HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST |
LIBRAIRIE FRANÇAISE |
FRENCH DOOR |
CHRONIQUE DE FRÉDÉGAIRE
Si Marquard Freher et Joseph Scaliger n’avaient appelé Frédégaire le continuateur
de Grégoire de Tours dont nous publions ici la chronique, on ne saurait quel
nom lui donner. Dom Huinart a fort bien prouvé qu’il
ne s’appelait point Idatius ou Adatius, comme l’avaient fait supposer quelques
manuscrits, mais aucun de ceux qu’il a examinés ne porte le nom de Frédégaire. Freher et Scaliger l’avaient sans doute trouvé dans les
leurs. Quoi qu’il en soit, ce nom est resté à l’historien, et personne ne songe
maintenant à le lui contester.
Il vivait, à coup sûr, vers le
milieu du septième siècle; car, en racontant l’histoire de cette époque, il
répète plusieurs fois, dans sa préface et dans le cours de son ouvrage, qu’il
rapporte des choses qu’il a vues et dont il peut attester lui-même la vérité.
Sa chronique s’arrête à l’an 64 ; cependant quelques passages indiquent qu’il a
vécu jusqu’en 658 ; il dit entre autres choses que le marchand Franc Samon qui était allé en 623 chez les Wénèdes,
régna sur eux pendant trente-cinq ans. Enfin il parle de la mort de Chindasuinthe, roi d’Espagne, en 642, et de plusieurs
événements arrivés après la mort de Clovis II, en 656.
Presque tous les érudits
s’accordent à penser que Frédégaire était Bourguignon. L’histoire du royaume de
Bourgogne est en effet celle dont il est le mieux instruit et à laquelle il
semble rapporter toutes les autres. Ainsi sa chronologie est celle des rois
Bourguignons et il ne parle guère des rois d’Austrasie ou de Neustrie que dans
leurs rapports avec la Bourgogne, ou lorsque ce royaume se trouve incorporé
dans le leur, comme il arriva sous Clotaire II. Adrien Valois s’est même flatté
de découvrir la patrie de Frédégaire et l’a fait natif d’Avenches ;
la complaisance avec laquelle le chroniqueur parle de cette ville et donne, sur
son histoire, quelques détails qu’on ne trouve point ailleurs, est le seul
fondement de cette conjecture.
Il ne faut point médire du zèle
passionné qu’apportent souvent les érudits dans l’étude de telles questions;
que feraient les hommes s’ils mesuraient toujours l’ardeur du travail à
l’importance du résultat. C’est parce qu’il ne pouvait se résoudre à ignorer où
était né Frédégaire qu’Adrien Valois a débrouillé le chaos des premiers siècles
de notre histoire.
Quoi qu’il en soit de la patrie
du chroniqueur, il était lui-même laborieux et possédé du besoin de la science.
Il entreprit de recueillir et d’extraire toutes les chroniques, a lui connues,
depuis l’origine du monde jusqu’au septième siècle. Jules l’Africain, Eusèbe,
Saint-Jérôme, Idace, Saint Isidore de Séville, et
Grégoire de Tours lui fournirent les matériaux du grand ouvrage historique et
chronologique qu’il termina par le récit des événements de son temps. Cet
ouvrage est divisé en cinq livres, et le cinquième est la chronique dont nous
donnons ici la traduction. Les quatre premiers ne contiennent rien qui ne se
trouve dans les prédécesseurs de Frédégaire, si ce n’est des fables absurdes
dont on ignore la source primitive, et que plus tard les moines Aimoin et Roricon ont
transportées dans leurs écrits.
On rencontre cependant dans
l’abrégé des six premiers livres de Grégoire de Tours, qui a souvent été
attribué à Grégoire de Tours lui-même, quelques faits ajoutés par l’abréviateur.
Le cinquième livre conserve donc
seul une véritable importance; elle est grande, non par le mérite de
Frédégaire, mais parce qu’il est à peu près le seul historien contemporain que
nous ait légué le septième siècle : On demanderait volontiers, dit l’abbé
de Vertot, à ceux qui méprisent Frédégaire, dans
quelle autre source ils ont puisé l’histoire de Théodebert II, roi d’Austrasie,
et de Thierri (Théodoric II), roi de Bourgogne ? qui les a instruits
de la plupart des événements arrivés sous les règnes de Clotaire II, de
Dagobert 1er, et du jeune Clovis (Clovis II) ? A qui en
sommes-nous redevables, et que serait devenue cette partie de l’histoire de la
première race si nous avions perdu Frédégaire ou s’il n’avait jamais
écrit ? » Il est vrai que, sans Frédégaire, cette époque nous serait
à peu près inconnue ; mais quelque précieuse qu’elle soit, sa chronique,
comparée à l’histoire ecclésiastique des Francs, n’en prouve pas moins les
rapides progrès de la Barbarie. On entrevoit encore, dans l’ouvrage de Grégoire
de Tours, le crépuscule de la civilisation romaine; l’ignorance de l’écrivain
est grande, sa crédulité extrême, son récit mutilé et confus, son style
inculte ; et pourtant çà et là se rencontrent quelques souvenirs d’un
temps meilleur ; on reconnaît çà et là que l’évêque de Tours avait entendu
parler d’autres études, d’autres mœurs, d’un autre état social; il a lu
Salluste et Virgile, regrette l’ancienne splendeur des cités, rappelle avec
complaisance ces familles sénatoriales dont la sienne est descendue, et s’émeut
quelquefois en peignant les calamités du pays, connue s’il parlait de choses
étranges et naguères inconnues. Dans Frédégaire la crédulité, la confusion,
l’ignorance sont encore plus grandes, et en même temps rien rie décèle aucun
débris d’une société plus régulière et plus polie; l’imagination de l’écrivain
est froide et morne ; aucun regret ne lui échappe ; aucune dévastation, aucune
souffrance publique n’arrête un moment sa pensée ; il est clair que les
barbares ont tout dispersé, tout envahi, qu’ils occupent même un grand nombre
d’évêchés, et qu’au milieu de ce grossier désordre, quelques moines
s’appliquent presque seuls à étudier les sciences sacrées et à conserver le
souvenir de ce qui se passe autour d’eux.
Du reste, cela même est un fait
d’une haute importance et le plus curieux de tous ceux que la chronique de
Frédégaire nous laisse entrevoir. C’est bien moins par le récit des événements
que comme tableau de l’état d’une société progressivement conquise par la
Barbarie, qu’elle mérite toute l’attention du lecteur; et la querelle de Saint
Colomban avec Théodoric II, ou la guerre du maire du palais Flaochat contre le Franc Willebad, offrent, à mon avis, bien
plus d’instruction et d’intérêt que cette série de faits insignifiants
minutieusement rapportés par le chroniqueur, et souvent à faux, sous la
rubrique de chaque année.
Ou a quelquefois confondu avec la
chronique de Frédégaire et regardé comme son ouvrage les quatre fragments où
elle est continuée jusqu’en 768. Dans l’embarras de concilier alors l’étendue
de sa narration avec l’époque de sa vie, on le plaçait lui-même au commencement
du neuvième siècle, supposition évidemment repoussée par ses propres paroles.
Il est reconnu maintenant que sa chronique s’arrête en 641, et qu’elle a été
successivement continuée par d’autres écrivains. Le premier fragment, qui
s’étend de l’an 642 à l’an 680, n’a été, à ce qu’il parait, ajouté qu’après
coup et pour combler le vide qui se trouvait entre Frédégaire et son premier
continuateur. C’est un récit confus et absurde, écrit probablement par quelque
moine dépourvu de toute connaissance des faits. La seconde partie, qui va de
l’an 680 à l’an 736, fait assez bien connaître ce qui se passait, à cette
époque, en Austrasie. La troisième, qui s’étend jusqu’au commencement du règne
de Pépin le Bref, en 752, a été écrite on ne sait par qui, mais d’après l’ordre de Childebrand, oncle
paternel de Pépin. La quatrième enfin, qui conduit l’histoire jusqu’à
l’avènement de Charlemagne, en 768, fut également ajoutée par l’ordre du comte
Nibelung, fils de Childebrand. Ces deux derniers
fragments, et probablement aussi celui du second continuateur, ont ainsi l’autorité
d’ouvrages contemporains et en portent, en effet, le caractère. Ils méritaient
donc d’être joints, dans cette collection, à la chronique même à la suite de
laquelle on les rencontre dans la plupart des éditions.
François Guizot.
Je ne sais comment exprimer
exactement et par un seul mot le travail auquel je me livre ; et en
cherchant à y réussir, je perds en longs efforts le temps déjà si court de la
vie. Le mot d’interprète, en effet, qui est celui de notre langue, semble
absurde et ne convient nullement ; car si, par nécessité, je change
quelque chose à l’ordre des récits, je paraîtrai m’écarter tout à fait de
l’office d’un interprète. J’ai lu avec grand soin les chroniques de
Saint-Jérôme, d’Idace, d’un certain sage, d’Isidore
et de Grégoire, depuis l’origine du monde jusque vers la fin du règne de
Gontran ; et j’ai reproduit successivement dans ce petit livre, sans
omettre beaucoup de choses, ce que ces savants hommes ont habilement raconté
dans leurs cinq chroniques. Dans ce dessein, et pour me bien instruire de la
vérité, j’ai commencé par établir exactement la série des temps et des règnes,
comme pour servir d’introduction d’un autre ouvrage. J’ai mis ensuite clans le
style d’à présent le récif: des actions des diverses nations que ces hommes
habiles avaient si bien racontées dans leurs chroniques, mot grec qui signifie
les actions des temps ; ils ont écrit aisément et comme une source pure
qui coule avec abondance. J’aurais souhaité avoir le même talent de langage, ou
quelque chose d’approchant. Mais on ne puise qu’avec
peine clans une source qui ne coule pas toujours. Maintenant le monde vieillit,
et le tranchant de l’esprit s’émousse en nous ; nul homme de ce temps
n’est égal aux orateurs des temps passés et n’ose même y prétendre. Je me suis
efforcé pourtant, aussi bien que me l’ont permis la rusticité et la faiblesse
de mon savoir, de reproduire, aussi brièvement que je l’ai pu, ce que j’ai
appris dans les livres dont j’ai parlé. Que si quelque lecteur doute de moi,
qu’il ait recours à l’auteur même, il trouvera que je n’ai rien dit qui ne soit
vrai. Arrivé à la fin du volume de Grégoire, j’ai continué à écrire dans ce
livre les faits et gestes des temps postérieurs, les recherchant partout où
j’en ai pu trouver le récit, et racontant, sur les actions des rois et les
guerres des peuples, tout ce que j’ai lu ou entendu dire, ou vu moi-même, et ce
que je puis attester. J’ai tâché d’insérer ici tout ce que j’ai pu savoir
depuis le temps où Grégoire s’est arrêté et a cessé d’écrire, c’est-à-dire,
depuis la mort du roi Chilpéric.
GONTRAN, roi des Francs,
gouvernait depuis vingt-trois ans [583] avec bonheur le royaume de
Bourgogne ; il était plein de bonté, se montrant partout avec les évêques
comme un évêque, en très bonne intelligence avec ses Leudes, faisant aux
pauvres de larges aumônes, régnant enfin avec tant de sagesse et de prospérités
que toutes les nations voisines mêmes chantaient ses louanges.
La vingt-quatrième année de son
règne, plein d’amour de Dieu, il fit bâtir avec soin et magnificence, dans le
faubourg de Châlons et cependant sur, le territoire Séquanien, l’église de
Saint-Marcel, où en récompense repose aujourd’hui son corps. Il y fonda un
monastère et dota l’église de beaucoup de biens. Il fit assembler un synode de
quarante évêques, et fit confirmer par la réunion de ce synode l’institution de
ce monastère de Saint-Marcel, à l’exemple de ce qui avait été fait pour le
monastère de Saint-Maurice, établi ainsi d’après les ordres du prince, par Avite et d’autres évêques du temps du roi Sigismond.
Dans cette année, Gondovald, avec le secours de Mummole et de Didier, osa envahir au mois de novembre une partie du royaume de Gontran,
et détruire ses cités. Gontran envoya contre eux avec une armée le connétable Leudégésile et le patrice Ægilan. Gondovald ayant pris la licite, se réfugia dans la
ville de Comminges, et mourut ensuite précipité du haut d’une roche par le duc
Boson.
Lorsque Gontran apprit le meurtre
de son frère. Chilpéric, il se hâta de se rendre il Paris où il fit venir
auprès de lui Frédégonde et Clotaire, fils (le Chilpéric, qu’il fit baptiser à
Ruel, et qu’il établit sur le trône de son père, après l’avoir tenu sur les
fonts sacrés.
La vingt-cinquième année du règne
de Gontran, Mummole fut tué à Sénuvie,
par l’ordre de Gontran. Son domestique Domnole, et
son camérier Wandalmar, remirent à Gontran Sidonie sa
femme, ainsi que tous ses trésors.
La vingt-sixième année du règne
de Gontran son armée entra en Espagne ; mais, accablée de maladies par
l’insalubrité du pays, elle revint aussitôt dans sa patrie.
L’an vingt-septième du même
règne, Leudégésile fût nommé par Gontran patrice de
la Provence. On annonça que le roi Childebert avait eu un fils nommé
Théodebert.
Cette même année il y eut en
Bourgogne une grande inondation de fleuves, de sorte que les eaux dépassaient
de beaucoup leur lit. Le comte Syagrius alla par l’ordre de Gontran en ambassade
à Constantinople, et là, contre sa foi, il se fit nommer patrice. Mais cette
trahison ainsi commencée ne put arriver à un plein succès. Dans cette année un
phénomène parut clans le ciel : c’était un globe de feu qui tomba sur la terre
en étincelant et en rugissant. Dans la même année aussi mourut Leuvigild, roi d’Espagne, qui fût remplacé par son fils
Reccared.
Dans la vingt-huitième année du
règne de Gontran, on annonça la naissance d’un autre fils de Childebert, nommé
Théodoric.
Gontran, faisant alliance avec
Childebert, eut une entrevue avec lui à Andelot. La mère, la sœur et la femme
du roi Childebert y assistèrent toutes. On convint, par un traité particulier,
qu’après la mort de Gontran, Childebert hériterait de son royaume.
Dans ce temps Rauchingue et Gontran-Boson, Ursion et Bertfried,
seigneurs attachés au roi Childebert, furent tués par son ordre pour avoir
projeté de l’assassiner. Leudefried, duc des
Allemands, avait encouru aussi la haine de Childebert ; mais il s’échappa. Uncilène fut créé duc à sa place. Dans cette année
Reccared, roi des Goths, embrassa avec un cœur plein d’amour la vraie religion
chrétienne, et fut d’abord baptisé. Ensuite il fit assembler à Tolède tous les
Goths attachés à la secte Arienne, et se fit livrer tous les livres ariens ;
les ayant placés dans une seule maison, il y fit mettre le feu, et fit ensuite
baptiser tous les Goths, selon la loi chrétienne.
Cette année, Caesara,
femme d’Anaulf, empereur des Persans, abandonnant son
mari, vint avec quatre garçons et autant de filles vers saint Jean évêque de
Constantinople, dit qu’elle était une femme du peuple. et demanda au
bienheureux Jean la grâce du baptême.
Elle fut baptisée par le pontife
lui-même, et la femme de l’empereur Maurice la tint sur les fonts sacrés. Comme
l’empereur de Perse envoyait souvent des députés pour redemander sa femme, et
que l’empereur Maurice ne savait pas que ce fût cette Caesara,
l’impératrice, voyant qu’elle était très belle, soupçonna qu’elle pourrait bien
être celle que demandaient les députés et elle leur dit : Une certaine
femme est venue ici de la Perse, disant qu’elle était une femme du peuple :
voyez-la, c’est peut-être celle que vous cherchez. Les députés l’ayant vue se
prosternèrent à terre pour l’adorer, disant que c’était la maîtresse qu’ils
cherchaient. L’impératrice dit à Caesara : Rendez-leur
une réponse. Alors elle répondit : Je ne parlerai pas à ces hommes, leur
vie est comme celle des chiens ; s’ils se convertissent et deviennent
chrétiens comme moi, alors je leur répondrai. Les députés reçurent volontiers
la grâce du baptême. Alors Caesara leur dit : Si
mon mari veut se faire chrétien et recevoir la grâce du baptême, je retournerai
volontiers vers lui; autrement je n’y retournerai pas du tout. Les députés
ayant annoncé ces choses à l’empereur de Perse, il envoya aussitôt une
ambassade à l’empereur Maurice, pour faire venir saint Jean à Antioche, parce
qu’il voulait recevoir le baptême de lui. Alors l’empereur Maurice fit faire à
Antioche des préparatifs immenses ; l’empereur de Perse y fut baptisé avec
soixante mille Persans, et cette cérémonie accomplie par Jean et les autres
évêques dura deux semaines. Grégoire, évêque d’Antioche, tint l’empereur sur
les fonts baptismaux. L’empereur Anaulf pria
l’empereur Maurice de lui donner des évêques avec un clergé pour les établir
dans la Perse, afin que tous les Persans reçussent la grâce du baptême. Maurice
les lui donna volontiers, et tous les Persans furent convertis avec une grande
promptitude.
L’an vingt-huitième du règne de
Gontran, une armée marcha en Espagne par son ordre ; mais, par la
négligence de Boson qui la commandait, elle fut taillée en pièces par les
Goths.
La trentième année du règne du
même prince, la tunique de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui lui avait été
enlevée dans la passion, et tirée au sort par les soldats qui le gardaient, et
de laquelle le prophète David dit : et ils ont tiré mes vêtements au sort; fut
découverte par les aveux de Simon, fils de Jacob ; qui, après avoir été pendant
deux semaines tourmenté de divers supplices, déclara enfin que la tunique était
déposée dans la ville de Joppé, loin de Jérusalem,
dans un coffre de marbre : Grégoire, évêque d’Antioche, Thomas, évêque de
Jérusalem, Jean, évêque de Constantinople, et beaucoup d’autres évêques, après
un jeûne de trois jours, portèrent à pied à Jérusalem, avec une sainte
dévotion, la tunique enfermée clans le coffre de marbre, qui devint aussi léger
que s’il eût été de bois, et ils la placèrent en triomphe dans le lieu où on
adore la croix du Seigneur. Cette année, la lune fut obscurcie.
Une guerre s’engagea entre les
Francs et les Bretons sur les bords dit fleuve de la Vienne. Beppolène, duc des Francs, fut tué par les Bretons de la
faction du duc Ébrachaire ; ensuite Ébrachaire, dépouillé de tous ses biens, tomba dans la plus
grande pauvreté.
La trente et unième année du
règne de Gontran, Theutfried, duc du pays situé
au-delà du mont Jura, mourut, et Wandalmar lui
succéda dans son duché. La même année, le duc Agon fut
élevé sur le trône des Lombards en Italie. La trente-deuxième année du règne de
Gontran, le soleil fut tellement diminué depuis le matin jusqu’à midi, qu’à
peine en apercevait-on la troisième partie.
La trente-troisième année de son
règne, Gontran mourut le 28 mars, et fut enseveli clans l’église de
Saint-Marcel, dans le monastère qu’il avait lui-même fondé. Childebert entra en
possession de son royaume. Cette année, Wintrion, duc
de Champagne, entra avec une armée clans le royaume de Clotaire. Clotaire étant
allé au devant de lui avec ses guerriers, mit Wintrion en fuite ; des deux côtés le massacre des troupes
fut grand.
Deux ans après que Childebert eut
reçu le royaume de Bourgogne, une guerre s’étant engagée entre les Francs et
les Bretons, il y eut un grand carnage des cieux peuples.
La troisième année du règne de
Childebert en Bourgogne, un grand nombre de phénomènes parurent dans le ciel ;
on aperçut une comète. Cette même année, l’armée de Childebert combattit
courageusement contre les Warnes qui
s’efforçaient de secouer le joug ; et le massacre des Warnes fut si grand qu’il en resta peu.
La quatrième année du règne de
Childebert en Bourgogne [596], il mourut, et ses fils Théodebert et
Théodoric lui succédèrent : Théodebert eut l’Austrasie en partage, et
résida à Metz ; et Théodoric reçut le royaume de Gontran en Bourgogne, et
résida à Orléans.
Cette année, Frédégonde, avec son
fils le roi Clotaire, s’empara de Paris et des autres cités, à la manière des
Barbares et sans déclaration de guerre. Une armée partit d’un lieu nommé Latofa pour marcher contre les fils de Childebert,
Théodebert et Théodoric. Les deux armées en étant venues aux mains, Clotaire,
se précipitant avec ses guerriers sur Théodebert et Théodoric, fit un grand
carnage de leurs soldats. Frédégonde mourut la deuxième année du règne de
Théodoric [597].
La troisième année du règne de
Théodebert, le duc Wintrion fut tué à l’instigation
de Brunehault.
La quatrième année du règne de
Théodoric, Quolène, Franc d’origine, fut nommé
patrice. Dans cette année, la peste dévasta Marseille et les autres cités de la
Provence. L’eau du lac de Châteaudun, dans lequel se décharge la rivière de
l’Aigre, fut si chaude et bouillonna tellement, qu’elle fit cuire tous les
poissons. Cette même année, mourut Warnachaire, maire du palais de Théodoric,
qui distribua tous ses biens en aumône aux pauvres.
Cette année, Brunehault fut
chassée d’Austrasie, et trouvée seule par un pauvre homme dans la Champagne,
près d’Arcis ; à sa demande, il la conduisit à Théodoric. Théodoric,
accueillant bien son aïeule Brunehault, la traita avec honneur. En récompense
du service qu’elle en avait reçu, Brunehault fit avoir au pauvre homme l’évêché
d’Auxerre.
La cinquième année du règne de
Théodoric, on vit à l’occident les mêmes phénomènes qui avaient apparu l’année
précédente, des globes de feu parcourant le ciel, et comme un grand nombre de
lances de feu. Cette année aussi, les rois Théodebert et Théodoric levèrent une
armée contre le roi Clotaire, et en étant venus aux mains au-dessus de l’Ouaine, non loin du bourg de Dormelle,
l’armée de Clotaire fut taillée en pièces. Clotaire lui-même ayant pris la
fuite avec le reste de son armée, les ennemis pillèrent et ravagèrent les
bourgs et les cités situés le long de la Seine, qui s’étaient placés sous
l’empire de Clotaire. Les villes ayant été forcées, l’armée de Théodebert et de
Théodoric emmena un grand nombre de captifs. Clotaire vaincu conclut, bon gré
mal gré, un traité par lequel on convint que Théodoric aurait tout le pays
situé entre la Seine, la Loire et l’Océan, et que Théodebert aurait le duché
entier de Dentelin entre la Seine et l’Oise, jusqu’à
l’Océan. Il ne resta à Clotaire que douze cantons situés entre la Seine et
l’Océan.
La sixième année du règne de
Théodoric, Cautin, duc au service de Théodebert, fut
tué.
La septième année de son règne,
Théodoric eut d’une concubine un fils nommé Sigebert. Le patrice Ægilan fut enchaîné et tué à l’instigation de Brunehault,
sans autre motif que celui de la cupidité, afin que ses biens tombassent, au
pouvoir du fisc. Cette année, Théodebert et Théodoric firent marcher une armée
contre les Gascons, et les ayant vaincus par le secours de Dieu, les soumirent
à leur domination, et les rendirent tributaires ; ils leur imposèrent un
duc nommé Génial, qui les gouverna avec bonheur.
Cette année, saint Éconius, évêque de Saint-Jean-de-Maurienne, découvrit le
corps de saint Victor, qui avait été martyrisé à Soleure avec saint Ours. Une
certaine nuit, comme il était dans la ville, un songe l’avertit de se lever
aussitôt, d’aller à l’église construite par la reine Sédéleube dans le faubourg de Genève, et que, dans un endroit qui lui fut désigné, il
trouverait le corps du Saint. S’étant hâté d’aller à Genève avec les saints
évêques Rusticius et Patricius, ils firent un jeûne
de trois jours, et pendant la nuit, ils virent une lumière à l’endroit où était
le glorieux et illustre corps. Les trois pontifes ayant soulevé la pierre en
silence, en pleurant et priant, le trouvèrent enseveli dans un coffre d’argent,
et son visage était frais et rouge comme celui d’un homme vivant. Le prince
Théodoric était là, et faisant un grand nombre de présents à cette église, il
la confirma la possession de la plus grande partie des biens de Warnachaire.
D’étonnants miracles éclatent incessamment par la volonté de Dieu sur le
sépulcre du Saint depuis le jour où il a été trouvé. Cette année, mourut Æthérius, évêque de Lyon. Secondin fut ordonné évêque à sa place.
Cette année, Phocas,
duc et patrice de la république romaine, revenant victorieux de la Perse, tua
l’empereur Maurice, et s’empara de l’empire à sa place.
Dans la huitième année de son
règne, Théodoric eut d’une concubine un fils qu’on nomma Childebert. On
assembla un synode à Châlons, on ôta à Didier l’évêché de Vienne qui, à
l’instigation d’Aridius, évêque de Lyon, et de
Brunehault, fut donné à Domnole. Didier fut envoyé en
exil dans une certaine île. Cette année, le soleil fut voilé. Dans le même
temps, Bertoald, Franc d’origine, était maire du
palais de Théodoric. C’était un homme de mœurs réglées, sage, prudent, brave
dans les combats, et gardant sa foi envers tout le monde.
La neuvième année de son règne,
Théodoric eut d’une concubine un fils nommé Corbus.
Comme Protadius, Romain d’origine, était fort considéré de tous dans le palais,
et que Brunehault dont il partageait le lit, voulait le combler de dignités, il
fut nommé à la mort du duc Wandalmar, patrice de la
contrée au-delà du Jura et du pays de Salins. Pour faire périr Bertoald, on l’envoya réclamer les droits du fisc, dans les
bourgs et les cités situés sur les bords de la Seine jusqu’à l’Océan.
Bertoald partit seulement avec trois cents hommes pour les
pays où il était envoyé par Théodoric ; arrivé à la terre d’Arèles il s’y livrait à la chasse ; ce que
sachant, Clotaire envoya son fils Mérovée et Landri, maire du palais, avec une
armée, pour tuer Bertoald. Cette armée se permit,
contre les termes du traité, d’envahir la plupart des bourgs et des cités
situés entre la Seine et la Loire et qui appartenaient à Théodoric.
Bertoald, en ayant reçu la nouvelle et n’étant: pas en
force pour résister, s’enfuit à Orléans, où il fut reçu par le saint évêque Austrin ; Landri ayant entouré Orléans avec son armée,
appela Bertoald, pour qu’il en vint aux mains. Bertoald lui répondit du haut du rempart : Si tu veux
m’attendre, pendant que les troupes resteront immobiles, nous engagerons un
combat singulier, et Dieu nous jugera. Mais Landri fut loin d’y consentir. Bertoald ajouta : Puisque tu n’oses souscrire à cela,
bientôt nos maîtres en viendront aux mains par suite de tout ce que vous
faites. Couvrons-nous alors de vêtements vermeils; précédons les autres au lieu
où sera le combat, c’est là qu’on verra ma bravoure et la tienne ; jurons
l’un et L’autre devant Dieu que nous tiendrons cette promesse.
Cela fait, le jour de la fête de
saint Martin, Théodoric, ayant appris que, contre le traité, Clotaire avait
envahi une partie de son royaume, traversa le Loet,
se dirigea avec une armée, le jour de Noël, à Etampes, où Mérovée, fils du roi
Clotaire, vint au-devant de lui avec Landri et une grande armée. Comme
l’endroit où l’on passe le Loet était fort resserré,
à peine le tiers de l’armée de Théodoric avait passé que le combat
commença ; Bertoald s’avança selon leur
convention appelant Landri. Mais Landri n’osa pas, comme il l’avait promis,
affronter le péril d’un tel combat. Bertoald s’étant
trop avancé, fut tué avec les siens par l’armée de Clotaire ; sachant que
Protadius voulait le dégrader de sa dignité, il ne voulut pas s’échapper.
Mérovée, fils de Clotaire, fut pris ; Landri fut mis en fuite, et un grand
nombre des soldats de Clotaire furent taillés en pièces. Théodoric entra en
triomphe dans Paris, Théodebert conclut la paix avec Clotaire à
Compiègne ; et les deux armées retournèrent dans leur pays sans plus de
carnage.
La dixième année du règne de
Théodoric, Protadius, à l’instigation de Brunehault et par l’ordre de
Théodoric, fut créé maire du palais. Il était d’une extrême finesse et d’une
grande habileté en toutes choses, mais il exerça contre certains hommes de
cruelles iniquités, accordant trop aux droits du fisc, et s’efforçant, par
toute sorte d’artifices, de le remplir et de s’enrichir, lui-même des
dépouilles des biens d’autrui. Il s’appliquait à abaisser autant de nobles
qu’il eu pouvait trouver, pour qu’il n’en restât
aucun en état de s’emparer du rang auquel il s’était élevé. Par ces
persécutions acharnées, il se fit des ennemis de tous les sujets du royaume de
Bourgogne.
Brunehault engageait
continuellement son petit-fils Théodoric à faire marcher une armée contre
Théodebert, lui disant : Qu’il était fils, non de Childebert, mais d’un
certain jardinier. Protadius le lui conseillait aussi. Théodoric ordonna enfin
de lever une armée. Ayant campé, avec son armée, dans un endroit nommé Cerisy,
Théodoric fut exhorté par ses Leudes, à faire la paix avec Théodebert ;
Protadius seul l’excitait à engager le combat. Théodebert, avec les siens,
n’était pas éloigné. Alors tous les guerriers de Théodoric en ayant trouvé
l’occasion, se jetèrent sur Protadius, disant que la mort d’un seul homme était
préférable au massacre de toute une armée. Protadius était assis dans la tente
du roi Théodoric, jouant aux dés avec Pierre, premier médecin. Comme l’armée
environnait déjà la tente, et les Leudes de Théodoric l’empêchant de sortir
pour parler aux soldats, il envoya Uncilène pour leur
ordonner, de sa part, qu’ils eussent à cesser de menacer Protadius. Uncilène, au contraire, alla dire sur-le-champ aux troupes
: Ainsi l’ordonne le roi Théodoric, que Protadius soit tué. S’étant jetés
alors sur lui, et déchirant la tente du roi avec leurs épées, ils tuèrent
Protadius. Théodoric, déconcerté, fut forcé de faire la paix avec son frère
Théodebert, et, après la mort de Protadius, les deux armées retournèrent chez
elles sans combat.
La onzième année du règne de Théodoric,
Claude fut nommé maire du palais. Il était romain d’origine, homme prudent,
enjoué dans ses récits, ferme en toutes choses, patient, sage dans le conseil,
versé dans l’étude des lettres, rempli de fidélité, et faisant amitié avec tout
le monde. Averti par l’exemple de ses prédécesseurs, il se montra, dans ce
rang, doux et patient. Il n’avait que l’embarras d’un excessif embonpoint.
La douzième année du règne de
Théodoric, Uncilène, qui avait insidieusement ordonné
la mort de Protadius, eut, à l’instigation de Brunehault, les pieds coupés, et,
dépouillé de ses biens, fut réduit à la condition la plus misérable.
Le patrice Wolf, qui avait trempé
dans la mort de Protadius, fut, à l’instigation de Brunehault et par l’ordre de
Théodoric, tué dans la métairie de Favernay; Richomer, romain, fut nommé patrice à sa place. La même
année, Théodoric eut, d’une concubine, un fils nommé Mérovée, que Clotaire tint
sur les fonts de baptême.
La même année, Théodoric envoya
vers Witterich, roi d’Espagne, Aridius,
évêque de Lyon, Roccon et Æpporin connétable, pour lui demander en mariage sa fille Ermenberge.
Les envoyés ayant juré à Witterich que jamais
Théodoric ne dégraderait sa fille du trône, elle leur fut remise, et ils la
présentèrent dans Châlons à Théodoric qui la reçut avec joie et empressement.
Par les intrigues de son aïeule Brunehault, Ermenberge ne partagea jamais le lit de son époux, à qui les discours de Brunehault et de
sa sœur Theudilane la rendirent enfin odieuse. Au
bout d’un an, Théodoric renvoya en Espagne Ermenberge dépouillée de ses trésors.
Witterich, indigné, envoya une députation à Clotaire ; le
député de Clotaire et celui de Witterich se rendirent
auprès de Théodebert ; les députés de Théodebert, de Clotaire et de Witterich allèrent trouver Agon,
roi d’Italie. Ces quatre rois formèrent le projet de se coaliser pour attaquer
de tous côtés Théodoric, lui enlever ses États et le condamner à mort, tant ils
avaient de crainte de lui. L’envoyé des Goths s’embarqua en Italie pour
retourner par mer en Espagne. Mais, par la volonté divine, le projet de ces
rois ne fut pas accompli. Théodoric, en ayant été informé, ne considéra ces
desseins qu’avec un grand mépris.
Cette année Théodoric, suivant
les conseils perfides d’Aridius, évêque de Lyon, et
de son aïeule Brunehault, fit lapider saint Didier, revenu de son exil. Depuis
le jour de sa mort, le Seigneur daigna constamment faire éclater à son tombeau
d’étonnants miracles : ce qui doit faire croire que c’est à cause de ce crime
que fut détruit le royaume de Théodoric et de ses fils.
Cette année, Witterich étant mort, fut remplacé sur le trône d’Espagne par Sisebod,
homme sage, plein de piété, et célèbre par toute l’Espagne ; car il
combattit avec courage contre la république romaine, et soumit au royaume des
Goths la Biscaye, qui avait autrefois appartenu aux Francs. Un duc nommé Francion, qui avait soumis la Biscaye dans le temps des
Francs, avait longtemps payé des tributs au roi des Francs ; mais cette
province étant revenue à l’empire, les Goths s’en emparèrent, et Sisebod ayant pris plusieurs cités de l’empire romain
situées sur le rivage de la mer, les détruisit de fond en comble. Comme l’armée
de Sisebod taillait en pièces les Romains, Sisebod, rempli de piété, disait : Malheur à moi, sous
le règne duquel il se fait une si grande effusion de sang humain ! Il
délivrait de la mort tous ceux qu’il rencontrait. L’empire des Goths en Espagne
fut établi depuis le rivage de la mer jusques aux Pyrénées.
Agon, roi des Lombards, prit pour femme une sœur de
Grimoald et de Gondoald, nommée Théodelinde,
de la race des Francs, et autrefois promise à Childebert. Ce roi l’ayant
méprisée par le conseil de Brunehault, Gondoald passa
en Italie avec sa sœur Théodelinde et tous ses biens,
et la donna en mariage à Agon. Gondoald prit une femme de la noble nation des Lombards. Il en eut deux fils, nommés Gondebert et Charibert. Le roi Agon,
fils du roi Autharis, eut de Théodelinde un fils, nommé Adoald, et une fille, nommée Gondoberge. Comme Gondoald était
trop aimé des Lombards, le roi Agon et la reine Théodelinde, à qui il était déjà suspect, le firent percer
d’une flèche pendant qu’il était assis sur un fauteuil pour satisfaire ses
besoins, et il en mourut.
La treizième année du règne de
Théodoric, Théodebert avait pour femme Bilichilde,
que Brunehault avait achetée à des marchands. Comme Bilichilde était aimable et chérie de tous les Austrasiens, qu’elle dédommageait du pauvre
esprit de Théodebert, elle ne se croyait en rien inférieure à Brunehault, et
souvent elle l’insultait par ses messagers, pendant que de son côté cette reine
lui reprochait d’avoir été sa servante ; enfin, après qu’elles se furent
réciproquement irritées par des ambassades et des paroles de ce genre, on
convint d’une entrevue sur la frontière du Sundgau, afin que ces deux reines se
réunissent et rétablissent la paix entre Théodoric et Théodebert ; mais Bilichilde, par le conseil des Austrasiens, refusa d’y
venir.
La quatorzième année du règne de Théodoric,
la réputation de saint Colomban s’était accrue dans les cités et dans toutes
les provinces de la Gaule et de la Germanie. Il était tellement célébré et
vénéré de tous que le roi Théodoric se rendait souvent auprès de lui à Luxeuil
pour lui demander avec humilité la faveur de ses prières. Comme il y allait
très souvent, l’homme de Dieu commença à le tancer, lui demandant pourquoi il
se livrait à l’adultère avec des concubines plutôt que de jouir des douceurs
d’un mariage légitime ; de telle sorte que la race royale sortît d’une
honorable reine et non pas d’un mauvais lieu. Comme déjà le roi obéissait à la
parole de l’homme de Dieu et promettait de s’abstenir de toutes choses
illicites, le vieux serpent se glissa dans lame de son aïeule Brunehault qui
était une seconde Jézabel, et l’excita contre le saint de Dieu par l’aiguillon
de l’orgueil. Voyant Théodoric obéir à l’homme de Dieu, elle craignit que, si
son fils, méprisant les concubines, mettait une reine à la tête de la cour,
elle ne se vît retrancher par là une partie de sa dignité et de ses honneurs.
Il arriva qu’un certain jour saint Colomban se rendit auprès de Brunehault qui
était alors dans le domaine de Bourcheresse. La reine
l’ayant vu venir dans la cour amena au saint de Dieu les fils que Théodoric
avait eus de ses adultères. Les ayant vus, le saint demanda ce qu’ils lui
voulaient. Brunehault lui dit : Ce sont les fils du roi, donne-leur la
faveur de ta bénédiction. Colomban lui dit : Sachez qu’ils ne porteront
jamais le sceptre royal, car ils sont sortis de mauvais lieux. Elle, furieuse,
ordonna aux enfants de se retirer. L’homme de Dieu étant sorti de la cour de la
reine, au moment où il passait le seuil un bruit terrible se fit entendre, mais
ne put réprimer la fureur de cette misérable femme qui se prépara à lui tendre
des embûches. Elle fit ordonner par des messagers aux voisins du monastère de
ne permettre à aucun des moines d’en dépasser les limites, et de ne leur
accorder ni retraite, ni quelque secours que ce fût. Saint Colomban, voyant la
colère royale soulevée contre lui, se rendit promptement à la cour, pour
réprimer par ses avertissements cet indigne acharnement. Le roi était alors à Espoisse, sa maison de campagne. Colomban y étant arrivé au
soleil couchant, on annonça au roi que l’homme de Dieu était là et qu’il ne
voulait pas entrer dans la maison du roi. Alors Théodoric dit qu’il valait
mieux honorer à propos l’homme de Dieu que de provoquer la colère du Seigneur
en offensant un de ses serviteurs. Il ordonna donc de préparer toutes choses
avec une pompe royale, et d’aller au-devant du serviteur de Dieu. Ils vinrent
donc, et, selon l’ordre du roi, offrirent leurs présents. Colomban, voyant
qu’on lui présentait des mets et des coupes avec la pompe royale, demanda ce
qu’ils voulaient. On lui dit : C’est ce que t’envoie le roi. Mais, les
repoussant avec malédiction, il répondit. Il est écrit : le Très-Haut
réprouve les dons des impies ; il n’est pas digne que les lèvres des
serviteurs de Dieu soient souillées de ses mets, celui qui leur interdit
l’entrée, non seulement de sa demeure, mais de celle des autres. À ces mots,
les vases furent mis en pièces, le vin et la bière répandus sur la terre, et
toutes les autres choses jetées çà et là. Les serviteurs épouvantés allèrent
annoncer au roi ce qui arrivait. Celui-ci, saisi de frayeur, se rendit, au
point du jour, avec son aïeule auprès de l’homme de Dieu. Ils le supplièrent de
leur pardonner ce qui avait été fait, promettant de se corriger par la suite.
Colomban, apaisé par ces promesses, retourna au monastère : mais ils
n’observèrent pas longtemps leurs promesses ; leurs misérables péchés
recommencèrent, et le roi se livra à ses adultères accoutumés. À cette
nouvelle, saint Colomban lui envoya une lettre pleine de reproches, le menaçant
de l’excommunication s’il ne voulait pas se corriger. Brunehault, de nouveau
irritée, excita l’esprit du roi contre saint Colomban, et s’efforça à le perdre
de tout son pouvoir ; elle pria tous les seigneurs et tous les grands de la
cour d’animer le roi contre l’homme de Dieu : elle osa solliciter aussi les
évêques, afin qu’élevant des soupçons sur sa religion, ils accusassent la règle
qu’il avait imposée à ses moines. Les courtisans, obéissant aux discours de
cette misérable reine, excitèrent l’esprit du roi contre le saint de Dieu,
l’engageant à le faire venir pour prouver sa religion. Le roi, entraîné, alla
trouver l’homme de Dieu à Luxeuil, et lui demanda pourquoi il s’écartait des
coutumes des autres évêques, et aussi pourquoi l’entrée de l’intérieur du
monastère n’était pas ouverte à tous les chrétiens. Saint Colomban, d’un esprit
fier et plein de courage, répondit au roi qu’il n’avait pas coutume d’ouvrir
l’entrée de l’habitation des serviteurs de Dieu à des hommes séculiers et
étrangers à la religion ; mais qu’il avait des endroits préparés et destinés à
recevoir tous les hôtes. Le roi lui dit. Si tu désires t’acquérir les dons
de notre largesse et le secours de notre protection, tu permettras à tout le
monde l’entrée de tous les lieux du monastère. L’homme de Dieu répondit : Si
tu veux violer ce qui a été jusqu’à présent soumis à la rigueur de nos règles,
sache que je me refuserai à tes dons et à tous tes secours ; et si tu es
venu ici pour détruire les retraites des serviteurs de Dieu et renverser les
règles de la discipline, sache que ton empire s’écroulera de fond en comble, et
que tu périras avec toute la race royale ; ce que l’événement prouva dans
la suite. Déjà d’un pas téméraire le roi avait pénétré dans le réfectoire ;
épouvanté de ces paroles, il retourna promptement dehors. Il fut ensuite
assailli des vifs reproches de l’homme de Dieu, à qui Théodoric dit : Tu
espères que je te donnerai la couronne du martyre ; sache que je ne suis pas
assez fou pour faire un si grand crime ; mais reviens à des conseils plus
prudents qui te vaudront beaucoup d’avantages, et que celui qui a renoncé aux
mœurs de tous les hommes séculiers rentre dans la voie qu’il a quittée. Les
courtisans s’écrièrent tous d’une même voix qu’ils ne voulaient pas souffrir
dans ces lieux un homme qui ne faisait pas société avec tous. Mais Colomban dit
qu’il ne sortirait pas de l’enceinte du monastère, à moins d’en être arraché
par force. Le roi s’éloigna donc laissant un certain seigneur, nommé Baudulf, qui chassa aussitôt le saint de Dieu du monastère
et le conduisit en exil à la ville de Besançon, jusqu’à ce que le roi décidât,
par une sentence, ce qui lui plairait.
Le saint de Dieu s’aperçut qu’il
n’était gardé ni outragé par personne ; car tout le monde voyait briller en lui
la vertu de Dieu, ce qui empêchait qu’on ne lui fit aucune injure, de peur de
participé au crime commis contre lui. Il monta un dimanche sur une cime escarpée,
car telle est la position de la ville que les maisons sont bâties sur le
penchant rapide de la montagne, franchissant des lieux d’un difficile accès et
entourés de tous côtés par le fleuve du Doubs ; le saint attendit là
jusqu’au milieu du jour, regardant au loin si quelqu’un était posté pour
l’empêcher de retourner au monastère. Comme personne ne paraissait, il traversa
la ville avec les siens et rentra dans sa retraite. À la nouvelle qu’il avait
quitté le lieu de son exil, Brunehault et Théodoric, animés d’une plus violente
colère, envoyèrent pour le chercher, sans retard, le comte Berthaire et Baudulf, dont nous avons parlé plus haut, avec une
troupe de guerriers. Ils trouvèrent saint Colomban dans l’église, chantant des
psaumes et des oraisons avec toute la communauté des frères, et ils parlèrent
ainsi à l’homme de Dieu : Nous te prions d’obéir aux ordres du roi et aux
nôtres, et de retourner à l’endroit d’où tu es revenu ici. Mais il répondit
: Je ne crois point qu’il plaise au Créateur que je retourne dans un lieu
d’où je me suis éloigné pour obéir à la voix terrible du Christ. Voyant que
l’homme de Dieu n’obéissait pas, Berthaire se retira,
laissant quelques hommes d’un esprit plus hardi. Ceux-ci prièrent l’homme de
Dieu d’avoir pitié d’eux, qui avaient été malheureusement laissés pour
accomplir un si cruel dessein, et d’avoir égard à leur danger, car ils
couraient risque de la mort s’ils ne l’enlevaient par force. Mais il leur dit
qu’il avait déjà assez souvent répété que la violence seule pourrait le faire
sortir. Les soldats, au milieu d’un double péril et en proie à plus d’une peur,
saisirent le manteau dont le saint était enveloppé ; d’autres s’étant
jetés à ses genoux le supplièrent, en pleurant, de leur pardonner un si grand
crime, car ils obéissaient non à leur volonté, mais aux ordres du roi. L’homme
de Dieu voyant qu’il pourrait y avoir du danger en n’écoutait que la fierté de
son cœur, sortit en pleurant et se désolant, accompagné de gardes qui ne
devaient pas le quitter avant de l’avoir mis hors de toutes les terres soumises
au pouvoir du roi. Le chef de ces soldats était Ragamond,
qui le conduisit jusqu’à Nantes. Ainsi chassé du royaume de Théodoric le saint
se disposa à retourner une seconde fois en Irlande. Mais comme nul prêtre ne
doit prendre une route ou une autre qu’avec la permission du Seigneur, saint
Colomban alla en Italie, et construisit, clans un endroit nommé Bobbio, un
monastère consacré à une sainte vie, et plein de jours, il monta vers le
Christ.
La quinzième année du règne de
Théodoric [610], l’Alsace où ce prince avait été élevé, et qu’il possédait
par l’ordre de son père Childebert, fut ravagée, à la manière des barbares, par
Théodebert. C’est pourquoi les deux rois tinrent à Seltz un plaid où le
jugement des Francs devait assigner les limites des deux royaumes. Théodoric
s’y rendit avec dix mille soldats, Théodebert s’avança avec une grande armée
d’Austrasiens, dans l’intention de lui livrer bataille : Théodoric entouré de
toutes parts, contraint et saisi de frayeur, assura l’Alsace à Théodebert par
un traité. Il perdit aussi le pays de Sundgau, la Thurgovie et la Champagne
qu’il réclamait souvent. Chacun retourna ensuite chez soi.
Dans ce temps les Allemands
entrèrent en ennemis dans le pays d’Avenches, situé
au-delà du Jura et le ravagèrent. Les comtes Abbelin et Herpin, avec d’autres comtes du pays, marchèrent à la tête d’une armée au devant des Allemands. Les deux armées en vinrent aux
mains ; les Allemands vainquirent les gens du pays Transjuran,
dont ils massacrèrent et taillèrent en pièces un grand nombre ; ils mirent à
feu et à sang la plus grande partie du territoire d’Avenches,
et emmenèrent captifs beaucoup d’habitants, après quoi ils retournèrent chez
eux chargés de butin.
Théodoric méditait
continuellement sur la manière dont il pourrait détruire Théodebert pour se
venger de tant d’injures. Cette année Bilichilde fut
tuée par Théodebert, qui prit pour femme urne jeune fille nommé Theudichilde.
La seizième année de son règne,
Théodoric envoya une députation à Clotaire, déclarant qu’il marcherait contre
Théodebert, parce qu’il n’était pas son frère, si Clotaire ne prêtait pas à
celui-ci son secours, et disant que s’il remportait la victoire sur Théodebert,
il remettrait au pouvoir de Clotaire le duché de Dentelin,
dont nous avons parlé ci-dessus. Des députés ayant réglé ces conventions entre
Théodoric et Clotaire, Théodoric leva une armée.
La dix-septième année de son
règne [612], et au mois de mai, l’armée de Théodoric, venant de toutes les
provinces du royaume, se rendit à Langres. Marchant par Andelot, après avoir
pris Naz, elle s’avança vers la ville de Toul. Théodebert s’étant mis en marche
avec une armée d’Austrasiens, ils en vinrent aux mains dans la campagne de
Toul. Théodoric vainquit Théodebert, et tailla en pièces son armée ; un
grand nombre de braves guerriers furent massacrés. Théodebert ayant pris la
fuite, traversa le territoire de Metz, les montagnes des Vosges, et parvint à
Cologne. Comme Théodoric le poursuivait avec son armée, le saint apôtre Léonise, évêque de Mayence, qui aimait la vaillance de
Théodoric et détestait l’imbécillité de Théodebert, vint vers Théodoric et lui
dit : Achève ce que tu as commencé ; il faut que tu en considères
bien la nécessité. Une fable rustique dit qu’un loup étant monté sur une
montagne, et ses fils ayant commencé à chasser, il les appela vers lui sur la
montagne, leur disant : Aussi loin que votre vue peut s’étendre de
chaque côté, vous n’avez point d’amis si ce n’est quelques-uns de votre race.
Achevez donc ce que vous avez commencé. Théodoric ayant traversé avec son armée
la forêt des Ardennes, arriva à Tolbiac. Là, Théodebert s’avança contre
Théodoric avec des Saxons, des Thuringiens ou d’autres peuples des pays au-delà
du Rhin, et tout ce qu’il avait pu rassembler, et le combat s’engagea une
seconde fois. On rapporte que jamais une pareille bataille ne fut livrée par
les Francs et les autres nations. Il se fit un si grand carnage des deux armées
que, là où les phalanges combattaient, les cadavres des hommes tués n’avaient
pas de place pour tomber, et qu’ils demeuraient debout et serrés, les cadavres
soutenant les cadavres, comme s’ils eussent été vivants. Par le secours du
Seigneur, Théodoric vainquit encore Théodebert, dont l’armée fut taillée en
pièces depuis Tolbiac jusqu’à Cologne. Théodoric couvrit le pays de ses
soldats, et s’avança le jour même jusqu’à Cologne, où il s’empara des trésors
de Théodebert. Il envoya à la poursuite de Théodebert, au-delà du Rhin, son
camérier Berthaire, qui, l’ayant vivement poursuivi
pendant qu’il fuyait avec un petit nombre de ses soldats, l’amena captif à
Cologne auprès de Théodoric, qui le fit dépouiller de ses vêtements royaux, et
donna à Berthaire son cheval avec la housse du roi.
Théodebert fut conduit enchaîné à Châlons ; son jeune fils, nommé Mérovée,
fut saisi, par l’ordre de Théodoric ; un soldat le prit par les pieds, le
frappa contre une pierre, et, ayant eu la cervelle brisée, il rendit l’âme.
Clotaire, selon son traité avec Théodoric, prit en son pouvoir tout le duché de Dentelin. À cause de cela Théodoric, enflammé d’une
trop grande colère, car il était déjà maître de toute l’Austrasie, fit marcher
son armée contre Clotaire.
La dix-huitième année de son
règne [613], Théodoric fit faire des levées dans l’Austrasie et la
Bourgogne, envoyant auparavant une ambassade à Clotaire, pour qu’il renonçât
entièrement au duché de Dentelin, et lui disant
qu’autrement Théodoric lui viendrait avec une armée inonder son royaume de
toutes parts. L’événement prouva ce que les députés avaient annoncé.
Mais, au moment où Théodoric
marchait avec une armée contre Clotaire, il mourut à Metz d’un flux de ventre.
Ses troupes s’en retournèrent aussitôt dans leur pays. Brunehault, demeurant à
Metz avec les quatre fils de Théodoric, Sigebert, Childebert, Corbus et Mérovée, s’efforça d’établir Sigebert dans le
royaume de son père.
Clotaire, à l’instigation de la
faction d’Arnoul, de Pépin et des autres grands, entra en Austrasie. Lorsqu’il
fut prés d’Andernach, Brunehault, qui demeurait à
Worms avec les fils de Théodoric, envoya en leur nom à Clotaire les députés Chadoin et Herpon, lui demandant
de s’éloigner du royaume que Théodoric avait laissé à ses fils. Clotaire
répondit à Brunehault qu’il promettait de se conformer à ce que jugeraient
entre eux, et avec l’aide de Dieu, les principaux d’entre les Francs.
Brunehault envoya alors, dans la Thuringe, Sigebert, l’aîné des fils de Théodoric,
avec Warnachaire, maire du palais, Alboin et d’autres
grands, pour qu’ils engageassent clans son parti les peuples d’outre Rhin, afin
qu’on pût résister à Clotaire. Elle envoya ensuite à Alboin une lettre, pour l’avertir, ainsi que les autres grands, de tuer Warnachaire,
parce qu’il voulait passer dans le parti de Clotaire. Alboin,
après avoir lu cette lettre, la déchira et la jeta à terre. Un serviteur de
Warnachaire l’ayant trouvée, en rassembla les morceaux sur une tablette enduite
de cire. Warnachaire ayant lu la lettre, vit qu’il courait risque de la vie, et
commença à rechercher comment il pourrait se défaire des fils de Théodoric et
faire élire Clotaire à leur royaume. Il détacha, par des avis secrets, du parti
de Brunehault et des fils de Théodoric, les peuples qui s’y étaient engagés.
Revenus ensuite auprès de Brunehault et des fils de Théodoric, ils rentrèrent
tous en Bourgogne, s’efforçant, par des messages, de lever une armée clans
toute l’Austrasie.
Les seigneurs de la Bourgogne,
tant les évêques que les autres Leudes, craignant et haïssant Brunehault,
tinrent conseil, avec Warnachaire, pour qu’aucun des fils de Théodoric
n’échappât, qu’on les tuât tous avec Brunehault, et qu’on donna leur royaume à
Clotaire ; ce qui en effet arriva. Par l’ordre de Brunehault et de
Sigebert, fils de Théodoric, une armée de Bourguignons et d’Austrasiens marcha
contre Clotaire. Sigebert s’étant avancé dans la Champagne, sur le territoire
de Châlons-sur-Marne, et vers les bords de l’Aisne, Clotaire vint à sa rencontre
avec une armée, ayant déjà avec lui un grand nombre d’Austrasiens du parti de
Warnachaire, maire du palais, avec qui il avait déjà traité, ainsi qu’avec le
patrice et les ducs Aléthée, Roccon, Sigoald et Eudelan. Au
moment où on allait en venir aux mains, et à un certain signal, l’armée de
Sigebert prit la fuite pour retourner dans son pays. Clotaire, comme il en
était convenu, la poursuivit avec peu d’ardeur, et arriva à la Saône. Il prit
trois des fils de Théodoric, Sigebert, Corbus et
Mérovée, qu’il avait tenu sur les fonts de baptême ; Childebert échappa
par la fuite et ne reparut jamais. L’armée des Austrasiens retourna toute
entière dans son pays. Trahie par Warnachaire, maire du palais, et par la
plupart des grands du royaume de Bourgogne, Brunehault fut arrêtée par le
connétable Herpon, à Orbe, bourg au-delà du Jura, et
conduite à Clotaire avec Theudelane, sœur de
Théodoric, à Ryonne, village situé sur la Vigenne. Clotaire fit tuer Sigebert et Corbus,
fils de Théodoric. Touché de compassion pour Mérovée, qu’il avait tenu sur les
fonts de baptême, il le fit emmener secrètement en Neustrie, et le recommanda
au comte Ingobad. Mérovée vécut plusieurs années dans
ce pays.
Brunehault ayant été amenée en la
présence de Clotaire, enflammé de haine contre elle, il lui imputa la mort de
dix rois francs, c’est-à-dire, Sigebert, Mérovée, son père Chilpéric,
Théodebert et son fils Clotaire, Mérovée, fils de Clotaire, Théodoric et ses
trois fils, qui venaient de périr. L’ayant ensuite tourmentée pendant trois jours
par divers supplices, il la fit conduire à travers toute l’armée, assise sur un
chameau, et attacher ensuite par les cheveux, par un pied et par un bras, à la
queue d’un cheval extrêmement fougueux ; et ses membres furent disloqués par
les coups de pied et la promptitude de la course du cheval.
Warnachaire fut créé maire du
palais de la Bourgogne, après avoir reçu de Clotaire le serment de n’être
jamais écarté durant sa vie. Radon obtint la même dignité en Austrasie. Tout le
royaume des Francs, comme il était arrivé sous le premier Clotaire, tomba au
pouvoir de Clotaire avec tous les trésors, et il le gouverna avec bonheur
pendant seize ans, demeurant en paix avec toutes les nations voisines. Clotaire
était rempli de douceur, savant dans les belles-lettres, craignant Dieu,
magnifique protecteur des églises et des prêtres, faisant l’aumône aux pauvres,
se montrant bon envers tout le monde et plein de piété, se livrant seulement
avec trop d’ardeur à la chasse, et accordant trop aux suggestions des femmes et
des jeunes filles ; à cause de quoi il fut blâmé par ses Leudes.
Après s’être ainsi emparé, dans
la trentième année de son règne [613], des royaumes de Bourgogne et
d’Austrasie, Clotaire créa Herpon, Franc d’origine
duc du pays situé au-delà du Jura, à la place d’Eudelan. Herpon ayant commencé à établir la paix dans ce pays,
en réprimant les méchants, fut tué dans une rébellion par les habitants du pays
eux-mêmes, excités par le patrice Aléthée, l’évêque Leudemond et le comte Herpon.
Clotaire étant venu à Marlheim en Alsace avec la
reine Bertrude, rétablit la paix, et punit par le
glaive un grand nombre de mauvaises gens.
Leudemond, évêque de Sion, étant venu secrètement auprès de
la reine Bertrude, lui tint, par le conseil d’Aléthée, de coupables discours, lui disant que Clotaire
mourrait cette année de manière ou d’autre, et l’engagea à transporter
secrètement dans la ville de Sion autant de trésors qu’elle pourrait, parce que
cette ville était très sûre ; et qu’Aléthée était
disposé à abandonner sa femme, pour épouser Bertrude,
attendu qu’étant du sang royal des Bourguignons, il pourrait, après Clotaire,
s’emparer du royaume. À ces paroles, la reine, craignant que ce ne fût vrai, se
retira dans sa chambre, fondant en larmes. Leudemond,
voyant que cette conversation le mettait en péril, s’enfuit pendant la nuit à
Sion ; il se cacha ensuite à Luxeuil, auprès de l’abbé Austase qui, plus tard, lui fit obtenir le pardon de Clotaire, et la permission de
retourner clans sa ville.
Clotaire, alors avec ses grands
clans sa maison de Maslay, fit venir vers lui Aléthée : son odieux dessein ayant été prouvé, il périt par
le glaive.
La trente-troisième année de son
règne [616], Clotaire fit venir vers lui à Bonneuil Warnachaire, maire du
palais, tous les évêques et les barons de Bourgogne, et faisant droit à leurs
justes demandes, il leur confirma par des lettres écrites tout ce qu’il leur
avait accordé.
Je rapporterai de quelle manière
les Lombards payaient aux Francs, tous les ans, un tribut de douze mille sous
d’or, et comment ils leur cédèrent deux villes, Aost et Suze, avec leur territoire. Cleph, leur roi, étant
mort, ils passèrent douze ans soumis à douze ducs, et sans rois. Dans ce temps,
ils firent une irruption clans le royaume des Francs, et en compensation de
tant d’audace, ils cédèrent au roi Gontran les villes d’Aost et de Suze, ainsi que leur territoire et leurs habitants. Ils envoyèrent
ensuite une députation à l’empereur Maurice. Les douze ducs envoyèrent chacun
un député pour demander à l’empereur paix et protection ; ils envoyèrent
aussi d’autres députés vers Gontran et Childebert pour acheter la protection et
le secours des Francs, par un tribut de douze mille sous que ces douze ducs
paieraient tous les ans; ils offraient aussi de céder au roi Gontran une vallée
dite Ametége, et voulaient s’assurer par ces députés
l’alliance qui leur conviendrait le mieux; ils se mirent ensuite, avec un
entier dévouement, sous la protection des Francs.
Bientôt, avec la permission de
Gontran et de Childebert, les Lombards élurent pour roi le duc Autharis. Un autre duc, nommé aussi Autharis,
se soumit à la domination de l’empereur avec tout son duché, et lui demeura
fidèle. Le roi Autharis paya tous les ans le tribut
promis aux Francs par les Lombards. Après sa mort, son fils Agon,
étant monté sur le trône, l’acquitta également.
La trente-quatrième année du
règne de Clotaire, le roi Agon envoya vers ce prince
trois nobles députés lombards, Agiulf, Pompège et Gauton, pour le prier
de remettre à sa nation les douze mille sous d’or qu’elle payait tous les ans
aux Francs ; et avec adresse ces députés donnèrent secrètement trois mille sous
d’or, dont mille à Warnachaire, mille à Gondeland, et
mille à Chuc ; ils offrirent en même temps à
Clotaire trente-six mille sous d’or. Le roi remit le tribut aux Lombards, et
s’unit avec eux par serment d’une amitié éternelle.
La trente-cinquième année du
règne de Clotaire, mourut la reine Bertrude que
Clotaire chérissait d’unique amour, et fort aimée aussi par les Leudes qui
voyaient sa bonté.
La trente-neuvième année de son
règne [622], Clotaire associa à son royaume son fils Dagobert, et
l’établit roi sur les Austrasiens, gardant pour lui ce qui s’étendait vers la
Neustrie et la Bourgogne, au-delà des Ardennes et des Vosges.
La quarantième année du règne de
Clotaire, un certain homme, nommé Samon, de la nation
des Francs, s’associa plusieurs hommes du Sundgau qui faisaient le négoce avec
lui, et se rendit chez les Esclavons, surnommés les Wénèdes,
pour y commercer. Les Esclavons avaient déjà commencé à se soulever contre les
Avares, surnommés les Huns, et contre leur roi Gagan.
Les Wénèdes, surnommés Bifulci,
étaient depuis longtemps alliés des Huns : lorsque les Huns attaquaient quelque
nation, ils se tenaient rangés en bataille devant leur camp, et les Wénèdes combattaient : s’ils remportaient la victoire,
alors les Huns s’avançaient pour piller ; si les Wénèdes étaient vaincus, les Huns venaient à leur secours. Ils appelaient les Wénèdes Bifulces, parce qu’ils
combattaient deux fois, attaquant toujours avant les Huns. Les Huns venaient
tous les ans passer l’hiver chez les Esclavons ; ils prenaient pour leur
lit les femmes et les filles des Esclavons, qui leur payaient des tributs, outre
bien d’autres oppressions. Les fils des Huns qu’ils avaient eus des femmes et
des filles esclavonnes, ne pouvant à la fin supporter cette honte et ce joug,
refusèrent, comme je l’ai dit, d’obéir aux Huns, et commencèrent à se soulever.
Les Wénèdes s’étant avancés contre les Huns, le
marchand Samon alla avec eux, et sa bravoure fut si
grande qu’elle excita l’admiration ; aussi les Wénèdes taillèrent en pièces un nombre étonnant de Huns. Les Wénèdes voyant la bravoure de Samon, le créèrent leur roi, et
il les gouverna pendant trente-cinq ans avec bonheur. Sous son règne, les Wénèdes soutinrent contre les Huns plusieurs combats, et
par sa prudence et son courage, ils furent toujours vainqueurs. Samon avait douze femmes de la nation des Wénèdes, et il en eut vingt-deux fils et quinze filles.
Cette même année, Adaloald, roi des Lombards et fils du roi Agon, ayant succédé à son père, reçut avec bienveillance un
député de l’empereur Maurice, nommé Eusèbe, qui venait vers lui plein de ruse.
Frotté dans le bain de je ne sais quel onguent, à la persuasion de cet Eusèbe,
en sortant du bain, il ne pouvait faire autre chose que ce à quoi Eusèbe
l’engageait. Il se laissa persuader par lui de tuer tous les grands et tous les
seigneurs du royaume des Lombards, et, après leur mort, de se livrer lui et
toute la nation des Lombards entre les mains de l’empereur Maurice. Lorsqu’il
en eut fait mettre douze à mort sans aucun motif, les autres s’aperçurent
qu’ils étaient en danger de la vie. Alors tous les grands et les seigneurs
lombards, d’un avis unanime, élurent pour roi Charoald [626],
duc de Turin, qui avait épousé Gondeberge, sœur du
roi Adaloald ; celui-ci mourut empoisonné. Charoald prit aussitôt le royaume. Tason,
un des ducs lombards, qui gouvernait la province de la Toscane, enflé
d’orgueil, se souleva contre le roi Charoald.
La reine Gondeberge,
belle à voir, bienveillante envers tout le monde, remplie de piété et de
religion, généreuse en aumônes, était chérie de tous à cause de sa bonté. Comme
un certain homme de la nation des Lombards nommé Adalulf,
et qui venait assidûment au palais pour rendre ses devoirs au roi, se trouvait
une fois en sa présence, la reine, qui l’aimait de même que les autres, dit
qu’il était d’une belle taille. Adalulf l’ayant
entendu, dit tout bas à la reine : Vous avez daigné louer ma taille ;
permettez-moi d’entrer dans votre lit. La reine le refusant avec force et le
méprisant, lui cracha au visage. Adalulf voyant qu’il
courait risque de la vie, se rendit en toute hâte vers le roi Charoald, demandant à lui expliquer en secret ce qu’il
avait à lui dire. Ayant donc choisi un endroit, il dit au roi : Ma
maîtresse, ta reine Gondeberge, a parlé en secret
pendant trois jours avec le duc Tason ; elle
veut t’empoisonner, et, épousant Tason, l’élever sur
le trône. Le roi Charoald ajoutant foi à ces
mensonges, envoya la reine en exil à Lumello, la
faisant renfermer dans une tour. Clotaire ayant envoyé des députés au roi Charoald pour s’informer du motif pour lequel il humiliait
la reine Gondeberge, parente des Francs, et pourquoi
il la tenait en exil, Charoald répondit par les
mensonges ci-dessus rapportés, comme s’ils eussent été véritables. Alors un des
députés nommé Ansoald, sans que cela lui eût été
enjoint, mais de lui-même, dit à Charoald : Tu
pourrais arranger cette affaire sans blâme : ordonne à l’homme qui t’a rapporté
ces choses de s’armer, et qu’un autre homme, pour le compte de la reine,
s’avance vers lui, afin qu’ils se battent en combat singulier ; on verra par le
jugement de Dieu si la reine Gondeberge est coupable
ou innocente de cette faute. Ce conseil ayant plu au roi Charoald et à tous les grands de la cour, il ordonna à Adalulf de s’armer pour le combat, et un cousin de Gondeberge,
nommé Pitton, s’avança contre Adalulf.
Ayant donc combattu ensemble, Adalulf fut tué par Pitton. Aussitôt Gondeberge fut
tirée d’exil après trois ans, et rétablie sur le trône.
La quarante et unième année du
règne de Clotaire [624], comme Dagobert régnait heureusement en Austrasie,
un certain seigneur de la race des Agilolfinges,
nommé Chrodoald, encourut le courroux de Dagobert.,
d’après le conseil du saint évêque Arnoul, de Pépin maire du palais, ainsi que
d’autres grands d’Austrasie ; car cet homme, très riche lui-même, était un
continuel ravisseur du bien des autres, plein d’orgueil, d’insolence, et qui
n’avait rien de bon. Dagobert voulant le tuer à cause de ses crimes, Chrodoald s’enfuit auprès de Clotaire, le priant de vouloir
bien obtenir sa grâce de son fils. Clotaire ayant vu Dagobert, entre autres
paroles, lui demanda la vie de Chrodoald ;
Dagobert promit que si Chrodoald se corrigeait de ses
mauvaises pratiques, il ne courrait pas risque de la vie ; mais aussitôt après, Chrodoald étant venu vers Dagobert, à Trèves, il fut
tué sur-le-champ par son ordre. Un homme de Scharpeigne,
nommé Berthaire, lui trancha la tête avec son épée à
la porte de la chambre du roi.
La quarante-deuxième année du
règne de Clotaire [625], Dagobert vint par l’ordre de son père avec ses Leudes,dans un appareil royal, à Clichy près de Paris, et
reçut en mariage la sœur de la reine Sichilde nommée Gomatrude. Le troisième jour après les noces, il s’éleva
entre Clotaire et Dagobert son fils, une sérieuse querelle. Dagobert demandait
tout ce qui appartenait au royaume d’Austrasie, pour le soumettre à sa
domination, et Clotaire refusait avec force de le lui céder. Ces deux rois
choisirent douze seigneurs d’entre les Francs, pour que leur jugement terminât
cette contestation ; parmi ces seigneurs était Arnoul, évêque de Metz,
ainsi que d’autres évêques ; et selon sa sainteté, il parlait toujours de paix
au père et au fils. Enfin, les évêques et les plus sages seigneurs accordèrent
le fils avec le père, qui lui céda ce qui appartenait au royaume des
Austrasiens, ne gardant que ce qui était situé en deçà de la Loire et du côté
de la Provence.
La quarante-troisième année du
règne de Clotaire, mourut Warnachaire, maire du palais. Son fils Godin, d’un
esprit léger, épousa cette année même sa belle-mère Berthe. Clotaire, enflammé
contre lui d’une extrême colère, ordonna au duc Arnebert,
qui était marié à une sœur de Godin, de l’attaquer avec une armée et de le
tuer. Godin voyant son danger s’enfuit avec sa femme en Austrasie, auprès du
roi Dagobert, et saisi d’une grande crainte du roi se réfugia dans l’église de Saint-Evre. Dagobert envoyait souvent. des députés au roi
Clotaire, pour lui demander la grâce de Godin ; Clotaire promit enfin de la lui
accorder, à condition qu’il abandonnerait Berthe qu’il avait épousée contre les
ordonnances des canons. Godin abandonna Berthe et retourna dans le royaume de
Bourgogne ; mais Berthe se rendit aussitôt auprès de Clotaire, et lui
dit: que si Godin se présentait devant Clotaire, il voudrait tuer le roi
lui-même. Godin fut alors, par l’ordre de Clotaire, conduit dans les principaux
lieux saints, à l’église de Saint Médard de Soissons, et de Saint-Denis, à
Paris, pour qu’il y jurât d’être toujours fidèle à Clotaire : c’était afin de
trouver un lieu propice pour le tuer, lorsqu’il serait séparé des siens. Chramnulf, un des grands, et Waldebert,
domestique du roi, dirent à Godin qu’il fallait qu’il allât encore à Orléans
dans l’église de Saint-Anien, et à Tours celle de
Saint-Martin, pour y renouveler ses serments. Lorsqu’il fut arrivé dans le
faubourg de Chartres, à l’heure du repas, dans une petite métairie indiquée par Chramnulf lui-même, Chramnulf et Waldebert se jetèrent sur lui avec une troupe et
le tuèrent ; ils massacrèrent quelques-uns de ceux qui étaient restés avec
lui, et laissèrent fuir les autres après les avoir dépouillés.
Cette année, Pallade et son fils Sidoc, évêque d’Eause,
accusés par le duc Æginan d’avoir trempé clans la
rébellion des Gascons, furent envoyés en exil. Boson, fils d’Audolène, du pays d’Étampes, fut tué par le duc Arnebert d’après l’ordre de Clotaire, qui l’accusait
d’adultère avec la reine Sichilde. Cette année
Clotaire assembla à Troyes les grands et les Leudes de Bourgogne, et leur
demanda s’ils voulaient créer un autre maire du palais à la place de
Warnachaire qui était mort. Mais ils le refusèrent unanimement, disant qu’ils ne
voulaient jamais élire de maire du palais, et demandant au roi avec instance la
faveur de traiter avec lui.
La quarante-quatrième année de
son règne les évêques et tous les grands de son royaume, tant de Neustrie que
de Bourgogne, s’étant réunis à Clichy pour le service du roi et de la patrie,
un homme, nommé Herménaire, qui était gouverneur du
palais de Charibert, fils de Clotaire, fut tué par les serviteurs d’Æginan, seigneur saxon d’origine. Il s’en serait suivi un
grand carnage, si la sagesse de Clotaire ne fût intervenue et n’eût mis ses
soins à tout réprimer. Æginan se retira par l’ordre
de Clotaire sur le Mont-Martre, ayant avec lui un
grand nombre de guerriers. Brodulf, oncle de
Charibert, ayant rassemblé une troupe, voulait se jeter sur lui avec Charibert.
Clotaire ordonna expressément aux barons de la Bourgogne d’écraser avec leurs
troupes le parti qui voudrait se soustraire à son jugement : cet ordre du roi
pacifia les deux partis.
Clotaire mourut dans la
quarante-cinquième année de son règne [628] et fut enseveli dans
l’église de Saint-Vincent, dans un faubourg de Paris. Dagobert, apprenant la
mort de son père, ordonna à tous les Leudes qui lui étaient soumis en Austrasie
de s’assembler en armée ; il envoya des députés en Bourgogne et en Neustrie
pour se faire élire roi. Étant venu à Reims et s’étant approché de Soissons,
tous les évêques et tous les Leudes du royaume de Bourgogne se soumirent à lui.
Un grand nombre d’évêques et de seigneurs de Neustrie parurent aussi désirer de
lui obéir. Charibert, son frère, s’efforça de s’emparer du royaume ; mais,
à cause de son imbécillité, sa volonté eut peu d’effet. Brodulf,
son oncle, voulant l’établir sur le trône, commença à se soulever contre
Dagobert ; mais l’événement en décida autrement.
Dagobert, ayant pris possession
de tout le royaume de Clotaire, tant de la Neustrie que de la Bourgogne, et
s’étant emparé des trésors, touché enfin de compassion, céda à son frère
Charibert, pour transiger et par de sages conseils, le pays situé entre la Loire
et l’Espagne, du côté de la Gascogne, et les cantons et cités des Pyrénées, les
cantons de Toulouse, Cahors, Agen, Périgueux, Saintes, et tout ce qui est du
côté des Pyrénées. Il confirma cette donation par des traités, pour que
Charibert, dans aucun temps, ne pût réclamer de Dagobert rien du royaume de son
père. Charibert établit sa résidence à Toulouse, et la troisième année de son
règne, avec une armée, il soumit à son pouvoir toute la Gascogne, et par là
étendit un peu plus son royaume.
Dagobert régnant déjà depuis sept
ans, et en possession, comme nous l’avons dit, de la plus grande partie du
royaume de son père, alla en Bourgogne [629]. L’arrivée de Dagobert frappa
d’une si grande crainte les évêques, les grands et tous les Leudes du royaume
de Bourgogne, que c’était une chose étonnante ; mais il procura une grande
joie aux pauvres en leur rendant justice. Lorsqu’il vint à Langres, il jugea
avec tant d’équité tous les Leudes, les pauvres comme les riches, que partout
on le regarda comme tout à fait agréable à Dieu ; aucun présent, aucune
acception de personnes ne pouvaient réussir auprès de lui ; le Très-Haut
Seigneur gouvernait par la seule justice. Étant ensuite allé à Dijon, et ayant
passé quelques jours dans Saint-Jean-de-Losne, il établit avec un grand soin la
justice sur tout le peuple de son royaume ; animé de ce bon désir, il ne
mangeait ni ne dormait, voulant que tout le monde s’en retournât de sa présence
après avoir obtenu justice. Le même jour qu’il voulait partir de
Saint-Jean-de-Losne pour Châlons, étant entré dans le bain avant le jour, il
fit tuer Brodulf, oncle de son frère Charibert, par
les ducs Amalgaire et Arnebert et par le patrice Willibade.
Étant allé ensuite à Auxerre par
Autun, il vint à Paris par la ville de Sens, et, abandonnant la reine Gomatrude à Reuilly, où il l’avait épousée, il se maria à
une jeune fille, nommée Nantéchilde, et la fit reine.
Depuis le commencement de son règne, suivant les conseils de saint Arnoul,
évêque de Metz, et de Pépin, maire du palais, il gouvernait l’Austrasie avec
tant de bonheur qu’il était loué par toutes les nations. Son courage avait
tellement semé l’épouvante que tous les peuples se soumettaient à lui avec
empressement, à tel point que les nations qui habitent sur la frontière des
Avares et des Esclavons désiraient fort qu’il marchât contre ceux-ci,
promettant hardiment qu’il les subjuguerait et tout le pays jusqu’aux terres de
la république romaine. Après la mort de saint Arnoul, aidé des conseils de
Pépin, maire du palais, et de Chunibert, évêque de
Cologne, il gouverna tous ses sujets avec tant de bonheur et d’amour pour la
justice qu’aucun des rois Francs ses prédécesseurs ne fut loué plus que lui. Il
en fut ainsi jusqu’à son arrivée à Paris.
La huitième année de son règne,
comme il parcourait l’Austrasie avec une pompe royale, il admit dans son lit
une jeune fille, nommée Ragnetrude, dont il eut cette
année un fils, nommé Sigebert.
De retour en Neustrie, il se plut
dans la résidence de son père Clotaire, et résolut d’y demeurer continuellement.
Oubliant alors la justice qu’il avait autrefois aimée, enflammé de cupidité
pour les biens des églises et des Leudes, il voulut, avec les dépouilles qu’il
amassait de toutes parts, remplir de nouveaux trésors. Adonné outre mesure à la
débauche, il avait, comme Salomon, trois reines et une multitude de concubines.
Ses reines étaient Nantéchilde, Vulfégonde et Berchilde. Je m’ennuierais d’insérer dans cette
chronique les noms de ses concubines, tant elles étaient en grand nombre. Son
cœur devint corrompu, et sa pensée s’éloigna de Dieu ; cependant en la
suite (et plût à Dieu qu’il eût pu mériter par là les
récompenses éternelles !) il distribua des aumônes aux pauvres avec une
grande largesse, et, s’il n’eût pas détruit le mérite de ces œuvres par son
excessive cupidité, il aurait mérité le royaume des cieux.
Les Leudes gémissaient de la
méchanceté de Dagobert ; ce que voyant, Pépin, le plus habile de tous,
très sage dans le conseil, rempli de fidélité et chéri de tous, à cause de cet
amour pour la justice qu’il avait inspiré à Dagobert tant que celui-ci l’avait
écouté, continua de se montrer équitable, ne s’écarta point de la voie du bien,
et lorsqu’il s’approchait de Dagobert, il se conduisait prudemment envers tout
le monde, et adroitement en toutes choses. La jalousie des Austrasiens s’éleva
contre lui, et ils s’efforcèrent de le rendre odieux à Dagobert afin de le
tuer. Mais l’amour de Pépin pour la justice et sa crainte ire Dieu le
préservèrent de tout mal. Cette année il alla trouver le roi Charibert avec
Sigebert fils de Dagobert.
Charibert étant venu à Orléans,
tint Sigebert sur les fonts de baptême. Parmi les Neustriens, Æga était en crédit auprès de Dagobert.
Cette année, les députés Servat et Paterne, que Dagobert avait envoyés vers l’empereur
Héraclius, revinrent auprès de lui, annonçant qu’ils avaient conclu une paix
éternelle avec Héraclius. Je ne passerai pas sous silence les miracles opérés
par Héraclius.
Pendant qu’Héraclius était
patrice de toutes les provinces d’Afrique, le tyran Phocas,
qui avait tué l’empereur Maurice et s’était emparé de l’empire, régnait avec
cruauté, et jetait comme un fou les trésors dans la mer, disant qu’il faisait
des présents à Neptune : les sénateurs voyant que par sa folie il allait
détruire l’empire, formèrent un parti pour Héraclius, firent saisir Phocas, et après lui avoir coupé les pieds et les mains, et
attaché une pierre au cou, on le jeta dans la mer. Héraclius du consentement du
sénat fut élevé à l’empire. Un grand nombre de provinces avaient été, sous les
empereurs Maurice et Phocas, dévastées par les
invasions des Perses.
Selon sa coutume l’empereur des
Perses ayant fait marcher une armée contre Héraclius, les Perses ravageant les
provinces de la république, arrivèrent à Chalcédoine non loin de
Constantinople, et emportant d’assaut cette ville ils y mirent le feu. S’étant
ensuite approchés de Constantinople, siège de l’empire, ils s’efforcèrent de la
détruire. Héraclius étant sorti à leur rencontre avec une armée, envoya des
députés à l’empereur des Perses, nommé Cosdroé, pour
lui demander d’en venir avec lui à un combat singulier tandis que les deux
armées resteraient immobiles, convenant que celui à qui le Très-haut
accorderait la victoire, recevrait en sa possession l’empire et le peuple du
vaincu. L’empereur des Perses accepta cet accord, et promit qu’il se rendrait à
ce combat. L’empereur Héraclius, s’étant armé et laissant derrière lui son
armée rangée en ordre, s’avança comme un nouveau David. L’empereur des Perses Cosdroé envoya un patrice de ses sujets qu’il savait très
brave dans les combats, pour se battre à sa place contre Héraclius, selon ce
qui avait été convenu. Comme, montés chacun sur un cheval, ils s’avançaient
tous deux au combat, Héraclius dit au patrice qu’il croyait être l’empereur Cosdroé: Nous étions convenus de combattre en combat
singulier, pourquoi d’autres guerriers te suivent-ils par derrière ? Le
patrice ayant tourné la tête pour voir qui venait derrière lui, Héraclius
presse vivement son cheval de l’éperon et tirant son épée tranche la tête au
patrice des Perses. L’empereur Cosdroé vaincu avec
les Perses et couvert de confusion, ayant pris la fuite, fut séditieusement tué
par ses propres soldats. Les Perses s’enfuirent dans leur pays. Héraclius
s’étant embarqué avec une armée alla dans la Perse, et la réduisit toute en son
pouvoir ; il s’empara d’un grand nombre de trésors, et ensuite les Perses
choisirent de nouveau un empereur.
L’empereur Héraclius était d’un
aspect agréable, d’un beau visage, d’une taille haute, le plus fort de tous et
vaillant guerrier. Souvent seul et sans armes il tua des lions dans l’arène, et
fit face à plusieurs hommes. Comme il était très versé dans les lettres, il
devint astrologue. Découvrant à l’aide de cet art que, par la volonté divine,
l’empire serait détruit par les nations circoncises, il envoya vers Dagobert,
roi des Francs, pour le prier d’ordonner que tous les Juifs de son royaume
fussent baptisés ; ce qui fut aussitôt exécuté par Dagobert. Héraclius fit
la même chose dans toutes les provinces de son empire, car il ignorait d’où
partirait ce fléau de l’empire.
Les Agasins,
aussi nommés Sarrasins, comme le dit Orose, nation circoncise et habitant du
côté du mont Caucase, au-dessus de la mer Caspienne, dans le pays nommé Ercolie, étant devenus trop nombreux, prirent les
armes et se jetèrent sur les provines de l’empereur Héraclius. Héraclius envoya
des troupes pour s’opposer à eux. Le combat s’étant engagé, les Sarrasins
furent vainqueurs, et taillèrent leurs ennemis en pièces. On rapporte que, dans
cette bataille, les Sarrasins tuèrent cent cinquante mille soldats. Ils
envoyèrent des députés à Héraclius pour lui offrir de rendre les dépouilles.
L’empereur, désirant se venger des Sarrasins, ne voulut rien recevoir d’eux.
Ayant levé clans toutes les provinces de l’Empire un grand nombre de troupes,
il envoya une députation du côté des Portes Caspiennes, qu’Alexandre le Grand
avait construites en airain au-dessus de la mer Caspienne, et qu’il avait fait
fermer pour repousser l’invasion des peuples barbares, qui habitent au-delà du
mont Caucase. Héraclius fit ouvrir ces portes, et par-là vinrent, contre les
Sarrasins, cent cinquante mille soldats qu’il loua à prix d’argent. Les
Sarrasins, ayant deux chefs, étaient près de deux cent mille. Les deux armées
ayant assis leur camp non loin l’une de l’autre, afin de commencer la bataille
le lendemain matin, dans cette nuit même l’armée d’Héraclius fut frappée du
glaive de Dieu. Cinquante-deux mille soldats moururent étendus dans leur
camp ; et, devant sortir le lendemain pour combattre, quand ils virent
qu’une très grande partie de leur armée avait péri par le jugement de Dieu, ils
n’osèrent s’avancer pour combattre les Sarrasins. L’armée d’Héraclius étant
retournée dans ses foyers, les Sarrasins, selon leur coutume, s’avancèrent en
ravageant sans relâche les provinces de l’Empire. Comme déjà ils s’approchaient
de Jérusalem, Héraclius, voyant qu’il ne pouvait résister à leurs attaques, fût
désolé et saisi d’une douleur excessive ; et ce malheureux roi, qui,
abandonnant la foi chrétienne, suivait l’hérésie d’Eutychès et avait pour femme
la fille de sa sœur, tourmenté de la fièvre, finit sa vie dans les angoisses.
Son fils Constantin lui succéda. Sous son règne, l’empire romain fut
cruellement ravagé par les Sarrasins.
La neuvième année du règne de
Dagobert, Charibert mourut [631], laissant un petit enfant nommé
Chilpéric, qui mourut peu de temps après. On rapporte que ce fut Dagobert qui
le fit tuer. Dagobert soumit aussitôt à sa domination tout le royaume de son
frère, avec la Gascogne. Il ordonna aussi au duc Baronte de lui apporter et remettre les trésors de Charibert. Baronte fit, comme on sait, un long circuit, et, de concert avec les trésoriers, déroba
frauduleusement une partie des trésors.
Cette année les Esclavons,
surnommés les Wénèdes, et vivant sous le roi Samon, tuèrent un grand nombre de négociants Francs, et les
dépouillèrent de leurs biens. Ce fut le commencement de la querelle entre
Dagobert et Samon. Dagobert ayant envoyé Sichaire en députation auprès de Samon,
lui demandait de faire justice de la mort des commerçants que ses gens avaient
tués, et du pillage de leurs biens ; Samon ne
voulut point voir Sichaire, et ne lui permit pas de
venir vers lui. Sichaire ayant revêtu des habits
d’Esclavon, parvint ainsi en présence de Samon, et
lui dit tout ce qu’il avait reçu l’ordre de déclarer, mais, comme il arrive
parmi les païens et les méchants orgueilleux, Samon ne répara rien du mal qui avait été commis, disant seulement qu’il avait
intention de tenir un plaid pour que la justice fût réciproquement rendue sur
ces contestations et d’autres qui s’étaient élevées en même temps. Sichaire, envoyé insensé, adressa alors à Samon des paroles et des menaces qu’on ne lui avait point
ordonné de faire, disant que lui et son peuple devaient soumission à Dagobert. Samon offensé lui répondit : La terre que nous
habitons est à Dagobert, et nous sommes ses hommes, mais à condition qu’il
voudra conserver amitié avec nous. Sichaire dit
: Il n’est pas possible que des Chrétiens, serviteurs de Dieu, fassent
amitié avec des chiens. Samon lui répliqua alors
: Si vous êtes les serviteurs de Dieu, nous sommes les chiens de
Dieu ; et puisque vous agissez continuellement contre lui, nous avons reçu
la permission de vous déchirer à coups de dents. Et Sichaire fut chassé hors de la présence de Samon.
Lorsqu’il vint annoncer ces
choses à Dagobert, celui-ci ordonna avec orgueil de lever, dans tout le royaume
d’Austrasie, une armée contre Samon et les Wénèdes ; trois troupes marchèrent alors contre eux.
Les Lombards, à l’appui de Dagobert, s’avancèrent de leur côté. Les Esclavons
de tous les pays se préparèrent à résister. Une armée d’Allemands, commandée
par le duc Chrodobert, remporta une victoire dans les
lieux où elle entra. Les Lombards remportèrent aussi une victoire, et
emmenèrent, ainsi que les Allemands, un grand nombre de captifs Esclavons. Mais
les Austrasiens ayant entouré Wogastiburg, où
s’étaient renfermés la plupart des plus braves Wénèdes,
après avoir combattu pendant trois jours, ils furent taillés en pièces, et
abandonnant, pour fuir, leurs tentes et tous leurs équipages, s’en retournèrent
dans leur pays. À la suite de cela, les Wénèdes,
ravageant à plusieurs reprises la Thuringe et les lieux voisins, se jetèrent
sur le royaume des Francs. Dervan, duc des Sorabes,
peuple d’origine esclavonne, et qui avait autrefois été soumis aux Francs, se
rendit, avec ses sujets, sous le pouvoir de Samon. Ce
ne fut pas tant le courage des Wénèdes qui leur fit
remporter cette victoire sur les Austrasiens, que l’abattement de ceux-ci qui
se voyaient haïs de Dagobert et continuellement dépouillés par lui..
Cette année Charoald,
roi des Lombards, envoya secrètement des messagers au patrice Hisace, pour le prier de tuer, comme il pourrait, Tason, duc de la province de Toscane. Pour ce bienfait, le
roi Charoald promit de remettre à l’Empire cent
livres d’or d’un tribut annuel de trois cents livres qu’il en recevait. À cette
proposition, le patrice Hisace réfléchit sur la
manière dont il pourrait exécuter cette action. Il manda artificieusement à Tason que, puisqu’il avait encouru la haine de Charoald, il n’avait qu’à lier amitié avec lui, et que lui
le secourrait contre le roi. Séduit par cette ruse le duc Tason vint à Ravenne. Hisace ayant envoyé au-devant de lui,
lui fit dire qu’il n’osait, par crainte de l’empereur, le recevoir armé avec sa
suite dans les murs de Ravenne.
Tason, plein de confiance, fit quitter aux siens leurs
armes hors de la ville, et entra dans Ravenne. Aussitôt des hommes apostés à
cet effet se jetèrent sur lui et le tuèrent ainsi que tous les siens. Le roi Charoald remit, comme il l’avait promis, à Hisace et à l’Empire cent livres d’or. Tous les ans le
patrice romain ne paya plus aux Lombards que deux centeniers d’or. Un centenier
vaut cent livres d’or. Le roi Charoald mourut
aussitôt après.
La reine Gondeberge,
à qui les Lombards avaient prêté serinent de fidélité, fit venir vers elle un
certain Chrotaire, un des ducs du territoire de
Brescia, et l’engagea à abandonner une femme qu’il avait pour l’épouser
elle-même, promettant qu’avec son aide il serait élevé au trône par tous les
Lombards. Chrotaire y ayant consenti volontiers,
jura, dans les saintes églises, qu’il ne mépriserait jamais Gondeberge,
n’abaisserait en rien la dignité de son rang, et que, la chérissant uniquement,
il lui rendrait en tout de justes honneurs. Séduits par Gondeberge,
tous les Grands lombards élevèrent Chrotaire au
trône. Lorsqu’il eut commencé à régner, il fit périr un grand nombre de nobles
lombards qu’il savait lui être ennemis. Recherchant la paix, il établit dans
tout le royaume de Lombardie une discipline très forte, et inspira une grande
crainte. Oubliant les serments qu’il avait jurés à Gondeberge,
il la relégua clans une seule chambre à la cour de Pavie, et lui fit mener une
vie obscure. Il la retint clans cette retraite pendant cinq ans. Chrotaire se livrait sans cesse au concubinage. Gondeberge étant chrétienne, bénissait le Dieu tout
puissant dans cette affliction, et s’adonnait assidûment aux jeûnes et à
l’oraison.
Quand il plut à Dieu de mettre à
ceci la main, Aubedon, envoyé par le roi Clotaire en
ambassade auprès de Chrotaire, roi des Lombards, vint
à Pavie, ville d’Italie. Voyant enfermée la reine qu’il avait souvent vue dans
ses ambassades, et par qui il avait toujours été bien reçu, il insinua au roi Chrotaire, comme s’il en eût reçu l’ordre, qu’il ne devait
pas maltraiter cette reine, parente des Francs, et qui l’avait fait monter sur
le trône ; car les rois Francs et leurs sujets en seraient très mécontents. Chrotaire, craignant les Francs, ordonna sur-le-champ que
la reine fût tirée de sa retraite, et Gondeberge,
après environ cinq ans, parcourut la ville dans un appareil royal, pour aller
prier dans les lieux saints. Chrotaire lui fit rendre
tous ses domaines et les trésors qu’elle avait possédés, et jusqu’à sa mort
elle conserva heureusement son rang, riche en biens, et servie avec pompe. Aubedon fut généreusement récompensé par la reine Gondeberge.
Chrotaire, à la tête d’une armée, enleva à l’Empire Gênes, Varicotte, Albenga, Savone, Oderzo et Sarzane, villes maritimes ; il les ravagea,
les détruisit en y mettant le feu, pilla et dépouilla le peuple qu’il condamna
à la captivité ; et détruisant de fond en comble les murs de ces villes,
il voulut qu’on les appelât des bourgs.
Cette année, s’éleva une violente
querelle en Pannonie, dans le royaume des Avares, surnommés les Huns : il
s’agissait de savoir qui succéderait au trône, et si ce serait un des Avares ou
un des Bulgares ; et des deux parts ayant rassemblé des troupes, ils en vinrent
aux mains. Les Avares vainquirent les Bulgares. Les Bulgares, vaincus et
chassés de la Pannonie, au nombre de neuf mille, avec leurs femmes et leurs
enfants, se réfugièrent auprès de Dagobert, le priant de les recevoir pour
qu’ils habitassent dans la terre des Francs. Dagobert ordonna qu’on les reçût
pour passer l’hiver chez les Bavarois, en attendant qu’il pût délibérer avec
les Francs sur ce qu’il ferait ensuite. Lorsqu’ils furent dispersés dans les
maisons des Bavarois pour y passer l’hiver, par le conseil des Francs, Dagobert
ordonna aux Bavarois de tuer de nuit, et dans leurs maisons, les Bulgares avec
leurs femmes et leurs enfants ; ce qui fut aussitôt exécuté. Il ne resta
des Bulgares qu’Altiæus, avec sept cents hommes,
leurs femmes et leurs enfants, qui se sauvèrent sur la frontière des Wénèdes. Altiæus vécut plusieurs
années avec les siens chez Walluc, duc des Wénèdes.
Je rapporterai ce qui arriva
cette année aux Espagnols et à leurs rois. Sisebod,
roi très clément, étant mort, Suintila lui avait
succédé l’année précédente. Comme Suintila était très
sévère, et haï de tous les grands de son royaume, Sisenand,
l’un d’eux, et de l’avis des autres, alla trouver Dagobert pour en obtenir une
armée, afin de détrôner Suintila. En récompense de ce
bienfait, il promit de donner à Dagobert un superbe missoire en or, des trésors des Goths, qui avait été donné au roi Thorismund par le patrice Aetius, et qui pesait cinq cents livres d’or. À cette
proposition, Dagobert, qui était avide, fit lever une armée dans tout le
royaume de Bourgogne, pour marcher à l’appui de Sisenand.
Dès qu’on sut en Espagne l’approche des Francs au secours de Sisenand, toute l’armée des Goths se soumit à lui. Abundance et Vénérande, partis de
Toulouse avec leurs troupes, ne s’avancèrent avec Sisenand que jusqu’à Saragosse, où tous les Goths du royaume d’Espagne proclamèrent Sisenand roi. Abundance et Vénérande, comblés de dons, s’en retournèrent à Toulouse
avec leur armée. Dagobert envoya en ambassade à Sisenand le duc Amalgaire et Vénérande pour qu’il leur remît le missoire qu’il lui avait
promis. Le missoire ayant été remis aux députés par
le roi Sisenand, les Goths s’en emparèrent de force,
et ne voulurent pas le rendre. Ensuite Dagobert reçut des députés de Sisenand deux cent mille sous d’or, prix de ce missoire qu’il fit peser.
Dans la dixième année de son
règne [632], Dagobert ayant appris que l’armée des Wénèdes était entrée dans la Thuringe, fit lever des troupes en Austrasie, et se
mettant à leur tête dans la ville de Metz, passa les Ardennes, et s’approcha de
Mayence, se disposant à passer le Rhin. Il commandait un bataillon de braves
guerriers d’élite de la Neustrie et de la Bourgogne, avec des durs et des
comtes. Les Saxons envoyèrent des messagers auprès de Dagobert, le priant de
leur remettre les tributs qu’ils payaient au fisc, et promettant de s’opposer
aux Wénèdes avec zèle et courage, et de garder de ce
côté les frontières des Francs. Dagobert, par le conseil des Neustriens,
souscrivit à ces propositions des Saxons. Leurs envoyés prêtèrent serment pour
tous les Saxons sur des armes, selon la coutume ; mais cette promesse eut peu
d’effet. Cependant Dagobert remit aux Saxons le tribut qu’ils devaient lui
payer : ils donnaient tous les ans, depuis Clotaire, cinq cents vaches ; ce qui
cessa avec Dagobert.
La onzième année du règne de
Dagobert, comme les Wénèdes, par l’ordre de Samon, faisaient de grands ravages, et passant souvent la
frontière pour dévaster le royaume des Francs, se répandaient dans la Thuringe
et les autres cantons, Dagobert, venant à Metz, parle conseil et du
consentement des évêques, des seigneurs et de tous les grands de son royaume,
établit sur le trône d’Austrasie son fils Sigebert, et lui permit de fixer sa
résidence à Metz. Chunibert, évêque de Cologne, et le
duc Adalgise furent choisis pour gouverner le palais et le royaume. Ayant donné
à son fils un trésor suffisant, il l’éleva à ce rang avec la splendeur qui
convenait, et confirma, par des ordres munis de son sceau, tous les dons qu’il
lui avait faits. On dit qu’ensuite les Austrasiens défendirent courageusement
contre les Wénèdes leur frontière et le royaume des
Francs.
Dans la douzième année de son
règne, Dagobert ayant eu de la reine Nantéchilde un
fils nommé Clovis, on sait que, par le conseil des Neustriens, il s’unit avec
son fils Sigebert par les liens d’un traité. Tous les grands d’Austrasie, les
évêques et les autres Leudes de Sigebert, les mains levées en l’air, jurèrent qu’après
la mort de Dagobert, la Neustrie et la Bourgogne appartiendraient à la
domination de Clovis ; que l’Austrasie, qui était égale pour le peuple et
l’étendue du territoire, appartiendrait en entier à Sigebert, et que le roi
Sigebert posséderait et barderait éternellement tout ce qui avait autrefois
appartenu au royaume d’Austrasie, excepté le duché de Dentelin,
jadis enlevé injustement par les Austrasiens, et qui serait de nouveau soumis
aux Neustriens et à la domination de Clovis ; mais les Austrasiens furent
forcés par Dagobert de conclure bon gré mal gré ce traité. On verra comment il
fut observé clans la suite par les rois Sigebert et Clovis.
Le duc Radulf fils de Chamer, et créé par Dagobert duc de Thuringe,
combattit plusieurs fois les Wénèdes, les vainquit et
les mit en déroute. Rempli d’orgueil par ces victoires, il tendit des embûches
en diverses occasions au duc Adalgise, et bientôt commença à se soulever contre
Sigebert. Il agissait ainsi parce que, comme on dit, celui qui aime les combats
cherche les querelles.
La quatorzième année de son
règne [636], comme les Gascons s’étaient révoltés, et faisaient de grands
ravages dans le royaume des Francs qu’avait possédé Charibert, Dagobert fit
lever une armée dans tout le royaume de Bourgogne, et mit à la tête un
référendaire nommé Chadoinde, clin, sous le règne de
Théodoric, avait clans un grand nombre de combats, montré beaucoup de bravoure.
Étant passé en Gascogne avec dix ducs et leurs armées, savoir, Arimbert, Amalgaire, Leudebert, Wandalmar, Walderic, Hermenric, Baronte, Chairard, Franc
d’origine, Chramneléne, Romain d’origine, Wisibad, patrice Bourguignon d’origine, Æginan,
Saxon d’origine, et plusieurs comtes qui n’avaient pas de duc au-dessus d’eux,
il inonda tout ce pays de son armée. Les Gascons étant sortis des rochers de
leurs montagnes, se préparèrent à la guerre. Le combat s’étant engagé, selon
leur coutume lorsqu’ils virent qu’ils allaient être vaincus, ils prirent la
fuite et, se réfugiant dans les gorges des Pyrénées, ils se cachèrent dans les
rochers inaccessibles de ces montagnes. Les troupes de Chadoinde les ayant poursuivis en firent un grand nombre captifs, en tuèrent beaucoup, et
incendiant toutes leurs maisons pillèrent leur argent et leurs biens. Enfin les
Gascons vaincus ou soumis demandèrent grâce aux ducs ci-dessus nommés,
promettant de se présenter par devant le glorieux roi Dagobert, de se remettre
en son pouvoir, et de faire tout ce qu’il leur ordonnerait. Cette armée serait
retournée clans son pays sans aucune perte si le duc Arimbert n’eût été, par sa négligence, tué par les Gascons clans la vallée de la Soule
avec les seigneurs et les nobles de son armée. L’armée des Francs qui avait
passé de Bourgogne en Gascogne, après avoir remporté la victoire, rentra dans
son pays.
Dagobert, résidant à Clichy,
envoya des députés en Bretagne pour que les Bretons réparassent promptement le
mal qu’ils avaient commis et se soumissent à sa domination, disant qu’autrement
l’armée bourguignonne qui avait été en Gascogne, se jetterait aussitôt sur la
Bretagne. À cette nouvelle, Judicaël, roi des Bretons, se rendit promptement à
Clichy, avec un grand nombre de présents, auprès du roi Dagobert à qui il
demanda grâce, et promit de rendre tout ce que ses sujets avaient injustement
enlevé aux Leudes des Francs, assurant que lui et son royaume de Bretagne
seraient toujours soumis à la domination de Dagobert, et des rois Francs. Mais
il ne voulut pas se mettre à table pour prendre son repas avec Dagobert, car il
était religieux et rempli de la crainte de Dieu. Lorsque Dagobert se fut mis à
table, Judicaël, sortant du palais, alla dîner chez le référendaire Dadon qu’il savait attaché à la sainte religion : le
lendemain, ayant pris congé de Dagobert, Judicaël s’en retourna en Bretagne,
chargé de présents de la part de Dagobert.
La quinzième année du règne de
Dagobert, tous les seigneurs Gascons avec le duc Æginan,
vinrent trouver Dagobert à Clichy, et saisis de crainte, se retirèrent d’abord
dans l’église de Saint-Denis. La clémence de Dagobert leur accorda la vie, et
ils jurèrent qu’en tous temps ils seraient fidèles à Dagobert, à ses fils et au
royaume des Francs ; ils tinrent ce serment selon leur coutume, comme le
prouva l’événement. Par la permission de Dagobert les Gascons retournèrent dans
leur pays.
La seizième année de son
règne [637] Dagobert tomba malade d’un flux de ventre dans sa maison
d’Épinay sur les bords de la Seine, et non loin de Paris : de là les siens le
transportèrent dans la basilique de Saint-Denis. Quelques jours après, se voyant
en danger de la vie, il fit venir en toute hâte Æga,
et lui recommanda la reine Nantéchilde et son fils
Clovis ; il se sentait près de mourir, et estimant la sagesse d’Æga, pensait que, par lui, le royaume serait bien gouverné.
Cela fait, peu de jours après Dagobert rendit l’âme, et fut enseveli dans
l’église de Saint-Denis, qu’il avait magnifiquement ornée d’or, de pierreries
et d’objets précieux, et dont il avait fait construire l’enceinte, désirant la
précieuse protection de ce saint. Il donna à l’église tant de richesses, de
domaines et de possessions, situées en divers lieux, que beaucoup de gens s’en
étonnèrent. Il y institua un chant perpétuel, à l’instar du monastère de
Saint-Maurice, mais on sait que la faiblesse de l’abbé Ægulf laissa dépérir cette institution.
Après la mort de Dagobert, son
fils Clovis, en bas âge, posséda le royaume de son père. Tous les Leudes de la
Neustrie et de la Bourgogne le reconnurent pour roi dans la terre de Maslay. Æga gouvernait le palais
avec la reine Nantéchilde qui survécut à Dagobert.
Dans la première, la seconde et
au commencement de la troisième année du règne de Clovis, Æga gouverna avec justice le palais et le royaume. Agissant prudemment avec les
autres grands de la Neustrie, et rempli de douceur, il l’emportait sur tous les
autres. Il était d’une noble naissance, d’une grande richesse, observateur de
la justice, habile à se servir de la parole, toujours prêt à répondre :
beaucoup de personnes lui reprochaient seulement de se livrer à l’avarice. Par
son conseil, on rendit aux propriétaires tous les biens qui, par l’ordre de
Dagobert, avaient été injustement envahis dans les royaumes de Bourgogne et de
Neustrie, et, contre la justice, mis au pouvoir du fisc.
Cette année mourut l’empereur
Constantin. Par le conseil du sénat son fils Constance, encore en bas âge, fut
élevé à l’Empire. Sous son règne, les Sarrasins commirent dans l’Empire
d’effroyables ravages. Après avoir pris Jérusalem et renversé les autres cités
ils envahirent l’Égypte supérieure et inférieure, dévastèrent toute l’Afrique
et s’en emparèrent, et tuèrent le patrice Grégoire. Il ne resta plus au pouvoir
de l’Empire que Constantinople, la Thrace, quelques îles et la province romaine.
La plus grande partie de l’Empire avait été envahie par les Sarrasins, et
l’empereur Constance, réduit à cette extrémité, devint leur tributaire, de
sorte qu’il n’eut plus en son pouvoir que Constantinople, quelques provinces et
quelques îles. Pendant trois ans, dit-on, et même davantage, Constance paya
chaque jour mille sous d’or aux Sarrasins. Ayant enfin repris des forces, et
recouvrant peu à peu l’Empire, il refusa de payer le tribut. Je rapporterai,
dans l’ordre convenable, de quelle manière et dans quelle année eut lieu cet
événement, et ne cesserai pas d’écrire jusqu’à ce que j’aie, si Dieu le permet,
inséré dans ce livre tout ce que je souhaite y raconter et tout ce dont la
vérité me sera bien connue.
Cette année mourut Suintila second, roi d’Espagne, qui avait succédé à Sisenand. Son fils, nommé Tulga,
encore en bas âge, fut, à sa demande, élevé sur le trône d’Espagne. La nation
des Goths est remuante, quand elle n’est pas sous un rude joug. Pendant
l’enfance de ce Tulga, toute l’Espagne, selon sa
coutume, se livra aux vices et commit différents crimes. Enfin un des grands,
nommé Chindasuinthe, ayant assemblé plusieurs
sénateurs des Goths et le reste du peuple, fut élevé sur le trône d’Espagne.
Après avoir détrôné Tulga, il le fit tondre pour le
faire clerc. Lorsqu’il eut assuré son pouvoir dans tout le royaume d’Espagne,
sachant la coutume qu’avaient les Goths de détrôner leurs rois, ce qu’il avait
souvent médité lui-même avec eux, il fit tuer l’un après l’autre tous ceux
qu’il avait vus portés à ce vice sous les rois précédemment renversés ; il
en condamna d’autres à l’exil, et donna à ses Leudes leurs femmes, leurs filles
et leurs biens. On rapporte que, pour réprimer ce vice, il fit tuer deux cents
Grands de l’Espagne, cinq cents de moyenne race, et jusqu’à ce qu’il fut assuré
d’avoir dompté cette manie des Goths, Chindasuinthe ne cessa de faire périr ceux qu’il soupçonnait. Les Goths, soumis par Chindasuinthe, n’osèrent entreprendre contre lui aucune
conspiration comme ils avaient fait contre leurs autres rois. Chindasuinthe, plein de jours, établit sur le trône
d’Espagne son fils, nommé Récésuinthe. Alors,
s’adonnant à la pénitence et faisant largement l’aumône de ses propres biens, Chindasuinthe mourut, dit-on, à l’âge de quatre-vingt-dix
ans.
La troisième année du règne de
Clovis [640], Aga, attaqué de la fièvre, mourut à Clichy. Peu de jours
auparavant Hermanfried, qui avait pris pour femme la
fille d’Æga, avait tué dans l’assemblée tenue à Riez
le comte Ænulf; à cause de cela il y eut un grand
pillage de ses biens et un rude carnage fait par les pareils d’Ænulf et le peuple, d’après l’ordre et la permission de la
reine Nantéchilde. Hermanfried se réfugia en Austrasie dans la basilique de Saint-Rémy à Reims, et y demeura
plusieurs jours pour échapper à ce carnage et à la colère du roi.
Après la mort d’Æga, Erchinoald, parent de la mère de Dagobert, fut créé
maire du palais de Clovis. C’était un homme rempli de douceur et de bonté, patient
et sage, plein d’humilité et de bienveillance envers les évêques, répondant
doucement à tous, exempt d’orgueil et d’avidité ; il aima tellement la
paix qu’il devint agréable à Dieu. Il était sage, mais surtout d’une extrême
bonté, ne s’enrichit que modérément, et fut chéri de tout le monde. Je
n’oublierai pas de dire comment, après la mort de Dagobert, ses trésors furent
partagés entre ses fils, et l’expliquerai ici.
Après la mort de Dagobert, Pépin,
maire du palais, et les autres ducs d’Austrasie qui jusqu’alors avaient été
retenus sous son autorité, demandèrent tous ensemble Sigebert pour roi. Pépin
et Chunibert, liés auparavant d’une amitié mutuelle,
s’unirent de nouveau, s’engageant à s’aimer et se soutenir toujours. Tous deux,
attirant vers eux par une habile douceur tous les Leudes d’Austrasie, et les
gouvernant avec bonté, gagnèrent leur attachement et surent le conserver.
Sigebert envoya des messagers demander à la reine Nantéchilde et au roi Clovis sa part des trésors de Dagobert. On convint de tenir un plaid
à cet effet. Chunibert, évêque de Cologne, et Pépin,
maire du palais, ainsi que quelques grands d’Austrasie, furent envoyés par
Sigebert à Compiègne, où par l’ordre de Nantéchilde et de Clovis et d’après l’avis d’Æga, maire du
palais, on apporta le trésor de Dagobert qui fut partagé également : la reine Nantéchilde eut un tiers de tout ce qu’avait amassé
Dagobert. Chunibert et Pépin firent conduire à Metz
la part de Sigebert ; on la lui présenta et on en dressa le compte. Un an
après Pépin mourut, et sa mort fut un sujet de grande douleur pour tous les
Austrasiens dont il était aimé, à cause de sa justice et de sa bonté. Grimoald,
son fils, homme vaillant, fut chéri comme son père de la plupart des guerriers.
Mais un certain Othon, fils du
domestique Uron, et qui avait été gouverneur de
Sigebert dès son enfance, plein d’orgueil et d’envie contre Grimoald,
s’efforçait de l’abaisser, Grimoald, de son côté, ayant lié amitié avec
l’évêque Chunibert, médita comment il pourrait
chasser Othon du palais et s’emparer du rang de son père.
La huitième année du règne de
Sigebert [640], Radulf, duc de Thuringe, s’étant
révolté contre lui, Sigebert fit convoquer pour la guerre tous les Leudes
d’Austrasie. Ayant passé le Rhin avec une armée, il fut joint par tous les
peuples de son royaume qui habitaient au-delà de ce fleuve. À la première
rencontre, les troupes de Sigebert défirent et tuèrent un fils de Chrodoald nommé Fare, qui s’était uni avec Radulf ; on réduisit en captivité tous les soldats de
Fare qui échappèrent à la mort. Tous les grands et les soldats se jurèrent
réciproquement que personne n’accorderait la vie à Radulf;
niais cet engagement n’eut aucun effet. Sigebert, ayant passé avec son armée la
forêt de Buchonie, s’avança promptement dans la
Thuringe. Ce que voyant, Radulf établit son camp sur
une colline aux bords de l’Unstrut en Thuringe, et
ayant rassemblé de toutes parts autant de troupes qu’il put, il se retrancha
dans ce camp pour s’y défendre avec les femmes et les enfants. Sigebert arrivé
avec son armée fit entourer le camp de toutes parts. Radulf,
en dedans, se prépara à résister avec vigueur ; mais le combat s’engagea sans
prudence. La jeunesse du roi Sigebert en fut la cause, les uns voulant
combattre le même jour, les autres attendre au lendemain, et les avis demeurant
ainsi fort divisés. Ce que voyant les ducs Grimoald et Adalgise, et pressentant
du danger pour Sigebert, le gardèrent avec grand soin. Bobon duc d’Auvergne, avec une partie des troupes d’Adalgise, et Ænovale comte du Sundgau, avec les gens de son pays, et beaucoup d’autres corps de
l’armée, s’avancèrent aussitôt à la porte du camp pour attaquer Radulf. Mais Radulf, en
intelligence avec quelques ducs de l’armée de Sigebert, sachant qu’ils ne
voulaient pas se jeter sur lui avec leurs troupes, sortit par la porte du camp,
et se précipitant avec ses guerriers sur l’armée de Sigebert, en fit un carnage
extraordinaire. Les gens de Mayence trahirent dans ce combat : on rapporte
qu’il périt un grand nombre de milliers d’hommes. Radulf ayant remporté la victoire rentra dans son camp. Sigebert, saisi, ainsi que ses
fidèles, d’une douleur extrême, restait assis sur son cheval, pleurant
abondamment et regrettant ceux qu’il avait perdus. Le duc Bobon,
le comte Ænovale, d’autres nobles et braves
guerriers, et la plus grande partie de l’armée qui les avait suivis à ce
combat, avaient été tués, à la vue de Sigebert. Frédulf,
domestique qu’on disait ami de Radulf, périt
également la nuit suivante. Sigebert demeura avec son armée sous ses tentes,
non loin du camp ennemi. Le lendemain, voyant qu’il ne pouvait rien contre Radulf, il lui envoya des messagers, afin de pouvoir
repasser le Rhin en paix : Sigebert s’étant accordé avec Radulf,
retourna dans son pays avec ses troupes. Radulf,
transporté d’orgueil, se croyait comme roi dans la Thuringe ; il conclut
des traités d’alliance avec les Wénèdes et les
nations voisines. Dans ses paroles il ne méconnaissait pas la domination de
Sigebert ; mais de fait, il résistait fortement à son pouvoir.
La dixième année du règne de
Sigebert [642], Othon qui était, par orgueil, enflammé de haine contre
Grimoald, fut à l’instigation de ce dernier, tué, par Leuthaire,
duc des Allemands. La dignité de maire du palais de Sigebert et de gouverneur
de tout le royaume d’Austrasie l’ut fermement assurée à Grimoald.
La quatrième année du règne de
Clovis [641], après la mort d’Æga, la reine Nantéchilde étant venue, avec son fils le roi Clovis, à
Orléans, dans le royaume de Bourgogne, manda auprès d’elle tous les seigneurs,
les évêques, les ducs et les grands du royaume de Bourgogne : les ayant tous
gagnés l’un après l’autre, la reine fit élever, par l’élection de tous les
évêques et de tous les ducs, à la dignité de maire du palais, Flaochat, Franc d’origine, et lui donna en mariage sa nièce
nommée Ragnoberte ; je ne sais qui arrangea ce
mariage. Flaochat et la reine Nantéchilde méditèrent secrètement un autre projet qui, à ce qu’on croit, ne fut pas
agréable à Dieu, et par cette raison demeura sans effet. Erchinoald et Flaochat, maires du palais, comme n’ayant entre eux qu’un
même dessein, un même avis, et se soutenant par un mutuel secours, se
préparèrent à exercer avec bonheur leur haute dignité. Flaochat promit, par une lettre et par des serments, à tous les ducs et évêques du
royaume de Bourgogne, qu’il conserverait chacun clans ses biens et honneurs,
ainsi qu’en son amitié. Revêtu d’un si haut emploi, Flaochat parcourut le royaume de Bourgogne, et, se rappelant une ancienne haine qu’il
avait longtemps cachée clans son cœur, il médita de faire périr le patrice Willebad.
Willebad, opulent en richesses, les avait gagnées en
enlevant par divers moyens les biens d’un grand nombre de gens. Gonflé
d’orgueil à cause de son titre de patrice et de ses immenses possessions, il
était insolent avec Flaochat et tâchait de
l’abaisser. Flaochat, ayant convoqué à Châlons les
évêques et les ducs du royaume de Bourgogne, fixa un plaid au mois de mai pour
traiter des intérêts de la patrie : Willebad y vint
avec une grande suite. Flaochat méditait de le faire
périr, ce que voyant, Willebad refusa d’entrer dans
le palais. Flaochat sortit pour le combattre, mais Amalbert, frère de Flaochat,
s’étant entremis pour les apaiser, au moment où ils allaient combattre, Willebad le retint, et échappa ainsi au danger : d’autres
personnes vinrent aussi, et ils se séparèrent sans s’être fait aucun mal ;
mais ensuite Flaochat s’occupa avec ardeur des moyens
de faire mourir Willebad. Cette année mourut la reine Nantéchilde. La même année, au mois de septembre, Flaochat avec le roi Clovis, Erchinoald aussi maire du
palais et quelques grands de Neustrie, quittant Paris, ils vinrent à Autun, par
Sens et Auxerre, et le roi Clovis ordonna au patrice Willebad de se rendre vers lui. Willebad voyant que Flaochat, son frère Amalbert, et
les ducs Amalgaire et Chramnélène avaient formé le méchant dessein de le faire périr, rassembla avec lui un grand
nombre d’habitants de son patricial, ainsi que tous les évêques, les nobles et
les braves guerriers qu’il put réunir, et prit le chemin d’Autan. Le roi
Clovis, Erchinoald, maire du palais, et Flaochat envoyèrent vers lui Hermenric, domestique, afin chie,
comme Willebad effrayé était incertain de savoir s’il
irait plus loin on s’il éviterait le danger en s’en retournant, Hermenric par des promesses l’engageât à s’avancer jusqu’à
Autun. Willebad, croyant ce domestique, le combla de
présents, s’avança en le suivant jusqu’à Autun, et campa avec sa suite non loin
de cette ville. Le jour même de son arrivée, il envoya à Autun pour voir ce qui
s’y passait, Ægilulf, évêque de Valence, et le comte Gyson, qui furent retenus par Flaochat.
Le lendemain Flaochat, Amalgaire et Chramnélène, qui avaient unanimement projeté la
mort de Willebad, étant sortis de bonne heure de la
ville d’Autun, furent joints par d’autres ducs du royaume de Bourgogne avec
leurs troupes. Erchinoald, ayant aussi pris les armes avec les Neustriens,
s’avança pour participer à ce combat. Willebad s’étant préparé avec tous ceux qu’il put rassembler, les deux armées en vinrent
aux mains. Flaochat et les ducs Amalgaire, Chramnélène et Wandelbert attaquèrent Willebad. Les autres ducs, et les
Neustriens qui les entouraient, demeurèrent spectateurs, attendant l’issue, et
ne voulant pas se jeter sur Willebad ; il fut,tué, et un grand nombre des siens furent taillés en
pièces avec lui. Berthaire, comte du palais, et Franc
du pays situé au-delà du Jura, fut le premier qui attaqua Willebad.
Frémissant de colère, le bourguignon Manaulf sortit
des rangs, s’avança avec les siens pour combattre Berthaire,
qui ayant été autrefois son ami, lui dit: Viens sous mon bouclier, je te
sauverai de ce danger, et il éleva son bouclier pour mettre Manaulf à couvert ; mais celui-ci lui perça la poitrine avec sa lance, et ses gens
ayant entouré Berthaire, qui s’était trop avancé, le
blessèrent grièvement. Alors Aubedon, fils de Berthaire, voyant son père en danger de la vie, courut
promptement à son secours. Il étendit sur la terre Manaulf percé de sa lance, et tua tous ceux qui avaient blessé son père. C’est ainsi
que par le secours de Dieu, ce bon fils délivra de la mort son père Berthaire. Les ducs qui n’avaient pas voulu se jeter avec
leur armée sur Willebad, pillèrent ses tentes, celles
des évêques et de ceux qui étaient venus avec lui, et prirent beaucoup d’or et
d’argent, ainsi que les autres objets et les chevaux.
Ces choses s’étant ainsi passées, Flaochat s’éloigna le lendemain d’Autun et s’avança
vers Châlons. Étant entré dans la ville, le lendemain, je ne sais par quel
accident, elle fut dévorée toute entière par un grand incendie. Flaochat frappé du jugement de Dieu fut attaqué de la
fièvre. On l’embarqua dans un bateau sur le fleuve de la Saône, et naviguant
vers Saint-Jean-de-Losne, il rendit l’âme dans le voyage, onze jours après la
mort de Willebad. Il fût enseveli dans l’église de
Saint-Benoît, dans le faubourg de Dijon. Beaucoup de gens crurent que, comme Flaochat et Willebad s’étaient
juré une amitié réciproque dans les lieux saints, et qu’ils avaient tous deux
par leur avidité opprimé et dépouillé les peuples, ce fut le jugement de Dieu
qui délivra le pays de leur tyrannie, et que leurs perfidies et leurs mensonges
furent la cause de leur mort.
Clovis, fils de Dagobert, ayant
pris une reine d’origine étrangère, nommée Mathilde, sage et belle, en eut
trois fils, Clotaire, Childéric et Théodoric ; il avait pour maire du palais un
homme courageux et sage nommé Erchinoald. Clovis gouverna tranquillement son
royaume sans guerre. Dans les derniers temps il fut attaqué de la folie et
mourut après un règne de dix-huit ans.
Les Francs élevèrent sur le trône
Clotaire, son fils aîné [Clotaire III], avec la reine mère ci-dessus
nommée. Dans le même temps mourut aussi Erchinoald maire du palais. Les Francs
d’abord indécis, ayant délibéré, confièrent à Ebroin l’honneur de cette charge.
Dans ce temps, le roi Clotaire,
attaqué d’une lièvre violente, mourut dans sa jeunesse après un règne de quatre
ans. Son frère Théodoric lui succéda [670 ; Théodoric III] ; son
frère Childéric fut élevé au trône d’Austrasie, par le duc Wulfoald.
Dans ce temps, les Francs
tendirent des embûches à Ebroin; ils se soulevèrent
contre Théodoric, le chassèrent du trône, lui coupèrent les cheveux, le
tondirent, et en firent autant à Ebroin qu’ils
reléguèrent malgré lui dans le monastère de Luxeuil en Bourgogne. Ils
envoyèrent une députation en Austrasie à Childéric qui, étant venu avec le duc Wulfoald, fut créé roi de tout le royaume.
Childéric était emporté et léger,
poussant la nation des Francs dans les séditions, les insultes et les
troubles ; tant qu’enfin il s’éleva contre lui une violente haine qui alla
jusqu’à la révolte et au meurtre. Comme elle croissait de jour en jour,
Childéric fit, contre la loi, attacher à un arbre et frapper de verges un Franc
noble homme Bodilon. À cette vue, saisis
d’indignation, les Francs Ingolbert et Amalbert et les autres grands excitèrent une sédition
contre Childéric. Bodilon s’arma avec un grand nombre
de mécontents, et tua, crime douloureux à rapporter, le roi avec la reine, Bilichilde, alors enceinte, dans la forêt de Bondi [673]. Wulfoald échappa par la fuite et retourna en
Austrasie. Les Francs, par le conseil de saint Léger et de ses compagnons,
élevèrent à la dignité de maire du palais Leudésius fils
d’Erchinoald.
Ebroin, informé de ces dissensions, et ayant appris que
les Francs étaient en grande discorde, rassembla ses amis et autant de gens
qu’il put, et, étant sorti du monastère de Luxeuil, il rentra en France
accompagné d’une nombreuse suite de guerriers ; il s’avança jusqu’au
fleuve de l’Oise et tua à pont Sainte-Maxence les gardes endormis. Ayant
traversé l’Oise il fit périr nous ceux de ses ennemis qu’il put trouver. Leudésius maire du palais, prit la fuite avec les trésors
du roi, s’échappa ensuite seul au château de Baisiu. Ebroin y étant arrivé s’empara des trésors. Étant ensuite
allé de Crécy en Ponthieu, il promit artificieusement fidélité à Leudésius qu’il trompa, l’engageant à se rendre à un plaid
où ils se mettraient d’accord et feraient la paix. Mais Ebroin,
agissant avec fraude, comme c’était sa coutume, tendit des embûches à Leudésius, le tua, et ayant rétabli le roi Théodoric, il
rentra lui-même très adroitement dans son pouvoir. Ayant faut infliger à
l’évêque saint Léger de cruels supplices, il le fit périr par le glaive ;
il fit aussi mourir, après divers tourments, Guérin son frère. Les autres
Francs de leur parti, ayant pris la fuite, passèrent la Loire et se réfugièrent
en Gascogne, la plupart condamnés à l’exil ne reparurent jamais.
En Austrasie, le duc Wulfoald étant mort, le duc Martin et Pépin, fils d’Anségise noble Franc, étaient en possession du pouvoir. Les
rois étant mort et les grands Ebroin, Martin et
Pépin se brouillant entre eux, une guerre fut excitée contre Théodoric. Les
troupes s’étant avancées à un lieu nommé Loixi, le
combat s’engagea avec acharnement et il périt une grande partie des deux
armées. Martin et Pépin vaincus, prirent la fuite avec leurs partisans : Ebroin les ayant poursuivis ravagea une grande partie de
leur pays. Martin étant entré dans Laon se retrancha dans les murs de cette
ville. Ebroin qui était à sa poursuite arriva à Acheri dans le pays de Laon ; il envoya à Laon en
députation Ægilbert et Reule évêque de Reims pour séduire Martin par de trompeuses promesses ; car ils
prêtèrent, sur des châsses dont les reliques avaient été enlevées, des serments
de nulle valeur. Martin y ayant ajouté foi, sortit de Laon avec ses compagnons
et ses partisans, et vint à Acheri où il fut tué avec
toute sa suite.
Ebroin opprima les Francs avec une cruauté toujours
croissante jusqu’à ce qu’enfin il tendit des embûches à un Franc, nommé Hermanfried, dont il voulait ravir les biens. Hermanfried ayant pris conseil des siens, rassembla pendant
la nuit une troupe d’amis, et se jetant sur Ebroin il
le tua [681]. Après cette action, il se réfugia avec ses richesses auprès
du duc Pépin en Austrasie.
Ensuite les Francs ayant délibéré
établirent à la place d’Ebroin, dans la dignité de
maire du palais, Waradon, homme illustre. Waradon ayant reçu des otages du duc Pépin, ils conclurent
la paix ensemble. Waradon avait un fils, nommé Gislemar, adroit et actif, habile dans le conseil, et qui
gouvernait le palais à la place de son père ; par son extrême adresse et ses
ruses, il parvint à supplanter son père dans sa propre charge. L’évêque saint
Ouen lui faisait sur cette action de fréquents reproches, l’engageant à faire
la paix et à réclamer le pardon de son père ; mais il n’y consentit pas et
persista dans la dureté de son cœur.
Il s’éleva entre Pépin et Gislemar bien des contestations et des guerres civiles. Gislemar ayant marché à Namur contre l’armée du duc Pépin,
prêta un faux serment, et tua un grand nombre de nobles de cette armée [683].
De là étant retourné chez lui, à cause de sa conduite envers son père et de ses
autres méchancetés et fourberies, Gislemar, frappé du
jugement de Dieu, comme il l’avait mérité, rendit son âme coupable [684].
À sa mort, son père Waradon rentra dans son ancienne
dignité.
Dans ce temps l’évêque saint
Ouen, plein de vertus, monta vers le Seigneur [685]. Alors aussi mourut Waradon, maire du palais [686]. Il avait une mère
noble et sage, nommée Ansflède, dont le gendre Berthaire fut créé maire du palais ; c’était un homme
d’une petite taille, de peu d’intelligence, colère et léger, et méprisant
souvent l’amitié et les conseils des Francs qui s’en indignèrent. Auderamne, Reule et beaucoup
d’autres, abandonnant Berthaire, se lièrent à Pépin
par des otages, firent amitié avec lui et soulevèrent le reste de la nation
contre Berthaire.
Pépin ayant levé une armée
s’avança en ennemi pour faire la guerre au roi Théodoric et à Berthaire. S’étant rencontrés près de la ville de Vermand
dans un lieu nommé Testri, ils en vinrent aux
mains [687]. Pépin et les Austrasiens l’ayant emporté, le roi Théodoric et Berthaire prirent la fuite. Pépin demeurant
vainqueur, les poursuivit et soumit ce pays ; ensuite Berthaire fut tué par des flatteurs, faux amis, là l’instigation de la matrone Ansflède sa belle-mère. Pépin, ayant en sa possession le
roi Théodoric avec ses trésors et chargé du gouvernement de tout le royaume,
retourna en Austrasie. Il avait une femme noble et sage, nommée Plectrude, et en eut deux fils dont l’aîné se nommait
Drogon et le plus jeune Grimoald.
Le roi Théodoric mourut après un
règne de dix-sept ans [691]. Les Francs élurent roi son fils Clovis encore
enfant [Clovis III]. Le roi Clovis, d’une mauvaise santé, mourut quelques
années après ; il avait régné quatre ans. Son frère Childebert [III] fut
établi sur le trône [695]. Drogon, instruit par son père Pépin, reçut le
duché de Champagne ; le jeune Grimoald fut élu maire du palais du roi
Childebert ; ce fut un homme d’une brande douceur, rempli de bonté et de
bienveillance, faisant de larges aumônes, et adonné à l’oraison.
Pépin fit la guerre à Ratbod [689], duc de la nation des Frisons, et ils en
vinrent aux mains à Duersteden. Pépin fut vainqueur,
et ayant mis en fuite le duc Ratbod avec les Frisons
échappés au combat, il s’en retourna chargé de butin et de dépouilles. Ensuite
Drogon, fils de Pépin, fut attaqué d’une violente fièvre dont il mourut ;
il fait enseveli à Metz dans la basilique du saint confesseur Arnoul. Grimoald
eut d’une concubine un fils nommé Théodoald.
Pépin prit une autre femme, noble
et belle, nommée Alpaïde, dont il eut un fils [vers
688] qu’il nomma dans sa propre langue (Karl) Charles ; cet enfant
grandit fort et bien fiait, et devint illustre.
Alors mourut le roi
Childebert [711], et il fut enterré à Choisy dans la basilique de
Saint-Étienne, martyr. Il avait régné seize ans. Dagobert [III], son fils,
monta sur le trône. Grimoald épousa une fille de Ratbod,
duc des frisons. Pépin, étant tombé malade dans sa terre de Jupil sur les bords de la Meuse, Grimoald vint pour le voir, et, comme il se rendait
pour prier dans la basilique du saint martyr Lambert, il fut tué par un homme
cruel et impie, nommé Rantgaire. Ensuite Théodoald son fils, en bas âge, fut en sa place créé maire
du palais du roi Dagobert. Le duc Pépin étant donc tombé malade en mourut [16
décembre 714] : il gouverna le peuple Franc pendant vingt-sept ans ;
il laissait en mourant son fils Charles. Après sa mort, Plectrude sa femme, dont nous avons parlé, gouverna tout par ses conseils et son pouvoir.
Enfin les Francs, s’étant soulevés par l’effet de mauvais conseils, livrèrent
bataille, dans la forêt de Guise, à Théodoald et aux
anciens Leudes de Pépin et de Grimoald. Là périt une quantité innombrable de
guerriers. Théodoald, séparé de ses compagnons, se
sauva par la fuite. La nation des Francs fit en proie à de grands troubles et
de cruelles persécutions.
Ils élevèrent à la dignité de
maire du palais un certain Franc, nommé Raganfried,
et ayant rassemblé une armée, ils s’avancèrent jusqu’à la Meuse ravageant tout
sur leur chemin. Ils s’unirent d’alliance avec le duc Ratbod.
Vers ce temps le duc Charles, retenu en prison par Plectrude,
s’échappa avec l’aide de Dieu.
Alors mourut le roi Dagobert
après un règne de cinq ans [715]. Les Francs établirent sur le trône un
certain clerc, nommé Daniel, qui avait laissé croître sa chevelure, et le
nommèrent Chilpéric [II]. Ils levèrent et envoyèrent une armée contre
Charles, et engagèrent le duc Ratbod à venir d’un
autre côté avec une armée de Frisons. Charles marcha contre Ratbod avec son armée, et le combat s’engagea ; mais Charles y perdu un nombre
considérable de nobles et braves guerriers, et voyant son armée rompue il prit
la fuite [716]. Alors Chilpéric et Raganfried,
avec une troupe nombreuse, traversèrent la forêt des Ardennes au-delà de
laquelle Ratbod les attendait, et s’avancèrent
jusqu’à la ville de Cologne sur les bords du Rhin, ravageant également tout ce
pays ; ils s’en retournèrent après avoir reçu de Plectrude un grand nombre de présents et de trésors ; mais dans leur route, et au lieu dit Amblef, l’armée de
Charles leur fit essuyer un grand échec. Peu après Charles ayant de nouveau
rassemblé ses troupes marcha contre Chilpéric et Raganfried.
Ils en vinrent aux mains, un dimanche du carême, le 21 mars [717], à un
endroit appelé Vinci, dans le canton de Cambrai. Il se fit des deux côtés un
grand carnage ; Chilpéric et Raganfried vaincus
prirent la fuite. Charles les poursuivant s’avança jusqu’à Paris.
Étant ensuite retourné à Cologne,
il s’empara de cette ville, qui lui ouvrit, ses portes ; Plectrude lui rendit les trésors de son père et remit tout
en son pouvoir ; il se donna alors un roi nommé Clotaire [IV – 719].
Chilpéric et Raganfried envoyèrent des messagers vers
le duc Eudes pour demander son secours, lui donnant le titre de roi et des
présents. Celui-ci ayant levé une armée de Gascons vint à eux, et ils
marchèrent ensemble contre Charles. Mais Charles, ferme et intrépide, s’avança
promptement à leur rencontre. Eudes effrayé, car il ne pouvait lui résister,
s’enfuit. Charles le poursuivit jusqu’à Paris, passa la Seine et s’avança
jusqu’à Orléans. Eudes s’étant échappé à grand’peine,
arriva aux frontières de son pays et, emmena avec lui le roi Chilpéric et ses
trésors. Le roi Clotaire mourut cette année [720]. L’année suivante
Charles conclut, par ses envoyés, une alliance avec Eudes, qui lui remit le roi
Chilpéric avec beaucoup de trésors. Venu à Noyon, Chilpéric termina la carrière
de sa vie avec celle de son règne qui avait duré six ans. À sa mort ils
établirent sur le trône Théodoric, qui l’occupe maintenant. Cela fait, le
prince Charles se mit à la poursuite de Raganfried assiégea Angers, et ayant ravagé le pays s’en retourna chargé d’un grand butin.
Dans le même temps, les Saxons
s’étant soulevés, le prince Charles les attaqua brusquement, les battit et s’en
retourna vainqueur. À la fin de l’année [725], ayant rassemblé un grand
nombre de troupes, il passa le Rhin, parcourut le pays des Allemands et des
Suèves, s’avança jusqu’au Danube, et l’avant traversé occupa le pays des
Bavarois ; l’ayant soumis il rentra en France avec beaucoup de trésors et
une certaine matrone nommée Bilitrude, ainsi que sa
fille Sonnichilde.
Le duc Eudes s’étant écarté du
traité qu’il avait conclu [731], le prince Charles en fut instruit par des
messagers. Il leva une armée, passa la Loire, mit le duc Eudes en déroute, et
enlevant un grand butin de ce pays, deux fois ravagé par les troupes dans la
même année, il retourna dans le sien. Le duc Eudes, se voyant vaincu, et
couvert de confusion, appela à son secours, contre le prince Charles et les
Francs, la nation perfide des Sarrasins ; ils vinrent avec leur roi nommé Abdérame, passèrent la Garonne, marchèrent vers Bordeaux,
et incendiant les églises, massacrant les habitants, ils s’avancèrent jusqu’à
Poitiers. Là, après avoir livré aux flammes la basilique de Saint-Hilaire,
chose bien douloureuse à rapporter, ils se préparèrent à marcher pour détruire
celle de Saint-Martin de Tours. Le prince Charles se disposa vaillamment à les
combattre, accourut pour les attaquer, renversa leurs tentes par le secours du
Christ [732], se précipita au milieu du carnage, tua leur roi Abdérame, et détruisit complètement l’armée de ses ennemis.
L’année suivante [733], le
prince Charles, brave guerrier, parcourut la Bourgogne, et plaça sur les
frontières du royaume, pour le défendre contre les nations rebelles et
infidèles, ses Leudes les plus dévoués et des guerriers courageux. Ayant établi
la paix, il donna la ville de Lyon à ses fidèles, conclut partout des traités
ou des trêves, et s’en retourna vainqueur, plein de joie et de confiance. Dans
ce temps, le duc Eudes mourut. À la nouvelle de sa mort, le prince Charles,
prenant conseil de ses grands, passa encore une fois la Loire [735], vint
jusqu’à la Garonne, occupa la ville de Bordeaux et le fort de Blaye, s’empara
de tout ce pays, et soumit les villes comme les campagnes et les lieux forts.
Ainsi favorisé du Christ, roi des rois et seigneur des seigneurs, le prince
Charles retourna victorieux et en paix.
Voici quel est jusqu’à présent le
compte des années. Depuis Adam, ou le commencement du monde, jusqu’au déluge,
2242 ans.
Depuis le déluge jusqu’à Abraham,
942 ans.
Depuis Abraham jusqu’à Moïse, 505
ans.
Depuis Moïse jusqu’à Salomon, 489
ans.
Depuis Salomon jusqu’à la
restauration du Temple, du temps de Darius, roi des Perses, 512 ans.
Depuis la restauration du Temple
jusqu’à la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 548 ans.
Depuis le commencement du monde
jusqu’à la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 5538 ans.
Depuis la passion de
Notre-Seigneur jusqu’à l’année présente, au jour du dimanche 1er janvier,
735 ans.
Pour compléter ce millénaire, il
manque 265 ans.
J’ai omis de rapporter ce que
voici. Le prince Charles s’embarqua hardiment sur une flotte pour aller contre
la cruelle nation maritime des Frisons qui s’étament révoltés. Il alla en mer,
et ayant été joint par une quantité de vaisseaux, il pénétra dans les îles de Wistrachie et Austrachie qui
appartenaient aux Frisons, et campa sur les bords du fleuve de Burde [734]. Il tua le duc Popon,
perfide conseiller de ce peuple, et finit en déroute l’armée des Frisons ; il
détruisit leurs temples idolâtres, les consuma par le feu, et retourna dans le
royaume des Francs victorieux et chargé de grandes dépouilles.
L’habile chic Charles ayant levé
une armée, marcha du côté de la Bourgogne [736], soumit en sors pouvoir la
ville de Lyon, les seigneurs et les préfets de cette province, établit ses
juges jusqu’à Marseille et Arles, et revint, chargé de trésors et de butin,
dans le royaume des Francs, au siége de son empire.
Les Saxons, peuples païens qui
habitent au-delà du Rhin, s’étant révoltés, le vaillant duc Charles leva une
armée de Francs [738], passa adroitement le Rhin à l’endroit où le fleuve
de la Lippe y décharge ses eaux, ravagea la plus grande partie de ce pays
sauvage, rendit tributaire cette cruelle nation, et après en avoir reçu
beaucoup d’otages, retourna triomphant dans son pays par le secours du
Seigneur.
La belliqueuse nation des
Ismaélites qu’en langue corrompue on nomme Sarrasins, s’étant encore soulevée,
ils passèrent soudain le Rhône. Ces rusés infidèles, à la faveur de la fraude
et de la perfidie d’un certain Mauronte et de ses
compagnons, entrèrent en armes dans Avignon [737], ville bien fortifiée,
entourée de montagnes, et ils ravagèrent tout le pays. Le vaillant duc Charles
envoya contre eux, avec un grand appareil de guerre, son frère le duc Childebrand, guerrier courageux, avec d’autres ducs et
comtes. Promptement arrivés devant la ville d’Avignon, ils dressent leurs
tentes, entourent la ville et les faubourgs, assiègent cette cité très bien
fortifiée, et disposent leur armée. Bientôt le duc Charles, arrivant à leur
suite, cerne les remparts, assoit son camp, et presse le siège. Les guerriers
se précipitent sur les remparts et les murs des maisons, comme jadis à Jéricho,
au bruit des armes et au son des trompettes, bien munis de machines et de
cordages, et emportant enfin la ville, ils y mettent le feu, pressent leurs
ennemis, les renversent, les égorgent, et les réduisent heureusement en leur
pouvoir.
Le brave Charles victorieux passa
le Rhône avec son armée, pénétra dans le pays des Goths, s’avança jusque dans
la Gaule narbonnaise, et assiégea la célèbre cité de Narbonne, métropole de ce
peuple. Il fit construire sur les bords du fleuve de l’Aude un rempart en forme
de bélier, et enferma le roi des Sarrasins, nommé Athima,
avec ses compagnons, et campa tout autour de la ville. À la nouvelle de ce
siège, les seigneurs et les princes Sarrasins qui habitaient alors en Espagne,
rassemblèrent une armée, à la tête de laquelle se mit un autre roi, nommé Amor,
et s’avançant armés de machines contre Charles, ils se préparèrent au combat.
Le duc Charles alla à leur rencontre sur les bords de la rivière Berre et dans
la vallée de Corbière ; ils en vinrent aux mains. Les Sarrasins vaincus,
renversés, et voyant leur roi tué, prirent la fuite. Ceux qui avaient échappé,
voulant s’enfuir sur des vaisseaux, se jetèrent à la nage dans la mer, et ils
sautaient les uns sur les autres pour se sauver. Mais les Francs, montés sur
des vaisseaux, et armés de javelots, se précipitèrent sur eux, les tuèrent, et
les firent périr dans les flots. Ainsi vainqueurs de leurs ennemis, les Francs
s’emparèrent d’une grande quantité de butin, firent une multitude de captifs,
et ravagèrent avec leur duc tout le pays des Goths. Charles détruisit de fond
en comble les villes les plus célèbres, Nîmes, Agde, Béziers, y mit le feu, et
ravagea les faubourgs et les châteaux de ce pays. Après ces victoires, toujours
guidé et soutenu par le Christ qui décide des combats, Charles retourna sain et
sauf dans le territoire des Francs, au siège de son empire.
Au bout de deux ans [739],
Charles envoya dans la Provence son frère Childebrand,
dont nous avons parlé, avec des comtes et une armée. Ils arrivèrent à la ville d’Avignon,
où Charles se hâta de les rejoindre. Il ramena sous son pouvoir tout le pays,
jusqu’au rivage de la grande mer. Le duc Mauronte s’enfuit dans des rochers inaccessibles. Le prince Charles, après avoir acquis
tout ce royaume, revint victorieux, personne ne se révoltant contre lui. De
retour dans le pays des Francs, il tomba malade à Verberie, sur les bords de
l’Oise.
Dans ce temps [741], le
saint pape Grégoire [III] envoya de Rome et de la basilique de
l’apôtre saint Pierre, une députation au prince Charles pour lui offrir les
clefs du saint Sépulcre, avec les liens de saint Pierre et des présents
nombreux et considérables ; chose qu’on n’avait jamais vue ni entendue en aucun
temps. Ils convinrent par un traité que le peuple romain abandonnerait le parti
de l’empereur, et que le pape donnerait au prince Charles le consulat de Rome.
Le prince fit aux députés des honneurs étonnants et magnifiques, ainsi que des
présents d’un grand prix, et envoya à Rome, avec ses serviteurs chargés de
riches dons, Grimon, abbé du monastère de Corbie, et
Sigebert, moine de la basilique de Saint-Denis.
Le prince Charles ayant pris
conseil de ses grands partagea ensuite ses États à ses fils. Il donna donc à
son aîné, nommé Carloman, l’Austrasie, la Suavie,
qu’on appelle à présent l’Allemagne, et la Thuringe. Il mit son second fils,
nom Pépin, à la tête de la Neustrie et de la Provence.
Cette année le duc Pépin ayant
levé avec son oncle le duc Childebrand et beaucoup de
grands une armée considérable, entra en Bourgogne et s’empara de ce pays.
Alors, ce qui est triste et douloureux à rapporter, on vit de nouveaux signes
dans le soleil, la lune et les étoiles, et l’ordre sacré de la Pâque fut
troublé. Le prince Charles enrichit à Paris la basilique de Saint-Denis d’un
grand nombre de présents ; et étant revenu à Quierzy, palais situé sur les
bords de l’Oise, il fut attaqué de la fièvre et mourut en paix, après avoir
conquis tous les royaumes d’alentour. Après un règne de vingt-cinq ans, il
mourut le 21 octobre, et fut enseveli à Paris dans la basilique de Saint-Denis.
Chiltrude, fille de Charles, poussée par le coupable conseil
de sa belle-mère, passa secrètement le Rhin [742], à l’aide de ses
serviteurs, pour aller trouver Odilon duc de Bavière ; et Odilon, contre
la volonté et l’avis de ses frères, la prit en mariage.
Les Gascons s’étant révoltés en
Aquitaine avec leur duc Chunoald, fils d’Eudes, les
princes Carloman et Pépin rassemblèrent leur armée, passèrent la Loire à
Orléans, battirent les Romains d’outre Loire, et s’avancèrent jusqu’à la ville
de Bourges, dont ils incendièrent les faubourgs. Poursuivant le duc Chunoald ils le mirent en fuite, ravagèrent tout le pays,
détruisirent de fond en comble le château de Loches, prirent la garnison et
demeurèrent partout vainqueurs. Ayant partagé le butin, ils emmenèrent avec eux
en captivité les habitants de cette ville. De retour à peu près vers l’automne,
cette même année, ils firent marcher une armée au-delà du Rhin contre les
Allemands, et dressèrent leurs tentes sur les bords du Danube. Les Allemands,
se voyant vaincus, donnèrent des otages, promirent fidélité, offrirent des
présents et se soumirent à leur domination en demandant la paix.
Après le retour des deux princes,
et la deuxième année de leur règne [743], leur parent Odilon, duc des
Bavarois, excita contre eux une révolte ; ils furent forcés de faire
marcher en Bavière une grande armée de Francs. Arrivés à un fleuve qu’on appelle
le Leck, les deux armées campèrent sur les bords, et
passèrent ainsi quinze jours à se considérer. Pleins de courroux d’être sans
cesse provoqués par les moqueries de cette nation, les Francs affrontèrent de
cruels périls dans des lieux déserts et des marais par où on n’avait point
coutume de passer, et ayant divisé leurs troupes ils se jetèrent sur les
Bavarois pendant la nuit et les surprirent à l’improviste. Le combat s’étant
engagé, le chic Odilon, voyant son armée taillée en pièces, eut de la peine à
se sauver honteusement et avec peu de monde au-delà du fleuve de l’Inn. Après
avoir ainsi remporté la victoire, non sans la perte de beaucoup de gens, les
deux princes s’en retournèrent victorieux dans leurs pays.
Trois ans s’étant écoulés, les
Saxons, peuples voisins de Carloman, se soulevèrent [744]; il se jeta sur
eux avec une armée, et ayant pris ceux dont les habitations touchaient à ses
États, il s’empara heureusement, et sans combattre, de leur contrée ; par la
protection du Christ un grand nombre d’eux furent baptisés. Dans le même temps,
Théodebald, fils du duc Godefroi, s’étant révolté, Pépin, avec sa brave armée,
le chassa honteusement des défilés des Vosges,et ayant repris possession de ce duché retourna vainqueur dans son pays.
Les deux frères étant rentrés
chez eux, ils furent provoqués par l’esprit turbulent des Gascons, et
marchèrent sur la Loire [745]; ce que voyant, les Gascons demandèrent la
paix, et exécutant en toutes choses la volonté de Pépin, obtinrent par leurs
prières que, comblé de présents, il s’éloignât de leurs frontières.
L’année suivante [746] les
Allemands ayant manqué à leur foi envers Carloman, ce prince saisi d’une grande
fureur entra avec une armée dans leur pays, et tua un grand nombre des
rebelles.
Au bout d’un an [747], Carloman,
enflammé d’un saint amour de piété, remit son royaume avec son fils Drogon
entre les mains de son frère Pépin, et se rendit à Rome dans l’église des
saints apôtres Pierre et Paul, pour entrer dans l’ordre des moines. Par cette
succession s’affermit beaucoup le pouvoir de Pépin.
La même année, les Saxons, selon
leur coutume, s’efforcèrent de rompre la foi qu’ils avaient jurée au frère de
Pépin : celui-ci fut donc forcé de marcher contre eux avec une armée. Les rois
des Wénèdes et des Frisons vinrent à son
secours : ce que voyant les Saxons furent saisis d’épouvante à leur
ordinaire, et, après qu’un grand nombre d’entre eux eurent été tués ou emmenés
en captivité, et leur pays ravagé par les flammes, ils demandèrent la paix, se soumirent
aux Francs comme par le passé, et promirent d’acquitter exactement à l’avenir
les tributs qu’ils avaient autrefois payés à Clotaire. Un grand nombre d’entre
eux voyant qu’ils ne pouvaient résister à la bravoure des Francs, et perdant
courage, demandèrent les sacrements chrétiens.
À leur tour les Bavarois, par le
conseil d’hommes méchants, manquèrent aussi à leur fidélité envers le prince
Pépin : c’est pourquoi ayant levé une armée considérable, il s’avança dans leur
pays [749]. Frappés de terreur, ils s’enfuirent avec leurs femmes et leurs
enfants au-delà du fleuve de l’Inn, sur les bords duquel Pépin établit son
camp, se préparant à le traverser pour faire d’eux un grand carnage. Les
Bavarois se voyant hors d’état de se sauver, envoyèrent au prince des députés
chargés de beaucoup de présents, se soumirent à lui, prêtant des serments et
donnant des otages, comme gages qu’ils ne se révolteraient plus jamais. Ainsi
avec l’aide du Christ, Pépin retourna heureusement et en grand triomphe dans le
pays des Francs, qui pendant deux ans se reposa de combats.
Dans ce temps, de l’avis et du
consentement de tous les Francs, et après avoir envoyé à Rome une ambassade,
qui rapporta l’autorisation du Saint-Siège apostolique, Pépin fut élevé sur le
trône [752] par le choix de toute la nation Franque ; les grands se
soumirent à lui, et il fut selon l’antique usage, ainsi que la reine Bertrade,
consacré par les évêques.
C’est jusqu’ici que l’illustre
comte Childebrand, oncle dudit roi Pépin, a fait
écrire avec le plus grand soin cette histoire des actions des Francs ; ce
qui suit a été fait par l’ordre de l’illustre guerrier, Nibelung, fils de Childebrand.
Cela fait, les Saxons, selon leur
coutume, manquèrent l’année suivante [753] à la foi qu’ils avaient
promise au roi, et se soulevèrent. Pépin irrité convoqua toutes les troupes des
Francs, passa le Rhin, marcha avec un grand appareil dans le pays des Saxons,
le dévasta, tua beaucoup ale guerriers, emmena captifs beaucoup d’hommes et de
femmes, et fit un butin, considérable. Les Saxons émus de repentir, et saisis
de leurs craintes accoutumées, invoquèrent la clémence du roi, lui demandant la
paix, offrant des serments et des tributs bien plus forts que ceux qui leur
étaient naguère imposés, et s’engageant à ne plus se révolter désormais. Le roi
Pépin, avec la faveur du Christ, revint en grand triomphe au fort de Bonn sur
le Rhin. Là, un messager arrivant de Bourgogne lui annonça que son frère
Griffon qui avait trouvé pendant longtemps un asile en Gascogne, chez le dite Waïfer, avait tenté de passer en Lombardie pour y tramer
des intrigues contre le roi, et qu’il avait été tué à Saint-Jean-de-Maurienne
sur la rivière de l’Arve, par Théodouin, comte de
Vienne, et Frédéric, comte des districts au-delà du Jura. Ces deux comtes
avaient aussi été tués dans le combat.
Le roi Pépin traversa la forêt
des Ardennes, et se trouvait à Thionville sur la Moselle, lorsqu’un autre
messager lui vint dire que le pape Étienne, parti de Rome avec beaucoup de pompe
et chargé de présents, avait déjà passé le grand Saint-Bernard et se rendait
vers lui. À cette nouvelle, le roi, plein de joie, ordonna que le pape fût reçu
avec de grands honneurs, et envoya au devant de lui
son fils Charles, lui enjoignant de lui amener le pape à sa maison de Ponthion.
Le pape Etienne y étant arrivé [754] fit beaucoup de présents, tant
au roi qu’aux autres Francs, et réclama leur secours contre la nation des
Lombards et son roi Astolphe, les suppliant de le délivrer des oppressions et
des perfidies que ces gens-là lui faisaient subir, ainsi que des charges et
tributs que, contre toute justice, ils imposaient aux Romains. Le roi Pépin
voulut que le pape Étienne passât l’hiver à Paris, dans le monastère de
Saint-Denis, et qu’il y fût traité avec toutes sortes de soins. Il envoya en
même temps des députés à Astolphe, roi des Lombards, l’engageant, par respect
pour les saints apôtres Pierre et Paul, à ne plus entrer en ennemi sur le
territoire de Rome, et à faire cesser, par égard pour lui-même, les tributs
impies ou illégitimes que les Romains ne payaient pas auparavant.
Astolphe ayant dédaigné de faire
ce que le roi Pépin lui demandait par ses députés, l’année suivante ledit roi
ordonna à tous les Francs de se rendre auprès de lui, selon la coutume, au
commencement de mars, et à Braine. Là, après en avoir délibéré avec ses grands,
et à l’époque où les rois sont dans l’usage de commencer la guerre, le roi
Pépin, le pape Étienne, les guerriers francs et tous les peuples du royaume
formant une multitude immense, marchèrent vers la Lombardie, en traversant les
cités de Lyon et de Vienne, et arrivèrent dans la Maurienne. À ces nouvelles,
le roi Astolphe rassemblant toutes les troupes des Lombards, s’avança jusqu’aux
Cluses d’Italie, défilé clos qui aboutit au Val de Suze, y dressa son camp, et,
bien muni d’armes et de machines, se prépara à soutenir criminellement les
iniquités qu’il avait commises contre la république et le saint-Siège de Rome. Le roi Pépin s’était arrêté dans la Maurienne avec son armée. Les
rochers et les montagnes ne lui permettaient pas d’avancer ; cependant un
petit nombre de guerriers pénétrant à travers ces défilés de rude accès,
arrivèrent jusque dans la vallée de Suze. Le roi Astolphe fit aussitôt prendre
les armes à tous les Lombards, et marcha avec toutes ses troupes contre ces
guerriers. À cette vue, les Francs comprirent bien qu’ils ne devaient attendre
leur salut ni de leurs propres forces ni du secours des leurs ; ils invoquèrent
Dieu et le bienheureux apôtre Paul, et engagèrent bravement le combat. Le roi
Astolphe, voyant son armée fort entamée, prit la fuite. La plupart des
guerriers qu’il avait amenés, les ducs, les comtes, et presque tous les grands
de la nation des Lombards périrent en cette affaire ; et lui- même se glissant
à grand peine du haut d’un rocher, arriva avec une très petite suite dans sa
ville de Pavie. Le grand roi Pépin ayant ainsi remporté la victoire avec l’aide
de Dieu, s’avança jusqu’à Pavie avec tous les bataillons des Francs, y dressa
son camp, dévasta les environs, incendia une partie de l’Italie, ravagea tout
le pays, emporta tous les forts des Lombards, et prit beaucoup de trésors d’or
et d’argent, ainsi que beaucoup d’ornements précieux, de meubles et de tentes.
Le roi Astolphe voyant qu’il ne pouvait échapper, demanda la paix par
l’entremise des évêques et des seigneurs Francs, promit d’accomplir tout ce que
lui avait demandé le roi Pépin, de réformer toutes les injustices qu’il avait
commises contre l’Église et le saint-Siège de Rome,
s’engagea par serment à ne jamais se soustraire à la domination des Francs, à
ne jamais entrer en ennemi sur le territoire de la république romaine, et donna
des otages. Le roi Pépin, touché de pitié, lui accorda, avec sa clémence
ordinaire, la vie et son royaume. Astolphe fit beaucoup de présents aux
seigneurs Francs. Cela fait, le roi Pépin ramena le pape Étienne à Rome, où il
répandit ses largesses, et le rétablit sur le saint-Siège apostolique, comme il y était auparavant. Chargé de présents et de trésors, le
roi Pépin, avec l’aide de Dieu, retourna ensuite dans son pays.
L’année suivante [755], le
roi Astolphe retombant dans son péché, viola les promesses qu’il avait faites
au roi Pépin. Il marcha de nouveau contre Rome, parcourut et dévasta son
territoire, et arrivé à l’église de Saint Pierre, incendia toutes les maisons
voisines. Le roi Pépin, informé de ces choses par des messagers, fut saisi
d’une violente colère, rassembla de nouveau toute l’armée des Francs, et
traversant la Bourgogne, arriva à Saint-Jean-de-Maurienne par Châlons et
Genève. Aussitôt le roi Astolphe envoya des troupes de Lombards au même défilé
que l’année précédente pour qu’elles résistassent aux Francs et les
empêchassent d’entrer en Italie. Mais Pépin, avant traversé avec son armée le Mont-Cenis, arriva auprès du défilé où les Lombards
voulaient l’arrêter, et soudain les Francs instruits par leur expérience
pénétrèrent à travers les rochers et les montagnes, se précipitèrent avec
fureur dans le royaume d’Astolphe et tuèrent tous les Lombards qu’ils purent
rencontrer. Ceux qui restaient eurent grand’peine à
s’échapper par la fuite. Le roi Pépin avec son neveu Tassilon, duc des
Bavarois, s’avança une seconde fois jusqu’à Pavie, dévasta tout le pays, et
dressa son camp tout autour de la ville, si bien que personne n’en pouvait
sortir. Le roi Astolphe, perdant tout espoir de salut, s’adressa de nouveau, en
suppliant, aux évêques et aux seigneurs Francs, promettant de réformer tout à
fait et d’après leur jugement toutes ses injustices envers le Saint-Siège de
Rome, offrant de renouveler les serments qu’il avait violés et demandant avec
instance la paix. Le roi Pépin, de nouveau touché de pitié, selon sa coutume,
lui accorda encore une fois, par l’entremise de ses grands, la vie et son royaume.
Le roi Astolphe, d’après la décision des grands et des évêques, donna au roi
Pépin le tiers des trésors qu’il avait dans Pavie et fit à tous ses guerriers
des prescris beaucoup plus considérables que les premiers. Enfin il s’engagea
par serment et en livrant des otages, à ne plus se révolter jamais contre le
roi Pépin et les seigneurs Francs, et à leur envoyer chaque année, par ses
messagers, les tributs que très anciennement les Lombards payaient aux rois des
Francs. Pépin, ainsi vainqueur et presque sans combat, revint dans son royaume,
chargé de trésors et ramenant tous ses guerriers, et le pays se reposa de
guerres pendant deux ans.
Dans la suite le roi Astolphe se
livrant à la chasse au milieu d’une forêt, et frappé du jugement de Dieu, fut
renversé de son cheval contre un arbre, et par une mort cruelle, mais méritée,
perdit son royaume et la vie [756]. Les Lombards, avec le consentement du
roi Pépin, et d’après l’avis de ses grands, élevèrent Didier sur le trône de
leur pays.
Pendant que cela se passait [757],
le roi Pépin envoya une ambassade à Constantinople à l’empereur Constantin,
pour s’assurer de son amitié, et régler les intérêts de son pays. L’empereur,
Constantin lui envoya également des députés porteurs de beaucoup de présents,
et ils se promirent l’un à l’autre foi et amitié. Je ne sais par quelle cause les promesses qu’ils s’étaient faites ne
s’accomplirent nullement.
Après que le pays se fut reposé
de guerres pendant deux ans, le roi Pépin envoya des députés à Waïfer, prince d’Aquitaine, pour lui demander de rendre aux
églises de son royaume les biens qu’elles possédaient en Aquitaine [760].
Il voulait que ces églises jouissent de leurs terres avec toutes les immunités
qui leur étaient jadis assurées : que Waïfer cessât de faire entrer sur leurs domaines, et contre l’usage ancien, des juges
et des percepteurs ; que ce prince lui payât, selon la loi, le prix de la
vie de certains Goths qu’il avait tués contre toute justice ; enfin, qu’il
remit en son pouvoir ceux des hommes de Pépin qui s’étaient enfuis du royaume
des Francs dans celui d’Aquitaine. Waïfer repoussa
avec dédain toutes ces demandes. Alors le roi Pépin, bien contre son gré, rassembla
une armée, traversa le pays de Troyes, et arriva à la ville d’Auxerre, pour
marcher de là sur l’Aquitaine. Arrivé avec les guerriers Francs au bord de la
Loire, il traversa ce fleuve près du bourg de Mesve,
dans le diocèse d’Auxerre, s’avança du Berry jusqu’en Auvergne, dévasta toute
cette contrée, et incendia la plus grande partie de l’Aquitaine. Le prince Waïfer demanda alors la paix par des députés, et s’engagea
par serment, et en livrant des otages, à réparer, dans un plaid convoqué à cet
effet, tous les torts dont s’était plaint le roi Pépin qui retourna avec toute
son armée, et sans aucune perte, dans ses propres États.
L’année suivante, c’est-à-dire la
dixième de son règne [761], Pépin ordonna à tous les seigneurs Francs de
se rendre au champ de mai, à Duren, dans le pays des Ripuaires, pour y traiter
des intérêts de la patrie. Sur ces entrefaites, Waïfer forma le coupable projet de surprendre par ruse le roi des Francs : il
s’entendit avec Chunibert, comte du Berry, et
Blandin, comte d’Auvergne, qui, envoyé vers Pépin l’année précédente, ainsi que Bertellan, évêque de la cité du Berry, avait
grandement excité par son langage la colère dudit roi. Accompagné de ces comtes, Waïfer fit passer en
secret toute son armée jusqu’à la ville de Châlons, et là il dévasta tout le
pays d’Autun, et incendia les faubourgs mêmes de Châlons, avec tout ce qui s’y
trouvait ; il mit le feu au domaine de Meillac, propriété du roi, et ne
rencontrant aucune résistance, retourna dans ses États chargé de dépouilles et
de butin. Lorsque Pépin fut informé que Waïfer,
oubliant ses serments, avait ravagé la plus grande partie de son royaume, il
fut saisi d’un violent courroux, et ordonna à tous les Francs de se réunir en
armes pour marcher vers la Loire. À la tête d’une nombreuse armée, il se rendit
à Troyes, de là à Nevers par Auxerre, et passant la Loire, il arriva au fort de Bourbon-l’Archambaut dans le Berry. Ce fort, auprès
duquel il dressa son camp, fut aussitôt pris et brûlé par les Francs. Le roi
emmena à sa suite les hommes de Waïfer qu’il y avait
trouvés, dévasta une bonne part de l’Aquitaine, parvint avec ses troupes jusque
dans la cité d’Auvergne, emporta le fort de Clermont, et y mit le feu. Un grand
nombre d’hommes et de femmes et même d’enfants frirent consumés dans cet incendie. Blandin, comte d’Auvergne, fut pris et conduit,
chargé de liens, en présence du roi. Beaucoup de Gascons furent tués ou pris
dans ce combat. Le roi Pépin, s’étant emparé de la ville, ravagea ensuite tout
le pays, et, avec l’aide de Dieu, rentra dans ses États avec beaucoup de butin,
sans avoir fait aucune perte.
L’année suivante, c’est-à-dire,
la onzième de son règne [762], le roi Pépin revint attaquer la ville de
Bourges avec une immense multitude de Francs ; il y dressa son camp,
dévasta les environs, et fit construire autour de la ville un rempart si fort
que personne ne pouvait plus entrer ni sortir. À l’aide de machines et de
toutes sortes d’inventions, et après plusieurs combats où périrent beaucoup de
guerriers, il renversa les murs, prit la ville, et, en vertu des droits de la
guerre, la réunit à ses États. Cependant, avec une pieuse clémence, il renvoya
libres les guerriers que Waïfer avait chargés de la
défense de Bourges, et ils retournèrent dans leur pays. Pépin emmena avec lui
le comte Chunibert avec d’autres Gascons qu’il avait
trouvés dans la ville, ordonna à leurs femmes et à leurs enfants de se rendre
également en France, fit relever les murs de Bourges, et en remit la garde à
ses propres comtes. Il s’avança ensuite avec son armée jusqu’au fort de
Thouars, et en fit le siége : ce fort fut pris
et brûlé avec une admirable promptitude. Pépin emmena en France les Gascons
qu’il y trouva, ainsi que leurs comtes, et, toujours
protégé du Christ, revint chez lui avec tous les Francs, charge d’un immense
butin.
La querelle fut longue entre le
roi Pépin et le prince Waïfer. Pépin, avec l’aide de
Dieu, croissait de plus en plus, et devenait chaque jour plus puissant. Au
contraire le parti de Waïfer et son pouvoir
dépérissaient de jour en jour. Ce prince s’appliquait sans cesse à tendre des
embûches et à faire quelque tort au roi des Francs. Il envoya le comte Mancion, son parent [765], avec d’autres comtes, du
côté de Narbonne pour qu’ils s’opposassent à l’arrivée des garnisons que le roi
Pépin faisait passer clans cette ville, avec mission de la défendre contre la
nation des Sarrasins, ou pour qu’au moins ils arrêtassent et missent à mort les
troupes des Francs lorsqu’elles retourneraient dans leur pays. Il arriva en
effet qu’au moment où les comtes Australd et Galeman se remettaient en route avec leurs guerriers pour
rentrer en France, ce Mancion, suivi d’une nombreuse
bande de Gascons, se jeta sur eux et leur livra un rude combat. Mais Galeman et Australd, protégés de
Dieu, le tuèrent avec ses compagnons. Aussitôt les Gascons prirent la fuite,
perdirent tous les chevaux qu’ils avaient amenés, et un bien petit nombre
d’entre eux réussit à s’échapper à travers les montagnes et les vallées. Les
Francs, tout joyeux, rentrèrent dans leur patrie avec les chevaux et les
dépouilles de leurs ennemis.
Pendant que les Francs et les
Gascons se faisaient ainsi une guerre continuelle, Chilping,
comte d’Auvergne, rassembla des troupes et entra en Bourgogne dans le diocèse
de Lyon pour y faire du butin. Adalard, comte de Châlons, et le comte Australd, marchèrent contre lui avec leurs guerriers ;
ils se combattirent rudement sur le bord de la Loire, mais Chilping fut tué dans le combat par les comtes que je viens de nommer, et tous ceux qui
l’entouraient périrent également. À cette vue les Gascons tournèrent le dos, et
un petit nombre se sauva dans les bois et les marais. Amanugues,
comte de Poitiers, ravageant partiellement le territoire de Tours, fut tué par
les hommes de Wulfard, abbé du monastère de Saint-Martin.
La plupart de ceux qui l’avaient accompagné eurent le même sort ;
quelques-uns seulement réussirent à s’échapper. Pendant que cela se passait, Remistan, oncle de Waïfer, vint
trouver le roi Pépin ; et s’engagea par serment à lui demeurer toujours
fidèle ainsi qu’à ses fils. Pépin le reçut au nombre des siens, et lui fit de
riches présents d’or, d’argent, d’habits, d’armes et de chevaux.
Ayant fait reconstruire ensuite
depuis les fondements le fort d’Argenton en Berry, et voulant y envoyer ses comtes pour le garder, le roi Pépin concéda ce fort à Remistan avec la moitié du Berry jusqu’à la rivière dit
Cher, pour qu’il le défendît contre les attaques de Waïfer.
Le prince Waïfer voyant que le roi des Francs, à
l’aide de ses machines, avait pris le fort de Clermont, ainsi que Bourges,
capitale de l’Aquitaine, et ville très fortifiée, désespéra de lui résister
désormais, et fit abattre les murs de toutes les villes qui lui appartenaient
en Aquitaine, savoir, Poitiers, Limoges, Saintes, Périgueux et beaucoup d’autres.
Le roi Pépin les fit réparer dans la suite et en confia la garde à ses
guerriers. À la fin de cette année, il revint avec toutes ses troupes dans ses
États.
L’année suivante, ayant convoqué
tous les guerriers Francs, et passant par les villes de Troyes et d’Auxerre, il
se rendit à Nevers, et là tint, avec tous ses grands, son plaid du champ de
mai. Passant ensuite la Loire, il entra en Aquitaine, s’avança jusqu’à Limoges,
dévasta toute la contrée et fit surtout incendier les domaines de Waïfer. Beaucoup de monastères furent dépeuplés par ses
ravages. Marchant de là sur Issoudun, le roi prit et ravagea la partie de
l’Aquitaine où il y avait le plus de vignes. Ainsi le pays d’où l’Aquitaine
toute entière, les monastères comme les églises, et les pauvres comme les
riches, avaient coutume de tirer du vin, fut occupé et pillé par les Francs. Waïfer, rassemblant alors une grande armée, formée surtout
des Gascons qui habitent au-delà de la Garonne, et portaient autrefois le nom
de Basques, marcha contre Pépin ; mais, selon leur coutume, tous les
Gascons tournèrent le dos, et beaucoup tombèrent sous les coups des Francs. Le
roi fit poursuivre Waïfer jusqu’à la nuit, et il
échappa à grand’peine avec quelques-uns des siens.
Dans ce combat fut tué Blandin, comte d’Auvergne, que le roi Pépin avait pris
peu auparavant, et qui s’était évadé pour rejoindre Waïfer.
Pépin, ainsi vainqueur avec l’aide de Dieu, revint en grand triomphe à Digoine, auprès de la Loire, et rentra dans ses États, en
traversant le pays d’Autun. Waïfer lui envoya des
députés, demandant qu’on lui rendît Bourges et les autres villes d’Aquitaine
que le roi lui avait enlevées, et promettant de se soumettre alors à son
pouvoir, ainsi que d’acquitter chaque année les tributs que ses prédécesseurs
avaient coutume de payer aux rois des Francs. Mais le roi, par le conseil de
ses grands, repoussa avec mépris cette proposition.
L’année suivante [766], ayant
convoqué toutes les troupes, soit des Francs, soit des autres nations, qui
habitaient dans son royaume, le roi Pépin vint à Orléans, y tint son plaid du
champ de mai, pour traiter des affaires publiques, et reçut, des Francs et de
ses grands, beaucoup de riches dons. Ensuite, passant de nouveau la Loire, il
poussa jusqu’à Agen et ravagea tout le pays. Voyant cela, les grands et le
peuple d’Aquitaine, contraints par la nécessité, vinrent en grand nombre le
trouver, lui prêtèrent serment et se soumirent à son pouvoir. S’étant ainsi
emparé de toute l’Aquitaine, et chargé d’un immense butin, le roi Pépin rentra
en France avec ses guerriers, en traversant le pays d’Angoulême et de
Périgueux.
L’année suivante [767], le
roi, toujours suivi de l’armée des Francs, et passant par Troyes et Auxerre,
après s’être arrêté au fort de Gordon, prés de
Sancerre, traversa la Loire en paix avec sa femme, la reine Bertrade, se rendit
à Bourges, et donna l’ordre d’y construire un palais. Il y tint, selon la
coutume, le champ de mai, et, après en avoir délibéré avec ses grands, il
laissa dans cette ville la reine Bertrade sous la garde de comtes fidèles, et
marcha lui-même avec le reste des Francs à la poursuite de Waïfer.
N’ayant pu l’atteindre et l’hiver s’approchant, il revint avec son armée à
Bourges, où était restée la reine.
Sur ces entrefaites, Remistan, fils d’Eudes, manqua à la foi qu’il avait jurée
au roi Pépin, et se remit du parti de Waïfer, qui le
reçut avec grande joie, comptant sur son secours pour faire la guerre au roi
des Francs. Remistan montra une grande fureur contre
Pépin et les garnisons des villes qui naguère lui étaient confiées. Il ravagea
le territoire de Bourges et de Limoges, à tel point qu’aucun colon n’osait
labourer les champs ni cultiver les vignes. Cependant le roi Pépin passa tout
l’hiver dans son palais de Bourges avec la reine Bertrade. Il envoya son armée
hiverner en Bourgogne, et, d’après l’avis des évêques, célébra solennellement à
Bourbes les fêtes de Noël et de la sainte Épiphanie.
L’année ayant fini son cours,
Pépin rappela, vers le milieu de février [768], l’armée qu’il avait
envoyée passer l’hiver en Bourgogne, et, décidé à tendre des embûches à Remistan, il fit partir en secret Hermenald,
Béranger, Childerad et Chunibert,
comte du Berry, avec plusieurs autres comtes et Leudes, les chargeant de
s’emparer de la personne de cet infidèle. Il marcha ensuite lui-même avec son
armée pour attaquer Waïfer. De son côté, la reine
Bertrade alla à Orléans et de là se rendit par eau au château de Selles, situé
sur le bord de la Loire.
On vint peu après annoncer au roi
que les députés qu’il avait jadis envoyés à Almanzor,
roi des Sarrasins, étaient enfin, au bout de trois ans, revenus à Marseille,
ramenant, de la part de ce roi, une ambassade qui apportait beaucoup de
présents. À cette nouvelle, Pépin envoya aux ambassadeurs Sarrasins des députés
chargés de les recevoir avec honneur et de les conduire à Metz pour y passer
l’hiver.
Les comtes à qui le roi avait
ordonné de prendre Remistan, s’en emparèrent par la
volonté de Dieu, et l’amenèrent chargé de liens en présence du roi, ainsi que
sa femme. Le roi enjoignit à Chunibert et à Ghislar, comtes du Berry, de le pendre à l’instant. Il
marcha ensuite lui-même jusqu’aux bords de la Garonne, et là, les Gascons qui
demeuraient au-delà de ce fleuve vinrent le trouver, lui prêtèrent serment, lui
remirent des otages et s’engagèrent à lui demeurer toujours fidèles, ainsi qu’à
ses fils Charles et Carloman. Beaucoup d’autres nations du parti de Waïfer se soumirent également à son pouvoir, et il les
reçut avec une grande bonté. Waïfer, se cachant, et
plein d’inquiétude, errait de côté et d’autre avec une petite suite dans la
forêt de Ver, au pays de Périgueux. Le roi Pépin prépara des embûches pour
s’emparer de lui. Allant ensuite retrouver la reine à Selles, il fit venir dans
ce château les ambassadeurs Sarrasins qui avaient passé l’hiver à Metz, et ils
lui offrirent les présents que lui envoyait Almanzor.
Le roi leur fit à son tour de beaux présents, et les fit conduire à Marseille
avec de grands honneurs. Les Sarrasins retournèrent par mer dans leur pays.
Quittant alors le château de
Selles, le roi se remit, avec un petit nombre de guerriers, à la poursuite de Waïfer, et arriva presque seul à Saintes avec une promptitude
admirable. Waïfer, informé de son approche, prit la
fuite, selon son usage. Pépin envoya de quatre côtés différents les comtes de
sa cavalerie et ses Leudes, pour qu’ils le cherchassent partout. Sur ces
entrefaites, le prince Waïfer fut tué par les siens à
l’instigation du roi, d’après ce qu’on rapporte. Pépin s’étant alors emparé de
toute l’Aquitaine, car les Aquitains vinrent tous se soumettre à son pouvoir,
comme par le passé, il revint en grand triomphe à Saintes, où était demeurée la
reine Bertrade.
De retour dans cette ville, et
pendant qu’il y traitait des affaires de la patrie, le roi, saisi d’une
certaine fièvre, commença à être malade, et partit laissant là ses comtes et ses juges. Il se rendit par Poitiers dans la
ville de Tours, au monastère de Saint-Martin, et y fit de grandes largesses
tant aux pauvres qu’aux monastères et aux églises. Il supplia saint Martin
d’invoquer, pour ses péchés, la miséricorde du Seigneur. Se remettant ensuite
en marche avec la reine Bertrade et ses fils Charles et Carloman, il arriva à
Paris et demeura quelque temps dans le monastère de Saint-Denis. Voyant alors
qu’il touchait à la fin de sa vie, il fit venir tous ses grands, tant les ducs
et les comtes que les prêtres et les évêques, et là, avec leur consentement et
pendant qu’il vivait encore, il partagea également entre ses fils le royaume
des Francs, qu’il avait possédé. Il donna à Charles, son fils aîné, le royaume
d’Austrasie, à Carloman, le plus jeune, le royaume de Bourgogne, la Provence,
la Gothie, l’Alsace et le pays des Allemands, et il
divisa entre eux l’Aquitaine qu’il venait de conquérir. Cela fait, le roi
Pépin, et c’est une douleur de le dire, mourut au bout de peu de jours. Selon
sa volonté, les rois Charles et Carloman, ses fils, l’ensevelirent avec de
grands honneurs dans le monastère de Saint-Denis. Il avait régné vingt-cinq ans.
Après ses obsèques, les deux rois
se rendirent, chacun avec ses Leudes, dans la capitale de son royaume ; et
là, ayant convoqué leur plaid et délibéré avec leurs grands, le 9 octobre, et
tous deux au même jour, ils furent élevés au trône par les seigneurs et les
évêques, Charles à Noyon, et Carloman à Soissons.
Fin de la chronique de Frédégaire.
|