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BILIOTHÈQUE FRANÇAISE

 

HISTOIRE DE LORRAINE

Introduction à l'Histoire Politique de Lorraine

 

 

GÉRARD D’ALSACE (1048-1070).

La Lorraine, ou royaume de Lothaire, était le pays situe entre la Meuse et le Rhin, ayant appartenu à Lothaire Ier; il fut cédé par lui à son fils, Lothaire II, quand il abdiqua la royauté en 855. Après bien des changements, ce pays se donna à Louis IV, dit l’Enfant, roi de Germanie, en 900. En 911, les Lorrains furent sujets de Charles le Simple, roi de France ; Henri l’Oiseleur, roi de Germanie, les soumit en 923. Après un retour offensif de Louis d’Outremer, roi de France, ils rentrèrent sous la domination allemande, en 940.

La Lorraine fut partagée en deux duchés :

La Lorraine Ripuaire ou Basse-Lorraine qui fut donnée à Godefroy, comte de Verdun, à qui succédèrent Gothelon, son frère, Godefroy II le Bossu, fils de celui-ci, puis Godefroy de Bouillon, son neveu, en 1089.

La Haute-Lorraine ou Lorraine Mosellane est celle dont nous entreprenons l’histoire. Son premier duc particulier fut Frédéric d’Alsace, frère d’Adalbéron, évêque de Metz et beau-frère de Hugues Capet (959) ; il reçut ce duché de l’empereur Othon 1er. Frédéric II, son petit-fils, étant mort sans enfant (1033), le duché passa à Gothelon, duc de Basse-Lorraine. Albert, qui devait succéder à celui-ci, fut mis de côté. Quand il mourut, l’empereur Henri III donna, en 1048, le duché de Haute-Lorraine à Gérard d’Alsace. En fait, il en est le premier duc héréditaire ; si l’empereur lui conféra cette hérédité, le titre fut égaré et ne fut jamais retrouvé.

Gérard était déjà voué de Metz, quand il fut nommé duc de Lorraine ; c’était un puissant seigneur. Il avait des domaines en Alsace, possédait la vallée de la Sarre avec Bitche ; il acquit le Saintois, la partie supérieure de la Meuse, les environs de Trêves. Plus tard, il reçut la vouerie de Bouzonville. Saint Gérard lui-même, évêque de Toul, lui donna la vouerie de Saint-Dié ; Udon, évêque de Toul, lui conféra la vouerie de l'abbaye de Saint-Epvre à Toul ; il acquit encore de Madeleine de Verdun la seigneurie de Dieuze.

L’origine de sa famille remontait à : Rigomert d’Alsace, en 640 ; Eberhard II ; Eberhard III ;  Hugues, époux de Hildegarde ; Eberhard IV, qui eut deux frères, l’un, la souche des comtes de Habsbourg ; l’autre, Hugues, père de Léon IX, évêque de Toul et pape.

Eberhard, de son côté, eut : Adalbert d'Alsace, Adélaïs ou Albert, qui fut l’épouse de Henri, le père de Conrad le Salique, empereur d'Allemagne, et Gérard d’Alsace, notre duc de Lorraine.

Gérard épousa Hedwige qui descendait du roi de France Charles le Simple (912).

Gérard eut à soutenir une guerre contre Godefroy de Bouillon ; celui-ci le vainquit et le fit prisonnier. Il dut sa liberté à Léon IX.

Sur la sollicitation de Udon, évêque de Toul, il s'allia à Louis, comte de Bar ; celui-ci lui envoya cinq cents soldats, et Gérard détruisit le château de Vaucouleurs, dont le seigneur ravageait les terres de l'évêque.

Les seigneurs, jaloux de sa puissance, se révoltèrent rentre lui ; il reçut de l’empereur Henri IV un secours de deux mille hommes pour les réduire.

Il vivait à Chàtenois ; il mourut subitement ; fut-il empoisonné secrètement par ses sujets rebelles ? On ne saurait le dire.

C’est lui qui fit bâtir le château de Vaudraient et son donjon, la tour dite de Brunehaut.

 

THIÉRY Ier (1070-1115).

Sophie de Bar, épouse du comte de Montbélard et Ferrette, à qui elle apportait par son mariage le comté de Bar, réclama le duché de Lorraine, en qualité d’héritière du duc Frédéric II. L’hérédité était si peu assurée que les seigneurs furent consultés pour décider lequel était l’héritier légitime ; ils déclarèrent que le duché appartenait à Thiéry Ier.

Hedwige, sa mère, réclama la régence ; le jeune duc répondit qu'il n’était plus un enfant, qu’il avait dix-sept ans, âge de la majorité des ducs de Lorraine.

Son frère Gérard, à son tour, se plaignit de l’insuffisance de son héritage, lui fit la guerre et lui prit Xugney. Henri IV intervint ; il engagea Thiéry à donner à son frère le Saintois et Vaudémont, c’est-à-dire le pagus sanctingensis, pays riche, comptant beaucoup de villages. Gérard dut rendre Xugney.

Profilant des embarras où se trouvait Henri IV, Gérard fit des incursions dans le pays, mettant à rançon ses prisonniers. Louis de Bar tomba entre ses mains, fut tenu en une dure captivité, d’où il ne sortit qu’après des supplications et le versement d’une forte somme. Il ne revit la liberté que pour mourir.

Gérard laissa partout les traces de sa fureur : il s’attaqua à Eudes Ier, duc de Bourgogne ; il fut vaincu et tomba au pouvoir de son adversaire. Thiéry intercéda pour obtenir la délivrance de son frère. Eudes refusa ; il ne lui rendit la liberté qu’après que Thiéry se fut jeté sur les alliés du duc de Bourgogne et les eut battus : Eudes céda à Thiéry Châtel-sur-Moselle. en échange de Xugney. Gérard de Vaudémont mourut en 1120 et fut inhumé dans l’abbaye de Belval qu’il avait fondée.

Les seigneurs s’étant mis de nouveau à piller et à rançonner le pays, Thiéry mit le siège devant Epinal. Puis, prenant en pitié les maux des assiégés, il se retira à Arches, dont il construisit le château pour contenir Widric d’Epinal.

Le duc de Lorraine, lié d’amitié avec Henri IV, fut de son parti dans la querelle des investitures contre le pape Grégoire VII. Les évoques du pays lui en donnaient l’exemple : Udon de Trêves, Pibon de Toul, Thiéry de Verdun, déposèrent le pape dans la diète de Worms. Tous agissaient par crainte de l'empereur ; ils furent excommuniés. Mathilde qui vit dans son château de Canosse, en Toscane, l’humiliation de Henri IV et sa soumission au pape, était fille de Béatrix, sœur de Sophie de Bar.

Thiéry, vieux et changé, construisit à Nancy le prieuré de Notre-Dame et le soumit à l’ordre de Molesmes. Il avait fait vœu d’aller à la croisade ; se défiant de ses forces, il envoya à sa place quatre chevaliers et un arbalétrier. Il fonda une partie de Neufchâteau. Ses enfants furent : Simon Ier, qui lui succéda ; Thiéry de Bitche, qui régna en Flandre par droit de conquête, et par droit d’héritage de sa mère ; Gérard, qui s'établit en Alsace sur les biens de la famille, et Henri de Lorraine, évêque de 'Toul. Thiéry avait mérité dans les combats le nom de Vaillant.

 

SIGISMOND OU SIMON (1115-1139).

Il hérita des biens de son père, à l'exception de Bitche et des biens situes en Alsace ; il lut le voué des abbayes lorraines : Saint-Dié, Senones. Etival, Moyenmoutier.

Il fui attaqué par Albéron de Montreuil, évêque de Trêves ; Renaud, de Bar ; Etienne, évêque de Metz ; ils mirent le siège devant Sierck. Simon s’avança pour tes repousser. Un jeune homme, Godefroy de Fiquelmont, eut la hardiesse de venir sur la forteresse de Nancy. Le capitaine Richard, ayant quatre cents homme sous ses ordres, se défendit dans le château de Frouard. Le duc revint en hâte livrée bataille ; il fut vaincu sous Bouxières-aux-Dames ; il se retira dans le château de Nancy, élevé là où se trouve maintenant la Monnaie. Il aurait succombé si sou beau-frère Lothaire II, empereur, n’était venu le secourir avec une armée de huit mille hommes.

Simon possédait à Nancy un autre château fortifié, celui du Saulrupt ou Saulru.

Béatrix, tille de Simon, fut épousée par Renaud III de Bourgogne ; sa fille Béatrix fut l’épouse de Frédéric Ier, empereur d’Allemagne.

Saint Norbert vint alors en Lorraine ; il fut reçu magnifiquement à Prény par le duc Simon qui lui donna un lieu solitaire aux eaux abondantes pour y fonder le monastère de Sainte-Marie-aux-Bois, à Vilcey-sur-Trey (Meurthe-et-Moselle). Le prince enrichit cette maison de plusieurs monastères, les laïcs imitèrent le duc ; Richard, disciple de saint Norbert, vint s’y fixer.

Saint Bernard vint aussi ; il convertit la duchesse qui était fortement détenue dans les lacs d’amour. Pendant la nuit qui précéda la venue du saint, elle vit en rêve sept serpents qui sortaient de son cœur ; le reste de la conversion fut facile, elle écouta le saint.

En 1135, le duc fonda l’abbaye de Sultzbroun.

La veuve de Simon se retira dans l’abbaye de Tart, entre Châtenois et Neufchâteau ; elle y mourut, dit Thiérat ; son fils donna à cause d’elle à cette abbaye cinq poêles à sel, à Vic.

 

MATHIEU Ier (1139-1176).

Mathieu acheta à Drogon, descendant d’Oldric, la seigneurie de Nancy, où il ne possédait encore que deux châteaux ; et des lors ce fut sa capitale ; il délaissa Châtenois et Neufchâteau. Il donna en échange à Drogon, Rosières-aux-Salines : les de Lenoncourt descendent de celui-ci.

Il partit à la deuxième croisade avec un grand nombre de seigneurs lorrains : Hugues de Vaudémont, Simon de Parroy, etc...

A son retour, il bâtit à Gondreville un château ; il enfreignait ainsi une loi de Dagobert qui défendait d’élever aucune forteresse à moins de quatre lieues de Tout. Le chapitre de Toul fit sa plainte au Pape Adrien IV qui excommunia le duc en 1159. Pour être relevé de l’excommunication, il accepta la pénitence d'aller en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Arrivé à Cluny, il tomba malade et revint à Nancy; il donna aux moines de Cluny, pour les récompenser de leurs bons soins, le village de Dombasle.

Il fit la guerre à l’évêque de Metz, qui lui demandait la restitution des domaines qu’il avait pris. Le duc perdit d’abord Hombourg et Lutzelbourg ; mais il prit Mirebois, près de Faulquemont, Deneuvre, Vic et Vatimont. L’évêque détruisit Prény. Conrad III intervint et mit fin à cette querelle.

La chronique dit que alors le duc eut deux jolis poupons de gentille, douce et accorte Grésille Allain, fille de son argentier. Cet égarement fut suivi d’un autre. Dans la guerre de Frédéric Ier contre Alexandre III, pape, il prit le parti de l’empereur, son beau-frère, tandis que les évêques de Trêves, Verdun, Pibon de Toul, nommaient à Worms l’antipape Victor IV. Il assista à la consécration de l’église de Toul faite en 1148 par le pape Eugène III.

Gérard II de Vaudémont, vers ce temps, avait appelé de Béthanie, près de Besançon, des Cisterciens pour les installer à Carrières dans le val de Chaligny. L’humidité extrême de cet amleu (amer lien) et la méchanceté des habitants, duri el feroces, les obligèrent à se retirer dans la foret de Haye ; le duc leur concéda un lieu vaste qu'ils défrichèrent ; ils y bâtirent une église, puis un monastère ; telle est l'origine de Clairlieu. Le duc leur donna les moulins de Nancy. Il enrichit l’abbaye de Tart, confirma aux moines de Sainte-Marie-aux-Bois la donation de Blanzey faite par un seigneur.

Les Templiers, récemment fondés, possédaient alors douze maisons en Lorraine ; Libdo, près de Toul; Saint-Georges, près de Lunéville ; Cercueil ; Norroy ; Virecourt, etc... Les Hospitaliers fondèrent Saint-Jean-du-Vicil-Aître. En 1160, Mathilde de Hambourg, épouse d’un comte de Salm, fonda Salivai, près de Marsal. Comme en ce temps-là on mangeait beaucoup de poissons, on fit un grand nombre d’étangs. Les moines eurent des poêles à Vic, Marsal et Salonne, pour se procurer le sel et même le vendre, La Moselle était très poissonneuse ; les saumons y abondaient.

Mathieu Ier institua les prévôts ; cette mesure atteignait les seigneurs dans leurs droits de justice ; il créa même à Nancy les échevins, élus par la population, pour gérer l’administration ; les seigneurs descendirent au deuxième rang.

 

SIMON II (1176-1205).

Berthe de Sonabe, sa mère, femme dure et autoritaire, voulut le tenir en tutelle ; une voix mystérieuse disait que la Lorraine aurait malheur si le duc régnait seul. On souleva une tapisserie dans l’appartement de la duchesse et l’on trouva l’auteur de la voix qui était blotti derrière ; les seigneurs assemblés déclarèrent qu’ils voulaient que le duc régnât. Le soi-disant sorcier Engelrand, auteur de la supercherie, fut pendu.

Ferry de Bitche, frère du duc, se plaignait de la trop petite part qui lui était faite de l’héritage paternel ; il vint assiéger Amance. C’était une forteresse dont les murailles étaient hautes et défendues par huit tours ; elle était située en un lieu escarpé. Le duc s’avança pour le combattre jusqu’à Lay-Saint-Christophe avec une armée supérieure à celle de l’adversaire ; celui-ci ne vint pas livrer bataille. Sur la prière de l’empereur, le duc lui abandonna Châtenois, Neufchâteau et quelques autres places.

Le duc battit à Remich, au-dessous de Thionville, une armée de Cottereux (Cotteraux) qui lui avait envoyé comme défi la plante appelée « gant de Notre-Dame », qui est la campanule.

Ferry renouvela encore ses plaintes au sujet de son héritage ; Simon lui abandonna encore Ormes, Gerbéviller, la vallée de la Sarre et ce qu’il possédait entre Metz et Trêves. Ferry trouva enfin son maître dans l’archevêque de Trêves qui le battit et le fit prisonnier. Simon intervint en faveur de son frère ; celui-ci, mis en liberté, s’empressa de lui faire hommage, comme à son seigneur.

Simon sentit que sa fin approchait ; il avait été élevé par un prêtre ; les sentiments de piété de sa jeunesse lui revinrent. Il abandonna son duché à Ferry, son frère, et prit l’habit monacal dans l’abbaye de Sultzbronn, qu’il avait fondée.

 

FERRY Ier (1205-1206).

Il ne régna que quelques mois ; se sentant âgé, il remit tous ses Etats à Ferry II. Dès lors, les ducs cessèrent de démembrer leur duché pour faire les héritages de leurs enfants .

 

FERRY II (1206-1213).

Il épousa Agnès de Bar. Thiébaut Ier de Bar, son beau-père, qu’il avait offensé, envahit la Lorraine avec une armée d’aventuriers ; il prit Vic, le détruisit et emmena comme otages les principaux habitants. Il prit Prény et le détruisit, en présence de son gendre qui n'osa lui livrer bataille à cause de l’infériorité de ses forces. Ferry, de son côté, dévasta Gorze, dont Thiébaut Ier était le voué.

Le 3 février 1208, le duc fut battu et fait prisonnier ; dans la paix qui suivit, Thiébaut exigea la propriété de ce qu’il avait occupé ; il garda Amance, qui reviendra dans la suite à la duchesse et à ses enfants. Le château de Romont, près de Rambervillers, dut être détruit, le duc paya encore 2.000 marcs d’or. Parmi les seigneurs pris avec le duc et rachetés par lui figurent Vauthier de Prény et Albert de Parroy (1212).

C’est l’énormité de la rançon qu’il eut à payer qui amena Ferry à prendre parti contre Othon en faveur de Frédéric, qui fut empereur sous le nom de Frédéric II. Le pape soutenait alors celui-ci. Ferry en reçut 200 marcs d’or avec la promesse qu’il en recevrait 2.000 marcs cette guerre, Ferry occupa Haguenau, puis il vint au secours de moines de Senones que Henri II de Salm tyrannisait. Il mourut peu de temps après.

 

THIÉBAUT Ier (1213-1220).

C’était le bel duc. Sa femme Gertrude, fille unique du comte de Dagsbourg, Albert, lui apporta en dot le comté de Dagsbourg. Agnès de Bar, sa mère, lui abandonna Longwv, Stenay et Amance.

Son oncle, Mathieu de Lorraine, évêque de Toul, couvrit alors de honte et de deuil la famille ducale et l'église de Toul. Il était né en 1170 de Frédéric ou Ferry de Bitche et de Ludomille; ses parents avaient de nombreux enfants; ils destinèrent celui-ci à l’état ecclésiastique sans se rendre compte de ses mauvais instincts. Dès l’âge de six ans il fut doté de deux canonicats, à Saint-Dié et à Tool : à douze ans, ce puer canonicus devint archidiacre de Tool. A peine sorti de l’adolescence, il séduisit une religieuse, dont il eut une fille qu’il fit élever en secret. Après la mort d’Eudes de Vaudémont, évoque de Toul, il se mit sur les rangs pour obtenir la succession sur le siège de saint Mansuy (1193). Il ne triompha qu’en 1200. Michel Erard dit de lui et de son libertinage des choses odieuses. Il vendit plus de vingt domaines de l’évêché et amena à rien 1.000 livres de revenu. Les chanoines envoyèrent à Rome Pierre, leur doyen, demander au pape sa dégradation. Le pape hésitait à faire un acte qui touchait une si haute famille ; il remit l’affaire entre les mains de son légat de Palestrina et des abbés de Beaulieu en Argonne et de Saint-Benoit en Woëvre. Les commissaires conclurent à la condamnation de l’évêque et Mathieu fut excommunié. Simon, son frère, plein de fureur, fit saisir le doyen Pierre, le fit mettre sur un âne, les pieds liés sous le ventre de l’animal et le visage tourné vers la queue, et le promena ainsi ignominieusement devant Mathieu. Après une nouvelle et troisième instances faites par Mathieu et sa famille, le pape confirma la sentence d'excommunication et de déposition ; Renaud de Senlis fut nommé évêque de Toul.

Mathieu se retira dans sa prévôté de Saint-Dié et vécut publiquement en un commerce incestueux avec Adèle sa fille.

Le duc Ferry, rougissant enfin de tant de scandales, lit prendre cette tille et l’enfermer à Bernstein. L’évêque déposé faisait pendant le jour des actes de banditisme et se retirait les nuits sur le Clairmont.

Or, en 1217, Renaud de Sentis, ayant célébré les fêtes de Paques à Saint-Sauveur, allait à Autrey, dans les Vosges, il se trouvait  près d'un étang entre Nompatelize et la Bourgonce, lorsqu’il tomba entre les mains de Mathieu et de ses sicaires ; l’écuyer , Jean, soudoyé par Adèle, le poignarda en présence même de Mathieu. Celui-ci prit les dépouilles de résèque et le Saint-Chrême et se retira à Bilstein.

Thiébaut de Lorraine vint dans les Vosges pour le saisir et le punir. Le coupable qui était revenu au Clairmont avec Adèle, vint jusqu’au ruisseau de Nompatelize pour essayer de le fléchir. Le duc dit à Simon de Joinville : Si vous m’aimez, frappez-le de votre lance.

- A Dieu ne plaise, fut-il répondu, que je tue un homme de si haute naissance. Alors le duc prit la lance et le tua.

Peu de temps après, Thiébaut, profitant de ce que l'empereur Frédéric était occupé ailleurs, voulut s’emparer de Rosheim, en Alsace. Comme il avait aussi offensé Anne de Castille, veuve de Thiébaut II, comte de Champagne, il vit ses ennemis se réunir, et envahir ses Etats. Il chercha sa sûreté en s’enfermant dans le château d’Amance. Frédéric vint l’y assiéger. Le duc, soit que la place ait été prise d’assaut, soit qu’il ait mieux aimé se rendre que d’en causer la destruction, se rendit prisonnier.

Il dut accepter de dures conditions pour obtenir la paix : il reconnut la comtesse de Champagne pour sa suzeraine (clause qui ne fut jamais oubliée en France). Frédéric l’emmena prisonnier à Wurtzbourg ; Henri, abbé de Senones, n’entendant plus parler de lui, envoya à sa recherche le moine Richer qui le trouva dans cette ville. Il recouvra enfin la liberté moyennant le paiement de 1.200 livres de fort. Frédéric le laissa partir, mais il le fit accompagner par une femme qui l’empoisonna, à Strasbourg, selon les uns, ailleurs, selon les autres. Cet acte monstrueux étonne peu de la part de Frédéric II. Il laissa le trône ducal à son frère.

 

MATHIEU II (1220-1251).

Sa mère, Agnès de Bar, réclama la possession de Nancy, son douaire, et la mainbournie, c’est-à-dire la tutelle de son fils. Celui-ci lui dit : Maître si-je et le serai. Elle céda.

La comtesse de Champagne engagea Gertrude de Dagsbourg, veuve de Thiébaut Ier à réclamer son douaire, le comté de Dagsbourg, la ville de Nancy et Gondreville ; elle la fit ensuite épouser par Thibaut IV, son fils ; c’était le démembrement de la Lorraine qui se préparait. Ce mariage fut dissous à cause des liens de parenté des époux ; elle épousa Simon, comte de Linange, et mourut sans enfant. Le duc Mathieu dut payer les dettes de son frère et la moitié de celles qu’il avait contractées à Metz.

Le duc vint à Troyes faire serment à son seigneur, selon le traité d’Amance ; le comte de Champagne exigea de lui la remise de fiefs à Gondreville ; il le pressa encore pour qu’il accordât aux gens de Neufchâteau le droit de nommer leurs magistrats, et s’interdît d’arrêter un citain de cette ville sans l’agrément du conseil de ville.

Le duc épousa Catherine de Limbourg (dans le Luxembourg), en 1229 ; elle lui apporta 3.000 livres en dot. Agnès de Bar, veuve de Berry II, rendit au duc Longwy et Amance.

L’évêque de Metz le nomma voué de Sarrebourg ; il s’empara du château de Haute-Pierre, au-dessus de Moyenmoutier ; ce château appartenait à un membre de la famille de Parroy. Mathieu avait fait prisonnier dans une guerre l’évêque de Lyon ; Renaud de Bar, pour qui il faisait cette guerre, l'obligea à le rendre à la liberté. Henri de Bar, prévenu par un traître que le pays était sans défense, se jeta en Lorraine ; il y brûla soixante-dix villages. Par représailles, le duc en brûla autant dans le Barrois, et détruisit le pont qui était devant Mousson.

Dans la paix qui intervint, en 1231, le duc restitua au comte de Bar une part dans Alliance qui lui revenait ; mais le comte restitua les armes prises. Le pont de Mousson lut réparé; Blanche de Champagne dut fournir pour sa part un maçon et un charpentier.

Les Messins révoltés suscitèrent une guerre entre le duc de Lorraine et leur évêque Jean d’Apremont. Mathieu brûla le bourg de Pont-à-Mousson. Renaud de Bar, allié du duc, se laissa gagner par l’argent des Messins, il se retourna contre lui et incendia Neufchâteau. Les partis se rencontrèrent à Champigneulles ; le duc fut entouré, il allait périr, quand un de ses serviteurs, un jeune Messin, s’écria : Gardez de verser ce sang qui est le sang pur de mon maître ; il fit au duc un rempart de son corps et tomba mort à ses pieds. Mathieu s’échappa par la forêt de Haye et s’enferma dans le château de Gondreville ; la paix se fit sur les conditions de 1231.

En 1243, il acquit de Hugues, comte de Lunéville. Lunéville, Gerbéviller, Valfroicourt, en échange du château de Heitzemberg, de ses biens de Saint-Dié, Etival, Moyenmoutier, Raon, Bruyères et la Bourgonce. Puis, le comte les lui rendit moyennant le paiement de 3.300 livres, monnaie de Metz.

Mathieu II crut que les habitants de Neufchâteau l'avaient trahi précédemment : il leur reprit leurs libertés ; mais s’apercevant de son erreur, il les leur rendit. Il institua les tabellions : quatre pour Nancy, et deux dans chaque prévôté. Les seigneurs gardèrent leurs droits d’authentiquer les actes ; mais ils furent astreints à les faire viser par le Conseil.

Le duc jouissait d’un grand renom dans les pays voisins ; il signa immédiatement après le duc de Bavière dans l’élection faite à Wurtzbourg de Henri de Thuringe contre Frédéric II. Celui-ci envoya son fils envahir les Etais du duc de Lorraine. Celui-ci l’arrêta à Macheren, au-delà de Trêves, par les bonnes dispositions qu’il fit prendre à ses troupes.

En 1250, il maria sa bile à Thibaut IV, comte de Champagne, et mourut en 1251. Fut le duc Mathieu moult saige et magnifique seigneur, aimait la justice dont moult hauts faits seraient trop longs à dire ; telle était lopinion quavaient de lui ses contemporains.

Ses enfants étaient : Ferry, Laure, Catherine, Isabelle, Marguerite. On ajoute sans preuve : Thibaut, comte de Prény, et Renaud, comte d’Amance. Des titres de 1244-1245 mentionnent Geoffroy, comte d’Amance, avec le titre de Monseigneur, réservé aux membres de la famille ducale.

Sous son règne les Hospitaliers possédaient déjà la Bouzule.

En août 1247, en considération de l’affection qu'il avait pour frère Morel, il abandonna aux Hospitaliers un pré entre la Bouzule et Champenoux ; Vivien d’Amance donna une vigne. Le duc confirma ces donations.

 

FERRY III (1251-1303).

Le jeune duc n’avait que 9 ans quand son père mourut ; sa mère, Catherine de Limbourg, dut se charger de la mainbournie. Les Toulois se révoltèrent contre leur évêque Roger de Marey, à cause des ordonnances qu’il fit pour les marchands de drap ; ils s’allièrent aux Messins. Les Toulois durent rendre leur ville aux alliés, Catherine de Limbourg, Thiébaut II de Bar et Henri II de Luxembourg ; la municipalité fut abolie.

Dans un traité d’alliance et d’arbitrage de ces princes, nous lisons les noms des garants du traité, les seigneurs de Rayon, Darney, Dombasle, Parroy, Vandières, Haussonville, etc...

En 1254, année de la mort de Thibaut IV de Champagne, Ferry III commença à régner. Il ratifia son mariage, que son père avait conclu, avec Isabelle de Castille el de Navarre, fille du roi de Navarre, comte de Champagne. Neufchâteau, Varangéville, Port, Châtenois et Nancy furent assignés pour son douaire ; elle rendrait Nancy, quand les revenus de son douaire aillaient remboursé sa dot, qui était de 12.000 livres. C’est ainsi que Nancy fut donné cinq fois en douaire aux duchesses de Lorraine. Si le duc mourait sans enfant, on y ajouterait Lunéville et Gerbéviller.

Le duc commença son règne par des acquisitions. Il donna sa sœur Catherine en mariage à Thiéry, comte de Montbéliard ; il promit en dot 1,000 livres qui devront lui être rendues, si elle mourait sans enfant. Il céda à son beau-frère successivement Marsal, Metz (la vouerie) et Stenay. Il acquit des parts de salines, à Rosières d’un de Lenoncourt, de Régnier d’Haussonville en 1257, de Huard de Bauffremont, 1282, de Simon de Rosières, à qui il cède Charmes et Fontenoy et de ses parents Jean, Agnès, Vautrin, Agnès en 1291-4-6 et 1301, au prix de sommes d’argent. En 1283, il abandonna aux frères de Saint-Jean du Vieil-Aître et Robécourt la seigneurie de Mazerulles, contre leur part de saline à Rosières. Le Commandeur recevait le droit d’y établir un maire, des échevins, un doyen, d’avoir un cep (salle de police), pour 24 heures ; de tenir les plaids annaux, le lundi après le jour des Rois. Il a le droit des corvées, four banal, cens en poules et en argent et un moulin. Le Commandeur possédait déjà le bois Saint- Jean : une partie de ce bois, située sur le bois d’Erbéviller, a trois parcelles appelées bois Morel, Salimatan (Salimentum, prix du sel) et Régichamps.

En 1284, Bouchard, cet évêque de Metz dont on disait : «Voilà un évêque belliqueux qui ne craint guère le bruit» — et Ferry III firent cette convention : L’étang de Buissoncourt demeurera avec ses dépendances à Ferry III, ainsi que la Neuveville ; et la forteresse de Buissoncourt avec ses dépendances et tout ce que l’évêque tenait à Gourbessaux, à Gilleroncourt (Gellenoncourt), à Réméréville, Erbéville et Bonneville (Sornéville), seront partagés par moitié entre l’évêque et Ferry.

Sa sagesse était proverbiale. En Allemagne, il fut pris pour arbitre entre le duc de Bavière et le comte de Luxembourg, qui se disputaient le trône impérial. Après la mort de Guillaume de Hollande, il fit élire à la dignité impériale, à Worms, son cousin Alphonse de Castille ; il en reçut comme récompense une pension de mille écus sur la ville de Burgos.

Nous ne pouvons le suivre dans toutes les guerres qu’il fit. Dans un combat livré aux Toulois révoltés, il leur tua deux cents hommes. Dans une guerre faite pour soutenir Philippe de Florange, évêque de Metz, il bâtit le château de Coudé (Custines) au confluent de la Meurthe et de la Moselle. Thiébaut de Bar était son allié ; puis, par un revirement subit, il devint son ennemi et s’attaqua au château de Prény, dont il ne put s’emparer. Pendant ce temps, Henri III de Vaudémont tua et noya des soldats lorrains et surprit la ville de Neuf château qu’il mit au pillage. Le duc se retourna sur lui, le vainquit ; le comte s’enfuit à Naples.

Philippe de Florange, convaincu de simonie, fut destitué par le pape ; il fut remplacé par un parent du comte de Bar. Celui-ci mit hypothèque sur Vie et Marsal en garantie des sommes que Florange lui devait.

Ferry, qui n’était pas payé des dépenses qu'il avait faites, s’allia à Henri, duc de Luxembourg ; il brûla Ligny, mais battu à Prény, le 14 février 1266, il resta prisonnier du duc de Bar et fut enfermé à Mousson.

Le partage de sa rançon ralluma la guerre ; Ferry III et le comte de Bar, devenus alliés, se jetèrent sur les terres de Guillaume, évêque de Trêves. Celui-ci appela à son secours l’évêque de Cologne ; il appela ses propres vassaux d’Alsace et de la Sarre. Le duc fut battu à Domevre et à Epinal. Thibaut V de Navarre intervint à propos et mit la paix. Ferry garda Condé, à condition qu’il ne réclamerait plus ce que révoque lui devait.

Le duc de Lorraine et le comte de Bar ne se trouvant pas payés des dettes remontant au temps de Florange, évêque de Metz, s’attaquèrent au nouvel évêque de Metz, Laurent et à son allié Conrad de Lichtemberg, évêque de Strasbourg. Ils prirent Condé, rendu à l’évêque (puisqu’ils réclamaient les dettes). Ils furent excommuniés, mais les évêques tombèrent en leur pouvoir au combat de Hadigny, près de Châtel-sur-Moselle ; les deux princes s’emparèrent d’Epinal, Marsal, Vic et des châteaux de Deneuvre et de Réméréville.

Le pape Grégoire X donna sommation aux deux seigneurs d’amener les évêques prisonniers an concile de Lyon et de conclure avec eux une paix équitable. A la fin de 1274, le duc Ferry rendit Deneuvre et Réméréville, mais il garda Vie et Marsal, comme gage des sommes qui lui étaient ducs, et comme caution contre les représailles des vaincus. Thiébaut consentit à rendre Laurent à la liberté, moyennant 20.000 livres payables en vingt années. Rodolphe de Habsbourg intervint en faveur de l’évêque de Strasbourg qui dut payer une énorme rançon ; le simple chevalier Burckard de Gérolseck paya cent cinquante-deux marcs.

Henri V de Salm épousa la veuve de Renaud de Castres, parent de Ferry III ; Laurent, évêque de Metz, de qui dépendait Castres, ne lui donna l'investiture qu’à condition que Castres ne reviendrait jamais au duc de Lorraine. Celui-ci prit cette clause pour une injure et la guerre recommença. Laurent de Metz, Conrad de Strasbourg et le duc de Deux-Ponts s’unirent contre Ferry III, Henri de Vaudémont revenu d’Italie et Henri de Bar qui amena cent cavaliers ; Thiébaut, son père, resta neutre.

La fortune trahit deux fois les armes de Ferry et de ses alliés ; puis, ils remportèrent une victoire décisive. Las de combats, ils acceptèrent l’arbitrage de Gobert d’Apremout. Ferry III, n’ayant ni droits, ni seigneurie à Lay-Saint-Christophe, Villy-le-Sec, et n’ayant que la moitié des villages du ban de Réméréville, dut les rendre.

L’évêque de Metz dut payer à Ferry 2.000 livres (monnaie de Metz) ; 1.000 livres, huit jours après Pâques de 1279, et 1.000 à la même époque de 1280. Ferry battit à Genivaux les Messins qui avaient profité de ses embarras pour envahir ses Etats ; mais, à la paix, il lui fallut payer 2.000 livres pour Choiseul son allié tombé entre les mains de l’ennemi pour la troisième fois.

Deux évoques se succédèrent à Metz, Jean de Flandre (1283), puis Bouchard d’Anvers. Celui-ci céda Castres à Ferry III, sans clause de rachat. L’évêque paya, mais le duc voulut retenir le gage : de là, une guerre qui dura de 1288 à 1291. L’évêque porta ses ravages dans les Vosges ; le duc prit Saint-Avold, puis il fut battu par surprise à Beuvannes-sous-Belrain. Bouchard vint assiéger Prény avec quatre mille hommes et cent cavaliers ; ce fut sans succès ; après six semaines il se retira. A la paix, le duc abandonna Bambervillers, Deneuvre et Condé.

Ferry III n’avait pas lieu d’être satisfait, il reprit encore les armes et fut blessé entre Bitche et Sultzbronn; son dernier exploit fut d’infliger une défaite aux citains de Toul.

A la fin de son règne, il affranchit Nancy, Saint-Nicolas-du-Port, Lunéville, Gerbéviller et Amance (1265), comme l’était déjà Neuf château ; il voulut que les sentences du tribunal des Assises fussent soumises à sa ratification ; cette mesure touchait au vif la puissance des seigneurs ; elle excita leur ressentiment et les entraîna dans un complot contre Ferry III.

L’un d’entre eux, Andrian des Armoises, dressa que embûche dans laquelle le duc tomba au milieu d'une chasse à Laxou. Ce seigneur avait une femme jolie qui trouvait que le duc ètait plus accord au jeu que soit, bicoutoux d'Andrian ; il cherchait à se venger de son déshonneur. Le duc fui saisi pur des gens masqués ; on lui banda les yeux ; on lui fit faire cent détours dans la foret de Haye : il fut conduit et enfermé dans un donjon que le sire des Armoises possédait à Maxéville. Ou ne sut dans le pays ce qu’il était devenu. Un jour le toit de cette prison fut emporté par une tempête ; le couvreur Petit Jean Trillon faisant la réparation chantait une complainte sur le malheur du duc. Celui-ci se lit connaître ; il lui donna son anneau pour le porter à Isabelle, son épouse. Celle-ci envoya Trillon avec dix hommes délivrer le duc et raser la tour ; c'était en 1269 ou 1270. Le duc pardonna, mais il fit peindre un if, signe d’infamie, sur les châteaux des conjurés, et quand il dînait chez le duc Andrian avait son pain et son couvert renverses. Dom Calmet et Durival considèrent ce fait comme une faille ; pourtant Petit Jean anobli et devenu du Hautoit, ainsi que ses successeurs eurent le privilège, au Vendredi-Saint, dadorer la croix après le duc et avant tout autre. Comment contester cela ?

La paix profita plus à Ferry III pour agrandir ses domaines que la guerre. Isabelle, héritière des comtes de Toul, lui vendit Mirecourt, qui devint le chef-lieu du bailliage des Vosges. Il vendit pour 28.000 livres au comte de Bar la châtellenie, le château et la ville de Longwy. Il fortifia Saint-Dié, bâtit un château au-dessus de Raon-l’Etape ; le château de Frouard fut rebâti ; il mit mie forteresse à Plombières. Les chanoinesses de Remiremont réclamèrent la propriété de ce lieu ; il le leur rendit à condition de le tenir de lui en simple fief.

Les comtes de Bar envahirent en ces temps-là les domaines du monastères de Beaulieu ; les moines se réclamèrent du roi de France. De là naquit une question géographique : la France a-t-elle pour limite la Bienne ou la Meuse ? Edouard d’Angleterre, le comte de Flandre, le comte de Nassau s’unirent an comte de Bar contre Philippe IV, roi de France. Le duc Ferry, comme vassal de Flandre, à cause du comté de Gand reçut l’ordre d’amener son contingent. Henri III de Blâmont reçut 2.000 livres tournois pour se joindre aux allies ; tous se jetèrent en Champagne. Henri de Bar et Henri de Blâmont furent les victimes de la paix qui intervint ; elle fut désastreuse pour eux : la Meuse fut reconnue comme limite de la France ; Henri III fut envoyé en Chypre ; comme il revenait, pardonné par le roi, il mourut à Naples.

Là suzeraineté du roi de France resta établie pour toujours sur la partie du duché située au-delà de la Meuse. Cette suzeraineté pesa plus lourdement encore sur le duc de Bar.

Plutôt que de se soumettre à ce vasselage, Ferry céda à son second fils Thiébaut les villes de ce pays, Neuf-château, Montfort, Châtenois, Frouard et le comté de Gand, pour qu’il en fît hommage au roi.

Philippe le Bel ne s’en tint pas là : il obtint des papes Martin IV et Honorius III les dîmes ecclésiastiques de Metz, Toul et Verdun.

Ferry  III mourut en 1303 ; Marguerite de Navarre le suivit au tombeau en 1310 ; elle fut enterrée au couvent des Dominicaines, ancien château ducal que le duc lui avait donné et qu’elle abandonna aux religieuses. Son fils Thiébaut lui succéda ; Mathieu, sire de Belrouard, près de Raon, épousa Alix, fille de Thiébaut de Bar ; Isabelle fut épousée en secondes noces par Henri III de Vaudémont.

 

THIÉBAUT II (1303-1312).

Eu 1281 ou 1282, il avait épousé Isabelle, fille de Hue, comte de Rumigny. Philippe le Bel épousa l'héritière de la Champagne ; Thibaut, vassal de Champagne, fit difficulté de se reconnaître l'homme-lige du roi. Pour le gagner, Philippe le Bel lui donna des lettres par lesquelles il renonçait à Neufchâteau et aux villes de la mouvance ; mais les lettres ne furent pas enregistrées au Parlement.

Vassal du roi, il se trouva à la bataille de Courtray, où il fut fait prisonnier ; il lut conduit à Lille ; le roi paya sa rançon et chargea Isabelle de la porter à son époux.

Thiébaut défendit aux seigneurs ses vassaux de se faire la guerre sans sa permission et aussi de rendre aucun jugement sans que le jugement ait dû être de la bouche du duc, ni sans qu’au jugement ait été mis son scel et couloir. C’étaient des atteintes à la puissance des seigneurs ; ils se révoltèrent et recrutèrent une armée de mercenaires ; ils furent vaincus près de Lunéville et bon nombre de leurs châteaux furent démolis par le duc. Il ordonna que toute trame contre lui serait punie de la vie du coupable, à moins qu’il ne se rachetât an prix de 10.000 livres de petits tournois et de la perte de son fief.

C’est à la valeur de Thiébaut II que le roi de France dut de remporter la victoire de Mons-en-Puelle, 18 août 1304. Philippe le Bel vint lui rendre une visite d’amitié à Nancy ; il fut reçu au milieu des fêtes ; mais cette démarche cachait les desseins du roi sur Toul ; le chapitre renouvela les appels à la protection du roi (1289­-1291-1304) ; les bourgeois se mirent sous sa garde. Son ministre lui montra dans un rapport que le roi devait étendre son, royaume du côté de la Lorraine ; que les habitants sont caillants et habitués aux combats ; qu’il fallait construire des forteresses sur les frontières, les armer et les approvisionner ; profiter des fautes du duc de Lorraine pour l’asservir, et si lui et ses peuples ne se soumettent au Roi, qu’ils en meurent.

Le duc suivit le roi à Lyon pour assister au couronnement de Clément V, le premier des Papes qui se fixèrent à Avignon. Un mur chargé de spectateurs s’écroula, Thiébaut II eut un bras et une jambe cassés ; le duc de Bretagne y mourut.

Le comte de Vaudémont profita de son malheur pour envahir à l’improviste le duché avec 600 hommes ; il ravagea Vandœuvre, Laxou et Maxéville. Le dur, guéri de ses fractures, ravagea à son tour le comté de Vaudémont et atteignit le comte à Réméréville. Mais celui-ci remporta la victoire, ainsi qu'à Pulligny. L’évêque de Toul intervint et rétablit la paix entre les belligérants ; Henri III épousa Isabelle, la sœur du duc.

La question de l’hérédité du duché inquiétait alors les écrits ; les Etats se réunirent à Colombey pour en fixer la loi dans la famille ducale. Il fut décidé que quand le duc meurt et que le fils du duc l'a précédé dans la mort laissant des enfants ou des filles, ce sont ces enfants qui succèdent à l'exclusion des oncles et de tous autres.

En ce temps-là Clément V décida la levée d’un décime de guerre sur tous les biens ecclésiastiques pour aider les hospitaliers à conquérir l’île de Rhodes ; il chargea le duc de Lorraine de lever ce décime dans ses Etats et dans les Etats voisins. Renaud de Bar fit au duc des observations qui ne furent pas accueillies ; cet évêque appela à son aide Edouard, comte de Bar, son frère. Nicolas, comte de Salm et fit la guerre à Thiébaut. Celui-ci détruisit le château de Wormerange ; les alliés prirent et pillèrent Lunéville et vainquirent le duc en deux combats. Le duc prit sa revanche à Frouard ; voyant la faiblesse de ses troupes et le bon ordre qui régnait dans l'armée des ennemis, il se posta sur la hauteur ; il prépara sur la crête des rocs pour les faire rouler sur les assaillants. Ceux-ci montèrent à l'assaut en désordre. Le duc fit mettre pied à terre à ses chevaliers, il fit rouler les pierres sur l'ennemi. La victoire fut complète ; l’ennemi eut 200 hommes tués, des noyés ; les comtes de Bar et de Salm restèrent prisonniers .

Pendant que les deux partis discutaient les conditions de la paix, Thiébaut II mourut.

Comme ses prédécesseurs, il avait eu des relations avec l'Allemagne ; il assista au sacre de Henri de Luxembourg comme roi des Romains, à Aix-la-Chapelle. Il confia même à Jacques de Rumigny, le gouvernement de son duché pour suivre l'Empereur en Italie. C'est à Milan qu’il ressentit les premières atteintes de son mal : il se crut empoisonne.

Les gens de Neufchâteau lui firent une querelle qu’il ne termina point. Ceux-ci étaient des commerçants ; ils prétendirent que la monnaie du duc, frappée dans leur ville, contenait plus de cuivre que de droit et que cela nuisait à leur commerce ; ils ne craignaient pas de l’appeler faux-monnayeur. Pourtant Mory d’Elvange dit que la monnaie était loyale. Le duc s’empara de trois d'entre eux. Les plaignants s’adressèrent à Louis le Mutin, comte de Champagne, pour soutenir leurs plaintes près de son père, le roi de France. Sur l’ordre du roi le procès fut instruit au criminel à Paris ; le sire de Joinville et d’autres furent envoyés à Darney, résidence du duc, pour lui signifier de comparaître. En attendant les suites, le roi s’empara de Neufchâteau ; le duc demanda la paix le 13 janvier 1312 ; il promit d’indemniser les marchands de Neufchâteau ; il donnait comme caution Montfort, Frouard et Châtenois, mais l’affaire ne fut pas terminée.

C’est de son temps que fut réglée l’affaire des Templiers : ceux de Lorraine furent reconnus innocents au concile de Trêves en 1310. Jacques de Molay et deux cent trente-un chevaliers et servants furent condamnes à Paris pour les mêmes crimes que l’on avait imputés aux chevaliers lorrains, et moururent sur le bûcher. Leur ordre fut aboli par Clément V au concile de Vienne; en Allemagne, leurs biens furent départis ordre les Hospitaliers et les Teutoniques. On n’a point de ren­seignements sur ceux de Lorraine ; ils se renfermèrent à Brouvelieures, pensant être rouverts par l’oubli : on les assaillit, ils furent passés au fil de l’épée ainsi que les habitants du lieu.

C’est le 13 mai 1312 que Thiébaut II mourut. Il fonda à Darney, son séjour habituel, une collégiale. Les soins qu’il prit des châteaux de Nancy et d’Einville montrent qu’il y vint souvent ; il donna trente livres a Manuel, son secrétaire ; il fit réparer le tort porté aux chanoinesses de Chaumouzey en brûlant leur moulin d’Art-sur-Meurthe. Il fit restituer aux propriétaires de Nancy et d’Einville le prix des jardins qu’il avait pris sans paiement pour faire ses parcs. Il fonda une messe annuelle à Chaumouzey pour le repos de son âme et de celle de Ferry III. Il témoigna le regret d’avoir enlevé aux seigneurs leurs droits ; mais il ne leur rendit pas.

Parmi ses enfants sont : Ferry, qui lui succéda, et Isabelle, qui eut la châtellenie de Bilche.

 

FERRY IV (1312-1328).

Il eut d’abord à régler les affaires laissées en suspens par la mort de son père. En juin 1312, il fut cité au Parlement de Paris par suite des plaintes des trois Neufchâtellois dont son père s’était saisi.  Il dut se reconnaître vassal du roi pour Neufchâteau, réparer les violences faites à ses citains et rester en otage à Paris jusqu’à entière exécution du jugement.

Fatigué de ces affaires et de leurs tristes suites, le duc céda Neufchâteau ; il le donna en dot à sa nièce Isabelle de Rumigny, épousée par Gauthier, connétable de Châtillon. Celui-ci se mit à battre monnaie, Ferry IV fit des difficultés à admettre leur circulation en Lorraine, puis il y consentit à condition qu’elles fussent frappées avec le coin de Lorraine.

Ferry IV réclama auprès de Philippe V contre la vas­salité que le roi imposait au duc de Lorraine, à cause de Neufchâteau ; il invoquait le témoignage de Henri, sire de Blâmont, Henri  III, de Vaudémont, et Mathieu de Rumigny ; il montra que Neufchâteau n’avait jamais appartenu an domaine de France et qu’ainsi la France ne pouvait revendiquer un droit qui n’appartenait qu’à la Champagne. Louis X, successeur de Philippe, ne reçut l'hommage de vassalité du duc que comme maimbour de sa fille comtesse de Champagne.

Le comte de Bar restait toujours prisonnier ; Louis de Navarre, comte de Champagne, intervint en sa faveur ; un traité fut conclu : le comte consentit à payer 90.000 livres tournois pour prix de sa liberté ; il donna pour caution les châteaux de Lamothe, Gondrecourt, Lamarche, Contiens et Châtillon ; il céda au duc la mouvance de Vaudémont, acquise autrefois par une guerre heureuse. 11 se hâta de payer sa rançon pour récupérer ses biens.

Après avoir satisfait aux demandes de quelques seigneurs de sa famille, Ferry IV épousa Isabelle, fille d’Albert d’Autriche et petite-fille de Rodolphe de Habsbourg ; ce mariage très honorable fut pour lui la cause d’événements graves et fâcheux.

Lors de l’élection d’un empereur d’Allemagne, les électeurs se partagèrent en deux partis : les uns élurent, à Francfort, Louis de Bavière ; les autres, à Worms, Frédéric le Bon de Habsbourg. Une guerre s’ensuivit entre les deux élus ; Ferry dut soutenir son parent et se trouva dans les batailles de Strasbourg, Muhldorf et Salzbourg ; Frédéric, son frère, et le duc de Lorraine tombèrent entre les mains de l’ennemi. Le roi de France Charles V intervint en faveur de son vassal Ferry IV, il fut rendu à la liberté à la condition qu’il n’interviendrait plus dans les affaires de l’empire.

A son retour en Lorraine, il trouva le pays en proie à l’anarchie, à la famine et à la guerre. En 1320, le comte de Bar, le sire de Commercy et cinquante chevaliers attaquèrent la ville de Toul ; ils étaient du parti de Louis de Bavière. Le duc intervint comme médiateur de paix ; son intervention fut inutile, car les Toulois vainquirent, à l’aide des Messins, leurs ennemis à Dieulouard et à Gondreville ; ceux-ci se tinrent désormais tranquilles.

Le comte Edouard de Bar entreprit une guerre contre Jean de Luxembourg ; il acheta la neutralité de Ferry IV en lui cédant la seigneurie sur l’Avant-Garde, Pierrefort, Boucanville etc..., et ainsi devint son vassal pour ces lieux. Charles IV, roi de France, profita de la querelle de ces seigneurs pour avancer en ces pays l’influence française. Un traité fut conclu le 28 mai 1323.

En 1324, l’orgueil des Messins attira sur eux un orage redoutable : Ferry IV, Edouard de Bar, Baudoin, évêque de Trêves, le roi de Bohême, s’attaquèrent à leur ville. Le duc de Lorraine fournit cinq cents hommes d’armes; le comte de Bar, autant ; le roi de Bohême et l’évêque, deux cents chacun. Comme chaque homme d’armes était accompagné de deux écuyers, on voit que l'armée s’élevait à cinq mille hommes. L’évêque de Metz lui-même se mit de leur parti : les citains de Metz avaient remplacé leurs treize jurés par vingt prud’hommes de leur choix ; ils avaient usurpé le temporel de quelques églises ; ils obligeaient les prêtres à administrer les derniers sacrements aux Lombards et usuriers sans les obliger à restitution ; ils forçaient les prêtres à plaider devant les tribunaux civils et défendaient aux clercs d’acquérir des biens dans leur cité. Le siège de Metz commença après les vendanges ; bientôt la famine se déclara dans la ville ; les assiégeants brûlèrent le faubourg Saint-Julien. La ville ne pouvait manquer d’être prise bientôt, mais Amédée de Genève, son évêque, eut pitié de la détresse de ses diocésains ; il fit conclure la paix le 3 mars 1325 ; tous les belligérants étaient las. Les Messins considérèrent le traité de paix comme avantageux ; ils eurent à payer 15.000 livres de petits vieux tournois.

Le duc Ferry IV fut encore entraîné dans une guerre pour le roi de France ; elle devait lui être funeste. Les Flamands chassèrent leur duc Louis. Philippe de Valois appela ses vassaux sous les armes ; Ferry et Edouard de Bar en étaient. La victoire fut remportée à Cassel, mais parmi les morts se trouva le duc de Lorraine, ainsi que Jean de Lenoncourt qui fut tué avec lui, 21 avril 1328. Sou corps fut ramené en Lorraine ; et reçut la sépulture dans le monastère de Beaupré, près de Lunéville. Parmi ses enfants, on remarque Raoul, qui lui succéda; Ferry, comte de Lunéville, et mi bâtard qui épousa Alice de Haraucourt. Il eut le renom de luiteur (lutteur) ; on cite un exemple de son impétuosité : les Toulois ne lui payaient pas les cent livres promises à Thiébaut II ; avec quarante hommes seulement il entra dans Toul et obligea les bourgeois à lui donner satisfaction.

 

RAOUL (1328-1346).

Le duc n’avait que neuf ans et quelques mois quand son père mourut. La régence fut remise à la duchesse Isabelle d’Autriche, avec le concours des oncles de Raoul, d’autres seigneurs et de Thomas de Bourlémont.

La régente obtint de l’évoque de Toul une indemnité de 2.000 livres pour les ravages que ses mercenaires avaient faits dans les villages lorrains, pendant la guerre qu’il faisait à Erard de Thelod et à Pons d’Acraigne (Frolois) ; en outre, l’évêque paya 2.000 livres qu’il devait à Ferry IV.

La garnison de la ville épiscopale de Liverdun faisait des incursions incessantes et des ravages dans le duché; la régente attaqua cette forteresse et la démolit.

Après un mariage qui dura peu, Raoul épousa Marie de Blois, fille de Guy de Châtillon. Sa mère Isabelle vint à mourir ; elle fut inhumée dans l’église collégiale de Saint-Georges qu’elle venait de fonder.

L’évêque de Toul rebâtit Liverdun et y mit une garnison de Barisiens ; le duc Raoul protesta et le capitaine Brunel fut chargé de porter à Toul cette protestation ; les Barisiens sortirent et les Lorrains entrèrent. Mais pendant que ceux-ci prenaient plaisir à des jeux dans la campagne, les Barisiens y rentrèrent par surprise. Une guerre suivit , le duc ravagea les environs de Pont-à-Mousson ; les Barisiens en firent autant en Lorraine ; Philippe de Valois imposa son arbitrage et la paix en suivit.

Il est inutile de raconter d’autres guerres semblables faites pour des causes futiles et sans résultat.

En 1334, la ville de Vaucouleurs fut cédée à la France par Ansel de Joinville, qui en était le seigneur.

Philippe VI, roi de France, ménageait Raoul et le duc de Bar, parce qu’il pensait avoir besoin de leur concours dans une guerre qui se préparait avec l’Angleterre : la trêve qui existait entre eux allait être à son terme.

En attendant les hostilités, le duc Raoul fit vœu d’aller en Espagne secourir le roi de Castille menacé par une invasion de 400.000 Musulmans, venus du Maroc, conduits par Abdil Hassan. Les princes chrétiens, dans un élan admirable, accouraient de toutes parts. Raoul arriva à temps pour assister à la bataille de Tariffa qui fut livrée le 3 novembre 1340 sur les bords du Salado ; ce fut le salut de l’Espagne.

La vaillance du duc se montrait partout ; dans la guerre entre Charles de Blois, son beau-frère, contre Jean de Montfort, il entra en lice dans un combat semblable à celui des Trente, lui quarantième contre quarante chevaliers bretons.

Les Toulois refusèrent encore de payer les cent livres; Raoul, dédaignant de prendre les armes, en appela à l’arbitrage du roi de Bohême qui les condamna à payer.

En juillet 1340, Vautrin l’Averne de Vic et Elise, sa femme, reprennent du duc Raoul ce qu’ils possèdent à Courbessaux et à Réméréville.

La même année, le sir de Belrouard (près de Raon), se sentant protégé par Adhémar, évêque de Metz, faisait des ravages en Lorraine avec des aventuriers grands voleurs qui furent jamais, pillard el mettant à mal mercantiers et forains. Raoul prit la petite ville de Baccarat du temporel de Metz, L’évêque reprit Belrouard. Les deux partis nommèrent des experts qui durent se rendre à Marsal pour traiter de la paix ; ce furent Jean de Coincourt et Baudoin de Vic pour Léveque ; Jean de Roville et Jean de Rosières pour le duc.

Avant que les experts se fussent accordés, il s’éleva un autre sujet de guerre. La régente avait fait élever un château à Amelécourt pour défendre les salines que le duc possédait à Courcelles ou Château-Salins. L’évêque éleva en face le château de Beaurepaire. Raoul en demanda la démolition ; ce fut en vain. Il obtint le concours de Henri IV de Bar et de Pierre de Bar, sire de Pierrefort ; c’était en 1342. L’évêque assembla des troupes et en donna le commandement à Gauthier de Monteil, son frère. Celui-ci commença l’attaque ; il n’osa assiéger Nancy, mais il en ravagea les environs ; il revint sur Courcelles, défendu par Pierre du Châtelet ; c’est par la négligence de l’évêque que la ville ne fut pas prise. Le duc attaqua son adversaire et lui tua 200 hommes ; l’évêque s’échappa a avec peine et Beaurepaire fut détruit.

L’évêque revint à la charge ; mais le duc le poursuivit jusqu’à Saint-Avold. Les troupes de Monteil firent une sortie et n’eurent pas à combattre, parce que les Lorrains, négligents à leur tour, furent surpris et s’enfuirent. Le duc Raoul tombé allait être pris, lorsque Salm et Vaudémont accoururent le remettre à cheval ; il se sauva et vint à Alliance.

Philippe VI allait avoir besoin du concours de ses vassaux ; il intervint et fit conclure la paix : Adhémar de Monteil dut payer 10.000 livres à Raoul ; celui-ci rendit à l’évêque Rambervillers et Moyen ; le prélat céda aussi au duc la châtellenie de Turquestein. Dans une lettre à ses vassaux, l’évêque leur annonce ce changement ; l’acquisition du duc était notable ; elle comprenait le Val de Bon-Moutier, Circy, Saint-Quirin, Hattigny, Vacqueville, Nierderholf, Laudange, Lorquin, Aspach, Xouaxangc, Hess et Hermelange ; le duc Raoul en devint le seigneur suzerain.

Au commencement de la guerre contre l’évêque de Metz, Raoul dut faire le siège du château de Vandières ; il était défendu par une femme Alix de Champey, veuve du sire de Vandières. Bien qu'elle eût déjà quarante ans, elle compta plus sur la puissance de ses larmes que sur la vaillance de ses soldats pour gagner la bienveillance de Raoul. Elle l’aborda en pleurant ; nous ne citerons pas les paroles naïves du chroniqueur, Louis de Haraucourt, nous rappellerons seulement au lecteur que le duc se trouva comme Télémaque dans l’île de Calypso sans trouver un Mentor pour l’en tirer. Cette dame fut installée au château du Saulru ; la duchesse eut à pleurer des visites quotidiennes que le duc lui rendait ; les Lorrains murmuraient contre la Vandières.

Bientôt il naquit de cette aventure un fils qui fut appelé Aubert ; cet enfant eut la beauté de sa mère. La duchesse l’ayant rencontré quand il fut grand, pleura en disant : Ce bel enfant devrait être le mien.

La guerre sépara le duc de cette femme ; elle lui écrivit des lettres que le comte de Haraucourt a admirées.

La guerre de Philippe VI avec les Anglais était déclarée ; Raoul fit fabriquer les armures à Mirecourt sans retard. Alix, par l’intermédiaire d’un nommé Jehan, soudoyait secrètement les ouvriers pour ralentir l’ouvrage et le départ du duc. Malgré ces obstacles, il partit avec trois cents hommes et arriva à Abbeville, le 25 août 1346 ; le lendemain se livra la funeste bataille de Crécy. Le duc fut entouré par les ennemis, il fut tué ; périrent avec lui le comte de Blois, Henri IV de Vaudémont, un sire de Salin, Roger de Heu.

La veille de la bataille, Raoul avait un pressentiment de sa fin prochaine ; il fit sou testament : il légua la régence du duché à Marie de Blois ; il institua deux services religieux pour Ferry IV et pour lui ; il donna soixante livres de fort tournois à son fils Aubert ; il commanda de terminer la collégiale de Saint-Georges.

Ferry avait commencé la bâtisse d’un nouveau palais ; Thiébaut II et Ferry IV, l’avaient continué ; Raoul y mit la dernière main. C’était un palais pour loger le duc et ses gens ; c’était aussi une forteresse adossée aux murs de la ville pour contribuer à sa défense. Comme saint Louis avait la Sainte-Chapelle dans son palais, Raoul voulut avoir la sienne ; il la dédia à saint Georges ; il y installa, en recourant à l’autorité de Thomas de Bourlémont, évêque de Toul, vingt chanoines et donna deux cents livres de petits tournois pour leur entretien. Il leur donna le droit de nommer dans leurs terres, exemptes de toute juridiction, maires, prévôts, échevins, etc...

Raoul institua aussi le serment que les ducs firent le jour de leur installation, de garder les libertés octroyées dans le duché. Il continua aussi la construction du château d'Einville.

Jean, dit Baudoin, de Vic, reçut du duc Raoul quinze livrées de terres à petits tournois à prendre sur les revenus de Réméréville pour devenir son homme-lige ; il en lit la déclaration à la régente en 1357.

 

JEAN Ier (1346-1390).

Le jeune duc n’avait que six mois à la mort de son père ; Marie de Blois exerça la régence jusqu’en 1360. Pour gagner les seigneurs, elle promit de leur rendre leurs droits, mais il est douteux qu’elle ait exécuté sa promesse. Jeanne de Champagne céda au roi de France la seigneurie des terres de mouvance en Lorraine ; ainsi le duc de Lorraine devenait le vassal de la France pour cette partie de ses biens. En 1347, le roi demanda aux gens de Neufchâteau une somme de six cent quarante-sept livres tournois ; la duchesse intercéda pour eux ; le roi céda aux prières d’une femme dont l’époux était mort pour la France.

La duchesse était jeune encore ; elle épousa en secondes noces Ferry de Linange ; alors les seigneurs l’obligèrent à partager la régence avec Eberhard III, comte de Wurtemberg ; celui-ci prit le jeune duc pour l’élever et se fit remplacer comme co-régent par Burckard de Fénétrange.

Les monnaies furent frappées au nom du duc et de la régente : Iohann duc marchio de Lotorigo ; au revers, Marie duchesse maimbours de la Duché. Le comté de Bar était aussi en régence ; Yolande de Bar gouvernait pour ses fils Edouard et Robert, qui se succédèrent. Les deux régentes firent alliance ensemble.

Adhémar de Monteil, évêque de Metz, voyait toujours avec peine, au milieu de ses Etats, Château-Salins ; il fortifia Vic avec soin. Les habitants de cette ville s’étaient mis, en 1345, sous la protection de Raoul et lui payèrent cinquante livres de petits tournois ; mais ce pacte n’était que pour la vie du duc ; sa mort y mit fin. L’évêque concéda à la duchesse tous les fiefs possédés par les ducs précédents dans ses Etats ; il en reçut l’hommage en présence de Burckard de Fénétrange, Ferry de Fribourg, sire de Romont, Thiébaut, sire de Blâmont, Simon et Pierre de Parroy, Jean de Rosières, Isembert de Roville et les abbés d’Autrcy, d'Etival et de Flabémont. Il demanda aussi hommage pour Château-Salins et défendit d'élever des châteaux dans les fiefs.

Château-Salins tenait toujours au cœur de Gauthier de Monteil ; il vint à l’improviste dans les environs de la ville et y mit le siège. La duchesse, bien avisée, avait mis dans la place Pierre du Châtelet. Au son d’une cloche, le pont-levis s’abaissa, la garnison fit irruption sur les assiégeants, qui, surpris, s’enfuirent, laissant Gauthier entre les mains des assaillants.

En avril 1348, la duchesse avec ses alliés, Ferry, comte de Lunéville, frère de Raoul, Jean II de Salm et le sire de Rodemack, ravagea le pays messin ; elle mit le siège devant Boulay, mais elle ne put l’emporter d’assaut. Les troupes de l’évêque survinrent à l’improviste et tirent perdre la vie à trois cent vingt Lorrains.

Gauthier, ayant payé rançon, assiégea de nouveau Château-Salins. La duchesse, effrayée, demanda une trêve, offrit en vente cette forteresse et reçut en gage du paiement le château de Beaurepaire ; elle pensait que l’évêque ne pourrait racheter ce gage ; elle en confia la défense à Pierre du Châtelet, Jean de Toul et Jacques de Lenoncourt. Adhémar versa l’argent en 1351 et la comtesse rasa la forteresse de Château-Salins, au lieu de la livrer.

Adhémar de Monteil, irrité de cette mauvaise foi, arma ses vassaux, les citains de Metz et des aventuriers; il prit la ville de Château-Salins, la détruisit et fit subir le même traitement aux châteaux de Donjeux, d’Athienville et de Saint-Epvre. Les seigneurs voyant tant de calamités, forcèrent la duchesse à faire la paix ; elle en paya le prix par la perte des fiefs messins.

Adhémar, plein de défiance, fortifia Nomeny et Saint-Avold ; la duchesse, pensant le surprendre, appela à son aide le comte de Wurtemberg ; elle attaqua Metz avec l’espoir d’un grand profit. Elle incendia Flory, Cheminot et quelques villages et s’en retourna en Lorraine. Trois jours après, les Messins ravagèrent des villages, le bourg de Frouard et emmenèrent des otages sans s’attaquer à la forteresse. Thiébaut de Blâmont, allié de l’évêque, brûla Rosières et les environs, dévasta Einville, insulta Nancy ; puis les Messins reprirent le chemin de Metz. Le comte de Linange, époux de la régente, s'embusqua près de Pout-à-Mousson avec sept cents hommes, surprit l’ennemi ; mais une troupe de Messins survint, le surprit à son tour et lui tua plus de cent hommes.

Le roi de France, Jean le Bon, intervint à propos pour imposer la paix. L’évêque de Trêves voulait reprendre les fiefs concédés, faute d’hommage rendu ; le jeune duc s’empressa d’en faire hommage. En 1352, la paix était rétablie. Alors les seigneurs demandèrent à la régente de tenir les promesses qu’elle leur avait faites ; Burckard de Fénétrange, qui partageait leur sentiment, l’obligea à s’en acquitter ; elle leur rendit donc leurs droits et libertés d’autrefois. Ce fut un rude échec à la puissance ducale ; les campagnes revirent les petites guerres des seigneurs et les ravages qui s'en suivaient.      .

Le comte de Wurtemberg fit hommage au roi de France au nom du duc pour la mouvance. C’est alors que le comté de Bar fut érigé en duché et Pont-à- Mousson en marquisat. Voici comment ces faits s’accomplirent :

En 1350 et trois, — le roi de France

Vint de Behaigne (Bretagne) à Metz en Bar,

En séjournant à son repoint

Fait Duc le Comte de Bar

et de Pont-à-Mousson un marquisat.

Les Messins attaquèrent encore Saint-Nicolas-du-Port, mais sans succès ; Charles IV rappela qu’il ne voulait plus de guerres sans son aveu. Pourtant des guerres inutiles se firent encore en 1355, 1356, 1357 et ne causèrent que des ruines ; la paix lut signée définitivement en 1360.

La même année, la régente exempta les domaines des Hospitaliers de dîmes, cens, corvées, rentes, fournitures à l’ost (armée), services de chiens, convois, etc., parce que le commandeur Gérard de Montigny et Fr. Jean de Pompierolles lui firent don des dîmes d’Einville.

Les Etats s’étaient assemblés, en 1358, pour réparer tant de maux ; les lombards et usuriers s’étaient enrichis, on les expulsa en prenant leurs biens, qui furent employés à payer les dettes et relever les forteresses. La régente avait emprunté en fournissant des gages, son embarras était extrême.

En 1300, le due gagnait ses quatorze ans et arrivait à sa majorité. Ses revenus consistaient principalement dans les produits de ses domaines et de ses salines; ils lui permirent de payer les dettes et de reprendre les terres engagées.

II fit ses premières armes en combattant avec les frères Teutoniques contre les Barbares ; il assista au sacre du roi Charles V. Il se trouva à la bataille d’Auray, livrée entre Charles de Blois son oncle et le comte de Montfort ; il fut fait prisonnier avec Du Guesclin ; le duc Charles fut tué ; on trouva sur son corps un cilice ; il se fit des miracles à son tombeau.

Jean revint dans ses Etats, après avoir recouvré sa liberté ; ils étaient menacés par 40.000 routiers appelés Bretons, ayant pour chef Arnaud de Cervolles, dit l’Archiprêtre. C’était Thiébaut de Blamont qui les appelait dans le pays pour guerroyer contre l’évêque de Stras­bourg et contre Salm, sire de Viviers. Les Messins donnèrent à Arnaud dix-huit mille florins d’or pour qu’il s’écartât de leurs frontières ; le duc leur donna aussi de l’argent pour exempter la Lorraine de leurs ravages ; les chanoines de Saint-Dié lui vinrent en aide en lui prêtant quatre cents florins. L’empereur Charles IV, accouru, les poursuivît et les atteignit entre Saint-Nicolas-du-Port et Laneuveville ; Jean Ier se tenait entre cette localité et Nancy ; ils furent vaincus et se dispersèrent.

Henri de Vaudémont les attira à son tour ; le duc les poursuivit en Champagne jusqu’à Saint-Blin ; il leur tua deux mille hommes ; fait notable, il avait avec lui de l’artillerie.

Les routiers tentèrent encore de rentrer en Lorraine ; les Messins, le duc Jean et le duc de Bar les poursuivirent, ainsi que Colard des Armoises et Frack de l’Aître, bandits qui trouvaient fructueux de s'unir à eux. Ils furent assiégés dans Gondrecourt ; une tour fut minée ; se voyant perdus, ils se rendirent à discrétion. Treize furent pendus ; Colard fut exécuté ; alors la tour s’écroula. L’année suivante leurs restes furent pris dans le château de Belleville : vingt écuyers furent pendus ; cinq personnages importants furent gardés pour répondre d’un personnage qu’ils avaient pris, Pierre de Bar, sire de Pierre fort.

Jean de Bar, bataillant contre les Messins, fut pris à Ligny, le 4 avril 1368 ; il dut payer pour sa liberté soixante mille florins d’or. Le duc Jean se rendit caution pour quarante mille, il en paya vingt mille et fit battre dans sa monnaie avec des lingots du duc de Bar des sommes pour payer le reste.

Dans une guerre suscitée par le sire de Pierrefort, le duc Jean eut le tort de prendre son parti. Trois Messins, Yvain de Gallé, Jehan Rollevat et Jean Buit, remontèrent la Seille, prirent Létricourt et d’autres villages ; puis ils se portèrent sur Neufchâteau et revinrent sur Rosières qu’ils ravagèrent à moitié.

Le duc de Lorraine, de son côté, entreprit le siège de Metz ; il y était depuis trois mois sans résultat. Il envoya un défi en ville pour terminer la guerre par le combat de deux chevaliers, l’un messin, l’autre lorrain. Le défi fut accepté, les champions échangèrent trois coups de lance, trois coups de hache et trois coups d’épée, sans résultat. Le duc se retira ; pendant ce siège il s’était fait armer chevalier par Guy de Pontarlier ; il l’en récompensa par le don de cent écus d’or sur les revenus de Neufchâteau.

En 1369, il épousa Sophie de Wurtemberg, fille de son maimbour. Le roi de France menaçait de lui enlever les terres de mouvance, s'il ne venait faire en personne son hommage ; il se hâta de le satisfaire.

En cette année il arriva a Marsal une aventure notable. Trois chevaliers, Bertrand de Novéant, Simon de Macéville et Gérard d'Autrey prirent cent cinquante hommes d'armes qu'ils déguisèrent en ouvriers de la campagne ; ils s’introduisirent avec eux dans la place et s’en rendirent maîtres. Thierry de Boppart, qui se trouvait dans son château de Viv, prit vingt-quatre cavaliers, des arbalétriers et les introduisit de nuit dans Marsal par une poterne que les envahisseurs ne connaissaient pas ; il en tua soixante, en prit soixante-dix. Leur succès fut bien court ; de là vint un dicton, on appela les courtes joies, joies de Marsal.

Le duc Jean était libéral et juste ; il assistait parfois aux plaids pour surveiller les jugements et pour ennoblir les sentiments de ses sujets ; il institua l’ordre des Chevaliers de blanches mouches. Il agrandit Nancy, qui, tout petit qu’il était, avait encore dans son enceinte des terres cultivées ; il bâtit les rues du Grand-Bourget et du Petit-Bourget. C’est lui qui fit frapper le premier des monnaies d’or en Lorraine ; elles avaient pour inscription Jones Lot. Dux. Il commença aussi à donner des titres d’anoblissement. Furent anoblis les premiers : Dehaut Milion, 6 décembre 1382 ; Guillaume des Vieux, 10 octobre 1385. Le duc de Bar avait déjà anobli Humbert de Gondrecourt, le 22 juillet 1362.

Les habitants de Mullenheim, en Alsace, firent irrup­tion sur les terres de Lorraine ; le duc entra en Alsace avec une armée par la vallée d’Alberstadt, prit Scherwiller, près de Schlestadt ; il échoua devant Berckeim et prit Saint-Hippolyte qu’il eut dessein de garder.

La possession des puits salés de Salonne et d’Amelécourt mit encore le duc de Lorraine et le duc de Bar en guerre contre l’évêque de Metz en 1378. En 1379, ils ravagèrent cinquante villages du temporel de Metz. La paix ne tarda pas à se faire, parce que le roi de France avait la guerre avec les Flamands ; il appelait à lui le duc de Lorraine. Les Flamands furent vaincus à Roosbock et perdirent quarante mille hommes, dit la chronique ; toutefois, elle dit que le duc Jean en tua cinq mille de sa main : elle exagère.

Les Neufchâtellois n’avaient pas obéi au roi de France qui leur demandait des subsides et furent en lutte avec le duc Jean ; les motifs de cette lutte ne sont connus que par le réquisitoire du procureur du roi au Parlement de Paris, en 1422. Le duc avait imposé une taxe aux habitants ; les receveurs furent tués. Jean entra dans la ville avec une armée, il assembla les principaux de la ville dans le château, il leur reprocha leur félonie à son égard, les appels qu’ils faisaient au roi de France. Pendant ce discours, un héraut parcourait les rues de la ville et disait que les principaux seraient exécutés dans le château si les habitants ne consentaient à reconnaître le duc pour leur suzerain, à renier le roi et à payer au duc de Lorraine les cens légitimes. Effrayés, ils promirent tout ce qu’on voulait ; ils s'engagèrent à payer 10.000 florins d’or. Jean fit faire au château une porte donnant sur la campagne, et la porte donnant sur la ville fut munie d’un fossé et d’un pont-levis.

A peine le duc se fut-il éloigné que les Neufchâtellois firent appel à Charles VI qui fit occuper la ville et cita le duc à comparaître devant le Parlement de Paris. L’arrêt fut que le château et la ville sont fiefs du roi comme dépendant du comté de Champagne ; que la ville est du bailliage de Chaumont et ressort des Grands Jours de Troyes. Les juges curent plus de soin d'étendre le domaine du roi que de dire le bon droit, car Neufchâteau est sur le Mouzon qui se jette dans la Meuse par la rive lorraine. Le duc en appela de cette inique sentence ; mais il ne vit pas la fin de son procès, car il mourut à Paris, en 1390 ; le bruit courut que les Neufchâtellois l’avaient empoisonné.

Ses funérailles furent célébrées à Saint-Georges ; son testament régla les largesses qui furent faites au clergé qui officia aux pauvres, qui reçurent le pain do vingt resaux de blé (le resal est de cent livres de Lorraines). Il demandait que dans la collégiale on érigeât un autel à saint Charles de Blois. Il ordonna que la pension de son serviteur Jean de Tirepern fût prise sur le produit de la saline de Dieuze. Il nomma pour exécu­teurs testamentaires la duchesse, Ferri de Parroy et mes­ure Jean de Tillou. Il avait eu de Sophie de Wurtemberg deux fils, Charles et Ferry, sa fille Isabelle fut mariée à Enguerrand de Coucy. Il fut marié en secondes noces à Marguerite de Loos, dont il n’eut point d’enfant.

 

CHARLES II (1391-1431).

Il fut élevé à la cour de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et fit ses premières armes à Roosbeck contre les Flamands et contre le duc de Gueldres. Il avait vingt-cinq ans quand il commença à régner. Il assembla les Etats généraux en 1391 ; il céda à son frère Ferry Rumigny, Boves et des terres considérables en Picardie et dans le Hainaut.

Le procès de Neufchâteau qui restait pendant fut terminé par un arrêt qui commandait au duc de remettre les lieux en leur état primitif, de ne rien faire aux habitants sous peine de 1.000 marcs d’argent. Les membres du Parlement Gaillard et autres vinrent surveiller le remblaiement du fossé, le roi n’osa réclamer 3.000 fr. extorqués aux habitants ; il pardonna au duc ses faits et excès à Neufchâteau ; les habitants firent un don gracieux au duc, à la duchesse et à ses enfants. Le duc dut déclarer au Parlement remettre le mautalet et ire qu’il a contre les habitants.

Le duc revint à Nancy profondément irrité ; il appe­lait les Neufchâtellois les Jacques, par similitude de ceux qui firent la Jacquerie en 1370 ; il les appelait hocheculs, parce que les bords du Mouzon sont couverts d’oiseaux de ce nom ; il s'emportait en menaces contre eux, mais en secret. Guyon de la Borde, un Français, vint à être tué dans cette ville, le duc en profita pour obtenir du roi la permission d’y aller faire justice ; il fit ouvrir la porte du château sur les champs qui avait été fermée ; puis, pour gagner les habitants, il leur remit 7.000 francs sur les 10.000 auxquels il les avait condamnés.

Henri V de Vaudémont avait deux filles : la seconde fut mariée à Thiébaut de Neufchâtel, maréchal de Bourgogne ; il lui donna pour sa dot Châtel-sur-Moselle, Bainville-aux-Miroirs et Chaligny. La première, qui héritait du comté de Vaudémont, donna sa main à Jean de Bourgogne-Comté, sire de Montaigu, puis à Pierre de Genève. Après qu’elle fut devenue encore veuve, Charles III voulait l’épouser ; mais son frère Ferry le devança. Le duc n’en fut pas attristé, car il aimait son frère. 

Des Bourguignons faisant des ravages en Lorraine furent pris ; mais le duc les renvoya sans rançon pour garder la paix avec Philippe le Hardi.

Les Turcs firent invasion en Hongrie ; le duc de Bar et des chevaliers lorrains allèrent les combattre ; le duc s’abstint de les y conduire. Il alla en Prusse secourir les chevaliers teutoniques ; des Messins l’y accom­pagnèrent ; mais comme les leurs, Jean de Vic, Pierre de Gournay ne voulurent pas combattre sous ses bannières, il revint en Lorraine, en 1400.

Charles II épousa la fille de Robert, comte palatin. Les électeurs de Trêves, Cologne, Mayence et le comte palatin nommèrent celui-ci roi des Romains, après avoir déposé Venceslas qui les indignait par ses désordres. Charles, se rangeant du parti de son beau-père, mit le siège devant Toul qui tenait pour Venceslas, pendant que Robert allait en Italie combattre Jean Galéus. Les bourgeois de Toul détruisirent l'abbaye de Saint-Léon qui gênait la défense, parce qu’elle était hors des murs de la ville ; ils envoyèrent les chanoines se réfugier à Liverdun ; puis ils firent alliance avec les Messins. Sommés de se soumettre, ils répondirent qu’ils réfléchiraient et qu’on vînt chercher leur réponse à la Saint-Martin. Le duc et ses alliés Ferri de Vaudémont le comte de Bar, le marquis de Pont-à-Mousson détruisirent les moulins, arrachèrent les vignes, coupèrent les arbres. Ils mirent leur camp sur le mont Saint-Michel, se couvrirent d’une palissade et mirent leurs canons en batterie devant la place ; le comte de Vaudémont gardait le cours de la Moselle. Les chanoines et le peuple se déclarèrent Lorrains ; les bourgeois firent une sortie et envoyèrent des émissaires au roi de France se réclamant de sa protection.

Le duc d’Orléans, régent du royaume, accueillit cette demande avec joie ; il manda aux Vermandois de saisir les fiefs que le duc de Lorraine possédait chez eux, à cause des méfaits commis sur les amis de Toul par ses aimés, duc de Lorraine et comte de Vaudémont. La ville était aux abois; le duc, par crainte de la France, renonça à la vouerie, au gouvernement et à la protection de Toul ; il se contenta d’exiger 8.000 francs, monnaie courante ; quant à Vaudémont, les Toulois refusèrent de payer quoi que ce fût. Le comte défendit à ses sujets de lui vendre les vivres dont ils avaient besoin; ils lui payèrent 800 francs.

Le marquis de Pont-à-Mousson reçut une garnison française dans le château de l’Avant-Garde, à deux lieues de Nancy. Le duc de Lorraine attaqua ce château et le détruisit en partie ; le duc de Bar en instruisit aussitôt le roi de France ; puis les deux princes se réconcilièrent et l’affaire en resta là.

Des seigneurs lorrains firent des ravages en Champagne ; Jean de Maubeuge, maître de l’hôtel du roi, et l’Admiral de France vinrent à Neufchâteau avec trois mille hommes. Le duc se contenta de garnir de troupes les châteaux environnants et Ferry de Vaudémont alla à Paris intercéder pour son frère, promettant que le duc comparaîtrait avec des seigneurs pour sa caution. Le roi Charles VI était en démence ; Charles n'en fit rien.

Le duc d’Orléans, ami de Venceslas, empereur, reçut de lui le Luxembourg ; il fit alliance avec le duc de Bar, l’évêque de Verdun, le damoiseau de Commercy, les comtes de Salm, Saarbruck et Saarwerden, pour mettre eu embarras le duc de Lorraine. Les alliés remontèrent la Moselle et vinrent devant Frouard ; le duc de Bar émettait l’avis de prendre la place pour s’en faire un point d’appui ; les autres, ne l’écoutant pas, vinrent devant Nancy, envoyèrent un héraut y commander bon dîner et bon gîte pour le soir. Le duc Charles répondit qu’il les attendait entre Nancy et Champigneulles. Le danger était extrême ; la duchesse et les habitants , firent une procession pieds nus pour toucher le Ciel. Les Lorrains firent une sortie aux cris de : Priny ! Priny ! La bataille fut d’abord indécise ; puis Luxembourg, qui commandait la seconde ligne des alliés, ne soutint pas la première ; les comtes de Luxembourg, Salm, Saarbruck et Saarwerden tombèrent entre les mains des Lorrains ; ils furent enfermés dans le château et on leur servit un dîner autre que celui qu’ils avaient commandé. Le duc ravagea les terres de ses ennemis ; l’évêque de Verdun commença par l’excommunier, puis il consentit à payer. L’évêque de Metz négocia pour la mise en liberté des prisonniers ; Saarwerden paya 3.000 florins ; Raoul de Coucy paya 20.000 florins d’or. Le duc n’eut pas de peine à s'emparer du comté de Saarwerden ; le damoiseau paya une rançon énorme. Les autres reprirent les armes et furent vaincus près de Pont-à-Mousson.

Le duc d’Orléans haïssait profondément le duc de Lorraine ; son animosité ne prit fin qu’avec sa vie, quand Jean sans Peur, duc de Bourgogne, le tua dans les rues de Paris, le 23 novembre 1407. Charles II ne haïssait pas moins la France ; il mit dans son testament celle clause que s'il ne laissait que des filles, il défendait de les marier à quelqu’un qui lui sons l’autorité du roi.

Les malheurs de la France donnèrent à penser au duc qu'il pouvait exercer sans danger sa vengeance sur les gens de Neufchâteau. Au commencement du carême de 1410, il laissa courir le bruit qu’il désirait prendre les principaux pour les décapiter ; ceux-ci s’enfuirent en Champagne ; le duc alla à Neufchâteau sous prétexte de visiter ses fiefs ; il rassura les habitants ; ceux qui avaient fui revinrent. Mais les troupes lor­raines, allant et venant, se trouvèrent, comme par hasard, aux portes de la ville ; ils y entrèrent. Le duc assembla trente-six des principaux dans le château ; en même temps, un héraut annonçait en ville qu’ils allaient être décapités ; les habitants effrayés lui accordèrent tout ce qu’il leur demanda. Il reprocha aux principaux leurs recours à la France ; il se fit jurer par tous fidélité ; il en tint quatorze en prison dans un château de la Lorraine allemande. Des soldats firent en ville des dégâts pour plus de 100.000 francs ; puis ils pillèrent pain, vin, meubles pour les conduire au château. Ce nouveau pillage causa pour plus de 200.000 francs de dommages ; le duc rendit à la liberté le reste de ses prisonniers en leur imposant à chacun 300 à 400 francs de rançon. La poterne du château sur les champs fut ouverte ; le fossé fut creusé entre la forteresse et la ville ; il abaissa les tours et les murailles ; il obligea deux notables, Jean Thirion et Jadin, à aller demander au roi la permission de traiter avec le duc ; il fit pendre Guillaume Huel pour effrayer les autres.

Trois bourgeois, Colard Belpique, Colard Fournot et Jean Colinet, allèrent en secret à Paris porter au roi les plaintes des habitants. Le Parlement manda au bailli de Chaumont d’ajourner le duc à comparaître à Paris devant lui ; cité trois fois, le duc ne répondit pas. Alors le Parlement le condamna à perdre ses fiefs de France, à remettre tout en état à Neufchâteau, de payer pour les dommages faits cinquante mille livres au roi et vingt mille aux habitants ; le duc et ses agents Henri et Chariot de Dambley devaient remettre l’image de Huel à sa veuve en solennité ; il payera cinquante livres à l’église pour fonder un service. Neufchâteau remis en état cessera d’être lorrain ; le duc payera 1.000 marcs d’or à chaque infraction. Le 1er août 1412, le duc de Bar fut chargé d’exécuter la sentence. Jean sans Peur, duc de Bourgogne, qui s’était réconcilié avec Charles II, ne fut pas instruit de cet arrêt ; et la maladie du roi enhardit le duc à lui demander le pardon ; ce prince l’accorda sans plus parler de Neufchâteau. Le duc, néanmoins, irrité de cette procédure, s’allia au duc de Bourgogne, jusqu’au moment où celui-ci se retira dans les Pays-Bas.

En 1414, Charles II assista au couronnement de Sigismond, roi des Romains, ainsi qu’à la deuxième session du concile de Constance (1415), avec Ferri de Vaudémont, Antoine son fils, Louis, cardinal de Bar, évêque de Châlons, Edouard II de Bar, Kilian de Ludres, Jean de Haraucourt, sénéchal, et Henri de Ville, évêque de Toul.

Le duc dut retourner dans ses Etats, parce que la garnison de Prény, par ses incursions dans le pays messin, attira une attaque de Prény, pendant laquelle deux mille cinq cents Messins brûlèrent le bourg.

Les Anglais firent une descente en France ; le duc Charles se tint à l’écart, parce que le duc de Bavière, frère d’Isabeau, avait épousé sa sœur. Le 25 octobre fut livrée la bataille d’Azincourt ; Edouard III de Bar, son frère, son neveu, Ferri de Vaudémont, Thiébaut, sire de Blâmont, y furent tués.

A l’assemblée de Troyes, en 1418, le duc reçut d’Isabeau l’épée de connétable ; il entra dans Paris à la suite de cette reine avec le duc de Bourgogne ; mais, comme il fut bientôt dépouillé de ce titre de connétable, il revint dans ses Etats.

Tous les princes de Bar étaient morts à Azincourt, le duché revint au cardinal Louis de Bar, évêque de Châlons. Il restait deux sœurs d’Edouard III et du cardinal ; l'une avait épousé Jean, roi d’Aragon ; Yolande, issue de ce mariage, axait donné sa main à Louis d’Anjou, comte de Provence, roi titulaire de Naples et de Sicile. René, issu du même mariage, duc de Guise, était né à Angers le 10 février 1408. 11 avait onze ans en 1418 ; le cardinal demanda pour lui la main d’Isabelle, fille aînée et héritière de Charles II. Marie d’Anjou, issue aussi du mariage d'Yolande avec Louis d’Anjou, venait d'être épousée par le dauphin.

Le roi d’Angleterre voulut rompre cette alliance et offrit pour époux d’Isabelle le duc de Bedfort, son frère; le comte d’Haussonville était chargé, de présenter la lettre qui contenait cette proposition. Le duc envoya Jean d’Haussonville, Ferry de Parroy et Jean d’Haraucourt porter la réponse qui déclarait que le duc avait des besognes trop pressantes qui l’empêchaient de traiter cette affaire. C’était une défaite, car les routiers qui reparurent alors en Lorraine furent facilement défaits.

En 1419, le 13 avril, le cardinal Louis céda le duché de Bar à René ; les Etats de Bar ratifièrent cette cession. Le mariage de ce prince avec Isabelle de Lorraine fut célébré le 14 octobre 1420. Parmi les seigneurs qui signèrent au contrat figurent Jean V de Salm, Jean d’Haussonville, Jean de Haraucourt, Jean de Lenoncourt, Ferry de Parroy, Jean de Fléville, Geoffroy de Tonnoy, etc..., etc...

Philippe de Bourgogne dissimula le dépit que lui causait ce mariage, et envoya des présents de noces à la jeune duchesse.

Charles II administra les deux duchés.

Une seconde sœur d’Edouard et du cardinal de Bar donna sa main à Adolphe IX de Berg ; il revendiqua, lui aussi, le duché de Bar, car les femmes étaient admises à y succéder. Il prit les devants, s’empara de Pierrepont, Etain, Sancy et assiégea Briey. Il eut l’imprudence de quitter le siège pour aller visiter une amie ; la garnison le surprit à son retour, il fut saisi et conduit à Nancy ; le duc lui rendit la liberté moyennant son désistement du duché de Bar.

Le 1er août 1424 naquit Jean de Bar, fils de René ; il fut baptisé dans la cathédrale de Toul. Cette naissance fit gémir Antoine, comte de Vaudémont, qui caressait l’espoir de devenir un jour duc de Lorraine ; il ne put se retenir de divulguer ses désirs ambitieux. Bien qu’averti par le duc, il recommença ses propos. Le due lui assigna quinze jours pour signer une déclaration qu’il renonçait au duché tant que le duc et ses enfants seraient en vie. Le comte eut l’obstination de refuser de signer ; alors Charles II fit de Vézelise et de Vaudémont un siège qui dura trois ans. Vézelise réduit par la famine se rendit en 1428 ; le bourg de Vaudémont aussi, mais la forteresse tint bon ; le duc se retira sans la prendre ; il perdit au siège de Vézelise un vaillant serviteur Jean de Remicourt, le Pélegrin, qui fut tué d'une flèche.

René prit possession du duché de Bar le 4 août 1424 ; il remercia Jean de Salm qui l’avait gouverné . Les monnaies frappées pendant la régence étaient au nom de Charles II ; pour garder un souvenir de son bail au mainbournie de Bar, il prit dans ses armes deux bars ou barbeaux.

Une guerre terrible éclata entre Metz et le duc de Lorraine pour un motif plus que futile. L’abbé de Saint-Martin fit entrer dans Metz des bottées de pommes de son jardin sans payer un droit de sortie au duc de Lorraine. Ses moines étaient mal avec lui ; ils se hâtèrent de prévenir le duc, qui fit des réclamations. Les Messins s’en mêlèrent ; de là des ravages réciproques dans les terres les uns des autres. La ville avait pourtant besoin de repos, car, en 1420, il y eut une maladie qui emporta quatorze mille habitants ; les vignes avaient été gelée en avril. Les ducs de Lorraine et de Bar n’osant s'attaquer à la placé, en firent le blocus ; mais en vain, car des vivres vinrent de Luxembourg. En juin 14’20, quinze cents cavaliers et cinq mille hommes de pied ravagèrent les campagnes, renversèrent le gibet où trente-deux corps se balançaient au veut ; ils coupèrent les blés, arrachèrent les vignes. Charles II malade de la goutte était porté en litière ; il vint autour de Metz avec dix mille hommes de troupes nouvelles ; vingt mille mitres ravageaient les campagnes ; les canons tiraient sur Metz, mais sans résultat. Les deux ducs revinrent encore devant la place, une autre année avec dix mille hommes ; puis ils se retirèrent ; les Messins les suivirent et il se livra une bataille sans résultat. Les Messins voulurent traiter, le duc s’y refusa et gardait quatre cents prisonniers à Nancy, Lunéville et Neuf châ­teau.

René de Bar assista à Reims au sacre de Charles VII ; il y vit Jeanne d’Arc et le roi ; il fit sa soumission pour les fiefs de la mouvance ; il l’avait déjà faite au roi d’Angleterre, il lui envoya des lettres de désistement. Avec le fameux Barbazan, il fit une expédition en l’Île de France dans l’armée du roi, qui prit Choisy, Bar-sur-Seine et Pont-Saint-Maxence.

Jeanne d’Arc était venue à Saint-Nicolas-du-Port, en attendant le message du roi au sire de Baudricourt ; elle vit le duc à Nancy, elle lui reprocha de contrister la duchesse ; le duc lui remit un cheval et une bourse.

Le duc en effet entretenait une liaison avec Alizon May. Celle-ci gouvernait le duc qui ne faisait rien que par ses volontés ; elle fit moult bien à sa pareille. Le 16 janvier 1416, elle reçut pour elle et ses hoirs une mainson avec grainge en la rue de la Boudière (Grande-Rue Ville-Vieille). Le duc plaça son image sur un retable à la chapelle Saint-Georges, parmi les bergers adorateurs de l’enfant Jésus. Il eut d’elle cinq enfants dont l’aîné, Ferry de Bilstein, devait être, dans la pensée du duc, son héritier au défaut des enfants de ses filles. Les Etats déclarèrent qu’il n’y aurait jamais d’héritiers du duché que dans la descendance de ses filles légitimes.

Le duc mourut le 25 juillet 1431. Le peuple prit Alizon May et lui fit faire dans les rues une promenade ignominieuse au milieu des injures. On lui jeta... ordure au visage, puis elle fut tuée secrètement ; ces choses se passaient sans que René et la duchesse y prissent aucune part.

 

RENÉ 1er ET ISABELLE (1431-1453).

Isabelle fut reconnue duchesse le 31 janvier 1432. Pour gagner les seigneurs, elle fit dans une séance régulière des Assises cette déclaration que tous les litiges entre la duchesse et les seigneurs, et les sei­gneurs entre eux seraient jugés par les Assises ; c’était l’assemblée des nobles primitifs, à l’exclusion des anoblis. C’était une concession exorbitante ; dès lors,, et déjà en 1390, tous les ducs jurèrent d’observer ce principe et cela dura jusqu’au commencement du XVII siècle.

Dès le 23 février, Antoine, revenu à Vaudémont, prit le nom et les armes du duc de Lorraine ; il vint devant Nancy donnant sommation de lui ouvrir les portes et de le recevoir en souverain. René donna deux sommations à ce vassal de Bar de venir lui rendre hommage ; comme il n’obtint aucune réponse, il vint mettre devant Vaudémont le siège qui fut bientôt changé en un blocus dirigé par Jacques de Bade, Hennement de Lenoncourt et Erard du Châtelet.

Le comte de Vaudémont était à Joinville près de sa femme Marie d’Harcourt, qui venait d’accoucher, quand il apprit l’envahissement de son comté. Il implora le secours de Philippe le Bon, duc de Bourgogne ; celui-ci lui envoya des troupes avec Toulongeon, maréchal de Bourgogne, pour les commander. Philippe voyait en René un allié de la France ; Marie d’Harcourt rétablie amena à son époux en Champagne quatre mille chevaliers et deux mille fantassins qui ravagèrent le Barrais.

René fit appel à ses alliés, Louis de Bavière, seigneur d’Heidelberg, Conrad Boyer de Boppart, évoque de Metz, le sire de Sarrebruck, damoiseau de Commercy et Bar­bazan qui commandait en Champagne ; l’armée lorraine s’élevait à dix mille hommes.

Le 1er juillet 1431, les Bourguignons étaient à Saudaucourt et René à Chàtenois. Toulongeon, dont les troupes étaient inférieures en nombre et manquaient de vivres, voulait se retirer de la lutte. Le 2, son armée était à Bulgnéville ; il se couvrit d’un rempart de chariots ; derrière lui se trouvait une haie, un ruisseau et une forêt. Barbuzan était d’avis de temporiser, car il jugeait bien l’embarras de l’ennemi. Les jeunes gens lui dirent insolemment : Ceux qui craignent les feuilles ne doivent pas venir au bois. Blessé au vif, il répondit : Je ne veux pas que mon nom soit un déshonneur pour le duc. René était impatient de combattre ; il eut encore un colloque inutile avec Vaudémont, puis il s’écria : Trompettes, sonnez ! Barbazan commandait la droite ; le duc et l’évêque étaient au centre ; le sire de Sarrebruck conduisait la gauche. Les Lorrains se ruèrent avec tant d’impétuosité que, au centre et à droite, ils renversèrent les chariots, et il se fit une mêlée : les cavaliers bourguignons combattaient à pied. Or, le sire de Sarrebruck avait promis à une Agathe de la rejoindre, de quitter à meshui (à temps) l’armée. Il se retirait, Barbazan lui cria : Où allez-vous ? Le damoiseau répondit : J’ai promis à ma mie ! Jean d'Haussonville fit comme lui.

René, pensant que celui-ci allait rentrer en lutte, continua la bataille. Les chevaliers bourguignons remontèrent à cheval ; le duc René était blessé ; il était couvert de sang ; il se rendit à Martin Jonear, écuyer du sire d’Enghien ; celui-ci, reconnaissant le duc, le conduisit à Antoine, qui lui promit la forte somme, s’il le conduisait dans un petit bois voisin pour gagner Joinville. Toulougeon survint, s’empara du duc, le fit conduire à Châtillon-sur-Seine et se retira de l'armée avec ses soldats, disant qu'il avait ordre de son maître. Antoine fut furieux de se voir ravir son prisonnier et de ce que Philippe, craignant sans doute de le sentir si puissant, l’abandonnait dans la lutte. Les Bourguignons perdirent quatre cents hommes ; les Lorrains en perdirent douze cents ; beaucoup de seigneurs restèrent prisonniers ; Barbazan était parmi les morts. Cette bataille fut perdue par la présomption, comme le furent celles de Crécy, Poitiers et Azincourt.

A la nouvelle de ce désastre, le blocus de Vaudémont fut levé, Vézelise évacué ; la duchesse assembla le Conseil et y parut avec ses petits-enfants, ne sachant si son époux était prisonnier ou étendu parmi les morts. N'ayez crainte, lui dit-0n, le duché est bien gardé.

On rassembla les restes de l'armée ; en fit des levées ; et on se trouva avec une force plus grande que celle qui avait combattu ; ainsi, si ce n'eût été la captivité du duc, le résultat final de la bataille fut uniquement la levée du blocus de Vaudémont.

On défendit aux prévôts de reconnaître l'autorité d’Antoine ; la ville de Vézelise fut investie, et malgré les diversions que fit le comte, elle fut prise au bout de six jours et saccagée. On prit aussi Toullon (Thelod).

Une trêve fut conclue jusqu’au 25 janvier 1432 ; on convint de faire juger le différend par les évêques de Metz et de Verdun. Erard du Châtelet el deux autres seigneurs. La trêve ne fut pas observée par les lâches qui avaient fui ; ils continuèrent leur ravages. Le duc René fut conduit dans la tour  de Dijon, qui s'appela depuis la tour de Bar. Des barreaux fermaient les ouvertures ; on en mit même, au sommet de la cheminée de la tour.

Philippe permit à René de sortir pour un an moyennant le versement d’un acompte de 20.000 saluts (monnaie où était figurée l’Annonciation) el la mise en otage des deux fils de René, et d’un grand nombre de seigneurs, s'il manquait à sa parole. Le duc revint à Bar, puis à Saint-Nicolas-du-Port et à Bouvières. René eut l’imprudence de prendre Philippe pour juge de son différend avec Antoine. René et Antoine revenaient ensemble des Flandres et passaient à Metz ; les habitants tirent don au comte de deux cowes de fort bon vin, cent quintaux d'avoine et pour 20 francs de poxon (poisson). Il leur avait fallu aller dans les Flandres détruire des bandes de pillards installés dans des châteaux sur la lisière de la forêt d’Ardenne.

Le duc rendit à Conrad de Boppart, évêque de Metz, Nomeny, Saint-Avold, Baccarat et le ban de Delme, comme compensation des 10.000 saints que celui-ci avait avancé pour la rançon du duc.

Antoine était en désaccord avec Philippe le Bon sur le prix de la rançon de René ; puis il se défiait et de lui et des évêques pour juger son différend avec René : il le soumit à Sigismond, empereur, qui était alors à Constance assistant au concile. Les légats prononcèrent cette sentence arbitrale que le duché appartenait à Isabelle, et, en conséquence, à René, au nom de sa femme, et relovait de l’empire ; qu'il fallait en faire hommage à l’empereur.

Le duc donna des fêtes à Pont-à-Mousson ; les Messins accourus furent attaqués, bien qu’escortés de quarante soldats, en passant dans un bois par le damoiseau de Commercy, escorté de cent cinquante soldats. Les Messins indignés vinrent, sous la conduite de Jean de Baudoche et d’autres, attaquer Commercy. Ils avaient trente-cinq chars chargés de bombardes et de vivres. Un assaut fut donné ; une sortie y répondit. Le sire de Richemond commanda qu’on fît la paix ; le damoiseau dut payer 20.000 saints, et promit de mettre fin à ses brigandages. Il ne tint pas sa parole et continua ses ravages.

Nouvelle attaque ; nouvelle paix ; René eut le tort de consentir à ce que Vaudémont fût exclu de cette paix. Antoine, irrité, pria Philippe de faire reprendre à René sa prison : un héraut de la Toison d’or fut envoyé pour lui signifier de rentrer le 1er mai 1430.

Le 9 juillet 1435, le duc René donna à Gérard de Haraucourt cinq cents écus d’or en rentes sur la saline de Château-Salins, en outre, ce qu’il a indivis avec l’évêque de Metz au ban de Réméréville et villages du dit ban (Courbesseaux, la tour de Buissoncourt, Velaine-sous-Amance et Erbéviller) ; c’était sans douté pour compenser ce seigneur de sa rançon après la bataille de Bulgnéville.

René rentra donc en sa prison à la date fixée ; il fit son occupation des belles lettres et de la peinture qu'il avait apprise auprès de Hubert et Jean van Eck.

Louis d’Anjou, son frère, que Jeanne II de Naples, la dernière des Duras, avait institué son héritier, vint à mourir ; Jeanne mourut trois mois plus tard, insti­tuant René son héritier ; il héritait ainsi de ses prétentions sur Naples, la Sicile, la Provence et l’Anjou. H peignait une perdrix quand le messager lui apporta cette nouvelle ; il continua de peindre, puis il dit un De profundis.

Philippe lui proposa un traité léonin, il ne l’accepta pas.

Isabelle voulut profiter des royaumes qui étaient dévo­lus à son époux, elle laissa le duché aux bons soins des évêques de Metz et de Verdun et partit pour Naples. Le roi d’Aragon assiégeait Naples ; Visconti de Milan, allié d'Isabelle, envoya contre lui les galères des Génois ; Isabelle débarqua et dans une bataille livrée à Gaële, elle s'empara d’Alphonse d’Aragon ; avec 4.000 écus que le pape lui donna elle conquit le royaume de Naples.

Cependant les tentatives faites pour traiter de la ran­çon de René n’aboutissaient pas. Vaudémont présenta un nouveau mémoire, mais le duc de Bourgogne ne décida rien.

Les régents eurent à attaquer La Mothe parce que Gilquin d’Apremont en faisait un refuge de pillards ; il rendit la ville pour une somme d’argent. Ils attaquèrent la forteresse d’Etrepy que défendait Armand de Cervelle, petit-fils de celui qu’on appelait l’Archiprêtre. En 1436, une armée de routiers fut battue à Sercoeur-sur-Durbion, entre Rambervillers et Epinal ; cinq cents routiers retranchés dans le village furent brûlés.

Pothon de Xaintraille ravageait les environs de Metz en décembre 1434 ; le Reffon le prit, mais il dut le mettre en liberté, parce que le roi de France intervint en sa faveur. A la fin de 1437, quatre mille Ecorcheurs envahirent le Barrois ; ils perdirent quatre cents des leurs à Vaubécourt.

René essaya encore de traiter de sa rançon avec le duc de Bourgogne ; celui-ci y mettait des conditions inacceptables ; il obtint encore une liberté provisoire en donnant en otage son fils aîné ; il passa par Pont-à-Mousson, et se rendit près de Philippe dans les Flandres où fut conclu le traité définitif de sa délivrance. René cédait ses possessions de Flandre ; il payerait 400.000 écus d’or, à la taille de soixante-dix au marc de Troyes; il livrait en gage Longwy et Prény jusqu'à paie­ment entier, ainsi que Neufchâteau et Clermont-en-Argonne ; quarante seigneurs viendraient comme otages, si René ne s’acquittait pas. René ferait hommage pour le marquisat de Pont-à-Mousson, si le duc Philippe faisait la preuve de la légitimité de cette prétention ; enfin René donnerait sa fille Yolande en mariage à Ferry de Vaudémont. Ce traité fut conclu à Lille, le 28 janvier 1437. Le doyen de Saint-Thiébaut dit que Philippe quitta à René la moitié de sa rançon.

Pour payer cette rançon, les Etats accordèrent un impôt de saints par conduit ou ménage ; les trois évêques de la province imposèrent à leurs sujets un sou par conduit. Ce fut là le premier impôt mis sur les peuples de Lorraine et de Bar ; toutes les recettes des duchés provenaient jusqu’alors du domaine du prince. L’écu d’or valait dix livres dix-neuf sous cinq deniers tournois : la somme totale était donc de 2.392.500 livres tournois ; c’était une rançon exorbitante.

Le duc, devenu libre, s’empressa d’aller à Naples ; il emmenait avec lui des seigneurs lorrains avides de combats et de gloire, un Haraucourt, un de Lenoncourt, etc.; il passa par Angers et ne se pressait pas; il perdait son temps. Enfin, il arriva à Naples. Après des succès et des revers, il obtint du roi d’Aragon, qui n’avait point d’enfants, qu’il adoptât Jean, son fils aîné (1442).

Le comte Antoine, mécontent des arrangements qui avaient été pris, entra en campagne et prit les châteaux de Xeuilley et Haroué. Les régents, que René avait nommés avant son départ, les évêques de Metz. Verdun, un Du Châtelet et un autre, entrèrent en campagne contre lui ; ils évitèrent de livrer une bataille, prirent le château de Mandres-aux-Quatre-Tours, qui dépen­dait du comte de Blâmont, et vinrent devant Vaudémont ; n’espérant point prendre le château, ils ravagèrent les environs.

Antoine de Vaudémont revint sur eux à l’improviste. il tue, il fait des prisonniers ; le grand étendard de Lorraine tombe entre ses mains ; il le met à Vézelise. Il ravage les terres de ses ennemis personnels, Haussonville, Savigny ; il réunit une armée d’aventuriers qu’il partage ou trois corps ; le premier prend Mirecourt et le met au pillage ; Antoine, à in tête du second, brûle Dun et Stenay ; le troisième prend Rembercourt el Varennes.

A cette époque Charles VII avait repris Paris ; il n’avait plus d’emploi à donner à ses mercenaires ; il pensa venir au secours de René, son beau-frère ; Lahire et ses troupes de renom vinrent en Lorraine ; Vézelise et Charmes furent pris ; puis cette armée se dispersa ; il ne resta que les garnisons mises dans les châteaux ; elles faisaient des sorties four ravager le pays. Les gens des campagnes se défendirent et en tuèrent un grand nombre. Une trêve entre les belligérants fut signée le 15 août, elle devrait durer jusqu’à Pâques 1440, le 27 mars.

L’évêque de Metz, Conrad Bayer de Boppart, avait fait des dépenses énormes pour le service de Lorraine; pour se compenser, il mit une légère imposition. Vautrin Raser, cure de Condé-sur-Moselle (Custines), ancien serviteur de Louis d’Anjou, se rendit à Naples, prétendant que Conrad se livrait à de scandaleuses extorsions; il revint, ayant obtenu de René l’ordre de l’arrêter. Guillaume de Dommartin, Vautrin de Thuillières et Godard invitèrent Conrad à se trouver à Alliance pour parler d’affaires. Il vint avec Thierry Boyer, Andomin d’Oriocourt, châtelain de Nomeny, et le mayeur de Vic. Pendant la nuit, ils se saisirent de lui à l’improviste et le conduisirent au château de Condé-sur-Moselle. Cette arrestation causa une indignation universelle. Il resta en prison dix semaines ; il fut maltraité, et, dans cet état, il promit de ne rien réclamer des sommes qui lui étaient dues par le duc ; il lui abandonnerait les villes et châteaux de Nomeny, Rambervillers, La Garde, Baccarat et les salines engagées précédemment. Les compagnons de l’évêque durent payer une rançon considérable. Le prélat, après qu’il fut mis en liberté, protesta contre la violence qu’on lui avait faite et le traité imposé ; il fit la guerre contre ceux qui voulaient prendre possession des villes susdites.

Cette guerre dura toute l’année ; elle se termina par une trêve en 1441. Alors Isabelle revint à Nancy ; détrompée, elle accorda 24.000 florins à l’évêque pour le dédommager.

En cette année des routiers s’attaquèrent, à La Mothe et s’en emparèrent ; de là, ils vinrent piller Saint-Nicolas-du-Port, emmenèrent prisonniers ses principaux habitants ; des chevaliers lorrains les poursuivirent et leur reprirent leur butin. Les routiers vinrent aussi à Verdun ; l’évêque, Louis de Haraucourt, vint à leur rencontre ; ils se mirent en bataille, mais le prélat eut l’habileté de les prendre à revers, prit leurs chevaux ; ils s’enfuirent.

En octobre 1440, Antoine de Vaudémont, avec le damoiseau de Commercy, des Picards et des Flamands, conduits par Simon de Loboin, réunit une armée de deux mille chevaliers et quatre mille fantassins, aspirant tons à faire du butin. Louis, second fils de René, défendit Bar, mais n’accepta pas la bataille. Ils commirent toutes sortes d’excès ; ils vinrent à Novéant-sur-Moselle et allaient y mettre le feu, lorsque l’abbé de Gorze, qui en était le propriétaire, réussit à les dissua­der, car ils étaient, se disaient-ils, gens d'honneur, ne faisant ta guerre que pour la gloire.

Charles VII voulut faire la paix ; il vint avec vingt mille hommes à Neufchâteau, Saint-Mihiel et Vaucouleurs. Le damoiseau de Commercy calma l'orage qui allait éclater sur lui, en acceptant de faire hommage au roi et de lui payer 20.000 saluts. Les Verdunois donnè­rent au roi 10.000 saluts et deux bombardes. Charles Vil retourna à Reims et, jugeant à son tour la cause du comte de Vaudémont, lui déclara qu’il n’avait aucun droit au trône de Lorraine tant qu'il resterait des descendants de René et d’Isabelle. Antoine mourut en 1447 ; son tombeau, qui est aussi celui de Marie d’Harcourt se trouve aux Cordeliers, à Nancy. Ferri de Vaudémont s'attacha à René, son beau-père, et le servit en Italie.

Le prince Louis était alors le régent du duché ; mais Louis de Haraucourt traitait toutes les affaires. L’inutilité de ces guerres et les ravages qu’elles causaient ins­pirèrent aux seigneurs lorrains de se liguer pour trois ans, déclarant que leurs difficultés seraient soumises au régent Louis, et terminées par son arbitrage. Parmi ces seigneurs, on voit les noms de Haraucourt, Lenoncourt, Ferri de Ludres, Ferry de Parroy, Philippe de Lenoncourt, etc...

Cependant René, dont les affaires en Italie n’allaient pas au gré de ses désirs, revint en Provence ; il voulut conclure une alliance avec Philippe de Bourgogne ; il proposait le mariage de sa fille Marguerite avec Charles, comte de Charolais, avec cette clause que lui inspirait sa rancune contre Antoine de Vaudémont, que les enfants, nés de ce mariage, succéderaient aux duchés de Lorraine et de Bar avant ceux d’Yolande, épouse de Ferri de Vaudémont. Heureusement, Charles VII averti d'un projet si funeste à la France et à la Lorraine, l'empêcha d’aboutir.

Le damoiseau de Commercy recommença ses brigandages en 1443 ; avec trois mille routiers, il ravagea le pays messin. Le bâtard de Vergy lui infligea une défaite, et Louis, marquis de Pont, éleva en face du château de Commercy une forteresse pour le contenir.

La mort de ce jeune prince obligea René, son père, à revenir en Lorraine ; il vint avec Charles VII, qui, ne sachant comment occuper ses troupes, tenta de réduire les trois villes épiscopales Metz, Toul et Verdun ; cette guerre se faisait sans motif, à moins que ce ne fût pour venger un outrage fait à la duchesse. Elle venait à Pont-à-Mousson entendre prêcher les indulgences accordées par le pape Eugène IV ; des Messins embusqués pillèrent ses bagages. Les bourgeois de Metz auraient consenti à reconnaître le roi pour leur seigneur s’il voulait se retirer ; le roi prit son temps ; il mit un prévôt à Epinal, fit avec le dur mi pèlerinage à Saint-Nicolas ; de leur côté, les citains de Metz mirent leur ville en état de défense. Dix mille hommes assiégeaient la ville et prirent d’abord autour de la place villages et châteaux. C’était en 1444. A la sommation de se rendre, les bourgeois répondirent : Nous vous faisons savoir pour et au nom de la cité que nous aimerions mieux tous mourir, qu’il nous fût reproché que nous eussions une fois renvoyé le grand aigle.

La famine pressait la ville, elle n’aurait pas tardé à se rendre, si les envoyés, mandés à Pont-à-Mousson, bien avisés, n’eussent pensé qu'il valait mieux faire la guerre par l’argent que par les armes. Ils soudoyèrent en secret les conseillers du roi, et le traité entre Charles VII, René et les Messins fut vite signé. Les mercenaires n’avaient pas leur satisfaction, mais les Messins les menacèrent, on pendirent quelquesuns ; les autres s’en allèrent.

Le roi, passant devant Toul, demanda 2.000 francs pour droit de sauvegarde ; les bourgeois résistèrent, et leurs faubourgs furent brûlés ; devant ce spectacle, ils cessèrent leur résistance, ouvrirent leurs portes et se soumirent au roi. Les Verdunois acceptèrent de même la sauvegarde du roi et payèrent 2.000 francs. L’empe­reur Frédéric III, apprenant le traitement fait à ces villes impériales, protesta auprès du roi et du duc ; mais des occupations le retinrent ailleurs, il ne put donner suite à sa réclamation.

Henri VI d’Angleterre envoya son frère, le duc de Suffolk, proposer à René son mariage avec Marguerite. Celui-ci y consentit, mais comme son trésor était vide, il céda pour dot à Marguerite le royaume de Majorque, laissant au roi d’Angleterre la peine de le prendre.

René était peu solvable ; pour s’acquitter auprès de Philippe de Bourgogne, il payait la solde des garnisons bourguignonnes de Prény, Longwy. Neufchâteau et Clermont-en-Argonne ; l’urgent recueilli auprès du ses sujets pour su rançon avait été employé à. donner des fêtes magnifiques en Anjou ; les dames y accouraient et, parmi elles, on vit Anne Sorel, bien connue de Charles VII. Il remit à Jean de Calabre le duché de Lorraine, eu 1445, le 1er juillet ; le 1er  novembre il lui céda le marquisat de Pont-à-Mousson.

Jean avait toutes les qualités sérieuses de sa mère ; il voulut faire renaître la prospérité dans le pays ; le 20 avril 1440, il institua mi grand gruyer pour la Lor­raine et le Barrois. Cet officier forestier dut tenir six séances par an à Nancy et à Amance pour juger les causes forestières ; douze à Dompaire pour les Vosges ; douze à Bar et à Pont-à-Mousson pour le Barrois. Il était assisté dans ces jugements par les gruyers particuliers, les clercs et jurés comme accusateurs, receveurs et greffiers. Il devait visiter les bois et installer les gardes.

Les revenus de la Lorraine étaient descendus pendant ces guerres de 50.000 francs à 5.000 ; ceux du Barrois, de 20.000 francs à 3.000. Il prit une mesure douloureuse, mais nécessaire, ce fut d’annuler les ventes, donations, aliénations faites à la légère des biens publics ; du moins celles qu’il était impossible de justifier.

Cette mesure excita beaucoup de mécontentement ; Jacquemin de Beaumont, à Bitche, se fit l’interprète des mécontents ; il se révolta et vendit la place de Bitche au seigneur de la Petite-Pierre ; le duc vint s’en emparer et ce coup termina la révolte.

Pour calmer les esprits, René institua l’Ordre du Croissant, comprenant cinquante chevaliers. Pour y être admis, il fallait être noble des quatre lignes sans mésalliance et sans vilain cas de reproche ; le code de cet Ordre est tout une invitation à la bienfaisance, à la justice et à la vaillance.

René et Jean prirent une part glorieuse dans les combats que l’armée de Charles VII livra aux Anglais pour reconquérir la Normandie, de 1448 à 1451. Après ces guerres, Jean revint en Lorraine.

Isabelle mourut le 27 février 1453 ; René remit la Lorraine à Jean, comme c’était le droit ; mais il garda le duché de Bar.

Le roi René voulut se remarier ; il épousa Jeanne de Laval. Ce mariage ne lui fit pas quitter une Albertaz qui faisait fondations et jolis tableaux ; elle avait de jolis enfants. La d’Albertaz avait à ce point gagné l’esprit du roi de Sicile que les enfants qu’elle eut de lui furent légitimés... bien injustement ; chacun connaissait les scandales de cette femme, René faisait semblant de les ignorer.

 

JEAN II (1453-1470).

Mory d’Elvange dit qu’il commença son règne par la prestation du serment devant la chapelle Saint-Georges qu’il respecterait les privilèges des trois Ordres. Ce serment fut fait en présence des seigneurs parmi lesquels nous notons Jacques et André de Parroye, Gérard de Haraucourt, etc... Le duc fit alliance offensive et défensive avec Frédéric 1er, comte palatin du Rhin.

Ce fut Jean, et non pas René, comme on l’a dit, qui demanda à Charles VII la révision du procès de Jeanne d’Arc : elle était donc Lorraine.

Le duc alla en Italie, laissant son duché sous la régence du sire de Foug et du comte de Lenoncourt. Les Florentins l’appelaient pour commander leurs troupes ; il devait rester trois ans et recevoir par an une solde de 12.000 florins. Il eut bientôt dégoûté Sforza de ses attaques ; les Florentins furent si satisfaits de ses services qu’ils lui firent une gratification de 70.000 florins, et il revint à Nancy au hou t d’un an. Cette somme lui permit de dégager les Vosges engagées au marquis de Bade.

De grandes fêtés suivirent son retour : on vit à Laneuveville vingt-quatre gentilshommes entrer en lice. C’est alors que les envoyés de Ladislas V, roi de Bohême, passèrent à Nancy, allant à Paris demander la main de Madeleine, fille du roi, pour leur prince ; pendant trois jours des fêtes saluèrent leur présence.

Alors Nancy se bâtissait ; on édifia les deux tours de la Craffe, les deux rues des Grandes et Petites Bordes se remplissaient de maisons.

Jean, nommé gouverneur de Gènes par le roi de France, retourna en Italie ; il triompha d’une agression de Frégoze, doge de Venise ; puis, il partit pour arracher Naples à la domination aragonaise ; il débarqua à Castellamare ; les subsides qu’on lui avait promis ne vinrent pas, mais ses soldats lorrains, angevins et provençaux étaient enthousiasmés de lui, et le 9 juillet 1460 il vainquit les Aragonais à Sora, sur les bords du Saro. Il n’osa attaquer Naples, il occupa les Pouilles. Le pape envoya contre lui Scanderberg ; devant ce capitaine renommé, Jean s'enferma dans Troja ; bientôt la ville lut prise d'assaut. Le duc parvint à s’échapper et revint en Lorraine, en 1461.

Le 15 août de cette année, il assista au sacre de Louis XI. Comme il pensait toujours à Naples, il demanda des subsides au roi ; celui-ci répondit : J'aviserai. Pour lui permettre de faire l’expédition méditée, les Etats votèrent un subside de 100.000 francs ; l'évêque de Toul, Guillaume Filâtre, lui fit un prêt considérable. Le duc laissa son duché à son fils Nicolas, marquis de Pont-à-Mousson, avec le titre de lieutenant-général ; il lui forma un Conseil de régence composé de Jean de Fénétrange, Gérard de Haraucourt, séné­chal, Jacques de Haraucourt, bailli de Nancy, Warry de Fléville, bailli d’Allemagne, Philippe de Lenoncourt et Philippe de Stainville.

Il partit pour Naples en 1461 ; Ferry de Vaudémont, son envoyé à Venise, ne put amener les Vénitiens à s’allier aveu; lui. Parmi les seigneurs de sa suite figurait Jacques Galcotto, sire de Campobasso. Cette campagne fut compensée de succès et de revers, et Jean revint à Nancy en 1463.

Il mit une contribution sur son marquisat de Pont-à- Mousson, pour se procurer les ressources nécessaires à une troisième expédition en Italie ; il voulut étendre cette levée à toute la Lorraine, mais les Etats s’y opposèrent et le duc dut reconnaître qu’il ne pouvait mettre aucune imposition sur ses Etats sans te consentement des Etats généraux. En désespoir de cause, il tenta avec quarante compagnons d’aborder, sous un déguisement, Frédéric d’Aragon ; mais arrivé en sa présence, craignant d’être reconnu, il ne tenta rien. Revenu en Pro­vence, il intercepta à Orgon une dépêche de Louis XI qui avertissait le roi d’Aragon du péril qu’il courait ; le duc en conçut contre le roi une vive irritation.

Aussi s’allia-t-il à Charles, comte de Charolais, dans la Ligue du Bien-Public contre Louis XI. René l'en avait dissuadé d’autant plus que le roi venait de prêter 22.000 crus à Marie d’Anjou, reine d’Angleterre. Le nombre des hommes que Jean amenait aux ligueurs était restreint, mais c’étaient des chevaliers superbes, tous entraînés à la guerre. Lui-même était parfaitement armé ; son cheval était bardé de fer ; il était digne d’être honoré, dit Comines. Il avait avec lui Campobasso, le sire de Baudricourt et Galiot ; il partageait le commandement des troupes avec le Charolais. René le rappela à l’obéissance et lui dit de se retirer ; Jean avait déjà vu que tous cherchaient, non le bien public, mais le leur.

En octobre 1465, se fit avec Louis XI la convention de Saint-Maur-des-Fossés ; Jean y mit sa signature au troisième rang, entre François II de Bretagne et Charles de Charolais. Le roi sachant que le duc de Lorraine avait travaillé à celle pacification et considérant qu'il était son parent, renonça, à tous les droits acquis sur Neufchâteau, Montfort, Frouard, Passavant et la moitié des droits sur la ville et la seigneurie de Grant, dont les garnisons étaient onéreuses au trésor royal. Il promit aussi 200.000 écus d’or, 500 lances et huit mille hommes pour aller à Naples et le gouvernement pour le roi René de la ville et de la châtellenie de Vaucouleurs, à la charge d’en payer les frais.

Jean, plein de confiance, accompagna Charles de Berry par ordre du roi, pour occuper la Normandie, apanage de celui-ci. Il eut le mérite de faire échouer une tentative de Charles de Bourgogne pour s’emparer du duc de Berry. Louis XI consentit à donner Anne, sa fille aînée, en mariage à Nicolas, marquis de Pont-à-Mousson. La dot était de 365.000 livres, gagées sur des villes de Champagne, dont la garnison serait française ; elles seraient rendues après paiement de la dot. Cette dernière clause mécontenta le duc ; le roi l'apaisa en lui promettant de lui céder Epinal, dont les habitants, d’ailleurs, se donnaient à lui, moyennant qu’ils auraient les mêmes libertés que ceux de Metz, Toul et Verdun : ceci se passait en 1465. Or, en 1463, Epinal attaqué et surprix par les routiers, l'ut sauvé par son patron, saint Gœric ; puis, Thiébaut de Neufchâtel, maréchal de Bourgogne, à qui le roi l’avait donné, le surprit par ruse. Les habitants en appelèrent au Parlement de Paris, puis au roi, qui leur permit de choisir leur seigneur. Le maréchal se retira, et Nicolas prit possession de la ville. Sur un retour offensif, Nicolas rassembla ses troupes, mais Louis XI commanda aux belligérants de se tenir en paix ; le Bourguignon se retira si précipitamment qu'il abandonna ses bagages. Châtel, Rambervillers et Chaligny furent ravagés dans ces circonstances.

La mort de l’évoque de Toul, Jean de Chevrot, fut l'occasion de troubles nouveaux et plus dangereux. Les chanoines de Toul partagés en deux partis, nommèrent pour lui succéder, les uns, Antoine de Neufchâtel, fils de Thiébaut, maréchal de Bourgogne, et les autres ensuite élurent Jean Clézentaine. Le duc de Bourgogne appuya la première élection près du pape qui l'ap­prouva. Le duc de Lorraine et le maréchal se brouillèrent alors de nouveau : Antoine mit des garnisons bourguignonnes dans les châteaux de Maizières, Bussy Liverdun, et ces soldats firent des courses dans le duché. Nicolas les poursuivit sans succès ; ce qui l'irrita au plus haut point, c’est qu’à Bainville-sur-Moselle une embuscade surprit des gentilshommes lorrains qui furent ou tués ou pris comme prisonniers. Il s'en prit donc à la ville de Toul ; mais un subside qu'il en reçut, l’arrêta à temps. Il mit garnison dans les villes du temporel, à Void ; en six jours, il prit Maizières ; mais il éprouva des revers ; Maizières repris reçut une nouvel  garnison qui, avec celles de Liverdun, Châtel et Chaligny firent de nouvelles courses.

Antoine de Neufchâtel, cause de tant de maux, menait une vie peu édifiante ; Jean, qui était absent, fit prier les chanoines d’élire un autre évoque ; ils n’osèrent entrer dans cette voie.

Le maréchal de Bourgogne entra en Lorraine avec six mille hommes pour défendre son fils ; il répandit ses ravages sur cinq cents villages qui furent incendiés on pillés. Nicolas était trop jeune et trop indolent pour délivrer le pays ; ses conseillers le secondaient mal. Le maréchal de Fénétrange rassembla une armée : les prévôts firent des recrues ; les seigneurs armèrent leurs vassaux ; cette armée exaspérée ravagea le territoire de Toul ; on arrachait les vignes, on coupai! les arbres, ou détruisait les maisons. Devant de pareils ravages Charles le Téméraire conseilla à Thiébaut de Neufchâtel de donner une fin à cette guerre. Celui-ci ne tint compte de ce conseil ; il rassembla deux mille cinq cents Fla­mands et mercenaires, traversa le Barrois, laissa du Fay, son gendre, à Liverdun, il attaqua Condé (Custines) et le brûla. Pour venger cette attaque audacieuse, le maréchal de Fénétrange assiégea Liverdun et le prit au bout de six semaines. La garnison de quatre cents hommes obtint une capitulation ; mais les habitants payèrent une somme considérable, les murs furent rasés et Liverdun demeura comme une ville champêtre ; le château fut brûlé et les archives de l'évêché de Toul, qui s’y trouvaient, turent anéanties, sauf un tiers qui fut déposé à la collégiale de Saint-Georges. Un chef de bande fut pris dans la foret de Haye, il avait un riche drapeau figurant une licorne avec celle devise : « A moi ne tient ». Le maréchal voulut venger cet échec ; mais un de ses capitaines, Thierseein, fut tué et un drapeau semblable fut pris.

En mars 1468, Chaligny fut attaqué par les Lorrains ; la résistance dura jusqu’au mois d’août ; alors les étrangers se retirèrent et cent vingt habitants furent conduits dans les tours de la Graffe. Ils rachetèrent leur liberté par une forte somme, ils promirent d’être bons Lorrains à l’avenir. Les châteaux de Chaligny, Bainville-sur-Moselle, Brixey, Maizières furent détruits ; Châtel seul resta au maréchal de Bourgogne.

Restait la question de l’évêque de Toul ; le pape, après avoir consulté le roi, disait qu’il n’y avait qu’à le garder. Les chanoines écrivirent au Saint-Père que, depuis sept ans, les maux tombaient sur le diocèse ; le procureur de Lorraine les engagea à nommer à sa place Jean de Lamballe. L’archidiacre de Port combattait cette résolution ; mais celui de Vittel la défendait : le nouvel évêque fut élu.

Le pape lança l’excommunication contre les chanoines et contre ceux qui les avaient influencés. Antoine de Neufchâtel établit son officialité à Luxeuil, et son frère Henri envahit le duché avec trois mille hommes, le ravageant à nouveau.

Les affaires en étaient là, quand Jean II mourut, 1470. L’évêque de Metz revendiquait Epinal. il avait fait appel à l’empereur Frédéric lit qui soumit lu question à la diète de Spire ; l’obstacle qui s’opposa à une décision, fut précisément la mort du duc de Lorraine. Revenons en arrière. Que faisait donc Jean II pendant que tant de choses se passaient en Lorraine ? La Catalogne révoltée contre dom Jean II, frère d’Alphonse II, s’offrit à René qui était le beau-frère de Jean Ier. Le roi René leur proposa son fils Jean II de Lorraine ; les Catalans l’acceptèrent. Les Etats généraux de Lorraine, assemblés à Pont-à-Mousson, accordèrent un impôt de 2 gros par conduit dans les villes et d’un demi-gros dans les villages ; les chevaliers et maints prélats donnèrent la grosse somme à Jean ; Louis XI avait promis, mais il ne donna rien ; René donna 100.000 francs et deux cents archers ; Jean réunit huit mille hommes ; les Lorrains, les Angevins, les Provençaux, le suivirent avec enthousiasme ; Ferry de Vaudémont commandait sous ses ordres. Les Catalans insurgés augmentèrent son armée ; il se trouva à la tête de vingt-cinq mille hommes et fit son entrée à Barcelone. Vaudémont secourut Saréal près de Taragone et le 1er avril 1469, il battit dom Jean, prit Castillon de Augennes, Girone, Rosas, Vich, Fraga, Tortose, Lérida; le comte de Campobasso était avec lui. Vers la fin de 1469, le comte de Vaudémont, affaibli de santé, se retira de l’armée et vint mourir à Joinville. Jean de Lorraine entra en Aragon, lorsque derrière lui s’éleva une insurrection formidable suscitée par dom Jean. Le duc tomba à son tour dans une maladie de langueur, fit un pèlerinage à Notre-Dame-de-Montserrat et expira le 13 décembre 1470. Il y eut des soupçons qu’il mourut empoisonné.

Dans son testament, Jean de Beauvau était nommé son exécuteur testamentaire, mais le testament était sans doute apocryphe, car un bâtard y est nommé, que le due n’eut pas. Tl eut pourtant deux fils naturels et deux filles naturelles aussi ; l'une fut mariée à Jean d'Ecosse et l'autre à un Beauvau. Il fut enterré à Barcelone ; mais René voulut qu’on ramenât ses restes à Nancy et qu’0n lui lit un mausolée dans la chapelle de Saint-Georges.

 

NICOLAS (1470-1473).

Les seigneurs oui étaient en Catalogne appelèrent le marquis de Pont-à-Mousson, Nicolas, à se mettre à leur tête ; il refusa ; on parla du bâtard de Calabre, fils de Jean II ; les soigneurs n’en voulurent point, et prirent le parti de rentrer en France ; ils infligèrent une défaite aux Aragonais qui les poursuivaient. Parmi ces seigneurs furent Campobasso, Conrad d’Haussonville. Hermann de Prény.

Le nouveau duc fut retenu à Paris, non pas par sa fiancée Anne, fille de Louis XI, mais avait alors a sou pouvoir le dit, seigneur certaine... Anne qu’était fille de Robert, marchand d’Amiens, qui était, dit-on, gentille, mais qui... ne lui était guère fidèle. Les Etats envoyèrent solliciter René 1er de reprendre la couronne ducale, mais il ne veut songer qu’ci celui qui gouverne les rois. Les seigneurs revinrent à Nicolas ; mais celui-ci, captivé par cette personne indigne, ne fit aucune réponse à MM. de la chevalerie qui furent en grand courroux. Mons de Salm a mérité pour être duc, mais Nicolas ne vaudrait tant seulement être comte de Salm.

En sire de la Roche habitait en Alsace un château inaccessible, d’où il faisait des incursions tant en Alsace qu’en Lorraine ; le comte de Salm, aidé de l’évêque de Strasbourg, attaqua ce château ; il succomba sous les coups de l’artillerie et cette forteresse fut rosée. La ville de Marmoutiers, servant de repaire à ces aventuriers, eut le même sort. Les seigneurs, abandonnés du duc, se liguèrent et, se tenant à Charmes, attaquèrent Châtel ; les Bourguignons surprirent le troupeau de Charmes mal gardé, s’en emparèrent et le rentrèrent à Châtel, malgré la poursuite qui leur fut faite. Les Lorrains eurent encore à subir la perte de Jean Lambert, le meilleur tireur de leurs bombardes. Pour faire abandonner le siège, Thiébaut de Neufchâtel prit un singulier moyen ; il eut recours au comte de Clermont. Or, celui-ci était un ami de la Robert ; Nicolas en était dépité. La Robert, stylée par Clermont, promit à Nicolas qu’elle romprait avec celui-ci, si le duc donnait au comte de Salm l’ordre d’abandonner le siège de Châtel. Le duc, aveuglé par sa passion, donna, en effet, cet ordre au comte, mais le comte de Salm donna cette réponse qu’il n’exécuterait point d’ordre dont viendrait vergogne à son seigneur. Le maréchal, n’ayant pas eu par ce moyen le succès espéré, assembla ses troupes pour marcher contre les assiégeants ; le comte de Salm fit faire des abatis pour ralentir leur marche. Les Lorrains indignés de la con­duite de leur duc, ralentissaient leur ardeur ; les Bourguignons leur proposèrent un accommodement qu’ils s’empressèrent d’accepter ; les Lorrains se retireraient en emportant leur matériel ; les habitants, contents d’être délivrés du siège, les aidaient à l’emporter et à le mettre en sûreté à Charmes. Le Bourguignon arriva devant cette ville avec huit mille hommes ; Jacques de Haraucourt y commandait ; on le somma de se retirer ; il refusa. Les Bourguignons, apprenant qu’en Lorraine le ban et l’arrière-ban étaient convoqués, se retirèrent. Salm, renforcé de sept à huit mille hommes, les poursuivit ; mais il perdit trois cent vingt hommes dans une contre-attaque qu’ils firent.

Jean Wisse, sire de Fénétrange, obtint enfin du duc Nicolas qu’il vint en Lorraine ; à Bar, il fut reçu, le 1er avril 1471, par René de Vaudémont. Les seigneurs, entre autres le comte de Lenoncourt, Haraucourt. Parroye, etc., vinrent à sa rencontre jusqu'à Gondreville. A l’approche de Nancy, il fut reçu par une procession avec bannières en tête ; les enfants criaient : Noël ! Devant la porte de la Craffe, il lui fut demandé de prêter le même serment que ses prédécesseurs. Il était doux, affable, son arrivée fut célébrée par de grandes fêtes ; puis il fit un tour dans les villes du duché.

Il se plaignit plus tard aux Etats qu’on eût fait un arrangement avec les Bourguignons sans que son nom ait été prononcé : Simonin des Armoises, le tonnerre sur les princes, lui répondit hardiment que ses sujets étaient prêts à donner leur sang et leur vie pour lui mais que cela lui servît de leçon.

Bégner comme ses prédécesseurs avec le concours des Etats ne lui plaisait pas ; il partit de Lorraine sous le prétexte de se rendre en Catalogne. Louis XI, à qui il demandait des subsides dans ce but, l’engagea à s'unir à lui contre Charles, comte de Charolais ; Nicolas répondit qu’en tenant l’ennemi en échec à Châtel, il faisait sa part. Le roi n’insista pas ; mais le duc vit bien que le fourbe monarque l’avait leurré en lui parlant du mariage de sa fille. Charles, pour le gagner à sa cause, lui promit le mariage de sa fille Marie ; c’était la même fourberie. Il vit bien que le roi entendait le retenir à Paris ; pour en sortir, il fallut user de ruse ; il fit une promenade à Vincennes ; des chevaux y étaient préparés, il les monta, et revint rapidement à Joinville. Charles lui proposait un traité d’alliance offensive et défensive ; les Etats le trouvèrent avantageux. Alors, en 1472, il prit prétexte de faire un pèlerinage à Saint-Nicolas ; il se détourna par le gué à Tomblaine ; il prit le chemin des Flandres ; il emmenait avec lui Simonin des Armoises et vingt-cinq gentilshommes superbement vêtus ; il signa l’alliance offensive et défensive le 25 mai 1472.

Après cet acte, le duc ne put que se réconcilier avec l'évêque de Toul, Antoine de Neufchâtel ; un accord fut signé avec lui à Luxeuil, le 22 décembre 1472. Nicolas rendit les archives ; de Lamballe, le concurrent de l’évêque, se désista ; les citai ns de Toul, las de l’absence de leur évêque, l’accueillirent. Antoine réclamait douze années de ses revenus ; le duc lui donna 6.000 florins et tout fut apaisé.

Nicolas accompagna Charles le Téméraire en Normandie ; celui-ci était émerveillé de la belle tenue des chevaliers lorrains et de leur bravoure ; mais le duc de Lorraine vit bien qu’il le leurrait comme le roi. Aussi revint-il à Nancy et ne s’occupa plus que de fêtes ; il mariait ses serviteurs et assistait à leurs noces ; il avait abandonné la Robert ; il s’éprit de la fille du sergent de ville Simonin, qui surpassait la Robert et était plus qu’elle soucieuse de plaisirs. Le duc n’était entouré que de gens de conduite légère ; c’est ce que disaient les chansons ; les Messins surtout se moquaient. Le duc s’en irritait et voulut brûler leur ville ; il s’en ouvrit à l’évêque de Toul qui s’excusa de l’y aider.

Un Berthold Krantz avait à se venger des Messins ; il inventa une machine dont il se promettait merveille pour prendre Metz. C’était un chariot portant des poutres qui, en s’arrêtant sous la herse d’une porte de la ville, l’empêcherait de s’abaisser et livrerait passage pour y entrer. Le duc, à qui le plan fut soumis, l’agréa ; il réunit avec soin huit mille hommes entre Pont-à-Mousson et Metz ; il les réunit à Gondreville ; à la nuit il les ramena vers Metz ; l’avant-garde y arriva au petit jour. Des chariots chargés de tonneaux remplis de soldats passèrent comme voitures de marchands. La machine resta engagée sous la porte Serpenoise et obstrua le passage ; cinq cents Lorrains entrent ; mais le poste prend l’alarme; Horelle, le boucher, descend la herse qui brise la voiture ; le peuple, les soldats tombent sur les Lorrains qui se retirent jusqu’à la porte et sont massacrés. Les Allemands de l’armée du duc refusent d'avan­cer, ne voulant pas combattre à pied ; Gérard de Halancourt est retiré par les pieds et par les mains par dessous la machine ; il est sauvé. Les Lorrains perdirent trente-trois des leurs ; les Messins eurent trois hommes tués. Le duc perdit le grand étendard et quatre personnes notables (Salm, Rosières-aux-Salines), etc... Le duc se retira après quatre heures, disent : Ne les ai lien cette fois, bref les aurai ; il ne voulut pas qu’on fit ravage de peur de représailles. Les Messins dégagèrent les environs de leur ville, réparèrent les remparts et portèrent a Frédéric III leurs plaintes contre le due, le comte de Salm et le comte Palatin.

Le duc songeait à son mariage avec Marie de Bourgogne. Tout en attendant cet événement, il fit des préparatifs formidables et réunit vingt mille hommes. Un jour, il alla à Saint-Jean du Vicil-Aître ; il fut pris de vomissements ; on le rapporta an palais, il y mourut ; il était enherbè (empoisonné) ; par qui ? son serviteur le Glorieux ? Non, puisqu’on perdant le duc, il perdait tout. Louis XI ? Il n’y a pas de preuves.

Il laissait de Anne Robert une fille au berceau ; elle fut appelée Marguerite de Calabre.

Il avait des sentiments religieux, malgré les désordres de sa conduite ; en 1472, il fonda le couvent des Cordeliers de Raon-l’Etape. Il était immoral, mais il était bon, humain et juste. Il n’avait pas les talents de Jean II, son frère ; il n’accrut la Lorraine que de la ville de Sarrebourg. En 1464, les bourgeois s’étaient donnés à Jean II qui n’en voulut pas ; Nicolas, sans craindre de déplaire à l’évoque de Metz, les accepta avec la condition de payer leurs dettes.

A cette époque on avait déjà commencé à brûler les sorciers, ou prétendus tels. La première exécution fut faite en 1372 (Chronique du doyen de Saint-Thiébaut). Les légendes venues d’Allemagne entretenaient le souci et la crainte des sorciers : la légende du roi des Aulnes, en allemand, Eilenkœnig, dont on fit Elénkin, Eliquin, Hennequin ou Marie Hennequine : ce roi de la Haute-Chasse allait au Sabbat ; malheur à la personne qui était rencontrée ; le bruit que faisait la troupe était la remolière (roue à aiguiser). L’assemblée, disait-on, se faisait en liant du lac de Retournemer ; il y avait aussi les fées ; puis Culà sous forme de bouc. Il y a soixante- dix ans, on faisait peur aux enfants avec ces contes ; en 1470, la peur que toute la société en avait amenait des soupçons ; ces soupçons, basés sur des remarques futiles, prenaient corps ; l’accusation venait, suivie de l’interrogatoire, de la torture qui était horrible ; les victimes, pour abréger leurs maux, disaient oui à tout ce qu’on leur demandait. On n’arrêtait pas ces cruautés avant que le cahier du greffier ne fût rempli. Devant ces aveux, l’évêque signait le renvoi au bras séculier ; les échevins de Nancy révisaient et approuvaient la procédure ; les malheureux étaient condamnés à mourir sur le bûcher. Par pitié, on les étranglait avant de les livrer aux flammes. On lit aux Archives de Meurthe-el-Moselle, à Nancy, les dossiers de Parmentier et de la femme Malgras, de Champenoux, et de cent autres... La rumeur publique était le grand argument pour les condamner.

 

RENÉ II (1473-1508).

Les Etats se demandaient à qui, après la mort de Nicolas, appartiendrait le duché : les uns pensaient an duc de Bade, fils de la seconde fille de Charles II ; d'autres proposaient le bâtard de René 1er et de l’Albertaz. Plus justes furent ceux qui pensèrent à Yolande, fille aînée de René Ier, qui avait un beau fils, René, comte de Vaudémont, âgé alors de vingt-deux ans. Les Etats députèrent Jean de Witt à Joinville près du prince et de sa mère : ils promirent de venir à Nancy vers le 15 août.

Charles le Téméraire se hâta de le faire enlever à Joinville, lui promettant sa fille Marie en mariage, promesse dérisoire, puisque René avait déjà épousé Marie d’Harcourt, comtesse de Tancarville. Louis XI apprit aussitôt tôt cet enlèvement  ; il en vit les conséquences funestes pour ses intérêts ; il enleva aussitôt à Paris le neveu de Frédéric III, déclarant qu’il ne le mettrait en liberté que quand René le serait. Charles, «attendant de l’empereur qu'il flattait, le titre de roi, se hâta de renvoyer René à Joinville pour obtenir la liberté de l'autre prince.

René hâta sa venue à Nancy, le 2 août, la, population vint en procession au-devant de lui et de sa mère jusqu'à la croix Nouvion, près de Ludres. Le duc baisa la relique de saint Georges ; arrivé devant la Collegiate, il fit le serment accoutumé de ses ancêtres. Au peuple, il dit : Ne ferai rien qui serai aimé de tous. Aux Etats : Sans voire conseil ne ferai rien. Il se rendit bientôt à Vézelise; les partisans de Bourgogne profitèrent de cette courte absence pour disparaître. La duchesse lança de Vézelise un manifeste dans lequel elle rappelait ses droits à la couronne ducale et déifierait les céder à son fils aîné, mais elle entendait garder le titre de duchesse, et, c’est sous ce titre que René Ier, son père, lui alloua 100.000 écus d’or. Après avoir fait une visite à Joinville le duc prit en main le gouvernement. Il était jeune, mais il avait reçu une brillante éducation ; Didier de Bisfroff, son précepteur, lisait les saints Pères ; il avait copié de sa main tous les écrits de saint Jérôme. René avait fréquenté à Florence Georges-Antoine Vespuce ; il s’était lié avec Améric Vespuce. Il était pieux ; il alla faire, pour son père, un pèlerinage à Toul, un pied chaussé et l’autre nu.

Après la mort de Nicolas, ses envoyés se hâtèrent de conclure une trêve avec les Messins ; elle fut chan­gée en paix définitive le 10 août 1473.

René Ier voulait faire le fils d’Albertaz marquis de Pont-à-Mousson ; René II, aidé de sa mère, et des Etats résista à un tel dessein ; il prit pour lui-même le marquisat, et Jean de Calabre consentit à entrer à son service ; il renonça même à ses prétentions en 1485, et renouvela authentiquement cet acte en 1507.

Louis XI se hâta de lui proposer par des envoyés son alliance ; René savait les vues du Téméraire sur ses Etats. Charles était à la tête de son armée dans le Luxembourg ; il attendait d’être nommé roi par l'empereur ; il promettait pour cela à Maximilien, fils de Frédéric III, la main de sa fille Marie. Frédéric vint à Metz. Les Messins craignaient tout de Charles et, pour se le rendre favorable, lui envoyèrent cent mesures de vin ; le duc de Bourgogne les rassura sur ses intentions. René craignait encore plus son redoutable voisin. Charles demanda d’entrer dans Metz avec ses troupes, pensant y être proclamé roi ; on lui offrit de le recevoir accompagné de cinq cents personnes. Charles en fut mécontent ; Frédéric se rendit à Trêves, où devait se faire le couronnement du Téméraire. Mais Louis XI et Jean de Bade firent observer à l’empereur le danger de ce qu’il allait faire; que bientôt le nouveau roi lui disputerait à lui-même la couronne impériale ; Frédéric persuadé se retira furtivement à Cologne.

Charles, pour hâter l’exécution de ses visées secrètes, demanda à René le libre passage dans ses Etats avec son armée et vint à Thionville. Louis XI pensionnait secrètement de 12.000 livres Louis de Gournay, le maître échevin de Metz. L’évêque, Georges de Bade, autorisa Charles à passer par les terres de son temporel, moyennant que celui-ci lui fît rendre Sarrebourg par le duc René, avec la clause d’en partager les revenus. Charles promit de lui faire racheter Nomeny et même Epinal dont lui et René se partageraient les revenus. Cette convention rendait inévitable une guerre avec le duc de Lorraine.

René ignorait ce complot, quand il reçut le duc de Bourgogne à Chambley, à Sainte-Marie-aux-Bois, à Frouard et enfin à Nancy, le 15 décembre. Charles ne voulut pas loger au Palais ducal, mais chez Vautrin Malhorte. Celui-ci était accusé d’être un concussionnaire et un espion de Bourgogne. Après des fêtes brillantes, les deux ducs allèrent à Saint-Nicolas à Luneville ; le 19, ils se quittèrent, c’était le moment mémo où ou transportait aux Chartreux de Dijon les rentes de Philippe le Bon. Charles engageait René à faire alliance avec lui, il lui montrait les inconvénients d’une alliance avec un roi tel que Louis XI, qui, de son côté, cherchait à brouiller René avec le Téméraire. Dans la perplexité de choisir entre les deux alliances, René consulta sou Conseil ; les avis étaient discordants ; on convenait toutefois que le roi était un fourbe. René choisit l’alliance de Charles ; dès lors, il fallait donner satisfaction à ses demandes : il accorda le passage par ses Etats aux troupes qui payeraient leurs fournitures ; il donna pour sûreté aux Bourguignons les quatre places de Prény, Neufchâteau, Epinal et Darney. Il nommera les gouverneurs et Charles payera les gouverneurs et les troupes.

Il arrivait ce qui était à prévoir ; les soldats vécurent sur le pays sans rien payer ; les habitants maltraités se retiraient dans les églises et se défendaient; les plaintes en venaient au duc qui les transmettait à Charles ; celui-ci promit une enquête et ne donna que de belles paroles. Louis XI voulut prendre ses sûretés ; il occupa le Barrois que tenait toujours René Ier ; « il prétendait agir ainsi pour la sûreté de la Champagne »,

Charles fit alors un traite avec Edouard d’Angleterre qui, en sa qualité prétendue de roi de France, lui céda la Champagne, le Barrois... et la Lorraine !

D’un autre côté, Sigismond d’Autriche, les cantons suisses, les évêques de Bâle et de Strasbourg, ayant à souffrir de l’ambition de Charles, firent une alliance ; ils proposèrent à René d’y entrer, lui promettant de le défendre : René donna son acceptation le 1er mai 1474

Louis aussi lui promettait l’oubli et lui offrait son alliance ; il répondit que les Bourguignons étaient au milieu de ses Etats dont ils pouvaient s’emparer en un instant. Le roi insista et le traité d’alliance fut signé par les envoyés des deux princes, le sire de Craon et Thirion de Lenoncourt ; celui-ci vint expliquer à René le sens de l’occupation du Barrois.

Muni des lettres de Louis XI, le duc s'opposa an passage des troupes bourguignonnes, et refusa l’occupation des places désignées ; il fit arrêter Vautrin Malhorte ; on lui fit son procès ; mais les preuves manquèrent, et bien coupable fut celui qui conseilla de l’arrêter, on le verra bien. Les Messins, conseillés par des gens soudoyés, restèrent neutres ; les Toulois se déclarèrent hautement pour le duc de Lorraine.

Robert de Bavière désirait recouvrer des biens aliénés et s’agrandir ; il pria le duc de Bourgogne de favoriser ses vues ; celui-ci vint mettre le siège devant Neuss. Une armée, commandée par Albert de Brandebourg, venait lutter contre les assiégeants ; Frédéric III proposa son alliance à René promettant de le défendre, mais il devait, de son côté, interdire le passage aux troupes de Bourgogne ; René accepta le 17 mai 1475. Celui-ci envoya aussitôt à Charles un gant ensanglanté pour déclaration de guerre. Le messager se sauva à mute bride après s’être acquitté de sa mission ; ramené près du prince, il reçut de lui une robe de prix et douze florins : Dis à ton maître que en Lorraine bientôt serai. Charles pour se venger publia le texte du traité par lequel René s’était allié à lui.

René commença la guerre, profitant de ce que l’ennemi était occupé à Neuss. Lorrains, Suisses, Français, Allemands se jetèrent sur la Bourgogne, l'Artois, la Franche-Comté et le Luxembourg. René, aidé des quatre mille français occupant le Barrois, assiégea Pierrefort, qui capitula le 4 juin, la forteresse fut rasée : le 6 juin, il s’empara de Faulquemont. Comme il était parti vivement en guerre, les vivres vinrent à manquer ; les Verdunois donnèrent au général français Craon, 15.000 écus, et celui-ci rejoignit le duc à Ars-sur-Moselle. Les soldats, pendant le séjour qu’y fit l’armée, maltraitèrent les paysans ; leurs plaintes furent portées à Metz, mais les conseillers qui étaient à la solde du roi, apaisèrent l’affaire. René et Craon se retirèrent après moult maur et ravages ; ils assiégèrent Damviller ; les bombardes y firent leur effet et après huit jours, le sire de Maur-Quentin capitula.

Charles fit alors un arrangement avec Frédéric ; promit sa fille à Maximilien et leva le siège de Neuss. Le Pape était intervenu pour faire la paix entre eux ; Frédéric se retira en Autriche. Ce lâche abandon de ses alliés irrita profondément les Allemands.

Le duc Charles ordonna au maréchal de Bourgogne de marcher contre les Lorrains ; mais il n’avait pas assez de troupes pour le faire ; le duc lui adjoignit Campobasso. Cet Italien avait servi chez les Lorrains ; René venait même de le récompenser de ses services jar le don du bas château de Commercy, mais lui, fort pauvre de meubles et d'héritage, s’était donné à Charles, après la mort du duc Nicolas.

Les chefs bourguignons suivirent René dans le Barrois, enlevèrent Landres et Gondrecourt, en Woëvre, assiégèrent Conflans-en-Jarnisy, où Gratien-Daguerre, ou d’Aguerre, gascon, se défendit par son artillerie contre six mille assaillants. Jean VII de Salm, à Briey, faisait beaucoup de mal à l’ennemi. René appelait Craon à Hatton-Châtel ; mais Louis XI changea d’avis ; il ne coulait pas avoir la guerre à la fois avec Edouard d’Angleterre elle duc de Bourgogne ; il donna, contrai renient à ses engagements, des ordres secrets à son général qui sc retira avec ses troupes : mais il rendit encore à René ce petit service de publier hautement que ce prince approchait avec de grandes forces, ce qui fit que les Bourguignons se retirèrent pour un instant dans le Luxembourg, et les Lorrains purent s'emparer des approvisionnements amenés par les marchands luxembourgeois.

Louis XI fit sa paix avec le roi d'Angleterre ; Margue­rite d’Anjou, veuve de Henri VI, lui fut rendue ; il la fit également avec Charles le Téméraire. Y comprit-il le duc de Lorraine ? Nul ne le sait. Charles agit comme si le roi n’avait rien stipulé en sa faveur. René n’osa faire appel aux Etats de Lorraine paralysés par les menaces de Charles, s’ils lui prêtaient leur appui. Le duc de Lor­raine n’avait que six mille hommes, y compris les soldats de ses alliés d’Alsace et de Suisse, et des aventuriers à sa solde, entre autres, J.B. Roquelaure et le gascon le Petit Génois. En quinze jours, les maladies lui firent perdre un grand nombre de soldats.

Charles s’avançait avec Georges de Bavière évoque de Metz, Campobasso et quarante mille hommes ; six cents hommes d’armes venant de Bourgogne traversèrent la Lorraine, passèrent à Varangéville ; on les vit, depuis les remparts de Nancy au-delà d’Essey rejoignant l’armée ennemie, sans qu'on put les inquiéter. Dans le Conseil on discuta le plan à suivre : les uns voulaient abandonner les petites places, défendre les grandes et tenir des forces en campagne pour harceler l'ennemi. Rolin dit qu’il fallait répartir les troupes dans toutes les places et que Charles perdrait son temps devant chacune d’elles : c’est ce funeste avis qui fut suivi.

La ville de Nancy fut armée ; elle formait un rectangle ayant aux extrémités de la Grande Rue deux portes ; celle de la Craffe et celle de Saint-Nicolas ; il y avait deux poternes, l'une à la Monnaie, et l'autre au Palais-Ducal ; un fossé, peu profond l'environnait ; les murs étaient peu élevés ; ils étaient défendus par des tours. On défendit les approches par des barbacanes ; on rasa les faubourgs et les bordes, ou maisons de campagnes répandues autour de la ville.

René se rendit auprès de Louis XI ; il exposa au roi ses maux et le danger extrême de sou pays ; le maître diplomate feignit de n’y point croire.

Le Barrois fut envahi le 20 septembre ; Briey fut assiégé ; la blessure faite à son chef Gérard d’Aviller par un coup de feu arrêta la défense ; les habitants vou­lurent capituler. Charles, par politique, les accueillit avec bonté ; tes villes et les châteaux se rendaient ; le 27 septembre, ce fut le tour de Pont-à-Mousson ; le 29, Dieulouard et Amance liront leur soumission. Le duc de Bourgogne vint à Essey, en passant par Condé, Pixerécourt, Malzéville ; il passa la Meurthe au gué de Tomblaine et se logea à Laneuveville et dans les environs. Le 1er octobre, il se rendit à Saffais, où il fit un camp retranché à la manière des Romains.

Louis XI, apprenant ces succès des Bourguignons, en était importuné, envoya quatre ou cinq cents lances seu­lement en observation ; René occupait Ormes, Lemainville el Haroué ; puis, le roi satisfait de ce que Charles lui livrait le connétable de Saint-Pol, ordonna à ses troupes de se retirer et de rentrer en France.

Charles attaqua Bayou et s’en empara ; il vint devant Charmes, pendant que ses lieutenants prenaient Ormes et Vézelise ; Mirecourt se défendit mollement. Le petit Picard, Jean de Savigny et Vautrin de Vaubécourt surprirent Xeugney ; ce petit succès des armes lorraines excita la colère du Téméraire. Les habitants de Charmes furent les victimes ; malgré leur soumission, il fit pendre aux saules quarante des défenseurs de la ville, permit le pillage ; quelques maisons furent incendiées, et, chose triste à dire, les gens de Châtel venaient exciter les soldats à agir ainsi. C’était le 10 octobre 1475. Dompaire résista à coups d’arquebuse ; mais la vue de l’armée ennemie découragea les habitants qui se rendirent; le duc traita humainement les quatre-vingts défenseurs, mais les habitants furent traités avec cruauté. L’ennemi passa la Moselle à Charmes et Arches. Saint-Dié, Remiremont envoyèrent des députés faire leur soumission.

Epinal avait une garnison de douze cents gascons et Allemands ; les habitants ne voulaient pas redevenir Messins et mettaient leur espérance dans les Français. Les défenseurs détruisirent des batteries de l’ennemi; mais quatre gros canons, placés grâce au brouillard, battirent les murailles. Les citains crièrent du haut de leurs murailles qu’ils se rendraient, si de bonnes conditions leur étaient faites. La ville avait quinze mille habitants ; Charles ne voulait pas se les aliéner ; il accorda à l’armée les bagages saufs et aux habitants leur indépendance à l’égard de l’évêque de Metz ; puis il entra en ville en grande pompe. Châtenois, Darney, Bulgnéville, Neufchâteau se rendirent. Le 22 ou le 23 octobre, Vaudémont fut livré par un capitaine étranger que René y avait mis.

Après un court repos, Charles vint à Pont-Saint-Vincent ; Lunéville, Einville, Rosières envoyèrent leur soumission ; Campobasso fut fait seigneur de Rosières : Raon, Deneuvre, Gerbéviller, Gondreville et Saint-Nico­las se rendirent avant l’approche de l’ennemi.

Le 25 octobre, Campobasso surprit le troupeau de Nancy, près de la ferme de la Madeleine : grande perte pour une ville qui va être assiégée.

Les Bourguignons arrivèrent sur les ruines des faubourgs et s’installèrent dans les jardins ; le duc mit sa tente entre Saint-Jean du Vieil-Aître et la fontaine Saint-Thiébaut, à l’abri de l’artillerie de la place. Le 25 et le 26 octobre, on se mit aux tranchées ; le 29, la ville était investie. Une batterie s’attaqua à la tour méridio­nale, jointe à la porte Saint-Nicolas par une courtine (remplacée aujourd’hui par la rue de la Pépinière). La garnison était de quatre à cinq mille hommes ; sou artillerie parvint à démonter les pièces des Bourguignons. Un pointeur, nommé Nicolas des Grands Mou­lins, placé sur la tour se plaisait le soir à délier l'ennemi par ses chansons ; on le criblait de flèches sans jamais l’atteindre. Un canon des assiégés éclata ; ils disaient aux assiégés qui cil riaient : Demain nous aurons la place et serez pendus.

Cependant la famine était dans la place ; Louis XI apprenant le coup de Ferrette, dont nous parlerons, permit à Charles de se venger des Lorrains, s’ils y sont pour quelque chose. René, instruit de l’extrémité à laquelle la ville était réduite, autorisa Jean de Calabre à capituler en demandant l’amnistie pour les habitants et la liberté de s’en aller aux étrangers. Charles, qui était impatient d’en finir, accorda avec joie tout ce qu’on lui demanda, tout en feignant céder aux instances du légat du pape. Le dédié des troupes assiégées fit dire au duc de Bourgogne qu’il leur était facile de l’enlever, s'ils l'eussent voulu.

Le 30 novembre, il fit, en grande pompe, son entrée dans Nancy ; il se logea au Palais ducal et fixa les logements de ses officiers. Le cortège fit son entrée par la porte de la Gratte ; devant Saint-Georges, il fit le serment traditionnel des ducs. Le 18 décembre, il convoqua les Etats pour le 27 ; et, comme il fit distribuer de l’ar­gent au peuple, on cria : « Vive le duc de Bourgogne et de Lorraine ».

Dans la séance des Etats, il promit d’agrandir la ville et d’en faire la capital de ses Etats ; il déclara qu’il irait à Ferrette et châtierait ceux qui l’ont pris. On dit que les seigneurs restèrent froids et muets devant ces déclarations. Digot pense qu’ils applaudirent. Les plus marquants qui défaillirent à la cause lorraine furent : Jacques de Haraucourt et ses fils, Perrin, Ferry, Evrard, Louis de Lenoncourt, Gaspard de Raville, Balthasar d’Haussonville, Simon des Armoises, de Dommartin, Nicolas de Vaudrecourt, Cunin d’Epinal, chevalier de Baccarat, Tolard Radolf, châtelain de Romont, Mougin, clerc juré de Ramberviliers, Huyer Prénette, un des secrétaires de René ; ces seigneurs étaient si anciens, disait-on, que quatre d’entre eux remontaient au temps où les Sarrazins étaient les maîtres. Le sire de Bièvre fut nommé gouverneur de Nancy ; ces seigneurs le prièrent de gouverner comme ses prédécesseurs, selon les usages, de résider en ville et d’écarter les gens d’armes. Gui ont fait des dégâts dans le pays ; de faire régner la discipline dans les garnisons et favoriser le commerce avec la France. Il institua un Conseil qui compta des Lorrains parmi ses membres.

Les Messins, que la conquête de la Lorraine effrayait, envoyèrent à Charles une coupe d’or avec cinq cents florins du Rhin. Charles fit la revue de ses troupes ; prit l’artillerie de Nancy, en chargea quatre-vingts voitures qu’il fit conduire à Luxembourg ; il y avait entre autres une grosse bombarde de dix-huit ou dix-neuf cents livres ; elle était portée par deux chariots. Les Nancéiens étaient consternés de leur malheur ; les Messins en étaient réjouis.

Le 15 janvier 1476, l’armée bourguignonne alla à Bulgnéville et, de là, alla en Suisse. Les Toulois avaient juré de défendre la cause de René ; Charles s’en souvint; mais ceux-ci rachetèrent leur imprudence en le recevant magnifiquement dans leur ville et à la cathédrale. Le duc s’en alla par Neufchâteau, Dombrot, en Franche- Comté.

Qu’était-il donc arrivé à Ferrette ? Un marchand suisse avait été dépouillé, en 1474, sur les terres du comte de Romont, Pierre de Hagenbach de Ferrette ; il prit ensuite des mesures désobligeantes pour les Suisses. Cela pouvait s’arranger, mais les bourgmestres de Zurich, l’avoyer de Lucerne, les landamans de Schwitz. Uri, Zug, Unterwalden étaient soudoyas par Louis XI Nicolas de Diesbach avait une pension de 400, puis de 1.200 livres. Ces gens gagnés ne firent rien pour obtenir la réparation du dommage. Une armée de huit mille Suisses et Allemands surprit Ferrette, décapita Pierre de Hagenbach ; ils firent subir des pertes immenses à Romont et au duc de Savoie, frère du comte de Romont. Les traités conclut entre Louis XI, Frédéric III et le duc de Bourgogne laissaient les Suisses exposés aux coups de celui-ci.

Vers la fin de juin 1470, le duc Charles viol mettre le siège devant Granson ; la garnison capitula ; il lit massacrer les quatre cent cinquante hommes qui la composaient. Une armée de vingt mille Suisses, animés par la vengeance, vinrent attaquer le duc ; celui-ci avait une position excellente, il la quitta pour ranger ses troupes dans un pays coupé de défilés : c’était le 3 mai. Sa cava­lerie ne put combattre ; il perdit mille hommes, ses bagages, son artillerie et des objets valant un million de florins.

Cette défaite rendit l’espérance aux Lorrains qui s'étaient retirés à Joinville : le bâtard de Vaudémont, Gérard d’Avillers, Gatien d’Aguerre, Jean d’Aigremont, Henri et Ferry de Tantonville. Le bâtard les conduisit à Vaudémont et, dans la nuit du 13 au 14 avril, grâce à la connivence d’un officier bourguignon, ils escaladèrent les murs et firent prisonnier le commandant Amédéc Valberg ; son frère, qui commandait à Vézelise, se retira à Nancy avec les garnisons des places prises et de Thélod.

Le sire de Bièvre mit en hâte Nancy en état de défense et, comme il craignait un soulèvement populaire, il laissa sortir de la ville ceux qui le voulurent. Louis XI vint faire un pèlerinage à Notre-Dame du Puys pour se rapprocher du théâtre des événements. René vint à Lyon solliciter de lui un secours, ce fut en vain ; des marchands allemands, voyant son dénuement, l’équipèrent et firent la garde autour de lui tant qu’il fut dans cette ville. Apprenant que sa grand’mère d’Harcourt agonirait, il alla lui rendre les derniers honneurs; cette femme lui dit : Ne vous chagrinez pas de votre duché perdu ; j’ai de quoi vous satisfaire. Il répondit qu’il comptait sur Dieu pour le recouvrer. Elle l’institua son héritier et lui laissa tous ses biens. Elle mourut le 19 avril ; la Chronique dit qu’il recueillit 200.000 écus ; c’est une exagération. Il revint à Joinville, près de Yolande. Une ambas­sade des Suisses vint le trouver, le priant de se mettre avec eux, qu’ils le secourraient à leur tour ; Yolande le dissuadait ; mais René prenant exemple de ceux qui eut fait de grandes choses, Josué, Alexandre, Charlemagne, Godefroy de Bouillon et Jeanne la Pucelle. Madame, dit-il, patience de moi ayez ; je suis délibéré chez les Suisses aller, et. à l’aide de Dieu, par leur moyen, mon duché recouvrerai ».

Il était bien périlleux de traverser ou la Bourgogne, ou la Lorraine au pouvoir de l’ennemi ; il demanda à Louis XI quatre cents lances pour l’escorter, le roi les lui donna avec une somme considérable ; mais le chef de l’escorte reçut l’ordre de ne faire aucun acte d’hostilité contre les troupes de Bourgogne. Il passa à Saint-Nicolas, on la garnison de Nancy prenait ses plaisirs ; le commandant de la troupe française leur dit qu’il va en paix. Pendant que René assistait à la messe, la femme nu vieux Walter lui donna une bourse garnie. Il passa par Ogéviller. A Sarrebourg, qui était encore sous son autorité, il trouva les comtes de Bitche. Saarwerden. Réchicourt qui lui amenèrent huit cents hommes ; il remercia son escorte, et, accompagné de ses soldats, il gagna Strasbourg et Zurich. Les confédérés de Strasbourg lui amenèrent douze pièces de gros calibre, entre autres I’Autriche que conduisaient dix-huit che­vaux. Oswald de Thierstein commandait le contingent de Strasbourg ; l’avant-garde était sous les ordres de Jean Waldemgem de Zurich et de Guillaume Herter ; Haltenstein conduisait l’arrière-garde : le général en chef était Guillaume Herter ; René commandait les batteries.

De son côté Charles faisait des préparatifs ; quatre-vingts pièces passèrent par Metz ; il payait toutes les dépenses, car il avait près de un million d’écus. Il arriva à Lausanne, côtoya le lac de Genève. Le 11 juin, il investit Morat, défendu par Adrien de Bertemberg avec seize cents hommes ; dix jours après, l'armée de secours arri­vait ; la bataille allait se livrer le 2 juin 1476. Pendant la nuit qui précédait, René se fit armer chevalier par Herter. Le duc de Bourgogne commit la même faute qu’à Granson : il voulut combattre en plaine, et, selon un ordre de bataille qu’il avait nouvellement prescrit, il rangea son armée en huit lignes d’infanterie avec six cents cavaliers sur les ailes ; il était facile de le tourner. Une pluie, oui tombait à torrents, favorisa l’attaque de Horstenstein qui tourna l'armée quand le succès commençait à se tourner vers Charles ; les troupes bourguignonnes se mirent en déroute, il resta quinze cents hommes sur le champ.

Le Téméraire alla cacher sa honte dans le château de Verrières, près de Pontarlier. René revint dans son duché, ayant reçu les promesses des Suisses de le secourir. Sa part du butin fut la tente de Charles et son artillerie pour remplacer celle de Nancy.

En Lorraine, les partisans de René faisaient les plus généreux efforts : les garnisons de Vézelise et de Pont-Saint-Vincent s’embusquèrent dans le bois du Saulru ; ils tombèrent sur une troupe escortant des marchands ; Jacques de Moy et quelques soldats s’échappèrent et se sauvèrent à Nancy. Gatien d’Aguerre, Philibert de y et Jean de Bascher font, depuis le château de Fontenoy, des courses contre Gondreville. La garnison de Nancy, après quelques échecs dans des escarmouches, se blottit dans la ville. Celle de Mirecourt, harcelée sans cesse, vint pour rejoindre celle d’Epinal ; les cris des habitants empêchèrent de la recevoir.

René prolongeait son séjour à Strasbourg à cause d’une émeute. Varin Doron, de Bruyères, vint le trouver et lui dit : Etes-vous endormi ? Il lui apprend que chaque matin les officiers bourguignons et leurs soldats vont à la messe dans l’église qui est en face de sa maison. Il lui propose de lui confier une troupe qui se mettra en embuscade dans sa maison, et prendra l’ennemi à l’église ; la prise de Bruyères entraînera celle d’Arches, Epinal, Remiremont jusqu’à Vaudémont ; René y consentit. Harnexaire et sa troupe partirent avec Doron. Le soir du second jour ils furent dans les bois voisins ; à minuit, ils entrèrent en silence dans le jardin de Doron et, au matin, ils enveloppèrent l’église et prirent les Bourguignons à capitulation. Saint-Dié, Arches, Remiremont chassèrent leur garnison. René voulut anoblir Doron ; il refusa ; il demanda la charge de sergent de ville à Arches pour lui et sa postérité. Les gens de Lave- line, eux, ne refusèrent pas d’être anoblis ; on les appela les gentilshommes de Laveline.

Harnexaire se rendit de là à Ambrail, près d’Epinal, avec quatorze cents hommes provenant des villes réoccupés ; les deux cent quatre-vingts soldats qui y étaient retranchés tombèrent entre les main des assaillants, après que leurs barricades furent été renversées. Harnexaire se retira avec ses captifs et deux cents chevaux ; ceux d’Amelménil se sauvèrent à Nancy par Châtel. La garnison lorraine de Vaudémont fit une course à Villacourt ; elle fut poursuivie par Haraucourt , qui commandait à Bayou ; les Lorrains se réfugièrent dans la tour de Belchamp ; ils durent capituler et furent c à Châtel. Pour venger cet échec, le bâtard de Vaudémont vint, avec d’autres chefs, formant une troupe de deux mille cinq cents hommes, attaquer Rayon ; ils le prirent d’escalade et firent un grand butin ; ils prirent des armes, plus de quatre mille resaux de blé, qui furent d’une grande utilité.

Ce succès les enhardit ; Vautrin de Wisse et d’autres se joignirent à Vaudémont pour faire le siège de Lunéville ; ils firent l’escalade du côté de Chanteheux ; l’ennemi apporta des fagots, y mit le feu ; cinq ou six soldats furent asphyxiés et les Lorrains durent se retirer, en gardant toutefois deux tours qu’ils avaient prises. Ils envoyèrent des dépêches à René pour hâter son arrivée.

Ce prince était à Strasbourg, il demandait aux Suisses leur concours et de l’artillerie. Les Strasbourgeois mettaient à son service six cents hommes, deux grosses bombardés et dix serpentines : il fallait huit jours pour les mener à Lunéville. Les comtes de Bade, de Salm et le sire de Réchicourt accoururent près de lui. La garnison de Lunéville, qui avait perdu cent hommes dans le premier assaut, voyant les bombardes et batterie contre eux, demandèrent des ordres à Nancy et se rendirent ; l'ennemi évacua Einville.

Toutes les garnisons refoulées vinrent à Nancy; ainsi les défenseurs étaient plus nombreux que les Lorrains. Les Allemands vinrent se mettre en embuscade au-dessous de Saint-Jean ; alors trois cents Bourguignons vinrent les surprendre ; ils se défendirent vaillamment, mais ils succombèrent ; l’armée accourue pour les secourir ne trouva que des cadavres des deux partis. I ne nouvelle embuscade fut inutile, car le sire de Bièvre défendit les sorties.

La famine commençait à sévir dans la place; les Lorrains surprirent un nommé Humblot qui s’efforçait de pénétrer dans la ville ; il leur apprit que le duc de Bourgogne s'approchait, qu’il était à Neufchâteau. Fallait-il le croire ? Dans le doute, on fit de l’année quatre corps qui se rendirent à Gondreville, Vaudémont et Rosières ; ce départ permit à l’ennemi de faire entrer quelques provisions dans la place. Pourtant Charles était loin ; les Lorrains en furent informés et Malhortie à Rosières, fit pendre Humblot.

L’avant-garde de l’armée lorraine, à son arrivée devant Nancy, fut attaquée par les Bourguignons qui étaient aux Grands Moulins ; elle fut mise en déroute. Les chefs lorrains se fortifièrent à Laneuveville, d’où ils empêchaient les convois d’entrer en ville ; eux-mêmes, ils étaient dans l’abondance.

Epinal était affamé par Harnexaire et par les gens de la campagne qui, par haine de l’ennemi, ne lui vendaient plus rien ; les habitants de la ville firent savoir à René qu’ils se révolteraient, si René arrivait chez eux. Les Alsaciens, au nombre de deux mille fantassins et cinq cents cavaliers, venaient avec des couleuvrines ; ils se réunirent à Rambervillers.

Une lettre de Charles, annonçant son arrivée, fut interceptée. La garnison d’Epinal était de quatre cents hommes, dont la plupart occupaient le château. Ceux qui étaient dans la ville dirent aux échevins : Que nous ne mourrions, laissez-nous partir un bâton à la main.René est bon, répondirent les magistrats, allez, et que deux d’entre vous restent pour répondre des dettes. Le duc René approchait ; le château fit une décharge ; le prince entra en ville, et ceux du château se rendirent aux mêmes conditions que les autres.

René s’en retourna en Alsace, laissant trente pièces d’artillerie, quatre cents Allemands et René d’Aguerre pour les commander. Saint-Dié, Sarrebourg envoyèrent des secours, ainsi que les prévôtés du pays. Strasbourg donna encore, et le duc rentra en Lorraine avec six mille hommes et un train d’artillerie qui lui fut prêté. Il arriva à Laneuveville le 15 septembre et rejoignit les autres troupes près de Saint-Jean du Vieil-Aître ; il fit le tour des remparts, accompagné de Renaud Messein. Les Bourguignons n’avaient pas nivelé leurs travaux d’approche, il en profita et dirigea l’attaque contre la courtine joignant la grosse tour à la porte Saint-Nicolas. C’était un ouvrage peu solide. Le duc avait alors quinze mille hommes.

A Toul, les chanoines et les habitants, apprenant que le duc Charles avait des vues sur leur ville, se mirent à réparer les remparts, à les armer ; René leur envoya des officiers pour les commander. Charles s’en plaignit aux Toulois ; ils répondirent que ces officiers n’avaient point de rapports avec l’armée lorraine. Les chanoines donnèrent une grosse somme à René ; ils lui abandonnèrent le tiers du revenu de leurs prébendes et l’impôt de un demi florin par conduit sur leurs terres; les bour­geois donnèrent 2.400 francs.

A Nancy, le sire de Bièvre avait une nombreuse gar­nison, trop nombreuse même pour les vivres dont il disposait ; il pouvait compter surtout sur des Anglais commandés par les capitaines Colvin et Midleton. Les Allemands, commandés par Harnexaire, étaient campés à l’ouest de la ville et avaient leurs canons en batterie sur son front. René avait assez d’artillerie ; il mit deux bombardes et une des couleuvrines en face de la porte Saint-Nicolas, en sorte que les assiégés n’osaient plus s’y montrer. Colvin, si brave dans le combat et si patient dans les privations, fut emporté par un boulet. Les Picards et les Anglais, quoi qu’il ne soit pus en leur usage de manger chair de chenal et de chien, patientèrent encore huit jours. De Bièvre leur promettait l’arrivée de Charles et abandonna son plus beau cheval pour nourrir les officiers. Après huit jours, Charles ne paraissait pas ; de Bièvre prie ses soldats à genoux de tenir encore, leur fait des menaces, sans lien obtenir. Hutin de Toullon et Midleton furent envoyés à René ne demandant que la vie sauve et la liberté de retourner chez eux ; cette demande s’étend ait à toute la garnison. Le 6 octobre, ils se présentèrent sur le boulevard de la porte Saint-Nicolas ; le bâtard de Vaudémont les fit conduire à René qui accorda tout ce qu’ils demandaient ; les étrangers et ceux qui ne voudraient pas rester à Nancy, sortiront avec leurs biens, leurs chevaux et leurs harnais ; amnistie pour les Lorrains défaillants qui seront tels qu’avant la guerre. Les seigneurs qui ont failli à leurs devoirs devront se mettre à l’ordre pour recouvrer leurs seigneuries et paieront les droits féodaux. Les gens de Chaligny remonteront dans leur village sans que la cause de leur attachement aux Bourguignons soit recherchée. Les soldats recevront le prix des prises qu’ils auront faites et Midleton, qui avait fait un prisonnier, en recevra la rançon.

Quatre cents Lorrains entrèrent immédiatement dans la place pour prendre possession des postes les plus importants. Bièvre envoya au due un pastel de cheval ; René répondit à cette politesse en envoyant des pâtés de venaison, chapons et viandes délicieuses.

Le 7 octobre, les Allemands sortirent les premiers ; ils furent arrêtés et dépouillés par les soldats lorrains ; René y mit bon ordre. Le pont-levis s’abaissa et de Bièvre sortit au son des trompettes. René, à pied, salua le chapeau à la main et les deux chefs se traitèrent fort courtoisement : Mon oncle, dit René, vous feriez bien de vous unir à ma cause. Voici les liens de parenté qui les unissaient : Marguerite, fille d’Antoine de Vaudémont, avait été épousée par de Croy, dont la sœur était la femme de Rubempré, mère de Rubempré de Bièvre. La garnison bourguignonne prit le chemin du Luxembourg et René s’établit à Saint-Nicolas.

Depuis deux ans les campagnes ne cessaient d’être ravagées ; René commanda aux laboureurs d'ensemencer les terres. Les soldats voulaient s’en aller, mais Louis XI envoya de l’argent à René qui put les payer et les retenir.

On apprit alors que Charles venait à Toul par Neufchâteau ; le 14, il apprit la capitulation de Nancy ; Toul lui refusa l’entrée dans ses murs. Il était à Dieulouard le 17 octobre, et voulait aller à Pont-à-Mousson pour faire sa jonction avec l’évêque de Metz et ses Etats du Nord. Campobasso vint le joindre avec sa troupe ; Bièvre, le rencontrant à Magny, lui reprocha de ne s’être pas trouvé au siège de Nancy et, par trois fois, lui dit : Vous êtes un traître.

Il y avait à Pont-à-Mousson une bonne garnison lorraine ; René vint à Autreville par la rive droite de la Moselle, pendant que Charles était sur la rive gauche : il ne voulait pas risquer ses affaires dans une bataille ; à minuit, il décampa pour aller à Pont-à-Mousson. Le 18, Charles passa la Moselle à Autreville et là communiqua avec l’évêque de Metz qui fournit des vivres à son armée qui, jusque-là, vivait de maraude. Le bâtard de Vaudémont venait à Aubreville avec trois cents hommes pensant rejoindre René ; grâce à un petit bois vingt hommes purent se sauver ; les autres furent tués. Le 19, une bataille se préparait : Charles était sur le versant de la côte de Sainte-Geneviève ; René était à Alton ; la pointe de la foret de Fack séparait les deux armées ; elles n’osaient la traverser ; on se tirait des coups de canon. A dix heures du soir, René fit allumer des feux pour tromper l’ennemi et se retira à Pont-à-Mousson. Le 20, Charles vint à Atton et campa sur la croupe de Mousson, dont le château restait occupé par les Lorrains. Les troupes de René n’avaient pas reçu de paiement ; les Allemands se mutinèrent, commencèrent à piller la ville et se retirèrent à Maidières pour s’en aller. René sortit de la ville avec son artillerie, supplia les soldats, leur montrant le péril d’être massacrés ; les soldats se rallièrent. Profitant d’un épais brouillard, il ramena ses troupes à Liverdun pour les conduire à Nancy, sans que Charles s’en aperçut ; les cavaliers prirent les fantassins en croupe pour passer la Moselle; René de sa personne en passa trente. Arrivé à Nancy, il mit la ville en état de défense, rassembla des vivres autant qu’on le put, d’Einville, Rosières, Saint-Nicolas ; malheureusement en trop petite quantité : les bourgeois déclarèrent qu’il y avait des vivres pour deux mois. Le commandement des troupes fut donné à Menault, Gatien d’Aguerre, Petit-Jean de Vaudémont Vautrin du Fay, Pied-de-Fer (gascon), Pierre d’Oriolles et le capitaine Fortune, qui devait abandonner le parti lorrain. Le duc dit : « Je serai de retour avant Noël ». Il était plein de tristesse ; il distribua ses troupes dans les places ; Malhortie, à Rosières ; les Allemands et un capitaine, à Lunéville ; le bâtard de Vaudémont, à Gondreville ; Henri et Ferry de Tantonville, à Mirecourt ; Nicolas ou Collignon de Ville, à Vaudémont ; Vautrin Wisse, à Epinal ; Jean d’Haussonville, à Saint- Dié, et Harnexaire, à Remiremont.

René vint à Ràon-l’Etape ; les Allemands réclamant 2 ou 300 florins qu’il leur devait, l'enfermèrent, disant qu’ils ne le laisseraient partir que quand ils seraient payés. Un habitant, Cachet, et les dames, avec leurs bijoux, lui donnèrent le moyen de les satisfaire. Il visita Strasbourg et Bâle : ses alliés lui promirent des secours à condition que les Suisses donneraient leur concours, car ils étaient indispensables. Il parla aux Cantons, reçut de bonnes paroles ; mais les chefs n’accordaient rien, parce que le pape travaillait à les réconcilier avec Charles, disant que ses malheurs l’avaient rendu plus sage. René s’adressa directement aux jeunes gens, leur promit quatre florins par mois ; ils y consentirent et les chefs leur donnèrent des capi­taines pour les commander et des enseignes.

Charles, qui avait vingt mille hommes, se hâta de venir à Nancy ; le 22 octobre, la ville se trouva investie. En quinze jours, depuis le dernier siège, les Nancéiens n’avaient pu détruire les travaux d’approche : une batterie foudroyait la courtine entre la grosse tour et la porte Saint-Nicolas ; une bombarde lançait ses projec­tiles contre la Craffe ; une plus grosse battait contre la tour Sor ou Sorat, à l’extérieur de la rue du Haut-Bourgeois. L’évêque de Metz ne laissait les assiégeants man­quer de rien ; mais les Lorrains des campagnes ne leur apportaient rien. Charles écrivit à Dijon qu’il aurait bientôt recouvré cet notre pays de Lorraine.

Cependant les commandants lorrains harcelaient les Bourguignons ; Malhortie, embusqué près de Ferrières, s’empara de huit voitures chargées de denrées qu’il partagea avec ses compagnons. Le 1er novembre au soir, le bâtard de Vaudémont sortit de Gondreville avec quatre cents hommes portant des écharpes blanches pour se reconnaître, traversèrent la forêt de Haye, et, à une heure du matin, s’emparèrent du détachement logé à Laxou. L’éveil fut donné dans le camp, mais personne ne bougea, parce qu’on pensait que c'était René qui venait en forces ; le bâtard de Vaudémont se retira avec du butin, des prisonniers et trois cents che­vaux. Les assiégés, de leur côté, avaient ouvert le l’eu contre les assiégeants.

Quatre cents Bourguignons vinrent à Tonnoy et s’y logèrent en tranquillité, sachant qu’il y avait des garnisons de leur parti à Bayou, Laneuveville et Richardménil. Averti par un habitant de Tonnoy, Malhortie entra dans le village, fit main basse sur ce qu’il rencontre, tue ceux qui résistent ; il emporta des bagages, beaucoup d’armes et emmena cent quarante chevaux. Au matin, les Bourguignons vinrent mettre le feu au village et au château pour se venger de Malhortie.

Vautrin Wisse apprenant que deux seigneurs bour­guignons retournaient en leur pays avec deux cents cavaliers, alla, pendant la nuit, se poster dans un val auprès de Dompaire. En route, il présuma qu’ils allaient à Fontenoy, occupé par une de leurs garnisons. En effet, les soldats de cette garnison se défendirent et Wisse repoussé alla en Franche-Comté, d’où il ramena trois cents têtes de bétail. Ceux de Fontenoy vinrent à sa rencontre pour lui reprendre son butin ; Wisse les tailla en pièces.

Cependant Charles le Téméraire ne donnait pas l’assaut à la place pour ménager ses hommes, espérant que la place mal approvisionnée, ne larderait pas à se rendre. Or, l’hiver était rude, la maladie sévissait dans son camp, il envoyait ses soldats à Saint-Nicolas pour se rétablir. Malhortie, renforcé de dix soldats tirés de Lunéville, les attaqua ; ils se réfugièrent dans l'église en tirant sur les assaillants ; ceux-ci entrent dans l'église ; les Bourguignons montent sur l’autel de saint Nicolas, embrassent les genoux de la statue ; les assaillants avaient un tel ressentiment qu’ils les tuèrent sans pitié. Malhortie trouva dix-huit cents chevaux dans les écuries de la ville ; des chariots chargés de butin, il emmena le tout à Rosières. Charles, exaspéré, marcha sur Rosières avec une partie de son armée ; son avant-garde se laissa surprendre et fut taillée en pièces dans un lieu fangeux, près de la croix de Saint-André ; un seul homme s’échappa; Malhortie était partout ; les Bourguignons se retirèrent.

L’hiver et les armes n’étaient pas seuls contraires aux Bourguignons ; il faut y joindre la trahison. Campo­basso regrettait le service des princes d’Anjou, vu que la fortune de Charles pâlissait ; il avait déjà proposé à Louis XI de lui livrer son maître ; mais le roi refusa et prévint Charles que Campobasso était un traître. Celui-ci pensa que si Campobasso voulait le tuer, ce ne serait pas le roi qui l’en empêcherait ; il ne le crut pas. L’Italien proposa son service à René ; celui-ci, moins sévère, lui promit une grande récompense, s’il l’aidait à recou­vrer son duché. En conséquence, Campobasso s’employait à retarder l’arrivée des munitions. Un outrage qu’il reçut le détacha tout à fait du parti bourguignon.

En Suisse, Jean Waldmann, avoyer de Zurich, admirateur de René, obtint que les troupes suisses fixèrent leur départ au 25 décembre. Le canton de Zurich demanda qu’une diète fût assemblée le 25 novembre ; les cantons promirent qu’ils fourniraient les contingents prêts à partir. Louis XI donna à René 40.000 francs, ce qui lui permit de donner une gratification à ses soldats. Il avait avec lui Jean de Bassompierre, Jean de Vaudrey et son maître, d’hôtel, Suffren de Baschi. Celui-ci s’offrit pour aller en Lorraine annoncer l'arrivée des secours ; René accueillit sa demande et lui dit : Va à Vaudémont, tu demanderas aux officiers de te donner un soldat pour te guider jusqu’au bord du fossé de Nancy. Les nobles Gérard d’Aviller, les sires d’Apremont et de Tantonville vinrent avec lui jus­qu’à Clairlieu, portant des sacs de pondre et de provi­sions ; ils descendirent par Boudonville. Une grande inondation favorisait leur accès ; ils arrivèrent au boulevard de la porte de la Craffe et crièrent : Lorraine! Lorraine ! Baschi s’écarta et arriva an bord d’un fossé qu'il ne put franchir, car la fièvre le dévorait ; il tomba cidre les mains des Bourguignons. Eu ville, on alluma des torches, on lira des couleuvrines. Le prisonnier amené devant, le duc ne voulut rien répondre ; alors le duc ordonna qu’on le pendît à la potence. Alors Campobasso pria le duc de ne le point faire mourir. Les sires de Chimay et de Bièvre et le bâtard de Bourgogne disaient : « Les Lorrains ont des prisonniers ; s’ils les traitaient ainsi que diriez-vous ? » Charles donna à Campobasso un soufflet ; celui-ci se tut. Baschi conduit près de la fontaine Saint-Thiébaut, craignant la mort, voulut révéler la trahison de l’italien ; il dit qu’il avait un secret à faire savoir au duc de Bourgogne. Ou vint pour le dire à Charles, mais Campobasso veillait à la porte de la tente, il dit : « Le duc a ordonné, exécutez ses ordres ».

Le lendemain, Gérard d’Avillers et le sire de Tantonville firent demander qu’on traitât le prisonnier avec bonté ; il était mort ; on refusa d’abord son corps, puis on le rendit ; il reçut la sépulture à Saint-Georges. Les assiégés pendirent des prisonniers en dehors de la grosse tour et de la Craffe. René prescrivit de traiter de même les officiers bourguignons ; il en périt plus de cent vingt. Le résultat de ces représailles fut que les Bourguignons n’osaient plus sortir de leur camp, craignant de tomber entre les mains de l’adversaire et de subir le même sort.

La position de Nancy n’en était pas moins difficile ; l’arrivée des deux compagnons de Suffren mit les assiégés en joie pour quelques jours ; puis le découragement ils gagnait. « Chaque semaine tuaient deux ou trois chevaux par faulte de chair de bœuf ou mouton ;  tous les chiens, chats, chattes, rats, rattes mangent en guise de venaison». Fortune laissa tomber son chapeau, comme par mégarde; dans le fossé; il y descendit, puis il courut, vers les Bourguignons ; il leur raconta la grande détresse de la ville, ce qui confirma le duc dans son plan de prendre la ville par famine.

Pied-de-fer réussit à franchir le camp et se rendit à Rosières ; de là il marcha jour et nuit pour dire à René à quelle extrémité la vile était réduite. Puis, il n'osa revenir à Nancy.

Les assiégés, dont l’inquiétude grandissait chaque jour, envoyèrent Thiéry, drapier, natif de Mirecourt; eu cinq jours, il arriva auprès du duc : il vit les bandes armées et réunies. Il revint au bois de Saulru, prit un fagot et habillé en bûcheron l’apporta au camp. Ou voulut le lui acheter ; il répondit que c’était pour les Anglais, qui étaient plus loin. Arrivé près du fossé, il jeta son fagot et descendit dans le fossé par où il rentra en ville. Les Nancéiens, rassurés par les nouvelles qu’il apporta, jurèrent de mourir plutôt que de se rendre.

Les munitions manquaient ; Michel Glorieux avait caché deux tonneaux de poudre, après le premier siège ; il vint le déclarer à Menault et à Gratien d’Aguerre. Un canonnier habile, Pierre, chargea un canon de la porte de la Craffe et démonta deux fois la grosse bombarde qui faisait des dégâts en ville. Charles devint furieux contre ceux qui avaient dit qu'il n’y avait plus de munitions en ville ; mais il ne donna pas l'assaut.

René ne perdait pas de temps ; il envoya l'auteur de la Chronique Lorraine donner ordre aux garnisons lorraines de se réunir toutes à Saint-Nicolas, le 4 janvier (1477). A Bâle, le duc fut enfermé par les Suisses qui ne voulaient pas le laisser partir qu’il n’eût donné un acompte. Or, ses ressources étaient épuisées ; il avait engagé jusqu’à son argenterie ; le comte de Linange supplia les mutins d'avoir patience ; ce fut en vain. Ce seigneur avait sous ses ordres Oswald de Thierstein qui, disgracié en Autriche, était venu se joindre à lui. Ses biens étaient considérables ; il engagea ses domaines, ceux de ses deux fils : 1200 florins lui furent comptés ; il les versa aux Suisses, qui consentirent à se mettre en marche.

Les contingents d’Alsace étaient prêts ; ils se rendirent à Saint-Dié ; les soldats de Colmar, Schlestadt et de Kaiserlautern étaient commandés par Hermann d’Eptingen ; les chefs de Strasbourg-, qui se sont distingués à Moral, se distingueront encore à Nancy. Les Suisses sont au nombre de huit mille ; Ulrich Tralleser commandait ceux de Schalfouse ; Petermann Pot, ceux de Baie ; Jean Waldeman, ceux de Zurich ; beaucoup de magistrats et de nobles voulurent combattre sous leurs ordres comme simples soldats. René assuré de leurs bonnes dispositions, marcha en avant à pied, une hallebarde sur l’épaule. Il arriva à Saint-Dié pour orga­niser le contingent alsacien. Ceux-ci avaient pris le devant ; ils étaient à Ogéviller ; les Suisses les rejoignirent ; René se trouva à la tête de quatorze mille hommes ; il apprit que les garnisons réunies formant quatre mille hommes étaient à Saint-Nicolas.

Apprenant le mouvement qui se dessinait, Charles envoya, le 3 janvier, une garnison à Saint-Nicolas avec ordre d’incendier la ville si elle ne pouvait s’y maintenir. Les Lorrains lui firent la poursuite jusqu’à la Madeleine, près de Saint-Nicolas, et lui tuèrent cinq à six cents hommes ; le reste gagna le corps principal devant Nancy.

En arrivant à Saint-Nicolas, les Lorrains se barricadèrent en attendant René ; le 2, il logea à Badonviller ; le 4, il était à Saint-Nicolas dans l’après-midi. Quatre mille hommes furent logés sous les Halles, les officiers .suisses dans les meilleurs hôtels ; les soldats en ville. Les Suisses apprennent que quelques Bourguignons n’ont pu s’échapper et sont dans l’église et dans plusieurs maisons. On les rechercha et on les tua sans miséricorde. Un soldat fut trouvé dans l’église par un Suisse, il le tira dehors et le décapita ; d’autres, liés ensemble et percés de coups, furent jetés dans la Meurthe ; c’est ainsi que le duc de Bourgogne avait traité ses prisonniers à Grandson. René ne put ou ne voulut s’opposer ; il s’occupait à préparer le succès de sa cause. Des gentilshommes français accourus pour combattre furent accueillis de grand cœur ; Louis XI envoya dans le Barrois Craon avec sept ou huit cents lances ne fai­sant nulle guerre, mais voyant qui aurait le meilleur.

Pour empêcher que les assiégés exténués de fatigue et de faim ne livrassent leur ville au dernier moment, René fit mettre un fanal au sommet de la tour de l'église de Saint-Nicolas ; ce signe fut vu de Nancy et ranima tous les courages. Les Bourguignons, affaiblis par les maladies et les pertes continuelles, comprirent alors qu’ils ne pouvaient lutter. Le duc de Tarente était parti avec sa cavalerie, rappelé par son frère ; Nassau et Chimay donnaient le conseil de se retirer dans le Luxembourg ; le 29 décembre, Alphonse de Portugal visitant Charles, lui offrit de se charger de faire une paix honorable. Le duc de Bourgogne ne voulut rien entendre ; les espions disaient que René amenait vingt mille hommes ; d’autres disaient qu’il n’en avait que peu. Ce sont ces derniers qui furent écoutés ; le Témé­raire disait à ses capitaines que le légat lui a promis de calmer les Suisses, que l’Enfant a peut-être réuni ses garnisons et comme un jeune fol veut m’assaillir. Par saint Georges s’il le fait, il fera grande folie . Les capitaines informés que c’était bien avec les Suisses que le duc de Lorraine était à Saint-Nicolas, disaient que René ne les poursuivrait pas dans le Luxembourg, que les Suisses le ruineraient et que, à la belle saison, on reprendrait avantageusement le siège ; que le duc devait songer à sa fille, à ses Etats convoités par Louis XI, et qu’une défaite aurait des suites incalculables. Par saint Georges, jamais reproche ne serai que devant un enfant me serai enfui ! Ce fut le dernier mot dit par le duc.

Les assiégés ne restèrent pas inactifs : pendant la nuit, les bourgeois sellaient les chevaux, se couvraient de leurs armes et menèrent les canons à leurs positions. Du côté des Bourguignons, trois corps peu nombreux sont chargés de contenir les assiégés ; Hutin de Toullon fut mis devant la Craffe ; John Midleton en face de la porte Saint-Nicolas et au nord-est à la poterne du palais ; à l’Ouest et au Sud sont les baillis de Hainaut et de Brabant. Campobasso, à la pointe du jour, s’éloigna en silence ; mais au lieu d’aller à la Madeleine, passa au-dessous de Vandœuvre et se rendit à Saint-Nicolas. Conduit à René, il rappela ses bous services auprès des ducs d’Anjou; il demanda Commercy qui lui avait déjà été concédé, et s’offrit pour combattre dans son armée. Les Suisses refusèrent de combattre, s’il était admis non seulement parce que cela blessait l’honneur, mais parce qu’un traître peut trahir encore. Campobasso dut se retirer ; il passa la Meurthe à Saint-Nicolas et se rendit au pont de Bouxières-aux-Dames; il le barricada avec des chariots pour arrêter les fugitifs et les faire prisonniers. Son frère Angelo Galeotti et Jean de Montfort le rejoignirent avec cent vingt cavaliers.

Les Bourguignons étaient démoralisés ; leur nombre n'était plus que de quatre mille hommes d’armes, soit six mille hommes en tout ; beaucoup étaient blessés ou malades.

La Meurthe fait une courbe vers le bois du Saulru, qui couvrait alors huit cents mètres plus loin les lieux où sont aujourd’hui la maison du Sacré-Cœur, le cimetière du Sud et les dépendances de la Malgrange. Ce terrain était en plaine avec des ravins formés par les ruisseaux de Nabécor, de Jarville et de Heillecourt. Charles suivit à Nancy l’ordre qu’avaient ses troupes à Grandson et à Morat. L’artillerie fut alignée à trois cents mètres en arrière du ruisseau de Jarville. Derrière, s’étendait la première ligne; Charles se tenait à droite et à gauche de la route avec deux mille cinq cents hommes formant le rentre ; l’aile gauche, avec Jacques Galeotto, s’étendait jusqu’à la rivière ; la droite, com­mandée par Josse de Lalanne, s’étendait jusqu’au bois ; derrière le centre se tenaient les archers ; la cavalerie était placée derrière le ruisseau de Nabécor ; le centre était commandé par le batard de Bourgogne ; le sire de Bièvre était à droite.

L’armée était couverte par le ruisseau de Jarville, fort encaissé à cet endroit ; c’était une position excellente. Charles pourtant paraissait triste en passant la revue de ses troupes ; pendant qu’on l’armait, le lion d’or de son cimier vint à tomber, il dit : Hoc est signum Dei ! (C’est le signe de la volonté de Dieu !)

Les Nancéiens, voyant tous ces mouvements, sortirent par la poterne du palais, attaquèrent Midleton et mirent le feu aux tentes ; en un instant tout le camp fut en flammes. Un soldat bourguignon se jeta dans le fossé en criant : « Pour Dieu sauvez-moi la vie ; nouvelles vous apporte! » Les hommes montaient sur les remparts essayant de pénétrer le brouillard pour voir faction ; le clergé, les femmes, les enfants en procession, adressaient à Dieu leurs prières.

René assista à la messe, dès la pointe du jour, à l’église Saint-Nicolas ; des autels étaient préparés sous les Halles pour célébrer des messes, car c’était le 5 jan­vier, et, ce jour-là, les Suisses, ni les Allemands n’eussent voulu manquer de l’entendre. Quand les troupes curent mangé la soupe du matin et bien bu, elles sor­tirent au son des tambours et des trompettes. Les nobles se placèrent devant René qui tenait son étendard figurant l’Annonciation ; il en confia la garde à Jean de Vaudrey. Sur la route, un marchand criait : Beuvez le vin de la Saint-Jean. Les Allemands n’y manquent mie, tous beuvent ce vin, car bon était.

Près de la Madeleine (aujourd’hui soudière), le duc profita d'un arrêt pour armer chevaliers plusieurs jeunes nobles. A Laneuveville, on surprit un espion dans la tour de l'église ; ou le jeta pur lu baie dans le cimetière. On fit halte au ruisseau de Heillecourt ; les espions annoncèrent que Charles n’avait pas envoyé d'éclaireurs dans le bois de Saulru.

Autour de René étaient les représentants des grandes familles : Ferry de Parroye, .Jacques de Savigny, Jean d'Haussonville, les sires de Saint-Arnaud, Hardémont, Bassompierre, Balthazard d’Haussonville qui désiraient réparer leur défection, Vautrin de Wisse, Ligniville, Thomas de Pfaffenhollen, sénéchal de Lorraine. Vautrin de Wisse émit l’avis que si l’on attaquait l’ennemi de face, on ferait des pertes immenses ; qu’il fallait entretenir son attention par des escarmouches et tourner l'adversaire par le bois ; tons approuvèrent cet avis.

Cent cavaliers s’avancent sur remplacement actuel de Bonsecours et échangent quelques coups de lance. Le duc de Bourgogne voit une troupe sur une éminence, il pense que sa droite est menacée : ce sont les conducteurs des convois et les vivandiers qui se portent là pour voir le combat.

Pendant ce temps, l’armée lorraine remonte le ruis­seau de Heillecourt jusqu’au point où se trouve la Malgrange ; il a plu, il y a de l’eau, de la glace les mal chaussés prinsent tout plein leurs souliers. On fit halte à Brichambeau, Wisse dit que chacun fasse fidèlement son service et nous déferons les Bourguignons. Un prêtre monté sur un tertre leur montre l’hostie consacrée, les exhorte à la pénitence, tous font une croix à terre et la baise dévotement ; le prêtre les bénit.

René fait avancer l’armée vers le bois du Saulru ; l’avant-garde formant l’aile gauche, conduite par Guillaume Herter, comprend sept mille fantassins et deux mille cavaliers. René, à droite, forme le corps principal avec huit mille fantassins et deux mille cavaliers ; derrière, viennent quatre-vingts couleuvrines ; douze on quinze fauconneaux ne servent pas. Le grand étendard et tous les autres sont réunis au centre pour éviter la jalousie ; des soldats éprouvés en reçoivent la garde. Le due est habillé comme à Morat ; il a une robe de drap d’or, les manches et le reste gris, blanc et rouge.

L’armée s’ébranle vers dix heures : l’infanterie marche dans un taillis, la cavalerie suit le chemin de Nabécor ; une neige grosse comme des noix tombe pen­dant un demi-quart d’heure et les dérobe à la vue ; les capitaines d’Oriolles et Manne arrivent sur la seconde ligne des Bourguignons. Le sire de Rivière fait faire une conversion à ses cavaliers, chargea les arrivants et met l’attaque en désordre. Alors, on entend le taureau d’Uri et la vache d’Unterwalden ; le son de ces trompes fait frémir Charles qui les a entendues en Suisse ; ce sont les soldats de Herter qui abordent l’ennemi ; ils tirent leurs couleuvrines et mettent en déroute la cavalerie bourguignonne. Les fantassins résistent, mais les batail­lons suisses descendent dans les ravins de la Made­leine. En quelques minutes, la seconde ligne est dispersée. «Quels gens voyez qui courent après ces gens ?» — « Ce sont les troupes d’Uri et de Morat qui poursuivent vos gens qui s’enfuient. »

Les fuyards retournent au camp ; les gardes des tranchées se joignent à eux, tous fuient vers Pont-à-Mousson. Campobasso les arrête au pont de Bouxières. les prend et se retire à Commercy.

En ce moment René sort du bois et ne voit plus la seconde ligne de l’ennemi ; il charge la cavalerie et la rejette sur le centre. Charles ne peut plus changer son ordre de bataille ; son artillerie ne peut se tourner contre l’ennemi ; un seul coup, qui put être tiré, tua Georges de Bulach et un gentilhomme lorrain. Galeotto croit que tout est perdu ; il passe la Meurthe au gué des Sables, sur la glace ; il s’enfuit à Metz sans être inquiété.

Sur le champ de bataille ce n’est que confusion. Le centre et la droite sont environnés d’ennemis dix fois plus nombreux : c’est René payant de sa personne ; il est entouré par les comtes de Salin, Bitche, Limange, les sires de Ribeaupierre, Ligniville, Nettancourt, Lenoncourt, Haussonville, Jean de Witte, le sire de Gerbéviller, Thomas de Pfatffenhollen et l’Allemand Jacques Feireler, de Wys, capitaine des gardes.

Charles, entoure de ses soldats, lait reculer deux ou trois fois les assaillants, mais il faillit perdre la vie, un coup de hallebarde le faisait tomber de cheval ; les siens le raffermissent en selle ; le cercle se resserre autour de lui, le moment est venu qu’il faut fuir ou mourir. Il fit, par un effort soudain, une trouée devant lui et courut à Saint-Jean.

Claude de Beaumont le poursuit et le blesse.

Au passage du ruisseau de l’étang Saint-Jean, son cheval chargé ne peut le franchir, il retombe dans la vase et Claude blesse le duc d’un coup de lance. Celui-ci crie : Sauve Bourgogne ! Son adversaire, qui est sourd, comprend : Vive Bourgogne ! il fait au duc une horrible blessure à la mâchoire, il tombe. Des soldats allemands passant par-là lui donnèrent le coup mortel.

Certains de la défaite des Bourguignons, les bourgeois sortent de la ville au son des cloches, ils interceptent le passage aux fuyards entre la ville et Boudonville et les obligent à se sauver du côté de la foret de Haye. Jeannet de Bidos et J.-B. de Roquelaure arrêtent le bâtard de Bourgogne dans une chenevière de Laxou. Le chevalier Olivier de Lamarche, Beaudoin, frère natu­rel de Charles le Téméraire, le sire de Neufchâtel, le comte de Nassau, Josse Lalain sont faits prisonniers. Les Suisses et les Allemands ne font quartier à personne ; ils tuent même des bourgeois imprudents qui sortent sans porter sur leurs vêtements la croix de Lorraine ; deux bouchers, Gérard et le Cardinal, qui ramenaient en ville un troupeau, eurent le même sort.

Les vainqueurs arrivèrent au pont de Bouxières, quand les Bourguignons achevaient de le déblayer pour pouvoir passer ; les uns furent tués ; les autres, essayant de fuir à la nage ou sur des glaçons, furent noyés ; d’autres parvinrent jusqu’à Metz. René arriva aux jardins de Bouxières avec mille cavaliers, en prévision de tout retour offensif. A ceux qui le félicitaient, il disait : Le duc est échappé ; il reviendra, quoique plus tard, et la guerre ne finira. ..

La ville de Metz était remplie de fugitifs ; ils étaient blessés, gelés, mouraient de faim et criaient à faire pitié ; il en mourut un grand nombre dans les hôpitaux. Le duc fit mener les prisonniers au château de Foug ; les gens de la campagne fouillaient les bois, tuaient les soldats et gardaient les nobles en vue de la rançon. René rentra à Nancy à sept heures, vint devant Saint-Georges remercier Dieu ; il se rendit à l’hôtel d’Arnoul parce que son palais était dépouillé de ses boiseries, dont on avait fait du feu. Il vit devant le palais un monceau des têtes des animaux mangés pendant le siège. Les soldats furent répartis chez les habitants ; les officiers étrangers logèrent dans les meilleurs hôtels ; les cavaliers retournèrent à Saint-Nicolas. Un page de Campobasso vint à minuit dire au duc qu’il savait que le duc Charles était tué.

L’hiver était si rude que les Suisses voulurent regagner leur pays sans retard ; déjà à Saint-Nicolas, ils avaient dit que, si l’on ne se battait pas le 5, ils s’en retourneraient chez eux. Le duc les accompagna jusqu’à Lunéville, ils lui dirent : « Si le duc est échappé, faites-le nous savoir, nous viendrons le combattre ».

On donna une escorte à Colonna, valet de chambre de Charles, pour chercher le corps de son maître vers Saint-Jean et l’étang ; une lavandière, qui connaissait le duc, était avec lui. Enfin, on trouva son corps en partie engagé dans la glace ; un loup avait entamé une joue ; on le reconnut à une cicatrice qu’il portait au cou et à la longueur de ses ongles. On le déposa dans la maison de Georges Marquiez, Grande-Rue. René le fit reconnaître par ses frères naturels, Antoine et Beaudoin ; Mathieu Lapez, son médecin, Olivier de la Marche, son chambellan, Denys, son chapelain, le sire de Neufchâtel et ses valets : tous le reconnurent. Puis il le visita dans sa chapelle ardente et lui dit : Cher cousin, vos âmes ail Dieu ! Vous nous avez fat moull maux el douleurs. Après les funérailles faites à Saint-Georges, il fut enterré dans la branche septentrionale du transept. Il lui fit faire un tombeau avec sa statue par l’imagier Jean Croock.

Les corps des Bourguignons ont été enterrés au lieu du dernier choc, à Bonsecours ; six cents corps furent enterrés à Bouxières. Jean Villers de Sarre obtint de bâtir une chapelle et une habitation dans le premier lieu ; elle ne fut exécutée que plus tard par Ambroise Charnières ; on lit dans le titre du 21 août 1498 que cette chapelle fut faite par ordre du roi de Cécile.

Tous les ans on faisait une procession à cette chapelle; on y portait le casqué de Charles qui fut retrouvé; les Français, occupant la Lorraine, omirent cette cérémonie ; Léopold la rétablit, Stanislas l’abolit définitivement en 1737.

Les Suisses ont conservé les drapeaux pris à l’ennemi dans la bataille ; on les trouve dans la ville de Soleure.

Le duc de Lorraine confirma dans leurs biens et privilèges les nobles revenus à lui ; il dispensa Nancy des tailles (impôts indirects) ; il enleva la seigneurie de Chaligny au sire de Neufchâtel, ainsi que tous ses biens en Lorraine ; les trois fils de Jacques d’Haraucourt perdirent leurs biens, ainsi que les autres Haraucourt, Lenoncourt, de Parroye, etc. ; il distribua à ceux qui ont combattu pour sa cause les biens de ceux qui s'étaient ralliés à la cause du Téméraire. Il donna un mois et demi de solde à tous les simples soldats: A Oswald Thierstein il accorda l’hôtel de Vautrin Malhôte et le titre de maréchal de Lorraine.

Toutes ces largesses mirent le duc dans une grande gêne ; il voulut s’indemniser dans le Luxembourg ; il prit Virton et trois autres places, mais, par son traité avec Marie de Bourgogne et Maximilien, son époux, il consentit à ce que ces places fussent rachetables moyennant 20.000 florins. Il voulut aussi gagner quel­que chose en Franche-Comté et en Bourgogne ; mais Louis XI écrivit à Dijon que l’on ne reconnût d'autre autorité que la sienne, car il voulait défendre le bien de sa parente et filleule ; il envoya des troupes dans l’Artois et en Bourgogne. René alla à Paris pour traiter de ces affaires avec le roi ; celui-ci fit des amitiés au duc, et, pendant ce temps, par trois fois, il travailla à le faire déshériter par René 1er de la Provence, sans parler du Barrois mouvant que le duc occupait depuis 1476. René Ier, d’ailleurs, donna la Provence et l’Anjou à Charles du Maine, le troisième fils de Ferry III de Vaudémont et d’Yolande ; il voulait même donner le marquisat de Pont-à-Mousson au bâtard de Calabre. Enfin, le 15 novembre 1479, René Ier légua le Barrois mouvant à Yolande et à René, son fils ; en attendant le moment d’entrer en sa possession, il le leur loua pour 4.000 écus d’or. René possédait déjà le Barrois non mouvant. Louis XI, tenant René Ier à Paris, obligea ce prince à lui céder cette ferme, le 9 novembre 1479. René Ier mourut le 10 juillet 1480 à Angers ; Yolande, en 1484 ; elle fut inhumée à Joinville ; le duc jouit alors du Barrois, non compris la mouvance, ce qui aug­menta sa puissance. Néanmoins, le passé et l’hiver désastreux de 1481-1482 mirent ses finances en mauvaise situation. Les Etats lui firent des représentations sur ses dettes qu’il ne payait pas ; ce qui engageait les créanciers du Trésor à piller les campagnes ; ils lui reprochèrent son état de maison, ses largesses, son état militaire exagéré. Ils l’engagèrent à épargner le peuple qui était obéré et, s’il suivait ce conseil, plus tard le pays enrichi lui donnerait des ressources abondantes.

Le duc fut mécontent ; il s’empressa d'accepter l'offre des Vénitiens, de le mettre à la tête de leurs troupes contre le duc de Ferrare, aux appointements de 2.000 ducale par mois, et la solde de ses troupes, li partit une première fois avec trois cents chevaliers et mille soldats ; une seconde fois, avec deux cents. Les maladies se mirent dans ses troupes et il revint eu Lorraine à la fin de 1485 ; malade lui-même, il fut guéri par Jean Bossuet ; Louis XI voulut l’avoir à son service.

Il était temps qu’il revint, car Gérard de Rodemack ravageait le Barrois ; il se plaignit à Maximilien de la conduite de son vassal ; ce prince y mit ordre, après que René eut pris et détruit Rodemack.

Le comte du Maine légua ses Etats à Louis XI, le 10 décembre 1481 ; le roi mourut le 30 août 1483. Anne de Beaujeu voulut gagner le duc de Lorraine pour l'aider contre le duc d’Orléans ; elle lui donna une pension de 20.000 livres, lui promit de doubler cette pension et de l’aider à s’emparer de Naples qu’il aspirait aussi à conquérir. Il exigea qu’on lui rendît le Barrois mouvant (Bar, Perthois, Bassigny, Blaisois) ; quant à ses prétentions sur la Provence et l’Anjou, elles furent reje­tées par le Parlement. En 1484, il jouissait d’un grand crédit à la cour ; il en fit chasser Commines. Mais sa pension ne lui fut jamais payée ; voyant qu’on se jouait de lui, il revint dans ses Etats.

Jeanne d’Harcourt, qu’il avait épousée en 1470, ne lui donnait point d’enfants ; les Etats généraux l’engagèrent à faire le nécessaire pour contracter un nouveau mariage. L’official de Toul lui était favorable ; il envoya les pièces de l’information de celui-ci à Rome, qui délégua l’archiprêtre de Marsal ou celui de Vosges pour prononcer la sentence. Celui-ci, Aubry Briel, assisté du procureur Jean Wisse, des médecins Roger Gauthier et Nicolas Midy, prononça la nullité du pre­mier mariage. Le 28 août, René épousa, à Orléans, Philippine de Gueldres, qu’Anne de Beaujeu lui avait recommandée ; les scrupules du duc furent calmés par une bulle d’Innocent VIII confirmant la décision de l’officialité.

Disons rapidement qu’appelé par les Napolitains pour les aider à secouer le joug tyrannique de leur roi, il prépara une expédition. Il tenta d’enlever Zizim, frère de Bajazet, retenu à Bourgneuf, pour le livrer au pape, afin de se le rendre favorable ; il échoua. Il obtint du pape de lever un impôt sur Toul comme sur son duché ; Antoine de Neufchâtel, évêque de Toul, et les Etats s’y refusèrent. Il partit en 1488 pour Naples ; à Marseille, il apprit que Ferdinand et ses sujets se sont réconciliés et que Charles VIII veut faire pour lui-même cette conquête du royaume de Naples, alors il rappela son artillerie qui était déjà à Avignon et, dit Commines, revint bien honteux.

A son retour, il trouva les Lorrains et les Messins se faisant une guerre de mutilations et de massacres. Il défendit à ses sujets d’envoyer des denrées à Metz ; le roi de France et l’évêque de Trêves négocièrent une trêve. René, fâché d’avoir tant dépensé partout sans résultat, essaya de surprendre une porte de Metz en gagnant par argent un des Treize, Jean de Landremont; une pluie diluvienne fit échouer cette odieuse agression. Le gardien de la porte, Chauvelot, qui était du complot, en vendit le secret ; Landremont fut exécuté si cruelle­ment que ceux qui en furent témoins ne voulurent manger chair à la fête des rois. L’empereur Maximilien vint visiter Metz ; il fit conclure la paix, 29 mai 1493.

Une lettre de Henri VII d’Angleterre appela le duc de Lorraine à combattre les Ecossais : le duc s'abstint d'y aller. En 1495, il se présenta à la diète de Worms pour faire ses reprises sur le bailliage d’Allemagne. On lui demanda de prêter serment à l’empereur ; il le refusa ; il se borna à le faire dans les mêmes termes restreints que le faisaient ses prédécesseurs. En 1501, il fit un traité pour aplanir les difficultés qui restaient même après le traité de 1495 ; il promit de rendre les restes de Charles le Téméraire pour être inhumés à Dijon avec ses pères ; on accorda aux sujets de chaque partie le droit de commercer dans les deux pays ; on nomma des commissaires pour terminer les différends qui surgiraient.

René voulait posséder Toul ; il fit tant de difficultés à Antoine de Neufchâtel, que celui-ci se démit de son évêché ; il lit nommer Olry de Blâmont qui aurait accordé au duc ce qu’il désirait, si les citains de Toul ne s’y étaient opposés. Il augmenta les fortifications de Nancy, continua l’œuvre du Palais ducal ; fit construire le pont de Malzéville ; fit bâtir les halles, des fontaines; fonda le couvent des Cordeliers, près du Palais ducal.

Un impôt de deux francs fut mis sur chaque conduit pour des dépenses extraordinaires; cet impôt, qui devait être perçu une fois, devint annuel; il se payait en argent ou en nature ; dans chaque prévôté, il y avait un receveur ou cellérier pour le percevoir.

Epinal lui fut remis car Henri de Lorraine, évêque de Metz ; mais il devait faire le serment imposé aux voués. Retiré à Longwy, il partageait son temps entre les exercices de piété et la chasse ; ayant poursuivi des loups avec ardeur, il fut refroidi et mourut le 10 décembre 1508.

I! ordonna que le Barrois ne fût plus séparé de lu Lorraine ; il voulut établir la loi salique chez ses successeurs par son testament : les Etats généraux ne déci­dèrent pas la question.

Ses enfants furent : Antoine, son successeur ; Claude de Guise, chef de l’illustre maison des Guise ; il hérita des biens que son père possédait en Normandie, Picardie, Flandre et Hainaut ; Jean de Lorraine, évêque de Metz ; Louis, destiné à l’évêché de Verdun, y renonça et prit le titre de comte de Vaudémont ; François, seigneur de Lambèse.

Il était humain et charitable. A Gratien d’Aguerre, qui voulait brûler deux villages, il dit : « Si tu veux mal faire, demande-moi conseil, et tu ne le feras pas ». A un pauvre : « Si tu as souffert, c’est ta faute, puisque tu ne me l’as pas dit ; maintenant si tu souffres, ce sera la mienne ». On lui citait le mot de Titus : « Mes amis, j’ai perdu un jour ! » — Il dit : « A Dieu grâces, Haussonville, n’en ai aucun perdu. »

 

ANTOINE (1508-1544).

Pendant son règne et les règnes suivants la paix régna en Lorraine ; la guerre des Rustauds, seule, y fit une exception, jusqu’au moment de la guerre de Trente ans qui, un siècle plus tard, déchaîna tant de maux sur ce pays. Nous n’avons pas vu que René ait cherché à tirer vengeance de l’évêque de Metz pour les services qu’il rendit à Charles le Téméraire.

Antoine fut confié à la cour de France par son père, quand il n’avait que sept ou huit ans ; il accompagna le roi en Italie ; il fut témoin de la bataille d’Agnadel avec les Lorrains, Ferry de Ludres et René de Beauvau. A la mort de René, il était absent ; un conseil de gou­vernement fut formé ; Philippe de Gueldres et Hugues des Hazards, évêque de Toul, en faisaient partie.

Le jeune prince fit un pèlerinage à Saint-Nicolas en 1511. En 1515, il assista au sacre de François Ier ; l’archevêque de Reims l’engagea à épouser Marie de Bourbon, sœur du connétable de Bourbon, qui fut traître à la France et fut tué au siège de Rome. Son mariage fut célébré magnifiquement ; le roi y assista et fit donner des tournois splendides. Son frère, Claude de Guise, épousa de son côté Antoinette de Bourbon.

Le duc s’allia avec la France contre son propre intérêt ; il combattit à Marignan ces Suisses qui oui sauvé sa famille cl lui oui rendu son duché ; son frêne Claude de Guise allait y périr, quand son écuyer le couvrit de son corps ; le jeune primat fui retrouvé sous les morts, il avait vingt-trois blessures.

Antoine eut six enfants ; les aînés moururent en bas âge ; François, son successeur, naquit à Nancy le 23 août 1517.

Les mines situées à l’Est des Vosges furent envahies par Sickingen, à la tête de six mille hommes. Le duc vint contre lui en Alsace et prit Saint-Hippolyte : l’em­pereur déclara que Sickingen se bat pour son compte ; Antoine vainquit un corps d’Alsaciens et se défit de Sickingen en le soudoyant.

Antoine s’allia encore avec le roi et parut au Camp du drap d’or, mais il se refroidit avec lui et s’allia avec l’empereur Charles-Quint.

Il embellit Nancy : il fit la belle porterie du Palais ducal qui contient sa statue équestre faite par Mansuy Gauvain; il construisit la galerie des Cerfs ; il projetait de bâtir la ville neuve.                                   

En 1523, deux prêtres passés au parti de Luther, qui, depuis 1517, agitait toute l’Allemagne par sa doctrine, vinrent prêcher cette doctrine à Metz ; un moine passé à la Réforme, Chasteler de Tonnoy, vint prêcher l’Avent à Vic, cette même année ; les habitants, irrités d’entendre ses nouveautés, l’arrêtèrent ; il parvint à s’échap­per de leurs mains ; mais il fut repris, et brûlé vif, le 2 janvier 1525. De tous côté s’élevait dans les peuples d’Allemagne, un mouvement favorable à ces novateurs. De Bâle à Luxembourg, les paysans se révoltaient contre les nobles et contre les prêtres : il fut réprimé dans le Sundgau ; mais dans l’Alsace du Nord, il se fit des rassemblements ; Georges Iltet mit en armes le quart des jeunes gens, la veille de Pâques, 16 avril 1525 ; trente mille hommes sont réunis à Altorf ; Trasme Gerber, bourgeois de Molsheim, est mis à leur tête; Clé­ment Shech, jardinier, devient prédicateur, et sur le texte de saint Mathieu, XV, 13 : « Toute plantation que mon Père céleste n’aura pas plantée, sera déracinée ». il prêchait qu’il fallait anéantir les prêtres, les moines les nobles, incendier les églises, les couvents, les châteaux ; c'est ce qu’ils exécutaient partout sur leur passage. Sur le bruit qu’Antoine préparait contre eux une armée en Lorraine, ils décidèrent d’y envoyer vingt mille des leurs ; ils vinrent à Marmoutiers ; l’abbé Gaspard Ricquer tomba entre leurs mains ; mais dans un moment où ses gardiens étaient ivres, il parvint à s’enfuir, quatre mille de ces révoltés passèrent les Vosges ; un lieutenant, envoyé aux informations, les excusait auprès du duc Antoine ; il le fit décapiter. Des gens des envi­rons de Dieuze, Salm, Vie se soulevaient également et se joignaient à eux.

Il était urgent d’arrêter ces désordres. Les prévôts reçurent ordre de lever des recrues ; à Toul, les chanoines firent un don de 9.000 francs. Antoine demanda à son frère le comte de Guise qui commandai! en Champagne, de lui envoyer quelques troupes. En attendant leur arrivée, il fit barrer les passages de la Sarre, de Blâmont et des Vosges. Les Rustauds, c’est le nom qu'on donnait à ces envahisseurs, vinrent par Schirmeck et la vallée de Celles. Ils faillirent surprendre Saint-Dié, mais la ville fut sauvée ; parmi les exploits de ces bandes, qu’il nous suffise de rappeler l’incendie du monastère de Saint-Sauveur, dont les religieux vinrent ensuite s’établir à Domèvre-sur-Vezouze.

Antoine vint à la rencontre du comte de Guise jusqu'à Sorcy, puis il vint à Vie et à Dieuze. Il renvoya chez eux les soldats de Dompaire et de Châtenois qui commençaient à se livrer au pillage ; les révoltes de Dieuze se hâtèrent de rejoindre en Alsace leurs semblables ; la limite de ce mouvement fut Loudrefing ou Louderifang, accompagnant dans ce mouvement rétrograde quatre mille hommes qui avaient envahi les environs de Dieuze. On conseillait à Antoine de tenir seulement les défilés des Vosges ; mais rester ainsi en armes était trop coûteux, il résolut de joindre l’ennemi en Alsace et de le disperser. De Sarrebourg à Saverne, il y a cinq lieues ; les chemins étaient coupés par des abatis ; il fallut se faire un passage à travers bois. Le sire de Béthune à l’avant-garde arriva à la porte de Saverne avant d’être soutenu ; il fut criblé de blessures et mourut. Quand le duc arriva, il fit donner quelques coups de petits canons, les ennemis se retirèrent à Saverne ; leur effarement était si grand qu’ils s’étouffaient pour passer dans les portes. Quand l’armée lorraine fut sortie des passes de la montagne et arrivée à cinq cents mètres de la place, Gringoire fut envoyé en parlementaire pour engager les révoltés à déposer les armes, il fut accueilli par des coups de feu qui tuèrent le trompette qui l’accompagnait.

Alors il arriva à Lupenstein une troupe de six mille paysans qui voulaient entrer dans Saverne. On les surprit pendant qu’ils prenaient leur repas ; ils se hâtèrent de faire un cercle de leurs chariots, y mirent des madriers dans les interstices par lesquels ils pouvaient tirer Le comte de Vaudémont et celui de Guise parvinrent à franchir cette barrière ; l’ennemi se réfugia dans l'église, on y mit le feu. Les ennemis enveloppés et vaincus moururent au nombre de cinq à six mille.

Epouvantés par un pareil spectacle, les Rustauds de Saverne se rendirent à discrétion. Ils sortaient en jetant leurs armes, le 17 mai, quand un Rustaud injuria un lansquenet qui riposta d’un coup de son arme ; les lansquenets intervinrent pour soutenir leur camarade ; les Rustauds reprirent leurs armes ; ils rentrèrent dans Saverne, mais ils n’eurent pas le temps de baisser la herse devant les assaillants ; il se fit en ville un grand. carnage suivi de pillage. Gerber, Ilter, Wix de Saverne, moine apostat, furent pendus. On avait surpris une lettre de Gerber écrivant au chef de vingt-cinq mille autres Rustauds venant du Sud, que leur soumission n’était qu’une feinte. Th’icrriat reproche ces faits ô Antoine, il dit que le duc aurait dû tenir les termes de la capitulation. La vérité est que les choses se passèrent on dehors de tout ordre d’Antoine et des officiers ; que ce prince et les commandants s’efforcèrent de sauver le plus de malheureux qu’ils purent. Le comte de Guise trouva une petite fille de trois ans qu’il garda dans la manche de son vêtement ; il se promit de la donner avec une autre petite fille plus âgée à Antoinette de Bourbon, sa dame, pour les nourrir el les endoctriner. Le duc Antoine, les sires de Ludres et de Vaudémont agirent avec une semblable humanité.

On conseillait au duc de se retirer, lorsque six mille paysans armés passèrent près du camp ; les soldats allemands refusèrent de marcher sur eux, parce qu’ils étaient occupés au pillage.

Le 18, l’armée fut conduite à Marmoutiers, Vasselonne, Molsheim, sans rencontrer d’ennemis, ni les jours suivants. Le 20, à la pointe du jour, Nicolas de Ludres avec l’avant-garde dépassa Solzheim et apprit que les Rustauds barraient les passages au-delà de Scherwiller ; le chemin était coupé par une ligne de chariots appuyée aux vignes de chaque côté. Ils occupaient Scherwiller ; il fallait les en déloger ; ils avaient dix ou douze fauconneaux et cent vingt arquebuses pour compléter leur défense ; ils étaient deux mille quatre cents, dit Wolcyr, mais c’était plutôt seize cents qui défendaient le village.

Le duc n’avait que trois mille six cents fantassins et sa cavalerie ; une chaleur étouffante accablait les soldats, qui, loin de l’ennemi, marchaient en désordre. A six heures et demie du soir, Antoine arriva en face des Rustauds ; le comte de Guise était d’avis de remettre faction au lendemain ; mi capitaine allemand dit qu’il reste assez de temps pour combattre avant la nuit.

Le sire de Ludres, cadet de Nicolas de Ludres, fut chargé de l’attaque du village avec les Lorrains et les italiens ; les haies qui environnaient le village permirent d’en approcher sans bruit, et le village fut emporté en un instant ; deux mille Rustauds s’enfuirent ; le sire de Ludres fut fait chevalier par le duc et reçut faccolade; il n'était déjà, dit Thierriat, mais l’être sur le champ de bataille est un honneur.

Les canons de l’ennemi tiraient sur l’armée, mais sans résultat, parce que les artilleurs ignoraient le tir. L’armée se rangea pour l’attaque ; la droite, commandée par le comte de Guise, comprenait les Albanais et l’infanterie lorraine était conduite par le comte de Vaudémont et Jean VII de Salm, bailli d’Allemagne. Le duc conduisait le centre composé de l’infanterie et des gens d’armes lorrains et français. La gauche obéis­sait à du Fay et comprenait des compagnies d’ordonnance.

Avant d’engager l’action, Antoine donna l’accolade à de jeunes chevaliers. Les lansquenets s’avancèrent ; le terrain était inégal ; ils furent repoussés. Devant les renforts envoyés contre eux, les Rustauds se retirèrent derrière leurs chariots ; ils firent même, une contre-attaque qui ramena les Lorrains. Le sire de Ludres établit une batterie de fauconneaux qui mit l’hésitation, puis le trouble parmi les ennemis. Un chevalier Dobbio s’approcha des chariots, il en détourna quelques-uns : la brèche était ouverte par laquelle le comte de Vaudémont entra avec son infanterie ; une foule d’ennemis se ruèrent sur lui ; il perdit son casque et un gantelet. Le sire Jean de la Marche de Sancy vit sa détresse, vint avec cinq cents hommes et le dégagea. Les Rustauds se sauvèrent dans les bois ; la cavalerie et les Albanais les poursuivirent, ils en tuèrent un grand nombre : la victoire était remportée. L’infanterie prit du repos ; mais Antoine et la cavalerie restèrent en armes dans la crainte d’un retour offensif de l'ennemi. Rien ne se produisit, les Rustauds avaient jeté leurs armes.

Antoine voulut opérer aussitôt son retour : il n’attendit pas les félicitations de ceux qu’il a sauvés : ses troupes se livraient au pillage ; les Alsaciens voyaient avec colère les chariots chargés de dépouilles ; puis l’entretien d’une telle armée épuisait le trésor de Lorraine ; autant de raisons qui invitaient le duc à rentrer à Nancy au plus tôt. Les abatis faits sur les routes pour empêcher l’accès des passages des Vosges ralentissaient la marche de l’armée ; on employa les gens du pays à scier les arbres couchés sur le chemin. Le retour se faisait par Saint-Hippolyte, le Val de Viller, Moyenmoutier et Raon-l’Etape.

Dans le pays, on fit des prières publiques d’actions de grâces ; Clément VII félicita le duc, ainsi que l’Empereur ; Clément Marot chanta sa victoire ; les félicitations vinrent de toutes parts, puis les dons généreux : il reçut des chanoines de Toul, douze tasses de vermeil. Antoine fonda un service annuel dans l’église de Saint- Nicolas-du-Port ; il devait être annoncé par seize coups de cloche, parce qu’il était resté seize heures à cheval pendant et après le combat ; c’était un samedi, il n’avait mangé qu’un œuf de tonte la journée à son repas du soir.

Pour arrêter les progrès de l’hérésie, il fit exécuter son ordonnance du 26 décembre 1423 ; il fit mettre à mort deux religieux prêtres qui prêchaient les hérésies nouvelles ; un jeune religieux fui dégradé ; le curé de Saint-Hippolyte, Wolfgaug Sorrel, qui avait séduit son peuple, fut brûlé vif. Léon X avait introduit le concordat germanique à Verdun ; Paul III l'introduisit à Toul sous l’évêque Toussaint de Hocédy. Les Etats généraux défendirent, sous peine du feu les assemblées et les discours hérétiques : il fut défendu, sous peine d’amende de tenir des livres suspects. Il fut interdit de faire des conférées sans la permission de l'évêque ; ordre fut donné de surveiller les prédicateurs.. C'est de Metz que venait le danger d’hérésie. On punit d'abord les pasteurs. Guillaueme de Furstenberg s’empara de Gorze ; il en fit sa forteresse; d’où il sortait pour ravager les environs et bloquer Metz. Il obtint la liberté du protestantisme à Metz ; il occupa Verdun ; il cherchait à pénétrer en Champagne : le comte de Guise le surprit par une marche silencieuse, le repoussa jusqu’à Gorze. et s’empara de cette ville, le 15 mars.

Antoine agrandit ses états de Sarrebourg et Banquenom que l’évêque de Metz lui abandonna ; ce fut la cause d’un procès avec un prétendant à la possession de cette dernière ville : il dura cent ans. Le comte d’Isemberg avait acquis auprès des comtes de Neufchâtel, Châtel et Bainville-aux-Miroirs, le duc s’empressa de les racheter.

En 1535, il obtint des Etats généraux une imposition extraordinaire de 3 francs par conduit. Il resta neutre dans la guerre qui se fit entre François Ier et Charles-Quint. En 1538, il négocia la paix entre ces deux souverains et réclama le duché de Gueldres, dont il était le seul héritier : il échoua dans ses démarches. Bientôt il s’allia avec Charles-Quint ; il maria sa fille Anne au prince d’Orange et son fils avec Christine de Danemark, fille de Christian II ; elle reçut en dot 100.000 florins et des pierreries valant 20.000 florins.

Cette alliance déplut à François 1er, roi de France ; il contraignit Antoine à faire, le 22 avril 1538, le serment d’allégeance pour le Barrois mouvant et de recon­naître que les droits souverains qu’il y exerce, il ne les laissa que par la tolérance du roi. Il reçut de François 1er le commandement de cent lances ; il fut sommé plus tard, comme vassal, de livrer Arzant et ses complices, qui avaient comploté contre le roi.

En 1541, Charles-Quint vint à Metz ; le chanoine Baudoche lui lit ce court compliment : Vous soyez le bienvenu, sire. Charles dit à un officier : Voilà bien peu d'entendement. Il visita les fortifications et recommanda aux bourgeois de faire bonne garde, car il soupçonnait bien les visées du roi de France.

Antoine obtint, le 26 août 1542, des lettres reconnaissant que la Lorraine n’appartient plus à l’empire. Il ne comparut plus aux assignations données devant la Chambre impériale. Toutefois le landfried (cotisation pour la paix publique) fut payé par lui et ses successeurs ; des textes de 1548, 1558, 1567, 1568, 1569, 1594 et 1595 le prouvent.

La prise de Gorze pour François Ier, qui menaçait la Lorraine, inspira au duc la pensée d’aller négocier la paix. Il partit de Bar-le-Duc, le 14 octobre 1543 ; mais la guerre continua, il revint à Bar.

Le 11 juin 1544, il se mit au lit et mourut peu après. Philippe de Gueldres, sa mère, lui avait appris à aimer mieux mourir mille fois que commettre un péché mortel. Quand il sentit sa fin approcher, il dit : Pour l'hon­neur de Dieu qu’on ne me parle plus que de mon salut.

Le peuple ne l'appela que le bon duc.

L’année de sa mort fut achevée la basilique de Saint-Nicolas-du-Port qui est véritablement le chef-d’œuvre du gothique à cette époque ; Simon Moycet l’avait com­mencée en 1487, il mourut en 1520 sans avoir vu le couronnement de son œuvre.

 

FRANÇOIS 1er (1544-1545).

Il est né le 1er février 1517 ; à l’âge de quinze ans, il fut envoyé à la cour de France pour y être élevé. On négocia son mariage avec Anne de Clèves ; mais ils étaient encore trop jeunes pour être unis ; plus tard, Anne devint une des épouses infortunées de Henri VIII, roi d’Angleterre. Comme nous l'avons vu, il épousa Christine de Danemark qui lui apporta une dol royale.

Charles-Quint vint à Metz le 6 juin 1544 ; il prit Commercy, détruisit le pont de pierre, brûla les halles et ses troupes firent du désordre ; il prit encore Ligny. En avril, Antoine avait pris ses précautions contre ce redoutable voisin ; il avait réparé, armé et approvisionné ses places ; ces préparatifs furent inutiles, l’empereur entra en Champagne, d’où après six semaines, il fut obligé de se retirer. Le 17 juin fut tué au siège de Saint-Dizier René de Châlons, prince d’Orange ; son mausolée fut élevé dans la collégiale de Sainte-Maxe ; Ligier Richier, qui a fait ce chef-d’œuvre, le représente dévoré des vers.

François parla de la paix à Charles-Quint qui consen­tit à négocier ; il allait trouver le roi à son tour pour traiter l’affaire ; il sortait de Bar, quand il tomba malade. 11 avait obtenu de l’empereur la possession de Stenay moyennant qu’il fût démantelé.

L’indiscipline des lansquenets de son armée et les progrès du protestantisme le rappelèrent dans ses Etats. Il entra à Nancy eu 1545 et fit le serment d’usage. Bien­tôt il retomba malade ; il se rendit à Remiremont où on lui amenait des tonneaux d’eau de Plombières que les médecins prescrivaient pour des bains. Il mourut sans fixer la régence de son fils.