane fut brisée, et nous ne
pouvons pas commettre une grande erreur en disant qu’elle succomba cinquante
ans après la ruine de celle d’Apollon au mont Cassin.
Le dieu Terme était honoré dans
les provinces du 1V’ ccntre de
la Gaule1 ; et le culte des Mânes n’y comptait «id* pas un nombre
moins grand de partisans1.
Si l’on se rappelle les noms
des divinités gréco- romaines que je viens de désigner, on verra que le
polythéisme romain existait encore et d’une manière à peu près complète dans
les Gaules pendant le sixième siècle. Sans doute ces débris du culte ancien ne
formaient pas une religion, car le mot de religion contient surtout l’idée
d’une association d’individus unis dans le but d’honorer la Divinité d’une
certaine manière, et les païens de la Gaule n’étaient attachés les uns aux
autres par aucun lien. Chacun d’eux persévérait dans ses erreurs par le
mouvement de sa propre volonté, et sans s’inquiéter de savoir si ces erreurs
étaient ou n’étaient pas partagées par ses parents, ses amis ou ses
compatriotes. C’était même cet état d’isolement et cette absence de conviction
réfléchie qui rendaient difficile la tâche du christianisme, car il fallait que
les mision- naires
chrétiens s’adressassent pour ainsi dire à chaque païen en particulier afin
d’obtenir de lui qu’il renonçât à ses erreurs. Cependant il est juste de dire
que la persévérance des païens, quoique appuyée principalement sur
l’ignorance, s’alimentait aussi à une source qui nous est connue, à ce
sentiment de reconnaissance
pdur
les dieux fondateurs de la prospérité des temps passés, qui à Rome et dans le
sénat fit battre tant de nobles cœurs.
Quand saint Colomban, célèbre
missionnaire du sixième siècle, voulut renverser trois idoles que les païens de
Brégentz avaient replacées dans un oratoire dédié à
sainte Aurélie, ils lui dirent ées mots remarquables
1 : « Ce sont les anciens dieux, les gardiens 1 Mabillon,
« vénérables. de ce lieu, par la faveur, desquels nos^'J^1’ «
personnes et nos biens ont été conservés jusqu’à ce « jour. » Ce langage
n’était-il pas celui des Prétextât et des Symmaque ?
Recherchons maintenant les
cérémonies et les pratiques issues du culte romain qui s’étaient maintenues
dans les Gaules en dépit des conciles, des évêques et des missionnaires.
On conçoit que je dois avant
tout porter l’attention du lecteur sur les Calendes de janvier; car ces
fêtes étaient en si grande faveur pendant le cinquième siècle qu’il n’est pas
naturel de supposer que leur crédit se soit affaibli pendant le sixième. En
effet, nous voyons que les Calendes de cette époque* ramenaient çes actes publics de licence et de superstition contre
lesquels Ambroise, Augustin et Maxime s’élevaient avec une si grànde chaleur.
Isidore de Séville répétant
pour ainsi direjes propres paroles de saint Augustin,
s’exprimait ainsi9 : « L’église off. 1.1, a institué le
jeûne des Calendes de janvier à cause de c'41 ‘ l’erreur
des gentils. Janus était un roi des païens qui donna son nom à ce mois. Des
hommes insensés l’ho- norèrent
comme un Dieu, transmirent son culte à leur postérité et consacrèrent par des
représentations théâ-
11.
Ltvmr
xft.
traies et par des actes de
débauche te jour dès Calendes de janvier. Aujourd’hui des misérables et/ qui
pis est, des chrétiens se déguisent en bêtes féroces et prennent des figures
monstrueuses ; d'autres ste travestissent en femmes
et énervent leurs traits virils. Plusieurs, tou*
jours fidèles aux anciennes coutumes de la superstition ? profanent
ce même jour en prenant les augures. Les cris des danseurs y leurs
applaudissements retentissent en tous lieux ; et, ce qui est encore plus
honteux, des personnes de sexes différents forment des chœurs; privées de leur
raison, échauffées par lé vin elles se mêlent les unes avec les autres. Les
saints Pères considérant qu’en ce jour la plus grande partie du genre humain
s’abandonnait au sacrilège et à la luxure, établirent dans le monde entier et
au sein de chaque église un jeûne public. »
L’église alla plus loin y
elle ordonna de chanter des litanies spéciales ad calcandam
gèntilium wnsuetw- dinem; et afin de rompre les habitudes enracinées par
le paganisme, elle transporta te premier jour de l’année à la fête de Pâques;
mais ses efforts demeurèrent sans Succès.
-Recueil L’abbé Lebeuf a dit1
: « Il faut distinguer plusieurs p. 296. ’ degrés de folie dans les Calendes de
janvier, et il faut en faire une différence selon les siècles» Dans les siècles
les plus voisins du règne de l’idolâtrie, ces folies étaient 1. ,0
bien plus excessives qu’elles ne furent dans le sixième et le septième siècle»
Les chrétiens n’étaient plus alors si attachés^aux
abominations du paganisme.... » J’avoue que je ne suis pas autant frappé de oètte amélioration morale des habitants de la Gaulé que le
docte antiquaire, et je «trouve que les écrivains du sixième siècle
cq^pi^Rçvi. 3^3
avaient rai&m
quand ils qualifiaient las Calendes abo~ mineMis. cwmuetudç ‘a. R“ vffet !es
actes supersti-» * Mabiiion,
tiens qui, selon w\nt Augustin ou selon l’auteur dnA*to*I’I,*‘
sermon De Tetnpwe attribué peut-être à tort à
ce Pèçe. de l’église, souillaient cette fête, sont
absolument sern-i blables à
ceux qui .furqnt plusieurs fois condamnés pqr (, les conciles et|e$
docteurs du sixième siècle. N pus apercevons -toujours ces déguisements ■
appelés Cer* ttvluf, Hityiulus ou f^ejula,
ces. danses lascives, çqs festins dé$ordonBés..qui
étaient l’essenqç.des anciennes Calendes, Sans doute ep plusieurs endroits des pra?
tiques druidiques tplles que le Gui de Fan neuf*
nommé par un savant allemand die druidischen n.çtya}i.r-
■ gebrâuçhts* t
étaient venues se joindre à la fête ro- 4 ’****• rpaine,
mms cette adjonction n avait pas eu pour effet de
purifier çqtte defnièfe, qpi resta ap sixjème
siècle cç qu’plie avait été pendant le quatrième et
le çin,- qqième,
c'est-à-dire une époque de licence pour les amis do la superstition, quel que
fut du reste son caractère ou Son origine; ajoutons que ce mélange n'autorisait
pas les légfridftiFÇ* à donner le nom gépérique AeÇalea^es dejunvier ^ centaines fêtes celtiques ou germain.es qui
.se célébraient au commencement de l’année. Cette méprise était une
conséquence du système appellatif qu’ils ■ avaient adopté.
Lee Calendes n’étaient ppS |a seule fête qui dans la Gaule rappelât l’existence de
l’ancien culte des Romains.
■ Paps les provinces méridionales on fêtait
le jeudi riWHPp dédié à
Jupiter3. JGdha..
, Les païens célébraient,, le ?
a. février, les Ferqlia en t-V.^toSu l’bopncvr. des morts et les Tçrminalia ep l’honneur
ai.
du dieu Termfe.
Dans les Feralia 9s déposaient sur les tombeaux des viandes et donnaient
des festins auxquels les chrétiens prenaient part. Les Tetminalia
n'étaient souillés par aucun acte répréhensible, puisqu'on se bornait pendant
leur durée à charger de fruits et de » id.v,85i. fleurs les bornes qui
séparaient les héritages1.
Les fêtes dé Bacchus
continuèrent pendant toute la durée de ce siècle à être célébrées dans la Gaule
; mais il faut reconnaître que le caractère religieux de ces fêtes avait
presque totalement disparu ; elles n’existaient plus que comme une occasion
fournie aux paysans de déployer, à l’époque des vendanges, leur goût pour «Académ. üne ;oie
licencieusè et grossière3.
des lnscnpt. J ü
Liu,p. a6î. Les pratiques de l’art divinatoire étant communes à
toutes
les idolâtries qui avaient régné dans les Gaules, je ne les décrirai pas avec
détail ; je dirai seulement que les actes superstitieux à l’aide desquels les
Romains se flattaient soit de lire dans l’avenir, soit d’influer sur les
décrets de la Providence étaient pendant le sixième siècle en faveur dans les
Gaules, que les princes exerçaient eux-mêmes 'publiquement la divination , et
enfin qu’à aucune époque l’empire de cette J science ridicule n’avait été mieux assuré et plus gé-
de
France, r B
tni.p.
ii. néral3.
Je vais analyser les lois
rendues par l’autorité spirituelle ou temporelle contre les partisans de
l’ancien culte romain et achever de faire connaître ce qui constituait les
vestiges de ce culte.
Childehert I, fils de Clovis, combàttit l’idolâtrie avec 4lx.LoH- zèle : c’est
sous son règne qu’elle succomba dans Paris4, neau.
lÿist. .. , n ,
de Paris, Le recueil de Baluze commence par une loi de ce XIT’ prince
datée de l’an 554 et qui a ; pour titre De abo-
CHAP1THE VI.
3*5 tendis
idolatrice reliquiis*.
« Quiconque, y est-il dit, * i, 5. n’aura pas, après un premier avertissement,
fait disparaître de son champ les simulacres et les idoles dédiés par les
hommes au déinan, au aura empêché les prêtres de .
les détruire , dbsmera des répondants et restera à
notre disposition. s .Ghildebert se plaint ensuite ,
de plusieurs sacritégds habituels au peuple, mais qui
provenaient de la corruption des mœurs et non de l’ancien ■
culte rOiriain ; et1 il prononce des
peines contre ceux ‘
qui s’en rendraient coupables;
Lé législateur ne distingué plusentré les divers
débris d’idolâtrie qui étaient épârs sUt lé >spl dei la. Gaule, il'
voit seulement des idoles dédiéesau.déhîon. Ain»,
tous ces restes d’idolâtrie coihinejuçàient à perdre
leur caractère de nationalité, où plutôt, conformément à une opinion adoptée
par le» pères de. l’église du quatrième siècle, ils étaient rattachés à l’idée
générique du démon qui semblait comprendre l’idolâtrie tout entière. Cependant
les conciles, dan» lesquels siégeaient des hommes, plus éclairés que ceux qui
composaient le conseil du prince, désignaient quelquefois avec précision Fancienne idolâtrie romaine.
Le
deuxième Concile d’Orléans.réuni en 533 excommunie
les chrétiens qui retourneraient aux idoles et feraient.usage.de viandes
provenant de victimes immolée» ’• «Concil.IV,
Le
deuxième, concile de Tours tenu en 566 interdit I,79‘ la célébration
des Calendes, des Feralia et des Ter- mirtalia^. 3id.v,85r.
Le pape saint Grégoire, si
ardent à poursuivre les restes de l’idolâtrie, écrivait en 568 à Brunehaut,
reine des Francs 4: « Vous devez aussi contraindre avec <t. ii, p. g38 d.
« modération vos sujets à se
soumettre à la discipline « de l’église, en sorte qu’ils n’immolent plus aux
idoles, « qu’ils n’adorent plus les arbres et qu’ils n’étalent plus « en public
les têtes des animaux dont ils ont fait des « sacrifices impies. Nous sommes
même informés que «plusieurs chrétiens qui accourent aux églises con- « douent cependant, chose abominable! de rendre un « culte
aux-démons. »
«
Concii. Le Synode d’Auxerre tenu en 5851
défend de fêter t, V, p. ç56. [††††] / •
les Calendes, de.se déguiser
en vaches ou en cerfs, de se donner dés étrennes, d’acquitter des vœux à des
buissons, à des arbres, à des fontaines, de faire des pieds de bois ou des
figures entières d’hommes pour placer sur les chemins, de consulter les
sorciers et les devins, de s’arrêtér aux augures ou
aux sorts du bois ou du pain, et aux prétendus forts des saints, de
former des danses dans les églises, d’y faire chanter les filles, et d’y
préparer des festins.
En 58g le premier concile de
Narbonne défendit de >id.p.io3t. fêter le jeudi comme un jour dédié à
Jupiter3*; mais cette défense s’adressait aux chrétiens.
Je suis parvenu à démontrer que
pendant toute la durée du sixième siècle, l’état du culte romain dans les
Gaules ne différa pas essentiellement de ce qu’il avait été pendant les
cinquante dernières années du cinquième. Cette conclusion n’aura rien de surprenant
quand on saura que le moine Jonas ne craignait pas d’avouer que de son temps la
force de la religion était
CHKPITB» VI.
3&7
à peu près détruite dains J». Gauk
à cause de h nér gligence
des évêques1. Sans doute vers le milieu du ,A^tll^t’
sixième siècle ou vit apparaître use foulé de mission-' naires
remplis de courage et de lumières, et il suffira, pour foire connaître le
mérite élevé de ces ardents propagateurs de la foi, de citer saint GoJomban, saint Gall, saint Valéry, saint Agile.... Mais
tous ils dirigèrent l’effort de leur zèle contre le culte d’Odin encore puisr sent chez; les Francs, comme sd
l’intérieur de la Gaule ne renfermait pas d’autres restes d’idolâtrie également
dignes de leur attention. Le jugement sévère de Jonas est conforme à l’idée que
nous donnent de ce siècle les autres documents historiques; ils nous montrent
un clergé nombreux, actif, plein de zèle et de piété, mais impuissant à dominer
.une société dont les convictions flottent incertaines et qui est tourmentée
par une cor*, ruption profonde. Grégoire de Tours
rapporte une longue discussion qu’il eut avec un personnage nommé A,gila'j envoyé d’Ëuvichjlde près
de Childeric; or, cet Agila déclarait que toutes les
religions lui semblaient également bonnes et que, selon l’occasion, il entrait
indifféremment dans un temple ou .dans une église pour faire sa prière a.
Combien la transformation des 1 Hi»t. v, moeurs fut lente et difficile à opérer ,en Occident ! 4S‘
§ a. Septième
siècle.
Lies témoignages historiques
relatifs à la propagation du christianisme sont, pour ce siècle, très-nombreux,
mais encore moins précis relativement au paganisme romain que ceux du siècle
précédent. Les hagiographies parlent sans cesse de Verrorgent
ilium et des fana agne&- maisih n’essaient même pas de faire .connaître en
quoi consistait cette error, ni quels dieux on adorait dans ces fana;
cependant quelques-uns d’entre eux ayant apporté dans leur langage un peu plus
de précision, il me sera facile de prouver que le souvenir des divinités
romaines vivait encore chez les habitants de la Gaule* Il résulte de la légende
de saint Romain, évêque de Rouen pendant une partie de ce siècle, que Vénus
avait un temple dans le faubourg de 'la ville. Voici la des- > Marienne cription que nous en a
laissée le poète historien de The^urus sa|nt Romain > :
nov. III, i656, b.
In medio castri
patet area more theatri,
Quo fanum Feneris titulus spurcœ mulieris Falso frequentatur, scorti species veneratur. .
Ce temple ne demeurait pas
comme un simple débris de l’antiquité ; il était fréquenté et on y adorait
encore nominativement Vénus.
Trois autres temples dédiés à
Jupiter, à Mercure et à Apollon existaient hors de la ville. Saint Romain les
fit détruire.
On a
souvent cité un sermon de saint Éloy, évêque de Noyon
mort en 65g, qui est dirigé non seulement contre les païena,
mais contre tous ceux des chrétiens dont l’attachement aux usages du paganisme
scandalisait l’église. 11 résulte de divers passages de ce discours que les
habitants de l’ancienne Belgique adoraient encore Neptune, Orcus,
Diane, Hercule, Minerve et Ginescus (génie loeal): « Que les gens, dit le saint*, l‘l66 * SGnt
OCCUP®S à faire de la toile, ou à teindre, ou
« à un travail quelconque, ne nomment
pas Minerve, « ni aucune autre méchante personne. » La nature de ce document et
la précision avec laquelle sont dési-
CHAPITK1 VI.
3*9 gnées
dés divinités qui n’avaient pas leurs analogues dans la mythologie séandinave, nous autorisent à penser que saint Éloy parlait effectivement des dieux romains.
Les
Calendes de janvier, le Ÿetula, le Cervula, en un mot toutes les fêtes païennes
que j’ai indiquées précédemment étaient en usagez. «id.
Le concile de Reims tenu en 6a5a,
prononça peines contre les chrétiens qui mangeaient des viandes prévenant
d’immolations et qui prenaient part aux festins des païens. Ainsi, des
sacrifices avaient encore lieu. au septième siècle; mais il ne
nous est pas possible de préciser davantage cette assertion et de dire si un
tel acte d’idolâtrie était le fait des partisans de l’ancien culte romain ou
celui des sectateurs d’Odin. Je le répète, ces deux idolâtries se présentent
l’une et l’autre avec des dehors semblables, soit parce que Us bagiographes n’ont pas su les distinguer, soit, ce qui
n’est pas impossible, parce qu’elles avaient en plusieurs endroits fini par se
confondre.
Le christianisme poursuit sa
tâche ; il renverse les idoles, il .éclaire leurs grossiers adorateurs et fait pé- nétrer la lumière divine dans
tous les lieux où naguère la civilisation romaine avait été portée. Ce n’est
plus pour lui qu’une œuvre de patience, car presque nulle part il ne rencontre
une véritable opposition, une opposition fondée sur des doctrines, ou même sur
des intérêts. La puissance de l’habitude seule retarde ses progrès, mais elle
cède aux efforts répétés de ces missionnaires qui briguent l’honneur d’aller
détruire un temple, un autel, une statue. Au milieu de ces longs et pénibles
travaux quelquefois il s’arrête et à la manière dont il
. LIVRC MI.
célèbre Min inumphe,
on. reconnaît combien l’ennemi qu’il a terrassé lui semblait redoutable *•
§ 3. Huitième siècle. •
> Baluze,
I, i46.
1
Id. i5o.
On n’aperçoit plus à cette
époque aucune cérémonie véritable de l’ancien culte romain. Les princes caoio- viàgiensne se contentent
pas >de prêter l’appui de leur autorité aux oonciles,
aux synodes et aux évêques, ils publient des lois et des décrets contre les
actes que l’on qualifiait alors de pàganice1 et -de superititianes ; mais U <eat facile -de voir que ces expressions désignaient les
nombreux débris du culte des Francs. A la vérité on lit à la suite des canons
du synode tenu à Lectines en •jjft un Indicuku mpérstitianum
et paganiantm qui semble mentionner l’existence
du coite de Jupiter et de celui deMercune^car
l’article B est ainsi conçu : De souris Jwù vel Meœurü, et l’qrtide 20 porte : De fttiis qwe ftàiwnt Jovi *pel Mercurio*. On a plusieurs
fois observé que .le synode de Lestines ayant par ses
décrets pourvu à l’administration spirituelle de la Jhuringe,
contrée où jamais le culte des Romains
,rDrepaniusTlorus,
poète gaulois Au septième siècle, après avoir célébré tairtéréuMmieb
du coïté chnétina, s'écrié aéoc
Sertés
Nan tie Idasif Mnwlantur Dindyma Gellïs9 Attica
nec Gratis nuribus 'vigilatur
Eleusis, Orgia Thebarius vel agit nocturna Citheron.
Ailleurs il revient sur le même
sujet, comme si 1a ruine du paganisme n’é- Jaàtpas airçz^elairement constatée.
aune Costalii
siceetur fontis areha, Aoniumque nemus fistula rutila sanet : 'Laurus Apollinece marcescat denique silvœ, £umtfuatu» baacis alba ligugtra codant;
t Piclrices Cbritti v^geant per seculaj>alma^
( Bibl. Max. pair.
669 /. 670 4.)
CHAPITRE VI.
33i n’avait été établi, n’a pu
désigner, en sè servant des noms de Jupiter et de
Mercure, que Thor et OdinT.
J’en dirai autant de la
superstition qui portait les 5- habitants des campagnes à croire que
certaines sorcières couraient à cheval pendant la mïit
à travers les airs pour servir d’escorte à Diane3. Cette croyance >Indicilias populaire,
dont je parlerai bientôt avec plus de détails, ®rt-
3o* quelle que soit son origine, ne constituait pas au huitième
siècle; un acte formel de paganisme romain. .
Il résulte de ce qui vient
d’être dit dans ce chapitre que la racé gallo-romaine , là seule qui pût encore
rester attachée aux autels des anciens dieux romains, s’était, après ùne longue résistance, donnée au christianisme, et que les
seuls partisans de l’idolâtrie dans les Gaules étaient quelques-uns des
descendants de ces peuples barbares qui, après avoir parcouru et ravagé tant
de fois cette contrée, y avaient enfin établi leurs foyers , leurs mœurs et
leurs croyances. Mais si l'idolâtrie ny exerçait plus
qu’une faible influence, l’esprit de superstition y était au contraire plein
de force, et oh ne peut hier qù*iï
provînt à la fois du culte des Romains et du culte dès barbarés
: lés actes par lesquels ii se révélait dénotent assez ciairement
cette double origine.
Je vais montrer ce que
Charlemagne fit contre ces vieux restes de l’ancienne civilisation, ensuite je
les abandonnerai ; car l’histoire* peu intéressante de leur résistance obstinée
aux progrès dii christianisme ou à ceux de la raison nous conduirait de siècle
en siècle jusqu’à l’époque actuelle.
33» UVRE XII.
• ■ . . ♦
Lois de
Charlemagne contre l’idolâtrie.
. Avec
Charlemagne reparaît en Occident un principe de civilisation qui depuis la
chute de l’empire romain y était resté inconnu; je veux parler d’une autorité
suprême dont chaicun accepte avec docilité les inspirations
élevées et puissantes. La pensée d’un homme de génieva,
à elle seule, animer cet empire qui se compose cependant d’éléments variés ou
contraires. Des peuples dont les croyances, les mçeurs
et le langage n’offrent que des contrastes ; renonçant à leurs caractères particuliers
, se rangeront-avec docilité sous le même joug, et l’Europe entrera dans une
voie qui doit conduire ses enfants, à ne plus former qu’une grande et puissante
famille.
. Pour arriver à sonbut,; pour, briser les mœurs primitives dès peuplades'
guerrières qui lui étaient soumises,Charlemagne
devait; avant tout pourvoir à ce que l’anarchie ne régnât plus dans le domaine
religieux et empêcher que les débris des cultes romain, druidique et scandipave De vinssent contrarier les développements du
christianisme et ceux de la civilisation qü’il
portait avec lui. A cette pensée se joignit chez l’empereur d’Occident une
piété {dus vive qu’éclairée qui lui conseilla trop souvent des actes de
barbarie dont le souvenir fait encore frémir..
Les lois contre les idolâtres
Saxons et celles contre
CHAPITRE V<ï.
335 les païens de la Gaule font
voir que l'Opposition des , premiers au christianisme était plus forte que
celle des 'seconds, car l’empereur la réprime par des lois beaucoup plus
redoutables*
Le capitulaire De parlibus Saxoniœ prononça la
peine de mort contre les Saxotis qui refusaient lé
baptême, et faisaient des sacrifiées ou des actes de sorcellerie ;et même
contre ceux qui, selon leur coutume nationale, brûlaient les morts au lieu de
les enterrer,
Charlemagne fit exécuter cette
loi avec une barbare rigidité ; et Ton sait que dans une seule circonstance,
en 782, quatre mille cinq cents ou plutôt cinq mille quatre cents adorateurs
d’Odin furent par ses ordres passés au fil dé l’épée. Il n’entre pas dans mon
plan de décrire le dévouement aveugle des Saxons pour les dieux de leurs pères,
ni les sentiments d’exécration qu’ils vouèrent aux Francs et à leur chef*. On
conçoit que rien de semblable ne pouvait avoir lieu en-deçà du Rhin. Là aucun
bras n’était plus armé pour la défense des anciens dieux, et il s’agissait dans
leS Gaules non de détruire l’idolâtrie mais d’effacer
les traces de son passage. Éclairer et instruire le peuple j diriger les
efforts des prêtres et l’ardeur des missionnaires et prononcer quelques peines
modérées contre une obstination irréfléchie, tels étaient les seuls moyens dont
l’emploi fût conseillé par la sagesse : ce sont aussi les seuls que"Charlemagne ait mis en usage.
■ Baluxe,
I,aSa.
“Après ce massacre, les Saxons,
pour obtenir l’appuid’Odin, rédigèrent une formule
d’invocation dont voici la* teneur: « Grand et saint Odin! dé- «4itte-ttous,
ainsi qae noire seigneur Witekind,
ainsi que nos héros, de ce «barbare Karel. Malheur à ce bourfeau!
Je.te donnerai un bufle,
deux « agneaux et les dépouilles ; je t’immolerai les prisonniers sur ta sainte
mon- « tagne d’Artisberka.
» Magnusen, p. 33o.
Sa législation contre les psfciM de U Gaule se. divise en deux parties : dans h-
première il indique, aux évêques les superstitions qu'ils ■
doivent plus particulièrement
combattre ; dans la seconde il prononce des peines contre les coupable». Examinons ce système législatif dans ses détails.
En l’année 769, peu après son
avènement au trône, Charlemagne publie un capitulaire dont le deuxième article
est ainsi conçu : « Que les prêtreqne versent « le
sang ni des chrétiens ni des païens. » 11 renouvelle ensuite l’article du.
capitulaire de Lestipea précédemment cité et y
ajoute une disposition pleine de sagesse , savoir que chaque évêque fera une
fois l’an la visite de son diocèse, afin d’instruire le peuple et de se '
livrer à la recherche et à la destruction de ce qu’il > ia col. 191. appelle spurcitiœ gentàlium
*. L’esprit de la législation religieuse de Charlemagne as trouve tout entier
dans cette première loi : il transforme chaque évêque en missionnaire, et lui
impose, l’obligation de balayer hors de son diocèse toutes les ordures de
paganisme qui le souillaient encore. L’empereur comprenant que c’était par la prédication..et par les.travaux
aposté liques que l’on pouvait parvenir à réformer,
les mœurs publiques, cherchait, à multiplier le nombre des mis- sionnaires et non à augmenter le gple
de ceux qui existaient; car, nous devons le reconnaître, les mû* sionnaires du huitième siècle, n’étaient nullement inférieurs
à ceux du siècle précédent. Saint Boniface ( Winefried),
secondé par Saint Burchard, commença vers l’année 78a
sa célèbre mission en Allemagne et expia par une mort 'Cruelle les succès qu’il
avait ob-
CKAPITHX VII.
335 tenu»*. Saint Wüebrord et saint Swibert
changèrent dans la.Frise, et en l’espace de deux ansx quarante^ isurî»*.i.
deux temples païens en églisesCharlemagne n’avait
donc qu’à rendre générale dans tous les diocèses cettec.ix,$
i3. guerre contre les superstitions païennes et c?est
ce qu’il fit.
* Saim
Boaiface dâtoa >rin«iptaas>eni ta game «ur débris <te laacienne religion germaine ; mais ces superstitions
ressemblaient beaucoup à celles qui provenaient du culte des Romains, et les
unes comme les autres devaient être combattues par les mêmes moyens. Dans les
commencements de sa mission, Seniface, effrayé de la
grandeur de sa tâche, et meertain sur la direction
qu’il devait donner à ses efforts, consulta Daniel, évêque de Winchester,
prélat renommé pour sa sagesse, et qui lui-même avait guerroyé avec succès
contre l’idolâtrie dans la Grande-Bretagne. Daniel traça pour Boniface nn plan de conduite qui révèle dans son auteur une grande
sagacité, et qui nous fournit de précieux renseignements sur les pensées des
défenseurs obstinés de toutes les superstitions païennes. Voici les
instructions données par Daniel (Mabillon. Annal, ord. S. Benedict. t.
II, p. 74).
i° Il ne faut pas entreprendre
de démontrer aux païens que les généalogies de leurs dieux sont fausses. On
doit au contraire admettre tout ce qu’ils disent sur ce point; mais conclure de
ce que ces dieux sont nés de mariages enfre hommes et
femmes, qu’ils o<t eu un QmmnencemeDt,qu^ilsne
sont pas éternels.
a0 Demander aux
païens si le monde a eu un commencement ; qui commandait aux hommes avant la
naissance des dieux, et ai le premier dieu a été engendré; quand et par qui2
3° Les dieux engendrent-ils
encore ?
4à Quel est le plus
puissant d’entre eux?
5e Quel .est leur
nombre?
6° fin
quoi les sacrifices peuvent-ils contribuer au. bonheur des dieux? ,,
Quand
on aura conduit les païens à reconnaître la fausseté de leurs ■ 1
croyances sur la Divinité,
alors on imprimera A la discussion une direction plus élevée et l’on mettra en
parallèle la pureté des dogmes, chrétiens avec . l’incohérence, la folie et
l'immoralité des fables,du paganisme.
Il faudra enfin faire
comprendre aux païens que leur nombre est très-petit et qu’il 'va toujours en
diminuant, ce qui prouve que* les jours de leur religion aon&
comptés* >,
Il est évident qu’en
argumentant de celte manière contre le? païens, an devait, si la bonne foi
exerçait sur eux quelque empire, les amener à une complète abjuration de leurs
erreurs •
Dans le capitulaire
d’Aix-la-Chapelle, publié en * id. col. l’année 789K, il prescrit de
poursuivre les enchanteurs et les sorciers. « Quant aux arbres, ajoute-t-il,
aux «pierres, et aux fontaines où certains insensés atta-
« chont des lumières et font d’au très, actes de ce
genre, « nous voulons que partout où cet usage absurde et « exécrable à Dieu
sera trouvé en vigueur,il soit aboli.»
En 794 9 il ordonna de couper
les arbres et les luci >id. col. ou
bois sacrés, dernier asile de l’esprit païen*.
a7°’
Il existe un recueil de lois publiées par Charlemagne et par
Louis-le-Débonnaire à diverses époques de leur règne. Ce recueil intitulé: Capitula
Regum et Episcoporum maximeque
NobiUum omnium Fran- corum
ad reprimendas neophytorum
quasi fidelium adinventiones,
est, comme l’on sait, l’ouvrage du moine Angésise.
Voici les dispositions de ce
code qui sont applicables aux païens :
«Si
dans une paroisse les infidèles allument des « flambeaux {faculas ), adorent les arbres, les fontaines « ou les
pierres, le prêtre, s’il néglige de combattre ces « habitudes, sera déclaré
sacrilège. Le seigneur du lieu « ou les auteurs de ces actes seront privés de
la corn- «munion, si après un avertissement ils n’ont
pas ^id.coL « voulu s’amender3.» Il est
recommandé aux évêques T O94. . 1
de déraciner les usages
superstitieux pratiqués dans 5/0’X, Ie*
enterrements^.
ses.
Parlons maintenant des peines prononcées contre les coupables. Les païens, ne,pourront intenter une accusation, donner un bien en
emphytéose à un chré- 5 t*ei1 ou en tenir un de lui
Cette clause pénale n’a
aucun rapport avec le délit
qu’elle prétend reprimer ; mais il faut remarquer qu’elle
est prononcée accidentellement : le législateur énumère les classes de personnes
qui,'à raison de leur indignité, ne doivent pas jouir
du droit commun d’intenter une action; il nomme les repris de justice, les
esclaves, les histrions, les hérétiques, les juifs, et il leur adjoint les
païens, moins dans l’espoir de réprimer par cette peine leurs superstitions ,
que pour tracer sur leur front une marque de réprobation : c’est ainsi que
dans une autre loi il plaça sur la même ligne les incestueux et les païens :
séparer entièrement ces derniers de la société, telle fut son intention.
Quant à l’interdiction de
donner ou de tenir un bien en emphytéose, elle avait pour but de prévenir l’établissement
de rapports trop intimes entre les chrétiens et les païen»;* mais elle fut
prononcée plutôt contre les mahométans que contre les derniers partisans du
culte des Romains.
Les sacrifices et les festins
sur les tombeaux avaient*
encore lieu. Les chrétiens qui
prenaient part à ces festins ou mangeaient des viandes provenant d’immo-. lations, devaient se
purifier de cette souillure par le jeûne ou l’imposition des mains plusieurs
fois répétée, «afin que s’abstenant ab idolothylis9 ils
puissent « participer aux sacrements du Christ1. »
’ Col.
85o. Capitul. i. T,
c. 197.
Je pourrais peut-être me
dispenser d’ajouter que c. io3; l.VI, Charlemagne poursuivit avec une grande
rigueur toutes les pratiques de l’art divinatoire, qu’il ^appelle un héri- tage détestable du
paganisme3 *. Sur ce point il n’obtint pas de meilleurs résultats
que ses prédécesseurs.
» Id. 1. V, c. a 15.
a
Le nombre des professions créées par Fart divinatoire n'avait pas diminué
depuis le règne de Valentinien Ier, car Charlemagne désigne dans ses
lois les Magi, sfrioli,
Venefici, Divbii, Incantatores, Somniorum conjectow
II.
Ces dispositions législatives
sont las seules sur lesquelles il importe de fixer notre attention.
Ni dans les lois, ni dans les
canons-, ni dans les.documents historiques de cette
époque on ne trouve la preuve de l’existence d’une véritable cérémonie du culte
romain. Sans doute les dispositions légales, qui dans le recueil d’Angésise proscrivent les sacrifices et les festins sacrés,
pouvaient avoir en vue les sacrifices et les epula
sacra des partisans de ce culte; mais on n’a aucun motif d’assurer que
telle ait été en effet l’intention du législateur. Nulle part nous ne trouvons
h preuve de l’invocation d’une divinité gréco-romaine, nulle part nous ne
voyons les adorateurs d’une ou de ' plusieurs de ces divinités clairement
indiqués ; les noms même de Jupiter et de Mercure, quelle que»soit
l’incertitude qui existe sur les dieux que ces noms désignaient, n’étant plus
prononcés par la loi, on doit en conclure que le souvenir du culte des Romains
s’effaçait de la mémoire des prêtres chrétiens. Le moment est donc venu de
déclarer le paganisme romain complètement mort
■ Je dois cependant noter une
exception apparente à
cette assertion si formelle que nous ne lisons plus nulle part le témoignage de l’invocation d’une divinité gréco4N>maine. U
est certain que sous le règne
des premiers successeurs de Charlemagne et même que ’tohue,
n, jusqu’au
quatorzième siècle1, Diane fut
l’objet d’une espèce de culte. Quelle était cette Diane? quel était ce culte?
voilà ce qu’il faut examiner.
Dans un Capitulaire de
Louis-le-Débonnaire de l’an v^Dianum* ®^7.nous
lisons ’ : « Il ne fhut pas oublier que quelques
femmes scélérates retournant vers Satan et séduites
CHAPITRE
Vil. 339
perles illusions et les
fantômes des démons, croient et disent que montées sur des animaux et en
société de Diane déesse des païens et d’une innombrable multitude de femmes,
elles parcourent pendant le silence d’une nuit tranquille des espaces immenses;
qu’elles obéissent à Diane comme à leur maîtresse, et que pendant certaines
nuits elles sont appelées pour la servir. Plût au ciel que ces misérables
périssent seules dans leur perfidie, et qu’elles n’entraînassent pas à leur
suite un grand nombre de personnes dans la mort de l’infidélité ! car une
multitude innombrable trompée par cette fausse croyance et lui accordant une
foi trop grande, dévie de la foi véritable pour revenir à l’erreur des païens.
»
On a dit que cette loi n’était
que la reproduction d’un décret du pape Damase inséré par Gratien dans $a
collection1 et cité par saint Augustin dans son Qu'traité De
l’esprit et de l’âme*; mais les critiques ont »T. ui,
sans peine reconnu que le décret de Damase et le traité d’Augustin
étaient également controuvés, et appartenaient à des époques postérieures à
celles où vivaient ces deux personnages. Il n’y a donc aucune raison pour ne
pas regarder le capitulaire de Louis 1er comme un document original,
et destiné à combattre une eroyance superstitieuse
qui, à mon avis, avait été importée dans les Gaules par les Francs.
En effet, on n’aperçoit dans la
mythologie gréco- romaine rien qui ressemble à ces courses nocturnes et
mystérieuses ■
d’une
multitude innombrable de femmes entourant et servant un être supérieur soit Diane, soit tout autre ; et au
contraire une superstition analogue existait dans la religion du Nord.
33.
Je ne parle pas. ici des
chasses aériennes et noc- «Magnusen. turnes d’Odin
escorté par les Ases1, mais des courses
P’
375' de ces femmes que l’on désignait sous le nom de Troll dont
l’acception était si étendue.
Les peuples du Nord donnaient
ce nom à toutes les *id.p. 475. formes que le mauvais
Génie pouvait revêtir®, et particulièrement aux sorcières, aux femmes qui par
des moyens magiques se procuraient l’appui des démons , qui couraient dans
l’air pendant la nuit, ou qui, pour nuire aux hommes, prenaient la forme
d’animaux. Trollkona était la protectrice et la compagne
de ces sorcières. C’est elle qui un jour se présenta à Hédin
prince norvégien, montée sur un loup qu’elle conduisait avec des serpents au
lieu de guides, et qui 3p, 4?4. lui promit de l’accompagner3.
Ces croyances étaient populaires dans toutes les régions où dominait le culte
d’Odin, et quand l’idolâtrie régnait encore en Islande, Geirrida
fut publiquement accusée comme sorcière 4p-C7- noctivaga
{gveldrida)4.
Les Francs apportèrent dans les
Gaules l’idée de ces courses aériennes et nocturnes, et celles des comices et
des festins. célébrés par les démons et les sorcières sur des montagnes; car je
le répète, rien de semblable ne se trouvait ni dans la religion druidique ni
dans la religion romaine. Ces idées fructifièrent dans cette contrée, parce
que depuis un temps ancien le druidisme avait attribué aux femmes inspirées une
sorle de pouvoir surnaturel. Les prêtres chrétiens,
conformément à un usage que nous connaissons, entendant parler deTrollkona, c’est-à-dire d’une déesse qui habitait les
forêts et les parcourait montée sur un loup, ne crurent pas pouvoir lui donner
un nom plus convenable que celui de Diane.
Le capitulaire de Louis-le-Déhonnaire ne doit donc pas nous décider à établir une
exception à ce qui a été dit précédemment, et je répéterai qu’après le septième
siècle, aucune divinité romaine, pas plus Diane que toute autre*, ne fut
nominativement in* voquée en Occident.
Je ne prétends pas dire
cependant que toutes les traces de l’ancienne religion furent effacées, qu’une
civilisation entièrement neuve s’établit en Europe, et que rien, hormis les
annales historiques, ne l'appelât plus les idées, les croyances, les erreurs et
les mœurs qui autrefois avaient dominé dans cette partie du monde : ce n’est
pas ainsi que se régit la société humaine, elle se modifie et se transforme
perpétuellement ; son aspect change quelquefois avec lenteur et par degrés,
quelquefois avec une étonnante rapidité. Souvent elle se trouve dans une
situation si extraordinaire qu’elle croit elle-même avoir rompu avec son
passé; cependant, au milieu de ces métamorphoses successives, elle conserve
toujours le souvenir de ce qu’elle à été antérieurement, et ce souvenir est si
puissant, il se reproduit si souvent et avec tant d’énergie, qu’on est porté à
se demander si ce qui a influé vivement sur les mœurs d’une société à quelque
a
L’assemblée de Magdebourg qui fut tenue en 4110 adressa une longue exhortation
aux évêques de la Saxe et de la Lorraine pour les engager à combattre les
superstitions qui régnaient dans leurs contrées ; elle entre dans de grands
détails et cherche à leur faire comprendre le caractère des démons qui étaient
encore alors en honneur chez le peuple. Il en est un nommé Pripelaga
dont elle dit : Pripelaga, ut aiunt, Priapus est et Beelphegor impudicus. Can- ciani, t. III, p. 88. On conçoit qu'on, ne peut induire, ni
de cette citation, ni d'auctme autre semblable, que
l’idée du Priape romain se fût conservée jusqu’au douzième siècle dans ces
provinces.
époque que ce soit peut jamais
être complètement effacé.
Les croyances religieuses et le
langage sont les deux principes de civilisation qui résistent le mieux à
l’action du temps et au changement des idées; ils sont modifiés, altérés,
corrompus ; mais on n’a pas encore remarqué qu’ils aient été quelque part
détruits d’une manière absolue.
Si toute civilisation lègue à
celle qui lui succède une partie de ses éléments, aucune n’a dû laisser après
elle un héritage plus riche que la civilisation romaine, car elle reposait sur
de larges bases et elle avait profondément pénétré dans les mœurs. Le
christianisme ne négligea rien pour que les peuples de l’Europe répudiassent
cet héritage, mais ses efforts furent en partie impuissants, et une multitude
de croyances absurdes, de pratiques ridicules et d’erreurs dangereuses issues
clairement du culte romain s’enracinèrent dans la société chrétienne et y
existent encore aujourd’hui» Quand on réfléchit à combien de siècles et de révolutions
de tout genre elles ont eu l’art de résister, on se laisse aller à la pensée
affligeante qu’elles vivront aussi long-temps que la
société elle-même.
Rechercher ces débris de
l’ancienne religion au milieu de tout ce qui compose notre civilisation
moderne, les décrire, les expliquer, les rattacher les uns aux autres est un
travail fatigant et difficile. Beaucoup de savants l’ont entrepris, aucun ne
l’a achevé, et on le conçoit, car les classes les moins éclairées de la société
étant celles qui conservent le plus soigneusement les vieilles erreurs et les
anciennes croyances, il ne subsiste plus du culte romain que ce qui était le
mieux
C0ATITRK VII.
343 approprié à leur
intelligence grossière., cest-à-dire la foi dans les
sortilèges et la divination, la crainte des esprits et des fées, un respect
instinctif pour les arbres, les eaux et les pierres, enfin le goût pour
certaines fêtes licencieuses. Si Ton met de côté l’origine de ces vestiges
d’une société qui n’est plus, mais qui néanmoins nous intéresse à un haut
degré, on ne trouvera, sous quelque aspect qu’on les considère, rien qui puisse
donner matière à de graves et utiles considérations. Je m’applaudis donc de
pouvoir terminer ici mes recherches , car je craindrais, si j’étais forcé de
les prolonger, que le lecteur en me suivant dans des investigations d’un
ordre inférieur n’oubliât que le paganisme avait autrefois appelé à sa défense
de grandes idées et de nobles caractères.
Sur la statue
de Jupiter au mont Saint-Bernard.
Si les faits contenus dans la
légende de saint Bernard étaient incontestables, il faudrait dire qu’une statue
de Jupiter recevait encore dans l’Occident des hommages publics à la fin du
dixième siècle : une particularité aussi surprenante, accréditée d’ailleurs
par une tradition ancienne et très-populaire, mérité de fixer notre attention.
Augusta Prœloria , aujourd’hui Aoste, était le
point de jonction de deux routes qui traversaient les Hautes-Alpes; l’une
tournant à l’ouest coupait les Alpes-Grecques par la montagne appelée Columna Jouis ( Colonne Joux ), et
établissait la communication entre la vallée d’Aoste et la Haute-Tarentaise :
on appelle aujourd’hui ce passage le Col du petit Saint-Bernard. L’autre
voie traversait les Alpes-Pennines et descendait dans le Bas-Valais par un col
étroit et difficile, nommé Mons Jouis (Mont-Joux),
aujourd’hui le grand Sain t-Bernard.
Au premier de ces passages se
trouvait une colonne consacrée à Jupiter*; sur le Mons Jouis était un
an- a On suppose que cette statue était de porphyre et qu’elle
portait une es- carboucle appelée rail de Jupiter. Il existe encore
aujourd'hui au petit Saint- Bernard ou Col de Joux une colonne que la tradition
prétend être celle de Jupiter, elle est en marbre cipolin, à grandes veines
blanches et vertes. D’après les proportions de cette colonne, elle doit être
enfoncée en terre d’un mètre environ ; le chapiteau manque et l’astragale a été
presque entièrement
APPENDICE.
345 cien
temple païen également dédié à Jupiter Penninus.
Le savant Rivaz,
auteur valaisan, rapporte que Constantin II fît abattrç
la statue de Jupiter, et qu’il la remplaça par une colonne milliaire, qui se
trouve encore dans le village de Saint-Pierre1. Si l’on admet ’Ebel. Ma- les divers récits des légendaires, Constantin
n’aurait voyageur en point fait détruire cette statue, ou s’il l’a réellement Su1Îô8.11’
renversée, plus tard elle fut rétablie.
Jupiter n’y était plus honoré
au dixième siècle selon les rites anciens; il avait pour adorateurs desoauvages et des brigands fanatiques, habiles dans l’art
de mettre à contribution la crédulité et l’effroi des pèlerins. Le temple de Mont-Joux était, dit-on, le centre de pra*
tiques monstrueuses. L’âpreté des lieux, l’inclémence des éléments, la barbarie
des montagnards du voisinage , tout concourait à fermer aux voyageurs cette
barrière des Alpes. Ceux qui échappaient à la violence de la tempête, aux rigueurs
du. froid, ou à la cruauté des brigands, descendaient a la cité d’Aoste à demi
morts de fatigue et de terreur, et Élisaient un tableau effrayant des dangers
qu’ils avaient courus et. des malheurs de leurs compagnons précipités dans les
abîmes, ou victimes de certain monstre qu’on croyait sorti de l’enfer. Cet état
de choses reposait bien plus , comme on le voit, sur la terreur inspirée par le
brigandage que sur la piété païenne; mais cependant ce temple, cette statue,
cette colonne, détruit. Sur cette colonne se trouvait probablement une statue,
car on a profité des tenons et des entailles qui la soutenaient pour y fixer
une croix. IL me seudde plus naturel deregarder cette colonne comme étant celle qui fut élevée
par les Romains, que d'y voir, ainsi que le fout plusieurs.savants
italiens, un monument religieux des anciens Celtes. Cambry,
p. 264.
semblent indiquer que le culte
barbare de Pœninus était h source des
désordres qui se passaient en ces lieux.
L’honneur d’avoir attaqué et
détruit ce dernier asile du paganisme appartient, ajoute-t-on, à saint Bernard
de Menthon, né en cp3, dans le voisinage d’Annecy,
d’une des plus illustres maisons de Savoie; et qui fut élu vers l’an g56
archidiacre de l’église d’Aoste*.
« Acta.
SS. J un. II, 1077.
Habitant un pays infecté par
tant de superstitions condamnables, doué de beaucoup de courage et de
persévérance, saint Bernard étendit ses travaux apostoliques dans les diocèses
de Novare, de Sion en Valais, de la Tarentaise et de Genève; mais on ne
connaît ni l’époque précise, ni les détails de ces différentes missions ; ceux
qui appartiennent à son expédition contre le Jupiter du Mont-Joux
nous ont été conservés par un de ses contemporains, que je vais laisser parler
*.
« Le diable, ennemi qui
toujours rugit, qui toujours veille pour le triomphe du mal avec une grande attention,
s’efforçait, à l’aide de cette statue profane que rendaient redoutable les
paroles infernales des bavards, d’entraîner vers l’enfer la chrétienté ddht afors la puissance
grandissait. Les habitants de ces
•Un grand nombre d’hagiograpbes ont écrit la rie de ce saint. Elle se trouve
dans le recueil des Bollandistes, Juin, H, 1077; dans Godescard,
art Saint Bernard, Juin, t. V; dans Massa, Diario
de* Senti. Buthod, le docteur Franç.
Bernard, Grillet, Viot, D. Alberto Doglio.... ont
ensuite donné par* timdièretnent la vie de saint
Bernard. L'ouvrage du docteur Bernard intitulé Kâ du
héro3 des Jlpes, et celui de Buthod,
Kita maravigliosa delgran
son Bemardo, sentent tout à fait le roman. M.
l'abbé Dépommier a publié récemment une notice
historique sur saint Bernard de Menthon dans le L M,
p. 017, des Mém. de la société acad. de Sawk. Ces divers
écrits reposent tous sur la chronique fort courte de Richard de Val disère, chanoine d'Aoste et Mcaesaeur
du saint dans l'archidiaeomrt, qui se trouve datft la collection des Bollandistes.
APPENDICE.
347 lieux croyaient , dans leur
illusion > pouvoir, à l’aide de ses fraudes, guérir ou éviter les maladies
qu’il envoyait ; et, qui pis est, quand une troupe de voyageurs passait par
cet endroit, le démon retenait, quel que fût leur nombre, un chrétien sur dix,
et en l’asservissant par la terreur de l’idolâtrie, il s’empressait de le faire
périr. Sa demeure était au sein des froides cavernes des montagnes éloignées de
plus de vingt stades de toute maison habitée. On comprend dès lors combien il
était difficile de porter remède à la foule de gens que ses mensonges avaient
trompés. Bernard, élevé à la très*sainte dignité de l’archidiaconat d’Aoste,
homme plein de modestie et de piété, frémit en considérant cet obstacle suscité
au salut des hommes. 11 adressa ses prières à saint Nicolas, qui paraissant
devant lui en habit de voyageur lui tint ce langage : « O Bernard ! gra- « Vissons ces montagnes, franchissons ces affreux prête
cipices, mettons en fuite les démons, réduisons en «
poussière cette statue de Jupiter et cette colonne qui « porte l’escarboucle de
la statue, objets de trouble « pour les chrétiens. Ensuite nous fonderons en ce
lieu « un hospice et un couvent de chanoines réguliers. « Tu te feras
accompagner de neuf personnes et tu « n’auras rien à redouter du démon. Tu
lieras le cou « de la statue avec une corde et tu la briseras. Tu a conjureras
les démons, tu les. garrotteras'et tu les «
précipiteras dans le chaos des montagnes : jusqu’au «jour de leur jugement ils
ne pourront plus nuire à « personne. »
« Bernard brûlant du désir de
commencer son expédition, gravit les montagnes lui dixième, tenant dans sa
main le bourdon, symbole de la victoire : l’usage
dans ce temps était que
l’archidiacre d’Aoste le portât dans les offices divins. Il passe devant la
statue pour voir si le diable tentera de lever sa dîme accoutumée et de le
faire périr, puis il attache au cou de la statue son étole devenue , pour ainsi
dire, une chaîne de fer; il fait les conjurations accoutumées, et ordonne au
démon de se retirer dans un cahos affreux, dans les
profondeurs des abîmes tartaréens des monts Malethts (Malethorum'),
situés entre les trois diocèses d’Aoste, de Genève et de Sion, d’y rester à
jamais caché et enfermé par des nuages épais, en attendant, sans nuire à
personne, le jour de son jugement. Il met en morceaux d’abord la statue, puis
la colonne de l’es- carboucle appelée l’œil de la statue, afin que ces objets
ne fussent plus dangereux pour personne. »
« Bernard retourna promptement
à son église et ayant célébré la messe, il annonça qu’avec l’aide de Dieu il
avait mis en fuite le démon, et détruit la statue, ainsi que la colonne de
l’escarboucle. »
Une seconde Vie de saint
Bernard, mais sans nom d’auteur, est placée dans le Recueil des Bollandistes :
elle parle de l’établissement des deux monastères, et garde un silence complet
sur la destruction des monuments païens*.
Tel est le récit de Richard de
Val d’Isère, source
a
Josias Simler, dans ses Vallesiœ descriptionis libri duo. Cap.
de Feragris, parie ainsi de la destruction de
l’idolâtrie sur le Mont-Joux : Domesticis
monuments proditum est, in hoc monte idolum fuisse, quod petentibus
responsa dederit.... Posteaquam
vero Salassi et Peragri ad agnitionem Chrisli 'venere, Bernardus ex dugusta Prœtoria sacerdos, pias et sanctce 'vitas homo, idolum dejecii, et canobium eo loco in usum peregrinorum instituù; ab eo deinde nomen Mons accepit. Fulgus nugatur dœmonem qui responsa dederit, ab ea in horrendum specum hujus montis
quibusdam adjurationibus comptdsum> Ulic, quasi carcere quodam detineri.
unique de la tradition
aujourd’hui existante. Montrons le degré de confiance qu’il mérite.
Une grave méprise de
l’historien apparaît au premier aspect : selon Richard, la colonne et le temple
étaient situés au même passage; ear il ne parle que
d’une seule expédition de saint Bernard, tandis que l’on sait que ces deux
anciens monuments étaient placés à une très-grande distance l’un de l’autre, et
qu’après avoir détruit le temple, Bernard devait redescendre à Aoste, pour de
là se rendre au col de Joux et abattre la colonne.
J’ajoute, mais sans vouloir
tirer une preuve positivé de ce que je vais dire, que d’après une opinion assez
accréditée parmi les savants, la statue, loin d’avoir saint Ber- été brisée par
Bernard, existait encore dans le siècle dernier au couvent du mont
Saint-Bernard. Viot l’y * HisVdc
la
J
maison
dessina ; Guichenon * et D.
Martin 3 ont reproduit son royale de image sans révoquer en doute
son authenticité. Toute-1.in, c. 4, fois je ne crois pas que l’existence seule
de cette îReli^ôn
Pour croire qu’un temple et une
statue de Jupiter aient pu subsister encore et recevoir des hommages en l’année
96a, il faut d’abord admettre que le christianisme n’avait pas pénétré dans le
lieu où étaient le temple et la statue, ce qui amènera cette autre conséquence,
que cet endroit faisait partie d’une région éloignée de tout établissement
chrétien et peu fréquentée; or, chacune de ces deux propositions est également
inapplicable au grand et au petit Saint- Bernard.
Le christianisme pénétra de
très-bonne heure dans
le
Valais. Le massacre de la légion thébaine exécuté à Agaunum
(Saint-Maurice) en 3oa, par l’ordre de Maximien, attira sur cette contrée les
regards et l’intérêt de tous les chrétiens, et en l’année 515 Sigismond, roi
de Bourgogne, fonda la célèbre abbaye de Saint- Maurice, Sanclorum
martyrum Aguunensium.
Sion est le siège d’un des plus anciens évêchés de la Suisse, car celui qui
existait à Octodurum ( Martigny ) depuis le
quatrième siècle, fut transporté dès le sixième à Sien. Enfin, on a trouvé dans
cette dernière ville * *’ une
*nscr*Pt’on
chrétienne du temps de Gratien Si
nous fixons maintenant notre
attention sur Aoste, nous voyons que cette ville fut érigée en évêché pen- «HxîL
n, daut Je septième siècle®, et que les rapports
entre les prêtres de la Tarentaise et ceux du Valais devaient être fréquents,
puisque pendant long-temps l’évêque de $ion reconnut
pour métropolitain l’archevêque de Mputiers. Les
passages du grand et du petit Saint- Bernard servaient donc de communication à
deux provinces éclairées de bonne heure par le christianisme et à deux sièges
épiscopaux très-anciens.
Prétendre que ces deux passages,
qui sous les Romains furent les voies habituelles de communication entre les
Gaules et l’Italie, cessèrent tout à coup au moyen âge d’être fréquentés, c’est
soutenir une opinion que tous les faits contredisent : il suffit pour le
prouver de rappeler qu’en l’année £>47, une armée de lombards passa le grand
Saint-Bernard : cette armée chrétienne n’aurait certainement pas respecté un
temple de Jupiter. Comment donc supposer que des restes de paganisme, aussi
défigurés qu’on voudra le penser, aient subsisté jusqu’en 962 dans des
provinces
très4réquentées et où le
christianisme était établi depuis près de six siècles ?
Mais
une preuve, aussi formelle qu’on peut le désirer, terminera sur ce point toute
discussion. Saint Bernard fonda, dit-on, le couvent du Mont-Joux
en 962, or, les annales des évêques de Lausanne font mention de ce couvent dès
l’année 83a1, et nous ap- 1 Ebel-n» . 1 171.
prenons même qu’un évêque de
cette ville nommé Hartman avait été aumônier du couvent en l’an 85o
*Debcea de OU environ a. la Suisse,
Je pense donc que la tradition
relative à saint Ber- 11 ’ nard de Menthon
est en tous points erronée, et qu’il convient d’admettre avec Rivaz, auteur fort instruit sur tout ce qui avait rapport à
l’histoire de son pays, que Constantin II fit abattre la statue de Jupiter en
l’année 33g et la remplaça par cette co- 3Haner lonne milliaire dont il a été parlé3. Quant à la
vie Helvetien
* tinter der
de saint Bernard, insérée dans
le Recueil des Bollan- Rômern.
1, distes, il faut la regarder, non comme l’ouvrage
du a85’ successeur de ce saint dans l’archidiaconat d’Aoste, mais
comme l’œuvre de quelque moine piémontais du moyen âge, admirateur enthousiaste
et peu éclairé des vertus de saint Bernard.
OQOOQOOOOOQOOOOQO«eOOQOOOOOdOO9dOOO0»tt
TABLE
DES L1VHES ET DES ’ CHAPITRES CONTENUS DANS LE SECOND
VOLUME.
■W 000
LIVRE
NEUVIÈME.
HONORIUS.
Chap. Ier. Du paganisme sous
l'administration de Stilicon. Page ;
II.
Invasion des Goths. — Mort de Stilicon. 20
m. Sur les opinions religieuses de Stilicon et de Claudien. 28
IV. Continuation du règne d'Honorius. —
Usurpation d'Attalc. 48
V.
Attale rend le pouvoir aux païens. 6l
VI. Tableau de la société païenne à l’époque
où Rome fut prise par
les Goths. 67
VU. De la prise de Rome. 107
VIII.
Fin du règne d'Honorius. 119
IX.
Topographie païenne de Rome sous Honorius. i33
X.
État du paganisme dans les provinces. 142
XI.
Des conciles. 177
XII.
De Rutilius Numatianus. r8i
XIII.
De la population païenne de l’empire romain. 187
LIVRE
DIXIÈME.
VALENTINIEN
III.
Chap. Ier. Considérations générales. 199
II.
État des païens sous le règne de Valentinien III. 211
III.
Martyre de sainte Julie. 23a
” IV. Merobaudis. a36
LIVRE
ONZIEME.
LIVRE
DOUZIÈME BT DERNIER.
EXTINCTION COMPLÈTE DU PAGANISME
EN OCCIDENT.
Cmap. 1er.
Considérations préliminaires. 251
II.
Célébration des Lupercales. 273
III. L'exercice de l'ancien culte est interdit
en Italie sous peine de
mort. 282
IV.
Destruction du temple d'Apollon au Mont-Cassin. 285
V. Restes de paganisme mentionnés par
l'historien Procope. «88
VI.
Des vestiges de paganisme conservés dans des Gaules. 307
$ 1. Sixième siècle. 314
$ 2. Septième siècle. 327
$ 3. Huitième siècle. 33o
Cm ap. VII. Lois de Charlemagne
contre l'idolâtrie. 332
Appendice. De la destruction de la statue de Jupiter au mont Saint-
Bernard. 344
Table
alphabétique des matières contenues dans les deux volumes. 353
ERRATA.
PREMIER VOLUME.
P. 1x6, ligue io, au lieu de Domitifen, lisez
Dioclétien.
19a, ligne 4» au lieu de
en 3a6, lisez en 36a.
272. Supprimez les points
qui terminent les lignes 5 et 15.
335, ligne 17, au lieu de mirotvraïxos , lisez minotvrano s.
* DEUXIÈME VOLUME.
P. 44, ligne 9, au lieu de
civila, lisez civilia.
X07, ligne 9, au lieu de
succombent., lisez succombent?
116, ligne 16, au lieu de
pêcheur, Usez pécheur.
156, ligne 8, au lieu de
cinquième, lisez quatrième.
172, ligne 4, au lieu de
Dendrophorii, lisez Dendrophori.
2o3,
ligne 28, au Ueu de quand s’est agi, Usez
quand il s’est agi.
257, ligne 3 de la note, au
lieu de 567, lisez 566.
292,
note a, au lieu de Miron, Usez Myron.
3or, ligne 22, au Ueu de Calidon, lisez
Calydon.
[*] Je sois étonné que M. N. C. Kist, p. 98, ait dit en parlant des barbares: « Qued si pristina Christèanas religionù societatis ipu simplicUas intagm mansisset, gentilium prqfecto splendorem ac magnÿicentiam unice fuissent admirati, in Christianos despexissent prorsus. » C’est par la pureté des dogmes du christianisme, par le mystère de ses cérémonies, par le zèle de ses prêtres et non par le luxe des évêques, que les barbares ont été séduits; or ces moyens de séduction appartenaient bien plus à l’église primitive qu’à l’église du cinquième siècle. Si le christianisme avait été impuissant sur l’esprit des barbares, je ne puis dire ee qui serait arrivé; mais je suis plutôt disposé à croire que les autels des dieux Scandinaves auraient remplacé ceux de Jupiter.
[†] Quand non» réfléchissons qu’uue statue d’Hercuk resta exposée aux regards des fidèles dans la basilique Ambrosienne, jusques vers le milieu du moyen âge, nous comprenons que les idées païennes avaient cependant conservé de l'influence dans Milan devenue chrétienne, puisque le simulacres n’y avaient pas été brisés. Landulphup, Hist. Mediola»., t. V, p, 481.
II. îo
[‡] Cependant saint Jérôme écrivant à Hebidia, fille de Delphidius, fait de grands éloges du père et dp l’aïeul de cette dame. IV, rôfi m.
[§] * Lés Donatistês étaient de si mauvais chréHenB qu’ils admiraient et conï- blaient d’éloges l’empereur Julien. Aug. VII, 10 d,,
b A tous les faits curieux que j’ai cités dans le chap. ier de ce livre, j’en ajouterai nn nouveau :'les chrétiens allaient dans les temples païens de Carthage prendre leur part des festjns publics qçi s’y .donnaient, et saint Augustin les gourmande sévèrement. « Que dit-on à ces mauvaises tables ? « Des discours impies corrompent de bonnes mœurs. Vous ne pouvez pas m parler de l’évangile, mais vous enteüdefc parler des idoles. La foule mur-
[**] lUud ecio quod isti irrùoru nottri, pcucioree siàti hoc aono quam/ue- rintpriori omo. III, 3a4 h.
b Je céderai cependant au désir de citer une lettre curieuse adressée, vers l'an 3go, par un païen de Madaure, nommé Maxime, à saint Augustin. II, 58. Cette lettre est ainsi conçue : « Désirant ardemment jouir de ton en~ «tretien et de la sagesse de ta parole, dont tu t'es dernièrement servi pour « m'attaquer avec tant d'esprit, mais en respectant la charité, j’ai pris le parti «de te rendre la pareille, afin que tu ne qualifies pas mon süence derepen- « tir. Si tu regardes ce que je vais dire comme la preuve de l’aflâiblissement « de mon esprit, je te demande de ne pas au moins me refuser de m'entendre « avec une oreille amie. La Grèce raconte sur une autorité incertaine que le « mont Olympe sert d'habitation aux dieux; quant à nous, nous voyons avec « satisfaction le Forum des divinités tutélaires de notre ville rempli de monde. « Est-il un homme assez aveugle, assez, fou pour oser nier qu'il existe un Dieu « suprême, sans commencement, sans postérité, père magnifique et sublime « de la nature ? Nous invoquons par des expressions différentes sa puissance « répandue dans le monde entier, parce que nous ignorons sqn véritable « nom. Dieu, telle est la dénomination admise par toutes les religions. Il «en résulte que quand nous poursuivons de nos supplications variées, «chacun, pour ainsi dire, de ses membres, nous paraissons l'adorer tout «entier. Je ne puis dissimuler l'impatience que me cause une atràsi grande « erreur. Qui peut supporter que l'on préfère Mygdon à Jupiter vibrant
[††] Les Barbares achevèrent de détruire les monuments païens de Carthage. En 43 g ils renversèrent ÏÆdes Memoriæ, les théâtres et la Fia Ccdestù. Victor Vitensis 1.1, p. 4-
[‡‡] Les éditeurs du recueil d’inscriptions db Marquard Gudi Ont inséré dons leur collection., p. ao,no 5 9 une langue inscription de l’an455 dans laquelle un Auguré nommé Pretextatus et un Trîbbà Voluptuaire appelé Fuscus, déclarent qu’ils se sont livrés à une foule d’actes publies de paganisme / tels que Taurobole, Çriobole, construction d’autels; mais ce monument révèle son origine par plusieurs fautes grossières.
Jè critiquerai également une inscription citée d’après Mtfratori et Maffei par M. OreHi, I, 336, n° ax33, de laquelle il résulte qu’Anicins Açilius Aginatius Faustus, préfet de la ville, fit restaurer une statue de Minerve ( simvlackvm MiiŒRBAK ) brisée dans un incendie. Muratori croit que ce Faustus fut préfet en l’année 425; d’autres critiques pensent qu’il est ici question de Faustus, consul en 433; dans l’un et l’autte cas l’inscription doit être rejetée. En effet, si un particulier pouvait, en 4^5, restaurer une statue païenne, un préfet de la ville n’aurait pas osé le faire, ou s’il l’avait fait, il se serait gardé de le dire dans une pompeuse inscription. C’est donc à cause du titre de xqx.. fbakf. vasi qui se lit dssts l’inscription qpe nous la repoussons, et non pour le fait qu’elle mentionne. < -
b Le père qui sur la tombe de ses enfants traçait en 44a l’inscriptiou suivante :
[§§] Le P. Papenbrock & contesté leur authenticité, maie sur un seul inotif t savoir qu'il n'existait plus de païens en Corse à l'époque indiquée par le martyre de sainte Julie. Cette objection est détruite par les lettres du pape an* Grégoire, qn nous apptennent que l'frblferie n'était pas encore détruite dans la Corse au sixième siècle. Papenbrock croit que la mort de Julie eut lieu au sixième ou septième siècle, et qu'elle fut l'œuvre non des païens4 mais des Vandales ou des Sarrazins. On ne peut admettre cette opinion» sans rejeter tout ce qui, dans les Àcft», se rapporte au sacrifiée paie» célébré par Félix. Est-il permis de morceler ainsi un récit pour en admettre une partie et pour rejeter l'autre? id. p. 167.
[***] Entre une multitude de preuves, j’en choisis une seule, pour montrer avec quelle facilité le culte de Marie balaya devant lui les débris de paganisme qui couvraient encore l’Europe.
Malgré la prédication de saint Hilarion la Sicile était restée fidèle à l’ancien culte. Après le concile d’Éphèse nous voyons ses huit plus beaux temples païens devenir, en un espace de temps très-court, des églises sous l’invocation de la Vierge. Ces temples étaient : iw le temple de Minerve à Syracuse ;
le temple de Vénus et de Saturne à Messine; 3° le temple de Vénus Éry- cine sur le mont Eryx ; il passait pour avoir été bâti par Éüée ; 4° le temple de Phalaris à Agrigente ; 5° le temple de Vulcain près du mont Etna ; 6° le Panthéon à Catane ; 70 le temple de Cérès dans la même ville ; 8° le Sépulcre de Slésichore. V. Aprile, Cronologia universale délia Sicilia, p. 60 f. Les annales ecclésiastiques <le chaque pays fournissent des témoignages semblables.
[†††] Ubi vehutissimum fanwn fuit, dit Léon d’Ostie (Muratori. Script. liai. t. IV, p. aoo)., ut quo ex antiquorum more gentilium a itulto rusticorum populo Apollo colebatur. Circumquaque etiam in cultu dœmonum luci succre- verant, in qiùbus adhuc eodem tempore infideiïum insana multitudo Sacrijiciù jacriletfu ifuudabat.
[‡‡‡] Un vieux scoliaste cité par Magnusen, p. 333, dit que le dieu Odin était appelé par les Suèves P notant, et par les Latins Mars. En s’éloignant de l’opinion qui dominait de son temps, le scoliaste indiquait exactement le véritable caractère d’Odin ; car cette divinité ressemblait à Mars beaucoup plus qu’à Mercure.
[§§§] Etes lard die fui mieux connue, car Orderic Vital parie de Freya (1. IV). Magnnsen dit, p. 644, que dans une ancienne traduction de l’Histoire de Tmnf qn langue islandaise, Junon est appelée Sif, Vénus jRneyw, Saturne Frejrr, etc... Rien de pareil ne se trouve dans nos légendes du moyen âge.
[****] fl existait dans les Pyrénées un temple fort célèbre dédié à Vénus. Le port Vendre» (portiu Kenerù) tire son nom d’un temple semblable; c’était là que débarquaient tous ceux qui venaient par mer des côtes d’Italie. Il n’est donc pas surprenant que dans ces contrées il y ait eu long-temps des partisans des anciens dieux. V. Mercure </e France, ann. 1719, p. 1064.
[††††] Le concile tenu à Brags en $79 et composé des évêques des deux pro- vinces de Braga et de Lugo, ordonna aux évêques d’assembler le peuple pendant leurs visites pastorales et de lui recommander particulièrement de fuir l’idolAtiie. Concii, t. V, p. 894.