HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST |
LIBRAIRIE FRANÇAISE |
FRENCH DOOR |
HISTOIRE DES LOMBARDS
PAUL DIACRE
LIVRE I
I.
La plage Septentrionale éloignée des
ardeurs du soleil et gelée par le froid des neiges en est d'autant plus propre
à la propagation des peuples et à la Salubrité des corps. Au contraire les
contrées du midi sont exposées aux maladies, et peu propres à l'éducation des
enfants des hommes. De là vient que de grandes multitudes de nations ont
commencé sous le Pôle et toute cette région jusques au Tanaïs et vers
l'occident s'appelle en général Germanie, quoique chaque lieu y ait un nom
particulier, et que les Romains aient aussi donné les noms de Germanie
supérieure et inférieure à deux Provinces dont l'une était au-dessus et l'autre
au-dessous du Rhin. C'est de cette populeuse Germanie, que souvent on a amené
dans le midi des troupes d’esclaves, et comme elle produit plus d'hommes
qu'elle n'en peut nourrir, des peuples nombreux en sont sortis et ont affligés
les pays voisins dans l'Asie et l'Europe. Voilà ce qu'attestent tant de villes
ruinées dans l'Illyrie et la Gaule; mais particulièrement dans la
malheureuse Italie, qui a éprouvé les fureurs de chacune de ces nations en
particulier. Car c'est de la Germanie que sont sortis, les Goths, les Vandales,
les Rugiens, les Hérules, les Turcilinges et d'autres nations Barbares.
II.
C'est ainsi que la nation des Winiles, c'est à dire des Lombards, qui aujourd'hui règne
glorieusement en Italie, tire son origine des peuples Germains; mais elle a eu
aussi d'autres raisons d’émigrer. L'on dit qu'elle est venue de l'Isle appelée
Scandinavie. Pline second fait mention de cette île dans les livres qu'il a
composés sur la nature des choses. Ceux qui y ont été nous ont assuré que cette
île n'est point au milieu de la mer; mais qu'elle est entourée par les flots
qui environnent la terre à cause du peu de hauteur des rivages. Les habitants
de ce pays ayant donc peuplé au-delà de toute mesure, partagèrent dit-on leur
immense multitude en trou parts, et consultèrent le sort pour savoir laquelle
de ces trois troupes irait chercher des nouvelles habitations.
III.
Or donc la troupe que le sort désigna pour
aller chercher de nouvelles habitations, élut deux chefs Ibor et Aion, qui étaient frères et dans la fleur de leur âge. Leur mère qui
s'appelait Gambara,
avait infiniment d'esprit et de prudence et ses fils la consultaient dans tous
les cas embarrassants.
IV.
Je ne crois pas qu'il serait mal à propos
de parler un peu de la Germanie, puisque nous l'avons déjà mentionnée, et de
dire quelques-unes des merveilles que l'on en raconte. Par exemple l'on dit que
sur le rivage de l'océan aux extrémités de la Germanie, il y a une Caverne au
pied d'un haut rocher, où sept hommes dorment d'un profond Sommeil, l'on ne
sait pas depuis combien de temps; si bien que leurs corps n'ont point soufferts,
non plus que leurs habits, ce qui les a mis en vénération parmi les Barbares
des environs. Leur habillement semble prouver qu'ils étaient Romains. Un homme
mu par la cupidité, entra un jour dans la Caverne pour les déshabiller ; mais
il ne les eût pas plutôt touchés que ses bras furent brulés, et depuis lors
personne n'osa plus les toucher. Je vous laisse à deviner pour quel dessein la
providence divine les conserve depuis si longtemps. Peut-être qu'un jour ils
s'éveilleront et convertiront ces peuples par la prédication ; car l'opinion
générale est que ces sept dormants sont des Chrétiens.
V.
Les Scritobini sont voisins de ce lieu-là, leur pays ne manque pas de neige même en été, et
semblables aux bêtes féroces, ils se nourrissent de la chair crue des animaux
sauvages, et s'habillent de leurs peaux. L'Etymologie de leur nom selon la
langue Barbare vient de sauter. — Car ils poursuivent le Gibier en
sautant et se servent pour cela d'un bois courbé en forme d'arc. Chez eux est
un animal assez ressemblant au cerf, de la peau duquel ils font des espèces de
tuniques qui descendent jusques aux genoux, et ont le poil en dehors, j'en ai
vu de pareilles, et ce sont les habits dont se servent les Scritobini.
Là dans le Solstice d'été l'on voit clair pendant toute la nuit ; car les jours
y sont bien plus longs qu'ailleurs. Au contraire dans le Solstice brumal, l'on
n'y voit point le soleil et les jours y sont très courts; car plus on s'éloigne
du soleil, et plus il semble rapproché de la terre, et plus aussi les ombres
sont allongées. Par exemple, au jour de Noël à six heures en Italie, l'ombre
d'un homme à neuf pieds de long. Et moi, étant dans la Gaule Belgique dans le
lieu appelle Thionville, je mesurai mon ombre et je la trouvai de dix neufs
pieds. Au contraire plus on se rapproche du midi et plus les ombres paraissent
courtes, si bien que dans le Solstice d'été à midi, l'on ne voit aucune ombre
tant à Jérusalem qu'en Egypte. En Arabie à la même heure et dans le même temps,
le soleil paraît au nord et les ombres sont tournées vers le midi.
VI.
Non loin du rivage dont nous avons parlé,
vers l'occident où s'ouvre un océan sans bornes, est ce gouffre profond des
eaux que nous appelions vulgairement le Nombril de la mer, qui absorbe les
flots deux fois par jour et les revomit autant de fois, ainsi qu'on le voit
bien sur tous ces rivages, un gouffre semblable est appelle Charybde par le
poète Virgile, qui en parle dans ces termes.
Dextrum Scylla Latus loevum implacata
Charybdis
Obsidet at que imo baratri ter
gurgite vastos
Sorbet in abruptum fluctus, rursus
que sub auras.
Erigit alternos, et sidera verberat
unda.
L'on assure que ce gouffre attire souvent
des vaisseaux, avec la vitesse d'une flèche, et les fait périr; mais
quelquefois les vaisseaux au moment d'être engouffrés, sont repoussés au loin,
avec autant de vitesse qu'ils avaient été attirés. L'on dit qu'il y à aussi un gouffre semblable entre les Gaules et l'île de
Bretagne, aussi tous les rivages de l'Aquitaine et de la Sequanique,
sont inondés deux fois par jour par les flots de la mer, et ceux qui s'y
promènent ont souvent bien de la peine à échapper. Vous voyez alors les fleuves
de ces contrées retourner vers leurs sources, et leur douceur changée en
Amertume. L'île Evodia est à trente mille du rivage Sequanique, et les habitants de cette île, disent que de
chez eux l'on entend le mugissement de cette Charybde. Un noble Gaulois m'a
conté, qu'une fois des vaisseaux battus par la tempête, avoient été attirés par
ce gouffre, et un homme qui nageait encore après la mort des autres fut
entraîné jusques au bord de l'abîme, que la considérant ce vaste Cahos, il attendait le moment d'y être précipité, lorsque
le flot le porta sur un rocher. Toutes les eaux ayant été absorbées, les bords
de l'abime restèrent à découvert. Le malheureux y restait en proie à mille
angoisses et ne regardait sa mort que comme différée, lorsqu'il vit comme des
montagnes d'eau qui sortaient de ce gouffre, et qui portaient les vaisseaux qui
venaient d'être engouffrés, l'un de ceux-ci passa auprès de lui, il saisit
quelque objet au moyen duquel il put s'y accrocher, et fut transporté sur le rivage
avec rapidité. Cet homme vit encore et raconte lui-même son désastre.
Notre mer qui est l'Adriatique,
envahit de la même manière les rivages des Vénéties et de l'Hystrie; mais avec bien moins de force, ainsi
il est croyable qu’elle recèle aussi de ces conduits qui absorbent et
revomissent les eaux.
VII.
Or donc les Winiliens sortis de Scandinavie sous le commandement d'Ibor et
d'Ayon, vinrent dans la région appelée Scoringa, et y restèrent quelques années. Dans ce temps-là
les Ambres et les Asses, chefs des Vandales, faisaient la guerre aux régions
voisines. Enflés d'un grand nombre de victoires, ils envoyèrent vers les Winiliens pour leur ordonner de payer tribut aux Vandales. Ibor, Ayon et leur mère Gambara, trouvèrent qu'il valait mieux se battre que de se
souiller par des tributs. Et ils envoyèrent dire aux Vandales qu'ils les
combattraient et ne les serviraient pas. Les Winiliens étaient tous des jeunes gens ; mais leur nombre n'était pas grand ; car leur
population n'était que la troisième partie de celle d'une Isle assez petite.
VIII.
Ici l'antiquité rapporte un conte
ridicule. Les Vandales (dit-on) s'adressèrent à Wodan, et le prièrent de leur
accorder la victoire sur les Winiliens. Celui-ci
répondit qu'il l'accorderait à ceux qu'il verrait les premiers au soleil
levant. Alors Gambara s'adressa à Frea femme de Wodan, et lui demanda la victoire pour les Winiliens. Frea lui conseilla d'ordonner aux femmes de défaire
leurs cheveux et de les arranger sur leur visage en forme de barbe. Celles-ci
le firent et se placèrent le matin avec les hommes, du côté où Wodan a coutume
de regarder par la fenêtre de son Palais, lorsqu'il veut voir le soleil levant.
Et Wodan les ayant vus dit qui sont ces gens à longues barbes? Alors Frea le pria d'accorder la victoire à ceux qu’il avait
ainsi nommés. Et c'est ainsi dit-on que Wodan accorda la victoire aux Winiliens. Ces choses sont risibles et ne méritent aucune
attention. La victoire n'est point dans la puissance des hommes ; mais c’est un
don du ciel.
IX.
Il est pourtant certain que les
Lombards tirent leur nota de leurs longues barbes, que le fer ne touche jamais;
car auparavant ils étaient appelés Winiliens. Dans
leur langue Lang veut dire long, et Baert,
Barbe, Wodan, qu'ils ont aussi appelle Godan en ajoutant une lettre est le
Mercure des Romains, et il est adoré par toutes les nations de la Germanie, et
il a existé non pas alors ; mais bien auparavant, non pas en Germanie; mais en
Grèce.
X.
Or donc les Winiliens où Lombards, ayant livré bataille aux Vandales, remportèrent la victoire. Cette
Province s'appelle Scoringa, ils y souffrirent de la
famine, et furent très consternés.
XI.
Comme ils sortaient de cette Province
pour entrer dans la Mauringa, les Assipites ne voulurent point leur permettre de passer sur leurs terres. Les Lombards
voyant le nombre de leurs ennemis, eurent recours à un stratagème. Ils
répandirent qu'ils avaient dans leur armée des Cynocéphales c'est à dire des
hommes à tête de chien, qui étaient très belliqueux, buvaient le sang des
hommes et même le leur propre lorsqu'ils ne pouvaient pas atteindre leurs
ennemis, et pour qu'on les crut plus aisément, ils augmentèrent le nombre des
tentes et des feux. Ceux-ci les voyant et entendant toutes ces choses n'osèrent
plus risquer de Bataille.
XII.
Cependant les ennemis avaient chez
eux un homme très fort, et ils l'envoyèrent défier au combat singulier le plus
fort des Lombards, sous la condition que s'il était victorieux, les Lombards
seraient obligés de retourner dans leur pays, et que s'il était vaincu, les
passages leurs seraient ouverts. Les Lombards ayant entendu ces choses
délibérèrent sur le choix de leur champion. Alors un homme de condition servile
se présenta et dit qu'il combattrait à condition que s'il était vainqueur on
lui accorderait la liberté. Il combattit, remporta la victoire, obtint la
liberté et les Lombards continuèrent leur route.
XIII.
Or donc les Lombards étant parvenus
dans la Mauringa voulurent augmenter le nombre de
leurs Guerriers, et accordèrent la liberté à un grand nombre d'hommes de
condition servile, et ils sanctionnèrent cet affranchissement à leur manière
accoutumée, c'est à dire par la flèche et en murmurant de certains mots dans la
langue de leur patrie. Les Lombards ayant quitté la Mauringa abordèrent (aplicuerunt) dans la Golande,
où ils restèrent quelque temps. Ensuite ils possédèrent pendant quelques années Anthabet Bathaïb et Vurgundaïb, ce que nous croyons être des noms de Bourgs où
de lieux.
XIV.
Ibor et Ayon qui avaient gouverné les Lombards depuis leur sortie de Scandinavie étant
morts, ils ne voulurent plus de Ducs; mais un Roi, à l'instar des autres
nations. Et le premier qui fut leur Roi fut Agelmund fils d'Ayon, de la famille des Gungine,
qui était chez eux la plus noble. Celui-ci régna 33 ans à ce que disent les
Anciens.
XV.
Dans ce temps-là une certaine fille
de joie accoucha tout à la fois de sept fils, et plus cruelle qu'une bête
féroce elle les jeta dans une piscine; si quelqu'un ne veut pas y
ajouter foi, qu'il relise les histoires des Anciens, et il trouvera qu'une
femme a accouché non seulement de sept enfants; mais même de neuf, ce qui
arrivait principalement chez les Egyptiens.
Or donc il arriva que le Roi Agelmund, chemin faisant, arriva à cette piscine, et
arrêtant son cheval, il regarda les enfants avec commisération, les retournant
çà et là avec le bout de sa lance, et un de ces enfant saisit la lance du Roi
avec la main. Le Roi s'en étonna et dit que cet enfant était destiné à de
grandes choses. Et tout de suite il le fit ôter de la piscine et le remit à une
nourrice, en lui ordonnant d'en avoir le plus grand soin. Cet enfant fût appelé Lamission, parce que Lama dans la
langue des Lombards, veut dire une piscine. Ce Lamission devint dans la suite un si brave guerrier qu'il succéda à Agelmund.
Un jour que les Lombards marchaient
ayant leur Roi à leur tête, ils arrivèrent à un certain fleuve, dont le passage
leur fût disputé par les Amazones. Alors Lamission combattit à la nage au milieu du fleuve la plus vaillante des Amazones, et les
conditions du combat singulier étaient, que s’il était vainqueur, les Amazones
leur laisseraient passer le fleuve ; et Lamission fut vainqueur; mais ce fait ne passe point pour être appuyé sur la vérité; car
ceux qui connaissent les histoires anciennes, savent bien que la nation des
Amazones a été détruite longtemps avant que ces choses aient pu arriver. Mais
il faut convenir aussi que les historiens qui ont décrit ces événements, n'ont pas
assez connus les lieux où ils se sont passés, et il est possible aussi que
cette race de femmes ait subsisté quelque part jusques à ces temps-là. Car moi-même
j'ai entendu rapporter à quelques-uns, que dans le fond de la Germanie, il
existe encore aujourd'hui une pareille race de femmes.
XVI.
Les Lombards ayant donc traversé ce fleuve
restèrent quelque temps dans le pays qui était au-delà, et comme ils n'y
étaient exposés à aucun danger, ils s'y accoutumèrent à une sécurité trop
grande ; car la sécurité est souvent mère des périls. Car une nuit comme ils
dormaient tous, les Bulgares les attaquèrent à l'Improviste, tuèrent leur Roi Agelmund et enlevèrent sa fille unique.
XVII.
Les Lombards se remirent peu à peu de cette
défaite, et prirent pour leur Roi ce Lamission dont
nous avons parlé plus haut. Celui-ci qui était jeune, bouillant, et prompt aux
combats tourna ses armes contre les Bulgares. Mais dès le premier choc, les
Lombards tournèrent le dos et s'enfuirent vers leur camp, Lamission témoin de cette lâcheté se mit à leur en faire des reproches, à haute voix,
leur rappelant la mémoire de leur Roi égorgé, et de sa fille enlevée, ajoutant
qu'il valait mieux périr dans le combat que de vivre le jouet de ses ennemis,
ainsi que sont les vils esclaves, s'il voyait quelque homme d'une condition
servile et qui combattait il lui promettait la liberté. Enfin, il en fit tant
qu'ils retournèrent à la charge et vengèrent la mort de leur Roi, et puis ils
devinrent plus courageux à la guerre, principalement, à cause du grand butin
qu'ils avaient fait dans cette bataille.
XVIII.
Ensuite mourut Lamission,
second Roi des Lombards, et Lethu lui succéda;
celui-ci régna environ quarante ans. Son successeur fut Hildeoc son quatrième fils, et à celui-ci succéda le
cinquième fils appelle Gudehoc.
XIX.
Alors Odoacre
régnait en Italie déjà depuis quelques années, et Féléthée ou Feva Roi des Rugiens se trouva enflammé par le foment des plus grandes inimitiés. Ce Féléthée habitait
alors la rive ultérieure du Danube séparée par ce fleuve du Norique. Sur ces
confins des Norices était le couvent de St. Severin,
homme très remarquable par la sainteté de ses vertus, et dont le corps est
aujourd'hui à Naples. Quoiqu'il soit mort dans les lieux, que nous venons
d'indiquer, ce saint homme ne cessait de faire des remontrances à sa femme Gissa, mais ils méprisèrent ses paroles pieuses. Alors
Odoacre rassembla les nations qui lui obéissaient, savoir les Tucilinges, les Hérules une partie des Rugiens et quelques peuples d'Italie et il entra ainsi dans le Rugiland ; combattit les Rugiens et fit périr leur Roi Féléthée. Après avoir ravagé toute cette province, il
retourna en Italie avec un très grand nombre de Captifs.
Alors les Lombards sortirent de leurs
régions et entrèrent dans le Rugiland, et Rugiland veut dire en latin, Patrie des Rugiens. Et comme le pays était fertile, ils y restèrent
plusieurs années.
XX.
Pendant ce temps là mourut Gudehoc, et son fils Claffo lui succéda. Ensuite Claffo mourut et son fils Tato lui succéda, et fut le septième Roi des Lombards.
Les Lombards étant sortis de Rugiland, habitèrent dans des campagnes ouvertes, qui dans
la langue des Barbares s'appellent Feld. Comme ils y
demeurèrent trois ans, il s'y éleva une grande guerre entre Tato,
et Rodulphe Roi des Hérules. Ils avaient été alliés
jusqu'alors, et voici qu'elle fut l'occasion de cette querelle.
Le Frère du Roi Rodulphe avait été envoyé vers Taton pour resserrer les nœuds
de leur alliance; et comme il retournait chez lui, il passa devant la maison de Rumetrude fille du Roi. Celle-ci, voyant une troupe
aussi nombreuse et magnifique, demanda qui était cet homme si bien accompagné ;
on lui répondit que c'était le frère du Roi Rodulphe qui retournait dans son pays, après s'être acquitté de son ambassade. La
demoiselle envoya vers lui pour l'inviter à boire un verre de vin chez elle, et
il y vint sans défiance ; mais comme il était très petit de taille, la
demoiselle le regarda avec mépris, et lui dit des paroles dérisoires, celui-ci,
plein de honte et d'indignation, répondit par des paroles qui donnèrent encore
plus de confusion à la Belle. Celle-ci, enflammée de colère, se décida aussitôt
à en tirer une vengeance éclatante, mais, dissimulant avec art, elle sourit
agréablement, et invita le Prince à s'asseoir. Mais elle le fit asseoir dans un
lieu où il avait à dos une fenêtre recouverte par une tapisserie et cette
atroce bête y plaça ses valets et leur commanda de donner des coups de lance au
moment, où elle dirait à l'échanson Versez ! Cet ordre fut exécuté, et le
Prince frappé par derrière, expira au même instant.
Rodulphe devint furieux au moment où il
apprit ce qui s'était passé ; et résolu a la
vengeance, il déclara la guerre à Taton les deux
armées en vinrent aux mains. Rodulphe conduisit la
sienne au combat; mais il rentra ensuite dans son camp; et se mit à Table,
comme s'il n'eût eu aucun doute sur l'issue du combat, car alors les Hérules
étaient très exercés à la guerre et s'étaient rendu illustres par de grands
massacres. Ils combattaient toujours nus, ne couvrant de leurs corps que les
parties que la modestie prescrit de couvrir. Sait qu'ils le fissent pour être
plus lestes, ou pour montrer le mépris qu'ils faisaient des blessures.
Or donc leur Roi, plein de confiance en
leur courage, s'était mis à table ainsi que nous l'avons dit, et pendant qu'il
s'y amusait il ordonna à un des siens de monter sur un arbre et de lui annoncer
au plutôt la victoire des Hérules, le menaçant de lui faire couper la tête,
s'il osait lui annoncer, que l'armée des Hérules fut mise en fuite. L'homme qui
était sur l'arbre vit bientôt que les Hérules cédaient, il répondait toujours
qu'ils combattaient très bien. Enfin lorsque tous les bataillons Hérules
étaient déjà en fuite, il s'écria à haute voix malheur à toi ô Herulie ! car tu as attiré le courroux Céleste. — Alors le
Roi ému dit: Quoi ! est-ce que mes Hérules prennent la fuite? — Et l'autre
répondit: Ce n'est pas moi qui l'ai dit ô mon Roi, c'est vous-même.
Alors le Roi, et tous ceux qui étaient là
perdirent la tête, ainsi qu'il arrive en pareille occasion, et les Lombards
survinrent et les tuèrent tous; et même le Roi qui se défendit assez mal. Les
Hérules, qui fuyaient ça et là eurent l'esprit
tellement troublé qu'étant parvenu à un champ, couvert de lin verdoyant, ils le
prirent pour de l'eau, et se mirent à remuer les bras comme s'ils nageaient, et
pendant ce temps là les Lombards les tuaient par
derrière.
Lorsque tout fut fini, les Lombards
partagèrent entre eux le butin qu'ils trouvèrent dans le camp. Taton eût pour sa part l'étendait qu'ils appellent Bandum, et le casque que Rodulphe portait dans les batailles. Depuis lors les Hérules n'ont plus eu de Rois, et
les Lombards au contraire devinrent tous les jours plus puissants et
augmentèrent leurs armées en y incorporant les peuples conquis.
XXI.
Taton ne jouit pas longtemps de son
triomphe. Wachon fils de son frère Zuchilon tomba sur lui et le priva de la lumière. Hildechis fils de Taton, prit les
armes contre Wachon, mais il fut vaincu et s'enfuit
chez les Gépides où il resta jusqu'à sa mort, toujours dans l'état de
réfugié. Et depuis lors les Gépides commencèrent à être ennemis des
Lombards.
Dans ce temps-là Wachon tomba sur les Suèves, et les soumit à sa domination. Si quelqu'un pense que je
mente qu'il relise le prologue de l'édit que le Roi Rothaire a composé sur les lois des Lombards. Et il le trouvera écrit dans presque
toutes les copies manuscrites de la même manière que nous l'avons dit ici.
Wachon eut trois femmes, d'abord Ranicunde fille du Roi des Thuringiens; puis il épousa Austrigose, fille du Roi des Gépides, dont il eut deux
filles, la première fut Wisegarde, qu'il donna en
mariage à Théodebert Roi des Francs. La seconde Walderada,
qui épousa Cuswald autre Roi des Francs ; mais
celui-ci s'étant mis à la haïr, la fit épouser à un des siens appelé Garipald. La troisième femme de Wachon,
s'appelait Salinga, et était fille d'un Roi des
Hérules, celle-ci eût un fils qui fut appelé Waltaris,
et fut le huitième Roi des Lombards et successeur de Wachon.
Tous ceux-ci étaient Lithinges. C'est ainsi que
s'appelait chez eux une certaine famille noble.
XXII.
Waltaris mourut après avoir régné sept ans.
Audoin lui succéda et fut le neuvième Roi des Lombards. Ce fut lui qui
conduisit les Lombards en Pannonie.
XXIII.
Les Gépides et les
Lombards accouchèrent enfin de la Haine qu'ils avaient conçue les uns contre les autres. L'on se prépara des deux côtés à la guerre. Bientôt
après il y eut une bataille générale, dans laquelle les deux nations
combattirent avec une égale valeur. Alboin fils d’Audoin rencontra dans le
combat Turismod fils de Turisind,
et lui donnant un coup d'épée le fit tomber mort de son cheval.
Les Gépides voyant que le fils de
leur Roi, qui était le principal auteur de cette guerre avait péri, perdirent
courage et prirent la fuite. Les Lombards les poursuivirent et en firent périr
un très grand nombre ; puis ils revinrent sur leur pas pour dépouiller les
morts.
Les Lombards étant de retour chez eux
voulurent suggérer à Audoin de faire manger son fils Alboin avec lui, parce
qu'ils lui devaient la victoire et qu'il était juste qu'il fut le compagnon de
son père dans le festin, comme il l'avait été dans le danger. Mais Audoin
répondit qu'il ne pouvait pas enfreindre les coutumes de sa nation et il dit:
Sachez que, selon nos coutumes, un fils de Roi ne peut pas manger avec son
père, à moins qu'il n'ait enlevé les armes d'un Roi étranger.
XXIV.
Alboin, ayant entendu cela, prit avec
lui quarante jeunes gens, alla chez Turisend Roi des
Gépides, et lui dit pourquoi il était venu; celui-ci le reçut avec bonté,
l'invita à a table et le fit mettre à sa droite, à la place où son fils Turismod avait coutume de s'asseoir. Tandis que les
convives jouissaient des différents services du festin, le Roi Turisend retournait dans sa pensée la mort de son fils. Et
voyant son meurtrier, assis à sa place, il ne put plus se
contenir, et sa voix se faisant place à travers ses soupirs. Il dit : Cette
place me semble toujours bien aimable, mais la personne que j'y vois, m'est
bien pénible à regarder. — Alors l'autre fils du Roi, excité par son discours,
se mit à faire des plaisanteries injurieuses sur le compte des Lombards,
assurant qu'ils ressemblaient à des juments dont les pieds seraient blancs,
jusques aux genoux, parce que sous leurs chaussures ils portaient des bandes
blanches, et, faisant allusion à cette coutume, il dit : Vous ressemblez à des
juments pleines.cc — Alors un Lombard répondit: Va dans le champ d'Asfeld, là
tu verras que ce sont des juments qui savent ruer, que celles auxquelles nous
ressemblons. Et tu y trouveras aussi les os de ton frère, dispersés
dans la campagne, comme ceux du bétail crevé. — Les Gépides, entendant ce
propos, ne purent plus retenir leur colère, et montrèrent l'intention de venger
leur injure. Les Lombards mirent tous à la fois la main sur le pommeau de leur
épée. Mais le Roi se leva de table avec précipitation, et se mit entre deux,
jurant de punir celui qui porterait le premier coup, et ajoutant que la
victoire remportée sur son hôte et dans sa propre maison ne saurait plaire aux
Dieux. Enfin il en fit tant que l'on se remit à table et que le festin continua
avec plus de gaieté qu'il n'avait commencé. Ensuite Turisend prit les armes de Turismond son fils, les donna
à Alboin et le renvoya en paix dans le royaume de son père, où il eût l'honneur
d'être admis à sa table. Là, jouissant gaîment avec son père des délices de la
royauté, il lui raconta par ordre tout ce qui lui était arrivé dans le Palais
du Roi Turisend, et tous ceux qui l'entendirent ne
savaient s'ils devaient admirer davantage la bonne foi de Turisend ou l'audace du jeune Alboin.
XXV.
Dans ce temps-là régnait Justinien
Auguste, qui fut toujours heureux dans les guerres qu'il entreprit, car son
général Bélisaire vainquit les Perses, détruisit les Vandales après avoir pris
leur Roi Gélismer, et rendit l'Afrique aux Romains
après quatre-vingt-seize ans d'indépendance. Enfin le même Bélisaire vainquit
les Goths en Italie, et prit leur Roi Withichis.
Ensuite l'ex-consul Jean vainquit un Roi des Maures qui infestaient l'Afrique
et soumit beaucoup d'autres nations; et Justinien soumit encore beaucoup d'antres nations par ses généraux ; c'est pourquoi il
fut appelé Allemanique, Gothique, Francique,
Germanique, Antique, Alanique, Wandalique et Africain.
Il abrégea aussi d'une manière
admirable les lois des Romains, dont la prolixité était aussi extraordinaire
que la dissonance inutile, car il réduisit en douze livres, les constitutions
des Princes précédents qui remplissaient beaucoup de volumes; et cet abrégé fut
appelé le code Justinien. Puis il réduisit en cinquante livres, les lois des
magistrats particuliers ou juges qui remplissaient près de mille Livres, et cet
abrégé fut appelé le digeste ou les Pandecte. Enfin il composa quatre livres
des institutions dans lesquels il donna le texte de toutes les lois, et il
ajouta à cet ouvrage les lois qu'il avait faites, réduites en un volume, qui
fut appelé codex novellarum.
Ce Prince construisit aussi à
Constantinople le temple appelé Agia Sophia, et dédié
à Jésus Christ qui est lui-même la sagesse de Dieu le Père, édifice qui n'a
point son pareil sur toute la terre. Tout réussissait à ce Prince, parce qu'il
était catholique dans la foi, droit dans les œuvres, et juste dans ses
jugements.
C'est alors que Cassiodore brillait à
Rome dans les sciences divines et humaines, et expliqua si bien le sens caché
des psaumes ; il fut d'abord Consul, puis sénateur et finit par être moine.
C'est alors aussi que Denys constitué
abbé dans la ville de Rome composa son calcul Pascal avec une argumentation
admirable.
C'est alors qu'à Constantinople Priscien de Césarée rima, si je puis m'exprimer ainsi, les
profondeurs de l'art grammatical.
Enfin, c'est alors qu'Arator poète admirable mit en vers hexamètres les actes des
Apôtres.
XXVI.
C'est alors aussi que brilla saint
Benoît d'abord dans le lieu appelé Subiacus à
quarante milles de Rome, puis dans le château de Cassinum que l'on appelle aussi Harum. Sa vie ainsi, qu'il est
bien connu, a été écrite par le Pape Grégoire dans ses dialogues, et dans un
style très agréable. Et moi quoique mon génie soit bien petit pour pouvoir
faire honneur à un père comme celui-là, cependant j'ai composé des vers, dont
chaque distique exprime un de ses miracles, le tout est dans le mètre
élégiaque.
J'ai pourtant envie de rapporter aussi ce que le
Pape saint Grégoire a omis dans son histoire. Lorsque par un ordre divin il
quitta Subiacus, pour ce rendre au lieu où il repose, trois corbeaux, qu'il avait coutume de nourrir,
l'accompagnèrent pendant toute la route.
A chaque repas qu'il faisait, deux anges lui
apparaissaient sous la figure de jeunes gens et lui enseignaient le chemin.
Dans le lieu où il devait habiter, il y avait alors
un autre serviteur de Dieu, auquel il fut dit d'une manière miraculeuse: Va-t-en d'ici, il y vient un autre ami. —
Enfin, lorsqu'il fut arrivé au fort de Cassinum, il se condamna à une grande abstinence,
particulièrement pendant le carême où il se tenait reclus, et éloigné du
commerce du monde.
J'ai tiré toutes ces choses du poète Marc, qui alla
trouver ce saint Père, et composa un poème à sa louange, que je n'ai pas voulu
insérer dans mon ouvrage pour ne point l'allonger. Toujours est-il certain que
cet excellent père fut appelé par le ciel d'un lieu à l'autre, et que le ciel a
voulu qu'il s'établit sur une vallée fertile, qui put nourrir beaucoup de
moines, ce qui est aussi arrivé parce que Dieu la voulu. Et à présent nous
retournerons à la suite de notre histoire, après avoir dit des choses qui en
aucune façon ne devaient être omises.
XXVII.
Or donc Audoin Roi des Lombards eût
pour femme Rodelinde, qui fut mère de cet Alboin, si
brave et si bon guerrier. Alboin fut le dixième Roi des Lombards, et monta sur
le trône d'après le vœu unanime de tous. Son nom était célèbre partout, aussi
Clotaire Roi des Francs, lui donna en mariage sa fille Clothsiunde dont il n'eut qu'une fille appelée, Alpsiunde.
Pendant ce temps-là mourut Turisend Roi des Gépides, et Cunnimond lui succéda.
Celui-ci, désirant venger les anciennes injures des Gépides, déclara la guerre
aux Lombards. Mais Alboin fit un traité d'alliance perpétuelle avec les Avares
qui s'étaient appelé Huns, mais qui prirent ensuite le nom, d'Avares du nom
propre d'un de leurs Rois. Ensuite Alboin marcha contre les Gépides, et pendant
que ceux-ci s’étaient absentés pour la guerre, les Avares envahirent leur pays
ainsi qu'ils en étaient convenus avec Alboin.
Un triste député vint annoncer à Cunnimond,
que les Avares avaient envahi ses frontières; et celui-ci altéré de cette nouvelle
exhorta cependant les siens à combattre les Lombards afin d'attaquer ensuite
les Huns, s'ils étaient d'abord victorieux de ceux-ci. La bataille fut donnée
et chacun combattit de toutes ses forces, mais les Lombards vainqueurs
combattirent avec tant de fureur, qu'ils détruisirent absolument l'armée des
Gépides, en sorte que d'une si grande multitude il resta à peine un homme pour
porter la nouvelle de la défaite. Alboin tua Cunnimond dans cette bataille, et
se fit faire une coupe avec son crâne, cette espèce de coupe s'appelle chez
eux Scala, et en latin patera. Rosimunde fille de Cunnimund fut faite
captive avec un nombre infini de filles et de femmes de tout âge, et comme Clotsuinde était morte, Alboin épousa Rosimunde; mais ce
fut à son grand dommage, ainsi qu'il parût dans la suite.
Les Lombards firent là tant de butin,
qu'ils en devinrent extraordinairement riches, et la race des Gépides se trouva
tellement diminuée, que depuis lors ils n'ont plus eu de Roi, mais tous ceux
qui ont survécu à cette guerre sont restés sujets des Lombards, et ceux qui
sont restés dans leur pays gémissent encore aujourd'hui sous le dur empire des
Huns qui en ont fait la conquête. Enfin Alboin se rendit tellement illustre,
qu'encore aujourd'hui il est célébré dans les poèmes des Bavarois, des Saxons,
et des autres hommes de cette même langue; et jusques-ici beaucoup de gens
racontent que les principales armes ont été fabriquées sous son règne.
LIVRE II
II.
Dans ces temps-là
Narsès fit aussi la guerre au Duc Bucellin. Ce Duc
avait été laissé en Italie avec un autre Duc appelé Hamming lorsque Théodebert Roi des Francs était entré en Italie, et s'en était ensuite
retourné dans les Gaules. Ce Bucellin ravageait toute
l'Italie et envoyait ensuite des présents considérables à son Roi Théodebert.
Mais comme il se disposait à passer l'hiver à Tannetum,
il fut attaqué par Narsès et totalement détruit.
Hamming alla porter du secours à Widin. Comte des Goths qui
s'était révolté contre Narsès, mais ils furent vaincus sous les deux. Widin fut pris et envoyé à Constantinople, Hamming périt par le glaive de Narsès.
Il y avait encore
un troisième Duc des Francs appelé Leuthaire, et qui
était frère de Buccelin. Ce Leuthaire retournait dans sa Patrie chargé de beaucoup de butin; mais il mourut de mort naturelle près du lac Benacus, entre Vérone et Trente.
III.
Narsès fit encore
la guerre à Sinduald Roi des Brebtes,
qui restait encore de la race des Hérules qu'Odoacre avait mené avec lui en
Italie. Il avait d'abord été très fidèle à Narsès qui le comblait de biens,
mais ensuite il se révolta avec un orgueil infini. Narsès le vainquit, le fit
prisonnier, et le fit pendre à une poutre très élevée.
Dagistée maître de la milice, servit très bien le Patrice Narsès, et fit presque toute
la conquête de l'Italie. Narsès avait d'abord été chartulaire ; mais par sa vertu, il obtint ensuite la dignité de Patrice. C'était un homme
pieux, catholique dans la religion, plein de magnificence envers les pauvres,
attentif à réparer les églises, exact à la prière et aux vigiles; si bien que
souvent il a dû la victoire moins à ses armes qu'aux supplications qu'il
épanchait aux pieds des autels.
IV.
Dans ces temps-là
il y eut une grande peste principalement dans la Ligurie. D'abord apparurent
certains signes sur les maisons, les portes, les vases, et les vêtements, et
plus on voulait les laver, et plus ces signes ressortaient en dehors. Après une
aimée révolue, il se forma dans les aines, et dans
d'autres parties délicates du corps humain, des petites glandes de la forme
d'une noix ou d'une date, après quoi, l'on prenait une fièvre d'une ardeur
insupportable, et l'on mourait au bout de trois jours. Mais si quelqu'un
pouvait passer le troisième jour il avait l'espérance de vivre. De tous côtés
l’on ne voyait que deuil et que larmes. Ceux qui
voulaient éviter le danger abandonnaient leurs maisons, n'y laissant que les
chiens pour les garder.
Les troupeaux
restaient seuls dans les campagnes sans être gardés par un Berger. Vous auriez
vu des villages et des bourgs, bien peuples la veille, et totalement déserts le
lendemain, les fils fuyaient, laissant sans sépulture les cadavres de leurs
pères Les parents oubliant les entrailles de la piété, quittaient leurs enfants
dans les ardeurs de la fièvre ; si quelqu'un retenu par un reste de pitié
voulait ensevelir son prochain, il restait lui-même sans sépulture, et tandis
qu'il accordait des obsèques aux funérailles, il devenait lui-même une funéraille sans obsèques. Vous auriez va le siècle retourné
au silence antique. Nulle voix dans la campagne, nul sifflement des Bergers,
nulles embûches aux bêtes sauvages nul dommage aux oiseaux domestiques. Les
champs attendaient vainement le moissonneur, la vigne avait perdue ses feuilles et restait encore intacte quoique rayonnante de grappes.
Lorsque l'on fut
plus proche de l'hiver l'on entendit dans les heures du jour et de la nuit,
comme le bruit d'une armée et les sons de la trompette guerrière. L'on ne
voyait aucune trace de passants. L'on ne voyait aucun percusseur et cependant
les cadavres des morts surpassaient la vue des yeux.
Les pâturages
étaient convertis en sépultures des hommes, et les habitations humaines étaient
devenues le refuge des animaux; et tous ces maux arrivèrent aux seuls Romains
dans l'Italie, jusques aux confins des Bavarois et des Allemands. Pendant ce
temps-là Justinien mourut, et le jeune Justin lui succéda: c'est alors aussi
que Narsès, qui veillait à tout, prit Vital et l'exila en Sicile. Ce Vital était
Evêque de la ville d'Altina, et depuis bien des années il s'était réfugié
dans le royaume des Francs, c'est à dire dans la ville d'Agonte.
V.
Or donc Narsès
soumit ou détruisit toute la nation des Goths, et fut également
heureux avec les Huns; mais comme il avait acquis de grandes richesses, il
excita l'envie des Romains qui parlèrent ainsi à Justin et à sa femme Sophie de
quoi sert-il aux Romains d'obéir aux Grecs plutôt
qu'aux Goths, puis qu'ils sont gouvernés par l'Eunuque Narsès, qui nous opprime
à l'insu de notre Prince, ou délivrez-nous de cette servitude, ou bien nous
nous livrerons aux nations avec notre ville de Rome. — Narsès ayant su ce que
l'on disait de lui, répondit en ces termes. Si j'ai mal fait avec les Romains
je m'en trouverai mal. — L'Auguste Empereur fut tellement irrité de cette
réponse, qu'il envoya tout de suite Longin en Italie, pour gouverner ce pays à
la place de Narsès. Celui-ci craignait si fort l'Impératrice qu'il ne voulut
point retourner à Constantinople. On dit qu'entre-autres choses, elle lui fît
dire, qu'étant Eunuque, il ferait bien de venir dans le Gynécée pour distribuer
les laines aux jeunes filles. Mais Narsès répondit qu'il lui ourdirait une
toile, qu'elle n'userait de tout le temps de sa vie. Or donc se trouvant à
Naples et partagé entre la haine et la crainte, il envoya vers les Lombards,
leur faisant dire d'abandonner leurs pauvres campagnes de la Pannonie, et de
venir occuper l'Italie, qui était remplie de toutes sortes de richesses. Et en
même temps il leur envoya toutes sortes de fruits que possède l'Italie. Les
Lombards reçurent agréablement des offres aussi avantageuses, et élevèrent
leurs âmes sur leurs grandeurs futures. Pendant ce temps-là on vit toutes les
nuits en Italie des signes terribles. Des armées de feu paraissent dans le ciel, et marquèrent tout le sang
qui fut répandu depuis.
VI.
Alboin devant
aller en Italie avec les Lombards, demanda encore des secours à ces anciens amis les
Saxons, afin d’être plus en force pour occuper un si grand pays. Les Saxons
vinrent au ombre de vingt mille hommes, avec leurs femmes, et leurs enfants.
Clotaire et Sigebert Rois des Francs, ayant appris cette émigration, mirent des
Souabes et d'autres nations dans les endroits que les Saxons avaient
abandonnés.
VII.
Alors Alboin céda
son propre pays ; c'est à dire la Pannonie à ses amis les
Huns, à condition de le rendre, au cas que les Lombards fussent obligés d'y
revenir. Ainsi les Lombards quittèrent la Pannonie, menant avec eux leurs
femmes, leurs enfants, et tout leur mobilier. Ils avaient demeuré en Pannonie
pendant quarante-deux ans, et ils en sortirent au mois d'avril, à la première
indiction, le lendemain de Pâque, et cette fête selon le calcul rationnel,
s'est trouvée aux calendes d’avril comme 568 ans s’étaient écoulées depuis
l'incarnation
VIII.
Or donc le Roi
Alboin arriva aux frontières de l'Italie une immense multitude, et il monta sur
une haute montagne, d'où il pût contempler une partie de l'Italie et depuis
lors cette montagne fut appelée le mont du Roi. L'on dit qu'il se trouve dans ces montagnes des Bizons sauvages, et cela n'est pas surprenant puisqu'elles
vont jusques en Pannonie où ces animaux se trouvent également. Enfin un
vieillard m'a raconté qu'il avait vu le cuir d'un de ces Bizons sur lequel quinze hommes pouvaient se coucher l'un à côté de l'autre.
IX.
Alboin traversa
le Frioul sans obstacle, et arriva aux frontières de la Vénétie qui est la
première province d'Italie, et alors il commença à songer à qui il donnerait le
gouvernement du pays qu'il avait déjà pris. Car l'Italie s'étend vers le midi
ou plutôt vers l'Eurus, et elle est entourée par les
flots de l'Adriatique et de la mer Tyrrhénienne, et vers le nord elle est fermée par des montagnes, en sorte que l'on ne peut
y pénétrer que par des gorges étroites. Mais du côté de l'orient où l'Italie
touche à la Pannonie, l'entrée en est plus facile. Or donc Alboin après avoir
pensé à qui il confierait le gouvernement de cette province, se détermina pour
Gisulf son neveu, qui était un homme singulièrement propre à toutes sortes de
choses, et alors il remplissait l'emploi de Strateur.
Ce qu'ils appellent Marpahis. Si bien qu'Alboin
voulut donner à Gisulf le gouvernement de Forum Julii et de toute la province qui en dépendait. Mais Gisulf ne voulut l'accepter qu'au
cas où on lui permettrait de choisir entre les Lombards, les Faras qu'il voudrait. C'est à dire les générations où
lignages. Le Roi lui accorda sa demande et il commença à habiter le Frioul avec
les principales familles des Lombards. Enfin il demanda les haras des chevaux
les plus généreux et cette demande fut accordée par la libéralité du Prince.
X.
Dans ces temps-là,
lorsque les Lombards envahirent l'Italie. Clotaire Roi des Francs était mort, et ses quatre fils avaient partagés entre eux le royaume de leur père.
Le premier était Aripert qui résidait à Paris. Le second
Gontran qui résidait à Orléans, le troisième Chilpéric qui résidait à Soissons
à la place du Roi son père. Le quatrième
Sigebert qui résidait à Metz. Le saint Pape Benoît gouvernait l'église de Rome
et le vénérable Paul était Patriarche d'Aquilée. Celui-ci craignant
les Lombards, s'enfuit dans l'île de Grado, avec tout le trésor de son Eglise.
Pendant cet
hiver-là, il tomba de la neige dans la plaine autant que l'on en voit sur les
montagnes dans les autres années, et l'été suivant, la fertilité surpassa tout
ce que l'on avait vu ou entendu jusqu'alors.
Dans ce temps-là,
les Huns appelés Avares, Ayant appris la mort de Clotaire, attaquèrent son fils
Sigebert. Celui-ci vint à leur rencontre en Thuringe, les vainquit près de
l'Elbe et les força à demander la paix. Ce Sigebert épousa Brunechilde,
qui venait d’Espagne, et il en eut un fils qui fut appelé Childebert. Les
Avares livrèrent encore une bataille, dans le même lieu que la précédente, et
furent victorieux.
XI.
Narsès quitta la
Campanie et vint à Rome où il mourut peu de tenu après. Son corps fut mis dans
un coffre de plomb et transporté à Constantinople avec toutes ses richesses
XII.
Alboin vint au
fleuve Alp et y trouva Félix Evêque de Trévise, celui-ci lui demanda tous les
biens de son église et le Roi les lui confirma par sa pragmatique.
XIII.
Mais puisque nous
faisons mention de ce Félix, il conviendrait de dire quelque chose de
Fortunatus, homme vénérable et sage, et qui dit que ce Félix a été son
compagnon. Or donc ce Fortunatus est né dans le lieu appelé Duplavilis.
Non loin de la ville de Cenit où de celle de Trévise.
Mais il fut élevé à Ravenne où il apprit la grammaire, la Rhétorique, et se
rendit même célèbre dans la métrique. Il souffrait beaucoup des yeux aussi bien
que son compagnon Félix, c'est pourquoi tous les deux allèrent à l'église de
saint Paul et de saint Jean, qui est dans cette ville. Et dans cette église il
y a aussi un autel consacré à saint Martin confesseur. Près de cet autel est
une fenêtre dans laquelle il y a une lanterne. Fortunat et Félix prirent de
l'huile qui était dans cette lanterne et se frottèrent les yeux avec, aussitôt
la douleur cessa, et ils furent parfaitement guéris. C'est pourquoi Fortunat
conçut une si grande vénération pour saint Martin qu'il voulut aller à Tours,
visiter le sépulcre de ce saint homme. Et c'est aussi ce qu'il fit quelques
années avant l'invasion des Lombards. Il raconte dans ces vers qu'il passa par
les fleuves Menti et Rouna, par l'Osupe,
et les Alpes Juliennes, par la ville d'Aguntum. Par
les fleuves Drawus et Byrrus par les Brioniens et la ville d'Augusta qui est
arrosée par le Vindo et le Lech. Après s'être
acquitté de son vœu à Tours, il passa par Poitiers et s'y établit. C'est là qu'il écrivit la vie de beaucoup de
saints, partie en prose et partie en discours métrique. C’est aussi dans cette ville qu'il fut
ordonné d'abord prêtre, et ensuite Evêque, et son corps y repose encore, honoré
de la plus digne sépulture. Fortunat écrivit la vie de saint Martin en vers
héroïques en quatre livres, et beaucoup d'autres ouvrages, des hymnes pour toutes
les fêtes, et des petits vers à chacun de ses amis. Il ne le cédait à aucun
poète, pour la douceur, et l'expression disserte. Ayant été là par dévotion, je
fus voir son tombeau. Aper, Abbé de ce lieu-là, me
pria de lui composer une épitaphe ce que je fis aussi.
Nous avons dit ce
peu de mots sur l'histoire de ce grand homme, afin que ses concitoyens ne
restassent pas dans une entière ignorance à son égard, et à présent je reviens
à la suite de notre histoire.
XIV.
Or donc Alboin,
prit Vicence, Vérone, et toutes les autres villes de la Vénétie à l'exception
de Padoue Monte Silico, et Mantoue; car la Vénétie n'était pas comprise dans ce
petit nombre d'îles que nous appelons Venise, mais elle s'étendait depuis la
Pannonie jusqu'à l'Adige, et cela est prouvé par les livres des Annales où il
est dit que Bergame est une ville des Véneries; et les Histoires disent la même
chose du lac de Benaco. Benacus lac des Vénétie dont sort le fleuve Mintis. — Les
latins ajoutent une lettre mais les Grecs disent Eneti,
ce qui veut dire Louables. L'Istrie est ajoutée à la Vénétie, et
les deux provinces ne sont comptées que pour une. Le nom d'Istrie vient du
fleuve Ister qui selon l'histoire Romaine était autrefois
plus ample qu'il est aujourd'hui. Aquilée était autrefois la capitale de la Vénétie, et
aujourd'hui c’est Forum Julii. Ainsi appelé parce que
Jule César y fonda une place de commerce.
XV.
Je crois qu'il ne
sera pas hors de sa place que nous dirions quelque chose sur les autres
provinces de l'Italie, La seconde province de l'Italie, est la Ligurie ainsi nommée
des Légumes que l'on y cultive en abondance. C’est là qu'est Milan et Ticinum,
que l'on appelle aussi Pavie, cette province s'étend jusques-aux confins des
Gaulois. Entre la Ligurie et la Suave, qui est le pays des Allemands, il y a
deux provinces, sa voir la Rhétie première et la Rhétie seconde, ces deux
provinces sont au milieu de ces Alpes, qui sont proprement habitées par les
Rhétiens.
XVI.
La cinquième
province s'appelle les Alpes Cotiennes, du Roi Cottius qui vivait du temps de Néron. Elles s'étendent de
la Ligurie vers l’Eurus jusqu’à la mer. Tyrrhénienne,
et vers l'occident, elles touchent aux frontières.des Gaulois. C'est là que sont les eaux chaudes, Dertona,
le monastère de Bobium, Gênes, et Savone.
La sixième
province est la Thussie ainsi appelée du Thus ou encens, que ces peuples avaient coutume de brûler
superstitieusement dans les sacrifices qu'ils faisaient à leurs Dieux.
Vers le Circius l'on y voit l'Aurélie et vers l'orient elle regarde
l'Ombrie. C’est dans cette province qu'est la ville de Rome jadis capitale du
monde. Dans l'Ombrie est Péruse, le Lac Clitorius, et
Spolète. Elle s'appelle Ombrie parce-que le pays à autrefois souffert des
pluies qui en latin s'appellent imbres.
XVII.
La septième
province est la Campanie qui commence à Rome et qui s'étend jusqu'au Siler
fleuve de la Lucanie. Là sont des villes très opulentes : Capoue, Naples
et Salerne. Elle s'appelle Campanie à cause de la belle plaine de Capoue; car
d'ailleurs elle est montueuse.
La huitième
province est la Lucanie qui a pris son nom d'un petit bois. (Lucus) Elle commence au fleuve Siler, et à la Fratie ainsi appelée d'une certaine reine, et elle s'étend
jusques au détroit de Sicile, le long de la mer Tyrrhénienne menant la corne
droite de l'Italie. C'est là qu'est Pestum, Lanius, Cassianum, Consentia, et Rhégium.
XVIII.
La neuvième
province est dans les Alpes apennines, ces Alpes traversent l'Italie par le
milieu et commencent là où finissent les Alpes Cottiennes, d'abord elles
séparent la Tuscie de l'Emilie, et l'Ombrie de la Flaminie: là sont les villes de Ferronianus, Montepellium Bobium, Urbinum, et un Bourg qui s'appelle Vérone; le nom
d'Apennin, vient, de Pennique où Carthaginois. Car
c'est par-là qu’Hannibal a passé pour venir à Rome, les Alpes Cottiennes et
Apennines peuvent être regardées comme la même province. Mais Victorinus dans son histoire regarde les Alpes Cottiennes comme une Province séparée.
La dixième
province est l'Emilie, qui commence à la Ligurie, et s'étend jusques à Ravenne
entre les Alpes Apennines et le Pau. Elle est ornée de villes très riches
telles que Plaisance, Parme, Régio, Bologne, et le
forum de Cornélius, dont le château s'appelle Imola. Il y a des gens qui
confondent l'Emilie avec la Valérie et la Nursie, mais leur avis ne saurait
prévaloir puisque la Tuscie et l'Ombrie séparent
l'Emilie, la Valérie et la Nursie.
XIX.
La onzième
province est la Flaminie, qui est située entre les
Alpes Apennines et la mer Adriatique. C'est là qu'est Ravenne la plus noble des
villes, et cinq autres villes appelées en grec Pentapole. Il est sûr que l'Aurélie, l'Emilie, et la Flaminie sont ainsi appelées des grandes routes que l'on y avait
pratiquées, et du nom de ceux qui les avaient construites.
La douzième
province s'appelle le Picenum, ayant à l’Auster les Apennins et de l'autre côté
la mer Adriatique. Cette province s'étend jusqu'au fleuve Piscarius.
C'est là que sont les villes de Firmum, Asculum Pinnis, et Adria ville détruite qui à donné son nom à toute cette mer. Les habitants de cette
province avaient fait la guerre aux Sabins, et comme ils revenaient chez eux,
un Pivert se posa sur leur étendait et c'est de là que le pays à pris le nom de Picenum.
XX.
La treizième
province est la Valérie à laquelle est annexée la Nursie, elle est située entre
la Campanie, l'Ombrie et le Picenum, et vers l'orient elle atteint la région
des Samnites. Sa partie occidentale commence à Rome, et s'appelle Etrurie, des
anciens Etrusques. Là sont les villes de Tybulis, Carsilis, Reate, Furcona, Amiterne et la région des Marses, qui est un lac qu'ils
appellent Fucin, je crois que la région des Marses
doit être comptée dans la Valérie, parce que les anciens ne l'ont point décrite
dans le catalogue des provinces de l'Italie. Mais si quelqu'un prouve par de
bonnes raisons que l'on doit en faire une province séparée, alors l'on pourra
toujours s'en tenir à son avis.
La quatorzième
province est le Samnium, entre la Campanie, la mer Adriatique et l'Apulie, et
il commence à Piscaria. Là sont les villes de Theate, Aufidene, Hisernia, et Samnium détruite par le teins et qui a donné
son nom à toute la province, enfin le très riche Bénévent capitale de toute
cette province. Les Samnites ont tiré leur nom des piques que les Grecs
appellent Samia.
XXI.
La quinzième
province est l'Apulie, à laquelle, est jointe la Calabre, dans laquelle est
renfermée la région Salentine. Cette province est
bornée à l'Occident et à l'Africus par le Samnium et
la Lucanie, et à l'orient par l'Adriatique. Là sont les villes très opulentes
de Luceria, Sepontum, Canusium, Agerentia, Brindes et Tarente qui est sur la corne
gauche de l'Italie, laquelle s'étend à cinquante mille dans la mer; enfin c'est là qu'est la ville d'Hydronte, si favorable au commerce. Le nom de l'Apulie veut
dire perdition, parce-que la grande chaleur du soleil y a bientôt détruit la
verdure.
XXII.
La seizième
province est l'île de Sicile, entourée de la mer Tyrrhénienne ou Ionique, le
nom de la Sicilie lui vient d'un ancien chef appelé Siculus.
La dix-septième
province est la Corse.
La dix-huitième
province est la Sardaigne, qui, ainsi que la précédente, est entourée par la
mer Tyrrhénienne. La Corse tire son nom de Corsus, et
la Sardaigne de Sardus. Ce dernier était fils
d'Hercule.
XXIII.
Il est pourtant
certain, que les anciens historiens ont appelé Gaule Cisalpine, la Ligurie, une
partie de la Vénerie, l'Emilie, et la Flaminie. Voilà
pourquoi le grammairien Donatus, dit dans son
exposition de Virgile; que Mantoue est dans la Gaule. Voilà aussi pourquoi il
est dit dans l'histoire Romaine que Rimini fut bâti dans les Gaules parce que
Brennus Roi des Gaulois qui régnait à Sens, vint en Italie, et le pays qu'il
conquit fut appelé Seno-Gallie, à cause des Gaulois
Sénonais. Et voici ce qui fit venir les Gaulois en Italie, une fois ils
goûtèrent du vin qui en venait, et aussitôt ils voulurent y aller, cent mille
de ceux-ci périrent par l'épée des Grecs non loin de l’île de Delphes (c'est
à dire du temple de Delphes) cent mille autres allèrent dans la
Galatie et furent d'abord appelés Gallo-Grecs et ensuite Galates. Et ce sont ceux à qui est adressée l'épître
de Paul Docteur des nations. Cent mille Gaulois qui restèrent en Italie
bâtirent Pavie, Milan, Bergame, Brescia, et ce pays fut appelé Gaule Cisalpine
ce sont ces mêmes Gaulois Cénonois qui ont jadis
envahi la ville de Romulus. Cisalpine est la Gaule qui est de ce côté ici des
Alpes, et Transalpine est celle qui est de l'autre côté des Alpes.
XXIV.
L'Italie qui
renferme toutes ces provinces tire son nom d'Italus chef des Sicules, qui l'a envahie autrefois. Peut-être aussi qu'on l'appelle
Italie, parce que l'on y trouve ces grands bœufs que l'on appelle Italiens. Et
c'est d'Italus, qu'en ajoutant une lettre on fait le
diminutif vitalus, qui signifie un veau.
XXIV.
L'Italie s'appelle
aussi Ausonie, d'Auson fils
d'Ulysse. La région de Bénévent fut la première appelée ainsi, et puis ce nom
fut donné à toute l'Italie. L'Italie s'appelle aussi Latium, parce que Saturne
trouva le moyen de s'y cacher, lorsqu'il fut poursuivi par son fils Jupiter. Or
donc à présent que nous avons assez parlé des provinces de l'Italie
reprenons le fil de notre histoire.
XXV.
Alboin vint donc
dans la Ligurie et à la troisième indiction, le troisième jour des nones de
Septembre, il entra dans Milan, dont Honorât était Archevêque. Ensuite il prit
toutes les villes de la Ligurie, à l'exception de celles qui sont sur le rivage
de la mer. Mais l'Archevêque Honorât avait abandonné Milan, et s'était retiré à
Gênes. Le Patriarche Paulus mourut après avoir géré le sacerdoce pendant douze
ans, et Probinus lui succéda.
XXVI.
Dans ces temps-là
Pavie se défendit trois ans contre l'armée des Lombards, qui l'assiégeait du
côté de l'occident. Enfin Alboin s'empara de tout le pays. Jusqu'à la Toscane,
à l'exception de Rome, de Ravenne et de quelques forteresses proches de la mer.
Les Romains n'étaient point en état de résister tant à cause de la Peste, qui
avait régné sous Narsès, qu'à cause de la famine, qui avait succédé
à cette année d'abondance dont nous avons parlé plus haut ; de plus il est
certain qu'Alboin conduisit en Italie beaucoup d'autres nations, soumises par
lui, où par les Rois ses prédécesseurs. Et l'on voit encore aujourd'hui en
Italie, des Bourgs habités par des Gépides, des Bulgares, des Sarmates des
Pannoniens, des Souabes, des Norices et d'autres.
XXVII.
Or donc la ville
de Pavie se rendit à Alboin après trois ans de siège. Et comme Alboin y entrait
par la porte de saint Jean qui est à l'Orient de la ville, son cheval s'abattit
au milieu de la porte, et ne voulut point se relever, quoiqu'il reçut force
coups d'éperons, et que le Strateur le frappa de
toutes ses forces. Alors un des Lombards s'adressa au Roi, et lui parla en ces termes: Seigneur Roi, rappelez-vous
le vœu cruel que vous avez fait Renoncez-y, et vous entrerez dans cette ville,
car elle est habitée par un peuple chrétien. — Il faut savoir qu'Alboin avait
fait vœu de faire périr tout ce peuple par le Glaive, par la raison qu'il
n'avait pas voulu se rendre tout de suite. Mais il renonça à son vœu, et promit
de pardonner aux citoyens ; aussitôt son cheval se releva, et étant entré dans la ville, il ne
fit de mal à personne. Tout le peuple vint à lui devant l'ancien palais,
construit par Théodoric, et commençant à respirer après tant de misère, il se
livra à l'espoir d'un avenir plus heureux.
XXVIII.
Alboin régna trois
ans et six mois en Italie et périt par trahison de sa femme. Voici quelle fut
la cause de sa mort. Comme il était à Vérone à un festin, et plus gai qu'il
n'aurait dû, il fit venir la coupe faite du crâne de son beau-père Cunnimund,
et l'ayant remplie de vin il la présenta à sa femme, en l'invitant à boire,
dans la tête de son père. Et comme cela pourrait paraître impossible, moi
disant la vérité dans le Christ, j'atteste que j'ai vu cette coupe à un certain
jour de fête, entre les mains de Ratchis qui la
montrait à ses convives.
Or donc Rosemonde
conçut beaucoup de douleur de cette proposition, et sans en laisser rien
paraître elle jura aussitôt de venger la mort de son père par celle
de son époux. D'abord elle s'en ouvrit à Helmichis frère de lait du Roi et qui avait auprès de lui la
charge de Schilpor c'est-à dire écuyer. Celui-ci
persuada à la reine d'admettre dans son projet Peredée qui était un homme très vaillant; la reine le fit, mais Peredée se refusa à tremper dans ce crime. Ce Peredée couchait toutes les nuits avec la femme de chambre (Vestiaria) de la Reine la Reine se mit pendant la nuit
dans le petit lit de sa femme de chambre et Peredée coucha avec elle sans le savoir. Lorsque ce crime
fut commis la Reine lui demanda avec qui il croyait avoir couché. Peredée dit le nom de son amie avec laquelle il croyait
être. Alors la Reine lui répondit: Tu es dans l'erreur, car je suis Rosemonde,
et il faut à présent que tu tues Alboin, ou que tu périsses par son glaive. — Alors Peredée vit bien qu'il ne lui restait d'autre parti à
prendre qu'à consentir aux désirs de la Reine.
Comme Alboin se
livrait au sommeil après-midi, Rosemonde fit faire silence dans le palais, et
écarta toutes las armes, à l'exception de l'épée d'Alboin qui pendait au chevet
de son lit et qu'elle avait eu la précaution de
faire attacher au fourreau; alors cette femme plus cruelle que toutes les
bêtes, introduisit le meurtrier Peredée, selon le
conseil que lui avait donné Helmichis. Alboin se
réveilla et voyant le péril qui le menaçait, il voulut tirer son épée, mais ne
pouvant y parvenir, il prit l'escabeau qui était sous ses pieds et se défendit
quelque temps. Mais ne pouvant faire aucun mal à son ennemi, il finit par
succomber. Ainsi périt comme un homme inerme, et par les conseils d'une petite
femme (muliercula) ce grand Roi, qui s’était rendu
fameux par le massacre de tant de nations ennemies. Les Lombards le pleurèrent
et l'enterrèrent sous un certain escalier qui était proche du palais.
Alboin était d'une
belle taille, et semblait formé exprès pour la guerre. De nos jours, Giselbert, qui avait été Duc de Vérone fit ouvrir son
tombeau, et y trouva son épée, et s’il y a trouvé quelque ornement, il l'aura
volé. Ensuite il s'est vanté d'avoir vu Alboin, vanité ordinaire chez les ignorants.
XXIX.
Alboin ayant été
tué, Helmichis, chercha à s'emparer de la royauté
mais il ne put y parvenir, car les Lombards qui regrettaient Alboin, ne
cherchaient qu'à le faire périr. Rosemonde envoya à Ravenne informer le préfet
Longin de ce qui s'était passé et lui demanda un
vaisseau, pour pouvoir partir en toute diligence ; Longin, charmé de la mort
d'Alboin, envoya le vaisseau, où Rosemonde s'embarqua avec Albsuinde sa fille et Helmichis qu'elle avait déjà épousé,
emportant encore tous les trésors des Lombards, et ils arrivèrent ainsi à
Ravenne.
Longin commença à
persuader à Rosemonde de tuer Helmichis, et de
l'épouser. Celle ci qui était toujours prête à
commettre une méchanceté, et qui désirait dominer à Ravenne, présenta une coupe
empoisonnée à Helmichis au moment où il sortait du
bain. Mais celui-ci sentant qu'il avait bu la mort, tira son épée et força
Rosemonde à boire ce qui restait dans la coupe; et ainsi périrent deux
meurtriers, par la volonté toute puissante de Dieu
XXX.
Ceux-ci ayant
péri, Longin prit avec lui Albsuinde et les trésors
des Lombards, et se rendit à Constantinople auprès de Tibère. Quelques-uns disent
que Peredée était allé à Ravenne avec Helmichis et Rosemonde, et de là à Constantinople avec Albsuinde, et que là il tua un lion énorme en présence de
l'Empereur et de tout le peuple; et ils disent que l'Empereur voyant sa force,
lui fit crever les yeux dans la crainte qu'il ne machina quelque chose dans la
ville royale, et que celui-ci au bout de quelque temps, se fit faire deux
couteaux qu'il cacha dans ses manches. Puis il demanda à parler à l'Empereur,
pour lui révéler des choses très importantes. L'Empereur lui envoya deux
Patrices de ses amis en qui il avait le plus de confiance. Peredée s'approcha d'eux comme pour leur parler à l'oreille, et leur donna à chacun un si violent coup de couteau, qu'ils
expirèrent à l'instant. Il vengea la perte de ses yeux, par celle de deux
hommes très utiles et que l'on pouvait regarder comme les yeux de l'Empire.
Cette vengeance l'assimilait à Samson, cet homme si fort.
XXXI.
Les Lombards
élurent d'une voix unanime pour leur Roi Cleph, le
plus noble d'entre eux ; cette élection eût lieu à Pavie. Celui-ci fit beaucoup de
mal aux Romains qui éraient encore restés en Italie; il fit périr les uns par
le glaive et força les autres à s'expatrier. Il régna un an et six mois avec sa
femme Messana, et périt par la main d'un jeune garçon
de sa suite qui l'égorgea avec son épée.
XXXII.
Après la mort de Cleph, les Lombards furent dix ans sans avoir de Rois ;
mais seulement des Ducs, et chaque Duc eût sa ville en propre. Zabun eût Pavie, Vaillari eût
Bergame. Alachis eût Bresse, Evin eût Trente, Gisulf
eût le Frioul, et outre ceux-là il eût encore trente autres Ducs, dont chacun
eût une ville en propre : leur cupidité fit périr beaucoup de nobles Romains,
le reste partagé entre les Lombards leur donnait le tiers de la récolte. Sept
ans après l'arrivée d'Alboin, l'Italie était soumise à tous ces Ducs, mais ses
églises étaient renversées, les prêtres tués, les villes détruites, et les
peuples anéantis, à l'exception des pays qui avaient d'abord été pris par
Alboin
LIVRE III
I.
Quelques Ducs
Lombards entrèrent dans les Gaules avec une forte armée. Hospitius,
homme de Dieu, qui s'était volontairement reclus près de Nice, avait eu dès longtemps une révélation de leur arrivée et l'avait
prédite aux citoyens de cette ville ; cet homme était singulier par son
abstinence, et les épreuves auxquelles il soumettait sa chair, car il
s'entourait de chaînes, et mettait un cilice par-dessus, il ne mangeait que du
pain avec quelques dattes. Pendant le Carême il ne se nourrissait que d'Herbes
d'Egypte dont usent les Ermites, et que les marchands lui fournissaient. Le
seigneur opéra de grandes choses par son moyen, et on les trouve écrites dans
les livres de Grégoire Evêque de Tours. Or donc il prédisait en ces termes :
Les Lombards viendront dans les Gaules, et dévasteront sept villes dont la
malice aura cru sous les yeux du Seigneur; car le peuple y est adonné au
parjure. Nuisible par ses voleries, intentionné aux rapines, prompt aux
homicides, et le fruit de la justice y est inconnu. Les dimes n'y sont point
payées. Le pauvre n'y est point nourri, l'homme nu n'y est point couvert et
habillé par le riche. Une plaie viendra sur ce peuple. — Et puis parlant à ses
Moines, il leur dit: Sortez de ce lieu, et prenez ce qui vous appartient, car
la nation que j'ai prédite s'approche déjà. — Les Moines répondirent : Saint
Père nous ne vous abandonnerons pas. — Mais il leur dit : Ne craignez pas pour
moi, car il y a dans l'avenir qu'ils me feront injure ; mais qu'ils ne me
donneront pas la mort.
II.
Les Moines s'étant
retirés, l'armée des Lombards approcha, et comme ils dévastaient tout, ils
arrivèrent au lieu où le saint homme était reclus. Et il se montra à eux par une fenêtre de la Tour. Ils
l'entourèrent, mais ne pouvant trouver aucune entrée, deux d'entre eux
montèrent sur le toit et se mirent à le découvrir pour voir dans la tour; et
voyant qu'il était entouré de chaînes et revêtu d'un cilice, ils dirent : C'est
sûrement un malfaiteur qui à commis quelque homicide.
— Puis ils lui firent demander de quel crime il était coupable. Le saint homme
confessa qu'il était homicide et coupable de tous les crimes. Alors un Lombard
voulut lui couper la tête, mais comme il portait le coup, sa main se raidit
tout à coup, et il ne put plus la ramener à lui; c'est pourquoi il laissa
tomber son épée. Ses compagnons voyant cela poussèrent des cris vers le ciel,
et prièrent le Saint de leur enseigner avec bonté ce qu'ils avaient à faire. Le
saint guérit le bras avec un simple signe de croix. Et le Lombard, qu'il avait ainsi
guéri se convertit tout de suite à la foi du Christ et fut fait clerc, puis
moine et passa dans-ce lieu là le reste de ses jours. Saint Hospitius,
continua à prêcher la foi aux Lombards. Deux Ducs qui l'avaient écouté avec
respect, retournèrent sains et saufs dans leur patrie; les autres, qui
l'avaient méprisé, périrent misérablement.
III.
Or donc les
Lombards dévastèrent les Gaules, et Amatus, Patrice
de cette Province qui obéissait aux Rois des Francs, marcha contre eux, mais il
fut battu et prit la fuite mais il fut tué dans sa fuite. Les Lombards firent
là un si grand carnage des Bourguignons, que l'on ne put savoir au juste le
nombre des morts; puis ils retournèrent en Italie, chargés d'un butin
inestimable.
IV.
Alors Ennius que
l'on appelle aussi Mumulus, reçut l'honneur du
patriciat. Les Lombards entrèrent encore une fois dans les Gaules et vinrent
jusques à Mustiascalmes qui est près de la ville
d'Embrun. Mumulus y vint avec son armée, les entoura,
fit des abatis dans les forêts, et par ce moyen, il en tua un grand nombre, et
en prit aussi quelques uns qu'il envoya à son Roi
Gontran. Les Lombards obtinrent qu'on leur rendit leurs prisonniers et s'en
retournèrent en Italie.
V.
Ensuite les Saxons
qui étaient venus en Italie avec les Lombards entrèrent dans les Gaules. Et
posèrent leur camp dans le territoire de Rhege près
de Stablo, de là ils dévastèrent tous les environs. Mumulus, l'ayant appris tomba sur eux avec une armée, et ne
cessa de les tuer jusqu'à la nuit; car il trouva en eux des hommes très
ignorants, et qui ne savaient rien des choses qui étaient arrivées. Le
Lendemain matin les Saxons se rangèrent encore en bataille, mais des députés se
mirent entre deux et l'on fit la paix. Les Saxons firent des présents à Mumulus, abandonnèrent leur butin et leurs captifs, et s'en
retournèrent en Italie.
VI.
Or donc les Saxons
de retour en Italie. Songèrent à prendre avec eux leurs femmes, leurs enfants
et tous leurs meubles et à retourner dans les Gaules avec l'intention de
rentrer dans leur patrie, par le secours du Roi Sigebert. Il est certain que
ces Saxons étaient venus en Italie avec leurs femmes et leurs enfants dans l'intention d'y
habiter, mais on peut conjecturer qu'ils ne voulaient pas rester soumis aux
Lombards, et que les Lombards ne voulaient pas les laisser indépendants et
c'est là probablement ce qui leur fit désirer de retourner dans leur Patrie.
Les Saxons
résolurent d'entrer en France par deux endroits; c'est pourquoi ils formèrent
leur armée en deux coins, dont l'un prit le chemin de Nice, et l'autre celui
d'Embrun qu'ils avaient fait l'année dernière. Et comme c'était le temps de la
moisson, ils n'eurent pas de peine à se nourrir, eux et leurs chevaux. Ils
enlevaient aussi tous les bestiaux et ne s'abstenaient point des incendies.
Etant arrivés au
Rhône, ils le passèrent et entrèrent dans le royaume de Sigebert; alors Mumulus vint à leur rencontre avec une grande Multitude.
Les Saxons effrayés donnèrent beaucoup de pièces d'or pour leur rançon et
obtinrent la permission de continuer leur route. En chemin ils trompèrent
beaucoup de monde, car ils vendaient des barres de cuivre, colorées par je ne
sais quel art, en sorte qu'elles semblaient être d'or éprouvé; en sorte que
quelques hommes trompés par eux donnèrent de l'or pour du cuivre et devinrent
très pauvres. Les Saxons rendus auprès de Sigebert obtinrent la permission de
retourner aux lieux dont ils étaient sortis autrefois.
VII.
Les Saxons de
retour dans leur Patrie la trouvèrent occupée par les Souabes, et d'autres
nations, ainsi que nous l'avoua dit plus haut, et ils s'efforcèrent de détruire
ces nations. Mais les nations leur offrirent la troisième partie du pays et leur dirent: Nous pouvons vivre ensemble et sans collisions réciproques. — Les
Saxons refusèrent. Alors les nations leur offrirent la moitié du terrain, puis
les deux tiers, ne se réservant qu'on seul tiers. Enfin ils leur offrirent tout
le pays avec les bestiaux, seulement pour qu'ils cessassent de leur faire la
guerre; mais les Saxons refusèrent toujours et avant la bataille ils
arrangèrent comment ils partageraient entre eux les femmes des Souabes ; mais
l'événement ne répondit pas à leurs espérances, car ils perdirent la bataille ;
vingt mille Saxons furent tués et seulement quatre cents quatre-vingt Souabes. Les
six mille Saxons qui restaient firent le vœu de ne couper ni leurs cheveux ni
leur barbe jusques à ce qu'ils se fussent vengés, et ils recommencèrent la
guerre; mais ils furent encore battus et forcés au repos.
VIII.
Ensuite trois Ducs
Lombards firent une irruption dans les Gaules, à savoir Amon, Zaban, et Rhodanus. Amon passa
par Embrun et vint à Mâcon, que le Roi avait donné à Mummullus. Zaban passa par le Diois et vint à Valence, Rhodanus vint à Grenoble.
Amon conquit aussi
la ville d'Arles avec toute la province et les villes des environs, jusques à
ce camp de pierre, qui est proche de Marseille et il dévasta tous les lieux où
il passait. Il mit aussi le siège devant Aix; mais
il le leva pour vingt-deux livres d'argent que lui donnèrent les habitants.
Rhodanus et Zaban se livrèrent aussi aux incendies et aux
rapines, et démolirent les lieux par où ils passaient Toutes ces choses ayant
été rapportées au Patrice Mummulus, il rassembla une
puissante armée, et vint d'abord à Rhodanus qui
assiégeait Grenoble, il battit son armée, le blessa
lui-même, et le força à gagner les sommets des montagnes. Rhodanus qui n'avait plus que cinq cents hommes passa par certains défilés, vint trouver Zaban qui assiégeait Valence, et lui raconta ce qui
s'était passé. Cependant ils continuèrent tous les deux à dévaster et vinrent
ainsi, jusqu'à Embrun où ils rencontrèrent encore Mummulus qui les battit. Alors Zaban et Rhodanus gagnèrent l'Italie et vinrent à Suse, que Sisinnius alors maître de la milice tenait au nom de l'Empereur. Le fils de Mummulus y vint avec des lettres de son père, et annonça sa
prochaine arrivée. Alors Zaban et Rhodanus s'en retournèrent chez eux. Amon voulut aussi reprendre le chemin de l'Italie
avec tout le butin qu'il avait fait, mais les neiges l'obligèrent à en
abandonner la plus grande partie, et à peine il pût passer avec les siens le
sentier des Alpes.
IX.
Dans ces temps-là,
le château d'Anagni se rendit aux Francs, c'est pourquoi Ragilon comte des Lombards de Ragale vint à Anagni et le dévasta; mais à son retour
comme il était dans le camp Rotalien, Cramnichis Duc
des Francs y vint et le tua avec beaucoup des siens. Cramnichis vint peu de temps après à Trente et pilla la ville. Mais Evin Duc des Trentins le poursuivit l'atteignit au lieu appelé Salurnis et le tua, après quoi il se remit en possession du
territoire de Trente.
X.
Dans ce temps-là
Sigebert Roi des Francs fut tué, par la fraude de son frère Chilpéric, avec qui
il était en guerre. Son fils Childebert encor enfant lui succéda, et régna
conjointement avec sa mère Brunehilde. Evin Duc des Trentins,
dont nous avons parlé plus haut, épousa la fille de Garibald.
XI.
Dans ces temps-là
le jeune Justin régnait à Constantinople, homme fort adonné à l'avarice
contempteur des pauvres, et Spoliateur des Sénateurs. Il avait des coffres de
fer dans lesquels il renfermait tout l'or que sa cupidité avait ramassé. On dit
aussi qu'il était tombé dans l'hérésie de Pelage. Et comme il avait détourné
les oreilles de son cœur des commandements de Dieu, par un juste et divin
jugement il perdit l'intelligence de la raison et devint fou. Il fit venir Tibère César pour gouverner le palais
et quelques provinces. C'était un homme Juste, utile, vaillant, sage,
charitable, équitable dans ses jugements, illustre par ses victoires, et ce qui
est plus que tout cela véritable Chrétien. Mais comme il donnait aux pauvres
une grande partie de ce que Justin avait ramassé, l’impératrice Sophie le
grondait souvent en lui disant : Ce que j'ai passé tant d'années à ramasser tu
le disperses en peu de temps. — Mais il répondait: Je me confie dans le
seigneur, car l'argent ne manquera jamais à notre trésor tant qu'on l'emploiera
à faire l'aumône aux pauvres et à racheter des captifs, car le seigneur a dit :
Thésaurisez dans le ciel où il n'y a ni rouille ni mites, ni voleurs qui
creusent sous terre; ainsi ramassons dans le ciel, et le seigneur ramassera
pour nous dans le siècle. — Enfin Justin mourut fou après avoir régné onze ans.
C'est alors que Narsès faisait la guerre aux Goths et aux Francs, et nous
l'avons conté plus haut par anticipation. C'est alors aussi que le Pape Benoît
faisant venir d'Egypte, plusieurs milliers
de sacs de froment, sauva Rome des horreurs de la famine.
XII.
Justin étant mort,
Tibère Constantin lui succéda et fut le cinquantième Roi des Romains, et comme
il faisait de grandes aumônes dans le temps qu'il gouvernait le palais, Dieu
lui fit avoir des trésors considérables. Une fois qu'il se promenait dans le
palais, il aperçut dans le parquet une table de marbre, sur laquelle était
gravée une croix, et il dit: Voyez, nous foulons à nos pieds la croix du
seigneur que nous devrions porter sur nos fronts et nos poitrines. Et aussitôt
il la fit enlever. Mais dessous on trouva une autre table également marquée
d'une croix, l'Empereur la fit aussi enlever et trouva dessous une troisième
table de marbre aussi marquée d'une croix, l'Empereur la fit aussi enlever et
l'on trouva dessous un trésor qui contenait plus de mille quintaux d'or;
l'Empereur prit cet or, et donna encore plus d'aumônes qu'il n'avait fait par
le passé.
Narsès dont nous
avons parlé plus haut, ayant de grands trésors, voulut les cacher dans une
grande maison qu'il avait dans une certaine ville d'Italie, c'est pourquoi il y
fit construire secrètement une citerne, et y déposa plusieurs milliers de
quintaux d'or et d'argent. Après quoi il fit mourir tous ceux qui savaient son
secret à l'exception d'un vieillard dont il exigea le serment le plus fort.
Narsès mourut et le vieillard vint trouver l'ibère, et lui dit: O César j'ai une chose importante à vous dire
et je vous la dirai si j'y trouve quelque profit. — Tibère lui répondit : Dis
ce que tu veux, si c'est une chose qui nous soit utile, tu y trouveras ton
profit. — Alors le vieillard dit : Je
sais où est caché le trésor de Tarses, et me trouvant proche du terme de ma
vie, je veux en révéler le secret. — César Tibère l'entendit avec beaucoup de
plaisir et envoya ses garçons avec le vieillard ; ceux-ci le suivent étonnés,
enfin ils arrivent à la citerne, l'ouvrent, et y trouvent tant d'or et d'argent
qu'il fallut bien des jours pour l'emporter. Et l'Empereur, suivant son humeur
charitable, donna le tout aux pauvres.
Comme Tibère
devait recevoir la couronne impériale, et que le peuple l'attendait dans le
cirque selon la coutume pour voir le spectacle, bien des gens lui préparaient
des embûches, pour mettre sur le trône son neveu Justinien. Mais Justin passant
par les lieux saints, fit venir le Pontife de la ville, et les Consuls, mit la
couronne sur sa tête, se revêtit de la pourpré et entra ainsi dans le palais
aux acclamations du peuple ; et ses ennemis en furent couverts de confusion.
Peu de jours après Justinien vint se jeter aux pieds de l'Empereur qui lui
pardonna, lui fit présent de quinze quintaux d'or, et le fit demeurer avec lui
dans le palais.
Mais l'Impératrice
Sophie, oubliant ce qu'elle avait autres fois promis à Tibère, lui tendit aussi
des embûches, et comme il allait à la campagne au temps de vendanges pour y
passer trente jours, selon le rite impérial, elle fit venir en secret Justinien
et voulut le faire couronner. Tibère l'ayant survint au plus vite à Constantinople,
fit prendre l'Impératrice, la dépouilla de ses trésors et ne lui laissa que ce
qu'il lui fallait pour vivre, ensuite il lui ôta les garçons qui la servaient
et lui en donna de ses fidèles, avec ordre qu'aucun des anciens n'eût accès
chez elle. Pour ce qui est de Justinien il se contenta de le gronder, et dans
la suite il l'aima tant, qu'il lui promit sa fille, et de faire épouser à son fils la fille de Justinien. Mais tout
cela n'eut point lieu je ne sais pour quelle raison.
Tibère envoya une
armée en Perse, et elle revint victorieuse, conduisant avec elle, vingt
Eléphants chargés de tant de trésors, que l’on croit qu'il y en aurait pu avoir
assez pour contenter la cupidité humaine.
XIII.
Chilpéric Roi des
Francs envoya ses Ambassadeurs à Tibère, et il en reçut des ornements et des
médailles d'or dont chacune pesait une livre ; d'un côté l'on y voyait l'image
de l'Empereur, avec ces mots tout au tour: Tiberii, Constantini, Perpetui, Augusti. — Et de
l'autre côté, un quadrige conduit par un homme avec ces mots: Gloria Romanorum. —
Dans ces temps-là
saint Grégoire, qui n'était encore que Diacre et qui fut ensuite Pape
remplissent la charge d'Apocrisiaire dans cette ville royale, et il y composa
des livres de morale. Il disputa en présence de l'Empereur contre Eutychius Evêque de la même ville et le convainquit
d'erreur au sujet de la résurrection.
Dans ces temps-là, Farvald vint à Spolète avec une flotte, et dépouilla
cette ville de toutes ses richesses.
XIV.
Le Patriarche Probinus mourut à Aquilée après avoir dirigé cette église
pendant un an et le prêtre Hélias lui succéda.
XV.
Tibère ayant régné
sept ans, sentit que sa fin approchait ; c'est pourquoi, du consentement de
l'Impératrice Sophie, il choisit pour son successeur, Maurice homme très
vaillant et de race Cappadocienne. Il revêtit sa fille des ornements royaux; il
la présenta à Maurice et lui dit : Je vous donne ma fille et le pouvoir
suprême, soyez heureux; mais surtout n'oubliez jamais ce que vous devez à la
justice. — Après avoir dit ces paroles, il ferma les yeux, et alla dans la
patrie éternelle, laissant un peuple entier dans les larmes. Sa bonté était
extrême, et il était prompt à donner l'aumône. Juste et très attentif dans ses jugements,
ne méprisant personne, mais comprenant tout le monde dans sa bienveillance,
aimant tous les hommes et aimé de tous. Après sa mort, Maurice se revêtit de la
pourpre, mit la couronne et alla au cirque, où il fut proclamé par le peuple et
lui fit des présents, il fut le premier Empereur de race grecque.
XVI.
Or donc les
Lombards ayant été gouvernés dix ans par des Ducs, prirent pour Roi Autharis, fils de ce Cleph dont
il a été question plus haut; et à cause de sa dignité, ils l'appelèrent
Flavius, et tous les Rois Lombards qui sont venus depuis, ont heureusement
porté ce prénom.
Pour la
restauration du royaume, tous les Ducs d'alors donnèrent la moitié de leur
bien, pour les usages royaux, afin de nourrir le Roi et sa cour. Et les peuples
aggravés étaient partagés entre les hôtes des Lombards.[1]
Ce qu'il y avait
d'admirable dans le royaume des Lombards, c'est que l'on n'y craignait ni les
violences ni les trahisons. Personne n'injuriait, nul homme n'en dépouillait
un, autre. Les vols y étaient inconnus, et chacun allait sans crainte où bon
lui semblait.
XVII.
Dans ce temps-là
l’Empereur Maurice envoya cinquante mille sous à Childebert Roi des Francs pour
l'engager à faire la guerre aux Lombards en Italie, et les détruire. Childebert
entra effectivement en Italie à l'improviste, et à la tête d'une armée
innombrable. Les Lombards se renfermèrent dans les villes. Ensuite on s'envoya
des ambassades réciproques, et la paix se fit moyennant des présents
considérables. Childebert étant retourné dans les gaules, Maurice commença à
lui redemander les sous, qu'il lui avait envoyés pour faire la guerre aux
Lombards; mais Childebert, se confiant en ses forces, ne voulut seulement pas faire de réponse.
XVIII.
Alors Autharis mit le siège devant Brescike,
ville située les bords du Pô, où s'était réfugié Droctulf Duc des Lombards, qui avait pris le parti de l'Empereur, et il s'y défendit
très bien. Il tirait son origine des Souabes, c'est à dire des Allemands, mais il avait été élevé chez les Lombards et sa
beauté lui avait mérité les honneurs du Duché, mais il se révolta contre les
Lombards dès qu'il trouva une occasion de se venger de sa longue
captivité. Mais les Lombards le forcèrent à se retirer à Ravenne, Brexille fut prise et ses murs rasés. Autharis fit la paix pour trois ans avec Smaragdus Patrice qui
résidait à Ravenne.
XIX.
Droctulf engagea souvent les soldats de Ravenne à faire la guerre, aux Lombards, et il fit construire une flotte avec laquelle il
battit celle qui assiégeait la ville. Enfin il mourut et on lui éleva un
tombeau devant la porte de l'église de saint Vital.
XX.
Le Pape Benoît
étant mort, Pelage fut ordonné sans les ordres du Prince, parce que les
Lombards bloquaient Rome et que personne ne pouvait en sortir; ce Pelage
écrivit une lettre assez bonne, à Hélie Evêque d'Aquilée qui ne voulait pas
recevoir trois Chapitres du Synode de Calcédoine; cette lettre fut écrite par
saint Grégoire qui alors était Diacre.
XXI.
Pendant ce
temps-là, Childebert Roi des Francs fit la guerre aux Espagnols, et leur gagna
une grande bataille. Voici quelle était la cause de la guerre : Childebert
avait marié sa sœur Ingonde à Herminigild fils de Lewigild Roi des Espagnols, Lewigild languissait dans l'hérésie d'Arrien, mais Herminigild converti par Léandre Evêque de Séville et touché
par les exhortations d'Ingonde,
embrassa la foi catholique. Et son père impie le tua d'un coup de hache le jour
même de Pâque. Ingonde voulut fuir dans les Gaules ;
mais elle tomba entre les mains d'un corps de soldats qui étaient sur cette
frontière pour la garder contre les Goths, et elle fut conduite en Sicile où
elle mourut, mais son fils fut envoyé à Constantinople à l'Empereur Maurice.
XXII.
Alors Maurice
envoya encore vers Childebert pour l'engager à conduire une armée contre les
Lombards. Childebert, croyant que sa sœur vivait encore et qu'elle était à
Constantinople, fit ce qu'on lui demandait et entra en Italie. Mais tandis que
l'armée des Lombards allait à sa rencontre, les Francs se brouillèrent avec les
Allemands, et s'en retournèrent sans avoir rien fait.
XXIII.
Dans ce temps-là
il y eut sur les confins de la Ligurie et de la Vénétie un déluge, tel qu'il
n'y en n'avait pas eu depuis Noé. Les possessions et les fermes devinrent des
ardoises il périt aussi beaucoup d'hommes et de bestiaux, et tous les chemins
furent détruits. Le fleuve Atésis qui coule à Vérone
s'enfla tellement que l'eau atteignit les plus hautes fenêtres de l'église de
saint Zénon hors des murs Cependant saint Grégoire écrit qu'il n'entra point
d'eau dans l'église. Une partie des murs de Vérone furent alors renversés. Cette inondation eut lieu le seize des
Calendes de Novembre, au milieu de tonnerres tels que l'on en voit à peine en
été. Deux mois après, une grande partie de Vérone fut détruite par un incendie.
Pendant ce déluge,
le Tibre s'enfla tellement que les eaux passèrent par dessus les murs de Rome, et y occupèrent de vastes régions. Alors un dragon d'une
grandeur étonnante traversa la ville en descendant le fleuve, accompagné de
beaucoup d'autres serpents, et alla jusques à la mer.
Après cela régna
la peste appelée inguinaire, qui fit périr tant de peuple, qu'à peine quelqu'un
pouvait en réchapper. Le premier qui en mourut fut le Pape Pelage. Et après la
mort du pasteur, le troupeau fut presque entièrement détruit.
XXIV.
C’est au milieu de
ces tribulations que l'on élut Pape saint Grégoire qui était lévite; celui-ci
ordonna une litanie septiforme, et tandis qu'on la chantait, dans moins d'une
heure quatre-vingt hommes tombèrent morts. Cette litanie s'appelle septiforme,
parce que le peuple qui la chante est partagé en sept parts. Dans le premier
chœur était tout le clergé, dans le second tous les Abbés avec leurs moines,
dans le troisième les Laïcs, dans le sixième les veuves, dans le septième les
femmes mariées. Nous n'en dirons pas davantage ici sur saint Grégoire, par la
raison que nous avons déjà écrit sa vie il y a plusieurs années dans laquelle
nous avons mis tout ce qu'il y avait à en dire selon la ténuité de nos forces.
XXV.
Dans ces temps-là
saint Grégoire envoya en Bretagne Augustin, Melitus,
et Jean et leur prédication convertit les Angles.
XXVI.
Dans ces temps-là
mourut Hélie qui avait été pendant quinze ans Patriarche d'Aquilée et Sévère
lui succéda. Smaragdus Patrice de Ravenne vint alors
à Grado, pour arracher Sévère de son église et le conduire à Ravenne avec trois
autres Evêques; savoir: Jean Evêque de Parenza,
Sévère et Vindemius, avec encore Antoine, vieux
défenseur de l'Eglise. Smaragdus les força par
beaucoup d'injures à donner la communion à Jean Evêque de Ravenne, Condamnateur
des trois Chapitres, qui s'était séparé de l'Eglise Romaine du temps de Pelage
ou de Vigile. Au bout d'un an ils retournèrent à Grado ; mais le peuple ne
voulut plus les recevoir, et les autres Evêques non plus. Smaragdus fut saisi par le démon, et retourna à Constantinople et le Patrice Romain lui
succéda.
Ensuite il y eut à
Mariano un Synode de dix Evêques, où l'on reçut le Patriarche Sévère, qui donna
le livre de ses erreurs, parce qu'il avait donné la communion aux
condamnateurs des trois Chapitres. Les Evêques, qui résistèrent si bien à l'Hérésie,
étaient Pierre d'Altino, Ingénu de Sabione, Junior de Vérone, Horante de Vicense, Rustique de Trévise, Fonteius de Feltrino, Agnellus de Acilio, Laurence de Luna. Tous ces Evêques communièrent
avec le Patriarche, et de plus. Sévère Evêque de Parenza,
le Patrice Jean, Vindemius, et Jean.
Dans ce temps-là
le Roi Autharis envoya en Istrie une armée, à la tête
de laquelle était Evin Duc de Trente. Ce gens là commirent de grands incendies, et rapportèrent au Roi beaucoup de butin.
D'autres Lombards
assiégèrent dans l'île d'Amacis le maître de la
milice Francion, qui depuis vingt ans tenait le parti
de Narsès. Ce Francion se rendit avec son île au bout
de six mois, et lui même obtint la permission de se
retirer avec sa femme à Ravenne. L'on trouva dans cette île de grandes
richesses, que diverses villes y avaient envoyées.
XXVII.
Dans ces temps-là
le Roi Flavius Autharis envoya vers Childebert pour
lui demander sa sœur en mariage. Childebert reçut agréablement les présents que
lui avaient apportés les Ambassadeurs du Roi des Lombards et promit de lui
donner sa sœur. Mais ensuite vinrent des Ambassadeurs du Roi des Goths
d'Espagne pour demander la même sœur, et comme les Goths s'étaient depuis peu
convertis à la foi catholique, Childebert leur promit aussi sa sœur.
XXVIII.
Ensuite Childebert
envoya vers l'Empereur Maurice pour lui faire dire, que ce qu'il n'avait pas
fait auparavant il allait le faire. C'est à dire qu'il allait faire la guerre
aux Lombards, et bientôt après il entra en Italie. Les Lombards allèrent à sa
rencontre, et remportèrent une victoire si complète que peu de Francs
retournèrent dans les Gaules; et l'on ne sait point d'autre exemple d'un pareil
carnage. Il est très extraordinaire que Secundus, qui à écrit sur l'histoire des Lombards, ait pu passer
sous silence une pareille victoire. Tandis que l’on peut y voir, presque dans
les mêmes termes les choses que nous avons dites sur les Francs.
XXIX.
Ensuite le Roi
Flavius Autharis envoya en Bavière pour demander la
fille du Roi Garibald; celui-ci reçut agréablement
les Ambassadeurs d'Autharis et promit de lui donner
en mariage sa fille Theudelinde. Les Ambassadeurs
étant de retour, le rapportèrent à Autharis, qui
désirant voir par lui-même sa promise, partit en toute diligence pour la
Bavière n'emmenant avec lui qu'un petit nombre de Seigneurs Lombards qui lui
étaient très fidèles, et un entre autres assez avancé en âge pour paraître le
chef de l'Ambassade.
Toute l'Ambassade
arriva heureusement à sa destination, et cet homme plus âgé fit le compliment
d'usage, après quoi Autharis qui n'était connu de
personne en Bavière s'approcha du Roi Garibald et lui
dit : Le Roi Autharis mon maître m'a envoyé ici tout
exprès pour voir sa future épouse qui doit être notre reine, et pour lui en
rendre compte et lui dire quelle est sa figure. — Le Roi Garibald ayant entendu cela fit venir sa fille, Autharis la regarda longtemps d'un air satisfait et puis il
dit : La personne de votre fille nous semble si belle que nous désirons
beaucoup l'avoir pour notre reine; et comme un jour elle doit nous présenter à
boire, nous désirerions si cela plaisait à votre puissance de recevoir de sa
main un gobelet de vin. — Le Roi l'ayant permis l'on apporta du vin ; Theudelinde présenta d'abord le Gobelet à celui qui
paraissait le principal personnage de l'Ambassade, ensuite à Autharis, qu'elle ne savait pas devoir être son mari. Autharis vida le Gobelet, et en le rendant, sans que
personne s'en aperçut, il toucha la main de Theudelinde avec un de ses doigts, et passa ensuite ce doigt sur son propre visage en
commençant par le front et en passant ensuite par le nez. Theudelinde raconta la chose à sa nourrice, ce
qu'elle ne put faire sans beaucoup rougir. La nourrice
après y avoir réfléchi, dit : Si cet homme n'était pas le Roi qui doit vous
épouser, jamais il n'aurait osé vous toucher. Cependant ne parlons pas de cela
dans la crainte que le Roi votre père ne vienne à le savoir. Au reste celui
dont il est question, paraît bien digne de régner et de vous posséder. — Car Autharis était alors dans la fleur de son âge, ses cheveux
blonds, flottaient à grandes boucles sur ses épaules, et son visage était assez
beau. Enfin l'Ambassade prit congé du Roi, et sortit des frontières des Norices, car la province des Norices,
que les Bavarois habitaient pour lors, à l'orient la Pannonie, à l'occident la
Souabe, au midi l'Italie, et au nord le cours du Danube.
Lorsque l'on fut
déjà sur les confins de l'Italie et prêt à prendre congé des Bavarois, qui
accompagnaient l'Ambassade jusques aux frontières. Autharis se levant sur ses étriers, donna un grand coup de sa hache d'arme contre un
arbre qui était près de lui, et l'y laissant enfoncée, il dit : Voilà les coups
que porte Autharis. — Alors les Bavarois comprirent
qu'il était lui-même Autharis.
Peu de temps
après, la Bavière fut fort troublée par l'irruption des Francs, et Theudelinde s'enfuit en Italie avec son frère Gundoald, et comme elle fit annoncer son arrivée à Autharis, il alla à sa rencontre au camp de Sardis qui est au dessus de Vérone, et leurs noces furent célébrées avec
beaucoup d'appareil et de joie.
Là se trouvait
entre les autres Seigneurs Lombards, Agilulf Duc de Turin. Il y eut un orage,
et le tonnerre tomba sur un pieu de l'enceinte du Roi. Agilulf s'écarta un
moment près pour satisfaire aux besoins secrets de la nature, alors un garçon de son service vint le joindre, et
comme la connaissance qu'il avait des arts diaboliques, lui donnait
l'intelligence de ce que voulaient dire les coups de tonnerre, il dit à Agilulf
: Celle que notre Roi vient d'épouser sera dans peu votre femme. — Agilulf
répondit qu'il lui ferait couper la tête, s'il parlait de choses semblables,
mais le garçon répondit : Je puis être tué mais les destinées ne peuvent être
changées, et il est sûr que cette femme est venue en Italie pour vous épouser.
— Et réellement cela arriva dans la suite.
Dans ce temps-là Ansul, parent d'Autharis fut tué
près de Vérone, mais on ne sait pas bien quelle fut la cause de ce meurtre.
XXX.
Alors revint Grippon, que Childebert avait envoyé à Constantinople, et
il raconta que l'Empereur l'avait reçu très honorablement et avait promis de
venger les injures reçues à Carthage. Childebert envoya aussitôt une armée, commandée pat vingt Ducs, dont les
principaux étaient Anduald, Olon,
et Cedin. Olon s'étant
approché mal à propos des murs de Bilitio, fut tué d'un coup de javelot. Et les
Francs qui étaient sous son commandement s'étant
dispersés pour piller, furent presque
tous détruits.
Anduald et six autres Ducs des Francs arrivèrent à Milan, et campèrent sur les
hauteurs. Là ils reçurent des Députés de l'Empereur qui leur annoncèrent que
son armée arriverait dans trois jours, et ajoutèrent: Quand vous verrez brûler
cette maison qui est sur la montagne, ce sera un signal de notre arrivée. — Les
Francs attendirent six jours et ne virent arriver personne.
Cedin entra en Italie par la gauche avec trente
Ducs il prît cinq châteaux dont il exigea les serments. Les Francs arrivèrent
par Plaisance jusqu'à Vérone, prenant des villes qui se rendaient sur parole et
qu'ils détruisirent ensuite. Les châteaux qu'ils détruisaient dans le Trentin sont Tesana, Maletum, Semiana, Appianum, Fagitan, Cimbra, Vitianum, Brentonicum, Volenes, Ennemase deux à Alsuca et deux à Vérone. Les Francs conduisirent aussi en
captivité tous les habitants des châteaux susdits. Les Evêques intercédèrent
pour le château de Ferruge, et chaque homme fut
rançonné pour six cents sous.
Dans ce temps-là
l'armée des Francs fut très incommodée des grandes chaleurs, et les dysenteries
commencèrent à y rogner. Enfin au bout de trois mois, les Francs virent que
cette expédition ne leur donnait aucun profit, qu'ils ne pouvaient
pas se venger du Roi qui s'était fortifié près de Pavie, et que d'ailleurs
ils mouraient de faim, c’est pourquoi ils prirent la résolution de retourner
dans leur pays. Mais avant que de revoir leur sol natal, ils avaient vendu
leurs habits et leur arme pour avoir de quoi vivre.
XXXI.
C’est vers ces
temps-là que doit être arrivé ce que l'on raconte du Roi Autharis.
L'on dit que passant par Bénévent il vint à Spolète et prit ensuite tout le
pays jusqu'à Reggio, villa qui est à l'extrémité de
l'Italie et voisine de la Sicile, et comme il y a là une colonne, posée au
milieu des ondes de la mer, il alla à cheval jusqu'à cette colonne, et la
touchant du fer de sa lance, il dit: Ici seront les frontières des Lombards.
—-L'on assure que cette colonne subsiste encore et qu'on l'appelle la colonne
d'Autharis,
XXXII.
Le premier Duc des
Lombards à Bénévent s'appelait Zotto, et il gouverna
cette province pendant vingt ans.
XXXV.
Pendant ce
temps-là le Roi Autharis avait envoyé une Ambassade
amicale à Gontran Roi des Francs, oncle de Childebert. Celui-ci reçut
agréablement les Ambassadeurs, mais les renvoya à Childebert son
neveu, afin que ce fût lui qui décida la paix avec les Lombards. Ce Gontran était un roi pacifique
et renommé par sa grande bonté. Et il y a une de ses actions que nous voulons
insérer ici, et nous le ferons d'autant plus volontiers qu'il n'en est point
question dans l'histoire des Francs. Un jour que Gontran était à la chasse, ses
compagnons couraient çà et là, dans la forêt et il resta seul avec un de ses
plus fidèles serviteurs, et se sentant accablé de sommeil il appuya sa tête sur
les genoux de ce serviteur et s'endormit. Alors un tout petit animal de la
forme d'un reptile sortit de sa bouche, et courut le long des rives d'un
ruisseau sans pouvoir le passer. L'homme sur le sein duquel il reposait, tira
son épée la posa en travers sur le ruisseau et le petit animal s'en servant
comme d'un pont passa le ruisseau et entra dans un trou de montagne, au bout de
quelque teins il sortit du trou, repassa sur l'épée, et rentra dans la bouche
de Gontran.
Gontran s'étant
éveillé dit qu'il avait eu une singulière vision, il raconta avoir rêvé qu'il
avait passé un fleuve, sur un pont de fer et qu'il était entré sous une
certaine montagne où il avait trouvé beaucoup d'or. Alors son
serviteur raconta ce qu'il avait vu lui-même; enfin on creusa dans ce lieu, et
l’on y trouva un trésor inestimable que l'antiquité y avait déposé. Le Roi prit cet or et en
fit faire un Ciboire d'une grandeur admirable l'orna de beaucoup de pierres
précieuses et voulut l'envoyer à Jérusalem. Mais ne l'ayant pas pu, il le fit
mettre, sur le tombeau de saint Marcellus qui est à Cavaillon,
ville alors capitale du royaume de Gontran et
ce Ciboire y est encore, et jamais on n'a fait un ouvrage qui par lui être comparé. Mais après avoir raconté en
peu de mots un événement aussi remarquable, revenons à la suite de notre
histoire.
XXXIV.
Tandis que ces
Ambassadeurs étaient en France. Le Roi Autharis mourut à Pavie et l'on dit que ce fut par le poison. Il avait régné six ans.
Aussitôt les Lombards envoyèrent vers Childebert pour lui annoncer la mort d'Autharis, et lui demander encore la paix. Childebert donna
audience aux Ambassadeurs, et peu de jours après il les congédia en leur
promettant la paix.
Pour ce qui est de Theudelinde, comme elle plaisait beaucoup aux
Lombards, ils lui permirent de rester reine, et lui persuadèrent de choisir
l'un d'entre eux, pour en faire son époux pourvu que ce fût un homme en état de
les gouverner, Theudelinde après avoir pris conseil
de quelques hommes prudents, choisit Agilulf, Duc de Turin. C'était un homme
vaillant et tout fait pour régner.
Theudelinde fit aussitôt venir Agilulf et alla à sa rencontre jusques au Bourg de Laumellum. Lorsqu'Agilulf fut arrivé, après quelques compliments Theudelinde fit apporter du vin, elle bût la première et donna ce qui restait dans le
Gobelet à Agilulf. Celui-ci bût et en rendant le Gobelet il baisa la main de la
reine. La reine sourit en rougissant et lui dit qu'il ne devait pas
lui baiser la main, mais la bouche, et après l'avoir élevé à ce baiser, elle
s'ouvrit à lui sur leur noces prochaines. Bientôt après, elles furent célébrées avec une allégresse infinie.
Agilulf qui était parent d'Autharis fut élevé à la
dignité royale dès le mois de Novembre, mais ce n'est qu'à l'Assemblée générale
des Lombards qui eût lieu au mois de mai à Milan qu'il fut reconnu de tous.
LIVRE QUATRE
I.
Agilulf que l’on
appelle aussi Agon, ayant été confirmé dans la
dignité royale, envoya en France Agnellus Evêque de
Trente, pour tacher de ravoir les captifs Lombards,
celui-ci y alla et ramena ceux que Brunehilde avait rachetés de son argent.
Evin Duc de Trente alla aussi en France pour obtenir la paix; mais il revint
sans avoir rien fait.
II.
Dans cette année là il y eut une grande sécheresse jusques au mois de
septembre et il s'ensuivit une extrême famine. Le territoire des Trentins fut aussi affligé d'une grande quantité de
sauterelles, plus grandes que les sauterelles ordinaires ; mais ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est
qu'elles se nourrirent dans les prés et les marais, et ne touchèrent presque
pas aux moissons, l'année suivante il en revint un pareil nombre.
III.
Dans ces temps-là,
le Roi Agilulf, tua Minulf Duc de l'île de saint
Julien, parce qu'il l'avait livrée auparavant aux Francs. Gaidulf Duc de Bergame se révolta; mais ensuite il donna des otages et fit la paix. Peu de temps après il se révolta
de nouveau, et se renferma dans l'île Comacine où il
trouva un trésor que les Romains y avaient laissé. Mais Agilulf entra dans
l'île, chassa les hommes de Gaidulf et porta son
trésor à Pavie. Gaidulf se réfugia de nouveau à
Bergame où il rentra en grâce chez Agilulf. Le Duc Ulcfaris se révolta aussi, mais il fut assiégé, et pris à Trérisi.
IV.
Dans ce temps-là il
y eut encore une peste inguinaire à Ravenne, Grado, et Histrie,
comme celle qui s'était déjà manifestée trente ans auparavant.
C’est alors aussi
que le Roi Agilulf fit la paix avec les Avares. Childebert fit alors la guerre
à son cousin le fils de Chilpéric, et ils livrèrent une bataille où périrent
jusqu'à trente mille hommes.
Cette année-là
l'hiver fut plus froid que l'on ne se rappelait encore de l'avoir vu
précédemment. Il plut du sang dans le pays des Brioniens,
et les fleuves même en furent teints.
V.
Dans ces temps-là
le savant pape saint Grégoire écrivit trois livres de la vie des saints, et il
appela cet ouvrage Dialogues, c'est à dire, discours de deux
personnes, parce qu'il s'y entretient avec son diacre Pierre. Saint Grégoire
dédia ce livre à la Reine Theudelinde qu'il savait être dévouée à Jésus Christ et toujours prête à faire des bonnes
œuvres.[1]
VI.
L'Eglise de Dieu
dut aussi de grandes utilités à cette reine; car les Lombards qui étaient
encore gentils lorsqu'ils étaient entrés en Italie, avaient pris presque tous
les biens des Eglises. Mais le Roi touché par ses supplications salutaires fut
fidèle à la religion catholique, donna de grandes possessions aux églises, et
remit dans un état honorable les Evêques qui avaient langui dans l'oppression
et l'abjection.
VII.
Dans ces temps-là
Tassilon fut fait Roi de Bavière par Childebert Roi des Francs. Bientôt après
il entra dans la province des Slaves, et revint avec un butin considérable.
VIII.
Dans ce temps-là
Romain, Patrice et Exarque de Ravenne, alla à Rome, et en revenant à Ravenne il
prit aux Lombards les villes suivantes, Sutrium, Polimartium, Horta, Tudertum, Ameria, Perusia, Luceolis, et d'autres, encore, Ceci ayant été annoncé à
Agilulf, il sortit de Pavie à la tête d'une puissance, armée et alla d'abord à
Péruse. Il y assiégea Maurision Duc des Lombards qui
s'était rendu aux Romains, et ayant pris la ville il le fit mourir.
Le Pape saint Grégoire fut tellement effrayé de l'arrivée du Roi, qu'il
abandonna l'exposition du Temple dont il est parlé dans Ezéchiel, ainsi qu'il
le dit lui-même dans ses Homélies. — Mais le Roi retourna à Pavie. Peu de temps
après, il fit la paix avec les Romains à la persuasion de Theudelinde,
et le Pape Grégoire en a remercié cette reine dans la lettre que nous allons
rapporter.
IX
Grégoire à Theudelinde Reine des Lombards Salut !
Notre fils l’abbé
Probus nous a appris que votre excellence ce avait employé tous ses soins et sa
bonté ordinaire à l'ouvrage de la paix, et nous ne pouvions attendre autre
chose de notre chrétienneté. C’est pourquoi nous
rendons grâces à Dieu de ce qu'il dirige votre cœur dans sa piété, de ce qu'il
lui donna la vraie foi et vous permet de coopérer toujours aux choses qui lui
plaisent. Car, mon excellente fille, vous avez le mérite d'avoir épargné tour
le sang qui devait être versé de part et d'autre. C'est pourquoi nous vous
rendons grâces, et nous implorons la miséricorde de notre Dieu, afin qu'il vous
rende dans l'avenir le bien que vous avez fait Nous vous exhortons aussi par
notre direction paternelle, de vous employer auprès de votre excellent époux,
afin qu'il ne renonce pas à l'association de la république Chrétienne. Car vous
devez savoir combien l'amitié de cette république peut lui devenir utile. Pour
tous, étudiez toujours à votre manière ce qui a rapport à l'esprit de parti et
plaidez la cause de la miséricorde lorsque vous en trouverez l'occasion, et par
là vous vous recommanderez vous-même aux yeux du tout-puissant.
X.
Grégoire à Agilulf
Roi des Lombards Salut:
Je rends grâce à
votre excellence de ce qu'elle a écouté notre pétition, et fait une paix
avantageuse à tous les partis, et nous en prenons l'occasion de louer la
prudence et la bonté de votre excellence ; car en aimant la paix, vous faites
voir que vous aimez Dieu qui est l'auteur de toute paix; car (ce qu'à Dieu ne
plaise) si la paix n'avait pas été faite, l'on verserait encore le sang des
pauvres paysans, qui sont des gens très utiles à tous les partis. Mais pour que
cette paix soit réellement utile, nous vous prions de recommander à vos
généraux de l'observer, de nos côtés, afin que des occasions de querelles et de
contentions soient éloignées autant qu'il sera possible. Ces lettres vous
seront portées par vos hommes, que nous avons reçus avec l'affection qui convenait à l'égard de gens qui donnaient la nouvelle
d'une paix accordée par une divinité propice.
XI.
Au mois de janvier
parut une comète, et on la vit le matin et le soir pendant tout le mois. Dans
ce même mois mourut Jean, Archevêque de Ravenne; son successeur fut Marianus citoyen Romain. Evin Duc de
Trente mourut aussi et l'on mit à sa place Guidolad homme bon et catholique. Deux mille Bavarois firent une irruption chez les
Slaves, mais le Cacan survint et ils furent tous
tués. C'est alors que l'on conduisit en Italie pour la première fois des Bubales et des chevaux
sauvages. Le peuple les admira beaucoup.
XII.
C'est alors que
Childebert Roi des Francs mourut à l'âge de vingt-cinq ans, en même temps que
sa femme, l'on croit qu'ils furent empoisonnés. Les Huns appelés Avares
allèrent de Pannonie en Thuringe, et firent une guerre cruelle aux
Francs. Brunichilde régnait alors dans les gaules
avec Théodebert et Théodoric encore enfants, elle donna de l'argent aux Huns et
ils s'en retournèrent chez eux. Gontran mourut alors et son royaume passa à Brunichilde et aux fils de Childebert.
XIII.
Dans ce temps-là
le Cacan Roi des Huns envoya des Ambassadeurs à Milan
au Roi Agilulf et fit la paix avec lui. Le Patrice Romain mourut et son
successeur fut Gallicinus, qui fit la paix avec
Agilulf.
XIV.
Agilulf conclut
une paix perpétuelle avec Théodoric Roi des Francs. Ensuite il fit périr Zangrulf Duc de Vérone qui s’était révolté, et Gaïdulf, Duc de Bergame auquel il avait déjà deux fois
pardonné. Enfin il tua Warnecautius près de Pavie.
XV.
Ensuite la peste
régna encore à Ravenne et l'année suivante, il y eut une grande mortalité à
Vérone.
XVI.
L'on vit dans le
Ciel comme des lances de
sang et une lumière éclatante pendant toute la nuit. Dans ce temps-là Théodebert Roi
des Francs remporta une grande victoire sur son oncle Clotaire.
XVII.
L'année suivante
mourut Ariulf qui avait succédé à Spolète au Duc Farvald. Ariulf combattant une
fois contre les Romains du côté de Camerino, et ayant
remporté la victoire, demanda qui était cet homme qu'il avait toujours vu
combattre avec tant de courage. Ses guerriers lui répondirent que personne
n'avait combattu avec plus de courage que le Duc lui-même. Mais le Duc dit:
Certainement j'en ai vu un autre qui combattait beaucoup mieux que moi, et
toutes les fois qu'un ennemi voulait me frapper il me couvrait de son bouclier.
— Quelque temps après, le Duc vint à Spolète où il y a une belle église de
saint Sabinus et où il repose, et il demanda à qui était cette grande maison,
et quelques fidèles lui répondirent que c'était là qu'était le corps de saint
Sabinus que les Chrétiens avaient coutume d'invoquer lorsqu'ils allaient à la
guerre. Ariulf, qui était encore gentil répondit:
Quel secours un homme mort peut il donner à un vivant
? — Après avoir dit cela, il descendit de cheval et entra dans l'Eglise, et
tandis que les autres priaient il se mit à regarder les peintures,
et comme il vint au tableau qui représentait saint Sabinus, il affirma avec un
jurement, que c'était là l'homme qui l'avait secouru dans le combat. Alors tout
le monde vit bien de quoi il s'agissait, et qu'il ne devait le gain de la
bataille qu'à saint Sabinus.
XVIII
Vers ce temps-là
les Lombards attaquèrent de nuit le couvent de saint Benoît qui est au mont
Cassin, ils dévastèrent tout, mais ils ne purent tenir un seul moine, et en
cela s’est accomplie la prophétie qu’avait faite saint Benoît disant : A
peine ai-je pu obtenir de Dieu que les âmes de ce lieu-là me fussent cédées.
Les moines s’enfuirent à Rome n’emportant qu’une livre de pain, une mesure de
vin, et leur règle telle qu’elle avait été composée par leur saint
fondateur. Il faut savoir qu’à saint Benoît avait succédé Constantin, puis
Simplicius, puis Vitalis, enfin Bonitus qui dirigeait
la congrégation lors de ce désastre.
XIX.
Zoton Duc des
Bénéventins étant mort, Agilulf y envoya pour lui succéder Arigis qui était né dans le Frioul et avait élevé les fils de Gisulf Duc
de Frioul dont il était parent. Arigis reçut la
lettre suivante du Pape saint Grégoire et cette lettre existe
encore.
XX.
Grégoire au Duc Arigis salut:
Si votre gloire était
notre propre fils elle ne nous inspirerait pas plus de confiance que nous n'en
avons en elle; et c'est ce qui nous engage à vous demander une chose qui nous attristerait si vous la
refusiez, d'autant qu’en l'accordant, votre âme peut en être puissamment aidée.
Nous savons besoin de quelques poutres, pour nos églises de saint Pierre et de
saint Paul. C'est pourquoi nous avons enjoint à notre Sous-diacre Sabinus d'en
faire couper quelques unes du côté des Briciens, et de les faire traîner jusqu'à la mer dans un
lieu propre à les embarquer. Et parce qu'il a
besoin de secours dans une chose pareille, nous saluons votre gloire et nous la
prions avec une charité paternelle d'ordonner à ses actionnaires, qui sont dans
ce lieu-là, d'y employer les hommes qui sont sous eux avec leurs bœufs ; et
lorsque la chose sera portée à sa perfection, nous vous ferons un présent qui
ne sera pas injurieux. Car nous savons nous considérer, et répondre à la bonne
volonté que nous montrent nos fils. Ainsi donc, ô notre glorieux fils, nous
vous prions encore une fois de faire en sorte que nous nous croyons vos
débiteurs et que vous vous
soyez acquis un mérite auprès de la sainte église.
XXI.
Dans ce
temps-là, la fille du Roi Agilulf fut enlevée dans la ville de Parme avec son
mari Godescalc par l'armée du Patrice Gallicinus, et on les conduisit à Ravenne.
Dans le même
temps, le Roi Agilulf envoya des ouvriers au Cacan des Avares, pour construire des barques avec les quelles il prit une certaine île dans la Thrace.[2]
XXII.
Dans ce temps-là
aussi, la reine Theudelinde fit la dédicace de
l’église saint Jean Baptiste à Modica, à douze milles
au-dessus de Milan, et elle l’orna de vases d’or et d’argent, et lui donna de
belles terres. Théodoric, ancien roi des Goths, y avait construit un palais où
il passait l’été parce que le climat est plus froid, comme plus voisin des
Alpes.
XXIII.
C'est là aussi que Theudelinde fit bâtir un palais, où elle fit peindre une partie de l'histoire des Lombards.
C'est dans ces peintures que l'on voit manifestement comment les Lombards
d'alors se coiffaient et s'habillaient. Ils se rasaient la nuque et l'occiput,
et les Cheveux des faces retombaient jusqu'à la bouche et étaient séparés à
l'origine du front. Leurs habits étaient larges et généralement de lin, comme
ceux que les Anglo-Saxons portent encore aujourd'hui, ornés de larges pièces de
couleurs différentes. Leurs chaussures étaient ouvertes jusques au grand
orteil, et retenues alternativement par un lacet de cuir. Dans la suite ils
commencèrent à se servir de Hoses et lorsqu'ils montaient à
cheval, ils mettaient par dessus, des Tubruges de burre, mais c'est un
usage qu'ils avaient pris des Romains.
XXIV.
Jusques alors
Padoue avait toujours résisté aux Lombards, mais enfin le Roi Agilulf y fit jeter
tant de feu qu'elle fut totalement brûlée, mais les soldats qui y étaient eurent la permission de s'en retourner à Ravenne,
XXV.
Les Ambassadeurs
qu'Agilulf avaient envoyés au Cacan des Avares, rapportèrent l’heureuse
confirmation de la paix. Un envoyé du Cacan des
Avares était venu avec eux, et continua son chemin pour les Gaules, étant
chargé de dire au Roi des Francs qu'il eut à vivre en paix avec les Lombards,
comme avec les Avares eux-mêmes. Alors les Lombards joints aux Avares et aux
Slaves entrèrent dans le pays des Histriens et y
mirent tout à feu et à sang.
XXVI.
Theudelinde accoucha dans le palais de Modica d'un fils, qui fut appelé Adaloald.
Ensuite les Lombards s’emparèrent du mont Silese, Gallicinus fut chassé de Ravenne par Smaragdus qui y avait été autrefois Patrice.
XXVII.
Phocas qui avait été strateur du Patrice Priscus, fit mourir l'Empereur Maurice
avec ses fils, Théodose, Tibère, et Constantin. Maurice avait régné vingt et un
ans et s'était rendu utile à la république, et avait fait la guerre
toujours heureusement, particulièrement contre les Huns que l'on appelle
Avares.
XXVIII.
Gaidould Duc de Trente et Gisulf Duc de Frioul, s'étaient écartés
du Roi Agilulf, mais cette année-là, ils rentrèrent en grâce, c'est alors aussi
que fut baptisé cet enfant dont nous avons parlé plus haut, savoir Adalvald fils d’Agilulf, et il fut retiré des fonds sacrés
par le trentin Secundus, serviteur du Christ dont nous avons déjà souvent fait
mention dans cet ouvrage. Cela eut lieu à Modica, le
jour de Pasques septième des Ides d’Avril.
XXIX.
Alors les Romains
étaient mal avec les Lombards, à cause de cette fille du Roi qu’ils retenaient
captive. C’est pourquoi Agilulf, sortit de Milan au mois de juillet, et mit le siège
devant Crémone avec les Sclaves, que lui avait
envoyés le Cakan Roi des Avares. Crémone fut prise le
12 des Calendes, de Septembre et Agilulf la fit raser. Ensuite il
mit le siège devant Mantoue, abattit les murs à coups de béliers, et entra dans
la ville aux Ides de Septembre.
Le château de Vulturina se rendit aussi aux Lombards, et la garnison en se retirant brûla le Bourg de Brexillum. Enfin le Patrice Smaragdus rendit la fille du Roi, avec son mari, ses fils, et tout ce qu'elle avait, et
l'on conclut une trêve qui devait durer depuis le mois de Novembre jusques aux
Calendes d'Avril indiction huitième. La fille vint à Parme où elle mourut des
suites d'une couche. En cette année-là Théodebert et Théodoric Rois des Francs
firent la guerre à leur oncle Clotaire, et beaucoup de monde périt des deux
côtés.
XXX.
Saint Grégoire mourut, comme Phocas entrait dans la seconde année de son règne. Sabinien
succéda à saint Grégoire. L'hiver fut très froid et fit périr les vignes en
bien des endroits. Ensuite
les moissons furent en partie brûlées par les grandes chaleurs, et en partie
mangées par les rats. Il était juste que le monde souffrit alors de la faim et
de la soif, puisque un si grand Docteur était mort et que les âmes des hommes
restaient exposées à la pénurie de nourriture spirituelle et à l'aridité qui en
résulte.
J'ai envie
d'insérer ici une certaine lettre de ce saint homme, dans laquelle on pourra
voir quelle était son humilité et son innocence. Il fut accusé d'avoir fait
périr un certain Evêque Malcus et écrivant à ce sujet
à Sabinien qui était son commissaire à Constantinople, il lui dit entre autres
choses : Voici ce que vous devez insinuer à nos sérénissimes Seigneurs, c'est
que si moi, leur sénateur, j'avais voulu me mêler de faire mourir des Lombards,
aujourd'hui cette nation n'aurait plus ni Rois, ni Ducs, ni Comtes et serait
dans la plus grande-confusion. Mais je crains Dieu, et je ne contribue à la
mort de qui que ce soit. L'Evêque Malcus, dont il est
question, n'a point été mis en prison, et on ne lui a fait aucun mal. Lorsqu'il eut plaidé sa cause, le
notaire Boniface le conduisit chez lui à mon insu, le reçut honorablement, lui
donna à dîner et il est mort subitement pendant la nuit. —
Voyez quelle était
l’humilité de cet homme, qui, quoi que Pontife suprême de Dieu,
s'appelait cependant le serviteur des hommes, voyez quelle était son innocence,
puisqu'il ne voulait pas contribuer à la mort des Lombards quoiqu'ils fussent
incrédules et fissent tant de dégâts.
XXXI.
L'été suivant au
mois de Juillet, Adaloald fut élevé à la royauté des
Lombards, dans le Cirque de Milan, en présence de sort père Agilulf et des Ambassadeurs de
Théodebert Roi des Francs, ceux-ci firent épouser à Adaloald encore enfant, la fille de Théodebert et conclurent une paix perpétuelle avec les Lombards,
XXXII.
Dans ce temps-là
les Francs et les Saxons se firent une guerre cruelle. Le Chantre Pierre fut
tué d'un coup de tonnerre à Pavie dans l'église de l'apôtre saint Pierre.
XXXIII,
Au mois de
novembre, Agilulf conclut une trêve d'un an avec Smaragdus et reçut pour cela douze mille sous. Les Lombards
prirent en Toscane le bain du Roi, et Civitavecchia. Dans les mois d'Avril et
de Mai, l'on vît au ciel une étoile que l'on appelle
comète. Agilulf conclut une trêve de trois ans avec les Romains.
XXXIV.
Dans ces temps-là
mourut le patriarche Sévère, et l'Abbé Jean lui succéda dans l'ancienne Aquilée
du consentement du Duc Gisulf. Les Romains ordonnèrent à Grado l'Evêque Candidianus. L'Etoile comète apparut de nouveau dans les
mois de Novembre et de Décembre.
Candidianus mourut et l’on ordonna patriarche Epiphane qui avait été Primicier des
notaires, ce furent les Evêques sujets des Romains qui l'ordonnèrent et depuis
lors il y eut deux Patriarches.
XXXV.
Jean Consinus s'empara de Naples, dont il fut chassé longtemps après par le Patrice Eleuthère qui
le fit mourir. Alors ce même Patrice c'est-à-dire l'Eunuque Eleuthère, commença
à exercer les droits de l'Empire mais comme il allait de Ravenne à Rome, ses
soldats le tuèrent à Luceoli et portèrent sa tête à
l'Empereur à Constantinople.
XXXVI.
Agilulf envoya à l'Empereur Phocas son Notaire Stabilicianus celui-ci retint avec
des Ambassadeurs de l'Empereur, qui portèrent des présents et conclurent une trêve d'un an.
XXXVII.
Or donc Phocas ayant fait mourir Maurice et ses fils régna pendant
huit ans. Le Pape Boniface obtint de lui que le siège de l'église apostolique
et Romaine serait le chef de toutes les églises; car l'église de
Constantinople prenait le titre de la première de toutes les églises. Le même
Pape Boniface fit ôter du Panthéon les Saletés de idolâtrie, et en fit une
église consacrée à la sainte vierge et à tous les martyrs. Afin que l'on fît
mention de tous les saints, là ou auparavant l’on adorait tous les démons. Dans
ce temps-là les Factions Vénètes et Prasines se firent une guerre cruelle dans
tout l'Orient et l’Egypte. Les Perses enlevèrent aux Romains beaucoup de
Provinces et même Jérusalem. Partout ils détruisaient les églises, profanaient
les closes sacrées, enlevaient les ornements des lieux saints et même ils prirent le drapeau de la
croix du seigneur. Héraclianus qui gouvernait
l'Afrique se révolta contre Phocas, et Héraclias fils d'Héraclianus fut
fait Empereur.
XXXVIII.
Vers ce temps-là le Cacan Roi des Avares., entra dans la Vénétie à la tête d'une multitude innombrable.
Gisulf Duc de Frioul l'attaqua avec tous les Lombards qu'il pût ramasser, mais
quelque fut leur valeur ils ne purent résister à la multitude qui les
environnait, et furent presque tous tués aussi bien que Gisulf lui-même.
Romilda femme de Gisulf se renferma dans les
murs de Frioul avec les Lombards qui avoient échappé et avec les femmes et les
enfants de ceux qui avoient péri. Romilde avait
quatre fils, Taso et Caco, déjà adolescents, Radould et Grimoald encore enfants. Elle avait aussi quatre
filles, Appa, Gaila, et
deux autres dont je ne sais pas les noms. Les Lombards s'étaient
aussi fortifiés dans d'autres places fortes, telles que Cormones, Nomaso, Osopo, Artenia, Reunia, Glemona et enfin à Ibligine qui
par sa position est inexpugnable.
Pendant ce temps-là les Avares parcouraient
tout le Frioul et s'efforçaient de prendre la ville de Frioul. Un jour que le Cacan faisait le tour de ses murailles à la tête d'une
suite nombreuse, Romilde l'aperçut et le voyant à la
fleur de son âge, cette infâme courtisane, se prit de passion pour lui, et lui
envoya dire que s'il voulait l'épouser elle lui livrerait la ville et tout ce qui
y était. Le Roi Barbare, promit de faire ce qu'elle désirait, et Romilde fit aussitôt ouvrir les portes de la ville. Les Avares
y étant entrés mirent le feu à la ville, et enlevèrent tous les habitants puis
ils reprirent le chemin de la Pannonie. Lorsqu'ils furent arrivés au camp
qu'ils appellent sacré, ils se décidèrent à tuer tous les Lombards, et à ne
garder que les femmes et les enfants. Taso, Caco, et Rodould voyant la malice des Avares, montèrent à cheval et
trouvèrent le moyen de s'enfuir comme le petit Grimoald ne pouvait pas encore
se tenir à cheval, un de ses frères crut devoir le tuer, mais comme
il levait la lance sur lui, l'enfant lui cria tout en larmes: Ne me faites pas
de mal ; car je saurai me tenir à cheval. — Alors le frère le mit sur un cheval
et sans selle lui dit de se bien tenir. Le petit Grimoald prit la bride et
tacha de suivre. Les Avares s'étant aperçus de leur fuite se mirent à les
poursuivre ; mais ils ne purent atteindre que le petit Grimoald, l'Avare
qui s'en saisit le premier ne voulut pas le tuer, et préféra de le ramener au
camp, en tenant la bride de son cheval, ce qu'il fit aussi en se réjouissant
extrêmement de sa capture, car c'était un bel enfant aux yeux brillants, et à
la chevelure couleur de lait. Pendant ce temps-là cet aimable enfant ressentait
un grand chagrin de se voir ainsi repris, et tout d'un coup il tira sa petite
épée et en donna un si grand coup sur la tête de l'Avare, qu'il pénétra jusqu'à
la cervelle, et le fit tomber mort sur la place. Aussitôt le petit Grimoald
reprit la bride de son cheval, et retourna vers ses frères, auxquels il raconta
ce qui s'était passé.
Les Avares tuèrent effectivement tous les
Lombards qui avoient atteint l'âge viril et emmenèrent chez eux les femmes et
les enfants. Pour ce qui est de Romilde. Le Roi des
Avares passa une nuit avec elle, pour remplir le serment qu'il avait fait de
l'épouser.
Novissime vero duodecim Avaribus tradidtt qui eam per totam noctem
vicibus sibi succedentes Libidine vexarent, postmodum quoque palum in medio campo configi precipiens, Eandem in ejus caeumine inseri
mandavit. Haec in super exprobrando inquiens. Talem te dignum est maritum
habere.
Et c'est ainsi qu'à péri cette femme
traîtresse à la Patrie qui sacrifia le sang de ses Concitoyens à l'envie de
satisfaire ses désirs désordonnés. Les filles ne suivirent point l'exemple de
leur mère. Mais cherchant des moyens pour sauver leur vertu.
Crudorum pullorum carnes sibi inter
maminas sub fascia posuerunt, quae ex catore putrefactas odorem fetidum
exhalabant cumque eas vellent Avares contingere, non sustinentes foetorem
putabant eas naturaliter ita foetere procul ab eis cum execratione recedentes
atque dicentes, omnes Longobardas foetidas esse Hac igitur arte Avarum
tibidinem puellae Nobiles evadentes et ipsae castae servandae snnt et utile
servandae castitatis, si quid tale foeminis contigerit mandaverunt exemplum. Voila comment ces nobles filles surent se
conserver chastes, et donnèrent un bel exemple que les femmes
pourront suivre à l'avenir, si elles se trouvent dans quelques circonstances
pareilles. Ensuite ces vertueuses personnes furent vendues dans différents
pays, et se marièrent d'une façon digne de leur noble origine, car l'on assure
que l'une épousa le Roi des Alemans et l'autre le Roi
des Bavarois.
XXXIX.
Ici je crois devoir suspendre l'histoire
générale et dire quelque chose de ma généalogie, à moi qui écris ceci. Et pour
cela il faut que je reprenne la chose un peu plus haut. Lorsque les Lombards
entrèrent en Italie, mon bisaïeul Leuphis qui était
aussi un Lombard y vint avec eux. Leuphis après avoir
vécu quelques années en Italie mourut, et laissa six fils qui étaient
encore enfants, lorsque les Avares les prirent dans
la ville de Forum Julii, et les amenèrent chez eux.
Tous ces six frères vécurent dans la misère et la captivité à l'exception du
cinquième qui s'appelait Lupicis, et qui était mon
aïeul ; celui-ci inspiré sans doute par l'auteur de tout bien, forma le
projet de s'échapper. Il prit son arc, son carquois, et un peu de nourriture,
et se mit en route sans savoir où il allait, lorsqu'un loup se fit son
compagnon de voyage et son conducteur. Ce loup marchait devant lui, regardant
de temps en temps en arrière, s'arrêtant quand il s'arrêtait et se
remettant à le précéder lorsqu'il le voyait marcher. Alors mon aïeul vit bien
que c'était Dieu qui lui envoyait ce loup pour lui montrer le chemin. Ils
marchèrent ainsi pendant plusieurs jours dans des montagnes solitaires, enfin
mon aïeul qui n'avait pris avec lui que très peu de pain commença à en manquer
tout à fait et pressé par une faim dévorante, il prit son arc y mit une flèche
et voulut tuer le loup, mais celui-ci disparut aussitôt. Mon aïeul désespérant
déjà de sa vie et trop faible pour pouvoir avancer, se jeta à terre
et s'endormit, alors il vit en songe un homme qui lui dit: Lève-toi, et marche
du côté où tes pieds sont à présent, car c'est là qu'est l'Italie.
— Mon aïeul s'éveilla et se mit à marcher du côté qui lui avait été
indiqué. Bientôt après il arriva à un lieu habité par des Slaves, une vieille
femme l'ayant aperçu, comprit bientôt qu'il était fugitif et mourant de faim.
Elle en eût pitié, le cacha dans sa maison, et lui donna à manger peu à peu,
dans la crainte qu'une trop grande abondance d'aliments donnés tout à la fois
ne lui fit du mal. Enfin, lorsque ses forces furent rétablies, elle lui donna
d'autres provisions, le mit sur son chemin et lui dit adieu. Mon aïeul arriva
en Italie peu de jours après, et vint à la maison où il était né.
Elle n'avait plus de tait, et l'entrée en était hérissées de ronces et
d'épines. Mon aïeul les coupa, entra dans la maison, trouva qu'un orme avait
cru dans l'intérieur, et y suspendit son carquois. Ensuite ses parents et ses
amis lui firent des présents, il rebâtit sa maison et se maria, mais il ne put
jamais rentrer dans les possessions de son père, qui étaient depuis trop
longtemps en des mains étrangères.
Cet homme était mon aïeul ainsi que je l'ai
déjà dit. Il eut un fils appelé Arichis qui fut mon grand père. Arichis eut un fils
appelé Warnefrid qui fut mon père. Mon père eut deux
fils de sa femme Theudelinde, moi Paul, et mon frère
qui fut appelé Arichis comme notre grand père. Et
après avoir dit ceci sur notre généalogie, je rentre dans le sentier de mon
histoire.
XL.
Gisulf Duc de Frioul ayant été tué, ses
fils Taso et Cacco commencèrent à gouverner le duché. Ils possédèrent le pays des Slaves jusqu'à Zellia et jusqu'au lieu appelé Medaria,
et jusques au temps du Duc Rutchis les Slaves ont
payé une pension aux Ducs du Frioul. Grégoire, Patrice Romain, fit périr ces
deux frères, par une trahison dans la ville d'Opitergio.
Voici comment la chose arriva, Grégoire promit à Tason de lui couper la barbe, selon l'usage et de l'adopter pour son fils, et Tason qui ne soupçonnait aucune fraude, se rendit auprès de
lui avec son frère Caccon, et plusieurs jeunes gens
d'élite. Mais ils ne furent pas plutôt entrés à Opitergium,
que Grégoire fit fermer les portes de la ville, et envoya des soldats contre
les Lombards. Tason voyant cela prit congé de son frère et du reste de ses
compagnons, après quoi ils se répandirent dans les rues de la ville et tuèrent
tout ce qu'ils rencontraient, jusques à ce qu'on les tuât eux-mêmes jusqu'au
dernier. Le Patrice, pour satisfaire à son serment se fit apporter la tête de Tason et lui coupa la barbe,
XLI.
Grasulf frère de Gisulf fut fait Duc de Frioul, Rodoald et
Grimoald étant devenus des jeunes gens ne voulurent pas servir leur oncle, ils s'embarquèrent sur un
petit navire et arrivèrent à Bénévent, chez Arichis Duc des Bénéventins et leur ancien Pédagogue, qui les reçut comme s'ils étaient ses propres fils. Dans
ce temps-là mourut Tassilon Duc des Bavarois, son fils Garibald fut vaincu par les Slaves à Agunte, et ceux-ci
ravagèrent ensuite les frontières des Bavarois, Mais les Bavarois ayant repris
des forces, reclassèrent leurs ennemis, et leur reprirent le butin qu'ils
avaient fait.
XLII.
Agilulf fit avec
l'Empereur une trêve d'une année, et ensuite d'une seconde année ; ensuite
il renouvela aussi la paix avec les Francs. Néanmoins les Slaves entrèrent dans
l’Istrie et là ravagèrent d'une façon déplorable.
Au mois de mars
mourut à Trente Secundus serviteur de Dieu, dont nous
avons déjà fait souvent mention, et qui à écrit
succinctement une histoire des Lombards qui va jusques à son temps.
Agilulf conclut
encore une paix avec l'Empereur, Alors aussi fut tué Théodebert Roi des Francs,
ce qui donna lieu à une guerre civile des plus cruelles. Gunduald frère de la Reine Theudelinde fut tué d'un coup de flèche dans la
ville d'Est sans que personne pût savoir d'où partait le coup.
XLIII.
Le Roi Agilulf
que l'on appelle aussi Agon, mourut après avoir régné vingt cinq ans, et laissa le royaume a son fils Adaloald qui était encore enfant et à sa femme Theudelinde, sous leur règne les églises furent restaurées,
et l'on fit des dons considérables aux lieux saints. Mais après qu'Adaloald eut régné dix ans avec sa mère, il devînt fou, fut
détrôné et les Lombards, mirent à sa place Arioald,
dont les faits et gestes ne sont point parvenus jusqu’à nous. C'est alors que
vivait saint Columbanus, originaire d'Ecosse. Il
avait bâti un monastère dans les. Gaules dans le lieu appelé Luxowius. Ensuite il vint en Italie et fut bien reçu par le
Roi des Lombards ; il bâtit dans les
Alpes Cotiennes un monastère appelé Bobius à quarante milles de Pavie, et il s'y forma une
congrégation de moines que tous les princes Lombards se sont plu à enrichir.
XLIV
Arioald régna d'onze ans sur les Lombards
après quoi il mourut et son successeur fut Rotharis de la race d'Arod. C'était un homme vaillant et suivant le sentier de la
justice; mais ne sachant pas tenir la droite ligne du Christianisme parce qu'il
était contaminé de la perfidie Arienne. Car les Ariens, disent à leur dam, que
le fils est moindre que le père, et le père moindre que tous les deux. Au lieu
que nous autres catholiques nous disons, que le père, le fils et le saint
esprit forment un Dieu, en trois personnes égales entre elles, en gloire et en
puissances. Dans ces temps il y avait presque dans chaque
ville deux Evêques l'un catholique et l'autre Arrien. L'on montre encore
aujourd'hui à Pavie l'endroit où demeurait l’Evêque Arrien, et son baptistère
près de l'Eglise de saint Eusèbe. Et alors il y avait un autre Evêque pour
l'église catholique. L'Evêque Arrien Anastase, se convertit et fut ensuite
Evêque catholique.
Ce Roi Rotharis fit écrire de suite les
lois des Lombards qui auparavant n'étaient retenues que de mémoire et par
l'usage, et ce code fut appelé Edictum. Il y avait alors soixante et dix-sept ans que les
Lombards étaient entrés en Italie ainsi que ce Roi l'atteste dans le prologue
de son édit.
XLV.
Arichis Duc de Bénévent envoya à ce Roi son fils Aion, mais
comme il passa par Ravenne, les malicieux Romains, lui donnèrent un breuvage
qui lui fit perdre l'usage de la raison. En sorte que son père sentant que la
fin de sa vie approchait, recommanda à ses Lombards Radould et Grimoald, comme des gens plus propres à les gouverner que son fils Aion.
XLVI.
Arichis Duc de Bénévent mourut après avoir
régné cinquante ans. Aion son fils devint chef des Samnites. Mais Radould et Grimoald lui obéirent toujours comme à un frère
aîné. Aion ayant régné un an et cinq mois, les Slaves vinrent sur une multitude
de vaisseaux. Ils placèrent leur camp près de la ville de Seponto,
et l'entourèrent de fosses secrètes. Aion ayant voulu les attaquer dans
l'absence de Radould et de Garibald,
tomba dans une de ces fosses avec son cheval, les Slaves accoururent et le
tuèrent avec quelques uns des siens. Radoald ayant appris cela accourut aussitôt et parla aux
Slaves dans leur propre langue, et après les avoir endormis par ses discours,
il tomba sur eux à l'improviste, et en fit un grand carnage, afin de venger la
mort d'Aion, après cela les Slaves furent forcés de quitter le pays.
XLVII.
Rotharis prit aux Romains toutes les villes
maritimes de la Toscane jusques aux frontières des Francs. Il prit aussi la
ville d'Opitergium qui est entre Trévise et le
Frioul, il fit aussi la guerre aux Romains de Ravenne sur le fleuve Scultena qui est dans la province Emilienne. Les Romains y
prirent la fuite et perdirent dix mille hommes.
Il y eut alors à Rome un tremblement de
terre avec une Forte inondation. Ensuite on fut affligé de la galle, et
personne ne pouvait reconnaître ses morts, tant ils étaient enflés.
Rodoald mourut à Bénévent après avoir régné
cinq ans, Grimoald lui succéda et régna vingt-cinq ans sur les Samnites, il eut
un fils et deux filles captives ; mais nobles appelées Itta,
le fils fut appelé Romuald. Ce Romuald fut très vaillant, et ce fut lui qui
repoussa les Grecs lorsqu'ils vinrent piller la chapelle de saint Michel
Archange sur le mont Garganus.
XLVIII.
Rotharis mourut après avoir régné seize ans
et douze mois, et laissa le royaume des Lombards à son fils Rodoald.
Rotharis fut enterré proche de la Basilique de saint Jean, quelque temps après,
quelqu'un rempli d'une cupidité inique, ouvrit de nuit son tombeau, et enleva
tout ce qu'il y trouva en fait d'ornements précieux. Mais cet homme fut ensuite
bien effrayé lorsque saint Jean lui apparut et lui dit : Pourquoi as-tu osé
toucher au corps de cet homme. Quoique sa foi ne fut pas pure, cependant comme
il était dévot à mon nom il à su se mettre en grâce
auprès de moi et puisque tu as fait cela, tu n'entreras jamais dans mon église.
— Et cela arriva ainsi, car toutes les fois que cet homme voulait entrer dans
l'église de saint Jean, il recevait un coup de poing d'une force prodigieuse,
qui le repoussait en arrière, et le faisait tomber. Je dis la vérité dans le
Christ, cela m'a été rapporté par un homme qui l'a vu de ses yeux.
XLIX.
Rodoald ayant succédé à son père, épousa Gundiberge fille d'Agilulf et de Theudelinde. Gundiberge marcha sur les traces de sa mère, car Theudelinde avait fait bâtir une église à saint Jean à Modicia et Gundiberge en fit
bâtir une à Pavie, à qui elle donna beaucoup d'or, d'argent, et de belles
pelisses. C'est là aussi que son corps repose.
Cette Gundiberge fut accusée d'adultère, et Carellus serviteur du Roi
lui demanda la permission de se battre avec l'accusateur, pour soutenir la
chasteté de la Reine. Carellus combattit en présence
de tout le peuple, fut vainqueur et rendit par-là à la Reine toute sa dignité
première.
L.
Rodoald régna cinq ans et sept jours et fut
tué par un certain Lombard dont il avait séduit la femme. Son successeur fut
Aripert fils de Gunduald frère de Theudelinde.
C'est lui qui à bâti la chapelle du saint Sauveur à
Pavie hors de la porte occidentale appelée Marença,
et il lui a fait des dons considérables;
LI.
Alors Héraclius mourut à Constantinople.
Son fils Héracléonas lui succéda et régna deux ans
conjointement avec sa mère Martine. Il mourut et son
frère Constantin lui succéda. Celui-ci mourut au bout de six mois et laissa
l'Empire à son fils Constantin, qui régna vingt-huit ans.
LII.
Dans ce temps-là Cesara femme du Roi de Perse quitta sa cour secrètement, et vint à Constantinople
accompagnée d'un petit nombre d'amis fidèles. L'Empereur la reçut
honorablement, et la tint sur les fonts de baptême. Le Roi de Perse l'ayant su,
envoya redemander sa femme. L'Empereur répondit aux envoyés : Je ne sais
pas un mot de votre Reine, il n'est venu chez moi qu'une dame Persane, habillée
comme une simple particulière. — Les Ambassadeurs répondirent qu'ils voudraient
bien voir cette femme et l'Empereur la fit venir. Elle ne fut pas plutôt entrée
dans la salle, que les Ambassadeurs se prosternèrent à ses pieds,
et lui dirent avec beaucoup de respect que le Roi de Perse désirait qu'elle
revint auprès de lui. La Reine leur répondit en ces termes : Allez dire à votre
Roi et Seigneur, que s'il ne croit pas au Christ comme j'y crois. Il ne pourra
point m'avoir pour compagne de sa couche. — Les Ambassadeurs retournèrent en
Perse et rapportèrent cette réponse à leur Roi. Celui-ci vint à Constantinople
avec une suite de soixante mille hommes, et fut très bien reçu par l'Empereur.
Ensuite il se fit baptiser avec toute sa suite, et retourna dans sa patrie avec
beaucoup de présents que l'Empereur lui fit aussi bien qu'à sa femme. Vers ce
temps-là mourut Grasulf Duc de Frioul et Agon lui succéda. Theudelape mourut aussi à Spolète et Atton lui succéda.
LIII.
Or donc Aripert mourut à Pavie après avoir
régné neuf ans, et laissa deux fils à peine adolescents Bertaride et Godebert. Godebert résidait à Pavie, Bertaride à
Milan. Mais des hommes malicieux ne tardèrent pas à semer entre eux la
discorde. Godebert envoya Garibald, Duc de Turin vers
Grimoald Duc de Bénévent pour le faire venir au plutôt, lui promettant sa sœur
en mariage. Mais Garibald au lieu de remplir sa
commission, engagea Grimoald à devenir lui-même Roi des Lombards, l'assurant
que ce royaume ne pouvait pas être longtemps gouverné par deux enfants.
Grimoald laissa son fils Romuald à Bénévent, et marcha vers Pavie. Partout où
il passait, il cherchait à se faire des Partisans, et il envoya Trasimund pour lui en faire du côté de Spolète et de
Toscane, celui-ci fit si bien son devoir qu'il vint à sa rencontre dans
l'Emilie avec un corps de troupes assez considérable.
Grimoald étant arrivé à Plaisance avec une
aimée déjà nombreuse, envoya Garibald à Pavie pour
annoncer son arrivée à Godebert, Godebert demanda à Garibald,
où l'on devait préparer un logement pour Grimoald, et Garibald répondit, que puisque Grimoald était venu pour lui rendre service, et épouser
sa sœur, il était juste qu'il logea dans le palais, ce qui eut lieu. Ensuite Garibald, dit à Godebert que Grimoald voulait le tuer, et
qu'il ferait bien de mettre une cuirasse sous son habit, lorsqu'il lui
parlerait. Puis il alla vers Grimoald, et lui dit que Godebert devait avoir de
mauvaises intentions contre lui, puisque voulant lui parler il avait mis une
cuirasse sous ses habits, la conférence eut lieu le lendemain. Grimoald en
embrassant Godebert sentit qu'il avait une cuirasse sous ses habits, aussitôt
il tira son épée et le tua. Godebert avait un fils fort enfant appelé Reginbert, il fut enlevé par ses amis et nourri
secrètement, Grimoald ne voulut point en faire de recherche.
Bertaride qui était à Milan, ayant su que l'on
avait tué son frère prit aussitôt la fuite, et se retira chez le Cacan des Avares, laissant à Milan sa femme Rodelinde et son fils Cunibert encore enfant. Grimoald les envoya à Bénévent. Garibald,
qui non seulement était l'auteur de tout ceci, mais qui s'était même approprié
une partie des présents, dont Godebert l'avait chargé pour Grimoald, ne jouit
pas longtemps du fruit de ses forfaits. Il y avait à Turin un petit homme peu
important; mais de la même famille que Godebert; cet homme, sachant que Garibald devait venir faire ses dévotions pascales dans
l'église de saint Jean, monta sur le baptistère, et s'appuyant de la gauche sur
la colonne, il tira son épée, et lorsque Garibald passa il lui en donna un coup sur la nuque qui lui coupa la tête. Les gens de
la suite de Garibald l'accablèrent de blessures, mais
il mourut content parce qu'il avait vengé son seigneur Godebert.
LIVRE V
I.
Grimoald ayant assuré son règne à Pavie
épousa la fille d'Aripert sœur de Godebert, qu'il avait tué. Puis il renvoya
l'armée de Bénévent après l'avoir comblée de biens. Il n'en retint que quelques
guerriers, auxquels il donna des possessions considérables.
II.
Grimoald ayant appris que Bertaride était en Scythie, et demeurait chez le Cacan des Avares, envoya vers le Prince pour lui faire dire
qu'il ne pouvait pas avoir la paix avec les Lombards, s'il gardait plus
longtemps Bertaride auprès de lui. Le Cacan ayant entendu les envoyés de Grimoald fit venir Bertaride, et lui dit de s'en aller où il voudrait ; car il
n'était pas à propos que les Avares devinssent ennemis des Lombards à son
occasion, Bertaride ayant entendu cela, prit le parti
de se rendre auprès de Grimoald, qu'on lui avait dit être un Prince très
clément. Il vint à Lodi, et envoya de là son fidèle Hunulf pour annoncer son arrivée à Grimoald. Hunulf se
rendit auprès de Grimoald et lui annonça l'arrivée de Bertaride.
Grimoald jura qu'il ne lui arriverait aucun mal. Bertaride entra chez Grimoald et voulut se jeter à ses pieds; mais le Roi le releva, et
le baisa sur la bouche. Bertaride lui dit: Je suis
votre serviteur. Je pouvais vivre chez les païens, mais j'ai espéré en votre
clémence et j'ai mieux aimé; venir me jeter à vos pieds.
Le Roi lui répondit: Je jure par celui qui
m'a fait naitre qu'il ne vous arrivera aucun mal ; mais que je vous donnerai au
contraire de quoi vivre honnêtement. — Et effectivement il lui fit préparer une
belle maison, où il lui fit fournir toutes les choses dont il pouvait avoir
besoin aux dépens du trésor public. Bertaride ne fut
pas plutôt installé dans sa nouvelle maison que les citoyens de Pavie vinrent
en foule, ceux qui le connaissaient pour le saluer, ceux qui ne le
connaissaient pas pour le voir. Mais que ne peuvent faire les mauvaises
langues ? Bientôt des malins adulateurs dirent au Roi, que s'il ne faisait
pas périr Bertaride, il ne régnerait pas longtemps;
car toute la ville se rendait chez lui. Grimoald devint crédule, et oubliant ce
qu'il avait promis. Songea aux moyens de le faire mourir dès le lendemain.
Enfin il se détermina à lui envoyer dès le même soir, des viandes exquises, des
vins excellents et des boissons de tous genres, afin que Bertaride passa la nuit à boire et ne songea pas à pourvoir à sa sûreté. Mais un ancien
serviteur de son père, lui portant un plat de la part du Roi s'inclina jusques
sous la table et lui dit, tout bas qu'on voulait le faire mourir. Aussitôt Bertaride ordonna à l'échanson de lui verser de l'eau dans
un flacon d'argent. Et lorsqu'on l’invitait à boire de la
part du Roi, il buvait de cette eau cependant les domestiques dirent au Roi que Bertaride buvait avec beaucoup d'avidité, et le Roi
répondit. Cet ivrogne n'a qu'à boire. Demain il vomira tout ce vin mêlé à
son sang. —
Bertaride fit appeler Hunulf,
et lui conta le danger où il était. Hunulf envoya son
garçon chez lui et se fit apporter son lit de camp qu'il fit placer près du lit
de Bertaride. Peu de temps après les Satellites de
Grimoald entourèrent la maison. Après souper tout le monde s'en alla et Bertaride, resta seul avec Hunulf et le vestiaire, Hunulf dit à celui-ci qu'il
trouverait le moyen de faire échapper Bertaride, et
que lui vestiaire devait toujours dire que Bertaride était dans son lit. Ensuite Hunulf prit ses draps de
lits, sa couverture et sa peau d'ours, et les mit sur le dos de Bertaride, et feignant de le traiter comme un serviteur
rustique., il le chassa de la maison en lui donnant force coups de corde et de
bâton, et le faisant même tomber plusieurs fois. Et comme les Satellites
demandèrent qui était cet homme, Hunulf répondit:
C'est un méchant valet que je châtie parce qu'il a fait mon lit dans la chambre
de Bertaride, qui est ivre mort; mais j'en ai assez
de son service, je veux demeurer dans ma maison et ne servir que mon Roi. — Les
Satellites se réjouirent de ce propos et les laissèrent passer tous les deux,
en sorte que le fidèle vestiaire resta tout seul dans le palais. Hunulf descendit Bertaride au
moyen d'une corde le long de cet angle, que le mur de la ville fait du côté du
fleuve, et il lui envoya par la même voie autant de compagnons qu'il pût. Bertaride et ses compagnons prirent les chevaux qui
paissaient dans la campagne et s'enfuirent à Est où ce Prince avait des amis.
De là il alla à Turin et enfin dans le pays des Francs, et c'est ainsi que Dieu sauva un innocent de la mort, et sauva du malheur de
pécher un Roi qui était bon au fond de l'âme.
III.
Grimoald croyant que Bertaride reposait tranquillement dans la maison qu'il lui avait fait préparer, avait
disposé ça et là des hommes armés depuis cette maison
jusqu'à son palais, afin qu'il ne trouva aucun moyen de s'enfuir. Ensuite il l'envoya
chercher. Ceux qu'il envoya ayant frappé à la porte, le vestiaire leur dit:
Ayez donc pitié de Bertaride, il est très fatigué du
chemin qu'il a fait hier et dort profondément. — Les envoyés du Roi
retournèrent auprès de lui et lui rendirent la réponse du vestiaire. Alors le
Roi dit : Il s'est tellement rempli de vin qu'il ne peut plus se tenir sur ses
jambes. — Cependant il ordonna qu'on l'éveilla et qu'on le conduisit au palais.
Ces envoyés retournèrent à la maison de Bertaride et
frappèrent à la porte. Le vestiaire sortit encore et les pria de laisser Bertaride dormir un instant de plus. Mais les envoyés du
Roi se mirent en colère et crièrent que cet ivrogne avait assez dormi. Puis ils
donnèrent des coups de pieds dans la porte de la chambre à coucher jusques à ce
qu'ils l'eussent cassée. Alors ils entrèrent, et cherchèrent Bertaride dans son lit, mais ne l'ayant point trouvé ils
pensèrent qu'il devait être allé satisfaire aux besoins de la nature; mais ne
l'ayant point trouvé non plus dans cet endroit là,
ils demandèrent au vestiaire ce qu'il était devenu, et celui-ci répondit qu'il
s'était enfui. Aussitôt le pauvre vestiaire fut pris aux cheveux, et traîné au
palais en recevant force coups, et les gens du Roi en le lui présentant lui
dirent que cet homme était complice de la fuite de Bertaride et digne de tous les supplices. Mais le Roi leur
ordonna de le lâcher et puis se fit conter la manière dont Bertaride s'était enfuie, ce que le Vestiaire raconta de point en point. Alors le Roi
s'adressant à ceux qui étaient là, leur dit: Que croyez-vous que mérite un
homme qui à fait des choses semblables ? — Ils
répondirent tout d'une voix qu'il méritait toutes sortes de tourments et de
supplices. Alors le Roi dit : Par celui qui m'a fait naître, un homme qui s'est
exposé à la mort pour sauver son maître mérite toutes sortes de biens. — En
même temps il le mit au nombre de ses Vestiaires lui recommandant de lui être
aussi fidèle qu'il l'avait été à Bertaride. Ensuite
le Roi demanda ce que Hunulf était devenu, et on lui
dit qu'il était dans l'église de l'Archange saint Michel. Le Roi y envoya, et
lui fit promettre qu'il ne lui serait fait aucun mal, s'il venait de son propre
gré. Hunulf vint se jeter aux pieds du Roi, qui lui
fit encore conter toutes les circonstances de la fuite de Bertaride.
Et celui-ci lui ayant tout dit, dans l'ordre où les choses s'étaient passées.
Le Roi loua sa prudence et sa fidélité, et lui fit rendre tous ses biens et
tout ce qui lui appartenait puis il en dit autant au Vestiaire. Et ceux-ci
profitèrent de la clémence du Roi pour emporter tous leurs effets et aller
rejoindre leur cher Bertaride dans le pays des
Francs.
IV.
Quelque temps après, le Roi demanda à Hunulf s'il voulait aller joindre Bertaride, Hunulf répondit qu'il aimait mieux mourir avec Bertaride, que de vivre ailleurs dans les délices. Alors le
Roi fit venir le Vestiaire et lui demanda, qu'est ce qui était meilleur de
vivre commodément dans le palais où de faire le vagabond avec Bertaride. Le Vestiaire répondit comme avait fait Hunulf et le Roi les écouta avec bonté, puis il ordonna à Hunulf de prendre dans sa maison ses garçons, ses chevaux
et tout ce qui lui appartenait et de s'en aller joindre Bertaride et puis il en dit autant au Vestiaire. Et ceux-ci profitèrent de la clémence du
roi pour emporter tous leurs effets et aller rejoindre leur cher Bertaride dans le pays des Francs.
V.
Dans ce temps-là, l'armée des Francs entra
en Italie par la Provence. Grimoald marcha contre eux, et les trompa par le
moyen d'une ruse que je vais raconter. Un jour il fit semblant de fuir et
laissa ses tentes, absolument dégarnies de troupes ; mais pleines de toutes
sortes de biens, et surtout de vins exquis. Les Francs y viennent et croyants
que la peur avait fait fuir les Lombards, ils s'en réjouissent beaucoup et
préparent un excellent souper. Mais après qu'ils eurent bien mangé, et comme
ils se livraient au sommeil, Grimoald tomba sur eux et en fit un tel carnage
que très peu purent retourner chez eux. Le lieu où cela s'est passé s'appelle
encore aujourd'hui Rivus. Il n'est pas loin de la
ville d'Ast.
VI.
Dans ce temps-là Constantin Auguste qui est
aussi appelé Constans, désirant arracher l'Italie aux Lombards, sortit de
Constantinople, et suivant le bord de la mer il vint à Athènes, ensuite
s'embarqua et vint à Tarente. Mais la première chose qu'il fit en débarquant,
fut d'aller trouver un certain Solitaire qui passait pour avoir l'esprit
prophétique, et il lui demanda s'il pourrait vaincre la nation des Lombards et
faire la conquête de l'Italie. Le serviteur de Dieu lui demanda une nuit, pour
prier Dieu à cette occasion, et le lendemain matin il lui répondit en ces
termes : La nation des Lombards ne saurait être vaincue en aucune manière;
car une certaine Reine étrangère à fait bâtir une église à saint Jean sur les
frontières des Lombards ce qui fait que ce saint intercède lui
même pour eux. Mais il viendra un temps où cette église sera méprisée et
alors la nation périra. — Et voila ce qui s'est
vérifié de nos jours. Car nous avons vu l'Eglise de Modicia desservie par des personnes viles, qui ouvraient ce saint lieu à des indignes
et des adultères, pour les récompenses qu'ils en recevaient. Et la nation à
péri peu de temps après.
VII.
Or donc l'Empereur Constance ayant
débarqué à Tarente, entra ensuite dans le Bénéventin, et prit une quantité de
villes aux Lombards. Entre autres Luceria ville très opulente de l'Apulie qu'il
rasa entièrement, mais il ne pût prendre Arentia dont
la position était très forte. Enfin il mit le siège devant Bénévent où se
trouvait alors Romuald fils de Grimoald. Celui-ci dès l'entrée de Constans en
Italie avait envoyé à son Père, son instituteur Seswald pour le conjurer de venir au secours de Bénévent. Grimoald se mit aussitôt en
marche; mais dans la route il fut abandonné par beaucoup de Lombards qui
pensaient qu'il ne reviendrait plus, puis qu'en partant il avait dépouillé le
Palais de Pavie. Cependant l'armée de l'Empereur assiégeait Romuald, qui se
défendait très bien et faisait souvent des sorties, dans lesquelles il tuait
beaucoup de monde. Lorsque Grimoald fut déjà assez près de la ville, il renvoya
à son fils son même instituteur Seswald, mais
celui-ci fut pris par les Grecs et conduit à l'Empereur. L'Empereur lui demanda
d'où il venait et il répondit qu'il venait de chez Grimoald, dont l'armée était
déjà très proche. L'Empereur très effrayé tint conseil, et se décida à faire au
plutôt la paix avec Romuald pour pouvoir retourner à Naples.
VIII.
Romoald donna en otage sa sœur Gisa, l'Empereur, fit conduire Sesvald sous les murs de la ville le menaçant de la mort, s'il disait un mot de
l'arrivée de Grimoald, Sesvald promit de faire ce que
l'on exigeait de lui ; mais lorsqu'il fut sous les murs de la ville, il dit
qu'il voulait parler à Romoald ; Romoald vint au plutôt et Sesvald lui parla en ces termes:
Seigneur Romoald montrez de la Constance ; car votre
père arrive. Il à passé cette nuit près du fleuve Sangrus. Ayez soin de ma
femme et de mes enfants, car cette nation perfide ne me laissera point vivre. —
Lorsqu'il eût dit cela, l'Empereur lui fit couper la tête, et la fit jeter dans
la ville au moyen d'une machine. Romoald se fit
apporter cette tête, la baisa en pleurant, et la fit enterrer, avec respect.
IX.
L'Empereur se retira à Naples, mais Mittola Comte de Capoue atteignit son armée sur le fleuve Caloro et là battit complètement dans le lieu qui s'appelle
encore aujourd'hui Pugna.
X.
Lorsque l'Empereur fut à Naples, un
des grands de sa cour nommé Saburrus lui demanda
vingt mille hommes pour aller combattre Romoald.
Lorsqu'il fut arrivé au lieu appelé Forinus, Grimoald
qui était déjà à Bénévent voulut marcher contre lui. Mais Romoald lui dit: Il n'est pas nécessaire que vous marchiez vous-même, donnez-moi une
partie de votre armée. Si je suis vainqueur votre gloire en sera d'autant plus
grande. — La chose eut lieu, de la manière que désirait Romoald.
Lorsque les armées furent en présence, un homme de l'armée du Roi appelé Amalangus; qui portait aussi l'épieu du Roi, joignit un certain
petit Grec, lui donna un grand coup de son épieu, le souleva de dessus son
cheval, et l'élevant en l'air par dessus sa tête, le
montra aux deux armées. Alors l'armée des Grecs, fut frappée de terreur, et
prit honteusement la fuite, Saburrus ne pût revenir
auprès de l'Empereur qu'avec un très petit nombre des siens, et Romoald retourna triomphant à Bénévent.
XI.
L'Empereur voyant qu'il ne pouvait
faire aucun mal aux Lombards, tourna sa cruauté contre les Romains. Il alla à
Rome, le Pape Vitalien alla à sa rencontre avec les
prêtres et tout le peuple, et le salua à six milles de la ville puis,
l'Empereur étant entré dans l'église de saint Pierre il lui offrit un manteau
tissu d'or.
L'Empereur resta douze jours à Rome,
et fit enlever tout le bronze, qui servait aux ornements de la ville, si bien
même qu'il fît découvrir le Panthéon, et en ôta les tuiles de cuivré avec
beaucoup d'autres objets du même métal, et il envoya le tout à Constantinople.
Ensuite l'Empereur retourna à Naples,
et de là il alla par terre à Rhégium. Puis il entra
en Sicile et passa la septième indiction à Syracuse. Jamais on n'avait entendu
parler de maux semblables à ceux qu'il à causés aux
habitants de la Calabre, de l'Afrique, de la Sicile et de la Sardaigne. Il
ôtait les femmes à leurs maris, et les fils à leurs parents ; et
les vases des églises devinrent la proie de l'avarice des Grecs. L'Empereur
resta en Sicile depuis l'indiction septième jusqu'à la douzième; mais il porta
enfin la peine de tant de crimes car les siens le tuèrent au bain.
XII
Constans ayant été tué auprès de
Syracuse, Mecetius se fit proclamer
Empereur en Sicile, mais sans le suffrage de l'armée d'orient. Les soldats de
cette milice, arrivèrent les uns d'Istrie d'autres de Campanie, d'autres
d'Afrique, où de Sardaigne, entrèrent à Syracuse, et tuèrent Mecetius. Beaucoup de ses juges furent décapités, et
d'autres conduits à Constantinople où l'on porta aussi la tête du faux
Empereur.
XIII.
La nation des Sarrazins, qui avait
envahi Alexandrie et l'Egypte, vint avec beaucoup de vaisseaux en Sicile, prit
Syracuse, et se répandit dans toute l'île, dont presque tous les habitants furent
tués à l'exception de ceux qui gagnèrent les sommets des Montagnes. Enfin les
Sarrazins retournèrent à Alexandrie avec un butin immense, et entre autres tout
le bronze que Constans avait enlevé à Rome.
XIV.
Gisa fille de Grimoald, que l’on avait
amenée de Bénévent comme otage, mourut en Sicile.
XV.
Dans ce temps-là il y eut des orages
si forts que personne ne se rappelait d'en avoir eu de pareils, et beaucoup
d'hommes et d'animaux furent tués par la foudre. Les légumes que l'on n'avait
pas pu recueillir à cause de la pluie, revinrent et parvinrent à la maturité.
XVI.
Grimoald reprit le chemin de Pavie et
donna son autre fille en mariage à Trasemund qu'il
fit en même temps Duc de Spolète à la place d'Atton.
XVII.
Grasulf Duc de Frioul étant mort, Agon lui succéda, et c'est de lui qu'une certaine maison de
Forum Julii s'appelle encore Domus Agonis. Agon mourut et Loup lui succéda. Ce Loup vint
à l'île de Grado avec sa cavalerie sur un chemin que l'on avait fait autrefois
et qui était alors sous l'eau. Il pilla la ville et reprit les trésors qui
appartenaient à l'église d'Aquilée. C'est ce Loup qui eut soin du palais de
Grimoald pendant qu'il était à Bénévent.
XVIII.
Loup croyant que le Roi ne
reviendrait jamais à Pavie, y avait commis toutes sortes d'insolences;
mais voyant que le Roi revenait, il prit le parti d'aller dans le Frioul et de
s'y révolter tout à fait.
XIX.
Grimoald ne voulant pas exciter une guerre
civile entre les Lombards, fit prier le Cacan des
Avares d'entrer dans le Frioul. Le Cacan vint au lieu
appelé Fluvius, et s'y battit trois jours
de suite contre Loup. Ainsi que nous l’ont raconté des vieillards qui avaient
fait cette guerre. Le premier jour Loup ne perdit que peu de monde, et tua
beaucoup d'Avares ; le second jour, il eut assez de tués et de blessés,
mais les Avares en eurent tout autant le troisième jour. Il eut beaucoup de
tués et de blessés, et fit aussi un grand carnage des ennemis; enfin le
quatrième jour il vit venir contre lui une multitude si prodigieuse que peu
d'hommes purent échapper par la fuite.
XX.
Loup fut tué, les Lombards qui
vivaient encore se retirèrent dans des châteaux, et les Avares dévastèrent et
brûlèrent tout le pays. Alors Grimoald leur envoya dire que c'était déjà assez
pillé et qu'ils pouvaient s'en retourner chez eux; mais les Avares répondirent
qu'ils avaient fait la conquête du Frioul et qu'ils ne l'abandonneraient pas.
XXI.
Grimoald marcha contre les Avares, et
campa vis-à-vis de leur armée. Le Cacan lui envoya
des députés, et Grimoald qui n'avait que très peu de monde fit défiler devant
eux les mêmes troupes toujours avec des habits différents en sorte que les
députés crurent que la multitude des Lombards était immense. Alors Grimoald
leur dit : Je vais tomber sur le Cacan avec toute
cette multitude et je détruirai son armée s'il ne quitte à l'Instant le Frioul.
— Les députés rapportèrent la chose au Cacan, qui
retourna aussitôt dans son pays.
XXII.
Loup fut tué comme nous l'avons dit
ci-dessus, et son fils Warnefrid voulut lui succéder.
Mais craignant le Roi Grimoald, il s'enfuit chez les Slaves de Carnuntum que nous appelons improprement Carantanum. Il revint avec eux comme pour conquérir le
Frioul, mais il fut tué près de la ville forte de Nemus.
XXIII.
Wectaris fut fait Duc de Frioul, il était originaire
de Vicence, bon homme tout à fait et gouvernant le peuple avec douceur. Une
fois qu'il alla à Pavie, les Slaves attaquèrent le Frioul, et campèrent à Broxas, non loin de Forum Julii,
mais la bonté du ciel fit que Wectaris revint tout à
propos, lorsqu'on lui dit que les Slaves étaient-là, il n'avait avec lui que
peu de monde, parce que ses compagnons étaient retournés chez eux ; c'est
pourquoi il marcha contre les Slaves avec vingt-cinq hommes. Les Slaves s'en
moquèrent d'abord, disant que c'était apparemment le Patriarche qui venait avec
son clergé. Mais quand Vectaris vint au pont qui est
sur le fleuve Natison, il ôta son Casque, les Slaves
le reconnurent à sa tête chauve, et dès lors ils ne songèrent plus qu'à
s'enfuir. Mais Vectaris les poursuivit et en fit un
grand carnage quoiqu'ils fussent cinq mille hommes.
XXIV.
Laudaris succéda à Vectaris dans le Frioul et à celui-ci succéda Rodoald.
XXV.
Après la mort de Loup Grimoald fit
épouser sa fille Theuderade à son fils Romoald. Celui-ci en eut trois fils : Grimoald, Gisulf
et Arichis.
XXVI.
Le Roi Grimoald se vengea de tout ceux qui l'avaient abandonné lorsqu'il allait à
Bénévent.
XXVII.
Grimoald détruisit Forum Popilili, ville des Romains, dont les citoyens avaient
souvent attaqué ceux qui allaient et revenaient de Bénévent et voilà comme il
s'y prit, il passa en silence l'Alpe Bardonienne et
entra en Toscane pendant le carême, et bientôt après il tomba sur cette ville
le samedi de pâques au moment où l'on baptisait les enfants, et massacra
jusques au Diacre dans le saint baptistère. Cette ville ne s'est
jamais relevée depuis, et n'a aujourd'hui qu'un très petit nombre d'habitants.
XXVIII.
Grimoald haïssait les Romains à cause
de la trahison qu'ils avaient faite à ses frères, Tason et Cacon. C'est pourquoi il détruisit aussi la ville
de Opitergium, où cet événement s'était passé, et en
partagea les habitants entre le Frioul, Treviso et Cenete.
XXIX.
Vers ce temps-là Alzico,
Duc des Bulgares quitta son pays l'on ne sait pour quelle raison, et vint en
Italie, avec toute son armée offrir ses services à Grimoald. Celui-ci l'envoya
à son fils Romoald pour qu'il lui donnât, dans le
Bénéventin des lieux propres à s'y établir. Romoald le reçut très bien, et lui donna des lieux qui jusqu'alors avaient été déserts:
savoir les villes de Bovianum, Sepianum, Isernia et
d'autres villes avec leurs territoires. Et il appela Alzico lui-même Gastalde, ne lui donnant plus le titre de
Duc. Ces Bulgares habitent encore dans cet endroit-là, et quoiqu'ils parlent
latin, ils n'ont point perdu l'usage de leur langue
XXX
Or donc Constans ayant été tué en
Sicile aussi bien que le Tyran Mécence; Constantin
fils de Constans monta sur le trône et régna dix-sept ans.
C'est alors que le Pape Vitalien envoya en Bretagne l’Archevêque Théodore et l'Abbé
Adrien, qui fécondèrent beaucoup d'églises des anglais avec la semence de la
doctrine ecclésiastique. Et Théodore y décrivit avec une prudence admirable la
quantité d'années que l’on devait faire pénitence pour chaque espèce de péché.
XXXI.
Au mois d'août on vit à l'orient une
comète singulièrement rayonnante, qui ensuite revint sur ses pas, et disparut
tout à fait. Bientôt après de ce même orient vint une peste très fâcheuse, qui
fît de grands ravages parmi les Romains. Le Pape Donulf orna de marbres blancs, le lieu appelé Paradis, qui est devant l'Eglise de
saint Pierre.
XXXII.
Alors Dagobert régnait en France, et
Grimoald avait fait avec lui un traité de paix et d'alliance ; c'est pourquoi Bertaride quitta le pays des Francs et s'embarqua pour se
rendre dans l'île de Bretagne auprès du Roi des Saxons.
XXXIII.
Le Roi Grimoald tomba malade et se
fit saigner; neuf jours après il prit son arc, voulut tirer sur une colombe,
mais la veine de son bras se rompit. L'on dit que les médecins y appliquèrent
des remèdes empoisonnés et il mourut.
Grimoald avait ajouté quelques
Chapitres à l'édit de Retharis. C'était un homme
d'une force de corps très remarquable, des premiers pour l'audace et d'une
grande prudence. Il avait la tête chauve et la barbe en avant, il fut enterré dans
l'Eglise de saint Ambroise qu'il avait bâtie dans la ville de Pavie. Il s'était
emparé de l'autorité souveraine un an et trois mois après la mort d'Aripert, et
il laissa le royaume à Garibald, qu'il avait eu de la
fille du Roi Aripert et qui était encore enfant.
Alors comme nous avions commencé à le dire, Bertaride s'était embarqué pour passer dans le
royaume des Saxons c'est à dire dans l'île de Bretagne. Mais comme le vaisseau
était déjà à la voile, on entendit une voix qui venait du rivage et demandait
si Bertaride était sur ce vaisseau, on répondit du
vaisseau qu'il y était. Alors la même voix ajouta: Dites à Bertaride qu'il retourne au plutôt dans sa Patrie, car il y a déjà trois jours que
Grimoald est mort. — Bertaride ayant entendu ces
paroles fit aussitôt aborder à ce rivage; mais on ne pût point trouver la
personne qui avait parlé, d'où il conclut, que celui qui avait annoncé la
nouvelle de la mort de Grimoald devait avoir été envoyé par Dieu lui-même. Il
alla aussitôt en Italie, et étant arrivé aux passages des Alpes il y trouva
tout le service du palais, et une grande multitude de Lombards. Ensuite il alla
à Pavie dont il chassa le petit Roi Garibald et se
fit couronner lui-même trois mois après la mort de Grimoald. Bertaride était un homme pieux, bon catholique, aimant la
justice, et bienfaisant envers les pauvres. Aussitôt qu'il eût été couronné il
envoya à Bénévent pour en faire revenir sa femme Rodelinde et son fils Cunibert.
XXXIV.
Bertaride alla à cet angle de la muraille qui
est vis-à-vis du fleuve, et par lequel il avait échappé autrefois, et il y fit
construire le monastère de sainte Agathe vierge et martyre que l'on appelle
aujourd'hui le monastère neuf. Il enrichit ce lieu et y rassembla un nombre
considérable de religieuses. Rodelinde bâtit cet
autre monastère, qui est hors des murs de Patrie, du côté appelé Perticas ce lieu est appelé ainsi à cause de certaines
Hallebardes qui y étaient érigées. Car lorsque quelque Lombard mourait dans les
pays étrangers, soit à la guerre ou autrement ses parents allaient au milieu
des sépulcres, et y plantaient une hallebarde, au haut de laquelle était une
colombe de bois, qu'ils tournaient du côté où était mort cet objet de leur
affection.
XXXV.
Bertaride régna seul pendant sept ans, après
lesquels il associa à sa couronne son fils Cunibert.
XXXVI.
Bertaride et Cunibert régnaient tranquillement, lorsqu'un fils d'iniquité s'éleva contre eux. C'était Alachis Duc de Trente. Cet homme avait vaincu un Gravion ou Comte des Bavarois, qui commandait la ville de Bauzan, et cette victoire l'avait tellement enorgueilli
qu'il se révolta contra son Roi. Bertaride marcha
contre lui, et mit le siège devant Trente ; mais Alachis fit une sortie si heureuse, qu'il mit en fuite toute l'armée des assiégeants.
Dans la suite il rentra en grâce auprès de Bertaride par le moyen de Cunibert qui était son ancien ami.
Cependant Bertaride voulut souvent le faire mourir,
mais Cunibert l'en empêcha toujours, assurant qu'il
serait sûrement fidèle à l'avenir. Cunibert pria aussi son père de donner à Alachis le Duché de Bresce. Bertaride disait souvent
à son fils qu'il se repentirait d'avoir ajouté aux forces de son ennemi. Car la
ville de Bresce a toujours eu beaucoup de noblesse
Lombarde, dont le secours pouvait être très avantageux à Alachis.
C'est alors que Bertaride fit construire cette belle
porte Palatine que l'on appelle ainsi parce qu'elle est contiguë au Palais.
XXXVI.
Bertaride mourut après avoir régné dix-huit
ans, d'abord seul et ensuite avec son fils, et il fut enterré auprès de
l'église du sauveur que son père avait construite. Il avait une figure noble,
le corps plein, et beaucoup de douceur dans toutes ces actions.
Le Roi Cunibert épousa Hermelinde qui tirait son origine des
Anglo-saxons. Un jour Hermelinde dit à son mari,
qu'elle avait vue au bain Théodote, noble demoiselle
Romaine, et qu'elle y paraissait d'une beauté singulière, ayant des cheveux
blonds qui lui tombaient jusques sur les talons. Cunibert ne fit pas semblant de prendre plaisir à ce discours; mais il devint très
amoureux de cette demoiselle. Tout de suite il alla chasser dans la forêt que
l'on appelle Urbis et prit sa femme avec lui; mais la
nuit étant venue, il revint à Pavie, fit venir Théodote et coucha avec elle. Ensuite il l'envoya dans un monastère qui aujourd'hui est
appelé de son nom.
XXXVII.
Alachis commençant à accoucher de l'iniquité
qu'il avait conçue, et aidé par Aldon et Grauson citoyens de Bresce,
s'empara de Pavie et de tout le pays en deçà du Tessin. Cunibert l'ayant appris se réfugia dans cette île, qui est près de Côme dans le lac Larius. Tous les amis que Cunibert avait à Pavie furent persécutés et particulièrement les Prêtres qu'Alachis ne pouvait pas souffrir. L'Evêque de Pavie était
alors Damien, homme très savant et d'une sainteté extraordinaire. Celui-ci
voyant qu'Alachis était installé dans le palais de
Pavie, et craignant que son église n'en éprouva quelque adversité, envoya à Alachis sa bénédiction, par son Diacre Thomas, homme savant
et religieux.
L'on annonça à Alachis,
que le Diacre Thomas était à la porte, et qu'il apportait la bénédiction de la
sainte Eglise. Alachis qui n'aimait pas les prêtres
répondit: Si cet homme a des caleçons propres qu'il entre, sinon qu'il reste à
la porte. — Cette réponse ayant été rapportée à Thomas, il répliqua: Dites-lui
que mes caleçons doivent être propres, car je les ai mis aujourd'hui pour la
première fois et lavés de neuf. — Alors Alachis dit: Ite iterato, et
dicite illi quia ego non dico de femoralibus, sed de iis quae intra femoralia
habentur. — Alors Thomas répondit :
Dites-lui que c'est à Dieu à me reprendre sur ces choses-là, mais non pas à
lui. — Ensuite Thomas fut introduit chez Alachis qui
lui parla en grondant et avec beaucoup de rudesse. Depuis lors la crainte
saisit tous les prêtres, qui estimèrent ne devoir point souffrir sa férocité. Ils
désirèrent le retour de Cunibert et détestèrent
l'usurpateur, qui ne jouit pas longtemps des fruits de sa cruelle Barbarie.
XXXIX.
Un jour que le Tyran comptait des
sous sur la table un Trémissius tomba, le fils d'Aldon encore enfant le ramassa et le rendit à Alachis. Celui-ci croyant que l'enfant ne l'entendrait pas,
dit: Ton père en a beaucoup comme cela; mais si Dieu veut ils seront bientôt
tous à moi. — Lorsque l'enfant fut de retour à la maison, son père lui demanda
ce que le Roi pouvait avoir dit dans la journée. L'enfant rapporta les paroles
que le Roi lui avait adressées. Aldon en fut très
effrayé, et conta le tout à son frère Grauson.
Aussitôt leurs amis furent rassemblés, et l'on songea à se défaire du Tyran
avant qu'il se fut défait d'eux. Le lendemain matin ils allèrent chez Alachis et lui dirent: Pourquoi restez-vous si longtemps
ici, toute cette ville vous est fidèle, et cet ivrogne de Cunibert est si dissolu qu'il n'a aucune force? Allez à la chasse et amusez-vous à
exercer les jeunes gens, nous vous promettons, non seulement de vous conserver
cette ville, mais encore de vous apporter bientôt la tête de Cunibert. —
Alachis les crut et alla chasser dans la
forêt d'Urbis, et s'y amusa à toutes sortes de jeux.
Pendant ce temps-là Aldo, et Grauson s'embarquèrent
sur le lac Comacin, et se rendirent chez Cunibert. Y étant arrivés ils tombèrent à ses pieds,
confessèrent leur faute, et racontèrent toutes les ruses qu'Alachis avait employées pour les séduire. Enfin on pleura, l'on se fit des serments mutuels,
et l'on fixa un jour pour rendre Pavie à Cunibert. Ce
qui fut fait comme l'on en était convenu. Cunibert rentra dans le palais, et tous les citoyens accoururent à l'envi pour
l'embrasser. Mais particulièrement l'Evoque et tout le clergé. Tous pleuraient
et Cunibert les consolait en les embrassant. Alors un
messager vint annoncer à Alachis qu'Aldon et Grauson avaient bien
rempli leur promesse et que non seulement ils avaient apporté la tête de Cunibert, mais encore tout son corps, qui résidait tranquillement
dans le palais. Alachis devint furieux en apprenant
cette nouvelle et se répandit en menaces contre ces deux hommes; ensuite il
passa par Plaisance et alla dans l'Austrie, dont il
s'attacha les villes moitié par des caresses et moitié par des menaces. Ainsi
qu'il arriva à Vicence, lorsqu'il vint devant cette ville, les citoyens
s'armèrent contre lui, et puis ils embrassèrent son parti. Il en arriva autant
à Trévise et dans les autres villes. Ceux du Frioul ayant su que Cunibert rassemblait une armée voulurent se rendre auprès
de lui ; mais Alachis se posta sur le pont qui
traverse la rivière Liquenza, à quarante-huit milles
de Forum Julii dans la forêt de Capulanus,
et à mesure qu'il s'en présentait une troupe, il là forçait à lui prêter
serment, prenant bien garde que personne ne retourna dans le Frioul avertir de
ce qui s'y passait, et de cette manière il eut à son service toute l'armée de
cette province ; enfin les deux armées campèrent à Coronata.
XL.
Cunibert envoya vers Alachis pour lui proposer de se battre avec lui, en combat singulier, pour ne point
fatiguer les deux armées, mais Alachis ne voulut
point y consentir. Alors un certain Toscan l’appelant fort et courageux, voulut
l'engager à accepter le combat, mais Alachis lui
répondit en ces termes: Cunibert est un ivrogne
stupide ; mais il a de l'audace et une force singulière. Du temps de son père,
lorsque nous étions encore enfants, il y avait dans le palais des brebis d'une
grandeur démesurée, il les prenait par la laine du dos, et les soulevait de
terre à bras tendu, et moi je ne pouvais pas le faire. — Alors le Toscan lui
dit: Puisque vous ne voulez pas accepter le combat que vous propose Cunibert je ne veux plus vous servir. — Et le Toscan ayant
dit cela, alla chez Cunibert et lui conta ce qui
s'était passé.
Or donc comme je l'ai déjà dit, les deux
armées se trouvèrent en présence, dans les champs de Coronata;
et comme l'on était sur le point d'en venir aux mains. Zénon Diacre de l'église
de Pavie dit au Roi : Seigneur Roi, tout notre salut est attaché à votre
personne. Si vous êtes tué dans cette guerre, ce Tyran nous fera périr dans les
supplices. Ainsi, écoutez mon avis, donnez-moi vos armes,
et j'irai combattre ce Tyran, si je péris, vous serez toujours là pour rétablir
vos affaires, et si je suis vainqueur, votre gloire en sera plus grande,
puisque vous aurez vaincu par votre serviteur. — Le Roi refusa d'abord; mais
tous ceux qui étaient là, le prièrent si fort de consentir à ce que demandait
le Diacre qu'il se laissa attendrir à leurs larmes, et donna au Diacre son
casque sa cuirasse et toute son armure. Le Diacre était précisément de la même
taille que le Roi, en sorte que lorsqu'il sortit des tentes, tout le monde crut
que c'était lui, la bataille fut sanglante, Alachis attaquait le corps où se trouvait le Roi, et crut l'avoir tué, mais il avait
tué le Diacre. Il lui fit couper la tête et l'élevant sur son épieu, il criait
déjà Deo gratias, lorsque l'on
s'aperçut que c'était la tête d'un prêtre, alors Alachis dit : facio votum, ut si mihi deus iterum
victoriam dederit quod unum puteum de Testiculis impleam clericorum.
XLI.
Or donc Cunibert voyant que les siens le croyaient perdu, Se montra et ranima l'espérance dans
tous les cœurs. L'on rangea de nouveau les années en bataille, et lorsque l'on
fut prêt à combattre, Cunibert envoya de nouveau vers Alachis et lui fit parvenir les paroles suivantes :
Voyez tout ce peuple rangé des deux parts pourquoi faut-il que cette multitude
pétrisse ? Joignons-nous en combat singulier et celui à qui Dieu donnera la
victoire régnera sur toute la nation. — Les amis d'Alachis le conjurèrent d'accepter cette proposition, mais il leur répondit: Je ne puis
faire ce que vous me demandez car je vois au milieu de ces bataillons l'image
de l'archange saint Michel, devant qui j'ai juré
fidélité à Cunibert. — Alors l'un d'eux dit: Vous
voyez ce qui n'est pas, et ce n'est pas le moment de faire des réflexions de ce
genre. —
Les deux armées en vinrent aux mains, et
aucune ne voulant céder il s'y fit un massacre terrible. Enfin Alachis Tyran cruel y perdit la vie, et Cunibert triompha avec l'aide du tout-puissant. L'armée d'Alachis prit la fuite et ceux qui échappèrent au fer, tombèrent dans les eaux de
l'Adige. On coupa la tête et les genoux d’Alachis, et
son cadavre resta un tronc informe. L'armée du Frioul, qui avait prêté serment
contre son gré, s'en retourna dans son pays, sans vouloir combattre pour aucun
parti. Cunibert fit enterrer avec beaucoup de pompe
le corps du Diacre Zénon devant l'église de saint Jean qu'il avait lui-même
bâtie. Ensuite il revint triomphant à Pavie.
LIVRE VI
I.
Tandis que ces choses se passaient chez les
Lombards de l'autre côté du Pô, Romuald Duc des Bénéventins, rassembla une
forte armée, et prit Tarente Brindes et toute la vaste région des environs.
Dans ce même temps sa femme Theuderade fit construire
hors des murs de Bénévent, la belle Basilique en l'honneur de saint Pierre
Apôtre, et elle fonda dans le même lieu un monastère de filles servantes de
Dieu.
II.
Romuald ayant régné seize ans quitta ce
monde, son fils Grimoald lui succéda et régna trois ans sur le peuple Samnite.
La femme de celui-ci fut Wigilinde sœur de Cunibert et fille du Roi Bertaride.
Grimoald étant mort son frère Gusulf lui succéda et régna dix sept ans. Il eut de sa femme Winiberthe un fils appelé
Romuald.
Vers ces temps-là le mont-Cassin était
désert et le corps de saint Benoît y reposait au sein de la solitude. Alors des
Francs venant d'Orléans ou de la région des Cenomaniens firent semblant de vouloir passer la nuit auprès de son corps, et enlevèrent,
les os de son vénérable père et ceux de sa sœur Scholastique. Ils les portèrent
dans leur Patrie et c'est alors que furent construits les monastères de saint
Benoît et de sainte Scholastique. Mais il est certain que c'est chez nous
qu'est restée sa bouche vénérable, plus douce que le nectar, des yeux qui
regardaient toujours le ciel, et ses autres membres qui véritablement sont
réduits en cendres. Car il n'y à que le corps de
notre seigneur qui n'ait point souffert de la corruption; mais les corps des
autres saints quoiqu'ils y soient sujets n'en souffrent cependant pas,
lorsqu’ils sont réservés pour faire des miracles, et d'ailleurs ils doivent
tous être réparés pour servir à la gloire éternelle.
III.
Rodoald était Duc de Frioul; mais s'étant
éloigné de sa capitale, Ansfrit de Reunia, s'empara de son duché sans la permission du Roi. Rodoald s'enfuit d'abord en Istrie, puis il prit un
vaisseau, et passa à Ravenne et de là à Pavie, où il alla se plaindre au Roi Gunibert. Ansfrit, non content
d'avoir usurpé le duché de Frioul, tenta encore de s'emparer de tout le royaume
et se révolta contre le Roi. Mais il fut pris à Vérone, on le conduisit devant
le Roi, et celui-ci lui fit crever les yeux et l'exila. Adon gouverna le duché
de Frioul au nom de son frère, avec le titre de conservateur. Ce qui dura un an
et sept mois.
IV.
Tandis que ces choses se passaient en
Italie, l'Hérésie commença à se manifester à Constantinople en affirmant qu'il
n'y avait en notre seigneur I. C. qu'une volonté, et une opération. Les auteurs
de cette Hérésie, étaient Grégoire Patriarche de Constantinople, Macare, Pyrrhus, Paul et Pierre.
Constantin Auguste rassembla cent cinquante
Evêques, entre lesquels se trouvèrent aussi des légats de la sainte Eglise
Romaine envoyés par le Pape Agathon; c'étaient le Diacre Jean et Jean Evêque de
Porto. Et tous condamnèrent cette Hérésie. Dans ce moment là beaucoup de toiles d'araignées tombèrent au milieu du peuple, ce qui étonna
tout le monde. Cela marquait simplement que les saletés de la méchanceté
hérétique venaient d'être balayées. Le Patriarche Grégoire fut corrigé, les
autres qui persévérèrent dans sa défense furent frappés de la vengeance de
l'anathème. Dans ce temps la Damien Evêque de Pavie,
composa une belle épître sous le nom de Mansuetus Archevêque de Milan. Cette épître mérita tous les suffrages, dans le Synode
susdit. Car la vraie foi est de dire, que puisqu'il y a dans notre Seigneur
Jésus Christ deux natures, savoir la nature humaine et la divine, il y a aussi
deux opérations et deux volontés. Voulez-vous l'entendre sur sa nature divine?
Et bien il vous dit: Moi et mon père, nous ne sommes qu'un. — Voulez-vous
l'entendre au sujet de sa nature humaine, il vous dit : Mon père est plus grand
que moi. — Voyez-le selon l'humanité. Il dort dans une barque voulez-vous
considérer sa divinité, écoutés l'Evangéliste. Il se lève et commande aux vents
et à la mer, et il fie Et une grande tranquillité. —
Ce fut là le sixième Synode universel
célébré à Constantinople. Il a été conscript en
langue grecque, du temps du Pape Agathon, comme Constantin gouvernait et
résidait dans l'enceinte de son palais.
V.
Dans ces temps-là, dans la huitième
indiction la lune souffrit une éclipse, et bientôt après c'est à dire le cinq
des nones de mai il y eut une éclipse de soleil vers les dix heures de jour. Puis
il s'ensuivit une grande peste, dans les mois de juillet, août et septembre.
Les parents et les enfants, le frère et la sœur, étaient posés deux à deux sur
les brancards et on les portait ainsi aux sépulcres, qui sont hors
de Rome, la peste fit les mêmes ravages a Pavie, si
bien que les citoyens se réfugièrent dans les Montagnes et les forêts. La ville
resta déserte et l'herbe y crut dans les rues.
Plusieurs ont même vu de leurs yeux, le bon
et le mauvais ange parcourir les rues de la ville. Le mauvais ange tenait un
épieu à la main, et autant de fois qu'il en frappait la porte d'une maison,
autant de personnes mouraient dans cette maison dès le lendemain.
Quelqu'un eut alors une révélation qui lui
apprit que la peste ne cesserait point avant que l'on érigea un autel à saint
Sébastien dans l'église de saint Pierre in vinculis. Cela fut fait, on porta à cet autel les
reliques de saint Sébastien qui étaient à Rome, et la peste cessa.
VI.
Le Roi Cunibert était avec celui qui remplissent à sa cour la charge de Strateur,
ce qui dans la langue des Lombards se dit Marpahis,
et ils raisonnaient ensemble sur la manière la plus convenable de faire périr Aldon et Grauson, tout d'un coup
une grosse mouche vint se poser sur la fenêtre près de laquelle ils étaient.
Cunibert voulut la tuer avec un couteau et
lui en donna un coup, mais il ne fit que lui couper la jambe. Aldon et Grauson qui ne savaient
pas ce qui se passait, allaient tranquillement au palais du Roi, et comme ils
étaient près de l'église de saint Romain qui est proche du palais, lis
rencontrèrent inopinément un boiteux à qui il semblait que l'on avait coupé un
pied, et ce boiteux leur dit que s'ils allaient auprès de Cunibert il les tuerait. Ceux-ci furent très effrayés et se retirèrent derrière l'autel
de cette même église. Aussitôt on vint le dire au Roi celui-ci
gronda son Strateur; mais le Strateur lui répondit: Mon seigneur et Roi vous savez que depuis que nous avons parlé
sur ce sujet, je ne suis point sorti de votre présence, ainsi je n'ai pu en
parler à qui que ce fut. — Alors le Roi envoya vers Aldon et Grauson et leur fit demander pourquoi ils
s'étaient réfugiés dans l'église? Ceux-ci répondirent: On nous a dit que le Roi
voulait nous faire mourir. — Alors le Roi renvoya vers eux, et leur fit demander
qui leur avait dit une pareille chose, et les assura, qu'ils seraient à jamais
exclus de ses bonnes grâces, s'ils ne disaient la vérité. Ceux
ci répondirent que l'homme qui leur avait donné cet avis était boiteux,
ayant une jambe coupée et une de bois à la place, qui commençait au genou.
Alors le Roi comprit que la mouche à qui il avait coupé le pied était le malin
esprit, qui avait trahi son secret puis il pardonna
à Aldon et Grauson et
depuis il les a traités comme ses enfants.
VII.
Dans ce temps-là fleurit le grammairien
Félix, oncle de Flavien qui a été mon précepteur. Le Roi l’aimait tant, qu'il
lui donna entre autres choses, un bâton monté en or et argent.
VIII.
Dans ce temps-là vivait aussi Jean Evêque
de Bergame, homme d'une sainteté extraordinaire. Un jour en parlant au Roi Cunibert il l'offensa par son discours. Et le Roi lui fit
donner pour retourner chez lui, un cheval féroce et indompté qui avait coutume
de jeter bas tous ceux qui osaient le monter. Mais l'Evêque étant monté dessus,
le cheval devint doux, et le porta à la maison au petit pas. Le Roi l'ayant vu,
honora l’Evêque comme il le devait et lui fit présent de ce cheval
IX.
Dans ces temps-là apparut une étoile,
c'était la nuit, le ciel était serein. On était entre la Noël et la Théophanie.
Elle était ombragée comme la lune, lorsqu'elle est derrière un nuage.
Ensuite au mois de février une étoile
sortit de l'occident et passa à l'orient avec beaucoup d'éclat.
Puis au mois de mars le mont Vésuve vomit
un incendie qui dura plusieurs jours, et toute la verdure des environs fut
détruite par la poussière et la cendre.
X.
Alors les Sarrazins peuples infidèles et
ennemis des Dieux, passèrent d'Egypte en Afrique et leur multitude était
prodigieuse. Ils prirent Carthage et la détruisirent entièrement, même ils la
rasèrent
XI.
Pendant ce temps-là l'Empereur Constantin
mourut à Constantinople, et Justinien lui succéda c'était le plus jeune de ses
fils. Il régna dix ans, ce fut lui qui enleva l'Afrique aux Sarrazins, et fit
avec eux la paix par mer et par terre.
Le Pontife Sergius ayant refusé de
souscrire aux erreurs de son concile de Constantinople, il ordonna au Protospathaire Zacharie d'aller l'arrêter. Mais celui-ci
fut chassé de Rome avec des injures, principalement par la milice de Ravenne et
des environs.
XII.
Léon se révolta contre ce Justinien et le
détrôna. Il régna trois ans pendant lesquels Justinien fut exilé dans le Pont.
XIII.
Tibère se révolta contre ce Léon, et le
tint renfermé dans une prison à Constantinople.
XIV.
Dans ces temps-là un concile rassemblé à
Aquilée tenta d'arguer d'impéritie le Cinquième concile œcuménique ; mais le
saint Pape Sergius les ramena à l'opinion commune des fidèles. C'est ce Concile
qui eut lieu à Constantinople, au temps de Vigilius sous l'Empereur Justinien, contre Théodore et les autres hérétiques qui
affirment que la Vierge marie n'a mis au monde que l'homme, et non le Dieu et
l'homme. C'est alors qu'il fut décidé que la vierge devait être appelée Theotokos. Car elle a engendré le Dieu et l'homme.
XV.
Dans ces temps-là Ceodald Roi des Anglo-Saxons qui avait fait beaucoup de belles choses dans sa Patrie se
convertit à la foi et Tint à Rome. Il passa chez le Roi Cunibert qui le reçut admirablement bien. Etant arrivé à Rome il y fut baptisé par le
Pape Sergius, qui l'appela Pierre, il mourut encore constitué dans les
blancheurs (in albis
constitutus). Il est
enterré dans la Basilique de saint Pierre.
XVI.
Dans ce temps-là il arriva que les Rois
Francs des Gaules dégénérèrent de la valeur et de la Science de leurs ancêtres.
Les Maires du Palais commencèrent alors à s'attribuer toute l'autorité royale
et enfin le royaume passa sous leur puissance.
Alors le Maire du Palais était Arnulf,
homme agréable à Dieu et remarquable par sa sainteté. Après avoir joui de la
gloire du Siècle il se voua au service des Lépreux.
Il y a un livre des miracles qu'il a opéré dans son Evêché de Metz, et j'en ai
parlé moi même dans un livre que j'ai écrit sur les
Evêques de cette ville à la réquisition d'Agilgram Archevêque de cette même église, homme d'une douceur et d'une sainteté
admirable.
XVII.
Cunibert mourut après avoir régné douze ans.
Il avait construit un monastère en l'honneur de saint Grégoire dans le champ de Coronata où il avait combattu contre Alachis. C'était un homme élégant, illustre par sa bonté et
bon guerrier. Il fut enterré près de la Basilique du saint Sauveur, que son
aïeul avait autrefois construit à savoir Aripert. Son successeur fut son fils Liutbert encore enfant, dont Asprand fut tuteur.
XVIII.
Ensuite huit
mois se passèrent et puis parut Ragunbert Duc de
Turin, il était fils du Roi Godebert et était encore très enfant lorsque
celui-ci fût tué par Grimoald. Ragunbert attaqua près
de Novarre Ansprand et Rotharit Duc de Bergame. Il les vainquit et s'empara du royaume, mais il mourut
dans la même année.
XIX.
Alors Aripert se
prépara de nouveau à la guerre et combattit contre le Roi Liutbert près de Pavie contre Ansprand, Otton, Tazon, Rotharis et Faron ; mais il les vainquit
tout et s'empara de la personne du petit Liutbert. Ansprand s'enfuit dans l'île de Côme et s'y fortifia.
XX.
Le Duc Rotharit étant rentré dans la ville de Bergame, s'y empara du Royaume. Le Roi Aripert
marcha contre lui avec une forte armée, prit Lodi, et mit le siège devant
Bergame. Il battit les murailles avec des béliers et d'autres machines, et
enfin il prit la ville. Rotharit le pseudo-Roi eut la
tête et la barbe rasée et fut exilé à Turin où il le fit mourir peu
de jours après. Il fit aussi mourir Liutbert comme il
était dans un bain.
XXI.
Il envoya aussi
une armée contre Ansprand dans l'île de Corne. Alors Ansprand s'enfuit dans l'île de Ciavena, puis il passa par Coire ville des
Rhètes, et vint chez Théodebert Duc des Bavarois et il y passa neuf ans. L'armée d’Aripert prit
l'île qu'Ansprand avait fortifiée et détruisit
le Bourg qui y était.
XXII.
Alors le roi Aripert, quand il fut confirmé dans sa
souveraineté, il fit arracher les yeux de Sigiprand,
le fils d'Ansprand, et supplicia de diverses façons
tous ceux qui avaient un lien du sang avec ce dernier. Il maintint aussi Liutprand, le fils cadet d’Ansprand, en prison ; mais parce qu'il le considérait
comme une personne sans importance et encore un simple adolescent, non
seulement il ne lui infligea aucun sévice corporel,
mais encore croyons que ce fut le commandement de Dieu Tout-Puissant qui le
prépara à diriger le royaume. Puis Liutprand alla voir son père en
Bavière ; cette venue lui causa une joie inestimable. Cependant, le roi Aripert fit saisir la femme d’Ansprand, du nom de Theodorada,
et quand elle, avec son entêtement feminin, se vanta
qu'elle serait reine, il lui ôta la beauté de son visage, en lui faisant couper
nez et oreilles. De même la sœur de Liutprand, appelée Aurona, fut mutilée pareillement.
XXIII.
A cette époque, en Gaule, dans le royaume des Francs, Anschis (3) le fils
d'Arnulf, dont on pense que le nom provient du Troyen Anchise, dirigea le
royaume sous le titre d'intendant du palais.
XXIV.
Aldon mourut dans le
Frioul, c'est celui que nous avons dit avoir été conservateur du lieu. — Son
successeur fui Ferdulf, natif de Ligurie, nomme
superbe et orgueilleux. Il voulut avoir la gloire de vaincre les Slaves, et
attira de grandi maux sur lui et sur tout le Frioul. Il encouragea lui même et récompensa quelques Slaves pour conduire
l'armée des Slaves dans une certaine province. Ce qu'ils firent, et voici quelle fut la cause de cette grande calamité: Des petits
Larrons Slaves tombèrent sur des pâtres qui conduisaient leurs troupeaux dans
les environs, et en enlevèrent une partie. Le recteur de ce lieu que dans leur langue ils appellent Seuldhaïs, était un homme noble, brave et puissant, il se mit à la poursuite des petits
Larrons, mais il ne pût les atteindre comme il revenait de sa vaine poursuite,
il rencontra le Duc Ferdulf. Or il faut savoir que ce Sculdhaïs s'appelait Argaïd,
et Ferdulf demanda ce que l'on avait fait des petits
larrons, et Argaïd lui répondit qu'ils avaient
échappés. Alors Ferdulf s'indigna et parla ainsi. Tu ne saurais te conduire en brave toi dont
le nom dérive d’Arga. — Argaïd qui était très brave se fâcha aussi et dit: J'espère Ferdulf que toi et moi, nous ne sortirons pas de cette vie avant d'avoir fait voir qui
de nous deux est Arga. — Ils se dirent l'un à l'autre
quelques injures. Puis quelques jours après, les Slaves vinrent avec une
puissante armée ; car Ferdulf les avait appelés, ils
posèrent leur camp sur une montagne d'un accès difficile. Le Duc Ferdulf étant venu avec son armée, commença à faire le tour
de cette montagne, comme pour les attaquer avec avantage. Alors Argaïd lui dit: O Duc Ferdulf,
rappelez-vous que vous m'avez appelle lâche, inutile, et Arga ;
à présent que la colère de Dieu tombe sur celui de nous deux, qui arrivera le
dernier à ces Slaves. — Après avoir dit cela Argaïd poussa son cheval droit à l'endroit le plus escarpé de la montagne. Ferdulf croyant qu'il lui serait honteux de faire moins qu’Argaïd, poussa également son cheval, et son armée le
suivit. Les Slaves voyant cette manœuvre se préparèrent à les combattre à coups
de pierres et de haches, et ils les tuèrent presque tous. Ferdulf et Argaïd y périrent tous les deux avec toute la noblesse du Frioul.[1]
Il y eut cependant
une belle action faite par Munichia, qui fut ensuite
père de Pierre Duc de Frioul, et de Urs Duc de Cenete.
Un Slave lui avait lié les mains, et lui avec ses mains liées arracha la lance
des mains du Slave, le frappa et se précipitant dans les sentiers escarpés il
échappa heureusement. Nous rapportons ceci afin que chacun prenne garde que
pareille chose ne lui arrive.
XXV.
Le Duc Ferdulf étant mort, Corvulus fut
mis en sa place ; mais ayant offensé le Roi il eut les
yeux crevés, et vécut dans l'ignominie.
XXVI.
Ensuite Pemmo eut le Duché. Ce fût un homme ingénieux et utile à sa
Patrie. Son père était de Belluno ; mais y ayant fait une sédition,
il vint dans le Frioul ou il vécut en paix. Ce Pemmo eut une femme appelée Ratberge,
qui avait un visage lait et rustique,
c'est pourquoi elle priait souvent son mari de la renvoyer et de prendre une
autre femme, plus digne d'un Duc aussi grand. Mais lui qui était un homme sage
répondait que ce n'était pas la beauté qu'il estimait, mais les mœurs,
l'humilité et la modeste pudeur. Pemmo eut de cette
femme trois fils Ratchis, Ratchaït et Astolf hommes vaillants, dont la naissance changea
en gloire, l'humilité de leur mère. Ce Duc rassembla tous les fils de ceux qui
avaient été tués dans la guerre contre les Slaves, et les éleva avec ses
propres enfants sans y mettre aucune différence.
XXVII.
Dans ce temps-là
Gisulf, chef des Bénéventins prit Sura ville des
Romains, Hirpinos, et Arcom.
Ce même Gisulf envahit la Campanie du temps du Pape Jean. Il commit des
incendies et des déprédations. Il pénétra même jusqu'au lieu appelle Hornea Castra et personne ne pût lui résister. Le Pontife
lui envoya des prêtres chargés de dons apostoliques, il racheta tous les
captifs qu'il avait fait et l'engagea à s'en retourner chez lui.
XXVIII.
Dans ces temps-là
Aripert Roi des Lombards rendit au saint siège le patrimoine des Alpes Cotiennes, que les Lombards avaient usurpé et gardé
longtemps. Il fit écrire cette donation en lettres d'or et l'envoya à Rome.
Dans ces temps-là deux Rois Saxons se rendirent à Rome pour y baiser la trace
des pas des Apôtres. Et ils eurent le bonheur de mourir dans cette occupation,
XXIX.
Dans ces temps-là
Benoît Archevêque de Milan se rendit à Rome, et plaida pour l'église de Pavie ;
mais il perdit son procès, car les Evêques de Pavie ont toujours été consacrés
par l'église de Rome. Le vénérable Archevêque Benoît fût un homme d'une
excellente sainteté, et respecté de toute l'Italie.
XXX.
Trasemund Duc de Spolète mourut, et son fils Faroald lui
succéda; mais le pays fut gouverné par Wachilap frère
de Trasemund.
XXXI.
Justinien chassé
de l'Empire vivait dans le Pont, et ayant trouvé le moyen de gagner Terbellis Roi des Bulgares celui-ci le rétablit sur le
trône et Justinien fit périr tous les Patrices qui lui avaient été contraires.
Il fit prendre Léon et Tibère qui avaient usurpé sa place, et les fit égorger
dans le cirque en présence de tout le peuple. Il fit crever les yeux à Gallicinus Patriarche de Constantinople et l'envoya à Rome, et il mit à sa place l'Abbé Cyrus qui l'avait
suivi dans son exil. Puis il ordonna au Pape Constantin de venir le trouver, le
Pape vint, Justinien le reçut honorablement et le renvoya, et même se prosterna
devant lui demandant de prier pour les péchés de son pays, et il confirma tous
les privilèges de son église. Le Pape voulut empêcher Justinien d'envoyer une
armée contre Philippique; mais il ne put obtenir cette faveur.
XXXII.
L'armée envoyée
contre Philippique prit parti pour lui, et le proclama Empereur. Philippique
marcha sur Constantinople. Justinien l'attendit à douze milles de la ville, et
lui livra bataille; mais il fut vaincu et tué. Justinien régna cette seconde
fois six ans conjointement avec son fils Tibère, à qui Léon avait
fait couper les narines. Lorsqu'ensuite Tibère remonta sur le trône, toutes les
fois qu'il s'essuyait le nez avec la main, ou presque toutes les fois, il fit
égorger quelqu’un de
ceux qui avaient
été contre lui.
XXXIII.
Alors mourut
Pierre Patriarche d'Aquilée, et Sérénus lui succéda,
c'était un homme doué d'une sainte simplicité, et tout à fait dévoué au service de Jésus Christ.
XXXIV.
Philippique que
l'on appelle aussi Bardane, s'étant affermi sur le trône impérial, déposa le
Patriarche Cyrus et l'envoya gouverner son monastère.
Philippique envoya
au Pape Constantin des lettres d'un mauvais dogme, qu'il rejeta par le conseil
du siège Apostolique. C'est alors qu'il fit peindre dans le Portique de saint
Pierre, les gestes des six premiers conciles œcuméniques. De semblables
peintures existaient dans la ville royale, et Philippique les avait enlevées.
C'est pourquoi le peuple Romain statua que les solds,
ne devaient recevoir ni les chiffres, ni le nom, ni la figure d'un Empereur
Hérétique. C'est pourquoi son effigie, ne fût pas placée dans l'église, ni son
nom proclamé, pendant la messe.
Philippique
Bardane régna un an et six mois, alors Anastase Artémius se révolta contre lui, et l'ayant vaincu lui fit crever les yeux. Anastase
envoya à Rome, Scholastique Patrice et Exarque d'Italie, avec des lettres pour
le Pape Constantin, où il se déclarait fauteur de la foi catholique et
prédicateur du sixième concile.
XXXV.
Ansprand était déjà depuis neuf ans en Bavière lorsque Theudebert Duc des Bavarois entra en Italie avec une armée, et livra bataille à Aripert.
Le carnage y fût très grand de part et d'autre. L'on combattit jusques à la
nuit, cependant il est sûr que ce sont les Bavarois qui ont fui. Mais ensuite
Aripert voulut rentrer dans Pavie ; ce qui désespéra les siens et accrut
l'audace des Ennemis. Aripert étant donc rentré dans la ville, apprit que son
armée désapprouvait sa retraite, c'est pourquoi il se détermina à s'enfuir en France, et il
enleva dans le Palais autant d'or qu'il put; mais comme il voulut traverser le
Tessin à la nage, l'or qu'il avait sur lui le fit aller à fond et il périt dans
les eaux. Le lendemain son corps fut trouvé dans le Palais tout
habillé, puis il fut enterré dans l'église du saint
Sauveur.
Tandis qu’Aripert
régnait il avait la coutume de sortir la nuit et d'aller çà et là, pour savoir
ce que l'on disait de lui dans les différentes villes de son royaume, et de
quelle manière l'on y rendait la justice au peuple. Une -autre de ses coutumes,
c'est que lorsqu'il avait à recevoir les Ambassadeurs des
nations étrangères. Il
mettait des habits
usés et de mauvaises pelisses. Jamais il ne leur faisait donner du bon vin, ni
autres délices de cette nature, et par là il voulait détourner les peuples de faire
la conquête de l'Italie.
Il régna d'abord
avec son père Ragumbert et ensuite seul, le tout
ensemble douze ans. Ce fut un homme pieux, charitable et ami de la justice,
sous son règne il y eut de bonnes récoltes ; mais les temps étaient
Barbares. Sed
tempore Barbarica.
Gundebert frère d’Aripert s'enfuit en France et y resta jusqu'à sa mort. Il eut trois
fils ; l'ainé qui s’appelait Ragimbert à eu de nos jours le gouvernement d'Orléans.
Ansprand ne régna que trois mois, ce fut un homme de toute manière très accompli, et peu
de gens purent se comparer à lui pour la sagesse. Les Lombards voyant qu'il
allait mourir, couronnèrent à sa place son fils Liutprand, et Ansprand qui vivait encore s'en réjouit beaucoup.
XXXVI.
Dans ce temps-là
l'Empereur Anastase envoya une flotte contre les Sarazins d'Alexandrie; mais
cette armée étant à moitié chemin retourna à Constantinople et demanda pour
Empereur Orthodoxe Théodose. Celui-ci vainquit Anastase près d'Area — et le fit
tout de suite ordonner prêtre, lui-même alla à Constantinople où il fit tout de
suite remettre à sa place la vénérable image qui représentait le saint concile, et que Philippique
avait fait ôter.
Dans ces jours-là
le Tibre inonda tellement qu'il sortit tout à fait de son lit et fit beaucoup de dommages à Rome. Dans la via lata il y avait de l'eau à la hauteur d'un homme
et demi. Et les eaux en attendant se joignirent depuis la porte de saint Pierre
jusques au Pont Milvius.
XXXVII.
Dans ces temps-là beaucoup
d'Angles nobles et roturiers, hommes et femmes, Ducs et principaux vinrent à
Rome, poussés par l'instinct d'un divin amour.
Alors Pépin
gouvernait le royaume des Francs, c'était un homme d'une audace singulière, qui
attaquait ses ennemis et les terrassait à l’instant. Une fois qu'un de ses
ennemis était campé de l'autre côté du Rhin, il passa ce fleuve avec un seul de
ses gardes, entra dans sa tente et le tua avec tous ceux qui y étaient. Il fit beaucoup de guerres aux Saxons,
et particulièrement à Rathod, Roi des Frisons. Il eut
plusieurs fils dont le plus Illustre est Charles qui lui a succédé.
XXXVIII.
Liutprand ayant
été confirmé dans le royaume, son parent Rotharit voulut le faire périr. A cet effet il l'invita à Pavie à un grand festin et
cacha dans la maison des gens qui devaient le faire périr tandis qu'il serait à
table. Liutprand l'ayant su, fit venir chez lui Rotharit. — Il lui tâta le corps et vit qu'il avait une
cuirasse sous son habit. Rotharit se voyant découvert
sauta en arrière et tira son épée pour tuer le Roi. Le Roi tira
aussi son épée, un garde du Roi appelle Subo, saisit Rotharit par derrière, et en fut blessé au front, puis
d'autre tombèrent sur Rotharit, et le tuèrent. Il
avait quatre fils qui étaient absent; on les tua là où on les trouva.
Le Roi Liutprand
avait un grand courage, une fois on lui dit que deux de ses écuyers
voulaient le tuer. Alors il alla avec eux dans le lieu le plus retiré d'une
forêt, et ayant tiré son épée, il leur dit d'essayer de lui ôter la vie. Les
deux écuyers tombèrent à ses pieds et lui découvrirent toute la conspiration.
Il fit souvent de pareilles choses; mais il pardonnait à ceux qui s'avouaient
coupables.
XXXIX.
Gisulf Duc de
Bénévent étant mort, le peuple Samnite, élut en sa place son fils Romuald.
XL.
Vers ces temps-là Petronax citoyen de Bresce, vint
à Rome par dévotion. Le Pape Grégoire l'exhorta à se rendre au mont Cassin. Il
y alla, et ayant vu le corps de saint Benoît, il se
détermina à y rester avec
quelques hommes simples qui l'élurent pour leur ancien. Alors il y avait déjà
près de cent et dix ans que ce lieu était désert. Mais le vénérable Petronax y attira de nouveau des habitants nobles et
roturiers, séculiers et moines, et le mit sur le pied où il est à présent. Dans
la suite le Pape Zacharie fit présent à Pertinax de beaucoup de choses utiles
pour son couvent comme les livras de la sainte écriture, la règle de
saint Benoît écrite de sa propre main, et d'autres écrits.
Pour ce qui est du
monastère de saint Vincent sur le fleuve Vulturne,
que nous voyons briller par la présence d'une si nombreuse congrégation, il a
été fondé par trois nobles frères, Tato, Taso et Paldo, ainsi qu'il est
écrit dans le livre qui en a été composé par le savant Autbert Abbé de ce même monastère.
Comme le Pape
Grégoire était encore en vie le château de Cumes fut envahi par les
Lombards de Bénévent; mais le Duc de Naples y vint de nuit, l'ôta aux Lombards
et le rendit aux Romains. Le Pape lui donna pour cela soixante et dix livres
d'or, ainsi qu'il le lui avait promis.
XLI.
L'Empereur
Théodose mourut après avoir régné une seule année. Léon Auguste fut mis à sa
place.
XLII.
Chez les Francs,
Pépin mourut, et son fils Charles lui succéda ; mais il ne régna qu'après avoir
arraché le royaume des mains de Reginfred. Reginfred le retenait prisonnier, il s'échappa comme par
miracle, rassembla quelques troupes et combattit deux où trois fois contre Reginfred, enfin il le vainquit à Vinciacun. Cependant il lui permit de vivre dans la ville d'Angers. Lui même commença à gouverner toute la nation des Francs.
XLIII.
Dans ce temps-là
le Roi Liutprand confirma à l'Eglise la donation des
Alpes Cotiennes. Peu de temps après il épousa Guntrada fille du Duc des Bavarois, qu'il avait connu lors
de son exil, il en eut une seule fille.
XLIV.
Dans ce temps-là, Faroald Duc de Spolète, vint par mer à Ravenne
et s'empara de cette ville; mais elle fut rendue aux Romains par ordre de Roi Liutprand, Trasemund fils de Faroald se révolta contre son père et le força à se faire moine. Dans ces jours-là Thendo Duc des Bavarois vint à Rome par dévotion.
XLV.
Dans le Frioul le
Patriarche Sérénus étant mort, le Roi Liutprand
favorisa l'élection de Calliste homme excellent qui était archidiacre de
l'Eglise d'Aquilée. Dans ce temps-là Pemmo gouvernait
les Lombards du Frioul. C'est celui que nous avons dit avoir fait élever avec
ses fils, ceux des nobles Lombards, tués dans la bataille contre les Slaves. Tout ces enfants étaient déjà grands, et voila qu'on lui annonce qu'une immense multitude de Slaves
est venue à l'endroit appelé Lauriana. Pemmo se mit à la tête des jeunes gens et fit trois
attaques contre les Slaves, dont il fit un grand carnage.
Du côté des
Lombards personne ne périt que le vieux Sigwald,
Celui-ci avait perdu deux fils dans l'ancienne bataille qui eut lieu sous Ferdulf. Cette fois-ci voulant se venger il fit la première et la seconde attaque. A la troisième
le Duc voulut l'empêcher d'aller, mais il répondit ainsi: J'ai vengé la mort de
mes fils et si je meurs je mourrai content. Aussi il fut le seul qui périt dans
ce combat. Pemmo ne voulant aussi perdre personne de
plus, fit la paix avec les Slaves, sur le champ même de bataille, et depuis ce
temps-là, les Slaves ont commencé à craindre les Lombards du Frioul
XLVI.
Dans ce temps-là,
la nation des Sarrazins traversa le détroit dans le lieu appelle septem,
et envahit toute l'Espagne. Dix ans après ils entrèrent dans l’Aquitaine avec
leurs femmes, et leurs enfants comme s'ils eussent voulu habiter cette
province. Dans ce temps-là Charles était brouillé avec Eude Prince d'Aquitaine,
mais ils se réconcilièrent et se réunirent pour combattre les
Sarrazins. Les Francs les attaquèrent et en tuèrent trois cent soixante et
quinze mille, et ils ne perdirent que mille et cinq cent hommes. Pendant ce temps-là Eude
attaqua le camp des Sarrazins, et y fit aussi un grand massacre.
XLVII.
Dans ce temps-là
la nation des Sarrazins vint avec une flotte immense et entoura Constantinople, le siège dura trois ans. Enfin
les citoyens élevant sans cesse leurs prières vers Dieu, il permit que beaucoup
de Sarrazins périssent par la faim, le froid, la guerre et la peste, ainsi ils se retirèrent.
Puis les Sarrazins
ayant quitté Constantinople allèrent attaquer les Bulgares qui sont sur le
Danube; mais ayant été repoussés il furent obligés de gagner le large, et une tempête qui vint les
assaillir détruisit la plus grande partie de leur flotte. Déjà trois cent mille
Sarrazins étaient morts de la peste près de Constantinople.
XLVIII.
Liutprand ayant su
que les Sarrazins qui ravageaient la Sardaigne, avaient même
souillé les lieux ou l'on conservait les os de saint
Augustin. Il y envoya et les ayant achetés à haut prix, il les plaça
honorablement dans la ville de Pavie. Dans ce temps-là les Lombards
s'emparèrent de la ville de Narni.
XLIX.
Dans ce temps-là
le Roi Liutprand assiégea Ravenne, attaqua et détruisit la flotte
de cette ville. Alors aussi Paul Patrice de Ravenne, envoya des
gens pour tuer le Pontife; mais le mauvais dessein des Ravennais fut anéanti, parce que les Lombards de Spolète les repoussèrent sur le Pont Salarius et les Lombards de Toscane résistèrent dans les autres
endroits.
Dans ce temps-là,
Léon Empereur de Constantinople brûla les images qui étaient déposées dans un
endroit particulier, et fit dire au Pape, qu'il eut à en agir de même, s'il
voulait acquérir les bonnes grâces Impériales ; mais le Pape méprisa ses
ordres. L'armée de Ravenne et celle des Venises en firent de même, et
auraient élu un autre Empereur; si le Pape ne les eut retenu. Le Roi Liutprand
s'empara de Emilie, Foronianum, Monte bello, Buxeta, Persiceta, Bologne et de la Pentapole avec Auxinium. Alors il s'empara aussi de Sutrium, mais après quelques jours on les rendit aux
Romains. Cependant Léon continua à se corrompre dans la foi, et employa tous
les moyens de contrainte et de persuasion, pour engager les habitants à ôter et
déposer toutes les images du Sauveur, de la Vierge et des saints. Puis il les
fit brûler au milieu de la ville. Et comme plusieurs ne voulurent point se
rendre coupable d'un pareil crime, il fit couper la tête aux uns et en fit mutiler d'autres. Le Patriarche Grégoire ne
voulut point souscrire à de pareilles erreurs.
L.
Romuald Duc de
Bénévent épousa Guntberge fille d'Aurone sœur du Roi
Liutprand, il en eut un fils auquel il donna le nom de son père Gisulf, après
cette femme il en eue une autre Rarigonde fille de Gaidoald, Duc de Bresce.
LI.
Alors il y eut
une grande querelle entre le Duc Pemmo, et le
Patriarche Calliste, voici quelle en fut l'origine. Fidentius Evêque de Castro
Julio, vint par l'ordre de ses supérieurs habiter dans la ville de Frioul.
Celui-ci mourut et Amator lui succéda. Mais jusques
alors les Patriarches avaient demeuré à Cormones, à
cause des incursions des Romains qui les empêchaient de demeurer à Aquilée.
Ceci déplut à Calliste qui était d'une origine illustre, il ne put voir qu'un autre Evêque demeura dans son diocèse avec le
Duc des Lombards. C'est pourquoi il chassa Amator de
la ville de Frioul et s'établit dans sa maison.
Le Duc Pemmo se fâcha, assembla les plus nobles d'entre les
Lombards, fit saisir le Patriarche et le fit conduire au Château de Pontium où il voulut le faire jeter dans la mer, Dieu
l'empêcha heureusement de le faire ; mais il retint le
Patriarche prisonnier, et le fit bien souffrir ne lui donnant à manger que du
pain. Le Roi Liutprand l'ayant su se fâcha extrêmement ôta le Duché à Pemmo et le donna à son fils Ratchis.
Alors Pemmo se disposa à fuir dans le pays des Slaves ; mais Ratchis obtint du Roi la grâce de son père. Pemmo ayant
confiance au Roi, se rendit auprès de lui avec tous les Lombards qui avaient
été de son conseil. Le Roi résidant dans son jugement fit asseoir Ratchis, et ordonna que son père Pemmo,
et ses deux frères Ratchaït et Astulf,
se tiendraient debout derrière son siège. Alors le Roi éleva la voix, et
appelant par leurs noms tous les nobles Lombards, qui avaient adhéré à Pemmo, il ordonna qu'on les saisît. Alors Astulf ne pouvant se contenir, tira son épée à moitié pour
frapper le Roi; mais son frère Ratchis le retint. Hersemar l'un des Lombards tira aussi son épée, et se
défendant vaillamment se sauva dans l'église de saint Michel. Ce fût cependant
le seul qui obtint sa grâce et les autres périrent dans les fers.
LII.
Ratchis étant devenu Duc de Frioul, entra dans la Carniole, Patrie des Slaves, ravagea
le pays et tua un très grand nombre d'habitants. Une fois les Slaves tombèrent
sur lui si fort à l’improviste qu'il n'eut pas le temps de prendre la lance des
mains de son écuyer et se servant de la masse d'armes qu'il avait à la main, il
tua le premier Slave qu'il rencontra.
LIII.
Vers ces temps-là,
Charles Prince des Francs, envoya son fils Pépin vers le Roi Liutprand, pour
qu'il reçut sa chevelure selon l'usage. Liutprand lui coupa les cheveux et
étant par là devenu son père il lui fit de riches présente et le renvoya chez son
véritable père.
LIV.
Vers ce temps-là
l'armée des Sarrazins chercha encore à pénétrer dans les Gaules et y commit de
grands ravages. Charles marcha contre eux et les battit près de Narbonne. Puis
les Sarrazins rentrèrent encore dans les Gaules et parvinrent
jusques à Arles, qu'ils prirent après avoir dévasté les environs. Alors le Roi
Charles envoya vers le Roi Liutprand et lui fit demander des secours. Liutprand
se mit aussitôt en campagne avec toute l'armée des Lombards ; mais
les Sarrazins ne l'attendirent pas, et Liutprand rentra en Italie.
Ce Roi fit aussi
de grandes guerres contre les Romains dont il fut toujours vainqueur. Cependant
son armée fut une fois battue près de Rimini, mais il n'y était pas en
personne, une autre fois, près du Bourg de Pilleum tandis que le Roi était dans la Pentapole, les Romains tombèrent sur une
multitude de ces gens qui portent des présents, ainsi que les dons de diverses
églises. Aussi lorsque Ravenne fut prise par Hildebrand neveu du Roi et Peredée Duc de Vicence, les Vénitiens tombèrent sur
eux à l’improviste. Hildebrand fût fait prisonnier; mais Pefedée fut tué se défendant en brave. Puis les Romains que
les succès ne manquent jamais d'enfler d'orgueil, mirent à leur tête Agathon
Duc de Péruse et voulurent prendre Bologne où Walcaris était en garnison avec Peredée et Rotharis ; mais ceux-ci tombèrent sur les
Romains, massacrèrent les uns et mirent les autres en fuite.
LV.
Dans ces jours là Trasimund se révolta
contre le Roi. Le Roi le chercha avec son armée, et il fut contraint de prendre
la fuite. Hildéric fut mis à sa place. Trasimund se retira à Rome.
Alors mourut
Romuald le jeune Duc de Bénévent qui avait gouverné le duché pendant vingt six ans. Il ne laissa après lui qu'un fils encore
enfant qui s'appelait Gisulf. Quelques uns se
révoltèrent contre cet enfant et cherchèrent à le faire périr; mais les
Bénéventins qui ont toujours été fidèles à leurs maîtres, les tuèrent et
sauvèrent les jours de leur petit Duc.
Comme cet enfant ne pouvait pas gouverner. Le Roi Liutprand vint à Bénévent
l'ôta de là et mit à sa place son neveu Grégoire dont
la femme s'appelait Gisselberge. Le Roi Liutprand
ayant ainsi arrangé les choses retourna dans sa résidence, là il fit élever son
neveu Gisulf avec une piété tout à fait paternelle, et lui donna
pour épouse Coniberge dont la famille était très
illustre.
Vers ce temps-là
le Roi fut atteint d'une maladie de langueur, et fut très près de mourir. Les
Lombards croyant qu'il était déjà mort, se rendirent à l'église de la mère de
Dieu, qui est proche des perches, et exhaussèrent en qualité de leur Roi,
Hildebrand, neveu de Liutprand. Et comme on lui présentait l'épieu
selon la coutume, un coucou vint s'y percher. Des hommes prudents qui se
trouvaient là dirent que ce prodige signifiait que ce que l'on faisait là était inutile. Le Roi Liutprand étant revenu à
lui, ne fut pas bien aise de ce qui s'était
passé, cependant il partagea l'autorité royale avec Hildebrand.
Quelques années
après. Trasemund qui s'était enfui à Rome revint à
Spolète, tua Hildéric et se révolta contre le Roi.
LVI.
Grégoire ayant été
sept ans Duc de Bénévent mourut, Godeschalc lui
succéda, et gouverna ce Duché pendant trois ans, celui-ci eut une femme appelée
Anne. Le Roi Liutprand retourna de nouveau dans le Bénéventin. Il vint dans la Pentapole, et comme il
allait de Fano au
fort Sempronius et qu'il traversait la forêt, les Spolétans l’attaquèrent conjointement avec les Bénéventins, et firent beaucoup de mal à
son armée. Le Roi leur opposa ceux du Frioul commandés par le Duc Ratchis, et par son frère Astulf.
Les Spolétans et les Romains en tuèrent et blessèrent quelques uns, cependant Ratchis combattant avec courage, s'en tira avec une perte que l'on doit
regarder comme peu considérable; si l'on considère qu'il eut à soutenir tout le
poids de l'attaque. Berto ce vaillant Duc de Spolète, appelle Ratchis par son nom, le chercha pour le combattre armé de
toutes pièces. Ratchis courut sur lui et le jeta bas de son cheval. Les compagnons
de Ratchis voulurent le tuer; mais Ratchis les en empêcha, et Berto rampant sur ses pieds et
sur ses mains s’enfonça dans la forêt.
Comme Astulf traversait un certain pont deux braves Spolétains vinrent
l'attaquer par derrière, il donna à l’un un grand coup du revers de sa lance et
le jeta en bas du pont puis se retournant
vers l'autre il le tua et l’envoya dans l’eau rejoindre son compagnon.
LVII.
Liutprand vint à
Spolète et chassa Trasemund de son duché, et le fit
prêtre, puis il mit à sa place son neveu Angibrand.
Comme il s'approchait de Bénévent, Godescalc voulut
s'enfuir par mer et passer en Grèce. Il avait déjà mis sur le vaisseau sa femme
et ses richesses, et allait s'embarquer lorsqu'il fut tué par les amis
de Gisulf. Sa femme arriva heureusement à Constantinople.
LVIII.
Alors le Roi
Liutprand, vint à Bénévent et remit sur le trône ducal son neveu Gisulf, puis
il retourna chez lui.
Ce Roi glorieux
fait bien des choses en l'honneur du Christ, et entre autres il a fait bâtir
des basiliques dans tous les lieux où il avait coutume de séjourner. C'est lui
qui a fait construire le monastère de saint Pierre que l'on appelle Ciel d'or,
et qui est hors des murs de la ville de Pavie. Il a aussi fait construire le
monastère, qui est au haut de l'Alpe Bardon, et que l'on appelle Bercetam.
Il fit aussi construire à Olonne la belle église avec le monastère. Enfin il a
fait bâtir bien des temples en différents lieux.
Il fit aussi bâtir
dans l'intérieur de son palais, la chapelle du saint Sauveur, et y institua des
prêtres et des élèves, pour lui chanter tous les jours, les divins offices, ce
que d'autres Rois n'avaient pas eu.
Sous ce Roi-là, l'on vit faire plusieurs
miracles à un homme d'une sainteté admirable, qui s'appelait Badolin, et demeurait à Forum sur le fleuve Tanarus. Souvent il a prédit l'avenir à bien des personnes
présentes ou absentes. Une fois comme le Roi Liutprand était à la chasse, un
homme de sa suite voulant tirer contre un cerf, frappa de sa flèche le jeune Ausus, fils d'une sœur du Roi. Le Roi qui aimait beaucoup
ce jeune garçon fut très affligé de son accident et envoya aussitôt un homme à cheval vers Badolin,
pour lui dire de prier Jésus Christ pour la santé de ce garçon. L'homme à
cheval arriva chez le serviteur de Dieu; mais dès ce que celui-ci l'eut aperçu
il lui dit: « Je sais pourquoi vous venez ; mais ce que vous me demandez ne
peut se faire; car l'enfant est mort à l'heure qu'il est. »
Il y eût un autre
saint homme appelle Theudelapius qui demeurait près
de Vérone, qui obtenait du ciel bien des choses, et prédisait aussi l'avenir
par ce qu'il était doué d'un es prit prophétique.
Dans ces temps-là fleurit aussi Pierre Evêque de Pavie, qui était parent du
Roi. Le Roi Aripert l'avait autrefois exilé à Spolète, et comme il fréquentait
l'église de saint Sabinus, ce saint martyre lui apparut et lui annonça qu'il
deviendrait Evêque de Pavie. Ensuite lorsque cette prédiction se vérifia, Pierre
fit construire à ce saint martyr une église sur son propre terrain. Entre
autres belles qualités de Pierre, c'est qu'il garda toute sa vie la fleur de sa
virginité. Nous parlerons en son lieu d'un certain miracle qu'il a opéré.
Liutprand mourut
très vieux après avoir régné trente un ans et sept mois, son corps fût mis dans la basilique de saint Adrien
Martyre où son Père repose également. C'était un homme sage, pieux
et ami de la paix, maître dans l'art de la guerre, et clément envers les coupables, chaste,
pudique, adonné à la prière, libéral en aumônes, ignorant dans les lettres;
mais digne d'être comparé aux Philosophes, Nourricier de la nation et
augmentateur des lois. Dans le commencement de son règne, il prit plusieurs
villes aux Bavarois, et dans cette expédition il montra plus de confiance dans
la prière que dans les armes. Il mit aussi beaucoup de soin, à cultiver la paix
avec les Francs et
les Avares.[2]
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