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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

LIVRE IV. DIRECTOIRE. CHAPITRE XIX.

RETOUR DE BONAPARTE; SON DÉBARQUEMENT A FRÉJUS; ENTHOUSIASME QU'IL INSPIRE.—AGITATION DE TOUS LES PARTIS A SON ARRIVÉE.—IL SE COALISE AVEC SIÈYES POUR RENVERSER LA CONSTITUTION DIRECTORIALE. —PRÉPARATIFS ET JOURNÉE DU 18 BRUMAIRE.—RENVERSEMENT DE LA CONSTITUTION DE L'AN III; INSTITUTION DU CONSULAT PROVISOIRE.— FIN DE CETTE HISTOIRE.

Les nouvelles de la bataille de Zurich et de la capitulation des Anglo-Russes se succédèrent presque immédiatement, et rassurèrent les imaginations épouvantées. C'était la première fois que ces Russes si odieux étaient battus, et ils l'étaient si complètement, que la satisfaction devait être profonde. Mais l'Italie était toujours perdue, le Var était menacé, la frontière du Midi en péril. Les grandeurs de Campo-Formio ne nous étaient pas rendues. Du reste, les périls les plus grands n'étaient pas au dehors, mais au dedans. Un gouvernement désorganisé, des partis ingouvernables, qui ne voulaient pas subir l'autorité et qui n'étaient cependant plus assez forts pour s'en emparer; partout une espèce de dissolution sociale, et le brigandage, signe de cette dissolution, infestant les grandes routes, surtout dans les provinces déchirées autrefois par la guerre civile; telle était la situation de la république. Un répit de quelques mois étant assuré par la victoire de Zurich, c'était moins d'un défenseur qu'on manquait dans le moment, que d'un chef qui s'emparât des rênes du gouvernement. La masse entière de la population voulait à tout prix du repos, de l'ordre, la fin des disputes, l'unité des volontés. Elle avait peur des jacobins, des émigrés, des chouans, de tous les partis. C'était le moment d'une merveilleuse fortune pour celui qui calmerait toutes ces peurs.

Les dépêches contenant le récit de l'expédition de Syrie, des batailles du mont Thabor et d'Aboukir, produisirent un effet extraordinaire, et confirmèrent cette idée que le héros de Castiglione et de Rivoli resterait vainqueur partout où il se montrerait. Son nom se retrouva aussitôt dans toutes les bouches, et la question que fait-il? quand vient-il? se renouvela de toutes parts. S'il allait revenir! disait-on... Par un instinct singulier, le bruit qu'il était arrivé courut deux ou trois fois. Ses frères lui avaient écrit, sa femme aussi; mais on ignorait si ces dépêches lui étaient parvenues. On a vu en effet qu'elles n'avaient pu traverser les croisières anglaises.

Pendant ce temps, cet homme, objet de voeux si singuliers, voguait tranquillement sur les mers, au milieu des flottes anglaises. La traversée n'était pas heureuse, et les vents contraires la prolongeaient. Plusieurs fois on avait vu les Anglais, et on avait craint de devenir leur proie. Lui seul, se promenant sur le pont de son vaisseau avec un air calme et serein, se confiant à son étoile, apprenait à y croire et à ne pas s'agiter pour des périls inévitables. Il lisait la Bible et le Koran, oeuvres des peuples qu'il venait de quitter. Craignant, d'après les derniers événemens, que le midi de la France ne fût envahi, il avait fait gouverner, non vers les côtes de Provence, mais vers celles du Languedoc. Il voulait débarquer à Collioure ou à Port-Vendres. Un coup de vent l'avait ramené vers la Corse. L'île entière était accourue au-devant du célèbre compatriote. On avait ensuite fait voile vers Toulon. On allait arriver, lorsque tout à coup, au coucher du soleil, on vit sur le flanc gauche du vaisseau, trente voiles ennemies: on les voyait au milieu des rayons du soleil couchant. On proposait de mettre un canot à la mer pour aborder furtivement à terre. Se confiant toujours dans le destin, Bonaparte dit qu'il fallait attendre. L'ennemi, en effet, disparut, et le 17 vendémiaire an VIII (octobre 1799), à la pointe du jour, les frégates le Muiron et la Carrère, les chebecks la Revanche et la Fortune, vinrent mouiller dans le golfe de Fréjus.

Les habitans de la Provence avaient craint, pendant trois années de suite, l'invasion de l'ennemi. Bonaparte les avait délivrés de cette crainte en 1796; mais elle leur était revenue plus grande que jamais depuis la bataille de Novi. En apprenant que Bonaparte était mouillé sur la côte, ils crurent leur sauveur arrivé. Tous les habitans de Fréjus accoururent, et en un instant la mer fut couverte d'embarcations. Une multitude, ivre d'enthousiasme et de curiosité, envahit les vaisseaux, et, violant toutes les lois sanitaires, communiqua avec les nouveaux arrivés. Tous demandaient Bonaparte, tous voulaient le voir. Il n'était plus temps de faire observer les lois sanitaires. L'administration de la santé dut dispenser le général de la quarantaine, car il aurait fallu condamner à la même précaution toute la population, qui avait déjà communiqué avec les équipages. Bonaparte descendit sur-le-champ à terre, et le jour même voulut monter en voiture pour se rendre à Paris.

Le télégraphe, aussi prompt que les vents, avait déjà répandu sur la route de Fréjus à Paris, la grande nouvelle du débarquement de Bonaparte. Sur-le-champ la joie la plus confuse avait éclaté. La nouvelle, annoncée sur tous les théâtres, y avait produit des élans extraordinaires. Les chants patriotiques avaient remplacé partout les représentations théâtrales. Le député Baudin (des Ardennes), l'un des auteurs de la constitution de l'an III, républicain sage et sincère, attaché à la république jusqu'à la passion, et la croyant perdue si un bras puissant ne venait la soutenir, Baudin (des Ardennes) expira de joie en apprenant cet événement.

Bonaparte était parti le jour même du 15 vendémiaire (9 octobre) pour Paris. Il avait passé par Aix, Avignon, Valence, Lyon. Dans toutes ces villes, l'enthousiasme fut immodéré. Les cloches retentissaient dans les villages, et pendant la nuit des feux étaient allumés sur les routes. A Lyon surtout, les élans furent plus vifs encore que partout ailleurs. En partant de cette dernière ville, Bonaparte, qui voulait arriver incognito, prit une autre route que celle qu'il avait indiquée à ses courriers. Ses frères et sa femme, trompés sur sa direction, couraient à sa rencontre, tandis qu'il arrivait à Paris. Le 24 vendémiaire (16 octobre), il était déjà dans sa maison de la rue Chantereine, sans que personne se doutât de son arrivée. Deux heures après, il se rendit au directoire. La garde le reconnut, et poussa, en le voyant, le cri de Vive Bonaparte! Il courut chez le président du directoire, c'était Gohier. Il fut convenu qu'il serait présenté le lendemain au directoire. Le lendemain 25, il se présenta en effet devant cette magistrature suprême. Il dit qu'après avoir consolidé l'établissement de son armée en Égypte, par les victoires du mont Thabor et d'Aboukir, et confié son sort à un général capable d'en assurer la prospérité, il était parti pour voler au secours de la république, qu'il croyait perdue. Il la trouvait sauvée par les exploits de ses frères d'armes, et il s'en réjouissait. Jamais, ajoutait-il en mettant la main sur son épée, jamais il ne la tirerait que pour la défense de cette république. Le président le complimenta sur ses triomphes et sur son retour, et lui donna l'accolade fraternelle. L'accueil fut en apparence très flatteur, mais au fond les craintes étaient maintenant trop réelles et trop justifiées par la situation, pour que son retour fît plaisir aux cinq magistrats républicains.

Lorsque après une longue apathie, les hommes se réveillent et s'attachent à quelque chose, c'est avec passion. Dans ce néant où étaient tombées les opinions, les partis et toutes les autorités, on était demeuré quelque temps sans s'attacher à rien. Le dégoût des hommes et des choses était universel. Mais à l'apparition de l'individu extraordinaire que l'Orient venait de rendre à l'Europe d'une manière si imprévue, tout dégoût, toute incertitude venaient de cesser. C'est sur lui que se fixèrent sur-le-champ les regards, les voeux et les espérances.

Tous les généraux, employés ou non employés, patriotes ou modérés, tous accoururent chez Bonaparte. C'était naturel, puisqu'il était le premier membre de cette classe si ambitieuse et si mécontente. En lui elle semblait avoir trouvé un vengeur contre le gouvernement. Tous les ministres, tous les fonctionnaires successivement disgraciés pendant les fluctuations du directoire, accoururent aussi auprès du nouvel arrivé. Ils allaient en apparence visiter le guerrier illustre, et en réalité observer et flatter l'homme puissant auquel l'avenir semblait appartenir.

Bonaparte avait amené Lannes, Murat et Berthier, qui ne le quittaient pas. Bientôt Jourdan, Augereau, Macdonald, Beurnonville, Leclerc, Lefebvre, Marbot, malgré des différences d'opinions, se montrèrent auprès de lui. Moreau lui-même fit bientôt partie de ce cortége. Bonaparte l'avait rencontré, chez Gohier. Sentant que sa supériorité lui permettait de faire les premiers pas, il alla à Moreau, lui témoigna son impatience de le connaître, et lui exprima une estime qui le toucha profondément. Il lui donna ensuite un damas enrichi de pierreries, et parvint à le gagner tout à fait. En quelques jours Moreau fut de sa cour. Il était mécontent aussi, et il allait avec tous ses camarades chez le vengeur présumé. A ces guerriers illustres se joignirent des hommes de toutes les carrières: on y vit Bruix, l'ex-ministre de la marine, qui venait de parcourir la Méditerranée à la tête des flottes française et espagnole, homme d'un esprit fin et délié, aussi habile à conduire une négociation qu'à diriger une escadre. On y vit aussi M. de Talleyrand, qui avait des raisons de craindre le mécontentement de Bonaparte, pour n'être point allé en Égypte. Mais M. de Talleyrand comptait sur son esprit, sur son nom, sur son importance, pour être bien accueilli; il le fut bien. Ces deux hommes avaient trop de goût l'un pour l'autre, et trop besoin de se rapprocher, pour se bouder mutuellement. On voyait encore rue Chantereine Roederer, l'ancien procureur de la commune, homme plein de franchise et d'esprit; Régnault de Saint-Jean-d'Angély, ancien constituant auquel Bonaparte s'était attaché en Italie, et qu'il avait employé à Malte, orateur brillant et fécond.

Mais ce n'étaient pas seulement les disgraciés, les mécontens, qui se rendaient chez Bonaparte. Les chefs actuels du gouvernement s'y montrèrent avec le même empressement. Tous les directeurs et tous les ministres lui donnèrent des fêtes, comme au retour d'Italie. Une grande partie des députés des deux conseils se firent présenter chez lui. Les ministres et les directeurs lui décernèrent un hommage bien plus flatteur, ils vinrent le consulter à chaque instant sur ce qu'ils avaient à faire. Dubois-Crancé, le ministre de la guerre, avait en quelque sorte transporté son portefeuille chez Bonaparte. Moulins, celui des directeurs qui s'occupait spécialement de la guerre, passait une partie des matinées avec lui. Gohier, Roger-Ducos y allaient aussi. Cambacérès, ministre de la justice, jurisconsulte habile, qui avait pour Bonaparte le goût que les hommes faibles ont pour la force, et que Bonaparte affectait de caresser pour prouver qu'il savait apprécier le mérite civil; Fouché, ministre de la police, qui voulait échanger son protecteur usé, Barras, contre un protecteur neuf et puissant; Réal, commissaire près le département de la Seine, ardent et généreux patriote, et l'un des hommes les plus spirituels du temps, étaient également assidus auprès de Bonaparte, et s'entretenaient avec lui des affaires de l'état. Il y avait à peine huit jours que le général était à Paris, et déjà le gouvernement des affaires lui arrivait presque involontairement. A défaut de sa volonté, qui n'était rien encore, on lui demandait son avis. Pour lui, avec sa réserve accoutumée, il affectait de se soustraire aux empressemens dont il était l'objet. Il refusait beaucoup de monde, il se montrait peu, et ne sortait pour ainsi dire qu'à la dérobée. Son visage était devenu plus sec, son teint plus foncé. Il portait depuis son retour une petite redingote grise et un sabre turc attaché à un cordon de soie. Pour ceux qui avaient eu la bonne fortune de le voir, c'était un emblème qui rappelait l'Orient, les Pyramides, le mont Thabor, Aboukir. Les officiers de la garnison, les quatre adjudans de la garde nationale, l'état-major de la place demandaient à lui être présentés. Il différait de jour en jour, et semblait ne se prêter qu'à regret à tous ces hommages. Il écoutait, ne s'ouvrait encore à personne, et observait toutes choses. Cette politique était profonde. Quand on est nécessaire, il ne faut pas craindre d'attendre. On irrite l'impatience des hommes, ils accourent à vous, et vous n'avez plus qu'à choisir.

Que va faire Bonaparte? était la question que tout le monde s'adressait. Elle prouvait qu'il y avait quelque chose d'inévitable à faire. Deux partis principaux, et un troisième, subdivision des deux autres, s'offraient à lui, et étaient disposés à le servir, s'il adoptait leurs vues: c'étaient les patriotes, les modérés ou politiques, enfin les pourris, comme on les appelait, corrompus de tous les temps et de toutes les factions.

Les patriotes se défiaient bien de Bonaparte et de son ambition; mais avec leur goût de détruire, et leur imprévoyance du lendemain, ils se seraient servis de son bras pour tout renverser, sauf à s'occuper ensuite de l'avenir. Du reste, il n'y avait de cet avis que les forcenés, qui, toujours mécontens de ce qui existait, regardaient le soin de détruire comme le plus pressant de tous. Le reste des patriotes, ceux qu'on pouvait appeler les républicains, se défiaient de la renommée du général, voulaient tout au plus qu'on lui donnât place au directoire, voyaient même avec peine qu'il fallût pour cela lui accorder une dispense d'âge, et souhaitaient par-dessus tout qu'il allât aux frontières, relever la gloire de nos armes, et rendre à la république sa première splendeur.

Les modérés ou politiques, gens craignant les fureurs des partis, et surtout celles des jacobins, n'espérant plus rien d'une constitution violée et usée, voulaient un changement, et souhaitaient qu'il se fît sous les auspices d'un homme puissant. «Prenez le pouvoir, faites-nous une constitution sage et modérée, et donnez-nous de la sécurité;» tel était le langage intérieur qu'ils adressaient à Bonaparte. Ils composaient le parti le plus nombreux en France. Il y entrait même beaucoup de patriotes compromis, qui, ayant peur pour la révolution, voulaient en confier le salut à un homme puissant. Ils avaient la majorité dans les anciens, une minorité assez forte dans les cinq-cents. Ils avaient suivi jusqu'ici la plus grande renommée civile, celle de Sièyes, et s'y étaient d'autant plus attachés que Sièyes avait été plus maltraité au Manége. Aujourd'hui ils devaient courir avec bien plus d'empressement au-devant de Bonaparte, car c'était la force qu'ils cherchaient, et elle était bien plus grande dans un général victorieux que dans un publiciste, quelque illustre qu'il fût.

Les pourris enfin étaient tous les fripons, tous les intrigans qui cherchaient à faire fortune, qui s'étaient déshonorés en la faisant, et qui voulaient la faire encore au même prix. Ils suivaient Barras et le ministre de la police Fouché. Il y avait de tout parmi eux, des jacobins, des modérés, des royalistes même. Ce n'était point un parti, mais une coterie nombreuse.

Il ne faut pas, à la suite de cette énumération, compter les partisans de la royauté. Ils étaient trop annulés depuis le 18 fructidor, et d'ailleurs Bonaparte ne leur inspirait rien. Un tel homme ne pouvait songer qu'à lui, et ne pouvait prendre le pouvoir pour le remettre à d'autres. Ils se contentaient donc de faire nombre avec les ennemis du directoire, et de l'accuser dans la langue de tous les partis.

Parmi ces différens partis, Bonaparte ne pouvait faire qu'un choix. Les patriotes ne lui convenaient pas du tout. Les uns, attachés à ce qui existait, se défiaient de son ambition; les autres voulaient un coup de main, puis rien que des agitations interminables, et on ne pouvait rien fonder avec eux. D'ailleurs ils étaient en sens contraire de la marche du temps, et ils exhalaient leurs dernières ardeurs. Les pourris n'étaient rien, ils n'étaient quelque chose que dans le gouvernement, où ils s'étaient naturellement introduits, car c'est là que tendent toujours leurs voeux. Au reste, il n'y avait qu'à ne pas s'en occuper; ils devaient venir à celui qui réunirait le plus de chances en sa faveur, parce qu'ils voulaient rester en possession des places et de l'argent. Le seul parti sur lequel Bonaparte pût s'appuyer était celui qui, partageant les besoins de toute la population, voulût mettre la république à l'abri des factions, en la constituant d'une manière solide. C'était là qu'était tout avenir, c'était là qu'il devait se ranger.

Son choix ne pouvait être douteux: par instinct seul il était fait d'avance. Bonaparte avait horreur des hommes turbulens, dégoût des hommes corrompus. Il ne pouvait aimer que ces hommes modérés qui voulaient qu'on gouvernât pour eux. C'était d'ailleurs la nation même. Mais il fallait attendre, se laisser prévenir par les offres des partis, et observer leurs chefs, pour voir avec lesquels d'entre eux on pourrait faire alliance.

Les partis étaient tous représentés au directoire. Les patriotes avaient, comme on l'a vu, Moulins et Gohier. Les pourris avaient Barras. Les politiques ou modérés avaient Sièyes et Roger-Ducos.

Gohier et Moulins, patriotes sincères et honnêtes, plus modérés que leur parti, parce qu'ils étaient au pouvoir, admiraient Bonaparte; mais ne voulant se servir de son épée que pour la gloire de la constitution de l'an III, ils souhaitaient de l'envoyer aux armées. Bonaparte les traitait avec beaucoup d'égards; il estimait leur honnêteté, car il l'a toujours aimée chez les hommes (c'est un goût naturel et intéressé chez un homme né pour gouverner). D'ailleurs, les égards qu'il avait pour eux étaient un moyen de prouver qu'il honorait les vrais républicains. Sa femme s'était liée avec celle de Gohier. Elle calculait aussi, et elle avait dit à madame Gohier: «Mon intimité avec vous répondra à toutes les calomnies.»

Barras, qui sentait sa fin politique approcher, et qui voyait dans Bonaparte un successeur inévitable, le détestait profondément. Il aurait consenti à le flatter comme autrefois, mais il se sentait plus méprisé que jamais par lui, et il en demeurait éloigné. Bonaparte avait pour cet épicurien ignorant, blasé, corrompu, une aversion tous les jours plus insurmontable. Le nom de pourris qu'il avait donné à lui et aux siens, prouvait assez son dégoût et son mépris. Il était difficile qu'il consentît à s'allier à lui.

Restait l'homme vraiment important, c'était Sièyes, entraînant à sa suite Roger-Ducos. En appelant Sièyes au directoire au moment du 30 prairial, il semblait qu'on eût songé à se jeter dans ses bras. Bonaparte lui en voulait presque d'avoir pris la première place en son absence; d'avoir fixé un moment les esprits, et d'avoir fait naître des espérances. Il avait contre lui une humeur qu'il ne s'expliquait pas. Quoique fort opposés par le génie et les habitudes, ils avaient cependant assez de supériorité pour s'entendre et se pardonner leurs différences, mais trop d'orgueil pour se faire des concessions. Malheureusement ils ne s'étaient point encore adressé la parole, et deux grands esprits qui ne se sont pas encore flattés, sont naturellement ennemis. Ils s'observaient, et chacun des deux attendait que l'autre fît les premiers pas. Ils se rencontrèrent à dîner chez Gohier. Bonaparte s'était senti assez au-dessus de Moreau pour faire les premiers pas; il ne crut pas pouvoir les faire envers Sièyes, et il ne lui parla pas. Celui-ci garda le même silence. Ils se retirèrent furieux. «Avez-vous vu ce petit insolent? dit Sièyes; il n'a pas même salué le membre d'un gouvernement qui aurait dû le faire fusiller.—Quelle idée a-t-on eue, dit Bonaparte, de mettre ce prêtre au directoire? il est vendu à la Prusse, et, si on n'y prend garde, il vous livrera à elle.»

Ainsi, dans les hommes de la plus grande supériorité, l'orgueil l'emporte même sur la politique. Si, du reste, il en était autrement, ils n'auraient plus cette hauteur qui les rend propres à dominer les hommes. Ainsi, le personnage que Bonaparte avait le plus d'intérêt à gagner, était celui pour lequel il avait le plus d'éloignement. Mais leurs intérêts étaient tellement identiques, qu'ils allaient être, malgré eux-mêmes, poussés l'un vers l'autre par leurs propres partisans.

Tandis qu'on s'observait, et que l'affluence chez Bonaparte allait toujours croissant, celui-ci, incertain encore du parti qu'il devait prendre, avait sondé Gohier et Ducos, pour savoir s'ils voudraient consentir à ce qu'il fût directeur, quoiqu'il n'eût pas l'âge nécessaire. C'était à la place de Sièyes qu'il aurait voulu entrer au gouvernement. En excluant Sièyes, il devenait le maître de ses autres collègues, et était assuré de gouverner sous leur nom. C'était sans doute un succès bien incomplet; mais c'était un moyen d'arriver au pouvoir, sans faire précisément une révolution; et une fois arrivé, il avait le temps d'attendre. Soit qu'il fût sincère, soit qu'il voulût les tromper, ce qui est possible, et leur persuader qu'il ne portait pas son ambition au-delà d'une place au directoire, il les sonda et les trouva intraitables sous le rapport de l'âge. Une dispense, quoique donnée par les conseils, leur paraissait une infraction à la constitution. Il fallut renoncer à cette idée.

Les deux directeurs Gohier et Moulins, commençant à s'inquiéter de l'ardeur que Bonaparte montrait pour les fonctions politiques, imaginèrent de l'éloigner, en lui donnant le commandement d'une armée. Sièyes ne fut pas de cet avis, et dit avec humeur que, loin de lui fournir l'occasion d'une gloire nouvelle, il fallait, au contraire, l'oublier et le faire oublier. Comme on parlait de l'envoyer en Italie, Barras dit qu'il y avait assez bien fait ses affaires pour n'avoir pas envie d'y retourner. Enfin il fut décidé qu'on l'appellerait pour l'inviter à prendre un commandement, en lui laissant le choix de l'armée à commander.

Bonaparte, mandé, se rendit au directoire. Il connaissait le propos de Barras. Avant qu'on lui eût notifié l'objet pour lequel on l'appelait, il prit la parole d'un ton haut et menaçant, cita le propos dont il avait à se plaindre, et, regardant Barras, dit que s'il avait fait sa fortune en Italie, ce n'était pas, du moins, aux dépens de la république. Barras se tut. Le président Gohier répondit à Bonaparte que le gouvernement était persuadé que ses lauriers étaient la seule fortune qu'il eût rapportée d'Italie. Il lui dit ensuite que le directoire l'invitait à prendre un commandement, et lui laissait d'ailleurs le choix de l'armée. Bonaparte répondit froidement qu'il n'était pas encore assez reposé de ses fatigues, que la transition d'un climat sec à un climat humide l'avait fortement éprouvé, et qu'il lui fallait encore quelque temps pour se remettre. Il se retira sans plus d'explication. Un pareil fait devait avertir les directeurs de ses vues, et l'avertir lui-même de leurs défiances.

C'était un motif de se hâter: ses frères, ses conseillers habituels, Roederer, Réal, Régnault de Saint-Jean-d'Angély, Bruix, Talleyrand, lui amenaient tous les jours des membres du parti modéré et politique dans les conseils. C'étaient, dans les cinq-cents, Boulay (de la Meurthe), Gaudin, Chazal, Cabanis, Chénier; dans les anciens, Cornudet, Lemercier, Fargues, Daunou. Leur avis à tous était qu'il fallait s'allier au vrai parti, au parti réformateur, et s'unir à Sièyes, qui avait une constitution toute faite, et la majorité dans le conseil des anciens. Bonaparte était bien de leur avis, et sentait qu'il n'avait pas de choix à faire; mais il fallait qu'on le rapprochât de Sièyes, et c'était difficile. Cependant les intérêts étaient si grands, et il y avait entre son orgueil et celui de Sièyes des entremetteurs si délicats, si adroits, que l'alliance ne pouvait pas tarder à se faire. M. de Talleyrand eût concilié des orgueils encore plus sauvages que celui de ces deux hommes. Bientôt la négociation fut entamée et achevée. Il fut convenu qu'une constitution plus forte serait donnée à la France, sous les auspices de Sièyes et de Bonaparte. Sans qu'on se fût expliqué sur la forme et l'espèce de cette constitution, il fut sous-entendu qu'elle serait républicaine, mais qu'elle délivrerait la France de ce que l'un et l'autre appelaient les bavards, et donnerait aux deux esprits puissans qui s'alliaient la plus grande part d'influence.

Un systématique rêvant l'accomplissement trop différé de ses conceptions, un ambitieux voulant régir le monde, étaient, au milieu de ce néant de tous les systèmes et de toutes les forces, éminemment propres à se coaliser. Peu importait l'incompatibilité de leur humeur. L'adresse des intermédiaires et la gravité des intérêts suffisaient pour pallier cet inconvénient, du moins pour un moment: et c'était assez d'un moment pour faire une révolution.

Bonaparte était donc décidé à agir avec Sièyes et Roger-Ducos. Il montrait toujours le même éloignement pour Barras, les mêmes égards pour Gohier et Moulins, et gardait une égale réserve avec les trois. Mais Fouché, habile à deviner la fortune naissante, voyait avec le plus grand regret l'éloignement de Bonaparte pour son patron Barras, et était désolé de voir que Barras ne fît rien pour vaincre cet éloignement. Il était tout à fait décidé à passer dans le camp du nouveau César; mais hésitant, par un reste de pudeur, à abandonner son protecteur, il aurait voulu l'y entraîner à sa suite. Assidu auprès de Bonaparte, et assez bien accueilli, parce qu'il avait le portefeuille de la police, il tâchait de vaincre sa répugnance pour Barras. Il était secondé par Réal, Bruix, et les autres conseillers du général. Croyant avoir réussi, il engagea Barras à inviter Bonaparte à dîner. Barras l'invita pour le 8 brumaire (30 octobre). Bonaparte s'y rendit. Après le dîner, ils commencèrent à s'entretenir des affaires. Bonaparte et Barras s'attendaient. Barras entra le premier en matière. Il débuta par des généralités sur sa situation personnelle. Espérant sans doute que Bonaparte affirmerait le contraire, il lui dit qu'il était malade, usé, et condamné à renoncer aux affaires. Bonaparte gardant toujours le silence, Barras ajouta que la république était désorganisée, qu'il fallait, pour la sauver, concentrer le pouvoir et nommer un président; et puis il nomma le général Hédouville, comme digne d'être élu. Hédouville était aussi inconnu que peu capable. Barras déguisait sa pensée, et désignait Hédouville pour ne pas se nommer lui-même. «Quant à vous, général, ajouta-t-il, votre intention est de vous rendre à l'armée; allez y acquérir une gloire nouvelle, et replacer la France à son véritable rang. Moi, je vais me rejeter dans la retraite dont j'ai besoin.» Bonaparte jeta un regard fixe sur Barras, ne répondit rien, et laissa là l'entretien. Barras interdit n'ajouta plus une seule parole. Bonaparte se retira sur-le-champ, et, avant de quitter le Luxembourg, passa dans l'appartement de Sièyes. Il vint lui déclarer d'une manière expresse qu'il voulait marcher avec lui seul, et qu'ils n'avaient plus qu'à convenir des moyens d'exécution. L'alliance fut scellée dans cette entrevue, et on convint de tout préparer pour le 18 ou le 20 brumaire.

Bonaparte en rentrant chez lui y trouva Fouché, Réal et les amis de Barras. «Eh bien, votre Barras, leur dit-il, savez-vous ce qu'il m'a proposé? de faire un président qui serait Hédouville, c'est-à-dire lui, et de m'en aller, moi, à l'armée. Il n'y a rien à faire avec un pareil homme.» Les amis de Barras voulurent réparer cette maladresse et cherchèrent à l'excuser. Mais Bonaparte insista peu, et changea d'entretien, car son parti était pris. Fouché se rendit aussitôt chez Barras, pour lui faire des reproches, et pour l'engager à aller corriger l'effet de ses gaucheries. Dès le lendemain matin, Barras courut chez Bonaparte pour excuser ses paroles de la veille; il lui offrit son dévouement et sa coopération à tout ce qu'il voudrait tenter. Bonaparte l'écouta peu, lui répondit par des généralités, et à son tour lui parla de ses fatigues, de sa santé délabrée, et de son dégoût des hommes et des affaires.

Barras se vit perdu et sentit son rôle achevé. Il était temps qu'il recueillît le prix de ses doubles intrigues et de ses lâches défections. Les patriotes ardens n'en voulaient plus depuis sa conduite envers la société du Manége; les républicains, attachés à la constitution de l'an III, n'avaient que du mépris et de la défiance pour lui. Les réformateurs, les politiques, n'y voyaient qu'un homme déconsidéré, et lui appliquaient le mot de pourri, imaginé par Bonaparte. Il ne lui restait que quelques intrigues avec les royalistes, au moyen de certains émigrés cachés dans sa cour. Ces intrigues étaient fort anciennes: elles avaient commencé dès le 18 fructidor. Il en avait fait part au directoire, et s'était fait autoriser à les poursuivre, pour avoir dans les mains les fils de la contre-révolution. Il s'était ainsi ménagé le moyen de trahir à volonté la république ou le prétendant. Il était question dans ce moment, avec ce dernier, d'une somme de quelques millions, pour seconder son retour. Il est possible, du reste, que Barras ne fût pas sincère avec le prétendant, car tous ses goûts devaient être pour la république. Mais savoir au juste les préférences de ce vieux corrompu, serait difficile. Peut-être les ignorait-il lui-même. D'ailleurs, à ce point de corruption, un peu d'argent doit malheureusement prévaloir sur toutes les préférences de goût ou d'opinion.

Fouché, désespéré de voir son patron perdu, désespéré surtout de se voir compromis dans sa disgrâce, redoubla d'assiduités auprès de Bonaparte. Celui-ci, se défiant d'un pareil homme, lui cacha tous ses secrets; mais Fouché ne se rebutant pas, parce qu'il voyait la victoire de Bonaparte assurée, résolut de vaincre ses rigueurs à force de services. Il avait la police, il la faisait habilement, et il savait que l'on conspirait partout. Il se garda d'en avertir le directoire, dont la majorité, composée de Moulins, Gohier et Barras, aurait pu tirer de ses révélations un parti funeste aux conjurés.

Il y avait une quinzaine de jours que Bonaparte était à Paris, et presque tout était déjà préparé. Berthier, Lannes, Murat, gagnaient chaque jour les officiers et les généraux. Parmi eux, Bernadotte par jalousie, Jourdan par attachement à la république, Augereau par jacobinisme, s'étaient rejetés en arrière, et avaient communiqué leurs craintes à tous les patriotes des cinq-cents; mais la masse des militaires était gagnée. Moreau, républicain sincère, mais suspect aux patriotes qui dominaient, mécontent du directoire qui avait si mal récompensé ses talens, n'avait de recours qu'en Bonaparte. Caressé, gagné par lui, et supportant très bien un supérieur, il déclara qu'il seconderait tous ses projets. Il ne voulait pas être mis dans le secret, car il avait horreur des intrigues politiques, mais il demandait à être appelé au moment de l'exécution. Il y avait à Paris les 8e et 9e de dragons, qui avaient servi autrefois sous Bonaparte en Italie, et qui lui étaient dévoués. Le 21e de chasseurs, organisé par lui quand il commandait l'armée de l'intérieur, et qui avait compté autrefois Murat dans ses rangs, lui appartenait également. Ces régimens demandaient toujours à défiler devant lui. Les officiers de la garnison, les adjudans de la garde nationale, demandaient aussi à lui être présentés, et ne l'avaient pas encore obtenu. Il différait, se réservant de faire concourir cette réception avec ses projets. Ses deux frères, Lucien et Joseph, et les députés de son parti, faisaient chaque jour de nouvelles conquêtes dans les conseils.

Une entrevue fut fixée le 15 brumaire avec Sièyes, pour convenir du plan et des moyens d'exécution. Ce même jour, les conseils devaient donner un banquet au général Bonaparte, comme on avait fait au retour d'Italie. Ce n'était point comme alors les conseils qui le donnaient officiellement. La chose avait été proposée en comité secret; mais les cinq-cents, qui, dans le premier moment du débarquement, avaient nommé Lucien président, pour honorer le général dans la personne de son frère, étaient maintenant en défiance, et se refusaient à donner un banquet. Il fut décidé alors qu'on le donnerait par souscription. Du reste, le nombre des souscripteurs fut de six à sept cents. Le repas eut lieu à l'église Saint-Sulpice; il fut froid et silencieux: tout le monde s'observait et gardait la plus grande réserve. Il était visible qu'on s'attendait à un grand événement, et qu'il était l'ouvrage d'une partie des assistans. Bonaparte fut sombre et préoccupé. C'était assez naturel, puisqu'au sortir de là il allait arrêter le lieu et l'heure d'une conjuration. A peine le dîner était-il achevé, qu'il se leva, fit avec Berthier le tour des tables, adressa quelques paroles aux députés, et se retira ensuite précipitamment.

Il se rendit chez Sièyes pour faire avec lui ses derniers arrangemens. Là, on convint d'abord du gouvernement qu'on substituerait à celui qui existait. Il fut arrêté qu'on suspendrait les conseils pour trois mois, qu'on substituerait aux cinq directeurs trois consuls provisoires, qui, pendant ces trois mois, auraient une espèce de dictature et seraient chargés de faire une constitution. Bonaparte, Sièyes et Roger-Ducos, devaient être les trois consuls. Il s'agissait ensuite de trouver les moyens d'exécution. Sièyes avait la majorité assurée dans les anciens. Comme on parlait tous les jours de projets incendiaires, formés par les jacobins, on imagina de supposer de leur part un projet d'attentat contre la représentation nationale. La commission des inspecteurs des anciens, toute à la disposition de Sièyes, devait proposer de transférer le corps législatif à Saint-Cloud. La constitution donnait, en effet, ce droit au conseil des anciens. Ce conseil devait à cette mesure en ajouter une autre qui n'était pas autorisée par la constitution, c'était de confier le soin de protéger la translation à un général de son choix, c'est-à-dire à Bonaparte. Les anciens devaient lui déférer en même temps le commandement de la 17e division militaire et de toutes les troupes cantonnées dans Paris. Bonaparte, avec ces forces, devait conduire le corps législatif à Saint-Cloud. Là, on espérait devenir maître des cinq-cents, et leur arracher le décret d'un consulat provisoire. Sièyes et Roger-Ducos devaient donner ce jour même leur démission de directeurs. On se proposait d'emporter celle de Barras, Gohier ou Moulins. Alors le directoire était désorganisé par la dissolution de la majorité; on allait dire aux cinq-cents qu'il n'y avait plus de gouvernement, et on les obligeait à nommer les trois consuls. Ce plan était parfaitement conçu, car il faut toujours, quand on veut faire une révolution, déguiser l'illégal autant qu'on le peut, se servir des termes d'une constitution pour la détruire, et des membres d'un gouvernement pour le renverser.

On fixa le 18 brumaire pour provoquer le décret de translation, et le 19 pour la séance décisive à Saint-Cloud. On se partagea la tâche. Le décret de translation, le soin de l'obtenir, fut confié à Sièyes et à ses amis. Bonaparte se chargea d'avoir la force armée et de conduire les troupes aux Tuileries.

Tout étant arrêté, ils se séparèrent. Il n'était bruit de toutes parts que d'un grand événement près d'éclater. C'est toujours ainsi que cela s'était passé. Il n'y a de révolutions qui réussissent que celles qui peuvent être connues d'avance. Fouché d'ailleurs se gardait d'avertir les trois directeurs restés en dehors de la conjuration. Dubois-Crancé, malgré sa déférence pour les lumières de Bonaparte en matière de guerre, était chaud patriote; il eut avis du projet, courut le dénoncer à Gohier et à Moulins, mais n'en fut pas cru. Ils croyaient bien à une grande ambition, mais non encore à une conjuration prête à éclater. Barras voyait bien un grand mouvement; mais il se sentait perdu de toute façon, et il se laissait lâchement aller aux événemens.

La commission des anciens, que présidait le député Cornet, eut la mission de tout préparer dans la nuit du 17 au 18, pour faire rendre le décret de translation. On ferma les volets et les rideaux des fenêtres, pour que le public ne fût pas averti par les lumières du travail de nuit qui se faisait dans les bureaux de la commission. On eut soin de convoquer le conseil des anciens pour sept heures, et celui des cinq-cents pour onze. De cette manière, le décret de translation devait être rendu avant que les cinq-cents fussent en séance; et, comme toute délibération était interdite par la constitution à l'instant où le décret de translation était promulgué, on fermait par cette promulgation la tribune des cinq-cents, et on s'épargnait toute discussion embarrassante. On eut un autre soin, ce fut de différer pour certains députés l'envoi des lettres de convocation. On fut certain par là que ceux dont on se défiait n'arriveraient qu'après la décision rendue.

De son côté, Bonaparte avait pris toutes les précautions nécessaires. Il avait mandé le colonel Sébastiani, qui commandait le 9e de dragons, pour s'assurer des dispositions du régiment. Ce régiment se composait de quatre cents hommes à pied et de six cents hommes à cheval. Il renfermait beaucoup de jeunes soldats; mais les vieux soldats d'Arcole et de Rivoli y donnaient le ton. Le colonel répondit du régiment à Bonaparte. Il fut convenu que le colonel, sous prétexte de passer une revue, sortirait à cinq heures de ses casernes, distribuerait son monde, partie sur la place de la Révolution, partie dans le jardin des Tuileries, et qu'il viendrait lui-même, avec deux cents hommes à cheval, occuper les rues du Mont-Blanc et Chantereine. Bonaparte fit ensuite dire aux colonels des autres régimens de cavalerie, qu'il les passerait en revue le 18. Il fit dire aussi à tous les officiers qui demandaient à lui être présentés, qu'il les recevrait le matin du même jour. Pour excuser le choix de l'heure, il prétexta un voyage. Il avertit Moreau et tous les généraux de vouloir bien se trouver rue Chantereine à la même heure. A minuit, il envoya un aide-de-camp à Lefebvre pour l'engager à passer chez lui à six heures du matin. Lefebvre était tout dévoué au directoire; mais Bonaparte comptait bien qu'il ne résisterait pas à son ascendant. Il n'avait fait prévenir ni Bernadotte ni Augereau. Il avait eu soin, pour tromper Gohier, de s'inviter à dîner chez lui le 18 même, avec toute sa famille, et en même temps, pour le décider à donner sa démission, il le fit prier par sa femme de venir le lendemain matin, à huit heures, déjeuner rue Chantereine.

Le 18 au matin, un mouvement imprévu de ceux mêmes qui concouraient à le produire, se manifesta de toutes parts. Une nombreuse cavalerie parcourait les boulevards; tout ce qu'il y avait de généraux et d'officiers dans Paris se rendaient en grand uniforme rue Chantereine, sans se douter de l'affluence qu'ils allaient y trouver. Les députés des anciens couraient à leur poste, étonnés de cette convocation si soudaine. Les cinq-cents ignoraient, pour la plupart, ce qui se préparait. Gohier, Moulins, Barras, étaient dans une complète ignorance. Mais Sièyes, qui depuis quelque temps prenait des leçons d'équitation, et Roger-Ducos, étaient déjà à cheval, et se rendaient aux Tuileries.

Dès que les anciens se furent assemblés, le président de la commission des inspecteurs prit la parole. La commission chargée de veiller à la sûreté du corps législatif avait, dit-il, appris que des projets sinistres se tramaient, que des conspirateurs accouraient en foule à Paris, y tenaient des conciliabules, et y préparaient des attentats contre la liberté de la représentation nationale. Le député Cornet ajouta que le conseil des anciens avait dans les mains le moyen de sauver la république, et qu'il devait en user. Ce moyen, c'était de transférer le corps législatif à Saint-Cloud pour le soustraire aux attentats des conspirateurs, de mettre pendant ce temps la tranquillité publique sous la garde d'un général capable de l'assurer, et de choisir Bonaparte pour ce général. A peine la lecture de cette proposition et du décret qui la contenait était-elle achevée, qu'une certaine émotion se manifesta dans le conseil. Quelques membres voulurent s'y opposer; Cornudet, Lebrun, Fargues, Régnier, l'appuyèrent. Le nom de Bonaparte, qu'on avait fait valoir, et de l'appui duquel on se savait assuré, décida la majorité. A huit heures le décret était rendu. Il transférait les conseils à Saint-Cloud, et les y convoquait pour le lendemain à midi. Bonaparte était nommé général en chef de toutes les troupes contenues dans la 17e division militaire, de la garde du corps législatif, de la garde du directoire, des gardes nationales de Paris et des environs. Lefebvre, le commandant actuel de la 17e division, était mis sous ses ordres. Bonaparte avait ordre de venir à la barre recevoir le décret, et prêter serment dans les mains du président. Un messager d'état fut chargé de porter sur-le-champ le décret au général.

Le messager d'état, qui était le député Cornet lui-même, trouva les boulevards encombrés d'une nombreuse cavalerie; la rue du Mont-Blanc, la rue Chantereine, remplies d'officiers et de généraux en grand uniforme. Tous accouraient se rendre à l'invitation du général Bonaparte. Les salons de celui-ci étant trop petits pour recevoir autant de monde, il fit ouvrir les portes, s'avança sur le perron, et harangua les officiers. Il leur dit que la France était en danger, et qu'il comptait sur eux pour l'aider à la sauver. Le député Cornet lui présentant le décret, il s'en saisit, le leur lut, et leur demanda s'il pouvait compter sur leur appui. Tous répondirent, en mettant la main sur leurs épées, qu'ils étaient prêts à le seconder. Il s'adressa aussi à Lefebvre. Celui-ci, voyant les troupes en mouvement sans son ordre, avait interrogé le colonel Sébastiani, qui, sans lui répondre, lui avait enjoint d'entrer chez le général Bonaparte. Lefebvre était entré avec humeur. «Eh bien! Lefebvre, lui dit Bonaparte, vous, l'un des soutiens de la république, voulez-vous la laisser périr dans les mains de ces avocats? Unissez-vous à moi pour m'aider à la sauver. Tenez, ajouta Bonaparte en prenant un sabre, voilà le sabre que je portais aux Pyramides; je vous le donne comme un gage de mon estime et de ma confiance.—Oui, reprit Lefebvre tout ému, jetons les avocats à la rivière!» Joseph avait amené Bernadotte; mais celui-ci, voyant de quoi il s'agissait, se retira pour aller avertir les patriotes. Fouché n'était point dans le secret; mais, averti de l'événement, il avait ordonné la fermeture des barrières, et suspendu le départ des courriers et des voitures publiques. Il vint en toute hâte en avertir Bonaparte, et lui faire ses protestations de dévouement. Bonaparte, qui l'avait laissé de côté jusqu'ici, ne le repoussa point, mais lui dit que ses précautions étaient inutiles, qu'il ne fallait ni fermer les barrières, ni suspendre le cours ordinaire des choses, qu'il marchait avec la nation et comptait sur elle. Bonaparte apprit dans le moment que Gohier n'avait pas voulu se rendre à son invitation; il en témoigna quelque humeur, et lui fit dire par un intermédiaire qu'il se perdrait inutilement en voulant résister. Il monta aussitôt à cheval pour se rendre aux Tuileries, et prêter serment devant le conseil des anciens. Presque tous les généraux de la république étaient à cheval à ses côtés. Moreau, Macdonald, Berthier, Lannes, Murat, Leclerc, étaient derrière lui comme ses lieutenans. Il trouva aux Tuileries les détachemens du 9e, les harangua, et, après les avoir enthousiasmés, entra dans le palais.

Il se présenta devant les anciens, accompagné de ce magnifique état-major. Sa présence causa une vive sensation, et prouva aux anciens qu'ils s'étaient associés à un homme puissant, et qui avait tous les moyens nécessaires pour faire réussir un coup d'état. Il se présenta à la barre: «Citoyens représentans, dit-il, la république allait périr, votre décret vient de la sauver! Malheur à ceux qui voudraient s'opposer à son exécution; aidé de tous mes compagnons d'armes rassemblés ici autour de moi, je saurai prévenir leurs efforts. On cherche en vain des exemples dans le passé pour inquiéter vos esprits; rien dans l'histoire ne ressemble au dix-huitième siècle, et rien dans ce siècle ne ressemble à sa fin... Nous voulons la république..... Nous la voulons fondée sur la vraie liberté, sur le régime représentatif... Nous l'aurons, je le jure en mon nom, et au nom de mes compagnons d'armes.....» Nous le jurons tous, répétèrent les généraux et les officiers qui étaient à la barre. La manière dont Bonaparte venait de prêter son serment était adroite, en ce qu'il avait évité de prêter serment à la constitution. Un député voulut prendre la parole pour en faire la remarque; le président la lui refusa, sur le motif que le décret de translation interdisait toute délibération. On se sépara sur-le-champ. Bonaparte se rendit alors dans le jardin, monta à cheval, accompagné de tous les généraux, et passa en revue les régimens de la garnison, qui arrivaient successivement. Il adressa une harangue courte et énergique aux soldats, et leur dit qu'il allait faire une révolution qui leur rendrait l'abondance et la gloire. Des cris de vive Bonaparte! retentissaient dans les rangs. Le temps était superbe, l'affluence extraordinaire: tout semblait seconder l'inévitable attentat qui allait terminer la confusion par le pouvoir absolu.

Dans ce moment, les cinq-cents, avertis de la révolution qui se préparait, s'étaient rendus en tumulte à la salle de leurs séances. A peine réunis, ils avaient reçu un message des anciens, contenant le décret de translation. A cette lecture, une foule de voix avaient éclaté à la fois; mais le président Lucien Bonaparte les avait réduites au silence, en vertu de la constitution qui ne leur permettait plus de délibérer. Les cinq-cents s'étaient séparés aussitôt; les plus ardens, courant les uns chez les autres, formaient des conciliabules, pour s'indigner en commun, et imaginer quelques moyens de résistance. Les patriotes des faubourgs étaient en grande agitation, et s'ameutaient autour de Santerre.

Pendant ce temps, Bonaparte, ayant achevé la revue des troupes, était rentré aux Tuileries, et s'était rendu à la commission des inspecteurs des anciens. Celle des cinq-cents avait entièrement adhéré à la révolution nouvelle, et se prêtait à tout ce qu'on préparait. C'était là que tout devait se faire, sous le prétexte d'exécuter la translation. Bonaparte y siégea en permanence. Déjà le ministre de la justice Cambacérès s'y était rendu. Fouché y vint de son côté. Sièyes et Roger-Ducos venaient d'y donner leur démission. Il importait d'en avoir encore une troisième au directoire, parce qu'alors la majorité étant dissoute, il n'y avait plus de pouvoir exécutif, et on n'avait plus à craindre un dernier acte d'énergie de sa part. On n'espérait pas que Gohier ni Moulins la donnassent; on dépêcha M. de Talleyrand et l'amiral Bruix à Barras, pour lui arracher la sienne.

Bonaparte distribua ensuite le commandement des troupes. Il chargea Murat, avec une nombreuse cavalerie et un corps de grenadiers, d'aller occuper Saint-Cloud. Serrurier fut mis au Point-du-Jour avec une réserve. Lannes fut chargé de commander les troupes qui gardaient les Tuileries. Bonaparte donna ensuite à Moreau une commission singulière, et certainement la moins honorable de toutes, dans ce grand événement: il le chargea d'aller, avec cinq cents hommes, garder le Luxembourg. Moreau avait pour instruction de bloquer les directeurs, sous prétexte de veiller à leur sûreté, et de leur interdire absolument toute communication au dehors. Bonaparte fit signifier en même temps au commandant de la garde directoriale de lui obéir, de quitter avec sa troupe le Luxembourg, et de venir se rendre auprès de lui aux Tuileries. On prit enfin une dernière et importante précaution, avec le secours de Fouché. Le directoire avait la faculté de suspendre les municipalités; le ministre Fouché, agissant en sa qualité de ministre de la police, comme s'il était autorisé par le directoire, suspendit les douze municipalités de Paris, et leur enleva tout pouvoir. Il ne restait, par ce moyen, aux patriotes, aucun point de ralliement, ni au directoire, ni dans les douze communes qui avaient succédé à la grande commune d'autrefois. Fouché fit ensuite afficher des placards, pour inviter les citoyens à l'ordre et au repos, et leur assurer qu'on travaillait dans ce moment à sauver la république de ses périls.

Ces mesures réussirent complètement. L'autorité du général Bonaparte fut reconnue partout, bien que le conseil des anciens n'eût pas agi constitutionnellement en la lui conférant. Ce conseil, en effet, pouvait bien ordonner la translation, mais ne pouvait pas nommer un chef suprême de la force armée. Moreau se rendit au Luxembourg, et le bloqua avec cinq cents hommes. Le commandant de la garde directoriale, Jubé, obéissant sur-le-champ aux ordres qu'il venait de recevoir, fit monter sa troupe à cheval, et quitta le Luxembourg pour se rendre aux Tuileries. Pendant ce temps, les trois directeurs, Moulins, Gohier et Barras, étaient dans une cruelle perplexité. Moulins et Gohier, s'apercevant enfin de la conjuration qui leur avait échappé, s'étaient rendus dans l'appartement de Barras pour lui demander s'il voulait tenir ferme avec eux, et former la majorité. Le voluptueux directeur était dans le bain, et apprenait à peine ce que Bonaparte faisait dans Paris. «Cet homme, s'écria-t-il avec une expression grossière, nous a tous trompés.» Il promit de s'unir à ses collègues, car il promettait toujours, et il envoya son secrétaire Bottot aux Tuileries pour aller à la découverte. Mais à peine Gohier et Moulins l'eurent-ils quitté, qu'il tomba dans les mains de Bruix et de M. de Talleyrand. Il n'était pas difficile de lui faire sentir l'impuissance à laquelle il était réduit, et on n'avait pas à craindre qu'il voulût succomber glorieusement en défendant la constitution directoriale. On lui promit repos et fortune, et il consentit à donner sa démission. On lui avait rédigé une lettre qu'il signa, et que MM. de Talleyrand et Bruix se hâtèrent de porter à Bonaparte. Dès cet instant, Gohier et Moulins firent pour parvenir auprès de lui des efforts inutiles, et apprirent qu'il venait de se démettre. Réduits à eux seuls, n'ayant plus le droit de délibérer, ils ne savaient quel parti prendre, et ils voulaient cependant remplir loyalement leurs devoirs envers la constitution de l'an III. Ils résolurent donc de se rendre à la commission des inspecteurs, pour demander à leurs deux collègues, Sièyes et Ducos, s'ils voulaient se réunir à eux pour reconstituer la majorité, et promulguer du moins le décret de translation. C'était là une triste ressource. Il n'était pas possible de réunir une force armée, et de venir lever un étendard contraire à celui de Bonaparte; dès lors il était inutile d'aller aux Tuileries, affronter Bonaparte au milieu de son camp et de toutes ses forces.

Ils s'y rendirent cependant, et on les y laissa aller. Ils trouvèrent Bonaparte entouré de Sièyes, Ducos, d'une foule de députés et d'un nombreux état-major. Bottot, le secrétaire de Barras, venait d'être fort mal accueilli. Bonaparte, élevant la voix, lui avait dit: «Qu'a-t-on fait de cette France, que j'avais laissée si brillante? j'avais laissé la paix, j'ai retrouvé la guerre; j'avais laissé des victoires, j'ai retrouvé des revers; j'avais laissé les millions de l'Italie, et j'ai trouvé des lois spoliatrices et la misère. Que sont devenus cent mille Français que je connaissais, tous mes compagnons de gloire? ils sont morts!» L'envoyé Bottot s'était retiré atterré; mais dans ce moment la démission de Barras était arrivée et avait calmé le général. Il dit à Gohier et Moulins qu'il était satisfait de les voir; qu'il comptait sur leur démission, parce qu'il les croyait trop bons citoyens pour s'opposer à une révolution inévitable et salutaire. Gohier répondit avec force qu'il ne venait avec son collègue Moulins que pour travailler à sauver la république. «Oui, repartit Bonaparte, la sauver, et avec quoi?... avec les moyens de la constitution, qui croule de toutes parts?—Qui vous a dit cela? répliqua Gohier. Des personnes qui n'ont ni le courage, ni la volonté de marcher avec elle.» Une altercation assez vive s'engagea entre Gohier et Bonaparte. Dans ce moment, on apporta un billet au général. Il contenait l'avis d'une grande agitation au faubourg Saint-Antoine. «Général Moulins, dit Bonaparte, vous êtes parent de Santerre?—Non, répondit Moulins, je ne suis pas son parent, mais son ami.—J'apprends, ajouta Bonaparte, qu'il remue dans les faubourgs; dites-lui qu'au premier mouvement je le fais fusiller.» Moulins répliqua avec force à Bonaparte, qui lui répéta qu'il ferait fusiller Santerre. L'altercation continua avec Gohier. Bonaparte lui dit en finissant: «La république est en péril, il faut la sauver... je le veux. Sièyes et Ducos ont donné leur démission; Barras vient de donner la sienne. Vous êtes deux, isolés, impuissans, vous ne pouvez rien; je vous engage à ne pas résister.» Gohier et Moulins répondirent qu'ils ne déserteraient pas leur poste. Ils retournèrent au Luxembourg, où ils furent dès ce moment consignés, séparés l'un de l'autre, et privés de toute communication par les ordres de Bonaparte transmis à Moreau. Barras venait de partir pour sa terre de Gros-Bois, escorté par un détachement de dragons.

Il n'y avait donc plus de pouvoir exécutif! Bonaparte avait seul la force dans les mains. Tous les ministres étaient réunis auprès de lui, à la commission des inspecteurs. Tous les ordres partaient de là, comme du seul point où il existât une autorité organisée. La journée s'acheva avec assez de calme. Les patriotes formaient de nombreux conciliabules, proposaient des résolutions désespérées, mais sans croire à la possibilité de les exécuter, tant on redoutait l'ascendant de Bonaparte sur les troupes!

Le soir on tint conseil à la commission des inspecteurs. L'objet de ce conseil était de convenir, avec les principaux membres des anciens, de ce qu'on ferait le lendemain à Saint-Cloud. Le projet arrêté avec Sièyes était de proposer l'ajournement des conseils avec un consulat provisoire. Cette proposition présentait quelques difficultés. Beaucoup de membres des anciens, qui avaient contribué à rendre le décret de translation, s'effrayaient maintenant de la domination du parti militaire. Ils n'avaient pas cru que l'on songeât à créer une dictature au profit de Bonaparte et de ses deux associés; ils auraient voulu seulement que l'on composât autrement le directoire, et, malgré l'âge de Bonaparte, ils auraient consenti à le nommer directeur. Ils en firent la proposition. Mais Bonaparte répondit, d'un ton décidé, que la constitution ne pouvait plus marcher, qu'il fallait une autorité plus concentrée, et surtout un ajournement de tous les débats politiques qui agitaient la république. La nomination de trois consuls et la suspension des conseils jusqu'au 1er ventôse furent donc proposées. Après une discussion assez longue, ces mesures furent adoptées. On choisit Bonaparte, Sièyes et Ducos pour consuls. Le projet fut rédigé et dut être proposé le lendemain matin à Saint-Cloud. Sièyes, connaissant parfaitement les mouvemens révolutionnaires, voulait qu'on arrêtât dans la nuit quarante des meneurs des cinq-cents. Bonaparte ne le voulut pas, et eut à s'en repentir.

La nuit fut assez tranquille. Le lendemain matin, 19 brumaire (10 novembre), la route de Saint-Cloud était couverte de troupes, de voitures et de curieux. Trois salles avaient été préparées au château: l'une pour les anciens, l'autre pour les cinq-cents, la troisième pour la commission des inspecteurs et pour Bonaparte. Les préparatifs devaient être achevés à midi, mais ils ne purent l'être avant deux heures. Ce retard manqua de devenir funeste aux auteurs de la révolution nouvelle. Les députés des deux conseils se promenaient dans les jardins de Saint-Cloud, et s'entretenaient ensemble avec une extrême vivacité. Ceux des cinq-cents, irrités d'avoir été déportés en quelque sorte par ceux des anciens, avant même qu'ils pussent prendre la parole, leur demandaient naturellement ce qu'ils voulaient, ce qu'ils projetaient pour la journée. «Le gouvernement est décomposé, leur disaient-ils; eh bien, soit; nous convenons qu'il faut le recomposer, et qu'il en a besoin. Voulez-vous, au lieu d'hommes ineptes et sans renommée, y porter des hommes imposans; voulez-vous y porter Bonaparte?..... quoiqu'il n'ait pas l'âge requis, nous y consentons encore.» Ces questions pressantes, embarrassaient les anciens. Il fallait convenir qu'on voulait autre chose, et qu'on avait le projet d'un renversement de constitution. Quelques-uns d'entre eux firent des insinuations à ce sujet; mais elles furent mal accueillies. Les anciens, déjà effrayés la veille de ce qui s'était passé à la commission des inspecteurs, furent ébranlés tout à fait, en voyant la résistance qui se manifestait dans les cinq-cents. Dès ce moment, les dispositions du corps législatif parurent douteuses, et le projet de révolution fut très compromis. Bonaparte était à cheval à la tête de ses troupes; Sièyes et Ducos avaient une chaise de poste, attelée de six chevaux, qui les attendait à la grille de Saint-Cloud. Beaucoup d'autres personnages en avaient aussi, se disposant, en cas d'échec, à prendre la fuite. Sièyes, du reste, montra dans toute cette scène un rare sang-froid et une grande présence d'esprit. On craignait que Jourdan, Augereau et Bernadotte ne vinssent parler aux troupes. On donna l'ordre de sabrer le premier individu qui se présenterait pour les haranguer, représentant ou général, n'importe.

La séance des deux conseils s'ouvrit à deux heures. Dans les anciens, des réclamations s'élevèrent de la part des membres qui n'avaient pas été convoqués la veille pour assister à la discussion sur le décret de translation. Ces réclamations furent écartées, puis on s'occupa d'une notification aux cinq-cents, pour leur apprendre que le conseil était en majorité, et prêt à délibérer. Aux cinq-cents, la délibération commença autrement. Le député Gaudin, qui avait mission de Sièyes et de Bonaparte d'ouvrir la discussion, parla d'abord des dangers que courait la république, et proposa deux choses: premièrement de remercier les anciens d'avoir transféré le corps législatif à Saint-Cloud, et secondement de former une commission chargée de faire un rapport sur les dangers de la république, et sur les moyens de pourvoir à ces dangers. Si cette proposition avait été adoptée, on avait un rapport tout préparé, et on eût proposé le consulat provisoire et l'ajournement. Mais à peine le député Gaudin a-t-il achevé de parler, qu'un orage épouvantable éclate dans l'assemblée. Des cris violens retentissent; on entend de toutes parts: «A bas les dictateurs, point de dictature, vive la constitution!—La constitution ou la mort! s'écrie Delbrel.... Les baïonnettes ne nous effraient pas, nous sommes libres ici.» Ces paroles sont suivies de nouveaux cris. Quelques députés furieux répètent en regardant le président Lucien: «Point de dictature, à bas les dictateurs!» A ces cris insultans, Lucien prend la parole. «Je sens trop, dit-il, la dignité de président pour souffrir plus long-temps les menaces insolentes de certains orateurs; je les rappelle à l'ordre.» Cette injonction ne les calme pas, et les rend plus furieux. Après une longue agitation, le député Grandmaison propose de prêter serment à la constitution de l'an III. La proposition est aussitôt accueillie. On demande de plus l'appel nominal. L'appel nominal est aussi adopté. Chaque député vient à son tour prêter serment à la tribune, aux cris et aux applaudissemens de tous les assistans. Lucien est obligé lui-même de quitter le fauteuil, pour prêter le serment qui ruine les projets de son frère.

Les événemens prenaient une tournure dangereuse. Au lieu de nommer une commission pour écouter des projets de réforme, les cinq-cents prêtaient un serment de maintenir ce qui existait, et les anciens ébranlés étaient prêts à reculer. C'était une révolution manquée. Le danger était imminent. Augereau, Jourdan, les patriotes influens, étaient à Saint-Cloud, attendant le moment favorable pour ramener les troupes de leur côté. Bonaparte et Sièyes arrêtent sur-le-champ qu'il faut agir, et ramener à soi la masse flottante. Bonaparte se décide à se présenter aux deux conseils à la tête de son état-major. Il rencontre Augereau, qui d'un ton railleur lui dit: «Vous voilà dans une jolie position!—Les affaires étaient en bien plus mauvais état à Arcole,» lui répond Bonaparte; et il se rend à la barre des anciens. Il n'avait point l'habitude des assemblées. Parler pour la première fois en public est embarrassant, effrayant même pour les esprits les plus fermes, et dans les circonstances les plus ordinaires. Au milieu de pareils événemens, et pour un homme qui n'avait jamais paru à une tribune, ce devait être bien plus difficile encore. Bonaparte, fort ému, prend la parole, et d'une voix entrecoupée, mais forte, dit aux anciens: «Citoyens représentans, vous n'êtes point dans des circonstances ordinaires, mais sur un volcan. Permettez-moi quelques explications. Vous avez cru la république en danger; vous avez transféré le corps législatif à Saint-Cloud; vous m'avez appelé pour assurer l'exécution de vos décrets; je suis sorti de ma demeure pour vous obéir, et déjà on nous abreuve de calomnies, moi et mes compagnons d'armes: on parle d'un nouveau Cromwell, d'un nouveau César. Citoyens, si j'avais voulu d'un tel rôle, il m'eût été facile de le prendre au retour d'Italie, au moment du plus beau triomphe, et lorsque l'armée et les partis m'invitaient à m'en emparer. Je ne l'ai pas voulu alors, je ne le veux pas aujourd'hui. Ce sont les dangers seuls de la patrie qui ont éveillé mon zèle et le vôtre.» Bonaparte fait ensuite, toujours d'une voix émue, le tableau de la situation dangereuse de la république, déchirée par tous les partis, menacée d'une nouvelle guerre civile dans l'Ouest, et d'une invasion vers le Midi. «Prévenons, ajoute-t-il, tant de maux; sauvons les deux choses pour lesquelles nous avons fait tant de sacrifices, la liberté et l'égalité...—Parlez donc aussi de la constitution!» s'écrie le député Linglet. Cette interruption déconcerte un instant le général; mais bientôt il se remet; et d'une voix entrecoupée il répond: «De constitution! vous n'en avez plus. C'est vous qui l'avez détruite, en attentant, le 18 fructidor, à la représentation nationale, en annulant, le 22 floréal, les élections populaires, et en attaquant, le 30 prairial, l'indépendance du gouvernement. Cette constitution dont vous parlez, tous les partis veulent la détruire. Ils sont tous venus me faire confidence de leurs projets, et m'offrir de les seconder. Je ne l'ai pas voulu; mais, s'il le faut, je nommerai les partis et les hommes.—Nommez-les, s'écrient alors les opposans, nommez-les, demandez un comité secret.» Une longue agitation succède à cette interruption. Bonaparte reprend enfin la parole, et peignant de nouveau l'état où la France est placée, engage les anciens à prendre des mesures qui puissent la sauver. «Environné, dit-il, de mes frères d'armes, je saurai vous seconder. J'en atteste ces braves grenadiers, dont j'aperçois les baïonnettes, et que j'ai si souvent conduits à l'ennemi; j'en atteste leur courage, nous vous aiderons à sauver la patrie. Et si quelque orateur, ajoute Bonaparte d'une voix menaçante, si quelque orateur, payé par l'étranger, parlait de me mettre hors la loi, alors j'en appellerais à mes compagnons d'armes. Songez que je marche accompagné du dieu de la fortune et du dieu de la guerre.»

Ces paroles audacieuses étaient un avis pour les cinq-cents. Les anciens les accueillirent très bien, et parurent ramenés par la présence du général. Ils lui accordèrent les honneurs de la séance.

Bonaparte, après avoir réchauffé les anciens, songe à se rendre aux cinq-cents, pour essayer de leur imposer. Ils s'avance suivi de quelques grenadiers; il entre, mais il les laisse derrière lui au bout de la salle. Il avait à parcourir la moitié de l'enceinte pour arriver à la barre. A peine est-il arrivé au milieu, que des cris furieux partent de toutes parts. «Quoi, s'écrient une foule de voix, des soldats ici! des armes! Que veut-on?... A bas le dictateur! à bas le tyran!» Un grand nombre de députés s'élancent au milieu de la salle, entourent le général, lui adressent les interpellations les plus vives! «Quoi! lui dit-on, c'est pour cela que vous avez vaincu?... Tous vos lauriers sont flétris... Votre gloire s'est changée en infamie. Respectez le temple des lois. Sortez, sortez!» Bonaparte est confondu au milieu de la foule qui le presse. Les grenadiers qu'il avait laissés à la porte, accourent, repoussent les députés, et le saisissent au milieu du corps. On dit que dans ce tumulte, des grenadiers reçurent des coups de poignard qui lui étaient destinés. Le grenadier Thomé eut ses vêtemens déchirés. Il est très possible que, dans le tumulte, ses vêtemens aient été déchirés, sans qu'il y eût là des poignards. Il est possible aussi que des poignards fussent dans plus d'une main. Des républicains qui croyaient voir un nouveau César, pouvaient s'armer du fer de Brutus, sans être des assassins. Il y a une grande faiblesse à les en justifier. Quoi qu'il en soit, Bonaparte est emporté hors de la salle. On dit qu'il était troublé, ce qui n'est pas plus étonnant que la supposition des poignards. Il monte à cheval, se rend auprès des troupes, leur dit qu'on a voulu l'assassiner, que ses jours ont été en péril, et est accueilli partout par les cris de vive Bonaparte!

Dans ce moment l'orage continue, plus violent que jamais, dans l'assemblée, et se dirige contre Lucien. Celui-ci déploie une fermeté et un courage rares. «Votre frère est un tyran, lui dit-on; en un jour il a perdu toute sa gloire.» Lucien cherche en vain à le justifier. «Vous n'avez pas voulu, dit-il, l'entendre. Il venait vous expliquer sa conduite, vous faire connaître sa mission, répondre à toutes les questions que vous ne cessez d'adresser depuis que vous êtes réunis. Ses services méritaient du moins qu'on lui donnât le temps de s'expliquer.—Non, non, à bas le tyran! s'écrient les patriotes furieux. Hors la loi! ajoutent-ils, hors la loi!» Ce mot était terrible, il avait perdu Robespierre. Prononcé contre Bonaparte, il pouvait peut-être faire hésiter les troupes, et les détacher de lui. Lucien, avec courage, résiste à la proposition de mise hors la loi, et demande auparavant qu'on écoute son frère. Il lutte long-temps au milieu d'un tumulte épouvantable. Enfin, déposant sa toque et sa toge: «Misérables, s'écrie-t-il, vous voulez que je mette hors la loi mon propre frère! Je renonce au fauteuil, et je vais me rendre à la barre pour défendre celui qu'on accuse.»

Dans ce moment, Bonaparte entendait du dehors la scène qui se passait dans l'assemblée. Il craignait pour son frère; il envoie dix grenadiers pour l'arracher de la salle. Les grenadiers entrent, trouvent Lucien au milieu d'un groupe, le saisissent par le bras en lui disant que c'est par ordre de son frère, et l'entraînent hors de l'enceinte. C'était le moment de prendre un parti décisif. Tout était perdu si on hésitait. Les moyens oratoires de ramener l'assemblée étant devenus impossibles, il ne restait que la force; il fallait hasarder un de ces actes audacieux, devant lesquels hésitent toujours les usurpateurs. César hésita en passant le Rubicon, Cromwell en fermant le parlement. Bonaparte se décide à faire marcher les grenadiers sur l'assemblée. Il monte à cheval avec Lucien, et parcourt le front des troupes. Lucien les harangue. «Le conseil des cinq-cents est dissous, leur dit-il, c'est moi qui vous le déclare. Des assassins ont envahi la salle des séances, et ont fait violence à la majorité; je vous somme de marcher pour la délivrer.» Lucien jure ensuite que lui et son frère seront les défenseurs fidèles de la liberté. Murat et Leclerc ébranlent alors un bataillon de grenadiers, et le conduisent à la porte des cinq-cents. Ils s'avancent jusqu'à l'entrée de la salle. A la vue des baïonnettes, les députés poussent des cris affreux, comme ils avaient fait à la vue de Bonaparte. Mais un roulement de tambours couvre leurs cris. Grenadiers, en avant! s'écrient les officiers. Les grenadiers entrent dans la salle, et dispersent les députés qui s'enfuient les uns par les couloirs, les autres par les fenêtres. En un instant la salle est évacuée, et Bonaparte reste maître de ce déplorable champ de bataille.

La nouvelle est portée aux anciens, qui en sont remplis d'inquiétude et de regrets. Ils n'avaient pas souhaité un pareil attentat. Lucien se présente à leur barre, et vient justifier sa conduite à l'égard des cinq-cents. On se contente de ses raisons, car que faire dans une pareille situation?... Il fallait en finir, et remplir l'objet qu'on s'était proposé. Le conseil des anciens ne pouvait pas décréter à lui seul l'ajournement du corps législatif et l'institution du consulat. Le conseil des cinq-cents était dissous; mais il restait une cinquantaine de députés, partisans du coup d'état. On les réunit, et on leur fait rendre le décret, objet de la révolution qu'on venait de faire. Le décret est ensuite porté aux anciens, qui l'adoptent vers le milieu de la nuit. Bonaparte, Roger-Ducos, Sièyes, sont nommés consuls provisoires, et revêtus de toute la puissance exécutive. Les conseils sont ajournés au 1er ventôse prochain. Ils sont remplacés par deux commissions de vingt-cinq membres chacune, prises dans les conseils, et chargées d'approuver les mesures législatives que les trois consuls auront besoin de prendre. Les consuls et les commissions sont chargés de rédiger une constitution nouvelle.

Telle fut la révolution du 18 brumaire, jugée si diversement par les hommes, regardée par les uns comme l'attentat qui anéantit l'essai de notre liberté, par les autres comme un acte hardi, mais nécessaire, qui termina l'anarchie. Ce qu'on en peut dire, c'est que la révolution, après avoir pris tous les caractères, monarchique, républicain, démocratique, prenait enfin le caractère militaire, parce qu'au milieu de cette lutte perpétuelle avec l'Europe, il fallait qu'elle se constituât d'une manière solide et forte. Les républicains gémissent de tant d'efforts infructueux, de tant de sang inutilement versé pour fonder la liberté en France, et ils déplorent de la voir immolée par l'un des héros qu'elle avait enfantés. En cela le plus noble sentiment les trompe. La révolution, qui devait nous donner la liberté, et qui a tout préparé pour que nous l'ayons un jour, n'était pas, et ne devait pas être elle-même la liberté. Elle devait être une grande lutte contre l'ancien ordre de choses. Après l'avoir vaincu en France, il fallait qu'elle le vainquît en Europe. Mais une lutte si violente n'admettait pas les formes et l'esprit de la liberté. On eut un moment de liberté sous la constituante, et il fut court; mais quand le parti populaire devint menaçant au point d'intimider tous les esprits; quand il envahit les Tuileries au 10 août; quand au 2 septembre il immola tous ceux qui lui donnaient des défiances; quand au 21 janvier il obligea tout le monde à se compromettre avec lui en trempant les mains dans le sang royal; quand il obligea, en août 93, tous les citoyens à courir aux frontières, ou à livrer leur fortune; quand il abdiqua lui-même sa puissance, et la remit à ce grand comité de salut public, composé de douze individus, y avait-il, pouvait-il y avoir liberté? Non; il y avait un violent effort de passions et d'héroïsme; il y avait cette tension musculaire d'un athlète qui lutte contre un ennemi puissant. Après ce moment de danger, après nos victoires, il y eut un instant de relâche. La fin de la convention et le directoire présentèrent des momens de liberté. Mais la lutte avec l'Europe ne pouvait être que passagèrement suspendue. Elle recommença bientôt; et au premier revers les partis se soulevèrent tous contre un gouvernement trop modéré, et invoquèrent un bras puissant. Bonaparte, revenant d'Orient, fut salué comme souverain, et appelé au pouvoir. On dira vainement que Zurich avait sauvé la France. Zurich était un accident, un répit; il fallait encore Marengo et Hohenlinden pour la sauver. Il fallait plus que des succès militaires, il fallait une réorganisation puissante à l'intérieur de toutes les parties du gouvernement, et c'était un chef politique plutôt qu'un chef militaire dont la France avait besoin. Le 18 et le 19 brumaire étaient donc nécessaires. On pourrait seulement dire que le 20 fut condamnable, et que le héros abusa du service qu'il venait de rendre. Mais on répondra qu'il venait achever une tâche mystérieuse, qu'il tenait, sans s'en douter, de la destinée, et qu'il accomplissait sans le vouloir. Ce n'était pas la liberté qu'il venait continuer, car elle ne pouvait pas exister encore; il venait, sous les formes monarchiques, continuer la révolution dans le monde; il venait la continuer en se plaçant, lui plébéien, sur un trône; en conduisant le pontife à Paris pour verser l'huile sacrée sur un front plébéien; en créant une aristocratie avec des plébéiens, en obligeant les vieilles aristocraties à s'associer à son aristocratie plébéienne; en faisant des rois avec des plébéiens; enfin en recevant dans son lit la fille des Césars, et en mêlant un sang plébéien à l'un des sangs les plus vieux de l'Europe; en mêlant enfin tous les peuples, en répandant les lois françaises en Allemagne, en Italie, en Espagne; en donnant des démentis à tant de prestiges, en ébranlant, en confondant tant de choses. Voilà quelle tâche profonde il allait remplir; et pendant ce temps la nouvelle société allait se consolider à l'abri de son épée, et la liberté devait venir un jour. Elle n'est pas venue, elle viendra. J'ai décrit la première crise qui en a préparé les élémens en Europe; je l'ai fait sans haine, plaignant l'erreur, révérant la vertu, admirant la grandeur, tâchant de saisir les profonds desseins de la Providence dans ces grands événemens, et les respectant dès que je croyais les avoir saisis.

FIN

 

HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

révolution du 18 brumaire