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L'HISTOIRE DIVINE DE JÉSUS-CHRIST

 

 

HISTOIRE

DES

MACHABÉES

OU

PRINCES DE LA DYNASTIE ASMONÉENNE

F. de Saulcy.

 

PREMIÈRE PARTIE

CHUTE DE LA DYNASTIE DE DAVID, ET CAPTIVITÉ DE SOIXANTE-DIX ANS.

 

Le moment où le puissant Empire d’Assyrie devait s’écrouler était arrivé: Sennacherib, repoussé des frontières de l’Égypte, avait vu sa puissante armée succomber presque tout entière sous les murs de Jérusalem. Désespéré, affolé de teneur, il avait regagné sa capitale, avec ce qui lui restait de soldats vivants.

Bien peu de temps après son retour à Ninive, il périssait assassiné par ses fils Adramélekh et Sarasar, que la nation bannit, en punition de leur parricide. Ce fut Assarachoddas (Asarhaddon) qui succéda à Sennacherib.

Ézéchias occupait le trône de Juda depuis l’an 727 avant J.-C. La délivrance miraculeuse de Jérusalem exalta ses sentiments de reconnaissance envers Jéhovah, auquel il rendit, avec tout son peuple, les plus splendides actions de grâces. Il venait à peine de donner un exemple de piété bien rare, il Faut le dire, parmi les princes issus de David, lorsqu’il tomba si gravement malade que tout le monde, ses médecins, comme ses amis et ses proches, désespérèrent de sa guérison. Lui-même ne se faisait plus aucune illusion, et il sentait venir la mort, avec d’autant plus d’angoisses, qu’il ne laissait pas d'enfant après lui, pas d’héritier légitime de sa couronne. Du fond de son cœur il supplia le Très-Haut de l’épargner, si peu que ce fût, mais au moins assez de temps pour qu’il pût connaître les joies de la paternité. Dieu eut pitié de lui, parce qu’il ne demandait que la grâce d’avoir un fils qui pût lui succéder, et ce fut le prophète Isaïe qui vint, de la part de Jéhovah, annoncer à Ézéchias qu’il serait guéri dans trois jours : qu’il vivrait quinze années encore, et qu’il engendrerait des fils. Le roi, plus ému que confiant, supplia Isaïe de lui donner un signe de sa mission divine.

—«Lequel veux-tu? répondit le prophète.

— Vois ; le soleil projette l’ombre sur la dixième marche du palais; que cette ombre rétrograde pour revenir ensuite au même point, et je croirai en tes paroles.»

— Le prophète pria, le miracle demandé s’accomplit, et la convalescence du roi commença sur l’heure. La première pensée d’Ézéchias fut de monter au temple, pour rendre à Dieu, de solennelles actions de grâces.

A cette même époque, le trône de Babylone était occupé par Baladas (Mérodak-Baladan), qui envoya une ambassade à Ézéchias, pour lui offrir son alliance et son amitié. Le roi de Juda, heureux de ces ouvertures inespérées, ne se contenta pas de les accepter, mais il combla des plus grands honneurs les envoyés Babyloniens, auxquels il fit voir avec ostentation tous ses joyaux et toutes ses richesses, avant de les congédier.

A peine étaient-ils partis qu’Isaïe reparut devant le roi.

— «Quels sont les hommes qui viennent de s’éloigner? dit-il.

— Des ambassadeurs du roi de Babylone, auxquels j’ai montré tout ce que je possédais, afin qu'ils pûssent dire à leur maître quelle est ma puissance.

— Eh bien ! répondit le prophète, sache que le moment est proche où toutes ces richesses dont tu es si fier, seront emportées à Babylone, où les fils nés de ton sang seront mutilés, et deviendront des eunuques au service du roi de Babylone. Voilà ce que Dieu a décidé.»

Ézéchias épouvanté supplia le prophète d’intercéder pour son peuple, et comme il savait que les décrets de Dieu sont immuables, il se contenta de demander que ces événements ne s’accomplissent pas de son vivant.

Lorsque les quinze années de vie promises à Ézéchias furent accomplies (698 av. J.-C.), ce prince mourut âgé de 54 ans, et après une règne de 29 années. Il laissait pour successeur au trône son fils Manassès qui était né d'Akhiba, femme de Jérusalem. Le nouveau roi, bien loin d’imiter son père, poussa l’impiété plus loin encore que ses prédécesseurs, et souilla le temple et la Judée entière de ses profanations. Quiconque se montrait fidèle au culte de Jéhovah, était poursuivi avec rage et mis é mort. Les avertissements des prophètes eurent beau se multiplier ; leurs paroles ne furent pas écoutées ; mais le châti­ment ne se fit pas attendre.

L’armée du roi de Babylone et de Chaldée envahit et ravagea les états de Manassès qui tomba par surprise entre les mains de l’ennemi, et se vit menacé du dernier supplice. Le malheur ouvrit enfin les yeux à ce prince qui comprit qu’il ne devait ses propres revers qu’à sa perversité, et il revint à Dieu qu’il n’implora pas en vain, dans sa détresse. Son repentir désarma la colère de Jéhovah et Manassès, rendu à la liberté par son vainqueur, rentra dans sa capitale

Son premier soin fut de purifier le temple et de relever l’autel des holocaustes, en édictant des peines sévères contre quiconque se détournerait de la loi de Moïse.

Puis, instruit par la triste expérience qu’il avait subie, il songea à rendre Jérusalem plus facile à défendre. Ses murailles furent donc relevées et un mur nouveau, couvrant le quartier d’Ophel, fut ajouté à l’enceinte primitive.

Des tours d’une grande hauteur furent réparties sur l’enceinte militaire, et les forteresses extérieures furent abondamment munies de tout ce qui pouvait les mettre en parfait état de défense.

Jusqu’à la fin de sa vie Manassès resta fidèle au culte du vrai Dieu, et il mourut en paix en 643 av. J.-G. à l’âge de 67 ans, dont il avait passé 55 sur le trône. La sépulture ne lui fut pas donnée dans l’hypogée royale, et il fut enterré dans ses jardins. Il laissait un fils nommé Amos ou Ammon, né de la reine Émalsema qui était originaire de la ville de Iabata; ce prince prit immédiatement la couronne.

Ammon, bien loin de suivre les derniers exemples donnés par son père, prit à tâche d’imiter les vices et les cruautés de ses premières années. Aussi une conspiration ourdie par les familiers du palais, ne tarda-t-elle pas à lui apporter le châtiment qu’il s’évertuait à mériter. Après deux ans de règne (643 à 641 av. J.-C.), il mourut assassiné, à l’âge de 24 ans. Le peuple néanmoins, extermina ses meurtriers et donna la sépulture à son corps, à côté de celui de son père, c’est-à-dire loin du sépulcre royal.

Josias, fils et successeur d’Ammon, n’avait que 8 ans lorsqu’il monta sur le trône de Juda (en 641 av. J.-C.) Sa mère nommée Iadis, était originaire de la ville nommée Boscethi.

Josias se montra dès l’âge le plus tendre le digne rejeton de David. Tout entier à la religion, il poursuivit sans relâche l’idolâtrie qui avait envahi Jérusalem, et pour y parvenir plus sûrement, il s’entoura, avec une prédilection qui ne se démentit jamais, des conseils des docteurs les plus vénérés de la nation. Bientôt le culte mosaïque reprit tout son éclat, et le temple de Jéhovah fut somptueusement réparé, sous la direction d’Amasias (Mâasiah) gouverneur de Jérusalem, de Saphan le Grammate, de Joatès (Joas) le chancelier, et d’Êliacias, le grand-prêtre.

Ce fut à l’aide de contributions pieuses et de dons volontaires que ces importants travaux purent être entrepris et menés à bonne fin.

Dans la 18e année du règne de Josias (623 av. J.-C.) le grand- prêtre Éliacias reçut l’ordre d’utiliser tout ce qui restait de métaux précieux disponibles, provenant de la contribution religieuse et du trésor du temple, pour, reconstituer le mobilier sacré, en cratères, patères et phiales d’or et d’argent. En vidant les caisses du temple, le grand-prêtre retrouva les saints livres de Moïse, qu’il s’empressa de mettre entre les mains de Saphan le Grammate.

Celui-ci, après les avoir parcourus, vint annoncer au roi que ses ordres étaient exécutés, et il lui donna lecture des livres de Moïse, qu’on venait de découvrir. Le roi, profondément ému, déchira sa robe, réunit sur-le-champ le souverain pontife, le grammate et les plus intimes de ses amis, et les envoya auprès de la prophétesse Houlda, femme de Selloum, qui était un homme de la plus haute naissance, afin de la supplier d'intervenir auprès de Jéhovah, pour qu’il se montrât propice à la nation. Il était à craindre en effet que les infractions commises contre les lois mosaïques, n’eussent irrité le Tout-Puissant, au point de lui faire décréter l’exil des Juifs, et leur fin misérable au milieu des nations étrangères. Après avoir écouté les messagers de Josias, la prophétesse les renvoya auprès du roi, avec ordre de lui annoncer que la sentence de Dieu était prononcée, et que désormais nulle prière ne pourrait la faire révoquer; que le peuple juif était condamné, qu’il serait emmené en exil et dépouillé de tout ce qu’il possédait, parce qu’il avait violé la loi sacrée pendant de longues années, sans jamais manifester le moindre repentir, et cela malgré les avertissements sévères et souvent renouvelés des prophètes; qu’enfin, par miséricorde pour lui seul, qui s’était conduit en roi juste, l’exécution de l’arrêt divin resterait suspendue jusqu’au moment où il aurait cessé de vivre.

Josias, lorsqu’il eût entendu la réponse de Houlda, envoya dans le pays entier des émissaires chargés d'appeler immédiatement à Jérusalem tous les prêtres et tous les lévites, sans distinction d’âge. Dès qu’ils furent réunis, le roi leur lut d’abord les livres saints, et leur fit jurer ensuite de se montrer désormais fidèles observateurs de la loi de Moïse. Tous firent le serment exigé, et procédèrent aux sacrifices d’expiation par lesquels ils espéraient calmer le ressentiment de Jéhovah. Josias donna en outre au souverain pontife l’ordre de rassembler tous les vases et autres ustensiles qui avaient pu servir au culte des idoles. Ils furent immédiatement détruits par le feu et leurs cendres jetées au vent. Quant aux ministres des faux dieux, qui n’étaient pas de la lignée d’Aaron, tous furent mis à mort.

Une fois la capitale purifiée, le roi Josias parcourant les provinces, détruisit de fond en comble tous les édifices consacrés jadis par l’impiété de Jéroboam, et les ossements des faux prophètes de l’idolâtrie furent brûlés sur l’autel même que Jéroboam avait fait construire à Beit-El «où nous savons, ajoute Josèphe, qu’au moment où Jéroboam célébrait un sacrifice sur cet autel, en présence du peuple, un prophète nommé Achias s’approcha de lui et lui prédit qu’un roi du sang de David, et nommé Josias, exécuterait tous les actes que nous venons de raconter. Cette prédiction s’accomplit de point en point, après un intervalle de 361 ans»

Josias ne se contenta pas de presser ses propres sujets de revenir au culte de Jéhovah; mais il s’efforça même de convertir ceux des Israélites qui n’avaient pas été emmenés en captivité par les Assyriens, et qui étaient restés dans le pays. Là, comme en Judée, tous les édifices publics et privés furent fouillés de fond en comble, dans la crainte que quelque simulacre païen n’y restât caché. Quand toute la terre judaïque eut été ainsi purifiée, Josias convoqua le peuple entier à Jérusalem pour la célébration de la Pâque prochaine. Dans cette solennité le roi offrit à Dieu 30,090 agneaux et 3,000 bœufs. Les grands du royaume imitèrent cet exemple, car ils offrirent aux prêtres a 2,600 agneaux, et5,000 aux lévites, avec 500 bœufs. Jamais, depuis le temps de Samuel, la Pâque n’avait été célébrée avec une pareille somptuosité et une si large observance de la loi sacrée.

Le règne de Josias fut prospère et glorieux entre tous ceux de sa dynastie; mais le terme en était marqué, et ce roi pieux périt dans les circonstances que nous allons raconter.

Néchao, roi d’Égypte, en apprenant l’issue de la révolution qui venait de renverser l’empir* d’Assyrie, et de transférer toute la puissance aux Babyloniens et aux Mèdes, conçut l’idée de profiter de l’occasion et de porter la guerre sur les rives de l’Euphrate, afin d'étendre sur l'Asie la domination égyptienne. Il se mit en marche à la tête de son armée et parvint à Mendès, ville qui faisait partie du royaume de Josias.

Celui-ci prétendit s’opposer de vive force au passage de l’armée égyptienne à travers ses états. Néchao s’empressa de lui envoyer des parlementaires, pour lui dire qu’il n’avait aucun mauvais dessein contre lui, et qu’il se dirigeait uniquement vers l’Euphrate; mais qu’il l’engageait, dans son intérêt, à ne pas le forcer â le combattre, en s’opposant à l'accomplissement de ses projets.

Josias ne voulut rien entendre, et déclara qu’il était prêt à barrer le passage â Néchao. Il devait en être ainsi pour que sa destinée s’accomplit. Le roi de Juda avait disposé son armée en bataille, et, monté sur un char, il en parcourait le front d’une aile à l’autre, lorsqu’une flèche égyptienne vint l’atteindre et calma singulièrement son ardeur guerrière. La blessure était grave; il donna donc aussitôt l’ordre de sonner la retraite, et retourna à Jérusalem, où il mourut promptement des suites du coup qu’il avait reçu. On lui fit de magnifiques funérailles, et on l’ensevelit dans le sépulcre royal.

Josias mourut en 610 avant J.-C., âgé de 39 ans, après 31 ans de règne. Toute la nation juive pleura la perte d’un roi qu’elle adorait, et se livra pendant bien des jours à la manifestation de ses regrets et de son deuil.

Arrivé à ce point de son récit, Josèphe ajoute un nouveau passage extrêmement curieux concernant les prophètes; nous ne saurions nous dispenser de le traduire fidèlement :

«Le prophète Jérémie a composé sur la mort de Josias un chant lugubre que nous possédons encore. Ce même prophète annonce également tous les malheurs qui doivent accabler Jérusalem, et il prédit par écrit le désastre qui s’est accompli de notre temps, aussi bien que celui qui fut l’œuvre du roi de Babylone. Jérémie ne fut pas le seul à prédire au peuple Juif les malheurs qu’il devait subir, et avant lui, le prophète Ézéchiel nous avait transmis deux livres sur ce même sujet. Tous les deux, Ézéchiel et Jérémie, étaient de race sacerdotale; mais Jérémie a séjourné à Jérusalem depuis la treizième année du règne de Josias, jusqu’à la destruction de la ville et du temple. Plus loin nous raconterons les aventures de ce prophète »

L’appréciation de Josèphe sur les événements auxquels s’appliquent les prophéties de Jérémie nous intéresse au plus haut point; rien de plus explicite que les expressions qui concernent incontestablement le siège et la ruine de Jérusalem accomplis par Titus, tandis que les mots qui signalent clairement la catastrophe que suivit la captivité de Babylone. Voilà donc en termes précis ce que pensait un prêtre Juif, il y a dix- huit cents ans, de l’accomplissement des prophéties de Jérémie.

Qu’on relise maintenant le chapitre XIX de Jérémie et on y trouvera un tableau terrible de la ruine de Jérusalem accomplie par Titus :

« 6. C’est pourquoi voici : Il viendra un temps, dit Jéhovah, où ce lieu ne sera plus appelé Topbetb et vallée de Benhin-nom, mais Vallée du carnage. — 7. Je bouleverserai en ce lieu les projets de Jebouda et de Jérusalem ; je les ferai tomber sous le glaive, devant leurs ennemis et par la main de ceux qui en veulent à leur vie, et je donnerai leurs cadavres en pâture aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre. — 8. Et je ferai de cette ville un objet de stupéfaction et de dérision ; quiconque passera devant elle sera stupéfait et insultera à  toutes ses plaies. 9. Et je leur ferai manger la chair de leurs fils et la chair de leur filles; et l’un mangera la chair de l’autre, pendant le siège, et dans l’extrémité à laquelle les réduiront leurs ennemis et ceux qui veulent leur ôter la vie. »

Quant à la prise de Jérusalem par le roi de Babylone et à-la captivité, elles sont partout prédites dans les écrits de Jérémie; il suffit de les ouvrir pour les y trouver à chaque page. Je me contenterai donc de transcrire ici les passages les plus saillants :

«XX. v. 4. Car ainsi, dit Jéhovah, je te livrerai, à la frayeur, toi et tous tes amis; ils tomberont par le glaive de leurs ennemis; tes yeux le verront et je livrerai tout Jehouda entre les mains du roi de Babel qui les transportera à Babel, et les tuera par le glaive.

5. Je livrerai toute la puissance de cette ville, tout son travail, tout ce qu’elle a de précieux, et je mettrai tous les trésors des rois de Jebouda entre les mains de leurs ennemis qui les pilleront, les enlèveront et les transporteront à Babel.

» 6. Et toi Pach’hour, avec tous les habitants de ta maison, vous irez en captivité; tu viendras à Babel, là tu mourras ; là tu seras enseveli, toi et tous tes amis auxquels tu as prophétisé le mensonge»

Quant à la durée de la captivité de Babylone, nous la trouvons fixée de la manière la plus précise dans les versets suivants du chapitre XXV de Jérémie.

« II. Tout ce pays-là sera un monceau de ruines, un désert, et ses peuples serviront le roi de Babel, soixante-dix ans.

42. Mais lorsque ces soixante-dix ans seront écoulés, je punirai le roi de Babel et ce peuple-là, dit Jéhovah, de leurs iniquités, ainsi que le pays des Gasdim, et j’en ferai une solitude éternelle»

Nous avons vainement cherché dans Jérémie la complainte que Josèphe lui attribue et qui aurait trait à la mort de Josias. Le chapitre XXII seul nous a semblé, jusqu’à un certain point, pouvoir, en quelques-unes de ses parties, s’appliquer à cet évé­nement. Ainsi le verset 10 de ce chapitre est conçu comme il suit :

« 10. Ne pleurez plus celui qui est mort, et ne faites pas de complainte sur lui, pleurez plutôt celui qui est parti ; car il ne reviendra plus et ne reverra plus son pays natal. »

Celui qui est mort paraît bien être Josias, et par suite celui qui est parti et qui ne doit plus revenir se trouve tout naturellement être Joakhaz, le fils et le successeur de Josias.

Les versets qui suivent sont ainsi conçus :

« 41. Car ainsi, dit Jéhovah, sur Schalloum fils de Josias, roi de Juda, qui devait régner à la place de Josias son père, et qui est sorti de cette ville : il n’y reviendra plus.

. Mais il mourra dans le lieu où on l’a transporté ; là il mourra, et il ne verra plus ce pays-ci.»

Si maintenant nous consultons les sources, le Schalloum, fils de Josias dont il est ici question, ne peut être que Joakhaz, dont nous allons nous occuper, et retracer la courte histoire.

Dès que Josias fut mort (610 av. J.-C.), son fils Joakhaz, âgé d’environ 23 ans, monta sur le trône à sa place. Il était fils d’Amitala, native de la ville de Lobana.

Joakhaz était vicieux et de mœurs dépravées. Au retour de la campagne qu’il avait entreprise, le roi d’Égypte envoya à Joakhaz l’ordre de venir comparaître devant lui à Amatha, ville de Syrie. Joakhaz se sentit forcé d’obéir, se rendit auprès de Néchao qui le fit aussitôt charger de chaînes, et le déclara déchu de la royauté qu’il transmit à son fils aîné. Celui-ci, qui était issu d’une autre mère et se nommait Éliakim, obéit à l’injonction du roi d'Égypte, et changea son nom contre celui de Joakim. Il dut payer immédiatement un tribut de cent talents d’argent et de dix talents d’or. Quant à Joakhaz, il fut emmené en Égypte où il mourut. Il n’avait régné que trois mois et dix jours.

La mère de Joakim était originaire d’Abouma et se nommait Zabouda. Le nouveau roi avait un très mauvais naturel; injuste et méchant, il n’était pas moins coupable envers Dieu qu’envers les hommes.

Dans la quatrième année du règne de Joakim (607 ans avant J.-C.), Nabuchodonosor monta sur le trône de Babylone, et se mit immédiatement en campagne, pour aller combattre Néchao, roi d’Égypte, qui s’était emparé de toute la Syrie. De son côté, celui-ci courut vers l’Euphrate, au-devant de son puissant ennemi. Une grande bataille eut lieu près de Karkemich. Les Égyptiens furent écrasés, et le roi de Babylone soumit immédiatement la Syrie jusqu’à Peluse. La Judée seule fut respectée; mais quatre années plus tard, Nabuchodonosor reparut avec une armée formidable et menaça Joakim d’envahir ses états, s’il ne se résignait à lui payer un tribut annuel. Le roi de Juda s’empressa de faire sa soumission, et trois années durant il acquitta le tribut auquel il était imposé.

Après cette troisième année, Joakim apprenant que les Égyptiens allaient recommencer la guerre contre les Babyloniens, crut le moment opportun pour s’affranchir du joug qui pesait sur lui, et il refusa de payer comme de coutume le tribut auquel il était taxé. Mais ses espérances furent déçues; car les Égyptiens n’osèrent pas donner suite à leurs projets belliqueux. Vainement Jérémie avertit à plusieurs reprises le roi son maître, que sa confiance dans les Égyptiens serait trompée, que Jéru­salem serait prise, et que lui-même tomberait entre les mains du roi de Babylone. Non seulement ses conseils ne furent pas écoutés, mais ils devinrent pour Jérémie la cause d’une persécution implacable de la part des grands du royaume, que ses fatales prédictions exaspéraient. Peu s’en fallut que le prophète ne payât de sa vie les vérités qu’il avait osé proclamer ; quelques anciens prirent sa défense, et réussirent à le soustraire au supplice, en rappelant qu’il n’était pas le seul qui eût menacé Jérusalem de sa ruine prochaine, et que, bien avant lui, 'le prophète Michée avait pu le faire impunément, du temps du roi Ezéchias.

Ce fut à la protection d’Ahikam fils de Schaphan, que Jérémie dut son salut.

On serait tenté de croire que le prophète, une fois libre, se tint tranquille; il n’en fut rien, car il avait sa mission à remplir. Il consigna donc par écrit toutes ses prédictions, par la plume de Baroukh son secrétaire et son disciple, et il le chargea d’aller en donner lecture au peuple assemblé dans le temple, pour la célébration d’un jeûne public. On était alors au neuvième mois de la cinquième année du règne de Joakim.

Le fait fut immédiatement dénoncé au roi qui se fit apporter le livre, et qui, après en avoir lu quelques pages, le lacéra, et le jeta au feu, en donnant l’ordre de se saisir de Jérémie et de Baroukh; ceux-ci heureusement avaient eu le temps de se cacher et de se soustraire à la fureur du roi.

Cependant le moment approchait où les prédictions du prophète devaient s’accomplir de point en point. Bientôt Nabuchodonosor parut devant Jérusalem. Joakim terrifié par les paroles de Jérémie et d’Ouriah, crut se sauver en ouvrant les portes de sa capitale, et en ne faisant pas l’ombre de résistance. Â cette condition le roi de Babylone s’était engagé à se conduire en hôte, et non en conquérant; mais dès qu’il fut introduit dans la place, il oublia la parole donnée. Les plus beaux et les plus robustes des Juifs furent immédiatement mis à mort, avec leur roi, dont le cadavre fut jeté hors des murailles et laissé sans sépulture.

Ce dernier fait avait été prédit réellement par Jérémie ; car nous lisons au chapitre XXII, les deux versets suivants :

« 18. C’est pourquoi, ainsi dit Jéhovah sur Joakim fils de Josias, roi de Juda, etc., etc.

19. Sa sépulture sera celle d’un âne ; il sera traîné et jeté hors des portes de Jérusalem.»

Une fois Joakim mort, Nabuchodonosor mit à sa place sur le trône de Juda, son fils Joakhin, et emmena en captivité 3,000 des plus illustres personnages de la nation.

Dans le nombre des transportés se trouvait le prophète Ézéchiel, qui était encore enfant.

Le malheureux Joakim n’avait vécu que trente-six ans, dont il passa onze sur le trône. Son fils Joakhin, qui lui succéda, était fils de Nosta, femme de Jérusalem. Son règne fut de bien courte durée, puisqu’il cessa au bout de trois mois et dix jours.

Le roi de Babylone ne tarda pas à regretter d’avoir donné la couronne au fils de Joakim. N’était-il pas à craindre, en effet, que ce prince, pour venger le meurtre de son père, ne fit tous ses efforts afin de soulever la Judée contre son oppresseur ? Une armée vint donc immédiatement assiéger Joakbin dans Jérusalem. Le nouveau roi était d’un naturel doux, bienveillant et généreux. Il ne voulut pas être la cause d’un désastre pour sa capitale ; il livra donc sa mère et ses proches en étages, aux généraux du roi de Babylone, en échange de l’engagement solennel pris au nom de celui-ci, que ces précieux étages et Jérusalem elle-même seraient respectés. La foi jurée ne fut pas tenue, et Nabuchodonosor manda aux chefs de son armée de se saisir incontinent de tous les jeunes hommes et de tous les artisans habiles qui se trouvaient à Jérusalem, de les charger de chaînes, et de les lui amener avec le roi Joakhin, sa mère et tous ses amis. Le nombre total de ces captifs fut de 10,832. Us furent transportés à Babylone, où ils restèrent sous bonne garde .

Il fallait remplacer le Roi qui venait d’être détrôné si brutalement; ce fut Mathanias, oncle de celui-ci, que choisit Nabuchodonosor ; mais il exigea préalablement de lui le serment de se conduire en fidèle vassal, de ne faire jamais aucune tentative de rébellion, et de ne contracter aucune alliance avec les Égyptiens; de plus, il lui imposa le nom de Sédékias.

Sédékias était âgé de vingt et un ans lorsqu’il monta sur le trône ; il était né de la même mère que Joakhaz, et ses mœurs étaient aussi déplorables que celles de son frère Joakim.

Tout son entourage, tous ses favoris étaient aussi dépravés que lui, et la nation entière vivait sans foi ni loi. Le prophète Jérémie revenait sans cesse à la charge et suppliait le roi, au nom de Jéhovah, de se séparer des pervers qui le poussaient à sa perte, de s’abstenir de l’injustice, et de refuser toute croyance aux paroles des faux prophètes qui lui promettaient que le roi de Babylone ne viendrait plus assiéger Jérusalem, parce que les Égyptiens l'en empêcheraient. Sédékias était assez disposé à écouter Jérémie; mais ses amis ne cessaient de le détourner de la bonne voie, et ils finissaient toujours par avoir le dessus.

Ézéchiel qui était à Babylone, sachant ce qui se passait à la cour de Sédékias, envoya (en 889 av. J.-C.) à Jérusalem, une prophétie écrite, et qui annonçait les mêmes désastres. Les prophètes étaient d’accord sur les faits généraux, à savoir que : Jérusalem serait assiégée et prise, et Sédékias emmené en captivité; mais leurs prédictions différaient en ceci, que l’un, Ézéchiel, affirmait que Sédékias ne verrait pas Babylone et l’autre, Jérémie, que le roi de Babylone y emmènerait Sédékias, chargé de chaines. Cette divergence fut immédiatement saisie et alléguée par les conseillers de Sédékias, comme preuve du peu de foi que méritaient les deux prétendus envoyés de Jéhovah. U n’en fallut pas plus pour que le roi de Juda s’obstinât à marcher dans la voie fatale qui devait le mener à sa ruine. Nous ne tarderons pas à voir que les deux prophètes avaient raison, chacun de son côté.

Sédékias après avoir fidèlement observé pendant huit années  les clauses du traité qu’il avait conclu avec le roi de Babylone, crut avoir trouvé le moyen de secouer le joug, en passant aux Égyptiens. Il était poussé par l’espérance que l’appui de ceux-ci lui suffirait pour avoir raison de son puissant ennemi. Nabuchodonosor fut promptement informé de ces menées du roi de Juda. Une puissante armée fut lancée sur ses États ; toutes les villes ouvertes ou fermées furent rapidement enlevées, et le siège fut mis devant la capitale. Le roi d’Égypte Apriès voulant faire honneur au traité d’alliance offensive et défensive qu’il avait conclu avec Sédékias, accourut de son côté en Judée, pour forcer les Babyloniens à lever le siège de Jérusalem. Il y réussit en effet, mais à ses dépens; car l’armée babylonienne se lança tout entière au-devant de son nouvel adversaire qu’elle battit à plate couture et rejeta bien loin des frontières de la Syrie.

Que se passa-t-il à Jérusalem, au moment où les troupes de Nabuchodonosor s’en éloignaient? L’allégresse y fut grande, et comme le temps était aux prophètes, on vit surgir une foule de prétendus envoyés de Jéhovah qui caressaient à qui mieux mieux les espérances de Sédékias, en lui affirmant de la part de Dieu, qu’il n’avait plus rien à redouter des Babyloniens, que jamais il ne serait emmené en captivité, et qu’au contraire tous les anciens captifs transportés au-delà de l’Euphrate ne tarderaient pas à revoir leur patrie, en rapportant avec eux les vases sacrés dont le conquérant avait dépouillé le temple.

Jérémie tint tête à ses contradicteurs, et, malheureusement pour le roi de Juda, déclara publiquement et nettement ce qui allait arriver. — «On abuse méchamment le roi, dit-il ; car il n’a rien de bon à attendre de l’alliance Égyptienne. Le Babylonien, aussitôt qu’il aura eu raison de l’Égyptien, reparaîtra devant vos murailles ; pendant le siège qui va vous étreindre, la famine vous tuera; tous ceux qui survivront seront emmenés en captivité. Tous vos biens seront pillés, votre temple sera non seulement dépouillé de ses richesses, mais encore livré aux flammes ; votre ville sera rasée et vous serez les esclaves du roi de Babylone et de ses successeurs pendant soixante-dix années, au bout desquelles les Mèdes et les Perses vous délivreront de la servitude, en renversant l’empire de Babylone. Ils vous rendront la liberté et vous permettront de rentrer dans cette terre; alors Jérusalem sera relevée et vous reconstruirez un nouveau temple. »

Ces paroles de Jérémie étaient accueillies avec une triste confiance de la part de ses auditeurs ; mais les gens de la cour et les impies le traitaient de fou dangereux. Jérémie crut donc prudent de se réfugier dans sa ville natale, Ânathôt, qui était située à vingt stades de Jérusalem.

Au moment où il se présentait à la porte de la ville pour en sortir (c’était à la porte de Benjamin), Sérayah-ben-Salméah qui était préposé à la garde de cette porte, l’arrêta sous le prétexte qu’il voulait passer aux Babyloniens. Le prophète eut beau se récrier contre cette accusation calomnieuse; il n’en fut pas moins appréhendé au corps, et conduit devant les magistrats qui devaient le juger. On lui fit subir les plus cruels traitements et on le jeta en prison, pour qu’il y attendît le supplice qui lui était réservé.

Le dixième jour du dixième mois de la neuvième année du règne de Sédékias (589 ans av. J.-G.) l’armée babylonienne reparut devant les murailles de Jérusalem dont le siège fut immédiatement commencé. Ge siège désastreux dura dix-huit mois et fut accompagné de toutes les misères pour les malheureux Juifs. La famine et la peste ne se firent pas attendre et sévirent cruellement sur la population.

Tout prisonnier qu’il était, Jérémie ne se lassait pas de donner des avertissements salutaires; et à travers les barreaux de son cachot, il criait au peuple de s’empresser d’ouvrir aux Babyloniens les portes de leur ville, leur promettant le salut de tous, s’ils agissaient ainsi, mais leur annonçant qu’ils périraient jusqu’au dernier, s’ils refusaient de l’écouter, la faim ou le fer ennemi devant avoir raison d’eux. Ces menaces n’ébranlèrent en rien l’opiniâtreté des grands du royaume; loin de là! les lamentables prédictions du prophète les mirent en fureur, ils allèrent donc trouver le roi et lui représentèrent que ce misérable fou enlevait tout courage au peuple ; que pour eux ils étaient prêts à mourir pour le roi et la patrie, tandis que Jérémie les poussait à trahir cette sainte cause, et à passer à l’ennemi, en les menaçant de la destruction prochaine et complète de Jérusalem.

Sédékias, ainsi que nous l’avons déjà dit, n’était pas mal disposé envers Jérémie. Quelle que fût la cause de cette bienveillance, il se refusait à condamner à mort l’homme dont les paroles faisaient malgré lui une certaine impression sur son esprit. D’un autre côté il ne voulait pas irriter ses amis et il crut s’affranchir de toute responsabilité par une simple capitulation de conscience. Il livra donc Jérémie à ses accusateurs, pour que ceux-ci en fissent justice comme ils l’entendraient. Une fois maîtres de sa vie, ils envahirent la prison, en arrachèrent Jérémie et le jetèrent dans une citerne fangeuse, afin qu’il y pérît étouffé dans la boue. Le malheureux s’y enfonça jusqu’à la gorge et échappa néanmoins à l’asphyxie.

Un des eunuques favoris du roi, Éthiopien d’origine, et nommé Âbd-Melekh, s’indigna de l’horrible supplice infligé à Jérémie. Il courut aussitôt vers Sédékias qui siégeait près de la porte de Benjamin, et lui dénonça l’acte qui venait de s’accomplir, et qui était une abominable aggravation de peine pour le condamné. Sédékias en apprenant le crime que ses amis avaient tenté de commettre, s’en montra fort irrité; il se repentit de les avoir laissés libres de disposer à leur gré de la vie du prophète, et chargea l’Éthiopien de prendre en hâte trente des gardes qui l’entouraient, pour aller incontinent tirer Jérémie de la fosse où il était en péril. Quelques instants après, Jérémie était sauvé et enfermé dans la cour de la prison.

Sédékias toujours préoccupé, malgré lui, des prédictions de Jérémie, eut l’idée de le consulter en secret. Il le fît donc venir dans son palais et lui demanda si réellement il avait quelque chose à lui annoncer de la part de Jéhovah.

— Certainement, lui répondit le prophète, mais à quoi bon te parler, puisque tu ne suivras pas mes conseils? et d’ailleurs quelle confiance puis-je avoir en toi ? Quel mal avais-je fait pour que tes amis, auxquels tu m’as livré, voulussent me faire subir une mort aussi affreuse ? Que sont devenus les hommes qui te trompaient, en te prédisant que les Babyloniens ne recommenceraient pas la guerre contre toi? d’ailleurs si je te dis la vérité ne me feras-tu pas tuer?

Sédékias s’empressa de lui jurer qu’il pouvait parler sans crainte, qu’il aurait la vie sauve, et qu’il ne le livrerait pas à ses ennemis.

— Hé bien, ajouta Jérémie à qui la parole du roi avait rendu confiance, crois-moi, ouvre les portes de Jérusalem aux Babyloniens ; car c’est l’ordre de Dieu lui-même qui t’arrive par ma bouche. Tu n’as pas d’autre moyen de salut contre le danger qui menace ta tête ; en faisant ce que je dis, tu empêcheras la ruine de la ville et du temple ; en ne le faisant pas, tu deviendras l’auteur de toutes les calamités qui fondront bientôt sur ton peuple.

Sédékias effrayé répondit que son intention était bien d'obéir à ses avis, mais que la crainte des Juifs transfuges le retenait seule, qu’il redoutait les dénonciations de ces traîtres, dont les fausses insinuations pourraient le faire condamner au supplice. Le prophète le rassura de son mieux, et lui affirma que cette crainte était chimérique.

— Livre la ville, disait-il, il ne sera fait aucun mal, ni à toi, ni à tes enfants, ni à tes femmes, et le temple du Très-Haut sera respecté!

Après cette conversation secrète, le Roi congédia Jérémie, en lui recommandant de ne révéler à personne ce qu’ils venaient de se dire. Quant aux grands personnages de la cour, il lui conseilla, dans le cas où ils auraient vent de cet entretien caché, et où ils l’interrogeraient, de ne répondre qu'une seule chose : à savoir qu'il n’avait paru devant le Roi que pour lui demander sa grâce et sa liberté. La précaution était bonne; les questions ne furent point épargnées à Jérémie, et il s’en tira en ne disant que ce que Sédékias lui avait conseillé de dire.

Cependant le siège de Jérusalem était poussé avec vigueur. D’énormes aggeres avaient été construits par les Babyloniens qui y avaient établi des tours élevées, du haut desquelles ils chassaient des murailles les défenseurs de la ville. La résistance fut aussi opiniâtre que l’attaque, malgré la famine et la peste qui désolaient Jérusalem. Ce ne fut qu’au bout de dix-huit mois que ses défenseurs se virent, pour ainsi dire, anéantis par la maladie et par le fer ennemi. Le sort de Jérusalem devait fatalement s’accomplir.

La ville fut prise vers minuit, le 9e jour du quatrième mois de l’an XI du règne de Sédékias, (558 avant J-C.).

Nabuchodonosor n’était pas présent; il attendait l’issue du siège à Rablata, ville syrienne du pays de Hamath.

Les noms des principaux chefs de l’armée babylonienne nous ont été conservés par Jérémie, et il est fort heureux qu’il ne les ait pas négligés, car ces noms tels qu’ils se trouvent dans le livre de Josèphe sont dans un état de mutilation tel, grâce aux altérations successives des copistes, qu’il serait absolument impossible de les reconnaître. Voici ces noms : Nergal-Sarazar, Nergel (roi du feu), Semgar-Nabou (l’esclave ou le glaive de Nebo), chef des eunuques, Sarsakim (le roi des Sakes, des Scythes) et enfin Nergel-Sarazar, chef des Mages.

Ge fut sur le temple que se ruèrent tout d’abord les vainqueurs, alléchés par le riche butin qu’ils savaient devoir y faire. Le roi Sédékias profita de ce moment de répit ; rassemblant en toute hâte, ses femmes, ses généraux et ses amis, il s’enfuit par le chemin sûr de la vallée et par le désert.

L’évasion de Sédékias fut bientôt connue des Babyloniens, grâce aux transfuges, et, à l’aube naissante, ils se lancèrent à la poursuite des fugitifs qu’ils atteignirent près de Jéricho. Comme c’était le roi qu’ils avaient spécialement mission d’arrêter, ils l’enveloppèrent, laissant ainsi aux chefs de l’armée et aux amis du roi, la faculté de se disperser et de pourvoir à leur salut comme chacun l’entendrait, en abandonnant lâchement son sou­verain. Sédékias fut pris, avec ses femmes et ses enfants, et le petit nombre de compagnons qui étaient restée auprès de lui pour partager sa mauvaise fortune. Tous furent conduits sous bonne escorte devant Nabuchodonosor. Celui-ci dès qu’il aperçut le malheureux roi de Juda, le traita d’infâme de traître. Il l’accusa de s’être parjuré, en se soulevant contre lui à qui il avait promis par serment d’être un fidèle vassal. Il lui rappela que c’était à lui seul qu’il devait la couronne arrachée à Joakhin, pour lui être gracieusement octroyée, et que ce bienfait il l’avait payé en combattant son bienfaiteur. «Mais c’est un Dieu grand  et juste, ajouta-t-il, qui, en haine de tes méfaits, t’a fait tomber entre mes mains.» Aussitôt Nabuchodonosor donna l’ordre de mettre à mort les enfants et les amis de Sédékias sous les yeux du malheureux père ; et lorsqu’il l’eut ainsi forcé d’être le spectateur du supplice de tous ceux qu’il chérissait le plus au monde, il lui fit crever les yeux et l’emmena chargé de chaînes à Babylone.

De la-sorte s’accomplirent à la lettre les deux prophéties, discordantes en apparence, de Jérémie et d’Ézékiel. Jérémie en effet avait prédit à Sédékias qu’il serait pris et amené devant le roi de Babylone qu’il verrait de’ ses yeux, tandis qu’Ézékiel lui avait annoncé qu’il ne verrait pas Babylone.

C’est ainsi que finit la dynastie de David. Vingt-et-un rois de sa race s’étaient succédé sur le trône qu’il avait fondé, et ils l'avaient occupé pendant 514 ans six mois et dix jours, sur lesquels il faut attribuer vingt ans à Saül qui n’était pas du même sang.

Ces chiffres de Josèphe sont comme toujours peu dignes de foi. Il paraît bien constant que David fut roi à Hébron en 1060 av. J.-C. et pas avant. De 1o60 à 588, il s’était écoulé 472 ans. Si nous y ajoutons les 20 ans attribués à Saul nous trouvons 492 ans seulement et non 514 comme le prétend Josèphe, ou mieux comme le lui-font dire les copistes.

Nabuchodonosor envoya à Jérusalem Nabouzaradan, général en chef de son armée, avec mission de piller le temple et de le brûler ensuite, avec le palais, de détruire la ville et d’en transporter la population à Babylone. Nabouzaradan arriva dans la ville capitale du royaume de Juda, dans l’année XI du règne de Sédékias et enleva toutes les richesses renfermées dans le temple. Les vases sacrés d’or et d’argent furent emportés, ainsi que la grande vasque de bronze consacrée par Salomon, les deux colonnes d’airain avec leurs chapiteaux, les tables d’or et les candélabres. Ces trésors une fois enlevés, le feu fut mis au temple le premier jour du cinquième mois de l’an XI du règne de Sédékias, correspondant à l’an XVIII de Nabuchodonosor. Le palais fut également incendié, la ville fut ruinée de fond en comble et ses murailles furent démantelées.

Nous devions nous attendre à trouver ici dans Josèphe des chiffres altérés et c’est ce qui a lieu. En effet, si nous recourons au chapitre LII du livre de Jérémie, chapitre qui, ainsi que nous l’avons dit, est vraisemblablement l’œuvre de la grande synagogue, nous trouvons les dates suivantes :

IXe année de Sédékias, dixième mois, dixième jour: Jérusalem est investie par Nabuchodonosor (verset 4).

Le siège dure jusqu’à la XIe année de Sédékias (verset 5).

XIe année de Sédékias, quatrième mois, neuvième jour: Il n’y , a plus de pain à Jérusalem (verset 6 et 7).

(Cette date semble être celle de la fuite de Sédékias).

XIXe de Nabuchodonosor, cinquième mois, dixième jour: Nabouzaradan arrive à Jérusalem. On voit que le désaccord est complet, et nous n’avons pas besoin de dire de quel côté se porte notre confiance.

La mer d’airain, les colonnes et les lavabos sacrés (Mekhonot) furent brisés en réalité, et ce fut le bronze qui provint de leur dépècement que l’on transporta à Babylone.

Josèphe se livre ensuite à une récapitulation de chiffres que nous nous contenterons de reproduire, sans prétendre en aucune façon la contrôler, ce qui nous mènerait beaucoup trop loin. La voici, et nous la livrons au lecteur pour ce qu’elle vaut ! Le temple fut brûlé l’an 470, le sixième mois, le dixième jour, à compter de sa fondation ; depuis la sortie d’Égypte, il s’était écoulé 1062 ans, six mois et dix jours. Tout l’intervalle du temps qui sépare le déluge de la destruction du temple, est de 1957 ans, six mois et dix jours. Enfin, de la création d’Adam à la destruction du temple, il s’est écoulé 3513 ans, six mois et dix jours ’.

Nabouzaradan après avoir ruiné Jérusalem, fit prisonnier Saréas qui était grand-prêtre, Sophonias qui venait le second dans l’ordre sacerdotal, les trois chefs chargés de la garde du temple, l’eunuque qui était à la tête des troupes, sept des amis de Sédékias, son secrétaire, et soixante autres personnages. Tous furent amenés au roi de Babylone qui leur fit trancher la tête à Rablata. Tous les autres captifs et avec eux le roi Sédékias, furent transportés à Babylone, avec Iosaddok fils de Saréas, qui devenait de droit souverain pontife, après le meurtre de son père.

Qu’était Nabouzaradan? rien de plus que le bourreau en chef du roi de Babylone. Le titre de Rabb-Tobakhim qui lui est constamment attribué dans le chapitre LII de Jérémie signifie littéralement : chef des tueurs.

Il est intéressant de faire l’énumération des transportés en Babylonie, car cette énumération nous fera voir qu’il n’y a en réalité qu’une fraction minime de la population juive qui fut arrachée à sa patrie, pour aller pleurer sur les fleuves de Babylone. Nous ne saurions mieux faire pour cela que de reproduire quelques versets du chapitre LII de Jérémie, chapitre qui, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, ne saurait en aucune façon être attribué au prophète lui-même:

« 15. Et Nabouzaradan, chef des bourreaux, transporta les plus pauvres d’entre le peuple, et le reste du peuple resté dans la ville, les transfuges qui avaient déserté auprès du roi de Babylone, et le reste de la multitude.

16. Mais Nabouzaradan, chef des bourreaux, laissa du reste les plus pauvres du pays pour être vignerons et cultivateurs

28. Voici le peuple que Nabuchodonosor déporta dans la septième année (de son règne) 3023 Juifs.

29. Dans la vingt-troisième année de Nabuchodonosor, celui-ci emmena de Jérusalem 822 personnes.

30. Dans la vingt-troisième année de Nabuchodonosor, Nabouzaradan, chef des bourreaux, déporta des Juifs 745 personnes, en tout 4600 personnes. »

Ce total qui est exact, nous semble prouver que l’aristocratie seule fut soumise à la transportation, et, dans tous les cas, que le nombre des exilés fut extrêmement faible, par rapport à la population générale du pays.

Josèphe affirme que les pauvres et les transfuges furent laissés en Judée par Nabouzaradan, qui mit à leur tête Godolias fils d’Aïkam, homme sage et juste. Ceux qui restaient dans leur patrie reçurent l’ordre de cultiver les terres, et de payer sur leurs récoltes un tribut au roi de Babylone.

Que devint le prophète Jérémie dans cette catastrophe suprême? Nabuchodonosor savait le rôle conciliateur qu’il avait joué au péril de sa vie, et, pour l’en récompenser, il donna l’ordre à Nabouzaradan de le mettre non seulement en pleine liberté, mais de lui faire toutes les offres possibles de service. Nabouzaradan essaya vainement de le décider à le suivre à Babylone ; Jérémie s’y refusa obstinément, et ne voulut même pas accepter l’offre qui lui fut faite de désigner à son choix une terre sur laquelle il s’établirait. Il déclara qu’il n’avait d’autre désir que de vivre au milieu des ruines de sa patrie. Le Babylonien recommanda expressément à Godolias de prendre le plus grand soin du prophète, de lui fournir tout ce dont il aurait besoin, et de le laisser vivre à sa guise, en quelque lieu qu’il voulût se fixer; puis après l’avoir comblé de présents, Nabouzaradan le congédia. En partant Jérémie demanda que son disciple Baroukh partageât sa liberté ; sa requête fut accordée, et tous les deux allèrent s’établir au village de Masphah.

Nous trouvons au chapitre XV de Jérémie, quelques versets prophétiques touchant le sort qui lui était réservé après le sac de Jérusalem; voici ces versets : « v. 10. Malheur à moi, ma mère, parce que tu m’as enfanté, moi, homme de contestation et de dispute pour toute la terre ! Je n’ai ni emprunté, ni prêté, et cependant tous me maudissent !»

11. Jéhovah a dit : certes ton avenir sera bon, certes, je ferai fléchir pour toi l’ennemi au temps du malheur, au temps de l'angoisse.

20. Je te rendrai, à l’égard de ce peuple, comme un mur d’airain, inébranlable; ils combattront contre toi, mais ils ne te vaincront pas ; car je suis avec toi pour te délivrer et te préserver, dit Jéhovah. »

On se rappelle que Jérémie dut la vie à un eunuque éthiopien nommé Abd-Melekh qui courut prévenir le roi Sédékias de l’ignoble supplice infligé au prophète. Ge bienfait ne fut pas perdu, car nous lisons au chapitre XXXIX de Jérémie :

« V. 15. La parole de Jéhovah fut à Jérémie, quand il était enfermé dans la cour de la prison, en ces termes :

16. Va, dis à Abd-Melekh l’Éthiopien, savoir : ainsi dit Jéhovah Sabaoth, Dieu d’Israël : Je ferai venir à leur accomplissement les paroles que j’ai prédites sur cette ville, pour le malheur et non pour le bonheur ; elles auront lieu devant toi en ce jour.

17. Je te préserverai en ce jour, dit Jéhovah, tu ne seras pas livré entre les mains des hommes que tu crains.

. Mais je te sauverai certainement et tu ne tomberas pas par le glaive; ta vie sera pour toi un butin gagné, parce que tu as eu confiance en moi, dit Jéhovah. »

Nous ignorons si Abd-Melekh dut, comme cela semble assez probable, son salut à l’intercession de Jérémie.

Godolias une fois investi des pouvoirs qui lui étaient confiés au nom du roi de Babylone, Nabouzaradan s’en retourna dans son pays. Godolias alla s’installer à Mitzpah ou Masphah. Tous ceux, et sans doute ils étaient nombreux, qui, pendant le siège de Jérusalem, s’étaient éloignés prudemment du théâtre de la guerre, et s’étaient réfugiés dans l’intérieur du pays, aussitôt qu’ils apprirent le départ des Babyloniens, et l’espèce de protection accordée par les vainqueurs aux cultivateurs laissés par eux dans la région de Jérusalem, accoururent de tous les côtés et en foule à Masphah, pour se présenter à Godolias. Leurs chefs étaient Jean fils de Gareas, Jezarias, Saréas et plusieurs autres. Parmi eux se trouvaient Ismaïl qui était de race royale, homme violent et rusé, qui, pendant la guerre, avait été se réfugier chez Baâlis, roi des Ammonites .

Godolias charmé de voir tous ces nouveaux venus se ranger sous son autorité, leur recommanda de s’établir dans le pays, de bannir toute crainte des Babyloniens, et de cultiver tranquillement la terre. Il s’engagea par serment à les protéger et à les défendre au besoin, leur promettant de résoudre avec justice et impartialité toutes les difficultés qui pourraient surgir parmi eux. Il les laissait libres de choisir les terres qu’ils voudraient, et de relever de leurs mains les bourgades ravagées par l’ennemi. Toutefois il leur conseilla de ne pas perdre de temps et de pourvoir par la culture aux besoins de chaque habitant.

Le bruit de cette bonne réception se répandit rapidement parmi les Juifs qui s’étaient réfugiés dans les pays du voisinage, dans l’Ammonitide, la Moabitide et l’Idumée. Tous s’empressèrent de retourner dans leur patrie, où les attendait un sort plus heureux, puisqu’ils n’étaient assujettis qu’à payer un tribut aux Babyloniens. Godolias vit donc s’accroître rapidement la nation à la tête de laquelle il se trouvait placé, et il pensa que de beaux jours pourraient luire encore sur la Judée.

Mais Ismaïl qui était de race royale, ainsi que nous l’avons déjà dit, s’irrita de voir un parvenu placé à la tête du pays qu’il se croyait appelé à gouverner par droit de naissance. De cette pensée à un complot contre la vie de Godolias il n’y avait pas loin, et Ismaïl assuré de l’assistance du roi des Ammonites, ne songea plus qu’à se débarrasser par un assassinat de celui qu’il regardait comme un usurpateur. Les projets d’Ismaïl ne furent pas tenus si secrets, que les amis de Godolias n’en fussent pas informés. Tous, Jean fils de Kareah à leur tête, vinrent avertir leur bienfaiteur de ce qui se tramait contre lui ; mais Godolias refusa d’y ajouter foi. En vain Jean se proposa pour aller frapper Ismaïl, et prévenir ainsi un nouveau désastre pour la nation d’Israël : Godolias n’y voulut pas consentir.

— Je ne puis croire à tant d’ingratitude de la part d’un homme que j’ai comblé de bienfaits. Ismaïl est venu à moi, dénué de tout, dans la plus grande détresse. Je lui ai tout donné, et il ne serait pas assez infâme pour payer mes bontés par un lâche assassinat ! c’est impossible ! ce serait déjà un crime pour lui de ne pas défendre mes jours au péril des siens ! non, c’est une calomnie ! Si d’ailleurs il était vrai qu’il en voulût à ma vie, il vaudrait mieux pour moi que je mourusse de sa main, que de faire périr un homme qui est venu à moi et qui m’a confié son salut1.

Cet excès de générosité devait être bien promptement, mais bien mal payé. Trente jours après la vaine tentative des amis de Godolias pour engager celui-ci à se tenir sur ses gardes, Ismaïl arrivait à Masphah avec dix compagnons, et se présentait devant Godolias. Celui-ci les accueillit à bras ouverts et leur offrit un festin dans lequel il. s’enivra, excité par leurs joyeux propos. Le sommeil s’étant emparé de ce malheureux, Ismaël et ses complices se jetèrent sur lui, et sur les autres convives ; tous furent égorgés. Comme la nuit était venue, les assassins se ruèrent sur tous les Juifs établis à Masphah et les mirent à mort, ainsi qu’un petit nombre de soldats babyloniens qui y avaient été laissés, pour protéger le chef de la nation.

Le lendemain arrivait à Masphah une troupe de 80 personnes, partie de Sichem, de Silô, et de Samarie, avec de riches présents  destinés à Godolias, dont le meurtre était encore ignoré. Ismaïl courut au-devant d’eux et leur dit d’entrer auprès de Godolias. Une fois les malheureux sans défiance introduits dans la maison, la porte se referma sur eux ; ils furent massacrés à l’instant, et leurs cadavres jetés dans une profonde citerne. Ils ne périrent pas tous cependant, car dix d’entre eux obtinrent la vie, en déclarant qu’ils avaient caché dans leurs champs du froment, de l’orge, de l’huile et du miel, qu’ils étaient prêts à livrer à Ismaïl. La citerne dans laquelle les corps furent précipités était, dit Jérémie, celle que le roi Assa avait fait construire, lorsqu’il se mettait en défense contre Baasa, roi d’Israël.

Ismaïl, une fois son crime odieux accompli, s’empara de toute la population de Masphah, hommes, femmes et enfants, et les emmena en captivité, en prenant la route de l’Ammonitide, avec les filles de Sédékias, que Nabouzaradan avait laissées sous la protection de Godolias. 

La nouvelle d’un pareil forfait ne pouvait tarder à se répandre. Jean, fils de Karéas, et tous ceux des chefs de la nation qui étaient avec lui, réunirent en hâte tout ce qu’ils purent trouver d’hommes de guerre, et se lancèrent à la poursuite d’Ismaïl qu’ils atteignirent auprès de la fontaine d’Hébron .

A la vue de ce secours inespéré, les prisonniers d’Ismaïl reprirent courage et coururent à leur libérateur; quant au meurtrier, il eut grand peine à se tirer d’affaire et réussit à s’enfuir vers l’Ammonitide, avec huit compagnons seulement. Après cette expédition heureuse, Jean fils de Karéas ne perdit pas de temps et se dirigea avec ceux qu’il avait délivrés vers un lieu nommé Mandra, où ils campèrent le jour même. Leur intention était de gagner au plus vite les frontières de l’Égypte, parce qu’ils se croyaient menacés par la colère que le roi de Babylone ne pouvait manquer de ressentir, lorsqu’il apprendrait le meurtre de Godolias.

Toutefois ils jugèrent bon de consulter Jérémie dont la réputation de sagesse et de prévoyance était grande parmi la nation, avant de mettre leurs projets à exécution : mais il arriva, en cette affaire, ce qui n’arrive que trop souvent ; c’est-à-dire que les fuyards demandèrent un avis qu’ils étaient bien décidés à ne suivre, qu’à la condition qu’il serait d’accord avec le leur. Ils chargèrent donc Jérémie d’adresser à Jéhovah les plus ferventes prières, pour que celui-ci leur fit connaître, par la bouche de son prophète, le parti qu’ils devaient prendre. Tous jurèrent qu’ils souscrivaient à l’avance à la décision de Dieu. Jérémie consentit et pendant dix jours consécutifs, il invoqua le Seigneur qui, au bout de ces dix jours, le chargea de dire à Jean et à ses compagnons que s’ils restaient dans le pays qu’ils voulaient abandonner, il les protégerait et les délivrerait de toute crainte des Babyloniens; que si, au contraire, ils persistaient à chercher un refuge en Égypte, il les accablerait des mêmes malheurs qui avaient frappé leurs pères. Jean et le peuple, qui ne s’attendaient guère à cette injonction, se refusèrent à croire qu’elle fût d’ins­piration divine ; pour eux les paroles de Jérémie étaient mensongères, et il ne les avait proférées que pour être agréable à Baroukh son disciple. Ils pensèrent que son dessein, en les engageant à rester en Judée, était de les faire périr sous le fer des Babyloniens. Ils se saisirent donc de Jérémie et de Baroukh, et poursuivirent leur route vers l’Égypte, emmenant avec eux les deux prophètes.

Lorsqu’ils furent arrivés au terme de leur voyage, Jérémie prophétisa de plus belle, et leur annonça que le roi de Babylone, devant lequel ils avaient fui, lorsqu’ils n'avaient rien à craindre de lui, allait en réalité mettre en mouvement une puissante armée ; qu’il subjuguerait l’Égypte entière et que, de tous les Juifs réfugiés dans ce pays, les uns périraient par le glaive, et les autres seraient emmenés en captivité à Babylone.

Les événements ne tardèrent pas à donner raison au prophète, car dans la cinquième année après la destruction de Jérusalem (583 av. J.-C.), Nabuchodonosor, qui comptait alors sa quarante-troisième année de règne, envahit la Cœlésyrie, et après l’avoir conquise, attaqua et soumit l’Ammonitide et la Moabitide, puis passa en Égypte. Le roi de ce pays (c’était Apriès), fut mis à mort, et son successeur fut institué par le conquérant qui s’empara de la personne de tous les Juifs présents en Égypte, et les transporta en Babylonie.

Ici Josèphe récapitule les catastrophes qui ont frappé à plusieurs reprises le peuple juif: « Deux fois, dit-il, les Hébreux ont été transportés au-delà de l’Euphrate; la première, lorsque les Assyriens enlevèrent de Samarie et emmenèrent en captivité les dix tribus, du vivant d’Osée, roi d’Israël. La seconde, lorsque Nabuchodonosor, roi de Babylone et de Chaldée, après la prise de Jérusalem, enleva les deux tribus qui restaient dans la terre promise. Le roi Salmanasar envoya occuper le pays des Israélites déportés, par les Cuthéens qui, jusqu’alors, avaient habité l’intérieur de la Perse et de là Médie, et ce sont eux qui ont pris le nom de Samaritains, du pays dans lequel ils ont été envoyés. Mais le roi de Babylone n’envoya personne occuper le pays des deux tribus enlevées par lui, si bien que toute la Judée, de même que Jérusalem avec le temple, restèrent désertes pendant soixante-dix années. L’intervalle de temps qui s’est écoulé entre la captivité des dix tribus et la déportation des deux dernières, est de 130 ans 6 mois et 40 jours.»

Le dernier paragraphe que nous venons d'emprunter à Josèphe a grand besoin de révision.

D’abord il n’est pas exact de dire que pendant soixante-dix ans la Judée et Jérusalem sont restées désertes. Il est certain en effet que Cyrus a mis fin à la captivité des soixante-dix ans, en l’an 537 av. J.-C. Si donc nous remontons de soixante-dix ans en arrière, nous tombons sur l’année 607 av. J.-C.,dans laquelle le roi de Juda Joakim fut obligé de subir le joug de Nabuchodonosor. Jérusalem n’ayant été prise et saccagée qu’en 588, il s’est écoulé dix-neuf ans, sur les soixante-dix ans de la captivité, pendant lesquels Jérusalem a encore vu des rois de la race de David trôner dans leur palais. Ensuite le chiffre par lequel Josèphe représente l’intervalle compris entre la transportation des dix tribus d’Israël et celle des deux tribus du royaume de Juda, est-il digne de confiance ? Vérifions le fait, en faisant abstraction, bien entendu, de la fraction six mois et dix jours qui se représente éternellement sous la plume de l’historien. Osée a été vaincu en l’an 721 av. J.-C., et les dix tribus ont été emmenées en Assyrie. A quel convoi de prisonniers déportés fait-il allusion ? Le premier est parti en 607 av. J.-C., et les derniers en 584 et 583. Or, de 721 à 607 il y a 144 ans, et de la même date à 584 ou 583, il y en a 137 ou 138.

Nous nous dispenserons, quant à nous, de faire des rapprochements de dates qui n’ont pas eu une très grande importance, et nous nous contenterons d’apprécier très brièvement, et abstraction faite de toute considération religieuse, les événements généraux qui ont amené la ruine de la dynastie de David.

Après la sortie d’Égypte, les quarante années passées dans le désert furent loin de nuire à la race judaïque. Élevée à l’école de la misère et des privations, la nouvelle génération qui surgit pendant ces quarante années si dures forma une nation pleine de sève et d’énergie, que le législateur façonna le mieux qu’il put à la soumission ; puis lorsqu’il eut sous la main une armée vigoureuse, composée d’hommes exaltés par la foi religieuse, il la lança du haut du Mont-Nebo sur cette riche terre de Kenàan que Jéhovah lui avait promise en' partage. Alors Moïse, dont le rôle providentiel était terminé, disparut au moment où la conquête sanglante allait commencer. A peine le deuil de la nation était-il accompli, que Josué la poussa tout entière sur la terre promise, où coulait le lait et le miel, splendide métaphore qui remplace la réalité car ce qui coula à flots, ce fut le sang des aborigènes.

Les Kenàanéens à peu près exterminés, sans pitié comme sans remords, les enfants d’Israël se distribuèrent la terre conquise, et les douze lignées des douze fils de Jacob eurent chacune son apanage.

Pendant un petit nombre de siècles qu’il est impossible d’apprécier avec la rigueur des chronologistes, le peuple d’Israël fut administré par des suffètes ou juges, dont l’histoire nous l’avouons sans hésiter, ne nous paraît pas coordonnée d’une façon suffisamment claire, ou suffisamment précise, dans le livre dont la dernière page, ou mieux le dernier verset, semble nous montrer que ce livre n’est qu’un plaidoyer dissimulé en faveur de la monarchie.

Un beau jour Israël voulut se donner un roi, malgré l’indignation de Jéhovah qui prédit à son peuple qu’il s’en repentirait. Peu importait ! la royauté fut faite et Saül monta sur le trône, pour aller périr sur la montagne de Gilboë, dans un massacre de guerre civile ; car à peine le roi fut-il créé, qu'on lui en opposa un autre, et cet autre fut David. Celui-là du moins fut un grand roi, mais un conquérant qui s’efforça d’étendre au loin les limites de ses états, et qui se couvrit d’assez de sang humain pour que Jéhovah lui refusât l’honneur de construire le temple où il voulait que son nom éternel fût adoré. C’était à Salomon, fils de David, que cet honneur sublime était réservé. Le temple de Jérusalem fut bâti et devint une des merveilles du monde.

A peine Salomon eut-il rendu l’âme, que ses fils se disputèrent la couronne. L’héritage de David fut immédiatement déchiré en deux lambeaux dont l’un devint le royaume d’Israël, avec Samarie pour capitale, et l’autre le royaume de Juda, avec sa métropole prédestinée Jérusalem. Tantôt amis, tantôt ennemis, les rois d’Israël et les rois de Juda semblèrent prendre à tâche de s’amoindrir et de descendre du rang suprême où les avait élevés David, leur aïeul. Si encore ils n’avaient eu d’autres ennemis qu’eux-mêmes ! Mais au nord le roi d’Aram ou de Damas les serrait de près ; à l’est, les Ammonites et les Moabites ; au sud, les Arabes et les Iduméens ; à l’ouest, les Philistins et, les Phéniciens. Pourtant quelque réduit que fût le territoire des deux monarchies judaïques, territoire qui dans son ensemble ne représente guère plus de trois ou quatre départements de la France actuelle, la descendance de Jacob était de taille à faire tête à tous les ennemis qui l’entouraient. Pendant qu’elle s’épuisait à ces petites guerres de frontières, deux puissances colossales, comme les deux mâchoires d’un étau qui devait écraser tous ces petits états turbulents, s’apprêtaient à marcher l’une au-devant de l’autre, pour un duel de géants. L’Assyrie et l’Égypte allaient se disputer l’empire de l’Asie et de l’Afrique, et leur champ de bataille naturel devenait forcément la Syrie avec l’ancienne terre de Kenâan. De proche en proche tous les petits états voisins de la terre judaïque furent absorbés. Tour à tour, l'une des deux grandes puissances eut le dessus et les royaumes d’Israël et de Juda se virent réduits à se soumettre, tantôt à l’Égyptien, tantôt à l’Assyrien. Que devait-il sortir fatalement et promptement de la situation géographique de deux états aussi faibles? L’anéantissement politique dont ils ne tar­dèrent pas à mourir. Le plus heureux, ou mieux le plus belliqueux des deux adversaires, ignorant le système des annexions, commença par dévorer le royaume d’Israël qui était le plus rapproché de lui ; puis vint le tour du royaume de Juda, qui, dans le danger, commit la faute de se jeter entre les bras de l'Égypte qui n’était plus assez puissante pour se protéger elle-même. Aussi le royaume de Juda paya-t-il promptement de sa ruiné sa confiance mal placée.

En résumé les deux royaumes, fondés parles fils de Salomon, n’étaient plus viables du moment où ils se trouvaient étouffés entre deux colosses tels que l’Assyrie et l’Égypte, qui se disputaient la suprématie en Asie ; et l’on conçoit que de pauvres roitelets aient commis, coup sur coup, des fautes qui devaient infailliblement les perdre. Telle nous semble être la cause de la chute du royaume de Juda. Telle cette cause ressort, indiscutable pour nous, de l’ensemble des faits que nous venons de raconter.

Maintenant revenons au récit des événements qui suivirent la chute de Jérusalem.

Nabuchodonosor, à son retour à Babylone, traînait avec lui le malheureux Sédékias auquel il avait fait crever les yeux; non content de cela, il le fît enfermer dans un cachot qu’il ne lui permit plus de quitter, jusqu’à son dernier jour. Lorsque ce prince fut mort, son vainqueur se souvint qu’il avait été roi, et il lui fit faire des funérailles dignes d’un roi.

Nous avons dit plus haut que tous les vases précieux consacrés au culte de Jéhovah avaient été enlevés du temple de Jérusalem; le roi de Babylone n’hésita pas à les distribuer aux temples de ses dieux. Tous les Juifs captifs furent internés dans le pays de Babylone et le grand prêtre Josaddok, délivré de ses chaînes, fut rendu à la liberté.

Nabuchodonosor mourut après un règne de quarante-trois ans, laissant la couronne à son fils Evil-Mérodakh (563 ans av. J.-C.). Le premier usage que celui-ci fit de son autorité souveraine fut de délivrer le roi Joakhin qui, depuis trente-sept ans, gémissait dans les fers. C’était, aux yeux du nouveau roi de Babylone, réparer, autant qu’il le pouvait, une méchante action de son père. On se rappelle en effet que Joakhin, pour sauver Jérusalem et son peuple, s’était, avec ses femmes et ses enfants, livré spontanément a la générosité de Nabuchodonosor qui trahit la foi jurée et le maintint en prison.

Voici comment cette réparation tardive est racontée dans l’Écriture sainte (Rois II, XXV).

v. 27. Ce fut dans la trente-septième année de l’exil de Joakhin, le douzième mois, le vingt-septième du mois, qu’Evil- Merodakh, roi de Babel, retira de la prison, dans la première année de son règne, Joakhin, roi de Juda.

28. Il lui parla avec douceur, et mit son siège au-dessus des sièges des rois qui étaient avec lui à Babel.

29. Il lui fit changer ses vêtements de prisonnier, et il mangea toujours auprès de lui, tout le temps de sa vie.

30. Et son entretien continuel lui fut donné de la part du roi, jour par jour, tout le temps de sa vie.

Abilamarodakh (Evil-Mérodakh) (c’est Josèphe qui parle), mourut après avoir régné dix-huit ans (545 av. J.-C.), laissant le trône à son fils Niglisar qui resta quarante ans sur le trône. Sa mort aurait donc eu lieu 505 ans av. J.-C. Son fils Labosordakh lui succéda et ne régna que neuf mois ; il fut détrôné par Baltazar qui, parmi les Babyloniens, portait le nom de Nabonandel. Ce fut à lui que Cyrus, roi des Perses, et Darius, roi des Mèdes, déclarèrent la guerre. Ce fut lui qui, dans un festin où il avait profané les vases sacrés de Jérusalem, eut la fameuse vision qui lui annonçait la ruine de Babylone, et qui ne put lui être expliquée que par le prophète Daniel.

Trois mots avaient été tracés sur la muraille de la salle du festin, par une main qui semblait sortir de cette muraille; ces trois mots Daniel les lut et les expliqua au roi de la manière suivante : «MANE : ce mot, dit-il, signifie en langue grecque nombre, comme si Dieu avait compté le temps de ta vie et de ton règne ; et il ne t’en reste plus que bien peu. THEKEL : c’est la même chose que poids; Dieu a pesé le temps de ton règne et il indique qu’il est fini. PHARES : si tu traduis ce mot en grec il signifie fragment; Dieu va donc mettre ton royaume en morceaux, et le partager entre les Mèdes et les Perse»

La terrible prédiction s’accomplit bien promptement, car, peu de temps après, le roi et la ville furent pris par Cyrus, roi des Perses. Baltazar avait régné 17 ans.

Nous avons trouvé tout à l’heure que, d’après les chiffres fournis par Josèphe, le règne de 9 mois de Labosordakh commença en 505 avant J.-C. Si Baltazar a régné 17 ans, il est mort en 488. Or nous savons de science certaine que c’est en 537 que Cyrus, devenu maître de Babylone, a rendu la liberté aux Juifs et que la captivité de 70 ans a été terminée. Il ne nous est donc pas possible d’accorder la moindre confiance à tout ce que nous venons d’emprunter à l’historien des Juifs. Celui-ci ajoute que Darius qui aida Cyrus à renverser le trône de Babylone, était son parent et qu’il était agé de soixante-deux ans, lors de la prise de cette ville immense. Il était fils d’Astyage, et portait parmi les Grecs un autre nom que celui de Darius. Il s’attacha le prophète Daniel qu’il emmena en Médie, où il le combla d’honneurs; car il fut l’un des trois satrapes auxquels il confia l’administration des 360 satrapies qu’il constitua dans ses vastes états

Quel était ce Darius le Mède qui devint roi de Babylone ? Voici ce qu’en dit le commentateur Rosensmller : « Darius le Mède, appelé aussi dans Daniel (IX, v. 1), Darius fils d’Ahasverus, descendant des Mèdes, n’est autre que Cyaxare II dont parle Xénophon, roi des Mèdes, fils d’Astyage, oncle de Cyrus, et bientôt son beau-père, sous les auspices duquel eut lieu la guerre contre les Assyriens. Ce Cyaxare, deuxième de son nom, succéda à Belschasar (Balthazar); c’est le Labynithe d’Hérodote, le Nabonide ou Abydenus de Berose. »

Pour nous Nabonid (Nabou-Nahid), descendant direct de Nabuchodonosor, et Balthazar, c’est le même personnage. Comment arranger tout cela? Il est évident qu’il y a, dans toute cette histoire, des confusions énormes qu’il sera toujours difficile d’éclaircir.

Josèphe, après avoir longuement raconté la haute faveur dont Daniel jouissait à la cour du roi des Mèdes, parle d'un monument insigne qui aurait été élevé par ses soins à Ecbatane ; nous ne saurions mieux faire que de donner la traduction fidèle du passage relatif à ce monument : « Daniel fit bâtir à Ecbatane, en Médie, une tour, chef-d'œuvre d’élégance et d’art, qui existe encore intacte de nos jours, et qui excite l’admiration de tous ceux qui la visitent, par son aspect récent qui est tel qu’on la croirait achevée du jour même où on la voit... Il est d’usage d’ensevelir dans cette tour les rois des Mèdes, des Perses et des Parthes. Elle est confiée à la garde d’un prêtre juif et cela a encore lieu de nos jours»

Il est vraiment bien fâcheux que ce magnifique monument sépulcral, qui n’a peut-être jamais existé, ne se soit pas retrouvé, à Hamadan qui a remplacé l’antique Ecbatane.

Josèphe passe ensuite à l’appréciation des prophéties de Daniel ; nous ne le suivrons pas sur ce terrain qui est en dehors du cadre que nous nous sommes proposé de remplir, et nous allons reprendre notre récit.

 

SECONDE PARTIE

 

RETOUR DE LA CAPTIVITÉ. CONSTRUCTION DU DEUXIÈME TEMPLE. RUINE DES ACHÊMÉNIDES. CONQUÊTE D'ALEXANDRE LE GRAND. DOMINATION DES LAGIDES ET DES SÉLEUCIDES.

 

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