web counter

CRISTORAUL.ORG

EL VENCEDOR EDICIONES

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

LIBRAIRIE FRANÇAISE

FRENCH DOOR

 

 

HISTOIRE DES LOMBARDS

PAUL DIACRE 

 

LIVRE I

I.

La plage Septentrionale éloignée des ardeurs du soleil et gelée par le froid des neiges en est d'autant plus propre à la propagation des peuples et à la Salubrité des corps. Au contraire les contrées du midi sont exposées aux maladies, et peu propres à l'éducation des enfants des hommes. De là vient que de grandes multitudes de nations ont commencé sous le Pôle et toute cette région jusques au Tanaïs et vers l'occident s'appelle en général Germanie, quoique chaque lieu y ait un nom particulier, et que les Romains aient aussi donné les noms de Germanie supérieure et inférieure à deux Provinces dont l'une était au-dessus et l'autre au-dessous du Rhin. C'est de cette populeuse Germanie, que souvent on a amené dans le midi des troupes d’esclaves, et comme elle produit plus d'hommes qu'elle n'en peut nourrir, des peuples nombreux en sont sortis et ont affligés les pays voisins dans l'Asie et l'Europe. Voilà ce qu'attestent tant de villes ruinées dans l'Illyrie et la Gaule; mais particulièrement dans la malheureuse Italie, qui a éprouvé les fureurs de chacune de ces nations en particulier. Car c'est de la Germanie que sont sortis, les Goths, les Vandales, les Rugiens, les Hérules, les Turcilinges et d'autres nations Barbares.

II.

C'est ainsi que la nation des Winiles, c'est à dire des Lombards, qui aujourd'hui règne glorieusement en Italie, tire son origine des peuples Germains; mais elle a eu aussi d'autres raisons d’émigrer. L'on dit qu'elle est venue de l'Isle appelée Scandinavie. Pline second fait mention de cette île dans les livres qu'il a composés sur la nature des choses. Ceux qui y ont été nous ont assuré que cette île n'est point au milieu de la mer; mais qu'elle est entourée par les flots qui environnent la terre à cause du peu de hauteur des rivages. Les habitants de ce pays ayant donc peuplé au-delà de toute mesure, partagèrent dit-on leur immense multitude en trou parts, et consultèrent le sort pour savoir laquelle de ces trois troupes irait chercher des nouvelles habitations.

III.

Or donc la troupe que le sort désigna pour aller chercher de nouvelles habitations, élut deux chefs Ibor et Aion, qui étaient frères et dans la fleur de leur âge. Leur mère qui s'appelait Gambara, avait infiniment d'esprit et de prudence et ses fils la consultaient dans tous les cas embarrassants.

IV.

Je ne crois pas qu'il serait mal à propos de parler un peu de la Germanie, puisque nous l'avons déjà mentionnée, et de dire quelques-unes des merveilles que l'on en raconte. Par exemple l'on dit que sur le rivage de l'océan aux extrémités de la Germanie, il y a une Caverne au pied d'un haut rocher, où sept hommes dorment d'un profond Sommeil, l'on ne sait pas depuis combien de temps; si bien que leurs corps n'ont point soufferts, non plus que leurs habits, ce qui les a mis en vénération parmi les Barbares des environs. Leur habillement semble prouver qu'ils étaient Romains. Un homme mu par la cupidité, entra un jour dans la Caverne pour les déshabiller ; mais il ne les eût pas plutôt touchés que ses bras furent brulés, et depuis lors personne n'osa plus les toucher. Je vous laisse à deviner pour quel dessein la providence divine les conserve depuis si longtemps. Peut-être qu'un jour ils s'éveilleront et convertiront ces peuples par la prédication ; car l'opinion générale est que ces sept dormants sont des Chrétiens.

V.

Les Scritobini sont voisins de ce lieu-là, leur pays ne manque pas de neige même en été, et semblables aux bêtes féroces, ils se nourrissent de la chair crue des animaux sauvages, et s'habillent de leurs peaux. L'Etymologie de leur nom selon la langue Barbare vient de sauter. — Car ils poursuivent le Gibier en sautant et se servent pour cela d'un bois courbé en forme d'arc. Chez eux est un animal assez ressemblant au cerf, de la peau duquel ils font des espèces de tuniques qui descendent jusques aux genoux, et ont le poil en dehors, j'en ai vu de pareilles, et ce sont les habits dont se servent les Scritobini. Là dans le Solstice d'été l'on voit clair pendant toute la nuit ; car les jours y sont bien plus longs qu'ailleurs. Au contraire dans le Solstice brumal, l'on n'y voit point le soleil et les jours y sont très courts; car plus on s'éloigne du soleil, et plus il semble rapproché de la terre, et plus aussi les ombres sont allongées. Par exemple, au jour de Noël à six heures en Italie, l'ombre d'un homme à neuf pieds de long. Et moi, étant dans la Gaule Belgique dans le lieu appelle Thionville, je mesurai mon ombre et je la trouvai de dix neufs pieds. Au contraire plus on se rapproche du midi et plus les ombres paraissent courtes, si bien que dans le Solstice d'été à midi, l'on ne voit aucune ombre tant à Jérusalem qu'en Egypte. En Arabie à la même heure et dans le même temps, le soleil paraît au nord et les ombres sont tournées vers le midi.

VI.

Non loin du rivage dont nous avons parlé, vers l'occident où s'ouvre un océan sans bornes, est ce gouffre profond des eaux que nous appelions vulgairement le Nombril de la mer, qui absorbe les flots deux fois par jour et les revomit autant de fois, ainsi qu'on le voit bien sur tous ces rivages, un gouffre semblable est appelle Charybde par le poète Virgile, qui en parle dans ces termes.

Dextrum Scylla Latus loevum implacata Charybdis

Obsidet at que imo baratri ter gurgite vastos

Sorbet in abruptum fluctus, rursus que sub auras.

Erigit alternos, et sidera verberat unda.

L'on assure que ce gouffre attire souvent des vaisseaux, avec la vitesse d'une flèche, et les fait périr; mais quelquefois les vaisseaux au moment d'être engouffrés, sont repoussés au loin, avec autant de vitesse qu'ils avaient été attirés. L'on dit qu'il y à aussi un gouffre semblable entre les Gaules et l'île de Bretagne, aussi tous les rivages de l'Aquitaine et de la Sequanique, sont inondés deux fois par jour par les flots de la mer, et ceux qui s'y promènent ont souvent bien de la peine à échapper. Vous voyez alors les fleuves de ces contrées retourner vers leurs sources, et leur douceur changée en Amertume. L'île Evodia est à trente mille du rivage Sequanique, et les habitants de cette île, disent que de chez eux l'on entend le mugissement de cette Charybde. Un noble Gaulois m'a conté, qu'une fois des vaisseaux battus par la tempête, avoient été attirés par ce gouffre, et un homme qui nageait encore après la mort des autres fut entraîné jusques au bord de l'abîme, que la considérant ce vaste Cahos, il attendait le moment d'y être précipité, lorsque le flot le porta sur un rocher. Toutes les eaux ayant été absorbées, les bords de l'abime restèrent à découvert. Le malheureux y restait en proie à mille angoisses et ne regardait sa mort que comme différée, lorsqu'il vit comme des montagnes d'eau qui sortaient de ce gouffre, et qui portaient les vaisseaux qui venaient d'être engouffrés, l'un de ceux-ci passa auprès de lui, il saisit quelque objet au moyen duquel il put s'y accrocher, et fut transporté sur le rivage avec rapidité. Cet homme vit encore et raconte lui-même son désastre.

Notre mer qui est l'Adriatique, envahit de la même manière les rivages des Vénéties et de l'Hystrie; mais avec bien moins de force, ainsi il est croyable qu’elle recèle aussi de ces conduits qui absorbent et revomissent les eaux.

VII.

Or donc les Winiliens sortis de Scandinavie sous le commandement d'Ibor et d'Ayon, vinrent dans la région appelée Scoringa, et y restèrent quelques années. Dans ce temps-là les Ambres et les Asses, chefs des Vandales, faisaient la guerre aux régions voisines. Enflés d'un grand nombre de victoires, ils envoyèrent vers les Winiliens pour leur ordonner de payer tribut aux Vandales. Ibor, Ayon et leur mère Gambara, trouvèrent qu'il valait mieux se battre que de se souiller par des tributs. Et ils envoyèrent dire aux Vandales qu'ils les combattraient et ne les serviraient pas. Les Winiliens étaient tous des jeunes gens ; mais leur nombre n'était pas grand ; car leur population n'était que la troisième partie de celle d'une Isle assez petite.

VIII.

Ici l'antiquité rapporte un conte ridicule. Les Vandales (dit-on) s'adressèrent à Wodan, et le prièrent de leur accorder la victoire sur les Winiliens. Celui-ci répondit qu'il l'accorderait à ceux qu'il verrait les premiers au soleil levant. Alors Gambara s'adressa à Frea femme de Wodan, et lui demanda la victoire pour les Winiliens. Frea lui conseilla d'ordonner aux femmes de défaire leurs cheveux et de les arranger sur leur visage en forme de barbe. Celles-ci le firent et se placèrent le matin avec les hommes, du côté où Wodan a coutume de regarder par la fenêtre de son Palais, lorsqu'il veut voir le soleil levant. Et Wodan les ayant vus dit qui sont ces gens à longues barbes? Alors Frea le pria d'accorder la victoire à ceux qu’il avait ainsi nommés. Et c'est ainsi dit-on que Wodan accorda la victoire aux Winiliens. Ces choses sont risibles et ne méritent aucune attention. La victoire n'est point dans la puissance des hommes ; mais c’est un don du ciel.

IX.

Il est pourtant certain que les Lombards tirent leur nota de leurs longues barbes, que le fer ne touche jamais; car auparavant ils étaient appelés Winiliens. Dans leur langue Lang veut dire long, et Baert, Barbe, Wodan, qu'ils ont aussi appelle Godan en ajoutant une lettre est le Mercure des Romains, et il est adoré par toutes les nations de la Germanie, et il a existé non pas alors ; mais bien auparavant, non pas en Germanie; mais en Grèce.

X.

Or donc les Winiliens où Lombards, ayant livré bataille aux Vandales, remportèrent la victoire. Cette Province s'appelle Scoringa, ils y souffrirent de la famine, et furent très consternés.

XI.

Comme ils sortaient de cette Province pour entrer dans la Mauringa, les Assipites ne voulurent point leur permettre de passer sur leurs terres. Les Lombards voyant le nombre de leurs ennemis, eurent recours à un stratagème. Ils répandirent qu'ils avaient dans leur armée des Cynocéphales c'est à dire des hommes à tête de chien, qui étaient très belliqueux, buvaient le sang des hommes et même le leur propre lorsqu'ils ne pouvaient pas atteindre leurs ennemis, et pour qu'on les crut plus aisément, ils augmentèrent le nombre des tentes et des feux. Ceux-ci les voyant et entendant toutes ces choses n'osèrent plus risquer de Bataille.

XII.

Cependant les ennemis avaient chez eux un homme très fort, et ils l'envoyèrent défier au combat singulier le plus fort des Lombards, sous la condition que s'il était victorieux, les Lombards seraient obligés de retourner dans leur pays, et que s'il était vaincu, les passages leurs seraient ouverts. Les Lombards ayant entendu ces choses délibérèrent sur le choix de leur champion. Alors un homme de condition servile se présenta et dit qu'il combattrait à condition que s'il était vainqueur on lui accorderait la liberté. Il combattit, remporta la victoire, obtint la liberté et les Lombards continuèrent leur route.

XIII.

Or donc les Lombards étant parvenus dans la Mauringa voulurent augmenter le nombre de leurs Guerriers, et accordèrent la liberté à un grand nombre d'hommes de condition servile, et ils sanctionnèrent cet affranchissement à leur manière accoutumée, c'est à dire par la flèche et en murmurant de certains mots dans la langue de leur patrie. Les Lombards ayant quitté la Mauringa abordèrent (aplicuerunt) dans la Golande, où ils restèrent quelque temps. Ensuite ils possédèrent pendant quelques années Anthabet Bathaïb et Vurgundaïb, ce que nous croyons être des noms de Bourgs où de lieux.

XIV.

Ibor et Ayon qui avaient gouverné les Lombards depuis leur sortie de Scandinavie étant morts, ils ne voulurent plus de Ducs; mais un Roi, à l'instar des autres nations. Et le premier qui fut leur Roi fut Agelmund fils d'Ayon, de la famille des Gungine, qui était chez eux la plus noble. Celui-ci régna 33 ans à ce que disent les Anciens.

XV.

Dans ce temps-là une certaine fille de joie accoucha tout à la fois de sept fils, et plus cruelle qu'une bête féroce elle les jeta dans une piscine; si quelqu'un ne veut pas y ajouter foi, qu'il relise les histoires des Anciens, et il trouvera qu'une femme a accouché non seulement de sept enfants; mais même de neuf, ce qui arrivait principalement chez les Egyptiens.

Or donc il arriva que le Roi Agelmund, chemin faisant, arriva à cette piscine, et arrêtant son cheval, il regarda les enfants avec commisération, les retournant çà et là avec le bout de sa lance, et un de ces enfant saisit la lance du Roi avec la main. Le Roi s'en étonna et dit que cet enfant était destiné à de grandes choses. Et tout de suite il le fit ôter de la piscine et le remit à une nourrice, en lui ordonnant d'en avoir le plus grand soin. Cet enfant fût appelé Lamission, parce que Lama dans la langue des Lombards, veut dire une piscine. Ce Lamission devint dans la suite un si brave guerrier qu'il succéda à Agelmund.

Un jour que les Lombards marchaient ayant leur Roi à leur tête, ils arrivèrent à un certain fleuve, dont le passage leur fût disputé par les Amazones. Alors Lamission combattit à la nage au milieu du fleuve la plus vaillante des Amazones, et les conditions du combat singulier étaient, que s’il était vainqueur, les Amazones leur laisseraient passer le fleuve ; et Lamission fut vainqueur; mais ce fait ne passe point pour être appuyé sur la vérité; car ceux qui connaissent les histoires anciennes, savent bien que la nation des Amazones a été détruite longtemps avant que ces choses aient pu arriver. Mais il faut convenir aussi que les historiens qui ont décrit ces événements, n'ont pas assez connus les lieux où ils se sont passés, et il est possible aussi que cette race de femmes ait subsisté quelque part jusques à ces temps-là. Car moi-même j'ai entendu rapporter à quelques-uns, que dans le fond de la Germanie, il existe encore aujourd'hui une pareille race de femmes.

XVI.

Les Lombards ayant donc traversé ce fleuve restèrent quelque temps dans le pays qui était au-delà, et comme ils n'y étaient exposés à aucun danger, ils s'y accoutumèrent à une sécurité trop grande ; car la sécurité est souvent mère des périls. Car une nuit comme ils dormaient tous, les Bulgares les attaquèrent à l'Improviste, tuèrent leur Roi Agelmund et enlevèrent sa fille unique.

XVII.

Les Lombards se remirent peu à peu de cette défaite, et prirent pour leur Roi ce Lamission dont nous avons parlé plus haut. Celui-ci qui était jeune, bouillant, et prompt aux combats tourna ses armes contre les Bulgares. Mais dès le premier choc, les Lombards tournèrent le dos et s'enfuirent vers leur camp, Lamission témoin de cette lâcheté se mit à leur en faire des reproches, à haute voix, leur rappelant la mémoire de leur Roi égorgé, et de sa fille enlevée, ajoutant qu'il valait mieux périr dans le combat que de vivre le jouet de ses ennemis, ainsi que sont les vils esclaves, s'il voyait quelque homme d'une condition servile et qui combattait il lui promettait la liberté. Enfin, il en fit tant qu'ils retournèrent à la charge et vengèrent la mort de leur Roi, et puis ils devinrent plus courageux à la guerre, principalement, à cause du grand butin qu'ils avaient fait dans cette bataille.

XVIII.

Ensuite mourut Lamission, second Roi des Lombards, et Lethu lui succéda; celui-ci régna environ quarante ans. Son successeur fut Hildeoc son quatrième fils, et à celui-ci succéda le cinquième fils appelle Gudehoc.

XIX.

Alors Odoacre régnait en Italie déjà depuis quelques années, et Féléthée ou Feva Roi des Rugiens se trouva enflammé par le foment des plus grandes inimitiés. Ce Féléthée habitait alors la rive ultérieure du Danube séparée par ce fleuve du Norique. Sur ces confins des Norices était le couvent de St. Severin, homme très remarquable par la sainteté de ses vertus, et dont le corps est aujourd'hui à Naples. Quoiqu'il soit mort dans les lieux, que nous venons d'indiquer, ce saint homme ne cessait de faire des remontrances à sa femme Gissa, mais ils méprisèrent ses paroles pieuses. Alors Odoacre rassembla les nations qui lui obéissaient, savoir les Tucilinges, les Hérules une partie des Rugiens et quelques peuples d'Italie et il entra ainsi dans le Rugiland ; combattit les Rugiens et fit périr leur Roi Féléthée. Après avoir ravagé toute cette province, il retourna en Italie avec un très grand nombre de Captifs.

Alors les Lombards sortirent de leurs régions et entrèrent dans le Rugiland, et Rugiland veut dire en latin, Patrie des Rugiens. Et comme le pays était fertile, ils y restèrent plusieurs années.

XX.

Pendant ce temps là mourut Gudehoc, et son fils Claffo lui succéda. Ensuite Claffo mourut et son fils Tato lui succéda, et fut le septième Roi des Lombards.

Les Lombards étant sortis de Rugiland, habitèrent dans des campagnes ouvertes, qui dans la langue des Barbares s'appellent Feld. Comme ils y demeurèrent trois ans, il s'y éleva une grande guerre entre Tato, et Rodulphe Roi des Hérules. Ils avaient été alliés jusqu'alors, et voici qu'elle fut l'occasion de cette querelle.

Le Frère du Roi Rodulphe avait été envoyé vers Taton pour resserrer les nœuds de leur alliance; et comme il retournait chez lui, il passa devant la maison de Rumetrude fille du Roi. Celle-ci, voyant une troupe aussi nombreuse et magnifique, demanda qui était cet homme si bien accompagné ; on lui répondit que c'était le frère du Roi Rodulphe qui retournait dans son pays, après s'être acquitté de son ambassade. La demoiselle envoya vers lui pour l'inviter à boire un verre de vin chez elle, et il y vint sans défiance ; mais comme il était très petit de taille, la demoiselle le regarda avec mépris, et lui dit des paroles dérisoires, celui-ci, plein de honte et d'indignation, répondit par des paroles qui donnèrent encore plus de confusion à la Belle. Celle-ci, enflammée de colère, se décida aussitôt à en tirer une vengeance éclatante, mais, dissimulant avec art, elle sourit agréablement, et invita le Prince à s'asseoir. Mais elle le fit asseoir dans un lieu où il avait à dos une fenêtre recouverte par une tapisserie et cette atroce bête y plaça ses valets et leur commanda de donner des coups de lance au moment, où elle dirait à l'échanson Versez ! Cet ordre fut exécuté, et le Prince frappé par derrière, expira au même instant.

Rodulphe devint furieux au moment où il apprit ce qui s'était passé ; et résolu a la vengeance, il déclara la guerre à Taton les deux armées en vinrent aux mains. Rodulphe conduisit la sienne au combat; mais il rentra ensuite dans son camp; et se mit à Table, comme s'il n'eût eu aucun doute sur l'issue du combat, car alors les Hérules étaient très exercés à la guerre et s'étaient rendu illustres par de grands massacres. Ils combattaient toujours nus, ne couvrant de leurs corps que les parties que la modestie prescrit de couvrir. Sait qu'ils le fissent pour être plus lestes, ou pour montrer le mépris qu'ils faisaient des blessures.

Or donc leur Roi, plein de confiance en leur courage, s'était mis à table ainsi que nous l'avons dit, et pendant qu'il s'y amusait il ordonna à un des siens de monter sur un arbre et de lui annoncer au plutôt la victoire des Hérules, le menaçant de lui faire couper la tête, s'il osait lui annoncer, que l'armée des Hérules fut mise en fuite. L'homme qui était sur l'arbre vit bientôt que les Hérules cédaient, il répondait toujours qu'ils combattaient très bien. Enfin lorsque tous les bataillons Hérules étaient déjà en fuite, il s'écria à haute voix malheur à toi ô Herulie ! car tu as attiré le courroux Céleste. — Alors le Roi ému dit: Quoi ! est-ce que mes Hérules prennent la fuite? — Et l'autre répondit: Ce n'est pas moi qui l'ai dit ô mon Roi, c'est vous-même.

Alors le Roi, et tous ceux qui étaient là perdirent la tête, ainsi qu'il arrive en pareille occasion, et les Lombards survinrent et les tuèrent tous; et même le Roi qui se défendit assez mal. Les Hérules, qui fuyaient ça et là eurent l'esprit tellement troublé qu'étant parvenu à un champ, couvert de lin verdoyant, ils le prirent pour de l'eau, et se mirent à remuer les bras comme s'ils nageaient, et pendant ce temps là les Lombards les tuaient par derrière.

Lorsque tout fut fini, les Lombards partagèrent entre eux le butin qu'ils trouvèrent dans le camp. Taton eût pour sa part l'étendait qu'ils appellent Bandum, et le casque que Rodulphe portait dans les batailles. Depuis lors les Hérules n'ont plus eu de Rois, et les Lombards au contraire devinrent tous les jours plus puissants et augmentèrent leurs armées en y incorporant les peuples conquis.

XXI.

Taton ne jouit pas longtemps de son triomphe. Wachon fils de son frère Zuchilon tomba sur lui et le priva de la lumière. Hildechis fils de Taton, prit les armes contre Wachon, mais il fut vaincu et s'enfuit chez les Gépides où il resta jusqu'à sa mort, toujours dans l'état de réfugié. Et depuis lors les Gépides commencèrent à être ennemis des Lombards.

Dans ce temps-là Wachon tomba sur les Suèves, et les soumit à sa domination. Si quelqu'un pense que je mente qu'il relise le prologue de l'édit que le Roi Rothaire a composé sur les lois des Lombards. Et il le trouvera écrit dans presque toutes les copies manuscrites de la même manière que nous l'avons dit ici.

Wachon eut trois femmes, d'abord Ranicunde fille du Roi des Thuringiens; puis il épousa Austrigose, fille du Roi des Gépides, dont il eut deux filles, la première fut Wisegarde, qu'il donna en mariage à Théodebert Roi des Francs. La seconde Walderada, qui épousa Cuswald autre Roi des Francs ; mais celui-ci s'étant mis à la haïr, la fit épouser à un des siens appelé Garipald. La troisième femme de Wachon, s'appelait Salinga, et était fille d'un Roi des Hérules, celle-ci eût un fils qui fut appelé Waltaris, et fut le huitième Roi des Lombards et successeur de Wachon. Tous ceux-ci étaient Lithinges. C'est ainsi que s'appelait chez eux une certaine famille noble.

XXII.

Waltaris mourut après avoir régné sept ans. Audoin lui succéda et fut le neuvième Roi des Lombards. Ce fut lui qui conduisit les Lombards en Pannonie.

XXIII.

Les Gépides et les Lombards accouchèrent enfin de la Haine qu'ils avaient conçue les uns contre les autres. L'on se prépara des deux côtés à la guerre. Bientôt après il y eut une bataille générale, dans laquelle les deux nations combattirent avec une égale valeur. Alboin fils d’Audoin rencontra dans le combat Turismod fils de Turisind, et lui donnant un coup d'épée le fit tomber mort de son cheval.

Les Gépides voyant que le fils de leur Roi, qui était le principal auteur de cette guerre avait péri, perdirent courage et prirent la fuite. Les Lombards les poursuivirent et en firent périr un très grand nombre ; puis ils revinrent sur leur pas pour dépouiller les morts.

Les Lombards étant de retour chez eux voulurent suggérer à Audoin de faire manger son fils Alboin avec lui, parce qu'ils lui devaient la victoire et qu'il était juste qu'il fut le compagnon de son père dans le festin, comme il l'avait été dans le danger. Mais Audoin répondit qu'il ne pouvait pas enfreindre les coutumes de sa nation et il dit: Sachez que, selon nos coutumes, un fils de Roi ne peut pas manger avec son père, à moins qu'il n'ait enlevé les armes d'un Roi étranger.

XXIV.

Alboin, ayant entendu cela, prit avec lui quarante jeunes gens, alla chez Turisend Roi des Gépides, et lui dit pourquoi il était venu; celui-ci le reçut avec bonté, l'invita à a table et le fit mettre à sa droite, à la place où son fils Turismod avait coutume de s'asseoir. Tandis que les convives jouissaient des différents services du festin, le Roi Turisend retournait dans sa pensée la mort de son fils. Et voyant son meurtrier, assis à sa place, il ne put plus se contenir, et sa voix se faisant place à travers ses soupirs. Il dit : Cette place me semble toujours bien aimable, mais la personne que j'y vois, m'est bien pénible à regarder. — Alors l'autre fils du Roi, excité par son discours, se mit à faire des plaisanteries injurieuses sur le compte des Lombards, assurant qu'ils ressemblaient à des juments dont les pieds seraient blancs, jusques aux genoux, parce que sous leurs chaussures ils portaient des bandes blanches, et, faisant allusion à cette coutume, il dit : Vous ressemblez à des juments pleines.cc — Alors un Lombard répondit: Va dans le champ d'Asfeld, là tu verras que ce sont des juments qui savent ruer, que celles auxquelles nous ressemblons. Et tu y trouveras aussi les os de ton frère, dispersés dans la campagne, comme ceux du bétail crevé. — Les Gépides, entendant ce propos, ne purent plus retenir leur colère, et montrèrent l'intention de venger leur injure. Les Lombards mirent tous à la fois la main sur le pommeau de leur épée. Mais le Roi se leva de table avec précipitation, et se mit entre deux, jurant de punir celui qui porterait le premier coup, et ajoutant que la victoire remportée sur son hôte et dans sa propre maison ne saurait plaire aux Dieux. Enfin il en fit tant que l'on se remit à table et que le festin continua avec plus de gaieté qu'il n'avait commencé. Ensuite Turisend prit les armes de Turismond son fils, les donna à Alboin et le renvoya en paix dans le royaume de son père, où il eût l'honneur d'être admis à sa table. Là, jouissant gaîment avec son père des délices de la royauté, il lui raconta par ordre tout ce qui lui était arrivé dans le Palais du Roi Turisend, et tous ceux qui l'entendirent ne savaient s'ils devaient admirer davantage la bonne foi de Turisend ou l'audace du jeune Alboin.

XXV.

Dans ce temps-là régnait Justinien Auguste, qui fut toujours heureux dans les guerres qu'il entreprit, car son général Bélisaire vainquit les Perses, détruisit les Vandales après avoir pris leur Roi Gélismer, et rendit l'Afrique aux Romains après quatre-vingt-seize ans d'indépendance. Enfin le même Bélisaire vainquit les Goths en Italie, et prit leur Roi Withichis. Ensuite l'ex-consul Jean vainquit un Roi des Maures qui infestaient l'Afrique et soumit beaucoup d'autres nations; et Justinien soumit encore beaucoup d'antres nations par ses généraux ; c'est pourquoi il fut appelé Allemanique, Gothique, Francique, Germanique, Antique, Alanique, Wandalique et Africain.

Il abrégea aussi d'une manière admirable les lois des Romains, dont la prolixité était aussi extraordinaire que la dissonance inutile, car il réduisit en douze livres, les constitutions des Princes précédents qui remplissaient beaucoup de volumes; et cet abrégé fut appelé le code Justinien. Puis il réduisit en cinquante livres, les lois des magistrats particuliers ou juges qui remplissaient près de mille Livres, et cet abrégé fut appelé le digeste ou les Pandecte. Enfin il composa quatre livres des institutions dans lesquels il donna le texte de toutes les lois, et il ajouta à cet ouvrage les lois qu'il avait faites, réduites en un volume, qui fut appelé codex novellarum.

Ce Prince construisit aussi à Constantinople le temple appelé Agia Sophia, et dédié à Jésus Christ qui est lui-même la sagesse de Dieu le Père, édifice qui n'a point son pareil sur toute la terre. Tout réussissait à ce Prince, parce qu'il était catholique dans la foi, droit dans les œuvres, et juste dans ses jugements.

C'est alors que Cassiodore brillait à Rome dans les sciences divines et humaines, et expliqua si bien le sens caché des psaumes ; il fut d'abord Consul, puis sénateur et finit par être moine.

C'est alors aussi que Denys constitué abbé dans la ville de Rome composa son calcul Pascal avec une argumentation admirable.

C'est alors qu'à Constantinople Priscien de Césarée rima, si je puis m'exprimer ainsi, les profondeurs de l'art grammatical.

Enfin, c'est alors qu'Arator poète admirable mit en vers hexamètres les actes des Apôtres.

XXVI.

C'est alors aussi que brilla saint Benoît d'abord dans le lieu appelé Subiacus à quarante milles de Rome, puis dans le château de Cassinum que l'on appelle aussi Harum. Sa vie ainsi, qu'il est bien connu, a été écrite par le Pape Grégoire dans ses dialogues, et dans un style très agréable. Et moi quoique mon génie soit bien petit pour pouvoir faire honneur à un père comme celui-là, cependant j'ai composé des vers, dont chaque distique exprime un de ses miracles, le tout est dans le mètre élégiaque.

J'ai pourtant envie de rapporter aussi ce que le Pape saint Grégoire a omis dans son histoire. Lorsque par un ordre divin il quitta Subiacus, pour ce rendre au lieu où il repose, trois corbeaux, qu'il avait coutume de nourrir, l'accompagnèrent pendant toute la route.

A chaque repas qu'il faisait, deux anges lui apparaissaient sous la figure de jeunes gens et lui enseignaient le chemin.

Dans le lieu où il devait habiter, il y avait alors un autre serviteur de Dieu, auquel il fut dit d'une manière miraculeuse: Va-t-en d'ici, il y vient un autre ami. —

Enfin, lorsqu'il fut arrivé au fort de Cassinum, il se condamna à une grande abstinence, particulièrement pendant le carême où il se tenait reclus, et éloigné du commerce du monde.

J'ai tiré toutes ces choses du poète Marc, qui alla trouver ce saint Père, et composa un poème à sa louange, que je n'ai pas voulu insérer dans mon ouvrage pour ne point l'allonger. Toujours est-il certain que cet excellent père fut appelé par le ciel d'un lieu à l'autre, et que le ciel a voulu qu'il s'établit sur une vallée fertile, qui put nourrir beaucoup de moines, ce qui est aussi arrivé parce que Dieu la voulu. Et à présent nous retournerons à la suite de notre histoire, après avoir dit des choses qui en aucune façon ne devaient être omises.

XXVII.

Or donc Audoin Roi des Lombards eût pour femme Rodelinde, qui fut mère de cet Alboin, si brave et si bon guerrier. Alboin fut le dixième Roi des Lombards, et monta sur le trône d'après le vœu unanime de tous. Son nom était célèbre partout, aussi Clotaire Roi des Francs, lui donna en mariage sa fille Clothsiunde dont il n'eut qu'une fille appelée, Alpsiunde.

Pendant ce temps-là mourut Turisend Roi des Gépides, et Cunnimond lui succéda. Celui-ci, désirant venger les anciennes injures des Gépides, déclara la guerre aux Lombards. Mais Alboin fit un traité d'alliance perpétuelle avec les Avares qui s'étaient appelé Huns, mais qui prirent ensuite le nom, d'Avares du nom propre d'un de leurs Rois. Ensuite Alboin marcha contre les Gépides, et pendant que ceux-ci s’étaient absentés pour la guerre, les Avares envahirent leur pays ainsi qu'ils en étaient convenus avec Alboin.

Un triste député vint annoncer à Cunnimond, que les Avares avaient envahi ses frontières; et celui-ci altéré de cette nouvelle exhorta cependant les siens à combattre les Lombards afin d'attaquer ensuite les Huns, s'ils étaient d'abord victorieux de ceux-ci. La bataille fut donnée et chacun combattit de toutes ses forces, mais les Lombards vainqueurs combattirent avec tant de fureur, qu'ils détruisirent absolument l'armée des Gépides, en sorte que d'une si grande multitude il resta à peine un homme pour porter la nouvelle de la défaite. Alboin tua Cunnimond dans cette bataille, et se fit faire une coupe avec son crâne, cette espèce de coupe s'appelle chez eux Scala, et en latin patera. Rosimunde fille de Cunnimund fut faite captive avec un nombre infini de filles et de femmes de tout âge, et comme Clotsuinde était morte, Alboin épousa Rosimunde; mais ce fut à son grand dommage, ainsi qu'il parût dans la suite.

Les Lombards firent là tant de butin, qu'ils en devinrent extraordinairement riches, et la race des Gépides se trouva tellement diminuée, que depuis lors ils n'ont plus eu de Roi, mais tous ceux qui ont survécu à cette guerre sont restés sujets des Lombards, et ceux qui sont restés dans leur pays gémissent encore aujourd'hui sous le dur empire des Huns qui en ont fait la conquête. Enfin Alboin se rendit tellement illustre, qu'encore aujourd'hui il est célébré dans les poèmes des Bavarois, des Saxons, et des autres hommes de cette même langue; et jusques-ici beaucoup de gens racontent que les principales armes ont été fabriquées sous son règne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LIVRE II

 

 

II.

Dans ces temps-là Narsès fit aussi la guerre au Duc Bucellin. Ce Duc avait été laissé en Italie avec un autre Duc appelé Hamming lorsque Théodebert Roi des Francs était entré en Italie, et s'en était ensuite retourné dans les Gaules. Ce Bucellin ravageait toute l'Italie et envoyait ensuite des présents considérables à son Roi Théodebert. Mais comme il se disposait à passer l'hiver à Tannetum, il fut attaqué par Narsès et totalement détruit.

Hamming alla porter du secours à Widin. Comte des Goths qui s'était révolté contre Narsès, mais ils furent vaincus sous les deux. Widin fut pris et envoyé à Constantinople, Hamming périt par le glaive de Narsès.

Il y avait encore un troisième Duc des Francs appelé Leuthaire, et qui était frère de Buccelin. Ce Leuthaire retournait dans sa Patrie chargé de beaucoup de butin; mais il mourut de mort naturelle près du lac Benacus, entre Vérone et Trente.

III.

Narsès fit encore la guerre à Sinduald Roi des Brebtes, qui restait encore de la race des Hérules qu'Odoacre avait mené avec lui en Italie. Il avait d'abord été très fidèle à Narsès qui le comblait de biens, mais ensuite il se révolta avec un orgueil infini. Narsès le vainquit, le fit prisonnier, et le fit pendre à une poutre très élevée.

Dagistée maître de la milice, servit très bien le Patrice Narsès, et fit presque toute la conquête de l'Italie. Narsès avait d'abord été chartulaire ; mais par sa vertu, il obtint ensuite la dignité de Patrice. C'était un homme pieux, catholique dans la religion, plein de magnificence envers les pauvres, attentif à réparer les églises, exact à la prière et aux vigiles; si bien que souvent il a dû la victoire moins à ses armes qu'aux supplications qu'il épanchait aux pieds des autels.

IV.

Dans ces temps-là il y eut une grande peste principalement dans la Ligurie. D'abord apparurent certains signes sur les maisons, les portes, les vases, et les vêtements, et plus on voulait les laver, et plus ces signes ressortaient en dehors. Après une aimée révolue, il se forma dans les aines, et dans d'autres parties délicates du corps humain, des petites glandes de la forme d'une noix ou d'une date, après quoi, l'on prenait une fièvre d'une ardeur insupportable, et l'on mourait au bout de trois jours. Mais si quelqu'un pouvait passer le troisième jour il avait l'espérance de vivre. De tous côtés l’on ne voyait que deuil et que larmes. Ceux qui voulaient éviter le danger abandonnaient leurs maisons, n'y laissant que les chiens pour les garder.

Les troupeaux restaient seuls dans les campagnes sans être gardés par un Berger. Vous auriez vu des villages et des bourgs, bien peuples la veille, et totalement déserts le lendemain, les fils fuyaient, laissant sans sépulture les cadavres de leurs pères Les parents oubliant les entrailles de la piété, quittaient leurs enfants dans les ardeurs de la fièvre ; si quelqu'un retenu par un reste de pitié voulait ensevelir son prochain, il restait lui-même sans sépulture, et tandis qu'il accordait des obsèques aux funérailles, il devenait lui-même une funéraille sans obsèques. Vous auriez va le siècle retourné au silence antique. Nulle voix dans la campagne, nul sifflement des Bergers, nulles embûches aux bêtes sauvages nul dommage aux oiseaux domestiques. Les champs attendaient vainement le moissonneur, la vigne avait perdue ses feuilles et restait encore intacte quoique rayonnante de grappes.

Lorsque l'on fut plus proche de l'hiver l'on entendit dans les heures du jour et de la nuit, comme le bruit d'une armée et les sons de la trompette guerrière. L'on ne voyait aucune trace de passants. L'on ne voyait aucun percusseur et cependant les cadavres des morts surpassaient la vue des yeux.

Les pâturages étaient convertis en sépultures des hommes, et les habitations humaines étaient devenues le refuge des animaux; et tous ces maux arrivèrent aux seuls Romains dans l'Italie, jusques aux confins des Bavarois et des Allemands. Pendant ce temps-là Justinien mourut, et le jeune Justin lui succéda: c'est alors aussi que Narsès, qui veillait à tout, prit Vital et l'exila en Sicile. Ce Vital était Evêque de la ville d'Altina, et depuis bien des années il s'était réfugié dans le royaume des Francs, c'est à dire dans la ville d'Agonte.

V.

Or donc Narsès soumit ou détruisit toute la nation des Goths, et fut également heureux avec les Huns; mais comme il avait acquis de grandes richesses, il excita l'envie des Romains qui parlèrent ainsi à Justin et à sa femme Sophie de quoi sert-il aux Romains d'obéir aux Grecs plutôt qu'aux Goths, puis qu'ils sont gouvernés par l'Eunuque Narsès, qui nous opprime à l'insu de notre Prince, ou délivrez-nous de cette servitude, ou bien nous nous livrerons aux nations avec notre ville de Rome. — Narsès ayant su ce que l'on disait de lui, répondit en ces termes. Si j'ai mal fait avec les Romains je m'en trouverai mal. — L'Auguste Empereur fut tellement irrité de cette réponse, qu'il envoya tout de suite Longin en Italie, pour gouverner ce pays à la place de Narsès. Celui-ci craignait si fort l'Impératrice qu'il ne voulut point retourner à Constantinople. On dit qu'entre-autres choses, elle lui fît dire, qu'étant Eunuque, il ferait bien de venir dans le Gynécée pour distribuer les laines aux jeunes filles. Mais Narsès répondit qu'il lui ourdirait une toile, qu'elle n'userait de tout le temps de sa vie. Or donc se trouvant à Naples et partagé entre la haine et la crainte, il envoya vers les Lombards, leur faisant dire d'abandonner leurs pauvres campagnes de la Pannonie, et de venir occuper l'Italie, qui était remplie de toutes sortes de richesses. Et en même temps il leur envoya toutes sortes de fruits que possède l'Italie. Les Lombards reçurent agréablement des offres aussi avantageuses, et élevèrent leurs âmes sur leurs grandeurs futures. Pendant ce temps-là on vit toutes les nuits en Italie des signes terribles. Des armées de feu paraissent dans le ciel, et marquèrent tout le sang qui fut répandu depuis.

VI.

Alboin devant aller en Italie avec les Lombards, demanda encore des secours à ces anciens amis les Saxons, afin d’être plus en force pour occuper un si grand pays. Les Saxons vinrent au ombre de vingt mille hommes, avec leurs femmes, et leurs enfants. Clotaire et Sigebert Rois des Francs, ayant appris cette émigration, mirent des Souabes et d'autres nations dans les endroits que les Saxons avaient abandonnés.

VII.

Alors Alboin céda son propre pays ; c'est à dire la Pannonie à ses amis les Huns, à condition de le rendre, au cas que les Lombards fussent obligés d'y revenir. Ainsi les Lombards quittèrent la Pannonie, menant avec eux leurs femmes, leurs enfants, et tout leur mobilier. Ils avaient demeuré en Pannonie pendant quarante-deux ans, et ils en sortirent au mois d'avril, à la première indiction, le lendemain de Pâque, et cette fête selon le calcul rationnel, s'est trouvée aux calendes d’avril comme 568 ans s’étaient écoulées depuis l'incarnation

VIII.

Or donc le Roi Alboin arriva aux frontières de l'Italie une immense multitude, et il monta sur une haute montagne, d'où il pût contempler une partie de l'Italie et depuis lors cette montagne fut appelée le mont du Roi. L'on dit qu'il se trouve dans ces montagnes des Bizons sauvages, et cela n'est pas surprenant puisqu'elles vont jusques en Pannonie où ces animaux se trouvent également. Enfin un vieillard m'a raconté qu'il avait vu le cuir d'un de ces Bizons sur lequel quinze hommes pouvaient se coucher l'un à côté de l'autre.

IX.

Alboin traversa le Frioul sans obstacle, et arriva aux frontières de la Vénétie qui est la première province d'Italie, et alors il commença à songer à qui il donnerait le gouvernement du pays qu'il avait déjà pris. Car l'Italie s'étend vers le midi ou plutôt vers l'Eurus, et elle est entourée par les flots de l'Adriatique et de la mer Tyrrhénienne, et vers le nord elle est fermée par des montagnes, en sorte que l'on ne peut y pénétrer que par des gorges étroites. Mais du côté de l'orient où l'Italie touche à la Pannonie, l'entrée en est plus facile. Or donc Alboin après avoir pensé à qui il confierait le gouvernement de cette province, se détermina pour Gisulf son neveu, qui était un homme singulièrement propre à toutes sortes de choses, et alors il remplissait l'emploi de Strateur. Ce qu'ils appellent Marpahis. Si bien qu'Alboin voulut donner à Gisulf le gouvernement de Forum Julii et de toute la province qui en dépendait. Mais Gisulf ne voulut l'accepter qu'au cas où on lui permettrait de choisir entre les Lombards, les Faras qu'il voudrait. C'est à dire les générations où lignages. Le Roi lui accorda sa demande et il commença à habiter le Frioul avec les principales familles des Lombards. Enfin il demanda les haras des chevaux les plus généreux et cette demande fut accordée par la libéralité du Prince.

X.

Dans ces temps-là, lorsque les Lombards envahirent l'Italie. Clotaire Roi des Francs était mort, et ses quatre fils avaient partagés entre eux le royaume de leur père. Le premier était Aripert qui résidait à Paris. Le second Gontran qui résidait à Orléans, le troisième Chilpéric qui résidait à Soissons à la place du Roi son père. Le quatrième Sigebert qui résidait à Metz. Le saint Pape Benoît gouvernait l'église de Rome et le vénérable Paul était Patriarche d'Aquilée. Celui-ci craignant les Lombards, s'enfuit dans l'île de Grado, avec tout le trésor de son Eglise.

Pendant cet hiver-là, il tomba de la neige dans la plaine autant que l'on en voit sur les montagnes dans les autres années, et l'été suivant, la fertilité surpassa tout ce que l'on avait vu ou entendu jusqu'alors.

Dans ce temps-là, les Huns appelés Avares, Ayant appris la mort de Clotaire, attaquèrent son fils Sigebert. Celui-ci vint à leur rencontre en Thuringe, les vainquit près de l'Elbe et les força à demander la paix. Ce Sigebert épousa Brunechilde, qui venait d’Espagne, et il en eut un fils qui fut appelé Childebert. Les Avares livrèrent encore une bataille, dans le même lieu que la précédente, et furent victorieux.

XI.

Narsès quitta la Campanie et vint à Rome où il mourut peu de tenu après. Son corps fut mis dans un coffre de plomb et transporté à Constantinople avec toutes ses richesses

XII.

Alboin vint au fleuve Alp et y trouva Félix Evêque de Trévise, celui-ci lui demanda tous les biens de son église et le Roi les lui confirma par sa pragmatique.

XIII.

Mais puisque nous faisons mention de ce Félix, il conviendrait de dire quelque chose de Fortunatus, homme vénérable et sage, et qui dit que ce Félix a été son compagnon. Or donc ce Fortunatus est né dans le lieu appelé Duplavilis. Non loin de la ville de Cenit où de celle de Trévise. Mais il fut élevé à Ravenne où il apprit la grammaire, la Rhétorique, et se rendit même célèbre dans la métrique. Il souffrait beaucoup des yeux aussi bien que son compagnon Félix, c'est pourquoi tous les deux allèrent à l'église de saint Paul et de saint Jean, qui est dans cette ville. Et dans cette église il y a aussi un autel consacré à saint Martin confesseur. Près de cet autel est une fenêtre dans laquelle il y a une lanterne. Fortunat et Félix prirent de l'huile qui était dans cette lanterne et se frottèrent les yeux avec, aussitôt la douleur cessa, et ils furent parfaitement guéris. C'est pourquoi Fortunat conçut une si grande vénération pour saint Martin qu'il voulut aller à Tours, visiter le sépulcre de ce saint homme. Et c'est aussi ce qu'il fit quelques années avant l'invasion des Lombards. Il raconte dans ces vers qu'il passa par les fleuves Menti et Rouna, par l'Osupe, et les Alpes Juliennes, par la ville d'Aguntum. Par les fleuves Drawus et Byrrus par les Brioniens et la ville d'Augusta qui est arrosée par le Vindo et le Lech. Après s'être acquitté de son vœu à Tours, il passa par Poitiers et s'y établit. C'est là qu'il écrivit la vie de beaucoup de saints, partie en prose et partie en discours métrique. C’est aussi dans cette ville qu'il fut ordonné d'abord prêtre, et ensuite Evêque, et son corps y repose encore, honoré de la plus digne sépulture. Fortunat écrivit la vie de saint Martin en vers héroïques en quatre livres, et beaucoup d'autres ouvrages, des hymnes pour toutes les fêtes, et des petits vers à chacun de ses amis. Il ne le cédait à aucun poète, pour la douceur, et l'expression disserte. Ayant été là par dévotion, je fus voir son tombeau. Aper, Abbé de ce lieu-là, me pria de lui composer une épitaphe ce que je fis aussi.

Nous avons dit ce peu de mots sur l'histoire de ce grand homme, afin que ses concitoyens ne restassent pas dans une entière ignorance à son égard, et à présent je reviens à la suite de notre histoire.

XIV.

Or donc Alboin, prit Vicence, Vérone, et toutes les autres villes de la Vénétie à l'exception de Padoue Monte Silico, et Mantoue; car la Vénétie n'était pas comprise dans ce petit nombre d'îles que nous appelons Venise, mais elle s'étendait depuis la Pannonie jusqu'à l'Adige, et cela est prouvé par les livres des Annales où il est dit que Bergame est une ville des Véneries; et les Histoires disent la même chose du lac de Benaco. Benacus lac des Vénétie dont sort le fleuve Mintis. — Les latins ajoutent une lettre mais les Grecs disent Eneti, ce qui veut dire Louables. L'Istrie est ajoutée à la Vénétie, et les deux provinces ne sont comptées que pour une. Le nom d'Istrie vient du fleuve Ister qui selon l'histoire Romaine était autrefois plus ample qu'il est aujourd'hui. Aquilée était autrefois la capitale de la Vénétie, et aujourd'hui c’est Forum Julii. Ainsi appelé parce que Jule César y fonda une place de commerce.

XV.

Je crois qu'il ne sera pas hors de sa place que nous dirions quelque chose sur les autres provinces de l'Italie, La seconde province de l'Italie, est la Ligurie ainsi nommée des Légumes que l'on y cultive en abondance. C’est là qu'est Milan et Ticinum, que l'on appelle aussi Pavie, cette province s'étend jusques-aux confins des Gaulois. Entre la Ligurie et la Suave, qui est le pays des Allemands, il y a deux provinces, sa voir la Rhétie première et la Rhétie seconde, ces deux provinces sont au milieu de ces Alpes, qui sont proprement habitées par les Rhétiens.

XVI.

La cinquième province s'appelle les Alpes Cotiennes, du Roi Cottius qui vivait du temps de Néron. Elles s'étendent de la Ligurie vers l’Eurus jusqu’à la mer. Tyrrhénienne, et vers l'occident, elles touchent aux frontières.des Gaulois. C'est là que sont les eaux chaudes, Dertona, le monastère de Bobium, Gênes, et Savone.

La sixième province est la Thussie ainsi appelée du Thus ou encens, que ces peuples avaient coutume de brûler superstitieusement dans les sacrifices qu'ils faisaient à leurs Dieux.

Vers le Circius l'on y voit l'Aurélie et vers l'orient elle regarde l'Ombrie. C’est dans cette province qu'est la ville de Rome jadis capitale du monde. Dans l'Ombrie est Péruse, le Lac Clitorius, et Spolète. Elle s'appelle Ombrie parce-que le pays à autrefois souffert des pluies qui en latin s'appellent imbres.

XVII.

La septième province est la Campanie qui commence à Rome et qui s'étend jusqu'au Siler fleuve de la Lucanie. Là sont des villes très opulentes : Capoue, Naples et Salerne. Elle s'appelle Campanie à cause de la belle plaine de Capoue; car d'ailleurs elle est montueuse.

La huitième province est la Lucanie qui a pris son nom d'un petit bois. (Lucus) Elle commence au fleuve Siler, et à la Fratie ainsi appelée d'une certaine reine, et elle s'étend jusques au détroit de Sicile, le long de la mer Tyrrhénienne menant la corne droite de l'Italie. C'est là qu'est Pestum, Lanius, Cassianum, Consentia, et Rhégium.

XVIII.

La neuvième province est dans les Alpes apennines, ces Alpes traversent l'Italie par le milieu et commencent là où finissent les Alpes Cottiennes, d'abord elles séparent la Tuscie de l'Emilie, et l'Ombrie de la Flaminie: là sont les villes de Ferronianus, Montepellium Bobium, Urbinum, et un Bourg qui s'appelle Vérone; le nom d'Apennin, vient, de Pennique où Carthaginois. Car c'est par-là qu’Hannibal a passé pour venir à Rome, les Alpes Cottiennes et Apennines peuvent être regardées comme la même province. Mais Victorinus dans son histoire regarde les Alpes Cottiennes comme une Province séparée.

La dixième province est l'Emilie, qui commence à la Ligurie, et s'étend jusques à Ravenne entre les Alpes Apennines et le Pau. Elle est ornée de villes très riches telles que Plaisance, Parme, Régio, Bologne, et le forum de Cornélius, dont le château s'appelle Imola. Il y a des gens qui confondent l'Emilie avec la Valérie et la Nursie, mais leur avis ne saurait prévaloir puisque la Tuscie et l'Ombrie séparent l'Emilie, la Valérie et la Nursie.

XIX.

La onzième province est la Flaminie, qui est située entre les Alpes Apennines et la mer Adriatique. C'est là qu'est Ravenne la plus noble des villes, et cinq autres villes appelées en grec Pentapole. Il est sûr que l'Aurélie, l'Emilie, et la Flaminie sont ainsi appelées des grandes routes que l'on y avait pratiquées, et du nom de ceux qui les avaient construites.

La douzième province s'appelle le Picenum, ayant à l’Auster les Apennins et de l'autre côté la mer Adriatique. Cette province s'étend jusqu'au fleuve Piscarius. C'est là que sont les villes de Firmum, Asculum Pinnis, et Adria ville détruite qui à donné son nom à toute cette mer. Les habitants de cette province avaient fait la guerre aux Sabins, et comme ils revenaient chez eux, un Pivert se posa sur leur étendait et c'est de là que le pays à pris le nom de Picenum.

XX.

La treizième province est la Valérie à laquelle est annexée la Nursie, elle est située entre la Campanie, l'Ombrie et le Picenum, et vers l'orient elle atteint la région des Samnites. Sa partie occidentale commence à Rome, et s'appelle Etrurie, des anciens Etrusques. Là sont les villes de Tybulis, Carsilis, Reate, Furcona, Amiterne et la région des Marses, qui est un lac qu'ils appellent Fucin, je crois que la région des Marses doit être comptée dans la Valérie, parce que les anciens ne l'ont point décrite dans le catalogue des provinces de l'Italie. Mais si quelqu'un prouve par de bonnes raisons que l'on doit en faire une province séparée, alors l'on pourra toujours s'en tenir à son avis.

La quatorzième province est le Samnium, entre la Campanie, la mer Adriatique et l'Apulie, et il commence à Piscaria. Là sont les villes de Theate, Aufidene, Hisernia, et Samnium détruite par le teins et qui a donné son nom à toute la province, enfin le très riche Bénévent capitale de toute cette province. Les Samnites ont tiré leur nom des piques que les Grecs appellent Samia.

XXI.

La quinzième province est l'Apulie, à laquelle, est jointe la Calabre, dans laquelle est renfermée la région Salentine. Cette province est bornée à l'Occident et à l'Africus par le Samnium et la Lucanie, et à l'orient par l'Adriatique. Là sont les villes très opulentes de Luceria, Sepontum, Canusium, Agerentia, Brindes et Tarente qui est sur la corne gauche de l'Italie, laquelle s'étend à cinquante mille dans la mer; enfin c'est là qu'est la ville d'Hydronte, si favorable au commerce. Le nom de l'Apulie veut dire perdition, parce-que la grande chaleur du soleil y a bientôt détruit la verdure.

XXII.

La seizième province est l'île de Sicile, entourée de la mer Tyrrhénienne ou Ionique, le nom de la Sicilie lui vient d'un ancien chef appelé Siculus.

La dix-septième province est la Corse.

La dix-huitième province est la Sardaigne, qui, ainsi que la précédente, est entourée par la mer Tyrrhénienne. La Corse tire son nom de Corsus, et la Sardaigne de Sardus. Ce dernier était fils d'Hercule.

XXIII.

Il est pourtant certain, que les anciens historiens ont appelé Gaule Cisalpine, la Ligurie, une partie de la Vénerie, l'Emilie, et la Flaminie. Voilà pourquoi le grammairien Donatus, dit dans son exposition de Virgile; que Mantoue est dans la Gaule. Voilà aussi pourquoi il est dit dans l'histoire Romaine que Rimini fut bâti dans les Gaules parce que Brennus Roi des Gaulois qui régnait à Sens, vint en Italie, et le pays qu'il conquit fut appelé Seno-Gallie, à cause des Gaulois Sénonais. Et voici ce qui fit venir les Gaulois en Italie, une fois ils goûtèrent du vin qui en venait, et aussitôt ils voulurent y aller, cent mille de ceux-ci périrent par l'épée des Grecs non loin de l’île de Delphes (c'est à dire du temple de Delphes) cent mille autres allèrent dans la Galatie et furent d'abord appelés Gallo-Grecs et ensuite Galates. Et ce sont ceux à qui est adressée l'épître de Paul Docteur des nations. Cent mille Gaulois qui restèrent en Italie bâtirent Pavie, Milan, Bergame, Brescia, et ce pays fut appelé Gaule Cisalpine ce sont ces mêmes Gaulois Cénonois qui ont jadis envahi la ville de Romulus. Cisalpine est la Gaule qui est de ce côté ici des Alpes, et Transalpine est celle qui est de l'autre côté des Alpes.

XXIV.

L'Italie qui renferme toutes ces provinces tire son nom d'Italus chef des Sicules, qui l'a envahie autrefois. Peut-être aussi qu'on l'appelle Italie, parce que l'on y trouve ces grands bœufs que l'on appelle Italiens. Et c'est d'Italus, qu'en ajoutant une lettre on fait le diminutif vitalus, qui signifie un veau.

XXIV.

L'Italie s'appelle aussi Ausonie, d'Auson fils d'Ulysse. La région de Bénévent fut la première appelée ainsi, et puis ce nom fut donné à toute l'Italie. L'Italie s'appelle aussi Latium, parce que Saturne trouva le moyen de s'y cacher, lorsqu'il fut poursuivi par son fils Jupiter. Or donc à présent que nous avons assez parlé des provinces de l'Italie reprenons le fil de notre histoire.

XXV.

Alboin vint donc dans la Ligurie et à la troisième indiction, le troisième jour des nones de Septembre, il entra dans Milan, dont Honorât était Archevêque. Ensuite il prit toutes les villes de la Ligurie, à l'exception de celles qui sont sur le rivage de la mer. Mais l'Archevêque Honorât avait abandonné Milan, et s'était retiré à Gênes. Le Patriarche Paulus mourut après avoir géré le sacerdoce pendant douze ans, et Probinus lui succéda.

XXVI.

Dans ces temps-là Pavie se défendit trois ans contre l'armée des Lombards, qui l'assiégeait du côté de l'occident. Enfin Alboin s'empara de tout le pays. Jusqu'à la Toscane, à l'exception de Rome, de Ravenne et de quelques forteresses proches de la mer. Les Romains n'étaient point en état de résister tant à cause de la Peste, qui avait régné sous Narsès, qu'à cause de la famine, qui avait succédé à cette année d'abondance dont nous avons parlé plus haut ; de plus il est certain qu'Alboin conduisit en Italie beaucoup d'autres nations, soumises par lui, où par les Rois ses prédécesseurs. Et l'on voit encore aujourd'hui en Italie, des Bourgs habités par des Gépides, des Bulgares, des Sarmates des Pannoniens, des Souabes, des Norices et d'autres.

XXVII.

Or donc la ville de Pavie se rendit à Alboin après trois ans de siège. Et comme Alboin y entrait par la porte de saint Jean qui est à l'Orient de la ville, son cheval s'abattit au milieu de la porte, et ne voulut point se relever, quoiqu'il reçut force coups d'éperons, et que le Strateur le frappa de toutes ses forces. Alors un des Lombards s'adressa au Roi, et lui parla en ces termes: Seigneur Roi, rappelez-vous le vœu cruel que vous avez fait Renoncez-y, et vous entrerez dans cette ville, car elle est habitée par un peuple chrétien. — Il faut savoir qu'Alboin avait fait vœu de faire périr tout ce peuple par le Glaive, par la raison qu'il n'avait pas voulu se rendre tout de suite. Mais il renonça à son vœu, et promit de pardonner aux citoyens ; aussitôt son cheval se releva, et étant entré dans la ville, il ne fit de mal à personne. Tout le peuple vint à lui devant l'ancien palais, construit par Théodoric, et commençant à respirer après tant de misère, il se livra à l'espoir d'un avenir plus heureux.

XXVIII.

Alboin régna trois ans et six mois en Italie et périt par trahison de sa femme. Voici quelle fut la cause de sa mort. Comme il était à Vérone à un festin, et plus gai qu'il n'aurait dû, il fit venir la coupe faite du crâne de son beau-père Cunnimund, et l'ayant remplie de vin il la présenta à sa femme, en l'invitant à boire, dans la tête de son père. Et comme cela pourrait paraître impossible, moi disant la vérité dans le Christ, j'atteste que j'ai vu cette coupe à un certain jour de fête, entre les mains de Ratchis qui la montrait à ses convives.

Or donc Rosemonde conçut beaucoup de douleur de cette proposition, et sans en laisser rien paraître elle jura aussitôt de venger la mort de son père par celle de son époux. D'abord elle s'en ouvrit à Helmichis frère de lait du Roi et qui avait auprès de lui la charge de Schilpor c'est-à dire écuyer. Celui-ci persuada à la reine d'admettre dans son projet Peredée qui était un homme très vaillant; la reine le fit, mais Peredée se refusa à tremper dans ce crime. Ce Peredée couchait toutes les nuits avec la femme de chambre (Vestiaria) de la Reine la Reine se mit pendant la nuit dans le petit lit de sa femme de chambre et Peredée coucha avec elle sans le savoir. Lorsque ce crime fut commis la Reine lui demanda avec qui il croyait avoir couché. Peredée dit le nom de son amie avec laquelle il croyait être. Alors la Reine lui répondit: Tu es dans l'erreur, car je suis Rosemonde, et il faut à présent que tu tues Alboin, ou que tu périsses par son glaive. — Alors Peredée vit bien qu'il ne lui restait d'autre parti à prendre qu'à consentir aux désirs de la Reine.

Comme Alboin se livrait au sommeil après-midi, Rosemonde fit faire silence dans le palais, et écarta toutes las armes, à l'exception de l'épée d'Alboin qui pendait au chevet de son lit et qu'elle avait eu la précaution de faire attacher au fourreau; alors cette femme plus cruelle que toutes les bêtes, introduisit le meurtrier Peredée, selon le conseil que lui avait donné Helmichis. Alboin se réveilla et voyant le péril qui le menaçait, il voulut tirer son épée, mais ne pouvant y parvenir, il prit l'escabeau qui était sous ses pieds et se défendit quelque temps. Mais ne pouvant faire aucun mal à son ennemi, il finit par succomber. Ainsi périt comme un homme inerme, et par les conseils d'une petite femme (muliercula) ce grand Roi, qui s’était rendu fameux par le massacre de tant de nations ennemies. Les Lombards le pleurèrent et l'enterrèrent sous un certain escalier qui était proche du palais.

Alboin était d'une belle taille, et semblait formé exprès pour la guerre. De nos jours, Giselbert, qui avait été Duc de Vérone fit ouvrir son tombeau, et y trouva son épée, et s’il y a trouvé quelque ornement, il l'aura volé. Ensuite il s'est vanté d'avoir vu Alboin, vanité ordinaire chez les ignorants.

XXIX.

Alboin ayant été tué, Helmichis, chercha à s'emparer de la royauté mais il ne put y parvenir, car les Lombards qui regrettaient Alboin, ne cherchaient qu'à le faire périr. Rosemonde envoya à Ravenne informer le préfet Longin de ce qui s'était passé et lui demanda un vaisseau, pour pouvoir partir en toute diligence ; Longin, charmé de la mort d'Alboin, envoya le vaisseau, où Rosemonde s'embarqua avec Albsuinde sa fille et Helmichis qu'elle avait déjà épousé, emportant encore tous les trésors des Lombards, et ils arrivèrent ainsi à Ravenne.

Longin commença à persuader à Rosemonde de tuer Helmichis, et de l'épouser. Celle ci qui était toujours prête à commettre une méchanceté, et qui désirait dominer à Ravenne, présenta une coupe empoisonnée à Helmichis au moment où il sortait du bain. Mais celui-ci sentant qu'il avait bu la mort, tira son épée et força Rosemonde à boire ce qui restait dans la coupe; et ainsi périrent deux meurtriers, par la volonté toute puissante de Dieu

XXX.

Ceux-ci ayant péri, Longin prit avec lui Albsuinde et les trésors des Lombards, et se rendit à Constantinople auprès de Tibère. Quelques-uns disent que Peredée était allé à Ravenne avec Helmichis et Rosemonde, et de là à Constantinople avec Albsuinde, et que là il tua un lion énorme en présence de l'Empereur et de tout le peuple; et ils disent que l'Empereur voyant sa force, lui fit crever les yeux dans la crainte qu'il ne machina quelque chose dans la ville royale, et que celui-ci au bout de quelque temps, se fit faire deux couteaux qu'il cacha dans ses manches. Puis il demanda à parler à l'Empereur, pour lui révéler des choses très importantes. L'Empereur lui envoya deux Patrices de ses amis en qui il avait le plus de confiance. Peredée s'approcha d'eux comme pour leur parler à l'oreille, et leur donna à chacun un si violent coup de couteau, qu'ils expirèrent à l'instant. Il vengea la perte de ses yeux, par celle de deux hommes très utiles et que l'on pouvait regarder comme les yeux de l'Empire. Cette vengeance l'assimilait à Samson, cet homme si fort.

XXXI.

Les Lombards élurent d'une voix unanime pour leur Roi Cleph, le plus noble d'entre eux ; cette élection eût lieu à Pavie. Celui-ci fit beaucoup de mal aux Romains qui éraient encore restés en Italie; il fit périr les uns par le glaive et força les autres à s'expatrier. Il régna un an et six mois avec sa femme Messana, et périt par la main d'un jeune garçon de sa suite qui l'égorgea avec son épée.

XXXII.

Après la mort de Cleph, les Lombards furent dix ans sans avoir de Rois ; mais seulement des Ducs, et chaque Duc eût sa ville en propre. Zabun eût Pavie, Vaillari eût Bergame. Alachis eût Bresse, Evin eût Trente, Gisulf eût le Frioul, et outre ceux-là il eût encore trente autres Ducs, dont chacun eût une ville en propre : leur cupidité fit périr beaucoup de nobles Romains, le reste partagé entre les Lombards leur donnait le tiers de la récolte. Sept ans après l'arrivée d'Alboin, l'Italie était soumise à tous ces Ducs, mais ses églises étaient renversées, les prêtres tués, les villes détruites, et les peuples anéantis, à l'exception des pays qui avaient d'abord été pris par Alboin

 

LIVRE III

I.

Quelques Ducs Lombards entrèrent dans les Gaules avec une forte armée. Hospitius, homme de Dieu, qui s'était volontairement reclus près de Nice, avait eu dès longtemps une révélation de leur arrivée et l'avait prédite aux citoyens de cette ville ; cet homme était singulier par son abstinence, et les épreuves auxquelles il soumettait sa chair, car il s'entourait de chaînes, et mettait un cilice par-dessus, il ne mangeait que du pain avec quelques dattes. Pendant le Carême il ne se nourrissait que d'Herbes d'Egypte dont usent les Ermites, et que les marchands lui fournissaient. Le seigneur opéra de grandes choses par son moyen, et on les trouve écrites dans les livres de Grégoire Evêque de Tours. Or donc il prédisait en ces termes : Les Lombards viendront dans les Gaules, et dévasteront sept villes dont la malice aura cru sous les yeux du Seigneur; car le peuple y est adonné au parjure. Nuisible par ses voleries, intentionné aux rapines, prompt aux homicides, et le fruit de la justice y est inconnu. Les dimes n'y sont point payées. Le pauvre n'y est point nourri, l'homme nu n'y est point couvert et habillé par le riche. Une plaie viendra sur ce peuple. — Et puis parlant à ses Moines, il leur dit: Sortez de ce lieu, et prenez ce qui vous appartient, car la nation que j'ai prédite s'approche déjà. — Les Moines répondirent : Saint Père nous ne vous abandonnerons pas. — Mais il leur dit : Ne craignez pas pour moi, car il y a dans l'avenir qu'ils me feront injure ; mais qu'ils ne me donneront pas la mort.

II.

Les Moines s'étant retirés, l'armée des Lombards approcha, et comme ils dévastaient tout, ils arrivèrent au lieu où le saint homme était reclus. Et il se montra à eux par une fenêtre de la Tour. Ils l'entourèrent, mais ne pouvant trouver aucune entrée, deux d'entre eux montèrent sur le toit et se mirent à le découvrir pour voir dans la tour; et voyant qu'il était entouré de chaînes et revêtu d'un cilice, ils dirent : C'est sûrement un malfaiteur qui à commis quelque homicide. — Puis ils lui firent demander de quel crime il était coupable. Le saint homme confessa qu'il était homicide et coupable de tous les crimes. Alors un Lombard voulut lui couper la tête, mais comme il portait le coup, sa main se raidit tout à coup, et il ne put plus la ramener à lui; c'est pourquoi il laissa tomber son épée. Ses compagnons voyant cela poussèrent des cris vers le ciel, et prièrent le Saint de leur enseigner avec bonté ce qu'ils avaient à faire. Le saint guérit le bras avec un simple signe de croix. Et le Lombard, qu'il avait ainsi guéri se convertit tout de suite à la foi du Christ et fut fait clerc, puis moine et passa dans-ce lieu là le reste de ses jours. Saint Hospitius, continua à prêcher la foi aux Lombards. Deux Ducs qui l'avaient écouté avec respect, retournèrent sains et saufs dans leur patrie; les autres, qui l'avaient méprisé, périrent misérablement.

III.

Or donc les Lombards dévastèrent les Gaules, et Amatus, Patrice de cette Province qui obéissait aux Rois des Francs, marcha contre eux, mais il fut battu et prit la fuite mais il fut tué dans sa fuite. Les Lombards firent là un si grand carnage des Bourguignons, que l'on ne put savoir au juste le nombre des morts; puis ils retournèrent en Italie, chargés d'un butin inestimable.

IV.

Alors Ennius que l'on appelle aussi Mumulus, reçut l'honneur du patriciat. Les Lombards entrèrent encore une fois dans les Gaules et vinrent jusques à Mustiascalmes qui est près de la ville d'Embrun. Mumulus y vint avec son armée, les entoura, fit des abatis dans les forêts, et par ce moyen, il en tua un grand nombre, et en prit aussi quelques uns qu'il envoya à son Roi Gontran. Les Lombards obtinrent qu'on leur rendit leurs prisonniers et s'en retournèrent en Italie.

V.

Ensuite les Saxons qui étaient venus en Italie avec les Lombards entrèrent dans les Gaules. Et posèrent leur camp dans le territoire de Rhege près de Stablo, de là ils dévastèrent tous les environs. Mumulus, l'ayant appris tomba sur eux avec une armée, et ne cessa de les tuer jusqu'à la nuit; car il trouva en eux des hommes très ignorants, et qui ne savaient rien des choses qui étaient arrivées. Le Lendemain matin les Saxons se rangèrent encore en bataille, mais des députés se mirent entre deux et l'on fit la paix. Les Saxons firent des présents à Mumulus, abandonnèrent leur butin et leurs captifs, et s'en retournèrent en Italie.

VI.

Or donc les Saxons de retour en Italie. Songèrent à prendre avec eux leurs femmes, leurs enfants et tous leurs meubles et à retourner dans les Gaules avec l'intention de rentrer dans leur patrie, par le secours du Roi Sigebert. Il est certain que ces Saxons étaient venus en Italie avec leurs femmes et leurs enfants dans l'intention d'y habiter, mais on peut conjecturer qu'ils ne voulaient pas rester soumis aux Lombards, et que les Lombards ne voulaient pas les laisser indépendants et c'est là probablement ce qui leur fit désirer de retourner dans leur Patrie.

Les Saxons résolurent d'entrer en France par deux endroits; c'est pourquoi ils formèrent leur armée en deux coins, dont l'un prit le chemin de Nice, et l'autre celui d'Embrun qu'ils avaient fait l'année dernière. Et comme c'était le temps de la moisson, ils n'eurent pas de peine à se nourrir, eux et leurs chevaux. Ils enlevaient aussi tous les bestiaux et ne s'abstenaient point des incendies.

Etant arrivés au Rhône, ils le passèrent et entrèrent dans le royaume de Sigebert; alors Mumulus vint à leur rencontre avec une grande Multitude. Les Saxons effrayés donnèrent beaucoup de pièces d'or pour leur rançon et obtinrent la permission de continuer leur route. En chemin ils trompèrent beaucoup de monde, car ils vendaient des barres de cuivre, colorées par je ne sais quel art, en sorte qu'elles semblaient être d'or éprouvé; en sorte que quelques hommes trompés par eux donnèrent de l'or pour du cuivre et devinrent très pauvres. Les Saxons rendus auprès de Sigebert obtinrent la permission de retourner aux lieux dont ils étaient sortis autrefois.

VII.

Les Saxons de retour dans leur Patrie la trouvèrent occupée par les Souabes, et d'autres nations, ainsi que nous l'avoua dit plus haut, et ils s'efforcèrent de détruire ces nations. Mais les nations leur offrirent la troisième partie du pays et leur dirent: Nous pouvons vivre ensemble et sans collisions réciproques. — Les Saxons refusèrent. Alors les nations leur offrirent la moitié du terrain, puis les deux tiers, ne se réservant qu'on seul tiers. Enfin ils leur offrirent tout le pays avec les bestiaux, seulement pour qu'ils cessassent de leur faire la guerre; mais les Saxons refusèrent toujours et avant la bataille ils arrangèrent comment ils partageraient entre eux les femmes des Souabes ; mais l'événement ne répondit pas à leurs espérances, car ils perdirent la bataille ; vingt mille Saxons furent tués et seulement quatre cents quatre-vingt Souabes. Les six mille Saxons qui restaient firent le vœu de ne couper ni leurs cheveux ni leur barbe jusques à ce qu'ils se fussent vengés, et ils recommencèrent la guerre; mais ils furent encore battus et forcés au repos.

VIII.

Ensuite trois Ducs Lombards firent une irruption dans les Gaules, à savoir Amon, Zaban, et Rhodanus. Amon passa par Embrun et vint à Mâcon, que le Roi avait donné à Mummullus. Zaban passa par le Diois et vint à Valence, Rhodanus vint à Grenoble.

Amon conquit aussi la ville d'Arles avec toute la province et les villes des environs, jusques à ce camp de pierre, qui est proche de Marseille et il dévasta tous les lieux où il passait. Il mit aussi le siège devant Aix; mais il le leva pour vingt-deux livres d'argent que lui donnèrent les habitants.

Rhodanus et Zaban se livrèrent aussi aux incendies et aux rapines, et démolirent les lieux par où ils passaient Toutes ces choses ayant été rapportées au Patrice Mummulus, il rassembla une puissante armée, et vint d'abord à Rhodanus qui assiégeait Grenoble, il battit son armée, le blessa lui-même, et le força à gagner les sommets des montagnes. Rhodanus qui n'avait plus que cinq cents hommes passa par certains défilés, vint trouver Zaban qui assiégeait Valence, et lui raconta ce qui s'était passé. Cependant ils continuèrent tous les deux à dévaster et vinrent ainsi, jusqu'à Embrun où ils rencontrèrent encore Mummulus qui les battit. Alors Zaban et Rhodanus gagnèrent l'Italie et vinrent à Suse, que Sisinnius alors maître de la milice tenait au nom de l'Empereur. Le fils de Mummulus y vint avec des lettres de son père, et annonça sa prochaine arrivée. Alors Zaban et Rhodanus s'en retournèrent chez eux. Amon voulut aussi reprendre le chemin de l'Italie avec tout le butin qu'il avait fait, mais les neiges l'obligèrent à en abandonner la plus grande partie, et à peine il pût passer avec les siens le sentier des Alpes.

IX.

Dans ces temps-là, le château d'Anagni se rendit aux Francs, c'est pourquoi Ragilon comte des Lombards de Ragale vint à Anagni et le dévasta; mais à son retour comme il était dans le camp Rotalien, Cramnichis Duc des Francs y vint et le tua avec beaucoup des siens. Cramnichis vint peu de temps après à Trente et pilla la ville. Mais Evin Duc des Trentins le poursuivit l'atteignit au lieu appelé Salurnis et le tua, après quoi il se remit en possession du territoire de Trente.

X.

Dans ce temps-là Sigebert Roi des Francs fut tué, par la fraude de son frère Chilpéric, avec qui il était en guerre. Son fils Childebert encor enfant lui succéda, et régna conjointement avec sa mère Brunehilde. Evin Duc des Trentins, dont nous avons parlé plus haut, épousa la fille de Garibald.

XI.

Dans ces temps-là le jeune Justin régnait à Constantinople, homme fort adonné à l'avarice contempteur des pauvres, et Spoliateur des Sénateurs. Il avait des coffres de fer dans lesquels il renfermait tout l'or que sa cupidité avait ramassé. On dit aussi qu'il était tombé dans l'hérésie de Pelage. Et comme il avait détourné les oreilles de son cœur des commandements de Dieu, par un juste et divin jugement il perdit l'intelligence de la raison et devint fou. Il fit venir Tibère César pour gouverner le palais et quelques provinces. C'était un homme Juste, utile, vaillant, sage, charitable, équitable dans ses jugements, illustre par ses victoires, et ce qui est plus que tout cela véritable Chrétien. Mais comme il donnait aux pauvres une grande partie de ce que Justin avait ramassé, l’impératrice Sophie le grondait souvent en lui disant : Ce que j'ai passé tant d'années à ramasser tu le disperses en peu de temps. — Mais il répondait: Je me confie dans le seigneur, car l'argent ne manquera jamais à notre trésor tant qu'on l'emploiera à faire l'aumône aux pauvres et à racheter des captifs, car le seigneur a dit : Thésaurisez dans le ciel où il n'y a ni rouille ni mites, ni voleurs qui creusent sous terre; ainsi ramassons dans le ciel, et le seigneur ramassera pour nous dans le siècle. — Enfin Justin mourut fou après avoir régné onze ans. C'est alors que Narsès faisait la guerre aux Goths et aux Francs, et nous l'avons conté plus haut par anticipation. C'est alors aussi que le Pape Benoît faisant venir d'Egypte, plusieurs milliers de sacs de froment, sauva Rome des horreurs de la famine.

XII.

Justin étant mort, Tibère Constantin lui succéda et fut le cinquantième Roi des Romains, et comme il faisait de grandes aumônes dans le temps qu'il gouvernait le palais, Dieu lui fit avoir des trésors considérables. Une fois qu'il se promenait dans le palais, il aperçut dans le parquet une table de marbre, sur laquelle était gravée une croix, et il dit: Voyez, nous foulons à nos pieds la croix du seigneur que nous devrions porter sur nos fronts et nos poitrines. Et aussitôt il la fit enlever. Mais dessous on trouva une autre table également marquée d'une croix, l'Empereur la fit aussi enlever et trouva dessous une troisième table de marbre aussi marquée d'une croix, l'Empereur la fit aussi enlever et l'on trouva dessous un trésor qui contenait plus de mille quintaux d'or; l'Empereur prit cet or, et donna encore plus d'aumônes qu'il n'avait fait par le passé.

Narsès dont nous avons parlé plus haut, ayant de grands trésors, voulut les cacher dans une grande maison qu'il avait dans une certaine ville d'Italie, c'est pourquoi il y fit construire secrètement une citerne, et y déposa plusieurs milliers de quintaux d'or et d'argent. Après quoi il fit mourir tous ceux qui savaient son secret à l'exception d'un vieillard dont il exigea le serment le plus fort. Narsès mourut et le vieillard vint trouver l'ibère, et lui dit: O César j'ai une chose importante à vous dire et je vous la dirai si j'y trouve quelque profit. — Tibère lui répondit : Dis ce que tu veux, si c'est une chose qui nous soit utile, tu y trouveras ton profit. — Alors le vieillard dit : Je sais où est caché le trésor de Tarses, et me trouvant proche du terme de ma vie, je veux en révéler le secret. — César Tibère l'entendit avec beaucoup de plaisir et envoya ses garçons avec le vieillard ; ceux-ci le suivent étonnés, enfin ils arrivent à la citerne, l'ouvrent, et y trouvent tant d'or et d'argent qu'il fallut bien des jours pour l'emporter. Et l'Empereur, suivant son humeur charitable, donna le tout aux pauvres.

Comme Tibère devait recevoir la couronne impériale, et que le peuple l'attendait dans le cirque selon la coutume pour voir le spectacle, bien des gens lui préparaient des embûches, pour mettre sur le trône son neveu Justinien. Mais Justin passant par les lieux saints, fit venir le Pontife de la ville, et les Consuls, mit la couronne sur sa tête, se revêtit de la pourpré et entra ainsi dans le palais aux acclamations du peuple ; et ses ennemis en furent couverts de confusion. Peu de jours après Justinien vint se jeter aux pieds de l'Empereur qui lui pardonna, lui fit présent de quinze quintaux d'or, et le fit demeurer avec lui dans le palais.

Mais l'Impératrice Sophie, oubliant ce qu'elle avait autres fois promis à Tibère, lui tendit aussi des embûches, et comme il allait à la campagne au temps de vendanges pour y passer trente jours, selon le rite impérial, elle fit venir en secret Justinien et voulut le faire couronner. Tibère l'ayant survint au plus vite à Constantinople, fit prendre l'Impératrice, la dépouilla de ses trésors et ne lui laissa que ce qu'il lui fallait pour vivre, ensuite il lui ôta les garçons qui la servaient et lui en donna de ses fidèles, avec ordre qu'aucun des anciens n'eût accès chez elle. Pour ce qui est de Justinien il se contenta de le gronder, et dans la suite il l'aima tant, qu'il lui promit sa fille, et de faire épouser à son fils la fille de Justinien. Mais tout cela n'eut point lieu je ne sais pour quelle raison.

Tibère envoya une armée en Perse, et elle revint victorieuse, conduisant avec elle, vingt Eléphants chargés de tant de trésors, que l’on croit qu'il y en aurait pu avoir assez pour contenter la cupidité humaine.

XIII.

Chilpéric Roi des Francs envoya ses Ambassadeurs à Tibère, et il en reçut des ornements et des médailles d'or dont chacune pesait une livre ; d'un côté l'on y voyait l'image de l'Empereur, avec ces mots tout au tour: Tiberii, Constantini, Perpetui, Augusti. — Et de l'autre côté, un quadrige conduit par un homme avec ces mots: Gloria Romanorum. —

Dans ces temps-là saint Grégoire, qui n'était encore que Diacre et qui fut ensuite Pape remplissent la charge d'Apocrisiaire dans cette ville royale, et il y composa des livres de morale. Il disputa en présence de l'Empereur contre Eutychius Evêque de la même ville et le convainquit d'erreur au sujet de la résurrection.

Dans ces temps-là, Farvald vint à Spolète avec une flotte, et dépouilla cette ville de toutes ses richesses.

XIV.

Le Patriarche Probinus mourut à Aquilée après avoir dirigé cette église pendant un an et le prêtre Hélias lui succéda.

XV.

Tibère ayant régné sept ans, sentit que sa fin approchait ; c'est pourquoi, du consentement de l'Impératrice Sophie, il choisit pour son successeur, Maurice homme très vaillant et de race Cappadocienne. Il revêtit sa fille des ornements royaux; il la présenta à Maurice et lui dit : Je vous donne ma fille et le pouvoir suprême, soyez heureux; mais surtout n'oubliez jamais ce que vous devez à la justice. — Après avoir dit ces paroles, il ferma les yeux, et alla dans la patrie éternelle, laissant un peuple entier dans les larmes. Sa bonté était extrême, et il était prompt à donner l'aumône. Juste et très attentif dans ses jugements, ne méprisant personne, mais comprenant tout le monde dans sa bienveillance, aimant tous les hommes et aimé de tous. Après sa mort, Maurice se revêtit de la pourpre, mit la couronne et alla au cirque, où il fut proclamé par le peuple et lui fit des présents, il fut le premier Empereur de race grecque.

XVI.

Or donc les Lombards ayant été gouvernés dix ans par des Ducs, prirent pour Roi Autharis, fils de ce Cleph dont il a été question plus haut; et à cause de sa dignité, ils l'appelèrent Flavius, et tous les Rois Lombards qui sont venus depuis, ont heureusement porté ce prénom.

Pour la restauration du royaume, tous les Ducs d'alors donnèrent la moitié de leur bien, pour les usages royaux, afin de nourrir le Roi et sa cour. Et les peuples aggravés étaient partagés entre les hôtes des Lombards.[1]

Ce qu'il y avait d'admirable dans le royaume des Lombards, c'est que l'on n'y craignait ni les violences ni les trahisons. Personne n'injuriait, nul homme n'en dépouillait un, autre. Les vols y étaient inconnus, et chacun allait sans crainte où bon lui semblait.

XVII.

Dans ce temps-là l’Empereur Maurice envoya cinquante mille sous à Childebert Roi des Francs pour l'engager à faire la guerre aux Lombards en Italie, et les détruire. Childebert entra effectivement en Italie à l'improviste, et à la tête d'une armée innombrable. Les Lombards se renfermèrent dans les villes. Ensuite on s'envoya des ambassades réciproques, et la paix se fit moyennant des présents considérables. Childebert étant retourné dans les gaules, Maurice commença à lui redemander les sous, qu'il lui avait envoyés pour faire la guerre aux Lombards; mais Childebert, se confiant en ses forces, ne voulut seulement pas faire de réponse.

XVIII.

Alors Autharis mit le siège devant Brescike, ville située les bords du Pô, où s'était réfugié Droctulf Duc des Lombards, qui avait pris le parti de l'Empereur, et il s'y défendit très bien. Il tirait son origine des Souabes, c'est à dire des Allemands, mais il avait été élevé chez les Lombards et sa beauté lui avait mérité les honneurs du Duché, mais il se révolta contre les Lombards dès qu'il trouva une occasion de se venger de sa longue captivité. Mais les Lombards le forcèrent à se retirer à Ravenne, Brexille fut prise et ses murs rasés. Autharis fit la paix pour trois ans avec Smaragdus Patrice qui résidait à Ravenne.

XIX.

Droctulf engagea souvent les soldats de Ravenne à faire la guerre, aux Lombards, et il fit construire une flotte avec laquelle il battit celle qui assiégeait la ville. Enfin il mourut et on lui éleva un tombeau devant la porte de l'église de saint Vital.

XX.

Le Pape Benoît étant mort, Pelage fut ordonné sans les ordres du Prince, parce que les Lombards bloquaient Rome et que personne ne pouvait en sortir; ce Pelage écrivit une lettre assez bonne, à Hélie Evêque d'Aquilée qui ne voulait pas recevoir trois Chapitres du Synode de Calcédoine; cette lettre fut écrite par saint Grégoire qui alors était Diacre.

XXI.

Pendant ce temps-là, Childebert Roi des Francs fit la guerre aux Espagnols, et leur gagna une grande bataille. Voici quelle était la cause de la guerre : Childebert avait marié sa sœur Ingonde à Herminigild fils de Lewigild Roi des Espagnols, Lewigild languissait dans l'hérésie d'Arrien, mais Herminigild converti par Léandre Evêque de Séville et touché par les exhortations d'Ingonde, embrassa la foi catholique. Et son père impie le tua d'un coup de hache le jour même de Pâque. Ingonde voulut fuir dans les Gaules ; mais elle tomba entre les mains d'un corps de soldats qui étaient sur cette frontière pour la garder contre les Goths, et elle fut conduite en Sicile où elle mourut, mais son fils fut envoyé à Constantinople à l'Empereur Maurice.

XXII.

Alors Maurice envoya encore vers Childebert pour l'engager à conduire une armée contre les Lombards. Childebert, croyant que sa sœur vivait encore et qu'elle était à Constantinople, fit ce qu'on lui demandait et entra en Italie. Mais tandis que l'armée des Lombards allait à sa rencontre, les Francs se brouillèrent avec les Allemands, et s'en retournèrent sans avoir rien fait.

XXIII.

Dans ce temps-là il y eut sur les confins de la Ligurie et de la Vénétie un déluge, tel qu'il n'y en n'avait pas eu depuis Noé. Les possessions et les fermes devinrent des ardoises il périt aussi beaucoup d'hommes et de bestiaux, et tous les chemins furent détruits. Le fleuve Atésis qui coule à Vérone s'enfla tellement que l'eau atteignit les plus hautes fenêtres de l'église de saint Zénon hors des murs Cependant saint Grégoire écrit qu'il n'entra point d'eau dans l'église. Une partie des murs de Vérone furent alors renversés. Cette inondation eut lieu le seize des Calendes de Novembre, au milieu de tonnerres tels que l'on en voit à peine en été. Deux mois après, une grande partie de Vérone fut détruite par un incendie.

Pendant ce déluge, le Tibre s'enfla tellement que les eaux passèrent par dessus les murs de Rome, et y occupèrent de vastes régions. Alors un dragon d'une grandeur étonnante traversa la ville en descendant le fleuve, accompagné de beaucoup d'autres serpents, et alla jusques à la mer.

Après cela régna la peste appelée inguinaire, qui fit périr tant de peuple, qu'à peine quelqu'un pouvait en réchapper. Le premier qui en mourut fut le Pape Pelage. Et après la mort du pasteur, le troupeau fut presque entièrement détruit.

XXIV.

C’est au milieu de ces tribulations que l'on élut Pape saint Grégoire qui était lévite; celui-ci ordonna une litanie septiforme, et tandis qu'on la chantait, dans moins d'une heure quatre-vingt hommes tombèrent morts. Cette litanie s'appelle septiforme, parce que le peuple qui la chante est partagé en sept parts. Dans le premier chœur était tout le clergé, dans le second tous les Abbés avec leurs moines, dans le troisième les Laïcs, dans le sixième les veuves, dans le septième les femmes mariées. Nous n'en dirons pas davantage ici sur saint Grégoire, par la raison que nous avons déjà écrit sa vie il y a plusieurs années dans laquelle nous avons mis tout ce qu'il y avait à en dire selon la ténuité de nos forces.

XXV.

Dans ces temps-là saint Grégoire envoya en Bretagne Augustin, Melitus, et Jean et leur prédication convertit les Angles.

XXVI.

Dans ces temps-là mourut Hélie qui avait été pendant quinze ans Patriarche d'Aquilée et Sévère lui succéda. Smaragdus Patrice de Ravenne vint alors à Grado, pour arracher Sévère de son église et le conduire à Ravenne avec trois autres Evêques; savoir: Jean Evêque de Parenza, Sévère et Vindemius, avec encore Antoine, vieux défenseur de l'Eglise. Smaragdus les força par beaucoup d'injures à donner la communion à Jean Evêque de Ravenne, Condamnateur des trois Chapitres, qui s'était séparé de l'Eglise Romaine du temps de Pelage ou de Vigile. Au bout d'un an ils retournèrent à Grado ; mais le peuple ne voulut plus les recevoir, et les autres Evêques non plus. Smaragdus fut saisi par le démon, et retourna à Constantinople et le Patrice Romain lui succéda.

Ensuite il y eut à Mariano un Synode de dix Evêques, où l'on reçut le Patriarche Sévère, qui donna le livre de ses erreurs, parce qu'il avait donné la communion aux condamnateurs des trois Chapitres. Les Evêques, qui résistèrent si bien à l'Hérésie, étaient Pierre d'Altino, Ingénu de Sabione, Junior de Vérone, Horante de Vicense, Rustique de Trévise, Fonteius de Feltrino, Agnellus de Acilio, Laurence de Luna. Tous ces Evêques communièrent avec le Patriarche, et de plus. Sévère Evêque de Parenza, le Patrice Jean, Vindemius, et Jean.

Dans ce temps-là le Roi Autharis envoya en Istrie une armée, à la tête de laquelle était Evin Duc de Trente. Ce gens là commirent de grands incendies, et rapportèrent au Roi beaucoup de butin.

D'autres Lombards assiégèrent dans l'île d'Amacis le maître de la milice Francion, qui depuis vingt ans tenait le parti de Narsès. Ce Francion se rendit avec son île au bout de six mois, et lui même obtint la permission de se retirer avec sa femme à Ravenne. L'on trouva dans cette île de grandes richesses, que diverses villes y avaient envoyées.

XXVII.

Dans ces temps-là le Roi Flavius Autharis envoya vers Childebert pour lui demander sa sœur en mariage. Childebert reçut agréablement les présents que lui avaient apportés les Ambassadeurs du Roi des Lombards et promit de lui donner sa sœur. Mais ensuite vinrent des Ambassadeurs du Roi des Goths d'Espagne pour demander la même sœur, et comme les Goths s'étaient depuis peu convertis à la foi catholique, Childebert leur promit aussi sa sœur.

XXVIII.

Ensuite Childebert envoya vers l'Empereur Maurice pour lui faire dire, que ce qu'il n'avait pas fait auparavant il allait le faire. C'est à dire qu'il allait faire la guerre aux Lombards, et bientôt après il entra en Italie. Les Lombards allèrent à sa rencontre, et remportèrent une victoire si complète que peu de Francs retournèrent dans les Gaules; et l'on ne sait point d'autre exemple d'un pareil carnage. Il est très extraordinaire que Secundus, qui à écrit sur l'histoire des Lombards, ait pu passer sous silence une pareille victoire. Tandis que l’on peut y voir, presque dans les mêmes termes les choses que nous avons dites sur les Francs.

 

XXIX.

Ensuite le Roi Flavius Autharis envoya en Bavière pour demander la fille du Roi Garibald; celui-ci reçut agréablement les Ambassadeurs d'Autharis et promit de lui donner en mariage sa fille Theudelinde. Les Ambassadeurs étant de retour, le rapportèrent à Autharis, qui désirant voir par lui-même sa promise, partit en toute diligence pour la Bavière n'emmenant avec lui qu'un petit nombre de Seigneurs Lombards qui lui étaient très fidèles, et un entre autres assez avancé en âge pour paraître le chef de l'Ambassade.

Toute l'Ambassade arriva heureusement à sa destination, et cet homme plus âgé fit le compliment d'usage, après quoi Autharis qui n'était connu de personne en Bavière s'approcha du Roi Garibald et lui dit : Le Roi Autharis mon maître m'a envoyé ici tout exprès pour voir sa future épouse qui doit être notre reine, et pour lui en rendre compte et lui dire quelle est sa figure. — Le Roi Garibald ayant entendu cela fit venir sa fille, Autharis la regarda longtemps d'un air satisfait et puis il dit : La personne de votre fille nous semble si belle que nous désirons beaucoup l'avoir pour notre reine; et comme un jour elle doit nous présenter à boire, nous désirerions si cela plaisait à votre puissance de recevoir de sa main un gobelet de vin. — Le Roi l'ayant permis l'on apporta du vin ; Theudelinde présenta d'abord le Gobelet à celui qui paraissait le principal personnage de l'Ambassade, ensuite à Autharis, qu'elle ne savait pas devoir être son mari. Autharis vida le Gobelet, et en le rendant, sans que personne s'en aperçut, il toucha la main de Theudelinde avec un de ses doigts, et passa ensuite ce doigt sur son propre visage en commençant par le front et en passant ensuite par le nez. Theudelinde raconta la chose à sa nourrice, ce qu'elle ne put faire sans beaucoup rougir. La nourrice après y avoir réfléchi, dit : Si cet homme n'était pas le Roi qui doit vous épouser, jamais il n'aurait osé vous toucher. Cependant ne parlons pas de cela dans la crainte que le Roi votre père ne vienne à le savoir. Au reste celui dont il est question, paraît bien digne de régner et de vous posséder. — Car Autharis était alors dans la fleur de son âge, ses cheveux blonds, flottaient à grandes boucles sur ses épaules, et son visage était assez beau. Enfin l'Ambassade prit congé du Roi, et sortit des frontières des Norices, car la province des Norices, que les Bavarois habitaient pour lors, à l'orient la Pannonie, à l'occident la Souabe, au midi l'Italie, et au nord le cours du Danube.

Lorsque l'on fut déjà sur les confins de l'Italie et prêt à prendre congé des Bavarois, qui accompagnaient l'Ambassade jusques aux frontières. Autharis se levant sur ses étriers, donna un grand coup de sa hache d'arme contre un arbre qui était près de lui, et l'y laissant enfoncée, il dit : Voilà les coups que porte Autharis. — Alors les Bavarois comprirent qu'il était lui-même Autharis.

Peu de temps après, la Bavière fut fort troublée par l'irruption des Francs, et Theudelinde s'enfuit en Italie avec son frère Gundoald, et comme elle fit annoncer son arrivée à Autharis, il alla à sa rencontre au camp de Sardis qui est au dessus de Vérone, et leurs noces furent célébrées avec beaucoup d'appareil et de joie.

Là se trouvait entre les autres Seigneurs Lombards, Agilulf Duc de Turin. Il y eut un orage, et le tonnerre tomba sur un pieu de l'enceinte du Roi. Agilulf s'écarta un moment près pour satisfaire aux besoins secrets de la nature, alors un garçon de son service vint le joindre, et comme la connaissance qu'il avait des arts diaboliques, lui donnait l'intelligence de ce que voulaient dire les coups de tonnerre, il dit à Agilulf : Celle que notre Roi vient d'épouser sera dans peu votre femme. — Agilulf répondit qu'il lui ferait couper la tête, s'il parlait de choses semblables, mais le garçon répondit : Je puis être tué mais les destinées ne peuvent être changées, et il est sûr que cette femme est venue en Italie pour vous épouser. — Et réellement cela arriva dans la suite.

Dans ce temps-là Ansul, parent d'Autharis fut tué près de Vérone, mais on ne sait pas bien quelle fut la cause de ce meurtre.

XXX.

Alors revint Grippon, que Childebert avait envoyé à Constantinople, et il raconta que l'Empereur l'avait reçu très honorablement et avait promis de venger les injures reçues à Carthage. Childebert envoya aussitôt une armée, commandée pat vingt Ducs, dont les principaux étaient Anduald, Olon, et Cedin. Olon s'étant approché mal à propos des murs de Bilitio, fut tué d'un coup de javelot. Et les Francs qui étaient sous son commandement s'étant dispersés pour piller, furent presque tous détruits.

Anduald et six autres Ducs des Francs arrivèrent à Milan, et campèrent sur les hauteurs. Là ils reçurent des Députés de l'Empereur qui leur annoncèrent que son armée arriverait dans trois jours, et ajoutèrent: Quand vous verrez brûler cette maison qui est sur la montagne, ce sera un signal de notre arrivée. — Les Francs attendirent six jours et ne virent arriver personne.

Cedin entra en Italie par la gauche avec trente Ducs il prît cinq châteaux dont il exigea les serments. Les Francs arrivèrent par Plaisance jusqu'à Vérone, prenant des villes qui se rendaient sur parole et qu'ils détruisirent ensuite. Les châteaux qu'ils détruisaient dans le Trentin sont Tesana, Maletum, Semiana, Appianum, FagitanCimbra, Vitianum, BrentonicumVolenes, Ennemase deux à Alsuca et deux à Vérone. Les Francs conduisirent aussi en captivité tous les habitants des châteaux susdits. Les Evêques intercédèrent pour le château de Ferruge, et chaque homme fut rançonné pour six cents sous.

Dans ce temps-là l'armée des Francs fut très incommodée des grandes chaleurs, et les dysenteries commencèrent à y rogner. Enfin au bout de trois mois, les Francs virent que cette expédition ne leur donnait aucun profit, qu'ils ne pouvaient pas se venger du Roi qui s'était fortifié près de Pavie, et que d'ailleurs ils mouraient de faim, c’est pourquoi ils prirent la résolution de retourner dans leur pays. Mais avant que de revoir leur sol natal, ils avaient vendu leurs habits et leur arme pour avoir de quoi vivre.

XXXI.

C’est vers ces temps-là que doit être arrivé ce que l'on raconte du Roi Autharis. L'on dit que passant par Bénévent il vint à Spolète et prit ensuite tout le pays jusqu'à Reggio, villa qui est à l'extrémité de l'Italie et voisine de la Sicile, et comme il y a là une colonne, posée au milieu des ondes de la mer, il alla à cheval jusqu'à cette colonne, et la touchant du fer de sa lance, il dit: Ici seront les frontières des Lombards. —-L'on assure que cette colonne subsiste encore et qu'on l'appelle la colonne d'Autharis,

XXXII.

Le premier Duc des Lombards à Bénévent s'appelait Zotto, et il gouverna cette province pendant vingt ans.

XXXV.

Pendant ce temps-là le Roi Autharis avait envoyé une Ambassade amicale à Gontran Roi des Francs, oncle de Childebert. Celui-ci reçut agréablement les Ambassadeurs, mais les renvoya à Childebert son neveu, afin que ce fût lui qui décida la paix avec les Lombards. Ce Gontran était un roi pacifique et renommé par sa grande bonté. Et il y a une de ses actions que nous voulons insérer ici, et nous le ferons d'autant plus volontiers qu'il n'en est point question dans l'histoire des Francs. Un jour que Gontran était à la chasse, ses compagnons couraient çà et là, dans la forêt et il resta seul avec un de ses plus fidèles serviteurs, et se sentant accablé de sommeil il appuya sa tête sur les genoux de ce serviteur et s'endormit. Alors un tout petit animal de la forme d'un reptile sortit de sa bouche, et courut le long des rives d'un ruisseau sans pouvoir le passer. L'homme sur le sein duquel il reposait, tira son épée la posa en travers sur le ruisseau et le petit animal s'en servant comme d'un pont passa le ruisseau et entra dans un trou de montagne, au bout de quelque teins il sortit du trou, repassa sur l'épée, et rentra dans la bouche de Gontran.

Gontran s'étant éveillé dit qu'il avait eu une singulière vision, il raconta avoir rêvé qu'il avait passé un fleuve, sur un pont de fer et qu'il était entré sous une certaine montagne où il avait trouvé beaucoup d'or. Alors son serviteur raconta ce qu'il avait vu lui-même; enfin on creusa dans ce lieu, et l’on y trouva un trésor inestimable que l'antiquité y avait déposé. Le Roi prit cet or et en fit faire un Ciboire d'une grandeur admirable l'orna de beaucoup de pierres précieuses et voulut l'envoyer à Jérusalem. Mais ne l'ayant pas pu, il le fit mettre, sur le tombeau de saint Marcellus qui est à Cavaillon, ville alors capitale du royaume de Gontran et ce Ciboire y est encore, et jamais on n'a fait un ouvrage qui par lui être comparé. Mais après avoir raconté en peu de mots un événement aussi remarquable, revenons à la suite de notre histoire.

XXXIV.

Tandis que ces Ambassadeurs étaient en France. Le Roi Autharis mourut à Pavie et l'on dit que ce fut par le poison. Il avait régné six ans. Aussitôt les Lombards envoyèrent vers Childebert pour lui annoncer la mort d'Autharis, et lui demander encore la paix. Childebert donna audience aux Ambassadeurs, et peu de jours après il les congédia en leur promettant la paix.

Pour ce qui est de Theudelinde, comme elle plaisait beaucoup aux Lombards, ils lui permirent de rester reine, et lui persuadèrent de choisir l'un d'entre eux, pour en faire son époux pourvu que ce fût un homme en état de les gouverner, Theudelinde après avoir pris conseil de quelques hommes prudents, choisit Agilulf, Duc de Turin. C'était un homme vaillant et tout fait pour régner.

Theudelinde fit aussitôt venir Agilulf et alla à sa rencontre jusques au Bourg de Laumellum. Lorsqu'Agilulf fut arrivé, après quelques compliments Theudelinde fit apporter du vin, elle bût la première et donna ce qui restait dans le Gobelet à Agilulf. Celui-ci bût et en rendant le Gobelet il baisa la main de la reine. La reine sourit en rougissant et lui dit qu'il ne devait pas lui baiser la main, mais la bouche, et après l'avoir élevé à ce baiser, elle s'ouvrit à lui sur leur noces prochaines. Bientôt après, elles furent célébrées avec une allégresse infinie. Agilulf qui était parent d'Autharis fut élevé à la dignité royale dès le mois de Novembre, mais ce n'est qu'à l'Assemblée générale des Lombards qui eût lieu au mois de mai à Milan qu'il fut reconnu de tous.

 

LIVRE QUATRE

I.

Agilulf que l’on appelle aussi Agon, ayant été confirmé dans la dignité royale, envoya en France Agnellus Evêque de Trente, pour tacher de ravoir les captifs Lombards, celui-ci y alla et ramena ceux que Brunehilde avait rachetés de son argent. Evin Duc de Trente alla aussi en France pour obtenir la paix; mais il revint sans avoir rien fait.

II.

Dans cette année là il y eut une grande sécheresse jusques au mois de septembre et il s'ensuivit une extrême famine. Le territoire des Trentins fut aussi affligé d'une grande quantité de sauterelles, plus grandes que les sauterelles ordinaires ; mais ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est qu'elles se nourrirent dans les prés et les marais, et ne touchèrent presque pas aux moissons, l'année suivante il en revint un pareil nombre.

III.

Dans ces temps-là, le Roi Agilulf, tua Minulf Duc de l'île de saint Julien, parce qu'il l'avait livrée auparavant aux Francs. Gaidulf Duc de Bergame se révolta; mais ensuite il donna des otages et fit la paix. Peu de temps après il se révolta de nouveau, et se renferma dans l'île Comacine où il trouva un trésor que les Romains y avaient laissé. Mais Agilulf entra dans l'île, chassa les hommes de Gaidulf et porta son trésor à Pavie. Gaidulf se réfugia de nouveau à Bergame où il rentra en grâce chez Agilulf. Le Duc Ulcfaris se révolta aussi, mais il fut assiégé, et pris à Trérisi.

IV.

Dans ce temps-là il y eut encore une peste inguinaire à Ravenne, Grado, et Histrie, comme celle qui s'était déjà manifestée trente ans auparavant.

C’est alors aussi que le Roi Agilulf fit la paix avec les Avares. Childebert fit alors la guerre à son cousin le fils de Chilpéric, et ils livrèrent une bataille où périrent jusqu'à trente mille hommes.

Cette année-là l'hiver fut plus froid que l'on ne se rappelait encore de l'avoir vu précédemment. Il plut du sang dans le pays des Brioniens, et les fleuves même en furent teints.

V.

Dans ces temps-là le savant pape saint Grégoire écrivit trois livres de la vie des saints, et il appela cet ouvrage Dialogues, c'est à dire, discours de deux personnes, parce qu'il s'y entretient avec son diacre Pierre. Saint Grégoire dédia ce livre à la Reine Theudelinde qu'il savait être dévouée à Jésus Christ et toujours prête à faire des bonnes œuvres.[1]

VI.

L'Eglise de Dieu dut aussi de grandes utilités à cette reine; car les Lombards qui étaient encore gentils lorsqu'ils étaient entrés en Italie, avaient pris presque tous les biens des Eglises. Mais le Roi touché par ses supplications salutaires fut fidèle à la religion catholique, donna de grandes possessions aux églises, et remit dans un état honorable les Evêques qui avaient langui dans l'oppression et l'abjection.

VII.

Dans ces temps-là Tassilon fut fait Roi de Bavière par Childebert Roi des Francs. Bientôt après il entra dans la province des Slaves, et revint avec un butin considérable.

VIII.

Dans ce temps-là Romain, Patrice et Exarque de Ravenne, alla à Rome, et en revenant à Ravenne il prit aux Lombards les villes suivantes, Sutrium, Polimartium, Horta, Tudertum, Ameria, Perusia, Luceolis, et d'autres, encore, Ceci ayant été annoncé à Agilulf, il sortit de Pavie à la tête d'une puissance, armée et alla d'abord à Péruse. Il y assiégea Maurision Duc des Lombards qui s'était rendu aux Romains, et ayant pris la ville il le fit mourir. Le Pape saint Grégoire fut tellement effrayé de l'arrivée du Roi, qu'il abandonna l'exposition du Temple dont il est parlé dans Ezéchiel, ainsi qu'il le dit lui-même dans ses Homélies. — Mais le Roi retourna à Pavie. Peu de temps après, il fit la paix avec les Romains à la persuasion de Theudelinde, et le Pape Grégoire en a remercié cette reine dans la lettre que nous allons rapporter.

IX

Grégoire à Theudelinde Reine des Lombards Salut !

Notre fils l’abbé Probus nous a appris que votre excellence ce avait employé tous ses soins et sa bonté ordinaire à l'ouvrage de la paix, et nous ne pouvions attendre autre chose de notre chrétienneté. C’est pourquoi nous rendons grâces à Dieu de ce qu'il dirige votre cœur dans sa piété, de ce qu'il lui donna la vraie foi et vous permet de coopérer toujours aux choses qui lui plaisent. Car, mon excellente fille, vous avez le mérite d'avoir épargné tour le sang qui devait être versé de part et d'autre. C'est pourquoi nous vous rendons grâces, et nous implorons la miséricorde de notre Dieu, afin qu'il vous rende dans l'avenir le bien que vous avez fait Nous vous exhortons aussi par notre direction paternelle, de vous employer auprès de votre excellent époux, afin qu'il ne renonce pas à l'association de la république Chrétienne. Car vous devez savoir combien l'amitié de cette république peut lui devenir utile. Pour tous, étudiez toujours à votre manière ce qui a rapport à l'esprit de parti et plaidez la cause de la miséricorde lorsque vous en trouverez l'occasion, et par là vous vous recommanderez vous-même aux yeux du tout-puissant.

X.

Grégoire à Agilulf Roi des Lombards Salut:

Je rends grâce à votre excellence de ce qu'elle a écouté notre pétition, et fait une paix avantageuse à tous les partis, et nous en prenons l'occasion de louer la prudence et la bonté de votre excellence ; car en aimant la paix, vous faites voir que vous aimez Dieu qui est l'auteur de toute paix; car (ce qu'à Dieu ne plaise) si la paix n'avait pas été faite, l'on verserait encore le sang des pauvres paysans, qui sont des gens très utiles à tous les partis. Mais pour que cette paix soit réellement utile, nous vous prions de recommander à vos généraux de l'observer, de nos côtés, afin que des occasions de querelles et de contentions soient éloignées autant qu'il sera possible. Ces lettres vous seront portées par vos hommes, que nous avons reçus avec l'affection qui convenait à l'égard de gens qui donnaient la nouvelle d'une paix accordée par une divinité propice.

XI.

Au mois de janvier parut une comète, et on la vit le matin et le soir pendant tout le mois. Dans ce même mois mourut Jean, Archevêque de Ravenne; son successeur fut Marianus citoyen Romain. Evin Duc de Trente mourut aussi et l'on mit à sa place Guidolad homme bon et catholique. Deux mille Bavarois firent une irruption chez les Slaves, mais le Cacan survint et ils furent tous tués. C'est alors que l'on conduisit en Italie pour la première fois des Bubales et des chevaux sauvages. Le peuple les admira beaucoup.

XII.

C'est alors que Childebert Roi des Francs mourut à l'âge de vingt-cinq ans, en même temps que sa femme, l'on croit qu'ils furent empoisonnés. Les Huns appelés Avares allèrent de Pannonie en Thuringe, et firent une guerre cruelle aux Francs. Brunichilde régnait alors dans les gaules avec Théodebert et Théodoric encore enfants, elle donna de l'argent aux Huns et ils s'en retournèrent chez eux. Gontran mourut alors et son royaume passa à Brunichilde et aux fils de Childebert.

XIII.

Dans ce temps-là le Cacan Roi des Huns envoya des Ambassadeurs à Milan au Roi Agilulf et fit la paix avec lui. Le Patrice Romain mourut et son successeur fut Gallicinus, qui fit la paix avec Agilulf.

XIV.

Agilulf conclut une paix perpétuelle avec Théodoric Roi des Francs. Ensuite il fit périr Zangrulf Duc de Vérone qui s’était révolté, et Gaïdulf, Duc de Bergame auquel il avait déjà deux fois pardonné. Enfin il tua Warnecautius près de Pavie.

XV.

Ensuite la peste régna encore à Ravenne et l'année suivante, il y eut une grande mortalité à Vérone.

XVI.

L'on vit dans le Ciel comme des lances de sang et une lumière éclatante pendant toute la nuit. Dans ce temps-là Théodebert Roi des Francs remporta une grande victoire sur son oncle Clotaire.

XVII.

L'année suivante mourut Ariulf qui avait succédé à Spolète au Duc Farvald. Ariulf combattant une fois contre les Romains du côté de Camerino, et ayant remporté la victoire, demanda qui était cet homme qu'il avait toujours vu combattre avec tant de courage. Ses guerriers lui répondirent que personne n'avait combattu avec plus de courage que le Duc lui-même. Mais le Duc dit: Certainement j'en ai vu un autre qui combattait beaucoup mieux que moi, et toutes les fois qu'un ennemi voulait me frapper il me couvrait de son bouclier. — Quelque temps après, le Duc vint à Spolète où il y a une belle église de saint Sabinus et où il repose, et il demanda à qui était cette grande maison, et quelques fidèles lui répondirent que c'était là qu'était le corps de saint Sabinus que les Chrétiens avaient coutume d'invoquer lorsqu'ils allaient à la guerre. Ariulf, qui était encore gentil répondit: Quel secours un homme mort peut il donner à un vivant ? — Après avoir dit cela, il descendit de cheval et entra dans l'Eglise, et tandis que les autres priaient il se mit à regarder les peintures, et comme il vint au tableau qui représentait saint Sabinus, il affirma avec un jurement, que c'était là l'homme qui l'avait secouru dans le combat. Alors tout le monde vit bien de quoi il s'agissait, et qu'il ne devait le gain de la bataille qu'à saint Sabinus.

XVIII

Vers ce temps-là les Lombards attaquèrent de nuit le couvent de saint Benoît qui est au mont Cassin, ils dévastèrent tout, mais ils ne purent tenir un seul moine, et en cela s’est accomplie la prophétie qu’avait faite saint Benoît disant : A peine ai-je pu obtenir de Dieu que les âmes de ce lieu-là me fussent cédées. Les moines s’enfuirent à Rome n’emportant qu’une livre de pain, une mesure de vin, et leur règle telle qu’elle avait été composée par leur saint fondateur. Il faut savoir qu’à saint Benoît avait succédé Constantin, puis Simplicius, puis Vitalis, enfin Bonitus qui dirigeait la congrégation lors de ce désastre.

XIX.

Zoton Duc des Bénéventins étant mort, Agilulf y envoya pour lui succéder Arigis qui était né dans le Frioul et avait élevé les fils de Gisulf Duc de Frioul dont il était parent. Arigis reçut la lettre suivante du Pape saint Grégoire et cette lettre existe encore.

XX.

Grégoire au Duc Arigis salut:

Si votre gloire était notre propre fils elle ne nous inspirerait pas plus de confiance que nous n'en avons en elle; et c'est ce qui nous engage à vous demander une chose qui nous attristerait si vous la refusiez, d'autant qu’en l'accordant, votre âme peut en être puissamment aidée. Nous savons besoin de quelques poutres, pour nos églises de saint Pierre et de saint Paul. C'est pourquoi nous avons enjoint à notre Sous-diacre Sabinus d'en faire couper quelques unes du côté des Briciens, et de les faire traîner jusqu'à la mer dans un lieu propre à les embarquer. Et parce qu'il a besoin de secours dans une chose pareille, nous saluons votre gloire et nous la prions avec une charité paternelle d'ordonner à ses actionnaires, qui sont dans ce lieu-là, d'y employer les hommes qui sont sous eux avec leurs bœufs ; et lorsque la chose sera portée à sa perfection, nous vous ferons un présent qui ne sera pas injurieux. Car nous savons nous considérer, et répondre à la bonne volonté que nous montrent nos fils. Ainsi donc, ô notre glorieux fils, nous vous prions encore une fois de faire en sorte que nous nous croyons vos débiteurs et que vous vous soyez acquis un mérite auprès de la sainte église.

XXI.

Dans ce temps-là, la fille du Roi Agilulf fut enlevée dans la ville de Parme avec son mari Godescalc par l'armée du Patrice Gallicinus, et on les conduisit à Ravenne.

Dans le même temps, le Roi Agilulf envoya des ouvriers au Cacan des Avares, pour construire des barques avec les quelles il prit une certaine île dans la Thrace.[2]

XXII.

Dans ce temps-là aussi, la reine Theudelinde fit la dédicace de l’église saint Jean Baptiste à Modica, à douze milles au-dessus de Milan, et elle l’orna de vases d’or et d’argent, et lui donna de belles terres. Théodoric, ancien roi des Goths, y avait construit un palais où il passait l’été parce que le climat est plus froid, comme plus voisin des Alpes.

XXIII.

C'est là aussi que Theudelinde fit bâtir un palais, où elle fit peindre une partie de l'histoire des Lombards. C'est dans ces peintures que l'on voit manifestement comment les Lombards d'alors se coiffaient et s'habillaient. Ils se rasaient la nuque et l'occiput, et les Cheveux des faces retombaient jusqu'à la bouche et étaient séparés à l'origine du front. Leurs habits étaient larges et généralement de lin, comme ceux que les Anglo-Saxons portent encore aujourd'hui, ornés de larges pièces de couleurs différentes. Leurs chaussures étaient ouvertes jusques au grand orteil, et retenues alternativement par un lacet de cuir. Dans la suite ils commencèrent à se servir de Hoses et lorsqu'ils montaient à cheval, ils mettaient par dessus, des Tubruges de burre, mais c'est un usage qu'ils avaient pris des Romains.

XXIV.

Jusques alors Padoue avait toujours résisté aux Lombards, mais enfin le Roi Agilulf y fit jeter tant de feu qu'elle fut totalement brûlée, mais les soldats qui y étaient eurent la permission de s'en retourner à Ravenne,

XXV.

Les Ambassadeurs qu'Agilulf avaient envoyés au Cacan des Avares, rapportèrent l’heureuse confirmation de la paix. Un envoyé du Cacan des Avares était venu avec eux, et continua son chemin pour les Gaules, étant chargé de dire au Roi des Francs qu'il eut à vivre en paix avec les Lombards, comme avec les Avares eux-mêmes. Alors les Lombards joints aux Avares et aux Slaves entrèrent dans le pays des Histriens et y mirent tout à feu et à sang.

XXVI.

Theudelinde accoucha dans le palais de Modica d'un fils, qui fut appelé Adaloald. Ensuite les Lombards s’emparèrent du mont Silese, Gallicinus fut chassé de Ravenne par Smaragdus qui y avait été autrefois Patrice.

XXVII.

Phocas qui avait été strateur du Patrice Priscus, fit mourir l'Empereur Maurice avec ses fils, Théodose, Tibère, et Constantin. Maurice avait régné vingt et un ans et s'était rendu utile à la république, et avait fait la guerre toujours heureusement, particulièrement contre les Huns que l'on appelle Avares.

XXVIII.

Gaidould Duc de Trente et Gisulf Duc de Frioul, s'étaient écartés du Roi Agilulf, mais cette année-là, ils rentrèrent en grâce, c'est alors aussi que fut baptisé cet enfant dont nous avons parlé plus haut, savoir Adalvald fils d’Agilulf, et il fut retiré des fonds sacrés par le trentin Secundusserviteur du Christ dont nous avons déjà souvent fait mention dans cet ouvrage. Cela eut lieu à Modica, le jour de Pasques septième des Ides d’Avril.

XXIX.

Alors les Romains étaient mal avec les Lombards, à cause de cette fille du Roi qu’ils retenaient captive. C’est pourquoi Agilulf, sortit de Milan au mois de juillet, et mit le siège devant Crémone avec les Sclaves, que lui avait envoyés le Cakan Roi des Avares. Crémone fut prise le 12 des Calendes, de Septembre et Agilulf la fit raser. Ensuite il mit le siège devant Mantoue, abattit les murs à coups de béliers, et entra dans la ville aux Ides de Septembre.

Le château de Vulturina se rendit aussi aux Lombards, et la garnison en se retirant brûla le Bourg de Brexillum. Enfin le Patrice Smaragdus rendit la fille du Roi, avec son mari, ses fils, et tout ce qu'elle avait, et l'on conclut une trêve qui devait durer depuis le mois de Novembre jusques aux Calendes d'Avril indiction huitième. La fille vint à Parme où elle mourut des suites d'une couche. En cette année-là Théodebert et Théodoric Rois des Francs firent la guerre à leur oncle Clotaire, et beaucoup de monde périt des deux côtés.

XXX.

Saint Grégoire mourut, comme Phocas entrait dans la seconde année de son règne. Sabinien succéda à saint Grégoire. L'hiver fut très froid et fit périr les vignes en bien des endroits. Ensuite les moissons furent en partie brûlées par les grandes chaleurs, et en partie mangées par les rats. Il était juste que le monde souffrit alors de la faim et de la soif, puisque un si grand Docteur était mort et que les âmes des hommes restaient exposées à la pénurie de nourriture spirituelle et à l'aridité qui en résulte.

J'ai envie d'insérer ici une certaine lettre de ce saint homme, dans laquelle on pourra voir quelle était son humilité et son innocence. Il fut accusé d'avoir fait périr un certain Evêque Malcus et écrivant à ce sujet à Sabinien qui était son commissaire à Constantinople, il lui dit entre autres choses : Voici ce que vous devez insinuer à nos sérénissimes Seigneurs, c'est que si moi, leur sénateur, j'avais voulu me mêler de faire mourir des Lombards, aujourd'hui cette nation n'aurait plus ni Rois, ni Ducs, ni Comtes et serait dans la plus grande-confusion. Mais je crains Dieu, et je ne contribue à la mort de qui que ce soit. L'Evêque Malcus, dont il est question, n'a point été mis en prison, et on ne lui a fait aucun mal. Lorsqu'il eut plaidé sa cause, le notaire Boniface le conduisit chez lui à mon insu, le reçut honorablement, lui donna à dîner et il est mort subitement pendant la nuit. —

Voyez quelle était l’humilité de cet homme, qui, quoi que Pontife suprême de Dieu, s'appelait cependant le serviteur des hommes, voyez quelle était son innocence, puisqu'il ne voulait pas contribuer à la mort des Lombards quoiqu'ils fussent incrédules et fissent tant de dégâts.

XXXI.

L'été suivant au mois de Juillet, Adaloald fut élevé à la royauté des Lombards, dans le Cirque de Milan, en présence de sort père Agilulf et des Ambassadeurs de Théodebert Roi des Francs, ceux-ci firent épouser à Adaloald encore enfant, la fille de Théodebert et conclurent une paix perpétuelle avec les Lombards,

XXXII.

Dans ce temps-là les Francs et les Saxons se firent une guerre cruelle. Le Chantre Pierre fut tué d'un coup de tonnerre à Pavie dans l'église de l'apôtre saint Pierre.

XXXIII,

Au mois de novembre, Agilulf conclut une trêve d'un an avec Smaragdus et reçut pour cela douze mille sous. Les Lombards prirent en Toscane le bain du Roi, et Civitavecchia. Dans les mois d'Avril et de Mai, l'on vît au ciel une étoile que l'on appelle comète. Agilulf conclut une trêve de trois ans avec les Romains.

XXXIV.

Dans ces temps-là mourut le patriarche Sévère, et l'Abbé Jean lui succéda dans l'ancienne Aquilée du consentement du Duc Gisulf. Les Romains ordonnèrent à Grado l'Evêque Candidianus. L'Etoile comète apparut de nouveau dans les mois de Novembre et de Décembre.

Candidianus mourut et l’on ordonna patriarche Epiphane qui avait été Primicier des notaires, ce furent les Evêques sujets des Romains qui l'ordonnèrent et depuis lors il eut deux Patriarches.

XXXV.

Jean Consinus s'empara de Naples, dont il fut chassé longtemps après par le Patrice Eleuthère qui le fit mourir. Alors ce même Patrice c'est-à-dire l'Eunuque Eleuthère, commença à exercer les droits de l'Empire mais comme il allait de Ravenne à Rome, ses soldats le tuèrent à Luceoli et portèrent sa tête à l'Empereur à Constantinople.

XXXVI.

Agilulf envoya à l'Empereur Phocas son Notaire Stabilicianus celui-ci retint avec des Ambassadeurs de l'Empereur, qui portèrent des présents et conclurent une trêve d'un an.

XXXVII.

Or donc Phocas ayant fait mourir Maurice et ses fils régna pendant huit ans. Le Pape Boniface obtint de lui que le siège de l'église apostolique et Romaine serait le chef de toutes les églises; car l'église de Constantinople prenait le titre de la première de toutes les églises. Le même Pape Boniface fit ôter du Panthéon les Saletés de idolâtrie, et en fit une église consacrée à la sainte vierge et à tous les martyrs. Afin que l'on fît mention de tous les saints, là ou auparavant l’on adorait tous les démons. Dans ce temps-là les Factions Vénètes et Prasines se firent une guerre cruelle dans tout l'Orient et l’Egypte. Les Perses enlevèrent aux Romains beaucoup de Provinces et même Jérusalem. Partout ils détruisaient les églises, profanaient les closes sacrées, enlevaient les ornements des lieux saints et même ils prirent le drapeau de la croix du seigneur. Héraclianus qui gouvernait l'Afrique se révolta contre Phocas, et Héraclias fils d'Héraclianus fut fait Empereur.

XXXVIII.

Vers ce temps-là le Cacan Roi des Avares., entra dans la Vénétie à la tête d'une multitude innombrable. Gisulf Duc de Frioul l'attaqua avec tous les Lombards qu'il pût ramasser, mais quelque fut leur valeur ils ne purent résister à la multitude qui les environnait, et furent presque tous tués aussi bien que Gisulf lui-même.

Romilda femme de Gisulf se renferma dans les murs de Frioul avec les Lombards qui avoient échappé et avec les femmes et les enfants de ceux qui avoient péri. Romilde avait quatre fils, Taso et Caco, déjà adolescents, Radould et Grimoald encore enfants. Elle avait aussi quatre filles, Appa, Gaila, et deux autres dont je ne sais pas les noms. Les Lombards s'étaient aussi fortifiés dans d'autres places fortes, telles que Cormones, Nomaso, Osopo, Artenia, Reunia, Glemona et enfin à Ibligine qui par sa position est inexpugnable.

Pendant ce temps-là les Avares parcouraient tout le Frioul et s'efforçaient de prendre la ville de Frioul. Un jour que le Cacan faisait le tour de ses murailles à la tête d'une suite nombreuse, Romilde l'aperçut et le voyant à la fleur de son âge, cette infâme courtisane, se prit de passion pour lui, et lui envoya dire que s'il voulait l'épouser elle lui livrerait la ville et tout ce qui y était. Le Roi Barbare, promit de faire ce qu'elle désirait, et Romilde fit aussitôt ouvrir les portes de la ville. Les Avares y étant entrés mirent le feu à la ville, et enlevèrent tous les habitants puis ils reprirent le chemin de la Pannonie. Lorsqu'ils furent arrivés au camp qu'ils appellent sacré, ils se décidèrent à tuer tous les Lombards, et à ne garder que les femmes et les enfants. Taso, Caco, et Rodould voyant la malice des Avares, montèrent à cheval et trouvèrent le moyen de s'enfuir comme le petit Grimoald ne pouvait pas encore se tenir à cheval, un de ses frères crut devoir le tuer, mais comme il levait la lance sur lui, l'enfant lui cria tout en larmes: Ne me faites pas de mal ; car je saurai me tenir à cheval. — Alors le frère le mit sur un cheval et sans selle lui dit de se bien tenir. Le petit Grimoald prit la bride et tacha de suivre. Les Avares s'étant aperçus de leur fuite se mirent à les poursuivre ; mais ils ne purent atteindre que le petit Grimoald, l'Avare qui s'en saisit le premier ne voulut pas le tuer, et préféra de le ramener au camp, en tenant la bride de son cheval, ce qu'il fit aussi en se réjouissant extrêmement de sa capture, car c'était un bel enfant aux yeux brillants, et à la chevelure couleur de lait. Pendant ce temps-là cet aimable enfant ressentait un grand chagrin de se voir ainsi repris, et tout d'un coup il tira sa petite épée et en donna un si grand coup sur la tête de l'Avare, qu'il pénétra jusqu'à la cervelle, et le fit tomber mort sur la place. Aussitôt le petit Grimoald reprit la bride de son cheval, et retourna vers ses frères, auxquels il raconta ce qui s'était passé.

Les Avares tuèrent effectivement tous les Lombards qui avoient atteint l'âge viril et emmenèrent chez eux les femmes et les enfants. Pour ce qui est de Romilde. Le Roi des Avares passa une nuit avec elle, pour remplir le serment qu'il avait fait de l'épouser.

Novissime vero duodecim Avaribus tradidtt qui eam per totam noctem vicibus sibi succedentes Libidine vexarent, postmodum quoque palum in medio campo configi precipiens, Eandem in ejus caeumine inseri mandavit. Haec in super exprobrando inquiens. Talem te dignum est maritum habere.

Et c'est ainsi qu'à péri cette femme traîtresse à la Patrie qui sacrifia le sang de ses Concitoyens à l'envie de satisfaire ses désirs désordonnés. Les filles ne suivirent point l'exemple de leur mère. Mais cherchant des moyens pour sauver leur vertu.

Crudorum pullorum carnes sibi inter maminas sub fascia posuerunt, quae ex catore putrefactas odorem fetidum exhalabant cumque eas vellent Avares contingere, non sustinentes foetorem putabant eas naturaliter ita foetere procul ab eis cum execratione recedentes atque dicentes, omnes Longobardas foetidas esse Hac igitur arte Avarum tibidinem puellae Nobiles evadentes et ipsae castae servandae snnt et utile servandae castitatis, si quid tale foeminis contigerit mandaverunt exemplumVoila comment ces nobles filles surent se conserver chastes, et donnèrent un bel exemple que les femmes pourront suivre à l'avenir, si elles se trouvent dans quelques circonstances pareilles. Ensuite ces vertueuses personnes furent vendues dans différents pays, et se marièrent d'une façon digne de leur noble origine, car l'on assure que l'une épousa le Roi des Alemans et l'autre le Roi des Bavarois.

XXXIX.

Ici je crois devoir suspendre l'histoire générale et dire quelque chose de ma généalogie, à moi qui écris ceci. Et pour cela il faut que je reprenne la chose un peu plus haut. Lorsque les Lombards entrèrent en Italie, mon bisaïeul Leuphis qui était aussi un Lombard y vint avec eux. Leuphis après avoir vécu quelques années en Italie mourut, et laissa six fils qui étaient encore enfants, lorsque les Avares les prirent dans la ville de Forum Julii, et les amenèrent chez eux. Tous ces six frères vécurent dans la misère et la captivité à l'exception du cinquième qui s'appelait Lupicis, et qui était mon aïeul ; celui-ci inspiré sans doute par l'auteur de tout bien, forma le projet de s'échapper. Il prit son arc, son carquois, et un peu de nourriture, et se mit en route sans savoir où il allait, lorsqu'un loup se fit son compagnon de voyage et son conducteur. Ce loup marchait devant lui, regardant de temps en temps en arrière, s'arrêtant quand il s'arrêtait et se remettant à le précéder lorsqu'il le voyait marcher. Alors mon aïeul vit bien que c'était Dieu qui lui envoyait ce loup pour lui montrer le chemin. Ils marchèrent ainsi pendant plusieurs jours dans des montagnes solitaires, enfin mon aïeul qui n'avait pris avec lui que très peu de pain commença à en manquer tout à fait et pressé par une faim dévorante, il prit son arc y mit une flèche et voulut tuer le loup, mais celui-ci disparut aussitôt. Mon aïeul désespérant déjà de sa vie et trop faible pour pouvoir avancer, se jeta à terre et s'endormit, alors il vit en songe un homme qui lui dit: Lève-toi, et marche du côté où tes pieds sont à présent, car c'est là qu'est l'Italie. — Mon aïeul s'éveilla et se mit à marcher du côté qui lui avait été indiqué. Bientôt après il arriva à un lieu habité par des Slaves, une vieille femme l'ayant aperçu, comprit bientôt qu'il était fugitif et mourant de faim. Elle en eût pitié, le cacha dans sa maison, et lui donna à manger peu à peu, dans la crainte qu'une trop grande abondance d'aliments donnés tout à la fois ne lui fit du mal. Enfin, lorsque ses forces furent rétablies, elle lui donna d'autres provisions, le mit sur son chemin et lui dit adieu. Mon aïeul arriva en Italie peu de jours après, et vint à la maison où il était né. Elle n'avait plus de tait, et l'entrée en était hérissées de ronces et d'épines. Mon aïeul les coupa, entra dans la maison, trouva qu'un orme avait cru dans l'intérieur, et y suspendit son carquois. Ensuite ses parents et ses amis lui firent des présents, il rebâtit sa maison et se maria, mais il ne put jamais rentrer dans les possessions de son père, qui étaient depuis trop longtemps en des mains étrangères.

Cet homme était mon aïeul ainsi que je l'ai déjà dit. Il eut un fils appelé Arichis qui fut mon grand père. Arichis eut un fils appelé Warnefrid qui fut mon père. Mon père eut deux fils de sa femme Theudelinde, moi Paul, et mon frère qui fut appelé Arichis comme notre grand père. Et après avoir dit ceci sur notre généalogie, je rentre dans le sentier de mon histoire.

XL.

Gisulf Duc de Frioul ayant été tué, ses fils Taso et Cacco commencèrent à gouverner le duché. Ils possédèrent le pays des Slaves jusqu'à Zellia et jusqu'au lieu appelé Medaria, et jusques au temps du Duc Rutchis les Slaves ont payé une pension aux Ducs du Frioul. Grégoire, Patrice Romain, fit périr ces deux frères, par une trahison dans la ville d'Opitergio. Voici comment la chose arriva, Grégoire promit à Tason de lui couper la barbe, selon l'usage et de l'adopter pour son fils, et Tason qui ne soupçonnait aucune fraude, se rendit auprès de lui avec son frère Caccon, et plusieurs jeunes gens d'élite. Mais ils ne furent pas plutôt entrés à Opitergium, que Grégoire fit fermer les portes de la ville, et envoya des soldats contre les Lombards. Tason voyant cela prit congé de son frère et du reste de ses compagnons, après quoi ils se répandirent dans les rues de la ville et tuèrent tout ce qu'ils rencontraient, jusques à ce qu'on les tuât eux-mêmes jusqu'au dernier. Le Patrice, pour satisfaire à son serment se fit apporter la tête de Tason et lui coupa la barbe,

XLI.

Grasulf frère de Gisulf fut fait Duc de Frioul, Rodoald et Grimoald étant devenus des jeunes gens ne voulurent pas servir leur oncle, ils s'embarquèrent sur un petit navire et arrivèrent à Bénévent, chez Arichis Duc des Bénéventins et leur ancien Pédagogue, qui les reçut comme s'ils étaient ses propres fils. Dans ce temps-là mourut Tassilon Duc des Bavarois, son fils Garibald fut vaincu par les Slaves à Agunte, et ceux-ci ravagèrent ensuite les frontières des Bavarois, Mais les Bavarois ayant repris des forces, reclassèrent leurs ennemis, et leur reprirent le butin qu'ils avaient fait.

XLII.

Agilulf fit avec l'Empereur une trêve d'une année, et ensuite d'une seconde année ; ensuite il renouvela aussi la paix avec les Francs. Néanmoins les Slaves entrèrent dans l’Istrie et là ravagèrent d'une façon déplorable.

Au mois de mars mourut à Trente Secundus serviteur de Dieu, dont nous avons déjà fait souvent mention, et qui à écrit succinctement une histoire des Lombards qui va jusques à son temps.

Agilulf conclut encore une paix avec l'Empereur, Alors aussi fut tué Théodebert Roi des Francs, ce qui donna lieu à une guerre civile des plus cruelles. Gunduald frère de la Reine Theudelinde fut tué d'un coup de flèche dans la ville d'Est sans que personne pût savoir d'où partait le coup.

XLIII.

Le Roi Agilulf que l'on appelle aussi Agon, mourut après avoir régné vingt cinq ans, et laissa le royaume a son fils Adaloald qui était encore enfant et à sa femme Theudelinde, sous leur règne les églises furent restaurées, et l'on fit des dons considérables aux lieux saints. Mais après qu'Adaloald eut régné dix ans avec sa mère, il devînt fou, fut détrôné et les Lombards, mirent à sa place Arioald, dont les faits et gestes ne sont point parvenus jusqu’à nous. C'est alors que vivait saint Columbanus, originaire d'Ecosse. Il avait bâti un monastère dans les. Gaules dans le lieu appelé Luxowius. Ensuite il vint en Italie et fut bien reçu par le Roi des Lombards ; il bâtit dans les Alpes Cotiennes un monastère appelé Bobius à quarante milles de Pavie, et il s'y forma une congrégation de moines que tous les princes Lombards se sont plu à enrichir.

XLIV

Arioald régna d'onze ans sur les Lombards après quoi il mourut et son successeur fut Rotharis de la race d'Arod. C'était un homme vaillant et suivant le sentier de la justice; mais ne sachant pas tenir la droite ligne du Christianisme parce qu'il était contaminé de la perfidie Arienne. Car les Ariens, disent à leur dam, que le fils est moindre que le père, et le père moindre que tous les deux. Au lieu que nous autres catholiques nous disons, que le père, le fils et le saint esprit forment un Dieu, en trois personnes égales entre elles, en gloire et en puissances. Dans ces temps il avait presque dans chaque ville deux Evêques l'un catholique et l'autre Arrien. L'on montre encore aujourd'hui à Pavie l'endroit où demeurait l’Evêque Arrien, et son baptistère près de l'Eglise de saint Eusèbe. Et alors il y avait un autre Evêque pour l'église catholique. L'Evêque Arrien Anastase, se convertit et fut ensuite Evêque catholique.

Ce Roi Rotharis fit écrire de suite les lois des Lombards qui auparavant n'étaient retenues que de mémoire et par l'usage, et ce code fut appelé EdictumIl y avait alors soixante et dix-sept ans que les Lombards étaient entrés en Italie ainsi que ce Roi l'atteste dans le prologue de son édit.

XLV.

Arichis Duc de Bénévent envoya à ce Roi son fils Aion, mais comme il passa par Ravenne, les malicieux Romains, lui donnèrent un breuvage qui lui fit perdre l'usage de la raison. En sorte que son père sentant que la fin de sa vie approchait, recommanda à ses Lombards Radould et Grimoald, comme des gens plus propres à les gouverner que son fils Aion.

XLVI.

Arichis Duc de Bénévent mourut après avoir régné cinquante ans. Aion son fils devint chef des Samnites. Mais Radould et Grimoald lui obéirent toujours comme à un frère aîné. Aion ayant régné un an et cinq mois, les Slaves vinrent sur une multitude de vaisseaux. Ils placèrent leur camp près de la ville de Seponto, et l'entourèrent de fosses secrètes. Aion ayant voulu les attaquer dans l'absence de Radould et de Garibald, tomba dans une de ces fosses avec son cheval, les Slaves accoururent et le tuèrent avec quelques uns des siens. Radoald ayant appris cela accourut aussitôt et parla aux Slaves dans leur propre langue, et après les avoir endormis par ses discours, il tomba sur eux à l'improviste, et en fit un grand carnage, afin de venger la mort d'Aion, après cela les Slaves furent forcés de quitter le pays.

XLVII.

Rotharis prit aux Romains toutes les villes maritimes de la Toscane jusques aux frontières des Francs. Il prit aussi la ville d'Opitergium qui est entre Trévise et le Frioul, il fit aussi la guerre aux Romains de Ravenne sur le fleuve Scultena qui est dans la province Emilienne. Les Romains y prirent la fuite et perdirent dix mille hommes.

Il y eut alors à Rome un tremblement de terre avec une Forte inondation. Ensuite on fut affligé de la galle, et personne ne pouvait reconnaître ses morts, tant ils étaient enflés.

Rodoald mourut à Bénévent après avoir régné cinq ans, Grimoald lui succéda et régna vingt-cinq ans sur les Samnites, il eut un fils et deux filles captives ; mais nobles appelées Itta, le fils fut appelé Romuald. Ce Romuald fut très vaillant, et ce fut lui qui repoussa les Grecs lorsqu'ils vinrent piller la chapelle de saint Michel Archange sur le mont Garganus.

XLVIII.

Rotharis mourut après avoir régné seize ans et douze mois, et laissa le royaume des Lombards à son fils Rodoald. Rotharis fut enterré proche de la Basilique de saint Jean, quelque temps après, quelqu'un rempli d'une cupidité inique, ouvrit de nuit son tombeau, et enleva tout ce qu'il y trouva en fait d'ornements précieux. Mais cet homme fut ensuite bien effrayé lorsque saint Jean lui apparut et lui dit : Pourquoi as-tu osé toucher au corps de cet homme. Quoique sa foi ne fut pas pure, cependant comme il était dévot à mon nom il à su se mettre en grâce auprès de moi et puisque tu as fait cela, tu n'entreras jamais dans mon église. — Et cela arriva ainsi, car toutes les fois que cet homme voulait entrer dans l'église de saint Jean, il recevait un coup de poing d'une force prodigieuse, qui le repoussait en arrière, et le faisait tomber. Je dis la vérité dans le Christ, cela m'a été rapporté par un homme qui l'a vu de ses yeux.

XLIX.

Rodoald ayant succédé à son père, épousa Gundiberge fille d'Agilulf et de Theudelinde. Gundiberge marcha sur les traces de sa mère, car Theudelinde avait fait bâtir une église à saint Jean à Modicia et Gundiberge en fit bâtir une à Pavie, à qui elle donna beaucoup d'or, d'argent, et de belles pelisses. C'est là aussi que son corps repose.

Cette Gundiberge fut accusée d'adultère, et Carellus serviteur du Roi lui demanda la permission de se battre avec l'accusateur, pour soutenir la chasteté de la Reine. Carellus combattit en présence de tout le peuple, fut vainqueur et rendit par-là à la Reine toute sa dignité première.

L.

Rodoald régna cinq ans et sept jours et fut tué par un certain Lombard dont il avait séduit la femme. Son successeur fut Aripert fils de Gunduald frère de Theudelinde. C'est lui qui à bâti la chapelle du saint Sauveur à Pavie hors de la porte occidentale appelée Marença, et il lui a fait des dons considérables;

LI.

Alors Héraclius mourut à Constantinople. Son fils Héracléonas lui succéda et régna deux ans conjointement avec sa mère Martine. Il mourut et son frère Constantin lui succéda. Celui-ci mourut au bout de six mois et laissa l'Empire à son fils Constantin, qui régna vingt-huit ans.

LII.

Dans ce temps-là Cesara femme du Roi de Perse quitta sa cour secrètement, et vint à Constantinople accompagnée d'un petit nombre d'amis fidèles. L'Empereur la reçut honorablement, et la tint sur les fonts de baptême. Le Roi de Perse l'ayant su, envoya redemander sa femme. L'Empereur répondit aux envoyés : Je ne sais pas un mot de votre Reine, il n'est venu chez moi qu'une dame Persane, habillée comme une simple particulière. — Les Ambassadeurs répondirent qu'ils voudraient bien voir cette femme et l'Empereur la fit venir. Elle ne fut pas plutôt entrée dans la salle, que les Ambassadeurs se prosternèrent à ses pieds, et lui dirent avec beaucoup de respect que le Roi de Perse désirait qu'elle revint auprès de lui. La Reine leur répondit en ces termes : Allez dire à votre Roi et Seigneur, que s'il ne croit pas au Christ comme j'y crois. Il ne pourra point m'avoir pour compagne de sa couche. — Les Ambassadeurs retournèrent en Perse et rapportèrent cette réponse à leur Roi. Celui-ci vint à Constantinople avec une suite de soixante mille hommes, et fut très bien reçu par l'Empereur. Ensuite il se fit baptiser avec toute sa suite, et retourna dans sa patrie avec beaucoup de présents que l'Empereur lui fit aussi bien qu'à sa femme. Vers ce temps-là mourut Grasulf Duc de Frioul et Agon lui succéda. Theudelape mourut aussi à Spolète et Atton lui succéda.

LIII.

Or donc Aripert mourut à Pavie après avoir régné neuf ans, et laissa deux fils à peine adolescents Bertaride et Godebert. Godebert résidait à Pavie, Bertaride à Milan. Mais des hommes malicieux ne tardèrent pas à semer entre eux la discorde. Godebert envoya Garibald, Duc de Turin vers Grimoald Duc de Bénévent pour le faire venir au plutôt, lui promettant sa sœur en mariage. Mais Garibald au lieu de remplir sa commission, engagea Grimoald à devenir lui-même Roi des Lombards, l'assurant que ce royaume ne pouvait pas être longtemps gouverné par deux enfants. Grimoald laissa son fils Romuald à Bénévent, et marcha vers Pavie. Partout où il passait, il cherchait à se faire des Partisans, et il envoya Trasimund pour lui en faire du côté de Spolète et de Toscane, celui-ci fit si bien son devoir qu'il vint à sa rencontre dans l'Emilie avec un corps de troupes assez considérable.

Grimoald étant arrivé à Plaisance avec une aimée déjà nombreuse, envoya Garibald à Pavie pour annoncer son arrivée à Godebert, Godebert demanda à Garibald, où l'on devait préparer un logement pour Grimoald, et Garibald répondit, que puisque Grimoald était venu pour lui rendre service, et épouser sa sœur, il était juste qu'il logea dans le palais, ce qui eut lieu. Ensuite Garibald, dit à Godebert que Grimoald voulait le tuer, et qu'il ferait bien de mettre une cuirasse sous son habit, lorsqu'il lui parlerait. Puis il alla vers Grimoald, et lui dit que Godebert devait avoir de mauvaises intentions contre lui, puisque voulant lui parler il avait mis une cuirasse sous ses habits, la conférence eut lieu le lendemain. Grimoald en embrassant Godebert sentit qu'il avait une cuirasse sous ses habits, aussitôt il tira son épée et le tua. Godebert avait un fils fort enfant appelé Reginbert, il fut enlevé par ses amis et nourri secrètement, Grimoald ne voulut point en faire de recherche.

Bertaride qui était à Milan, ayant su que l'on avait tué son frère prit aussitôt la fuite, et se retira chez le Cacan des Avares, laissant à Milan sa femme Rodelinde et son fils Cunibert encore enfant. Grimoald les envoya à Bénévent. Garibald, qui non seulement était l'auteur de tout ceci, mais qui s'était même approprié une partie des présents, dont Godebert l'avait chargé pour Grimoald, ne jouit pas longtemps du fruit de ses forfaits. Il y avait à Turin un petit homme peu important; mais de la même famille que Godebert; cet homme, sachant que Garibald devait venir faire ses dévotions pascales dans l'église de saint Jean, monta sur le baptistère, et s'appuyant de la gauche sur la colonne, il tira son épée, et lorsque Garibald passa il lui en donna un coup sur la nuque qui lui coupa la tête. Les gens de la suite de Garibald l'accablèrent de blessures, mais il mourut content parce qu'il avait vengé son seigneur Godebert.

LIVRE V

I.

Grimoald ayant assuré son règne à Pavie épousa la fille d'Aripert sœur de Godebert, qu'il avait tué. Puis il renvoya l'armée de Bénévent après l'avoir comblée de biens. Il n'en retint que quelques guerriers, auxquels il donna des possessions considérables.

II.

Grimoald ayant appris que Bertaride était en Scythie, et demeurait chez le Cacan des Avares, envoya vers le Prince pour lui faire dire qu'il ne pouvait pas avoir la paix avec les Lombards, s'il gardait plus longtemps Bertaride auprès de lui. Le Cacan ayant entendu les envoyés de Grimoald fit venir Bertaride, et lui dit de s'en aller où il voudrait ; car il n'était pas à propos que les Avares devinssent ennemis des Lombards à son occasion, Bertaride ayant entendu cela, prit le parti de se rendre auprès de Grimoald, qu'on lui avait dit être un Prince très clément. Il vint à Lodi, et envoya de là son fidèle Hunulf pour annoncer son arrivée à Grimoald. Hunulf se rendit auprès de Grimoald et lui annonça l'arrivée de Bertaride. Grimoald jura qu'il ne lui arriverait aucun mal. Bertaride entra chez Grimoald et voulut se jeter à ses pieds; mais le Roi le releva, et le baisa sur la bouche. Bertaride lui dit: Je suis votre serviteur. Je pouvais vivre chez les païens, mais j'ai espéré en votre clémence et j'ai mieux aimé; venir me jeter à vos pieds.

Le Roi lui répondit: Je jure par celui qui m'a fait naitre qu'il ne vous arrivera aucun mal ; mais que je vous donnerai au contraire de quoi vivre honnêtement. — Et effectivement il lui fit préparer une belle maison, où il lui fit fournir toutes les choses dont il pouvait avoir besoin aux dépens du trésor public. Bertaride ne fut pas plutôt installé dans sa nouvelle maison que les citoyens de Pavie vinrent en foule, ceux qui le connaissaient pour le saluer, ceux qui ne le connaissaient pas pour le voir. Mais que ne peuvent faire les mauvaises langues ? Bientôt des malins adulateurs dirent au Roi, que s'il ne faisait pas périr Bertaride, il ne régnerait pas longtemps; car toute la ville se rendait chez lui. Grimoald devint crédule, et oubliant ce qu'il avait promis. Songea aux moyens de le faire mourir dès le lendemain. Enfin il se détermina à lui envoyer dès le même soir, des viandes exquises, des vins excellents et des boissons de tous genres, afin que Bertaride passa la nuit à boire et ne songea pas à pourvoir à sa sûreté. Mais un ancien serviteur de son père, lui portant un plat de la part du Roi s'inclina jusques sous la table et lui dit, tout bas qu'on voulait le faire mourir. Aussitôt Bertaride ordonna à l'échanson de lui verser de l'eau dans un flacon d'argent. Et lorsqu'on l’invitait à boire de la part du Roi, il buvait de cette eau cependant les domestiques dirent au Roi que Bertaride buvait avec beaucoup d'avidité, et le Roi répondit. Cet ivrogne n'a qu'à boire. Demain il vomira tout ce vin mêlé à son sang. —

Bertaride fit appeler Hunulf, et lui conta le danger où il était. Hunulf envoya son garçon chez lui et se fit apporter son lit de camp qu'il fit placer près du lit de Bertaride. Peu de temps après les Satellites de Grimoald entourèrent la maison. Après souper tout le monde s'en alla et Bertaride, resta seul avec Hunulf et le vestiaire, Hunulf dit à celui-ci qu'il trouverait le moyen de faire échapper Bertaride, et que lui vestiaire devait toujours dire que Bertaride était dans son lit. Ensuite Hunulf prit ses draps de lits, sa couverture et sa peau d'ours, et les mit sur le dos de Bertaride, et feignant de le traiter comme un serviteur rustique., il le chassa de la maison en lui donnant force coups de corde et de bâton, et le faisant même tomber plusieurs fois. Et comme les Satellites demandèrent qui était cet homme, Hunulf répondit: C'est un méchant valet que je châtie parce qu'il a fait mon lit dans la chambre de Bertaride, qui est ivre mort; mais j'en ai assez de son service, je veux demeurer dans ma maison et ne servir que mon Roi. — Les Satellites se réjouirent de ce propos et les laissèrent passer tous les deux, en sorte que le fidèle vestiaire resta tout seul dans le palais. Hunulf descendit Bertaride au moyen d'une corde le long de cet angle, que le mur de la ville fait du côté du fleuve, et il lui envoya par la même voie autant de compagnons qu'il pût. Bertaride et ses compagnons prirent les chevaux qui paissaient dans la campagne et s'enfuirent à Est où ce Prince avait des amis. De là il alla à Turin et enfin dans le pays des Francs, et c'est ainsi que Dieu sauva un innocent de la mort, et sauva du malheur de pécher un Roi qui était bon au fond de l'âme.

III.

Grimoald croyant que Bertaride reposait tranquillement dans la maison qu'il lui avait fait préparer, avait disposé ça et là des hommes armés depuis cette maison jusqu'à son palais, afin qu'il ne trouva aucun moyen de s'enfuir. Ensuite il l'envoya chercher. Ceux qu'il envoya ayant frappé à la porte, le vestiaire leur dit: Ayez donc pitié de Bertaride, il est très fatigué du chemin qu'il a fait hier et dort profondément. — Les envoyés du Roi retournèrent auprès de lui et lui rendirent la réponse du vestiaire. Alors le Roi dit : Il s'est tellement rempli de vin qu'il ne peut plus se tenir sur ses jambes. — Cependant il ordonna qu'on l'éveilla et qu'on le conduisit au palais. Ces envoyés retournèrent à la maison de Bertaride et frappèrent à la porte. Le vestiaire sortit encore et les pria de laisser Bertaride dormir un instant de plus. Mais les envoyés du Roi se mirent en colère et crièrent que cet ivrogne avait assez dormi. Puis ils donnèrent des coups de pieds dans la porte de la chambre à coucher jusques à ce qu'ils l'eussent cassée. Alors ils entrèrent, et cherchèrent Bertaride dans son lit, mais ne l'ayant point trouvé ils pensèrent qu'il devait être allé satisfaire aux besoins de la nature; mais ne l'ayant point trouvé non plus dans cet endroit là, ils demandèrent au vestiaire ce qu'il était devenu, et celui-ci répondit qu'il s'était enfui. Aussitôt le pauvre vestiaire fut pris aux cheveux, et traîné au palais en recevant force coups, et les gens du Roi en le lui présentant lui dirent que cet homme était complice de la fuite de Bertaride et digne de tous les supplices. Mais le Roi leur ordonna de le lâcher et puis se fit conter la manière dont Bertaride s'était enfuie, ce que le Vestiaire raconta de point en point. Alors le Roi s'adressant à ceux qui étaient là, leur dit: Que croyez-vous que mérite un homme qui à fait des choses semblables ? — Ils répondirent tout d'une voix qu'il méritait toutes sortes de tourments et de supplices. Alors le Roi dit : Par celui qui m'a fait naître, un homme qui s'est exposé à la mort pour sauver son maître mérite toutes sortes de biens. — En même temps il le mit au nombre de ses Vestiaires lui recommandant de lui être aussi fidèle qu'il l'avait été à Bertaride. Ensuite le Roi demanda ce que Hunulf était devenu, et on lui dit qu'il était dans l'église de l'Archange saint Michel. Le Roi y envoya, et lui fit promettre qu'il ne lui serait fait aucun mal, s'il venait de son propre gré. Hunulf vint se jeter aux pieds du Roi, qui lui fit encore conter toutes les circonstances de la fuite de Bertaride. Et celui-ci lui ayant tout dit, dans l'ordre où les choses s'étaient passées. Le Roi loua sa prudence et sa fidélité, et lui fit rendre tous ses biens et tout ce qui lui appartenait puis il en dit autant au Vestiaire. Et ceux-ci profitèrent de la clémence du Roi pour emporter tous leurs effets et aller rejoindre leur cher Bertaride dans le pays des Francs.

IV.

Quelque temps après, le Roi demanda à Hunulf s'il voulait aller joindre Bertaride, Hunulf répondit qu'il aimait mieux mourir avec Bertaride, que de vivre ailleurs dans les délices. Alors le Roi fit venir le Vestiaire et lui demanda, qu'est ce qui était meilleur de vivre commodément dans le palais où de faire le vagabond avec Bertaride. Le Vestiaire répondit comme avait fait Hunulf et le Roi les écouta avec bonté, puis il ordonna à Hunulf de prendre dans sa maison ses garçons, ses chevaux et tout ce qui lui appartenait et de s'en aller joindre Bertaride et puis il en dit autant au Vestiaire. Et ceux-ci profitèrent de la clémence du roi pour emporter tous leurs effets et aller rejoindre leur cher Bertaride dans le pays des Francs.

V.

Dans ce temps-là, l'armée des Francs entra en Italie par la Provence. Grimoald marcha contre eux, et les trompa par le moyen d'une ruse que je vais raconter. Un jour il fit semblant de fuir et laissa ses tentes, absolument dégarnies de troupes ; mais pleines de toutes sortes de biens, et surtout de vins exquis. Les Francs y viennent et croyants que la peur avait fait fuir les Lombards, ils s'en réjouissent beaucoup et préparent un excellent souper. Mais après qu'ils eurent bien mangé, et comme ils se livraient au sommeil, Grimoald tomba sur eux et en fit un tel carnage que très peu purent retourner chez eux. Le lieu où cela s'est passé s'appelle encore aujourd'hui Rivus. Il n'est pas loin de la ville d'Ast.

VI.

Dans ce temps-là Constantin Auguste qui est aussi appelé Constans, désirant arracher l'Italie aux Lombards, sortit de Constantinople, et suivant le bord de la mer il vint à Athènes, ensuite s'embarqua et vint à Tarente. Mais la première chose qu'il fit en débarquant, fut d'aller trouver un certain Solitaire qui passait pour avoir l'esprit prophétique, et il lui demanda s'il pourrait vaincre la nation des Lombards et faire la conquête de l'Italie. Le serviteur de Dieu lui demanda une nuit, pour prier Dieu à cette occasion, et le lendemain matin il lui répondit en ces termes : La nation des Lombards ne saurait être vaincue en aucune manière; car une certaine Reine étrangère à fait bâtir une église à saint Jean sur les frontières des Lombards ce qui fait que ce saint intercède lui même pour eux. Mais il viendra un temps où cette église sera méprisée et alors la nation périra. — Et voila ce qui s'est vérifié de nos jours. Car nous avons vu l'Eglise de Modicia desservie par des personnes viles, qui ouvraient ce saint lieu à des indignes et des adultères, pour les récompenses qu'ils en recevaient. Et la nation à péri peu de temps après.

VII.

Or donc l'Empereur Constance ayant débarqué à Tarente, entra ensuite dans le Bénéventin, et prit une quantité de villes aux Lombards. Entre autres Luceria ville très opulente de l'Apulie qu'il rasa entièrement, mais il ne pût prendre Arentia dont la position était très forte. Enfin il mit le siège devant Bénévent où se trouvait alors Romuald fils de Grimoald. Celui-ci dès l'entrée de Constans en Italie avait envoyé à son Père, son instituteur Seswald pour le conjurer de venir au secours de Bénévent. Grimoald se mit aussitôt en marche; mais dans la route il fut abandonné par beaucoup de Lombards qui pensaient qu'il ne reviendrait plus, puis qu'en partant il avait dépouillé le Palais de Pavie. Cependant l'armée de l'Empereur assiégeait Romuald, qui se défendait très bien et faisait souvent des sorties, dans lesquelles il tuait beaucoup de monde. Lorsque Grimoald fut déjà assez près de la ville, il renvoya à son fils son même instituteur Seswald, mais celui-ci fut pris par les Grecs et conduit à l'Empereur. L'Empereur lui demanda d'où il venait et il répondit qu'il venait de chez Grimoald, dont l'armée était déjà très proche. L'Empereur très effrayé tint conseil, et se décida à faire au plutôt la paix avec Romuald pour pouvoir retourner à Naples.

VIII.

Romoald donna en otage sa sœur Gisa, l'Empereur, fit conduire Sesvald sous les murs de la ville le menaçant de la mort, s'il disait un mot de l'arrivée de Grimoald, Sesvald promit de faire ce que l'on exigeait de lui ; mais lorsqu'il fut sous les murs de la ville, il dit qu'il voulait parler à Romoald ; Romoald vint au plutôt et Sesvald lui parla en ces termes: Seigneur Romoald montrez de la Constance ; car votre père arrive. Il à passé cette nuit près du fleuve Sangrus. Ayez soin de ma femme et de mes enfants, car cette nation perfide ne me laissera point vivre. — Lorsqu'il eût dit cela, l'Empereur lui fit couper la tête, et la fit jeter dans la ville au moyen d'une machine. Romoald se fit apporter cette tête, la baisa en pleurant, et la fit enterrer, avec respect.

IX.

L'Empereur se retira à Naples, mais Mittola Comte de Capoue atteignit son armée sur le fleuve Caloro et là battit complètement dans le lieu qui s'appelle encore aujourd'hui Pugna.

X.

Lorsque l'Empereur fut à Naples, un des grands de sa cour nommé Saburrus lui demanda vingt mille hommes pour aller combattre Romoald. Lorsqu'il fut arrivé au lieu appelé Forinus, Grimoald qui était déjà à Bénévent voulut marcher contre lui. Mais Romoald lui dit: Il n'est pas nécessaire que vous marchiez vous-même, donnez-moi une partie de votre armée. Si je suis vainqueur votre gloire en sera d'autant plus grande. — La chose eut lieu, de la manière que désirait Romoald. Lorsque les armées furent en présence, un homme de l'armée du Roi appelé Amalangus; qui portait aussi l'épieu du Roi, joignit un certain petit Grec, lui donna un grand coup de son épieu, le souleva de dessus son cheval, et l'élevant en l'air par dessus sa tête, le montra aux deux armées. Alors l'armée des Grecs, fut frappée de terreur, et prit honteusement la fuite, Saburrus ne pût revenir auprès de l'Empereur qu'avec un très petit nombre des siens, et Romoald retourna triomphant à Bénévent.

XI.

L'Empereur voyant qu'il ne pouvait faire aucun mal aux Lombards, tourna sa cruauté contre les Romains. Il alla à Rome, le Pape Vitalien alla à sa rencontre avec les prêtres et tout le peuple, et le salua à six milles de la ville puis, l'Empereur étant entré dans l'église de saint Pierre il lui offrit un manteau tissu d'or.

L'Empereur resta douze jours à Rome, et fit enlever tout le bronze, qui servait aux ornements de la ville, si bien même qu'il fît découvrir le Panthéon, et en ôta les tuiles de cuivré avec beaucoup d'autres objets du même métal, et il envoya le tout à Constantinople.

Ensuite l'Empereur retourna à Naples, et de là il alla par terre à Rhégium. Puis il entra en Sicile et passa la septième indiction à Syracuse. Jamais on n'avait entendu parler de maux semblables à ceux qu'il à causés aux habitants de la Calabre, de l'Afrique, de la Sicile et de la Sardaigne. Il ôtait les femmes à leurs maris, et les fils à leurs parents ; et les vases des églises devinrent la proie de l'avarice des Grecs. L'Empereur resta en Sicile depuis l'indiction septième jusqu'à la douzième; mais il porta enfin la peine de tant de crimes car les siens le tuèrent au bain.

XII

Constans ayant été tué auprès de Syracuse, Mecetius se fit proclamer Empereur en Sicile, mais sans le suffrage de l'armée d'orient. Les soldats de cette milice, arrivèrent les uns d'Istrie d'autres de Campanie, d'autres d'Afrique, où de Sardaigne, entrèrent à Syracuse, et tuèrent Mecetius. Beaucoup de ses juges furent décapités, et d'autres conduits à Constantinople où l'on porta aussi la tête du faux Empereur.

XIII.

La nation des Sarrazins, qui avait envahi Alexandrie et l'Egypte, vint avec beaucoup de vaisseaux en Sicile, prit Syracuse, et se répandit dans toute l'île, dont presque tous les habitants furent tués à l'exception de ceux qui gagnèrent les sommets des Montagnes. Enfin les Sarrazins retournèrent à Alexandrie avec un butin immense, et entre autres tout le bronze que Constans avait enlevé à Rome.

XIV.

Gisa fille de Grimoald, que l’on avait amenée de Bénévent comme otage, mourut en Sicile.

XV.

Dans ce temps-là il y eut des orages si forts que personne ne se rappelait d'en avoir eu de pareils, et beaucoup d'hommes et d'animaux furent tués par la foudre. Les légumes que l'on n'avait pas pu recueillir à cause de la pluie, revinrent et parvinrent à la maturité.

XVI.

Grimoald reprit le chemin de Pavie et donna son autre fille en mariage à Trasemund qu'il fit en même temps Duc de Spolète à la place d'Atton.

XVII.

Grasulf Duc de Frioul étant mort, Agon lui succéda, et c'est de lui qu'une certaine maison de Forum Julii s'appelle encore Domus Agonis. Agon mourut et Loup lui succéda. Ce Loup vint à l'île de Grado avec sa cavalerie sur un chemin que l'on avait fait autrefois et qui était alors sous l'eau. Il pilla la ville et reprit les trésors qui appartenaient à l'église d'Aquilée. C'est ce Loup qui eut soin du palais de Grimoald pendant qu'il était à Bénévent.

XVIII.

Loup croyant que le Roi ne reviendrait jamais à Pavie, y avait commis toutes sortes d'insolences; mais voyant que le Roi revenait, il prit le parti d'aller dans le Frioul et de s'y révolter tout à fait.

XIX.

Grimoald ne voulant pas exciter une guerre civile entre les Lombards, fit prier le Cacan des Avares d'entrer dans le Frioul. Le Cacan vint au lieu appelé Fluvius, et s'y battit trois jours de suite contre Loup. Ainsi que nous l’ont raconté des vieillards qui avaient fait cette guerre. Le premier jour Loup ne perdit que peu de monde, et tua beaucoup d'Avares ; le second jour, il eut assez de tués et de blessés, mais les Avares en eurent tout autant le troisième jour. Il eut beaucoup de tués et de blessés, et fit aussi un grand carnage des ennemis; enfin le quatrième jour il vit venir contre lui une multitude si prodigieuse que peu d'hommes purent échapper par la fuite.

XX.

Loup fut tué, les Lombards qui vivaient encore se retirèrent dans des châteaux, et les Avares dévastèrent et brûlèrent tout le pays. Alors Grimoald leur envoya dire que c'était déjà assez pillé et qu'ils pouvaient s'en retourner chez eux; mais les Avares répondirent qu'ils avaient fait la conquête du Frioul et qu'ils ne l'abandonneraient pas.

XXI.

Grimoald marcha contre les Avares, et campa vis-à-vis de leur armée. Le Cacan lui envoya des députés, et Grimoald qui n'avait que très peu de monde fit défiler devant eux les mêmes troupes toujours avec des habits différents en sorte que les députés crurent que la multitude des Lombards était immense. Alors Grimoald leur dit : Je vais tomber sur le Cacan avec toute cette multitude et je détruirai son armée s'il ne quitte à l'Instant le Frioul. — Les députés rapportèrent la chose au Cacan, qui retourna aussitôt dans son pays.

XXII.

Loup fut tué comme nous l'avons dit ci-dessus, et son fils Warnefrid voulut lui succéder. Mais craignant le Roi Grimoald, il s'enfuit chez les Slaves de Carnuntum que nous appelons improprement Carantanum. Il revint avec eux comme pour conquérir le Frioul, mais il fut tué près de la ville forte de Nemus.

XXIII.

Wectaris fut fait Duc de Frioul, il était originaire de Vicence, bon homme tout à fait et gouvernant le peuple avec douceur. Une fois qu'il alla à Pavie, les Slaves attaquèrent le Frioul, et campèrent à Broxas, non loin de Forum Julii, mais la bonté du ciel fit que Wectaris revint tout à propos, lorsqu'on lui dit que les Slaves étaient-là, il n'avait avec lui que peu de monde, parce que ses compagnons étaient retournés chez eux ; c'est pourquoi il marcha contre les Slaves avec vingt-cinq hommes. Les Slaves s'en moquèrent d'abord, disant que c'était apparemment le Patriarche qui venait avec son clergé. Mais quand Vectaris vint au pont qui est sur le fleuve Natison, il ôta son Casque, les Slaves le reconnurent à sa tête chauve, et dès lors ils ne songèrent plus qu'à s'enfuir. Mais Vectaris les poursuivit et en fit un grand carnage quoiqu'ils fussent cinq mille hommes.

XXIV.

Laudaris succéda à Vectaris dans le Frioul et à celui-ci succéda Rodoald.

XXV.

Après la mort de Loup Grimoald fit épouser sa fille Theuderade à son fils Romoald. Celui-ci en eut trois fils : Grimoald, Gisulf et Arichis.

XXVI.

Le Roi Grimoald se vengea de tout ceux qui l'avaient abandonné lorsqu'il allait à Bénévent.

XXVII.

Grimoald détruisit Forum Popilili, ville des Romains, dont les citoyens avaient souvent attaqué ceux qui allaient et revenaient de Bénévent et voilà comme il s'y prit, il passa en silence l'Alpe Bardonienne et entra en Toscane pendant le carême, et bientôt après il tomba sur cette ville le samedi de pâques au moment où l'on baptisait les enfants, et massacra jusques au Diacre dans le saint baptistère. Cette ville ne s'est jamais relevée depuis, et n'a aujourd'hui qu'un très petit nombre d'habitants.

XXVIII.

Grimoald haïssait les Romains à cause de la trahison qu'ils avaient faite à ses frères, Tason et Cacon. C'est pourquoi il détruisit aussi la ville de Opitergium, où cet événement s'était passé, et en partagea les habitants entre le Frioul, Treviso et Cenete.

XXIX.

Vers ce temps-là Alzico, Duc des Bulgares quitta son pays l'on ne sait pour quelle raison, et vint en Italie, avec toute son armée offrir ses services à Grimoald. Celui-ci l'envoya à son fils Romoald pour qu'il lui donnât, dans le Bénéventin des lieux propres à s'y établir. Romoald le reçut très bien, et lui donna des lieux qui jusqu'alors avaient été déserts: savoir les villes de Bovianum, Sepianum, Isernia et d'autres villes avec leurs territoires. Et il appela Alzico lui-même Gastalde, ne lui donnant plus le titre de Duc. Ces Bulgares habitent encore dans cet endroit-là, et quoiqu'ils parlent latin, ils n'ont point perdu l'usage de leur langue

XXX

Or donc Constans ayant été tué en Sicile aussi bien que le Tyran Mécence; Constantin fils de Constans monta sur le trône et régna dix-sept ans.

C'est alors que le Pape Vitalien envoya en Bretagne l’Archevêque Théodore et l'Abbé Adrien, qui fécondèrent beaucoup d'églises des anglais avec la semence de la doctrine ecclésiastique. Et Théodore y décrivit avec une prudence admirable la quantité d'années que l’on devait faire pénitence pour chaque espèce de péché.

XXXI.

Au mois d'août on vit à l'orient une comète singulièrement rayonnante, qui ensuite revint sur ses pas, et disparut tout à fait. Bientôt après de ce même orient vint une peste très fâcheuse, qui fît de grands ravages parmi les Romains. Le Pape Donulf orna de marbres blancs, le lieu appelé Paradis, qui est devant l'Eglise de saint Pierre.

XXXII.

Alors Dagobert régnait en France, et Grimoald avait fait avec lui un traité de paix et d'alliance ; c'est pourquoi Bertaride quitta le pays des Francs et s'embarqua pour se rendre dans l'île de Bretagne auprès du Roi des Saxons.

XXXIII.

Le Roi Grimoald tomba malade et se fit saigner; neuf jours après il prit son arc, voulut tirer sur une colombe, mais la veine de son bras se rompit. L'on dit que les médecins y appliquèrent des remèdes empoisonnés et il mourut.

Grimoald avait ajouté quelques Chapitres à l'édit de Retharis. C'était un homme d'une force de corps très remarquable, des premiers pour l'audace et d'une grande prudence. Il avait la tête chauve et la barbe en avant, il fut enterré dans l'Eglise de saint Ambroise qu'il avait bâtie dans la ville de Pavie. Il s'était emparé de l'autorité souveraine un an et trois mois après la mort d'Aripert, et il laissa le royaume à Garibald, qu'il avait eu de la fille du Roi Aripert et qui était encore enfant.

Alors comme nous avions commencé à le dire, Bertaride s'était embarqué pour passer dans le royaume des Saxons c'est à dire dans l'île de Bretagne. Mais comme le vaisseau était déjà à la voile, on entendit une voix qui venait du rivage et demandait si Bertaride était sur ce vaisseau, on répondit du vaisseau qu'il y était. Alors la même voix ajouta: Dites à Bertaride qu'il retourne au plutôt dans sa Patrie, car il y a déjà trois jours que Grimoald est mort. — Bertaride ayant entendu ces paroles fit aussitôt aborder à ce rivage; mais on ne pût point trouver la personne qui avait parlé, d'où il conclut, que celui qui avait annoncé la nouvelle de la mort de Grimoald devait avoir été envoyé par Dieu lui-même. Il alla aussitôt en Italie, et étant arrivé aux passages des Alpes il y trouva tout le service du palais, et une grande multitude de Lombards. Ensuite il alla à Pavie dont il chassa le petit Roi Garibald et se fit couronner lui-même trois mois après la mort de Grimoald. Bertaride était un homme pieux, bon catholique, aimant la justice, et bienfaisant envers les pauvres. Aussitôt qu'il eût été couronné il envoya à Bénévent pour en faire revenir sa femme Rodelinde et son fils Cunibert.

XXXIV.

Bertaride alla à cet angle de la muraille qui est vis-à-vis du fleuve, et par lequel il avait échappé autrefois, et il y fit construire le monastère de sainte Agathe vierge et martyre que l'on appelle aujourd'hui le monastère neuf. Il enrichit ce lieu et y rassembla un nombre considérable de religieuses. Rodelinde bâtit cet autre monastère, qui est hors des murs de Patrie, du côté appelé Perticas ce lieu est appelé ainsi à cause de certaines Hallebardes qui y étaient érigées. Car lorsque quelque Lombard mourait dans les pays étrangers, soit à la guerre ou autrement ses parents allaient au milieu des sépulcres, et y plantaient une hallebarde, au haut de laquelle était une colombe de bois, qu'ils tournaient du côté où était mort cet objet de leur affection.

XXXV.

Bertaride régna seul pendant sept ans, après lesquels il associa à sa couronne son fils Cunibert.

XXXVI.

Bertaride et Cunibert régnaient tranquillement, lorsqu'un fils d'iniquité s'éleva contre eux. C'était Alachis Duc de Trente. Cet homme avait vaincu un Gravion ou Comte des Bavarois, qui commandait la ville de Bauzan, et cette victoire l'avait tellement enorgueilli qu'il se révolta contra son Roi. Bertaride marcha contre lui, et mit le siège devant Trente ; mais Alachis fit une sortie si heureuse, qu'il mit en fuite toute l'armée des assiégeants. Dans la suite il rentra en grâce auprès de Bertaride par le moyen de Cunibert qui était son ancien ami. Cependant Bertaride voulut souvent le faire mourir, mais Cunibert l'en empêcha toujours, assurant qu'il serait sûrement fidèle à l'avenir. Cunibert pria aussi son père de donner à Alachis le Duché de Bresce. Bertaride disait souvent à son fils qu'il se repentirait d'avoir ajouté aux forces de son ennemi. Car la ville de Bresce a toujours eu beaucoup de noblesse Lombarde, dont le secours pouvait être très avantageux à Alachis. C'est alors que Bertaride fit construire cette belle porte Palatine que l'on appelle ainsi parce qu'elle est contiguë au Palais.

XXXVI.

Bertaride mourut après avoir régné dix-huit ans, d'abord seul et ensuite avec son fils, et il fut enterré auprès de l'église du sauveur que son père avait construite. Il avait une figure noble, le corps plein, et beaucoup de douceur dans toutes ces actions.

Le Roi Cunibert épousa Hermelinde qui tirait son origine des Anglo-saxons. Un jour Hermelinde dit à son mari, qu'elle avait vue au bain Théodote, noble demoiselle Romaine, et qu'elle y paraissait d'une beauté singulière, ayant des cheveux blonds qui lui tombaient jusques sur les talons. Cunibert ne fit pas semblant de prendre plaisir à ce discours; mais il devint très amoureux de cette demoiselle. Tout de suite il alla chasser dans la forêt que l'on appelle Urbis et prit sa femme avec lui; mais la nuit étant venue, il revint à Pavie, fit venir Théodote et coucha avec elle. Ensuite il l'envoya dans un monastère qui aujourd'hui est appelé de son nom.

XXXVII.

Alachis commençant à accoucher de l'iniquité qu'il avait conçue, et aidé par Aldon et Grauson citoyens de Bresce, s'empara de Pavie et de tout le pays en deçà du Tessin. Cunibert l'ayant appris se réfugia dans cette île, qui est près de Côme dans le lac Larius. Tous les amis que Cunibert avait à Pavie furent persécutés et particulièrement les Prêtres qu'Alachis ne pouvait pas souffrir. L'Evêque de Pavie était alors Damien, homme très savant et d'une sainteté extraordinaire. Celui-ci voyant qu'Alachis était installé dans le palais de Pavie, et craignant que son église n'en éprouva quelque adversité, envoya à Alachis sa bénédiction, par son Diacre Thomas, homme savant et religieux.

L'on annonça à Alachis, que le Diacre Thomas était à la porte, et qu'il apportait la bénédiction de la sainte Eglise. Alachis qui n'aimait pas les prêtres répondit: Si cet homme a des caleçons propres qu'il entre, sinon qu'il reste à la porte. — Cette réponse ayant été rapportée à Thomas, il répliqua: Dites-lui que mes caleçons doivent être propres, car je les ai mis aujourd'hui pour la première fois et lavés de neuf. — Alors Alachis dit: Ite iterato, et dicite illi quia ego non dico de femoralibus, sed de iis quae intra femoralia habentur. — Alors Thomas répondit : Dites-lui que c'est à Dieu à me reprendre sur ces choses-là, mais non pas à lui. — Ensuite Thomas fut introduit chez Alachis qui lui parla en grondant et avec beaucoup de rudesse. Depuis lors la crainte saisit tous les prêtres, qui estimèrent ne devoir point souffrir sa férocité. Ils désirèrent le retour de Cunibert et détestèrent l'usurpateur, qui ne jouit pas longtemps des fruits de sa cruelle Barbarie.

XXXIX.

Un jour que le Tyran comptait des sous sur la table un Trémissius tomba, le fils d'Aldon encore enfant le ramassa et le rendit à Alachis. Celui-ci croyant que l'enfant ne l'entendrait pas, dit: Ton père en a beaucoup comme cela; mais si Dieu veut ils seront bientôt tous à moi. — Lorsque l'enfant fut de retour à la maison, son père lui demanda ce que le Roi pouvait avoir dit dans la journée. L'enfant rapporta les paroles que le Roi lui avait adressées. Aldon en fut très effrayé, et conta le tout à son frère Grauson. Aussitôt leurs amis furent rassemblés, et l'on songea à se défaire du Tyran avant qu'il se fut défait d'eux. Le lendemain matin ils allèrent chez Alachis et lui dirent: Pourquoi restez-vous si longtemps ici, toute cette ville vous est fidèle, et cet ivrogne de Cunibert est si dissolu qu'il n'a aucune force? Allez à la chasse et amusez-vous à exercer les jeunes gens, nous vous promettons, non seulement de vous conserver cette ville, mais encore de vous apporter bientôt la tête de Cunibert. —

Alachis les crut et alla chasser dans la forêt d'Urbis, et s'y amusa à toutes sortes de jeux. Pendant ce temps-là Aldo, et Grauson s'embarquèrent sur le lac Comacin, et se rendirent chez Cunibert. Y étant arrivés ils tombèrent à ses pieds, confessèrent leur faute, et racontèrent toutes les ruses qu'Alachis avait employées pour les séduire. Enfin on pleura, l'on se fit des serments mutuels, et l'on fixa un jour pour rendre Pavie à Cunibert. Ce qui fut fait comme l'on en était convenu. Cunibert rentra dans le palais, et tous les citoyens accoururent à l'envi pour l'embrasser. Mais particulièrement l'Evoque et tout le clergé. Tous pleuraient et Cunibert les consolait en les embrassant. Alors un messager vint annoncer à Alachis qu'Aldon et Grauson avaient bien rempli leur promesse et que non seulement ils avaient apporté la tête de Cunibert, mais encore tout son corps, qui résidait tranquillement dans le palais. Alachis devint furieux en apprenant cette nouvelle et se répandit en menaces contre ces deux hommes; ensuite il passa par Plaisance et alla dans l'Austrie, dont il s'attacha les villes moitié par des caresses et moitié par des menaces. Ainsi qu'il arriva à Vicence, lorsqu'il vint devant cette ville, les citoyens s'armèrent contre lui, et puis ils embrassèrent son parti. Il en arriva autant à Trévise et dans les autres villes. Ceux du Frioul ayant su que Cunibert rassemblait une armée voulurent se rendre auprès de lui ; mais Alachis se posta sur le pont qui traverse la rivière Liquenza, à quarante-huit milles de Forum Julii dans la forêt de Capulanus, et à mesure qu'il s'en présentait une troupe, il là forçait à lui prêter serment, prenant bien garde que personne ne retourna dans le Frioul avertir de ce qui s'y passait, et de cette manière il eut à son service toute l'armée de cette province ; enfin les deux armées campèrent à Coronata.

XL.

Cunibert envoya vers Alachis pour lui proposer de se battre avec lui, en combat singulier, pour ne point fatiguer les deux armées, mais Alachis ne voulut point y consentir. Alors un certain Toscan l’appelant fort et courageux, voulut l'engager à accepter le combat, mais Alachis lui répondit en ces termes: Cunibert est un ivrogne stupide ; mais il a de l'audace et une force singulière. Du temps de son père, lorsque nous étions encore enfants, il y avait dans le palais des brebis d'une grandeur démesurée, il les prenait par la laine du dos, et les soulevait de terre à bras tendu, et moi je ne pouvais pas le faire. — Alors le Toscan lui dit: Puisque vous ne voulez pas accepter le combat que vous propose Cunibert je ne veux plus vous servir. — Et le Toscan ayant dit cela, alla chez Cunibert et lui conta ce qui s'était passé.

Or donc comme je l'ai déjà dit, les deux armées se trouvèrent en présence, dans les champs de Coronata; et comme l'on était sur le point d'en venir aux mains. Zénon Diacre de l'église de Pavie dit au Roi : Seigneur Roi, tout notre salut est attaché à votre personne. Si vous êtes tué dans cette guerre, ce Tyran nous fera périr dans les supplices. Ainsi, écoutez mon avis, donnez-moi vos armes, et j'irai combattre ce Tyran, si je péris, vous serez toujours là pour rétablir vos affaires, et si je suis vainqueur, votre gloire en sera plus grande, puisque vous aurez vaincu par votre serviteur. — Le Roi refusa d'abord; mais tous ceux qui étaient là, le prièrent si fort de consentir à ce que demandait le Diacre qu'il se laissa attendrir à leurs larmes, et donna au Diacre son casque sa cuirasse et toute son armure. Le Diacre était précisément de la même taille que le Roi, en sorte que lorsqu'il sortit des tentes, tout le monde crut que c'était lui, la bataille fut sanglante, Alachis attaquait le corps où se trouvait le Roi, et crut l'avoir tué, mais il avait tué le Diacre. Il lui fit couper la tête et l'élevant sur son épieu, il criait déjà Deo gratias, lorsque l'on s'aperçut que c'était la tête d'un prêtre, alors Alachis dit : facio votum, ut si mihi deus iterum victoriam dederit quod unum puteum de Testiculis impleam clericorum.

XLI.

Or donc Cunibert voyant que les siens le croyaient perdu, Se montra et ranima l'espérance dans tous les cœurs. L'on rangea de nouveau les années en bataille, et lorsque l'on fut prêt à combattre, Cunibert envoya de nouveau vers Alachis et lui fit parvenir les paroles suivantes : Voyez tout ce peuple rangé des deux parts pourquoi faut-il que cette multitude pétrisse ? Joignons-nous en combat singulier et celui à qui Dieu donnera la victoire régnera sur toute la nation. — Les amis d'Alachis le conjurèrent d'accepter cette proposition, mais il leur répondit: Je ne puis faire ce que vous me demandez car je vois au milieu de ces bataillons l'image de l'archange saint Michel, devant qui j'ai juré fidélité à Cunibert. — Alors l'un d'eux dit: Vous voyez ce qui n'est pas, et ce n'est pas le moment de faire des réflexions de ce genre. —

Les deux armées en vinrent aux mains, et aucune ne voulant céder il s'y fit un massacre terrible. Enfin Alachis Tyran cruel y perdit la vie, et Cunibert triompha avec l'aide du tout-puissant. L'armée d'Alachis prit la fuite et ceux qui échappèrent au fer, tombèrent dans les eaux de l'Adige. On coupa la tête et les genoux d’Alachis, et son cadavre resta un tronc informe. L'armée du Frioul, qui avait prêté serment contre son gré, s'en retourna dans son pays, sans vouloir combattre pour aucun parti. Cunibert fit enterrer avec beaucoup de pompe le corps du Diacre Zénon devant l'église de saint Jean qu'il avait lui-même bâtie. Ensuite il revint triomphant à Pavie.

 

LIVRE VI

I.

Tandis que ces choses se passaient chez les Lombards de l'autre côté du Pô, Romuald Duc des Bénéventins, rassembla une forte armée, et prit Tarente Brindes et toute la vaste région des environs. Dans ce même temps sa femme Theuderade fit construire hors des murs de Bénévent, la belle Basilique en l'honneur de saint Pierre Apôtre, et elle fonda dans le même lieu un monastère de filles servantes de Dieu.

II.

Romuald ayant régné seize ans quitta ce monde, son fils Grimoald lui succéda et régna trois ans sur le peuple Samnite. La femme de celui-ci fut Wigilinde sœur de Cunibert et fille du Roi Bertaride.

Grimoald étant mort son frère Gusulf lui succéda et régna dix sept ans. Il eut de sa femme Winiberthe un fils appelé Romuald.

Vers ces temps-là le mont-Cassin était désert et le corps de saint Benoît y reposait au sein de la solitude. Alors des Francs venant d'Orléans ou de la région des Cenomaniens firent semblant de vouloir passer la nuit auprès de son corps, et enlevèrent, les os de son vénérable père et ceux de sa sœur Scholastique. Ils les portèrent dans leur Patrie et c'est alors que furent construits les monastères de saint Benoît et de sainte Scholastique. Mais il est certain que c'est chez nous qu'est restée sa bouche vénérable, plus douce que le nectar, des yeux qui regardaient toujours le ciel, et ses autres membres qui véritablement sont réduits en cendres. Car il n'y à que le corps de notre seigneur qui n'ait point souffert de la corruption; mais les corps des autres saints quoiqu'ils y soient sujets n'en souffrent cependant pas, lorsqu’ils sont réservés pour faire des miracles, et d'ailleurs ils doivent tous être réparés pour servir à la gloire éternelle.

III.

Rodoald était Duc de Frioul; mais s'étant éloigné de sa capitale, Ansfrit de Reunia, s'empara de son duché sans la permission du Roi. Rodoald s'enfuit d'abord en Istrie, puis il prit un vaisseau, et passa à Ravenne et de là à Pavie, où il alla se plaindre au Roi Gunibert. Ansfrit, non content d'avoir usurpé le duché de Frioul, tenta encore de s'emparer de tout le royaume et se révolta contre le Roi. Mais il fut pris à Vérone, on le conduisit devant le Roi, et celui-ci lui fit crever les yeux et l'exila. Adon gouverna le duché de Frioul au nom de son frère, avec le titre de conservateur. Ce qui dura un an et sept mois.

IV.

Tandis que ces choses se passaient en Italie, l'Hérésie commença à se manifester à Constantinople en affirmant qu'il n'y avait en notre seigneur I. C. qu'une volonté, et une opération. Les auteurs de cette Hérésie, étaient Grégoire Patriarche de Constantinople, Macare, Pyrrhus, Paul et Pierre.

Constantin Auguste rassembla cent cinquante Evêques, entre lesquels se trouvèrent aussi des légats de la sainte Eglise Romaine envoyés par le Pape Agathon; c'étaient le Diacre Jean et Jean Evêque de Porto. Et tous condamnèrent cette Hérésie. Dans ce moment là beaucoup de toiles d'araignées tombèrent au milieu du peuple, ce qui étonna tout le monde. Cela marquait simplement que les saletés de la méchanceté hérétique venaient d'être balayées. Le Patriarche Grégoire fut corrigé, les autres qui persévérèrent dans sa défense furent frappés de la vengeance de l'anathème. Dans ce temps la Damien Evêque de Pavie, composa une belle épître sous le nom de Mansuetus Archevêque de Milan. Cette épître mérita tous les suffrages, dans le Synode susdit. Car la vraie foi est de dire, que puisqu'il y a dans notre Seigneur Jésus Christ deux natures, savoir la nature humaine et la divine, il y a aussi deux opérations et deux volontés. Voulez-vous l'entendre sur sa nature divine? Et bien il vous dit: Moi et mon père, nous ne sommes qu'un. — Voulez-vous l'entendre au sujet de sa nature humaine, il vous dit : Mon père est plus grand que moi. — Voyez-le selon l'humanité. Il dort dans une barque voulez-vous considérer sa divinité, écoutés l'Evangéliste. Il se lève et commande aux vents et à la mer, et il fie Et une grande tranquillité. —

Ce fut là le sixième Synode universel célébré à Constantinople. Il a été conscript en langue grecque, du temps du Pape Agathon, comme Constantin gouvernait et résidait dans l'enceinte de son palais.

V.

Dans ces temps-là, dans la huitième indiction la lune souffrit une éclipse, et bientôt après c'est à dire le cinq des nones de mai il y eut une éclipse de soleil vers les dix heures de jour. Puis il s'ensuivit une grande peste, dans les mois de juillet, août et septembre. Les parents et les enfants, le frère et la sœur, étaient posés deux à deux sur les brancards et on les portait ainsi aux sépulcres, qui sont hors de Rome, la peste fit les mêmes ravages a Pavie, si bien que les citoyens se réfugièrent dans les Montagnes et les forêts. La ville resta déserte et l'herbe y crut dans les rues.

Plusieurs ont même vu de leurs yeux, le bon et le mauvais ange parcourir les rues de la ville. Le mauvais ange tenait un épieu à la main, et autant de fois qu'il en frappait la porte d'une maison, autant de personnes mouraient dans cette maison dès le lendemain.

Quelqu'un eut alors une révélation qui lui apprit que la peste ne cesserait point avant que l'on érigea un autel à saint Sébastien dans l'église de saint Pierre in vinculis. Cela fut fait, on porta à cet autel les reliques de saint Sébastien qui étaient à Rome, et la peste cessa.

VI.

Le Roi Cunibert était avec celui qui remplissent à sa cour la charge de Strateur, ce qui dans la langue des Lombards se dit Marpahis, et ils raisonnaient ensemble sur la manière la plus convenable de faire périr Aldon et Grauson, tout d'un coup une grosse mouche vint se poser sur la fenêtre près de laquelle ils étaient.

Cunibert voulut la tuer avec un couteau et lui en donna un coup, mais il ne fit que lui couper la jambe. Aldon et Grauson qui ne savaient pas ce qui se passait, allaient tranquillement au palais du Roi, et comme ils étaient près de l'église de saint Romain qui est proche du palais, lis rencontrèrent inopinément un boiteux à qui il semblait que l'on avait coupé un pied, et ce boiteux leur dit que s'ils allaient auprès de Cunibert il les tuerait. Ceux-ci furent très effrayés et se retirèrent derrière l'autel de cette même église. Aussitôt on vint le dire au Roi celui-ci gronda son Strateur; mais le Strateur lui répondit: Mon seigneur et Roi vous savez que depuis que nous avons parlé sur ce sujet, je ne suis point sorti de votre présence, ainsi je n'ai pu en parler à qui que ce fut. — Alors le Roi envoya vers Aldon et Grauson et leur fit demander pourquoi ils s'étaient réfugiés dans l'église? Ceux-ci répondirent: On nous a dit que le Roi voulait nous faire mourir. — Alors le Roi renvoya vers eux, et leur fit demander qui leur avait dit une pareille chose, et les assura, qu'ils seraient à jamais exclus de ses bonnes grâces, s'ils ne disaient la vérité. Ceux ci répondirent que l'homme qui leur avait donné cet avis était boiteux, ayant une jambe coupée et une de bois à la place, qui commençait au genou. Alors le Roi comprit que la mouche à qui il avait coupé le pied était le malin esprit, qui avait trahi son secret puis il pardonna à Aldon et Grauson et depuis il les a traités comme ses enfants.

VII.

Dans ce temps-là fleurit le grammairien Félix, oncle de Flavien qui a été mon précepteur. Le Roi l’aimait tant, qu'il lui donna entre autres choses, un bâton monté en or et argent.

VIII.

Dans ce temps-là vivait aussi Jean Evêque de Bergame, homme d'une sainteté extraordinaire. Un jour en parlant au Roi Cunibert il l'offensa par son discours. Et le Roi lui fit donner pour retourner chez lui, un cheval féroce et indompté qui avait coutume de jeter bas tous ceux qui osaient le monter. Mais l'Evêque étant monté dessus, le cheval devint doux, et le porta à la maison au petit pas. Le Roi l'ayant vu, honora l’Evêque comme il le devait et lui fit présent de ce cheval

IX.

Dans ces temps-là apparut une étoile, c'était la nuit, le ciel était serein. On était entre la Noël et la Théophanie. Elle était ombragée comme la lune, lorsqu'elle est derrière un nuage.

Ensuite au mois de février une étoile sortit de l'occident et passa à l'orient avec beaucoup d'éclat.

Puis au mois de mars le mont Vésuve vomit un incendie qui dura plusieurs jours, et toute la verdure des environs fut détruite par la poussière et la cendre.

X.

Alors les Sarrazins peuples infidèles et ennemis des Dieux, passèrent d'Egypte en Afrique et leur multitude était prodigieuse. Ils prirent Carthage et la détruisirent entièrement, même ils la rasèrent

XI.

Pendant ce temps-là l'Empereur Constantin mourut à Constantinople, et Justinien lui succéda c'était le plus jeune de ses fils. Il régna dix ans, ce fut lui qui enleva l'Afrique aux Sarrazins, et fit avec eux la paix par mer et par terre.

Le Pontife Sergius ayant refusé de souscrire aux erreurs de son concile de Constantinople, il ordonna au Protospathaire Zacharie d'aller l'arrêter. Mais celui-ci fut chassé de Rome avec des injures, principalement par la milice de Ravenne et des environs.

XII.

Léon se révolta contre ce Justinien et le détrôna. Il régna trois ans pendant lesquels Justinien fut exilé dans le Pont.

XIII.

Tibère se révolta contre ce Léon, et le tint renfermé dans une prison à Constantinople.

XIV.

Dans ces temps-là un concile rassemblé à Aquilée tenta d'arguer d'impéritie le Cinquième concile œcuménique ; mais le saint Pape Sergius les ramena à l'opinion commune des fidèles. C'est ce Concile qui eut lieu à Constantinople, au temps de Vigilius sous l'Empereur Justinien, contre Théodore et les autres hérétiques qui affirment que la Vierge marie n'a mis au monde que l'homme, et non le Dieu et l'homme. C'est alors qu'il fut décidé que la vierge devait être appelée Theotokos. Car elle a engendré le Dieu et l'homme.

XV.

Dans ces temps-là Ceodald Roi des Anglo-Saxons qui avait fait beaucoup de belles choses dans sa Patrie se convertit à la foi et Tint à Rome. Il passa chez le Roi Cunibert qui le reçut admirablement bien. Etant arrivé à Rome il y fut baptisé par le Pape Sergius, qui l'appela Pierre, il mourut encore constitué dans les blancheurs (in albis constitutus). Il est enterré dans la Basilique de saint Pierre.

XVI.

Dans ce temps-là il arriva que les Rois Francs des Gaules dégénérèrent de la valeur et de la Science de leurs ancêtres. Les Maires du Palais commencèrent alors à s'attribuer toute l'autorité royale et enfin le royaume passa sous leur puissance.

Alors le Maire du Palais était Arnulf, homme agréable à Dieu et remarquable par sa sainteté. Après avoir joui de la gloire du Siècle il se voua au service des Lépreux. Il y a un livre des miracles qu'il a opéré dans son Evêché de Metz, et j'en ai parlé moi même dans un livre que j'ai écrit sur les Evêques de cette ville à la réquisition d'Agilgram Archevêque de cette même église, homme d'une douceur et d'une sainteté admirable.

XVII.

Cunibert mourut après avoir régné douze ans. Il avait construit un monastère en l'honneur de saint Grégoire dans le champ de Coronata où il avait combattu contre Alachis. C'était un homme élégant, illustre par sa bonté et bon guerrier. Il fut enterré près de la Basilique du saint Sauveur, que son aïeul avait autrefois construit à savoir Aripert. Son successeur fut son fils Liutbert encore enfant, dont Asprand fut tuteur.

XVIII.

 Ensuite huit mois se passèrent et puis parut Ragunbert Duc de Turin, il était fils du Roi Godebert et était encore très enfant lorsque celui-ci fût tué par Grimoald. Ragunbert attaqua près de Novarre Ansprand et Rotharit Duc de Bergame. Il les vainquit et s'empara du royaume, mais il mourut dans la même année.

XIX.

Alors Aripert se prépara de nouveau à la guerre et combattit contre le Roi Liutbert près de Pavie contre Ansprand, Otton, Tazon, Rotharis et Faron ; mais il les vainquit tout et s'empara de la personne du petit Liutbert. Ansprand s'enfuit dans l'île de Côme et s'y fortifia.

XX.

Le Duc Rotharit étant rentré dans la ville de Bergame, s'y empara du Royaume. Le Roi Aripert marcha contre lui avec une forte armée, prit Lodi, et mit le siège devant Bergame. Il battit les murailles avec des béliers et d'autres machines, et enfin il prit la ville. Rotharit le pseudo-Roi eut la tête et la barbe rasée et fut exilé à Turin où il le fit mourir peu de jours après. Il fit aussi mourir Liutbert comme il était dans un bain.

XXI.

Il envoya aussi une armée contre Ansprand dans l'île de Corne. Alors Ansprand s'enfuit dans l'île de Ciavena, puis il passa par Coire ville des Rhètes, et vint chez Théodebert Duc des Bavarois et il y passa neuf ans. L'armée d’Aripert prit l'île qu'Ansprand avait fortifiée et détruisit le Bourg qui y était.

XXII.

Alors le roi Aripert, quand il fut confirmé dans sa souveraineté, il fit arracher les yeux de Sigiprand, le fils d'Ansprand, et supplicia de diverses façons tous ceux qui avaient un lien du sang avec ce dernier. Il maintint aussi Liutprand, le fils cadet d’Ansprand, en prison ; mais parce qu'il le considérait comme une personne sans importance et encore un simple adolescent, non seulement il ne lui infligea aucun sévice corporel, mais encore croyons que ce fut le commandement de Dieu Tout-Puissant qui le prépara à diriger le royaume. Puis Liutprand alla voir son père en Bavière ; cette venue lui causa une joie inestimable. Cependant, le roi Aripert fit saisir la femme d’Ansprand, du nom de Theodorada, et quand elle, avec son entêtement feminin, se vanta qu'elle serait reine, il lui ôta la beauté de son visage, en lui faisant couper nez et oreilles. De même la sœur de Liutprand, appelée Aurona, fut mutilée pareillement.

XXIII.

A cette époque, en Gaule, dans le royaume des Francs, Anschis (3) le fils d'Arnulf, dont on pense que le nom provient du Troyen Anchise, dirigea le royaume sous le titre d'intendant du palais.

XXIV.

Aldon mourut dans le Frioul, c'est celui que nous avons dit avoir été conservateur du lieu. — Son successeur fui Ferdulf, natif de Ligurie, nomme superbe et orgueilleux. Il voulut avoir la gloire de vaincre les Slaves, et attira de grandi maux sur lui et sur tout le Frioul. Il encouragea lui même et récompensa quelques Slaves pour conduire l'armée des Slaves dans une certaine province. Ce qu'ils firent, et voici quelle fut la cause de cette grande calamité: Des petits Larrons Slaves tombèrent sur des pâtres qui conduisaient leurs troupeaux dans les environs, et en enlevèrent une partie. Le recteur de ce lieu que dans leur langue ils appellent Seuldhaïs, était un homme noble, brave et puissant, il se mit à la poursuite des petits Larrons, mais il ne pût les atteindre comme il revenait de sa vaine poursuite, il rencontra le Duc Ferdulf. Or il faut savoir que ce Sculdhaïs s'appelait Argaïd, et Ferdulf demanda ce que l'on avait fait des petits larrons, et Argaïd lui répondit qu'ils avaient échappés. Alors Ferdulf s'indigna et parla ainsi. Tu ne saurais te conduire en brave toi dont le nom dérive d’Arga. — Argaïd qui était très brave se fâcha aussi et dit: J'espère Ferdulf que toi et moi, nous ne sortirons pas de cette vie avant d'avoir fait voir qui de nous deux est Arga. — Ils se dirent l'un à l'autre quelques injures. Puis quelques jours après, les Slaves vinrent avec une puissante armée ; car Ferdulf les avait appelés, ils posèrent leur camp sur une montagne d'un accès difficile. Le Duc Ferdulf étant venu avec son armée, commença à faire le tour de cette montagne, comme pour les attaquer avec avantage. Alors Argaïd lui dit: O Duc Ferdulf, rappelez-vous que vous m'avez appelle lâche, inutile, et Arga ; à présent que la colère de Dieu tombe sur celui de nous deux, qui arrivera le dernier à ces Slaves. — Après avoir dit cela Argaïd poussa son cheval droit à l'endroit le plus escarpé de la montagne. Ferdulf croyant qu'il lui serait honteux de faire moins qu’Argaïd, poussa également son cheval, et son armée le suivit. Les Slaves voyant cette manœuvre se préparèrent à les combattre à coups de pierres et de haches, et ils les tuèrent presque tous. Ferdulf et Argaïd y périrent tous les deux avec toute la noblesse du Frioul.[1]

Il y eut cependant une belle action faite par Munichia, qui fut ensuite père de Pierre Duc de Frioul, et de Urs Duc de Cenete. Un Slave lui avait lié les mains, et lui avec ses mains liées arracha la lance des mains du Slave, le frappa et se précipitant dans les sentiers escarpés il échappa heureusement. Nous rapportons ceci afin que chacun prenne garde que pareille chose ne lui arrive.

XXV.

Le Duc Ferdulf étant mort, Corvulus fut mis en sa place ; mais ayant offensé le Roi il eut les yeux crevés, et vécut dans l'ignominie.

XXVI.

Ensuite Pemmo eut le Duché. Ce fût un homme ingénieux et utile à sa Patrie. Son père était de Belluno ; mais y ayant fait une sédition, il vint dans le Frioul ou il vécut en paix. Ce Pemmo eut une femme appelée Ratberge, qui avait un visage lait et rustique, c'est pourquoi elle priait souvent son mari de la renvoyer et de prendre une autre femme, plus digne d'un Duc aussi grand. Mais lui qui était un homme sage répondait que ce n'était pas la beauté qu'il estimait, mais les mœurs, l'humilité et la modeste pudeur. Pemmo eut de cette femme trois fils Ratchis, Ratchaït et Astolf hommes vaillants, dont la naissance changea en gloire, l'humilité de leur mère. Ce Duc rassembla tous les fils de ceux qui avaient été tués dans la guerre contre les Slaves, et les éleva avec ses propres enfants sans y mettre aucune différence.

XXVII.

Dans ce temps-là Gisulf, chef des Bénéventins prit Sura ville des Romains, Hirpinos, et Arcom. Ce même Gisulf envahit la Campanie du temps du Pape Jean. Il commit des incendies et des déprédations. Il pénétra même jusqu'au lieu appelle Hornea Castra et personne ne pût lui résister. Le Pontife lui envoya des prêtres chargés de dons apostoliques, il racheta tous les captifs qu'il avait fait et l'engagea à s'en retourner chez lui.

XXVIII.

Dans ces temps-là Aripert Roi des Lombards rendit au saint siège le patrimoine des Alpes Cotiennes, que les Lombards avaient usurpé et gardé longtemps. Il fit écrire cette donation en lettres d'or et l'envoya à Rome. Dans ces temps-là deux Rois Saxons se rendirent à Rome pour y baiser la trace des pas des Apôtres. Et ils eurent le bonheur de mourir dans cette occupation,

XXIX.

Dans ces temps-là Benoît Archevêque de Milan se rendit à Rome, et plaida pour l'église de Pavie ; mais il perdit son procès, car les Evêques de Pavie ont toujours été consacrés par l'église de Rome. Le vénérable Archevêque Benoît fût un homme d'une excellente sainteté, et respecté de toute l'Italie.

XXX.

Trasemund Duc de Spolète mourut, et son fils Faroald lui succéda; mais le pays fut gouverné par Wachilap frère de Trasemund.

XXXI.

Justinien chassé de l'Empire vivait dans le Pont, et ayant trouvé le moyen de gagner Terbellis Roi des Bulgares celui-ci le rétablit sur le trône et Justinien fit périr tous les Patrices qui lui avaient été contraires. Il fit prendre Léon et Tibère qui avaient usurpé sa place, et les fit égorger dans le cirque en présence de tout le peuple. Il fit crever les yeux à Gallicinus Patriarche de Constantinople et l'envoya à Rome, et il mit à sa place l'Abbé Cyrus qui l'avait suivi dans son exil. Puis il ordonna au Pape Constantin de venir le trouver, le Pape vint, Justinien le reçut honorablement et le renvoya, et même se prosterna devant lui demandant de prier pour les péchés de son pays, et il confirma tous les privilèges de son église. Le Pape voulut empêcher Justinien d'envoyer une armée contre Philippique; mais il ne put obtenir cette faveur.

XXXII.

L'armée envoyée contre Philippique prit parti pour lui, et le proclama Empereur. Philippique marcha sur Constantinople. Justinien l'attendit à douze milles de la ville, et lui livra bataille; mais il fut vaincu et tué. Justinien régna cette seconde fois six ans conjointement avec son fils Tibère, à qui Léon avait fait couper les narines. Lorsqu'ensuite Tibère remonta sur le trône, toutes les fois qu'il s'essuyait le nez avec la main, ou presque toutes les fois, il fit égorger quelqu’un de ceux qui avaient été contre lui.

XXXIII.

Alors mourut Pierre Patriarche d'Aquilée, et Sérénus lui succéda, c'était un homme doué d'une sainte simplicité, et tout à fait dévoué au service de Jésus Christ.

XXXIV.

Philippique que l'on appelle aussi Bardane, s'étant affermi sur le trône impérial, déposa le Patriarche Cyrus et l'envoya gouverner son monastère.

Philippique envoya au Pape Constantin des lettres d'un mauvais dogme, qu'il rejeta par le conseil du siège Apostolique. C'est alors qu'il fit peindre dans le Portique de saint Pierre, les gestes des six premiers conciles œcuméniques. De semblables peintures existaient dans la ville royale, et Philippique les avait enlevées. C'est pourquoi le peuple Romain statua que les solds, ne devaient recevoir ni les chiffres, ni le nom, ni la figure d'un Empereur Hérétique. C'est pourquoi son effigie, ne fût pas placée dans l'église, ni son nom proclamé, pendant la messe.

Philippique Bardane régna un an et six mois, alors Anastase Artémius se révolta contre lui, et l'ayant vaincu lui fit crever les yeux. Anastase envoya à Rome, Scholastique Patrice et Exarque d'Italie, avec des lettres pour le Pape Constantin, où il se déclarait fauteur de la foi catholique et prédicateur du sixième concile.

XXXV.

Ansprand était déjà depuis neuf ans en Bavière lorsque Theudebert Duc des Bavarois entra en Italie avec une armée, et livra bataille à Aripert. Le carnage y fût très grand de part et d'autre. L'on combattit jusques à la nuit, cependant il est sûr que ce sont les Bavarois qui ont fui. Mais ensuite Aripert voulut rentrer dans Pavie ; ce qui désespéra les siens et accrut l'audace des Ennemis. Aripert étant donc rentré dans la ville, apprit que son armée désapprouvait sa retraite, c'est pourquoi il se détermina à s'enfuir en France, et il enleva dans le Palais autant d'or qu'il put; mais comme il voulut traverser le Tessin à la nage, l'or qu'il avait sur lui le fit aller à fond et il périt dans les eaux. Le lendemain son corps fut trouvé dans le Palais tout habillé, puis il fut enterré dans l'église du saint Sauveur.

Tandis qu’Aripert régnait il avait la coutume de sortir la nuit et d'aller çà et là, pour savoir ce que l'on disait de lui dans les différentes villes de son royaume, et de quelle manière l'on y rendait la justice au peuple. Une -autre de ses coutumes, c'est que lorsqu'il avait à recevoir les Ambassadeurs des nations étrangères. Il mettait des habits usés et de mauvaises pelisses. Jamais il ne leur faisait donner du bon vin, ni autres délices de cette nature, et par là il voulait détourner les peuples de faire la conquête de l'Italie.

Il régna d'abord avec son père Ragumbert et ensuite seul, le tout ensemble douze ans. Ce fut un homme pieux, charitable et ami de la justice, sous son règne il y eut de bonnes récoltes ; mais les temps étaient Barbares. Sed tempore Barbarica.

Gundebert frère d’Aripert s'enfuit en France et y resta jusqu'à sa mort. Il eut trois fils ; l'ainé qui s’appelait Ragimbert à eu de nos jours le gouvernement d'Orléans.

Ansprand ne régna que trois mois, ce fut un homme de toute manière très accompli, et peu de gens purent se comparer à lui pour la sagesse. Les Lombards voyant qu'il allait mourir, couronnèrent à sa place son fils Liutprand, et Ansprand qui vivait encore s'en réjouit beaucoup.

XXXVI.

Dans ce temps-là l'Empereur Anastase envoya une flotte contre les Sarazins d'Alexandrie; mais cette armée étant à moitié chemin retourna à Constantinople et demanda pour Empereur Orthodoxe Théodose. Celui-ci vainquit Anastase près d'Area — et le fit tout de suite ordonner prêtre, lui-même alla à Constantinople où il fit tout de suite remettre à sa place la vénérable image qui représentait le saint concile, et que Philippique avait fait ôter.

Dans ces jours-là le Tibre inonda tellement qu'il sortit tout à fait de son lit et fit beaucoup de dommages à Rome. Dans la via lata il y avait de l'eau à la hauteur d'un homme et demi. Et les eaux en attendant se joignirent depuis la porte de saint Pierre jusques au Pont Milvius.

XXXVII.

Dans ces temps-là beaucoup d'Angles nobles et roturiers, hommes et femmes, Ducs et principaux vinrent à Rome, poussés par l'instinct d'un divin amour.

Alors Pépin gouvernait le royaume des Francs, c'était un homme d'une audace singulière, qui attaquait ses ennemis et les terrassait à l’instant. Une fois qu'un de ses ennemis était campé de l'autre côté du Rhin, il passa ce fleuve avec un seul de ses gardes, entra dans sa tente et le tua avec tous ceux qui y étaient. Il fit beaucoup de guerres aux Saxons, et particulièrement à Rathod, Roi des Frisons. Il eut plusieurs fils dont le plus Illustre est Charles qui lui a succédé.

XXXVIII.

Liutprand ayant été confirmé dans le royaume, son parent Rotharit voulut le faire périr. A cet effet il l'invita à Pavie à un grand festin et cacha dans la maison des gens qui devaient le faire périr tandis qu'il serait à table. Liutprand l'ayant su, fit venir chez lui Rotharit— Il lui tâta le corps et vit qu'il avait une cuirasse sous son habit. Rotharit se voyant découvert sauta en arrière et tira son épée pour tuer le Roi. Le Roi tira aussi son épée, un garde du Roi appelle Subo, saisit Rotharit par derrière, et en fut blessé au front, puis d'autre tombèrent sur Rotharit, et le tuèrent. Il avait quatre fils qui étaient absent; on les tua là où on les trouva.

Le Roi Liutprand avait un grand courage, une fois on lui dit que deux de ses écuyers voulaient le tuer. Alors il alla avec eux dans le lieu le plus retiré d'une forêt, et ayant tiré son épée, il leur dit d'essayer de lui ôter la vie. Les deux écuyers tombèrent à ses pieds et lui découvrirent toute la conspiration. Il fit souvent de pareilles choses; mais il pardonnait à ceux qui s'avouaient coupables.

XXXIX.

Gisulf Duc de Bénévent étant mort, le peuple Samnite, élut en sa place son fils Romuald.

XL.

Vers ces temps-là Petronax citoyen de Bresce, vint à Rome par dévotion. Le Pape Grégoire l'exhorta à se rendre au mont Cassin. Il y alla, et ayant vu le corps de saint Benoît, il se détermina à y rester avec quelques hommes simples qui l'élurent pour leur ancien. Alors il y avait déjà près de cent et dix ans que ce lieu était désert. Mais le vénérable Petronax y attira de nouveau des habitants nobles et roturiers, séculiers et moines, et le mit sur le pied où il est à présent. Dans la suite le Pape Zacharie fit présent à Pertinax de beaucoup de choses utiles pour son couvent comme les livras de la sainte écriture, la règle de saint Benoît écrite de sa propre main, et d'autres écrits.

Pour ce qui est du monastère de saint Vincent sur le fleuve Vulturne, que nous voyons briller par la présence d'une si nombreuse congrégation, il a été fondé par trois nobles frères, Tato, Taso et Paldo, ainsi qu'il est écrit dans le livre qui en a été composé par le savant Autbert Abbé de ce même monastère.

Comme le Pape Grégoire était encore en vie le château de Cumes fut envahi par les Lombards de Bénévent; mais le Duc de Naples y vint de nuit, l'ôta aux Lombards et le rendit aux Romains. Le Pape lui donna pour cela soixante et dix livres d'or, ainsi qu'il le lui avait promis.

XLI.

L'Empereur Théodose mourut après avoir régné une seule année. Léon Auguste fut mis à sa place.

XLII.

Chez les Francs, Pépin mourut, et son fils Charles lui succéda ; mais il ne régna qu'après avoir arraché le royaume des mains de Reginfred. Reginfred le retenait prisonnier, il s'échappa comme par miracle, rassembla quelques troupes et combattit deux trois fois contre Reginfred, enfin il le vainquit à Vinciacun. Cependant il lui permit de vivre dans la ville d'Angers. Lui même commença à gouverner toute la nation des Francs.

XLIII.

Dans ce temps-là le Roi Liutprand confirma à l'Eglise la donation des Alpes Cotiennes. Peu de temps après il épousa Guntrada fille du Duc des Bavarois, qu'il avait connu lors de son exil, il en eut une seule fille.

XLIV.

Dans ce temps-là, Faroald Duc de Spolète, vint par mer à Ravenne et s'empara de cette ville; mais elle fut rendue aux Romains par ordre de Roi Liutprand, Trasemund fils de Faroald se révolta contre son père et le força à se faire moine. Dans ces jours-là Thendo Duc des Bavarois vint à Rome par dévotion.

XLV.

Dans le Frioul le Patriarche Sérénus étant mort, le Roi Liutprand favorisa l'élection de Calliste homme excellent qui était archidiacre de l'Eglise d'Aquilée. Dans ce temps-là Pemmo gouvernait les Lombards du Frioul. C'est celui que nous avons dit avoir fait élever avec ses fils, ceux des nobles Lombards, tués dans la bataille contre les Slaves. Tout ces enfants étaient déjà grands, et voila qu'on lui annonce qu'une immense multitude de Slaves est venue à l'endroit appelé Lauriana. Pemmo se mit à la tête des jeunes gens et fit trois attaques contre les Slaves, dont il fit un grand carnage.

Du côté des Lombards personne ne périt que le vieux Sigwald, Celui-ci avait perdu deux fils dans l'ancienne bataille qui eut lieu sous FerdulfCette fois-ci voulant se venger il fit la première et la seconde attaque. A la troisième le Duc voulut l'empêcher d'aller, mais il répondit ainsi: J'ai vengé la mort de mes fils et si je meurs je mourrai content. Aussi il fut le seul qui périt dans ce combat. Pemmo ne voulant aussi perdre personne de plus, fit la paix avec les Slaves, sur le champ même de bataille, et depuis ce temps-là, les Slaves ont commencé à craindre les Lombards du Frioul

XLVI.

Dans ce temps-là, la nation des Sarrazins traversa le détroit dans le lieu appelle septem, et envahit toute l'Espagne. Dix ans après ils entrèrent dans l’Aquitaine avec leurs femmes, et leurs enfants comme s'ils eussent voulu habiter cette province. Dans ce temps-là Charles était brouillé avec Eude Prince d'Aquitaine, mais ils se réconcilièrent et se réunirent pour combattre les Sarrazins. Les Francs les attaquèrent et en tuèrent trois cent soixante et quinze mille, et ils ne perdirent que mille et cinq cent hommes. Pendant ce temps-là Eude attaqua le camp des Sarrazins, et y fit aussi un grand massacre.

XLVII.

Dans ce temps-là la nation des Sarrazins vint avec une flotte immense et entoura Constantinople, le siège dura trois ans. Enfin les citoyens élevant sans cesse leurs prières vers Dieu, il permit que beaucoup de Sarrazins périssent par la faim, le froid, la guerre et la peste, ainsi ils se retirèrent.

Puis les Sarrazins ayant quitté Constantinople allèrent attaquer les Bulgares qui sont sur le Danube; mais ayant été repoussés il furent obligés de gagner le large, et une tempête qui vint les assaillir détruisit la plus grande partie de leur flotte. Déjà trois cent mille Sarrazins étaient morts de la peste près de Constantinople.

XLVIII.

Liutprand ayant su que les Sarrazins qui ravageaient la Sardaigne, avaient même souillé les lieux ou l'on conservait les os de saint Augustin. Il y envoya et les ayant achetés à haut prix, il les plaça honorablement dans la ville de Pavie. Dans ce temps-là les Lombards s'emparèrent de la ville de Narni.

XLIX.

Dans ce temps-là le Roi Liutprand assiégea Ravenne, attaqua et détruisit la flotte de cette ville. Alors aussi Paul Patrice de Ravenne, envoya des gens pour tuer le Pontife; mais le mauvais dessein des Ravennais fut anéanti, parce que les Lombards de Spolète les repoussèrent sur le Pont Salarius et les Lombards de Toscane résistèrent dans les autres endroits.

Dans ce temps-là, Léon Empereur de Constantinople brûla les images qui étaient déposées dans un endroit particulier, et fit dire au Pape, qu'il eut à en agir de même, s'il voulait acquérir les bonnes grâces Impériales ; mais le Pape méprisa ses ordres. L'armée de Ravenne et celle des Venises en firent de même, et auraient élu un autre Empereur; si le Pape ne les eut retenu. Le Roi Liutprand s'empara de Emilie, Foronianum, Monte bello, Buxeta, Persiceta, Bologne et de la Pentapole avec Auxinium. Alors il s'empara aussi de Sutrium, mais après quelques jours on les rendit aux Romains. Cependant Léon continua à se corrompre dans la foi, et employa tous les moyens de contrainte et de persuasion, pour engager les habitants à ôter et déposer toutes les images du Sauveur, de la Vierge et des saints. Puis il les fit brûler au milieu de la ville. Et comme plusieurs ne voulurent point se rendre coupable d'un pareil crime, il fit couper la tête aux uns et en fit mutiler d'autres. Le Patriarche Grégoire ne voulut point souscrire à de pareilles erreurs.

L.

Romuald Duc de Bénévent épousa Guntberge fille d'Aurone sœur du Roi Liutprand, il en eut un fils auquel il donna le nom de son père Gisulf, après cette femme il en eue une autre Rarigonde fille de Gaidoald, Duc de Bresce.

LI.

Alors il y eut une grande querelle entre le Duc Pemmo, et le Patriarche Calliste, voici quelle en fut l'origine. Fidentius Evêque de Castro Julio, vint par l'ordre de ses supérieurs habiter dans la ville de Frioul. Celui-ci mourut et Amator lui succéda. Mais jusques alors les Patriarches avaient demeuré à Cormones, à cause des incursions des Romains qui les empêchaient de demeurer à Aquilée. Ceci déplut à Calliste qui était d'une origine illustre, il ne put voir qu'un autre Evêque demeura dans son diocèse avec le Duc des Lombards. C'est pourquoi il chassa Amator de la ville de Frioul et s'établit dans sa maison.

Le Duc Pemmo se fâcha, assembla les plus nobles d'entre les Lombards, fit saisir le Patriarche et le fit conduire au Château de Pontium où il voulut le faire jeter dans la mer, Dieu l'empêcha heureusement de le faire mais il retint le Patriarche prisonnier, et le fit bien souffrir ne lui donnant à manger que du pain. Le Roi Liutprand l'ayant su se fâcha extrêmement ôta le Duché à Pemmo et le donna à son fils Ratchis. Alors Pemmo se disposa à fuir dans le pays des Slaves ; mais Ratchis obtint du Roi la grâce de son père. Pemmo ayant confiance au Roi, se rendit auprès de lui avec tous les Lombards qui avaient été de son conseil. Le Roi résidant dans son jugement fit asseoir Ratchis, et ordonna que son père Pemmo, et ses deux frères Ratchaït et Astulf, se tiendraient debout derrière son siège. Alors le Roi éleva la voix, et appelant par leurs noms tous les nobles Lombards, qui avaient adhéré à Pemmo, il ordonna qu'on les saisît. Alors Astulf ne pouvant se contenir, tira son épée à moitié pour frapper le Roi; mais son frère Ratchis le retint. Hersemar l'un des Lombards tira aussi son épée, et se défendant vaillamment se sauva dans l'église de saint Michel. Ce fût cependant le seul qui obtint sa grâce et les autres périrent dans les fers.

LII.

Ratchis étant devenu Duc de Frioul, entra dans la Carniole, Patrie des Slaves, ravagea le pays et tua un très grand nombre d'habitants. Une fois les Slaves tombèrent sur lui si fort à l’improviste qu'il n'eut pas le temps de prendre la lance des mains de son écuyer et se servant de la masse d'armes qu'il avait à la main, il tua le premier Slave qu'il rencontra.

LIII.

Vers ces temps-là, Charles Prince des Francs, envoya son fils Pépin vers le Roi Liutprand, pour qu'il reçut sa chevelure selon l'usage. Liutprand lui coupa les cheveux et étant par là devenu son père il lui fit de riches présente et le renvoya chez son véritable père.

LIV.

Vers ce temps-là l'armée des Sarrazins chercha encore à pénétrer dans les Gaules et y commit de grands ravages. Charles marcha contre eux et les battit près de Narbonne. Puis les Sarrazins rentrèrent encore dans les Gaules et parvinrent jusques à Arles, qu'ils prirent après avoir dévasté les environs. Alors le Roi Charles envoya vers le Roi Liutprand et lui fit demander des secours. Liutprand se mit aussitôt en campagne avec toute l'armée des Lombards ; mais les Sarrazins ne l'attendirent pas, et Liutprand rentra en Italie.

Ce Roi fit aussi de grandes guerres contre les Romains dont il fut toujours vainqueur. Cependant son armée fut une fois battue près de Rimini, mais il n'y était pas en personne, une autre fois, près du Bourg de Pilleum tandis que le Roi était dans la Pentapole, les Romains tombèrent sur une multitude de ces gens qui portent des présents, ainsi que les dons de diverses églises. Aussi lorsque Ravenne fut prise par Hildebrand neveu du Roi et Peredée Duc de Vicence, les Vénitiens tombèrent sur eux à l’improviste. Hildebrand fût fait prisonnier; mais Pefedée fut tué se défendant en brave. Puis les Romains que les succès ne manquent jamais d'enfler d'orgueil, mirent à leur tête Agathon Duc de Péruse et voulurent prendre Bologne où Walcaris était en garnison avec Peredée et Rotharis ; mais ceux-ci tombèrent sur les Romains, massacrèrent les uns et mirent les autres en fuite.

LV.

Dans ces jours là Trasimund se révolta contre le Roi. Le Roi le chercha avec son armée, et il fut contraint de prendre la fuite. Hildéric fut mis à sa place. Trasimund se retira à Rome.

Alors mourut Romuald le jeune Duc de Bénévent qui avait gouverné le duché pendant vingt six ans. Il ne laissa après lui qu'un fils encore enfant qui s'appelait Gisulf. Quelques uns se révoltèrent contre cet enfant et cherchèrent à le faire périr; mais les Bénéventins qui ont toujours été fidèles à leurs maîtres, les tuèrent et sauvèrent les jours de leur petit Duc. Comme cet enfant ne pouvait pas gouverner. Le Roi Liutprand vint à Bénévent l'ôta de là et mit à sa place son neveu Grégoire dont la femme s'appelait Gisselberge. Le Roi Liutprand ayant ainsi arrangé les choses retourna dans sa résidence, là il fit élever son neveu Gisulf avec une piété tout à fait paternelle, et lui donna pour épouse Coniberge dont la famille était très illustre.

Vers ce temps-là le Roi fut atteint d'une maladie de langueur, et fut très près de mourir. Les Lombards croyant qu'il était déjà mort, se rendirent à l'église de la mère de Dieu, qui est proche des perches, et exhaussèrent en qualité de leur Roi, Hildebrand, neveu de Liutprand. Et comme on lui présentait l'épieu selon la coutume, un coucou vint s'y percher. Des hommes prudents qui se trouvaient là dirent que ce prodige signifiait que ce que l'on faisait là était inutile. Le Roi Liutprand étant revenu à lui, ne fut pas bien aise de ce qui s'était passé, cependant il partagea l'autorité royale avec Hildebrand.

Quelques années après. Trasemund qui s'était enfui à Rome revint à Spolète, tua Hildéric et se révolta contre le Roi.

LVI.

Grégoire ayant été sept ans Duc de Bénévent mourut, Godeschalc lui succéda, et gouverna ce Duché pendant trois ans, celui-ci eut une femme appelée Anne. Le Roi Liutprand retourna de nouveau dans le Bénéventin. Il vint dans la Pentapole, et comme il allait de Fano au fort Sempronius et qu'il traversait la forêt, les Spolétans l’attaquèrent conjointement avec les Bénéventins, et firent beaucoup de mal à son armée. Le Roi leur opposa ceux du Frioul commandés par le Duc Ratchis, et par son frère Astulf. Les Spolétans et les Romains en tuèrent et blessèrent quelques uns, cependant Ratchis combattant avec courage, s'en tira avec une perte que l'on doit regarder comme peu considérable; si l'on considère qu'il eut à soutenir tout le poids de l'attaque. Berto ce vaillant Duc de Spolète, appelle Ratchis par son nom, le chercha pour le combattre armé de toutes pièces. Ratchis courut sur lui et le jeta bas de son cheval. Les compagnons de Ratchis voulurent le tuer; mais Ratchis les en empêcha, et Berto rampant sur ses pieds et sur ses mains s’enfonça dans la forêt.

Comme Astulf traversait un certain pont deux braves Spolétains vinrent l'attaquer par derrière, il donna à l’un un grand coup du revers de sa lance et le jeta en bas du pont puis se retournant vers l'autre il le tua et l’envoya dans l’eau rejoindre son compagnon.

LVII.

Liutprand vint à Spolète et chassa Trasemund de son duché, et le fit prêtre, puis il mit à sa place son neveu Angibrand. Comme il s'approchait de Bénévent, Godescalc voulut s'enfuir par mer et passer en Grèce. Il avait déjà mis sur le vaisseau sa femme et ses richesses, et allait s'embarquer lorsqu'il fut tué par les amis de Gisulf. Sa femme arriva heureusement à Constantinople.

LVIII.

Alors le Roi Liutprand, vint à Bénévent et remit sur le trône ducal son neveu Gisulf, puis il retourna chez lui.

Ce Roi glorieux fait bien des choses en l'honneur du Christ, et entre autres il a fait bâtir des basiliques dans tous les lieux où il avait coutume de séjourner. C'est lui qui a fait construire le monastère de saint Pierre que l'on appelle Ciel d'or, et qui est hors des murs de la ville de Pavie. Il a aussi fait construire le monastère, qui est au haut de l'Alpe Bardon, et que l'on appelle Bercetam. Il fit aussi construire à Olonne la belle église avec le monastère. Enfin il a fait bâtir bien des temples en différents lieux.

Il fit aussi bâtir dans l'intérieur de son palais, la chapelle du saint Sauveur, et y institua des prêtres et des élèves, pour lui chanter tous les jours, les divins offices, ce que d'autres Rois n'avaient pas eu.

Sous ce Roi-là, l'on vit faire plusieurs miracles à un homme d'une sainteté admirable, qui s'appelait Badolin, et demeurait à Forum sur le fleuve Tanarus. Souvent il a prédit l'avenir à bien des personnes présentes ou absentes. Une fois comme le Roi Liutprand était à la chasse, un homme de sa suite voulant tirer contre un cerf, frappa de sa flèche le jeune Ausus, fils d'une sœur du Roi. Le Roi qui aimait beaucoup ce jeune garçon fut très affligé de son accident et envoya aussitôt un homme à cheval vers Badolin, pour lui dire de prier Jésus Christ pour la santé de ce garçon. L'homme à cheval arriva chez le serviteur de Dieu; mais dès ce que celui-ci l'eut aperçu il lui dit: « Je sais pourquoi vous venez ; mais ce que vous me demandez ne peut se faire; car l'enfant est mort à l'heure qu'il est. »

Il y eût un autre saint homme appelle Theudelapius qui demeurait près de Vérone, qui obtenait du ciel bien des choses, et prédisait aussi l'avenir par ce qu'il était doué d'un es prit prophétique. Dans ces temps-là fleurit aussi Pierre Evêque de Pavie, qui était parent du Roi. Le Roi Aripert l'avait autrefois exilé à Spolète, et comme il fréquentait l'église de saint Sabinus, ce saint martyre lui apparut et lui annonça qu'il deviendrait Evêque de Pavie. Ensuite lorsque cette prédiction se vérifia, Pierre fit construire à ce saint martyr une église sur son propre terrain. Entre autres belles qualités de Pierre, c'est qu'il garda toute sa vie la fleur de sa virginité. Nous parlerons en son lieu d'un certain miracle qu'il a opéré.

Liutprand mourut très vieux après avoir régné trente un ans et sept mois, son corps fût mis dans la basilique de saint Adrien Martyre où son Père repose également. C'était un homme sage, pieux et ami de la paix, maître dans l'art de la guerre, et clément envers les coupables, chaste, pudique, adonné à la prière, libéral en aumônes, ignorant dans les lettres; mais digne d'être comparé aux Philosophes, Nourricier de la nation et augmentateur des lois. Dans le commencement de son règne, il prit plusieurs villes aux Bavarois, et dans cette expédition il montra plus de confiance dans la prière que dans les armes. Il mit aussi beaucoup de soin, à cultiver la paix avec les Francs et les Avares.[2]